• Jeudi 30 mars 2023

    « Ils n’ont pas vu un artiste exprimant un avis, mais un fournisseur retardant la livraison de la marchandise à son client. »
    Réflexions personnelles suite à une attitude médiocre d’une partie du public de l’auditorium de Lyon le 17 mars

    Ce jour-là, Annie et moi n’étions pas au concert de l’Auditorium de Lyon.

    C’était le vendredi 17 mars, un jour après la décision du gouvernement d’utiliser l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire adopter la réforme de la retraite par le Parlement.

    François Apap, bassoniste et représentant de l’Orchestre national de Lyon a pris la parole avant le concert pour dire l’opposition des musiciens à cette réforme et en donner les raisons.

    <BFM TV> a mis en ligne une vidéo de ce moment.

    Postérieurement, cette même chaîne a donné la parole au musicien qui s’était exprimé : < On m’a lancé des pièces > :

    « Ça a été très compliqué sur scène, parce que j’ai entendu des insultes « ta gueule », « on n’est pas là pour ça », etc. On m’a lancé des pièces sur scène. Ce soir-là, ça a quand même été très violent. On ne s’y attendait pas. L’orchestre s’est très mal senti après cette scène.

    Pour François Apape, face aux invectives de la foule qui ont duré de longues minutes, les musiciens auraient dû faire le choix de « sortir de scène, attendre 10-15 minutes dehors avant de revenir pour le début du concert. […]

    Un témoin avait rapporté à BFM Lyon que « le public s’était indigné immédiatement, sans savoir de quoi il allait être question, haut et fort. Le discours n’avait même pas commencé qu’on entendait des « remboursés » vindicatifs ».

    Selon la « Lettre du musicien » que « Mediapart » a cité dans <un Article> que Christiane m’a fait parvenir :

    «  À peine les haut-parleurs avaient-ils annoncé qu’une déclaration précéderait le concert, vendredi 17 mars, que des cris ont fusé dans la salle : « On n’est pas là pour ça ! », « Vous nous faites chier ! ». François Apap a poursuivi sa lecture malgré les quolibets : « J’ai vu des regards haineux tandis qu’on me hurlait : “Ferme ta gueule et joue.” On m’a même jeté une pièce sur scène, traité de “chochotte”, de “connard”… », raconte le musicien.

    Des applaudissements ont tenté, en vain, de couvrir les huées : « La salle était en quelque sorte coupée en deux », témoigne Antoine Galvani, secrétaire général du Syndicat des artistes musiciens en Rhône-Alpes (Snam-CGT). »

    Il va, sans dire, que si Annie et moi avions été dans la salle nous aurions été du coté des applaudissements. Il y a quelques années, nous avions assisté à un évènement du même type qui avait déclenché un comportement hostile d’une partie public, mais les applaudissements avaient alors couvert les sifflets. Ce ne fut pas le cas, semble t’il, le 17 mars.

    Cet article donne aussi une partie des arguments développés par François Apap :

    « Je sais que la culture de la musique classique passe pour propre et lisse et que, pour certains, elle devrait le rester. Mais nous devons faire face à une forme de pénibilité encore taboue, qui fait beaucoup de dégâts sur les corps, notamment dans le pupitre des cordes. » Le bassoniste évoque, à l’Orchestre national de Lyon, quatre musiciens absents de leur poste depuis plus d’un an, une majorité contrainte de consulter régulièrement des ostéopathes, mais aussi de souscrire à des assurances supplémentaires, une partie des troubles musculosquelettiques n’étant pas suffisamment prise en charge par la Sécurité sociale.« Nous sommes des sportifs de haut niveau. Mon texte, à cet égard, n’était ni belliqueux ni agressif. Il visait seulement à souligner que tenir deux ans de plus, ce n’est pas possible pour certains d’entre nous, d’autant plus dans un contexte de gel des postes, de concerts annulés, et de salaires qui ne chiffrent pas par rapport aux exigences qu’on nous demande. Cette déclaration englobait aussi les intermittents, les femmes, qui souffrent de carrières hachées… »

    L’article montre aussi que cette attitude n’est pas limitée au public de Lyon :

    « Faut-il donc tenir pour exceptionnelles les réactions du public de l’Auditorium de Lyon ? En novembre dernier, les ouvreurs et ouvreuses de la Philharmonie, qui tractaient également pour leurs conditions de travail, recevaient un accueil mitigé, voire hostile de la part des spectateurs et spectatrices : « Parfois, on nous répond : “Ne vous plaignez pas, au moins vous avez du travail” », rapportait amèrement une employée. Tandis qu’à Lille, le 19 janvier, une prise de parole similaire à celle de François Apap, juste avant un concert de l’Orchestre national de Lille, rencontrait le même accueil. »

    Que dire ?

    Il y a donc des personnes probablement aisées, selon mon expérience de l’auditorium, plutôt âgées, probablement déjà à la retraite qui ne tolèrent pas que leur acte de consommation soit interrompu par un avis divergent du leur.

    Parce qu’ils pouvaient ne pas être d’accord avec les propos du musicien, c’était leur droit.

    Mais il leur appartenait d’écouter avec respect et silence un avis qui était contraire à leurs idées.

    Dans quel monde veulent-ils vivre ?

    Dans un monde où il n’existe qu’une opinion, la leur ?

    Zygmunt Bauman décrivait une telle attitude :

    « S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.»

    Ce monde dans lequel ils s’enferment, dans lequel il n’y a plus d’opinions divergentes mais une vérité et des erreurs est un monde triste, stérile, morbide.

    Ce sont non des esprits de culture, ouvert à l’art et aux artistes.

    Quand le musicien a pris la parole, ils n’ont pas vu un artiste exprimant un avis, mais un fournisseur retardant la livraison de la marchandise à son client.

    Ce sont de vils consommateurs.

    Le philosophe allemand, Peter Sloterdijke, disait :

    « La liberté du consommateur et de l’individu moderne, c’est la liberté du cochon devant son auge. »

    Ils n’ont même plus de savoir vivre !

    Moi qui pensais, qu’au moins, les bourgeois avaient toujours comme qualité, la politesse.

    Force est de constater que celles et ceux qui ont hué le musicien, en étaient dépourvus.

    <1741>

     

  • Mercredi 29 mars 2023

    « Nous devrions toujours célébrer les immigrés qui contribuent tellement à notre pays. »
    Humza Yousaf qui vient d’être désigné premier ministre de l’Écosse

    Il se passe quelque chose de l’autre côté de la Manche.

    D’abord en octobre 2022, après l’épisode court et peu glorieux de Liz Truss et celui tonitruant et peu sérieux de Boris Johnson, les conservateurs britanniques ont désigné comme premier ministre Rishi Sunak

    Rishi Sunak est né le 12 mai 1980 à Southampton dans le Hampshire en Angleterre.

    Mais il est le fils de Yashvir Sunak, né au Kenya, alors colonie britannique, et d’Usha Sunak, pharmacienne née au Tanganyika, alors territoire sous mandat britannique.

    Sa famille est originaire du Pendjab et fait partie de la diaspora indienne d’Ouganda, du Kenya et de Tanzanie .

    Celui qui dirige le Royaume-Uni est donc issu de l’immigration indienne.

    Mais en creusant un peu j’ai appris qu’il était pratiquant de l’Hindouisme. Lui-même a souligné que le jour de sa désignation, le lundi 24 octobre, correspondait au jour de la fête traditionnelle de Diwali.

    Le Diwali célèbre la victoire de la lumière sur les ténèbres et est fêté à travers le monde entier par la communauté hindoue.

    En Grande Bretagne, il n’y a pas de constitution écrite. Il est de tradition que les députés prêtent serment sur la bible. Mais, après son élection au Parlement en 2015, Rishi Sunak a prêté serment au Parlement sur la Bhagavad Gita, le livre sacré hindou.

    C’est ce qu’on lit dans cet article du Huffington Post : < La victoire de Rishi Sunak tombe le jour du Diwali, tout un symbole >

    Au nord des iles britanniques, en Écosse, la première ministre depuis 2014, Nicola Sturgeon, a annoncé sa démission le 15 février 2023.

    Ce mardi 28 mars, le parlement local d’Ecosse a désigné pour la remplacer Humza Yousaf qui deviendra aujourd’hui, mercredi, officiellement le premier ministre de l’Écosse.

    Le journal suisse « Le Temps » constate que c’est <la première fois qu’une démocratie occidentale élit un leader musulman> et ajoute

    « A l’annonce de sa victoire à la tête du parti, lundi, Humza Yousaf s’est levé, tout sourire, a donné une accolade aux deux candidates qu’il avait battues, puis s’est tourné vers ses parents, assis derrière lui. Son père, collier de barbe blanche strict, sa mère, foulard musulman sur la tête et une larme à l’œil, débordaient de fierté. Le nouveau leader du Scottish National Party (SNP), le parti indépendantiste écossais, élu avec 52,1% des voix, fait rarement de ses origines un argument politique, mais en ce jour historique, qui doit faire de lui mardi le premier ministre d’Écosse, il a tenu à les souligner. «Je dois remercier mes grands-parents, aujourd’hui décédés, d’avoir émigré du Pendjab (au Pakistan) vers l’Ecosse il y a plus de soixante ans. […] Ils n’auraient jamais imaginé que leur petit-fils serait un jour sur le point de devenir premier ministre.» »

    Sa page Wikipedia nous apprend qu’il est né le 7 avril 1985 à Glasgow.

    Il est le fils d’immigrés de première génération : son père, Muzaffar Yousaf, est né à Mian Channu au Pakistan et à émigré à Glasgow dans les années 1960, pour travailler comme comptable. Son grand-père paternel travaillait dans l’usine de machine de couture Singer à Clydebank dans les années 1960. Sa mère, Shaaista Bhutta, est née au Kenya dans une famille originaire d’Asie du Sud qui a subi de nombreuses attaques car elle était perçue comme prenant le travail aux locaux et qui a émigré plus tard en Écosse pour échapper aux violences anti-indiennes au Kenya.

    C’est donc un écossais issu de l’immigration pakistanaise qui va diriger l’Écosse en tant que chef du Parti National Écossais qui est un parti qui souhaite l’indépendance de l’écosse.

    Jean-Marc Four dans sa chronique du 28 mars : <Un musulman à la tête de l’Ecosse après un hindouiste à la tête du Royaume Uni> a ajouté

    « Et face à lui, en Écosse ; Yousaf aura pour premier opposant le chef du parti travailliste écossais, Anar Sarwar qui, lui aussi, est d’origine pakistanaise ! »

    « L’obs » dans un article <5 choses à savoir sur Humza Yousaf> nous révèle que :

    « Humza Yousaf dit avoir beaucoup souffert de racisme, en particulier après les attentats du 11 septembre 2001. En 2021, avec son épouse, il a porté plainte pour discrimination contre une crèche qui avait refusé d’accueillir leur fille »

    Jean Marc Four cite Humza Yousaf :

    « Nous devrions toujours célébrer les immigrés qui contribuent tellement à notre pays. ».

    Il y a donc au Royaume Uni un homme issu de l’immigration indienne et de religion Hindou qui est premier ministre et en écosse un homme issu de l’immigration pakistanaise et de religion musulmane qui est premier ministre

    Jean-Marc Four a analysé ce constat de la manière suivante :

    « […] c’est très révélateur de la poussée spectaculaire des élus issus de la diversité chez nos voisins britanniques. […]

    L’homme qui incarne désormais l’Écosse est donc musulman, originaire du Pendjab au Pakistan par sa famille paternelle.

    […] Et lorsqu’il est devenu député il y a 12 ans, Yousaf a prêté serment en anglais et en ourdou, l’une des langues du Pakistan.

    […] Un dirigeant musulman, c’est une première dans un pays occidental.

    […] Un phénomène similaire est donc à l’œuvre à Londres, au Parlement britannique.

    Puisque vous le savez, le premier ministre britannique, depuis l’automne, est lui aussi issu de l’immigration.

    Rishi Sunak est hindouiste, il a d’ailleurs prêté serment sur la Baghavad Gita, l’un des textes fondamentaux de cette religion. […]

    Deux de ses principaux ministres sont également enfants d’immigrants: la ministre de l’Intérieur Suella Braverman, originaire de l’île de Maurice et le ministre des affaires étrangères James Cleverly, originaire de Sierra Leone.

    Ajoutons d’autres figures du parti conservateur : Kemi Badenoch, originaire du Nigeria, ou Nadim Zahawi du Pakistan.

    Quant au maire de Londres, c’est le travailliste Sadiq Khan depuis maintenant 7 ans. Origine là encore : Pakistan.

    Ces exemples nombreux disent une évolution majeure de la vie politique britannique : les élus issus de la diversité accèdent désormais aux plus hauts postes.

    Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de racisme en Angleterre ou en Écosse. Il y en a : le nouveau premier ministre écossais raconte que sa fille en a été victime.

    Mais l’ascension sociale des élus de 2ème ou 3ème génération est rapide en politique. Parce que certains partis, comme le parti conservateur, ont imposé des quotas.

    Et aussi parce que la société y est prête. Elle n’a pas de réticence à porter à sa tête un enfant de l’immigration. […]

    En tout cas, le contraste entre la France et le Royaume-Uni, déjà frappant avec l’avènement de Sunak, devient saisissant avec celui de Yousaf : l’équivalent en France, ce serait un président ou un premier ministre issu des immigrations algérienne, marocaine, sénégalaise.

    Déjà qu’un ou une ministre, une Dati, un Ndiaye, une Vallaud Belkacem, c’est rare. Alors un chef de gouvernement n’en parlons pas. »

    Il me semble que nos amis britanniques ont, sur ce point, un peu d’avance sur la France

    <1740>

  • Lundi 27 mars 2023

    « Personne n’a envie d’être un con-vaincu. »
    Thomas d’Ansembourg

    Le climat social devient violent en France, vous ne trouvez pas ?

    Ce dimanche, les mégabassines de Sainte-Solines se sont ajoutées à la réforme des retraites pour donner lieu à des affrontements et des blessés entre des manifestants et des forces de l’ordre.

    J’ai regardé avec intérêt cette vidéo du média « Blast » sur la problématique de cette solution mise en œuvre par des céréaliers, pour pouvoir continuer à produire comme avant la sécheresse, en prélevant,  dans la nappe phréatique, d’immenses masses d’eau dont ils ont besoin pour leur activité.

    La conséquence de cette solution est d’aggraver à terme le problème par un asséchement renforcé des sols et un effondrement accéléré du niveau de la nappe phréatique et bien sûr de diminuer l’eau disponible pour tous les autres utilisateurs. Et parmi ces utilisateurs il y a des humains mais aussi d’autres espèces vivantes qui disparaissent et avec elles la biodiversité.

    <Mégabassines : la guerre est déclarée>

    Mais pour revenir à la réforme des retraites, il faut rappeler quelques éléments chronologiques.

    En utilisant l’argument de la guerre en Ukraine qui monopolisait son temps de réflexion disponible, le président Macron a enjambé l’élection présidentielle.

    Je veux dire qu’il a présenté tardivement un programme minimal et il a refusé tout débat sur ce programme et sur tout autre sujet.

    Si on ne peut plus débattre pendant l’élection présidentielle, quand pourra t’on débattre ?

    Le débat du second tour n’en était pas un. Il s’agissait simplement de montrer que l’autre candidate n’était pas capable d’assurer le rôle. Elle a parfaitement collaboré et joué le rôle qu’on attendait d’elle.

    Dans le programme lilliputien du Président sortant, il y avait quand même une mesure : l’allongement de l’âge de départ à la retraite

    Et c’est ainsi qu’au pas de charge, cette affaire a été menée, en utilisant tous les rouages de la constitution pour que cela aille vite.

    Plutôt que de discuter avec les représentants syndicaux, Emmanuel Macron a demandé à son gouvernement de négocier avec la Droite LR, dont la candidate proposait la même réforme dans son programme.

    Cela n’a pas fonctionné, parmi les députés LR, il en est suffisamment qui détestent tellement Macron qu’ils sont prêts à tout pour l’empêcher.

    L’opposition de la NUPES a aussi joué un rôle délétère, elle n’a pas débattu mais vociféré, elle n’a pas argumenté mais asséné ses croyances et son récit. Elle a réussi à aider Emmanuel Macron à rendre l’Assemblée Nationale encore plus impopulaire.

    Et puis finalement le Président sortant qui est reparti pour un second mandat a pris la parole le 23 mars.

    Il me semble possible de résumer son intervention de la manière suivante :

    « J’ai raison, ma réforme est indispensable. C’est celle qui peut le mieux répondre aux défis qui se présentent à nous. Vous ne l’avez pas bien comprise, je ne l’ai probablement pas bien expliqué. Je vais donc vous en convaincre en vous explicitant mes arguments. »

    Il y a un certain nombre de français qui n’ont pas été satisfaits ni du 49-3, ni de la manière dont Monsieur Macron a tenté de les convaincre qu’il avait raison.

    J’avais déjà évoqué Thomas d’Ansembourg, lors du mot du jour du 10 janvier 2017 : « La paix ça s’apprend »

    Thomas d’Ansembourg est un psychothérapeute belge spécialisé dans la communication non-violente.

    Il organise des séminaires en ligne, mais on trouve facilement des petites interventions pleine de sens sur la communication entre les humains.

    Dans celle-ci, il s’agit <de la communication dans un couple>, mais je pense que ces réflexions sont parfaitement adaptées à notre situation politique :

    « Il y a infiniment plus d’intelligence dans deux cœurs qui essaient de se rapprocher.
    Je dis bien qui essaient parce qu’on n’arrive pas toujours.
    Il y a bien plus d’intelligence dans deux cœurs qui essaient de se rapprocher que dans deux intelligences qui essaient d’avoir raison à coup de gourdin qui est malheureusement quasiment le seul modèle que nous ayons.

    Lorsqu’on regarde la moindre émission télévisée avec ceux qui sont censé nous inspirer comme dirigeants, on voit des collisions d’ego avec des êtres qui veulent avoir raison !
    Et qui ne passent pas leur temps de silence à écouter pour comprendre, mais à préparer leur contre-attaque.
    C’est d’une misère. Une absence de discernement. C’est d’une grande pauvreté.
    Prenez un petit moment d’écoute de vous-même pour aller voir les moments où vous vous retrouvez dans des rapports de force, dans cette prétention à avoir raison, à vouloir con-vaincre l’autre.
    Vous entendez dans ce joli mot que personne n’a envie d’être un con-vaincu ?
    Qu’est ce qui s’active en vous quand quelqu’un veut vous convaincre : La plupart du temps, c’est la fuite : « Fous moi la paix » ou la rébellion : « Arrête d’essayer de me convaincre, c’est moi qui vais te convaincre et on enclenche des rapports de force. »

    Il est beaucoup plus intelligent et sage de passer son temps de silence à tenter de comprendre l’autre que de préparer sa contre-attaque.

    Tous les français ne disent pas à M Macron qu’il ne faut pas une réforme de la retraite, mais beaucoup disent : « pas celle-là et pas avec cette méthode »

    Mais il semble que M Macron ne cherche pas à comprendre et continue dans son idée et tente de faire des français des « con-vaincus ».

    Cette méthode ne fonctionne visiblement pas.

    Thomas d’Ansembourg ajoute :

    « Il est temps de changer de modèle.
    C’est vraiment un enjeu citoyen.
    Et d’arrêter de s’accrocher à une vieille croyance que l’homme est un loup pour l’homme et que la violence est l’expression de la nature humaine.
    Waouh, qu’est ce que nous avons été plombés par ce système de pensée.
    J’ai entendu ça dans le petit cours de psycho que j’ai reçu dans mes études de droit.
    Tout petit cours de psychologie : la violence est l’expression de la nature humaine
    Ça fait 25 ans que j’expérimente le contraire.
    La violence n’est pas l’expression de notre nature.

    La violence est l’expression de la frustration de notre nature, ce qui n’est pas du tout la même chose.
    Si vous êtes aimé, reconnu, trouvez du sens à votre vie, avez une joyeuse appartenance, vous savez comment déployer vos talents et le monde autour de vous vous y encourage : pourquoi seriez-vous violent ?
    Inversement, vous vous sentez pas aimé, vous n’avez pas d’appartenance, vous ne trouvez pas votre place dans la vie, la vie n’a pas de sens à vos yeux, vous ne vous sentez pas compris, vous ne comprenez rien à ce qui se passe, là ça commence à bouillonner !

    D’où l’urgence d’apprendre à bien connaître notre nature, pour qu’elle trouve sa voie, son expansion dans le respect de la nature de l’autre évidemment.
    C’est ainsi que la connaissance de soi est un enjeu de santé publique. »

    Message destiné à des couples, mais les français et leur président peuvent aussi l’entendre avec intérêt, c’est ce que je pense.

    <1739>

  • Lundi 20 mars 2023

    « Peut-être aurait-il fallu commencer par là et assumer clairement qu’aux yeux du pouvoir, cette réforme s’impose uniquement comme un signal adressé aux marchés financiers. »
    Michaël Foessel

    Et Élisabeth Borne dégaina le 49-3, comme jadis John Wayne dégainait son colt.

    Le jeudi 16 mars, Emmanuel Macron a réuni à trois reprises Élisabeth Borne et ses ministres, à quelques heures d’un vote extrêmement incertain à l’Assemblée nationale sur la réforme des retraites. Et finalement, le chef de l’État a décidé. La formule constitutionnelle est « il a autorisé la Première ministre à engager la responsabilité du gouvernement. »

    Le Huffington Post rapporte :

    « Un choix que le chef de l’État a justifié comme suit, comme l’a rapporté un participant à l’ultime conseil des ministres : « Mon intérêt politique et ma volonté politique étaient d’aller au vote. Parmi vous tous, je ne suis pas celui qui risque sa place ou son siège. Mais je considère qu’en l’état, les risques financiers, économiques sont trop grands. » Et le locataire de l’Élysée d’ajouter : « On ne peut pas jouer avec l’avenir du pays. » »

    Qu’est ce qui se cache derrière ces risques financiers et économiques ?

    Tout le monde parle de la réforme des retraites, en se focalisant sur les règles permettant de demander sa retraite et sur les conditions budgétaires de l’équilibre des caisses de retraite.

    Et on parle de justice, d’impossibilité pour de nombreux métiers pénibles de travailler jusqu’à 64 ans, de l’injustice du critère d’âge, de la nécessité prioritaire d’intervenir pour empêcher que le système de retraite s’effondre.

    D’ailleurs, on entend de manière de moins en moins feutrée cette idée géniale de pousser les français vers des systèmes de retraite par capitalisation.

    Dans un tel système on laisserait un système par répartition minimale, correspondant grosso modo à une pension de base ayant pour vocation de permettre la survie de celles et ceux qui la touchent. Pour disposer de quelques éléments de confort, de culture et de loisirs il faudra compter sur un fonds de pension auprès duquel on aura cotisé tout au long de sa vie. La rémunération que le Fonds de pension donnera au retraité dépendra des montants de cotisation qu’il aura versé librement selon l’ampleur de ses moyens, ses goût et possibilités d’épargne.

    • Cette évolution créera une fracture encore plus grande entre les pauvres et les riches.
    • Ce système ne présente pas un caractère d’une grande stabilité, les fonds de pension se trouvant à la merci des crises financières, comme celle qui selon toute probabilité est en train de se développer dans le monde financier et d’assurance.
    • Enfin, selon moi, le plus grave est qu’on met ainsi l’argent des retraites aux mains de fonds spéculatifs dont l’objectif est de faire le plus de gains possibles. Ce qui signifie dans le monde dans lequel nous vivons : faire pression sur les emplois, les salaires et avant de s’intéresser à l’intérêt de la population et à la survie de l’humanité, prioriser la rentabilité financière.

    Ceci me fait penser à cette parole de François Mitterrand qui dans un moment de lucidité socialiste aurait dit :

    « Ils s’en prendront aux retraites, à la santé, à la Sécurité sociale, car ceux, disait-il, qui possèdent beaucoup veulent toujours posséder plus et les assurances privées attendent de faire main basse sur le pactole. Vous vous battrez le dos au mur, avait-il dit à son gouvernement. »

    Il aurait dit cela lors du dernier conseil des ministres de 1993, avant la victoire de la Droite aux élections législatives et la mise en place du gouvernement Balladur.

    « Aurait dit » parce que le compte rendu de ce conseil des ministres n’en fait pas état et que la source de cette information est Ségolène Royal lors d’un discours qu’elle a prononcé en 2011, à Jarnac la ville natale de Mitterrand. Elle a fait précéder cette citation par ces mots :

    « François Mitterrand n’a jamais sous-estimé l’acharnement des intérêts financiers coalisés. Nous sommes plusieurs ici à nous souvenir de ce message prémonitoire qu’il nous adressait lors du dernier Conseil des ministres de 1993. »

    Mais en réalité lorsque Emmanuel Macron parle de risques financiers et économiques, il ne parle pas principalement et peut être même pas du tout de l’équilibre financier des retraites.

    Ainsi Alain Minc, celui qui a popularisé le concept de « cercle de la raison » que finalement Emmanuel Macron a mis en œuvre en imposant « l’extrême centre » qui gouverne et qui a pour seule alternative des forces populistes divisées entre deux extrêmes irréconciliables, donnait ainsi la clé de cette affaire sur <Europe 1, le 21 février 2023>

    « Il y a une chose qui n’est pas dite, que les responsables politiques ne peuvent pas dire dans une France aussi émotive et populiste, qui est que nous avons 3.000 milliards de dette, nous vivons à crédit, nous vivons en payant des taux d’intérêt incroyablement bas, c’est-à-dire très proches de ceux de l’Allemagne. Si, et le monde entier nous regarde, on ne fait pas cette réforme, notre taux d’emprunt augmente par exemple de 1%. Je vais vous faire le calcul, c’est 2 milliards et demi la première année, 5 milliards la deuxième, 7,5 la troisième, 10 la quatrième. C’est vertigineux […] Mais évidemment avec l’atmosphère ambiante, mélenchoniste régnant, l’absurdité vis-à-vis de l’incompréhension économique qui est propre à ce pays, c’est très difficile de dire les marchés nous regardent, cette réforme est un geste extrêmement fort à leurs yeux et nous sommes obligés de la faire parce que nous portons nos 3.000 milliards de dette.[…] il n’est pas facile pour les responsables politiques de dire ce qu’un observateur peut dire en toute ingénuité ».

    Il reprend ces arguments dans un article dans <Sur le site Entreprendre> le 22 février.

    Et, en effet, Emmanuel Macron avait bien, devant les journalistes de l’association de la presse présidentielle, lundi 12 septembre 2022, à Nanterre (Hauts-de-Seine), expliqué qu’il avait besoin d’une réforme dès l’été 2023 afin de financer les trois grands chantiers qu’il s’est fixés en cette rentrée : l’école, la santé et la transition climatique.

    Donc il y a d’un côté celles et ceux qui discutent du bien fondé de la réforme des retraites de manière intrinsèque, en constatant qu’il n’y a pas d’urgence vitale de faire cette réforme pour le financement des retraites. Les arguments échangés depuis que la réforme a été proposée par le gouvernement n’aborde que le sujet sous cet angle : Faut-il faire une réforme des retraites pour sauvegarder les retraites ?

    Alors qu’au fond la préoccupation du gouvernement est tout autre : il faut faire un signe aux marchés financiers pour prouver que la France est en mesure d’économiser de l’argent d’un côté pour pouvoir d’une part faire diminuer sa dette et d’autre part financer d’autres dépenses urgentes.

    Je me souviens de Michel Rocard qui lors d’un discours, regrettait que l’État ait cédé ses instruments d’intervention dans l’économie et notamment la possibilité pour la Banque Centrale d’émettre du crédit au profit de l’État au lieu d’obliger ce dernier d’emprunter aux banques privées…

    Il reconnaissait son erreur de ne pas s’être opposé à cette évolution.

    Et maintenant nos États dépendent des institutions financières privées et des agences de notation.

    Récemment Liz Truss avait été désignée comme premier ministre du Royaume-Uni par le parti conservateur. Elle avait un programme totalement démagogique de diminution des impôts, sans diminution des dépenses. Après la période de deuil d’Elisabeth II qui a coïncidé avec le début de son mandat, elle a annoncé officiellement son programme économique le 23 septembre 2022. Elle ne tiendra pas un mois aux pressions de la sphère financière et des agences de notation et démissionnera le 20 octobre 2022.

    Dans le monde d’aujourd’hui, les États sont obligés d’écouter l’avis de leurs créanciers.

    Michaël Fœssel, dans un article de l’Obs, publié le 18 mars 2023 : « Pourquoi n’ont-ils pas assumé que cette réforme était un signal aux marchés financiers ? », explique :

    « En ce qui concerne les justifications de la réforme, nous avons eu droit à toute la palette des éléments de langage : justice sociale, efficacité, valeur travail, équilibre budgétaire, sauvetage du système par répartition, etc. Jusqu’au comique avec la revendication par Olivier Dussopt de mener une « réforme de gauche »… Logiquement, le moment d’exacerbation de la crise a aussi été celui de la vérité : pour justifier l’usage du 49.3, Emmanuel Macron a évoqué les nécessités financières dans un contexte économique mondial dégradé. Peut-être aurait-il fallu commencer par là et assumer clairement qu’aux yeux du pouvoir, cette réforme s’impose uniquement comme un signal adressé aux marchés financiers après une explosion de la dette due aux dépenses du « quoi qu’il en coûte ».
    Au moins, les choses auraient été claires : la hausse des taux d’intérêt, les marchés qui regardent la France avec suspicion, la crise bancaire qui s’annonce rendraient inévitable le report de l’âge de départ à la retraite. Nous aurions alors peut-être eu droit à un débat intéressant sur la dépendance des politiques publiques à l’égard des marchés financiers. Il est vrai qu’il aurait fallu aussi présenter à l’opinion une balance un peu cruelle : deux années de la vie des gens en échange de deux points décernés par les agences de notation. »

    Il me semble, en effet, que pour qu’une Démocratie puisse fonctionner correctement, il faut poser les bonnes questions et dire les véritables raisons de l’action politique.

    Le fiasco de cette réforme pose bien d’autres questions, mais celle-ci me parait essentiel.

    La question n’est pas simple, en tout cas pas aussi simple que le suggère Michaël Fœssel.

    Dès qu’on s’arrête un peu, on constate que partout on a besoin d’argent public : la transition écologique, la santé, l’éducation nationale, la justice, la défense, la culture partout…

    Bien sûr, de ci de là, il est possible d’obtenir quelques financements supplémentaires et mettre fin à certains gaspillages.

    Mais globalement il faut gérer des priorités : on ne peut pas tout donner à tout le monde. Il faut faire des choix et savoir décider ce qui est prioritaire, ce qui l’est moins.

    J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt l’émission « Esprit Public » de ce dimanche qui a abordé ces questions avec des invités ayant des avis assez différents pour que l’échange puisse être fécond.

    <1738>

  • Lundi 13 mars 2023

    « La femme de Tchaïkovski »
    Film de Kirill Serebrennikov

    Elle s’appelait Antonina Milioukova :

    Le 6 juillet 1877, en l’Eglise Saint George de Moscou, elle devint Madame Tchaïkovski, l’épouse du plus grand compositeur russe de l’Histoire Piotr Ilitch Tchaïkovski.

    Kirill Serebrennikov l’un des grands réalisateurs et metteurs en scène russe, qui vit désormais à Berlin a poursuivi le projet de consacrer un film à cette femme.

    Avec Annie, nous sommes allés voir ce film après avoir entendu le réalisateur invité de Léa Salamé : « Il est absolument impossible que mon film soit montré en Russie »

    C’est un film qui selon nous dégage une grande force.

    C’est un film de malheur, de malaise, d’humiliation et d’entêtement.

    Le malheur provient du fait que ce mariage est un désastre, il ne sera jamais consommé. Après trois mois Tchaïkovski fuit, tombe en dépression et fait même une tentative de suicide. Dans le film Srebrennikov montre une scène dans laquelle Tchaïkovski tente d’étrangler sa femme.

    Le malaise c’est le non-dit, des situations pénibles dans lesquelles va se retrouver Antonina Milioukova, dans un monde d’hommes dans lequel aucune place ne lui est accordée.

    L’humiliation est celle que Tchaikovsky et ses proches lui imposent pour se débarrasser d’elle, pour l’éloigner

    Et l’entêtement est celle de cette femme qui refuse le divorce et veut rester l’épouse de Tchaïkovski.

    Igor Minaev et Olga Mikhaïlova, dans leur livre : « Madame Tchaïkovski : chronique d’une enquête » explique

    « Dans sa notice nécrologique on pouvait lire : «Tchaïkovski est mort célibataire» mais lors des funérailles du compositeur, le 11 octobre 1893, les gens furent pris de stupeur à la lecture de l’inscription sur une des couronnes : «De la part de sa femme aimante».  »

    Le 1er décembre 2016, j’avais écrit un mot du jour : « La symphonie Pathétique » qui est la dernière œuvre du compositeur. Il l’a créé sous sa direction à Saint-Pétersbourg, le 28 octobre 1893 et 9 jours après, il est mort à l’âge de 53 ans.

    Dans ce mot du jour, j’évoquais la thèse défendue par certain, notamment l’écrivaine Nina Berberova, du suicide du compositeur suite à une décision de condamnation à mort par un tribunal d’honneur. Cette thèse est controversée.

    Mais le cœur de tout cela que plus personne ne conteste c’est l’homosexualité de Tchaïkovski.

    Une homosexualité inavouable dans la société de cette époque et pour Tchaïkovski exclusive : il ne supportait pas les attouchements avec un corps féminin.

    Il écrira quelques mois après les noces à son jeune frère Modeste :

    « Je l’avais bien prévenue qu’elle ne pouvait compter que sur un amour fraternel. Physiquement, ma femme m’inspire à présent une répulsion totale »

    Deux ans avant son mariage, en 1876, il avait écrit toujours à Modeste :

    « Je voudrais, par un mariage ou du moins par une liaison déclarée avec une femme, faire taire certaines créatures méprisables. »

    Dans le film, Srebrennikov, montre une Antonina qui poursuit Tchaïkovski avec passion pour lui demander le mariage auquel il finit par céder.

    L’actrice qui joue le rôle d’Antonina est extraordinaire et a pour nom Alyona Mikhailova.

    « Le Masque et la Plume» ont trouvé à une exception près ce film magnifique, mais c’est de manière unanime qu’ils ont reconnu la performance d’Alyona Mikhailova. Et ils ont dénoncé comme une injustice que le dernier festival de Cannes, où ce film était présenté, ne lui ait pas décerné le Prix d’interprétation féminine,
    Tout le monde sait que Tchaikovski était homo-sexuel. Mais le gouvernement russe, comme avant le gouvernement soviétique, comme avant le gouvernement tsariste ne veut pas le reconnaître.

    Lorsque Kirill Serebrennikov présente son projet au ministre russe de la Culture, ce dernier lui répond

    « Tchaïkovski n’était pas homosexuel, vous n’êtes pas autorisé à le laisser penser dans votre film, nous avons besoin d’un film sur Tchaïkovski hétérosexuel ».

    Serebrennikov explique à Léa Salamé :

    « Ce que j’ai trouvé repoussant, c’est cette commande propagandiste : quand on dicte à une équipe de tournage qu’il faut faire comme-ci, ou comme ça, c’est comme si le mensonge devenait une idéologie de propagande ».

    Concernant son film il décrit son projet :

    « Ces deux personnes ont été en vraie dépression, mais Tchaïkovski a réussi à rester un grand compositeur. Antonina, elle, a sombré dans cette folie. […] Il y a là une certaine naïveté, mais aussi un ego passionné, un désir de posséder la personne que vous avez choisie. Ce désir de posséder la rend extrêmement contemporaine […] En miroir de ce personnage qui agit, on voit un Tchaïkovski dur, narcissique, insensible à elle. Il était contre tout ce qui pouvait l’empêcher d’écrire sa musique, il essayait de créer autour de lui les bonnes circonstances pour travailler, il le fait par des efforts qu’on peut interpréter comme étant de l’agression ».

    Dans la réalité Antonina Milioukova finira sa vie dans un Hôpital psychiatrique à Moscou, dans lequel elle décédera le 1er mars 1917, 24 ans après son mari

    Igor Minaev et Olga Mikhaïlova, dans leur livre : « Madame Tchaïkovski : chronique d’une enquête » écriront :

    « En 1917, dans un hôpital psychiatrique de la ville de Saint-Pétersbourg, mourait une mystérieuse patiente. Elle ne figurait pas dans les registres de la clinique sous le nom de Madame Tchaïkovski, veuve du compositeur Piotr Tchaïkovski, mais comme Antonina Miloukova. […] Déjà rejetée de son vivant, elle fut par la suite complètement oubliée par ses contemporains ; la génération actuelle va même jusqu’à douter de son existence. »

    Sur le site <Zone Critique> Kirill Serebrennikov précise :

    « Je souhaitais porter un regard inattendu sur un héros national et intouchable et j’ai décidé, pour ce faire, de suivre les lois générales du biopic (ou film biographique), en considérant les éléments de loin sans porter un regard radical dessus. Se placer à une certaine distance permet d’entrevoir les choses avec du recul et d’embrasser toute la psychologie des personnages, ce qu’il n’est pas possible de faire quand on s’approche trop près, presque face contre face. J’ai adopté cette distance par le truchement d’Antonina, car je voulais adopter le point de vue d’une personne qui ne sait pas ce que nous, nous savons. Elle a son propre regard, vit sa propre expérience, celle d’une personne somme toute classique et banale, en proie à l’impossibilité d’interagir comme il faut avec un génie, ce qu’il représente : un soleil irradiant de talent. Elle n’y parvient pas car, bien que resplendissant, le soleil a aussi ses propres taches et, paradoxalement, ses parts d’ombre. […]
    Je voulais rendre les personnages absolument complexes, c’est pour cela que j’ai décidé de laisser dans leur bouche leurs vraies paroles. Il s’agit presque d’un film documentaire : les lettres sont authentiques, même le comportement des personnages montré à l’écran est extrêmement fidèle à la réalité. Ainsi, ce que dit Antonina des juifs dans son délire antisémite se retrouve mot pour mot dans ses lettres. Ma part d’auteur réside surtout dans la composition que j’ai faite des séquences, en tâchant de respecter le plus possible la réalité. »

    Et puis il parle de la seule photo sur laquelle on voit Monsieur et Madame :

    «  Il n’existe qu’une seule photo où ils apparaissent tous les deux et je l’ai restituée telle quelle dans le film. Elle est très étrange, on ne sait pas pourquoi, sur ce cliché, il nous regarde alors qu’elle-même a son attention portée ailleurs. Dans de nombreuses scènes du film coupées au montage, et d’une durée totale de 40 minutes qui se retrouveront peut-être dans une édition intégrale, j’ai représenté les ateliers dans lesquels Tchaïkovski, ses amis et ses élèves se faisaient photographier. Il y passait beaucoup de temps car les daguerréotypes nécessitaient une certaine application pour ne pas être flous. Tchaïkovski a été un pionnier des photos commerciales ; en raison de sa célébrité, tout le monde souhaitait posséder sa photo chez lui. Il se faisait alors tirer le portrait chez les plus grands artistes, lesquels vendaient les photos avec les partitions. »

    La Russie que le cinéaste montre est très sale, violente et glauque :

    « C’était la réalité du XIXe. Les ordures étaient encore lancées sur la chaussée, comme on le voit dans le film, même si les caniveaux et les canalisations commençaient à faire leur apparition. J’avais envie de montrer la saleté et l’absence du confort auquel on est habitué aujourd’hui. Les personnages ont envie de vivre, aimer, souffrir, servir la musique… Par contraste, ces ambitions s’opposent à ces scènes d’extérieur, tristes, sales et dégradées. Je voulais illustrer le véritable milieu où tous ces gens ont évolué, rêvé, aimé…. »

    Kirill Serebrennikov a été poursuivi par l’appareil judiciaire de Poutine, assigné à résidence, condamné en juin 2020 à de la prison avec sursis, Poutine ne voulait pas en faire un martyr. Il a quitté la Russie pour Berlin peu après le début de la guerre en Ukraine pour vivre à Berlin.

    Chez Léa Salamé il s’est exprimé sur la Russie contemporaine :

    « Le film montre aussi qu’à l’époque, la situation des femmes en Russie était pire que celle des hommes homosexuels, qui bénéficiaient d’une forme de tolérance. Aujourd’hui, il est impossible d’être homosexuel en Russie. Il est absolument impossible de montrer ce film en Russie compte tenu des lois prises ces dernières années: tous les enfants risqueraient de devenir homosexuels si on leur montrait ce film-là ? On va attendre d’autres, une autre époque, quand tout le monde se retrouvera en Russie. Si un jour ce film est montré, ce sera le signe des changements en Russie”. Après Poutine ? “Sans nul doute. »

    C’est un film puissant qu’on n’oublie pas.

    <1737>

  • Mardi 7 mars 2023

    « The Köln Concert »
    Keith Jarrett

    Le jazz n’est pas mon domaine.

    Il ne se trouve pas dans mon univers musical.

    Des amis précieux, Jean-François, Martine, François ont tenté de m’y initier sans succès.

    Au bout de quelques minutes je sentais l’ennui me submerger et même un sentiment de malaise lorsque le blues me communiquait une impression de dépression, bien loin de la vibration réconfortante, du bain régénérateur quand j’écoute Bach, Schubert, Beethoven, Mahler etc..

    Mais j’ai été intrigué par une émission « MAXXI Classique » que j’ai écouté par hasard, le 24 janvier 2023, et qui parlait d’un concert mythique : <The Köln Concert : Keith Jarrett à l’opéra>

    Et puis Adèle Van Reeth, en a également parlé dans son livre « Inconsolable ».

    Alors je me suis décidé à acquérir ce disque et à l’écouter.

    Ce concert a été enregistré à l’Opéra de Cologne il y a 48 ans, le 24 janvier 1975.

    Max Dozolme présente ce concert ainsi :

    « Sol ré do sol la. Cinq notes. Cinq notes et des sourires. Dans la salle, tout le monde reconnait dans ce motif musical la sonnerie annonçant le début de chaque concert donné à l’Opéra de Cologne. Du parterre aux balcons où il ne reste plus aucune place de libre, personne en revanche ne peut imaginer que ces cinq notes vont être le point de départ d’une improvisation qui durera une soirée entière.

    Quand il monte sur la scène de l’opéra, Keith Jarrett n’est pas dans une très grande forme. Cela fait plusieurs jours qu’il enchaîne les concerts et il est épuisé.

    La veille, il était à Lausanne et il n’a pas dormi depuis vingt-quatre heures.
    Une fois arrivé à Cologne, après dix heures de route, il découvre que le piano que l’opéra lui a réservé est un vieux Bösendorfer qui n’a pas été révisé depuis très longtemps et qui sonne, selon l’aveu-même de Jarrett « comme un mauvais clavecin ou un piano dans lequel on aurait mis des punaises. […] Parce que ce piano possède des aigus qui ne lui plaisent pas et une sonorité peu intéressante, le pianiste décide de solliciter au maximum le registre grave et médium du piano. Dans cette grande improvisation structurée, il privilégie également un jeu plutôt rythmique, composé de petits motifs et d’accords aérés. »

    Keith Jarrett envisage de renoncer et de ne pas jouer. Mais la salle est pleine, alors il hésite.

    Le site <Musanostra> prétend que ce concert aurait eu lieu à 23:30 après l’opéra du soir et que les 1400 spectateurs prirent place dans la salle après avoir entendu la sonnerie de rappel.

    Ce même site, rapporte un propos que Keith Jarret a tenu à propos de ce concert :

    « Je n’avais aucune idée de ce que j’allais jouer. Pas de première note, pas de thème. Le vide. J’ai totalement improvisé, du début à la fin, suivant un processus intuitif. Une note engendrait une deuxième note, un accord m’entraînait sur une planète harmonique qui évoluait constamment. Je me déplaçais dans la mélodie, les dynamiques et les univers stylistiques, pas à pas, sans savoir ce qui se passerait dans la seconde suivante ».

    Le producteur du disque qui sera réalisé à partir de ce concert ; Manfred Eicher déclare :

    « Dès les premières mesures, j’ai compris qu’il avait décidé de ne pas se battre contre l’instrument mais de l’accepter tel quel, et que ça allait avoir une influence sur son jeu, et peut-être l’emmener dans des territoires qu’il n’avait pas forcément l’habitude d’explorer. Je n’étais pas dans la salle mais dans le bus qui servait de régie à l’enregistrement, et j’ai tout de suite été saisi par la splendeur mélodique du motif originel, la façon extrêmement virtuose et naturelle avec laquelle il le transformait en vagues lyriques successives, l’art hautement dramaturgique avec lequel il déroulait cette espèce de fil émotionnel tout du long, sans jamais le lâcher. »

    Et Adèle Van Reeth, en fait cette description précise, dans « Inconsolable » pleine d’émotion et de sensibilité :

    « La pédale est bien appuyée, les doigts cherchent et la mélodie, instantanément, se dessine sous les yeux du public. Main gauche, touches effleurées, main droite, une suite de notes très simple et très douce, puis la pédale se relâche et le rythme s’installe, un rythme à contretemps, la mélodie chaloupe, le jazz qui cogne à la porte, discrètement, presque une minute, puis il repart, la mélodie reste en l’air, comme si elle n’allait pas rester, comme si une seconde de silence et elle pouvait disparaître, à chaque note on croit qu’il va s’arrêter, à chaque note on prie pour que ça continue, quelques notes à peine, c’est si fragile et si beau, et c’est ça, exactement ça, l’intraduisible, la mélodie du réel qui se fait devant nous, en direct, d’abord le silence puis ce concert, deux heures d’improvisation totale qui saisissent très exactement ce autour de quoi on tourne en permanence. Lui donne l’impression de tourner en rond mais il y va tout droit, c’est une évidence, des cris dans la voix quand la touche percute au bon moment, le pied qui bat la mesure sur la pédale, c’est une percussion, ça cogne à nouveau, puis presque plus rien, et ça repart, ça ne s’arrête pas, ça gonfle, petit à petit, ça monte, ça monte, qu’est-ce que c’est beau, et soudain ça part, après sept minutes il trouve le thème, le début de la jouissance accompagnée par des cris qui y ressemblent étrangement, et la vie est lancée, la vie est saisie, c’est l’existence qui se joue devant nous, dans nos oreilles, sur scène, et rien ne sera jamais aussi beau, si ce n’est la reprise du thème, quelques minutes plus tard, puis à nouveau, encore et encore, une reprise sans cesse imprévisible et sans cesse implorée, « ne nous laisse pas, semblent murmurer les spectateurs, montre-nous le chemin, toi qui ne parles pas, toi qui n’écris pas, toi qui joues et inventes au creux de l’hiver, en plein mois de janvier, ce que nous avons au plus profond de nous, l’exacte musique de notre cœur inconsolable »

    Max Dozolme conclut :

    « Avec environ quatre millions de ventes à ce jour, le Köln Concert est l’album du label ECM, de Keith Jarret et de piano jazz le plus vendu de tous les temps. Un concert qui a donné lieu à une transcription, une partition écrite et éditée. Mais cet objet ne nous aide pas à percer le mystère du jeu de Jarrett. Aussi précise soit-elle, la partition ne pourra jamais nous aider à comprendre ce qui s’est passé ce soir-là dans la tête de Keith Jarrett. Reste le disque, la photographie la plus fidèle d’une œuvre sans lendemain et immortelle. »

    Après avoir écouté plusieurs fois ce disque, surtout sa première partie, j’ai enchaîné sur la 7ème symphonie de Mahler et je suis retourné dans mon univers. Ce n’est pas, pour moi, la même sensation, pas les mêmes vibrations, ni la même émotion.

    Mais je reconnais que cette expérience d’un artiste fatigué jouant un instrument médiocre et parvenant à partir de 4 notes d’improviser et de créer une œuvre cohérente, foisonnante  et pleine de souffle, relève certainement du génie et conduit à un instant d’éternité.

    <1736>

  • Dimanche 5 mars 2023

    « J’ai horreur de l’imitation et des choses déjà connues. »
    Serge Prokofiev cité par Claude Samuel

    Il y a 70 ans, jeudi le 5 mars 1953, l’immense compositeur né, en 1891, à Sontsivka en Ukraine, Serge Prokofiev meurt, à Moscou. Il avait 61 ans.

    <Diapason Mag> raconte :

    « Ce jour-là, Serge Prokofiev avait repris le manuscrit à peine esquissé de sa Sonate pour piano n° 10. Au début de l’après-midi, son médecin était passé le voir et, malgré une grande fatigue et des troubles de santé qui avaient nécessité au cours des huit dernières années de nombreux séjours à l’hôpital, il avait fait quelques pas dans les rues enneigées de Moscou, accompagné de Mira Mendelssohn, sa seconde épouse. Ils avaient évoqué leur départ pour leur résidence campagnarde de Nicolina Gora. Le printemps, enfin. Pour l’heure, Prokofiev avait un rendez-vous avec les responsables du Bolchoï où son dernier ballet, La Fleur de pierre, avait été mis en répétition cinq jours auparavant. Malaise dans la soirée, le médecin revient avec un traitement d’urgence. Congestion cérébrale fatale à 21 heures. 5 mars 1953 »

    Mais son décès ne sera annoncé par la Pravda que le 11 mars, soit 6 jours après. Un journal américain avait publié la nouvelle le 9 mars.

    Parce qu’il s’était passé autre chose le 5 mars 1953 : la mort d’un monstre sanguinaire et immonde qui avait enfin eu la bonne idée de disparaître de la surface de la terre.

    Staline était le nom de cet individu qui fait partie du top 3 de ce que notre espèce « Homo sapiens » a généré de pire. Mao et Hitler ont été à l’origine d’encore plus de morts.

    « La plus éminente médiocrité du Parti », disait son rival Trotski. Un cas psychiatrique atteint d’« hystérie » et de « folie de la persécution », selon son successeur Nikita Khrouchtchev.

    Ce tyran disait de lui-même « Je ne fais confiance à personne, pas même à moi. »

    Et aussi : « La mort résout tous les problèmes. Plus d’homme, plus de problème ». On lui attribue la paternité de plus de 20 millions de décès prématurés, auxquels il faut ajouter 28 millions de déportations. Il ne niait d’ailleurs pas un penchant pour le sadisme : « Le plus grand plaisir, c’est de choisir son ennemi, préparer son coup, assouvir sa vengeance, puis aller se coucher. » Un général de l’Armée rouge pouvait voir sa femme se faire arrêter, être élevé au grade de maréchal deux jours plus tard et finir fusillé quelques années après…

    <Diapason Mag> évoque le récit que Prokofiev serait mort de joie  :

    « Ce jour-là, des rumeurs avaient couru dans la ville : le camarade Staline était très malade, sinon déjà défunt. On dira plus tard, mais sans preuves, que Prokofiev mourut (de joie) en apprenant par voie radiophonique le décès du dictateur… »

    Selon une autre source auquel j’ai eu accès, la mort de Staline a été annoncé 50 minutes après la mort de Prokofiev.

    Dans ces conditions l’enterrement du compositeur fut évidemment compliqué :

    « Cependant le corps de Prokofiev fut transporté dans la grande salle de l’Union des compositeurs, une opération particulièrement problématique dans une ville parsemée de barrages de police, sillonnée par des camions et des tanks. Quant à l’inhumation au cimetière de Novodievitchi, à proximité des tombes de Scriabine et de Tchekhov, elle fut un peu particulière. Peu de personnes s’étaient déplacées, sinon David Oïstrakh qui interpréta deux extraits de la Sonate pour violon n° 2 du défunt. Et il n’y avait pas la moindre fleur, denrée introuvable en ce jour de deuil national. »

    La vie de cet homme fut une suite de contrariété.

    D’abord il quitta son pays en 1918 pour fuir la guerre civile provoquée par l’arrivée au pouvoir des bolcheviks.

    Ensuite dans son exil, notamment à Paris il fut dans l’ombre de Stravinsky qui triomphait avec les ballets russes davantage que Prokofiev qui écrivait aussi pour la troupe de Diaghilev avec qui il monte « Le Pas d’acier » (1928) et « Le Fils prodigue » (1929).

    Il rencontre les artistes de son temps comme Pablo Picasso et Henri Matisse qui fait de lui un portrait au fusain.

    Selon <Wikipedia> à partir de 1927, Prokofiev supporte de plus en plus mal l’exil et correspond de plus en plus avec ses amis restés en URSS. Il décide d’y faire une tournée dont le succès est tel qu’il fait salle comble pendant plus de deux mois ; il est fêté comme un héros national ayant conquis l’Occident.

    Il envisage alors sérieusement un retour au pays, ce qui lui permettrait de sortir enfin de l’ombre de Stravinsky, d’autant que Diaghilev disparaît de manière totalement inattendue à Venise en 1929.

    Et puis, pour avoir des revenus suffisants que son seul métier de compositeur ne lui donne pas, il est obligé de poursuivre une carrière de pianiste virtuose qui lui donne accès à de nombreux concerts.

    Or Serge Prokofiev veut avant tout être compositeur.

    Cette quête, il la poursuit depuis son enfance.

    Je ne résiste pas à la tentation de raconter cette scène de son enfance relatée par Claude Samuel dans son ouvrage sur Prokofiev :

    « Un jour, raconte Mme Prokofiev [sa mère qui était bonne pianiste] lorsque j’avais fini de jouer, il s’approcha de moi, me tendit un papier et dit Voilà une mazurka de Chopin que j’ai composée, joue-la moi ! Je mis le papier devant moi et je commençai une des mazurkas de Chopin. « Non ce n’est pas ça ! joue la mazurka de Chopin que j’ai composée » Je répondis à cela que je ne pouvais jouer ce qu’il avait fait parce qu’on n’écrivait pas ainsi, mais en le voyant prêt à pleurer, je dus lui montrer les erreurs de sa notation. »

    Et le petit Serge appris vite et continua inlassablement à composer.

    Et il commença même à avoir un peu de succès auprès de compositeurs russes importants et reconnus comme Serge Tanaeiv.

    Cette passion pour la composition il pensa pouvoir l’exercer pleinement en Union soviétique qui lui promettait de l’accueillir confortablement en le laissant composer à sa guise et à son rythme tout en lui versant une pension régulière et sans condition lui permettant d’être compositeur à plein temps.

    C’est en 1936 qu’il devient résident permanent à Moscou. Au départ, la réalité correspond à peu près aux promesses.

    Mais à partir de 1948, le Parti Communiste, Staline et son bras armé culturel Jdanov conçurent qu’il fallait composer des œuvres d’art et notamment la musique selon des normes soviétiques.

    Ce fut l’objet de la Résolution du parti communiste du 10 février 1948.

    J’en ai déjà parlé lors de mots du jour consacrés à Dimitri Chostakovitch.

    Dès lors la vie des compositeurs et des artistes devint un enfer. Interdit de quitter l’Union soviétique, ils risquaient à tout moment de perdre toute capacité à exercer et donc à obtenir des revenus. Bien plus ils étaient menacés d’être envoyés au Goulag, voire d’être exécuté après un procès expéditif.

    David Oïstrakh et Dimitri Chostakovtch ont raconté comment, à cette époque, ils avaient préparé une petite valise pour être prêt, si un matin les sbires de ce régime scélérat venaient les chercher pour les emmener. Probablement que Prokofiev en fit autant.

    Ce fut alors une vie de contrariétés avant une cérémonie de l’Adieu tronquée à cause du « montagnard du Kremlin » comme l’appelait Ossip Mandelstam.

    Prokofiev fut un remarquable compositeur. J’emprunte encore au livre de Claude Samuel cet auto-évaluation du compositeur qui me parait pertinente.

    « Le mérite principal de ma vie a toujours été la recherche de l’originalité de ma propre langue musicale. J’ai horreur de l’imitation et j’ai horreur des choses déjà connues. »

    Il faut bien quelques liens vers des œuvres magistrales :

    D’abord pour admirer la force rythmique de Prokofiev : < <Yuja Wang jouant le Precipitato de la 7ème sonate de piano>

    Son chef d’œuvre symphonique la <5ème symphonie par l’Orchestre de Paris et Paavo Järvi>

    Et son chef d’œuvre absolu, le ballet <Roméo et Juliette par l’Opéra de Paris>

    <1735>

  • Mardi 28 février 2023

    « Un archiviste, c’est quelqu’un qui sait jeter. »
    Benoit Van Reeth

    Benoit van Reeth était archiviste paléographe, élève de la prestigieuse Ecole nationale des Chartes.

    Cette école créée en 1832 a eu pour élève, l’écrivain François Mauriac, les historiens Jean Favier et Régine Pernoud et le philosophe René Girard.

    Dans sa présentation il est précisé que cette école est spécialisée dans la formation aux sciences auxiliaires de l’histoire. En France, c’est l’école incontournable pour accéder au diplôme et au métier d’archiviste paléographe.

    Son établissement principal se trouve 65 rue Richelieu Paris 2ème, à quelques pas de la bibliothèque nationale Richelieu.

    Qu’est-ce qu’un archiviste ?

    Le dictionnaire le Robert donne cette définition : « Spécialiste préposé à la garde, à la conservation des archives. »

    J’aime beaucoup la définition de l’ONISEP qui tente de décrire tous les métiers pour que les jeunes étudiants puissent choisir celui qui leur convient

    « Collecter, étudier, classer, restaurer ou transmettre sur demande tout type de documents (du manuscrit du Moyen Âge, à l’enregistrement vidéo en passant par l’acte notarié), tel est le rôle de l’archiviste. »

    Et un paléographe ?

    Selon Wikipedia : « La paléographie (du grec ancien palaiόs (« ancien »), et graphía (« écriture ») est l’étude des écritures manuscrites anciennes, indépendamment de la langue utilisée (grec ancien, latin classique, latin médiéval, occitan médiéval, ancien français, moyen français, français classique, anciens caractères chinois, arabe, notation musicale, etc.). »

    C’est évidemment le père d’Adèle Van Reeth dont il était question hier.

    Lors de l’entretien mené dans le cadre de < la Librairie Mollat > , à partir de la minute 17, Adèle Van Reeth explique :

    « Mon père était archiviste et nous vivions aux archives. Nous avons vécu dans beaucoup de villes différentes. […] Je me promenais au milieu de tous ces documents. Et je demandais à mon père : c’est quoi être archiviste ?. C’est compliqué. […] Un archiviste c’est pas simplement quelqu’un qui garde des documents pour les rendre accessibles aux historiens et aux chercheurs. […] Il n’y a que certains documents qui peuvent être conservés et pas d’autres. […] Et puis surtout un archiviste, sa mission numéro un c’est conserver et rendre accessible, mais avant cela il faut trier. Et qui dit trier, dit savoir jeter. Et en fait, ce que mon père me répétait souvent et ce qui me fascinait : « Un archiviste, c’est quelqu’un qui sait jeter ». Je pense à mon père à chaque déménagement [quand je veux garder beaucoup de choses] pour pouvoir mieux préserver, il faut savoir jeter. »

    Voilà une réflexion qui me semble particulièrement utile et pertinente et pas seulement dans le cadre d’un déménagement.

    C’est une réflexion qui concerne la vie en général : si on veut bien conserver les choses essentielles, il faut savoir jeter ce qui ne l’est pas.

    Quand Adèle Van Reeth a annoncé la mort de son père, elle l’a illustrée par la photo des archives départementales du Rhône.

    Ce bâtiment se situe à 15 mn à pied de notre domicile.

    Benoit Van Reeth fut le directeur des archives du Rhône de 2003 à 2014.

    Benoît Van Reeth assura la conception et la préparation du déménagement des Archives dans ce nouveau bâtiment inauguré en septembre 2014, à côté de la gare de la Part-Dieu.

    C’est ce que l’on apprend sur ce site des <Archives du Rhône>

    Il finira sa carrière à partir de 2014 à Aix en Provence comme directeur des Archives nationales d’outre-mer.

    <Les actualités du livre> lui ont rendu hommage et raconté tout son parcours au sein des archives de France.

    Le hasard du butinage et de l’écriture du mot du jour, font que celui-ci est publié un 28 février, soit exactement 2 ans après la mort de cet homme du classement, du rangement et de l’Histoire.

    Il nous apprend que si on veut s’attacher à l’essentiel, à ce qui a du prix et de la valeur, il faut savoir se débarrasser du reste.

    <1734>

  • Lundi 27 février 2023

    « Le monde continue mais sans toi, et pour moi ce n’est pas le même monde. »
    Adèle Van Reeth « Inconsolable »

    « J’entre ici en perdante.
    Je sais que les mots ne pourront rien. Je sais qu’ils n’auront aucune action sur mon chagrin.
    Comme le reste de la littérature. Je ne dis pas qu’elle est inutile, je dis qu’elle ne console pas.
    Pourquoi écrire alors ?
    Plus envie de lire. Plus envie de rien.
    Mais les mots, les mots restent, ils dansent, ils percutent, et quand je cloue le bon mot au réel, parfois, je jouis.
    Le goût des mots, quand il s’efface je suis molle.
    Je n’ai pas de grande théorie sur le pouvoir de la littérature ni sur l’utilité de la philosophie.
    Je ne revendique rien.
    Je suis seule.
    Et tout a déjà été dit »

    C’est ainsi que débute « Inconsolable » l’essai qu’Adèle Van Reeth a écrit à la suite de la mort de son père. Il avait 65 ans.

    Mon frère en avait 74.

    Quand on perd un être cher, on dresse l’oreille, on fixe le regard vers celles et ceux qui connaissent la même déchirure et qui s’expriment ou écrivent.

    Adèle Van Reeth est depuis septembre 2022, présidente de France Inter. Je l’avais découverte lorsqu’elle animait les émissions de France Culture d’abord « Les Nouveaux Chemins de la connaissance » qui est devenue « Les Chemins de la philosophie » en 2017.

    Son entrée dans ce livre sur le chagrin, mot qu’elle préfère à deuil, est pessimiste.

    Il semble qu’il n’y a rien à faire et que la consolation est hors d’atteinte.

    Dans < cet entretien avec Pierre Coutelle > dans le cadre des rencontres organisées par la « Librairie Mollat » de Bordeaux, Adèle Van Reeth affirme :

    « La philosophie ou la littérature ne nous apporteront pas la consolation ultime ».

    Je comprends cette expression « consolation ultime » comme un processus qui fait oublier le chagrin et conduit à passer à autre chose.

    Elle ajoute : « Des livres, une œuvre d’art, un animal domestique, de l’alcool peuvent apporter de la consolation, mais pas la consolation ultime »

    Et elle explique :

    « Je pose l’hypothèse que nous sommes depuis la naissance des êtres inconsolables. C’est-à-dire que nous naissons avec une perte, un manque, une fêlure. »

    L’hypothèse qu’elle émet s’appuie, bien sûr, sur la perception de notre finitude. Nous sommes inconsolables parce que nous sommes mortels. Et elle parle de l’expérience de l’état d’« inconsolable » lors de la perte d’un être proche et aimé.

    Elle fustige « les marchands de consolation », remet en cause le bien-fondé de ce qu’on appelle « le travail de deuil » qu’elle assimile à un « manuel à suivre » et conteste les « injonctions à la consolation ».

    « Il y a un temps, un moment juste après la mort de l’être aimé où on peut avoir envie de rester triste […] Il y a un moment où la tristesse paraît être un lien encore vivant avec la personne qui n’est plus. Tant que je suis triste, je maintiens un lien avec cette personne que je ne peux plus toucher, avec qui je ne peux plus parler. […] Le rapport à la tristesse est beaucoup plus intéressant que ce que l’on dit. Il y a une manière de vivre non malgré la tristesse, mais avec la tristesse en allant bien. En retrouvant le goût, l’appétit de la vie, même en décuplant ce gout de la vie, parce que la tristesse nous apporte, nous enseigne quelque chose. Je crois qu’il y a une sagesse de la tristesse. Il me semble que c’est plus intéressant et même plus réconfortant que dire « consolez-vous » et vouloir que la personne sèche ses larmes à tout prix. »

    Mais ce qui m’a le plus marqué dans son témoignage c’est cette phrase qu’elle a écrite dans son essai et qu’elle adresse à son père mort :

    « Le monde continue mais sans toi, et pour moi ce n’est pas le même monde. »

    C’est ce que je ressens profondément, la vie continue, bien sûr, mais ce n’est plus le même monde !

    Et elle a cette autre inspiration :

    « Une absence dit ce qui n’est pas !
    Mais rien n’est plus présent qu’une absence quand il s’agit d’une personne qui vous manque autant. »

    Dans la dernière page du livre Adèle Van Reeth écrit :

    « Mon papa, je voulais te dire que je vais bien […] je vais bien avec la tristesse, si je n’avais pas de tristesse, j’irais bien aussi, mais pas de la même façon. La tristesse sera toujours là, c’est ainsi, mais elle ne m’empêche pas d’aller bien.[…] On m’a dit que pour aller bien il fallait me consoler, il fallait que la tristesse disparaisse, mais il n’en est rien. Je vais bien non pas malgré la tristesse mais avec elle. »

    Dans un duo très intéressant avec la philosophe Vinciane Despret, elles engagent des variations sur ce thème : « aller bien avec la tristesse » dans l’émission de France Culture : « Le book club » : <Écrire la mort>

    Vinciane Despret a aussi écrit un livre : « Les morts à l’œuvre » paru début janvier 2023.

    Dans ce livre, Vinciane Despret raconte cinq histoires de morts pour lesquels les vivants ont commandé une œuvre d’art grâce à un protocole politique et artistique nommé « le programme des Nouveaux Commanditaires ».
    Son livre est une enquête qui se concentre sur ce protocole artistique qui a été mis en œuvre par le photographe François Hertz en se posant simplement la question : « si les États, les banques, les entreprises ont le droit de commander des œuvres d’art, pourquoi les citoyens n’auraient pas le droit ? »

    Bien sûr il faut argumenter et tous n’auront pas gain de cause, mais il est possible à chacun de commander une œuvre d’art.

    Il existe un site des «Nouveaux Commanditaires» et une page expliquant «le protocole» qui se termine par ce paragraphe :

    « Financée par des subventions privées et publiques, l’œuvre devient la propriété d’une collectivité et sa valeur est, non plus marchande, mais celle de l’usage que cette collectivité en fait et de l’importance symbolique qu’elle lui accorde. »

    Dans l’émission en duo avec Adèle van Reeth, Vinciane Despret a cité une élue locale qui à la réception d’une œuvre, créée dans le cadre de ce protocole, a exprimé cette quête :

    « Faire de l’absence, une beauté »

    A la fin, de la fête de ses 70 ans, mon frère Gérard a déballé son violon et joué quelques œuvres dont une « Valse moderato » écrite par notre père qui lui avait dédié ce morceau, alors que tout jeune garçon de 15 ans, il se trouvait seul à Paris, dans une famille d’accueil pour suivre les cours du Conservatoire national supérieur de musique de Paris.

    Vous trouverez si vous le souhaitez une vidéo de ce moment derrière ce lien : <Gérard joue>

    <1733>

  • Mercredi 22 février 2023

    « Historiquement, ce travail de « reproduction sociale », comme j’entends le nommer, a été assigné aux femmes, bien que les hommes s’en soient aussi toujours en partie chargés. Étant à la fois affectif et matériel, souvent non rémunéré, c’est un travail indispensable à la société. »
    Nancy Fraser

    A la lecture du mot du jour d’hier, Annie m’a interpellé en remarquant que je ne disais pas que le travail hors emploi était indispensable à la société.

    C’est exact.

    Mais j’avais déjà écrit un tel mot du jour, le 14 octobre 2016, en faisant référence à une conférence de la philosophe Nancy Fraser : <Les contradictions sociales du capitalisme contemporain>

    <Mot du jour sans numéro>

  • Mardi 21 février 2023

    « C’est durant la période de [non-emploi] que l’on peut encore rêver, à la manière du jeune Marx, d’échapper à la spécialisation, d’être tour à tour chasseur, pêcheur ou lecteur de Platon »
    Raymond Aron « Les désillusions du progrès » page 185

    Dans <le mot du jour du 31 janvier 2023> j’esquissais une explication qui tentait d’approcher ce désir très fort, cet attachement, en France, à une retraite ne venant pas trop tard dans la vie humaine.

    Cette explication parlait non pas de la retraite, mais du travail et de l’insatisfaction actuelle d’un grand nombre par rapport au contenu, au sens et à l’organisation de leur activité professionnelle.

    Je reprenais dans cet article la distinction que faisait le philosophe Bernard Stiegler entre « le travail » et « l’emploi ».

    « L’emploi » étant toujours du travail, mais du travail rémunéré, celui qui permet à « l’employé » de toucher un revenu. Il permet aussi, au niveau macro-économique d’abonder le fameux « PIB » si important pour la foule des économistes traditionnels et des politiques qui exercent le pouvoir.

    Mais l’emploi n’englobe pas tout le travail réalisé dans une société et cela de très loin.

    Quand une assistante maternelle s’occupe d’enfants c’est du travail et un emploi. Quand une mère ou un père font exactement la même chose à l’égard de leurs enfants c’est aussi du travail, mais ce n’est pas de l’emploi.

    Quand un retraité, dans un cadre associatif, aide bénévolement des jeunes scolaires à améliorer leur compréhension de ce qui  leur est demandé, il exerce un travail mais non un emploi.

    Et aussi quand une femme ou un homme, travaillent dans leur jardin pour produire des légumes ou des fleurs, le verbe utilisé, à raison, est sans ambigüité. Mais ce n’est pas un emploi !

    Alors, certes la réforme des retraites que notre Président a brusquement dégainé pendant une campagne présidentielle assez pauvre en proposition, en contradiction formelle avec ce qu’il proposait cinq ans auparavant est très critiquable.

    Mais dans le mot du jour d’aujourd’hui je veux revenir à la problématique de « l’emploi » dans notre société moderne.

    Dans les années 80, il y a 40 ans, j’ai beaucoup lu Raymond Aron. Ce n’était pas une lecture habituelle des gens de gauche dont je me réclamais. Mais il m’attirait parce que lorsque je le lisais, je me sentais plus intelligent, je comprenais mieux ce qui était en train de se passer devant mes yeux, sur la scène internationale, comme dans la société dans laquelle je vivais.

    On ne sait plus très bien qui le premier a eu cette formule :

    « J’aime mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron»

    La formule avait été repris, en 1987, dans un essai d’Etienne Barilier, « Les Petits Camarades » qui évoquait les destins parallèles de Sartre et Aron qui avaient été camarades dans la même promotion de l’ENS de la rue d’Ulm entre 1924 et 1928.

    Cet article de « l’Express » de 1995 : <Sartre-Aron: duels au sommet> évoque cette relation à travers un autre essai celui de Jean-François Sirinelli : « Deux Intellectuels dans le siècle. Sartre et Aron » ( Fayard ).

    Pour ma part, j’ai très vite, été attiré davantage par le réalisme de Raymond Aron qui analysait le monde et les individus tels qu’ils étaient et envisageait les chemins permettant d’améliorer la situation en partant du réel, plutôt que Jean-Paul Sartre qui inventait un monde idéal dans sa tête et poursuivait le dessin de tordre la réalité pour essayer de l’amener vers ses idées. La démarche de Sartre était révolutionnaire, les révolutions ont versé beaucoup de sang et abouti à des catastrophes souvent monstrueuses.

    Alors bien sûr, beaucoup de choses ont changé depuis que Raymond Aron analysait le monde :

    • En premier lieu, l’Union soviétique s’est effondrée.
    • La révolution numérique a imposé d’autres organisations.
    • La France s’est largement désindustrialisée.
    • L’économie s’est mondialisée et financiarisée.
    • Les problèmes écologiques et de ressources se sont imposés à nous.

    Mais Raymond Aron avait déjà largement abordé le sujet de la modernité et de ses limites.

    Ainsi, il a publié en 1969, un livre « Les désillusions du progrès » dans lequel, entre autre, il montrait que le progrès n’était pas le même pour tous et qu’il ne signifiait pas forcément des lendemains qui chantent.

    Vous trouverez sur le site « CAIRN » une analyse globale de cet ouvrage par Serge Paugam :  « Relectures de Raymond Aron, Les Désillusions du progrès (1969) »

    Mais c’est un point précis de cet ouvrage qui est resté dans ma mémoire, 40 ans après sa lecture.

    Et en feuilletant le livre, j’ai retrouvé ce constat qui m’avait alors interpellé et qui depuis, au regard de mon expérience professionnelle, me parait totalement pertinent.

    Raymond Aron n’avait pas anticipé la réflexion de Bernard Stiegler et au contraire, il réduisait le concept de « travail » au seul « emploi » :

    « J’ai pris jusqu’à présent le terme de travail ou de métier en un sens neutre et social : ni châtiment divin, ni obligation morale, ni maniement d’outils, ni transformation de la matière, le travail désigne l’activité exercée le plus souvent hors du foyer, en vue d’un salaire ou d’un traitement. Cette définition reflète, me semble-t ‘il, la conception dominante de notre époque. »
    Raymond Aron « Les désillusions du progrès » page 185

    Et il posait cette limite à l’épanouissement du plus grand nombre des individus dans le cadre professionnel :

    « toutes les sociétés, y compris les plus riches, continuent de former les hommes dont elles ont besoin, mais qu’aucune d’entre elles, en dépit des objectifs proclamés, n’a besoin que tous les hommes accomplissent pleinement les virtualités qu’ils portent en eux. Aucune n’a besoin que beaucoup deviennent des personnalités et soient capables de liberté par rapport au milieu. »
    Raymond Aron « Les désillusions du progrès »

    Le monde économique a besoin de personnes qui se spécialisent pour être efficaces et productives :

    « Certes, la spécialisation professionnelle requiert une formation, elle aussi spécialisée, elle oblige chacun à sacrifier certaines aspirations à restreindre son horizon intellectuel : prix à payer mais que l’homme d’aujourd’hui doit payer ».
    Raymond Aron « Les désillusions du progrès »

    Et il en arrive à cette conclusion.

    « C’est durant la période de non-travail que l’on peut encore rêver, à la manière du jeune Marx, d’échapper à la spécialisation, d’être tour à tour chasseur, pêcheur ou lecteur de Platon »
    Raymond Aron « Les désillusions du progrès » page 185

    C’est ce constat que j’ai retenu et retrouvé dans ce livre.

    Je l’ai pris pour exergue de ce mot du jour, mais je me suis permis de l’amender dans le sens de la dichotomie décrite par Bernard Stiegler en remplaçant le mot « travail » par « emploi ». Ce qui correspond exactement à ce que voulait dire Raymond Aron.

    Et bien entendu, la période de la retraite correspond idéalement à cette période de non-emploi permettant de rêver d’être lecteur de Platon ou de mener une autre activité large et épanouissante très loin de la réduction à la spécialisation professionnelle.

    <1732>

  • Lundi 20 février 2023

    « Airglow »
    Lueur d’air, phénomène naturel rare d’origine chimique dans la haute atmosphère

    Au départ il y a une magnifique photo d’un étudiant de 22 ans : Julien Looten.

    La photo prise le 21 janvier 2023 vers 22 heures, est garantie sans trucage. Toutefois pour réaliser ce que l’on voit, il a fallu à ce jeune homme patient et disposant d’une solide connaissance de la technique photographique : réaliser un « grand panorama » d’une quarantaine d’images, cumulant environ une heure d’exposition. Il a ensuite dû les assembler et enfin utiliser un logiciel pour régler la distorsion, la balance des blancs.

    S’il n’y a pas de trucage, il y a au moins beaucoup de technique.

    Julien Looten l’a ensuite publié sur Instagram : < https://www.instagram.com/p/Cn42shuMNLs/> avec ce commentaire :

    « Samedi soir, je me suis rendu au Château de Losse (Dordogne) pour prendre en photo la Voie lactée. Un phénomène exceptionnel s’est produit ce soir-là… un airglow extraordinaire

    Le ciel semble être couvert de “nuages multicolores”… Il ne s’agit pas de couleurs parasites ou de traitements spéciaux. Il s’agit d’un phénomène naturel rare causé par une réaction chimique dans la haute atmosphère, où les rayons du soleil excitent des molécules qui émettent alors une très faible lumière (chimiluminescence).

    Ces “nuages” sont situés entre 100 et 300 km d’altitude. La couleur du phénomène change en fonction de l’altitude. Il peut prendre des formes étranges, comme ici sous forme de “vagues ». Ces nuages semblent émerger du pôle Nord (extrémité droite) et Sud (extrémité gauche).

    Le airglow peut être observé à l’œil nu. C’était le cas ce soir-là, je l’ai même confondu avec du brouillard. En revanche, les couleurs ne sont pas visibles par l’œil humain, qui est bien moins sensible qu’un capteur d’appareil photo.

    L’arche de la Voie lactée est ici, visible dans sa totalité, grâce à un panorama de 180°. À gauche, la constellation d’Orion. Au centre : Mars, les Pléiades et la nébuleuse Californie. À droite : la constellation de Cassiopée et la galaxie d’Andromède »

    Cette photo a été repérée par la Nasa, qui l’a ensuite publiée sur un de ses sites le mercredi 15 février : <Astronomy Picture of the Day>

    Cette étonnante photo prise en Dordogne a ainsi fait le tour du monde

    Pour ma part j’ai découvert cette photo sur le site du journal « La Montagne », quotidien régional de Clermont-Ferrand, : <Repérée par la Nasa>

    Ce journal nous apprend que Julien Looten étudie l’archéologie à Bordeaux et se passionne pour l’astrophotographie, une discipline consistant à immortaliser des objets célestes.

    Il nous apprend aussi que c’est la seconde fois que Julien Looten a été repéré par la NASA. En août, une de ses photos prise au cap du Dramont avait déjà été sélectionnée pour servir de « Picture of the day ».

    C’est aussi une aubaine pour le site touristique du château de Losse.

    « La Montagne », écrit :

    « Le gestionnaire de ce site touristique, Martin de Roquefeuil, se dit « très fier » de voir cette magnifique bâtisse du XVIème siècle ainsi mise en avant. « J’ai énormément de retours. Et notre site Internet, qui est d’habitude plutôt en sommeil à cette époque de l’année puisque nous sommes fermés jusqu’au printemps, a connu un gros pic de fréquentation ces derniers jours. Localement, on m’en parle beaucoup, les gens m’envoient les reportages qui sont faits sur le sujet. » »

    Les journaux se sont fait l’écho de cette photo et de sa destinée :

    « La Voix du Nord » : : <La superbe photo astronomique d’un Nordiste mise à l’honneur par la Nasa !>

    Même « TF1 » en a parlé : <Ce photographe nous en met plein la vue !>

    Et « Ouest France » <Sa photo d’un « airglow » capturée en Dordogne est l’image du jour sélectionnée par la Nasa>

    La plateforme numérique : « Lille Aux Artistes » qui promeut les artistes et la culture des Hauts-de-France dispose d’une page consacrée à cet étudiant artiste : <Julien Looten>

    Il faut savoir que sur le site de la NASA, « Apod » c’est généralement, des images capturées par des télescopes comme James Webb ou Hubble qui sont publiées.

    Un tel voisinage ne peut être que valorisant

    On pourrait dire que la nature est belle.

    Cela est certes vrai.

    Il faut cependant savoir qu’il n’est pas possible de voir ce que montre cette photo, à l’œil nu.

    <1731>

     

  • Mercredi 01 février 2023

    « Jubilación »
    Mot espagnol invitant à l’euphorie

    Ce 1er février 2023 est mon premier jour de retraite.

    C’est un drôle de nom que celui de « retraite ».

    La première définition que j’avais comprise, dans ma jeunesse, de ce mot était sa réalité militaire : « battre en retraite ». Autrement dit fuir devant l’adversaire, abandonner le champ de bataille, abandonner la position.

    Il existait des retraites en bon ordre de généraux ingénieux qui évitaient ainsi une défaite. Mais le plus souvent « retraite » était synonyme de « fuite », « débâcle », « débandade » « déroute ».

    Dans la Lorraine de mon enfance et plus précisément le bassin houiller lorrain, il n’était pas question de « retraité » mais de « pensionné », celui qui touchait une pension.

    C’était assez clair dans mon esprit : un salarié touchait un salaire, un pensionné touchait une pension.

    Dans les cours de religion, on parlait d’une autre retraite, la « retraite spirituelle » pour s’éloigner du tumulte de la vie séculaire et commerçante.

    Quand on se tourne aujourd’hui vers le « Larousse » il est clair que la première définition du mot retraite et la deuxième aussi, correspond à ma réalité d’aujourd’hui.

    « 1. Action de se retirer de la vie active, d’abandonner ses fonctions ; état de quelqu’un qui a cessé ses activités professionnelles : Prendre sa retraite.

    2. Prestation sociale servie à quelqu’un qui a pris sa retraite : Toucher sa retraite. »

    Puis on arrive à la retraite spirituelle et une déclinaison :

    « 3. Période où l’on se tient loin des préoccupations profanes pour se recueillir ; lieu où se déroulent ces exercices.

    4. Lieu où quelqu’un se retire pour vivre dans le calme, la solitude, ou pour se cacher : Un appartement qui a servi de retraite à un fugitif. »

    Il faut arriver au rang 5 pour parler d’une armée en retraite :

    « 5. Marche en arrière d’une armée qui ne peut se maintenir sur ses positions. »

    Et puis il y a des cas spécifiques :

    « Bâtiment

    6. Diminution donnée à l’épaisseur d’un mur, étage par étage, à mesure que l’on s’élève.

    Militaire

    7. Signal (sonnerie de clairon, batterie de tambours) marquant la fin d’une manœuvre ou d’un tir.

    Vénerie

    8. Sonnerie de trompe qui marque la fin de la chasse. »

    Dans « le Robert » l’ordre n’est pas le même on commence par la retraite militaire.

    Mais le juge de paix est le vieux « Littré » dont la première définition est : « Action de se retirer. ». Si vous voulez en savoir davantage voici le lien : https://www.littre.org/definition/retraite

    Si on s’intéresse à l’étymologie du mot retraite on constate qu’il est formé de deux mots :

    • du préfixe re, retour en arrière
    • et du latin trahere, tirer, traîner, tracter

    Et c’est donc le Littré qui commence par expliquer que c’est l’action de se retirer qui semble le plus proche de cette origine.

    Mais comment appelle t’on la « retraite » des salariés dans les autres langues ?

    En anglais, il s’agit toujours de se retirer : « retirement ».

    L’italien semble plutôt utiliser « pensione».

    Alors que l’allemand utilise « Ruhestand » ce qui signifie, en version littérale, Position (stand) de Repos (Ruhe).

    Mais c’est ma belle-sœur Josiane qui m’a appris que l’espagnol utilisait un terme à la consonance. étonnante.

    J’ai quand même voulu vérifier auprès du meilleur traducteur en ligne « DeepL »

    Et pas de doute, l’espagnol utilise bien le mot « Jubilación »

    Alors je suis bien incapable de produire l’exégèse de ce mot en espagnol.

    Toutefois cette langue comme la langue française sont des langues latines.

    Or l’excellent dictionnaire du CNRS nous apprend que « jubilation» vient du latin jubilaciun « chant d’allégresse » (Psautier Oxford, éd. F. Michel, p. 127 [= Psaume 88, 16])

    Et à la fin du XIVème siècle on trouve :

    «  « réjouissance, joie vive » (Roques t. 2, 6319 : iubilacio, cionis jubilacion. c’est chançon joieuse. grant joie). Empr. au lat.jubilatio « cris », lat. chrét. « cris, chants, retentissement d’un instrument de musique (exprimant la louange, la joie, le triomphe; Vulgate, Psaumes 88, 16 et 150, 5) », dér. de jubilare (jubiler*). »

    Il me semble donc qu’il faut bien entendre ce mot comme jubilatoire.

    Si un peu d’Histoire ne peut nuire, il faut rappeler que le système de retraite français est mis en place à la Libération par les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 qui instituent la Sécurité sociale.

    Les pères de cette réforme furent Ambroise Croizat, ministre du Travail de 1945 à 1947 et Pierre Laroque , Haut fonctionnaire.

    J’avais évoqué ces deux visionnaires de l’État social dans un mot du jour de 2016 en mettant en exergue une phrase d’Ambroise Croizat :

    « Mettre définitivement l’homme à l’abri du besoin, en finir avec la souffrance et les angoisses du lendemain »

    Mais il semble que l’ancêtre de tous les régimes de retraite français est « La Caisse des Invalides de la Marine Royale ». Le ministre des Finances de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert, a créé une pension de retraite pour les marins dès 1673.

    Donc finalement, en un mot et en conclusion : Jubilation !

    <1730>

  • Mardi 31 janvier 2023

    « Il y a un conflit très fort et très sourd, entre celles et ceux qui conçoivent le travail des autres sans le faire et celles et ceux qui font le travail sans pouvoir le concevoir. »
    Marie-Anne Dujarier

    Ce 31 janvier, la France va être touchée par un conflit social d’ampleur qui s’élève contre une nouvelle réforme des retraites qui va reculer l’âge minimum permettant de partir à la retraite de 62 ans à 64 ans.

    Les uns, en s’appuyant sur l’exemple des pays voisins qui ont presque tous un âge officiel de retraite supérieur à 64 ans et sur l’allongement de la durée de vie considèrent cette réforme indispensable, voire insuffisante par rapport aux enjeux.

    Les autres qui refusent cette réforme prétendent qu’il n’y a pas urgence à légiférer et que cette réforme est très injuste car elle fait reposer tous les efforts sur une population très ciblée.

    Mais ce n’est pas des retraites que je vais parler aujourd’hui, mais de cette appétence d’un grand nombre de français dont je fais partie, qui aspirent le plus vite possible à la retraite.

    Appétence qui probablement révèlent une relation contrariée avec le travail et plus précisément avec l’emploi.

    Le site Atlantico donne la parole au sociologue du CNRS Philippe d’Iribarne pour évoquer <les deux clés des blocages français à côté desquelles passent les réformes>

    Ces deux clés sont selon cet article :

    • L’emploi des seniors
    • La satisfaction au travail

    L’emploi des seniors est souvent évoqué à propos de cette réforme, parce que les salariés de 55 ans éprouvent beaucoup de difficultés à conserver leur emploi et d’en retrouver un, lorsqu’ils se trouvent au chômage.

    On parle moins de la satisfaction au travail.

    Atlantico cite un ancien ministre d’Emmanuel Macron qui affirme dans l’Opinion, qu’il faudrait dire aux Français : « On a compris que vous n’êtes pas heureux au travail. Et répondre à ce mal-être plutôt que d’encourager la fuite en avant avec la réforme des retraites dans sa version actuelle. »

    Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d’Iribarne est l’auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Son dernier ouvrage, publié en septembre 2022, s’intitule « Le Grand Déclassement »

    Il était aussi l’invité de l’émission des matins de France Culture du Lundi 23 janvier 2023 : <Retraites : la peur du travail sans fin>.

    Guillaume Erner avait également invité Marie-Anne Dujarier sociologue du travail, autrice de « Troubles dans le travail, sociologie d’une catégorie de pensée » (Presses Universitaires de France, 2021).

    Dans cette émission le rapport des Français au travail a été longuement développé. Rapport qui explique probablement notre relation crispée avec l’âge de la retraite.

    Philippe d’Iribarne livre ce qui est, selon lui, la « vision française » du travail : « un homme digne de ce nom, vraiment libre, qui ne dépend de personne, au service de sa propre gloire en quelque sorte. Pour un Allemand, faire une tâche utile, au service de la communauté, suffit. Pour un Français, il faut des conditions exceptionnelles de travail et d’autonomie pour qu’il se sente heureux. »

    Le premier point développé par Marie-Anne Dujarier qui m’a paru très pertinent est la distinction entre « travail » et « emploi » (7:08) :

    « Le travail ne se limite pas à l’emploi. […] Nous avons des usages sociaux du mot travail qui ont varié dans l’Histoire. Et qui continue d’être différent selon qui parle dans la société. Nos institutions et les usages qu’en font l’État : le travail c’est essentiellement l’emploi. Ce qu’on appelle le code du travail, les politiques du travail, les statistiques du travail se référent essentiellement à l’emploi. De même quand les employeurs parlent de travail, ce qui est assez rare, ils parlent essentiellement d’emploi. […]

    Pour celles et ceux qui œuvrent, qui produisent le travail a un tout autre sens puisqu’il peut, en effet, être l’emploi avec toutes les conditions liées à ce terme. C’est-à-dire la rémunération mais aussi les droits, l’accès à un système de solidarité. Mais le travail est aussi une activité qui soit sensée, qui fasse sens, qui produise des choses qu’on juge utile, belle ou simplement pertinente, dans des conditions qui permettent de développer son intelligence, ses pratiques.

    Et tout cela dans des relations sociales de belle qualité. […] Savoir qui travaille et à quel moment est un objet de conflit, un objet de débat politique.

    Est-ce que des tâches domestiques sont du travail ? Est-ce qu’un animal qui produit des choses utiles travaille ? Vous et moi, lorsque nous laissons des traces numériques sur le net qui enrichissent une firme étasunienne, travaillons-nous ?

    Tout cela fait l’objet de décisions collectives et qui sont profondément politiques.»

    Ainsi très concrètement quand j’écris un mot du jour, comme celui d’aujourd’hui est-ce du travail ?

    Je ne crois pas qu’on puisse qualifier cette activité de loisir. Si ce n’est du travail, qu’est ce alors ?

    Ce n’est pas un emploi : je ne suis pas rémunéré, je n’ai pas de droits sociaux, je n’ai pas non plus de contraintes ou d’obligations autres que celles que je me fixe moi-même.

    Cette distinction entre l’« emploi » et le « travail » je l’avais d’abord entendu exprimer par le philosophe Bernard Stiegler qui avait écrit « L’emploi est mort, vive le travail » en 2015.

    J’avais écouté avec beaucoup d’intérêt la présentation de son ouvrage qu’il avait fait lors d’une conférence qu’il avait réalisée à <l’Université Paris Ouest Nanterre> en 2016.

    J’avais le projet d’en faire un mot du jour. Projet que je n’ai jamais réalisé.

    Le philosophe mort en 2020, développait aussi ce concept qui m’a interpellé de « prolétarisation » qu’il définit de la manière suivante :

    « La prolétarisation est, d’une manière générale, ce qui consiste à priver un sujet (producteur, consommateur, concepteur) de ses savoirs (savoir-faire, savoir-vivre, savoir concevoir et théoriser). […] La prolétarisation transforme le travail dans son ensemble en emplois vides de tout savoir et n’appelant que des compétences définissant une « employabilité », c’est-à-dire une « adaptabilité ». Les savoir-faire aussi bien que les savoir-vivre étant passés dans les machines et les systèmes de communication et d’information avec les machines informationnelles qui les transforment en automatismes sans sujet. […] C’est cette prolétarisation qui instaure le salariat, c’est-à-dire l’emploi. [Les employés] deviennent une marchandise substituable sur le marché de l’emploi. »

    Ces idées sont développées dans ce texte publié sur le site des <Rencontres Philosophies Clermontoises>.

    Après cette distinction qui révèle que le travail peut être effectué dans le cadre d’un emploi ou en dehors, la question devient plus précise : Quel est le rapport des français par rapport à l’emploi ?

    Guillaume Erner cite un sondage (18:49) dans lequel il apparait que la fierté d’appartenance à une entreprise diminue et aussi que le rapport au temps et à l’argent s’est inversé. Cette évolution a été observée entre 2008 et 2022. Aujourd’hui les français préfèrent gagner moins d’argent pour avoir plus de temps libre (61%) alors qu’à la même question ils étaient 38% de cet avis en 2008.

    Je note que je fais partie des 61% puisque je renonce à une retraite pleine pour pouvoir me retirer de l’emploi plus rapidement.

    Marie-Anne Dujarier analyse cette réticence devant l’emploi par deux facteurs :

    « En matière d’emploi, nous sommes confrontés aujourd’hui à deux faits sociaux majeurs qui viennent à rendre l’activité dans l’emploi dégoutante ou repoussante :

    Le premier fait c’est ce qu’on appelle l’anthropocène ou capitalocène, on peut lui trouver plusieurs noms. Dans nos modes de production contemporain, plus nous travaillons plus nous polluons, nous réduisons nos chances de subsistance collective. Alors pas mal d’employés et pas seulement des jeunes se disent : à quoi bon se former se subordonner si c’est pour produire des choses moches, nocives, écocides qui enrichissent ceux qui sont déjà démesurément riche. […]

    Le second facteur, ce sont les modes de management contemporain. Dans les entreprises privées capitalistes, l’impatience et la gloutonnerie des actionnaires fait que ce qui compte, c’est uniquement ce qui se compte. Et cette logique financière abstraite fait que les employés ne sont que des ressources. Ils sont amenés à faire des choses pour autre chose : on ne produit pas de la nourriture pour produire de la nourriture, mais pour améliorer un score financier.

    Tout ceci fait douter de l’intérêt de s’engager et de consacrer beaucoup de temps de sa vie à ces projets dont on se met à douter de la finalité et de l’intérêt du point de vue de l’activité. »

    Pour Philippe d’Iribarne :

    « La fierté est une chose très importante en France. On a besoin d’être fier de faire son métier, d’appartenir à son entreprise. La dégradation de la fierté est quelque chose de très grave. […] Un aspect important a été que pendant longtemps les outils pratiques de contrôle du travailleur de base par les superstructures étaient limités. L’individu en prenait et en laissait par rapport aux instructions qu’ils suivaient de manière très lâche. Il y avait une sorte de compromis tacite entre de grande affirmation de contrôle et une pratique de contrôle assez modeste. L’évolution des systèmes informatiques a permis de suivre de manière beaucoup plus étroite et à tout instant les activités de chacun. Chacun est entré dans un système de contrôle et de contrainte de manière beaucoup plus sérieuse qu’auparavant. »

    Concernant le contrôle, on pourrait rétorquer que le travail à la chaîne, le taylorisme constituait un travail très contraint et très contrôlé, bien avant l’arrivée des outils informatiques.

    Mais concernant les activités de service et de cadre, je pense que son analyse est particulièrement exacte.

    Il évoque cependant le cas particulier d’ouvriers qui exercent une vraie activité, c’est-à-dire pour laquelle ils perçoivent immédiatement l’utilité et l’intérêt pour celles et ceux qui bénéficient de leur ouvrage. Ces ouvriers restent fiers et attachés à leur emploi. Dans l’article d’Atlantico cité, il dit :

    « Attention de ne pas généraliser, une partie importante des travailleurs français sont tout à fait satisfaits de leur travail, dont ils ont le sentiment qu’il correspond bien à leurs attentes. »

    Mais le sujet du management semble particulièrement problématique.

    Marie-Anne Dujarier explique :

    « Nous avons un management dans le privé qui a été importé dans le public sous le nom de « nouveau management public » qui […] est une conception de l’activité qui est faite par des gens qui sont assez éloignés de l’activité réelle. Ce qu’on peut appeler le management à distance, avec une méconnaissance de ce Réel assez forte qui induit que de plus en plus de femmes et d’hommes sont contraints de travailler avec des outils, des procédures, mais aussi des objectifs qui ont été conçus par d’autres, et qui orientent leur activité sur des indicateurs. Tout ceci avec des dispositifs pseudos rationnels qui face à la réalité du terrain sont toujours un peu défaillants et tout cela fondé sur un postulat de méfiance qui accroît le contrôle permanent de ces salariés, qui sont mis en concurrence, entre structures, entre pays, mais aussi entre statuts par exemple fonctionnaires et salariés.»

    Et puis elle a ce développement (34 :00) qui me semble essentiel et rencontre mon vécu :

    « Ce qui est intéressant c’est qu’il existe une sorte de guerre civile sur la notion de productivité comme sur celle de qualité. Vu des différents acteurs la notion de qualité ou de productivité n’est pas la même. Vous prenez un travailleur social qui doit recevoir des gens qui sont dans des difficultés multiples etc. Cela demande un entretien fin, pour pouvoir démêler les affaires de cette personne. Évidemment si cet entretien est long, vu du gestionnaire, vu d’en haut, l’entretien dure trop longtemps. Vous voyez bien que la performance n’est pas la même selon qu’on voit de haut ou qu’on le regarde dans le grain fin de l’activité.

    Il y a donc un conflit très fort et très sourd, entre celles et ceux qui conçoivent le travail des autres sans le faire et celles et ceux qui font le travail sans pouvoir le concevoir. »

    J’avais un jour répliqué à un de mes directeurs : « Plus on est placé haut dans la hiérarchie, plus on peut tenir des discours et des théories brillantes et lyriques remplis de contradictions et d’incohérence, mais plus on est près des réalités et du terrain plus ces incohérences sont prégnantes et ne peuvent être mises en œuvre sans surmonter la contradiction en s’éloignant de la théorie. ».

    L’envie de rester dans l’emploi dépend éminemment de la qualité de l’emploi.

    Mon père est parti à la retraite à 71 ans, il était professeur de violon. Il était fier de son emploi qui le rémunérait mais aussi le nourrissait intérieurement.

    <1729>

  • Dimanche 15 janvier 2023

    « Maman »
    Terme affectueux dans le langage de l’enfant et dans celui de l’adulte pour désigner sa propre mère

    Maman est un nom doux, un nom tendre.

    Revienne les souvenirs de l’enfance, on tombait et on se faisait mal, le nom de « Maman » sortait naturellement de la bouche. La tristesse trouvait sa consolation quand Maman prenait son enfant dans les bras.

    Brassens, chanteur iconoclaste qui écrivait le plus souvent des paroles drues et provocantes est devenu tout doux en l’évoquant

    « Maman, maman, je préfère à mes jeux fous
    Maman, maman, demeurer sur tes genoux
    Et, sans un mot dire, entendre tes refrains charmants »

    Le dictionnaire du CNRS donne la définition suivante de « Maman » :

    « [Souvent employer comme appellatif affectueux] Mère, dans le langage de l’enfant et dans celui de l’adulte pour désigner la mère de famille, sa propre mère ou celle qui en tient lieu. »

    Et Jean Pruvost écrit dans le <Figaro> :

    Issu du grec et du latin «mamma» qu’on retrouve dans «mammifère» et «mamelle», s’installe aussi dans notre langue son synonyme très affectueux et somme toute premier dans le langage enfantin: «maman». Attesté par écrit dès 1256, il entre aussi dans nos tout premiers dictionnaires, par exemple en 1680 dans le Dictionnaire françois de Pierre Richelet, avec une orthographe surprenante : m’aman, orthographe qui démarque bien la nature de ce mot, d’abord propre aux enfants.

    On raconte que dans les tranchées de 14-18, les rugueux soldats appelaient « Maman » quand ils étaient gravement blessés ou trop angoissés, comme un enfant qui appelle « Maman » car elle est forcément la solution.

    Après la mort de sa mère Albert Cohen a écrit « Le livre de ma mère » dans lequel il a eu cette phrase :

    « Les fils ne savent pas que leurs mères sont mortelles. »

    C’est pourtant l’expérience de la vie, quand l’ordre des choses est respecté, la mère décède avant ses filles et ses fils.

    Et dans l’immense majorité des cas, ce moment est une déchirure : la perte de l’être humain qui nous a porté et mis au monde.

    Mais avant de devenir Maman, il faut d’abord qu’une précédente Maman la fasse naître.

    Il y a 100 ans : le lundi 15 janvier 1923, une fille est née dans le foyer de Franziska Kordonowski et Vincent Tettling, tous deux de nationalité polonaise.

    35 ans après elle deviendra ma maman.

    A 24 ans elle est devenue Maman en mettant au monde mon frère Gérard. Entre temps, elle deviendra aussi la maman de Roger à 26 ans.

    Son acte de naissance révèle qu’elle est née le 15 janvier 1923 à 10h30 du matin à Essen III.

    Essen est une ville allemande de la Ruhr du Land : Rhénanie-du-Nord-Westphalie.

    Essen est divisée en subdivision administrative et la partie III se situe selon Wikipedia à l’Ouest de la ville.

    L’acte de naissance précise aussi que son père est mineur, c’est-à-dire travaille à la mine.

    Sa mère est née à Warmhof en Pologne le 15 juin 1898.

    Mais en 1898, l’Etat polonais n’existait pas, n’existait plus.

    En 1898, cette ville qui porte aujourd’hui le nom polonais de Ciepłe, était intégrée à l’empire de Russie.

    Selon l’acte, du 1er juillet 1947, de naturalisation française du père, ce dernier est né le 11 janvier 1894 à Osin en Pologne. Pour les mêmes motifs cette ville ne se situait pas en Pologne en 1894, mais aussi dans l’Empire de Russie.

    Je n’ai pas trouvé Osin sur Internet, j’ai trouvé deux villes polonaises d’aujourd’hui qui ont respectivement comme nom Osina et Osiny.

    La Pologne renaît après la guerre 1914-1918, comme le racontait le mot du jour du <15 novembre 2018> et à partir de cet instant mon grand-père et ma grand-mère sont devenus, de plein droit, des citoyens polonais et disposaient d’un passeport polonais.

    L’acte de naissance de ma mère donne une autre précision : l’adresse de ses parents : Gewerkenstraße au numéro 56.

    Cette adresse existe toujours et Google nous permet de la visualiser en aout 2008.

    A cette époque, dans les milieux populaires les femmes accouchaient à leur domicile.

    La seconde guerre mondiale ayant détruit la plus grande partie des villes allemandes, rien ne permet d’affirmer que cette maison est celle où est née ma mère : Anne Tettling, le 15 janvier 1923. Mais c’est en ce lieu, dans la maison qui s’y trouvait à cette date.

    Elle ne restera pas longtemps en Allemagne.

    Immédiatement après la création de l’État de Pologne, une convention franco-polonaise fut signée le 3 septembre 1919 pour favoriser l’arrivée de milliers de Polonais dans le Bassin minier Nord-Pas de Calais. Par suite cette convention s’appliqua pour d’autres bassins d’emplois en France. Mon grand-père qui avait travaillé dans les mines de charbon de la Ruhr jusque-là, va profiter de cette convention pour venir dans cette même année 1923 travailler pour les Houillères du Bassin de Lorraine.

    Il s’installera avec sa famille dans la petite ville de Stiring-Wendel où habitait mon père et sa famille.

    Elle deviendra française par son mariage en 1947.
    Mais auparavant elle va aller à l’école française. Ses parents sont très catholiques et ils ne vont pas l’envoyer à l’école Publique mais dans une institution religieuse : « Le Pensionnat de la Providence de Forbach ». Elle y restera le temps de l’école élémentaire et se verra attribuer le Certificat d’Études Primaires Élémentaires le 18 juin 1935.

    Ce qu’il y a de remarquable c’est que ma mère écrivait sans jamais faire une faute de grammaire. Elle écrivait au même niveau d’excellence, l’allemand sans erreur.

    Elle fut d’ailleurs embauchée comme secrétaire dans l’antenne locale du grand journal régional : « Le républicain Lorrain » C’est de cette époque, il me semble, que date cette photo avec la bicyclette.

    Elle vivait dans un monde populaire un peu rude dirigé par le père de famille.

    Sa maman comme elle, aimaient lire, ce à quoi s’opposait le père ouvrier pour qui il était inconcevable que des femmes perdent du temps à cette activité de loisir, selon lui.

    Peut être craignait-il aussi qu’une femme cultivée ne s’émancipe.

    Je reste persuadé que ma mère aurait pu continuer à faire des études et aspirer à un tout autre destin social.

    Mais cette époque ne le permettait pas, il fallait préparer les femmes à devenir femme au foyer et mère de famille.

    Mais pour ma maman avant que cela n’arrive, il y eut la terrible épreuve de la guerre qui éclata en 1939.

    Pour les nazis, ma région natale n’était pas une terre française occupée, mais une terre germanique retournée dans sa patrie légitime.

    Ma mère fut obligée d’aller travailler dans un grand magasin allemand à Sarrebruck, tout le temps de la guerre.

    Elle vécut cette période très mal et exprima un grand ressentiment à l’égard des allemands très longtemps. Ainsi après la guerre, elle ne retournera, pour la première fois en Allemagne qu’en 1991, 46 ans après la fin de la guerre. Elle habitait à 3 km de la frontière et la grande ville proche de notre maison était Sarrebruck.

    Elle me raconta une histoire de la guerre dans laquelle elle montra son esprit rebelle mais aussi une sorte d’inconscience.

    Un officiel allemand l’arrêta un jour et lui demanda son adresse et elle répondit « Rue nationale à Stiring ». Or, dès le début de l’occupation les nazis avaient renommé cette rue qui emmenait tout droit vers l’Allemagne : « Adolf Hitler Strasse ». L’officier lui fit répéter deux fois sa réponse. Et devant l’obstination de ma mère, il lui dit « Fais attention jeune fille, tu pourrais tomber sur un soldat moins compréhensif que moi et tu serais envoyé dans un camp. Moi je me contente de t’avertir car tu me fais penser à ma fille »

    Après la guerre, elle rencontra mon père qui habitait à 250 m de sa maison. Et elle consacra le reste de sa vie et toute son énergie à sa famille.

    Nous étions très modestes, mais jamais nous n’avons manqué de l’essentiel grâce à sa rigueur et son sens de l’organisation mais surtout par un travail immense de tous les instants qui compensait le manque de moyens.

    Elle était l’âme et le moteur du foyer.

    Elle était toujours debout et travaillait.

    Quand la maladie l’a attrapé et qu’elle ne pouvait plus rester debout, elle s’éteignit très vite en quelques mois.

    Pour son mari et ses enfants elle était prête à tout et savait être une tigresse.

    Dans mon enfance et plus encore, dix ans avant pour mes frères ainés, les instituteurs étaient brutaux et frappaient leurs élèves, notamment un qui avait pour nom Beck.

    Un jour il trouva une autre idée : il enferma mon frère ainé dans un placard. Ce fut un traumatisme pour Gérard qui ne rentra pas à la maison mais se cacha derrière l’église. Quand ma mère compris ce qui s’était passé, elle alla voir cet instituteur et lui dit sa façon de penser de manière directe et sévère. Jamais plus ce fameux Beck n’embêta Gérard !

    Je n’aimais pas beaucoup l’école maternelle, je trouvais qu’il y avait trop de bruit. Je fus souvent absent. La maîtresse dit à ma mère que jamais je ne parviendrai à faire d’études et que les lacunes que j’avais accumulées me poursuivront toute ma vie.

    Ma mère la regarda dans les yeux devant moi et lui dit « Vous racontez n’importe quoi, ne vous inquiétez pas pour mon fils »

    Nul ne décrivit mieux sa situation que maître Raynal le professeur de violon de mon frère Gérard au Conservatoire Supérieur de Musique de Paris.

    Lors de la dernière épreuve du conservatoire, à Paris, pour obtenir le premier Prix, Maître Raynal s’est rapproché de mon père et lui a demandé

    « Et votre épouse est-elle là ? »

    Et mon père a répondu par la négative et a dit qu’elle était restée à la maison.

    Maitre Raynal a eu alors ce mot :

    « Ah oui, l’éternelle sacrifiée ! »

    Ce fut longtemps le destin des mères de famille, surtout dans les familles modestes.

    Ma mère fut l’une d’entre elle, parmi les plus absolues dans le dévouement pour sa famille.

    Ce n’était pas juste qu’il en fut ainsi, ce ne peut être un exemple pour aujourd’hui.

    C’était ma maman.

    Elle a tout donné de ce qu’elle pouvait donner, sans compter.

    Elle est née polonaise, en terre d’Allemagne.

    C’était il y a 100 ans.

    <1728>

  • Mardi 10 janvier 2023

    « Ce n’est qu’en entrant dans l’océan […] que la rivière saura qu’il ne s’agit pas de disparaître dans l’océan, mais de devenir océan. »
    Auteur inconnu

    Continuer.

    Continuer à écrire des mots du jour.

    Je vais encore beaucoup parler de la mort.

    Mais, pour moi, parler de la mort, c’est avant tout parler de la vie.

    Parler des vivants qui sont affectés dans leurs sentiments, leur quotidien, leur confort, par l’absence.

    Parler de ce qui reste de vivant, en nous, de ceux qui sont partis.

    Personne n’a su exprimer cela de manière plus lumineuse que Tacite :

    « Le vrai tombeau des morts, c’est le cœur des vivants. »

    Le deuil de mon frère a précipité l’évolution que je souhaitais mettre en œuvre à partir du 1er février 2023.

    Pourquoi le 1er février 2023 ?

    Ce jour-là sera le premier de la dernière période de ma vie, celle de retraité !

    Jusqu’à présent mon ambition a été d’écrire un mot du jour par jour de semaine, en dehors des congés.

    Cette ambition s’est fracassée, d’abord devant le traumatisme de la guerre en Ukraine, ensuite le deuil inattendu de mon frère ainé.

    Le changement s’est donc imposé prématurément avant ce 1er février.

    Je ne suivrai plus la discipline d’écrire un mot du jour, chaque jour. Mais d’en écrire un chaque fois qu’un sujet, un évènement, une pensée me poussera à écrire.

    Ce ne sera plus : « Le mot du jour », mais une « invitation à un mot du jour…»

    Aujourd’hui, je souhaite partager un poème et aussi une explication sur la difficulté, souvent présente, de vérifier les sources des textes que l’on partage.

    Voici d’abord un texte magnifique qui peut se lire à l’heure de la mort, mais aussi à l’heure de beaucoup de moments de la vie, lorsqu’il s’agit de passer d’un monde connu, d’un confort relatif et de quelques certitudes vers l’inconnu et l’incertitude.

    « On dit qu’avant d’entrer dans la mer,
    une rivière tremble de peur.
    Elle regarde en arrière le chemin
    qu’elle a parcouru, depuis les sommets,
    les montagnes, la longue route sinueuse
    qui traverse des forêts et des villages,
    et voit devant elle un océan si vaste
    qu’y pénétrer ne paraît rien d’autre
    que devoir disparaître à jamais.
    Mais il n’y a pas d’autre moyen.
    La rivière ne peut pas revenir en arrière.
    Personne ne peut revenir en arrière.
    Revenir en arrière est impossible dans l’existence.
    La rivière a besoin de prendre le risque
    et d’entrer dans l’océan.
    Ce n’est qu’en entrant dans l’océan
    que la peur disparaîtra,
    parce que c’est alors seulement
    que la rivière saura qu’il ne s’agit pas
    de disparaître dans l’océan,
    mais de devenir océan. »

    Qui est l’auteur de ce texte, qui parle d’une rivière qui ne peut revenir en arrière et qui va s’accomplir en devenant océan ?

    Ce texte a été publié des dizaines de fois sur les réseaux sociaux ou des pages internet, en donnant comme auteur Khalil Gibran.

    Ce poète libanais, inoubliable auteur du livre « Le Prophète » qui a passé la plus grande partie de sa vie aux États-Unis et qui est mort en 1931, à New York, à 48 ans.

    Certains précisaient que ce texte est inclus dans « Le Prophète ».

    Cette affirmation me semblait fausse. Je suis allé m’en assurer en reprenant ce livre.

    Dans un des derniers poèmes, Khalil Gibran parle de la mort et dit :

    « Vous voudriez percer le secret de la mort,
    Mais comment le découvririez-vous si vous ne le pourchassez au cœur même de la vie ? »

    Et un peu plus loin, il évoque la rivière et la mer :

    « Si vraiment vous souhaitez percevoir la nature de la mort, faites que vos cœurs s’ouvrent largement au corps de la vie,
    Parce que la vie et mort ne font qu’un, comme fleuve et océan. »

    Mais pas de texte qui évoque la rivière qui disparait dans l’océan et qui devient océan.

    Mes recherches m’ont conduit à découvrir que la collection « Bouquins » de Robert Laffont avait publié un ouvrage ayant pour titre « Khalil Gibran : Œuvres complètes »

    Je suis allé l’emprunter à la Bibliothèque Municipale de Lyon.

    Et j’ai cherché…

    Mais je n’ai pas trouvé.

    Dans une des œuvres publiées « L’Errant » il existe un texte qui a pour titre « La rivière » (page 767) et qui relate la discussion de deux petits ruisseaux :

    « L’un des ruisseaux s’enquit : « Comment es-tu arrivé là, mon ami et comment était ton chemin ? »

    Ce texte se conclut ainsi :

    « A cet instant, la rivière leur dit d’une voix forte : « Venez, venez, allons vers la mer.
    Venez, venez donc et cessez de discuter. Rejoignez-moi. Nous allons à la mer.
    Venez, venez vous jeter en moi, vous oublierez vos errances qu’elles soient tristes ou joyeuses.

    Venez, venez et vous et moi, nous oublierons tous nos méandres lorsque nous atteindrons le cœur de notre mère, la mer. » »

    Mais la rivière qui tremble de peur avant de se jeter dans l’océan ne se trouve pas dans les 950 pages des œuvres complètes.

    Peut être se trouve t’il ailleurs, dans un ouvrage non publié dans ce bouquin. Restons prudent…

    Mais pour l’instant, rien ne me permet de dire que ce texte est de Khalil Gibran.

    Il est rationnel d’écrire que l’auteur est inconnu.

    Il arrive que des personnes non connues trouve qu’un de leur texte mériterait qu’il soit connu et dès lors tente de le publier en prétendant qu’il a été écrit par un auteur connu.

    J’ai trouvé un site <https://theophilelancien.org/> qui prétend donner la parole à un sage qui s’appelle Theophile l’ancien, sans plus de précisions.

    Sur ce site il y a une page qui a pour titre : « La rivière et l’Océan » dans laquelle on peut lire

    « Quand la rivière se jette dans l’Océan, elle perd son nom. »

    […] Cette métaphore m’inspire. La rivière perd tout naturellement son identité quand elle rejoint l’Océan, et tout se fait en douceur.

    La rivière en amont continue sa vie. Elle jaillit des profondeurs de la terre, puis s’écoule en traversant différents reliefs, contournant ou submergeant les obstacles. Elle reçoit les eaux de la pluie et les eaux des autres petits ruisseaux. Elle bouillonne en cascade, se repose paisiblement dans les lacs et se retrouve parfois même, emprisonnée par un barrage. Elle irrigue toutes les terres qu’elle traverse.

    Plus elle avance vers l’Océan, plus elle s’enrichit de limon nourrissant les terres environnantes […] Le plus difficile, c’est toujours le premier cycle. Une fois que la rivière a perdu son identité en se jetant dans l’Océan, elle devient l’Océan, sa conscience englobe tout l’Océan […]

    La conscience de la rivière est devenue océanique. Elle est à la fois la rivière, l’Océan et les cours d’eau… Elle est l’Eau. »

    L’esprit de ce développement me parait assez proche de celui que je cherchais.

    Je ne sais pas pour autant qui se cache derrière Théophile l’ancien.

    En musique, il a toujours existé des inconnus qui ont prétendu que le morceau qu’ils ont écrit était d’un glorieux ainé.

    Tomaso Albinoni est un compositeur baroque vénitien qui est né en 1671.

    Mis à part quelques mélomanes fouineurs comme moi, il n’est connu qu’à travers une seule œuvre : le célèbre « Adagio d’Albinoni » qui n’a pas été écrit par Albinoni mais par Remo Giazotto qui est décédé en 1998.

    Vous apprendrez cela sur cette page de Radio France : < Le mystère de l’Adagio d’Albinoni >.

    Nous ne savons pas de qui est ce texte.

    Il reste très inspirant :

    « La rivière a besoin de prendre le risque
    et d’entrer dans l’océan.
    Ce n’est qu’en entrant dans l’océan
    que la peur disparaîtra,
    parce que c’est alors seulement
    que la rivière saura qu’il ne s’agit pas
    de disparaître dans l’océan,
    mais de devenir océan. »

    <1727>

  • Vendredi 28 octobre

    « Nous ne nous verrons plus sur terre »
    Guillaume Apollinaire

    L’Adieu

    J’ai cueilli ce brin de bruyère
    L’automne est morte souviens-t’en
    Nous ne nous verrons plus sur terre
    Odeur du temps brin de bruyère
    Et souviens-toi que je t’attends

    Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913

    Gérard Klam, né le jeudi 30 octobre 1947 à Forbach, décédé le lundi 24 octobre 2022 à Nantes

    <1726>

  • Lundi 24 octobre 2022

    « Non rien ne m’est interdit, car je détiens le rêve. »
    Alicia Gallienne

    Depuis longtemps je n’ai plus partagé un poème d’Alicia Gallienne.

    Pour l’instant, il y en a eu 4 :

    • Le 7 février 2020 : « L’autre moitié du songe m’appartient »
    • Le 18 février 2020 : « Dire que je t’aime et je t’attends, c’est encore beaucoup trop de pas assez »
    • Le 18 avril 2020 : « A Mozart je dois une Église un arbre et une île»
    • Le 3 mai 2020 : « Pour aller plus haut »

    Aujourd’hui, les circonstances me poussent à reprendre ce livre plein de mots magiques :

    « Je suis riche de mes heures perdues
    De mes phrases mille fois heurtées à elles-mêmes
    Je suis riche de mes émerveillements
    Et chaque jour je bénis Dieu d’avoir donné
    La vertu de se dépasser et de créer l’impossible
    Pour cerner ses contours
    Avec la délicatesse des doigts amoureux
    Exquise sensation que de pouvoir toucher cet au-delà
    Aux émanations d’interdit

    Non rien ne m’est interdit
    Car je détiens le rêve
    Entre mes mains pleines de ciel
    Car j’ai conquis les oiseaux
    Tout au-dessus de l’eau
    Où je marche la nuit

    Oui tout m’est offert
    Tout est possédé de moi
    Et le plafond de Chagall est plein d’ailes
    De musique et de tentation
    ET c’est un dôme du ciel humain
    Comme une transcription magique
    Et les yeux sont appelés
    A se créer leur unique illusion »
    Page 191 Conclusion du poème « <La mort du Ciel » où elle a écrit en sous-titre (Si j’ai choisi ce titre, c’est bien pour qu’il ne meure jamais.)
    «L’autre moitié du songe m’appartient»
    Alicia Gallienne


    Le plafond de Chagall orne la grande salle de l’Opéra Garnier où mon frère ainé Gérard a œuvré dans l’Orchestre de 1970 à 1985.

    Dans ma famille nous sommes trois frères, Gérard, Roger, et moi qui suis le petit dernier d’une dizaine d’années plus jeune que les deux autres.

    Des trois frères, c’est Gérard qui était le roc, jamais malade, toujours super dynamique.

    Mais il y a quelques semaines une terrible maladie l’a submergé et ces derniers jours son état s’est brusquement détérioré.

    C’est important d’avoir son jardin secret. On dit aussi que les grandes douleurs sont muettes.

    Je crois cependant tout en respectant ces deux préceptes, il est aussi essentiel, tout en restant digne, de faire part des sentiments qui nous touchent et qui nous saisissent.

    Gérard a eu la grâce d’exercer un métier, dont l’objet est de créer la beauté.

    Avec l’Octuor de Paris il a fait le tour du monde.

    Plusieurs disques ont été produits avec cet ensemble en vinyle dans les années 70, mais n’ont jamais été reporté en CD.

    Parmi ces disques il y a l’emblématique Octuor de Schubert qui donne la composition de l’Octuor de Paris : un quatuor à cordes plus une contrebasse avec 3 instruments à vent : un cor, une clarinette et un basson.

    En voici le 3ème mouvement : 

    Allegro Vivace

    Après l’Opéra de Paris , Gérard est parti à Nantes où il est devenu violoniste supersoliste jusqu’à sa retraite.

    Ouest-France l’avait interviewé lors d’une folle journée de Nantes : <Gérard Klam a connu l’âge d’or des orchestres>

    Vous comprendrez donc que le mot du jour est interrompu jusqu’à nouvel ordre.

    <1725>

  • Vendredi 21 octobre 2022

    « Pause (ode à la fatigue) »
    Jour sans mot du jour

    Il y a plus de 4 ans, je consacrais le mot du jour du 4 juin 2018 à un livre d’Eric Fiat «Ode à la fatigue».

    Eric Fiat avait cette belle formule « La fatigue est une caresse du monde ».

    Il disait aussi « [La fatigue] nous révèle de très belles choses sur nous-mêmes, sur les autres et sur le monde. Écouter sa fatigue c’est apprendre l’humilité, le courage et la rêverie. »

    <Mot du jour sans numéro>

  • Jeudi 20 octobre 2022

    « Pause (Se tenir debout ! Sophia Aram) »
    Jour sans mot du jour nouveau

    Je partage la chronique de Sophia Aram de ce lundi 17 octobre, sans commentaire, mais en rappelant le contexte.

    Je rappelle que Samuel Paty a été assassiné et décapité par un fou de Dieu qui se réclamait de l’islam.

    Ce crime a été commis il y a deux ans.

    Son assassin a été enterré en Tchétchénie.

    <La Croix> rapporte qu’après le rapatriement du corps, la télévision tchétchène, dans un reportage, a présenté le terroriste en « jeune craignant Dieu » qui n’était pas agressif mais serait devenu meurtrier à cause d’une « provocation islamophobe ».

    Cette télévision est sous étroit contrôle de Ramzan Kadyrov, le sinistre président de ce pays et executeur des basses besognes de Vladimir Poutine.

    Vous trouverez la chronique de Sophia Aram sur cette page de France Inter : <Se tenir debout>

    Et vous pouvez la voir en <Video>

    « Bonjour à tous, Allah a dit…

    Ça va, je déconne, on se détend… On sait qu’on peut rire de tout… Même si maintenant au fond de nous il y a toujours une petite voix qui rajoute “oui mais… à condition d’être sous protection policière”.

    On a beau jouer les foufous prêts à tout dire, il faut reconnaître que sur le droit d’emmerder Dieu, ça ne s’est toujours pas détendu.

    Pas plus tard que la semaine dernière, le musée mémorial du terrorisme a choisi de ne pas exposer les dessins des élèves participant à l’exposition incluant des caricatures de Charlie Hebdo… Voilà, c’est tout. C’est juste le musée mémorial du terrorisme qui renonce à défendre les principes pour lesquels une partie des victimes de terrorisme en France sont morts. Autant je comprends la volonté de protéger les élèves, autant je me dis qu’il aurait peut-être été plus simple d’anonymiser leurs travaux, plutôt que d’assassiner une deuxième fois Charlie Hebdo.

    Le problème c’est que si tu cumules ceux qui se couchent parce qu’ils ont peur, ceux qui ne veulent pas de vagues et ceux qui prennent les musulmans pour des bébés phoques ça réduit considérablement le nombre de personnes qui restent debout.

    Et c’est quand tout le monde se couche que ceux qui restent debout deviennent des cibles.

    Est-ce que la rédaction de Charlie aurait été décimée si l’ensemble des journaux avaient publié les caricatures du prophète ?

    Samuel Paty aurait-il été assassiné si tout le monde avait défendu l’idée qu’aucune croyance ne saurait interdire la liberté de chacun de la critiquer, de la moquer et de la remettre en cause ? Personne ne le sait, mais j’imagine qu’il y aurait peut-être moins de monde pour mettre dans la tête des croyants que se moquer de leur croyance c’est du blasphème ou de l'”islamophobie”.

    C’est tout ce que ceux qui défendent la liberté d’expression n’ont cessé de dire.

    Avant-hier avec une poignée d’enseignants et d’élèves participant à la remise du premier prix Samuel Paty à la Sorbonne, Mickaëlle Paty, la sœur de Samuel, se tenait debout pour nous rappeler notre devoir de faire front, notre devoir de mémoire, notre devoir de vérité, mais aussi notre devoir de convaincre tous ceux qui doutent qu’enseigner c’est expliquer, et non se taire… Et puisqu’il est encore nécessaire de le rappeler : qu’on ne met pas un “oui mais” après une décapitation.

    Samedi dernier Mickaëlle Paty a rappelé dans un discours -qu’il faut lire, relire et diffuser- que les caricatures sont là pour montrer qu’on peut ne pas être d’accord avec telle personne, telle opinion politique ou religieuse et qu’en défendant ce principe, Samuel Paty donnait à ses élève la possibilité de comprendre que la laïcité permet de croire et de ne pas croire, et, dans les deux cas, “sans pression”.

    Contrairement à ce qui a été dit par quelques irresponsables, il n’y a que deux élèves sur soixante, (trois si l’on compte l’élève absente) … à s’être sentis blessés par le cours de Samuel Paty.

    Alors franchement, chacun est libre d’assouvir ses pulsions misérabilistes ou sa condescendance maladive en leur accordant toute l’attention qu’ils souhaitent, mais il n’est pas acceptable de le faire en sacrifiant nos principes les plus fondamentaux.

    C’est pour cette raison qu’il est plus que temps que chacun comprenne la nécessité de se tenir debout. »


    <Mot du jour sans numéro>

  • Mercredi 19 octobre 2022

     Nous avons changé de monde, nous n’habitons plus sur la même terre. »
    Bruno Latour

    Bruno Latour qui est mort le 9 octobre était devenu un des grands penseurs de l’écologie.

    Aborder ses textes et son œuvre m’a souvent paru très ardu.

    Mais ARTE a produit une série d’entretiens avec le journaliste Nicolas Truong qui me semble très accessible et que j’ai commencée à visionner avec beaucoup d’intérêt.

    Chaque entretien dure environ treize minutes et l’ensemble de ces entretiens se sont tenus en octobre 2021, un an avant son décès..

    Voici la page sur laquelle se trouve l’ensemble de cette série : <Entretien avec Bruno Latour>

    Ces vidéos resteront accessibles jusqu’au 31/12/2024.

    Aujourd’hui, je voudrais partager le premier de ces entretiens : <Nous avons changé de monde>.

    Nicolas Truong le présente ainsi :

    « Vous êtes sociologue et anthropologue des techniques mais vous êtes avant tout profondément philosophe »t

    Et le journaliste l’interroge sur ce constat que Bruno Latour a formulé :

    « Nous avons changé de monde, nous n’habitons plus sur la même terre. »

    Et Bruno Latour explique que nous sommes dans une situation politique, écologique extrêmement dure pour tout le monde et que nous sommes très affectés par ce ressenti.

    « La question est même de savoir ce qu’est le progrès, l’abondance, toutes ces questions qui sont liées à un monde dans lequel nous étions jusqu’à récemment. »

    Quel était donc ce monde ancien :

    « C’était un monde qui était organisé autour du principe que les choses n’avaient pas de puissance d’agir. »

    Et il prend l’exemple de Galilée qui étudie un plan incliné sur lequel des boules de billard roulent et peut en déduire la Loi de la chute des corps encore appelé la Loi de la gravité :

    On était ainsi habitué à décrire le monde avec des choses de ce type.

    Une boule de billard n’a pas de pouvoir d’agir, elle obéit à des lois qui entrainent la manière dont elle se comporte quand elle est placée dans une situation précise.

    Ces lois sont calculables et la Science avec un S majuscule les découvre.

    Et Bruno Latour affirme que les hommes regardaient le monde à travers ces Lois.

    A ce stade, je me permets d’objecter que dans le monde des milliards de gens regardent le monde à travers leurs croyances, leur foi et religion.

    Toutefois pour ceux qui ont déclenché le mouvement du progrès industriel, de l’abondance et de la société de consommation, l’analyse de Bruno Latour me semble pertinente.

    Ce monde est régi par des Lois et a su accueillir la vie et le monde des humains, sur la planète terre.

    Avec mes mots je dirais qu’il oppose la Science objective des Lois physiques, biologiques, chimiques qui constituent l’explication « vraie » du monde à la subjectivité du vivant.

    Il parle pour décrire cette perception du « monde moderne » celui qui est apparu à partir du XVIIème siècle, le siècle des Lumières qui est parvenu à extraire l’explication du monde des récits mythiques et religieux.

    Selon lui c’est l’ancien monde.

    Ce n’est pas que ce monde n’existe pas, n’a pas sa pertinence. Mais selon Bruno Latour ce n’est pas ce qui est essentiel à notre vie et même à notre survie.

    En prenant simplement l’expérience du COVID ou du changement climatique une autre vision du monde apparait :

    « Le monde est fait de vivants. Et on découvre de plus en plus avec les sciences de la terre, l’analyse de la biodiversité que c’est plutôt le monde du vivant qui constitue le fond métaphysique du monde dans lequel on est. »

    Le monde dans lequel nous sommes, dans lequel nous devons « atterrir » :

    « C’est plutôt un monde de virus et de bactéries. Car les virus et les bactéries sont les gros opérateurs qui ont transformés la terre, qui l’ont rendue habitable. Ce sont eux qui ont rendu possible l’atmosphère dans laquelle nous nous trouvons assez à l’aise avec de l’oxygène qui nous permet de respirer. […] cela change la consistance du monde dans lequel on est. Vous êtes dans un monde de vivants qui sont tous en train de muter, de se développer […] »

    Et il rappelle que nous sommes couverts de virus et de bactéries dont la plupart nous sont très bénéfiques. C’est un monde d’échange entre vivants, dans lequel nous devons trouver notre place et dans lequel nous ne savons pas immédiatement si le virus qui interagit avec nous est un ami ou un ennemi.

    Ce changement de la perception du monde a conduit aussi les scientifiques à étudier le « microbiote humain » sans lequel, il ne nous serait pas possible de vivre. Cette vision qui montre notre dépendance à l’égard des autres vivants :

    « Les sciences de la terre d’aujourd’hui, on peut parler d’une nouvelle révolution scientifique, montrent que les conditions d’existence dans lesquelles nous nous trouvons, les conditions atmosphériques, les conditions d’alimentation, de température, sont elles mêmes, le produit involontaires de ces vivants »

    On étudie aussi les champignons, les lichens, l’extraordinaire résilience et coopération des arbres.

    Si on prend simplement le sujet du gaz qui nous est indispensable pour vivre : l’oxygène. Ce gaz est produit par d’autres espèces vivantes qui absorbent en partie le gaz carbonique que nous rejetons.

    Et ce qui se passe c’est que nous avons créé une civilisation technologique qui surproduit plus que le monde des vivants est capable d’absorber et qui détruit aussi une partie de ce monde qui nous est indispensable.

    C’est la prise de conscience de notre dépendance à l’égard des autres espèces vivantes qui est le paradigme de ce changement de monde.

    Mais il reste des gens qui continuent à s’attacher à la perception ancienne :

    « Un monde d’objet calculable et surtout appropriable par un système de production qui nous apporte l’abondance et le confort.»

    C’est ainsi que Bruno Latour présente la prise de conscience écologique.

    Il reste optimiste dans cet entretien que je vous invite à regarder : <Nous avons changé de monde>.

    Pour compléter ce propos, vous pouvez écouter cette <chronique> que vient de me signaler Daniel que je remercie et qui tente de démontrer notre lien irréfragable avec le monde vivant de la terre. Il s’agit de la chronique « Le Pourquoi du comment : science » d’Étienne Klein du lundi 17 octobre et qui est diffusé sur France Culture, chaque jour à 16:52.

    <1724>

  • Mardi 18 octobre 2022

    « Pause (Où atterrir ? Bruno Latour) »
    Jour sans mot du jour nouveau

    Plusieurs mots du jour ont été consacrés à Bruno Latour qui vient de décéder le 9 octobre 2022. :

    Le premier fut celui du <8 février 2019> dans lequel je reprenais cette question vertigineuse qu’il posait : Où atterrir ?

    Et en effet, s’il n’existe pas de planète, de terre, de sol, de territoire pour y loger le Globe de la globalisation vers lequel tous les pays prétendent se diriger, pour vivre tous comme des américains, il s’agit d’atterrir. C’est-à-dire prendre en compte les contraintes et les ressources dont on dispose.
    <Mot du jour sans numéro>

  • Lundi 17 octobre 2022

    « La nature, ça n’existe pas. »
    Philippe Descola

    Philippe Descola est un anthropologue, disciple de Claude Levi Strauss. Il est né en 1949.

    Je l’avais évoqué lors du confinement en renvoyant vers une page de Radio France. C’était le mot du jour du <22 avril 2020>:

    Il a été l’invité du Grand Face à Face du samedi 15 octobre 2022, interrogé par Ali Baddou, Natacha Polony et Gilles Finchelstein.

    C’était en raison de son actualité : il vient de publier un livre avec Alessandro Pignocchi : « Ethnographies des mondes à venir » paru le 23/09/2022.

    Seuil présente cet ouvrage ainsi :

    « Au cours d’une conversation très libre, Alessandro Pignocchi, auteur de BD écologiste, invite Philippe Descola, professeur au Collège de France, à refaire le monde. Si l’on veut enrayer la catastrophe écologique en cours, il va falloir, nous dit-on, changer de fond en comble nos relations à la nature, aux milieux de vie ou encore aux vivants non-humains. Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Dans quels projets de société cette nécessaire transformation peut-elle s’inscrire ? Et quels sont les leviers d’action pour la faire advenir ? En puisant son inspiration dans les données anthropologiques, les luttes territoriales et les combats autochtones, ce livre esquisse la perspective d’une société hybride qui verrait s’articuler des structures étatiques et des territoires autonomes dans un foisonnement hétérogène de modes d’organisation sociale, de manières d’habiter et de cohabiter.

    Des planches de BD, en contrepoint de ce dialogue vif, nous tendent un miroir drôlissime de notre société malade en convoquant un anthropologue jivaro, des mésanges punks ou des hommes politiques nomades et anthropophages en quête de métamorphoses. »

    J’ai trouvé cet entretien très intéressant et j’ai d’ailleurs tenté d’acheter le livre dans ma librairie habituelle, mais elle avait vendu tous les exemplaires disponibles.

    Cet entretien vous pouvez l’écouter en version audio, à partir de la 24ème minute : <Le Grand Face à face>

    Ou en version vidéo à partir de la 27ème minute : <Le Grand Face à Face>

    Il avait également été invité par « La tête au carré » du 4 octobre de Matthieu Vidard. Dans cette émission il était accompagné d’Alessandro Pignocchi.

    Jeune étudiant, dans les années 1970, il était parti au fin fond de l’Amazonie, entre l’Équateur et le Pérou, à la découverte du peuple des « Achuars ». Il y a passé trois ans en immersion puis y a fait plusieurs séjours.

    Dans l’émission, il revient plusieurs fois sur cette expérience et surtout sur l’évolution de sa conception des relations entre les humains et les non humains.

    L’anthropologue avait déjà développé ces idées et donné les mêmes exemples dans une interview du 1er février 2020 à « REPORTERRE » : <Philippe Descola : « La nature, ça n’existe pas.»>

    Je dois dire quelques mots sur ce site et son fondateur qui est aussi l’interviewer de Philippe Descola.

    Ce site « REPORTERRE » a été créé en 2007 par le journaliste du « Monde » Hervé Kempf et a pour sous-titre « Le quotidien de l’Ecologie ».

    Ce site en ligne est en accès libre, sans publicité et il est financé par les dons de ses lecteurs

    Hervé Kempf avait quitté le quotidien Le Monde en 2013, estimant que ce journal ne prenait pas assez en compte les défis écologiques. Il s’était notamment vu opposé un refus répété de la direction du journal de le laisser réaliser des reportages sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

    Il s’agit d’un très long article, le site estime à 25 minutes le temps de lecture.

    Dans cet article il explique pourquoi il considère que la nature n’existe pas :

    «  « La nature a-t-elle une conscience ? » : cela renvoie à des interprétations romantiques parce que la nature est une abstraction.
    La nature, je n’ai cessé de le montrer au fil des trente dernières années : la nature, cela n’existe pas.
    La nature est un concept, une abstraction. C’est une façon d’établir une distance entre les humains et les non- humains qui est née par une série de processus, de décantations successives de la rencontre de la philosophie grecque et de la transcendance des monothéismes, et qui a pris sa forme définitive avec la révolution scientifique.
    La nature est un dispositif métaphysique, que l’Occident et les Européens ont inventé pour mettre en avant la distanciation des humains vis-à-vis du monde, un monde qui devenait alors un système de ressources, un domaine à explorer dont on essaye de comprendre les lois. »

    Et il me semble très intéressant de savoir que le mot « nature » est un mot quasi exclusivement utilisé par les européens dans leurs langues :

    « Non seulement les Achuars n’ont pas de terme pour désigner la nature, mais c’est un terme quasiment introuvable ailleurs que dans les langues européennes, y compris dans les grandes civilisations japonaise et chinoise. »

    C’est donc une invention européenne : l’idée que l’homme est un animal à part et qu’il dispose pour son bien-être et son plaisir d’un environnement qu’il peut utiliser à sa guise. Cet environnement, l’européen l’appelle la nature comprenant les autres animaux, les végétaux et aussi les minéraux. :

    « Ce n’est pas une invention d’ailleurs -,cela s’est fait petit à petit. C’est une attention à des détails du monde qui a été amplifiée. Et cette attention a pour résultat que les dimensions physiques caractérisent les continuités. Effectivement les humains sont des animaux. Tandis que les dimensions morales et cognitives caractérisent les discontinuités : les humains sont réputés être des êtres tout à fait différents du reste des êtres organisés, en particulier du fait qu’ils ont la réflexivité. C’est quelque chose qui a été très bien thématisé au XVIIe siècle, avec le cogito cartésien : « Je pense donc je suis. » Je suis capable réflexivement de m’appréhender comme un être pensant. Et, en cela je suis complètement différent des autres existants. »

    Descartes qui écrit aussi sans son « Discours de la méthode » de se rendre maîtres et possesseurs de la nature :

    « Et qu’au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. »
    Descartes, Discours de la Méthode

    Mais les religions « du Livre » l’avait précédé et ont joué dans cette dérive un rôle essentiel :

    « Dieu les bénit et leur dit : Reproduisez-vous, devenez nombreux, remplissez la terre et soumettez-la ! Dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se déplace sur la terre ! »
    Genèse 1.28

    Et c’est ainsi que la culture occidentale s’est construite en séparant radicalement l’Homme, de la Nature.

    Et Descola revient sur les raisons de son intérêt pour les Achuars :

    « Pourquoi l’Amazonie m’intéressait-elle ? Parce qu’il y a dans les descriptions que l’on donne des rapports que les Indiens des basses terres d’Amérique du Sud entretiennent avec la forêt, une constante qu’on dénote dès les premiers chroniqueurs du XVIe siècle : d’une part, ces gens là n’ont pas d’existence sociale, ils sont ‘sans foi, ni loi sans roi’ comme on disait à l’époque. C’est-à-dire ils n’ont pas de religion, pas de temple, pas de ville, pas même de village quelquefois. Et en même temps, disait-on, ils sont suradaptés à la nature. J’emploie un terme moderne, mais l’idée est bien celle-là : ils seraient des sortes de prolongements de la nature. Buffon parlait au XVIIIe siècle « d’automates impuissants », d’« animaux du second rang », des termes dépréciatifs qui soulignaient cet aspect de suradaptation. Le naturaliste Humbold disait ainsi des Indiens Warao du delta de l’Orénoque qu’ils étaient comme des abeilles qui butinent le palmier –- en l’occurrence, un palmier Morisia fructosa, dont on extrait une fécule. Et donc ils vivraient de cela comme des insectes butineurs. »

    Mais Philippe Descola en tire une tout autre conclusion :

    « Les Achuars mettent l’accent – et d’autres peuples dans le monde – sur une continuité des intériorités, sur le fait qu’on peut déceler des intentions chez des non-humains qui permettent de les ranger avec les humains sur le plan moral et cognitif.

    Et il raconte une expérience qu’il a cité aussi dans l’émission de France Inter plus succinctement :

    « J’ai été en Amazonie avec l’idée que peut-être, s’ils n’avaient pas d’institutions sociales immédiatement visibles c’était parce qu’ils avaient étendu les limites de la société au-delà du monde des humains. […]

    Nous avons commencé à comprendre ce qui se passait lorsque nous avons discuté avec les gens de l’interprétation qu’ils donnaient à leurs rêves. C’est une société — on le retrouve dans bien des régions du monde — où, avant le lever du jour, les gens se réunissent autour du feu, il fait un peu frais, et où l’on discute des rêves de la nuit pour décider des choses que l’on va faire dans la journée. Une sorte « d’oniromancie. »

    L’oniromancie, c’est-à-dire l’interprétation des rêves. Il y avait des rêves étranges, dans lesquels des non-humains, des animaux, des plantes se présentaient sous forme humaine au rêveur pour déclarer des choses, des messages, des informations, se plaindre. Là, j’étais un peu perdu, parce qu’autant l’oniromancie est quelque chose de classique, autant l’idée qu’un singe ou qu’un plant de manioc va venir sous forme humaine pendant la nuit déclarer quelque chose au rêveur était inattendue. […]

    C’était donc une femme qui racontait son rêve et disait qu’une jeune femme était venue la voir pendant la nuit. L’idée du rêve est simple et classique dans de nombreuses cultures : l’âme se débarrasse des contraintes corporelles, et entretient des rapports avec d’autres âmes qui sont également libérées des contraintes corporelles et s’expriment dans une langue universelle. Celle-ci permet donc de franchir les barrières de la communication qui rendent difficile pour une femme de parler à un plant de manioc.

    Donc, la jeune femme venue la visiter lui avait dit : « Voilà, tu as cherché à m’empoisonner » « Comment ? Pourquoi ? » Et elle répondait : « Parce que tu m’as plantée très près d’une plante toxique ». Celle-ci est le barbasco, une plante utilisée dans la région pour modifier la tension superficielle de l’eau et priver les poissons d’oxygène. Elle n’a pas d’effet sur la rivière à long terme mais elle asphyxie les poissons, et c’est d’ailleurs une plante qu’on utilise pour se suicider. La jeune femme disait : « Tu m’as planté tout près de cette plante. Et, tu as cherché à m’empoisonner. » Pourquoi disait-elle cela ? Parce qu’elle apparaissait sous une forme humaine, parce que les plantes et les animaux se voient comme des humains. Et lorsqu’ils viennent nous parler, ils adoptent une forme humaine pour communiquer avec nous. »

    Et quand Hervé Kempff le relance en envisageant que la femme avait l’intuition d’avoir mal agi et que son rêve est une conséquence de cette intuition : :

    « Je ne sais pas. On peut supposer qu’en effet, elle avait soupçonné qu’elle avait planté ses plants de manioc trop près de ses plants de barbasco. Et que c’est apparu sous la forme d’un rêve. En tout cas, ce genre de rêve met la puce à l’oreille puisque les non-humains y paraissent comme des sujets analogues aux humains, en mesure de communiquer avec eux. »

    Je ne peux pas citer tout ce long article que vous pouvez aller lire.

    A une question d’Hervé Kempff il répond qu’il rêve aussi mais pas comme les achuars car :

    « On ne devient pas animiste comme ça. »

    En conclusion il dit comme son grand ami Bruno Latour qui vient de mourir :

    « [Il faut] Inventer des formes alternatives d’habiter la Terre, des formes alternatives de s’organiser entre humains et d’entretenir des relations avec les non-humains. Je reprends la formule de Gramsci, « le pessimisme de la lucidité et l’optimisme de la volonté ». Moi, je dirais « le pessimisme du scientifique et l’optimisme de la volonté »

    Je redonne les différents liens :

    <1723>

  • Jeudi 13 octobre 2022

    « Pause »
    Jour sans mot du jour

    Le mot du jour reviendra lundi 17 octobre 2022

    <Mot du jour sans numéro>

  • Mercredi 12 octobre 2022

    « Négocier avec le diable. »
    Pierre Hazan

    Pierre Hazan, est suisse, il a été un temps journaliste puis s’est tourné vers le rôle de médiateur sur des lieux de conflits et de guerre. Il a été présent sur la guerre en Yougoslavie, au Rwanda, au Soudan et sur de nombreux autres lieux où les humains s’affrontaient et se massacraient.

    Aujourd’hui il est conseiller senior auprès du Centre pour le Dialogue Humanitaire dont le siège est à Genève et qui est l’une des principales organisations actives dans la médiation des conflits armés. Il a conseillé des organisations internationales, des gouvernements et des groupes armés sur notamment les questions de justice, d’amnistie, de réparations, de commissions vérité, de disparations forcées et de droit pénal international et de droits de l’homme.

    Pierre Hazan a aussi travaillé au Haut-Commissariat de l’ONU pour les droits de l’homme et a collaboré avec les Nations unies dans les Balkans.

    Parallèlement, en juin 2015, Pierre Hazan a fondé justiceinfo.net, un média de la Fondation Hirondelle, dédié à la gestion des violences politiques dans les sociétés en transition. Il fut aussi commissaire de l’exposition Guerre et Paix (octobre 2019-mars 2020) qui s’est tenue à la Fondation Martin Bodmer organisée en partenariat avec les Nations unies et le Comité international de la Croix-Rouge.

    C’est ce qu’on apprend sur le site qui lui est consacré : https://pierrehazan.com/biographie/

    Il est invité sur beaucoup de plateaux de media et fait l’objet d’entretien dans les journaux, à cause du conflit d’agression de la Russie à l’égard de l’Ukraine et aussi parce qu’il vient de faire paraître en septembre 2022, un livre qui a pour titre : « Négocier avec le diable, la médiation dans les conflits armés  »

    C’est un homme de terrain, ce qu’il dit ne vient pas d’une réflexion conceptuelle mais de son expérience.

    Pour ma part je l’ai écouté avec beaucoup d’attention et d’intérêt sur le site Internet « Thinkerview » que j’ai évoqué plusieurs fois et que j’apprécie particulièrement parce qu’il ne se centre que sur l’invité et le laisse s’exprimer pour aller au bout de ses idées.

    Cela a bien sûr pour conséquence que l’émission dure un peu plus longtemps. Dans ce cas particulier 1h37 : <Faut-il accepter de négocier avec le diable ?>

    Pierre Hazan souligne que nous vivons dans un monde toujours plus chaotique dans lequel l’Occident n’est plus hégémonique. Il parle aussi des dérives de la « guerre contre le terrorisme » à la suite des attentats du 11 septembre.

    Avec beaucoup de prudence, de doute, il parle de la nécessité, malgré tout, de la médiation, même avec son pire ennemi.

    Il donne comme exemple la médiation qui a permis à l’Ukraine de recommencer à exporter des céréales, cen qui a eu pour conséquence de sauver des gens de la famine et de permettre à l’Ukraine d’obtenir des ressources.

    La négociation a permis aussi d’échanger des prisonniers russes et ukrainiens.

    Il a rapporté que même avec Daech il a été possible de négocier, notamment pour faire passer de l’aide humanitaire pour secourir des populations en grande difficulté.

    <Le Monde> présente son livre ainsi :

    « Peut-on parler avec des groupes terroristes au risque de les légitimer ? Tenter d’arrêter un carnage peut-il justifier de discuter avec des régimes criminels ? A partir de quand la négociation devient-elle un alibi à la non-action ? Ce sont les éternels dilemmes de la médiation dans la quête de la paix ; souvent, le choix n’est pas entre le bien et le mal mais entre le mauvais et le pire. « Depuis longtemps, j’ai abandonné le confort de l’éthique de conviction, ce luxe d’être cohérent avec soi-même, pour assumer l’éthique de responsabilité », écrit Pierre Hazan, évoquant « une éthique de la responsabilité tournée vers l’efficacité qui encourage le compromis et le pragmatisme, selon les aléas de l’action et au nom de la finalité recherchée. »

    Il montre que si on se bloque sur une vision qui prétend n’accepter aucun compromis et avoir pour seul but d’éradiquer « le mal », on refusera tout dialogue avec des auteurs de crimes de guerre et des organisations « terroristes » Et dans ce cas ce sont les populations qui paient le prix de cette impossibilité de médiation.

    L’enjeu d’une médiation n’est pas de choisir ses interlocuteurs, mais de déterminer si le dialogue ou la négociation peut soulager des populations en souffrance.

    Il évoque aussi Cicéron et la désastreuse affaire de Libye dans laquelle les anglais et les français aidés des américains vont outrepasser le mandat de l’ONU, ce que Poutine et les chinois ne pardonneront jamais aux occidentaux.

    Il revient aussi sur ces deux points dans un entretien avec Pascal Boniface <4 questions à Pierre Hazan>

    D’abord Cicéron :

    « Cicéron parlait des pirates comme « les ennemis du genre humain ». À toutes les périodes, il y a eu la tentation d’isoler, voire d’éradiquer ceux qui représentent le mal. Dans l’après-guerre froide, après le génocide au Rwanda (1994) et les massacres de Srebrenica (1995), la figure du mal a été représentée par les criminels de guerre. Après les attentats du 11 septembre 2001, ce furent « les terroristes ». Le fait est que la lutte antiterroriste a montré ses limites, et les États-Unis ont signé un accord de paix avec les talibans après 20 ans de guerre et d’innombrables morts. Le traité de paix en Bosnie-Herzégovine a été possible parce qu’à cette époque, le chef de l’État serbe n’était pas encore inculpé. La justice doit passer. Mais elle doit être articulée avec la recherche de la paix. »

    Ensuite la Libye :

    « Le moment de bascule, c’est le moment où symboliquement se termine la Pax Americana avec l’intervention en Libye en 2011. L’intervention de l’OTAN en Libye a été justifiée par une résolution des Nations unies au nom de « la responsabilité de protéger » les populations civiles. La Russie et la Chine avaient accepté à l’époque de s’abstenir. Elles ont eu le sentiment d’avoir été trompées, puisque l’intervention occidentale s’est soldée par un changement de régime (chute de Mouammar Kadhafi). À partir de ce moment-là, alors que la révolte commence en Syrie et que la répression sera impitoyablement sanglante, la Russie va s’opposer à toute intervention de la justice pénale internationale, de la responsabilité de protéger, des mécanismes des droits de l’homme en Syrie, jugeant que ce sont des instruments contrôlés par les Occidentaux. »

    Et il parle aussi de la limite de la Justice Internationale, la Cour pénale internationale, n’ayant pour l’instant que juger des responsables africains. La justice pour les criminels de guerres dans les Balkans ayant été traité par un Tribunal spécifique pour l’ex Yougoslavie :

    « Il y a une soif inextinguible de justice au sein de sociétés qui ont été violentées et où de terribles crimes ont été commis. Comment ne pas comprendre cette exigence de dignité et de justice en vue d’un vivre ensemble pacifié ? Malheureusement, la morale est trop souvent instrumentalisée à des fins politiques. Il en est de même de la justice internationale, dont le principe moral est ô combien important, mais dont l’application est trop souvent sélective. La création de la Cour pénale internationale (CPI) avait suscité un immense espoir dans une grande partie du monde, mais hors de l’Occident, elle a généré un sentiment de frustration, estimant que la Cour fonctionne sur le principe de deux poids, deux mesures. »

    Et dans l’entretien passionnant sur Thinkerview, il rapporte un échange incroyable avec l’ancien ministre des affaires étrangères de François Mitterrand : Roland Dumas.

    Cet épisode, il le raconte aussi dans un article de Libération : « Il faut parler avec des criminels de guerre y compris quand ça tue. »

    « Je me souviens d’une interview avec Roland Dumas. Je vais le voir avec une incroyable naïveté. Je lui dis : «Vous êtes l’homme de la révolution judiciaire des années 90. C’est vous qui portez la résolution 808 et 827 [au Conseil de sécurité qui fonde le TPIY, ndlr]. Elle engendre, une année plus tard, la résolution 955 qui crée le TPIR [tribunal pénal international pour le Rwanda, ndlr]».
    Et là, il me fixe, avec un regard ironique et me dit :
    « Mon problème était très différent. Je craignais que Mitterrand et moi, soyons un jour accusés de complicité pour les crimes de guerre commis par les Serbes de Bosnie. Alors quand Robert Badinter est venu avec son idée un peu idéaliste de tribunal, je me suis dit que c’était formidable parce que, d’un côté, on aurait une épée de Damoclès pour effrayer les auteurs de crimes de guerre et, de l’autre, une sorte de bouclier juridique.»
    Je n’en croyais pas mes oreilles.
    C’est pour ça que la France ne collaborait pas avec le TPIY. Il a fallu attendre Jacques Chirac pour qu’elle le fasse. J’étais étonné du cynisme par lequel la justice pénale internationale était née. Je me suis dit qu’après l’os humanitaire, on jetait un os juridique pour calmer les opinions publiques. Parce que la question de fond qui se posait à l’époque en ex-Yougoslavie, c’était intervenir ou ne pas intervenir. Il y avait la peur des représailles, ou que ça dégénère avec une implication plus importante. »

    Et il finit cet article avec ce conseil pour le conflit russo-ukrainien :

    «  Nous sommes aujourd’hui face à des défis globaux qui demandent une responsabilité maximale à chacun. Vouloir fermer des fenêtres de dialogue me semble extraordinairement dangereux. Aujourd’hui, des voix se manifestent – la présidente de la Commission européenne semble le souhaiter– pour inculper Vladimir Poutine. Si on le fait, on risque de se fermer des portes dans le processus de négociation qui devra forcément avoir lieu un jour. »

    Je finirai par un autre extrait de l’entretien Thinkerview :

    Quand l’animateur lui demande de parler de ce qu’il a vu de pire sur les théâtres de guerre. Il dit son embarras et refuse de faire un palmarès.

    Il évoque rapidement un lieu de massacre dans les Balkans et aussi un lieu du génocide au Rwanda où il sentait l’odeur de mort.

    Et il ajoute :

    « Il faut voir l’étincelle de vie en chacun de nous.
    Il faut réfléchir, comment vivre.
    Comment avoir du plaisir, comment reconstruire.
    Comment faire avec, comment avec ce qui s’est passé.
    Comment réapprendre à être des hommes et des femmes.
    Réapprendre à être soi.
    Réapprendre à aimer, tout simplement.
    Et je crois que c’est sur ça qu’il faut regarder ! »


    <1722>

  • Mardi 11 octobre 2022

    « Une ivresse extatique de la destruction. »
    Pierre-Henri Castel

    J’avais déjà parlé de ce livre lors du mot du jour du 3 avril 2020, en plein confinement.

    Dans « Le mal qui vient » Pierre-Henri Castel se place dans le cadre du défi climatique et évoque l’hypothèse que l’humanité ne parvienne pas à surmonter ce défi.

    Il examine cette situation en se centrant sur ceux qui par esprit de jouissance, voudront se livrer à ce qu’il appelle une « ivresse extatique de la destruction » : « plus la fin sera certaine, donc proche, plus la dernière jouissance qui nous restera sera la jouissance du Mal ».

    Et pour éclairer cette hypothèse historiquement, il évoque ce qui s’est passé dans les derniers mois du nazisme.

    Ce livre et cette réflexion m’est venue lors de mes mots du jour autour du destin de la famille d’Anne Frank.

    Parce que revenons sur le calendrier.

    Anne Frank et sa famille seront emmenés au camp d’Auschwitz le 3 septembre 1944.

    C’est écrit dans tous les articles concernant Anne Frank, c’est le dernier convoi vers les camps d’extermination partant des Pays Bas.

    Mais quelle est la situation de l’Allemagne nazie à cette date ?

    • Le 31 janvier 1943, l’armée allemande s’est rendue à Stalingrad.
    • En septembre 1944, l’armée rouge a fait reculer la Wehrmacht jusqu’à la Bulgarie et continue vers les frontières de l’Allemagne
    • Les Alliés ont débarqué en Sicile le 10 juillet 1943, Rome a été libérée du joug allemand le 4 juin 1944, la Toscane est libre en août 1944, l’Italie s’est retournée contre l’Allemagne.
    • Les alliés ont débarqué sur les côtes de Normandie, le 6 juin 1944
    • Paris est libéré depuis le 25 aout 1944
    • Le 15 août, des troupes américaines et françaises ont débarqué en Provence

    L’Allemagne est encerclée, ses armées reculent partout.

    Ils préparent bien un dernier sursaut dans les Ardennes à Noël 1944, sursaut qui échouera.

    Leurs armées sont décimées, ils sont devant des puissances disposant d’un armement supérieur et d’un nombre de soldats valides largement supérieur.

    Et ils s’obstinent à perpétuer le génocide juif, alors que la raison devrait les inciter vers une tout autre voie.

    Parce que ceux qui savent qu’ils vont perdre devraient éviter d’aggraver leur cas et leurs crimes, ils savent qu’ils auront des comptes à rendre après la défaite. D’ailleurs, ils tenteront de cacher, sans y arriver, la barbarie des camps.

    Et ceux qui croient encore que la défaite n’est pas inéluctable, devraient consacrer toutes leurs forces, leur énergie à empêcher les armées alliées de continuer à avancer vers l’Allemagne.

    Mais il n’y a pas de rationalité dans ces hommes, que de la haine, une « ivresse extatique de la destruction »

    <1721>

  • Lundi 10 octobre 2022

    « Personne n’est épargné, vieillards, enfants, bébés, femmes enceintes, malades, tout, tout est entraîné dans ce voyage vers la mort. »
    Journal d’Anne Frank, le 19 novembre 1942

    Anne Frank a tenu son journal du 12 juin 1942 au 1er août 1944. Jusqu’au printemps de 1944, elle écrivait ses lettres pour elle, seule, jusqu’au moment où elle entendit à la radio de Londres, le ministre de l’Education du gouvernement néerlandais en exil dire qu’après la guerre, il faudrait rassembler et publier tout ce qui pourrait témoigner des souffrances du peuple néerlandais sous l’occupation allemande. Il citait à titre d’exemple, entre autres, les journaux intimes. Frappée par ce discours, Anne Frank décida de publier un livre après la guerre, son journal devant servir de base.

    Elle commença à remanier et à réécrire celui-ci, corrigeant et supprimant les passages qu’elle considérait comme peu intéressants, ou en ajoutant d’autres puisés dans sa mémoire.

    Parallèlement, elle continuait à tenir son journal originel, celui qui est appelé « version a » par opposition à la « version b » la deuxième réécrite.

    Après que les nazis aient pillé l’annexe et dérobé tous les objets de valeurs, les feuillets du journal se trouvaient par terre, car ces criminels avaient vidé la serviette qui les contenait pour utiliser celle-ci afin d’emporter les objets volés.

    C’est alors qu’une des salariés d’Otto Frank qui n’avait pas été arrêtée et avait aidé les huit juifs cachés pendant toute la période, Miep Gies a ramassé soigneusement tous les feuillets et les a rangés, sans les lire, avec pour objectif de les rendre à Anne à son retour.

    Après la guerre, quand il était devenu certain qu’Anne avait été victime de la barbarie nazi, Miep Gies remit ce document au seul survivant, le père d’Anne.

    Otto Frank lut alors le journal de sa fille, document qu’il n’avait jamais lu jusqu’alors.

    Il en fut bouleversé, il se rendit compte qu’il connaissait peu sa fille.

    Après mure réflexion, Otto Frank, décida d’exaucer le vœu de sa fille dont la volonté d’être publiée était évidente, en faisant éditer ce qui sera la première édition de ce journal.

    A cette fin, il composa à partir des deux versions d’Anne l’originale (version a) et la retouchée (version b) une troisième abrégée dite version c.

    C’est ce que l’on apprend dans le livre de Lola Lafon « Quand tu écouteras cette chanson », mais aussi l’Avant-Propos de l’édition publiée en juillet 2019 qui se veut une version exhaustive et non édulcorée de ce qu’a écrit Anne Frank.

    Anne Frank a écrit sur tous les thèmes, de l’intime à la politique en passant par la philosophie.

    Jeune adolescente elle entrait en conflit avec ses parents, elle s’éveillait à la sexualité.

    Le 24 mars 1944, elle décrit les organes sexuels féminins :

    « Devant, quand on est debout, on ne voit rien que des poils, entre les jambes se trouvent en fait des espèces de petits coussinets, des choses molles, elles aussi couvertes de poils, qui se touchent quand on se met debout, à ce moment-là, on ne peut pas voir ce qui se trouve à l’intérieur. Quand on s’assoit, elles se séparent, et dedans c’est très rouge, vilain et charnu. Dans la partie supérieure, entre les grandes lèvres, en haut, il y a un repli de peau qui, si l’on observe mieux, est une sorte de petite poche, c’est le clitoris. Puis il y a les petites lèvres, elles se touchent, elles aussi, et forment comme un repli. Quand elles s’ouvrent, on trouve à l’intérieur un petit bout de chair, pas plus grand que l’extrémité de mon pouce. Le haut de ce bout de chair est poreux, il comporte différents trous et de là sort l’urine. Le bas semble n’être que de la peau, mais pourtant c’est là que se trouve le vagin. Des replis de peau le recouvrent complètement, on a beaucoup de mal à le dénicher. Le trou en dessous est si minuscule que je n’arrive presque pas à m’imaginer comment un homme peut y entrer, et encore moins comment un enfant entier peut en sortir. On arrive tout juste à faire entrer l’index dans ce trou, et non sans mal. Voilà tout, et pourtant cela joue un si grand rôle !” »
    Page 247 de la version de 2019

    Il était inimaginable de publier un tel texte en 1947, il a donc fallu retirer ce texte et bien d’autres sur ce sujet comme celui dans lequel elle parle des prostituées.

    Dans un autre feuillet, elle souligne l’importance d’avoir une éducation sexuelle complète et de qualité et ne pas comprendre pourquoi les adultes étaient si discrets sur le sujet.

    Un district scolaire du Texas a d’ailleurs retiré le journal de ses bibliothèques en raison de « son caractère pornographique »

    Anne Frank dépeint la vie dans l’annexe avec un œil analytique, un sens du détail étonnant. Elle donne à voir, dans l’enfermement, des moments de partage, d’ennui, de rêverie, mais aussi d’agacement.

    Elle écrit sans détour sa relation conflictuelle avec sa mère et décrit sa proximité avec son père.

    Par exemple elle écrit le dimanche 2 janvier 1944 :

    « Ce matin, comme je n’avais rien à faire j’ai feuilleté mon journal et suis tombée à plusieurs reprises sur des lettres traitant du sujet « maman » en des termes tellement violents que j’en étais choquée et me suis demandé : « Anne, c’est vraiment toi qui as parlé de haine, oh Anne Comment as-tu pu ? »

    Elle développe, un long paragraphe de justifications, d’explications, de regret et dit sa conviction qu’elle n’agirait plus ainsi un an après et fini par cette conclusion :

    « Je tranquillise ma conscience en me disant qu’il vaut mieux laisser les injures sur le papier plutôt que d’obliger maman à les porter dans son cœur. »
    Page 167 de la version de 2019

    Lola Lafon nous apprend que pour ne pas froisser les allemands, les passages trop violents à leur égard seront aussi retirés.

    Mais les pires, à son sens, sont les américains qui veulent faire un film du journal. Mais à cette époque, la révolution des séries de H.BO. n’a pas encore eu lieu. Les artistes et producteurs américains ne veulent pas d’histoires trop tristes. Il y a certes des bons et des méchants, mais les méchants ne peuvent pas gagner et il faut que la fin ouvre sur l’espoir.

    En plus, il faut que tout le monde puisse s’identifier au héros, le film américain considère donc pertinent de gommer la judaïcité d’Anne et de sa famille.

    Lola Lafon signale le témoignage d’un spectateur américain qui a la fin du film trouvait qu’il était vraiment très beau et que finalement il n’exprimait aucune haine à l’égard des nazis.

    Puis on racontera le journal sur la base de ce film.

    On citera avec exaltation cette phrase écrite par Anne Frank :

    « Malgré tout, je crois encore à la bonté innée des hommes. »

    Et il est vrai qu’elle a écrit cette phrase le 15 juillet 1944, 20 jours avant d’être arrêtée et que son calvaire ne commence.

    Mais cette phrase est suivie de ce passage :

    « Il m’est absolument impossible de tout construire sur une base de mort, de misère et de confusion. Je vois comment le monde se transforme lentement en un désert, j’entends plus fort, toujours plus fort, le grondement du tonnerre qui approche et nous tuera, nous aussi, je ressens la souffrance de millions de personnes et pourtant, quand je regarde le ciel, je pense que tout finira par s’arranger, que toute cette cruauté aura une fin, que le calme et la paix reviendront régner sur le monde »
    Page 346 de la version de 2019

    Lucidité de la tragédie, de la cruauté et aussi qu’il existera un monde après les nazis. Lucidité de son sort : Le tonnerre, autrement dit la violence, nous tuera ! »

    Et Lola Lafon renvoie vers un autre texte qui n’est pas passé à la postérité probablement parce qu’il n’était pas en phase avec la Anne Frank qui croyait à « la bonté innée des hommes ».

    Elle a écrit, le mercredi 3 mai 1944 :

    « On ne me fera jamais croire que la guerre n’est provoquée que par les grands hommes, les gouvernants et les capitalistes, oh non, les petites gens aime la faire au moins autant sinon les peuples se seraient révoltés contre elle depuis longtemps ! Il y a tout simplement chez les hommes un besoin de frapper à mort, d’assassiner de s’enivrer de violence, et tant que l’humanité toute entière, sans exception, n’aura pas subi une grande métamorphose, la guerre fera rage, tout ce qui a été construit, cultivé, tout ce qui s’est développé sera tranché et anéanti, pour recommencer ensuite. »
    Page 293 de la version de 2019

    C’est une adolescente de 15 ans qui écrit cela.

    Et alors on ne savait pas ce qui se passait pour les juifs ?

    Voici ce qu’écrivait Anne Frank le 9 octobre 1942 :

    « Aujourd’hui, je n’ai que des nouvelles tristes et déprimantes à rapporter. Nos nombreux amis et connaissances juifs sont emmenés en masse. La Gestapo les traite très durement et les transporte dans des wagons à bestiaux jusqu’à Westerbork, le grand camp de Drenthe où ils envoient tous les Juifs. Miep nous a parlé de quelqu’un qui avait réussi à s’échapper de Westerbork. Westerbork doit être épouvantable. On ne donne presque rien à manger aux gens, encore moins à boire. Ils n’ont de l’eau qu’une heure par jour, et il n’y a qu’un WC et un lavabo pour plusieurs milliers de personnes. Ils dorment tous ensemble, hommes, femmes et enfants ; les femmes et les enfants ont souvent la tête rasée.
    Il est presque impossible de fuir. […]
    S’il se passe déjà des choses aussi affreuses en Hollande, qu’est ce qui les attend dans les régions lointaines et barbares où on les envoie ?
    Nous supposons que la plupart se font massacrer. La radio anglaise parle d’asphyxie par les gaz ; C’est peut-être la méthode d’élimination la plus rapide
    . »
    Page 62 de la version de 2019

    Et le 19 novembre 1942, elle écrivait :

    « Souvent le soir, à la nuit tombée, je vois marcher ces colonnes de braves gens innocents, avec des enfants en larmes, marcher sans arrêt, sous le commandement de quelques-uns de ces types, qui les frappent et les maltraitent jusqu’à les faire tomber d’épuisement, ou presque. Personne n’est épargné, vieillards, enfants, bébés, femmes enceintes, malades, tout, tout est entraîné dans ce voyage vers la mort.
    […] et tout cela, pour la seule raison qu’ils sont juifs »
    Page 77 de la version de 2019

    Ainsi parlait Anne Frank en 1942 !

    Lola Lafon entre peu à peu dans la réalité de cette œuvre, car il s’agit d’une œuvre littéraire qu’Anne Frank a corrigé, réécrit dans le but de la faire publier.

    Avant d’aller à Amsterdam, Lola Lafon a eu une rencontre vidéo avec Laureen Nussbaum qui est une écrivaine et linguiste, spécialiste du journal d’Anne Frank et qui a connu personnellement la famille Frank :

    « Ce soir-là, elle me conseille de m’intéresser aux quatrièmes de couverture des différentes éditions du Journal. Elles sont extrêmement révélatrices. Ce que les éditeurs ont choisi de mettre en avant et, aussi, les mots qu’ils ont évité d’employer.

    Dans les années 1960, par exemple, me dit Laureen, on pouvait lire ceci : « Lire le Journal c’est assister à l’épanouissement d’une adolescente face à l’adversité. »

    A sa parution aux États-Unis, on demande à Eleanor Roosevelt d’ajouter un avant-propos. Elle y loue « la noblesse de l’esprit humain », s’émeut de ce « message d’espoir ». Le Journal est « un monument » élevé à tous ceux qui « œuvrent pour la paix ».

    Pas une allusion au régime nazi, ni à la shoah. Pas un mot sur les conditions dans lesquelles Anne Frank a écrit.

    « Anne n’œuvrait pas pour la paix. Elle gagnait du temps sur la mort en écrivant sa vie. […] Anne Frank désirait être lue, pas vénérée. […]

    Elle n’est pas une sainte. Pas un symbole. Son journal est l’œuvre d’une jeune fille victime d’un génocide, perpétré dans l’indifférence absolue de tous ceux qui savaient.
    N’utilisez pas le mot espoir, s’il vous plait. »
    Pages 26 et 27 « Quand tu écouteras cette chanson de Lola Lafon

    Le livre de Lola Lafon nous incite à lire, dans sa dernière version, le Monument écrit par une jeune adolescente qui essaye d’arracher des moments de vie et de réflexions dans le monde terrifiant, horrible et bestial créé par des humains ignobles et monstrueux.

    <1720>

  • Vendredi 7 octobre 2022

    « Quand tu écouteras cette chanson. »
    Lola Lafon

    L’éditeur Stock a eu l’idée d’une collection « Ma nuit au musée » dans laquelle des écrivains s’enferment dans un musée pendant une nuit et tentent de trouver l’inspiration d’un livre.

    Kamel Daoud, Leila Slimani, Enki Bilal parmi d’autres se sont soumis à cette expérience qui peut être un peu déstabilisante. Surtout quand ce musée est le musée d’Anne Frank à Amsterdam.

    Lola Lafon a fait ce choix quand Stock lui a proposé d’entrer dans cette collection. Elle a dit qu’elle ne pouvait pas imaginer un autre musée que celui-ci.

    Elle en a tiré un livre « Quand tu écouteras cette chanson »

    Elle avait été invitée par Olivier Gesbert dans son émission du 8 septembre 2022 : <Lola Lafon et le journal d’Anne Frank >

    Émission qu’on peut aussi voir <en vidéo>

    Et cet échange, que j’ai entendu, m’a donné envie de lire ce livre.

    Ce que j’ai fait lors de notre semaine de repos en Bourgogne.

    Et j’ai aimé ce livre, parce que Lola Lafon trouve le ton juste et les mots qui captent notre attention pour parler de cette histoire terrible, bouleversante et y mettre une part d’elle-même.

    Le journal d’Anne Frank, tout le monde croit le connaître, le livre de Lola Lafon nous montre que probablement nous sommes passés à côté de l’essentiel.

    C’est l’œuvre d’une jeune fille de 14 ans « Sidérante de maturité » dit Lola Lafon dans l’entretien qu’elle a réalisé avec la Librairie Mollat (21:16)

    La famille d’Otto Frank et de son épouse Edith était une famille aisée allemande vivant à Francfort. Mais en 1933, après l’arrivée des nazis au pouvoir et les premières persécutions, la famille Frank quitte Francfort pour Amsterdam.

    Il y a deux filles dans cette famille : Margot née en 1926 et Anne née en 1929.

    Otto Frank crée une entreprise Opekta, vendant du gélifiant pour confiture, à Amsterdam.

    Les sœurs deviennent de vrai néerlandaises et vont à l’école Montesori à Amsterdam. Le journal est écrit en néerlandais.

    Mais la guerre les rattrape et Amsterdam est occupée par les Allemands à partir de mai 1940.

    Otto Frank se déleste de son entreprise au profit de ses salariés qui lui sont fidèles pour ne pas être exproprié par les nazis.

    Et c’est avec la complicité de ces salariés que la famille Frank va se cacher à partir de juillet 1942 dans un appartement secret aménagé dans l’« Annexe » de l’entreprise Opekta dont l’entrée est dissimulée par une bibliothèque.

    C’est là que la famille et quatre amis juifs vécurent vingt-cinq mois confinés dans moins de 40 m², sans vue vers l’extérieur, simplement une fenêtre du grenier leur permettant de voir le ciel.

    Le 4 août 1944, les nazis arrivent à l’usine et sans hésiter déplacent la bibliothèque et entrent dans l’annexe arrêter tout le monde.

    Ils ont été trahis et on ne sait toujours pas par qui.

    Ils seront déportés le 3 septembre 1944 vers le centre d’extermination d’Auschwitz-Birkenau puis les filles seront transférées au camp de Bergen-Belsen. Les conditions d’hygiène étant catastrophiques, une épidémie de typhus y éclata durant l’hiver 1944-1945, coûtant la vie à des milliers de prisonniers. D’abord Margot puis Anne mourront de cette maladie. La date de leur mort se situe entre fin février et début mars. Les corps des deux jeunes filles se trouvent sans doute dans la fosse commune de Bergen Belsen. Le camp est libéré, peu de semaines après, par des troupes britanniques le 15 avril 1945 et Amsterdam est libérée le 5 mai 1945. La mère est morte à Auschwitz, le 6 janvier 1945. Seul le père Otto Frank reviendra.

    Des huit personnes qui se cachèrent dans l’Annexe, il est le seul qui a survécu à l’arrestation et au génocide. Otto Frank consacrera le restant de sa vie au journal de sa fille, et à la lutte contre la discrimination et les préjugés. Il participera activement à l’ouverture de l’annexe en tant que musée en 1960. En 1963, Otto Frank crée le Fonds Anne Frank de Bâle, une association qui détient les droits d’auteur sur les écrits d’Anne Frank y administre l’héritage de la famille Frank. Les revenus sont consacrés à des œuvres caritatives dans le monde entier, par exemple la lutte contre les discriminations et l’injustice, les droits des femmes et des enfants. Il décédera en 1980 à 91 ans.

    Lola Lafon a perdu aussi une grande partie de sa famille dans la Shoah victime du génocide.

    Sa mère est roumaine et son père est français. Elle grandit en Bulgarie puis en Roumanie jusqu’à ses 12 ans.

    Sa grand-mère lui a donné très jeune une médaille représentant Anne Frank avec ces seuls mots :

    « N’oublie jamais »

    Longtemps, elle a voulu ignorer cette partie de son histoire :

    « Je suis celle qui, depuis l’adolescence, détourne les yeux. Je ne voulais pas entendre, pas savoir. (…) Ce que je souhaitais, c’était faire partie d’une famille normale. »

    Mais elle était arrivé à ce moment de sa vie où le moment de renouer le lien était venu.

    Et c’est ainsi que :

    « Le 18 août 2021, j’ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l’Annexe.
    Je suis venue en éprouver l’espace car on ne peut éprouver le temps. On ne peut pas se représenter la lourdeur des heures, l’épaisseur des semaines. Comment imaginer vingt-cinq mois de vie cachés à huit dans ces pièces exiguës ?
    Alors, toute la nuit, j’irai d’une pièce à l’autre.
    J’irai de la chambre de ses parents à la salle de bains, du grenier à la petite salle commune, je compterai les pas dont Anne Frank disposait, si peu de pas. »
    Quand tu écouteras cette chanson, Page 11

    Elle y restera dix heures

    La première chose qu’elle voit dans l’annexe est un cadre. Elle croit qu’il est vide, l’appartement est plongé dans une pénombre. Elle s’approche. Elle voit un morceau de papier peint. Elle s’approche encore et elle aperçoit des petits traits au crayon à papier : Otto Frank traçait au mur l’évolution de la taille de ses filles, Margot et Anne. Lola Lafon parle de preuve de vie. Elles vivaient, elles grandissaient dans cette annexe.

    Avant d’aller passer sa nuit au musée, des collaboratrices du musée lui avait fait visiter l’appartement que la famille Frank a occupé avant d’aller se réfugier dans l’annexe.

    Elle décrit cette visite :

    « Nous déambulons de pièce en pièce, comme de futures acquéreuses. »

    Teresien qui montre l’appartement explique que l’appartement a été entièrement pillé en 1944 par les nazis et que l’équipe du musée a tenté à l’aide de photos de l’époque et de témoignages de connaissances de Frank qui avait fréquenté le lieu pendant que les Frank y avaient habité de remeubler et décorer à l’identique.

    L’écrivaine écrit alors ce texte que je trouve très inspiré :

    « Tout, ici se veut plus vrai que vrai tout est faux, sauf l’absence. Elle accable, c’est un bourdonnement obsédant, strident.
    L’appartement des Frank est le décor d’un drame sans acteurs, c’est un musée sans visiteurs. […]

    Tout dans la chambre d’Anne paraît en suspens, interrompu, le moindre objet semble attendre son retour. L’étroit lit aux draps soigneusement tirés. Les tiroirs entrouverts d’une commode. Le bois sombre d’un secrétaire sur lequel ont été disposés des feuillets vierges, des cahiers sur lesquels personne n’écrira. Anne Frank manque terriblement à sa chambre d’adolescente. »
    Page 63

    Dans l’annexe, elle aura beaucoup de mal à entrer dans la chambre d’Anne. On n’entre pas dans une chambre d’adolescente, dit-elle

    Elle recule chaque fois devant la porte. Elle devra bientôt quitter le musée : « Il était 6 heures du matin »

    Et à la fin des fins elle franchit le pas :

    « Sans doute semblais-je sereine quand j’ai poussé la porte de la chambre d’Anne Franck »

    Et dans cette chambre, un souvenir va resurgir dans sa mémoire.

    Souvenir qui explique le titre du livre et qui concerne une rencontre, à Bucarest où elle vivait alors.

    La rencontre d’un jeune garçon cambodgien de 15 ans.

    Son père était fonctionnaire à l’ambassade du Cambodge en Roumanie. Mais les dirigeants du Cambodge, les sinistres Khmers Rouges, ont donné l’ordre au père de rentrer dans son pays avec sa famille.

    Le jeune garçon qui était pensionnaire dans un lycée parisien a été obligé de rejoindre ses parents et il va passer quelques jours à Bucarest. Puis partira pour le Cambodge avec sa famille.

    Il enverra une dernière lettre postée à Pékin avant d’être victime d’un autre génocide, sur un autre continent

    A propos de ce livre « Le Monde » écrit : < Lola Lafon en tête-à-tête avec Anne Frank >

    « Et lorsqu’il est question d’en faire un musée, en 1960, le père d’Anne et de Margot Frank exige que l’appartement demeure dans cet état. « Qu’on en soit témoin, du vide, sans pouvoir s’y soustraire ; qu’on s’y confronte, énonce Lola Lafon. Ainsi, en sortant, on ne pourra pas dire : dans l’Annexe, je n’ai rien vu. On dira : dans l’Annexe, il n’y a rien, et ce rien, je l’ai vu. […]

    Regarder en face « ce qui jamais ne sera comblé » : Quand tu écouteras cette chanson est le récit troublant, saisissant, de cette redoutable confrontation. Dix heures passées seule par l’écrivaine, le 18 août 2021, dans les 40 mètres carrés de l’Annexe, le plus vide de tous les musées. Les règles fixées à l’entrée sont strictes : pas de photo, interdit de boire comme de manger, mais aussi de sus­pendre son sac à une poignée de porte. Comme un écho des contraintes imposées à la famille Frank. Vingt-cinq mois durant, les huit habitants dissimulés au cœur de la ville qui les traquait se sont astreints au silence. »

    Lola Lafon fut aussi l’invité de la première Grande Librairie d’Augustin Trapenard : <Lola Lafon sur les traces d’Anne Frank>

    Il me semble que cet entretien vidéo de 48 minutes proposé par la Librairie Mollat est encore plus intéressant : <Quand tu écouteras cette chanson>

    <1719>

  • Jeudi 6 octobre 2022

    « Pause (Victor Klemperer.) »
    Jour sans mot du jour nouveau

    Il y a quasi 2 ans, <Le 18 octobre 2019>, j’avais mobilisé, pour le mot du jour, le philologue allemand Victor Klemperer : « Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir.»

    Il me semble qu’après le dernier discours de Poutine qui réinvente sans cesse l’histoire et qui est capable de dire sérieusement les vérités alternatives les plus insensées, il traite désormais les occidentaux de pratiquer la religion du satanisme, il faut réinterroger le travail de Victor Klemperer qui a analysé et dévoilé la langue du régime nazi.

    Sa grande œuvre parue en 1947 est le livre « LTI – Lingua Tertii Imperii » dont le sous-titre est « Notizbuch eines Philologen » ce qui traduit donne : « Langue du Troisième Reich : carnet d’un philologue ».

    Car, avant les grandes catastrophes il y a d’abord des mots, des mots qui forment un récit. Un récit qu’un grand nombre s’approprie, pour finalement analyser et voir le monde à travers ce récit, avec des mots choisis soigneusement et qui sont les vecteurs des idéologies et des croyances qui doivent embraser l’esprit des peuples.

    Le livre qu’il nomme lui-même « LTI » a été écrit peu à peu, car Klemperer a construit son analyse au fur à mesure des années, entre 1933 et décembre 1945, dans le journal qu’il tient. C’est un essai sur la manipulation du langage par la propagande nazie depuis son apparition sur la scène politique jusqu’à sa chute.

    <Mot du jour du 18 octobre 2019>

    <Mot du jour sans numéro>

  • Mercredi 5 octobre 2022

    « Le bus du Paris Saint Germain fait 3600 km à vide pour transporter les joueurs sur une distance de moins de 50 km. »
    Ce n’est pas une question de confort, mais de sécurité.

    Une nouvelle histoire de football…

    Vous savez que l’entraineur du Paris SG a été vilipendé parce qu’il a répondu, à un journaliste qui lui demandait pourquoi les joueurs ne prenaient pas le train plutôt que l’avion pour faire un match à 200 km de Paris, qu’une réflexion était en cours pour examiner la possibilité de voyager en char à voile.

    C’était un mot d’humour…

    En pratique, les joueurs de PSG se déplacent en avion et en bus.

    Aujourd’hui, le PSG affronte le club de Benfica à Lisbonne.

    Il faut donc se rendre à Lisbonne à 1460 km de Paris (à vol d’oiseau), Google annonce qu’il faut 16h43 en voiture pour faire le trajet d’environ 1800 km.

    Les joueurs sont donc allés à Lisbonne en avion.

    Dans ce contexte, je crois que même les écologistes se rendront à l’évidence, l’avion est la solution appropriée.

    Mais, dans la pratique, le transport des joueurs du PSG est une affaire d’une grande complexité.

    L’avion les amène à l’aéroport de Lisbonne !

    Mais l’hôtel des joueurs et le stade de Luz ne sont pas à côté de l’aéroport de Lisbonne.

    Pour l’hôtel, je ne sais pas où Messi et ses collègues vont dormir, mais l’aéroport et le stade nous savons où ils se trouvent.

    Je peux donc dire que la distance entre les deux se situent entre 6,6 et 7,9 km.

    Pour ces trajets il faut un bus.

    Un bus loué à Lisbonne ?

    Que nenni !

    Il faut le bus du PSG !


    Le bus du PSG n’est pas à Lisbonne, il est à Paris.

    Il faut donc que le Bus se rende à Lisbonne pour aller chercher les joueurs du PSG à l’aéroport, les promène à Lisbonne, puis revienne à Paris.

    Le bus du PSG fait donc 3600 km à vide pour promener l’équipe sur une cinquantaine de km, si l’hôtel ne se trouve pas dans la proximité immédiate du stade. Sinon les trajets seraient plus proche des 20 km.

    C’est le Parisien qui donne cette nouvelle : <Pourquoi le car parisien a fait 1800 km à vide jusqu’à Lisbonne ?>

    Article repris par <La Voix du Nord> :

    « Nos confrères du Parisien révèlent que le bus officiel du club a parcouru 1 800 kilomètres à vide entre Paris et Lisbonne… pour transporter les joueurs de l’aéroport à leur hôtel, puis au stade.

    Concrètement, précise le journal, le bus a relié Lisbonne depuis Paris, afin de réceptionner les joueurs, qui ont pris l’avion, à l’aéroport, pour pouvoir les emmener jusqu’à leur hôtel, puis les transférer de l’hôtel au Stade de la Luz où ils jouent, ce mercredi, leur troisième match de Ligue des champions. Jeudi, ce sera rebelote, mais dans l’autre sens : le bus remontera à vide jusqu’à son garage en Ile-de-France.

    C’est un nouveau non-sens écologique pour le PSG. Mais, une raison se cache derrière ce choix : selon le Parisien, les dirigeants du club ont pris cette décision pour une question de sécurité, « critère numéro 1 qui oriente les décideurs au moment de valider le choix du moyen de transport », écrivent nos confrères.

    Le journal précise que le bus rouge et bleu n’est pas vraiment un bus comme les autres : le véhicule, fournit par la société Man depuis 2013, possède des vitres blindées et a été conçu pour protéger les joueurs en cas d’attaque plus ou moins violente, à savoir des jets de projectiles de supporters, ou pour un attentat, à l’image de ce qui s’est produit en 2017, où bus du Borussia Dortmund avait été visé par trois explosions de bombes lors de son trajet entre l’hôtel et le quart de finale de Ligue des champions. Depuis cet événement, les grands clubs prennent leurs précautions et sont équipés de ce type de bus.

    Le bus du PSG, effectue environ 25 voyages par saison, précisent nos confrères : généralement pour emmener les joueurs de l’aéroport à l’hôtel puis au stade, mais aussi parfois pour de courts déplacements en France, à l’image du déplacement des Parisiens pour le match contre Lille le 21 août. Dans ce bus, au top du confort, se trouvent des sièges inclinables à 45 degrés sur lesquels se trouvent des écrans reliés à des consoles de jeux ou à la télé satellite et un coin cuisine, pour se faire réchauffer des repas.

    Il n’est, en revanche, pas présent partout. Il fait l’impasse sur les voyages les plus lointains et ne se rend pas dans les lieux où il pourrait provoquer les supporters adverses, comme à Marseille, par exemple, disent encore nos confrères. Le PSG n’est d’ailleurs pas le seul à faire voyager des bus à vide : le bus de l’Olympique de Marseille a, lui aussi, fait le voyage à vide lors de la première journée de Ligue des champions, pour se rendre à son match face à Tottenham. Il a été aperçu au péage de Setques, juste à côté de Saint-Omer, en direction de Calais.

    Comme le rappelle le quotidien national : depuis plusieurs mois, les déplacements du club en train sont systématiquement mis en concurrence avec l’avion et le bus sur quatre critères principaux, à savoir : la sécurité, le trouble à l’ordre public, le temps de trajet global et le coût. Mais, jusqu’à présent, la SNCF n’a jamais remporté les faveurs du club, notamment en raison des critères de sécurité et de l’impossibilité après certains matchs d’effectuer les trajets retour dans la nuit, élément indispensable à la récupération des joueurs. »

    Voilà, vous êtes ainsi pleinement informés !

    Il reste des questions : ne peut-on pas trouver un bus blindé à Lisbonne ? Comment font les parisiens à Marseille quand ils se privent de leur bus pour ne pas provoquer ?

    Mais l’information essentielle est qu’il faut un bus blindé pour emmener les joueurs de football au stade !

    Parce que c’est dangereux d’aller au stade de football !

    Voilà ce que notre société a créé à partir d’un jeu qui est devenu une affaire financière, une affaire de violence, un affrontement entre bandes rivales.

    <1718>

  • Mardi 4 octobre 2022

    « Le voile n’est pas la liberté. »
    Kamel Daoud

    C’est une histoire largement diffusée par les médias. Mahsa Amini jeune femme iranienne, kurde, a été arrêtée par la police des mœurs parce qu’elle portait mal son voile selon cette milice d’un autre âge. La jeune femme, originaire de Saqqez, une ville de la province du Kurdistan iranien, était en voyage dans la capitale iranienne avec sa famille lorsqu’elle a été interpellée sous les yeux de son frère. Sur les réseaux sociaux, on la voit malmenée pendant son arrestation, jetée à terre et finalement poussée contre sa volonté dans un véhicule de la police des mœurs. Après trois jours de détention, elle meurt le 16 septembre, à l’hôpital où finalement les policiers l’ont emmenée.

    Depuis des manifestations ont éclaté, des femmes brûlent leur voile, coupent leurs cheveux en signe de protestation de cet asservissement qu’elles subissent dans la république islamique d’Iran…

    <France 24>, citait le 29 septembre, l’agence officielle iranienne Fars qui affirme qu’environ 60 personnes ont été tuées depuis le début des protestations dans l’ensemble du pays et que 1200 personnes ont été arrêtées.

    En principe nous savons quand les voies officielles donnent ce type de chiffres, ils sont toujours minorés.

    Et bien sûr les autorités iraniennes accusent les puissances étrangères d’avoir fomenté le mouvement. « L’ennemi a visé l’unité nationale et veut dresser les gens les uns contre les autres », a ainsi prévenu le président ultraconservateur Ebrahim Raïssi mercredi, jugeant « le chaos inacceptable » et accusant les États-Unis, l’ennemi juré de la République islamique, d’attiser la contestation. Elles en profitent aussi pour stigmatiser la minorité Kurde iranienne et celles des pays limitrophes.

    <TV5> a interrogé la sociologue Mahnaz Shirali, née en 1965 à Téhéran :

    « La mort de Mahsha Amini, cette jeune fille de 22 ans, a déclenché de vives réactions des Iraniens. Mais en même temps, il y a toute une série d’autres facteurs qui se sont accumulés. Sa mort a servi d’étincelle pour faire exploser la rage des Iraniens qui étaient inquiets depuis très longtemps à cause de pleins de problèmes d’injustice, des problèmes économiques et une mauvaise gestion du pays.

    [ Danser puis brûler son hijab, ou se couper les cheveux, et partager ces vidéos sur les réseaux sociaux] fait parler. Ça montre que ça attire l’attention. C’est ça le symbolisme : quelque chose qui n’a peut-être pas beaucoup de sens mais qui attire les regards. Ça transmet des sentiments extrêmement forts.

    […] Elles en ont ras-le-bol. Elles ne peuvent plus supporter de ne pas être libre, les contraintes qu’on leur impose au nom de l’Islam et de la loi islamique. »

    Il y a peu de chance que le régime iranien et ses sbires cèdent devant la pression de la rue. Ils ont le monopole des armes pour tuer et forcer, le fanatisme du croyant pour se rassurer et évacuer les remords qui pourraient surgir devant tant de violence, les avantages économiques de l’élite religieuse et des forces de sécurité à préserver.

    Alors cela repose la question du voile de manière plus générale.

    Le voile pourrait être instrument d’asservissement en Iran et symbole de liberté en France ?

    Certain(e)s l’affirment.

    Et la député LFI Daniele Obono fustige même celles et ceux qui pourraient tenter d’y voir une contradiction et pousser « l’indécence » jusqu’à vouloir s’appuyer sur le combat des femmes iraniennes pour poser des questions sur l’association de «la liberté» et «du voile» en France.

    Elle a cette insulte morbide : « mangez vos morts » …

    D’autres, sans aller dans ces excès de langage, essayent aussi de surmonter et de résoudre cette contradiction. Sandrine Rousseau qui est de tous les combats est de celui-là aussi.

    Je lis toujours avec beaucoup d’intérêt et de plaisir intellectuel l’écrivain algérien Kamel Daoud.

    Il m’est arrivé plusieurs fois d’écrire des mots du jour en le mettant en exergue :

    Et je l’ai cité longuement dans le mot du jour consacré à ce livre étonnant d’Ibn Tufayl : « Le Vivant, fils de l’Éveillé »

    Kamel Daoud a écrit un éditorial, le 3 octobre 2022 dans « Le Point » : <Le voile est un féminicide> :

    « Le voile tue. La démocratie, non. La mort de Mahsa Amini et la vague de protestations qu’elle provoque en Iran rappelle une fois de plus cette évidence. […]

    « Cela suffit à tout dire et à tout démentir. Ce n’est pas un événement rare, d’ailleurs. Une femme harcelée, violentée, menacée, tuée ou excommuniée parce qu’elle refuse de porter le voile est chose banale dans le monde dit « musulman ». Une femme qui ose arracher ce linceul confessionnel, c’est encore pire que l’apostasie, c’est le choix de la pornographie, de la prostitution, de la désobéissance civile. Il faut être femme dans ces territoires pour le vivre, en mourir et sourire de celles et ceux qui, en Occident, prétendent que le voile est une liberté. »

    Kamel Daoud a vu arriver en Algérie, la vague islamiste, le voile qui couvrait toujours davantage les femmes et il se cite à la troisième personne :

    « Parce que, vivant dans le « Sud confessionnel », il sait que ce morceau d’étoffe est une prison et une condamnation à mourir une vie entière, un enterrement vertical, le renoncement acclamé à son propre corps. Il sait ce que cela coûte pour les femmes et combien elles le paient. Et écouter l’« engineering de l’islamisme » occidental présenter cela comme une liberté et un choix et rameuter les opinions et les médias pour geindre sur une présumée confiscation de droits provoque la rage. »

    Son opinion est claire et tranchante : .

    « Un bout de territoire cédé, pas un bout de tissu choisi. Il faut donc rappeler les évidences coûteuses : le voile n’est pas une liberté, mais sa fin. Le voile n’est pas un épiderme qui souffre d’un racisme adverse, mais un uniforme d’enrôlement. Le voile n’est pas le signe d’une identité communautaire, mais un renoncement à toute identité et communauté au bénéfice d’un refus de vivre ensemble, de partager, de s’ouvrir, de s’enrichir mutuellement. Le voile n’est pas une « origine », mais un effacement de soi, des siens, de ses généalogies au bénéfice d’un recrutement. Le voile n’est pas seulement un petit foulard, c’est surtout ainsi qu’il commence. Le refuser, le combattre, n’est pas un acte néocolonial, l’ordre d’un colon. Le dévoilement n’est pas une violence de colonisation reconduite, et l’accepter, c’est concéder le territoire et le corps de ses propres citoyens au bénéfice d’une autre loi. Le voile a bénéficié de la « culpabilité » en Occident, de l’intelligence de l’islamiste occidental expert en droits, ONG et architectures associatives. Il a profité de l’histoire mal soldée des colonisations et recycle les procès en arnaques rusées, les dénis en séparatismes. Il a surtout recyclé le communautaire en confessionnel et le confessionnel en stratégie de conquête. »

    Et il pose ce constat : « aujourd’hui, au sud du monde, une femme non voilée est une prostituée et, au nord, une femme non voilée est une traître à sa culture, à ses ancêtres. »

    Et il me semble qu’il parle ensuite de certains politiques qu’il ne faut peut être pas appeler islamo-gauchiste mais plutôt islamo-naïf.

    « Et il s’en trouvera pour le défendre, naïfs ou fourbes, électoralistes ou populistes. »

    Et il finit par cette conclusion :

    « Mais qu’on arrête une femme en Iran, qu’on la torture, qu’elle meure à cause de ce « tissu » qui n’est qu’une camisole et tout reprend sens, s’ordonne selon ces évidences à qui on fait une guerre sournoise : le voile n’est pas la liberté, ni l’identité, ni un choix. Il est prétendu choix dans le pays qui a le respect des choix, c’est-à-dire des libertés, c’est-à-dire dans les démocraties. Dans les dictatures, il se montre pour ce qu’il est : un assassinat. Car on aura beau jouer sur les mots, le voile tue. La démocratie, non. Des Iraniennes auraient donné beaucoup pour venir vivre leur liberté en France. Pas pour y renoncer. »

    Je partage cet article.

    Je partage l’analyse et l’opinion de Kamel Daoud.

    La plupart des commentaires de cet article sont favorables. J’en ai cependant lu un portant une critique étrange qui semble nier qu’il est plus doux de vivre dans notre démocratie que dans la théocratie chiite :

    « Le voile tue. La démocratie, non.

    Kamel Daoud a choisi d’oublier toutes les morts au nom des valeurs de l’occident.
    Jusqu’à maintenant, par exemple, c’étaient les pouvoirs démocratiques uniquement qui ont lâché une arme nucléaire sur la population de deux grandes villes.
    Qu’apporte la démocratie ?
    À partir de 1789 la France a connu une myriade de régimes plus ou moins démocratiques.
    Monarchie absolue monarchie constitutionnelle, les 9 régimes de la 1ère République, 3 Empires, Restauration Monarchie, 100 Jours de Napoléon, 2ème Restauration, Monarchie de juillet, 4 Républiques de plus, La France Libre, Comité Française de la Libération, Groupement Provisoire de la République.
    et vous croyez que la démocratie venait avec ?
    Quelles sont les dates de suffrage universel, de la majorité à 18 ans, des droits des minorités nombreux ?
    Les vainqueurs des guerres portent la victoire des plus forts. Non des plus moraux  »

    Je me suis permis une réponse : « Simplement Merci de dire ces choses simples. Le voile n’est pas une liberté. Alors je ne crois pas qu’il faille autoritairement l’interdire, mais il faut plutôt être fier de nos valeurs et les défendre. A savoir la liberté, les contre-pouvoirs, l’état de droit, la volonté d’émancipation de l’individu, l’égalité des femmes et des hommes, le droit de penser et de croire différemment et surtout de ne pas croire. Bien sur l’Occident a commis des fautes et des crimes parfois. Cela étant, les autres civilisations n’en sont pas exemptes non plus. Reconnaître des erreurs ne doit pas nous dissuader de défendre la part belle de notre histoire et de notre manière de vivre en société.  »

    <1717>

  • Lundi 3 octobre 2022

    « Les Krafft […] ne sont plus vulcanologues, ils deviennent des artistes, qui entrainent les spectateurs […] dans un royaume à la beauté insolite »
    Werner Herzog à propos des images tournées par Katia et Maurice Krafft

    Werner Herzog, né en 1942 est un des plus grands cinéastes allemands.

    Ses films sont connus par tous les cinéphiles et notamment ses films avec Klaus Kinski :

    • 1972 : Aguirre, la colère de Dieu
    • 1979 : Nosferatu, fantôme de la nuit
    • 1979 : Woyzeck
    • 1982 : Fitzcarraldo
    • 1987 : Cobra Verde

    Mais il est aussi l’auteur de documentaires et particulièrement de documentaires sur les volcans : La soufrière (1977) et Au fin fond de la fournaise (2016).

    Sa dernière œuvre qu’ARTE vient de diffuser le samedi 1er Octobre est encore consacrée aux volcans, mais cette fois à travers les images, les vidéos qu’ont réalisées les époux Maurice Krafft et Katia Krafft-Conrad.

    Ils sont tous les deux nés en Alsace : Maurice Krafft, le 25 mars 1946 à Guebwiller (Haut-Rhin) et Katia Conrad le 17 avril 1942 à Soultz-(Haut-Rhin).

    Ils se rencontrent en 1966 pour ne plus jamais se quitter et parcourir le monde, sur les lieux où la terre rugit et les volcans déversent leur magma de manière fascinante et dangereuse pour tous ceux qui sont en proximité.

    Ils voudront s’approcher toujours au plus près pour filmer et photographier ces monstres fascinants et dévastateurs.

    Plusieurs fois, comme le montre le documentaire, ils échapperont de peu aux griffes de ces géants qu’ils sont allés contempler

    Ils sont morts ensemble, victimes de leur passion commune, emportés avec 41 autres personnes par une nuée ardente, les techniciens parlent de coulée pyroclastique, sur les flancs du mont Unzen au Japon le 3 juin 1991.

    Le choix des images et le commentaire que fait Werner Herzog magnifient le travail des époux Krafft, les images sont d’une beauté stupéfiante.

    Quelquefois Herzog laisse défiler le film, par exemple celui tourné à Hawaï, simplement accompagné de la messe en Si de Jean-Sébastien Bach à partir de 33:13.

    Werner Herzog introduit cette séquence :

    « Les Krafft ne cessent d’être captivés par ces puissantes et fascinantes éruptions de magma à la surface de la terre.

    Ils ne sont plus vulcanologues, ils deviennent des artistes, qui entrainent les spectateurs que nous sommes dans un royaume à la beauté insolite. Ils nous offrent un spectacle qui n’existent que dans les rêves.

    Ces images se suffisent à elles-mêmes nous ne pouvons que contempler. »

    Ce documentaire a pour nom « Au cœur des volcans, Requiem pour Katia et Maurice Krafft»

    ARTE le rediffusera dimanche 9 octobre à 07:00.

    Mais il peut être visionné en replay sur la chaîne <ICI> ou encore sur la chaîne Youtube d’Arte : <
    Requiem pour Katia et Maurice Krafft>

    <TELERAMA> commente :

    « Dans un documentaire contemplatif et habité, le cinéaste rappelle le destin hors du commun du couple Krafft, volcanologues et faiseurs d’images hors pair disparus en 1991 lors d’une éruption au Japon.

    Sur les photos, leurs bonnets rouges vissés sur le crâne leur donnent des airs de lutins défiant les crachats de montagnes turbulentes. Deux minuscules points rouges dans un théâtre de cendres et de fumées dont ils ne voulaient rater aucune des représentations. Au grand spectacle du magma, Katia et Maurice Krafft avaient pris un abonnement à vie. Vingt-cinq ans d’assiduité sans relâche à danser sur les volcans. Cent soixante-quinze éruptions guettées, filmées et photographiées au plus près des cratères, pour mieux partager, dans des dizaines de livres, de conférences ou d’émissions télé, leur passion de cette pyrotechnie jaillie des entrailles de la Terre.

    Trente et un ans après leur disparition sur les flancs du mont Unzen, au Japon, avalés par une de ces ravageuses coulées pyroclastiques qu’ils étaient venus filmer, Katia et Maurice Krafft, volcanologues unis par le mariage et la lave qui coulait dans leurs veines, crèvent […] l’écran en ce début d’automne. »

    Et <le Monde> écrit :

    « Cette fois, le cinéaste allemand recourt aux images des spécialistes moins pour retracer leur parcours scientifique que pour interroger leur nature. Et sa réponse est sans appel : le couple (surtout Maurice, qui tenait la caméra pendant que Katia photographiait) était des cinéastes, et sa production est comme un film sans début ni fin, fait de plans prodigieux, que chaque imagination peut agencer.

    On connaît les moteurs de celle de Werner Herzog : sa fascination pour les moments ultimes à l’approche de la mort, sa conscience aiguë de l’insignifiance de l’homme face au cosmos. [Il montre] une admiration inconditionnelle pour Katia et Maurice Krafft, qui ont toujours travaillé avec une conscience aiguë des risques qu’ils prenaient. Il remonte leurs images – les éruptions, mais aussi la désolation que les volcans répandent parmi les hommes – pour composer un poème qui laisse entière l’énigme que pose aux gens ordinaires le destin des vulcanologues alsaciens. »

    Le Monde évoque un autre documentaire récent sur le même sujet que je n’ai pas vu

    « Par une heureuse coïncidence, on pourra, sinon la résoudre, du moins avancer vers la solution, en découvrant Fire of Love, le très délicat documentaire que l’Américaine Sara Dosa a composé à partir du même matériau que Herzog, les images tournées et prises par le couple Krafft. La réalisatrice s’attache à superposer la passion amoureuse de Katia et Maurice Krafft (on pourrait presque croire que pour eux, l’humanité se résumait à leur couple) et leur passion pour les volcans, au point que la conclusion de leur odyssée tellurique, point d’orgue d’une tragédie chez Herzog, apparaît ici comme la culmination de l’intimité fusionnelle entre Maurice, Katia et les volcans. »

    En conclusion des images uniques de beauté et de violence.


    Quand on voit ces images, on se rend compte que lorsque la nature et la terre déclenchent de telles forces telluriques, homo sapiens redevient un animal fragile dont la seule issue est la fuite si elle reste possible.

    <1716>

  • Vendredi 23 septembre 2022

    « L’automne débute aujourd’hui. »
    Cette année, comme le plus souvent, l’automne débute le 23 septembre

    Moi je croyais que le plus souvent l’automne tombait le 21 septembre.

    C’est manifestement faux.

    Nous savons que le jour de l’automne est celui où la durée du jour et la durée de la nuit sont égales.

    Ce moment a lieu entre le 21 et le 24 septembre, mais le 21 septembre est très rare.

    Sur ce <site> qui donne la date des quatre saisons entre 1970 et 2037, soit 68 automnes, ce ne fut jamais le 21 septembre, ni le 24 d’ailleurs.

    25 fois cela tomba un 22 et 43 fois, comme cette année, le 23 septembre.

    <Le Figaro> nous apprend que la prochaine fois que l’équinoxe d’automne aura lieu un 21 septembre sera en… 2092 !

    <Ce site belge> affirme que l’automne ne serait jamais tombé un 21 septembre depuis l’instauration du calendrier grégorien qui a été mis en place progressivement à partir de 1582.

    Je ne sais pas pourquoi, l’idée que l’automne débute le 21 septembre s’est répandue.

    Le Figaro non plus :

    « Contrairement à une idée reçue, les saisons ne débutent pas toutes les 21 du mois. Pour l’automne, c’est même plutôt une chose rare […] »

    Et le journal explique :

    « Chaque année, le début de l’automne commence au moment exact de l’équinoxe d’automne, quand la ligne qui marque la limite entre le jour et la nuit à la surface de la planète passe par les deux pôles. La durée du jour y est donc égale à la durée de la nuit, partout sur Terre. Et en conséquence, lors de l’équinoxe, le soleil se lève exactement à l’est et se couche exactement à l’ouest.

    Mais pourquoi cet équinoxe ne tombe-t-il pas le même jour chaque année ?

    Premier paramètre, l’année peut durer 365 jours, ou 366 quand elle est bissextile. Cette variation entraîne donc un décalage dans les dates des saisons. »

    L’année correspond à la révolution de la Terre autour du Soleil qui s’effectue précisément en 365 jours 5h48 minutes et 45 secondes.

    « Le deuxième paramètre, c’est que la Terre ne décrit pas une orbite parfaitement circulaire autour de son étoile. Si c’était le cas, les saisons seraient de durées égales, et leur début pourrait se caler plus régulièrement sur le calendrier grégorien, qui a justement été conçu pour éviter que ces dates ne se décalent dans le temps.

    Mais voilà, l’orbite terrestre est un tout petit peu excentrique : ce n’est pas un cercle, mais une ellipse très légèrement allongée, avec une distance Terre-Soleil qui varie entre 147 et 152 millions de kilomètres. »

    Et le site belge apporte encore un troisième paramètre appelé « la précession des équinoxes. » ce qui signifie que la rotation de la Terre sur elle-même n’est pas parfaitement circulaire. En réalité, notre planète décrit un cône tous les 26 000 ans.

    Cette année la date d’entrée de l’automne a intéressé beaucoup de monde. Ainsi sur France Culture, Guillaume Erner a invité Florent Deleflie, astronome à l’Observatoire de Paris- PSL, chercheur à l’Institut de Mécanique Céleste et de Calcul des Ephémérides, le 21 septembre pour expliquer que la saison des « sanglots longs des violons… » commencerait 2 jours plus tard.

    < Pourquoi le début de l’automne ne commence-t-il jamais à la même date ?>

    Florent Deleflie a précisé que l’équinoxe d’automne qui marque le début de la saison automnale tombe cette année « le 23 septembre et pour ce qui concerne la France à 3h, 3 minutes du matin et 43,51 secondes », d’après l’astronome à l’Observatoire de Paris.

    Il s’git donc d’une position précise par rapport au soleil.

    Selon <Geo> :

    « Durant l’équinoxe, les deux hémisphères sont éclairés de la même façon, car le soleil est pile à la verticale au-dessus de l’équateur : en astronomie, il est dit que notre astre passe au Zénith, point d’intersection entre la verticale de l’équateur et la sphère céleste. »

    Cet article donne aussi des éléments sur les éléments symboliques de l’Automne

    « Le passage à l’automne est associé à des traditions et rites dans de nombreuses cultures à travers le monde. Moment de collecter une grande partie des récoltes avant les gelées de l’hiver, il a longtemps été célébré par les païens. Le « Mabon » nom celtique associé à cet équinoxe, s’accompagnait ainsi de festivités de gratitude. En Grande-Bretagne, c’est ce qui est appelé le « Harvest festival » habituellement fêté le dimanche de la pleine lune la plus proche de l’événement astronomique, mais la date diffère selon les célébrations locales.

    Durant les équinoxes d’automne et de printemps, des milliers de voyageurs se rassemblent par ailleurs sur les ruines mayas de Chichén Itzá (Yucatán, Mexique). Car sur la pyramide de Kukulcán à cette période exacte, un jeu d’ombre et de lumière se crée : il laisse apparaître un serpent, descendant ou montant les 364 marches de l’escalier (365 avec l’entrée du temple) que forme le monument.

    Aussi, le calendrier républicain mis en place le 6 octobre 1793 par les révolutionnaires (et utilisé jusqu’en 1805) avait fixé l’équinoxe d’automne comme premier jour de l’année. Car hasard du sort, l’institution de la République avait eu lieu ce jour même, le 22 septembre 1792 — ou plutôt, le 1er vendémiaire an I — au lendemain de l’abolition de la royauté. Mais il est supprimé par Napoléon Ier à son arrivée au pouvoir, qui revient au calendrier grégorien. ».

    Ce début d’automne correspond pour nous à une semaine de repos.

    Le mot du jour devrait revenir le 3 octobre.

    <1715>

  • Jeudi 22 septembre 2022

    « L’inceste n’est pas tabou, c’est le fait d’en parler qui est tabou. »
    Iris Brey

    L’inceste est un phénomène massif dans notre Société.
    Ce n’est que récemment que cette réalité a été dévoilée et que les personnes intègres qui veulent savoir, le savent.

    A la sortie du livre de Camille Kouchner, j’avais commis une série de mots du jour du <15 février 2021> jusqu’au <24 février 2021> avec au centre de cette série, le livre de Dorothée Dussy « Le berceau des dominations » qui vient enfin d’être rééditer.

    Ce livre fut une révélation pour beaucoup.

    Le 23 janvier 2021, le président de la République a annoncé la création d’une commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise)

    Rapidement cette Commission lançait un vaste appel à témoignages.

    Elle a reçu 6 414 témoignages reçus, elle vient de dresser le bilan des lourdes séquelles que présentent, encore à l’âge adulte, celles et ceux qui ont été victimes de violences sexuelles durant l’enfance.

    Un traumatisme qui continue d’affecter leur santé physique et mentale, ainsi que leur vie familiale, sexuelle et professionnelle. Le rapport livre également de nombreux chiffres sur le profil des victimes.

    On apprend que dans 25% des cas, les victimes avaient moins de 5 ans

    Dans l’immense majorité des cas (81%), l’agresseur est un membre de la famille : père, grand-frère, demi-frère, grand-père, cousin, oncle, beau-père

    Un ouvrage collectif <La culture de l’Inceste> vient de paraître.

    Sonia Devilliers, dans son émission : <L’invité de 9h10> avait invité Iris Brey et Juliet Drouar qui codirigeaient l’écriture de ce livre écrit par 14 thérapeutes, universitaires et militantes.

    Annie et moi avons été si marqué par cette émission que nous avons immédiatement acheté ce livre. C’est Annie qui a commencé à le lire et le trouve remarquable.

    Dans cette émission Iris Brey rappelle que Claude Levi-Strauss affirmait que l’inceste constituait un interdit, un tabou.

    Ce que ce grand homme disait était faux, totalement, radicalement faux.

    Ce qui est interdit c’est le mariage incestueux, c’est le mariage qui est un évènement public qui oblige à l’alliance de deux familles différentes, c’est-à-dire pratiquer l’exogamie et non l’endogamie.

    D’ailleurs Claude Levi-Strauss abordait cette question par le prisme des alliances entre familles , alors que Dorothée Dussy et les personnes qui étudient l’inceste aujourd’hui analyse ce crime sous le projecteur des violences sexuelles.

    Mais la relation sexuelle incestueuse, à l’intérieur de la famille, est tellement massive : 7 millions de victimes en France, que dire que cette pratique constitue un interdit, un tabou est un mensonge.

    Et Iris Brey a eu cette phrase qui révèle la vérité :

    « L’inceste n’est pas tabou, c’est le fait d’en parler qui est tabou »

    C’est ce qu’éclaire parfaitement le témoignage que vient de publier « L’Obs » le 21 septembre 2022 : « La libération de la parole et la résilience sont, à mon sens, de grandes arnaques »

    L’Obs a changé le nom de la victime et l’a appelé Nina. Nina s’est exprimée  en mai, devant la Ciivise et c’est après cette intervention que l’Obs l’a rencontrée.

    Nina a 42 ans, elle a été victime d’inceste.

    Voilà ce qu’elle a dit à l’Obs :

    « J’ai été victime d’inceste et j’ai parlé. En février dernier, quelques semaines après avoir assisté à une première réunion publique de la Ciivise à Paris, j’ai parlé pour la première fois à ma famille.
    En révélant l’inceste toujours tu, je l’ai simplement perdue. Ma famille a disparu.
    Au-delà des seuls agresseurs, les réactions de mes proches ont été les mêmes : déni, menaces de suicide, chantage affectif : “Tu te rends compte de ce que tu nous fais ?” Sans compter l’invitation “à passer à autre chose”…
    Comment faire famille avec eux désormais ?
    Comment gérer cet isolement et cette douleur supplémentaires ?
    Une seconde rencontre de la Ciivise était prévue à Paris en mai. J’y suis retournée, et cette fois, parce qu’il en allait de ma survie je crois, j’ai pris le micro pour témoigner tout haut.

    J’ai dit ce qui arrive quand, comme moi, on révèle l’inceste à 42 ans. J’ai dit les quarante ans de silence, l’amnésie traumatique, l’angoisse, les difficultés relationnelles…
    J’ai dit la déflagration, l’empêchement de vivre vraiment.
    A la manière d’une rescapée de guerre ayant déserté un terrain miné, j’ai rejoint ce soir-là, en réalité, tant d’autres gueules cassées, tant de femmes formidables devenues depuis des alliées.
    Elles m’ont dit les réactions de leurs proches, identiques à celles des miens quel que soit leur milieu social.
    Les mêmes mots de nos mères et de nos frères nous reprochant d’avoir “détruit la famille”, “regrettant notre absence” à telle ou telle fête de famille…
    Je ne suis plus dans la solitude de l’enfant incesté qui se tait. J’ai trouvé des alter ego.
    Nous nous comprenons dans notre chair, dans nos histoires, nos souvenirs traumatiques et leurs manifestations incongrues et implacables.
    Le simple bruit d’une porte de frigo qu’on referme, un parfum… et tout peut ressurgir.
    […]

    J’ai dit aussi ma frustration et mon ire. Parce qu’au fil des ans, je suis devenue cette victime résiliente tant souhaitée par moi-même dans un premier temps, et par l’ensemble de la société.
    Et j’en ressens à présent une grande insatisfaction et une colère immense.
    La libération de la parole et la résilience sont, à mon sens, de grandes arnaques.
    Une parole qui se libère ? Pour quoi faire si elle retombe comme un caillou qui ricoche sur la surface plane d’une eau limpide sans laisser la moindre trace ? On parle encore et encore, nos paroles s’entremêlent, et puis quoi ? Rien. C’est un désastre. Comme je l’ai dit ce soir-là à la Ciivise, cela me fait penser à un charnier de victimes qui se débattent avec leurs paroles et, en surplomb, les agresseurs, la société, la justice et l’Etat qui nous regardent tentant de sauver notre peau, notre santé mentale, notre intégrité. Quant à la résilience, elle ne doit pas et ne peut pas suffire à laver les agresseurs de leurs crimes sexuels. Ce serait trop simple.
    […]

    Que se passe-t-il pour une victime d’inceste une fois qu’elle a parlé ? Depuis ma prise de parole, non suivie d’une action en justice pour ma part, il ne s’est rien passé. J’ai cherché un nouveau thérapeute. Un psychiatre de 70 ans a évoqué mon narcissisme et mon sentiment de culpabilité, m’invitant à m’engager dans un long processus thérapeutique et balayant littéralement d’un revers de la main l’inceste dont j’ai été victime. Pour lui, ce n’était qu’un détail. Pour la première fois de ma vie, je me suis opposée à un professionnel de santé et j’ai pointé du doigt son incompétence et affirmé mon refus de me soumettre à une cure psychanalytique longue, onéreuse et inadaptée, dans laquelle la domination se (re) joue encore et encore, à plusieurs endroits.

    Je n’ai plus besoin de cela, j’ai besoin d’autre chose. Mais de quoi ?

    […] Le tabou est tel que tout est incomplet ou inexistant : la réponse de la justice, la réponse de la société, la réponse politique.

    Il y a quelques jours, un ouvrage majeur a paru. « La Culture de l’inceste », coordonné par l’autrice Iris Brey et l’art-thérapeute Juliet Drouar.
    Sa lecture, qui m’a donné le vertige, me hante et m’accompagne. L’essai me répète que mon parcours individuel n’a rien de honteux ni de singulier, que mon histoire est au cœur d’un système patriarcal bien rodé qui promeut et permet l’inceste.
    L’anthropologue Dorothée Dussy y explique aussi que l’inceste structure la société, qu’il est le socle des dominations patriarcales. A défaut de justice, nous cherchons collectivement du sens et des réponses. A défaut de tout ce qui n’existe pas encore.

    […] On souffre aujourd’hui toujours de l’inceste. On en meurt aussi. Depuis le début de l’année, la mort rôde dans le “grand club des victimes résilientes” que j’ai intégré. Une amie m’évoque le suicide de la fille d’un ami, cet été, violée par son oncle. Une autre, violée toute son enfance par son frère, se confronte à nouveau à ses souvenirs traumatiques et me confie aussi son envie de mourir. L’acteur Johann Cuny, sur les réseaux sociaux, témoigne lui aussi du suicide de sa sœur Adèle, victime d’inceste à 7 ans.
    Combien d’autres ? Depuis que j’ai libéré ma parole, je vois et je relève désormais l’impact des violences sexuelles commises dans l’enfance, dans la chair, le psychisme, durant toute une vie.
    […]

    J’ai été victime d’inceste et j’ai parlé. Mais le silence revient toujours, sans un bruit, recouvrir l’inceste.
    C’est un linceul déployé sur chacun de nos témoignages, aussi puissants soient-ils.
    Un linceul crasse jeté simultanément sur des milliers d’enfants qui ne seront pas protégés cette nuit du ou des membres de leur famille, incesteur(s), agresseur sexuel dominant, dont l’autorité fait foi.
    Qu’attendons-nous pour agir ? »

    Oui vraiment ce qui était tabou c’était d’en parler.

    Et aujourd’hui encore le déni est la réponse la plus fréquente et non l’écoute et l’accueil bienveillante de la parole, comme le montre ce témoignage !

    A voir aussi cette émission de Mediapart <L’inceste est partout> avec Iris Brey, Juliet Drouar et Dorothée Dussy. La basketteuse Paoline Ekambi est aussi venue apporter son témoignage.

    <1714>

  • Mercredi 21 septembre 2022

    « En général, les choses doivent avoir des limites. »
    Tamim ben Hamad Al Thani, émir du Qatar

    Le mot du jour de vendredi dernier mettait l’accent sur la nécessité d’écouter.

    On cite souvent Goethe :

    « Parler est un besoin, écouter est un art ! »

    Hier, le mot du jour fut une attaque frontale contre le Qatar, alors il faut donc être en mesure d’écouter la parole de la défense.

    Et c’est une grande chance, le magazine « Le POINT » est allé opportunément, 2 mois avant l’ouverture de la coupe du Monde, interviewer l’émir du Qatar à Doha et publie un très long entretien avec le souverain du Qatar dans son numéro 2615 du jeudi 22 septembre 2022. : <Le grand entretien avec l’émir du Qatar>

    Le Point a dépêché à Doha deux de ses journalistes les plus chevronnés : Luc de Barochez et Ėtienne Gernelle

    Ils le décrivent comme un homme discret et plein d’attentions à leur égard.

    Les journalistes sont tout esbaudis quand ils constatent que pour la visite qu’on leur a promis, le chauffeur qui se fait aussi guide est tout simplement l’Émir lui-même.

    Il ne se livre pas souvent au Media puisque l’article nous apprend que

    « Il n’a donné que deux interviews formelles depuis qu’il a succédé à son père, en 2013 : la première à CNN, en 2014, la seconde à CBS, en 2017. Plus quelques citations accordées au New York Times. Il s’agit donc du premier véritable entretien accordé à la presse écrite, et de sa première prise de parole en Europe. »

    Mais quand il ouvre sa porte au Point, il sort le grand jeu.

    Tamim ben Hamad Al Thani, a 42 ans, et il règne sur le Qatar depuis le 25 juin 2013, après l’abdication de son père, Hamad ben Khalifa Al Thani.

    Après cette visite qu’il offre à ses hôtes et dans laquelle il leur démontre combien il est à l’aise avec son peuple, commence l’entretien proprement dit.

    Dans l’entretien nous apprenons que manifestement, il est un homme de paix bien que son pays soit menacé par son puissant voisin l’Arabie Saoudite qui, de 2017 à 2021, a organisé un blocus du pays avec pour objectif annoncé de le renverser. En outre, la fortune du Qatar provient surtout de l’immense réserve gazière, la troisième au monde, mais qu’il doit partager avec l’Iran qui est chiite alors que le Qatar est sunnite.

    Ainsi parle Tamim ben Hamad Al Thani :

    « Notre politique étrangère au Qatar vise à rapprocher les différents points de vue, à apporter notre aide à toutes les parties qui en ont besoin, et à jouer un rôle de facilitateur, dans la région et ailleurs. Le monde a besoin de dialogue pour résoudre ses problèmes. »

    « Nous ne souhaitons pas voir le monde polarisé entre deux superpuissances ; ce serait très dangereux. […] Notre pays est un allié majeur de l’Amérique et de l’Occident en général, mais notre principal importateur de gaz naturel liquéfié est la Chine. Nous ne pouvons que constater qu’il y a de grandes divergences entre eux, mais nous espérons que les tensions pourront s’apaiser par les voies diplomatique et pacifique. »

    « Cela s’inscrit dans notre politique : rapprocher les parties qui ont des divergences. En ce qui concerne les talibans, nous l’avons fait à la demande de nos amis américains […] Notre devoir et notre intérêt sont de tout faire pour rapprocher les parties et les engager à négocier un règlement pacifique. Nous ne nous imposons aucune limite dans le choix de nos interlocuteurs, pour autant qu’ils croient en la coexistence pacifique. »

    « Nous voulons aider et donner espoir à la jeunesse moyen-orientale. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour apporter la paix à la région. »

    « Pour que tout le monde y trouve son compte, il faut une coopération mondiale. Je ne veux pas que la mondialisation s’arrête, et je ne pense pas que ce sera le cas. Certains prétendent qu’un retour en arrière rendrait la vie plus facile. Ce n’est pas vrai. Parler et arriver aux responsabilités, ce n’est pas la même chose… Cela ne peut pas marcher. Le monde entier est intégré. Puisque nous sommes tous interconnectés, nous devons travailler ensemble et résoudre nos problèmes ensemble. »

    Et même quand les journalistes l’interrogent sur l’Arabie Saoudite qui a tenté de le renverser par un blocus, il répond :

    « Écoutez, je ne souhaite pas parler du passé. Nous voulons nous tourner vers l’avenir. Nous sommes entrés dans une nouvelle phase, les choses bougent dans le bon sens. Nous reconnaissons que, parfois, nous sommes en désaccord. Nous préparons l’avenir de cet ensemble de pays, le Conseil de coopération du Golfe [le CCG, qui regroupe les six monarchies de la Péninsule arabique, NDLR], qui est essentiel pour débloquer le potentiel des jeunes dans l’ensemble de la région. »

    Et sur son autre voisin, fervent de l’autre branche principale de l’Islam : l’Iran

    « Vous mentionnez l’Iran. Ce pays est très important pour nous. Nous avons une relation historique et, de surcroît, nous partageons avec lui notre principal champ gazier. Nous encourageons tous les États membres du CCG et l’Iran à se parler. Il y a bien sûr des divergences – tout le monde en a –, mais il faut s’asseoir autour d’une table et en parler, directement entre nous et les Iraniens, sans ingérence extérieure. »

    En même temps vu la petite superficie de son territoire, le nombre restreint de ses nationaux : 2,8 millions d’habitants dont 80 % d’étrangers, le Qatar ne peut pas se permettre d’être belliqueux et doit s’appuyer sur sa capacité diplomatique et c’est ce qu’il fait.

    Une autre de ses qualités, c’est qu’il mise sur l’éducation :

    « L’éducation est essentielle, surtout dans un pays qui jouit de ressources naturelles. […] Nous devons surtout investir dans nous-mêmes, dans le capital humain. Qu’on soit riche ou pauvre, l’éducation est la clé. Nous développons nos écoles et nos universités, nous avons invité des universités et des grandes écoles américaines et européennes à s’installer ici. »

    Et enfin il est lucide sur les difficultés des peuples et des dirigeants arabes mais le Qatar fait sa part pour que la situation s’améliore :

    « Les racines profondes du Printemps arabe sont hélas toujours là ! La pauvreté, le chômage, les diplômés sans emploi… Avons-nous résolu ces problèmes ? Non, au contraire, ils ont empiré ! Si nous ne les traitons pas, les événements qu’ils ont provoqués pourront se répéter. À mon avis, la meilleure façon de prévenir les turbulences à l’avenir est de mettre en œuvre des réformes, de manière graduelle. Nous devons donner de vrais espoirs aux populations, et pas seulement en paroles. Le Qatar avait promis d’éduquer 10 millions d’enfants non scolarisés et nous avons surpassé cette promesse : nous atteindrons bientôt 15 millions d’enfants dans le primaire. Nous devons également leur fournir des emplois, des opportunités, mais aussi les laisser exprimer leurs opinions et leurs différences. Le Qatar a mis en place des programmes pour aider à former plus de 2 millions de jeunes dans le monde arabe et leur donner des opportunités d’emploi. Par exemple, nous avons une expérience unique en Tunisie, où nous aidons des gens à lancer leur entreprise. Des dizaines de milliers de jeunes bénéficient de ce projet. »

    Après toutes ces belles réponses, il est légitime de se poser la question s’il reste raisonnable de critiquer autant le Qatar ?

    Mais ces journalistes ont-ils posé les questions embarrassantes ?

    Oui… un peu

    Ils ont rappelé que le Qatar est accusé de protéger les frères musulmans, ce mouvement islamique radical né en Égypte qui au-delà de la dimension religieuse veut aussi s’emparer du pouvoir politique.

    L’émir nie tout simplement :

    « De tels liens n’existent pas. Il n’y a pas, ici au Qatar, de membres actifs des Frères musulmans ou d’organisations leur appartenant. »

    Ils se sont aussi intéressés à sa vision sur le rôle et la place des femmes dans la société :

    « D’abord, devant Dieu, nous sommes tous égaux, hommes ou femmes. Le rôle des femmes est vital dans notre société. Au Qatar, leurs performances à l’université sont supérieures à celles des hommes. Elles représentent 63 % des étudiants. Dans la population active, c’est à peu près 50-50. Au sein de notre gouvernement, nous avons trois femmes ministres. Elles y font un travail formidable. Nous avons même des femmes pilotes dans notre armée de l’air. Nous ne voyons pas de différences avec les hommes. Bien sûr, nous sommes conscients qu’elles sont victimes de discriminations dans le monde, mais nous y sommes totalement opposés. »

    Dans une société où elles sont contraintes de porter le voile, il affirme être conscient qu’elles « sont victimes de discrimination dans le monde. » Dans le monde, peut-être, mais au Qatar, non.

    Et la liberté d’expression :

    « Je crois personnellement à la liberté d’expression. Elle doit être protégée. Mais si cette expression conduit, de manière intentionnelle, à des problèmes ou à des conflits dans le domaine culturel ou religieux, est-il vraiment nécessaire de le dire ? Je ne parle pas ici de quelqu’un qui critiquerait un ministre ou un haut responsable, cela ne me pose aucun problème. Mais, dans des domaines où l’on sait que cela va créer des problèmes, il faut être très prudent. Chacun a le droit de s’exprimer mais, quoi que nous disions, nous devons éviter de blesser des gens issus de cultures, de religions ou de milieux différents. En général, les choses doivent avoir des limites. »

    Sur ce point, nous le sentons un peu réticent. La liberté d’expression c’est très bien, mais les limites à la liberté d’expression lui semblent tout aussi important.

    Mais ont-ils parlé des morts sur les chantiers, du droit de travail, de la climatisation des stades, de la cause des LGBT.

    Rien sur ce dernier point

    Sur les deux autres :

    • Les conditions de travail :

    « Il y a deux sortes de critiques. La plupart du temps, nous y voyons un conseil ou une alerte, et nous les prenons au sérieux. Ainsi, nous avons compris que nous avions un problème avec le travail sur les chantiers, et nous avons pris des mesures fortes en un temps record. Nous avons modifié la loi et nous punissons quiconque maltraite un employé ; nous avons ouvert nos portes aux ONG et nous coopérons avec elles. Nous en sommes fiers. Et puis il y a la seconde catégorie de critiques, celles qui se poursuivent quoi que nous fassions. Ce sont des gens qui n’acceptent pas qu’un pays arabe musulman comme le Qatar accueille la Coupe du monde. Ceux-là trouveront n’importe quel prétexte pour nous dénigrer. »

    Le nombre de morts n’a pas été évoqué ni la controverse entre le Guardian (6500 morts) et la communication officielle du Qatar (37).

    • La climatisation

    « Je pense que chaque pays devrait avoir la chance d’organiser des événements sportifs mais, parfois, le climat peut être un obstacle. Nous avons utilisé les technologies de pointe pour minimiser la consommation d’eau et d’énergie pendant la Coupe du monde, afin d’en faire un événement plus durable. »

    Voici ce long droit de réponse que Le Point a accordé à l’Émir du Qatar.

    Le magazine « Marianne » s’est étonné de ce long entretien, sans aspérité, présentant un homme modéré, sage et recherchant toujours le consensus : < Quand l’hebdomadaire « Le Point » fait la promo de l’Émir du Qatar>

    « Dans sa dernière livraison, le Point annonce en couverture une interview fleuve du Cheikh Tamim ben Hamad Al Thani, émir du Qatar, avec photo de l’impétrant à l’appui. Pour cet exercice, l’hebdomadaire a délégué dans le pays hôte du Mondial de foot son directeur de la rédaction, Étienne Gernelle et Luc de Barochez, deux attaquants réputés de la maison, célèbres pour leur capacité à se jouer des défenses adverses. On s’attendait donc à voir l’Émir cerné, poussé dans ses retranchements, mis face à ses contradictions, sommé de s’expliquer, […] Rien de tel. En fait, le lecteur du Point risque de se retrouver dans la peau du supporter du PSG, propriété du Qatar, après une défaite de son équipe fétiche. Aucune question gênante. Pas de relance après une réponse lénifiante. L’Émir enfile les formules creuses comme d’autres enfilent les perles sans que jamais le duo d’intervieweurs ne daigne rompre l’atmosphère de complicité bienveillante qui sied à ce genre d’exercice »

    Et Marianne finit par cette réplique digne d’Audiard :

    « Bref, c’est un homme ordinaire, bien sous tous rapports, un grand humaniste méconnu, un modèle d’ « humilité », comme le confient Étienne Gernelle et Luc de Barochez, à qui l’impétrant confie cet ultime conseil : « L’éducation commence par des choses simples : faire son lit le matin, par exemple. » Nul ne sait si les deux intervieweurs du Point font leur lit, mais ils ont administré la preuve éclatante qu’ils savent se coucher. »

     

    <1713>

  • Mardi 20 septembre 2022

    « Ne pas voir le problème ou ne pas voir la Coupe du monde. »
    Jérome Latta

    Aujourd’hui, je vais faire un pas de côté par rapport au choc des civilisations, quoique…

    Le football a été inventé, en Angleterre, en Occident donc.

    Un pays, appartenant à une autre civilisation et se trouvant près d’un désert très chaud, a trouvé ce sport très à son goût.

    Comme il était particulièrement riche, il a investi et investi dans ce sport qui n’avait pas été créé pour lui et qu’il n’est pas facile de pratiquer chez lui car il y fait trop chaud.

    Alors …

    Alors, avec de l’argent on peut faire tant de choses et le 20 novembre va s’ouvrir la coupe du monde au Qatar, dans deux mois

    Une amie Facebook a partagé un texte d’un internaute qui a pour nom Bouffanges Bfg

    J’ai appris qu’il était écrivain.

    Il a écrit ce texte en l’accompagnant de cette photo :

    « Au début, tu sais, il n’y eut guère plus qu’une indignation molle, de celles que l’on exprime face aux tracas subalternes de la vie.
    Quand le Qatar se vit attribuer l’organisation de la Coupe du Monde, nous étions en 2010.
    C’était il y a une éternité !
    Certes, le Qatar n’enthousiasmait pas les plus démocrates d’entre nous ; mais somme toute, nous venions d’organiser des JO d’été à Pékin, nous allions organiser des JO d’hiver en Russie et, dans la lancée, nous retournerions en Chine.
    Et puis, tiens, on ferait même une Coupe du Monde en Russie, histoire de boucler la boucle.
    Alors bon…. Ce n’était guère plus que la routine, un menu nid-de-poule sur l’autoroute de la modernité.

    Peu après, quelques voix se sont élevées pour soupçonner que certains membres de la FIFA auraient perçu des “encouragements” à voter intelligemment.
    Certains, du bout des lèvres, allaient jusqu’à appeler ça corruption.
    L’affaire fit tant de clapotis que certaines têtes furent coupées.
    Mais que faire de plus ? Remettre en cause le résultat des votes ? Après tout, c’était le Qatar, on ne pouvait pas vraiment s’attendre à ce qu’ils n’achetassent pas ce qui peut s’acheter.
    D’ailleurs, entre temps, ils s’étaient offert le PSG [en mai 2011] avec des arguments sonnants et trébuchants, ce qui offrait enfin l’espoir que le plus grand club de France cesse de trébucher et de se faire sonner en Ligue des Champions.
    Alors bon…Ce n’était guère plus que la routine, un menu flash de radar sur l’autoroute de la mondialisation.

    Évidemment, ensuite, il fallut construire les infrastructures.
    Et les immenses stades nécessaires à la grand-messe du foute, ça ne pousse pas en arrosant le sable.
    Il y avait urgence, alors comme nous l’enseigne infailliblement l’Histoire, quand il s’agit de construire vite et grand, rien de mieux que l’esclavage.
    Oh ! L’esclavage ! Tout de suite les grands mots ! Peut-être ces travailleurs étaient-ils de humbles héraults tout entiers dévoués à la cause du foutebale ?
    D’ailleurs, les quelques moutons noirs cupides qui osèrent réclamer une paie furent renvoyés à domicile avec la plus stricte des fermetés.
    Mais entre le Guardian, qui recense un minimum de 6500 morts, et l’appareil officiel du Qatar, qui en dénombre 37, qui détient la vérité ? Alors bon…
    Ce n’était guère plus que la routine, un petit bouchon sur l’autoroute de la civilisation.

    Là où ça a commencé à coincer un peu aux entournures (et au col, aussi), c’est quand on s’est aperçu que le Qatar était islamique.
    On n’avait pas vraiment conscience de cela, avant.
    Rapport au fait que le Qatar semblait vouloir ressembler aux plus belles démocraties occidentales, à grands coups d’architecture ambitieuse et de pétrodollars (pardon, de riyals).
    Mais après 2010, il y eut 2015 et le grand festival des attentats.
    Charlie Hebdo, Bataclan.
    Et après 2015, il y eut 2016 : Bruxelles, Nice.
    Puis 2017, 2018, et plein d’autres nombres en 201…

    Et chaque année apportait son lot d’attentats islamistes, en France ou ailleurs.
    Et l’idée d’une Coupe du Monde en terre d’islam radical est devenue moins rock’n roll.
    Le Qatar ne semblait pas parti pour être le prochain Woodstock.
    Cela dit, le Qatar se défendait d’être islamiste.
    Islamique seulement.
    Islam ferme, résolu, mais certainement pas radical.
    D’ailleurs, à la différence de l’Arabie Saoudite voisine, qui décapite comme d’autres prennent leur café le matin (81 en une seule journée en 2022, dans un accès de ferveur dévote), le Qatar n’exécute plus personne depuis bien longtemps.
    À part en 2021, mais il s’agissait d’un Népalais.
    Alors bon. ….
    Ce n’était guère plus que la routine, un petit vomi sur le bord de l’autoroute de l’œcuménisme.

    Pour beaucoup, la problématique s’est concrétisée tardivement, au début de l’été.
    On s’est rendu compte de ce qu’islamique voulait dire lorsque le Qatar a fait savoir qu’une certaine tolérance serait de mise pendant la Coupe du Monde en ce qui concerne la loi locale sur les relations hors mariage.
    En temps habituels, toute relation hors mariage, ou pire adultérine, ou pire homosexuelle, ou pire sodomite, était passible de peine de mort, ou a minima de coups de fouets et d’emprisonnement.
    Bizarrement, le monde n’a pas forcément ressenti cette précision comme une preuve de la grande tolérance du Qatar.
    Mais bon…
    Ce n’était guère plus que la rout…


    Enfin bref, là oui, on commençait à sentir un peu que l’autoroute avait deux trois malfaçons dans l’enrobé.
    Et enfin, pour la plupart, la prise de conscience est survenue après l’été 2022.
    On sortait de la plus longue canicule de l’histoire moderne, on n’avait plus d’eau depuis des semaines, des pays entiers étaient sous les eaux, la guerre en Ukraine provoquait une flambée des prix de l’énergie et laissait augurer un hiver bas en couleurs.
    Soudain, les images de ces immenses stades perdus au milieu du désert, tempérés par des batteries de climatiseurs grands comme des réacteurs de Boeing 737, sont apparues comme un signe frappant de décalage temporel.
    On ne pouvait plus prétendre que ce n’était rien, que c’était comme ça.

    Voilà, maintenant tu sais comment, en douze années de temps, la Coupe du Monde au Qatar, avec ses stades bâtis sur des ossuaires, est devenue le symbole de la corruption, de l’atteinte aux droits humains, du dédain face à la catastrophe climatique, tout ça pour le plaisir de voir courir quelques milliardaires en culottes courtes.
    Voilà, mon fils, comment elle est devenue le symbole ultime du cynisme de notre civilisation.
    Et voilà comment elle est devenue l’instant où le monde s’est rendu compte que ce pouvait être le début de la fin ; ou le début d’autre chose.
    Tu n’étais pas né en 2010.
    Ton frère avait un an.
    Vous n’y pouviez rien.
    Et je croyais n’y rien pouvoir non plus.
    Mais quand on est nombreux à n’y rien pouvoir, on finit par pouvoir un peu. »

    Bon, il y a beaucoup d’informations dans ce texte !

    L’Arabie Saoudite a-t-elle exécuté 81 personnes le même jour ?

    Oui c’était le 12 mars 2022. Vous trouverez l’information diffusé par Amnesty International <ICI>

    Le Qatar a-t-il exécuté un népalais ?

    Oui c’était en avril 2021, vous trouverez la confirmation dans cet article de <L’Orient le jour>

    Beaucoup de Népalais se trouvent au Qatar pour y travailler.

    Le journal « Sud-Ouest » avait publié, en 2013 déjà : « Coupe du monde au Qatar : 44 ouvriers népalais morts, des preuves de travail forcé ».

    Dans cet article très court le journal citait le journal anglais « The Guardian » :

    « Au moins 44 ouvriers népalais , travaillant dans des conditions s’apparentant à de l’esclavagisme , sont morts en 2013 sur des chantiers au Qatar […]
    Le Guardian dit avoir trouvé des preuves et des témoignages de travail forcé sur un projet d’infrastructure majeur en vue de la Coupe du monde 2022, même si les travaux liés directement à l’événement n’ont pas encore commencé.

    Le journal relaie les allégations de certains ouvriers qui disent ne pas avoir été payés depuis des mois , qu’on leur a confisqué leur passeport et qu’on les prive d’eau potable gratuite sur les chantiers, malgré des températures caniculaires. »

    Le 21 février 2021 le même journal Le Guardian estimait que <6 500 ouvriers seraient morts dans les chantiers au Qatar>

    Vous trouverez sur le site de la <Diplomatie Belge> cette information sur les mœurs :

    « La prostitution, l’homosexualité et les relations extraconjugales (non seulement adultérines mais toute relation sexuelle hors mariage) sont illégales. Ces délits sont sévèrement sanctionnés en vertu de la loi islamique (sharia).

    Les personnes reconnues coupables d’actes homosexuels encourent jusqu’à dix ans de prison. Il est donc conseillé aux personnes LGBTI de considérer soigneusement les risques d’un voyage au Qatar.

    Les unions de fait sont illégales au Qatar. Un homme et une femme ne sont pas autorisés à vivre dans le même logement à moins d’être légalement mariés ou d’avoir un lien de parenté. Les relations sexuelles hors mariage constituent une infraction criminelle.

    Les démonstrations d’affection en public, y compris le fait de se tenir par la main ou de s’embraser, ne sont pas acceptables socialement.

    Hommes et femmes doivent s’habiller modestement, notamment en se couvrant les genoux et les épaules . Les femmes étrangères ne sont cependant pas obligées de porter le voile. »

    Le journaliste Jérôme Latta a publié dans le Monde, hier, 19 septembre : « 
    Le Mondial au Qatar, c’est la (grosse) goutte qui fait déborder la coupe » dans lequel il écrit :

    « Il y a ce bilan humain effarant, dont l’unité est le millier de morts, sur les chantiers du pays, et l’aberration écologique de ces huit stades climatisés de 40 000 à 80 000 places – sept nouveaux – serrés dans une agglomération de 800 000 habitants, dont les tribunes n’étaient pas remplies lors des Mondiaux d’athlétisme en 2019.

    Le Mondial qatari représente, certes, moins une rupture qu’un aboutissement navrant. C’est la (grosse) goutte qui fait déborder la coupe, en exhibant la réalité des grands événements sportifs : gigantisme, compromission politique, gabegie économique et environnementale, cupidité des organisations sportives, mépris des fans, etc.

    Le procès fait à la FIFA World Cup Qatar 2022 est celui d’un modèle poussé à son extrême, qui laisse beaucoup d’entre nous devant un sinistre dilemme : ne pas voir le problème ou ne pas voir la Coupe du monde. »

    Chacun agira comme lui dicte sa conscience.

    Pour ma part, je ne peux pas ne pas voir le Problème écologique, humain et éthique.

    Je ne pourrais pas regarder une minute de cette sinistre et criminelle farce.

    Je vous rappelle que Coluche avait eu cette phrase « et dire que pour cela ne se vende pas, il suffit simplement de ne pas l’acheter. »

    <1712>

    Les caricaturistes se sont lâchés.

  • Lundi 19 septembre 2022

    « La conférence mondiale de l’ONU sur les droits de l’homme à Vienne, en juin 1993. »
    Moment où l’Occident a compris que si elle avait gagné la guerre froide, son modèle et ses valeurs étaient loin de s’être imposés.

    La guerre froide était terminée depuis 1991.

    Les États Unis n’avaient plus d’ennemis à leur dimension comme pouvait l’être l’Union Soviétique.

    Les communistes chinois, sous l’autorité morale de Deng Xiaoping, ne suivront pas l’exemple de Gorbatchev et réprimerons par le sang l’espoir de jeunes étudiants chinois d’obtenir davantage de liberté et de droits.

    Le monde, dominé par l’hyperpuissance des Etats-Unis était prêt, pensait les occidentaux, à se soumettre davantage aux valeurs occidentales des droits de l’homme, de la démocratie et des libertés politiques.

    Et c’est dans cet esprit que fut organisée, du 14 au 25 juin 1993, à Vienne en Autriche, la Conférence mondiale sur les droits de l’homme sous l’égide de l’ONU.

    Huntington explique que c’est lors de cette conférence à Vienne, que les Occidentaux ont compris que même s’ils avaient pensé avoir gagné la guerre froide, le Monde ne s’occidentaliserait pas pour autant. :

    « Les différences quant aux droits de l’homme entre l’Occident et les autres civilisations, et la capacité limitée de l’Occident à atteindre ses objectifs sont apparues au grand jour lors de la conférence mondiale de l’ONU sur les droits de l’homme à Vienne, en juin 1993. D’un côté se tenaient les pays européens et nord-américains ; de l’autre, on trouvait un bloc d’environ cinquante États non occidentaux, dont les quinze plus actifs comprenaient les gouvernements d’un pays d’Amérique latine (Cuba), d’un pays bouddhiste (Myanmar), de quatre pays confucéens aux idéologies politiques, aux systèmes économiques et aux niveaux de développement très différents (Singapour, le Viet-nam, la Corée du Nord et la Chine) et de neufs pays musulmans (La Malaisie, l’Indonésie, le Pakistan, l’Iran, l’Irak, la Syrie, le Yémen, le Soudan et la Libye). Le regroupement islamo-asiatique représenté par la Chine, la Syrie et l’Iran dominait. Entre ces deux groupes, il y avait les pays d’Amérique latine, sauf Cuba, qui ont souvent soutenu l’Occident, et les pays africains et orthodoxes qui l’ont parfois soutenu mais qui s’y sont opposés le plus souvent. »
    Le choc des civilisations page 285

    Constatons d’abord que si l’Occident présente une certaine homogénéité, l’autre coalition est hétéroclite associant des pays d’Islam avec des États qui comme la Chine sont hostiles aux musulmans qui se trouvent dans leurs frontières ou d’autres pays comme Cuba et la Corée du Nord qui sont anti-religieux.

    Constatons ensuite que mise à part l’Amérique latine hors Cuba, l’Occident a peu d’alliés et se trouve minoritaire.

    Quelles étaient les sujets de conflits ?

    « Les problèmes à propos desquels les pays se divisaient en termes de civilisation étaient les suivants :

    • Universalisme/relativisme culturel en matière de droits de l’homme ;
    • Priorité relative de l’économie et des droits sociaux dont le droit au développement/droits politiques et civiques ;
    • Conditions politiques posées à l’assistance économique ;
    • Création d’un commissaire de l’ONU aux droits de l’homme ;
    • Autorisation donnée aux organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme, qui se rassemblaient simultanément à Vienne, de participer à la conférence gouvernementale ;
    • Droits particuliers traités par cette conférence ;
    • Problèmes plus spécifiques comme la possibilité laissée au dalaï-lama de s’adresser à la conférence. »
      Le choc des civilisations page 285/286

    Ces problèmes ont fait l’objet d’importantes divergences entre les pays occidentaux et le bloc islamo asiatique.

    Huntington nous apprend que les pays d’Asie avaient préparés cette conférence, contrairement aux Occidentaux :

    « Deux mois avant la conférence de Vienne, les pays d’Asie s’étaient réunis à Bangkok et avaient adopté une déclaration soulignant que les droits de l’homme devaient être considérés « dans le contexte […] des particularités nationales et régionales et des différents fonds religieux et culturels hérités de l’histoire. »
    Le choc des civilisations page 286

    Bref, il n’y avait aucune raison de se soumettre aux « diktats » des occidentaux concernant les droits de l’homme et leurs prétentions universalistes. C’est les particularités qui sont essentielles et qui justifient « la dose » de droits de l’homme qu’il est possible d’offrir.

    On peut être anti-occidentaux, ou comme moi conscients des faiblesses et des trahisons de l’Occident et trouver cette défense des pays autoritaires ou même tyranniques comme le comble de la mauvaise foi.

    <Le massacre de Tien an men> date de 4 ans, le 4 juin 1989 et dans ce cas plutôt que le particularisme chinois, il fallait surtout sauver le pouvoir du parti communiste chinois et les privilèges des dirigeants communistes.

    A Bangkok ces pays se sont mis d’accord sur une autre exigence :

    « Le fait de conditionner l’assistance économique à la situation des droits de l’homme étaient contraire au droit au développement. »
    Le choc des civilisations page 286

    Ces pays ne supportaient plus que l’Occident exerce une pression financière pour les obliger à améliorer les droits individuels de leurs citoyens.

    Huntington explique que les occidentaux ont fait plus de concessions que leurs adversaires mais ont tenté de préserver les droits des femmes :

    « La déclaration adoptée par la conférence a donc été minimale. »

    La proclamation de l’universalité des droits est donc tempérée largement par la prise en considération des particularismes locaux :

    Par exemple la Déclaration et Programme d’action de Vienne, adoptée dispose dans son article 5 que :

    « Tous les droits de l’homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. La communauté internationale doit traiter des droits de l’homme globalement, de manière équitable et équilibrée, sur un pied d’égalité et en leur accordant la même importance. S’il convient de ne pas perdre de vue l’importance des particularismes nationaux et régionaux et la diversité historique, culturelle et religieuse, il est du devoir des États, quel qu’en soit le système politique, économique et culturel, de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales. »

    Huntington cite Charles J. Brown qui écrivait :

    « [Ce document] représentait une victoire pour la coalition islamo-asiatique et une défaite pour l’Occident »
    Le choc des civilisations page 286

    Et il ajoute, en énumérant notamment tout ce qui manquait :

    « La déclaration de Vienne ne contenait aucune défense de la liberté de parole, de la presse, d’assemblée et de religion et était donc par bien des aspects plus faible que la déclaration universelle des droits de l’homme que les Nations unies avaient adoptée en 1948. Cette évolution traduit le déclin de puissance de l’Occident. […] Le monde est désormais aussi arabe, asiatique et africain qu’il est occidental. »

    Huntington cite alors ce qu’il appelle : « un détracteur asiatique de l’Occident »

    « Pour la première fois depuis que le Déclaration universelle a été adoptée en 1948, des pays qui n’ont pas été marqués profondément par les traditions du judéo-christianisme et du droit naturel sont au premier rang. Cette situation sans précédent va définir la nouvelle politique internationale des droits de l’homme. Elle va également multiplier les occasions de conflit »

    Et il ajoute :

    « Le grand gagnant […] fut clairement la Chine, du moins si on mesure la réussite au fait de dire aux autres ce qu’ils ne doivent pas faire »

    Huntington rappelle que l’Occident eut l’opportunité d’une petite revanche. Le gouvernement chinois avait défini comme objectif majeur d’obtenir l’organisation des jeux olympiques de l’an 2000. On sait que c’est finalement Sidney qui l’obtint, c’est-à-dire une ville et un pays occidentaux. Pour ce faire, il fallut beaucoup manœuvrer pour parvenir à écarter Pékin.

    Ce fut une victoire à la Pyrrhus, Pékin obtint les jeux de 2008, moins de 20 ans après Tien an Men.

    Le 28 janvier 1992, le président américain George HW Bush avait annoncé au Congrès que l’Amérique avait gagné la guerre froide.

    Fukuyama avait publié la même année, 1992, « La fin de l’Histoire »

    Et en juin 1993, la conférence mondiale de l’ONU sur les droits de l’homme à Vienne remettait très largement en cause cette vision occidentalo-optimiste.

    <1711>

  • Vendredi 16 septembre 2022

    « C’est tellement rare, c’est tellement improbable, c’est tellement miraculeux que c’est peut-être ça la civilisation et la culture. Rencontrer quelqu’un qui écoute. »
    Michel Serres

    C’est mon père qui m’avait raconté cette histoire.

    Un vieux sage reçoit un homme qui vient se plaindre d’un autre homme. Il lui raconte longuement les faits et aboutit à une conclusion qui lui est favorable.

    Le sage le congédie en lui disant : « Tu as raison ».

    Mais quelques heures plus tard, l’autre homme vient rencontrer le vieux sage et lui raconte la même affaire avec ses mots et son analyse.

    A la fin de la discussion et au moment du départ, le sage lui dit : « Tu as raison. ».

    Alors, l’épouse du sage qui avait entendu les deux conversations s’approche de son mari et lui dit son étonnement :

    « Je ne comprends pas, ces deux hommes ont exprimé des opinions radicalement opposées et tu as dit à chacun qu’il avait raison. ».

    Et le vieux sage répondit à sa femme : « Tu as raison ! »

    Puis, il a ajouté : « Ces hommes ne partent pas du même point de vue. Mais chacun a raison en partant de son point de vue !

    Cette histoire m’est restée.

    Elle raconte deux personnes qui parlent et ne se rencontrent jamais.

    Je veux dire leurs paroles ne se rencontrent pas, ils ne s’écoutent pas, n’échangent pas.

    Chacun ne se centre que sur son histoire, sa vision, son récit.

    Et aujourd’hui avec les réseaux sociaux, pour beaucoup, leur univers se restreint à un tel point qu’il ne peuvent plus que parler avec les gens qui pensent comme eux.

    Le <mot du jour du 3 mars 2016> citait le sociologue Zygmunt Bauman qui exprime cela avec une acuité rare :

    « S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.»

    A cela Michel Serres répond :

    « C’est tellement rare, c’est tellement improbable, c’est tellement miraculeux que c’est peut-être ça la civilisation et la culture. Rencontrer quelqu’un qui écoute. »

    Cette phrase se trouve dans un livre de Robert Blondin « Le Bonheur possible », dans lequel l’auteur est allé à la recherche des gens heureux. Entouré d’une dizaine de collaborateurs, armé de 40 questions, il a rencontré 2000 « sages heureux » d’Europe, d’Asie et d’Amérique.

    Parmi ces sages il y avait Michel Serres et cette phrase se trouve page 271.

    Voilà le mot du jour court que je souhaitais écrire après ceux de mercredi et de jeudi.

    Et si le cœur vous en dit voici une <Vidéo de la librairie Mollat où Michel Serres présentait son livre « Le Gaucher boiteux » dans lequel il parle beaucoup de rencontres.

    <1710>

  • Jeudi 15 septembre 2022

    « L’échec de l’impérialisme moral en Afrique ! »
    Jean-Pierre Olivier de Sardan

    « J’aime les gens qui doutent » chantait Anne Sylvestre :

    « J’aime les gens qui doutent, les gens qui trop écoutent leur cœur se balancer
    J’aime les gens qui disent et qui se contredisent et sans se dénoncer
    J’aime les gens qui tremblent, que parfois ils ne semblent capables de juger »

    Sur les quelques 1700 mots du jour que j’ai écrit depuis 2012, aucune série ne m’a donné autant de mal que celle-ci que j’ai initié sur ce livre et cette intuition de Samuel Huntington : « Le choc des civilisations ».

    Alors faut-il se taire ? Ne pas en parler ?

    J’ai l’intuition contraire, il ne faut pas être dans le déni.

    Dans un certain nombre de domaines qui touche les libertés, les progrès dans le droit des femmes, des pratiques sexuelles, de l’écriture, du dessin, de la réalité des faits, de la démarche scientifique, de l’enseignement de l’Histoire nous sommes depuis le début de ce siècle en pleine régression.

    Et je crois qu’il faut essayer de comprendre cela :

    • La colère des uns ;
    • Le totalitarisme des autres ;
    • L’aveuglement ou la naïveté d’autres encore
    • La peur, la lâcheté, l’indifférence du plus grand nombre

    Pour donner quelques éléments de compréhension de cette énumération qui peut être énigmatique pour les uns ou plein de sous-entendus pour les autres, voici quelques exemples. Il n’est pas question d’exhaustivité ici.

    Quand je parle de colère, je pense aux peuples qui ont été colonisés, soumis et exploités par un Occident arrogant et usant de toute la force que lui donnait ses capacités industrielles et militaires.

    Le totalitarisme correspond à des régimes tyranniques ou plus simplement autoritaires et qui en utilisant d’une part des fautes des occidentaux et d’autre part le récit ancien et souvent déformé de leur civilisation rejettent en bloc toutes les valeurs de l’occident et imposent des pouvoirs cruels, carcéraux, liberticides, régressifs et abêtissant.

    L’aveuglement ou la naïveté s’adresse aux politiques, intellectuels et journalistes de nos pays qui souvent aveuglés par leur anti-américanisme, qui peut avoir des justifications, défendent des mouvements, des idées ou des dictateurs. Il y a parmi eux des poutinologues, des pro-Xi Jinping, des compagnons de route des frères musulmans ou des salafistes ou d’autres causes ambigües comme le « Comité Vérité pour Adama ». La plupart de ces naïfs seraient parmi les premiers éliminés s’ils avaient le malheur de vivre dans un pays dirigé par les forces qu’ils soutiennent.

    La dernière partie est ultra majoritaire et ne veut pas se mêler de ses querelles, soit parce que cela dérange sa quiétude, soit que l’esprit est occupé de tant de choses qu’ils ne faut pas perdre de temps pour réfléchir à ces sujets, soit parce que les menaces qui nous guettent ne sont pas perçues, soit, comme ceux qui ne veulent pas que le collège de leur enfant prenne le nom de Samuel Paty, parce qu’ils sont lâches, il n’y a pas d’autre mot.

    Le chemin de crête pour parler de ces influences, de ce bouleversement sociétal et politique est extraordinairement difficile.

    A force de nuancer et de volonté d’embrasser tous les éléments du puzzle, on pourrait aboutir à des phrases interminables, entrecoupées par des conjonctions (mais, or) ou des adverbes (cependant, toutefois).

    Bref, des phrases qui sont illisibles.

    Alors je ne vais pas agir ainsi.

    Hier, je donnais un point de vue sur l’affaire Idrissa Gueye et les dissensions entre le Sénégal et La France qui en ont été la conséquence.

    Jean-Pierre Olivier de Sardan présente une opinion tout à fait différente qu’il défend dans le remarquable magazine numérique « AOC » pour Analyse, Opinion, Critique.

    Cet article d’opinion qui a été publié le 14 juin 2022 a pour titre « De quoi se mêlent-ils ? » : l’échec de l’impérialisme moral en Afrique »

    Je ne connaissais pas Jean-Pierre Olivier de Sardan qui est désigné comme anthropologue dans l’article

    Sa <Fiche Wikipedia> nous apprend qu’il est né en 1941 dans le Languedoc et qu’il a été professeur d’anthropologie à l’École des hautes études en sciences sociales de Marseille. Il était également directeur de recherches émérite au CNRS et professeur associé à l’Université Abdou-Moumouni (Niamey, Niger).

    Il présente la particularité de disposer à la fois de la nationalité de naissance française, mais aussi de la nationalité, acquise en 1999, du Niger.

    Nous apprenons qu’il a réalisé une grande partie de ses études anthropologiques en Afrique et que ses premiers travaux furent l’étude d’une société particulière, le peuple Wogo, sur les rives du fleuve Niger, à l’ouest du pays.

    Enrichis par cette double culture française et africaine, il affirme l’aspect contre-productif des attaques françaises contre le joueur sénégalais :

    « Attaquer publiquement et menacer de sanctions Idrissa Gueye, joueur sénégalais du Paris Saint-Germain qui a refusé de porter le maillot arc-en-ciel lors de la journée de lutte contre l’homophobie, est le meilleur moyen de renforcer à la fois l’homophobie au Sénégal et le rejet de la France. »

    Il renvoie vers un autre article d’AOC : <un fait social total par Jean-Loup Amselle> qui tente de relater toute cette histoire en essayant de rester dans la plus grande neutralité possible, à équidistance, de l’indignation française et de l’irritation sénégalaise.

    Olivier de Sardan souhaite se démarquer par un avis plus tranché :

    Je me risquerai […] à prendre parti très clairement, car derrière cette affaire c’est aussi toute l’attitude des Occidentaux qui est contestée en Afrique, bien au-delà du Sénégal, jusqu’à et y compris l’aide au développement, dont tout montre qu’elle est en crise profonde. Je pense que les attaques radicales et outrées contre Ibrahim Gueye sont non seulement déplacées mais doivent être condamnées, et qu’elles sont de plus révélatrices d’un mal profond dès lors qu’il est question des pays du Sud en général et de l’Afrique en particulier.

    À quel titre les dirigeants, autorités, intellectuels et experts occidentaux s’autorisent-ils à donner sans cesse des leçons de morale aux peuples africains, en oubliant les poutres qu’ils ont dans l’œil et en bafouant bien souvent les règles qu’ils veulent imposer aux autres ?

    Ce sont cette arrogance, cette suffisance, cette condescendance, cette tartuferie, qui expliquent pour une grande part le rejet de plus en plus prononcé de l’Occident (France en tête) par une très grande partie des opinions publiques africaines, rejet massif dont on voit d’ailleurs dans l’actualité une conséquence que je trouve particulièrement déplorable mais dont il faut comprendre le pourquoi : un soutien envers Poutine très souvent affiché en Afrique, pour la seule raison qu’il s’oppose à l’Occident. »

    Après avoir dressé le contexte, l’univers mental africaine et le ressentiment historique à l’égard des pays coloniaux et en particulier la France, il prend une position assez éloignée de celle que je défendais hier :

    « Participer aux Gay Pride ou aux manifestations contre le racisme serait-il alors obligatoire, et ne pas le faire serait-il donc assimilable à un comportement homophobe ou raciste ? Ce serait absurde. Ne pas s’associer à une activité publique contre l’homophobie ne signifie pas être homophobe, pas plus qu’un joueur de tennis russe qui ne critique pas publiquement l’agression russe en Ukraine ne peut être accusé pour autant de la soutenir. Les critiques virulentes contre Gueye n’ont pas lieu d’être. On peut d’ailleurs penser qu’elles ne visaient pas son identité sénégalaise et que tout autre joueur ayant réagi comme lui aurait fait l’objet de cette intolérance. Mais c’est justement parce qu’elles ne tenaient pas compte de son identité sénégalaise qu’elles ont soulevé un tel tollé en Afrique. »

    Le joueur est resté silencieux pendant toute la polémique. Il est parti en Angleterre à la fin de l’été. Olivier de Sardan explique l’embarras du joueur par sa peur d’être mal jugé dans son pays natal :

    « En effet, pour comprendre mieux l’attitude de Gueye lui-même, le fait qu’il soit sénégalais est incontournable. En refusant de porter le maillot symbolique de l’homosexualité, qui l’aurait sans doute transformé bien malgré lui en militant pro-homosexuel aux yeux de ses compatriotes, Gueye ne voulait sans doute pas tomber sous le coup d’une avalanche de quolibets et d’insultes au Sénégal, où l’opinion publique est clairement homophobe. Cela me semble très compréhensible de sa part. »

    Il explique que, selon lui, même si le joueur était hostile à l’homosexualité, rien ne pourrait lui être reproché s’il ne pratique pas personnellement des insultes ou des actes homophobes.

    « Peut-être aussi (je n’en sais absolument rien) est-il hostile personnellement à l’homosexualité. Et alors ? Là aussi ce serait son droit : ce sont les insultes et les actes homophobes qui sont proscrits (non seulement légalement, mais aussi légitimement à mon avis), mais pas le rejet de l’homosexualité à titre personnel (« en son âme et conscience » selon la formule consacrée). La répression en France de l’homophobie et de toutes les discriminations ne doit pas empiéter sur la liberté d’opinion. »

    Sur ce point je me permets une objection. La liberté dans notre civilisation s’exerce à l’égard de la sexualité qu’on souhaite vivre, hétéro, homo ou bi. Cela peut aller jusqu’à une hétéro sexualité contrainte par une homosexualité refoulée en raison d’interdits qu’on accepte en raison de ses croyances. Mais l’homophobie est désormais, dans notre civilisation, un délit et non une opinion. Ce n’est pas seulement le fait de s’abstenir d’insultes ou d’actes homophobes qui est ici en cause.

    Ce qui à mon sens se joue ici, c’est l’intolérance des religieux, le fait de ne pas accepter que l’autre peut penser différemment de moi.

    Et là, il y a un pas supplémentaire, qu’Olivier de Sardan néglige, l’homme tolérant intervient et défend celui qui pense différemment de lui, si on l’attaque.

    Nous savons aujourd’hui que Voltaire n’a jamais écrit : « « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ».

    Mais cette phrase est bien une phrase pleine de sens, dans ce contexte.

    De manière plus personnelle, je peux dire que je ne sais pas si Dieu existe. Mais ce que je crois c’est que le Dieu qui est décrit dans les Livres de Moïse des juifs, dans la bible chrétienne ou dans le coran des musulmans, lui, n’existe pas.

    Ce que l’Histoire nous apprend sur la rédaction, la sélection des textes et leur utilisation par des hommes de pouvoir pour asseoir leur autorité m’autorise une grande force dans cette conviction.

    Pourtant, non seulement j’accepte que cette croyance soit la réalité des gens qui y adhérent, mais bien plus, je les défendrai s’ils sont attaqués par des intolérants.

    S’associer à une journée contre l’homophobie pour quelqu’un qui s’interdit d’être homosexuel répond à cette même logique.

    Mais Olivier de Sardan place cette question dans un contexte plus général de relations ambigües entre l’Europe et l’Afrique :

    « Passons maintenant aux relations avec l’Afrique, non seulement en ce qui concerne l’homophobie mais plus généralement les interventions des Européens en matière de normes sexuelles et familiales d’une part, de mœurs politiques d’autre part. Il y a beaucoup de valeurs morales considérées désormais au Nord comme « allant de soi » que les décideurs occidentaux de tous bords, depuis les grandes agences de développement jusqu’aux ONG grandes et petites, entendent imposer à l’Afrique, non certes par la force, mais par le biais de multiples conditionnalités de l’aide : la défense des droits des homosexuels, certes, mais aussi la promotion des femmes, la régulation des naissances, la lutte contre le mariage forcé et le mariage des enfants, la lutte contre la corruption, la démocratie électorale, la transparence et la redevabilité, la promotion de la société civile […]

    Cela autorise-t-il pour autant les représentants de la France ou plus largement les décideurs de l’aide au développement et de l’aide humanitaire à donner des leçons aux autres peuples, et à se comporter en militants imposant de l’extérieur ces valeurs aux autres ? Certes, l’exportation systématique vers l’Afrique de valeurs morales devenues incontournables en Occident se fait avec les meilleures intentions du monde, au bénéfice des discriminés, des opprimés, des pauvres : il s’agit d’intervenir « pour leur bien ». Ceci rappelle d’une certaine façon les discours missionnaires des temps coloniaux. Le problème c’est que ce « bien » est perçu par la plupart de ceux auxquels il s’adresse comme un « mal », et que ces « amis qui nous veulent du bien » sont bien souvent considérés comme des hypocrites qui nous humilient. »

    Cette réaction anti-colonialiste que décrit l’anthropologue est certainement une réalité, en outre, parfaitement compréhensible.

    Il constate qu’en plus cette injonction moraliste de l’Occident échoue :

    « Soyons clairs. Dans la plupart des pays d’Afrique, le patriarcat est la règle et les hommes dominent de façon écrasante la vie publique (même si les femmes ne sont pas démunies de contre-pouvoirs), la polygamie est très développée, la corruption est généralisée, l’homophobie règne ouvertement, la démocratie est contournée ou décriée. Le racisme et la xénophobie sont fréquents et souvent à visage découvert. Au Sahel, les mariages précoces et forcés sont toujours nombreux et largement validés socialement et religieusement. L’Afrique (pas plus que l’Europe ou l’Amérique) n’a rien d’un monde idéal qu’il s’agirait de préserver en l’état.

    On ne peut donc se satisfaire de cette situation. Mais qui peut la changer ?

    Une réponse s’impose. Le fonctionnement actuel de l’aide occidentale, avec ses injonctions éthiques liées à toute allocation de fonds, a échoué. Il va à l’encontre de ses bonnes intentions, car ses leçons de morale exacerbent le rejet de l’Occident et par la même favorisent la perpétuation des pratiques locales qu’il s’agissait de modifier »

    Pour faire évoluer les pratiques que nous réprouvons son conseil est de plutôt s’appuyer sur les militants africains dont il reconnait qu’ils restent très minoritaires sans être pour autant isolés. Son expérience montre qu’une partie de la population n’approuve pas les mariages forcés ou la répression de l’homosexualité, accepte les contraceptifs, tolère les avortements. Mais cette partie-là reste silencieuse, dans la mesure où, sur la scène publique, la scène électorale et la scène religieuse, c’est le rejet des valeurs considérées comme occidentales qui tient de plus en plus le haut du pavé.

    Il oppose ainsi « réformateurs de l’extérieur » issus de l’Occident inefficace et rejetés, aux « réformateurs de l’intérieur » qui peuvent aider à l’évolution lente des sociétés et qu’il faudrait aider de manière discrète mais réelle. Et il finit par cette conclusion :

    « Les « réformateurs de l’extérieur » ne sont ni efficaces ni bienvenus sous les formes actuelles de leurs interventions. Leur impatience missionnaire et leur impérialisme moral sont bien souvent contre-productifs, malgré leurs bons sentiments, voire à cause d’eux. Leurs bons sentiments masquent en effet leur méconnaissance dramatique des réalités locales, et leur manque d’écoute des raisons pour lesquelles les gens font ce qu’ils font. »

    Un autre éclairage du même sujet abordé hier.

    Il montre toutes les forces souterraines à l’œuvre dans ce conflit de civilisation et cite la : « domination idéologique d’un salafisme revenant à l’époque du Prophète »

    J’y apprends la difficulté de convaincre du bien-fondé des valeurs occidentales dans ces lieux hostiles à l’Occident à cause d’un lourd passé.

    Toutefois l’histoire relaté hier parle non pas de ce qui se passe en Afrique, mais en France. Et je crois que sur notre territoire, tout en appliquant la tolérance telle que je l’ai évoquée précédemment, nous avons le droit d’affirmer nos valeurs et de demander qu’elles soient respectées par celles et ceux qui ne pensent pas comme nous, mais qui habitent, même temporairement, ce territoire.

    <1709>

  • Mercredi 14 septembre 2022

    « C’est juste un choc culturel ! »
    Bacary Cissé – journaliste sénégalais à propos du refus d’Idrissa Gueye de participer à un match contre l’homophobie

    Une civilisation, c’est une culture, ce sont des valeurs spirituelles souvent incarnées par une religion.

    C’est une conception de la relation entre les droits individuels et les exigences de la société.

    C’est une conception du sacré, des interdits et de ce qui est permis.

    Car il y a toujours du sacré, même dans les sociétés très largement athées.

    En France par exemple, la flamme du soldat inconnu, le drapeau, les tombes, la shoah sont sacrés, c’est-à-dire qu’ils sont susceptibles de faire l’objet d’un sacrilège, on utilise, dans le langage courant, le terme de profanation.

    Idrissa Gueye est un joueur de football de nationalité sénégalaise. Il était dans l’effectif du Paris Saint Germain de 2019 à juin 2022, depuis août 2022 il a rejoint un club anglais.

    Le samedi 14 mai 2022, se déroulait la 37e journée du championnat de Ligue 1,  journée dédiée à la lutte contre l’homophobie.

    Pour l’occasion, tous les joueurs des 20 équipes arboraient un maillot floqué de l’arc-en-ciel des fiertés LGBT, en marque de soutien.

    Idrissa Gueye avait été convoqué pour faire partie de l’équipe du PSG et devait donc porter ces couleurs arc en ciel. Idrissa Gueye n’a pas voulu jouer « pour des raisons personnelles »

    La saison précédente, une journée identique avait été organisée et le joueur s’était également abstenu officiellement pour des raisons médicales.

    Cette affaire a immédiatement agité le monde associatif qui a fait de la lutte contre l’homophobie une cause essentielle.

    Ainsi l’association de lutte contre l’homophobie dans le sport, Rouge Direct, a réagi dès le 15 mai :

    « L’homophobie n’est pas une opinion mais un délit. La LFP (Ligue) et le PSG doivent demander à Gana Gueye de s’expliquer et très vite. Et le sanctionner le cas échéant »

    Ce message a été suivi par beaucoup d’autres. Je crois qu’on peut dire que quasi toute la France du sport, de la politique et des milieux d’influence s’est mobilisée et indignée devant le comportement de ce joueur.

    Le joueur n’a fait aucun commentaire.

    Alors, le 18 mai, Le Conseil national éthique (CNE) de la FFF a écrit à Idrissa Gueye:

    « En refusant de participer à cette opération collective, vous validez de fait les comportements discriminatoires, le refus de l’autre, et pas uniquement contre la communauté LGBTQI +.
    L’impact du football dans la société et la capacité des joueurs à représenter un modèle nous donnent à tous une responsabilité particulière ».

    Nous pouvons conclure à une condamnation unanime en France.

    Au Sénégal la réaction a été tout autre.

    D’abord le président de l’État Macky Sall a affirmé son soutien au joueur :

    « Je soutiens Idrissa Gana Gueye. Ses convictions religieuses doivent être respectées ».

    Le ministre des Sports Matar Bâ s’est aussi joint à la défense du joueur en indiquant que

    « Quand on signe (un contrat avec un club), c’est pour jouer au foot, ce n’est pas pour faire la promotion de quoi que ce soit ou mettre de côté ses convictions »

    L’écrivain et intellectuel Boubacar Boris Diop, lauréat du très prestigieux Prix Neustadt, affirme, lui, sa

    « Solidarité totale avec Idrissa Gana Guèye. Ils sont étranges, ces gens qui se donnent tant de mal pour imposer à tous et à chacun leurs opinions. Au nom, suprême stupidité, de la liberté d’expression. Savent-ils seulement qu’ils font de plus en plus rire ?  »

    L’ex-Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne encourage Gueye en lui disant:

    « Tiens bon, Gaïndé”, lion en langue wolof, surnom de la sélection nationale de football, dans un message sur Twitter accompagné de versets du Coran. »

    Le président de la Fédération sénégalaise de football, Augustin Senghor a déclaré :

    « Idrissa Gueye est dans son bon droit.  Il est resté ancré dans ses valeurs, dans ses principes, dans sa foi qui font la « sénégalité », qui font l’ africanité » de tout un continent ».

    Pour démontrer le consensus politique, il faut citer l’une des principales personnalités politiques nationales et principal opposant au président Macky Sall, Ousmane Sonko:

    « Les +toubabs+ (les Blancs, en wolof) croient que nous sommes des ordures et qu’eux seuls ont des valeurs.
    Aujourd’hui, il faut qu’ils nous imposent l’homosexualité (…) Eux seuls ont des valeurs. Jusqu’à quand ?
    Ce qu’il (Gueye) a fait, c’est un acte de courage. Nous tous, sans distinction de religion, devons le soutenir »

    De nombreux Sénégalais ont aussi mis en statut Whatsapp le message de soutien du président sénégalais ou des photos de Gueye en pèlerinage à la Mecque.

    L’écrivain El Hamidou Kasse a déclaré sur Twitter soutenir Gueye

    « Au nom du principe de la libre croyance et du respect des différences. »

    Enfin la Fédération Sénégalaise de Football (FSF) défend le joueur d’abord en affirmant qu’il n’y a pas de preuve qu’il était absent pour la raison qu’on lui reproche et accuse Conseil National Ethique (CNE) de racisme :

    « Quand l’éthique se base sur l’hypothétique et le diktat, la liberté individuelle est en péril […]. [Un courrier du CNE que la FSF dit avoir accueilli ] avec une grande surprise (et une grande inquiétude sur le traitement de certains joueurs essentiellement d’origine africaine, disons-le clairement).

    [Criant à l’illégalité de la démarche de la FFF, la FSF estime que sa requête revient à] contraindre le joueur à faire ce que son libre arbitre ne l’incline à faire. Est-on vraiment dans cette France que l’on nous avait contée et racontée dans nos écoles, celle qui a comme devise la liberté, la fraternité et de l’égalité pour tous ? Comment une instance qui prétend promouvoir l’éthique dans le Football peut se fonder sur des supputations pour s’adresser à une personne pour lui enjoindre de s’exprimer et pire encore de s’afficher avec le maillot aux couleurs LGBTQI+ pour mettre fin auxdites supputations ?»

    Au Sénégal, pays musulman à 95% et très pratiquant, les relations homosexuelles sont interdites. La loi existante dispose que « sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 100.000 à 1.500.000 francs (152 à 2.286 euros) quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe. »

    Loi assumée et défendue à 100% par le chef de l’État au nom des spécificités culturelles comme en 2020 alors qu’il recevait le premier ministre canadien Justin Trudeau.

    « Ces lois sont le reflet de notre manière de vivre… elles n’ont rien à voir avec l’homophobie ».

    On peut ne pas être d’accord avec Macky Sall et constater simplement que cette discrimination, cette violence et ces sanctions exercées à l’égard des homosexuels répond exactement à la définition de l’homophobie.

    Un article du monde relate : « Ces derniers mois, la pression s’est accentuée sur la communauté LGBTI+ sénégalaise, mais aussi les militants et tous ceux qui, publiquement, osent réaffirmer les droits de cette communauté. « Avec l’implication nouvelle d’imams et de chefs religieux sur le sujet, l’homophobie a pris une nouvelle ampleur, juge Souleymane Diouf qui dénonce le soutien financier de certains pays – Turquie, Arabie saoudite et Iran –, aux organisations conservatrices. Les combattre demande des moyens dont on ne dispose pas, poursuit-il. Aujourd’hui, le niveau d’insécurité pour les défenseurs des droits LGBT au Sénégal est extrêmement élevé. J’ai dû quitter le pays et plusieurs autres activistes ont fait de même. »

    L’excellent site SO FOOT rapporte :

    « Invité de L’After Foot sur RMC, Bacary Cissé – journaliste sénégalais est revenu sur la polémique Idrissa Gueye. Le joueur parisien, qui avait refusé de porter un maillot au flocage arc-en-ciel symbole de la lutte contre l’homophobie, avait reçu les foudres de la Fédération française de football et de bon nombre d’associations. Selon le journaliste, il s’agit juste d’un « choc culturel » sur la perception de ce geste. Il assure qu’au Sénégal, les gens ont parfaitement compris son choix : « Aujourd’hui, Idrissa Gana Gueye a le soutien total de tous les Sénégalais, de tous les Africains. »

    Cissé développe son explication et estime que la culture du joueur est juste différente du pays dans lequel il évolue. « C’est une incompréhension. Il ne faut pas oublier qu’Idrissa Gana Gueye est né au Sénégal, il y a grandi, il y a été éduqué.
    Nous respectons tout ce que font les autres, mais nous ne sommes pas obligés de les suivre dans leur culture, déclare-t-il avant de réfléchir dans le sens inverse. Si Idrissa Gueye avait fait autrement, qu’aurions-nous dit ? On aurait été beaucoup plus choqué. »

    Voici les faits et les interprétations.

    Que dire ?

    Qu’il s’agit bien d’un choc culturel entre l’Occident et un pays africain de civilisation musulmane.

    Des deux côtés, il y a une incompréhension totale.

    Du côté occidental, on crie au scandale et on explique qu’il ne s’agissait pas de faire la promotion de l’homosexualité, mais simplement de se lever contre les discriminations et les violences contre les personnes ayant des pratiques sexuelles autres qu’hétéro sexuel.

    Le comportement du footballeur sénégalais, de ce point de vue, est moralement une faute.

    Il faut cependant reconnaître que la prise de conscience occidentale est récente.

    • En 1954, un des plus grands génies scientifiques Alan Turing s’est suicidé parce que la justice britannique après l’avoir condamné à de la prison l’avait ensuite contraint à une castration chimique parce qu’il était homosexuel.
    • En France, ce n’est que le 4 août 1982 que la France dépénalisait l’homosexualité lors d’un vote de l’Assemblée Nationale obtenu par Robert Badinter sous la présidence de François Mitterrand.
    • Et ce n’est qu’en 1990 que l’Organisation mondiale de la santé a supprimé l’homosexualité de la liste des maladies mentales.

    Mais peu importe qu’il s’agisse d’une prise de conscience récente, depuis 3 siècles, pour l’Occident quand il avait pris une position morale, il avait l’habitude que cela devienne une position universelle.

    Ainsi, concernant la démocratie et les droits de l’homme, notamment de ne pas enfermer les opposants, l’Occident disait le droit, la morale et ce qu’il convenait de faire.

    Et ceux qui ne faisaient pas comme l’Occident, s’excusaient de ne pas être arrivé au niveau « civilisationnel » de l’Occident et demandait un peu d’indulgence et de temps pour rejoindre les normes occidentales.

    Dans cette affaire, on constate que ce n’est plus du tout le cas.

    Tous les intervenants sénégalais cités partent du principe que « l’acceptation de l’homosexualité » est une valeur occidentale qui est contraire à leurs valeurs.

    Ils n’envisagent, en aucune façon, une évolution future.

    C’est un choc de culture et un choc de valeur.

    Dans le monde des civilisations islamiques, cette vision est partagée.

    Ainsi pour la coupe du monde de football au Qatar, fin 2022, les autorités qataries ont indiqué que les supporters LGBT qui assisteront à l’événement devront faire preuve de discrétion.

    Abdulaziz Abdullah al-Ansari le directeur de la sécurité de la coupe du monde a déclaré :

    « Si un supporter brandit un drapeau arc-en-ciel dans un stade et qu’on le lui enlève, ce ne sera pas parce qu’on veut l’offenser, mais le protéger […] il ne s’agit pas là de propos discriminatoires. Si on ne le fait pas, un autre spectateur pourrait l’agresser. Si vous souhaitez manifester votre point de vue concernant la cause LGBT, faites-le dans une société où cela sera accepté »

    Dans le pays de l’Islam chiite <Le Parisien> dans un article du 5 septembre 2022, nous apprend que deux lesbiennes et militantes LGBTQ viennent d’être condamnées à mort.

    Ces deux femmes, Zahra Sedighi Hamedani, âgée de 31 ans, et Elham Chubdar, 24 ans, ont été condamnées à mort par un tribunal dans la ville d’Ourmia (nord-ouest).

    L’Autorité judiciaire a confirmé la condamnation à mort pour « corruption sur terre » des jeunes femmes. Il s’agit de la charge la plus grave du code pénal iranien.

    Bien sûr, les ONG nous invitent à protester auprès des autorités iraniennes et de demander l’annulation de la sentence.

    Ce sont deux mondes culturels.

    Étant donné notre évolution morale en France, le Sénégal, le Qatar sont « des malveillants, des méchants » et pour l’Iran « des criminels ».

    Mais pour ces pays, nous, autres occidentaux, sommes des êtres dépravés, immoraux.

    Il n’y a plus d’hégémonie morale occidentale.

    Alors que faisons-nous ?

    Nous n’allons pas faire la guerre pour imposer nos valeurs !

    Nous n’allons même pas, envoyer des missionnaires, pour essayer de convertir ces peuples parce ce que venant de l’Occident, ils seraient rejetés.

    Mais devons nous accepter dans nos pays que ces représentants d’une autre civilisation transgressent notre morale ?

    Parce que personne n’a demandé à Idrissa Gueye de devenir homosexuel, on lui a simplement demander de s’associer à la condamnation du rejet des homosexuels.

    Le Qatar exige que les personnes LGBT venant d’Occident se dissimulent, restent discrets, se cachent.

    De notre point de vue, dans nos valeurs, ces musulmans sont homophobes.

    Alors pourquoi ne pourrait-on pas exiger, quand ils sont en Occident, d’être discrets et de cacher le fait qu’ils sont homophobes ?

    Les éléments de ce mot du jour se trouvent derrière ces liens :

    https://information.tv5monde.com/info/football-le-joueur-du-psg-idrissa-gana-gueye-au-coeur-d-une-polemique-sur-l-homophobie-456982

    https://www.lemonde.fr/sport/article/2022/05/17/l-absence-embarrassante-d-un-joueur-du-psg-lors-de-la-journee-de-lutte-contre-l-homophobie-dans-le-football_6126445_3242.html

    https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/derriere-l-affaire-idrissa-gueye-la-question-de-l-homosexualite-au-senegal_5119393.html

    https://www.france24.com/fr/sports/20220517-homophobie-dans-le-football-une-absence-d-idrissa-gueye-cr%C3%A9e-la-pol%C3%A9mique

    https://www.marianne.net/monde/afrique/acte-de-courage-valeurs-africanite-les-soutiens-a-idrissa-gueye-pleuvent-au-senegal

    https://www.letemps.ch/sport/soutien-idrissa-gueye-accuse-dhomophobie-france-ne-faiblit-senegal

    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/05/20/au-senegal-un-soutien-tres-politique-a-idrissa-gueye_6127039_3212.html

    https://www.lefigaro.fr/sports/football/ligue-1/la-federation-senegalaise-s-en-prend-violemment-a-la-fff-apres-l-affaire-idrissa-gueye-20220520

    https://www.sofoot.com/bacary-cisse-regrette-un-choc-culturel-dans-l-affaire-idrissa-gueye-516111.html

    <1708>

  • Mardi 13 septembre 2022

    « Deux pays, ayant présidé à la création du tribunal de Nuremberg, sont en train de réduire en miettes leurs engagements. »
    Philippe Sands parlant du Royaume-Uni et des Etats-Unis en raison de leur comportement à l’égard des Chagos

    Je souhaite revenir sur ma série concernant le choc des civilisations qui est surtout le choc des civilisations non occidentales contre la civilisation occidentale.

    Nous avons du mal avec ce rejet, parce qu’il remet en cause beaucoup de nos valeurs que nous voulons, pensons, espérons universelles.

    Il s’agit d’une question d’une très grande sensibilité. L’Occident a beaucoup trahi les valeurs qu’il prétendait partager avec tous les autres peuples.

    Est-ce que pour autant les valeurs de démocratie, des droits de l’homme, de la liberté de pensée et d’expression ne méritent pas d’être défendues ?

    C’est toute la question. C’est un chemin compliqué. Les valeurs de l’Occident ne sont pas seulement remises en cause par les autres civilisations.

    L’Occident a généré, en son sein même, des ennemis de ces valeurs : l’Amérique de Trump d’un côté et l’Amérique de la cancel culture et du communautarisme de l’autre côté, en constituent des exemples éclairants et désespérants.

    Ces mouvements sont aussi arrivés en France avec la même intolérance et le même aveuglement.

    Mais avant d’emprunter ce chemin pour essayer de comprendre ce qui se joue devant nos yeux, je vais aujourd’hui évoquer une de ces histoires qui alimente la collection des trahisons et des fautes de l’Occident.

    Le bras agissant dans cette affaire est le Royaume-Uni d’Elizabeth II, encouragé et influencé par les États-Unis.

    J’avais déjà évoqué ce sujet dans un mot du jour très ancien qui date du 2 septembre 2013 : « Le silence des chagos » qui est un livre de Shenaz Patel

    Cette lamentable histoire est revenue dans l’actualité, en raison de l’évolution du dossier et d’un livre qui vient d’être publié en France : « La dernière colonie » de Philippe Sands traduit par Agnès Desarthe

    Philippe Sands était l’invité de Guillaume Erner aux matins de France Culture d’hier le 12 septembre pour parler de son livre et aussi de l’actualité du Royaume Uni : < Royaume-Uni : l’empire qui ne voulait pas mourir >

    Philippe Sands est un avocat franco-britannique spécialisé dans la défense des droits de l’Homme, professeur de droit au University College de Londres.

    Il a écrit un ouvrage remarquable publié en 2017 dans sa traduction française : « Retour à Lemberg ». Le site Dalloz résume cet ouvrage fondamental de la manière suivante :

    « Dans un ouvrage passionnant, reposant sur une subtile biographie croisée de quatre personnages réunis par la ville de Lemberg (aujourd’hui Lviv, en Ukraine), l’avocat Philippe Sands livre une réflexion majeure sur les origines de la justice internationale à Nuremberg. En documentant et en relatant la préparation de ce procès exceptionnel à plus d’un titre, Philippe Sands dévoile un parcours initiatique personnel et familial d’une belle sensibilité. »

    « Le Monde » avait publié aussi un article de fond sur cet ouvrage : < Philippe Sands de Lviv à Nuremberg >

    A Nuremberg, les accusés nazis étaient accusés de 4 crimes :

    • Conjuration
    • Crime de guerre,
    • Crime contre la paix

    et, pour la première fois de l’histoire,

    • Crime contre l’humanité.

    Après cette longue introduction, pourtant très condensé nous pouvons revenir à l’Histoire de l’Archipel des Chagos situé dans l’Océan Indien et qui fait normalement partie des iles rattachées à la République de Maurice dont l’ile principale est l’ile Maurice.

    Si vous voulez replacer ces iles sur une mappemonde il faut en revenir à mon premier mot du jour : « Le silence des chagos ».

    En 1960, ces territoires étaient colonies britanniques et au sein de la décolonisation, tous ces territoires devaient devenir indépendants dans le cadre de la République de Maurice en 1968.

    Mais en 1965, les britanniques vont détacher l’archipel des Chagos, c’est-à-dire un ensemble de sept atolls situés dans le Nord de l’océan Indien et totalisant cinquante-cinq îles du reste de l’entité Mauricienne. Ils créent ainsi leur dernière colonie.

    Pourquoi font-ils cela ?

    Philippe Sands explique ainsi cette histoire : En 1964, les britanniques dont le premier ministre est alors Harold Wilson refuse de s’engager dans la guerre du Vietnam au côté des américains.

    Les américains acceptent cette défection mais suggèrent aux britanniques de les soutenir autrement, en mettant à leur disposition l’île principale de l’archipel des Chagos : Diego Garcia pour y installer une base militaire, au plein milieu de l’Océan Indien.

    Les Britanniques acceptent cette demande, trop heureux, de pouvoir ainsi compenser leur refus d’entrer dans la guerre du Vietnam.

    Dans « Astérix et les normands » Goscinny avait fait dire à un normand cette phrase cynique : « Il faut savoir sacrifier les autres ».

    Les Britanniques vont, en effet, céder à un autre caprice des États-Uniens : l’archipel des Chagos doit être vidé de tous ses habitants.

    Cela aboutit à une déportation de tous les habitants qui vivaient sur ces iles. Déportation vers l’ile Maurice où ils vont vivre de manière misérable.

    La création de cette colonie par amputation de la future République de Maurice ainsi que la déportation des habitants étaient parfaitement illégales par rapport au Droit International que l’Occident avait contribué à mettre en place.

    Dans les années 1960, l’Occident était encore en mesure de dicter sa volonté même contraire à la Loi.

    Depuis les habitants du Chagos cherchent par les voies juridiques à revenir sur le territoire de leurs ancêtres.

    Liseby Elysé est une de ces habitantes. Elle a été déportée avec les autres. Elle était enceinte et a perdu son enfant dans cette déportation.

    Philippe Sands a rencontré Liseby Elysé et est devenu son avocat.

    Le livre « La dernière colonie » raconte ce combat commun.

    Dans un <article du Monde> publié le 4 septembre 2022 , on lit :

    « Un jour de 2018, Liseby Elysé se présente devant Cour internationale de justice (CIJ) et déclare : « Je suis venue à La Haye pour récupérer mon île. » […]

    Auprès d’elle, à La Haye, où elle s’apprête à témoigner, se tient l’avocat franco-britannique Philippe Sands, inlassable défenseur des droits humains dans les zones les plus brûlantes de la planète.

    Engagé par le gouvernement de l’île Maurice, il obtient de la CIJ un jugement historique, qui reconnaît l’injustice commise contre Liseby et les siens et impose au Royaume-Uni d’autoriser leur retour.

    A ce jour, pourtant, rien n’a été fait. A Maurice, aux Seychelles, à Londres, les Chagossiens attendent encore. « Nous avons le droit de vivre là-bas, disent-ils à Philippe Sands, nous ne renoncerons ­jamais. »

    C’est à cela que sert la publication simultanée, en anglais et en français […] de La Dernière Colonie : Réveiller l’opinion publique.

    Mettre au service des Chagos la puissance littéraire qu’ont fait connaître au monde entier les deux précédents livres de Sands, Retour à Lemberg et La ­Filière (Albin Michel, 2017 et 2020). Et parce que cette manière de nouer la politique et la littérature, loin de tout discours idéologique, en unissant les pouvoirs de l’une et de l’autre pour les insérer ensemble dans la réalité, rend son œuvre unique, ce livre, passionnante synthèse de toutes les vies de son auteur, fournit une parfaite occasion de revenir sur chacune d’elles, et sur le tout qu’elles ont fini par créer.

    Quand le gouvernement britannique annonce, en 2010, la création d’une aire marine protégée (AMP) autour des Chagos, l’initiative paraît louable à beaucoup. Pas aux anciens habitants de l’archipel, chassés de leurs îles par les mêmes Britanniques entre 1967 et 1973.

    Si l’AMP est installée, la pêche sera interdite dans la zone, et ils ne pourront revenir : comment subsisteraient-ils ?

    Le projet semble balayer leurs espérances.

    En réalité, il va bientôt se retourner contre le Royaume-Uni. Des documents commencent à circuler, démontrant que l’administration britannique joue sciemment les défenseurs de l’environnement contre ceux des Chagossiens.

    L’île Maurice, qui n’avait pu accéder à l’indépendance, en 1968, qu’en cédant par force les Chagos, se tourne vers la Cour internationale de justice, laquelle, en 2019, lui donne raison. Les Chagossiens peuvent rentrer. Sauf que, depuis, les Britanniques feignent de ne pas avoir entendu la leçon. »

    Par rapport à 2013, nous avons avancé maintenant la justice internationale donne raison aux Chagos, mais les britanniques et les américains ne se sont toujours pas soumis à cette décision.

    Dans « L’Obs » un article de ce 11 septembre <Philippe Sands, l’avocat en guerre contre Londres> explique :

    « Depuis Nuremberg, la notion de « crime contre l’humanité » inclut la « déportation » et la Convention européenne des Droits de l’Homme entrée en vigueur en 1953 offre à un individu la possibilité de porter plainte contre son propre pays devant une cour internationale. Les Chagossiens ont au départ peu d’espoir.

    La Grande-Bretagne soutenue par les Etats-Unis avait même préféré les prévenir : aucune chance qu’un recours au droit international ne mette fin à la tutelle coloniale sur les Chagos. C’était sans compter sur la détermination des avocats dont, on l’aura compris, Philippe Sands. Il se bat aux côtés de Liseby Elysé et de sa famille, convaincu que cette affaire est le dernier vestige du colonialisme.

    Cette indignation se traduit par des années de lutte, un périple juridique complexe au sein des institutions internationales, jusqu’à la Cour internationale de Justice de La Haye. Le livre retrace avec minutie ce parcours, montrant le rôle compliqué qu’a joué le droit international depuis 1945 dans le recul du colonialisme. […] en 2019 la Cour a conclu que le Royaume-Uni devait mettre fin à son administration sur les Chagos. Et qu’en 2022, à la faveur d’une mission scientifique autorisée par Londres, Liseby Elysé, à l’âge de 69 ans, a pu retourner quelques heures sur sa terre natale et nettoyer la tombe de ses proches. »

    Cet article rapporte que la position de la Grande-Bretagne et des États-Unis devient intenable :

    « La réputation de la Grande-Bretagne en tant que garante de l’état de droit international a volé en éclats. » Le soutien des États-Unis devient à son tour intenable. Deux pays, ayant présidé à la création du tribunal de Nuremberg, sont en train de « réduire en miettes leurs engagements ». Une régression inquiétante aux yeux de Sands qui a toujours dit l’importance qu’il accordait à ce moment révolutionnaire que fut Nuremberg, et pour qui le droit international est notre seul système de valeurs commun. Sans compter que les implications géopolitiques sont graves : comment critiquer l’occupation illégale de l’Ukraine par la Russie quand on continue d’occuper illégalement une partie de l’Afrique ? »

    Cet article < Liseby Élysée : « notre voix est entendue à travers le monde »> est une interview de cette femme après son témoignage à la Cour internationale de Justice.

    Dans cet article on apprend que :

    « Bien qu’elle soit un être humain, elle a été placée dans la cale du bateau qui déportait les Chagossiens vers Maurice. Le voyage a duré 4 jours. Elle était enceinte et a accouché dans le bateau. Son enfant est mort durant la traversée. »

    Des informations se trouvent aussi sur <Site> d’un journal de la République de Maurice

    Et je redonne le lien vers l’émission de France Culture : < Royaume-Uni : l’empire qui ne voulait pas mourir >

    <1707>

  • Lundi 12 septembre 2022

    « Pause (Une reine qui régnait depuis 70 ans est décédée.) »
    Jour sans mot du jour nouveau

    J’ai été occupé ce Weekend par une autre activité que l’écriture du mot du jour, la pause est donc de rigueur.

    Autour de nous, les télévisions, les radios et les journaux sont saturés d’émissions plus ou moins pertinentes sur le décès de la Reine d’Angleterre et son remplacement par son fils de 73 ans.

    Ils n’ont pas été aussi agités pour célébrer Mikhaël Gorbatchev, l’homme qui a changé le monde.

    Alors qu’Elizabeth II s’est contentée d’être la spectatrice qui observait le monde en train de changer et accompagnait le déclin de l’empire britannique.

    Ainsi va le monde, l’apparat et l’or des palais restent objet de dévotion.

    Si vous voulez entendre une analyse sérieuse, je vous conseille ces 3 émissions :

    France Culture : « L’Esprit Public »: <Le mythe autour de la reine Elizabeth II>

    Slate : « Le monde devant soi » : <Les défis de Charles III, successeur d’une reine Elizabeth II très populaire>

    France Culture : « Affaires étrangères » : < Mort d’Elizabeth II : royauté et identité britanniques en question>

    La reine est morte, vive le Roi et les caricaturistes se sont déchainés : j’ai aimé celle ci


    Et il en est même qui se moque de la défunte Reine. Les couleurs de sa garde robe ont conduit à ce moment d’humour.

    <Mot du jour sans numéro>

  • Vendredi 9 septembre 2022

    « Est-ce la décroissance ou la croissance qui, sur le long terme, est un mythe ?
    Question qu’il me semble légitime de poser

    Antoine Bueno est né en 1978.

    Je ne le connaissais pas.

    « Le Point » le présente ainsi : essayiste et conseiller au Sénat en charge du développement durable, est notamment l’auteur de « Futur, notre avenir de A à Z » (éditions Flammarion). Son prochain ouvrage « L’effondrement (du monde) n’aura (probablement) pas lieu » (Flammarion) sortira le 19 octobre prochain.

    Il a commis un article dans Le Point, publié le 4 septembre 2022 : « La décroissance est un mythe »

    Il cite Élisabeth Borne qui comme Aurélien Barrau avait rendu visite au MEDEF et a déclaré :

    « La décroissance n’est pas la solution. »

    Il est d’accord avec cette opinion et regrette que

    « [La décroissance] est pourtant devenue incontournable dans le débat écologique. Des experts comme Jean-Marc Jancovici s’en font l’avocat, des personnalités politiques telles que Delphine Batho en font un programme, des penseurs tels que Gaspard Koenig, un objet de rêverie philosophique. »

    Il explique que personne ne dispose d’un mode d’emploi pour savoir comment faire, c’est-à-dire décroitre tout en préservant le corps social d’une implosion.

    Il tente une définition :

    « La décroissance peut être définie comme une action volontaire de réduction de la taille physique de l’économie, un processus organisé visant à réduire la quantité de matière et d’énergie exploitée par le métabolisme de la société humaine (Susan Paulson). »

    Pour lui, une politique de décroissance est impossible à mettre en œuvre.

    Et je vous livre ses arguments :

    « La première raison à cela relève du plus froid réalisme : aujourd’hui, personne n’en veut. Aucun pays n’est prêt à se lancer dans une réduction volontaire de la production et de la consommation.

    Peut-être sera-ce le cas dans un avenir plus ou moins lointain. Mais c’est aujourd’hui que le monde a besoin de décroissance.

    Pour qu’elle ait un impact écologique, elle devrait être mise en œuvre au plus vite. La planète n’a pas le temps d’attendre la maturation d’une idée.

    Ensuite, pour qu’une politique de décroissance porte ses fruits, elle devrait être mise en œuvre par le monde entier en même temps.

    Dans un monde ouvert et interconnecté, un ou plusieurs pays ne peuvent pas décroître isolément, indépendamment des autres, même de très grands pays.

    On ne peut pas décroître seul, contre le reste du monde. Le faire se traduirait par une politique d’autarcie. En décroissant seul, un pays aurait de moins en moins de moyens économiques pour financer les importations dont il a besoin. Il devrait donc devenir totalement autosuffisant. C’est impossible pour les petits pays qui dépendent, entre autres, de ressources énergétiques ou alimentaires extérieures. Et on sait que même les grands pays bien dotés en ressources naturelles ont du mal à assurer leur autosuffisance.

    De plus, un tel pays n’attirerait plus d’investissements étrangers puisque ceux-ci ne sont réalisés que dans l’attente d’un retour, c’est-à-dire d’une rentabilité condamnée par l’absence programmée de croissance. Au contraire, les intérêts étrangers en activité sur son territoire s’en retireraient. Sur le plan intérieur, ce pays verrait donc rapidement son tissu économique se rétrécir et se déliter. La décroissance dans un pays isolé ne peut mener qu’à une catastrophe économique à l’image de celle observable en Corée du Nord.

    Enfin, même si par un coup de baguette magique le monde s’entendait pour mettre en œuvre un programme global de décroissance, ce dernier ne pourrait aboutir qu’à une réduction considérable du niveau de vie moyen sur la planète. En effet, pour éviter cet effet, pour maintenir voire augmenter le niveau de vie des peuples tout en décroissant, les partisans de la décroissance en appellent à la redistribution. L’idée est que l’on peut rendre socialement indolore une réduction de l’économie en redistribuant bien mieux qu’aujourd’hui ses fruits. Une telle redistribution serait cependant illusoire. »

    Ces arguments me semblent très forts.

    L’auteur montre que la décroissance aurait des conséquences fâcheuses dans nos sociétés. Et il proclame sa croyance dans une croissance durable.

    Ces sujets sont évidemment très complexes. Toutefois il faut en revenir à des sujets solides et physiques.

    Si on en revient à la définition de la décroissance de Susan Paulson qu’Antoine Bueno met en lumière : « une réduction de la quantité de matière et d’énergie exploitée par le métabolisme de la société humaine »

    La « non décroissance », appelée plus simplement « la croissance » est donc le contraire. C’est-à-dire : « une augmentation de la quantité de matière et d’énergie exploitée par le métabolisme de la société humaine »

    J’ai écouté des conférences Philippe Bihouix qui systématiquement explique une chose simple que vous êtes capable de reproduire sur un simple tableur.

    Imaginez une croissance de 2% chaque année de manière infinie.

    Ce n’est pas grande chose 2%, c’est très raisonnable.

    Donc l’année 1 on a 1 et l’année 2 on a 1,02.

    Vous verrez sur votre tableur que l’année 36 on est à 2 : on a doublé le PIB

    L’année 57 on est à 3, l’année 71 on est à 4. L’année 118 on est à 10

    On a multiplié par 10 le PIB dans le monde fini qu’est la terre.

    On a fait à peu près cela depuis le début de l’ère industrielle et on voit où nous en sommes par rapport au réchauffement climatique, la bio-diversité, la pollution etc..

    Pour arriver à 100 il faut attendre l’année 234 !

    Donc dans ce système, au bout de 234 ans, on multiplierait la quantité de matière et d’énergie exploitée par 100 !

    Certains diront, oui mais on va améliorer l’efficacité : et donc on va multiplier le PIB par 100 mais pas la quantité de matière et d’énergie en proportion !

    Peut être, mais on sera obligé quand même d’augmenter l’énergie et la matière exploitée, de manière considérable.

    La terre ne peut pas faire face à cette demande.

    Alors oui probablement la décroissance est infaisable ou très très compliquée.

    Mais ce qui est un vrai mythe, c’est la croissance infinie pour la société d’homo sapiens sur terre !

    Et si vous avez encore des doutes je vous invite à regarder cette vidéo passionnante de Philippe Bihouix <La technologie ne nous sauvera pas>

    <1706>

  • Jeudi 8 septembre 2022

    « Tant que vous nommerez « croissance », le fait de raser un espace gorgé de vie pour le remplacer par un espace commercial, fut-il neutre en carbone, nous n’aurons pas commencé à réfléchir sérieusement. »
    Aurélien Barrau, lors de l’Université d’Été du MEDEF de 2022

    Pour celles et ceux qui ne le connaîtraient pas encore, Aurélien Barrau est né en 1973 et il est astrophysicien et sa fiche Wikipedia ajoute philosophe français.

    Il est spécialisé en relativité générale, physique des trous noirs et cosmologie. Il est directeur du Centre de physique théorique Grenoble-Alpes et travaille au Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble. Il est professeur à l’université Grenoble-Alpes.

    C’est un militant écologiste favorable à la décroissance.

    Je pense que les responsables du Patronat français le connaissent et savent les thèses qu’il défend.

    Et pourtant, ils l’ont invité à la dernière Université du MEDEF.

    Ils n’ont pas été déçus !

    Son introduction à la table ronde à laquelle il a été invité sur le thème qui traitait de la manière dont l’Europe pouvait devenir « le continent le plus vert de la planète » a été tonitruante.

    Elle a été très largement diffusée sur internet : <Aurélien Barrau a l’université d’été du MEDEF>

    Il a commencé en attaquant de front la manière d’aborder le sujet écologique par ce prisme européen, révélateur selon lui d’une « arrogance » occidentale :

    « Ce thème est très caractéristique de l’arrogance occidentale. Je crois que nous n’avons pas tous ici bien compris que nous ne sommes pas la solution, nous sommes le problème. Ce sont nos valeurs et nos manières d’être qui mènent, je cite, à ce que l’ONU nomme “une situation de menace existentielle directe”.
    Et nous en sommes encore à pérorer sur notre exemplarité. Quelle suffisance ! »

    Belle entrée en matière !

    Il explique ensuite que, selon lui, les dirigeants politiques et économiques passent à côté de l’essentiel.

    « Pour trois raisons fondamentales :

    La première est que ce qui est fait concernant le réchauffement climatique, et on le sait très bien, est dérisoire !

    La deuxième qui est plus grave encore et qui est moins bien comprise, c’est que le réchauffement climatique est, dans une certaine mesure, lui-même dérisoire par rapport à l’étendue de la crise systémique et pluri factoriel que nous traversons : Pollution, acidification des océans, interruption des cycles bio et géochimique, dévastation des espaces naturels, n’ont pour l’essentiel rien à voir avec le climat, mais tuent davantage que ce dernier. Ce qui signifie que chacun des piliers sur lesquels reposent l’habitabilité de cette planète est en train de céder.

    Et mon troisième est peut-être plus grave encore. Et il consiste à remarquer que, quand bien même, nous prendrions à bras le corps chacun des items que je viens de mentionner, ce qui n’est pas du tout le cas en pratique, nous demeurerions vraisemblablement toujours dans le dérisoire. Parce que le véritable problème, c’est qu’aujourd’hui notre rapport au monde, notre être à l’espace, fait de l’éradication systématique du vivant une finalité.

    Parce que nous sommes des gens sympathiques et éduqués, on se demande, en gros, comment faire des bombes issues du commerce équitable et utilisant des matériaux biologiques. C’est mignon, mais tant que le pilonnage en règle de la biosphère demeure le geste cardinal, croyez-moi, l’origine des projectiles n’a pas beaucoup d’importance. »

    Et il a lancé cet anathème qui a été beaucoup repris sur les réseaux sociaux et que je reprends comme exergue à ce mot du jour :

    « Tant que vous nommerez « croissance », le fait de raser un espace gorgé de vie pour le remplacer par un espace commercial, fut-il neutre en carbone, nous n’aurons pas commencé à réfléchir sérieusement. »

    Et il a aussi repris une évolution qu’il a combattu depuis le début : la 5G

    « Tant que le président du Medef nommera, à l’unisson d’ailleurs du chef de l’État, « progrès », la mise en place d’une nouvelle génération de téléphonie mobile qui ne répond strictement à aucun besoin mais dont les conséquences délétères, pour ne pas dire létales, sont avérées d’un point de vue de la pollution, de la consommation et de l’addiction, nous n’aurons pas commencé à réfléchir sérieusement.”

    Et il a fini par cette conclusion :

    «  Je crois qu’il faut être un peu conséquent. Nous ne sommes déjà plus dans une crainte quant à l’avenir. Nous sommes dans un constat quant au passé. Nous avons d’ores et déjà éradiqué plus de la moitié des arbres, des insectes, des poissons d’eau douce, des mammifères sauvages. Nous laissons d’ores et déjà 700 000 êtres humains mourir chaque année de la pollution en Europe. Si, même face à cette évidence, nous ne voyons pas la nécessité d’une refonte axiologique et ontologique drastique, c’est que nous faisons preuve d’une cécité que nos descendants, s’ils survivent, auront, croyez-moi, du mal à pardonner. »

    Bon, ça c’est dit !

    On peut nuancer ou même critiquer sur certains détails :

    Il parait excessif de dire que « l’éradication systématique du vivant constitue une finalité ». Dire que l’éradication du vivant n’est jamais considérée comme un obstacle pour poursuivre les finalités humaines de profits me parait plus juste

    C’est particulièrement le cas de la déforestation de l’Amazonie.

    <Reporterre> évoque un Rapport tout récent :

    « L’Amazonie : 390 milliards d’arbres, plusieurs millions d’espèces d’insectes, un nombre incalculable d’oiseaux, de mammifères et de reptiles, pour certains encore inconnus de l’être humain. Un trésor de biodiversité qui, malheureusement, s’effondre. Selon un rapport publié le 6 septembre par un regroupement d’organisations environnementales amazoniennes (RAISG) et la Coordination des organisations indigènes du bassin amazonien (Coica), la forêt pluviale a atteint son « point de bascule ». Certaines zones commencent déjà à se transformer en savane. »

    Sa position sur la 5G qui ne répondrait strictement à aucun besoin est peut-être aussi exagérée, il est possible que certaines utilisations médicales puissent en profiter. En revanche, l’addiction et le phénomène qu’on appelle « le rebond » et qui conduit à ce que type d’évolution conduise massivement à une nouvelle surconsommation d’énergie est certainement exacte.

    Donc, si on peut nuancer, je crois quand même qu’il faut reconnaître que globalement son constat est exact.

    A ce stade de la réflexion, je pense au « moment Gorbatchev ».

    Gorbatchev a aussi fait le constat que le système, qu’il essayait de diriger, était mauvais.

    Alors, il a essayé de le réformer.

    Ses réformes ont entrainé de grands malheurs et souffrances pour la société.

    Ce mauvais système s’est effondré !

    Et finalement le système qui a remplacé l’ancien, sur beaucoup de points, était pire que l’ancien.

    Faire le constat que cela ne fonctionne pas est fondamental.

    Réaliser localement des réponses qui permettent d’améliorer en pratique et dans le quotidien notre rapport au vivant, à la biodiversité, notre impact climatique et écologique est essentiel.

    Mais ensuite, mettre à bas, faire exploser notre organisation actuelle n’est probablement pas très compliqué si on s’y attaque résolument.

    Mais après ?

    Ceux qui sont dans les villes, pourront-ils faire face à leurs besoins primaires d’alimentation, d’hygiène et de santé ?

    Trouveront-ils des médicaments dans des pharmacies ou ailleurs ?

    Y aura-t-il de l’eau au robinet et de l’électricité quand on actionne l’interrupteur ?

    Pourront ils avoir de l’argent qui permet de tant simplifier et fluidifier les échanges ?

    Et si la solution proposée est de quitter massivement les métropoles, où iront ces citadins ? vers quels endroits où ils pourront se loger, se nourrir, se soigner ?

    Nous ne sommes pas 5 millions, nous sommes 8 milliards.

    Dire qu’il faut revoir toute l’organisation est très juste.

    Mais pour aller vers quoi ? Et comment faire pour y aller ?

    Voilà des sujets très compliqués dont j’entends peu parler.

    Si vous voulez écoutez plus que les 5 minutes d’introduction d’Aurélien Barreau, c’est à dire l’ensemble de l’échange, c’est <ICI>

    <1705>

  • Mercredi 7 septembre 2022

    « Qui y a-t-il de plus fort que le sentiment d’aimer une femme et d’être aimé par elle ? »
    Mikhaël Gorbatchev, évoquant son amour pour son épouse Raïssa

    C’est un documentaire un peu étrange qu’« ARTE » a diffusé en l’honneur de Mickhaël Gorbatchev : <Gorbatchev – En aparté>

    Ce documentaire restera disponible sur le site d’ARTE jusqu’au 28 février 2023.

    Un nonagénaire au visage et au corps gonflés par le diabète avance péniblement, à l’aide d’un déambulateur, dans la maison que l’État russe a mis à sa disposition et dont il possède l’usufruit.

    L’homme de la perestroïka et de la glasnost se laisse filmer dans son intimité par le réalisateur Vitaly Manski qui le connaît et le vénère.

    Son visage est devenu lunaire, son corps est épuisé. Il est quasi méconnaissable, mais sur le crâne lisse, apparait la fameuse tache de naissance qui est devenu célèbre avec lui.

    La présentation de ce documentaire, tournée en 2019, est alléchante : Près de trente ans après l’effondrement de l’Union soviétique, quel regard porte-t-il sur son testament politique, depuis son avènement au pouvoir en 1985 jusqu’à sa démission, le 25 décembre 1991 ?

    Il ne dit pas grand-chose, en tout cas rien de nouveau.

    Il refuse obstinément de se prononcer sur la politique contemporaine de la Russie de Poutine.

    Bernard Guetta explique dans une interview que Poutine a exigé, pour que sa fin de vie reste paisible dans cette maison confortable, que ses commentaires et critiques à son égard restent mesurés.

    Ce que j’ai trouvé unique, dans ce documentaire, c’est l’émotion qui se dégage quand ce vieil homme malade parle de son amour pour sa compagne de 46 ans Raïssa Maximova Tilorenko, morte d’une leucémie en 1999 dans un hôpital de Munster.

    Des photos ou des peintures la représentant se trouvent partout dans la maison.

    A 24 minutes 30 du documentaire, Mikhail Gorbatchev parle de sa fille qui a quitté la Russie et qui vit en Occident, comme ses enfants.

    Et Gorbatchev ajoute :

    « Du temps de Raïssa, tout le monde était là.
    Je n’arrive toujours pas à m’y faire. »

    Vitaly Manski le relance alors :

    « Lorsque Raissa Maximova est décédé vous avez déclaré à plusieurs reprises que pour vous la vie n’avait plus de sens. »

    Et Gorbatchev répond immédiatement :

    « C’est vrai ! »

    Et quand le réalisateur pose la question : « Comment ça ? » il répète

    « Elle n’en a plus ! »

    Gorbatchev mange et se tait.

    Alors Manski tente une nouvelle relance :

    « C’est quoi le sens de la vie ? »

    Gorbatchev continue à manger et ne répond pas. Il y a un long silence.

    Le questionneur tente une réponse :

    « Est-ce que cela ne serait pas d’aimer une femme tout simplement ? Et d’avoir des enfants avec elle ? Il ne faut peut-être pas chercher plus loin … »

    Et Le vieil homme brusquement reprend la parole et dit :

    « Qui y a-t-il de plus fort que le sentiment d’aimer une femme et d’être aimé par elle ?
    Il y a tant de jolies filles, tant de doux noms à entendre.
    Mais un seul, dans mon cœur, brille, me parait si beau, si tendre. »

    Un peu plus loin dans le documentaire à 32:50, il dit :

    « On ne s’est jamais séparé, on était toujours ensemble. On ne faisait qu’un.

    On se demande à quoi ça tient.

    On me disait qu’elle me menait par le bout du nez.

    Ce que je n’ai jamais démenti. En fait, j’étais tout à fait d’accord. Et c’était bien comme ça. […]

    Je me souviens d’une interview de Jacques Brel entendu à la radio.

    J’étais très jeune mais ces paroles me sont restées.

    « Il y a qu’un tout petit nombre de personnes qui sont en capacité de vivre le grand amour toute une vie »

    Raissa Tilorenko,et Mikhaël Gorbatchev faisaient partie de ce petit nombre.

    C’est d’autant plus difficile pour les hommes de pouvoir qui ont tant besoin de séduire et de se rassurer en séduisant encore.

    Dans tous les documentaires que j’ai vu, chaque fois que Gorbatchev parlait de Raissa, de sa mort, de sa dépression après le putsch des conservateurs de juillet 1991, les larmes venaient et il devait s’essuyer les yeux.

    Dans un article rédigé par Annick Cojean dans le Monde : < Mikhaël Gorbatchev : une enfance soviétique dans une famille aimante> il révèle :

    « Je suis né dans une famille heureuse. Mon père aimait beaucoup ma mère. En fait, ils ne faisaient qu’un. Ma mère était d’origine ukrainienne, région de Tchernigov, mon père de racines russes, région de Voronej. Ils étaient très heureux ensemble. »

    Et à cette journaliste il a dit :

    « L’éthique et la morale de mon grand-père sont restées mes références. Lui et mon père m’ont servi d’exemple. Je ne les ai pas trahis. Car ce n’est jamais la gloire qui m’a inspiré, ni la conservation du pouvoir. Ce sont les gens simples et dignes que j’avais connus, ceux que l’histoire avait malmenés et qui méritaient de vivre dans un monde libre et démocratique. Et tant pis pour la Nomenklatura que j’ai vexée et secouée ! Je ne veux ni qu’elle me pardonne ni qu’elle me réhabilite.

     Car, de toute façon, j’ai gagné ! Le processus démocratique est irréversible ! J’ai réussi parce que je venais de ce monde de paysans et de cette famille-là. Que je croyais honnêtement dans ce que je faisais. Et aussi… parce que Raïssa était à mes côtés. »

    En 2020, juste après son décès à 67 ans, Frédéric Mitterrand a réalisé un documentaire pour France 2 « Mikhaïl et Raïssa, souvenirs d’un grand amour ».

    Dans la présentation de son documentaire Frédéric Mitterrand écrit :

    « Mikhaïl et Raïssa Gorbatchev se sont rencontrés à Moscou au début des années cinquante, alors qu’ils étaient étudiants. […]

    Elle venait d’une famille d’origine bourgeoise et son père cheminot appartenait à l’élite du prolétariat dans un pays où les chemins de fer furent longtemps la seule réponse au défi des grandes distances.

    L’un et l’autre avaient largement souffert des séquelles de la grande famine des années 30, de l’invasion allemande et de la terreur stalinienne, le père de Raïssa ayant notamment été envoyé au goulag tandis que sa femme et ses enfants survivaient misérablement dans un wagon de marchandises abandonné dans une gare de Sibérie.

    […] Il est avéré que l’accession au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir suprême en 1985 fut bien le résultat d’une ambition commune et d’une entente sentimentale et intellectuelle profonde avec son épouse à tel point qu’ils étaient autant le partenaire et le meilleur ami l’un de l’autre que mari et femme.

    A cet égard, Raïssa Gorbatchev joua un rôle essentiel dans l’affirmation publique de la volonté réformatrice de son époux, tandis que son charme et son élégance fascinaient les medias et l’opinion internationale au cours de visites officielles à l’étranger à l’impact spectaculaire. […]

    Sa fin brutale laisse ouverte l’énigme d’un amour de près de cinquante années qui aura résisté aux aléas dramatiques d’une histoire ayant changé la face du monde. »

    Le journal « Challenge » énonce cette évidence : « Derrière Mikhaïl et la perestroïka, Raïssa Gorbatcheva »

    Cet article cite Margaret Thatcher :

    « Raïssa était tout à fait différente, ne ressemblait pas aux gens que l’on avait l’habitude d’associer au système soviétique. C’était une femme sûre d’elle, brillante et vive »

    Et cite aussi un ouvrage de Gorbatchev :

    « Toute notre vie, où que nous soyons, nous n’avons jamais arrêté de dialoguer avec Raïssa. Une fois devenu secrétaire général et président, j’appelais Raïssa ou elle m’appelait deux-trois fois par jour ».

    Et j’ai la faiblesse de croire que si Gorbatchev fut grand et courageux dans l’épreuve et n’utilisa pas la force pour empêcher ce qui allait amener à sa destitution, c’est aussi parce que Raïssa était à ses côtés dans un lien indéfectible et immense.

    <1704>

  • Mardi 6 septembre 2022

    « La Glasnost et la Perestroïka»
    Mikhaïl Gorbatchev

    La politique que Gorbatchev lance, à son arrivée au pouvoir, permit, au monde entier, d’apprendre deux mots russes «  glasnost » (transparence) et « perestroïka » (reconstruction).

    La « Glasnost » est une transformation politique qui va libérer la parole politique comme jamais. Ni avant, ni après, ni maintenant les russes et les autres peuples soviétiques ne seront aussi libres.

    « La pérestroïka » est quant à elle une transformation économique qui va s’annoncer désastreuse.

    A cela s’ajoute « la loi anti-alcool », qu’il imposa très vite, et qui a laissé un mauvais souvenir, avec, pour résultat, l’augmentation de la consommation d’eau de Cologne ou de produits d’entretien comme substituts à la vodka, devenue difficile à trouver.

    Sa méfiance à l’égard de l’alcool aurait dû le rapprocher de Poutine qui de ce point de vue est aussi très éloigné de la pratique d’Eltsine.

    On pourrait donc résumer en disant que la Glasnost est une réussite et la Perestroïka un échec.

    Concernant la glasnost, les observateurs aguerris ont pu rapporter qu’il y eut quand même des points très critiquables.

    <Le Monde> rappelle

    « Le 12 décembre 1989, le pays tout entier est témoin en direct des limites de la glasnost (« transparence »). Les Soviétiques suivent alors avec passion les débats du « Congrès des députés du peuple », où siègent des élus « indépendants ». Les discussions sont retransmises en direct à la télévision, du jamais-vu. Aux heures de diffusion, on peut entendre une mouche voler dans les rues de Moscou ; tous suivent avidement les échanges animés entre les députés.

    Ce jour-là, l’académicien et militant des droits de l’homme Andreï Dmitrievitch Sakharov réclame à la tribune l’abolition de l’article 6 [qui impose le Parti Communiste comme Parti Unique]. Gorbatchev lui coupe le micro. Sakharov quitte la tribune et jette les feuilles de son discours sur le numéro un soviétique, assis au premier rang. Deux jours plus tard, le 14 décembre 1989, l’académicien meurt.

    Certes, en décembre 1986, Gorbatchev avait autorisé Sakharov et sa femme, Elena Bonner, exilés dans la ville fermée de Gorki depuis 1980, à rentrer à Moscou. Le geste était avant tout destiné à rassurer l’Occident, dont il cherchait les bonnes grâces. Quelques jours auparavant, la disparition tragique du dissident Anatoli Martchenko, mort d’épuisement dans un camp où il purgeait une peine de quinze ans pour délit d’opinion, avait entamé son image de réformateur. Même à l’époque de la perestroïka, les opposants continueront d’être envoyés à l’asile psychiatrique ou dans des colonies pénitentiaires héritées du goulag. »

    Cependant, l’article du Monde écrit surtout ce que fut cette parenthèse dans le gouvernement autoritaire de l’empire russe jusqu’à Poutine en passant par le régime bolchévique :

    « La glasnost (l’ouverture) marqua à jamais les esprits. D’un coup, les principaux tabous furent levés. Les journaux purent publier des statistiques sur les phénomènes de société jusqu’ici passés sous silence, tels les divorces, la criminalité, l’alcoolisme, la drogue. Les premiers sondages d’opinion firent leur apparition.

    Bientôt, des pans entiers de l’histoire de l’URSS, concernant notamment Staline et la période des purges, sont révélés au grand public. En 1987, Les Nouvelles de Moscou publient le texte du testament de Lénine, où celui-ci réclame la mise à l’écart de Staline, jugé trop « brutal ». La même année, le brouillage de la BBC cesse, les Soviétiques peuvent, enfin, communiquer et correspondre avec des étrangers.

    Les gens sont avides de savoir. Ils s’arrachent les hebdomadaires en vue, tels qu’Ogoniok ou Les Nouvelles de Moscou, qui reviennent sur les zones d’ombre de la période stalinienne. La parole se libère, on ose enfin aborder le thème des purges, des arrestations, le pacte germano-soviétique et les massacres des officiers polonais à Katyn, jusque-là imputés aux nazis. »

    Mais concernant la perestroïka ce fut un désastre.

    L’économie soviétique ne fonctionnait pas, mais comment la réformer ?

    Les avis sur les intentions de Gorbatchev divergent.

    Dans un podcast très intéressant de Slate <Le monde devant soi>, Jean-Marc Colombani pense que :

    « Mikhaïl Gorbatchev est un homo soviéticus, un homme de l’Union soviétique. […] il voulait introduire de l’humanisme dans le communisme. »

    Dans cette option, Il est entré dans ces réformes, en pensant sincèrement être en mesure de sauver le communisme et de conserver l’intégrité de l’Union Soviétique.

    Il existe une autre option qui est débattue, c’est celle qui consiste à penser qu’il savait le communisme condamné et que sa politique devait l’emmener à sortir du communisme tout en préservant l’Union Soviétique.

    Cette seconde thèse est défendue, par exemple, par Bernard Guetta qui a assisté à tous ces bouleversements d’abord en Pologne puis à Moscou où il a rencontré, plusieurs fois, Gorbatchev. Comme argument, il avance que Gorbatchev était trop intelligent pour ne pas s’être aperçu que l’économie communiste ne fonctionnait pas.

    Et Bernard Guetta déclare :

    « S’il avait voulu sauver le communisme, vous pensez qu’il aurait organisé des élections libres ? Qu’il aurait permis à la presse de prendre une liberté immense, qu’elle a perdu totalement sous monsieur Poutine aujourd’hui ?” »

    Vous trouverez cette intervention dans l’émission de France Inter : < Mikhaïl Gorbatchev voulait sauver la Russie d’un effondrement communiste inéluctable>

    Bernard Guetta, toujours passionné et passionnant est aussi intervenu dans « C à Vous » : <Gorbatchev, l’homme qui a changé la face du monde>

    Et il a répété à nouveau cette thèse par un billet d’hier, le 5 septembre, sur son site : < C’est la Russie et non pas le communisme que Gorbatchev voulait sauver>

    Bernard Guetta est un Gorbachophile qui, en outre, fut un intervenant régulier de la fondation Gorbatchev.

    Pourtant, rien dans les déclarations de Gorbatchev, même récentes et particulièrement dans le documentaire d’ARTE cité dans le mot du jour d’hier ne permet de soutenir la thèse de Guetta.

    Il était communiste, léniniste et il l’est resté.

    Colombani dit :

    « Dans le moment Gorbatchev, l’erreur qui est faite est probablement une transformation trop rapide de l’économie soviétique. […] Transformation trop rapide qui va entraîner la société soviétique dans un malheur social »

    Gorbatchev lui-même raconte les files d’attentes interminables qui était générées par le fait que l’offre était largement insuffisante par rapport à la demande.

    Il me semble que la thèse de Colombani est plus crédible. Et comme le disait Brejnev, le système était probablement irréformable.

    Gorbatchev pu reprocher au destin des circonstances défavorables :

    • Le prix bas du baril de pétrole
    • Le refus des occidentaux de l’aider financièrement

    En 1991, Mikhaïl Gorbatchev, en quête de crédits, demanda de l’aide à Washington et aux pays du G7, alors réunis à Londres. C’était « le sommet de la dernière chance », rappelle son ancien conseiller Andreï Gratchev dans une biographie, Gorbatchev. Le pari perdu ? (Armand Colin, 2011).

    Des crédits ? Autant « verser de l’eau sur du sable », rétorqua le président américain George Bush (père), approuvé par ses partenaires européens. La déception fut grande au Kremlin. « Gorbatchev aurait pu obtenir de l’Ouest un meilleur prix pour sa politique », estime ainsi Andreï Gratchev.

    Mais sur le plan économique Gorbatchev était très indécis et tout simplement ne savait pas comment faire. La situation économique était désastreuse

    En outre, la liberté qu’il avait instillée va permettre l’éclosion des nationalismes.

    Elstine qui était un politicien habile, dépourvu de tout scrupule qu’il noyait régulièrement dans l’alcool, n’avait qu’une idée en tête : prendre le pouvoir.

    Il va composer avec l’émergence de ces nationalismes tout en s’appuyant sur le nationalisme russe pour faire exploser l’Union Soviétique et Gorbatchev avec elle.

    Il profitera habilement d’un coup d’état de vieux conservateurs tremblants pour accélérer le mouvement.

    Jean-Marc Colombani conclut :

    « L’URSS s’est effondrée à cause du nationalisme russe et s’est effondrée sur elle-même »

    La fin fut pathétique et triste. Le Monde raconte :

    « Le 25 décembre, le nouveau président russe, Boris Eltsine, somma son vieux rival de débarrasser le plancher verni du Kremlin. Mikhaïl Gorbatchev s’exécuta. « Nos accords prévoyaient que j’avais jusqu’au 30 décembre pour déménager mes affaires », raconte-t-il dans ses Mémoires. Le 27 décembre au matin, on lui annonce que Boris Eltsine occupe son bureau. « Il était arrivé en compagnie de ses conseillers [Rouslan] Khasboulatov et [Guennadi] Bourboulis, et ils y avaient bu une bouteille de whisky en riant à gorge déployée. Ce fut un triomphe de rapaces, je ne trouve pas d’autres mots. »

    Le drapeau soviétique fut abaissé, le drapeau russe hissé à sa place. L’URSS avait tout bonnement cessé d’exister. Une histoire était terminée, une autre commençait.

    Vingt ans plus tard, et alors que Boris Eltsine (1931-2007) n’était plus, la rancœur était intacte : « C’était la pire des trahisons ! Nous étions assis ensemble, nous parlions, nous nous mettions d’accord sur un point et, dans mon dos, il se mettait à faire tout le contraire ! », déplorait encore Mikhaïl Gorbatchev, en février 2011, sur les ondes de Radio Svoboda. »

    Bien sûr il y eut de nombreuses erreurs. Gorbatchev déclarera en janvier 2011 :

    « Bien sûr, j’ai des regrets, de grosses erreurs ont été commises ».

    Le pouvoir d’Elstine fut une calamité, il abandonna le pays aux kleptomanes issus de du KGB et de la nomenklatura qui s’emparèrent par la ruse et la violence de tout ce qui avait de la valeur. L’économie de marché abandonnée aux voleurs et s’implantant dans une société non préparée créa d’immenses malheurs sociaux.

    On raconte que des russes avec leur humour grinçant dirent : on nous a menti, le système communiste ne fonctionne pas, mais on nous a aussi dit une vérité : le système capitaliste ne fonctionne que pour les riches.

    L’espérance de vie à la naissance en Russie chuta.


    De 1986 à 1988 l’espérance de vie se situe autour de 69,5 ans. De 1989 à 2003 il va chuter de 4,5 ans jusqu’à 65,03 ans en 2003. Ces chiffres sont issues de ce site : https://fr.countryeconomy.com/demographie/esperance-vie/russie

    Si on compare cette évolution par rapport à celle de la France, pendant cette même période, le schéma est frappant : l’évolution est continue en France :

    Alors qu’Eltsine est davantage responsable du malheur économique et du chaos que vont vivre les russes, il y aura un transfert vers une responsabilité quasi-totale vers Gorbatchev.

    Quand il se présentera, contre Eltsine, aux présidentielles de 1996, il obtiendra un humiliant 0,5 %.

    Selon un sondage publié en février 2017 par l’institut Levada, 7 % des personnes interrogées disaient éprouver du respect pour le dernier dirigeant soviétique, lauréat du prix Nobel de la paix en 1990.

    Adulé en Occident, il suscitait l’indifférence et le rejet chez une majorité de Russes.

    Le Monde résume :

    « Avant tout, ils ne peuvent lui pardonner le saut du pays dans l’inconnu. Indifférent au vent de liberté, ils ressassent à l’envi le film de son quotidien de l’époque, fait de pénuries, de files d’attente et de troc à tout va : cigarettes en guise de paiement pour une course en taxi, trois œufs contre une place de cinéma. »

    Et pour Vladimir Poutine et ses partisans, ils perçoivent la chute de l’URSS comme le résultat de la capitulation de Mikhaïl Gorbatchev face à l’Occident.

    Gorbatchev avait fini par admettre en confiant au Sunday times en mai 2016 :

    « La majorité des Russes, comme moi, ne veut pas la restauration de l’URSS, mais regrette qu’elle se soit effondrée [ certain que] sous la table, les Américains se sont frotté les mains de joie ».

    Une des citations de Gorbatchev qu’on cite souvent est la suivante :

    « La vie punit celui qui arrive trop tard ! »

    <1703>

  • Lundi 5 septembre 2022

    « Le refus d’utiliser la force est le plus grand héritage de Gorbatchev »
    Pierre Grosser

    Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev était le fils d’un père russe et d’une mère ukrainienne.

    Et son épouse, Raïssa Maximovna Titarenko, était la fille d’un père ukrainien et d’une mère russe.

    Les choses se passaient ainsi dans l’Union Soviétique que Mikhaïl Gorbatchev avait pour ambition de réformer.

    Le système soviétique ne fonctionnait pas économiquement, les citoyens de cet immense empire communiste vivaient dans un univers de pénurie : pénurie de logement, pénurie alimentaire, pénurie de tous les biens de consommation courante.

    L’Union Soviétique parvenait à donner le change dans l’Industrie lourde et surtout arrivait à rivaliser avec les États-Unis dans le domaine de l’armement et des ogives nucléaires.

    Et quand Reagan arriva au pouvoir le 20 janvier 1981 et lança une accélération de la course des armements avec ce qui fut appelé « la guerre des étoiles », les dirigeants soviétiques pensèrent que leur système économique failli n’arriverait plus à suivre leur rival.

    Dans <Wikipedia> on lit :

    « En mars 1983, Reagan introduisit l’initiative de défense stratégique (IDS) prévoyant la mise en place de systèmes au sol et dans l’espace pour protéger les États-Unis d’une attaque de missiles balistiques intercontinentaux. Reagan considérait que ce bouclier anti-missiles rendrait la guerre nucléaire impossible mais les incertitudes concernant la faisabilité d’un tel projet menèrent ses opposants à surnommer l’initiative de « Guerre des étoiles » et ils avancèrent que les objectifs technologiques étaient irréalistes. Les Soviétiques s’inquiétèrent des possibles effets de l’IDS186 ; le premier secrétaire Iouri Andropov déclara qu’elle mettrait le monde entier en péril »

    Il n’était pas certain que ce projet puisse se concrétiser, mais il mobilisait des ressources financières considérables que les soviétiques n’étaient pas capable de réunir.

    Le patron de l’URSS était alors Iouri Andropov qui après avoir été pendant 15 ans le chef du KGB succéda, le 12 novembre 1982, au vieux et malade Leonid Brejnev qui avait prophétisé que le système soviétique n’était pas réformable et que si on tentait de le réformer, il s’effondrerait.

    La page wikipédia d’Andropov montre que celui-ci était le contraire d’un tendre, mais il était convaincu qu’il fallait réformer parce qu’en interne comme dans la confrontation avec les États-Unis et l’Occident l’URSS ne pouvait plus faire face aux attentes et aux défis.

    Il était le mentor d’un jeune qu’il avait fait entrer au Politburo du Comité central du Parti communiste : Gorbatchev

    Andropov ne resta que 14 mois au pouvoir mais il était aussi vieux et malade et décéda. Il souhaitait que Gorbatchev lui succède. Mais le Politburo désigna comme successeur, un conservateur qui n’avait aucune ambition de réformer, Konstantin Tchernenko.

    Lui aussi était vieux et malade comme Andropov et Brejnev.

    Lors de sa désignation le « Canard enchaîné » dans son numéro du 15 février 1984 afficha cette manchette :

    « Le triomphe du marxisme-sénilisme »

    Le Canard tenta aussi cet autre jeu de mots : « c’était le vieux placé ».

    Jeu de mots salué par « le Spiegel » du 20 février suivant qui titrait pour sa part plus sérieusement

    « Tchernenko – La revanche de l’Appareil ».

    Sa fiche Wikipédia précise que Tchernenko passa l’essentiel de son court règne, d’un an et 25 jours, à la tête de l’État à l’hôpital et donna ainsi de lui l’image d’un « fantôme à l’article de la mort ».

    Le Politburo décida alors de suivre les conseils d’Andropov et de mettre à la tête du Parti Communiste, le 11 mars 1985, un relatif « jeune homme » de 54 ans, en bonne santé (il ne mourra que 47 ans plus tard) : Mikhaël Gorbatchev.

    C’était un communiste convaincu. Encore récemment et très vieux dans un documentaire d’ARTE : <Gorbatchev en aparté> il qualifie Lénine, le fondateur de l’URSS de « notre Dieu à tous »

    Il voulut réformer pour sauver le communisme et conserver l’Union Soviétique.

    Six ans et neuf mois plus tard, il échoua et son rôle politique s’acheva.

    Mais pendant cette période :

    • Il retira les troupes soviétiques d’Afghanistan,
    • Il engagea avec les États-Unis une réduction inouïe des armements nucléaires,
    • Les dissidents comme Sakharov furent libérés et purent s’exprimer,
    • Les journaux purent raconter la vérité et exprimer des opinons divergentes. Une liberté qui n’existait bien sûr, pas avant et plus maintenant non plus.
    • Les autres pays communistes de l’Europe de l’est purent faire évoluer leur régime, faire tomber la dictature communiste sans qu’aucun soldat de l’armée rouge n’intervienne.

    Qu’on songe qu’il disposait de l’armée rouge autrement puissante que sous Poutine et qu’il avait entre ses mains l’arme nucléaire que le maître actuel du Kremlin brandit sans cesse.

    Il était communiste mais il aimait la Liberté, le Droit et il était un homme de paix.

    Dans le Documentaire d’ARTE il expliqua :

    « J’étais faible, je n’ai coupé aucune tête ».

    Mais il exprime aussi sa satisfaction de pas avoir employé « les méthodes de (s)es prédécesseurs, Lénine compris ».

    Il y eut bien quelques morts dans des évènements troubles dans les pays Baltes ou la Géorgie lors de la répression de mouvements nationalistes et indépendantistes. Le Monde rappelle dans la nécrologie qu’il lui consacre : <Mikhaïl Gorbatchev, le dernier dirigeant de l’URSS, est mort>

    « Le 13 janvier 1991, quatorze personnes perdent la vie lors de l’assaut du Parlement et de la télévision de Vilnius (Lituanie) par l’armée soviétique. Sept jours plus tard, à Riga (Lettonie), un assaut similaire fait cinq morts. A Tbilissi (Géorgie), vingt-deux manifestants sont massacrés à coups de pelle en avril 1989 par l’armée fédérale, tandis que 150 personnes sont tuées par les militaires à Bakou (Azerbaïdjan), en janvier 1990.

    Dans ses Mémoires, publiés en 1997 (éd. du Rocher), Mikhaïl Gorbatchev affirme avoir tout ignoré des opérations militaires déclenchées dans les Républiques baltes. Ce n’est que plus tard, en feuilletant un livre écrit par des anciens d’Alpha (les commandos d’élite du KGB), qu’il comprit qu’il s’agissait d’une « opération conjointe des tchékistes [police politique] et des militaires », organisée sans son aval. Imprécis sur le nombre de victimes à Vilnius (« Il y eut des pertes humaines », écrit Gorbatchev), il adhère sans détour à la thèse du complot et évoque une « provocation » des séparatistes locaux. »

    Sans passer sous silence ces faits, il me semble légitime de considérer que globalement tous ces immenses évènements eurent lieu presque sans effusion de sang. Et ce dénouement pacifique de la guerre froide doit quasi tout à un seul homme : Mikhaël Gorbatchev

    Qu’on songe un instant à tous ces hommes qui à la tête d’une telle puissance militaire et voyant leur pouvoir se désagréger, n’auraient pas laissé faire et auraient lancé des forces de destruction plutôt que d’accepter de partir dans la tristesse mais dans la paix.

    Angela Merkel qui subissait en Allemagne de l’Est, la dictature communiste et soviétique a exprimé en toute simplicité ce message à la fois politique et personnel :

    « Il a montré par l’exemple comment un seul homme d’État peut changer le monde pour le mieux […] Mikhaïl Gorbatchev a également changé ma vie de manière fondamentale. Je ne l’oublierai jamais »

    C’est l’historien Pierre Grosser qui dans un article de Libération exprime le plus justement ce rôle extraordinaire de Gorbatchev : «Le refus d’utiliser la force est le plus grand héritage de Gorbatchev»

    Il fait ainsi ce constat :

    « Au XXe siècle, les grandes transformations de l’ordre international, les révolutions et les chutes d’empires avaient été les conséquences de guerres, et en particulier des deux guerres mondiales. Or, les bouleversements de la fin des années 80 eurent lieu sans guère d’effusion de sang, même lors de processus de « décolonisation » dans les pays baltes et dans le Caucase. »

    Et il compare cette attitude avec celle du régime chinois :

    « Alors que le Parti communiste chinois utilisait la répression au Tibet et contre les mobilisations étudiantes et sociales en juin 1989, Gorbatchev n’utilisa la force ni pour sauver les régimes des démocraties populaires, ni celui de l’URSS, ni l’URSS elle-même. C’était cela aussi qui était inimaginable, tant il était répété depuis des décennies que l’Europe de l’Est était un glacis protecteur indispensable à la sécurité de la Russie, que celle-ci ne pourrait renoncer aux gains obtenus après la Grande Guerre patriotique qui avait coûté 27 millions de vies soviétiques, et que l’usage de la force et de la répression était une caractéristique principale du régime.

    Le refus d’utiliser la force, à de très rares exceptions (notamment en Lituanie, le 13 janvier 1991, provoquant infiniment moins de victimes que les violences staliniennes), est en définitive le plus grand héritage de Gorbatchev. Ses réformes ont rendu possibles les actions de peuples à partir de 1989. Ce sont les peuples, mais aussi des membres de partis communistes nationaux, qui ont été alors les moteurs de l’histoire. Gorbatchev fut moins le grand homme qui a organisé de grandes transformations que l’homme qui les a laissées faire. C’est aussi le cas de la réunification allemande, à laquelle il s’est finalement résolu, même si elle se faisait à l’intérieur de l’Otan. Dans les années 90, les observateurs concluaient à un déclin de l’usage de la force et de sa légitimité dans les sociétés développées et nanties à partir des années 70. L’usage répété de la force par Vladimir Poutine montre bien a posteriori qu’il y eut un vrai choix de Gorbatchev. Le Parti communiste chinois assume, lui, d’avoir utilisé la force en 1989, ce qui aurait sauvé le régime et le potentiel de réussite de la Chine. Il dénonce les cadres et les membres du Parti en URSS et en Europe qui ne se sont pas levés pour défendre leur régime, et éduque donc les communistes chinois à vouloir virilement défendre le Parti. »

    Pierre Grosser rappelle aussi que Gorbatchev est resté persuadé que le monde et les États-Unis auraient mieux fait de suivre ses conseils :

    « Depuis les années 90, Gorbatchev a répété que s’il avait été davantage écouté, et si les États-Unis n’avaient pas été saisis d’hubris après la guerre du Golfe et la réunification allemande, le monde aurait été beaucoup plus sûr et pacifique.  »

    Pour ce rôle, l’Humanité, à mon sens, doit une immense reconnaissance à cet homme qui vient de mourir à 91 ans, le 30 août 2022.

    <1702>

  • Lundi 1 août 2022

    « L’intelligence des anagrammes ! »
    L’art de l’anagramme permet de discerner ce qu’un mot cache dans ses lettres

    La continuation de la série sur le choc des civilisations me donne du mal.

    Il faut donc encore patienter, mais en attendant j’ai lu deux anagrammes que j’ai mis en forme dans un diaporama que je partage ici :

    <1701>

  • Vendredi 15 juillet 2022

    « Pause (Grammaire des civilisations de Braudel). »
    Le mot du jour est en pause, il reviendra au plus tôt le 8 août

    Le mot du jour du 13 juillet a été beaucoup enrichi sur la fin surtout par des apports empruntés à « Grammaire des civilisations » de Braudel.

    Je vous invite donc à le relire, si vous avez lu la première version : « Un monde divisé en civilisations. »

    Pour ce mot de pause, j’ai trouvé cet article rédigé par René-Éric Dagorn qui est géographe et historien.

    Il rappelle que le livre de Braudel a été d’abord un manuel d’Histoire pour les Terminales.

    Initiative qui n’a pas été couronnée de succès. René-Éric Dagorn explique une partie des raisons de cet échec en soulignant les limites de cet ouvrage tout en révélant le niveau intellectuellement brillant de la démarche.

    <Fernand Braudel et la Grammaire des civilisations (1963)>

    « Atteindre et comprendre notre temps […] à travers l’histoire lente des civilisations » tel est l’objectif central de cet étonnant manuel de classes de terminales publié par les éditions Belin en 1963, intitulé Le monde actuel. Histoire et civilisations, et signé par S. Baille, F. Braudel et R. Philippe. L’ouvrage de Fernand Braudel que nous appelons aujourd’hui Grammaire des civilisations est la partie centrale de ce manuel […].

    Grammaire des civilisations est donc un objet étrange. Il est lu aujourd’hui comme s’il avait le même statut que les autres textes de Braudel ; et il est même de plus en plus considéré comme le troisième grand texte de Braudel avec La Méditerranée (1947-1949) et Civilisation matérielle, économie et capitalisme (1967-1975). Pourtant oublier que Grammaire des civilisations est issu d’un manuel scolaire dont l’objectif était de transformer radicalement les approches de l’histoire des classes de terminales – au moment même où s’ouvrait le chantier de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (Ehess) fondée en 1962 – c’est passer à côté d’éléments essentiels à sa lecture et à sa compréhension, et c’est manquer les objectifs que Fernand Braudel s’était fixé en rédigeant ce livre.

    Car, depuis le milieu des années 50, Braudel est fortement impliqué dans la réforme du système éducatif. Et, il vient de subir un échec important : il a été contraint de quitter la présidence du jury de l’agrégation d’histoire, institution centrale dans la formation des enseignants du secondaire et étape importante dans la formation intellectuelle des futurs chercheurs des universités. Son implication dans les nouveaux programmes des lycées qui se mettent alors en place n’en est que plus forte. Et à la fin des années 50 Fernand Braudel remporte plusieurs victoires sur ce terrain.

    […] Le Bulletin Officiel du 19 juillet 1957 propose une refonte radicale des programmes d’histoire du lycée. Jusqu’alors l’objectif principal était de mettre en valeur le récit historique en découpant la chronologie en tranches : de la sixième (Mésopotamie et Égypte) aux classes de terminales (de 1851 à 1939). Sous l’impulsion de Braudel, la réforme proposée est radicale : garder le récit chronologique de la sixième à la première, et étudier durant toute l’année de terminale « les principales civilisations contemporaines ». L’étude des six « mondes » prévus (occidental, soviétique, musulman, extrême-oriental, asiatique du Sud-Est, africain noir) sera précédée d’une introduction qui « devra tout d’abord, définir la notion de civilisation, mais elle soulignera, en l’expliquant, la forme à donner à l’étude envisagée, qui comportera, pour chacun des ensembles envisagés […] trois éléments essentiels : fondements, facteurs essentiels de l’évolution, aspects particulier actuels de la civilisation ».

    Cette révolution (le mot n’est pas trop fort) est à comprendre dans cet immense effort de reconstruction de la société française de l’après-guerre. Il s’agit de former des hommes capables de comprendre le monde dans lequel ils vivent : à un moment où les enfants du baby-boom commencent à entrer massivement dans le secondaire, à un moment où le monde est lancé dans une série de changements qui donnent l’impression d’une accélération considérable de l’histoire, l’éducation doit donner les moyens intellectuels, les outils de pensée et les visions d’ensemble permettant la compréhension du monde. […]

    Entrer dans cette histoire de la « longue durée » passe d’abord par l’obligation de mobiliser « l’ensemble des sciences de l’homme » .

    […] Si les civilisations sont des structures spatiales, sociales, économiques et mentales, elles sont également autre chose : « les civilisations sont des continuités » en ce sens où « parmi les coordonnées anciennes (certaines) restent valables aujourd’hui encore ».[…]

    Une fois tout ceci posé, c’est bien sûr « à l’étude des cas concrets qu’il convient de s’attacher pour comprendre ce qu’est une civilisation ». Et c’est là que Fernand Braudel se révèle décevant. Après une introduction d’un tel niveau, on s’attendait à un exposé d’une grande efficacité pour comprendre le « monde actuel ». Or, ce n’est pas le cas, loin s’en faut. L’ampleur et la qualité de la pensée de Braudel ne sont pas en cause. Au contraire, la description des civilisations est d’une grande virtuosité intellectuelle. Les passages consacrés à l’Islam et au monde musulman, à la Chine ou encore à l’unité de l’Europe sont brillants. Mais il faut bien le dire, ces chapitres ne sont plus lus aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que, paradoxalement, ils ne permettent pas de penser le monde actuel. Malgré leur intérêt, les approches civilisationnelles de Braudel sont limitées pour au moins deux raisons.

    D’abord parce qu’en insistant sur la « longue durée », sur les permanences et le temps ralenti des civilisations, Braudel minimise largement les changements et les ruptures. Or, pour reprendre l’expression de Jürgen Habermas, la Seconde Guerre mondiale constitue une « rupture civilisationnelle » ; et on peut appliquer aux temps des civilisations ce que Habermas dit à propos de l’ensemble du 20e siècle : « les continuités […] qui défient les césures […] calendaires, ne nous apprennent qu’insuffisamment ce qui caractérise le 20e siècle en tant que tel. Pour l’expliquer les historiens s’attachent aux événements plutôt qu’aux changements de tendance et aux transformations structurelles […]. Or, ce faisant, on fait disparaître la singularité de l’unique événement qui non seulement divise chronologiquement le siècle, mais encore représente une ligne de partage du point de vue économique, politique et surtout normatif » (Jürgen Habermas, Après l’État-nation, 2000, p. 13 et p. 22-23). L’analyse en termes de longue durée, en privilégiant les grandes continuités historiques, passe donc à côté des ruptures importantes et, plus encore, ne permet pas de voir cette rupture fondamentale qu’est 1945 dans la compréhension du monde actuel.

    Ensuite parce que l’analyse des civilisations prises une par une minimise également ce qui n’est pas propre à ces civilisations particulières : bien sûr, à de nombreux moments de son ouvrage (et évidemment particulièrement lorsqu’il travaille sur l’Europe et sur les États-Unis), Braudel insiste sur les processus de décloisonnement des sociétés, mais son découpage par aires civilisationnelles l’empêche en fin de compte de penser les processus englobants. C’est en fait lorsqu’il travaille dans les tout premiers paragraphes sur les liens entre les civilisations et la civilisation qu’il approche, mais sans les analyser finement ni les développer, les problématiques qui sont les nôtres aujourd’hui… et qui étaient déjà au centre de certains travaux au début des années 60. Si l’expression « village global » proposée par McLuhan en 1962 a eu un tel impact – et ce malgré les limites de son ouvrage La Galaxie Gutenberg – c’est qu’elle faisait émerger l’idée que le monde doit être approché aussi comme un tout, et non pas seulement comme la somme de ses échelles inférieures, États ou civilisations.

    […] La rénovation très ambitieuse des programmes d’histoire par Fernand Braudel sera finalement un échec. A partir de 1970 le manuel Belin (dont une deuxième édition très légèrement modifiée avait été publiée en 1966) est retiré de la vente. Mais, comme le rappelle Maurice Aymard, 3le problème n’était pas […] celui d’un livre : il était bien plus profondément celui de l’enseignement de l’histoire3. Quarante ans plus tard, cette phrase est encore en partie vraie : le programme d’histoire des classes de terminales insiste encore et toujours sur la chronologie détaillée – et fort peu problématisée – de la Guerre Froide par exemple.

    Mais la bonne surprise est venue de la géographie. En prenant en charge l’intelligence des processus d’émergence des espaces mondiaux, et particulièrement des espaces politiques mondiaux, le programme de géographie des classes de terminales tente de répondre en fin de compte à l’injonction de Fernand Braudel : comprendre le « monde actuel » en faisant appel aux sciences sociales. »

    Maintenant si les récits de cet animal prétentieux qui a pour nom homo sapiens, qui a créé des dieux qu’il a pensé à son image et qui est en train d’abimer, sans doute irrémédiablement, les conditions de vie sur la planète qui l’a vu naître, vous ennuie, vous pouvez aussi allez voir les photos mises en ligne du télescope James Web https://www.jwst.fr/2022/07/les-premieres-images-du-webb/.

    C’est encore une création d’homo sapiens, mais qui devrait nous rendre d’une humilité absolue en visualisant la profondeur de l’Univers comme nous n’avons jamais pu la voir.

    Voici une de ses photos qu’Etienne Klein décrit poétiquement.

    <Mot sans numéro>

  • Mercredi 13 juillet 2022

    « Un monde divisé en civilisations. »
    Samuel Huntington, titre de la première partie du Choc des civilisations.

    Définir le terme de « civilisation » n’est pas commode.

    Souvent on donne comme synonyme «culture» et comme contraire «barbarie».

    Pour les romains le partage était simple : Rome constituait la civilisation, à laquelle ils acceptaient d’intégrer les grecs, et tous les autres étaient des barbares.

    Le Larousse tente cette définition :

    « Ensemble des caractères propres à la vie intellectuelle, artistique, morale, sociale et matérielle d’un pays ou d’une société : La civilisation des Incas. »

    Le Robert en propose une proche :

    « Ensemble de phénomènes sociaux (religieux, moraux, esthétiques, scientifiques, techniques) d’une grande société : La civilisation chinoise, égyptienne. »

    Le dictionnaire du CNRS propose d’abord une opposition : celle de l’état de nature avec l’état de civilisation :

    « Fait pour un peuple de quitter une condition primitive (un état de nature) pour progresser dans le domaine des mœurs, des connaissances, des idées. »

    Et ce dictionnaire cite plusieurs auteurs. J’en retiens deux, tous les deux académiciens :

    Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814), écrivain et botaniste français, auteur de « Paul et Virginie » :

    « Les Mexicains et les Péruviens, ces peuples naturellement si doux et déjà avancés en civilisation, offraient chaque année à leurs dieux un grand nombre de victimes humaines; … »
    Harmonies de la nature,1814, p. 298.

    Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804 – 1869) critique littéraire et écrivain français :

    « C’est l’effet et le but de la civilisation, de faire prévaloir la douceur et les bons sentiments sur les appétits sauvages. »
    Port-Royal,t. 5, 1859, p. 235.

    Cette manière d’aborder le sujet distingue la civilisation de la non civilisation, mais ne semble pas ouvrir la possibilité de la coexistence de civilisations différentes.

    Mais elle semble assez proche de l’étymologie du mot qui est d’origine latine : Formé à partir du mot latin civis (« citoyen »), qui a donné naissance à civilis qui signifie en latin « poli », « de mœurs convenables et raffinées ». Il semble que ce nouveau substantif « civilis » établissait une distinction qui s’était peu à peu établie entre gens des villes et habitants des campagnes.

    Mais le dictionnaire du CNRS propose d’autres définitions :

    « État plus ou moins stable (durable) d’une société qui, ayant quitté l’état de nature, a acquis un haut développement »

    Et ajoute :

    « Ensemble transmissible des valeurs (intellectuelles, spirituelles, artistiques) et des connaissances scientifiques ou réalisations techniques qui caractérisent une étape des progrès d’une société en évolution. »

    Mais si on veut vraiment approcher le concept de civilisation, il faut revenir à Fernand Braudel qui dans sa quête de raconter l’Histoire s’inscrivant dans le Temps long écrit dans son ouvrage « Grammaire des civilisations » :

    « Cependant vous n’aurez pas de peine à constater que la vie des hommes implique bien d’autres réalités qui ne peuvent prendre place dans ce film des évènements : l’espace dans lequel ils vivent, les formes sociales qui les emprisonnent et décident de leur existence, les règles éthiques, conscientes ou inconscientes auxquelles ils obéissent, leurs croyances religieuses et philosophiques, la civilisation qui leur est propre. Ces réalités ont une vie beaucoup plus longue que la nôtre et nous n’aurons pas toujours le loisir eu cours de notre existence, de les voir changer de fond en comble. »
    Grammaire des civilisations page 26

    Pour Braudel, le concept de civilisation est nécessaire pour expliquer le temps long en Histoire et il donne les éléments qui constituent la civilisation :

    • L’espace
    • Les formes sociales
    • Les règles éthiques
    • Les croyances religieuses et philosophiques

    et un peu plus loin, il lance cette envolée lyrique :

    « Les civilisations sont assurément des personnages à part, dont la longévité dépasse l’entendement. Fabuleusement vieilles, elles persistent à vivre dans chacun d’entre nous et elles nous survivront longtemps encore. »

    Mais si les civilisations sont « des personnages » qui viennent de loin et sont anciennes, il semble que le mot « civilisation » est d’invention assez récente, juste avant la révolution française.

    Selon l’excellent site d’Histoire « HERODOTE » :

    « Le mot « civilisation » n’a que trois siècles d’existence. […] Au siècle des Lumières, il commence à se montrer dans un sens moderne. On le repère en 1756 dans L’Ami des Hommes ou Traité sur la population, un essai politique à l’origine du courant physiocratique. Son auteur est Victor Riqueti de Mirabeau, le père du tribun révolutionnaire. Il écrit : « C’est la religion le premier ressort de la civilisation », c’est-à-dire qui rend les hommes plus aptes à vivre ensemble. »

    Mais que dit Huntington ?

    D’abord, il cite Braudel qui est un de ses inspirateurs :

    « Comme l’écrivait avec sagesse Fernand Braudel, « pour toute personne qui s’intéresse au monde contemporain et à plus forte raison qui veut agir sur ce monde, il est « payant » de savoir reconnaître sur une mappemonde quelles civilisations existent aujourd’hui d’être capable de définir leurs frontières, leur centre et leur périphérie, leurs provinces et l’air qu’on y respire, les formes générales et particulières qui existent et qui s’associent en leur sein. » »
    Page 42

    Et puis il aborde le cœur de son argumentation :

    « Dans le monde d’après la guerre froide, les distinctions majeures entre les peuples ne sont pas idéologiques, politiques ou économiques. Elles sont culturelles. Les peuples et les nations s’efforcent de répondre à la question fondamentale entre toutes pour les humains : Qui sommes-nous ? Et ils y répondent de la façon la plus traditionnelle qui soit : en se référant à ce qui compte le plus pour eux. Ils se définissent en termes de lignage, de religion, de langue, d’histoire, de valeurs, d’habitudes et d’institutions. Ils s’identifient à des groupes culturels : tribus, ethnies, communautés religieuses, nations et, au niveau le plus large, civilisations. Ils utilisent la politique non pas seulement pour faire prévaloir leur intérêt, mais pour définir leur identité. On sait qui on est seulement si on sait qui on n’est pas. Et, bien souvent, si on sait contre qui on est. »
    Page 21

    Et c’est ainsi qu’il s’oppose frontalement à la prétention à aller vers une civilisation universelle que prévoit Fukuyama dans la « Fin de l’Histoire » et qui serait une dérivée de la civilisation occidentale.

    Selon lui c’est justement la civilisation occidentale qui est source de frictions et de rejet. Il présente ainsi sa première partie : « Un monde divisé en civilisations » :

    « Pour la première fois dans l’histoire, la politique globale est à la fois multipolaire et multi-civilisationnel. La modernisation se distingue de l’occidentalisation et ne produit nullement une civilisation universelle pas plus qu’elle ne donne lieu à l’occidentalisation des sociétés non occidentales »
    Page 17

    Et cette opposition entre l’occident et les autres, il la précise encore davantage dans cet extrait :

    « Le monde en un sens, est dual, mais la distinction centrale oppose l’actuelle civilisation dominante, l’Occident et toutes les autres, lesquelles ont bien peu en commun. En résumé, le monde est divisé en une entité occidentale et une multitude d’entités non occidentales »
    Page 37

    A ce stade, Huntington est obligé de s’engager et de citer les principales civilisations contemporaines. Il en cite 6 et hésite sur une septième :

    1. La civilisation chinoise ;
    2. La civilisation japonaise ;
    3. La civilisation hindoue ;
    4. La civilisation musulmane ;
    5. La civilisation Occidentale ;
    6. La civilisation latino-américaine ;

    La 7ème sur laquelle il hésite est la civilisation africaine
    Page 51 à 57

    Si on essaye de reprendre la typologie de Fernand Braudel dans la «Grammaire des civilisations», on trouve cette liste que Braudel classe géographiquement et qui compte 11 civilisations :

    A – Les civilisations non-européennes

    1. L’Islam et le monde musulman
    2. Le continent noir « l’Afrique Noire, ou mieux les Afrique Noire »

    Aa – L’Extrême-Orient

    3. La Chine
    4. L’Inde
    5. Indochine, Indonésie, Philippines, Corée : « un Extrême-Orient maritime »
    6. Japon

    B – Les civilisations européennes

    7. L’Europe

    Ba – L’Amérique

    8. L’Amérique latine
    9. Les États-Unis
    10. L’univers anglais (Canada, Afrique du Sud, Australie, Nouvelle-Zélande)

    Bb – L’autre Europe (U.R.S.S.)

    11. Le monde orthodoxe

    Si on compare les deux listes, on constate que Braudel y inclut bien une civilisation africaine mais dont il enlève le Maghreb et l’Egypte et affirme la pluralité : «Les Afrique noire ». Ensuite il divise l’Occident en plusieurs branches : L’Europe, Les États-Unis et L’Univers anglais. Pour arriver à 11, il ajoute le «monde orthodoxe» qui a l’époque du livre de Braudel était largement sous le joug et même le négationnisme soviétique . Cette situation a bien changé depuis. Enfin, il ajoute une particularité orientale : « un Extrême-Orient maritime ».

    Sur ce <site> j’ai trouvé cette représentation de la vision braudelienne :

    Huntington précise que ces séparations ne sauraient être gravées dans le marbre, qu’elles sont fluctuantes, mouvantes, mobiles.

    Tout ceci n’a pas la rigueur de la science physique. Nous sommes dans l’humain, donc dans le récit. Et ce qui importe c’est que les sociétés, leurs gouvernants en appellent à ces récits pour justifier leurs actions, leurs organisations, leurs rejets. Des chinois, des russes, des musulmans font appel à ces récits civilisationnels pour rejeter les valeurs, l’organisation et l’hégémonie occidentales.

    Fernand Braudel évoque, dans son ouvrage, le choc des civilisations que conceptualisera Samuel Huntington 30 ans plus tard :

    « Le raisonnement, jusqu’ici, suppose des civilisations en rapport pacifique les unes avec les autres, libres de leurs choix. Or les rapports violents ont souvent été la règle. Toujours tragiques, ils ont été assez souvent inutiles à long terme. »

    Et il donne l’exemple du côté vain de ces affrontements :

    « Le colonialisme, c’est par excellence la submersion d’une civilisation par une autre. Les vaincus cèdent toujours au plus fort, mais leur soumission reste provisoire, dès qu’il y a conflit de civilisations. »

    Dans un exemple que j’ai déjà cité mardi, il raconte la Méditerranée comme l’espace de 3 civilisations : l’Occident, l’Islam et le monde orthodoxe gréco-russe. Et malgré de nombreuses guerres, et quelques fluctuations de frontières, globalement sur la longue durée ces 3 espaces n’ont que peu évolué. Et lors de la chute du communisme soviétique, Braudel était mort, le monde orthodoxe est réapparu du fond de la société opprimée par l’anti-religiosité communiste qui n’est pas parvenue à éradiquer ce récit porté dans les esprits, dans les familles, dans les siècles.

    Quelque repos est bienvenu, il n’y aura pas de mots du jour à partir du 14 juillet, au moins jusqu’au lundi 25 juillet. Mais il est possible que, pour poursuivre cette série, quelques jours de réflexions supplémentaires soient nécessaires.

    <1700>

  • Mardi 12 juillet 2022

    « Nous allons vous faire le pire des cadeaux : nous allons vous priver d’ennemi ! »
    Alexandre Arbatov conseiller diplomatique de Gorbatchev, à ses interlocuteurs américains pendant que le bloc soviétique était en trains de s’effondrer.

    Ce ne fut pas la ligne dominante des intellectuels et des politiques qui comptent, le « choc des civilisations » de Samuel Huntington fit l’objet de critiques virulentes et trouva finalement peu de défenseurs au moment de sa parution.

    Rappelons le contexte.

    Après l’effondrement du 3ème Reich allemand qui devait durer mille ans et qui s’effondra au bout de 12 ans, le monde était divisé entre Les États-Unis et leurs alliés et l’Union soviétique et ses alliés. C’était l’Ouest et l’Est.

    Il y avait bien une tentative de troisième voie : <Le mouvement des Non alignés>. Le terme de « non-alignement » avait été inventé par le Premier ministre indien Nehru lors d’un discours en 1954 à Colombo.

    Mais on fixe l’origine du mouvement des non-alignés à la déclaration de Brioni, en Yougoslavie, du 19 juillet 1956, qui était dominé par Josip Broz Tito le dirigeant de la Yougoslavie, Gamal Abdel Nasser, le raïs égyptien, Jawaharlal Nehru le premier ministre de l’Inde et Soekarno président de l’Indonésie. Cette organisation regroupait selon Wikipedia jusqu’à 120 États.

    Mais ce mouvement n’a pas très bien fonctionné.

    D’abord parce qu’il n’avait ni le poids politique, ni militaire des deux grandes alliances.

    Ensuite parce pour vouloir être indépendant des deux adversaires, ces États reconnaissaient que ce qui dominait c’était l’affrontement entre l’Est et l’Ouest.

    Enfin, dans la pratique et notamment pour les besoins militaires tous ces pays choisissaient quand même leur camp. L’inde était armée par l’Union soviétique parce que son grand ennemi, le Pakistan, était du côté américain. L’Égypte était armée par l’Union soviétique par que son ennemi Israël était dans le camp américain. Et puis la Yougoslavie après la mort de Staline était, malgré tout, dans le camp de l’Est.

    C’était donc cette division du monde qui expliquait la géopolitique, les tensions, les conflits et leur maîtrise. L’Union soviétique et les États-Unis ne se sont jamais affrontés mais l’on fait par procuration et par des conflits qui opposaient des pays qui se trouvaient dans l’un et l’autre camp.

    Cela permettait une compréhension globale et une explication commode des tensions.

    Mais vous connaissez l’Histoire, le mur de Berlin tombe le 9 novembre 1989, et l’Empire soviétique s’effondre, le 26 décembre 1991.

    Et en 1989, un conseiller diplomatique de Gorbatchev, Alexandre Arbatov dira à ses interlocuteurs américains : « Nous allons vous faire le pire des cadeaux : nous allons vous priver d’ennemi ! ». C’est en tout cas ce qu’affirme <Pierre Conesa>

    Le président Bush père déclarait : « La guerre froide est terminée, Nous l’avons gagnée ».

    « Nous » c’est bien sûr les États-Unis et par extension l’Occident.

    Mais comment dès lors penser cette nouvelle configuration géopolitique, géostratégique ?

    Les chefs et penseurs occidentaux n’ont pas fait très attention à la phrase d’Arbatov.

    Une réalité simple s’imposait à eux l’Empire du bien l’avait emporté sur l’Empire du mal.

    Le marché et la démocratie libérale allaient s’imposer partout. Il suffisait d’un peu de patience. Même l’immense Chine, qui restait dirigé par un Parti communiste, allait tomber comme un fruit mur dans un système politique à l’occidentale. C’était irrémédiable puisque les chinois étaient entrés dans une révolution économique nécessitant l’initiative et la concurrence qui allait les pousser inéluctablement vers la démocratie.

    C’est la fin des conflits, un système unique allait finir par s’imposer sur la planète entière.

    Les penseurs, les politiques, les responsables économiques ont alors trouvé celui qui allait conceptualiser cette nouvelle aube de l’humanité, Francis Fukuyama était son nom. Il écrit d’abord un article en 1989, puis un livre en 1992 « La Fin de l’histoire et le dernier homme ».

    Michel Onfray décrit cette thèse ainsi

    « La thèse de Fukuyama est simple, sinon simpliste, voire simplette : elle applique de façon scolaire, sinon américaine, la thèse hégélienne de la fin de l’histoire en la situant dans l’actualité : la chute de l’Empire soviétique annonce la fin de l’histoire ; elle rend caduc le combat entre le marxisme et le libéralisme en consacrant le triomphe du marché sur la totalité de la planète. Nous sommes dans le moment synthétique d’une copie de bac : thèse libérale, antithèse marxiste et synthèse postmarxiste assurant la vérité du libéralisme… C’est beau, non pas comme l’antique, mais comme une pensée issue d’un monde, les États-Unis d’Amérique, qui entre dans l’Histoire avec les petites chaussures d’un enfant… »

    Jean Yanne avait fait un film « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ».

    La créolisation du monde serait en route, mais sur un modèle essentiellement occidental.

    Rappelons quand même que le marxisme fut aussi une invention occidentale, d’un philosophe allemand.

    Et c’est cet instrument occidental que Mao mis en œuvre en Chine, Nasser essaya un peu en Égypte et bien d’autres pays firent cette tentative. On appelait cela la modernité et le progressisme. Nous savons que la Chine d’aujourd’hui ne reconnait plus cette importation occidentale et considère qu’elle suit son propre chemin, en phase avec la glorieuse histoire de la Chine et de ses traditions.

    L’ancien professeur de Francis Fukuyama, Samuel Huntington répliqua à son élève dans un article paru pendant l’été 1993 et qui lui aussi devint un livre en 1996 : « The clash of civilizations »

    Je laisse encore la parole à Michel Onfray :

    « Sa thèse ? À l’évidence, la chute de l’Empire soviétique impose un nouveau paradigme. Les oppositions ne s’effectuent plus selon les idéologies, le capitalisme contre le marxisme par exemple, mais selon les religions, les spiritualités, les cultures, les civilisations. Ce ne sont plus des nations qui s’opposent mais des civilisations. Ces lignes de forces civilisationnelles seront des lignes de fracture, donc des lignes de conflits qui opposeront désormais des blocs spirituels. »

    Huntington avait constaté que, le 18 avril 1984, en plein cœur de l’Europe chrétienne, deux mille personnes se retrouvent dans les rues de Sarajevo pour brandir des drapeaux de l’Arabie saoudite et de la Turquie. Les manifestants n’avaient pas choisi le drapeau européen, américain, ni même celui de l’Otan, mais celui de ces deux pays clairement musulmans.

    Huntington écrit : « Les habitants de Sarajevo, en agissant ainsi, voulaient montrer combien ils se sentaient proches de leurs cousins musulmans et signifier au monde quels étaient leurs vrais amis. » Lors de la guerre de Bosnie, les Bosniaques musulmans étaient soutenus par la Turquie, l’Iran et l’Arabie saoudite. La Serbie orthodoxe, quant à elle, l’était par la Russie. C’était donc une guerre de civilisations entre le bloc musulman et le bloc chrétien. On comprendra dès lors que défendre la Bosnie ou prendre le parti de la Serbie, c’était choisir une civilisation contre une autre.

    On critiqua ce livre absolument.

    On prétendit que les civilisations cela n’existe pas.

    Mais Huntington nuance :

    « Les civilisations n’ont pas de frontières clairement établies, ni de début ni de fin précis. On peut toujours redéfinir leur identité, de sorte que la composition et les formes des civilisations changent au fil du temps. »

    C’est un peu comme le racisme.

    Les races n’existent pas, il n’y a qu’une espèce : homo sapiens.

    Oui, mais le racisme existe.

    Il n’y a pas de civilisation « pure » mais il y a des conflits de civilisation, il y a des actes de terrorisme mais aussi des déclarations géopolitiques comme celle de la Chine qui s’appuient sur cet affrontement de civilisation.

    C’est pourquoi, j’ai lu le livre de Samuel Huntington.

    Il a été écrit en 1996, nous sommes 26 ans après. Force est de constater que certaine de ses prévisions ou intuitions se sont révélées erronées.

    Il écrit par exemple, en 1996, page 243  :

    « Beaucoup pensait qu’un conflit armé était possible [entre la Russie et l’Ukraine], ce qui a conduit certains analystes occidentaux à défendre l’idée que l’Occident devait aider l’Ukraine à avoir des armes nucléaires pour éviter une agression russe. Cependant, si le point de vue civilisationnel prévaut, un conflit entre Ukrainiens et Russes est peu probable »

    On dit avec justesse que la prévision est difficile, surtout quand elle concerne l’avenir.

    Mais malgré ces erreurs, la thèse de Huntington me parait très intelligente pour comprendre certains aspects essentiels de la géopolitique mondiale actuelle.

    Il écrit très humblement page 38 :

    « Aucun paradigme toutefois n’est valide pour toujours. Le modèle politique hérité de la guerre froide a été utile et pertinent pendant 40 ans mais il est devenu obsolète à la fin des années 80. A un moment donné le paradigme civilisationnel connaîtra le même sort. »

    Avec toutes ces limites, même Fukuyama a dû reconnaître : « Pour le moment, il semble qu’Huntington soit gagnant »

    J’en avais fait le <mot du jour du 20 septembre 2018>.

    Huntington pour son approche civilisationnel se réclame de Fernand Braudel.

    Je vous invite à relire le <mot du jour du 13 octobre 2015>, dans lequel je citais Fernand Braudel et notamment son analyse, sur la longue durée, de la Méditerranée qui depuis des siècles se partage entre trois civilisations : l’Occident Catholique, l’Islam et l’Univers Gréco-russe orthodoxe.

    <1699>

  • Lundi 11 juillet 2022

    « Cette civilisation occidentale qui, de nos jours, a fini par s’identifier, même aux yeux des autres peuples, avec la « civilisation » tout court. »
    Zoé Oldenbourg « Les croisades » (ouvrage de 1965)

    C’était en avril, Avec Marianne et Jean-François, nous partagions un gite, en Bourgogne près de Tournus.

    Le gite était pourvu de nombreux livres, classés sur des étagères.

    Un livre a attiré mon attention : « Les Croisades » de Zoé Oldenburg.

    Je le pris et commençai à le lire.

    Zoé Oldenbourg était historienne, mais aussi romancière.

    Elle est née en 1916 à Saint-Pétersbourg, un an avant la révolution bolchevique.

    Son grand-père était un homme de lettres et fut ministre du gouvernement Kerenski à l’été 1917, c’est-à-dire le gouvernement de la Russie après le renversement du Tsar Nicolas II et avant l’arrivée au pouvoir de Lénine.

    Son père est déjà historien mais aussi journaliste.

    Sa famille décide de quitter l’Union Soviétique de Staline en 1925 et d’émigrer en France.

    Elle deviendra française écrira des romans et des livres d’Histoire, notamment :

    • Le Bûcher de Montségur, 1959.
    • Les Croisades, 1965.
    • Catherine de Russie, 1966.

    Et son dernier Livre :

    • L’Épopée des cathédrales, 1998.

    Elle meurt, en France, le 8 novembre 2002.

    Son ouvrage de 1965, sur les croisades, commence par un avant-propos dont voici le début :

    « Le présent ouvrage n’est pas à proprement parler une « Histoire des Croisades » — il ne traite que de ce qu’il est convenu d’appeler les trois premières croisades et de l’histoire du royaume de Jérusalem jusqu’à sa conquête par Saladin.

    L’histoire de ces trois premières croisades et des États francs de Syrie est ici considérée surtout du point de vue de la situation politique du Proche-Orient au XIIe siècle. Le phénomène de la croisade, les rapports de l’Occident latin avec Byzance et l’Islam et la tentative, unique en son genre, d’implantation d’un État occidental dans un milieu oriental sont évoqués dans ce livre de façon nécessairement schématique et incomplète, étant donné l’ampleur du sujet ; ce que j’ai essayé d’analyser, après tant d’historiens éminents auxquels je n’ai pas la prétention de me comparer, c’est le côté humain de cette aventure longue, tragique, complexe et malgré tout glorieuse.

    Quelque signification que l’on veuille accorder au mot gloire, il est sûr que les premières croisades sont à l’origine d’une certaine notion de la gloire, notion propre à l’Occident latin, et, à ce titre, elles n’ont pas peu contribué à la formation de cette civilisation occidentale qui, de nos jours, a fini par s’identifier, même aux yeux des autres peuples, avec la « civilisation » tout court. »

    Voilà donc ce qu’une femme de lettres issue du milieu intellectuel russe et intégrée dans le monde intellectuel parisien écrivait en 1965 :

    « Cette civilisation occidentale qui, […] a fini par s’identifier, même aux yeux des autres peuples, avec la « civilisation » tout court »

    Cela ne choquait personne en 1965, et pendant longtemps cela n’a choqué personne.

    « La civilisation » c’était la civilisation occidentale.

    Beaucoup, même s’il n’ose pas exprimer cela aussi brutalement, continue à être en accord avec le fond de cette phrase.

    En tout cas, ils agissent comme s’ils considéraient cela comme une évidence.

    Cela n’a jamais été une évidence.

    Et aujourd’hui ce n’est plus une évidence du tout.

    Cette idée est remise en cause par une très grande partie de l’humanité, probablement même par tous les autres, je veux ceux dirent qui ne se considèrent pas comme occidentaux.

    La guerre d’Ukraine et d’autres évènements et actes internationaux nous montrent cette réalité.

    J’ai donc voulu revenir au livre de Samuel Huntington : « The Clash of Civilizations » qui a été traduit en français par « Le choc des civilisations ».

    Cette lecture m’incite à commencer une série de mots du jour sur ces deux concepts de civilisations et de choc des civilisations.

    Je vais commencer cette série tout en la parsemant de pauses nécessaires au cours de cette période estivale qui est aussi une période de vacances.

    <1698>

  • Vendredi 8 juillet 2022

    « Il faut montrer qu’on peut faire une prise de judo : Ceux qui ont cru pouvoir nous tromper, nous les démasquons. »
    Patrice Arfi à propos d’Avisa Partners

    Ce n’est pas du complot, c’est de la manipulation.

    J’ai découvert cette affaire dans l’émission de Sonia Devillers du mercredi 29 juin 2022 l'<Instant M>.

    Elle avait invité Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart.

    Mediapart héberge des blogs dans la partie de son site qu’elle appelle « Le Club ». Cet espace est prévu pour que des particuliers puissent exprimer leurs idées, leurs réflexions leurs questionnements.

    Les journalistes de Médiapart ont constaté qu’il se passait des choses étonnantes sur ces blogs.

    Leur enquête a permis de découvrir plus de 600 faux billets de blogs, rattachés à plus de 100 profils factices.

    Parallèlement « Fakir » le journal créé par François Ruffin, le député de la France Insoumise, a publié un article d’un jeune journaliste pigiste Julien Fomenta Rosat : <Moi, journaliste fantôme au service des lobbies>. C’est un long article en accès libre.

    Mediapart a publié aussi un article mais pour lequel il faut être abonné : <Opération intox : une société française au service des dictateurs et du CAC 40>

    La société française dont il est question a une très belle adresse à Paris : 17 avenue Hoche, dans l’opulent 8ème arrondissement, à quelques pas du Parc Monceau, près de la Cathédrale Orthodoxe de Poutine, de l’Ambassade de l’Arabie Saoudite etc.

    Elle a un nom qui n’est pas français « Avisa partners »

    Elle a une page Wikipedia qui la présente comme <un groupe français de conseil spécialisée dans la cybersécurité, l’intelligence économique, l’investigation et les relations publiques> créé en 2010 et présent dans 7 autres pays que la France.

    Fabrice Arfi parle de deux « fils à papa » qui sont à l’origine de cette aventure. D’après mes lectures il y a aussi d’autres personnes qui sont au cœur de cette entreprise.

    Grâce au journal <Jeune Afrique>, nous pouvons disposer d’une photo de ces jeunes et brillants entrepreneurs :

    Respectivement Arnaud Dassier et Matthieu Creux.

    Arnaud est le fils de Jean-Claude Dassier, un journaliste et dirigeant d’entreprises. Il a été directeur général de la chaîne d’information en continu LCI de 1996 à 2008, puis président du club français de football Olympique de Marseille de 2009 à 2011.

    Sur ce site mais qui est payant, on présente Arnaud comme un homme très à droite et < un vétéran des coups tordus sur Internet>

    Le père de Matthieu Creux a une notoriété publique moins grande, mais dans les cercles du pouvoir, il est connu.

    Fabrice Arfi explique :

    « Matthieu Creux, est le fils d’un ancien patron du renseignement militaire. Le général Creux est quelqu’un d’extrêmement respecté et respectable sur la place de Paris. »

    Matthieu Creux dispose d’un <site> sur lequel il se présente ainsi :

    « […] spécialiste de l’influence et de la mobilisation politique sur Internet. Comme conseiller ministériel ou comme consultant Internet, il a participé à toutes les élections françaises depuis 2006. Il est personnellement intervenu auprès de nombreux clients internationaux en Afrique ou en Europe, toujours sur des problématiques d’activisme ou de contre-activisme en ligne. »

    L’enquête de Mediapart révèle ainsi l’une des plus grandes manœuvres de manipulation de l’information intervenue en France ces dernières années en pratiquant l’infiltration des médias et la manipulation de l’information.

    Julien Fomenta Rosat  était une des petites mains de cette agence de communication..

    Journaliste pigiste, il se trouvait dans une situation précaire et gagnait quelques sous en rédigeant des articles à la demande.

    Les sujets étaient variés.

    Il travaillait sous différents pseudonymes. Les personnes qui lui commandaient les articles aussi. Il ne savait pas où ses articles étaient publiés. Parmi ses commanditaires il y avait une société implantée en France, puis ensuite, une société implantée en Slovaquie, à Bratislava. Mediapart est allé voir : il n’y a rien, il n’y a pas de société, c’est juste une boîte dans une HLM à Bratislava.

    Pour Julien, le coup de trop c’est quand on lui a demandé de dézinguer François Ruffin :

    Alors il a appelé Fakir et a tout « balancé ». L’article <Moi, journaliste fantôme au service des lobbies> que je vous invite à lire commence ainsi :

    « On m’a commandé un article pour dézinguer Ruffin. Je l’aime bien, moi, Ruffin… Je réponds quoi ? ». Il y a quelques mois, on recevait un coup de fil de Julien, un copain journaliste qui fait des ménages dans la com’, pour payer les factures.
    Articles bidon, médias complices, déstabilisations, grands groupes pleins aux as… Julien nous raconte le business secret des « agences fantômes ».

    Dans l’émission l’<Instant M>, Fabrice Arfi présente Avisa Partner de la manière suivante ;

    « La société pour laquelle « Julien» travaillait est inconnue du grand public. C’est une entreprise, comme on dit pudiquement : « d’intelligence économique et de cyber sécurité », une « société privée de renseignements ». C’est l’une des plus réputées de la place de Paris. Elle travaille avec des institutions publiques comme Interpol, la Gendarmerie nationale, le ministère des Armées, mais aussi BNP Paribas… [mais aussi] La Société Générale, le Crédit Agricole, la Banque Palatine, Axa, CNP Assurances, Engie, EDF, Total, L’Oréal, LVMH, Chanel, Carrefour, Casino […] À peu près tout le CAC 40, mais aussi des clients qui sentent un peu plus le soufre : des Etats étrangers dirigés par des autocrates et des dictateurs… »

    Sonia Devillers donne des exemples :

    « Le Congo-Brazzaville, le Kazakhstan, le Qatar, le Tchad, la Société nationale pétrolière du Venezuela, pour du lobbying contre les sanctions américaines qui la vise, le géant russe de l’aluminium Rusal, la multinationale pharmaceutique et agrochimique Bayer pour du lobbying pour contrer l’activisme des anti-OGM… »

    Fabrice Arfi a pu étudier le rôle d’Avisa Partners avec des témoignages et des documents à l’appui. Il a constaté :

    « La manière dont elle a infiltré les plateformes participatives de sites français et étrangers pour créer de faux avatars, de faux profils, publier des billets de blog sous de fausses identités.

    Or, les lectrices et des lecteurs pensent lire l’opinion d’un citoyen indigné, d’une responsable d’ONG, d’un cadre dirigeant, d’une entreprise ou d’un chercheur ou d’une chercheuse aguerrie. Et il n’en est rien. C’est le produit d’une commande chèrement payée par des clients pour manipuler le débat public pour le compte de multinationales parfois, ou de dictatures souvent. C’est une énorme opération de manipulation et de trucage du débat public. »

    [Avisa Partners] ne cessent de racheter les principaux acteurs du secteur. Elle valorise son activité à près de 150 millions d’euros. C’est une énorme machine d’intelligence économique.

    Avisa partner a essayé de s’offrir une forme de respectabilité vis-à-vis de l’extérieur. Pour cela, elle s’est associée à de très grands noms de la diplomatie française, des services de renseignements français, ou de la politique française.

    L’actuelle porte-parole du gouvernement, Olivia Grégoire, a fait partie dans le passé des dirigeants, d’Avisa partner. Ce n’est plus le cas. L’ancienne plume d’Emmanuel Macron, Sylvain Fort, a été associé à Avisa partner. L’ancien numéro deux du Quai d’Orsay, l’ancien secrétaire général du ministère des Affaires étrangères sous Jean-Yves Le Drian, l’ambassadeur Maurice Gourdault-Montagne, était le président du comité d’éthique d’Avisa partners. Il vient de le quitter aussi pour des questions de temps, nous dit-il officiellement. Mais je peux aussi citer l’ancien chef des services secrets intérieurs, Patrick Calvar, dont le nom est associé à Avisa, précisément parce qu’il connaissait le père. »

    Et Fabrice Arfi propose cette solution face à ces manipulateurs, solution qui me plait :

    « Plutôt que de supprimer ces comptes, Il faut montrer qu’on peut faire une prise de judo. Ceux qui ont cru pouvoir nous tromper, nous les démasquons. »

    Dans l’article Wikipedia, déjà cité, nous pouvons lire :

    « Depuis 2015, des enquêtes du Journal du Net, de Challenges, du Desk, Complément d’Enquête, [montre que] Avisa Partners, via ses sous-traitants, a piloté des opérations d’influence et d’e-réputation sur Internet grâce à de faux articles ou fausses tribunes au profit d’entreprises clientes (Air France, EDF ou LVMH) ou de personnalités, comme le président tchadien Idriss Déby ou Mounir Majidi, le secrétaire particulier du Roi du Maroc. Des opérations auraient également été menées contre des concurrents ou ennemis de ses clients : Andrea Bonomi, Engie, François Ruffin ou des États comme le Monténégro, le Bénin et la junte thaïlandaise. Le Journal du Net qualifie alors le cabinet de « manipulateur de Wikipédia et des sites médias ». D’après Fakir, l’objectif est d’« abreuver internet de contenus flatteurs ou complaisants pour leurs clients afin d’influencer l’opinion publique, de faciliter leurs affaires ou de taper sur un concurrent ». Mediapart affirme que la société serait à l’origine de plusieurs centaines d’articles dans le « Club de Mediapart », l’espace participatif du journal, largement utilisé dans le cadre d’opérations de communication. D’autres clients sont cités, comme le comité d’organisation de la Coupe du monde de football 2022 au Qatar, Rusal, ou encore PDVSA.

    Interrogés par les différentes équipes de journalistes, les dirigeants d’Avisa Partners nient l’implication de leur agence. »

    La meilleure preuve qu’ils manipulent, c’est qu’ils s’en défendent.

    Je reprends une phrase du Président Pompidou que j’ai déjà cité : « La meilleure preuve qu’il voulait la guerre, c’est qu’il s’en défendit »

    Vous pouvez aller sur leur site sur lequel dès la page d’accueil, des animations vous donne l’impression d’être dans un film.

    Et surtout écouter l’émission du mercredi 29 juin 2022 l'<Instant M>.et lire l’article de
    Julien Fomenta Rosat : <Moi, journaliste fantôme au service des lobbies>

    <1697>

  • Jeudi 7 juillet 2022

    « En démocratie, rien n’est aussi important que la vérité. »
    Pierre Mendès-France

    J’ai beaucoup critiqué notre Président, ces derniers temps, et surtout la dérive de nos institutions.

    Mais la qualité de la vie politique ne dépend pas exclusivement des hommes politiques au pouvoir, elle dépend aussi de l’éthique, de la compétence, des actes et du sérieux des propositions des femmes et hommes qui sont dans l’opposition.

    La posture, la démagogie ne devrait pas être de mise en démocratie.

    Hier, je rappelais un mot du jour ancien consacré à une émission de 1973 de Jacques Chancel avec Pierre Mendès-France. Vous la trouverez derrière ce <Lien>.

    Je l’ai réécoutée et tout au début voici comment parlait Pierre Mendès-France :

    « Un homme politique est toujours en face de situations avec leurs difficultés et leurs obstacles.
    Il doit, en toute circonstance, aussi bien dans l’opposition qu’au pouvoir, déterminer les meilleures solutions.
    Dont toutes sont en général difficiles et entre elles il doit choisir. […]

    Je crois que quand on n’est pas au pouvoir, on doit aussi s’efforcer de servir en faisant avancer les causes auxquelles on est attaché.
    Et dans tous les cas, parler pour ce que l’on croit être le bien de la collectivité, même dire des choses impopulaires, cela consiste inévitablement à choisir entre des inconvénients, c’est-à-dire choisir, toujours choisir, prendre ses risques et choisir. […]

    On ne doit jamais s’occuper de savoir si on est payé en retour. Un homme politique doit dire ce qu’il pense, il doit être au service de convictions. Il doit se battre pour ce qu’il croit être le bien.
    Alors oui il y a des cas où il sera mal entendu, mal écouté, où il n’aura pas gain de cause.

    S’il est sûr que ce qu’il dit, il croit que c’est la vérité, du même coup il est sûr qu’à la longue il aura raison.

    Peut être après lui, peut être sans lui, peut-être dans l’intervalle on aura perdu du temps, on aura fait du mal.

    Mais s’il est sûr qu’il a raison, s’il est sûr qu’il l’emportera à la longue, il doit s’efforcer de faire avancer cette maturation le plus possible et c’est pour cela qu’il doit se battre. […]

    [La qualité essentielle] est de dire la vérité. […] Je n’ai jamais détesté autant que le mensonge, la lâcheté, le manque de franchise.

    Un homme politique a le devoir, surtout dans une démocratie, de dire à tous ceux qui l’écoutent ce qu’il pense pour que précisément ils prennent la décision, puisque par hypothèse on est en démocratie. […]

    L’hypothèse de la démocratie, c’est que le peuple doit juger par lui-même, mais pour juger lui-même, il faut qu’il ait entendu le pour et le contre, les opinions qui s’opposent et que chacun lui ait parlé franchement.

    Si ceux qui viennent s’exprimer devant lui, jouent de démagogie, d’habileté, farde la vérité pour favoriser leur propre carrière, ils ne fournissent pas à l’opinion publique les moyens de se former une opinion valable, par conséquent ils fourvoient l’opinion publique.

    Par conséquent, en démocratie rien n’est aussi important que la vérité. »

    Je crois que Pierre Mendès-France serait très sévère aujourd’hui à l’égard de l’opposition.

    <1696>

  • Mercredi 6 juillet 2022

    «Pause (retour à Pierre Mendès-France) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Quelquefois, il est utile de se replonger dans des mots du jour écrits, il y a longtemps.

    Celui que je vous propose, date de 2015. Je faisais retour sur une «Radioscopie», célèbre émission de Jacques Chancel.

    Il avait invité Pierre Mendès-France, c’était en décembre 1973 : < Mot du jour du 1 octobre 2015 >

    J’avais relevé plusieurs réflexions qui me paraissaient particulièrement sages et que Pierre Mendès-France avait évoquées au cours de l’émission. J’en reprends une :

    « Ce qui est fondamental c’est que les hommes dans le cadre d’une action gouvernementale se soient mis d’accord préalablement sur ce qu’ils allaient faire.
    Un gouvernement se constitue non pour distribuer des portefeuilles, non pas pour favoriser telle opération à l’horizon mais pour faire aboutir une réforme une amélioration qu’on estime dans l’intérêt du pays.
    Et c’est cela qui doit déterminer les alliances. Si des hommes sont d’accord pour faire quelque chose, il n’y a pas de raison d’en exclure certains.
    Si des hommes ne sont pas d’accord pour faire quelque chose je trouve que c’est une escroquerie de les réunir. Parce qu’arriver au gouvernement ils s’annulent, ils se paralysent.
    Le critère déterminant c’est ce qu’on veut faire ensemble.

    C’est pourquoi depuis longtemps l’idée d’un programme de gouvernement m’a paru absolument essentiel. »

    Cet émission de 1973 est toujours en ligne sur le site de Radio France. Vous la trouverez derrière ce <Lien>.

    <Mot du jour sans numéro>

  • Mardi 5 juillet 2022

    « Les politiques, les contradictions et les erreurs. »
    Quelques éléments de langage des politiques examinés par les sciences politiques

    Je donne simplement quelques exemples.

    Une contradiction :

    Emmanuel Macron a été réélu Président de la République, dimanche 24 avril 2022. Le soir de cette victoire, il a tenu un discours au pied de la Tour Eiffel. Et parmi d’autres choses, il <a dit> :

    « Je sais aussi que nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi non pour soutenir les idées que je porte mais pour faire barrage à celles de l’extrême droite. Et je veux ici les remercier et leur dire que j’ai conscience que ce vote m’oblige pour les années à venir »

    Le même homme, après les élections législatives qui ne lui ont pas permis de disposer d’une majorité absolue a fait un discours, de 8 minutes, le 22 juin dans lequel il demandait aux groupes politiques d’opposition de dire « jusqu’où ils sont prêts à aller »

    Et dans ce discours il a analysé sa réélection de la manière suivante :

    « Le 24 avril, vous m’avez renouvelé votre confiance en m’élisant Président de la République. Vous l’avez fait sur le fondement d’un projet clair, et en me donnant une légitimité claire. »

    Et il a ajouté :

    « Cela veut dire ne jamais perdre la cohérence du projet que vous avez choisi en avril dernier. C’est un projet d’indépendance pour notre pays, la France et dans notre Europe que nous devons rendre plus forte, qui passe par une défense forte et ambitieuse, une recherche d’excellence, […] »

    Il a donc, à 2 mois d’intervalle, d’abord reconnu que son élection a été le fruit d’un rejet de l’autre candidate, ensuite prétendu qu’il a été élu pour son seul programme

    Une erreur

    Jordan Bardella a affirmé après les élections législatives : « Macron a été mis en minorité »

    Dans le troisième point, je reprendrai les chiffres.

    Mais ce que dit Jordan Bardella est faux.

    En sciences politiques, la situation à l’Assemblée Nationale est, du côté des députés macronistes, celle d’une majorité relative.

    C’est-à-dire qu’ils ne disposent pas de la majorité absolue.

    La minorité c’est la position d’un parti qui dans une assemblée a, en face de lui, une majorité relative ou absolue

    Le Rassemblement National ou la NUPES sont minoritaires, parce qu’ils sont face à la majorité macroniste et qu’ils ne sont pas en capacité de se réunir, ni de se réunir avec un autre Parti pour avoir la majorité, c’est-à-dire plus de députés que le parti macroniste.

    La NUPES veut déposer une motion de censure en vue de renverser le gouvernement. Il est peu probable qu’elle y arrive. Mais si elle y arrivait, elle n’aurait pas de majorité alternative pour gouverner à la place des macronistes.

    En Allemagne, il n’est pas possible de renverser un gouvernement si on ne peut pas proposer une majorité alternative acceptant de gouverner ensemble.

    Une autre erreur

    Lors des diverses émissions que j’ai écoutées, plusieurs commentateurs ont affirmé qu’il n’était plus nécessaire d’instaurer la proportionnelle aux élections législatives parce que les français étaient parvenus à élire une assemblée quasi proportionnelle avec le scrutin actuel : scrutin uninominal à deux tours.

    C’est d’abord factuellement faux ou très approximatif.

    Pour la proportionnelle sur la base du premier tour, il suffit que je reprenne le schéma déjà proposé lors du mot du jour du 14 juin. Et à côté je présente la vraie Assemblée élue.


    On voit donc que « Ensemble » dispose bien d’une nette majorité même si elle est relative, ce qui n’est absolument pas le cas s’il y a représentation proportionnelle car alors la NUPES fait jeu égal.

    En outre, on constate que 51 députés ont été élus sur aucune des 4 listes qui auraient été seules représentées en cas de proportionnelle intégrale.

    Mais il y a surtout une autre erreur, c’est que le scrutin a une influence sur l’organisation politique. Un simple exemple : jamais il n’y aurait eu une coalition NUPES, si le mode de scrutin n’avait pas obligé le PS, les écologistes et le PC de s’allier aux Insoumis pour espérer avoir des députés.

    Dans le scrutin uninominal à deux tours, pour lequel je rappelle que quasi personne d’autre que la France ne l’applique, il faut présenter l’autre camp comme un adversaire qui a tous les défauts pour mobiliser. Dans un scrutin proportionnel, on sait qu’il n’y aura pas de majorité et qu’il va falloir discuter avec les autres pour créer, après les élections, une coalition de gouvernement. Les relations avec les adversaires, futurs partenaires potentiels ne sont pas les mêmes.

    Enfin, on peut désormais avoir la crainte que si on laisse perdurer le scrutin actuel et étant donné les leçons du dernier scrutin qui a montré une dédiabolisation totale du Rassemblement National, ce dernier pourra bénéficier, à son tour, de l’effet multiplicateur de ce scrutin pour obtenir, la prochaine fois, la majorité absolue. Est-ce cela que nous voulons ?

    Le scrutin actuel tant qu’il permettait à une coalition qui représentait plus de 40% du corps électoral à disposer d’une majorité absolue grâce à un coup de pouce du scrutin était tolérable.

    Aujourd’hui que le parti majoritaire dispose de moins de 30% des voix exprimés et moins de 15% du corps électoral, cela devient inacceptable. Cette représentation déformée du corps électoral augmente les tensions dans la société et crée des mouvements de contestation de plus en plus violents.

    <1695>

  • Lundi 4 juillet 2022

    «Pause (suite des vieux fourneaux) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Vendredi le mot du jour était assez long.

    Pour ce lundi, je me repose un peu. Mais je partage encore un petit extrait de la BD «Les vieux fourneaux. » du dessinateur Paul Cauuet et du scénariste Wilfrid Lupano.

    Je pense que certains auront trouvé que j’étais trop dur avec nos ainés, mais d’autres peuvent aussi penser qu’étant donné que j’entre peu à peu dans cette période de vie j’ai été trop complaisant.

    Pour ces derniers je voudrais quand même insister sur le fait que ce n’est pas toujours facile d’être vieux dans la société d’aujourd’hui. Je remarque sur le marché ou dans les grands magasins que le rythme lent des vieux est souvent bousculé par l’impétuosité des jeunes.

    Alors quand un vieux va dans une boulangerie moderne pour simplement acheter une baguette comme il en a toujours acheté depuis sa tendre enfance, il se trouve devant un monde qu’il ne comprend plus :

    <Mot du jour sans numéro>

  • Vendredi 1 juillet 2022

    « Tous les vieux fourneaux prennent les jeunots pour des cons. »
    Georges Brassens « Le Temps ne fait rien à l’affaire. »

    Aujourd’hui, je voudrais parler du rôle des vieux dans notre société.

    Pour agrémenter ce sujet austère, j’ai décidé de l’enrichir de dessins de la série de BD : « Les Vieux Fourneaux » du dessinateur Paul Cauuet et du scénariste Wilfrid Lupano. J’ai aussi convoqué le chat de Geluck, à deux reprises.

    « Les Vieux fourneaux » sont une BD absolument géniale dont un ami nous a fait découvrir le tome 1. Et depuis, avec Annie, nous avons acheté tous les autres tomes parus.

    Nous reconnaissons une préférence pour les trois premiers dans lesquels l’imagination et la créativité des deux auteurs sont débordantes et infiniment drôles.

    Cet <Article> nous apprend que Wilfrid Lupano a trouvé le titre de la série dans une chanson de Georges Brassens : « Le Temps ne fait rien à l’affaire. » :

    « Quand ils sont tout neufs,
    qu’ils sortent de l’œuf, du cocon,
    tous les jeunes blancs-becs prennent les vieux mecs pour des cons.
    Quand ils sont devenus des têtes chenues, des grisons,
    tous les vieux fourneaux prennent les jeunots pour des cons ».


    Manière poétique et piquante de parler du conflit de génération

    C’est de la pure fiction. Il n’y a personne derrière «Les Vieux Fourneaux», assure Lupano. Il concède toutefois s’être inspiré des philosophes Edgar Morin et Michel Serres et du diplomate Stéphane Hessel pour imaginer leur personnalité.

    Étant donné les trois inspirateurs, souvent cités dans le mot du jour, il est assez intuitif que cette BD me plaise beaucoup.

    Les trois vieux qui sont en cœur de la BD sont résolument de gauche tendance anarchiste

    Ce type de vieux existe assurément, j’en connais personnellement. Mais il ne me semble pas qu’ils représentent la majorité de cette génération.

    Probablement cette majorité a-t-elle pleinement intégré cette formule qu’on attribue à GB Shaw ou à Aristide Briand, c’est selon : « Celui qui n’est pas de gauche à 20 ans n’a pas de cœur, mais celui qui est toujours de gauche à 40 ans n’a pas de tête »

    Mais il y a une question préalable : Qui est vieux ?

    Longtemps, je n’ai pas eu de doute : Est vieux celui qui est plus âgé que moi !

    Et, en parallèle est jeune celui qui est plus jeune que moi. !

    Mais aujourd’hui, m’approchant de mes 64 ans et aussi de la retraite, j’ai du mal à ne pas me classer dans la catégorie des vieux.

    Surtout quand je me souviens qu’alors que j’avais 15 ans, quand je voyais mes tantes et oncles qui avaient 60 ans, je ne les trouvais pas vieux, mais très vieux !

    François de Closets, à 88 ans vient de commettre un nouveau livre où il éructe comme d’habitude sur tout ce qui va mal selon lui. Il s’en prend, cette fois, à sa classe d’âge : « La parenthèse boomers ».

    Pour de Closets il y a deux types de vieux !

    De manière générique, les vieux c’est ceux qui sont à la retraite.

    Mais il y a d’abord les profiteurs, ceux dont je ferais bientôt partie. Ils vivent aux frais des jeunes actifs, font des voyages, profitent grassement de tout ce que la société de consommation leur vend et pratiquent des tas d’activités prouvant ainsi qu’ils pourraient parfaitement continuer à travailler et décaler l’âge de la retraite.

    Et puis, il y a « les vrais vieux », ceux qui ont perdu leur autonomie et pour lesquels la société n’a pas encore pleinement intégré l’ampleur de ce qu’il conviendrait de faire pour prendre pleinement en charge cette dernière période de la vie.

    Sur le second point le « vieux râleur » a raison.

    Sur le premier, il est vrai qu’il y a par moment un petit souci, parce que « certains retraités » ne comprennent pas vraiment comment fonctionnent leur retraite. Ils pensent qu’ils ont payé, pendant les années d’emploi, une caisse de retraite qui maintenant leur restitue ce qui a été versé.

    C’est évidemment totalement faux. Ils ont payé dans leur jeunesse, alors qu’ils étaient nombreux à une caisse de retraite qui utilisait cet argent pour payer les pensions des retraités qui étaient peu nombreux.

    Aujourd’hui, ils sont payés, alors qu’ils sont nombreux, par une caisse de retraite financée par des jeunes qui sont moins nombreux qu’à leur époque.

    En revanche, François de Closets ignore superbement que notre économie surtout française ne veut plus des seniors : quand ils sont au chômage ils ne trouvent plus de travail, personne ne veut les embaucher. Les RH pensent probablement qu’ils sont trop lents et inadaptés au monde moderne.

    Mais que représentent les vieux dans la société ?

    Si on prend d’abord le monde, on peut constater que selon les continents, la répartition entre les classes d’âge est très différente.

    Il y a beaucoup plus de vieux en Europe et beaucoup plus de jeunes en Afrique.

    Encore faut il préciser que dans les continents il peut exister encore beaucoup de disparité entre les pays. Ainsi, en Asie les chinois et les japonais ont une pyramide des âges qui donne une grande importance aux classes âgées, ce qui n’est pas le cas du moyen orient.

    On trouve cela sur le site de l’INSEE : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381482#tableau-figure1

    J’en tire cette représentation

    On constate quand même que la classe d’âge des 15 à 64 ans reste très largement majoritaire. Certains discours alarmistes semblent quelquefois nous inciter à croire le contraire.

    Si on s’intéresse à la France métropolitaine (https://www.insee.fr/fr/statistiques/3303333?sommaire=3353488) et qu’on prend certaines périodes de notre Histoire, en tenant compte évidemment des éléments publiés par l’INSEE


    C’est un peu plus clair si on compare simplement la répartition des classes d’âge entre 1980 et 2018 dans le cadre d’une représentation « camembert ».

    On voit ainsi les classes d’âge qui progressent et celles qui régressent !

    Donc nous sommes dans une société où il y a de plus en plus de vieux.

    Et si les vieux occupent de plus en plus de place, ce sont surtout eux qui détiennent le patrimoine.

    Dans les salles de concert de musique classique, dans les théâtres et même dans les cinémas après le COVID et NETFLIX la proportion de vieux est de plus en plus importante.

    Mais là où la véritable querelle de génération vient d’éclater, au moins sur certains réseaux sociaux c’est la proportion de votants et la nature du vote des vieux.

    « France Info » relaie cette proposition de certains : <Pourquoi l’idée d’un âge limite pour le vote des seniors en convainc certains> le titre ajoute : « et scandalise les autres »

    Et voilà ce que dit cet article :

    « C’est une petite musique qui courait déjà avant le premier tour de l’élection présidentielle, dimanche 10 avril, mais qui s’est renforcée à l’annonce des résultats. “Les jeunes qui ont voté en masse Mélenchon pour leur avenir se font voler leur élection par des vieux retraités qui ont vécu leur meilleure vie et n’ont plus rien à perdre et des vieux bourgeois qui ont tous les privilèges de Macron”, s’exaspérait par exemple un jeune sur Twitter au soir du premier tour. Un autre s’agace aussi, graphiques à l’appui : “Ce sont donc des vieux déjà à la retraite qui vont nous imposer de travailler cinq ans de plus. Merci à eux.” A tel point que certains vont jusqu’à se poser cette question : “Pourquoi diable laissons-nous les plus de 65 ans voter ?”  »

    L’article de France Info parle même d’une lame de fond :

    «  Elle est une lame de fond plus profonde dans une partie de cette classe d’âge, angoissée et en partie mobilisée sur des thématiques qui ne sont parfois pas le centre d’intérêt des autres classes d’âge, et des seniors en particulier. “Ils ont voté sans penser à nous”, déploraient des étudiants qui bloquaient la Sorbonne à Paris, jeudi 14 avril, dans le podcast de franceinfo Le Quart d’Heure. “On a deux candidats qui méprisent l’urgence sociale, climatique et écologique. Je trouve ça terrible”, exprimait pour sa part, lundi 11 avril Denis, 26 ans, au micro de Manon Mella dans “Génération 2022”. Il disait ressentir « une fracture entre les plus jeunes et les plus vieux »»

    Les experts s’en mêlent ainsi le politologue Martial Foucault dans La Croix analyse :

    « Pour les plus âgés, les enjeux sont d’abord le pouvoir d’achat, l’insécurité ou encore la délinquance, avant d’être la lutte contre le réchauffement climatique, qui est davantage une priorité pour les jeunes”. »

    Nous sommes dans un paradoxe dans lequel les vieux qui devraient être sages et s’inscrire dans le long terme s’inquiètent de l’immédiat et du court terme, alors que les jeunes impétueux qui devraient vivre au présent pensent et s’inquiètent du long terme.

    L’article de France Info montre que si, bien sûr les vieux représentent un poids démographique de plus en important dans la société, leur importance dans le vote vient surtout du fait qu’ils vont majoritairement voter alors que les jeunes massivement s’abstiennent.

    C’est donc la responsabilité des jeunes qui est en cause car ils ne vont pas voter et prétendent même qu’ils ont bien raison de faire ainsi.

    C’est une erreur non pas morale, mais simplement stratégique.

    Car comme l’écrit le sociologue Jérémie Moualek :

    « Les politiques publiques épousent les revendications des classes d’âge qui votent le plus. »

    S’il faut être rassurant pour nous autres vieux, la conclusion de l’article de France Info montrent que la pondération du vote des plus âgés rencontre de vrais obstacles techniques et éthiques Pour l’instant cette idée n’a pas vocation à prospérer.

    Dans le vote, il faut reconnaître qu’il existe un vrai <clivage entre les générations>. Ainsi si on analyse le premier tour des élections présidentielles

    « Plus d’un tiers des moins de 35 ans ont choisi le leader de la France insoumise. […]

    Chez les actifs, de 35 à 65 ans, c’est la candidate du Rassemblement national qui mène les suffrages.

    [En revanche Macron] devance la candidate du RN et celui de LFI très nettement dans le vote des électeurs de plus de 60 ans, recueillant selon Ipsos 41% des suffrages chez les plus de 70 ans »

    Pour le sociologue Laurent Lardeux

    « Si un clivage politique existe bien entre les générations, il se serait surtout créé entre les seniors et le reste de la population, les jeunes inclus. Les seniors vont voter de façon très spécifique par rapport aux autres générations, plus particulièrement sur les valeurs conservatrices auxquelles ils adhèrent plus largement.

    A contrario, le vote de la jeunesse a plutôt tendance à être proche du vote des 35-65 ans. “On voit qu’il y a plutôt un rapprochement générationnel entre les jeunes et la population active »

    Et en effet, contrairement aux Vieux fourneaux de la BD qui considérerait probablement que même Melenchon n’est pas assez à gauche, les vieux votent à droite.

    Le journal « Libération » posait déjà en 2018 la question : <Pourquoi les personnes âgées votent à droite ?>

    La réponse :

    « Les seniors sont plus conservateurs et attachés à la transmission de leur patrimoine, des valeurs traditionnellement mises en avant par la droite. […]

    Première raison : les seniors sont aussi les plus conservateurs […]

    Deuxième raison: le patrimoine. Les plus âgés sont aussi ceux qui détiennent le plus de patrimoine en France. […]. De fait, ils sont donc plus sensibles aux politiques proposant de diminuer les impôts sur la succession, faciliter les donations ou encore supprimer ou modifier l’ISF. […]

    Leur demande de stabilité est absolument centrale. Quand elle propose un report de l’âge légal pour le départ à la retraite (jusqu’à 65 ans pour le candidat Juppé), la droite rassure ainsi les seniors car cela pérennise le système et donc leurs pensions. Une logique qui vaut pour tout ce qui peut contribuer à assurer leurs revenus – alors qu’eux-mêmes ont généralement bénéficié d’une retraite à 60 ans. C’est d’autant plus vrai que les seniors ne paient pas les contreparties de telles réformes, celles-ci pesant sur les actifs et le marché du travail bien davantage que sur le niveau des pensions ou le système de santé.

    En résumé, les seniors votent à droite car ils sont plus conservateurs et attachés à la transmission de leur patrimoine, selon les chercheurs ayant travaillé sur ces sujets. »

    Je résumerai ainsi cette analyse : les vieux votent majoritairement à droite, parce que majoritairement c’est leur intérêt.

    Et pour régler cela pacifiquement et intelligemment il faut tout simplement que les jeunes qui restent plus nombreux dans notre société comme le montre les camemberts publiés, ne doivent pas laisser faire, s’ils ne sont pas d’accord, en allant voter.

     <1694>

  • Jeudi 30 juin 2022

    « Je suis hyper émue d’avoir vécu cette expérience, de m’être fait prendre dans cette rivière-là. »
    Aurélie Sylvestre épouse de Matthieu assassiné au Bataclan le 13 novembre 2015

    Ce fut le plus long procès criminel de la France de l’après-guerre : Après neuf mois d’audiences hors norme, les cinq magistrats de la cour d’assises spéciale ont rendu leur décision contre les vingt personnes (dont six « jugées en absence ») accusées d’avoir participé aux attentats du 13 novembre

    « Libération » parle d’un « verdict pour l’Histoire » en narrant l’ensemble des peines prononcées

    Hier le journal publiait en Une : « L’humanité a gagné »

    Nous autres français sommes souvent critiques sur notre pays, mais je crois que pour ce procès nous pouvons être fier.

    Les américains n’ont pas su le faire, ils ont inventé Guantanamo et n’ont pas su mettre en pratique un procès digne de l’état de droit et d’une démocratie libérale.

    Le Un Hebdo a aussi consacré le numéro de cette semaine à ce procès : « Je ne suis plus victime, je suis un survivant »

    Et dans ce numéro, l’écrivain Robert Solé interroge le mot « Partie civile »

    « À l’ouverture de ce procès hors norme, ils étaient déjà 1800. Par la suite, quelque 700 autres rescapés, blessés ou proches des victimes se sont également constitués partie civile pour avoir subi, eux aussi, un préjudice corporel, matériel ou moral ce funeste 13 novembre 2015.

    Un procès pénal oppose l’accusé au ministère public. Cependant, un troisième acteur s’est introduit peu à peu dans le prétoire, sans se limiter à un strapontin : devenue « partie au procès », la victime bénéficie de droits croissants, notamment celui de pouvoir s’exprimer à l’audience.

    Des juristes contestent cette évolution, estimant qu’un « parquet bis » vient porter atteinte à l’équilibre entre l’accusation et la défense. Mais on peut se demander ce qu’aurait été le « procès du Bataclan » sans les témoignages bouleversants de ces hommes et de ces femmes, frappés par la foudre il y a six ans : ceux qui s’étaient interdit de pleurer ; ceux qui se sont adressés sans haine aux accusés ; ceux qui ne se pardonnent pas d’être vivants…

    Chaque drame est unique, « mais il y a dans cette salle des mains qui se touchent, des familles qui s’étreignent, des amis qui se réconfortent », disait à la barre Aurélie, une « partie civile » qui a perdu son compagnon dans le massacre, alors qu’elle était enceinte et mère d’un enfant de trois ans. « Il y a ici tout ce qui faisait de nous une cible : l’ouverture à l’autre, la capacité d’aimer, de réfléchir, de partager, et c’est incroyable de constater qu’au milieu de tout ce qui s’est cassé pour nous ce soir-là, ce truc-là est resté intact. »

    En l’entendant, on se disait que le terme glacial de « partie civile » était bien mal adapté à tant de douleurs, de larmes et d’humanité. »

    Aurélie, c’est Aurélie Sylvestre qui a perdu son compagnon Matthieu Giroud au Bataclan alors qu’elle était enceinte de leur deuxième enfant. Son témoignage puissant et plein d’humanité lors du procès a marqué beaucoup de monde et a été relayé massivement dans les médias et sur les réseaux sociaux.

    Le <mot du jour du 8 février 2022> avait été consacré à ce moment.

    A la veille du verdict, « Libération » est allé l’interviewer : «Plus tu touches à l’intime et à la sincérité, plus tu es universel. »

    « Je me souviens du premier jour, quand le président de la cour a lu la liste des victimes des attentats, tous ces noms égrenés : on convoquait les fantômes. Et puis, dans la salle, il y avait toutes les autres parties civiles, moi qui avais vécu complément recroquevillée sur mon chagrin, j’ai vu tous ces gens et j’ai pensé : « On a tous été brûlés à la même flamme. » »

    Toutes les parties civiles, ce n’est pas un beau mot, mais il permet d’inclure la communauté de celles et ceux qui sont victimes ou parents de victimes de cet attentat, ont raconté peu ou prou la même chose : ils ont fait de merveilleuses rencontres au cours de ce procès qui leur a fait du bien

    Aurélie Sylvestre le dit ainsi :

    « Pendant six ans, j’ai négligé mon traumatisme. Epuiser le récit de cette nuit-là, rencontrer d’autres personnes qui ont vécu ça, a vraiment eu une vertu. Oui, ce procès nous répare, je le découvre. Et je trouve important de le dire. On a tous cheminé dans cette salle : les accusés, les avocats, les parties civiles… On n’est plus du tout au même endroit qu’en septembre. Je suis hyper émue d’avoir vécu cette expérience, de m’être fait prendre dans cette rivière-là.
    […] La femme que j’étais vraiment a explosé la nuit du 13 Novembre. Pendant six ans, j’ai eu l’impression d’avoir ramassé mes petits morceaux de moi. Avec ce procès, j’ai pu rassembler ces débris et sculpter, réanimer la femme que j’étais avant. Ces dix mois, à la fois très longs et très courts, ont été une avancée spectaculaire. Cela m’a permis de métaboliser mon drame. J’ai pourtant longtemps cru qu’il fallait que je me trouve ailleurs, comme disait Marguerite Yourcenar. Il fallait tout ce temps-là. Il fallait six ans et dix mois pour me retrouver. Je vais tourner une énorme page, et après ça, la vie recommencera. C’est sûr, il y aura un après. »

    Répondre à la barbarie par de l’humanité, c’est ce qui honore une civilisation.

    <1693>

  • Mercredi 29 juin 2022

    « Faire de la chute, un pas de danse, faire de la peur, un escalier. »
    Fernando Sabino

    On ne va pas se mentir, quelque soit l’endroit vers lequel on se tourne : Les États-Unis, la France, la guerre d’Ukraine, la Chine, la crise alimentaire mondiale, le réchauffement climatique et tant d’autres choses encore, la situation est très préoccupante.

    Et puis, brusquement ce poème s’est affiché sur mon écran :

    « De tout, il resta trois choses :
    La certitude que tout était en train de commencer,
    la certitude qu’il fallait continuer,
    la certitude que cela serait interrompu avant que d’être terminé.
    Faire de l’interruption, un nouveau chemin,
    faire de la chute, un pas de danse,
    faire de la peur, un escalier,
    du rêve, un pont,
    de la recherche…
    une rencontre. »

    Ce texte est inséré dans le roman « O encontro marcado » [Le rendez-vous] publié en 1956 par le poète brésilien Fernando Sabino.

    Fernando Sabino est né, le 12 octobre 1923 à Belo Horizonte au Brésil et il est décédé le 11 octobre 2004 à Rio de Janeiro.

    <Wikipedia> nous apprend que Fernando Sabino est l’auteur de 50 livres, romans, nouvelles, chroniques, essais. Et qu’il a accèdé à une renommée nationale et internationale en 1956 précisément avec le roman O Encontro Marcado qui est l’histoire de trois amis de Belo Horizonte. Le livre est inspiré de la vie de l’auteur.
    « Le Monde » a publié un article hommage lors de son décès : < Fernando Sabino, écrivain et journaliste brésilien>

    Cet article nous apprend qu’il avait choisi son épitaphe :

    « Ci-gît Fernando Sabino. Né homme, il est mort enfant. »

    <1692>

  • Mardi 28 juin 2022

    « Le côté obscur des religions.. »
    Imposer aux autres ce qu’on croit ou peut être même feint de croire

    Ils ont osé !

    L’Amérique des évangéliques, celle qui vote massivement Trump est arrivée à son objectif : annuler l’arrêt rendu par d’autres juges de la Cour Suprême des États Unis en 1973 : « l’Arrêt Roe v Wade »

    « Roe v. Wade », 410 U.S. 113 est un arrêt historique rendu par la Cour suprême des États-Unis en 1973 sur la question de la constitutionnalité des lois qui criminalisent ou restreignent l’accès à l’avortement. La Cour statue, par sept voix contre deux, que le droit à la vie privée, en s’appuyant sur le quatorzième amendement de la Constitution des États-Unis, s’étend à la décision d’une femme de poursuivre ou non sa grossesse, mais que ce droit doit être mis en balance avec les intérêts de l’État dans la réglementation de l’avortement : protéger la santé des femmes et protéger le potentiel de la vie humaine.

    Roe v. Wade est devenu l’un des arrêts de la Cour suprême les plus importants politiquement, divisant les États-Unis entre personnes se disant « pro-choice » (« pro-choix », pour le droit à l’avortement) et « pro-life » (« pro-vie », anti-avortement).

    Et depuis 1973, méthodiquement avec la persévérance, la patience de ceux qui croient en l’Éternité, ces régressifs ont poursuivi leur lutte, pas à pas, en infiltrant les cercles de pouvoirs ou en faisant un lobbying incessant auprès des élus et en usant de toutes les opportunités même les plus invraisemblables. Ils ont finalement utilisé Donald Trump, qui est tellement loin de tous les principes moraux qu’ils prétendent mettre en œuvre, pour parvenir au but qu’ils s’étaient fixés.

    Et c’est ainsi que cet ignoble personnage a pu écrire :

    « C’est la volonté de Dieu ».

    Dans un communiqué, Donald Trump a estimé que la décision historique sur l’avortement, après celle de jeudi consacrant le droit au port d’armes en public, a été rendue possible « seulement car j’ai tenu mes promesses ».

    Il a en effet nommé trois juges conservateurs, pendant les 4 années de son mandat, dont un en tout fin de mandat.

    Alors que les lobbys évangéliques et républicains sont arrivés à empêcher Obama de nommer un juge progressiste, en prétendant qu’en fin de mandat un Président n’était plus légitime à nommer un juge à vie.

    Et le milliardaire cynique et inculte a ajouté :

    « Ces victoires majeures montrent que même si la gauche radicale fait tout ce qui est en son pouvoir pour détruire notre pays, vos droits sont protégés, le pays est défendu et il y a toujours un espoir et du temps pour sauver l’Amérique ».

    Je n’approfondirai pas cette organisation juridique si particulière des États-Unis, dans laquelle ce sont les 9 juges de la Cour Suprême qui fixent les règles en se basant sur l’interprétation de la constitution des États-Unis.

    En France, c’est une Loi, la fameuse Loi Simone Veil qui a fixé les règles qui encadraient le droit des femmes à recourir à l’interruption volontaire de grossesse.

    Aux États-Unis ce n’est ni le Congrès fédéral, ni le Sénat fédéral qui sont intervenus, mais la Cour Suprême Fédéral qui, en 1973, a contraint les gouvernements des États fédérés de tolérer l’avortement.

    Par son jugement du 24 juin 2022 et par 6 voix contre 3, la Cour donne raison à l’État du Mississippi qui l’avait saisi et révoque Roe v. Wade. Les États sont désormais libres de définir la politique relative à l’avortement dans leur juridiction.

    Cette même Cour avait la veille, le 23 juin 2022, autorisé tous les Américains à sortir dans la rue, armés d’une arme de poing, dissimulée sous leurs vêtements. Ce qui était interdit, par exemple, dans les rues de New York.

    Et il semble qu’elle a même l’intention de ne pas s’arrêter en si bon chemin et envisage à revenir aussi sur la contraception, en interdisant la délivrance des pilules contraceptives, permises depuis 1955 – soit 2 ans avant la France !

    Nous sommes dans un pays où comme l’écrit, en 2014, <Le Monde> :

    « Un quart des Américains (26 %) ignorent que la Terre tourne autour du Soleil et plus de la moitié (52 %) ne savent pas que l’homme a évolué à partir d’espèces précédentes d’animaux. C’est ce que révèle une enquête aux résultats édifiants, menée auprès de 2 200 personnes par la Fondation nationale des sciences américaine et publiée vendredi 14 février. »

    En France, sommes-nous à l’abri de telles dérives ?

    J’ai reproduit le tweet ainsi qu’un ajout qu’a écrit cette dame qui a été député pendant 21 ans et ministre du logement pendant deux ans dans le gouvernement de Fillon sous la présidence de Sarkozy.

    Et elle n’est pas seule, il suffit de se rappeler de ce furent les manifestations contre le mariage pour tous.

    Simone de Beauvoir écrivait

    « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant »

    Tout ceci ne serait pas possible s’il n’existait plus des populations complètement aveuglées par des récits écrits par des hommes, je veux dire des mâles humains, et que ceux qui croient continuent à penser qu’il s’agit de textes dictés directement par leur dieu.

    Il y a quelques mois, en allant au travail, juste après avoir posé le vélo’v à sa station, j’ai été interpellé par 3 jeunes hommes en costume, portant écusson qui portait cette mention : « L’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours ».

    Ce qui est le nom « scientifique » des Mormons.

    Ils ont souhaité engager la conversation, j’y consentis.

    Et voici la teneur de cet échange, cité de mémoire. Je pense que vous n’aurez aucune peine à distinguer mes propos de ceux des trois jeunes aspirant à devenir des saints des derniers jours :

    • Bonjour
    • Bonjour
    • Nous sommes…
    • Oui je sais, j’ai vu votre écusson
    • Croyez-vous en l’existence de Dieu ?
    • Je ne sais pas si Dieu existe ou s’il n’existe pas.
    • Si vous examinez le monde, le soleil, l’univers vous croyez vraiment que tout cela peut exister par hasard, sans qu’il y ait quelqu’un qui a créé tout cela ?
    • Oui c’est possible que le hasard ait fait cela. Mais si c’est vraiment Dieu qui a réalisé cela, cet univers gigantesque avec des milliards d’étoiles, de planètes, de trous noirs, croyez vous vraiment que ce Dieu puisse manifester le moindre intérêt pour un animal vaguement évolué, habitant une petite planète du système solaire situé en périphérie de la galaxie de la voie lactée, une parmi des milliards d’autres ? Ne manifestez-vous pas ainsi un orgueil incommensurable ?
    • Mais si, Dieu s’intéresse à nous, nous entoure de son amour et nous guide pour notre bien.
    • Vous êtes sérieux ? Qu’avez-vous compris de l’histoire récente des humains, simplement depuis le début du XXème siècle. Qu’a fait ce Dieu dont vous me parlez à Auschwitz ?
    • Il était là, mais il a laissé les humains agir selon leur volonté.
    • Évidemment, c’est une hypothèse commode, mais elle ne me convainc pas. Je vous ai dit que je ne sais pas si Dieu existe. Mais je suis convaincu ou je crois si vous préférez que votre Dieu, celui dont il est question dans la bible ou dans le coran, lui il n’existe pas ! Ce qui existe ce sont des organisations humaines qui sont hiérarchisées, qui profitent à ceux qui les dirigent et qui sont grisés par le pouvoir qu’ils en tirent et quelquefois même des revenus et un patrimoine substantiel. En général ce sont d’ailleurs des hommes qui par le récit et les règles qu’ils racontent ont parmi leur objectif principal de soumettre les femmes.
    • Mais non ce n’est pas ainsi et croyez-vous en l’existence de Jésus ?
    • Jésus, l’homme a peut-être existé, mais il n’y a aucune source autre que celles écrites par les chrétiens qui atteste de son existence.
    • Mais si, il y a d’autres sources…
    • Alors là jeune homme ce sont des découvertes récentes dont je n’ai pas connaissance, parce que vous comprenez c’est un sujet qui m’intéresse.
    • Il y a l’historien Flavius Josephe qui parle de Jésus.
    • Oui, mais là ce n’est pas une source externe, Flavius Josephe cite des chrétiens qu’il a rencontré et rapporte ce qu’ils lui ont dit. En revanche, il y a une stèle qu’on a retrouvé au proche orient qui évoque l’existence de Ponce Pilate. Mais savez-vous que le Dieu monothéiste a été inventé par les juifs il y a environ 2500 ans. Et que notre espèce homo sapiens a environ 100 000 ans d’existence. Notre race humaine a donc su se passer, la plus grande partie de son existence, de ce Dieu éternel, unique et qui s’intéresserait à vous ?

    • Bon il faut que je me rende à mon travail. Si je peux me permettre un conseil : si le fait de croire vous fait du bien n’hésitez pas à continuer, mais garder toujours éveillé le germe fécond du doute et surtout n’imposez jamais votre croyance et vos règles par la contrainte. Bonne journée !
    • Bonne journée.

    Alors il peut exister un coté lumineux de la religion, celle qui s’intéresse au spirituel, à ce qui nous dépasse et à ce qui transcende le matériel.

    Régis Debray, à ce stade, pense que l’absence de Dieu est pire que sa présence.

    Il y aussi ce propos qu’aurait tenu Jaurès à des radicaux qui étaient très anticléricaux au début du XXème siècle :

    « Pourquoi voulez-vous faire taire cette petite voix consolante qui fait tant de bien aux pauvres humains qui sont dans la peine ? »

    Car oui, c’est une source de consolation pour beaucoup qui souffrent, qui sont dans le deuil ou sont au seuil de cette terrible inconnue qu’est la mort.

    Mais le côté obscur des religions c’est celui qui veut imposer sa règle à tous, obliger tout le monde à respecter les règles que les adeptes de ce récit auquel ils croient s’imposent à eux-mêmes.

    Et dans ce cas quand ils sont puissants, les religieux sont même capables des pires crimes pour imposer leurs règles.

    Combien de crimes ont été ainsi commis au nom de ces religions qui prétendent œuvrer pour la paix et d’amour du prochain ?

    Il faut arrêter d’être naïf.

    Et en France, au moins, il est essentiel de respecter les croyances, permettre à chacun de vivre librement sa Foi tant qu’elle n’est pas en contradiction avec la Loi de la République.

    Mais de manière réciproque ; il faut défendre avec fermeté, lucidité et force s’il le faut, la liberté de faire et penser autrement quand les religions de toute obédience veulent imposer aux autres, à leur famille puis aux voisins puis à tout le monde les règles qu’ils s’appliquent à eux même parce qu’ils adhèrent à un récit particulier.

    Nous devons arrêter de regarder les responsables ou autorités religieuses avec les yeux de Chimène en leur reconnaissant une quelconque autorité morale générale.

    Nous devons les regarder avec les yeux du doute que je décrirai ainsi :

    Je reconnais ton droit absolu de croire. Est-ce que tu reconnais réciproquement la liberté des autres à ne pas croire ce que tu crois et est-ce que tu renonces définitivement à imposer aux autres et à la société les règles qui ne concernent que ta foi et ceux qui y adhèrent ?

    <La journaliste Ana Kasparian> synthétise tout cela très bien.

    <1689>

  • Lundi 27 juin 2022

    « Ne pleurons pas de l’avoir perdue, mais réjouissons-nous de l’avoir connue. »
    Jean-Louis Trintignant après le décès de sa fille Marie Trintignant

    Jean-Louis Trintignant est mort, le 17 juin, à l’âge de 91 ans « paisiblement, de vieillesse, […] entouré de ses proches », a fait savoir son agent.

    Il est ainsi mort une seconde fois ou mort vraiment.

    En effet, dans une interview face à Claire Chazal dans « Entrée Libre » sur France 5, fin 2018, Jean-Louis Trintignant avait expliqué que le décès de sa fille Marie Trintignant l’avait dévasté :

    « Ça ne guérit pas. Depuis quinze ans, ça m’a complètement abattu. Je suis mort il y a quinze ans, avec elle. […] rien n’a pu m’aider à traverser ce deuil. […] Je vais très mal. »

    Marie Trintignant est décédée le 1er Août 2003 d’un féminicide perpétré par son compagnon de vie.

    Et Jean-Louis Trintignant avait alors prononcé dans ces circonstances tragiques :

    « Ne pleurons pas de l’avoir perdue, mais réjouissons-nous de l’avoir connue. »

    C’est ce qu’a rapporté François Morel dans l’émouvant hommage qu’il lui a rendu lors de sa chronique hebdomadaire du vendredi : < Hommage à Jean-Louis Trintignant >

    Et il a ajouté :

    « Je me réjouis d’avoir eu la chance de connaitre un peu Jean-Louis Trintignant. »

    Ce ne fut pas la première tragédie que ce vieil homme connut dans sa vie consacrée à l’Art, au Théâtre et au Cinéma.

    Il avait déjà perdu une première fille, Pauline, sœur cadette de Marie, née en 1969 et morte à l’âge de dix mois.

    Dans le recueil Du côté d’Uzès, entretiens avec André Asséo (2012), Jean-Louis Trintignant confie :

    « Un matin, alors que je partais tourner, je suis allé embrasser Pauline dans son berceau. Elle était morte, on n’a pas su comment. J’ai dit à Nadine : Soit on se suicide, soit on accepte de vivre pour Marie. »

    Et plus jeune encore, il avait 8 ans, son père était résistant et sa mère avait vécu une histoire d’amour avec un soldat allemand.

    En septembre 2017, dans les colonnes du JDD, il raconte :

    « Ma mère a été tondue dans une charrette. Bien sûr mon père l’a sauvée, mais il m’a dit ce truc qui m’a bouleversé toute ma vie : ‘Comment as-tu pu laisser faire ça ?’ C’était lourd pour un enfant. »

    Et il reconnaissait que c’était une blessure qu’il a porté toute sa vie en ajoutant :

    « C’est peut-être pour ça que je suis devenu acteur. Au fond, la décadence des familles bourgeoises, peut-être que j’ai joué ça toute ma vie… »

    Laurent Delahousse l’a interviewé en 2018, au théâtre des Célestins de Lyon où il réalisait un spectacle, avec des musiciens, en disant des poèmes : <Jean-Louis Trintignant au Théâtre des Célestins>

    Un entretien d’une profondeur bouleversante.

    A propos de ses parents, il raconte qu’après ce tragique épisode, ils ont encore vécu 20 ans ensemble, mais dans des relations si compliquées qu’ils auraient mieux fait de se séparer rapidement.

    Ce spectacle joué à Lyon le fut aussi à Paris. Il avait alors été invité de Léa Salamé, je l’avais rapporté lors du mot du jour du <14 février 2019> pour souligner un poème de Prévert qui faisait partie du spectacle et qu’il a déclamé lors de l’émission :

    Il a cité aussi d’autres poètes comme par exemple Pierre Reverdy qui a écrit :

    « On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux »

    C’était un <monument du cinéma français> titre le journal canadien « Le Devoir » qui narre son immense carrière

    Article qui rapporte qu’après la mort brutale de sa fille Marie, il a dit :

    « Je devrais m’arrêter, mais je ne veux pas. Les moments les plus heureux de ma vie, c’est quand je travaille, quand je fais du théâtre »

     <1688>

  • Vendredi 24 juin 2022

    « Macron ou les illusions perdues. »
    François Dosse

    François Dosse, né le 21 septembre 1950, est un historien et épistémologue français, spécialisé en histoire intellectuelle.

    C’était un proche du philosophe Paul Ricoeur.

    Il a publié en 1997 une biographie de ce philosophe : « Paul Ricœur. Les sens d’une vie ».

    En 1998, il était professeur à Sciences Po et avait parmi ses élèves Emmanuel Macron.

    Et c’est lui, François Dosse, qui a permis la rencontre d’Emmanuel Macron et de Paul Ricoeur.

    Et c’est ainsi que de 1999 à 2001, Macron deviendra l’assistant éditorial du philosophe qui recherchait un archiviste pour le livre « La Mémoire, l’histoire, l’oubli ».

    Le président de la République évoquait cette relation ainsi :

    « La nuit tombait, nous n’allumions pas la lumière. Nous restions à parler dans une complicité qui avait commencé à s’installer. De ce soir-là commença une relation unique où je travaillais, commentais ses textes, accompagnais ses lectures. Durant plus de deux années, j’ai appris à ses côtés. Je n’avais aucun titre pour jouer ce rôle. Sa confiance m’a obligé à grandir. »

    François Dosse a pendant longtemps exprimé une grande bienveillance à l’égard de ce jeune homme qui allait être capable d’embrasser un destin exceptionnel.

    Il va même écrire un livre très positif sur le jeune président au début de son quinquennat : « Le philosophe et le président »

    Dans un article du Monde, publié le 3 décembre 2019 et sur lequel je reviendrai plus loin, François Dosse écrivait de ce livre :

    « Lorsque j’ai publié, en septembre 2017, « Le Philosophe et le Président. Ricœur & Macron », chez Stock, mon intention première était de défendre la vérité des faits : attester ta proximité avec Paul Ricœur, alors qu’elle était contestée par certains, qui dénonçaient une forme d’imposture. Dans ce livre, et sur la base de ta campagne présidentielle, je faisais état de tes sources d’inspiration en tant que candidat et soulignais à quel point les positions philosophiques de Ricœur avaient été importantes pour toi, fécondant tes propositions sur l’Europe, la laïcité, la justice sociale, la revitalisation de la démocratie politique, la mémoire nationale. Durant toute la première partie de ton mandat présidentiel, ma confiance et mes sentiments amicaux m’ont incité à ne jamais répondre à quelque sollicitation pétitionnaire ou critique. J’ai eu pour toi les yeux de Chimène, émerveillé par l’étendue de tes compétences et de ton savoir-faire. »

    L’émerveillement est passé.

    François Dosse a parlé d’«un moment de rupture majeur» en dénonçant, en 2019, ses discours et ses mesures « inadmissibles » sur l’immigration.

    Pour marquer ce désaccord, il a publié une tribune dans le Monde, il s’agit de l’article du 3 décembre 2019 évoqué : « Emmanuel, tes propos sur l’immigration contribuent à la désintégration de ces populations fragilisées » :

    Il écrit notamment :

    « Si je prends la plume aujourd’hui, c’est que je ne peux souscrire à tes dernières déclarations sur la nécessité d’un débat national sur l’immigration et à l’orientation politique prise dans ce domaine par ton gouvernement. La stigmatisation de la population immigrée comme source des problèmes que rencontre la société française, qui se situe aux antipodes des positions éthiques et politiques de Ricœur dont tu t’es réclamé, constitue pour moi un moment de rupture majeur.

    Il ne s’agit pas de défendre la posture de la belle âme soucieuse de ne pas se compromettre dans le pragmatisme du quotidien, mais de rappeler les positions éthiques de Ricœur qui devraient inspirer une juste politique de l’immigration. Il affirmait en premier lieu le principe intangible de l’hospitalité. Comme tu le sais, au soir de sa vie, Ricœur a avancé le paradigme de la traduction en faisant droit, comme Jacques Derrida, à la vertu de l’hospitalité, à l’« hospitalité langagière », où « le plaisir d’habiter la langue de l’autre est compensé par le plaisir de recevoir chez soi (…) la parole de l’étranger » (Ricœur, Sur la traduction, Bayard, 2004, page 20).

    Je te rappelle que Ricœur, philosophe au cœur de la Cité, s’est engagé dans les années 1990 auprès des sans-papiers. Au printemps 1996, dans la plus grande confidentialité, il est intervenu comme médiateur auprès des 300 Maliens sans-papiers [qui, de mars à août 1996, avaient occupé l’église Saint-Bernard, dans le 18e arrondissement parisien, soutenus par de nombreuses personnalités]. Présent aux multiples réunions de concertation tenues dans les hangars, il a, avec d’autres, essayé de trouver une solution. Dans cette mobilisation, Ricœur a été à l’unisson de sa famille spirituelle. »

    Et il va continuer à décliner toutes les actions et propos du Président qui heurtent, selon lui, le message et les valeurs que portaient Paul Ricoeur.

    Et il finit son article par le rappel de l’Emmanuel qui l’enthousiasmait :

    « Rappelons que tu avais alors, Emmanuel, salué le courage et l’humanité d’Angela Merkel, qui a payé électoralement la fermeté de ses positions éthiques. C’est ce que j’attendais de toi et n’attends plus, me rappelant simplement avec mélancolie un autre Emmanuel, qui suscitait mon enthousiasme lorsqu’il déclarait, lors de sa campagne à Marseille, le 1er avril 2017, devant une foule enthousiaste et pleine d’espérance : « Quand je regarde Marseille, je vois une ville française façonnée par deux mille ans d’histoire, d’immigration, d’Europe, du Vieux-Port à Saint-Loup en passant par le Panier », et d’ajouter : « Je vois les Arméniens, les Comoriens, les Italiens, les Algériens, les Marocains, les Tunisiens, les Maliens, les Sénégalais, les Ivoiriens, j’en vois des tas d’autres, que je n’ai pas cités, mais je vois quoi ? Des Marseillais, je vois des Français, ils sont là et ils sont fiers d’être français. »

    Trois ans après cet article, il a publié en mars 2022, un second livre sur Emmanuel Macron dont j’ai choisi le titre pour exergue : « Macron ou les illusions perdues. »

    Le sous-titre de ce livre, bilan du quinquennat était : «  les larmes de Paul Ricoeur. »

    <Philosophie Magazine> pose, à propos de ce livre, la question :

    « Est-ce un portrait d’Emmanuel Macron en Lucien de Rubempré ? »

    Rappelons que Lucien de Rubempré est un des personnages de la Comédie humaine de Balzac et qu’il occupe le rôle principal dans les deux livres : « Splendeur et misère des courtisanes » et « Les illusions perdues » qui décrivent l’ascension et la chute de cet ambitieux qui veut se faire une place dans la haute société parisienne.

    Dans ce second livre, la critique de François Dosse va plus loin que la seule remise en cause au sujet de l’immigration. :

    « Mais, de manière plus générale, c’est la politique macronienne dans son ensemble que condamne Dosse en détaillant aujourd’hui les motifs de son mécontentement. Pratique verticale d’un pouvoir jupitérien, politique économique néolibérale, relégation de l’enjeu écologique au second plan, lois liberticides pendant la pandémie, caporalisation de l’Éducation nationale… Les griefs ne manquent pas dans ce véritable réquisitoire. »

    Parallèlement à ce livre, François Dosse a publié sur le site : « AOC », le 10 mars 2022, un article d’opinion : « Macron ou le peuple de gauche floué  »

    C’est un article d’une belle profondeur intellectuelle et qui énumère les renoncements et les contradictions de notre président .

    Fraçois Dosse fait le constat de la dévitalisation de notre vie politique et de l’atonie des partis politiques, éléments essentiels de la vie démocratique. Il reconnaît qu’Emmanuel Macron n’est pas le seul « responsable de l’atonie idéologique ambiante ni de l’absence de projet de société, » mais il porte sa part. Car, bien loin de sa promesse de renouvellement des pratiques politiques il a sombré très vite dans les pratiques les plus médiocres de l « ancien monde »

    Et François Dosse oppose l’espoir de 2017 avec la décourageante pratique qu quinquennat :

    « On aurait pourtant pu croire, et je l’ai cru en 2017, […] qu’Emmanuel Macron ne serait pas un simple gestionnaire du système en place mais pourrait profiter de la liberté que lui donnait une majorité absolue à l’Assemblée nationale pour bousculer quelques conventions et diriger une politique de modernisation et de justice sociale. […]

    Je pensais en 2017 que le nouveau président s’attacherait à articuler justice et égalité dans la perspective que définissait Ricœur comme la construction d’« une vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes ». Au plan politique, cette éthique impliquait une stratégie de rupture avec la logique capitaliste qui a pour effet d’accroître les inégalités. On pouvait penser que l’annonce par Macron d’un « nouveau monde » allait progresser dans ce sens. Il n’en a rien été, et le nouveau président n’a jamais remis en question le principe de maximisation du profit propre au système capitaliste ; il en a au contraire renforcé ses traits les plus inégalitaires. »

    Et il cite à nouveau Paul Ricoeur, (« Justice et Marché. Entretien entre Michel Rocard et Paul Ricoeur », Esprit, n° 1, janvier 1991, p. 8.) :

    « Ce qu’il faut commencer par contre, sans tarder, c’est la critique du capitalisme en tant que système qui identifie la totalité des biens à des biens marchands. »

    Macron se réclamait aussi de Michel Rocard qui l’a soutenu en 2017. Depuis Michel Rocard est mort. J’ai la faiblesse de croire que Rocard non plus n’aurait pas approuvé l’évolution de notre jeune président.

    Dans le même article, page 6, Ricoeur suggérait :

    « l’idée que la société en tant que réseau d’institutions consiste avant tout en un vaste système de distribution, non pas au sens étroitement économique du terme distribution opposé à production, mais au sens d’un système qui distribue toutes sortes de biens : des biens marchands, certes, mais aussi des biens tels que santé, éducation, sécurité, identité nationale ou citoyenneté. ».

    François Dosse cite alors avec regret les espoirs que Macron suscitait dans son livre « Révolution » (page 138)

    « Faire plus pour ceux qui ont moins […] Sans solidarités, cette société tomberait dans la dislocation, l’exclusion, la violence – la liberté de choisir sa vie serait réservée aux plus forts, et non aux plus faibles »

    Dans mon analyse, je fais deux grands reproches à Macron, le premier est sur sa manière de gouverner en solitaire, sans s’appuyer sur les corps intermédiaires, sans faire appel à un travail d’équipe. Le second est sur son analyse de la société économique : Il prétend qu’il n’y a a pas assez de riches, il encourage les jeunes à se fixer comme but de vie de devenir milliardaire, alors que l’évolution qu’on constate est l’accroissement des inégalités de revenus et encore plus de patrimoine, une inversion de la tendance observée après 1945. François Dosse exprime la même désapprobation :

    « […]comme l’a montré Thomas Piketty, à un renversement de tendance à l’échelle internationale. Après une période de réduction des inégalités correspondant à la période d’après-guerre, le monde occidental a connu un accroissement spectaculaire des inégalités sociales.  […]

    « Lorsque Macron arrive à l’Élysée en 2017, il est donc confronté à un processus d’accroissement des inégalités qu’il aurait dû essayer d’enrayer au nom de la justice et de la mission du politique à œuvrer à la mise en place d’institutions justes. Or, il a fait strictement le contraire en favorisant les plus riches. »

    Et concernant sa pratique du pouvoir, François Dosse montre aussi sa duplicité entre ce qu’il écrivait dans un article (Emmanuel Macron, « Les labyrinthes du politique. Que peut-on attendre pour 2012 et après ? », Esprit, mars/avril 2011.), alors qu’il se préparait à soutenir Hollande :

    «  Macron […] mettait en garde contre le caractère trop vertical du pouvoir politique. Il y défendait la nécessité d’instiller davantage d’horizontalité pour redynamiser une démocratie souffrant de langueur, attestée par la part croissante de citoyens éloignés des sphères de décision, finissant par s’abstenir massivement lors des échéances électorales . […] Il stigmatisait alors les effets délétères sur la vie démocratique de l’extrême polarisation de la vie politique autour de la seule élection présidentielle : « Le temps politique vit dans la préparation de ce spasme présidentiel autour duquel tout se contracte et lors duquel tous les problèmes doivent trouver une réponse. » Il prenait alors ses distances avec cette tendance de la Ve République à s’orienter vers toujours plus de présidentialisation, qui a pour effet d’écraser sous son poids toute la vie politique du pays. »

    Et son action présidentielle :

    « Or, lorsqu’il prend le pouvoir en 2017, Macron transforme le pouvoir présidentiel en autorité jupitérienne. Sa pratique de la Constitution aura contribué à abaisser davantage le rôle de la représentation parlementaire réduite plus que jamais à la fonction d’approbation des décisions élyséennes. »

    Cette posture construit un pouvoir isolé et n’ayant plus de moyens pour apaiser les conflits :

    « En période de crise, cet anachronisme peut se révéler dangereux car le président n’a plus de fusible ; il s’en est dépossédé pour détenir tous les leviers de décision. Démuni du cordon sanitaire que représentent les corps institués que sont son gouvernement, son parlement, les partis politiques, il fait face, seul, à la foule et entretient chez elle le désir d’en découdre, ce qui explique la virulence des oppositions qui se sont manifestées lors de la crise des gilets jaunes. »

    Dans cet article, écrit avant l’élection présidentielle, François Dosse exprime l’ampleur de sa déception dans ses mots :

    « Ayant cru à un enracinement dans les convictions exprimées par Ricœur, je découvre en fait une forme de cynisme pour conserver le pouvoir qui tient davantage de Machiavel – sur lequel notre jeune président a consacré son premier travail de philosophie. »

    Et il finit par cette prophétie inquiétante :

    « Par sa pratique jupitérienne du pouvoir, Macron n’aura pas cherché à s’inspirer des travaux des chercheurs en sciences humaines et plus généralement il se sera passé des conseils des intellectuels. Il aura confondu ce que doit être l’impératif de gouverner un pays et ce qu’est gérer une entreprise, perdant dans cette confusion l’idée d’un cap à fixer et d’un horizon d’attente et d’espérance à définir. Si sa marche est de nouveau confirmée par les électeurs en 2022, elle nous conduira inévitablement à la catastrophe car la gestion d’une nation comme une start-up ne peut répondre aux exigences du nouvel âge dans lequel nous sommes entrés, celui de l’Anthropocène. Peut-être, notre devenir rejoindra avec la réélection de Macron le titre de son livre de campagne en 2017, Révolution, est-ce vraiment souhaitable ? »

    Au lendemain des élections législatives nous pouvons dire que pour l’instant Jupiter est empêché. Mais les opposants seront-ils à la hauteur des enjeux pour essayer de redresser la marche vers des objectifs davantage tournés vers l’équité, l’humanisme et les grands défis auxquels est confrontée notre civilisation humaine ?

    <1687>

     

  • Jeudi 23 juin 2022

    « Le Portsmouth Sinfonia : le pire orchestre du monde. »
    Un ensemble de musique créé par Gavin Bryars

    La constitution d’un gouvernement en France est devenue délicate depuis dimanche…

    Prenons un peu de recul et parlons d’autre chose.

    Quoique, je me demande s’il n’est pas possible de trouver des correspondances entre notre situation politique française et le sujet du mot du jour d’aujourd’hui.

    Commençons par un exemple audio qui nous met dans l’ambiance.

    Même celles et ceux qui n’ont aucune affinité avec la musique classique connaissent le début du poème symphonique de Richard Strauss : « Ainsi parlait Zarathoustra ». Cette œuvre a été souvent utilisée dans la publicité et dans les films et notamment en ouverture du film « 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick », illustrant l’alignement entre la Lune, la Terre et le Soleil, ainsi que dans L’aube de l’humanité et dans la scène finale du film.

    Je vous invite donc à écouter le début de cette œuvre, après avoir subi la publicité qui permet la gratuité, dans l’interprétation de l’orchestre du <Portsmouth Sinfonia : « Also sprach Zarathustra »>

    C’est un moment décapant, absolument unique dont on sort par une espèce de sidération : C’est un disque qui a été enregistré et que des gens ont acheté !

    <Portsmouth> est une ville portuaire de la côte sud de l’Angleterre qui compte 205 400 habitants et qui est la deuxième plus grande ville du Hampshire, après Southampton.

    Et c’est dans cette rieuse cité qu’a commencé, en 1970, cette histoire étonnante que l’émission de « France Musique » : Maxxi Classique a raconté, le jour de la fête de la musique, le 21 juin 2022.

    L’histoire est celle d’une initiative baroque du compositeur Gavin Bryars : créer le Portsmouth Sinfonia

    Cet orchestre dispose d’une page Wikipedia : <Portsmouth Sinfonia>

    Et aussi d’un site qui lui est dédié : https://www.portsmouthsinfonia.com/

    On trouve de nombreuses références sur internet qui parle de cette expérience disruptive. Par exemple : « Je vous assure que cet orchestre joue faux ! »

    Mais revenons à l’émission de France Musique < Le Portsmouth Sinfonia : Le pire orchestre du monde >

    Le musicologue Max Dozolme narre cette histoire incroyable

    « Mai 1970. Dans la cantine du College of Art de Portsmouth, des étudiants et des professeurs d’art prennent le thé. Ensemble, ils imaginent comment ils pourraient participer à une émission anglaise populaire qui doit avoir lieu dans quelques jours au sein de leur école. Cette émission qui porte le nom d’Opportunity Knocks est un télécrochet, une sorte d’ancêtre du programme La France a un incroyable talent. Ce jour-là, un professeur invité qui anime un cours sur la musique expérimentale a une idée ! Et si nous formions un orchestre symphonique qui réunirait des étudiants musiciens et non-musiciens ? Et si pour plus d’égalité, on demandait à tous ces étudiants de choisir un instrument qu’il ne maîtrise pas du tout ? Ça pourrait être une bonne idée non ?

    Le professeur à l’origine de la fondation du Portsmouth Sinfonia se nomme Gavin Bryars. Il a 26 ans, il est compositeur, très bon contrebassiste mais dans cet orchestre qu’il vient de créer il a décidé de jouer de l’euphonium, l’instrument le plus grave du pupitre de cuivres. Comme de nombreux étudiants de l’orchestre ne savent pas lire de partitions et connaissent mal le répertoire symphonique, la première oeuvre que le Portsmouth Sinfonia a choisi d’apprendre est un tube de la musique classique. Un air que l’on entend dans des publicités, des dessins animés et des westerns qui a l’avantage d’être connu de tous. Il s’agit de l’ouverture de Guillaume Tell de Rossini !

    Parce que même dans cette version saccagé le public a tout de suite reconnu le thème musical de Rossini et probablement parce le concept de cet orchestre a été jugé particulièrement original, le Portsmouth Sinfonia a été désigné grand vainqueur de l’émission Opportunity Knocks ! Ce succès a sans doute donné des ailes aux musiciens car après cette première expérience, la formation a donné plusieurs concerts dont un mémorable au prestigieux Royal Albert Hall de Londres en 1974 !

    Pour la petite histoire, c’est grâce aux contacts de Brian Eno, membre éminent de l’orchestre que le Portsmouth Sinfonia a pu enregistrer son tout premier disque en 1973. Suivront un album de reprises de chansons salué par le chanteur des Who Pete Townshend et de nombreux autres concerts jusqu’à une dernière représentation donnée à Paris en 1980. Depuis cette représentation parisienne, le Portsmouth Sinfonia n’a plus jamais joué ensemble mais il a inspiré la création d’autres formations similaires et qui sait, peut-être qu’un jour cet orchestre se reformera, pour le meilleur et surtout pour le pire ! »

    L’émission est enrichie par plusieurs extraits musicaux, interprétés ou plutôt massacrés par cet orchestre fantasque.

    Max Dozolme résumait cet orchestre ainsi :

    « le Portsmouth Sinfonia répétait avec sérieux, donnait des concerts au Royal Albert Hall et enregistrait des œuvres symphoniques. Problème, aucun musicien ne savait jouer de son instrument. […]

    Toutefois, l’article cité : « Je vous assure que cet orchestre joue faux ! » précise : « Il n’y avait pas d’audition préalable , le seul critère d’admission était que le musicien ait une connaissance, au moins minimale, d’un instrument y compris pas du tout. Plus en détail, le processus était le suivant. Les musiciens les plus capables, disons crédibles, échangeaient leurs instruments avec d’autres, tandis que quelques interprètes d’un niveau « décent », conservaient le leur afin de préserver une certaine «cohérence» à minima. »

    Libre à vous de trouver un lien entre ces instants de cacophonie et ce qui se passe actuellement dans les cercles du pouvoir à Paris.

    <1686>

  • Mercredi 22 juin 2022

    « La réalité du pouvoir minoritaire de Macron est [enfin) apparue. »
    Jérôme Sainte-Marie, politologue

    Depuis deux jours, des commentateurs politiques se désolent du fait qu’il n’y ait pas de majorité absolue à l’Assemblée Nationale.

    Tout tourne autour de cette question.

    Certains supporters de la NUPES expriment l’idée qu’ils sont passés à côté d’une victoire possible et de l’objectif d’envoyer Melenchon à Matignon pour mettre en œuvre son programme.

    Et tout le monde de s’étonner qu’après une victoire nette à l’élection présidentielle, les français n’aient pas confirmé leur vote en envoyant une majorité confortable à ce président réélu.

    D’autres dissertent ensuite sur les erreurs que Macron a commises depuis son élection et qui expliquent cette déconvenue.

    Dans l’émission de France 5 « C en l’air » du 20 juin, on apprend que Macron au lendemain du second tour plutôt que de consacrer son temps et son énergie à nommer une Première Ministre et préparer le futur gouvernement pour mener la bataille électorale, a passé son précieux temps à examiner dans le détail la liste de 577 candidats de sa coalition « Ensemble » aux élections législatives. Il semble que cet exercice devait lui permettre de s’assurer, personnellement, de la fidélité de chacune et chacun d’entre eux. L’objectif étant d’essayer de dénicher des candidats susceptibles de rejoindre, par la suite, son allié Edouard Philippe dont il se méfie. On dit que son ancien premier ministre occupe beaucoup de son temps de cerveau disponible.

    Tout ceci ne me convenait pas.

    Je pensais à cette pensée de la sagesse chinoise :

    « Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt »

    Quel est le problème ?

    Le problème est qu’un mouvement politique qui a obtenu 28 % des voix exprimés aux Présidentielles et 26 % aux législatives puisse vouloir prétendre obtenir la majorité absolue à l’Assemblée Nationale, puis appliquer son programme comme si la majorité du corps électoral avait fait ce choix.

    Et encore, nous avons constaté pendant les derniers cinq ans où ce mouvement politique était au pouvoir que les députés de la majorité jouait un rôle accessoire sur l’élaboration des textes et de la politique mise en œuvre. La seule vraie mission de cette majorité était de voter sans discuter ce que la petit équipe de l’Elysée avait décidé.

    Je m’empresse d’ajouter que la prétention de la NUPES de gouverner seule était encore plus insensée : Le corps électoral français qui s’exprime penche à droite.

    Alors j’ai enfin été rassuré quand j’ai regardé l’émission « C ce soir » du lundi 20 juin : « Macron : le grand saut dans le vide »

    Karim Rissouli avait invité Franz-Olivier Giesbert, Géraldine Muhlmann, Jérôme Sainte-Marie, Gilles Finchelstein et Céline Calvez, députée LREM.

    Ce débat correspondait aux questions qui me semblaient importantes à poser.

    Et c’est le politologue Jérôme Sainte Marie qui a avancé cette analyse :

    « Un pouvoir qui était structurellement minoritaire depuis 5 ans, avait gagné massivement, en 2017, au second tour face à une de ses oppositions.

    Parce que les autres oppositions préféraient encore voter pour Macron que pour Marine Le Pen.

    Cela a duré pendant 5 ans et puis cela a duré encore pendant l’élection présidentielle de 2022 : 28% au premier tour puis 58 % au second Tour.

    Mais là la machine s’est grippée.

    Ce dimanche, les différentes oppositions ne se sont pas mobilisées les unes contre les autres.

    Et la réalité du pouvoir minoritaire d’Emmanuel Macron apparait et nous place au Parlement dans une situation inextricable. »

    Après 10 min d’émission

    Voilà c’est dit !

    Je l’exprime autrement : Un pouvoir minoritaire a pu obtenir un pouvoir majoritaire parce que ses oppositions se combattaient les unes les autres.

    Alors il faut bien gouverner ?

    Certes !

    Mais il ne faut pas gouverner en faisant semblant de croire qu’une majorité de français approuvait la politique poursuivie.

    Dans un élan de bienveillance on peut encore admettre que pendant 5 ans « on a donné sa chance au produit » comme dirait mon neveu.

    Mais au bout de 5 ans, il faut arrêter les faux semblants.

    Un quart du corps électoral, les nantis, les seniors et retraités, les gagnants de la mondialisation et ceux qui espèrent en faire partie, soutiennent ce mouvement politique. Tous les autres n’ont pas voté Macron mais ont voté contre Melenchon et contre Le Pen .

    Et puis tout repartait comme avant : « Les Français m’ont fait confiance et maintenant il me faut une solide majorité pour mettre en œuvre mon programme ».

    Les français ont dit non à cette prétention.

    Ils ont donné au mouvement dominant le nombre de députés le plus important mais n’ont pas donné la majorité absolue.

    Et c’est bien et normal ainsi.

    Il faut gouverner autrement.

    Cela devient certes plus compliqué, mais il est beaucoup plus sain que les débats aient lieu au Parlement, plutôt qu’ailleurs.

    Gilles Finchelstein a fait ce constat :

    « C’est une crise politique : incapacité de trouver une majorité.

    C’est une crise française, pour tous les autres pays européens cette situation est normale et ne conduit pas à une crise mais à une coalition.

    C’est une crise inédite, elle n’a rien de comparable avec le gouvernement minoritaire de Rocard en 1988 qui disposait sur ses deux ailes d’opposants moins vindicatifs qu’aujourd’hui.

    C’est une crise sérieuse parce que nous ne voyons pas le chemin d’une solution. »

    On ne voit pas, mais il faut chercher.

    C’est la responsabilité de la majorité présidentielle, mais c’est aussi la responsabilité des oppositions.

    Mais l’émission est restée dans une tonalité optimiste : peut être que de cette crise sortira du mieux.

    La 5ème république dérivait de plus en plus vers un pouvoir de l’extrême centre sans opposition en capacité d’alternance. Cette situation créait des tensions de plus en plus fortes dans la société.

    La crise politique actuelle ne vient pas d’un vote « fantasque » des français.

    Elle est le révélateur d’une situation politique devenue intenable.

    La promesse de Macron de dépasser les clivages s’est heurtée au mur des réalités et des tensions internes de la société française.

    <1685>

  • Mardi 21 juin 2022

    «Pause (surlendemain du second tour des législatives) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Le 21 juin 2022 est le jour du solstice d’été. Il a aussi été choisi, il y a 40 ans pour être le jour de la fête de la musique.

    Je me suis perdu dans les chiffres du second tour des élections législatives et ne trouve rien de pertinent à écrire sur ce sujet.

    <France Info> présente de pertinentes infographies sur ces élections. Vous apprendrez qu’à Paris il n’y a plus aucun député LR, le parti de Chirac, ni de député PS le parti de Delanoé. Les 18 circonscriptions de Paris se partage entre 9 NUPES (écologistes et insoumis) à l’est et 9 Ensemble à l’ouest. Vous apprendrez aussi que la NUPES a perdu plus de duels contre tous les autres Partis et coalition qu’elle en a gagné. Elle a perdu 53% des 62 duels contre le RN, 66% des 270 duels contre la coalition macroniste et 92 % des 26 duels contre les LR.

    Le parti de Marine Le Pen a beaucoup mieux résisté à la coalition présidentielle. Dans les 108 duels entre Ensemble et RN, il y a eu 55 victoires pour Ensemble, et 53 pour le Rassemblement national.

    <Harris Intervactive> a publié une enquête sur les reports de voix.

    J’en retiens trois points :

    • En cas d’affrontement NUPES/ Rassemblement National, une majorité d’électeurs ayant voté pour Ensemble au premier tour ne se sont pas exprimés. Les autres se sont répartis pour 34% pour la NUPES et 18% pour le RN.
    • En cas d’affrontement NUPES/ Ensemble, une majorité d’électeurs ayant voté pour le Rassemblement national au premier tour ne se sont pas exprimés. Les autres se sont répartis pour 24% pour la NUPES et  25% pour Ensemble .
    • En revanche dans le cas d’un affrontement Ensemble/RN une majorité d’électeurs de la NUPES se sont exprimés, à 31% pour Ensemble et 24% pour le RN.

     

    <Mot du jour sans numéro>

  • Lundi 20 juin 2022

    «Pause »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Pour pleinement me concentrer sur la soirée électorale du second tour des élections législatives je me suis mis en pause.

    Pour accompagner ces pauses je mets la photo d’un chat.

    J’ai trouvé cette photo d’un chat qui s’est invité dans un bureau de vote !

    <Mot du jour sans numéro>

  • Vendredi 17 juin 2022

    « Nous vivons un avant-goût de notre futur climatique. »
    Christophe Cassou, chercheur CNRS au Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique

    Nous vivons une canicule dont le pic est prévu samedi 18 juin.

    J’ai trouvé cette carte sur le site de <Oise Hebdo>

    Météo-France a annoncé, jeudi 16 juin, que douze départements ont été placés en vigilance rouge canicule et 25 départements en vigilance orange canicule à partir de vendredi 14 heures, lors de la canicule la plus précoce jamais enregistrée en France. Au total, trente-sept départements sont en vigilance, soit un tiers du pays, et 18 millions de personnes sont concernées.

    Les départements en vigilance rouge se situent principalement le long de la façade atlantique :

    • Le Tarn, la Haute-Garonne, le Gers, le Tarn-et-Garonne, le Lot-et-Garonne, les Landes, la Gironde, la Charente, la Charente-Maritime, les Deux-Sèvres, la Vienne et la Vendée.

    Quant aux vingt-cinq départements en alerte orange, ils se situent des Pyrénées au sud de la Bretagne, à la Drôme et à l’est du pays :

    • Morbihan, Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique, Mayenne, Maine-et-Loire, Sarthe, Loir-et-Cher, Indre-et-Loire, Indre, Cher, Creuse, Haute-Vienne, Dordogne, Corrèze, Puy-de-Dôme, Cantal, Lot, Haute-Loire, Aveyron, Ardèche, Drôme, Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées, Ariège, Aude.

    <Le Monde> nous apprend qu’il s’agit de la quatrième fois que la vigilance rouge canicule est activée depuis 2003, date de la mise en place du dispositif, après les leçons tirées de la canicule historique qui avait causé, cette année-là, la mort de plus de 15 000 personnes en France.

    Mais, cette fois-ci, le phénomène survient plus tôt dans la saison que d’ordinaire.

    Le thermomètre a grimpé, jeudi, à 40°C à Saint-Jean-de-Minervois, dans l’Hérault – un record de précocité pour la France métropolitaine hors Corse. Ce record a été enregistré à 16 h 32, a précisé Météo-France

    Le ministère de la santé a activé un numéro gratuit Canicule info service (08.00.06.66.66) afin de répondre aux interrogations et donner des conseils.

    Grâce à <Libération> nous apprenons que ce qui nous arrive est une « plume de chaleur » et non un « dôme de chaleur » .

    Le « dôme de chaleur » nous avait été expliqué, l’été dernier, lors de l’épisode record de chaleur au Canada.

    Les deux phénomènes peuvent causer des canicules infernales, mais ils sont différents.

    Le dôme de chaleur d’abord :

    « Il est statique : une masse d’air chaude se bloque sur un territoire à cause de fortes pressions en altitude, qui la plaquent vers le sol. Comprimée, elle monte ensuite en température sur place comme si elle était dans une cocotte-minute. Là, l’épisode de fortes chaleurs peut durer plusieurs semaines, jusqu’à ce que des vents chassent la bulle d’air. »

    C’est ce phénomène qui était en œuvre lors de la canicule d’août 2003, évoquée ci-dessus.

    La plume de chaleur se déplace :

    « La plume de chaleur, qui va faire grimper le thermomètre en France jusqu’à ce week-end, ressemble à un panache, un coup de chalumeau, une langue ou encore un tentacule. Elle vient du sud du globe. La bande d’air chaud s’est formée au Sahara, puis s’est détachée et est montée en latitude à cause de vents puissants. La vagabonde est d’abord passée sur l’Espagne avant de gagner l’Hexagone. Elle est tractée vers le Nord par une dépression, une « goutte froide », située au large de la péninsule ibérique, qui l’aspire tel un engrenage ou une pompe à chaleur en tourbillonnant dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Les plumes de chaleur, très mobiles, ont cependant tendance à ne pas s’éterniser sur un même territoire. L’épisode devrait durer cinq jours en France. »

    Le journal écologiste « Reporterre » nous raconte que « La canicule est un avant-goût de notre futur climatique » :

    « Cette vague inédite, si tôt dans la saison, alarme les spécialistes. L’exception devient peu à peu la norme. En 2019, une canicule avait déjà frappé la France, en juin, et battu des records absolus de température. Cette année, la canicule arrive deux semaines en avance par rapport à 2019. Pour le climatologue Christophe Cassou, « nous vivons un avant-goût de notre futur climatique ».

    La situation actuelle doit être replacée dans un contexte plus général de réchauffement climatique. Les sept dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées. Tout s’accélère et s’intensifie. Nous avons connu autant de vagues de chaleurs entre 1960 et 2005 (en 45 ans) que de 2005 à 2020 (en 15 ans) : on compte 4 vagues de chaleur avant 1960, 4 entre 1960 et 1980, 9 entre 1980 et 2000, et enfin 26 depuis 2000. En ce début du XXIe siècle, les épisodes caniculaires sont devenus sensiblement plus nombreux que ceux de la période […] Dans son dernier rapport, le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) est formel sur le sujet. L’ampleur des extrêmes de température augmente plus fortement que la température moyenne mondiale. Et l’influence humaine favorise l’émergence de phénomènes d’ordinaire très rares et exceptionnels.

    Ce n’est qu’un début, selon une étude publiée par la revue Science en septembre 2021, les enfants nés en 2020 subiront 7 fois plus de vagues de chaleur, 2 fois plus de sécheresses et incendies de forêt, 3 fois plus d’inondations et de mauvaises récoltes qu’une personne née en 1960.

    Et Reporterre partage les prévisions des scientifiques :

    « Les sécheresses s’aggravent, alerte l’ONU. Notre quotidien est bouleversé. En France, la fréquence des canicules devrait doubler d’ici à 2050. Selon Météo France, « en fin de siècle, les vagues de chaleur pourraient être non seulement bien plus fréquentes qu’aujourd’hui mais aussi beaucoup plus sévères et plus longues » et « se produire de mai à octobre ». »

    À court terme, la vague de chaleur qui s’abat sur la France pourrait déjà avoir de graves conséquences : accélérer la maturité des cultures et en brûler une partie, accélération de la pénurie d’eau sur certaines parties de notre territoire

    Alors que le climatologue Christophe Cassou sonne l’alerte :

    « Les faits sont clairs. Ne pas être à la hauteur est aujourd’hui irresponsable. Il faut réduire nos émissions de gaz a effet de serre de manière immédiate, soutenue dans le temps et dans tous les secteurs. Pas dans trois ans, maintenant ! »

    Le gouvernement manifeste des ambitions plus modestes : Il y a une semaine, sur LCI, la ministre de Transition écologique, Amélie de Montchalin avait seulement invité les Français à « être sobres » et à « ne pas surutiliser leur climatiseur pour lutter contre le dérèglement climatique ».

    Dans ce contexte, le truculent Willy Schraen a fait une déclaration remarquée dans ce haut lieu de la culture et de l’émulation intellectuelle qu’est l’émission de RMC « Les grandes gueules ».

    Je connais des chasseurs sympathiques et intelligents.

    Chaque corporation, chaque famille possède son lot de « cas particulier » qu’on essaye de réguler et de cacher un peu.

    L’ennui, c’est quand la corporation met ce type de personnage à sa tête !

    Car M Willy Schraen qui a déclaré avoir voté pour Emmanuel Macron dès le premier tour est le président de la Fédération nationale des chasseurs depuis août 2016.

    Qu’a-t-il dit ?

    Nous lisons sur le <site de l’Obs> ses propos :

    «  Il faut reconnaître qu’il va faire chaud pendant trois jours. Bizarre, on est entre le premier et le deuxième tour […]

    On nous explique du matin jusqu’au soir depuis deux jours « Attention, l’écologie machin… » Bon, dites-le carrément au niveau de la météo : votez la Nupes ! On va gagner du temps, on a bien compris, on est quand même pas débile !»

    La canicule serait donc selon cet homme vigilant qui refuse de se laisser abuser, une stratégie de la NUPES pour obtenir des voix !

    Il fallait y penser.

    Il fallait oser le dire.

    Mais les c.. ça ose tout c’est à cela qu’on les reconnait. Il y a bien longtemps, le 6 décembre 2013, j’avais publié la version originale de ce mot d’Audiard. Elle est de Saint Thomas d’Aquin et se décline ainsi : « Tous les imbéciles et ceux qui ne se servent pas de leur discernement, ont toutes les audaces. »

    <1684>

  • Jeudi 16 juin 2022

    « Le délit de clameur. »
    Délit prévu par l’article L98 du Code électoral

    Il se passe des choses étranges en France.

    Il y a déjà eu le fiasco du Stade de France pour la finale de la Ligue des Champions de football qui a montré des difficultés d’organisation, des lacunes pour rapidement prendre la mesure de ce qui se passe et réagir et enfin l’incapacité de nos gouvernants a reconnaître simplement que les choses se sont mal passées et s’en excuser. J’y reviendrai peut-être

    Mais aujourd’hui, je voudrais narrer simplement ce qui s’est passé, lors du premier tour des élection législatives, dans le bureau de vote nº 13, de la 9e circonscription de Paris, place Jeanne-d’Arc dans le quartier de la Gare du 13ème arrondissement.

    Plusieurs journaux ont narré cette histoire, le journaliste Stéphane Foucart, dans « Le Monde » l’a décrit de manière assez détaillée : <Une nuit en garde à vue pour avoir alerté d’une confusion possible>.

    Je reprends ses explications

    Dans cette 9ème circonscription, la NUPES avait présenté l’écologiste Sandrine Rousseau que tout le monde connait depuis qu’elle a failli battre Jadot à la primaire écologiste et qu’elle a multiplié des déclarations qui ont interpellé et surpris par leur radicalité.

    Cette femme politique irrite beaucoup de monde notamment le Mouvement de la ruralité qui est le nouveau nom de ce parti politique qui avait pour objet de lutter contre les tentatives trop modernistes  «  Chasse, pêche, nature et traditions ».

    Ce mouvement, dans le but évident de nuire à Sandrine Rousseau, a investi dans la même circonscription une « novice » écrit le Monde, je comprends une parfaite inconnue mais qui avait pour singularité de porter le même nom et prénom que la candidate écologiste.

    Un retraité de l’enseignement supérieur (université Paris-I), historien d’art, Patrick de Haas, vote dans ce bureau :

    « C’est en arrivant dans le bureau de vote nº 13, place Jeanne-d’Arc à Paris, que M. de Haas et sa compagne remarquent que, sur la table de décharge, le premier bulletin disposé au nom de Sandrine Rousseau, « sans photographie de la candidate », dit-il, n’est pas celui de la candidate écologiste investie par la Nupes. « Les bulletins de la candidate de la Nupes se trouvaient à l’autre bout de la table et j’ai été abusé par cette disposition, raconte-t-il. Il était évident que des votants allaient se tromper et prendre le premier bulletin au nom de Sandrine Rousseau sans réaliser qu’il s’agissait de la candidate investie par le Mouvement de la ruralité.

    L’historien demande alors de meilleures indications aux assesseurs et au président du bureau de vote. Une signalétique spéciale est refusée au motif qu’elle serait irrégulière, risquant de créer un régime de faveur pour les deux Sandrine Rousseau. Choqué, M. de Haas décide alors de prévenir les votants à leur arrivée au bureau de vote, que deux piles de bulletins au nom de Sandrine Rousseau sont disposées. « Je ne suis pas militant politique, je n’ai, à aucun moment, dit à quiconque quoi faire ou comment voter, explique-t-il. Tout se passait dans le plus grand calme. J’avais le sentiment d’accomplir un devoir citoyen en avertissant les autres de la situation. »

    M de Haas pensait faire œuvre utile pour informer les électeurs de la confusion possible.

    Ce n’était pas ainsi que le député sortant macroniste, Buon Tan analysait la situation :

    « En milieu de journée, le député sortant, Buon Tan (La République en marche), passe dans le bureau de vote : il signale, lui aussi, la présence d’une personne sur la voie publique alertant les votants du piège homonymique. Mécontent, le parlementaire demande que l’information soit consignée dans le procès-verbal des opérations de vote. M. Tan n’a pas donné suite aux sollicitations du Monde. Craignant une irrégularité, le président du bureau appelle alors le service ad hoc de la Mairie de Paris pour s’informer sur la marche à suivre. Il lui est conseillé de contacter la police nationale, pour demander une intervention. »

    Et c’est ainsi qu’une voiture de la police nationale s’arrête devant le bureau de vote. Trois gardiens de la paix lui intiment de s’éloigner.

    « Je leur ai demandé s’il m’était possible de me mettre à une cinquantaine de mètres du bureau et ils n’y ont pas vu d’inconvénient », raconte-t-il. Mais, alors qu’il s’est éloigné et qu’il continue à alerter les personnes qui se dirigent vers le bureau, les trois gardiens de la paix changent d’avis.

    Ils sont revenus vers moi un quart d’heure plus tard pour me dire qu’ils s’étaient trompés et que même à 50 mètres du bureau de vote je n’avais pas le droit de prévenir les gens, poursuit-il. Je n’ai pas protesté, ni même discuté, et je suis rentré chez moi, à 150 mètres de là. » Les trois mêmes gardiens de la paix, changeant manifestement une nouvelle fois d’opinion, le retrouvent au pied de son immeuble, le cueillent et lui disent qu’il doit passer devant un officier de police judiciaire (OPJ). « Une fois au commissariat, je n’ai alors pas pu dire un mot, j’ai eu le sentiment d’être traité comme un criminel de guerre. [L’OPJ] a refusé de m’entendre et m’a signifié que j’étais placé en garde à vue pour des faits de “clameurs, attroupement et menaces”, raconte l’historien. Tout cela étant complètement faux, j’ai refusé de signer le procès-verbal. »

    Au matin, après une nuit de garde à vue et une demi-heure d’entretien avec un avocat commis d’office, M. de Haas est entendu par un autre OPJ qui ne conserve que les faits de « clameurs », prévu par l’article L98 du code électoral, qui punit « les atteintes à l’exercice du droit électoral ou à la liberté du vote ».

    Le Monde précise que

    « Contactée lundi 13 juin en début d’après-midi, la préfecture de police de Paris n’avait pas donné suite, mardi en fin de matinée, aux sollicitations du Monde. »

    Je suis donc allé consulter l’article L98 du code électoral sur le site de <Legifrance> Je le cite intégralement :

    « Lorsque, par attroupements, clameurs ou démonstrations menaçantes, on aura troublé les opérations d’un collège électoral, porté atteinte à l’exercice du droit électoral ou à la liberté du vote, les coupables seront punis d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 15 000 euros. »

    On comprend bien que si on suit la description des faits il ne saurait être question de « démonstration menaçante » ni « d’attroupement », il restait donc « la clameur ».

    A ce stade j’ai trouvé judicieux de chercher la définition exacte de clameur.

    « Le Larousse » après avoir précisé qu’il s’agissait d’un nom féminin le définit ainsi :

    « Cris violents et tumultueux indiquant, en particulier, une véhémente protestation, un grand enthousiasme, etc. : Les clameurs de la foule. »

    Et donnent pour synonymes :

    « huée – hurlement – tollé – tumulte – vocifération »

    Il ne me semble pas que le comportement du professeur retraité puisse être décrit par cette définition.

    Il tentait au contraire d’instiller de la clarté, là où régnait la confusion.

    La Préfecture de Police ne me semble pas avoir agi avec discernement dans cette affaire, je n’en dirai pas davantage.

    Dans cette 9ème circonscription, la participation a été de 54,80%, donc supérieure à la moyenne nationale

    Malgré ces manœuvres Sandrine ROUSSEAU est arrivée largement en tête avec 42,90% des voix devant le député sortant Buon TAN 26,77%.

    La manœuvre du Mouvement de la ruralité ne semble pas avoir d’effet.

    Quoique ! L’autre Sandrine Rousseau a quand même reçu 1,88% des voix devançant 6 autres candidats.

    Sans aucune notoriété, aurait-elle eu le même résultat sans la confusion dénoncée par M De Haas ?

    <1683>

  • Mercredi 15 juin 2022

    « Représentation du corps électoral français. »
    Ce que vote ou ne vote pas les français

    Un dessin ou un schéma valent mieux qu’un long discours.

    C’est doublement positif : c’est facile à lire et à appréhender et c’est facile à écrire. C’est du gagnant / gagnant comme disent les « winners ».

    Revenons d’abord à la représentation des bulletins exprimés lors du premier tour des législatives.

    Je reprends les mêmes chiffres qu’hier, ceux qui ont été publiés par le journal « Le Monde »


    On voit deux quartiers qui dominent, mais qui si on regarde de près ne représente guère qu’un plus de la moitié du disque. Mais quand on montre les choses ainsi, on omet une grande partie de la réalité.

    Ce décompte doit d’abord être complété des bulletins Blancs. Puis il faut aussi y ajouter les bulletins nuls dont on ne sait jamais si l’électeur pensait voter blanc ou a commis une erreur de votation. Ensuite pour que l’image du corps électoral soit plus conforme à la réalité il faut aussi ajouter les abstentionnistes.

    Et pour enfin disposer d’une vision complète il faut aussi prendre en compte toutes les personnes en âge de voter et qui ne sont pas inscrites sur les listes électorales. J’ai trouvé un article de  « Libération » : <Combien de personnes en âge de voter ne sont pas inscrites sur les listes électorales ?> qui narre cela :

    « Les dernières données mises à jour datent de mai 2021. A ce moment-là, «47,9 millions de personnes sont inscrites sur les listes électorales françaises hors Nouvelle-Calédonie, dont 1,4 million résidant hors de France et inscrites sur une liste consulaire», indique l’Insee dans un focus consacré à ce sujet. Soit 94 % des Français en âge de voter. Au total, seulement 6 % des personnes concernées n’étaient donc pas inscrites sur les listes électorales en mai 2021. Les données devraient être réactualisées à la fin du mois de mars, une fois que la date limite pour l’élection présidentielle sera passée, d’après l’Insee. »

    Donc nous connaissons une estimation, c’est 6 % du corps électoral. Le reste est un simple calcul arithmétique et nous arrivons au tableau et à la représentation de ce que le corps électoral français a vraiment exprimé et non exprimé ce dimanche.


    Dans cette représentation NUPES ou Ensemble représente chacun environ 11,5% du corps électoral. Et cette représentation montre que c’est vraiment peu !

    <1682>

     

  • Mardi 14 juin 2022

    « Que se passerait-il à l’Assemblée Nationale s’il y avait un autre mode de scrutin ?»
    Un exercice intellectuel et spéculatif

    Si vous avez lu le mot du jour d’hier, vous avez pu comprendre que nous utilisons en France un mode de scrutin que peut être tout le monde nous envie (quoique ce n’est pas certain) mais que personne n’utilise (ça c’est un constat).

    Alors je tente aujourd’hui un exercice intellectuel et spéculatif qui consiste à partir des résultats de ce dimanche d’imaginer le résultat en nombre de sièges si nous appliquions un autre mode de scrutin.

    Je veux insister sur le fait que cette démarche est spéculative et n’a aucune vocation à prédire ce qui se passerait si on changeait de mode de scrutin.

    Tant il est vrai que le mode de scrutin induit des organisations et des comportements politiques qui sont très différents les uns des autres.

    Autrement dit, si nous avions un autre mode de scrutin les acteurs politiques auraient un comportement différent.

    S’il fonctionne bien, ce qui n’est plus le cas en France, le scrutin uninominal à deux tours induit une organisation de blocs de Partis, idéalement deux blocs, et une multiplication de Partis. Au premier tour, il y a de nombreux partis qui se présentent dans chaque circonscription. Et puis au second tour, il reste un candidat par bloc, celui qui était le mieux placé au premier tour, tous les autres partis du même bloc se désistant pour lui. Cela fonctionnait très bien quand il y avait un bloc de gauche et un bloc de droite

    Si on reprend le tableau que j’ai présenté hier auquel j’ajoute une colonne pour faire la somme des voix du vainqueur et du second, 9 scrutins sur 16 sont dans ce cas avec deux blocs qui représentent 75% des votants


    En 1981, les deux blocs représentaient 97,23% des Voix.

    Le scrutin uninominal à 1 tour induit l’existence de très peu de Partis, 2 ou 3 avec quelques partis régionalistes. Parce qu’au-delà il n’y a aucune chance d’être élu, puisqu’il faut être premier dès le premier tour. L’organisation par Bloc n’a pas de sens pour ce mode de scrutin. En réalité, dans ce cas les blocs se réunissent tout de suite en Parti. C’est le cas en Grande Bretagne et aux États-Unis.

    Le scrutin par liste à la proportionnelle peut prend plusieurs formes selon la circonscription qui peut être nationale ou infra nationale et selon l’existence d’un seuil en deçà duquel on ne peut avoir d’élu.

    Ainsi en Israël, il n’y a pas de seuil. Cette situation a pour conséquence la création de beaucoup de petits partis, surtout religieux qui en contrepartie d’une ou deux concessions pour satisfaire les fantasmes de leurs électeurs acceptent de se joindre à une coalition pour lui apporter la majorité nécessaire pour appliquer sa politique. Cela peut créer des relations et des coalitions assez toxiques pour l’intérêt général du pays.

    Mais le plus souvent le mode de scrutin est assorti comme en Allemagne d’un seuil, ce qui élimine la tentation des petits partis et favorise les coalitions de quelques Partis sérieux.

    Avec toutes ces précautions, commençons cet exercice intellectuel.

    1/ Si La France votait comme les britanniques ou les américains.

    Nous sommes donc en présence du scrutin uninominal majoritaire à un tour.

    Celui qui arrive en tête gagne l’élection.

    « Le Monde » a publié cette carte accompagnée de la liste des Tendances politiques arrivées en tête au premier tour des législatives.


    Donc en reprenant ces chiffres et en faisant quelques regroupements envisageables, voilà ce que cela donnerait :


    2/ Si la France votait comme les allemands

    Cette fois il s’agit d’un scrutin proportionnel sur une liste nationale avec la nécessité d’un seuil de 5% des voix.

    Il faut savoir que les allemands aux législatives votent deux fois : une fois pour un député et une seconde fois pour la liste d’un Parti.

    Cette manière de faire permet à chaque allemand d’avoir un député dédié.

    Mais la règle fondamentale est bien la proportionnelle intégrale.

    Autrement dit c’est la répartition selon le scrutin par liste qui détermine la répartition des sièges. Les listes présentées par les Partis complètent les députés élus sur leur nom pour arriver à une stricte répartition proportionnelle.

    Reprenons « Le Monde » et les Résultats officiels qu’il a publié :

    Le Monde ne reprend pas les résultats du Ministère de l’intérieur qui donnent un peu d’avance à Ensemble, la coalition macroniste.

    Je ne rentrerais pas dans cette querelle qui consiste à écarter certains candidats de la coalition NUPES.

    Tout ceci n’est que spéculatif et n’a qu’une vocation à donner une idée du fonctionnement d’un mode de scrutin.

    On constate que si on applique le seuil des 5%, Reconquête, le parti de Zemmour n’aurait pas de députés.

    Je pense que cet exemple montre toutes les nuances et limites à apporter à ma démonstration.

    Il est vraisemblable que des électeurs qui se sentaient plus proche de Reconquête que du Rassemblement National, ont pourtant voté pour le second choix en pratiquant un vote utile. Le mode de scrutin français est très exigeant pour arriver au second tour. Pour ne pas risquer qu’il n’y ait pas de candidat d’extrême droite au second tour, ils ont voté pour le candidat de cette tendance ayant le plus de chance d’accéder au tour suivant.

    Il est donc probable que si ce mode de scrutin existait en France, le parti Reconquête aurait atteint les 5%. Mais tenons-nous strictement aux résultats.

    On aboutit alors ce résultat


    3/ Mais la France vote à la manière des Français

    Donc il y aura un second tour.

    5 députés sont déjà élus : 4 NUPES et 1 Ensemble.

    Nous savons qui sera présent au second tour dans chacune des 572 circonscriptions qui restent à pouvoir.

    Des analystes politiques se sont donc risqués à faire des prévisions pour le second tour.

    On trouve cette projection dans « Le Monde »

    A partir de ces éléments, je peux donc tenter une troisième répartition.

    Les analystes proposent des fourchettes.

    Je reste simple, je prends le milieu de la fourchette.

    Et on comprend donc, par le dessin, le système français.

    Les députés macronistes flirtent avec la majorité absolue, ce sera un peu en dessous ou un peu au dessus.

    Certains diront peut-être que les deux premières représentations correspondent à des situations ingouvernables, alors qu’ici gouverner reste possible.

    C’est un argument assez risqué.

    La démocratie est aussi la gestion de la conflictualité.

    Si on insiste sur l’efficacité et la capacité de gouverner, je crains que le régime chinois qui repose sur les décisions d’un petit comité de 7 responsables répond mieux à ce désir

    Dans cet exemple français, nous avons un gouvernement qui a pour opposant 75% des électeurs qui se sont prononcés et dont le pouvoir de prendre des décisions et très peu limité.

    Tout ceci reste une spéculation intellectuelle.

    Et le mode de scrutin qui est un vrai problème en France n’est pas le seul problème de notre démocratie.

    L’hyper présidentialisation en est une autre.

    Et puis, et peut être surtout les contraintes des interdépendances, la mondialisation, la financiarisation de la Société laissent peu de marge de manœuvre au Politique, surtout à l’échelle d’un petit pays comme la France…

    <1681>

     

  • Lundi 13 juin 2022

    « Les 16 élections législatives de la Vème République. »
    Un regard historique sur un scrutin qui se délite

    Nous avons donc vécu, ce dimanche, le premier tour de l’élection première, c’est à dire celle des députés à l’Assemblée Nationale, siège du pouvoir de faire la Loi.

    C’était la 16ème élection de ce type pour la Vème République

    Les français ne savaient pas qu’il s’agissait du moment le plus important de notre vie démocratique.

    Ils ne se sont jamais autant abstenus.

    Voici l’évolution de la participation au cours de ces 16 élections.

    Je voudrais aborder un second sujet dans ce mot du jour écrit un soir d’élection.

    Et pour introduire ce point je commence par l’élection de 1958.

    Les élections législatives françaises de 1958 ont lieu les 23 et 30 novembre 1958. Il s’agit des premières élections de la Cinquième République.

    La constitution de la cinquième république vient d’être approuvée par le référendum du 28 septembre 1958.

    À l’issue du scrutin, 579 parlementaires ont été élus. La majorité de l’assemblée est conforme à la majorité présidentielle.

    Cette dernière a obtenu 43 % des voix au premier tour et 402 députés.

    Le second de cette élection est le Parti Communiste dirigé par Maurice Thorez qui obtient au premier tour 18,90 % des voix et 10 députés.

    Nous voyons là, dès la première élection l’effet totalement déformant du scrutin uninominal à deux tours.

    Pour élire un député dans une circonscription, il faut au premier tour qu’il puisse rassembler 50% des votants +1. Sinon il y a un second tour qui rassemble au moins les deux premiers et d’autres candidats s’ils ont obtenu au moins un seuil de voix qui a évolué. Aujourd’hui il faut au minimum avoir obtenu 12,5% des inscrits. Ce qui signifie qu’en présence de 50% d’abstention, le candidat doit obtenir 25% des votants.

    Les défenseurs de ce mode de scrutin expliquent qu’il permet de favoriser les candidats ou Partis capables de rassembler au second tour des électeurs qui n’avaient pas voté pour eux au premier tour.

    En 1958, le Parti Communiste avait un socle électoral de citoyens convaincus mais au second tour il avait du mal à trouver des électeurs non communistes acceptant de voter pour eux.

    En chiffre cela donne les résultats suivants :


    Vous comprenez que la majorité gaulliste est passé de 43,10% des votants à 69,43 % des députés. Le mode de scrutin a « optimisé » son résultat par 1,6

    En comparaison le Parti communiste a divisé son résultat par 10.

    Si on veut s’intéresser à deux autres Partis de cette élection :

    L’autre Parti de Gauche était à l’époque le SFIO de Guy Mollet qui s’intégrera en 1971 dans le PS de Mitterrand. Il obtient 17,20% des voix au premier tour et 40 députés soit 6,91% de la chambre, l’effet multiplicateur est de 0,40, C’est mieux que le PCF mais cela correspond à un résultat divisé par 2,5.

    Et le grand parti du centre le MRP qui avait dominé la IVème république et dont le chef était le maire de Strasbourg, Pierre Pflimlin qui était surtout l’avant dernier premier ministre de la IVème république (le dernier étant De Gaulle qui fera passer le régime à la Vème République)

    Le MRP avait obtenu 9,10% des voix au premier tour, donc à peu près la moitié de la SFIO mais avec presque autant de députés 35, soit 6,04%. Il ne dispose donc pas d’une optimisation comme la majorité présidentielle, mais sa moins-value est moindre que celle des deux partis de gauche : 0,66 = 9,10/6,04

    Le mode de scrutin qui donne un tel effet est-il utilisé ailleurs ?

    Si on observe les principaux pays qui nous sont comparables :

    • La Grande Bretagne pratique le scrutin uninominal à un tour : Le candidat arrive en tête au premier, quel que soit son score, est élu. Le type de déformation qui existe entre la répartition en voix et la répartition en sièges dans le scrutin uninominal à deux tours ne se retrouve évidemment pas dans ce type de scrutin.
    • Les autres Pays de l’Union européenne utilise tous, le scrutin de liste avec élections à la proportionnelle. Ce mode de scrutin selon les modalités d’application (par exemple souvent les listes obtenant moins de 5% n’ont pas d’élus) ont un effet multiplicateur proche de un : la chambre des députés ressemble à la répartition des voix.

    J’ai fait des recherches, je n’ai pas trouvé une démocratie sérieuse qui pratique ce mode de scrutin à l’exception peut-être de la Louisiane qui est le seul État des USA qui pratique le scrutin uninominal majoritaire à deux tours, tous les autres États suivent l’exemple britannique du scrutin uninominal majoritaire à un tour.

    Je pose une question : La France a-t-elle raison contre le monde entier ou conserve t’elle une singularité incongrue ?

    J’ai appliqué la même grille d’analyse à l’ensemble des 16 scrutins :


    On constate qu’en moyenne quand la droite gagne elle bénéficie d’un effet multiplicateur, plus important que celle de la gauche.

    L’extrême centre a réalisé en 2017 un hold-up avec un effet multiplicateur de 1,88 avec le plus petit pourcentage de voix de tous les scrutins : 32,32%.

    Hier, c’est encore pire avec un peu plus de 25% des voix : ¼ des voix. Pour arriver à la majorité absolue des députés de la Chambre, il faudrait un effet multiplicateur de 2 !

    Mais ce n’est pas mieux pour NUPES qui se réjouit d’être devant la majorité présidentielle, mais qui prétend vouloir la majorité absolue avec même pas 26% des voix.

    Nos élections ne correspondent plus qu’à un vague processus de désignation de députés visant à donner, à n’importe quel prix, une majorité à un parti.

    Tout cela pose un problème énorme à la démocratie représentative française.

    Il n’est pas possible de continuer ainsi : 4 tours de scrutin pour un tel résultat, une telle déformation du corps électoral !

    Ce n’est pas ainsi qu’on peut gouverner un pays de manière apaisée et le réformer.

    <1680>

     

  • Vendredi 10 juin 2022

    « On reconnaît le bonheur au bruit qu’il fait quand il s’en va. »
    Jacques Prévert

    Le Magazine « Le Un Hebdo » que j’ai plusieurs fois sollicité pour écrire des mots du jour fête son 400ème numéro. Et cela fait huit ans qu’il existe.

    Pour ce numéro anniversaire il a choisi comme sujet une question : « Existe-t’il un bonheur français ?».

    C’est, en effet, une question qui se pose, tant les enquêtes d’opinion renvoie l’image de français « fâchés » avec le bonheur, surtout le bonheur collectif.

    Eric Fottorino dans son billet <nos « 400 » coups> introduit le sujet ainsi :

    « Entre la guerre en Ukraine, les désenchantements de la politique et les questionnements qui ne manquent pas sur l’avenir de nos sociétés, il peut paraître surprenant, voire provocateur, de s’intéresser au bonheur, et en particulier au bonheur dans notre pays. D’autant que le paradoxe régulièrement observé par les sondages ad hoc depuis le milieu des années 1970 montre que si les Français sont plutôt heureux, ils sont moins enclins à le dire que la plupart de leurs voisins. Et semblent toujours vouloir opposer un certain bonheur individuel, qui existe, à un malheur collectif, sans doute exprimé comme un signe de lucidité ou de propension à se rebeller contre un ordre – ou un désordre – qui viendrait d’en haut. Dans ce contexte, il nous a paru fructueux d’interroger cette notion du bonheur « ici et maintenant » pour mesurer combien cette quête, loin d’être dominante au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, s’est imposée au fil du temps comme une norme, une injonction à être heureux, pour ne pas dire une conversion quasi religieuse dans une société abandonnée par toute idée de transcendance. »

    Et il finit son propos par cette phrase de Jacques Prévert que j’ai mis en exergue : « On reconnaît le bonheur au bruit qu’il fait quand il s’en va. »

    Cette phrase qui sonne comme un avertissement ou un conseil : Soyez présent au bonheur que vous vivez, car s’il venait à s’interrompre vous vous rendrez compte de la violence de son absence.

    L’écrivain Philippe Delerm, le père du chanteur Vincent Delerm, dans son article <Ce n’est pas drôle d’être heureux> tente des variations avec les mots qui tournent autour du bonheur : « Plaisir, allégresse, harmonie, joie etc… » mais il revient au mot central :

    « Bonheur est plus qu’un mot. Il est tout le soleil et toute l’ombre. On peut espérer le bonheur ou en garder la blessure et la nostalgie. Mais dire « je suis heureux », le nommer au présent est un risque majeur. Je continue à penser : « Le bonheur c’est d’avoir quelqu’un à perdre. » J’ai cette chance infinie d’avoir quelqu’un à perdre, quelques-uns à perdre. Mais Camus avait raison : « Il n’y a rien de plus tragique que la vie d’un homme heureux. »

    Pourtant, il y a aujourd’hui une injonction à être heureux, il existe même des coachs autoproclamés en bonheur : <coachs du bonheur >.

    Cet impératif se décline jusque dans les entreprises. On parle par exemple de <coach bien être entreprise>

    Cela a conduit Eva Illlouz à écrire un livre dénonciation : <Happycratie – Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies >

    Le Un a convoqué un historien Rémy Pawin, pour un grand entretien
    qui essaie de revenir sur l’histoire de ce sentiment : <« Le bonheur est devenu une norme religieuse »>

    Rémy Pawin est un historien né en 1982 qui enseigne à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et qui a écrit « L’Histoire du bonheur en France depuis 1945 »

    L’historien fait remonter la quête du bonheur au temps des lumières :

    « Les Lumières parlent du bonheur. Une thèse de Robert Mauzi l’analyse dans les années 1960, à travers les écrits de Rousseau et d’autres intellectuels aujourd’hui oubliés.»

    Et il cite aussi la déclaration de Saint-Just, en 1794, selon laquelle « le bonheur est une idée neuve en Europe ».

    Selon lui le XIXème siècle ne poursuit pas dans cette recherche

    « Au XIXe siècle […] Le bonheur devient même négatif et suspect, égoïste. Nul ne peut dire à titre personnel qu’il cherche à être heureux. On retrouve chez les moralistes et les écrivains de cette époque des propos acerbes. Le bonheur nous rendrait faibles. « Le bonheur est comme la vérole », écrit Flaubert. « La bêtise, c’est l’aptitude au bonheur », dira plus tard Anatole France. […] C’est une valeur de seconde zone, […] qu’on réserve éventuellement aux femmes »

    La religion et la politique ne font pas commerce du bonheur :

    « La morale religieuse ne propose pas de recette du bonheur ici-bas. On sera heureux au paradis, si on a respecté dans sa vie terrestre les préceptes de l’Église. Quant à la morale républicaine, elle n’accorde pas non plus une grande place au bonheur. […] Elle vante la force, la puissance, le devoir. Si de grands hommes vont au Panthéon, c’est qu’ils ont sacrifié leur bonheur pour la patrie. »

    Et contrairement à ce que l’on croit, le bonheur ne commence pas en 1945 avec le programme du CNR, intitulé « Les Jours heureux » :

    « On est alors dans des jours malheureux et on pense aux jours à venir. C’est le bonheur différé, renvoyé à demain, quand on aura battu les Allemands. […] Pour le PCF, qui est alors le premier parti de France, le bonheur est une morale bourgeoise et même petite-bourgeoise, emplie d’égoïsme. Les communistes, pour susciter l’engagement, ont besoin de labourer la terre de la souffrance. À ce moment, les récits heureux n’existent pas. Leur structure narrative est celle du malheur dont on va se défaire progressivement, comme dans les contes, pour vivre heureux et avoir beaucoup d’enfants à la fin… »

    Selon Rémy Pawin le bonheur tend à devenir une norme dans les années 1960 :

    « Au sein de la gauche alternative, certains vont revendiquer un bonheur plus immédiat. C’est aussi le cas de mouvements de jeunes, les Yéyé et la culture Salut les copains, qui construisent un bonheur individuel et consumériste. »

    Il s’agit d’un bonheur individuel qui repose beaucoup sur la consommation :

    « Des acteurs sociaux proposent plutôt un bonheur individuel fait de consommation »

    Et il cite Edgar Morin : « Le bonheur est une religion de l’individu moderne. »

    « C’est une croyance commune qui donne du sens à la vie. Une des causes de ce sacre, c’est que le bonheur est une transcendance dans l’immanence. Il est immanent, donc il est là et pas au-dessus de nous, mais il nous dépasse. On va le rechercher, donc il nous transcende. C’est une sorte de norme religieuse. C’est pourquoi il est devenu une injonction. Il faut être heureux. Sinon on a raté la direction cardinale qu’on nous assigne. On subit une double peine : non seulement on n’est pas heureux, mais on est coupable de ne pas l’être. »

    Selon lui la période se referme en 1975, « avec des blocages politiques, le chômage de masse, la vague de désenchantement à l’égard de l’idéal communiste. La société de consommation montre aussi ses limites et la question sociale dans les banlieues commence à se faire jour. On assiste alors à une baisse des courbes du bonheur subjectif »

    Et Rémy Pawin conclut sur la recherche du bonheur par les Français d’aujourd’hui  :

    « Les ingrédients du bonheur n’ont pas fondamentalement changé. Les gens cherchent des liens avec les autres, des liens amoureux, conjugaux, amicaux. De l’argent pour faire ce qu’ils veulent. Un travail qui leur plaît. Une difficulté à se dire heureux vient de l’influence des grands récits peu optimistes. L’extrême droite propose un récit craintif et haineux. La sobriété ne fait pas rêver. Le récit de la mondialisation heureuse n’est plus crédible. Il est difficile de croire à un récit joyeux qui nous accroche. »

    Dans ces jours bien sombres de guerre, de crise alimentaire et de tous les défis écologiques qui font l’objet de tant de débats et de si peu d’actions, il est salutaire que Le Un nous invite à réfléchir, pour son 400ème numéro, au bonheur.

    Le bonheur qui n’est pas dans la consommation nous en sommes conscients intellectuellement et espérons-le dans les actes.

    Surtout quand l’acte de consommation est basé sur le l’inhumanité comme tous ces produits envoyés de Chine et qui sont les fruits de l’esclavage des ouïghours par le pouvoir chinois. Terrible réalité que la dessinatrice Coco a synthétisé par un dessin dans Libération.

    Le 13ème mot du jour de cette liste qui en compte désormais plus de 1600 citait Michel Rocard :

    « Dans les cinq plus beaux moments d’une vie, il y a un (ou des) coup(s) de foudre amoureux, la naissance d’un enfant, une belle performance artistique ou professionnelle, un exploit sportif, un voyage magnifique, enfin n’importe quoi, mais jamais une satisfaction liée à l’argent. »

    Probablement que le bonheur est surtout lié à notre capacité d’accéder à nos richesses intérieures, de les faire affleurer la surface et aux liens que nous avons su créer, approfondir et partager.

    Liens qu’Alain Damasio a magnifiés par <ces mots> de l’indicible :

    « Une puissance de vie !
    C’est le volume de liens, de relations qu’un être est capable de tisser et d’entrelacer sans se porter atteinte.
    Ou encore c’est la gamme chromatique des affects dont nous sommes capables
    Vivre revient alors à accroitre notre capacité à être affecté.
    Donc notre spectre ou notre amplitude à être touché, changé, ému.
    Contracter une sensation, contempler, habiter un instant ou un lieu.
    Ce sont des liens élus. »

    <1679>

  • Jeudi 9 juin 2022

    « Pourquoi Le Monde, Libération, l’Obs n’ont pas parlé de l’assassinat d’Alban Gervaise ? »
    Je n’ai pas la réponse à cette question délicate

    Alban Gervaise était âgé d’une quarantaine d’années. Il était radiologue, médecin chef à l’hôpital militaire Lavéran de Marseille.

    Il était marié et père de trois enfants.

    Le 10 mai il est allé chercher deux de ses enfants de 3 et 7 ans, scolarisés en maternelle et en CP dans une institution catholique de Marseille.

    Un homme a surgi par-derrière et lui a asséné plusieurs coups de couteau. L’agresseur a été maîtrisé et désarmé par quatre passants.

    Lors de son arrestation il a affirmé à la police avoir attaqué au nom de Dieu. Selon des témoins, l’homme aurait crié des allégations religieuses pendant l’agression.

    Alban Gervaise est décédé dans la nuit du 27 mai de la suite de ses blessures.

    L’homme qui a été arrêté est de nationalité française, il a 24 ans et se prénomme Mohamed.

    J’ai appris cela sur Facebook, Céline Pina a publié cette information accompagnée d’un long commentaire.

    Céline Pina est proche du Printemps républicain, ce mouvement politique de gauche créé en 2016 notamment par Laurent Bouvet a pour ambition de défendre les valeurs de laïcité et d’universalisme contre des dérives communautaristes et notamment l’islamisme politique pour lequel il dénonce la complicité qu’auraient certains mouvements et partis de gauche. Les premiers traitent les seconds d’islamo-gauchistes qui en retour les accusent d’islamophobes.

    Pour celles et ceux qui ont un compte Facebook, vous pouvez aller voir la publication que Céline Pina a rédigé sur Facebook, pour les autres vous pouvez lire le contenu de cette publication <ICI>.

    Ce qui m’a interpellé c’est le fait que je n’ai pas entendu parler de ce fait divers et que Celine Pina affirme que les grands médias n’ont rien dit sur cette affaire qui date de presque un mois.

    Abonné au Monde, à Libération et à l’Obs, j’ai utilisé hier le moteur de recherche de chacun de ces médias pour vérifier s’ils ont publié un article, un petit entrefilet sur ce sujet.

    Force est de constater que la réponse est négative !

    Vous trouverez dans cet article la preuve en image.

    J’ai fait des recherches et j’ai trouvé des informations sur des sites d’extrême droite.

    Parmi les grands journaux nationaux, j’ai trouvé le « Figaro » qui a publié dès le 10 mai l’information :

    < Marseille : un père de famille attaqué au couteau à proximité d’une école catholique>

    J’en cite des extraits :

    « Un père de famille âgé de 40 ans a été poignardé une dizaine de fois au niveau de la gorge, mardi 10 mai aux alentours de 18h, dans le 13e arrondissement de Marseille, a appris Le Figaro de sources concordantes. »

    Celine Pina fait remarquer qu’il y a un mot français pour signifier « poignardé au niveau de la gorge » et ce mot est égorgé !

    « Appelés sur les lieux, les secours ont entrepris un massage cardiaque. Grièvement blessée, la victime a été transportée à l’hôpital Nord avec un pronostic vital très engagé. Il est actuellement en réanimation intensive. « Une enquête pour tentative d’homicide volontaire est ouverte et confiée à la Sûreté Départementale», indique le parquet de Marseille au Figaro.

    Les faits ont eu lieu à proximité du groupe scolaire catholique Sévigné, chemin du Merlan à la Rose. La victime, médecin militaire radiologue à l’hôpital Laveran, a été attaquée pour une raison encore inconnue alors qu’il était sur le point de reprendre sa voiture stationnée à une cinquantaine de mètres de l’école. Il était accompagné de ses deux enfants de 3 et 7 ans, scolarisés en maternelle et en CP dans l’école catholique, qu’il venait de récupérer. Assis sur un banc à proximité, l’agresseur a surgi par derrière avant de s’acharner sur sa victime, lui assénant plusieurs coups de couteau dans le thorax.

    Maîtrisé et désarmé par quatre passants, l’agresseur a été interpellé par les policiers avec un couteau suisse en sa possession. Il s’agit de Mohamed L., 23 ans, né à Brignoles (Var). L’individu est connu des services de police mais pas du renseignement territorial. Selon plusieurs témoins, le suspect aurait crié des allégations religieuses lors de l’attaque, déclarant notamment « avoir agi au nom de Dieu ». Placé en garde à vue, l’homme a tenu des «propos délirants» évoquant «Dieu» et «le diable». Les policiers n’ont pas pu mesurer son alcoolémie en raison de son état « très agité ».

    Les motivations du mis en cause restent floues

    Les éléments recueillis ne permettent pas à ce stade d’établir les motivations du mis en cause, a indiqué le parquet de Marseille au Figaro mercredi 11 mai. La veille, une source policière indiquait à l’AFP que l’hypothèse terroriste avait été définitivement écartée par les enquêteurs et que l’agresseur souffrait de troubles psychologiques. »

    Le FIGARO a publié un nouvel article à la mort de Monsieur GERVAISE : <le père de famille attaqué au couteau devant l’école de ses enfants est décédé> et le 1er juin un billet d’analyse de l’essayiste, biographe et haut fonctionnaire, Maxime Tandonnet  «L’affaire Alban Gervaise révèle la banalisation de la barbarie quotidienne»

    Je n’ai pas trouvé un autre grand journal national ayant parlé de ce drame.

    Il y a eu quelques journaux régionaux comme le <Républicain Lorrain> parce qu’il avait effectué une partie de sa carrière de médecin militaire en Lorraine.

    Il y a aussi <Sud Ouest.fr> et des journaux marseillais.

    Pour le reste, le silence.

    Les médias auquel pour ma part je m’informe généralement, n’ont pas jugé utile de dire ce fait.

    Ils ont laissé toute la place aux sites d’extrême droite pour en parler largement.

    Et pour ma part de me plonger dans un abîme de perplexité.

    Est-ce protéger la communauté musulmane, toutes celles et ceux qui veulent vivre paisiblement leur foi en France en évitant de révéler qu’une nouvelle fois, un homme se réclamant de la religion musulmane a tué un autre homme en prétendant le faire au nom de sa religion ?

    Cet homme est peut-être fou, mais pour autant ne faut-il pas en parler ?

    Ne peut-on pas s’interroger pourquoi des déséquilibrés veulent invoquer le Dieu de l’Islam pour tuer ?

    Chaque jour nous recevons des flots d’information plus ou moins pertinent. L’égorgement d”un père de famille devant ses deux enfants à proximité d’une école catholique marseillaise n’est-elle pas une information qui mérite d’être connue nationalement ?

    Grâce au Républicain Lorrain, nous disposons d’une photo de Alban Gervaise.

    <1678>

  • Mercredi 8 juin 2022

    « Si on considère que l’objet d’une élection est d’attribuer le pouvoir, alors les élections législatives sont les plus importantes. »
    Gilles Finchelstein

    J’ai, à plusieurs reprises, accablé Lionel Jospin d’avoir par la combinaison de la réforme du quinquennat et de l’inversion du calendrier électoral, abaissé les élections législatives et en avoir fait une simple annexe de l’élection présidentielle.

    Il a considéré que l’élection présidentielle était majeure et l’élection législative seconde.

    Plus précisément il a dit en parlant de l’élection présidentielle :

    « On ne peut pas faire de cette élection majeure l’élection seconde. »

    Si vous voulez lire l’ensemble de son argumentaire pour justifier cette mesure : < déclaration du 19 décembre 2000. >

    Certains évoquent l’idée que Jospin était persuadé de gagner l’élection présidentielle contre Chirac et avait davantage de craintes d’obtenir une majorité législative. Dans cette hypothèse, il avait parfaitement prévu ce qui allait se passer : une élection législative au rabais qui confirme et amplifie le résultat des présidentielles.

    Je ne sais pas si cette hypothèse est fondée mais force est de constater que la responsabilité de nous avoir mis dans cette situation lui incombe.

    Ce fut une erreur.

    Comme je le rappelais dans <le mot du jour du 31 mai> nos institutions restent avant tout parlementaires.

    Et si on revient aux principes ce qui est premier c’est le pouvoir de faire la Loi : le pouvoir législatif.

    Le pouvoir secondaire est celui qui exécute, l’exécutant des Lois, c’est-à-dire le pouvoir exécutif.

    Et puis, de manière plus pratique, en cas de divergence entre le Président de la République et l’Assemblée Nationale c’est cette dernière qui a le dessus. Sauf si le Président use de son pouvoir exorbitant de dissoudre l’Assemblée Nationale. Mais dans ce cas il n’est jamais certain que les citoyens français lui envoient une majorité à sa convenance.

    C’est cette primauté du législatif que Gilles Finchelstein, Directeur de la fondation Jean Jaurès, a exprimé sur l’antenne de France Inter dans l’émission <Face à Face du samedi 4 juin 2022> :

    « Ce qui est fascinant, c’est que si on considère que l’objet d’une élection est d’attribuer le pouvoir, alors les élections législatives sont les plus importantes. Parce que l’essentiel du pouvoir dépend de l’élection législative. La meilleure preuve a contrario, c’est que en 1986, en 1993 et en 1997, lorsqu’il y a eu une discordance entre la majorité législative et la majorité présidentielle, le pouvoir était transféré du président de la république au premier Ministre.

    Donc ce sont les élections premières et pourtant elles sont devenues de plus en plus des élections secondes. Elles le sont dans le calendrier […] elles viennent dans la foulée des présidentielles. Elles le sont dans la participation par une chute de la participation entre les présidentielles et les législatives. […] Et elles le sont dans l’intensité, la campagne, quelle campagne ? »

    Oui quelle campagne !

    L’émission a fait entendre l’avis de Brice Teinturier, politologue, directeur général d’IPSOS :

    « On a du mal à qualifier cette campagne, puisque qu’en réalité il n’y a pas vraiment de campagne qui se soit construite sous nos yeux. Ce n’est même pas que les français n’écoutent pas ou n’entendent pas ; C’est que véritablement nous en sommes à un moment où c’est un non objet. »

    Et nous sommes désormais à quelques jours du premier tour.

    Hubert Vedrine a aussi exprimé son désarroi devant cette situation la trouvant « malsaine ». Il a notamment suggéré l’idée d’organiser de manière concomitante les deux élections. Ainsi le fait de les réunir, lors de deux même tours, aurait pour conséquence mécaniquement d’augmenter la participation aux législatives. Et aussi paradoxalement les réunir serait les rendre indépendants l’une de l’autre.

    Il a exprimé cela lors de l’émission <L’Esprit public du 5 juin 2022>

    <1677>

  • Mardi 7 juin 2022

    « L’extrême centre est un extrémisme »
    Alain Deneault

    Avant le second tour de la présidentielle, Emmanuel Macron a accepté un entretien de 47 minutes avec Guillaume Erner sur France Culture. <Emmanuel Macron, grand entretien sur la culture et les idées>. Dialogue de haute tenue, notre Président est un homme intelligent, cultivé, intéressant à écouter.

    Parallèlement, Marine Le Pen ne s’est pas présentée à l’entretien qui lui a été proposé par équité démocratique. Elle a envoyé un de ses soutiens : Hervé Juvin. Probablement qu’elle a pensé qu’il n’y avait pas beaucoup de ses électeurs qui écoutaient France Culture, peut être aussi qu’elle craignait que la comparaison avec Emmanuel Macron lui serait encore plus défavorable que le débat télévisé…

    Lors de cet entretien Emmanuel Macron s’est défini comme appartenant à « l’extrême Centre » :

    « “Les trois quarts des électeurs qui se sont exprimés pour trois projets. Un projet d’extrême droite (…) Un projet d’extrême gauche. (…) Et ce que je qualifierai comme un projet d’extrême centre, si on veut qualifier le mien, dans le champ central. Je trouve qu’il faut collectivement réfléchir, intellectuels d’un côté et responsables politiques de l’autre, à reconsidérer notre démocratie par rapport à cette relation à la radicalité, ce que j’appelle cette volonté de pureté. Parce qu’à la fin, on vit tous ensemble. (…) Ça suppose des compromis. La question, c’est comment on arrive à créer de l’adhésion, du respect, de la considération entre des citoyens qui peuvent penser très différemment, en leur montrant que ce n’est pas une trahison de leurs convictions profondes, mais que ce sont d’indispensables compromis qu’on trouve pour vivre en société. »

    Certains évoquent le milieu de l’omelette et d’autres dont Emmanuel Macron l’« extrême centre. ».

    L’origine de ce concept est disputée.

    <Le Figaro> attribue l’invention de ce concept à son chroniqueur Alain-Gérard Slama qui l’aurait forgée en 1980 :

    «  La formule, évidemment critique, d’extrême centre s’est imposée à moi en 1980, dans un essai, «Les Chasseurs d’absolu. Genèse de la gauche et de la droite» (Grasset), dont le but était de démontrer que l’opposition droite-gauche, loin de fausser le jeu démocratique, confronte deux visions du monde, articulées certes selon des modalités très variables, mais relativement stables, et correspondant, pour l’essentiel, à deux tempéraments. En recourant à cette notion d’extrême centre, je visais, pour reprendre mes termes d’alors, « les maîtres de certitude qui agitent les clés de la Raison et de la Morale. » pour monopoliser le pouvoir au détriment du jeu normal de la démocratie, qui suppose conflit, pluralisme et alternance. »

    <Wikipedia> prétend que ce concept fut défini, par l’historien Pierre Serna en 2005 pour caractériser le mode de gouvernement en France du Consulat à la Restauration.

    Il me semble intéressant de reprendre ce que cet article raconte des travaux de cet historien sur cette période qui suit le moment le plus conflictuel de la révolution française qui avait inventé l’opposition gauche/droite :

    « Ce régime d’extrême centre se développe en vue de sortir d’une crise politique et sociale. Il avance globalement une politique modérantiste dans les déclarations mais orientée dans les faits par des principes de libéralisme économique, et surtout conduite par un exécutif à tendance autoritaire.

    […] Il cherche à discréditer l’autre conception plus conflictuelle de la démocratie, issue de la Révolution française, dans laquelle le gouvernement repose sur l’existence d’une balance entre une droite et une gauche au sein d’un cadre parlementaire. Il s’agit d’opposer à l’alternative droite-gauche une rationalité technocratique et dépolitisée qui rassemble les acteurs les plus proches entre eux dans ces oppositions pour en rejeter aux extrêmes, donc réduire à l’impuissance, les acteurs les plus radicaux.

    Les acteurs élitaires de ce rassemblement centriste sont issus principalement des institutions d’État dont ils bénéficient et des catégories socio-professionnelles supérieures qui les entourent, institutions qu’ils font tourner à l’avantage des possédants du moment.

    Le concept, par le choix du terme « extrême », est ainsi inscrit dans une représentation tripolaire qui remplace la bipolarité classique gauche sociale – droite gestionnaire : gauche, centre et droite cessent de s’inscrire dans une linéarité axiale à deux extrémités et connaissant des demi-couleurs entre des couleurs plus prononcées. Les extrêmes viennent à se voir comme trois pôles d’attraction qui aspirent la matière politique dans un sens radical propre à chacun d’eux, ce qui est l’objet de dénonciations mutuelles, et en particulier par l’extrême centre. »

    Dans cette vision, l’extrême centre macronien vient de loin.

    Wikipedia nous apprend que ce concept de l’extrême centre a été ensuite repris par le politologue anglais Tariq Ali en 2015 et puis par le Québécois Alain Deneault en 2016.

    <Alain Deneault> né en 1970, est un philosophe québécois. Il a écrit des essais appelés « Gouvernance » et « La Médiocratie » avant de réfléchir sur la politique de l’extrême centre. Telerama avait publié un article en 2016 < Alain Deneault fustige la Politique de l’extrême centre>. Je cite un extrait de cet article :

    « Il parle de « révolution anesthésiante ». Celle qui remplace la politique par la « gouvernance » et réduit la démocratie au management. Celle qui nous invite à nous situer toujours au centre, à penser mou, à mettre notre esprit critique dans notre poche et à « jouer le jeu » du système libéral dominé par la logique de l’entreprise privée. »

    Mais le cœur de ce mot du jour est consacré à l’article qu’il a publié sur le site « AOC » le 11 mai 2022 : « L’extrême centre est un extrémisme»

    Ainsi parle Alain Deneault :

    « L’idéologie d’extrême centre, dans laquelle nous nous enlisons, est extrémiste.
    Son programme est écocide du point de vue industriel, inique du point de vue social et impérialiste du point de vue managérial.
    Le projet de l’extrême centre : garantir la croissance des entreprises et l’augmentation des dividendes versés à leurs actionnaires ; leur assurer l’accès aux paradis judiciaires et fiscaux ; réduire l’écologie politique à un marketing du verdissement ; étouffer tout discours social de l’État et minimiser les dépenses publiques dans les secteurs sociaux et culturels.
    Donc, favoriser l’essor de souverainetés privées au service desquelles se place l’État. Faire oublier la mission sociale de l’État devient primordial, et ce, même dans le contexte d’une crise de santé publique ; un acte de « guerre » est alors proclamé plutôt qu’une responsabilité sociale et collective. »

    Je pense qu’Alain Deneault va un peu loin lorsqu’il écrit que cette politique tend à « étouffer tout discours social de l’État ». L’État social existe toujours, mais le discours de la gouvernance, du libéralisme conduit à essayer de le contraindre toujours davantage et de l’éloigner du champ politique, en essayant de convaincre que les décisions sont rationnelles et éloignées de toute idéologie.

    Et ce dernier point est un mensonge. Toute décision politique constitue un choix qui avantage certains et désavantage d’autres. Alain Deneault esquisse qui sont les bénéficiaires de cette politique qui est parfaitement idéologique et se base sur un récit et des croyances.

    En pleine crise COVID, Macron a bien eu un discours sur l’état social, sur les chaînes de valeur, sur la rémunération des personnes qui sont vraiment importantes pour notre société, pour préserver la vie et l’essentiel.

    La crise passée, ce sont toujours les financiers, les traders, les spéculateurs, les optimisateurs fiscaux qui tirent toute la richesse vers eux.

    Une fois que l’extrême centre parvient à vous convaincre que ses choix sont uniquement dictés par la raison, la connaissance des mécanismes il franchit une autre étape : tous les autres avis deviennent illégitimes et extrémistes :

    « L’extrême centre est extrême également dans la mesure où, d’un point de vue moral, il se montre intolérant à tout ce qui n’est pas lui. Loin de se situer lui-même quelque part sur l’axe gauche-droite, il supprime carrément l’axe pour ne plus faire exister, au titre de discours légitime, que le sien. Tout au plus relègue-t-il dans tous « extrêmes » les propositions, abusivement assimilées entre elles, qui ne coïncident pas avec son programme.

    La visée de l’extrême centre – une politique qui a la médiocratie pour modalité et la gouvernance pour discours théorique – est de naturaliser le principe ultralibéral et darwiniste social qui préside aujourd’hui, et de l’assimiler à un simple art de gérer. Et de le faire de manière tellement imposante qu’on n’arrive même plus à le nommer, à le mettre en doute, à le jauger. […]

    L’extrême « centre » se présente en s’autoproclamant au juste milieu de toute chose, mais il n’a rien de centriste. Dans d’inouïs efforts de relations publiques, le « centre » dont il se réclame est alors synonyme de pondération : c’est un concept publicitaire.

    Des journaux détenus par les milieux d’affaires qui le commanditent, et dont il provient lui-même, s’assurent de distribuer les bons points « centriste » à tous ceux qui colportent un programme pourtant radical : ceux-là qui défendent la maximisation des profits au détriment de l’équité sociale et d’un rapport intelligent au vivant sont alors dits péremptoirement rationnels, raisonnables, responsables, pondérés, sensés, voire normaux.

    A contrario, tout acteur public ou citoyen qui s’opposera à cette vulgate risquera les attributions inverses : irresponsable, déraisonnable, paranoïaque, rêveur, dangereux, voire fou. Des éditocrates à la petite semaine estampilleront ces qualifications sur les visages des uns et des autres de sorte qu’elles passent pour des faits eux-mêmes.

    C’est précisément de cette façon prévisible qu’Emmanuel Macron s’est présenté explicitement comme d’«extrême centre » sur les ondes de la radio publique, quelques jours avant le second tour de la présidentielle, un être d’équilibre entre des forces débridées. »

    Et il finit par cette exécution d’un mirage :

    « En cela, le parti La République en marche se présente lui-même telle une entreprise : ses députés sont traités en salariés, son rapport à la politique est soumis à la seule plasticité du marketing. Et comme dans bien des opérations propagandistes du genre, c’est d’abord l’absence de scrupule qui sidère.

    Ce n’est plus un fabriquant automobile qui s’arroge le nom de Picasso pour nommer un véhicule ou une entreprise de l’agro-industrie qui laisse tomber sa fraise dans un bol de céréales au son des cymbales d’une prestigieuse symphonie, mais un marchand de rêve électoral qui reprend à son compte le signifiant révolution, le slogan anticapitaliste « Nos vies valent mieux que leur profit » ou le nom du programme adverse « L’avenir en commun ». […]

    Évidemment, cela ne l’empêche pas de confier les politiques publiques et la gestion des institutions de la République à des firmes de conseil multinationales, de réduire explicitement à « rien » ceux qui, dans les gares, déambulent en suivant leur destin sans avoir réussi comme lui, de nier le statut de citoyen à ceux qui doutent de l’innocuité d’un vaccin, puis de nommer comme ministre de l’Intérieur celui qui présentera Marine Le Pen comme étant « trop molle » dans l’expression de son islamophobie, un Garde des Sceaux qui instrumentalisera l’institution judiciaire pour régler ses comptes avec les magistrats face auxquels il plaidait antérieurement, un assistant à l’Élysée qui cassera du militant pacifiste le soir, tout en faisant du saccage écologique l’objet d’un nouveau marché pour que nous en relèvent les grandes entreprises l’ayant provoqué. »

    Comme toujours ces développements ne constituent pas « la vérité » mais une utile réflexion pour permettre de se poser des questions.

    Car il se passe en ce moment quand même de curieuses choses dans notre démocratie.

    Il n’y a pratiquement pas eu de campagne présidentielle.

    Le candidat qui a été élu, l’a été parce que les électeurs l’ont moins rejeté que les autres.

    Ce candidat n’a présenté aucun programme cohérent et complet.

    De temps à autre, il fait une déclaration et semble développer un point de son programme, mais souvent pour y ajouter un nuage de flou.

    La démocratie c’est voter pour une femme ou un homme, mais dont on connait le programme !

    Et dimanche nous devons élire des députés.

    Celles et ceux à qui on promet une majorité et même une majorité absolue, se réfèrent au programme du Président qui n’existe pas !

    Si quelqu’un trouve cela normal, c’est qu’il n’a rien compris à ce qu’était une démocratie.

    Si le sujet de l’extrême centre vous intéresse, j’ai repéré d’autres articles

    La revue de critique communiste « Contretemps » a publié en 2017 : <Extrême centre>

    L’historien Pierre Serna a élargi son analyse à l’époque actuelle. Il a publié « L’extrême centre ou le poison français ». Slate a publié un <Article> sur ce livre

    Ainsi que <Retronews> et le journal « La Marseillaise » : <Quand l’historien Pierre Serna met à nu l’« extrême centre » de la Macronie>

    <1676>

  • Vendredi 3 juin 2022

    «Pause »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Comme je l’avais annoncé lundi, quand je ne parviens pas à écrire un mot du jour nouveau, je fais une pause.

    Pour accompagner ces pauses je mets la photo d’un chat.

    J’ai trouvé cette photo publiée en mars par un journal suisse <Le Matin>. D’après l’article cette homme a perdu toute sa famille dans les bombardements russes, il ne lui restait que ce chat.

    Le 1er juin, Le Monde a mis en ligne une vidéo montrant, grâce à diverses sources, la destruction de Marioupol et les bombardements des civils que nient les russes : <Comment le siège de Marioupol a entraîné de lourdes pertes civiles>

    Il y a quelques jours le Monde a aussi publié cette courte vidéo :<Sievierodonetsk, la nouvelle Marioupol ?>

    Ce vendredi 3 juin, est le 100ème jour de la guerre d’agression de la Russie poutinienne contre son petit voisin Ukrainien.

    <Mot du jour sans numéro>

  • Jeudi 2 juin 2022

    « Témoigner, dénoncer, donner à voir étaient au centre de ses choix professionnels et humains […] Sa courte vie a eu un sens »
    La mère de Frédéric Leclerc-Imhoff

    Frédéric Leclerc-Imhoff était un jeune homme de 32 ans.

    Il est décédé lundi 30 mai, « touché par un éclat d’obus » lors du tournage d’un reportage sur les évacuations de civils de Lysychansk et Severodonetsk dans le Donbass qu’il réalisait pour BFMTV . Il s’agit du 8e journaliste tué depuis le début du conflit en Ukraine.

    <Slate> nous apprend qu’il était diplômé de l’Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA) et travaillait pour BFMTV depuis plus de 6 ans après avoir travaillé en tant que réalisateur de reportages et de documentaire pour l’agence Capa, comme l’indique LCI. En Ukraine pour couvrir l’invasion russe, il effectuait sa deuxième mission sur place lorsque le véhicule dans lequel il se trouvait a été ciblé par un bombardement russe.
    Il s’agit du 8e journaliste tué depuis le début du conflit en Ukraine.

    Pourquoi parler de lui, alors que la guerre d’Ukraine fait tous les jours des centaines de morts ?

    Parce que ce jeune homme a pris tous ces risques pour nous informer, pour que nous puissions disposer d’une information indépendante et pas seulement de propagande.

    Aldous Huxley a écrit :

    « La philosophie nous enseigne à douter de ce qui nous paraît évident. La propagande, au contraire, nous enseigne à accepter pour évident ce dont il serait raisonnable de douter »

    Ainsi les alliés séparatistes du Kremlin ont affirmé à l’agence de presse russe Tass que Frédéric Leclerc-Imhoff n’était pas un journaliste, mais un mercenaire étranger et qu’il aurait livré des armes et des munitions à l’armée ukrainienne.

    C’est de la désinformation, de la propagande russe.

    Pour pouvoir lutter contre cette falsification de la réalité, les journalistes sont indispensables.

    Christophe Deloire, le directeur général de Reporters sans frontières a rendu hommage à Frédéric Leclerc-Imhoff sur <France Inter> le 31 mai 2022.

    Il a rapporté un entretien avec la mère du journaliste :

    « Je suis très fière de mon fils et de son engagement. Témoigner, dénoncer, donner à voir étaient au centre de ses choix professionnels et humains […] Sa courte vie a eu un sens. ».

    Ses collègues ont affirmé qu’il était le contraire d’une tête brulée. Mais les forces russes ciblent les journalistes qui peuvent contrecarrer leur récit mensonger des évènements.

    Christophe Deloire précise que

    « Depuis le début du conflit, des journalistes se sont fait tirer -pardonnez-moi l’expression- comme des lapins” par les forces russes, il y a une responsabilité du Kremlin, de Vladimir Poutine, sur ces crimes de guerre. Heureusement qu’il y a des journalistes sur le terrain pour dénoncer les mensonges des forces russes qui prétendent qu’elles ne visent pas les civils alors qu’elles le font, qui prétendent qu’elles ne visent pas les journalistes alors qu’elles le font ».

    Nous ne pouvons qu’exprimer notre gratitude devant ces vigies de la vérité que sont les journalistes qui prennent ces risques pour nous informer. Frédéric Leclerc-Imhoff était l’une d’entre elles.

    <1675>

  • Mercredi 1 juin 2022

    « L’élection n’est plus qu’un permis de gouverner »
    Pierre Rosanvallon

    L’immense majorité des analystes politiques ont interprété le résultat du premier tour des élections présidentielles 2022 par la description d’une tripartition de la vie politique française.

    Tripartition qui reprend l’image de l’omelette évoquée hier :

    • Au centre, un parti de la raison regroupant une grande part « des vieux » et des gagnants de la mondialisation
    • A droite, l’extrême droite nationaliste, regroupant une grande part des jeunes actifs habitant hors des grandes métropoles ayant des rémunérations modestes, s’estimant victime de la mondialisation et rendant responsable en grande partie de leur malheur une « immigration massive et non maîtrisée »
    • A gauche, la gauche radicale des fonctionnaires, des cadres moyens se sentant déclassés souvent habitant les métropoles et des français issus de l’immigration musulmane.

    Il ne faudrait cependant pas oublier les abstentionnistes qui sont le premier parti de France. Ils représentent 28 % des inscrits contre 20 % pour le candidat de l’extrême centre qui a été élu.

    Ces abstentionnistes qui regroupent la masse des indifférents, des découragés, des populations marginalisées et quelques intellectuels comme Michel Onfray ou Emmanuel Todd qui conceptualisent l’inutilité des élections dans un pays qui a perdu sa souveraineté monétaire et se trouve enchâssé dans une toile d’araignée de directives de l’Union européenne.

    L’historien et sociologue Pierre Rosanvallon, chantre de la deuxième gauche, développe dans l’Obs une analyse différente et intéressante : <L’élection n’est plus qu’un permis de gouverner>

    Il constate, comme je l’ai évoqué hier, que l’électeur qui accepte de voter prend désormais en compte la perversité de notre système politique pour choisir le bulletin qu’il va mettre dans l’urne. Il parle de « l’électeur stratège » :

    « Cette élection a été marquée par la montée de « l’électeur stratège », qui décide en fonction des sondages et tente de conjurer ce qu’il identifie comme des dangers sous-jacents au processus électoral.
    Ce comportement s’est manifesté dès le premier tour, avec les votes « utiles » en faveur de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen. D’ordinaire, le premier tour permet d’exprimer des préférences objectives. Il a été cette fois-ci un vote d’anticipation. Le sens même de l’élection s’en trouve modifié. Classiquement, la présidentielle ouvrait une porte vers un chemin tracé : un choix politique, nettement dessiné, qui s’appuyait sur des évidences sociologiques (le monde des cadres, des professions libérales et des entrepreneurs contre celui des salariés, des fonctionnaires et des ouvriers) et idéologiques (le plan, le travail et le public contre le marché, le capital, le privé). Tout cela est terminé. »

    Et il tire les leçons et les conséquences de cette attitude pour notre vie démocratique, notre capacité de faire de la politique et de réaliser les réformes nécessaires pour notre avenir :

    « Aujourd’hui, l’élection n’est plus qu’un permis de gouverner. Elle ne tranche rien.
    Toutes les questions restent ouvertes : quelle sera la capacité de gouverner ? Quelle sera la majorité ? Quel sera le programme de gouvernement en fonction des attentes sociales ? Les décisions prises seront-elles acceptées par le pays ?
    Prenez la réforme des retraites. Beaucoup des gens qui ont voté pour le président sont en désaccord radical avec sa proposition. Il lui faudra trouver une solution. »

    Le journaliste qui l’interroge rappelle la promesse de Macron en 2017 de faire reculer l’extrême droite. Manifestement il n’a pas réussi.

    Rosanvallon tout en précisant qu’Emmanuel Macron n’est pas le seul responsable, lui attribue quand même une partie de l’échec  :

    «  Le président a incarné jusqu’à la caricature le sentiment de mépris social dont s’est nourri le Rassemblement national.
    Marine Le Pen n’a eu de cesse de souligner son « arrogance », ce qui lui a permis d’attirer une partie des classes socialement défavorisées.
    La gauche a aussi sa part de responsabilité dans ce basculement des pauvres vers le vote d’extrême droite. Jean-Luc Mélenchon réalise d’excellents scores dans l’ancienne banlieue rouge parce qu’il a compris ce qu’était la réalité des discriminations, fondées sur l’origine et la couleur de peau, dans notre pays. En revanche, il n’a pas réussi à s’adresser aux classes populaires « traditionnelles », issues du monde ouvrier, celles des petites villes ou des campagnes. François Ruffin, lui, a tenté de parler à cette catégorie de la population, à travers son film « Debout les femmes ! », qui raconte le quotidien des aides-soignantes, des personnels de ménage, etc.
    Cet effort était exemplaire, mais il est resté relativement isolé au sein de La France insoumise. La gauche n’a pas « abandonné » les classes populaires, comme on l’entend souvent. Il me semble plutôt qu’elle n’a pas trouvé la bonne façon de leur parler. Dire que l’on va augmenter le smic, sans plus, ne répond pas au sentiment d’être méprisé ou déconsidéré, au désir de reconnaissance et de dignité. Tant que l’on parle le langage des statistiques, ça reste abstrait. Tout le monde est scandalisé par l’enrichissement des milliardaires. Mais ce qui révolte le plus les gens, c’est le sentiment de mépris et de supériorité que renvoie cette classe sociale. La démocratie, c’est la capacité de donner un langage à ce que vivent les gens. Certains romanciers, comme Nicolas Mathieu avec « Leurs enfants après eux » et « Connemara », y ont réussi. Ce n’est pas encore le cas de la gauche politique. »

    Savoir parler aux gens et aussi les écouter constituent la première action du politique. C’est ce que nos responsables politiques ont de plus en plus de mal à réaliser. Ils « communiquent » et pensent que si les citoyens ne sont pas contents c’est parce qu’on leur a mal expliqué ce qu’on fait.

    Et il donne sa vision alternative à l’analyse des trois blocs :

    « Non. Il n’y a pas eu, dans cette élection, trois blocs, mais trois personnalités majeures, qui sont d’ailleurs arrivées en tête du premier tour. J’y ajouterais Eric Zemmour, bien sûr, mais aussi Jean Lassalle. Cette mention peut surprendre, mais ce candidat a réussi à convaincre presque autant d’électeurs que le PS et le PCF réunis !
    Lui est parvenu à parler de la ruralité en des termes qui ont touché les premiers concernés. Le grand problème des Républicains et des socialistes, c’est tout bêtement que leurs candidats « n’imprimaient » pas. Hidalgo et Pécresse ne savent pas emporter les foules ou tenir en haleine une salle comme peuvent le faire Mélenchon, Macron et même Le Pen. […]. Au-delà de la capacité tribunitienne des uns ou des autres, au-delà même de tout ce que l’on a dit sur le populisme qui consiste à agréger des demandes contradictoires par le pouvoir de la parole, cette suprématie des personnalités est liée au déclin des partis. »

    Et il décrit très bien ce qu’est en pratique le Parti du Président : une coquille sans colonne vertébrale, sans doctrine, une simple machine à soutenir les initiatives du chef. Ce qui est aussi le cas des deux autres mouvements qui sont réputés former avec le parti présidentiel la tripartition électorale de la France :

    « La République en Marche, ce n’est pas un parti, ce sont les followers d’Emmanuel Macron. Même chose pour La France insoumise qui n’existe qu’à travers son leader. Il n’y a pas de congrès, pas de votes, pas de tendances autorisées à s’exprimer dans ce mouvement qui se qualifie lui-même de « gazeux ». Autrefois, les militants, à partir de la base, élaboraient des idées et choisissaient des personnes pour les représenter. Aujourd’hui, tout part du sommet. »

    Et il donne son explication de la montée continuelle de l’extrême droite…

    « Elle n’a pas été banalisée, elle s’est métamorphosée. Toute une série de glissements sémantiques a permis d’euphémiser ce qui reste sa matrice : la haine de l’étranger et le déplacement de la question sociale sur le terrain de l’exclusion. […] En surface, Marine Le Pen est parvenue à reformuler, dans le vocabulaire de la souveraineté, bon nombre de thèmes chers à l’anticapitalisme. Son mouvement apparaît désormais comme le pourfendeur de l’individualisme contemporain. […] Bien qu’elle puisse flatter un électorat de gauche, cette conception entraîne une remise en cause des avancées dites « sociétales » – la PMA ou les nouvelles formes de mariage – définies comme des expressions mortifères de l’ultra-individualisme. Le talent de Marine Le Pen est de faire passer ce nationalisme d’exclusion pour un combat anticapitaliste. »

    Les élites qui ne savent plus parler le langage des gens, exaspèrent toute une partie des Français. Je me souviens lors du débat de second tour de l’échange entre les deux candidats : Marine Le Pen, de manière assez démagogique, parlait des difficultés et des souffrances des gens humbles. Le Président candidat lui a répondu en disant qu’il menait une politique remarquable et qui fonctionnait, la preuve est la multiplication des licornes en France pendant son quinquennat. Le premier propos était compris, le second paraissait probablement pour beaucoup hors sol et peut être même incompréhensible. Cette distance, ce langage du monde des start up est interprété comme du mépris de classe, créant une haine des élites et du Président qui en est un symbole :

    « C’est un phénomène qui me semble important. Valéry Giscard d’Estaing avait pu susciter une forme de détestation, à cause de son élocution et de son côté Louis XV, très monarchique. Nicolas Sarkozy a lui aussi cristallisé des oppositions très virulentes. Mais il y a quelque chose de spécifique dans la haine qui se noue autour d’Emmanuel Macron. Il n’a pourtant pas peur de rencontrer des citoyens qui lui sont très opposés. Peu d’hommes ou de femmes politiques vont même aussi facilement « au contact ». Pourtant il n’y va pas pour les écouter mais pour leur expliquer ! Ce fut la même chose quand il a fait venir des intellectuels à l’Elysée. A l’époque, j’ai refusé de m’y rendre et j’ai eu raison. Ce fut un long monologue : il a invité des philosophes, des économistes, des sociologues pour leur expliquer sa vision politique ! On a sans cesse l’impression que pour lui, la France est une salle de classe, que les gens ne comprennent pas, qu’il faut les prendre par la main et, de temps en temps, leur taper sur les doigts. On touche à un sentiment qui a été le moteur de la Révolution française : celui d’une coupure entre les « manants » et l’« aristocratie » : 1789, ce n’était pas un conflit entre les riches et les pauvres, mais entre ceux qui se sentaient méprisés et ceux qui étaient pris pour méprisant. Partout, on a détruit les blasons des grandes familles, qui symbolisaient cette arrogance, avec l’espoir de faire émerger une « société de semblables » pour reprendre le mot de Tocqueville. Or Emmanuel Macron donne le sentiment que nous ne sommes pas, ou que nous ne sommes plus, une société de semblables. »

    Pour Rosanvallon, il est urgent de changer, de revigorer la vie démocratique. Sortir du langage technocratique pour revenir au niveau de la démocratie, c’est-à-dire un monde de semblables, dans lequel même s’il existe des inégalités économiques chacun est considéré avec respect, sa parole prise en compte :

    « S’il n’y a pas de concertation et de compromis sous ce nouveau quinquennat, cette distance ressentie par des millions d’électeurs ne peut que s’accentuer. Ce qui se dessine est une société de crise, mais cela ne nous mène pas mécaniquement à la révolution. Les sociologues décrivent aussi des sociétés qui s’effritent et se dissolvent. Pour éviter l’implosion, la gauche doit redevenir le parti de la société des semblables. […]
    « Le propre de la démocratie est d’être un principe d’interaction entre les pouvoirs et la société. Il faut que des institutions comme celles dont j’ai parlé fassent vivre ces échanges. C’est ce qui fait la différence entre la démocratie intermittente du suffrage universel et des référendums et la démocratie permanente de l’évaluation et de la délibération. La démocratie est le régime qui oblige en permanence le pouvoir à s’expliquer. […]
    on ne peut pas continuer à diriger la société d’en haut en pensant qu’on connaît mieux ses intérêts qu’elle-même. Cela conduirait à la catastrophe. »

    L’article de Pierre Rosanvallon est plus large que les seuls extraits que j’en ai tiré : je renvoie vers cet article (pour lequel il faut être abonné) : <L’élection n’est plus qu’un permis de gouverner>

    <1674>

  • Mardi 31 mai 2022

    « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il dispose de l’administration et de la force armée. Il est responsable devant le Parlement. !»
    Article 20 de la Constitution

    Mardi 31 mai 2022 est le 97ème jour de la guerre d’agression que la Russie de Poutine a lancé contre son voisin ukrainien.

    Mais aujourd’hui, je souhaite parler de la politique française et des élections législatives.

    Lors du mot du jour du <8 février 2017>, j’écrivais tout le mal que je pensais de la Vème République et de ses dérives.

    Je ne rappellerai pas ici les développements techniques dans lesquels j’expliquai la différence entre un régime présidentiel et un régime parlementaire et les différentes étapes qui ont toujours davantage dégradé les institutions de la Vème République du point de vue démocratique.

    Les constitutionnalistes ont coutume de désigner le régime qui est en vigueur en France comme un Régime hybride ou semi présidentiel.

    En réalité, il reste quand même fondamentalement parlementaire.

    Et Jean-Luc Mélenchon, a réalisé un coup de génie de stratégie électorale, en demandant aux français de l’élire premier Ministre.

    C’est totalement disruptif !

    Le premier ministre n’est pas élu mais nommé par le Président de la République qui lui est élu.

    Mais, dans la 5ème République le Premier Ministre doit disposer de la confiance de l’Assemblée Nationale.

    Car comme en dispose l’article 20 de la Constitution : «le Gouvernement est responsable devant le Parlement.»

    Le premier ministre étant, bien entendu, le chef du gouvernement.

    Cette responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale est définie par l’article 49 de la Constitution et peut prendre trois formes ou procédures : :

    • L’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale (article 49, alinéa premier) couramment dénommé « question de confiance » ;
    • Le dépôt d’une motion de censure à l’initiative des députés (article 49, alinéa 2) ;
    • L’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le vote d’un texte (article 49, alinéa 3).

    En synthèse :

    • La question de confiance
    • La motion de censure
    • Le 49-3

    Les constitutionnalistes savants expliquent que dans notre constitution il faut une double confiance : celle du Président et celle de l’Assemblée Nationale.

    Dans une analyse rapide et historique, on pourrait penser qu’il faut surtout la confiance du Président.

    Il n’est arrivé dans la Vème République qu’une seule fois, en 1962, que l’Assemblée ait renversé un gouvernement. Le premier ministre d’alors était Georges Pompidou. Le Président de la République, le Général de Gaulle, a alors, comme le lui permettait la constitution, dissout l’Assemblée.

    Il y eut donc convocation d’élections législatives. Et le peuple français a voté pour une majorité de députés favorables au Général de Gaulle qui a renommé Pompidou premier Ministre.

    C’est bien sûr le Peuple souverain qui a tranché ce différent entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Mais la résolution de ce conflit semble indiquer qu’il vaut mieux avoir la confiance du Président que de l’Assemblée.

    Surtout qu’inversement, il est arrivé à plusieurs reprises, bien que le Premier Ministre ait obtenu peu de temps auparavant la confiance du Parlement que le Président de la République lui demande de démissionner.

    Ce fut le cas de Jacques Chaban Delmas « démissionné » par le président Pompidou et Michel Rocard qui subit le même sort du fait du président François Mitterrand.

    La situation est très différente, lorsque le peuple français envoie à l’Assemblée Nationale une majorité de députés opposés politiquement au Président de la République.

    On appelle cela « la cohabitation » qui est un concept français que les autres régimes parlementaires ne connaissent pas, ne comprennent pas.

    Dans toutes les autres démocraties libérales, quand il y a des difficultés pour obtenir une majorité, des partis politiques forment une coalition et un programme de gouvernement.

    Bref, ils discutent, se mettent d’accord en toute transparence et appliquent le Programme sur lequel ils se sont mis d’accord.

    Donc en France, il se peut que l’on se trouve dans une situation de cohabitation.

    La Vème République en a connu trois.

    La première en 1986, François Mitterrand était président et la Droite a gagné les élections législatives. Mitterrand a tenté de nommer Giscard d’Estaing, puis Simone Veil mais la majorité Parlementaire exigeait que ce soit son chef, Jacques Chirac qui soit nommé. Et dans ce cas c’est l’Assemblée qui décide, Mitterrand a dû s’incliner et nommer Chirac.

    Cinq ans plus tard la Droite a décidé que le Premier Ministre serait Edouard Balladur, le Président Mitterrand du une nouvelle fois s’incliner.

    Et en 1997, quand la Gauche gagna les élections après la dissolution provoquée par Chirac, ce dernier nomma sans tergiverser le chef de l’opposition : Lionel Jospin, celui qu’il avait battu deux ans auparavant aux élections présidentielles.

    Donc si Jean-Luc Mélenchon a tort de manière formelle : Le premier Ministre n’est pas élu mais nommé. Il a raison en pratique, s’il y avait une majorité de députés de son alliance qui était élu, le Président Macron n’aura d’autres choix que de le nommer.

    C’est très habile, car cette manière de s’exprimer permet de mobiliser son camp et probablement d’éviter la forte abstention qui fut la règle lors des élections législatives précédentes : les électeurs des opposants au Président élu s’abstenaient massivement, laissant tranquillement une majorité absolue de candidats de la majorité présidentielle être élue.

    Et de cette manière la Vème République s’enfonce toujours davantage dans le déni de démocratie.

    Je vais essayer de synthétiser cela en quelques phrases :

    • Voilà d’abord un homme élu sans véritable programme, on ne sait pas ce qu’il veut faire : il lance deux ou trois idées, sur lesquels il revient par la suite lors de l’une ou l’autre des campagnes.
    • Comme le programme dit « de l’omelette » cher à Alain Juppé a été brillamment réalisé, cet homme apparait comme le seul raisonnable qu’on peut élire. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas le programme de l’omelette, je la rappelle. L’échiquier politique est une grande omelette, on coupe les deux bouts et on garde le milieu, « l’extrême centre » sur lequel je reviendrai dans un mot du jour ultérieur.
    • Avec cette idée géniale, il n’y a plus d’opposition crédible ou disons il n’y aurait plus d’opposition crédible. Le choix est donc entre un extrême centre rationnel et raisonnable et des opposants irrationnels et déraisonnables.
    • Aux élections législatives, les français élisent les femmes et les hommes du président. Leur programme c’est celui du Président qui lui n’en a pas.
    • Dans le rêve de ces gens, n’importe qui, même une chèvre désignée comme le représentant du président doit être élu.
    • Dans ce cas on n’élit plus des députés mais des délégués qui forment une chambre d’enregistrement. Savez-vous que <la charte de LREM> dispose que «les députés membres et apparentés du Groupe ne cosignent aucun amendement ou proposition de loi ou de résolution issus d’un autre groupe parlementaire». Peut-on être plus sectaire ? Rien de ce que propose l’opposition n’est digne d’intérêt ! D’ailleurs cette règle s’appliquait aussi à l’égard des propositions du MODEM, pourtant dans la majorité présidentielle.
    • Dans ce contexte le Président nomme, comme un fait du Prince, un Premier Ministre à sa convenance et qui ne dispose d’aucun poids politique. Il ou elle n’est qu’un simple collaborateur comme le disait Sarkozy déjà
    • Le vrai premier ministre est en réalité Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Élysée
    • A ce stade, il parait légitime de s’interroger si, en pratique, la séparation des pouvoirs entre le législatif et l’exécutif est encore une réalité. Les décisions essentielles sont prises entre le Président de la République, le secrétaire général de l’Élysée et le cercle rapproché des conseillers.
    • Et rappelons que dès lors le pouvoir est détenu par un groupe de gens qui a obtenu 28% des voix exprimés, car désormais déjà au premier tour et encore plus au second tour la plus grande partie du vote n’est plus un vote d’adhésion mais un vote stratégique pour éviter tel ou tel candidat qu’on ne veut pas.

    Dés lors comme le fait justement remarquer Jean-Luc Mélenchon, si une majorité indépendante du Président est élue à l’Assemblée c’est le gouvernement et son chef qui est le premier ministre qui déterminent et conduisent la Politique de la France, selon l’article 20 de la Constitution.

    Je tiens à préciser que le présent mot du jour ne dit rien du programme préconisé par la coalition menée par Jean-Luc Mélenchon.

    Le seul point qui est développé ici est celui de l’impasse dans lequel nous a mené la Vème République, les modifications qui y ont été apportées, le mode de scrutin qui permet une telle diffraction de la réalité du corps électoral français et la pratique des présidents élus qui semblent ignorer ce que signifie une vraie démocratie et des débats politiques.

    Vous pouvez écouter avec beaucoup d’intérêt <Les matins de France Culture du 30 mai> qui explicite une grande partie des développements présentés dans ce mot du jour.

    <1673>

  • Lundi 30 mai 2022

    « D’écrire, brusquement, je me suis arrêté !»
    Réflexions personnelles sur la difficulté d’écrire dans notre monde troublé.

    Le mardi 22 mars 2022, j’ai posé la plume.

    C’est ainsi qu’on aurait pu l’écrire dans les temps anciens, ceux de ma jeunesse.

    Poser le clavier, n’a pas de sens, il est toujours posé, surtout quand on l’utilise. Peut-être, « ranger le clavier » pourrait convenir.

    Que s’est-il passé, pour que je m’éloigne de ma discipline quotidienne d’écriture du mot du jour ?

    Brusquement la guerre d’Ukraine est entrée dans nos vies, dans nos esprits.

    Je n’arrivais plus à écrire sur un autre sujet, car celui-ci prenait toute la place.

    Suivant cette actualité, je m’efforçais de trouver des éclairages, des analyses qui ne pouvaient se résumer à l’émotion.

    L’écriture des derniers mots se terminait au-delà de 1 heure du matin., me laissant exténué et l’esprit de plus en plus embrouillé.

    D’écrire je me suis arrêté.

    Je tente, aujourd’hui, de reprendre…

    Peut être, cela ne sera pas possible tous les jours, si je me retrouve dans une pression comme celle qui a conduit à l’arrêt.

    Cette guerre continue.

    Ce lundi 30 mai, constitue le 96ème jour de guerre.

    L’Ukraine ne s’est pas effondrée comme le pensait les « spécialistes ». Dans le mot du jour, du 25 février je citais des militaires sur France Inter qui prévoyait un effondrement en une semaine.

    Le 24 avril 2022, après une visite à Kiev le secrétaire à la défense américain Lloyd Austin a déclaré :

    « Les Ukrainiens peuvent gagner s’ils ont les bons équipements, le bon soutien ! »

    Et il a ajouté :

    « Nous voulons voir la Russie affaiblie à un degré tel qu’elle ne puisse pas faire le même genre de choses que l’invasion de l’Ukraine. Elle a déjà perdu beaucoup de capacités militaires, et beaucoup de troupes, et nous ne voudrions pas qu’elle puisse rapidement reconstituer ces capacités. »

    Et c’est ainsi que <Les Etats-Unis s’apprêtent à débloquer 40 milliards de dollars supplémentaires pour l’Ukraine>

    Mais que représente 40 milliards de dollars ?

    Je pense que nous pouvons en avoir une idée, en constatant que le budget 2022 de la Défense de la France s’élève à 40,9 milliards (Mds) d’euros (49,6 Md€ pensions incluses).

    Nonobstant le taux de change, l’aide américaine est du niveau du budget annuel de la défense française !

    A cela s’ajoute l’aide de l’Union européenne et du Royaume Uni.

    Bref, l’Ukraine est armée pour ne pas perdre la guerre.

    Le secrétaire à la défense américaine parle même de victoire. Sur certains terrains, comme celui de Kharkiv, l’infanterie et l’artillerie ukrainienne ont fait reculer l’armée russe.

    Mais la réalité du terrain c’est que la Russie progresse, s’empare de villes après les avoir détruites avec des bombardements et des missiles, car elle conserve la maîtrise des airs.

    Par exemple, la ville de Sievierodonetsk dans le Donbass est en train de connaître le sort qu’avant la ville de Marioupol avait connu. Le maire de Sievierodonetsk, <Oleksandr Stryuk> a déclaré qu’au moins 1 500 personnes avaient été tuées dans sa ville et qu’il en restait environ 12 000 à 13 000 dans la ville, où il a déclaré que 60% des bâtiments résidentiels avaient été détruits. C’est une ville qui comptait, avant l’offensive russe, plus de 100 000 habitants.

    Le prix à payer pour les russes est énorme.

    Mais dans ce podcast de Slate : «Vladimir Poutine n’a pas fait son deuil de prendre Kiev» Jean-Marie Colombani et Alain Frachon rappellent que les russes ont une réserve d’hommes beaucoup plus importante que les ukrainiens.

    Et que surtout : Poutine reprend une tradition russe ou soviétique : la vie de ses soldats n’a pas beaucoup de prix.

    Il faut rappeler ce que fut la victoire, lors de la seconde guerre mondiale, de l’armée rouge sur l’armée nazi. Ce fut une grande victoire de l’armée rouge et une défaite des armées allemandes, mais <Wikipedia> nous informe que si les pertes de l’armée allemande étaient de 890 000 hommes, 1 100 000 avec ses alliées, en face les vainqueurs, les soviétiques en comptaient 4 980 000, plus de quatre fois plus.

    Ce qui a fait dire à certains que les allemands gagnaient la guerre en faisant couler le sang des autres, alors que les russes gagnaient la guerre en faisant couler le sang de ses propres soldats. Ce n’est pas le génie de Staline, comme l’affirmait l’esprit égaré du candidat communiste à l’élection présidentielle française, qui a gagné la guerre, mais bien le courage des soldats de l’armée rouge qui offraient, sans compter, leur vie à la victoire finale.

    Dans ces conditions les russes peuvent-ils perdre ?

    En outre, la Russie est une puissance nucléaire, disposant d’armes de destructions massives et Poutine dans son égo, dans sa manière de gouverner et sa relation avec le peuple russe, ne peut pas accepter la défaite.

    Dès lors la crainte exprimée par Henri Guaino: «Nous marchons vers la guerre comme des somnambules» ne peut que nous inquiéter.
    Il emprunte cette image au titre du livre de l’historien australien Christopher Clark sur les causes de la Première Guerre mondiale : «Les Somnambules, été 1914: comment l’Europe a marché vers la guerre»

    « Le déclenchement de la guerre de 14-18,écrit-il, n’est pas un roman d’Agatha Christie (…) Il n’y a pas d’arme du crime dans cette histoire, ou plutôt il y a en a une pour chaque personnage principal. Vu sous cet angle, le déclenchement de la guerre n’a pas été un crime, mais une tragédie.»

    En 1914, aucun dirigeant européen n’était dément, aucun ne voulait une guerre mondiale qui ferait vingt millions de morts mais, tous ensemble, ils l’ont déclenchée. Et au moment du traité de Versailles aucun ne voulait une autre guerre mondiale qui ferait soixante millions de morts mais, tous ensemble, ils ont quand même armé la machine infernale qui allait y conduire.

    Alors il faut des négociations.

    Mais même cette porte de sortie n’est pas satisfaisante.

    L’arrêt des combats aura pour conséquence de figer l’avancée des troupes russes.

    Et c’est exactement la manière de faire de Poutine : il avance, quand il y a trop d’obstacles, il s’arrête et attend. Et puis dès qu’il peut, il avance à nouveau. Jamais il ne recule.

    Et on apprend aussi, que sur les territoires conquis, le maître du Kremlin fait pratiquer des <déportations massives> :

    « Selon le Pentagone, qui confirme des accusations de Kiev, plus d’un million de civils auraient été «envoyés en Russie contre leur gré». Une telle déportation de population serait contraire aux conventions de Genève. Moscou avance des chiffres analogues, mais parle «d’évacuations». Des Ukrainiens ont été «envoyés contre leur gré en Russie», a annoncé ce lundi le porte-parole du Pentagone au cours de sa conférence de presse quotidienne. […] Cette déclaration, basée sur les informations des services de renseignement américains, confirme, au moins en partie, les accusations portées par Kiev depuis plusieurs semaines. Selon la responsable ukrainienne Lioudmila Denissova, «plus de 1,19 million de nos citoyens, y compris plus de 200.000 enfants, ont été déportés vers la Fédération de Russie»».

    Il n’y a pas de bonne fin envisageable à cette guerre qui aura des conséquences considérables sur notre vie des prochains mois et probablement des prochaines années.

    <1672>

  • Mercredi 23 mars 2022

    « Kharkiv »
    Le mot du jour est suspendu

    Une autre ville martyr d’Ukraine Kharkiv avant : Il y avait une invitation touristique pour s’y rendre : https://planetofhotels.com/guide/fr/ukraine/kharkiv

    Je redonne le lien vers ces deux documentaires sur Poutine :

    <Poutine, l’irrésistible ascension – ARTE> Documentaire de Vitaly Mansky (Suisse, 2018, 1h35mn)

    En 2000, un documentariste russe filme de l’intérieur la première année au pouvoir de Vladimir Poutine. Près de vingt ans plus tard, Vitaly Mansky, désormais exilé, remonte ses archives et en propose une relecture critique.

    Pour Vitaly Mansky, tout était là, à portée de main. Il suffisait de décrypter un matériau qui annonçait déjà, en 2000, le futur de la Russie. À travers ses séquences dans l’intimité du pouvoir, ses tête-à-tête avec le nouveau maître du Kremlin et des moments apparemment anodins, c’est tout simplement le basculement dans un régime totalitaire qu’il nous montre. Vladimir Poutine s’y révèle déjà secret et cynique, et semble prêt à tout pour consolider sa mainmise sur le pays, pendant que l’on assiste aussi, en privé, à l’affaiblissement physique de Boris Eltsine. À partir de ses propres images et d’archives publiques ou privées, le documentariste écrit à la première personne un roman politique singulier, dont personne, à l’heure actuelle, ne sait encore comment il se terminera.

    <Le mystère Poutine : Un espion devenu président> Documentaire (2016, 1h42mn) réalisé par Christophe Widemann et présenté par Laurent Delahousse.

    <Mot du jour sans numéro>

  • Mardi 22 mars 2022

    « Marioupol »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Étienne Klein a publié une photo de Marioupol avant :

    Je pense qu’il n’est pas utile de publier des photos de Marioupol aujourd’hui, on en trouve partout à la télévision, sur le Web, dans les journaux.

    Le mot du jour se met en pause pour quelques jours, pour penser à autre chose, pour prendre du recul.

    J’avais regardé avec un grand intérêt ces deux documentaires sur Poutine :

    <Poutine, l’irrésistible ascension – ARTE> Documentaire de Vitaly Mansky (Suisse, 2018, 1h35mn)

    En 2000, un documentariste russe filme de l’intérieur la première année au pouvoir de Vladimir Poutine. Près de vingt ans plus tard, Vitaly Mansky, désormais exilé, remonte ses archives et en propose une relecture critique.

    Pour Vitaly Mansky, tout était là, à portée de main. Il suffisait de décrypter un matériau qui annonçait déjà, en 2000, le futur de la Russie. À travers ses séquences dans l’intimité du pouvoir, ses tête-à-tête avec le nouveau maître du Kremlin et des moments apparemment anodins, c’est tout simplement le basculement dans un régime totalitaire qu’il nous montre. Vladimir Poutine s’y révèle déjà secret et cynique, et semble prêt à tout pour consolider sa mainmise sur le pays, pendant que l’on assiste aussi, en privé, à l’affaiblissement physique de Boris Eltsine. À partir de ses propres images et d’archives publiques ou privées, le documentariste écrit à la première personne un roman politique singulier, dont personne, à l’heure actuelle, ne sait encore comment il se terminera.

    <Le mystère Poutine : Un espion devenu président> Documentaire (2016, 1h42mn) réalisé par Christophe Widemann et présenté par Laurent Delahousse.

    <Mot du jour sans numéro>

  • Lundi 21 mars 2022

    « Les occidentaux ne peuvent malheureusement pas se réclamer du camp du bien. »
    Réflexions personnelles

    Lundi 21 mars 2022 est le 26ème jour de la guerre d’agression que la Russie de Poutine a lancé contre son voisin ukrainien.

    C’est un acte de barbarie et de violence qui ne peut trouver ni excuse, ni de justification.

    De ci de là, je lis et j’entends des émissions qui évoquent sérieusement la possibilité de traduire Poutine devant la Cour Pénale Internationale de La Haye qui est la  juridiction pénale internationale permanente à vocation universelle, chargée de juger les personnes accusées de génocide, de crime contre l’humanité, de crime d’agression et de crime de guerre

    Quand ce sont des gens sérieux, ce qui n’est pas toujours le cas, ils expliquent que la CPI est une institution qui ne peut juger que les ressortissants des États qui ont reconnu sa compétence, ce qui n’est pas le cas de la Russie, ni des États-Unis d’ailleurs.

    A ce stade, il faut hélas reconnaître que la position de l’Occident est très fragilisée par ses immenses manquements passés. Et qu’avant de vouloir traduire Poutine, devrait se présenter dans le couloir qui mène au Tribunal International Georges W Busch.

    Celles et ceux qui ont un peu de mémoire se souvienne de ce 5 février 2003 où lors d’une session du Conseil de sécurité des Nations unies, le secrétaire d’État américain, Colin Powell, a apporté et présenté un petit flacon, en prétendant que celui-ci contenait une arme biologique qui faisait partie du stock d’armes de destruction massive dont disposait l’Irak de Saddam Hussein.

    Et en ajoutant que l’Irak constituait un danger pour les États-Unis et le Monde, il prétendait qu’il fallait  attaquer l’Irak.

    La France présidée par Jacques Chirac s’était fermement opposée à la volonté américaine en affirmant qu’il n’y avait aucune preuve de l’existence de ces armes de destruction massive.

    On parle aujourd’hui de folie de Poutine.

    Mais comment analyser ce geste d’emmener dans un simple flacon dans l’enceinte des Nations Unies une arme biologique de destruction massive ?

    Probablement, et on ose l’espérer, il n’y avait rien de nocif dans ce flacon.

    Mais, il s’agissait alors d’une manipulation qui n’a rien à envier aux manœuvres de Poutine.

    Et puis comprenant que La France, la Russie et la Chine, trois membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, utiliseraient leur droit de veto pour empêcher que l’ONU n’approuve l’intervention armée contre l’Irak, les États-Unis et leurs alliés ont lancé l’assaut sur l’Irak le 20 mars 2003, sans l’aval du Conseil de Sécurité.

    C’était donc une guerre illégale au même titre que celle lancée par Poutine contre l’Ukraine.

    Les États-Unis ont commencé alors l’invasion de l’Irak par un bombardement intensif des villes irakiennes.

    Personne n’a demande alors de sanctions économiques contre les USA !

    Nous le savons aujourd’hui et la CIA l’a reconnu : il n’y avait pas d’armes de destruction massive en Irak.

    Cette guerre a entrainé des centaines de milliers de morts.

    Elle a conduit, suite à des décisions toujours plus désastreuses de l’administration américaine, à la création et à l’expansion de DAESH réunion de la folie messianique de fous d’Allah et de la folie destructrice d’officiers de l’armée de Saddam Hussein scandalisés d’avoir été rejetés en marge de la société irakienne et d’être la proie des persécutions de la majorité chiite ayant pris le pouvoir grâce à l’appui de l’armée américaine.

    On reproche, à juste titre, à Poutine d’utiliser une milice privée pour ses basses œuvres : les mercenaires Wagner.

    Mais, l’Amérique de Bush a aussi plusieurs longueurs d’avance sur cette dérive poutinienne.

    En Irak, les armées privées étaient plus nombreuses que l’armée régulière américaine.

    Une société de mercenaires était particulièrement présente : Blackwater qui s’appelle désormais <Academi>..

    Dans l’article de Wikipedia auquel je renvoie, il est précisé que les contrats entre les Etats-Unis et Blackwater «  sont alors facilités par les nombreux liens d’Erik Prince avec les néoconservateurs de l’administration Bush, comme A. B. Krongard (en), directeur exécutif et numéro 3 de la CIA, qui signe avec Blackwater des contrats pour la protection de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan. L’ancien directeur du centre anti-terroriste de la CIA Cofer Black (en) a rejoint Blackwater en 2005 ».

    Et puis à côté de dérapages non ou moins documenté, on peut lire cet épisode :

    « Le 16 septembre 2007, des membres de Blackwater ouvrent le feu à la mitrailleuse et jettent des grenades sur un carrefour très fréquenté de Bagdad, alors qu’ils circulaient en véhicules blindés. La fusillade fait au moins 13 morts et 17 blessés, dont des femmes et des enfants. La porte-parole de Blackwater, Anne Tyrrell, déclarent que « les employés [avaient] agi conformément à la loi en réponse à une attaque » et que « les civils sur lesquels il aurait été fait feu étaient en fait des ennemis armés et nos employés [avaient] fait leur travail pour défendre des vies humaines », une version qui sera contredite par les témoignages et les procureurs américains. Le porte-parole du ministère irakien de l’Intérieur, Abdul-Karim Khalaf, déclare que « le fait d’être chargé de la sécurité ne les [autorisait] pas à tirer sur les gens n’importe comment ». […] Le quotidien suisse Le Temps résume ainsi la fusillade : « La balle a traversé la tête de Haithem Ahmed. Pas de coup de semonce préalable, pas de tension particulière à Bagdad, mais ce projectile qui a tué instantanément l’Irakien alors qu’il circulait dans une voiture aux côtés de sa mère. Le conducteur mort, le véhicule s’emballe. Et les mercenaires de Blackwater aussi : ils arrosent de centaines de balles la place Nissour, noire de monde, où les passants tentent désespérément de se mettre à l’abri. Des grenades sont lancées, et les hélicoptères des gardes privés interviennent rapidement pour achever le travail. Bilan : au moins 17 civils irakiens tués, 24 blessés ».

    Le 1er octobre 2007 un rapport de la Chambre des représentants des États-Unis est publié dans lequel est recensé, durant la période allant du 1er janvier 2005 au 12 septembre 2007, 195 fusillades impliquant Blackwater et dans 163 cas, les employés de Blackwater ont tiré les premiers. Tous ces crimes sont restés impunis, certains mercenaires ont été licenciés.

    Il y avait deux autres sociétés militaires privées : DynCorp et Triple Canopy, Inc. qui étaient présentes en Irak, mais Blackwater a été à l’origine de plus de fusillades que les deux autres sociétés réunies.

    La société militaire Wagner n’est donc qu’une copie d’exemples fournis par l’Occident.

    On cite comme première <Société militaire privée> une société sud-africaine puis une britannique :

    « Une des premières sociétés privées d’intervention fut Executive Outcomes en Afrique du Sud, qui s’est scindée en plusieurs organisations à la fin des années 1990. Au Royaume-Uni, la plus connue est Sandline International qui offrait dès les années 1990 une large gamme de services allant de l’entraînement de troupes au maintien ou à la restauration de la sécurité. Leur poids croissant laisse à penser qu’elles vont devenir des acteurs stratégiques à part entière dans les grands conflits contemporains, pouvant orienter les décisions militaires et poursuivre quelquefois des objectifs différents de ceux des États »

    Et puis toujours en Irak, il y eut le <scandale de la prison d‘Abou Ghraib> lors duquel les occidentaux se réclamant de la défense des droits de l’homme se sont comportés en tortionnaires sadiques.

    Il y eut encore la création du <Camp de Guantanamo > qui avait pour objet de sortir des prisonniers des États-Unis de l’état de droit, des droits de la défense.

    On parle de corruption en Russie et des oligarques russes qui ont des comportements de parrains mafieux. C’est parfaitement exact. Mais reprenons les États-Unis en Irak.  Le vice président de Geors W Busch était Donald Rumsfeld. De 1995 à 2000, ce dernier  dirige la société d’ingénierie civile Halliburton spécialisée dans l’industrie pétrolière. Cette société a décroché de gros contrats en Irak en 2003. Des journalistes lui ont fortement reproché ce conflit d’intérêt, sans aucune conséquence pratique.

    Quelques années auparavant, la guerre du Vietnam a été la plus grande guerre chimique de l’Histoire. Des millions de morts, plus les milliers de malades dus aux troubles génétiques entraînés par les armes qui ont été utilisées.

    J’ai beaucoup parlé des États-Unis qui occupent incontestablement la première place dans ce classement des comportements monstrueux en temps de guerre.

    Mais la France n’a pas été en reste pendant la guerre d’Algérie qu’on évoque actuellement en raison des accords d’Évian du 18 mars 1962 et beaucoup plus récemment lors de la guerre déclarée en Libye pour chasser le dictateur Khadafi en violation de la Loi internationale et en entrainant aussi une situation chaotique comme en Irak.

    Il y aurait encore tant d’histoires à raconter. Tout cela pour conclure que l’Occident est peu crédible quand elle entend donner des leçons morales à la planète entière.

    Probablement que cette distanciation entre les principes affichés et la réalité des actions devient de plus en plus insupportable à une grande partie des États du monde non occidental.

    C’est probablement une des principales raisons qui peut expliquer les nombreuses abstentions lors de l’Assemblée générale de l’ONU visant à condamner l’agression de la Russie contre l’Ukraine. Comme le montre ce planisphère produit par « Le Un Hebdo»


    Ces contradictions des occidentaux sont largement développées par Pierre Conesa dans une interview de Thinkerview : <Comment arrive -t-on à la guerre ? >

    Tout cela n’enlève rien aux crimes de Poutine, mais rend la voix des occidentaux moins crédible.

    <1671>

  • Vendredi 18 mars 2022

    « Soldats russes, redevenez des hommes. […] Ce que vous avez devant vous en [Ukraine], ce n’est pas l’ennemi, c’est l’exemple. »
    Victor Hugo en 1863, avec cette différence que le rôle de l’Ukraine était tenu par la Pologne

    Le vendredi 18 mars est le 23ème jour de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine

    « Le Un Hebdo » qui ne traite que d’un sujet par numéro, a consacré ses quatre derniers numéros à cette guerre.


    Dans le numéro 388 du 16 mars : « Jusqu’où la guerre ? » Éric Fottorino commence son réquisitoire par ces mots :

    « Images de détresse, de ruines, de cratères vertigineux, de corps sans vie. En contrechamp, Poutine reste droit dans sa lâcheté, violant toutes les règles de la paix sans personne pour le défier autrement qu’avec des mots et des atteintes au portefeuille. Alors, sur qui la population d’Ukraine sacrifiée sous nos yeux peut-elle compter pour que le cauchemar s’arrête, face à un tyran qui fait mine de négocier, mais ne feint jamais de tuer ? Si l’Europe a constitué un front uni de désaveu, de sanctions, de soutien armé aux Ukrainiens, les agressés restent bien seuls pour défendre leur patrie. »

    Et il le finit par cette histoire :

    « Une dessinatrice ukrainienne, Anna Sarvira, s’étonnait ces jours-ci sur Instagram qu’on lui demande : pourquoi ne pas vous rendre, pour sauver le plus de vies possibles ? Se rendre ?
    Jamais, a-t-elle répondu. Poser cette question, c’est ignorer ce que signifie vivre sous le joug russe. « Comme obliger une victime à vivre avec son violeur », dit-elle.»

    André Markowicz qui est traducteur des grands écrivains russes, dans son article : <Le plus vil des autocrates> enterre définitivement cette fable que l’Ukraine serait un pays néo nazi, absurdité relayée par tous les français naïfs, sous influence de la propagande poutinienne :

    « Oui, il y avait des tensions nationalistes en Ukraine, et oui, l’Ukraine avait adopté des « lois mémorielles » inacceptables, qui punissaient quiconque disait que les nationalistes ukrainiens, pendant la guerre, avaient été alliés aux nazis – ce qu’ils ont été. Mais, aujourd’hui, le jeu démocratique fait que les extrémistes nationalistes, en Ukraine, étaient réduits à 2 ou 3 % du corps électoral (ce qui laisse rêveur quand on regarde les 35 % d’électeurs qui, chez nous, s’apprêtent à voter Zemmour ou Le Pen). Et, oui, ce qui se forgeait en ce moment, en Ukraine, était une société démocratique. Elle se forgeait, très vite, sur un système hérité du soviétisme, sur la corruption, l’incompétence, malgré l’héritage et voisinage catastrophiques de la Russie poutinienne. Et si Poutine est intervenu, ce n’est pas pour « sauver » le Donbass, mais parce qu’il ne pouvait pas admettre la réussite, même partielle, d’une démocratie à ses frontières. »

    Et j’ajoute que parce que l’extrême droite était réduite à 3 % du corps électoral, elle n’a pas atteint le seuil nécessaire pour figurer au Parlement. Le Parlement actuel de l’Ukraine est vierge de toute extrême droite.

    Mais le rejet le plus fort de ce crime en train de se réaliser n’est-il pas atteint par la dérision et l’ironie que dégage l’article de Robert Solé :

    <Le mot de…[Guerre]>
    C’est un gros mot, et je vous rappelle que notre président Vladimir Vladimirovitch Poutine (que Dieu le garde !) ne supporte pas les mauvaises manières. Ici, en Russie, qualifier de guerre l’opération militaire spéciale en Ukraine vous conduit directement en prison. Il y a en effet des limites à l’incorrection ! Je dirais même des limites à l’absurdité. Réfléchissez : comment la Russie pourrait-elle faire la guerre à l’Ukraine alors que l’Ukraine fait partie de la Russie ? Un pays peut-il se retourner contre lui-même ?
    Il faut faire la guerre, sans cesse, aux mots inexacts. Nos frappes, honteusement qualifiées de bombardements par les agresseurs occidentaux, sont millimétrées. Nos militaires travaillent comme des chirurgiens, des joailliers.

    Les nazis au pouvoir à Kiev réclament des couloirs d’évacuation pour les civils qui tentent de fuir leur tyrannie. Le président Poutine, qui est un humaniste, a proposé, lui, des corridors humanitaires. Lesquels ne conduiraient pas ces malheureux réfugiés dans l’enfer occidental, mais bien à l’abri, en Russie ou en Biélorussie. Cela a été scandaleusement refusé.
    Avec courage et détermination, malgré le déluge de feu qui s’abat sur eux, nos véhicules motorisés avancent vers Kiev. Les habitants de la ville, qui font le siège des fleuristes, attendent leurs libérateurs avec une excitation grandissante.
    Où va s’arrêter l’agression de l’Otan ? Vladimirovitch Poutine (que Dieu le garde à la présidence jusqu’en 2036 !) démontre depuis vingt-cinq ans qu’il est un homme de paix, un pacifiste. Mais si l’on s’obstine à le violenter, je vous le dis : de guerre lasse, il sera contraint de faire la guerre. »

    La Russie aujourd’hui, l’Union Soviétique hier et… L’Empire russe avant est une dangereuse récidiviste qui a l’habitude d’attaquer, massacrer et soumettre ses voisins.

    En 1863, la Pologne n’existait plus. Elle avait été dépecée entre la Prusse, l’Empire d’Autriche Hongrie et pour sa plus grande part l’Empire Russe. J’avais narré cette histoire lors de la série sur la grande guerre, dans le mot du jour du <15 novembre 2018>

    Mais le sentiment national polonais existait même en l’absence d’État et <en janvier 1863>, la nation polonaise s’est révoltée contre le Tsar qui a envoyé son armée écraser la Pologne.

    Le rédacteur d’un journal polonais, Alexandre Herzen a écrit à Victor Hugo : « Grand frère, au secours ! Dites le mot de la civilisation. »

    Et Victor Hugo a répondu !

    Et ce texte, si on remplace Pologne par Ukraine, polonais par ukrainien et Varsovie par Kiev, pourrait quasi être écrit aujourd’hui :

    « À L’ARMÉE RUSSE

    Soldats russes, redevenez des hommes.

    Cette gloire vous est offerte en ce moment, saisissez-la.

    Pendant qu’il en est temps encore, écoutez :

    Si vous continuez cette guerre sauvage ; si, vous, officiers, qui êtes de nobles cœurs, mais qu’un caprice peut dégrader et jeter en Sibérie ;