• Mardi 19 septembre 2023

    « Nous ne sommes plus qu’une poignée de chercheurs à travailler sur l’islamisme. »
    Florence Bergeaud-Blackler lors d’une interview sur France Inter

    J’ai commencé l’écriture de ce mot du jour en février, juste après la publication du livre « Le frérisme et ses réseaux. L’enquête » par Florence Bergeaud-Blackler, anthropologue et chargée de recherche au CNRS à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman.

    Mais l’écriture de ce mot du jour s’est révélée très compliquée.

    Car il faut dire ce qui nous arrive, tout en restant nuancé et équilibré.

    Je suis né, il y a près de 65 ans maintenant, dans une famille chrétienne catholique.

    Plus tard, vers les 18 ans, j’ai participé à une expérience spirituelle assez intense dans une communauté chrétienne millénariste.

    Cette expérience m’a beaucoup appris.

    Elle m’a surtout convaincu de l’immense différence qui existe entre « la spiritualité » et « la religion ».

    La spiritualité constitue une élévation de l’esprit pour dépasser le matérialisme du monde et se réconcilier avec la finitude de notre vie.

    La religion c’est autre chose, c’est une organisation qui prétend parler de spiritualité. Mais quand on observe ces organisations avec lucidité, on constate qu’elles sont toujours dirigées par des hommes de pouvoir qui imposent par la force et la terreur des règles à la société. Règles qui vont jusqu’à la chambre à coucher et les choses les plus intimes de notre être pour mieux asseoir le désir de puissance, l’hubris et l’égocentrisme de ces chefs religieux.

    Christian Bobin, qui était croyant a écrit :

    « Je n’aime pas le mot « religieux ». Je lui préfère le mot « spirituel ». Est spirituel ce qui en nous ne se suffit pas du monde, ne s’accommode d’aucun monde. C’est quand le spirituel s’affadit qu’il devient du « religieux » ».
    « Autoportrait d’un radiateur » Vendredi 21 juin

    Régis Debray avait écrit de manière plus prosaïque :

    « Le spirituel nous prépare à la mort, la religion prépare les obsèques »

    Les religions quand elles exercent le pouvoir dans la société, que ce soit dans le monde d’aujourd’hui ou que ce fut dans le passé, se révèlent invariablement brutales, tristes, perverses, liberticides et inhumaines.

    Parallèlement à cette expérience personnelle, j’ai grandi et vieilli dans une France qui s’est éloignée, séparée de la religion, dans la liberté de s’exprimer, de blasphémer comme ils disent, dans la liberté des mœurs, des dogmes et des évolutions familiales, sexuelles et sociétales jusqu’au mariage pour tous.

    C’était pendant le combat d’arrière garde que menait des intégristes catholiques soutenus par l’Église contre la réforme du mariage pour tous, que j’avais pu citer lors d’un mot du jour ce propos du cardinal de Paris, André Vingt-Trois, qui concluait sur ce constat :

    « Nous ne pouvons plus attendre des lois civiles qu’elles défendent notre vision [chrétienne] de l’homme »

    Cette phrase a été prononcée le 16/04/2013 lors de son dernier discours de Président de la Conférence Épiscopale de France

    J’étais profondément en accord et heureux avec cette évolution qui faisait reculer l’emprise archaïque de la religion sur la société.

    Et voici que depuis les années 1970, l’immigration économique a conduit à l’installation sur notre territoire, largement libéré des archaïsmes religieux, une communauté musulmane de plus en plus importante, traversée par des courants identitaires, d’affirmation religieuse et prosélytes.

    C’est à ce stade que toute la nuance est nécessaire à la fois dans mon expression, mais aussi dans votre lecture.

    Car il ne s’agit pas de mettre en cause « les musulmans » dont la communauté est si diversifiée.

    Il ne s’agit pas non plus de parler de l’Islam en général, de cette extraordinaire civilisation qui a créé un art de vivre, des chefs d’œuvre de l’esprit, qui avant l’Occident a initié l’avènement d’une médecine moderne. Et qui aussi par son érudition et sa sagesse a su conserver les textes de l’antiquité grecque pour notre savoir d’aujourd’hui.

    Ce dont il est question, ce sont les forces vives fondamentalistes et archaïques qui sont à l’œuvre dans l’Islam d’aujourd’hui et qui hélas pour le monde, bénéficient des financement gigantesques que permettent l’exploitation des hydrocarbures . C’est elles qui sont à l’œuvre et qui exercent un pouvoir d’attraction et d’influence sur de nombreuses personnes en quête de sens et d’identité.

    Il existe toujours des esprits épris de spiritualité, comme par exemple Ghaleb Bencheikh qui anime l’émission de France Culture « Questions d’Islam ».

    Dans son émission du 3 septembre 2023 <Enquête historique sur les origines de l’islam> il avait invité l’islamologue Michel Orcel auteur du livre « Naissance de l’islam – Enquête historique sur les origines ».

    Dans cette émission Michel Orcel qui est chrétien, a dit toute son admiration de cette civilisation et a rappelé des faits historiques que certains anti-musulmans tentaient de falsifier ou nier.

    Mais il a fini l’émission en fustigeant la dérive sectaire des wahhabites qui est ce mouvement fondamentaliste créé par Mohammed ben Abdelwahhab (1703-1792) et qui a fait alliance avec la dynastie de Ibn Saoud pour imposer une religion figée dans les normes supposées de l’origine dans l’Arabie qui est devenue saoudite. Cette secte s’inscrit plus généralement dans un mouvement salafiste dépassant les frontières de l’Arabie et qui prône de la même manière « un retour aux pratiques en vigueur dans la communauté musulmane du prophète Mahomet et ses premiers successeurs ou califes ».

    Et c’est en Égypte, qu’en 1928 a été créée par Hassan el-Banna, « les Frères musulmans » qui poursuivent les mêmes buts mais qui, en outre, souhaitent disposer du pouvoir politique et temporel. Cette particularité les oppose aux wahhabites qui ont accepté de laisser ce pouvoir à la dynastie Ibn Saoud pour conserver ce qui est essentiel pour eux le pouvoir absolu sur la société et les règles familiales et civiles. En Égypte, le maréchal Sissi et l’armée au pouvoir, ont d’excellents rapports avec le mouvement salafiste égyptien mais combattent et oppriment les frères musulmans qui veulent les chasser du pouvoir.

    C’est cette organisation qui œuvre en occident et particulièrement en France que dénonce Florence Bergeaud-Blackler dans son livre : « Le frérisme et ses réseaux. L’enquête ».

    Parce que s’il y a indiscutablement une demande identitaire chez les musulmans de France, les mouvements fréristes sont à l’œuvre pour d’abord convaincre le plus de de musulmans possibles de suivre leur vision de l’islam et parallèlement de rendre la société française « charia-compatible » comme l’appelle Florence Bergeaud-Blackler.

    C’est un combat qui vise à évacuer le blasphème et toute atteinte à la religion en France, à imposer des modes vestimentaires spécifiques qui distinguent les musulmans et d’influer sur, ce qui est essentiel pour eux, l’éducation nationale et l’Université. Un combat qui s’inscrit dans la durée et vise à faire évoluer le récit historique notamment à l’égard de la shoah et de l’enseignement du fait religieux, à interdire ou restreindre l’éducation sexuelle, à créer des quartiers dans lesquels la place publique est uniquement occupée par des hommes etc.

    Et ça marche : il n’y a plus de caricature, toute critique et même toute description du phénomène est immédiatement condamnée comme un acte « islamophobe ». Les enseignants ne peuvent plus librement enseigner la shoah, sans parler de l’ensemble des tentatives de faire rentrer les signes religieux dans les cours de l’École.

    Dans les rues de nos villes, le nombre de femmes qui portent le voile ou d’autre tenues plus couvrantes encore est en augmentation constante.

    Ce qui est arrivé à Samuel Paty et surtout le manque de soutien avant l’assassinant montre que l’administration n’a pas défendu nos valeurs.

    Alors qu’il s’agit d’un combat de gauche c’est-à-dire défendre la liberté de croyance et de spiritualité et refuser toute atteinte à l’universalisme par des organisations communautaristes, ennemis de la liberté individuelle, toute une partie de la gauche par intérêt électoral, par aveuglement ou par facilité soutiennent ces mouvements séparatistes.

    Et puis, dès que quelqu’un essaye d’expliquer cela, il est ostracisé par toute une partie de cette intelligentsia islamo-gauchiste et menacé de mort. C’est incroyable la rapidité avec laquelle des menaces de mort fleurissent, dès qu’il est question d’islamisme. C’est le cas pour Florence Bergeaud-Blackler qui vit désormais sous protection policière.

    Elle était l’invitée de Léa Salamé, le 23 mai 2023. Lors de cet entretien elle a déclaré :

    « Je n’ai pas reçu des menaces de mort immédiatement, j’ai d’abord reçu des intimidations à l’intérieur de l’université, des proches des milieux fréristes qui ont commencé à faire circuler des calomnies à mon égard. […] Ensuite, j’ai reçu un certain nombre de menaces qui viennent de France et de l’étranger, qui ont abouti notamment à l’arrestation d’un personnage qui est maintenant écroué »

    Elle dit aussi :

    « Ça fait 30 ans que j’ai vu évoluer l’islamisme, que je dis qu’il y a un problème, et de plus en plus j’ai vu ma parole réduite, parce que ces milieux étant infiltrés, je suis devenue une cible »

    Dans un premier temps sa conférence sur le sujet du livre qui devait se tenir à la Sorbonne le 12 mai a été suspendue puis a été renvoyée à une date ultérieure pour des « raisons de sécurité » par la doyenne de la Faculté de Lettres de la Sorbonne.

    Cette conférence a finalement pu avoir lieu le 2 juin.

    « Le Figaro » décrit le contexte de cette conférence :

    « Le dispositif de sécurité déployé entre l’entrée du 46 rue Saint-Jacques et l’amphithéâtre où la conférence va débuter en dit long sur la nervosité qui accompagne l’événement. Pour pénétrer dans les bâtiments historiques de la Sorbonne, chaque participant doit émarger sur la liste des participants sous le regard sévère de trois agents de sécurité de l’Université, flanqués de deux autres agents de sécurité d’une agence privée. Une fois dans le hall, on vide ses poches avant de passer au détecteur de métaux, comme à l’aéroport. En haut des marches qui mènent à l’amphithéâtre Michelet où le public se rassemble, nouveau contrôle au détecteur de métaux. Sécurité oblige.  »

    La sortie de l’anthropologue à la fin de son intervention est dans le même esprit :

    « La scène finale de cette soirée n’en reste pas moins éloquente, sur la vie qu’une chercheuse qui travaille sur de tels sujets est condamnée à mener. Attendue par plusieurs journalistes devant le 46 rue Saint-Jacques, Florence Bergeaud-Blackler a finalement quitté les lieux par une autre sortie, « pour des raisons de sécurité », explique Pierre-Henri Tavoillot. »

    Il y a ceux qui insultent et menacent et puis il y a ceux qui prétendent argumenter : ainsi l’avocat et essayiste Rafik Chekkat qui publie sur « Orient XXI » cet article : « Islamophobie. Le complotisme d’atmosphère de Florence Bergeaud-Blackler » qui débute ainsi

    « Le spectre des Frères musulmans hante l’Europe. Administrations, entreprises, partis, associations, écoles, centres de soins, syndicats…, la menace de leurs réseaux tentaculaires serait partout. Tel est le point de départ de l’argumentation que déroule Florence Bergeaud-Blackler. Une vision paranoïaque au service d’un traitement policier du fait musulman en France et en Europe.

    « Tout vient du Juif, tout revient au Juif. Il y a là une véritable conquête, une mise à la glèbe de toute une nation par une minorité infime, mais cohésive […] ». Au fil de la lecture de Le frérisme et ses réseaux, la référence au pamphlet antisémite d’Édouard Drumont, La France juive (1885), dont sont extraites ces lignes, s’imposent de manière troublante.

    Et pour cause, Florence Bergeaud-Blackler partage avec Drumont une intention, une forme, et une méthode : dénouer dans la société l’élément « frériste » — qui était naguère l’élément juif. Tous deux racontent l’histoire de la France sur le mode tragique

    Tous deux relèvent la difficulté de la tâche : l’œuvre du « frériste » est toujours cachée, il est malaisé de déterminer précisément où elle commence et où elle finit (p. 68). « Tout d’abord, écrit quant à lui Drumont, l’œuvre latente du Juif est très difficile à analyser, il y a là toute une action souterraine, dont il est presque impossible de saisir le fil ». En somme, un grand complot contre la civilisation occidentale.

    À l’instar d’un Drumont, qui a voulu de son propre aveu décrire la « conquête juive », Bergeaud-Blackler se propose d’étudier la « conquête islamique », dont la visée n’est autre que « l’instauration d’une société islamique mondiale ». À chacun son ennemi mortel »

    Pour cet avocat le point godwin ne se situe pas au niveau de Hitler et des nazis, mais en amont dans l’écrivain antisémite Édouard Drumont, (1844 -1917) auteur de la France Juive.

    Avec cette accusation qui vise à faire taire tout esprit qui interroge l’action d’organisation islamiste en France : l’islamophobie.

    J’avais posé cette question « Qui est islamophobe ? » dans un mot du jour écrit après l’assassinat de Samuel Paty.

    Plus le temps passe, plus l’utilisation de ce mot me semble problématique et porteur d’une profonde confusion.

    C’est un mot dont la vocation est de faire taire et de stigmatiser.

    Il est beaucoup utilisé par des gens et des médias qui se réclament de la gauche.

    « Libération » écrit un article remettant en cause le sérieux du travail de Florence Bergeaud-Blackler : <Menaces et tensions autour d’un livre sur le «frérisme» musulman>. Florence Bergeaux-Blacker <a répondu longuement à l’article de Libe>.

    Selon l’outil de recherche de « L’OBS », cet hebdomadaire n’a pas évoqué le livre de l’anthropologue ni des menaces qui lui ont été adressés.

    « MEDIAPART » a attendu le 9 juillet pour publier un article à charge :

    « Invitée dans tous les médias depuis trois mois, la chercheuse, qui dénonce un projet mondial d’infiltration des Frères musulmans, est sévèrement jugée par nombre de ses collègues, qui critiquent ses méthodes considérées plus militantes que scientifiques. Son entourage sulfureux interroge également. »

    «L’entourage sulfureux» est probablement « Le Printemps Républicain » fondé par le regretté Laurent Bouvet, qui n’est certainement pas exempt de critiques mais qui par rapport à cet assaut d’archaïsme des fondamentalistes musulmans présente l’immense qualité d’être une force de gauche qui s’oppose à ces manœuvres.

    Sur un des blogs de Mediapart, un ex collègue au CNRS de Bergeaud-Blacker : <François Burgat> l’accuse de « d’anti-islamisme primaire » et s’attaque à tous ses soutiens : Gilles Kepel, Pierre-André Taguieff, Caroline Fourest, Bernard Rougier l’auteur du livre « Les Territoires conquis de l’islamism» en les mettant dans le même camp que Marine Le Pen et Eric Zemmour. Il montre que, pour lui, toute personne qui interroge les réseaux d’influence des frères musulmans en France ne peut être qu’un fasciste !

    La philosophe et islamologue Razika Adnani, lui répond dans « Marianne ». : <L’islamisation de l’Occident, les islamistes n’ont jamais caché leur intention>.

    Bien sûr, de même qu’il existe un fondamentalisme musulman, il en existe un chrétien et un juif. Ils sont tout aussi condamnables. Mais force est de constater, qu’en France, ce sont les réseaux fréristes qui sont les plus visibles.

    Nous ne devons pas être naïfs et empêcher ces fanatiques d’agir pour faire évoluer notre société vers une formidable régression. Nous devons accueillir et respecter la spiritualité. Mais parallèlement nous devons être sans faiblesse devant les religions et les contraindre à respecter les Lois de la République et le socle des valeurs fondamentales sur lesquelles s’appuient notre société :

    • L’égalité entre les femmes et les hommes, aucune contrainte ne saurait être imposée à un genre et non à l’autre.
    • Le droit absolu de changer de religion ou de quitter sa religion pour aucune autre.
    • La modestie et l’humilité devant les consensus scientifiques et la recherche historique.

    <1763>

  • Vendredi 15 septembre 2023

    « Je n’ai absolument rien fait de cette journée […] et je me suis découvert heureux, comblé. »
    Christian Bobin

    Christian Bobin est mort un mois après mon frère (à un jour près) : le 23 novembre 2022, lui aussi d’un cancer fulgurant.

    Depuis j’ai beaucoup lu Bobin.

    Bobin n’est pas l’écrivain de longs textes, de grandes arches littéraires.

    Il est l’écrivain des miniatures, des fulgurances.

    Il a été confronté avec la mort, tout au long de sa vie.

    En 1995, il a perdu brutalement, son amie de cœur Ghislaine Marion, d’une mort prématurée.

    Il écrira pour la célébrer, en 1996, « La plus que vive », ouvrage que j’ai lu d’une traite, une nuit d’insomnie de décembre.

    L’ouvrage suivant sera en 1997 «  Autoportrait au radiateur  »
    De ce livre, je partage ce texte :

    « Je n’ai absolument rien fait de cette journée,
    qu’ouvrir au matin les fenêtres de la cuisine et de la chambre,
    laisser les nuages entrer dans l’appartement,
    frotter leur silence régnant dans ces pièces,
    Oui, voilà ce que j’ai fait de ma journée,
    j’ai ouvert mes fenêtres sur le jour, rien d’autre,
    et dans ce rien beaucoup de choses se préparaient
    dont je saurai plus tard le nom, beaucoup plus tard.

    Au soir, parce que les nuages avaient repris leur errance
    et que le froid s’invitait sans façon, j’ai refermé les fenêtres, il était huit heures.
    De la cuisine, j’ai vu un moineau se poser sur le sapin.
    La branche a tremblé sous la maladresse de son atterrissage.
    Dans ce mouvement communiqué à l’immense par presque rien,
    j’ai reconnu l’image de ma journée
    et je me suis découvert heureux, comblé. »

    Autoportrait au radiateur
    Lundi 30 septembre

    Christian Bobin

    <1762>

  • Vendredi 8 septembre 2023

    « Le secteur du vin est-il intouchable ? »
    Jean-Marie Leymarie

    Jean-Marie Leymarie a posé cette question : <La République est-elle alcoolique ? > dans sa chronique sur France Culture du Vendredi 1 septembre 2023 :

    « Le secteur du vin est-il intouchable ? Finalement, le gouvernement n’augmentera pas les taxes sur l’alcool. Cet été, pourtant, il l’a envisagé, pour faire entrer de l’argent dans les caisses, et pour faire baisser la consommation d’alcool. Le secteur viticole a protesté. Bercy et le ministère de la santé ont discuté. Et la première ministre a tranché. Elisabeth Borne l’a annoncé elle-même : pas question de relever les impôts sur l’alcool.
    Le vin est beaucoup moins taxé que le tabac. »

    Sur le site de l’OFT , organisme public qui a pour dénomination complète : L’Observatoire français des drogues et des tendances addictives, on peut lire :

    « En 2019, le coût social du tabac et de l’alcool est respectivement de 156 et 102 milliards d’euros, et de 7,7 milliards d’euros pour les drogues illicites. […]. Cette nouvelle estimation confirme que le coût social des drogues reste très supérieur aux recettes fiscales induites. »

    Cette évaluation montre que l’alcool n’est pas significativement moins couteux pour la société que le tabac. L’utilisation du mot « drogue » dans l’expression « coût social des drogues » concerne les 3 produits tabac, alcool et drogues illicites.

    Et ce n’est pas le site gouvernemental <santé.gouv.fr> qui contredira ce constat :

    « La consommation d’alcool représente un enjeu de santé publique majeur en France, où elle est à l’origine de 49 000 décès par an. Il en est de même en Europe, où elle est responsable de plus de 7 % des maladies et décès prématurés. Au niveau mondial, l’alcool est considéré comme le troisième facteur de risque de morbidité, après l’hypertension artérielle et le tabac. La consommation d’alcool provoque des dommages importants sur la santé. Elle peut agir sur le « capital santé » des buveurs tout au long de la vie, depuis le stade embryonnaire jusqu’au grand âge.

    […] Au-delà d’une certaine consommation (2 verres par jour pour les femmes et 3 verres par jour pour les hommes), l’alcool est un facteur de risque majeur pour :

    – certains cancers : bouche, gorge, œsophage, colon-rectum, sein chez la femme.

    Pour l’OMS, l’alcool est classé comme une molécule cancérigène avérée depuis 1988.

    – certaines maladies chroniques : maladies du foie (cirrhose) et du pancréas, troubles cardiovasculaires, hypertension artérielle, maladies du système nerveux et troubles psychiques (anxiété, dépression, troubles du comportement), démence précoce, etc. »

    Cette surconsommation d’alcool présente aussi un coût supplémentaire pour les hôpitaux :

    « Le coût estimé des hospitalisations liées à la consommation excessive d’alcool s’élève à près de 3,6% de l’ensemble des dépenses hospitalières en 2012 (BEH 2015).

    Le coût de ces séjours hospitaliers est estimé à 2,64 milliards d’euros.

    Les conséquences de la consommation excessive d’alcool sont l’un des tous premiers motifs d’hospitalisation en France. »

    Alors pourquoi le gouvernement a-t-il décidé de renoncer à augmenter les taxes sur l’alcool ?

    Jean-Marie Leymarie explique :

    « La raison en est simple : la France reste un immense producteur, et le secteur connaît des difficultés. Une révolution, même. Prenez le Bordelais, le premier vignoble français, en appellation d’origine contrôlé. Il subit à la fois la surproduction, la baisse de la consommation, les conséquences de la crise climatique, et cette année, de surcroît, une redoutable attaque de mildiou.

    Dans ces conditions, fallait-il augmenter les taxes ? Le nouveau ministre des Comptes publics n’a pas hésité. Entre deux récoltes – le raisin et les impôts – Thomas Cazenave a choisi : solidarité avec les viticulteurs ! Il les connaît bien. Juste avant d’entrer au gouvernement, il était député… de Gironde.

    Regardez les débats sur l’alcool, à l’Assemblée nationale et au Sénat. Depuis des dizaines d’années, des parlementaires défendent la production et l’image du vin. Peu importe qu’ils soient de gauche ou de droite, ils ont un point commun : ils viennent de régions viticoles. Une vieille expression, péjorative, les qualifiait de députés “pinardiers”. Le poids politique du secteur reste fort, comme son pouvoir d’influence, aussi. En 2017, quand Emmanuel Macron compose son cabinet, à l’Elysée, qui choisit-il pour suivre les sujets agricoles ? Audrey Bourolleau, déléguée générale de Vin et société, le principal lobby viticole français. »

    C’est encore sur le site de l’OFT qu’on peut savoir que le vin représente 54 % des quantités totales d’alcool pur mises en vente (contre 23 % pour la bière et 21 % pour les spiritueux). Rapportées à la population âgée de 15 ans ou plus, les quantités totales d’alcool pur vendues en 2021 représentent en moyenne l’équivalent de 2,3 verres standards de boissons alcoolisées quotidiens par personne (un verre standard contenant 10 g d’alcool pur).

    Il faut cependant constater que l’évolution de la consommation va dans le bons sens. Par rapport au début des années 1960, la consommation de boissons alcoolisées (en équivalent alcool pur) a été réduite de plus de moitié en France, cette diminution étant essentiellement imputable à la baisse de la consommation de vin.

    Mais au niveau mondial le site <Geo> nous apprend que ce sont nettement les européens qui sont les plus grands consommateurs d’alcool :

    « L’Europe arrive en tête pour la consommation d’alcool par habitant, huit des 10 pays ayant la plus forte consommation d’alcool par habitant à travers le monde se trouvent en effet en Europe. »

    Et si on veut faire un classement par pays la première place est disputée par la République Tchèque, la Lettonie et la Moldavie, selon le sites l’ordre change mais ces trois pays se trouvent toujours sur le podium. Par exemple sur ce <site>

    Il me semble aussi important de mettre fin à un mythe : « Non, boire un verre de vin par jour n’est pas bon pour la santé »

    Jean-Marie Leymarie conclut :

    « Une taxation plus forte changerait-elle la donne ? Pas sûr. Mais nous pouvons au moins, collectivement, poser la question. Ne pas évacuer le sujet, au nom de la tradition ou de l’économie. […].. Vous vous souvenez de Claude Evin, l’ancien ministre de la santé, l’auteur de la fameuse loi Evin, sur le tabac et sur l’alcool ? Aujourd’hui, encore, il explique qu’il comprend l’importance du secteur viticole. Mais rappelle que la politique consiste à “arbitrer entre des intérêts contradictoires”. Faire des choix. Tout mettre sur la table. La bouteille – ça peut être agréable ! – et ses conséquences. »

    <1761>

  • Mardi 5 septembre 2023

    « Garder la part d’humanité, d’humanisation de la relation d’une personne à une autre, et ne pas se laisser envahir par le numérique. »
    Daniel Cohen

    Aujourd’hui, je partage avec vous une courte vidéo que Daniel Cohen a réalisé en 2019 pour l’Obs : <Quand Daniel Cohen nous parlait de l’avenir du travail : « Il faut absolument garder la part d’humanité »>

    Daniel Cohen fait la distinction entre « deux révolutions » successives.

    La première, celle de l’ordinateur de bureau et d’internet, a permis de « réorganiser à l’échelle planétaire le fonctionnement des entreprises », transformant l’ensemble des travailleurs en « sous-traitants » qui se concurrencent à l’échelle mondiale.

    Selon lui, cette révolution montre ses limites et arrive un peu à son terme.

    La seconde révolution évoquée par l’économiste est celle de l’intelligence artificielle.

    C’est cette seconde partie qui m’a marqué.

    Je vous en livre la retranscription intégrale :

    « La révolution qui commence aujourd’hui est d’une toute autre nature. C’est celle de l’intelligence artificielle.

    Il est évidemment beaucoup trop tôt pour savoir exactement ce qu’elle va produire mais on peut essayer d’en définir la portée.

    La portée, je crois tout simplement, c’est que nous sommes dans une société de services.

    Dans laquelle ce qui compte c’est s’occuper des gens eux-mêmes, et non plus seulement comme dans la société industrielle de la matière.

    S’occuper des gens, ça veut dire passer du temps avec eux, ça veut dire en réalité augmenter les coûts.

    Ça veut dire « perdre son temps » à passer du temps avec les gens.

    Cette idée est inconcevable dans un capitalisme comme celui que l’on connaît maintenant, qui cherche par définition à rentabiliser, réduire les coûts de fabrication.

    La solution que le capitalisme contemporain est en train de trouver à cette société de service où les coûts sont trop élevés, c’est tout simplement celle qui consiste à numériser, dématérialiser tout ce qui peut l’être, de façon qu’un humain, une fois qu’il sera une immense banque de données qui pourra être traitée par un algorithme et redevienne un objet de croissance, c’est-à-dire de rentabilité.

    Évidemment cette perspective est celle d’une extraordinaire déshumanisation de la relation d’une personne à une autre, d’un médecin avec son patient, d’un enseignant à son élève.

    Une déshumanisation qui nous rappelle tout simplement ce que, dans « les Temps modernes », Charlie Chaplin avait parfaitement illustré pour la société industrielle.

    Nous sommes en train, en réalité, d’industrialiser la société de services et c’est ça qui m’inquiète beaucoup.

    Il faut absolument, comme on l’a rappelé au moment du travail à la chaîne, garder la part d’humanité, d’humanisation de la relation d’une personne à une autre, et ne pas se laisser envahir par le numérique. »

    Ce que Daniel Cohen dit c’est que ce qui est en cause c’est la rentabilité, l’objet de croissance.

    Il parle des services à la personne.

    Cela remet complément en cause le modèle économique dominant.

    Il me semble d’ailleurs qu’il en va de même pour freiner le réchauffement climatique, comme les atteintes à la biodiversité et la prise en compte des limites des ressources planétaires.

    Quel modèle économique, pourra réaliser ces idées humanistes, voilà la question ?

    <1760>

  • Vendredi 1er septembre 2023

    « [Daniel Cohen] restera à jamais mon interlocuteur imaginaire, celui qui m’aide à penser hors des clous. »
    Esther Duflo, Prix Nobel d’Économie de 2019 parlant de son « mentor » Daniel Cohen

    Daniel Cohen est mort le dimanche 20 août, à l’âge de 70 ans, à l’hôpital Necker, à Paris.

    Il était gravement malade depuis plusieurs mois.

    Selon mes recherches, la dernière vidéo que j’ai trouvée de lui sur internet date du 24 janvier 2023. Il était l’invité du Cercle Humania qui est un groupe qui réunit des Directeurs des Ressources Humaines. Nous pouvons écouter <son introduction> dans laquelle il dit les choses suivantes

    « On est dans une période où les incertitudes surgissent de partout. Incertitudes économiques, inflation, les taux d’intérêt, la récession […] géopolitique, la guerre en Ukraine, la Chine qui sort d’une crise tumultueuse, les Etats-Unis qui ont une crise spécifique, ce qu’on a appelé la grande démission. […]

    Le point important c’est ce que disait Jérôme Fourquet, auteur magnifique d’un très beau livre, l’Archipel français et d’autres, qui expliquait […] que les Français hésitent entre la colère et la résignation. On a ces deux sentiments, alors parfois pour des groupes sociaux différents, mais souvent dans une même personne.
    La colère contre une situation qui au fond, ne permet plus de comprendre ce qu’on fait, où on va.
    L’inflation est un facteur d’anxiété. Ce n’est pas exactement la même chose de perdre son pouvoir d’achat, en le sachant. Voilà, je vous le réduis, ça ne fait pas plaisir mais au fond, on sait ce qui nous attend.
    Alors que l’inflation, même si ça produit la même chose, ajoute une couche d’anxiété, parce qu’on voit quelque chose, ça coûte plus cher d’acheter des fruits frais, mais on ne sait pas quand ça va se terminer.

    Donc tout ça génère de la colère, de ne pas être en contrôle de sa vie […] et puis de la résignation, parce qu’en effet l’avalanche de toutes ces crises fait qu’on n’arrive même pas à les hiérarchiser soi-même dans sa propre vie.

    Et donc, il y a une espèce de laisser-aller de démotivation. C’est ce que disait aussi Jérôme Fourquet. Une grande partie des Français, 35-40%, dans ses statistiques, qui sont démotivés, qui n’arrivent plus à trouver le jus pour repartir le matin à la charge. […]
    La recherche d’une maîtrise de ce qu’on veut faire, […] Il y a une demande à la fois de reconnaissance de ce qu’on fait, c’est une des plaintes des Français dans les enquêtes. Ils disent j’adore mon travail, mais personne ne se rend compte de ce que je fais, je ne suis pas suffisamment reconnu, quand j’ai des idées on ne les écoute pas. Donc ça, ce sont des problèmes très importants pour les membres de votre groupe : comprendre les aspirations des gens. »

    Et il dit encore cela du télétravail :

    « C’est la grande rupture qu’a apporté de manière tout à fait imprévue le Covid. On a découvert qu’on pouvait télétravailler. En 2019 personne n’aurait imaginé qu’une telle exigence sociale puisse se faire jour avec des technologies qu’on connaissait déjà [depuis assez longtemps]. Il n’y a pas eu de rupture technologique. […] Mais on n’avait pas l’idée que ça puisse devenir un instrument de travail et ça l’est devenu avec le Covid. Et c’est devenu une revendication très importante pour beaucoup de gens. Et les entreprises qui ne sont pas capable de proposer du télétravail […] ont du mal à recruter. […]

    Le télétravail c’est un médicament et un poison à la fin. C’est un médicament parce que oui vous le savez que vous êtes chez vous. On contrôle, très bien.
    Et puis, c’est un poison parce que le rapport au collectif, à vos collègues [est appauvri].
    On est dans cette ambivalence, dans cette incertitude sur l’effet net qui va s’imposer dans les deux ou trois prochaines années. On sait qu’on est dans des sociétés de plus en plus, non seulement individualistes mais individualisantes. Et le télétravail est une couche de plus dans cette évolution. Avec beaucoup de difficultés pour comprendre ce que cela va produire au bout du compte pour les collectifs eux-mêmes et pour les individus. »

    Dans cet ultime entretien, Daniel Cohen se révèle tel qu’en lui-même : un économiste qui d’abord s’intéresse à l’humain, au destin, aux aspirations, aux sentiments et au difficultés des êtres humains.

    Il partageait cette qualité avec l’inoubliable Bernard Maris mort dans le carnage de Charlie Hebdo.

    Et puis, c’était un formidable pédagogue.

    C’est le premier mot qu’a utilisé Thomas Piketty pour lui porter hommage « un pédagogue incroyable »

    Le Point parle d’un « Immense économiste et pédagogue hors pair » :

    Pascal Riché dans un article de l’Obs « Eblouissant Daniel Cohen » cite cet épisode de sa vie :

    « Un jour, pendant ses premiers mois à l’ENS, il expliquait une équation quand une étudiante lui a lancé : « Et en langue vernaculaire, ça donne quoi ? » « Cela, nous avait-il raconté, m’a glacé… Je me suis rendu compte que je ne pouvais pas enseigner comme ça. » S’éloignant de la froideur des pures mathématiques, il a commencé à parler à ses étudiants de la vraie vie. Comme il l’a fait dans ses livres. « Avec Daniel, derrière chaque équation, il y avait une histoire, nous avait raconté Julia Cagé, prof à Sciences-Po. C’était un cours énergique, qui avait de la vie… On débattait, on avait l’impression de tout comprendre. »
    Lorsque Esther Duflo a reçu le prix Nobel en 2019, je me souviens de son émotion. Ce jour-là, il n’y avait pas homme plus heureux. »

    Esther Duflo fut, en effet, son élève et lui a rendu le plus bel hommage : « Sans Daniel Cohen, je ne serais pas ce que je suis » :

    « Toute vie est faite d’accidents et de rencontres fortuites, et il peut être difficile d’attribuer son parcours à telle ou telle personne. Mais mon cas est plus simple. Sans Daniel Cohen, je ne serais pas ce que je suis : je n’aurais pas la même profession, je ne vivrais pas où je vis, je n’aurais pas la même famille.
    C’est grâce à Daniel que je suis devenue économiste. C’est grâce à lui que je le suis restée, après un démarrage un peu désastreux. C’est grâce à lui que je suis l’économiste que je suis. Je lui dois ma vie telle qu’elle est aujourd’hui. C’est aussi simple que cela. Et mon parcours, il me semble, illustre bien les qualités uniques de Daniel. »

    […]
    Pendant trente ans, je n’ai jamais interrompu ce dialogue […] avec Daniel Cohen. A chacun de mes passages à Paris nous déjeunions ensemble pour le reprendre en personne. Je prenais soin de réserver tout l’après-midi car ces déjeuners pouvaient durer. Nous parlions de politique, d’économie, de ses projets et des miens. Je n’ai jamais cessé de le vouvoyer, et lui non plus, mais je me sentais extrêmement proche de lui. Je sais que c’était le cas pour beaucoup, car tel était le don incomparable de Daniel : une chaleur humaine telle que tous ceux qui le côtoyaient se sentaient immédiatement ses amis.
    Il n’est plus là pour me faire rire de lui-même, comme il aimait à le faire, mais il restera à jamais mon interlocuteur imaginaire, celui qui m’aide à penser hors des clous. »

    Elle parlera encore de lui dans l’émission de <Thinkerview du 31/08/2023> à laquelle elle a participé et dans lequel elle le nomme « son mentor ».

    C’est avec Daniel Cohen que j’ai réalisé ma première série de mots du jour (5) : « Daniel Cohen – homo œconomicus et la stagnation séculaire ».

    J’ai aussi fait appel à lui deux fois pendant la période aigüe du Covid :

    Le 8 avril 2020 : « La crise du coronavirus signale l’accélération d’un nouveau capitalisme, le capitalisme numérique »

    Le 30 juin 2020 : « Toute la panoplie des instruments que la doxa libérale a longtemps décriée doit continuer à être mobilisée pour lutter contre la crise.»

    Un intellectuel remarquable qui va manquer dans le débat d’Idées.

    <1759>

  • Jeudi 24 août 2023

    « L’histoire de l’humanité, ­individuelle et collective, n’est qu’une longue succession de schismes et de ruptures. »
    Douglas Kennedy dans « Et c’est ainsi que nous vivrons »

    « Et c’est ainsi que nous vivrons » de Douglas Kennedy, dans sa traduction de Chloé Royer est paru le 1er juin 2023.

    Lorsque j’ai entendu son interview sur France Culture, dans l’émission « Bienvenue au club » : <Il y a deux Amériques et on se déteste> j’ai décidé de l’acheter.

    Et lorsque j’ai entrepris de débuter sa lecture, je l’ai lu d’une seule traite.

    Ce n’est pas un livre de science-fiction mais un livre d’anticipation.

    Le roman déroule un thriller en son sein, mais ce n’est pas cet aspect du livre qui est le plus intéressant.

    Ce qui est passionnant c’est l’arrière-plan : la société et les Etats dans lequel l’intrigue se développe.

    Nous sommes en 2045, « les États désunis » ont remplacé « les Etats-Unis » qui n’existent plus suite à une guerre de sécession version 2.0.

    D’un côté, il y a les États qui avaient voté massivement Trump qui sont devenus « La Confédération Unie ». C’est une théocratie totalitaire dirigée par un collège de « douze apôtres ».

    Le divorce, l’avortement et le changement de sexe sont interdits, les valeurs chrétiennes font loi. Et celles et ceux qui remettent en cause le récit religieux ou les valeurs sont éliminés avec la cruauté dont les religions ont le secret quand par malheur on a la mauvaise idée de leur laisser le pouvoir temporel en plus de l’influence spirituelle.

    De l’autre côté « La République Unie » regroupe les États démocrates, progressistes dans le sens du transhumanisme et du wokisme. Chez ces gens-là, les individus sont sous surveillance, ultra-connectés. Tout le monde est doté obligatoirement d’une puce dans le corps qui donne des informations, sert de GPS et accompagne la vie de chacun dans son quotidien en même temps qu’elle surveille son comportement. Sous couvert de sécurité, la paranoïa règne. L’ennemi dont on s’est séparé justifie tous les excès.

    Ce roman constitue un prolongement des États-Unis actuels qui se désagrègent en deux camps hostiles qui ne s’écoutent plus, ne se parlent plus, s’invectivent en s’accusant mutuellement des mêmes déviations : complotisme, fraude et valeurs morales indignes. Ce pays qui jadis était considéré comme le pays de la liberté, se caractérise aujourd’hui par la remise en cause des droits fondamentaux.

    La lecture des premières pages m’a immédiatement fait penser à une scène qui m’avait marqué lors de ma lecture, il y a 45 ans, des « Colonnes du ciel » de Bernard Clavel.

    « Les colonnes du ciel » sont une série de cinq romans de Bernard Clavel qui se passent en Franche-Comté pendant la guerre de Dix Ans, au XVIIe siècle, sous le règne de Louis XIII.

    Guerre de pillages et de massacres qui a été aggravée encore par l’apparition d’une terrible peste.

    Dans le troisième volume, « La Femme de guerre », Hortense d’Eternoz et son grand amour le docteur Alexandre Blondel se dévouent pour les enfants, victimes innocentes de la guerre. Ils en ont sauvé tant qu’ils ont pu mais, au terme de leur voyage, le docteur va mourir et Hortense par colère et vengeance va devenir la femme de guerre. Avec une petite armée qu’elle a levée, elle se jette avec toute sa hargne dans cette guerre.

    Dans le quatrième volume « Marie Bon Pain » la terrible guerre de dix ans s’est achevée en 1644. Toute la petite communauté, Marie bon pain, Pierre, Bisontin et les autres peuvent enfin regagner leur pays, se réinstaller à La Vieille-Loye dans la forêt de Chaux près de la ville de Dole. Ils retrouvent leurs grands arbres avec leur fût rectiligne qu’ils appellent les colonnes du ciel. Ils ont retroussé leurs manches et relevé les ruines du village, construisant de nouvelles maisons, réapprenant à vivre dans la paix retrouvée. Mais un jour, Hortense d’Eternoz, la femme de guerre, revient. Elle est accusée de sorcellerie et va être condamnée au bûcher.

    Bernard Clavel décrit ainsi un bucher en 1644 :

    « Hortense monte. Lentement, mais sans qu’on ait besoin ni de la forcer, ni de la soutenir. Le prêtre lui présente la croix. Il semble qu’elle hésite puis elle finit par y poser ses lèvres. […]
    En quatre pas, Hortense est au poteau. Elle se détourne et d’elle-même, appuie son dos contre le bois. Le silence s’est reformé. On dirait que, jusqu’à la poterne de la cité, jusque par-delà le Doubs, par-delà les fossés et les murailles d’enceinte, le peuple et les choses retiennent leur souffle.
    Hortense en profite.
    D’une voix qui ne tremble pas, d’une voix qui semble s’en aller chercher l’écho des quatre points cardinaux, elle crie :
    « Regardez bien bruler ma robe, ils l’ont trempée dans le soufre pour que la comédie soit jouée jusqu’au bout ! »
    Les bourreaux se sont précipités. L’un passe une chaine autour de sa taille et l’autre une corde de chanvre à son cou.
    Elle veut crier encore mais sa voix s’étrangle. Son visage se contracte, il semble que ses veines se gonflent à sa gorge et à ses tempes que ses yeux agrandis vont jaillir des orbites.
    Derrière elle, l’homme en rouge tourne un levier de bois contre le poteau. […]
    Le prêtre et les hommes rouges descendent de l’échafaud.
    Alors tout va très vite. Dix aides au moins de mettent à lancer les fagots sur les planches, tout autour d’Hortense dont le corps secoué semble vivre encore. […]
    Les flammes montent de tout côté en même temps. […] Les flammes sont si hautes qu’elles cachent Hortense dont la robe claire n’apparait que par instants.
    Et puis soudain, Marie sursaute. Une immense flamme bleue vient de naître d’un coup au centre du brasier.
    Un grand cri monte de la foule.
    La voix terrible de Bisontin gronde :
    -Le soufre…le soufre de la robe. »
    Page 154 à 156 de « Marie Bon Pain » dans la version en livre de poche collection “J’ai Lu” des éditions Flammarion

    Dans le livre de Douglas Kennedy, nous sommes au XXIème siècle. Il commence ainsi :

    « Nous sommes le 6 août. Dans le grand pays qui faisait autrefois partie du nôtre, ils s’apprêtent à brûler mon amie sur un bûcher.
    Elle s’appelle Maxime. Elle travaille pour moi, en quelque sorte, et nous nous sommes rapprochées au fil des années, bien que, dans mon secteur, une telle camaraderie soit considérée comme peu professionnelle. La raison de son exécution : elle a osé plaisanter en public au sujet du Christ.

    Quelques pages plus loin, la narratrice et héros du livre Samantha Stengel va avec ses compagnons suivre sur un écran, nous sommes au XXIème siècle, l’exécution de Maxime :

    Sur l’écran, des cris et des huées commencent à s’élever du public, signe que Maxime est en route pour le bûcher. Effectivement, une brigade de types musclés en uniforme traverse la foule au pas de l’oie. Parmi eux, je distingue la silhouette de Maxime ; […] La brume dans le regard de Maxime ne laisse planer aucun doute : si ses geôliers sont obligés de la maintenir aussi fermement, ce n’est pas parce qu’elle se débat, mais parce qu’elle a été droguée. Cette femme infatigablement subversive et désopilante, qui n’a jamais reculé devant les vérités qui dérangent, qui m’a un jour déclaré que j’avais « vraiment besoin de tomber amoureuse », et peu importait que ma vocation l’interdise, avance mollement vers sa mort sous l’emprise d’un sédatif.
    […]
    — Ça ne m’étonne pas qu’ils l’aient assommée de tranquillisants avant de l’exhiber devant tout ce monde, fait remarquer Breimer, acide. Ils avaient sûrement peur qu’elle se paie leur tête jusqu’au bout. »
    Maxime parvient au lieu de l’exécution. Son escorte se referme autour d’elle, la dérobant entièrement aux regards. Peu après, un ordre indistinct retentit et les soldats se mettent au garde-à-vous avant d’effectuer un demi-tour parfaitement synchronisé et de s’éloigner en cadence, laissant Maxime enchaînée à un poteau au centre de la place, seule en terrain découvert. Des écrans stratégiquement disposés autour de la foule offrent aux spectateurs même les plus éloignés une vue parfaite de la scène, sur laquelle entre soudain un homme en soutane blanche, qui s’avance vers Maxime, micro en main. Il se présente comme le révérend Lewis Jones, venu « offrir à cette créature déchue et condamnée le plus précieux des cadeaux, la vie éternelle, si elle accepte à présent Jésus comme son Seigneur et son Sauveur ».
    […]
    « Avant l’accomplissement de ta sentence, veux-tu te prosterner devant le Tout-Puissant et accepter Jésus en ton cœur ? »
    Silence. Maxime ne réagit pas, tête baissée, le regard aussi opaque qu’un lac en plein hiver.
    Avec la dose de cheval qu’ils lui ont visiblement administrée, son absence de réponse n’a rien d’étonnant. Mais le révérend Jones secoue tout de même la tête avec une affliction théâtrale – et savamment calculée – avant de se retirer.
    Aussitôt, quatre gardes apparaissent, le visage dissimulé par des casques intégraux, vêtus de combinaisons de protection et armés de tuyaux métalliques reliés aux bonbonnes qu’ils portent sur le dos. Ils s’immobilisent face à Maxime. Un de leurs supérieurs lance un ordre et ils lèvent tous leur tuyau d’un même mouvement pour le pointer vers Maxime. Un nouvel ordre retentit, et un geyser de liquide clair déferle sur la malheureuse. J’échange un regard avec Breimer. On s’est renseignés ensemble sur le cas précédent d’exécution publique par le feu en CU : d’après nos analystes, le produit qu’ils viennent d’utiliser serait un composé chimique hautement inflammable, au point qu’il embrase tout à la moindre étincelle. Étrangement, je ressens un certain soulagement à les regarder asperger Maxime de cette substance dangereuse. L’un de nos experts-chimistes a été formel : au moindre contact avec une flamme, la mort est instantanée. Je craignais que, juste pour pousser l’atrocité au maximum et pour la punir d’être transgenre, ils ne décident de lui infliger une exécution à l’ancienne, lente, de type Jeanne d’Arc. À cet instant, je sais que Breimer pense à la même chose que moi. Voilà bien un minuscule geste d’humanité dans cette surenchère de barbarie.
    Les quatre soldats pivotent sur leurs talons et s’éloignent. Un long silence impatient s’abat sur la foule.
    Dans son micro, le révérend Jones commence le compte à rebours. « Cinq, quatre, trois, deux… »
    On ne l’entend pas prononcer le « un ». Un souffle d’incendie, suivi d’une détonation sèche, couvre sa voix amplifiée par les haut-parleurs alors qu’un cercle tracé à l’avance autour de la suppliciée prend feu. Maxime est avalée par une déferlante de flammes. Disparue en fumée. Il ne reste plus à sa place qu’une énorme boule de feu.
    « Ça suffit », déclare Fleck.
    L’écran s’éteint. »

    Pages 22 à 24 de « Et c’est ainsi que nous vivrons »

    Il me semblait pertinent de rapprocher ces deux exécutions, l’une il y a presque 400 ans et l’autre imaginée par l’auteur dans le futur dans un peu plus de 20 ans.

    Woody Allen disait : « Je n’ai pas de problème avec Dieu, c’est son fan club qui me fout les jetons »

    Si la spiritualité constitue un supplément d’âme pour l’être humain, les religions fondamentalistes avec le but de contraindre et de soumettre la société sont des monstres.

    Il en existe toujours dans le monde, aujourd’hui.

    Et nous occidentaux ne sommes pas à l’abri que demain une telle calamité nous rattrape, si nous ne savons pas mâter et faire reculer les forces régressives à l’œuvre dans toutes les religions. Ces ennemis de la liberté qui profitent de nos libertés pour progresser et faire avancer insidieusement leurs valeurs et leurs récits dans nos sociétés.

    Dans « Lire » magazine littéraire de juin 2023, Douglas Kennedy disait :

    « Quand j’étais à la fac, ma spécialité, c’était l’histoire américaine. Déjà, à l’époque, un des sujets qui me passionnait, c’était le puritanisme aux États-Unis, un pays qui est en fait né d’une expérience religieuse. Les puritains qui ont fondé les premières colonies étaient des sortes de talibans. »

    En face de ce régime théocratique assassin se dresse la République Unie qui est la conjonction de la pensée transhumaniste de la Silicon Valley et d’un courant socialiste et wokiste qui est tout aussi terrifiant dans son organisation et son contrôle de la société.

    Dans la même revue l’auteur explique :

    « En fait, la République unie est un système autoritaire light, doté d’un président très malin, qui a décidé qu’il allait séduire des gens comme vous et moi en mettant l’accent sur l’éducation, la culture, le rétablissement de belles architectures. J’ai trouvé ça intéressant. Notamment, parce qu’on peut imaginer les conversations chez ceux qui le subissent : « OK, ce n’est pas idéal, mais c’est toujours mieux qu’en face. » »

    Geneviève Simon écrit sur le site de la « Libre Belgique » : « Un roman mordant qui déroule un scénario plausible ».

    Denis Cosnard écrit sur le site  « Le Monde » un article « …prophète de malheur » dans lequel il juge aussi que « L’écrivain prédit la dislocation des États-Unis dans une dystopie vraisemblable et caustique ».

    A la fin de l’ouvrage, Douglas Kennedy finit, comme le faisait La Fontaine dans ses fables, par la morale de cette histoire :

    « A l’image des cellules biologiques qui nous composent, il est dans notre nature de nous diviser. L’histoire de l’humanité, ­individuelle et collective, n’est qu’une longue succession de schismes et de ruptures. Nous brisons nos familles, nos couples. Nous brisons nos nations. Et nous rejetons la faute les uns sur les autres. C’est un besoin inhérent à la condition humaine : celui de trouver un ennemi proche de nous afin de l’exclure en prétextant ne pas avoir le choix. Vivre, c’est diviser. »
    Et c’est ainsi que nous vivrons, page 332

    <1758>

  • Vendredi 18 août 2023

    « Écouter c’est la fermer ! »
    Thomas d’Ansembourg

    J’avais évoqué, lors du mot du jour précédent, l’importance dans les relations de la qualité de l’écoute.

    Je voudrais revenir sur ce sujet si important grâce à une vidéo de Thomas d’Ansembourg : <Savons-nous écouter ? >

    J’ai déjà évoqué Thomas d’Ansembourg lors de plusieurs mots du jour. Le plus récent étant celui du 27 mars 2023 : « Personne n’a envie d’être un con-vaincu»

    Thomas d’Ansembourg est un psychothérapeute belge spécialisé dans la communication non-violente.

    Il fait d’abord un constat :

    « C’est quelque chose qui m’impressionne depuis que j’enseigne la Communication Non Violente : c’est combien les gens ne s’écoutent pas. Ils se fourguent des conseils, des solutions, des commentaires et ils ne s’écoutent pas et ça fait souffrir beaucoup d’êtres. Énormément. »

    Et pour donner un exemple, il évoque des parents qui sont venus le consulter parce qu’ils avaient des difficultés de compréhension avec leur garçon :

    « Et ils arrivent, les deux parents, le garçon. Et les parents me racontent toutes leurs attentes et leurs misères à communiquer avec le garçon et à un moment, après les avoir écoutés je me tourne vers le garçon et je dis : « Et toi comment tu te sens quand tu entends tes parents te dire ça ? et il me répond du tac au tac : « Mais je suis extrêmement en colère parce que mes parents, là vous les avez écoutés, mais eux ils ne m’écoutent jamais. »
    Et la mère saute sur ses deux pieds en disant : « Comment on ne t’écoute jamais, mais on passe son temps à t’écouter ! » »

    Après cette entrée en matière, Thomas d’Ansembourg intervient pour montrer la cohérence entre les propos du garçon et la réaction de sa mère.

    « Et je dis : « Stop madame pourriez-vous faire un petit arrêt sur image, votre enfant dit que vous ne l’écoutez jamais, donc ça veut dire qu’il ne se sent pas écouté et vous montrez que vous ne l’écoutez pas. Vous argumentez pour avoir raison : « mais si je t’écoute, mais je t’ai déjà écouté. » Vous n’écoutez pas le fait que lui ne se sent pas écouté. Et bien sûr que c’est dérangeant d’entendre son enfant, qu’on a cru écouter, dire : « je ne me sens pas écouté. ». Mais s’il dit qu’il n’est pas écouté, c’est qu’il ne se sent pas écouté.
    Et je me retourne vers le garçon et je lui dis : « Que veux-tu dire par-là, quand tu dis que tes parents ne t’écoutent jamais ? Apparemment ils ont l’impression de t’écouter ».
    Et bien je vais vous le dire clairement, il ne me laisse jamais finir mes phrases. »

    Poser les mots sur un problème permet de le comprendre avant d’essayer de le résoudre :

    « Et je me retourne vers la mère, je dis : « Est-ce que ça vous parle ? ». Et elle reconnaît, la larme à l’œil « effectivement, j’ai du mal à le laisser aller jusqu’au bout. Souvent, je pense que j’ai la solution, que c’est moi qui comprends comment ça doit se passer.
    Je dis « bah voilà ! Apprenez juste à écouter. »

    « Et ceci m’a éclairé, cette maman ne savait pas écouter ce qui est une chose. Mais quand on ne sait pas écouter, on peut apprendre à écouter, mais ce qui est plus grave encore, et cette maman illustre un problème qui nous touche pratiquement tous et toutes, cette maman ne savait pas qu’elle ne savait pas écouter !
    Je ne sais pas ce que je ne sais pas, comment voulez-vous que je m’améliore ?
    Et ça c’est un enjeu fondamental. »

    L’ignorance est un manque de connaissance. Mais connaître ou être conscient de son ignorance constitue un savoir.

    Connaître ses faiblesses est aussi un savoir qui permet soit de les prendre en compte, soit de les surmonter.

    Ce qui est grave comme le dit Thomas d’Ansembourg, c’est ignorer sa faiblesse.

    A ce stade, il explique ce que signifie, selon lui, écouter :

    « Écouter c’est la fermer et laisser l’autre arriver au bout de sa phrase.
    Et éventuellement ajouter à ça un reflet ou même une formulation empathique pour s’assurer qu’on a bien compris l’autre. »

    Et puis, il ajoute ce point fondamental du dialogue : être en capacité de comprendre l’autre en l’écoutant pleinement ne signifie qu’on lui donne raison, simplement qu’on le prend en compte. Et cela change tout :

    « Et écouter l’autre ça ne veut pas dire qu’on est d’accord.
    Et être en empathie avec l’autre, refléter ce que l’autre ressent, ça ne veut pas dire qu’on souscrit à son besoin. Ça veut simplement dire qu’on reconnaît que cet être humain, il est là. Et quand l’autre être humain se sent reconnu et le droit d’exister […] et bien il nous reconnaît, il nous donne le droit d’exister aussi. C’est un échange »

    L’exemple qu’il a donné était dans un contexte familial, mais cela dépasse ce cadre pour concerner de la même manière le monde professionnel, comme l’ensemble des relations de toute sorte qu’on peut nouer dans une vie :

    « Et je peux témoigner que dans l’entreprise quand j’anime des sessions de Communication Non violente c’est le même écho des équipes qui me retournent : tu nous a appris que nous ne savions pas écouter. Je pense à des équipes de Conseil, de conseil en informatique qui arrivent avec leurs solutions mais ils n’écoutent pas les vrais enjeux. Et donc ça dysfonctionne. Ils pensent qu’ils n’ont pas le temps, comme dans les familles ils n’ont pas le temps, alors que le temps consacré à bien écouter fait que le résultat s’ajuste. […] Je vous encourage à mettre ça en pratique, voir que quand vous avez créé du nous, par une belle et bonne écoute, même si vous n’êtes pas d’accord avec l’autre ce nous est fécond. On va trouver des solutions qui nous arrange de façon gagnant/gagnant, plutôt que des solutions qui sont dans la domination, soumission, agression, démission. »

    Je vous invite d’écouter ce message dans la fluidité du remarquable pédagogue qu’est Thomas d’Ansembourg : <Savons-nous écouter ? Thomas d’Ansembourg>

    Il me semble qu’il révèle quelque chose d’essentiel.

    Mon expérience me donne à penser qu’il a absolument raison.

    Je plaide coupable, je n’ai pas toujours su être au niveau de cette exigence.

    Mais chaque fois que j’ai pu ou su être dans cette qualité d’écoute, le résultat a toujours été extrêmement valorisant. Et cela même si je n’étais pas d’accord avec mon interlocuteur.

    <1757>

  • Vendredi 11 août 2023

    « Charlotte et moi. »
    Olivier Clert

    Aujourd’hui, je vais parler d’une bande dessinée en trois tomes que je viens de lire : « Charlotte et moi »

    C’est une Bd plutôt de jeunesse, mais qui peut se lire à tout âge.

    Les éditions « Makaka » qui publient ce livre écrivent malicieusement qu’elle est à destination de lecteurs de « 10 à 109 ans ».

    J’aurais dû lire ces 3 livres depuis longtemps, puisque le tome 1 est paru en novembre 2016 et que le tome 3 a été publié en septembre 2018.

    Pourquoi aurais-je du lire ces 3 livres depuis plusieurs années ? C’est ce que je vais narrer dans la suite de ce mot du jour.

    Mais je voudrais d’abord dire que j’ai été conquis par cette BD pleine de sensibilité, d’humanité et aussi de rebondissements qui rendent sa lecture à la fois agréable et pleine d’intérêt jusqu’au bout de l’Histoire.

    Son auteur qui a écrit le texte et dessiné les personnages présente cette histoire dans <Ouest France> de la manière suivante :

    « [C’est l’histoire] d’un petit garçon, Gus, dont les parents divorcent. Il part vivre avec sa mère dans un petit immeuble de province. Il n’a pas envie. C’est juste avant la rentrée des classes et il s’ennuie. Il se met à observer les habitants de son immeuble. En particulier Charlotte, une grosse bonne femme timide qui ne parle pas, lui fait un peu peur et sur laquelle ragotent les gens du village. Il l’espionne. Cette BD, c’est l’histoire de Gus, de Charlotte et des gens de leur immeuble. Avec un effet domino : les actions des uns ont des conséquences sur la vie des autres. »

    En faisant une recherche sur le site des bibliothèques de Lyon j’ai pu constater que les 3 Tomes étaient présents dans 10 des 16 établissements de la ville et que 5 de ces 10 exemplaires sont empruntés actuellement.

    Cela donne la double preuve que les administrateurs de la bibliothèque de Lyon ont beaucoup aimé la série et que les abonnés de la bibliothèque l’apprécient toujours, 5 ans après sa sortie.

    Sur ce <Site> j’ai trouvé cet avis qui fait écho avec ce que j’ai ressenti à la lecture de ces pages qui racontent une histoire de quête :

    « Cette bande dessinée en 3 tomes est une merveille de tendresse, d’humour et d’aventures. […] La rencontre entre ces deux êtres sera pourtant le point de départ d’une aventure extraordinairement émouvante, autour d’une quête commune : celle des origines. Leur amitié se construira peu à peu, nous donnant l’envie de croiser le chemin d’une Charlotte et d’un Gus, un jour ou l’autre… Mention spéciale pour le dessin, la colorisation et le fourmillement de petits détails auxquels prêter attention, notamment au niveau des transitions entre les scènes.
    Ode au vivre-ensemble et à la lutte contre les préjugés, voici une BD à mettre entre toutes les mains. »

    Mais l’histoire que je veux partager et qui s’entremêle avec celle de Gus et de Charlotte a commencé au milieu des années 1990.

    Je travaillais alors dans l’administration centrale d’une Direction qui n’existe plus depuis 2008 et qui était la Direction Générale des Impôts. Mon bureau était situé au cinquième étage, du bâtiment Turgot, celui qui était le plus loin des bureaux des Ministres et le plus proche de la gare de Lyon.

    Mon bureau était juste à côté des ascenseurs, facilement accessible et ma porte était toujours ouverte.

    Ce devait être en avril ou mai, nous étions à la fin de la journée, André est venu me rendre visite après une réunion à laquelle je n’avais pas assisté. Pendant notre discussion qui fut assez longue dans mon souvenir, le soleil s’était couché lentement, les fenêtres étaient orientées sud-ouest.

    La lumière chaude nous enveloppait et rendait ce moment inoubliable, c’est pourquoi son souvenir ne m’a pas abandonné.

    André était mon ainé de douze ans. Le travail commun nous avait rapproché, il y avait de l’affection parce que nous nous reconnaissions mutuellement la capacité de nous écouter, la volonté de nous comprendre et d’aboutir à une solution qui nous convenait à tous les deux et que nous pourrions défendre devant notre hiérarchie. Il était responsable d’une équipe d’informaticiens et moi je représentais la maîtrise d’ouvrage qui écrivait les cahiers des charges et exerçait la recette des applications c’est-à-dire leur réception et leur test.

    La confiance et surtout l’écoute de l’autre permet de passer à un autre niveau de dialogue, plus engageant et qui touche davantage l’intime.

    Nous parlions de nos enfants, mais les miens étaient encore dans leurs toutes premières années.

    André Clert était particulièrement préoccupé par son fils qui était dans l’année de son baccalauréat et qui ne travaillait pas assez pour la réussite de cet examen selon les critères de son père. Il me disait et je sentais une angoisse dans sa voix :

    « Tu comprends Alain, il trouve beaucoup plus important de dessiner toute la journée. Il s’est pris de passion pour les dessins animés et la bande dessinée. J’essaie de lui expliquer de travailler pour son Bac et puis de dessiner après. »

    Et il a ajouté cette phrase qui m’est resté :

    « Nos enfants et nous les parents n’avons décidément pas les mêmes priorités ! »

    Après mon départ de Paris pour Lyon et même après sa retraite nous avons continué à échanger par courriel.

    Et puis le 21 novembre 2016, j’ai reçu, avec d’autres, un message provenant de l’adresse courriel d’André, mais ce n’était pas lui qui écrivait :

    « C’est avec une immense tristesse que je vous annonce le décès brutal d’André survenu samedi soir dans un restaurant de Toulouse où nous étions pour quelques jours.

    Un séjour pour circuler dans Toulouse où il a fait ses études et qu’il aimait beaucoup, et aussi pour aller à un festival de bandes dessinées où notre fils Olivier dédicaçait sa bande dessinée qui vient d’être publiée (il en était heureux et fier).

    Nous avions passé une merveilleuse journée…

    Malgré une retraite pleine d’occupations, il ne vous a pas oubliés et nous gardons un excellent souvenir de nos années parmi vous. »

    André est donc décédé le 19 novembre 2016, le Tome 1 de « Charlotte et moi » était paru exactement le 4 novembre 2016.

    Le tome 2 paru en avril 2018, porte cette simple dédicace : « Pour mon père »

    Dans l’article d’Ouest France déjà cité, Olivier Clert expliquait en 2017 les différentes facettes de son activité professionnelle :

    « J’ai 36 ans et je vis à Paris. J’ai toujours dessiné. Après le lycée, j’ai fait une fac d’arts plastiques et préparé le concours de l’école des Gobelins. Je me suis formé au film d’animation, notamment en participant à un court-métrage collectif de fin d’études, Blind Spot. Je me suis occupé de l’histoire et de la mise en scène. J’ai ensuite travaillé comme animateur sur plusieurs longs-métrages comme Un monstre à Paris […]

    Être storyboarder, c’est travailler sur le script des réalisateurs et en faire une BD du film. »

    Et il raconte comment est né la BD :

    « J’ai eu une fenêtre entre deux projets d’animation. J’ai commencé Charlotte et moi, puis je l’ai proposée à des éditeurs.

    [… J’ai des idées de BD mais très vagues : il faut que je plonge dedans. En dessin animé, je travaille sur Klaus (paru en 2019). Faire un film, c’est très long : environ cinq ans. On est nombreux à travailler : cela permet à la fois une émulation intéressante, c’est pour ça qu’il y a souvent beaucoup de gags et de trouvailles visuelles, mais ça peut aussi être très laborieux car on est beaucoup. Alors que quand on fait une BD, on est seul, on dessine et ça peut aller vite. C’est la façon la plus simple de raconter une histoire. Ça tombe bien, c’est mon métier ! »

    Gus et Charlotte qui ont vécu beaucoup d’aventures ensemble, vont se quitter, avant la fin du Tome 3 parce que Charlotte va continuer sa quête seule, loin de France.

    La manière dont Olivier Clert dessine cet instant me fait revenir en mémoire la parole d’Eleanor Roosevelt l’épouse du Président Franklin D. Roosevelt :

    « The future belongs to those who believe in the beauty of their dreams.
    – L’avenir appartient à ceux qui croient à la beauté de leurs rêves. »

    <1756>

  • Mardi 1er août 2023

    « C’est vrai que cette histoire manque de chameaux »
    Alice Zeniter dans « L’art de Perdre » page 336 en conclusion du résumé que fait Hamid de l’histoire de sa famille classée dans les Harkis

    Parfois, on croise un livre sans le rencontrer.

    Il en fut ainsi, pour moi, pour « l’Art de perdre » d’Alice Zeniter.

    J’en avais entendu parler, lors de plusieurs interviews de l’autrice, dès la sortie du roman en 2017. D’abord, alors qu’elle était invitée sur France Inter <le 25 aout 2017>, puis par une émission de France Culture du 9 septembre 2017 <Je voulais combler les silences de mon histoire>

    En écoutant, Alice Zeniter j’avais l’intuition qu’il s’agissait d’un livre à lire pour mieux comprendre la guerre d’Algérie, celle des vainqueurs et celle des vaincus, la guerre et ses conséquences.

    Mais la rencontre n’a pas eu lieu en 2017 ou 2018.

    Plus tard, j’avais vu le livre posé sur une table chez Marianne, je l’avais remarqué mais je suis passé à côté.

    Après les émeutes qui ont frappé la France, j’ai retrouvé un long article de « Libération » que j’avais soigneusement découpé et classé dans une chemise : <Enfant j’ignorais pourquoi on n’allait pas en Algérie>.

    En le relisant, j’ai eu l’intuition que le temps était vraiment venu de lire ce livre.

    Et deux jours après, dans la maison de Joyce et Patrick, je suis, à nouveau, tombé sur ce roman dont je me suis, cette fois, emparé et que j’ai lu d’une traite.

    L’art de perdre est l’histoire d’une famille entre l’Algérie et la France sur trois générations :

    • Ali, le grand-père, venu des montagnes kabyles dans lesquelles il menait une vie plutôt aisée, étant riche relativement à la population locale. Cet homme est tombé du côté harki pendant la guerre et dû fuir l’Algérie, en 1962, lors de l’indépendance.
    • Hamid, son fils qui était trop jeune pour comprendre ce qui s’était passé avant 1962 et qui a vécu sa vie en France, algérien pour les français, harki pour les algériens. Il a épousé Clarisse, française n’ayant rien à voir avec les évènements d’Algérie.
    • Naïma, une des filles d’Hamid et de Clarisse, narratrice de cette Histoire.

    Alice Zeniter s’est inspirée de son histoire personnelle, dans la réalité elle occupe la place de Naïma. Mais elle savait si peu de chose, sa famille était taiseuse sur ce passé algérien et les débuts français. Alors, elle a beaucoup lu, rencontré des historiens pour arriver à écrire son roman qui est une vérité possible et qui surtout montre la complexité des choix et des destins.

    Alice Zeniter parle d’un destin de « harki », c’est-à-dire un algérien qui a choisi le camp des français contre celui du FLN.

    Dans l’article de Libération elle montre l’absurdité de désigner avec ce nom toute une famille dont le père a fait un choix qui n’était pas celui de l’Histoire.

    « Je me souviens d’avoir cherché dans le dictionnaire ce soir-là, je pense que les explications de mes parents devaient avoir été trop peu claires, et d’avoir trouvé dans le Larousse la définition qui est : harki, membre d’une harka, supplétif indigène travaillant pour l’armée française. Et, en deuxième entrée : qualifie les enfants et petits-enfants de harkis. Cela m’a paru extrêmement détestable, l’idée que ce nom que je ne connaissais pas quelques minutes avant était censé pouvoir me qualifier aussi. C’est quelque chose qui n’a toujours aucun sens pour moi aujourd’hui, et c’est ce que je dis dans la deuxième partie du livre. Déjà, le terme n’est pas juste, on devrait parler d’ex-harkis, d’anciens supplétifs. Quand les mecs arrêtent d’être soldats, eh bien ils ne sont plus soldats. Et puis je ne vois pas pourquoi ça qualifierait la famille et la descendance, c’est une aberration. Ni pourquoi cela qualifie des gens qui n’ont jamais fait partie des harkas et des contingents de l’armée française, et qu’on a juste considérés comme étant pro-Français. Ce terme est extrêmement mal utilisé. Et quand, en plus, on sait qu’il est devenu pour beaucoup une insulte… »

    Pourquoi devient-on harki ?

    La réponse à cette question Alice Zeniter ne l’a pas trouvé dans sa famille.

    Dans le roman, elle tente d’expliquer ce silence, ce tabou pour Naïma.

    Le fils Hamid tente d’arracher une explication à son père Ali :

    «- Est-ce qu’on t’a forcé ? demande t-il ?
    – Forcé à quoi ?
    – A collaborer avec les français ? Est-ce qu’ils t’ont enrôlé de force ?

    Il n’a pas le vocabulaire suffisant en arabe pour mener une conversation politique et il parsème ses questions de français.

    – Ils t’ont menacé ? »
    Page 269

    Mais aucune réponse de son père ne sera donnée, juste de la colère et cette sentence murmurée :

    « Tu ne comprends rien, tu ne comprendras jamais rien »

    C’était inexplicable et plus encore inracontable.

    Alors Alice Zeniter invente, c’est la force et la liberté du roman.

    Quand les premiers soulèvements ont eu lieu, c’était l’œuvre du MNA, le Mouvement national algérien de Messali Hadj. Le grand père Ali n’en veut pas parce qu’il le soupçonne de vouloir l’arabisation à outrance, et qu’en tant que Kabyle il tient à son identité. Il ne faudrait jamais oublié qu’avant la colonisation française de l’Algérie, il y eut la colonisation de la Kabylie par les arabes.

    Après le FLN écarta le MNA et Messali Hadj de manière sanglante et violente et ce fut le FLN qui porta le combat de l’indépendance.

    Alice Zeniter fait dire à Ali qu’il est pour l’indépendance mais pas celui du FLN.

    Les partisans du FLN prétendent que pour chasser le colonisateur il n’y avait pas d’autres choix que celui d’une violence et d’une cruauté extrême, non seulement tournées vers les colons mais aussi vers les algériens qu’ils considéraient comme trop tièdes.

    Ali les considérait comme des bandits, des « mafieux » même si ce mot n’est jamais utilisé.

    D’ailleurs, la suite après l’indépendance lui donnera raison, les dirigeants du FLN ont mis leur pays en coupe réglée et sont arrivés de faire de leur pays riche en minerai et pétrole, un pays de pauvres dans lequel seule une nomenklatura est très riche.

    C’est après le massacre indigne et cruel par le FLN, d’un vieux combattant de 14-18 qui avait refusé de renoncer à la pension de guerre que lui versait la France, qu’Ali bascule et demande l’aide de l’armée française pour le protéger ainsi que sa famille.

    Il franchit ce pas parce qu’il est révolté par l’assassinat de son ami et aussi parce qu’il a peur parce que lui aussi est ancien combattant mais de la guerre 39-45.

    Et par ce geste, il se place malgré son désir d’indépendance, dans un camp et non dans l’autre dont il juge les méthodes et le comportement inacceptables.

    Il ne peut pas l’expliquer à son fils, juste lancer ce qui peut être vu comme une plainte : « tu ne comprendras jamais rien. »

    Et le fils, Hamid, devant ce mur se réfugie aussi dans le silence.

    Quand sa future femme, essaye d’obtenir quelques lueurs sur cette histoire, il répondra toujours par une ellipse en évoquant l’idée qu’elle espère une histoire de chameaux qui n’existe pas

    Un jour pourtant et une seule fois dans le roman, sa future épouse parvient à l’obliger à un résumé pathétique et sans concession de la part d’histoire que connait Hamid.

    La femme de sa vie, Clarisse, le menace de le quitter s’il ne parle pas de ses origines, alors il dit cela :

    « On est arrivés en France quand j’étais encore gamin, dit Hamid.
    On était dans un camp, on était derrière des barbelés, comme des bêtes nuisibles.
    Je ne sais plus combien de temps ça a duré. C’était le royaume de la boue.
    Mes parents ont dit merci.
    Et puis après, ils nous ont foutus dans la forêt, au milieu de nulle part, tout près du soleil. c’est là qu’il y avait les chenilles.
    Mes parents ont dit merci.
    Ensuite, ils nous ont envoyé dans une cité HLM de Basse-Normandie, dans une ville ou avant nous, je ne crois pas que qui que ce soit ait jamais vu un arabe.
    Mes parents ont dit merci.
    C’est là qu’ils sont encore.
    Mon père bossait, ma mère faisait des gosses, et je pourrais te dire comme tous les gars du quartier que je les aime et que je les respecte parce qu’ils nous ont tout donné mais je ne crois pas que ce soit honnête, j’ai détesté qu’il me donne tout et qu’eux arrêtent de vivre.
    Je me suis senti étouffé, ça me rendait fou. »
    Page 336

    Clarisse conclura cette confession par :

    « C’est vrai que cette histoire manque de chameaux »

    J’ai trouvé cette formule, dans sa simplicité, si juste pour tenter d’approcher cette histoire de violence, de trahison, d’humiliation, de colonisation, de mépris.

    Dans ce court résumé Hamid évoque d’abord <le camp de Rivesaltes>
    Les harkis n’ont plus de pays quand ils arrivent en France, en 1962. La France les accueille comme des parias. Le camp de Rivesaltes ce sont des barbelés, des tentes, des conditions de vie épouvantables, l’impossibilité de circuler.

    Il évoque ensuite <Le camp de Jouques appelé aussi la cité du Logis d’Anne>

    Et puis il y a le racisme aveugle, forcément débile et toujours présent :

    « Un jour, en cours d’anglais [lors d’un exercice] le professeur laisse échapper :
    « Ecoute, Pierre, si Hamid peut le faire, tu dois en être capable aussi ! »

    « Qu’est-ce que ça veut dire ? demande Hamid.
    La question a passé ses lèvres sous le coup de la surprise plus que de la colère. Il ne voulait pas la poser à voix haute mais au silence qui la suit et aux yeux écarquillés de ses camarades, il comprend qu’elle est trop énorme pour qu’il puisse la faire oublier.[…] Hamid se lance à la poursuite de sa première question :
    « Que ce qu’un Arabe peut faire, il est évident que c’est à la portée des Français ? Que si je peux le faire avec mon cerveau sous-développé d’Africain, l’Homme Blanc peut le faire mieux que moi ? C’est ça que vous vouliez dire ?
    Devant ce manque de respect, le professeur oublie sa gêne et s’exclame :
    « Bon, c’est bon, ça suffit comme ça. Tais-toi maintenant !
    – Vous êtes raciste, dit Hamid le plus calmement qu’il peut mais sa voix tremble de colère et de peurs mêlées »
    Page 265 et 266

    D’autres élèves prendront le parti d’Hamid, mais le professeur aura le dernier mot et ce sera Hamid et ses camarades qui seront collés pour « conduite scandaleuse ».

    Hamid s’était emmuré dans le silence pour son histoire algérienne mais aussi pour son service militaire

    « En janvier 1974, à la fin du service militaire de Hamid – Une autre période de sa vie dont il ne parlera pas, des mois de silence à peine troués par des mots « racisme », « cachot », « officier de service », « tour de garde » et « dortoir ».
    Page 328 :

    Son père Ali a aussi affronté cette haine raciste au quotidien.

    Dans le camp de Jouques, il a le droit de sortir contrairement à Rivesaltes. Un jour pour se donner du courage il va dans un bar pour commander une bière, le tenancier refuse de le servir, l’insulte avec des propos racistes et lui demande de sortir du bar.

    Ali refuse alors le propriétaire appelle la gendarmerie. Quand le gendarme se rend compte qu’il a partagé avec Ali le même lieu de bataille à savoir Monte Cassino, il oblige le barman à leur servir à tous les deux de la bière. Après une longue discussion, le gendarme et Ali se séparent, mais Ali ne retournera jamais dans ce bar, l’humiliation est trop dure à supporter même si son immense taille plus de deux mètres lui permettrait d’avoir le dessus physiquement mais il pressent qu’il n’aurait pas le dernier mot.

    Dans ce livre j’ai appris une collection de mots de la haine avec lesquelles les « bons français » insultaient les algériens : « crouille, bicot, l’arbi, fatma, moukère, raton, melon, mohamed, tronc-de-figuier, fellouze…. (p. 313)

    Et puis ce roman parle aussi de notre présent, en le reliant au passé. Alice Zeniter se sert de Naïma pour faire ce lien. Elle évoque les attentats du 13 novembre 2015 :

    « Le soir du 13 novembre, Naïma est au cinéma.

    Elle regarde le dernier James Bond, ce qui lui apparaîtra rétrospectivement comme un choix légèreté presque obscène.
    Un de ces anciens collègues, du temps de la revue culturelle, meurt au Bataclan. elle l’apprend au petit matin et s’effondre sur le carrelage froid de la cuisine. (…)

    Elle pleure sa mort, tout en se reprochant son égoïsme, elle pleure sur elle-même, ou plutôt sur la place qu’elle croyait s’être construite durablement dans la société française et que les terroristes viennent de mettre à bas, dans un fracas que relaye tous les médias du pays.

    « Naïvement, elle pense que les coupables des attentats ne réalisent pas à quel point ils rendent la vie impossible à toute une partie de la population française – cette minorité floue dont Sarkozy a dit à la fin du mois de mars 2012 qu’elle était musulmane d’apparence.
    Elle leur en veut de prétendre la libérer alors qu’ils contribuent à son oppression.

    Elle repère ainsi un schéma historique de mésinterprétation, amorcé soixante plus tôt par son grand-père. Au début de la guerre d’Algérie, Ali n’avait pas compris le plan des indépendantistes : il voyait les répressions de l’armée française comme des conséquences terribles auxquelles le FLN, dans son aveuglement, n’avait pas pensé.
    Il n’a jamais imaginé que les stratèges de la libération les avaient prévues, et même espérées, en sachant que celles-ci rendraient la présence française odieuse aux yeux de la population.
    Les têtes pensantes ‘Al-Qaïda ou de Daech ont appris des combats du passé et elles savent pertinemment qu’en tuant au nom de l’islam, elles provoquent une haine de l’islam, et au-delà de celle-ci une haine de toute peau bronzée, barbe et chèche qui entraîne à son tour des débordements et des violences.
    Ce n’est pas comme le croit Naïma, un dommage collatéral, c’est précisément ce qu’ils veulent : que la situation devienne intenable pour tous les basanés d’Europe et que ceux-ci soient obligés de les rejoindre. »
    Page 376 & 377

    Et puis, elle parle aussi de la vague de régression dans les mœurs et particulièrement à l’égard des femmes que traverse, depuis quelques décennies, l’Islam dans les pays d’islam. Vague qui hélas est venue aussi en France.

    Naîma va à Alger pour organiser une exposition dans la galerie dans laquelle elle travaille à Paris. Elle a pour correspondant Mehdi et sa compagne Rachida.

    C’est la compagne de Mehdi, Rachida qui lui révèle :

    « Ça me tue de voir que les gamines d’aujourd’hui se font avoir par ces conneries. La situation a clairement régressé pour nous dans ce pays.

    Elle regarde autour d’elle, remarque quelques groupes de convives exclusivement masculins et ricane :

    – La plupart des choses que les femmes ne font pas dans ce pays ne leur sont même pas interdites. Elles ont juste accepté l’idée qu’il ne fallait pas qu’elles le fassent. Tu as vu à Alger le nombre de terrasses où il n’y a que des hommes ?
    Ces bars ne sont pas interdits aux femmes, il n’y a rien pour le signaler et si j’y entre, le personnel ne me mettra pas dehors, pourtant aucune femme ne s’y installe. De même qu’aucune femme ne fume dans la rue –et ne parlons pas de l’alcool. […]
    On ne peut pas résister à tout, hélas. Moi je sais qu’ils ont en partie gagné parce qu’ils ont réussi à me mettre en tête que j’aurais préféré être un homme. »
    Page 465 & 466

    Un livre d’une richesse inouïe.

    Le lecteur connait plus de complexité après l’avoir lu et s’enrichit de beaucoup de questions tout en se défiant des certitudes qu’il pensait acquise.

    <1755>

  • Mercredi 12 juillet 2023

    « Dissuasif »
    Terme peu compris et usité dans la société française

    Un policier, après 9 jours de travail sans repos, au terme d’une course poursuite d’un délinquant conduisant sans permis et enfreignant le code de la route, a commis la grave erreur de dégainer son arme, puis de tirer sans maîtriser son tir.

    Il a commis une faute !

    Mais quand j’entends et je lis les médias et la plupart des hommes politiques de gauche, il semblerait que « LE PROBLEME » est ce policier et le cortège de violences policières qu’ils énumèrent.

    Je ne dis pas qu’il ne faille pas s’interroger sur les méthodes, la formation et certaines dérives racistes de la Police, mais il y a un moment où quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limite.

    Libération dans un article : <comment Gérald Darmanin soutient financièrement le policier mis en examen> s’offusque du fait que l’administration a trouvé un moyen juridique, pour permettre au policier de continuer à toucher une partie de son traitement, bien qu’il ne travaille plus et que de manière factuelle en l’«absence de service fait», il ne devrait pas être payé.

    Ce policier a commis une faute, encore faut-il laisser la Justice trancher, mais ce n’est pas le plus grand criminel de la terre.

    Il est aussi possible d’exprimer de la bienveillance à son égard.

    Il a eu mauvaise réaction prise dans l’urgence, dans un quart de seconde, qui a causé des conséquences terribles.

    Mais pourquoi s’arrête t’on à ce tir du policier, en considérant qu’il s’agit de l’alpha et l’oméga du problème posé à la société française ?

    Ce tir est la fin d’une histoire, la dernière étape de toute une série de manquements, de lâchetés, de dénis dans lesquels nous nous sommes enfermés.

    Dans le mot du jour précédent, j’avais déjà noté que si le jeune Nahel n’avait pas pris le volant de ce bolide ou s’il s’était soumis à l’injonction des policiers, il serait toujours vivant.

    Mais si un individu n’avait pas créé, trois mois auparavant, une société de location de voiture de « frimeur » avec la complicité de vendeurs polonais, dans le but de permettre à des dealers ou autres trafiquants des quartiers de jouir de ce symbole de réussite qu’est de conduire de telles automobiles qui ne servent à rien d’autre que de satisfaire le mâle alpha dans sa bêtise et sa vacuité, Nahel serait aussi en vie.

    Mais pourquoi existent-t ‘il de telles sociétés de location dans des quartiers que les mélenchonistes décrivent simplement comme pauvres et délaissées ?

    Parce que s’il y a de la pauvreté, il y a aussi de la richesse dans des zones que l’État a accepté de laisser devenir des zones de non droit.

    Lors du mot du jour du « 20 janvier 2015 » je citais Régis Debray :

    « Lorsque l’Etat se dégrade et perd en autorité symbolique
    il y a deux gagnants : les sectes et les mafias. »

    Verser de l’argent dans ces quartiers ne sert à rien, s’il n’existe pas en parallèle des humains qui accompagnent, dialoguent et peuvent aussi aider à sanctionner, le cas échéant.

    Rappelons que c’est le Président Nicolas Sarkozy qui a mis fin à la Police de Proximité.

    Les travailleurs sociaux sont manifestement insuffisants et insuffisamment soutenus.

    Ce sont des problèmes d’une grande complexité, les aborder de manière simpliste est une faute.

    Mais je voudrais aujourd’hui parler d’un mot qui je crois n’est pas bien compris, voire accepté en France.

    La première fois que j’ai été confronté, dans ma vie, au terme dissuasif c’était au moment de l’achat de notre appartement de Montreuil.

    Les propriétaires étaient un couple en instance de divorce et l’appartement était toujours occupé par l’épouse. Certaines réflexions et signes, m’ont donné l’intuition que cette dame ne quitterait peut-être pas l’appartement après la vente.

    Nous en avons parlé à notre notaire qui nous a suivi. Au moment de la promesse de vente, il a donc demandé à son collègue d’introduire dans l’acte, la mention d’une astreinte de mille francs par jour, si l’appartement n’avait pas été totalement vidé, le jour de la vente.

    Je me souviens encore de la réaction offusquée de la Dame qui s’exclama :

    « Mais c’est plus cher qu’une nuit d’hôtel »

    Et j’ai trouvé sur ce <site> qu’en effet, en 1991, année de cet achat, le prix d’une chambre d’hôtel de qualité se situait autour de 400 Francs.

    Mais devant la réaction de la dame scandalisée, son notaire lui a répondu simplement :

    « Oui Madame c’est beaucoup plus cher qu’une nuit d’hôtel. Mais c’est fait pour cela. C’est une mesure qui présente un caractère dissuasif ».

    Dans cette situation, le caractère dissuasif était d’autant plus affirmé que le montant de la vente serait dans les mains du notaire et qu’il n’y avait dès lors aucune échappatoire au déclenchement effectif de l’astreinte.

    Plus récemment, j’ai eu la compréhension de la signification du mot dissuasif par le témoignage de mon fils lors de son séjour à New York. Je me plaignais que souvent en France, aux carrefours, les voitures déclenchaient un embouteillage néfaste à la sécurité des cyclistes et à la fluidité de la circulation. Mon fils m’a dit qu’à New York un tel phénomène n’existait pas. Les règles imposaient qu’une voiture ne devaient jamais s’engager dans un carrefour si elle n’avait pas la certitude de pouvoir en sortir avant le changement de feu. Et toute voiture égarée au milieu d’un carrefour n’ayant pas respecté cette règle était sanctionnée par une amende d’un montant très sévère.

    Mon frère Gérard était allé dans la ville allemande, voisine du domicile parental, Sarrebruck. Il s’était garé sur une grande avenue. Partout des panneaux indiquaient qu’il fallait qu’aucune voiture ne soit garée sur cette avenue à partir de 17 heures. C’était expliqué, il fallait que les grandes avenues de la ville soient dégagées à l’heure où les salariés allemands quittaient leur travail pour fluidifier la circulation. Mon frère, français de son état, est arrivé à sa voiture à 17h01, la discussion entre lui et l’autorité allemande a tourné court. Il a dû s’acquitter d’une sévère amende. Mais il jura qu’on ne le reprendrait plus.

    Alors en France on ne fait pas comme ça. Les dirigeants jusqu’au français modestes estiment toujours qu’il est possible de s’arranger avec les règles et que si on ne les respecte pas, ce n’est pas très grave, c’est quasi excusable et presque compréhensible.

    Évidemment si la sanction est une amende de 80 ou de 130 euros, que parfois d’ailleurs on ne paie pas, nous ne sommes pas dans le domaine du dissuasif mais de la taxe : On paie une taxe et on a le droit de ne pas respecter la règle.

    Alors en France :

    • Énormément de cyclistes ne respectent pas les feux rouges, ni d’ailleurs les passages pour piétons !
    • Des parents insultent des enseignants
    • Des personnes sans permis conduisent des voitures (vous comprenez ils ont en besoin !). Selon une étude de l’Observatoire de la sécurité routière, 800 000 conducteurs rouleraient sans permis. Quasi autant circulent sans assurance.
    • Des pompiers, des médecins sont agressés et bien sûr la Police. Et pour les pompiers et les médecins, les arguments de certaines associations et groupes politiques ne peuvent même pas évoquer les violences policières…

    Alors, peut être existe-t-il trop de règles en France.

    Mais quand il existe une règle, on la respecte et on l’a fait respecter.

    Et parallèlement on s’attaque aux autres problèmes, tous plus compliqués les uns que les autres, mais dans une société de règles acceptées, défendues et respectées sinon sanctionnées.

    Les élites doivent bien entendu donner l’exemple.

    Sans ce socle, le reste est inatteignable.

    Jean-Pierre Colombies, ex-policier, analyse l’affaire de manière qui me semble très pertinente dans <Le Media pour tous>.
    Il critique sévèrement l’intervention des deux policiers. Mais il ne s’arrête pas là et analyse plus profondément les problématiques de la sécurité, des quartiers et de la politique .

    <1754>

  • Vendredi 7 juillet 2023

    « Un débat bloqué [entre] deux camps caricaturaux et irréconciliables : D’un côté une police parfaite qui ne fait jamais d’erreur, de l’autre des victimes indignées qui ne sont que des anges. »
    La Tribune de Genève à propos des évènements en France suite à la mort du jeune Nahel

    Un jeune homme de 17 ans, français, de religion musulmane, a été tué, lors d’un contrôle routier, par un tir, à bout portant, d’un motard de la police nationale.

    Le jeune garçon conduisait une voiture, avec deux passagers à bord.

    Cette scène a été filmée.

    La mort du jeune homme, d’origine algérienne comme le mentionne le communiqué du ministre des affaires étrangères algérien, a conduit à des manifestations de protestation de jeunes gens qui s’identifient à la victime, dans un premier temps.

    Mais rapidement ces protestations ont fait place à des scènes de pillages, de destructions, d’agressions et de chaos dans les grandes métropoles françaises et aussi dans des villes de moindre population.

    En parler est délicat, les choses sont compliquées.

    Il vaut peut-être mieux se taire pour ne pas déplaire.

    Mais ne pas savoir poser des mots sur ce qui se passe, c’est laisser la place à la violence.

    Les mots c’est ce que la démocratie a trouvé pour gérer les conflits : débattre pour ne pas se battre.

    Mais d’abord, il faut en revenir aux faits.

    Il faudrait quand même pouvoir se mettre d’accord sur les faits, sinon comment débattre, comment analyser ?

    « Le Monde » a publié un article le 5 juillet donnant les éléments de l’enquête mené par le parquet général de Versailles à ce jour : < les premières constatations de l’enquête >

    La chronologie est la suivante :

    • Lundi 26 juin, une Mercedes de type AMG, immatriculée en Pologne, est louée auprès d’une société de location de voiture, FullUp Location à Nanterre. Cette société avait été créée trois mois auparavant. A ce stade, il n’est pas précisé qui a loué.
    • Mardi 27 juin, Avant que le jeune Nahel n’en prenne le volant, deux autres personnes l’ont utilisé dans des circonstances encore inconnues. Le jeune Nahel, 17ans, qui n’a pas de permis, prend le volant de ce véhicule onéreux et puissant capable de passer de 0 à 100 km/h en 3,9 secondes, selon sa fiche technique.
    • D’après le brigadier qui a tiré, les deux motards ont remarqué « une Mercedes dont le moteur vrombissait et qui circulait dans la voie de bus ».
    • Lorsque la Mercedes regagne le flot normal de la circulation, les motards de la police tentent une première fois de l’intercepter. Le brigadier se porte alors à la hauteur du passager et, sa sirène enclenchée, fait signe au conducteur de se ranger sur le côté. « Mais celui-ci, note le réquisitoire, avait alors accéléré brusquement et pris la fuite . Poursuivi par les deux motards, il avait conduit à vitesse élevée avec de brusques accélérations, des franchissements de feux rouges fixes et passages de carrefours “à pleine vitesse” et sans précaution pour les piétons…… Il avait même fait une embardée volontaire vers son collègue qui était venu se mettre à son niveau. »
    • Après examen de la vidéosurveillance, le parquet note que, au cours de son périple, la Mercedes a « failli percuter un cycliste tandis qu’un piéton engagé sur un passage protégé avait dû faire demi-tour en courant pour éviter d’être percuté ». Celle-ci aurait également roulé plusieurs fois à contresens.
    • Une fois la Mercedes à l’arrêt, bloquée par d’autres véhicules à proximité de la place Nelson-Mandela où elle finira sa course, les deux policiers mettent leur moto sur béquille et s’en approchent, leur arme de service dégainée, la visière de leur casque relevée. Le premier, gardien de la paix, que les enquêteurs de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) désignent dans un rapport comme « P1 », se place face à la vitre du côté du conducteur. Le second, le brigadier (« P2 » pour l’IGPN), se positionne du côté avant gauche du capot, son pistolet automatique Sig Sauer pointé en direction du conducteur.
    • C’est dans cette attitude que la séquence vidéo tournée par une passante saisit les deux fonctionnaires, quelques secondes avant que ne soit tiré le coup de feu mortel. C’est également à ce moment que le brigadier reconnaît avoir cogné contre le pare-brise – l’un des deux passagers évoque des coups de crosse contre Nahel M. – pour « attirer l’attention du conducteur ».
    • L’exploitation de la séquence vidéo par l’IGPN confirme les mots prononcés par l’un des policiers, sans pour autant que celui-ci soit identifié à ce stade. Dans leur reconstitution des échanges, les enquêteurs notent : « Au début de la séquence, on entend un échange entre trois voix différentes (V1, V2, V3) avant la détonation, que nous interprétons comme suit :
      • V1 : “… une balle dans la tête”
      • V2 : “Coupe ! Coupe !”
      • V3 : “Pousse-toi !”
      • V1 : “Tu vas prendre une balle dans la tête” (propos pouvant être attribués à P1 qui agite son bras droit au même moment).
      • V2 : “Coupe !” »
    • D’après cette première analyse, ce serait donc le collègue du brigadier et non ce dernier qui aurait crié à l’adresse de Nahel « Tu vas prendre une balle dans la tête », des propos que le policier auteur du tir a, du reste, constamment nié avoir tenus lors de sa garde à vue.
    • Nahel redémarre et le Brigadier (P2) tire, à bout portant, une balle mortelle.

    Il existe ensuite une ambigüité. Tous les médias ont repris l’information que le Brigadier a menti en affirmant que la voiture fonçait sur lui alors qu’il était à côté de la voiture.

    Je cite :

    « Le parquet souligne que le premier compte rendu policier, à 8 h 22, six minutes après le tir policier, évoque un « individu blessé par balle à la poitrine gauche ». L’opérateur signale, dans une fiche de résumé d’intervention Pegase (pilotage des événements, gestion des activités et sécurisation des équipages) que « le fonctionnaire de police s’est mis à l’avant pour le stopper » et que « le conducteur a essayé de repartir en fonçant sur le fonctionnaire ». Ce qui soulève une interrogation importante sur l’origine de cette information démentie par la vidéo de la passante : comment est-elle remontée jusqu’à l’opérateur ? Le parquet note que le brigadier n’utilise jamais ces mots dans les conversations enregistrées sur la « conférence 32 » – en réalité, la « conférence 132 » qui est le réseau radio utilisé par l’ensemble des effectifs de la direction de l’ordre public et de la circulation, à laquelle appartenaient les deux policiers motocyclistes. »

    Selon cette version, le brigadier n’aurait pas, lui-même, déclaré que la voiture lui fonçait dessus.

    Dans sa version, le brigadier a déclaré qu’il avait peur que son coéquipier soit entraîné par la voiture parce qu’il pensait que son corps était engagé dans l’habitacle, alors qu’en réalité ce n’était que le bras qui était concerné. Enfin, il a affirmé que sa volonté était de viser vers les jambes du conducteur mais que déstabilisé par le démarrage le coup est parti vers le thorax.

    Le brigadier, auteur du tir, a également révélé qu’il enchaînait son neuvième jour consécutif de travail

    L’article du Monde fait aussi mention d’une situation extrêmement tendue dès les minutes qui ont suivi la mort de Nahel.

    Le parquet relève que, au moment de la sécurisation des lieux, des « jeunes hostiles étaient présents » ainsi que des proches de la victime.

    • Selon les policiers, la grand-mère de la victime aurait tenu les propos suivants : « Les deux policiers, ils vont pas sortir (…). Je les attendrai. J’ai des copains qui travaillent au dépôt. (…) Il y a un terroriste qui va tous les attraper Inch’Allah, un terroriste qui va tous les massacrer. »
    • Un gardien de la paix, lui, est pris à partie par un ambulancier, dans une séquence également filmée et devenue virale où l’on peut entendre les propos, répétés à deux reprises : « Tu vas plus vivre tranquille, frère. »
    • Le même jour, un jeune homme âgé de 20 ans a été condamné à dix-huit mois de prison dont douze mois avec sursis probatoire pour avoir diffusé les coordonnées personnelles du brigadier.

    J’ai entendu un journaliste affirmer que l’adresse de l’hôtel dans lequel, la famille du policier avait trouvé refuge, a également été divulgué.

    Très rapidement le Ministre de l’intérieur a eu des propos qui exprimait une défiance par rapport à l’attitude du policier. Et le Président de la République a eu ces mots, en contradiction formelle avec la présomption d’innocence, traitant le geste du policier « d’inexcusable” et d’inexplicable »

    Probablement que le Président de la République et son Ministre espéraient ainsi calmer la colère des jeunes de banlieue qu’ils craignaient.

    Il n’en fut rien : La France s’est embrasée malgré ces propos prenant délibérément partie contre le policier.

    La Justice qui a pourtant inculpé le brigadier pour « homicide volontaire » et placé en détention provisoire n’est pas davantage parvenue à éviter ce qui allait devenir un chaos de destruction et de pillage.

    Dans leur ensemble, tous les médias, mis à part ceux d’extrême droite, ont exprimé leur compassion pour le jeune homme, certain parlant « d’enfant » et ont présenté le brigadier comme un assassin.

    Le footballeur né à Bondy et mondialement connu Kylian Mbappé a publié ce tweet en direction de ses 12,6 millions d’abonnés en évoquant « un petit ange ! » :

    « J’ai mal à ma France. Une situation inacceptable. Toutes mes pensées vont pour la famille et les proches de Nahel, ce petit ange parti beaucoup trop tôt ».

    Quand le chaos était à son comble, Jean-Luc Melenchon a pris la parole.

    Il a été fidèle à son récit : Toutes ces horreurs viennent des inégalités économiques, de la discrimination à l’égard de la population des banlieues et du mauvais fonctionnement de la police qui tue et qui est raciste.

    Il n’a pas appelé « au calme » mais à « la justice »

    Il a demandé que les jeunes ne s’attaquent pas aux « Ecoles », « aux Bibliothèques » « aux gymnases », ce qui laisse à penser que pour les autres cibles, le saccage est une option ?

    Michel Onfray lui a répondu avec véhémence : « Melenchon est prêt à tout pour arriver au pouvoir » :

    « Quand je dis tout, c’est-à-dire détruire la France. C’est-à-dire mettre la France à feu et à sang. C’est-à-dire contribuer à ce que le sang puisse couler. Melenchon est prêt à tout ça »

    et il ajoute:

    « [on dit] Les gens sont mécontents, ils descendent dans la rue. Non ce ne sont pas des gens qui sont mécontents dans la rue. C’est un peuple qui se soulève contre un autre peuple ! »

    Michel Onfray poursuit un autre récit, totalement opposé à celui de Melenchon, celui d’une « guerre civile à bas bruit »

    A ce propos, j’ai entendu un sociologue estimer à 0,2% de la population des banlieues concernées par les faits de violence.

    Par ailleurs pour qu’on puisse parler de « Peuple », il faudrait que ces personnes aient une conscience politique d’être un peuple ayant un destin commun. Je ne vois pas ce dessin politique mais surtout une rage de se défouler et un désir irréfragable de consommer des chaussures Nike, des Smartphones et autres marques de réussite.

    Et lors du 20h de Darius Rochebin sur LCI le 1er juillet 2023, le premier argument utilisé par Hubert Vedrine, le secrétaire général de la présidence de la République de François Mitterrand et le ministre des affaires étrangères de Lionel Jospin est celui d’une immigration mal maîtrisée et il en appelle à l’exemple danois.

    Chacun suit son récit, sans jamais rencontrer et même chercher à échanger avec l’autre.

    <Le Monde> cite un éditorial de « La Tribune de Genève » qui appelle de son côté à sortir d’un « débat bloqué » entre « deux camps caricaturaux et irréconciliables » : « D’un côté une police parfaite qui ne fait jamais d’erreur, de l’autre des victimes indignées qui ne sont que des anges. » « Selon toute apparence, le policier n’avait pas à tirer », analyse l’auteur, qui ajoute, au sujet du jeune conducteur tué, que, « s’il avait obtempéré à la police, il vivrait ». « Dans le débat politique français, ces deux vérités ne sont jamais confrontées, elles s’affrontent stérilement, déplore le journal suisse. Pauvre débat, triste débat, qui ne fait qu’entretenir la violence, car chacun ne veut voir que celle de l’autre. »

    Si je dois donner quelques mots de conclusion, ce serait les suivants :

    • Si ce jeune homme n’avait pas pris le volant d’une voiture excessivement puissante alors qu’il n’avait ni le permis, ni d’assurance, il n’aurait pas été tué.
    • S’il avait obtempéré à l’ordre de la police, il n’aurait pas été tué.
    • On a écrit, il n’avait pas d’arme dans cette voiture. Mais enfin, la voiture qu’il conduisait pouvait tuer. D’ailleurs il a faillé renverser un piéton et un cycliste. Il était donc non seulement dans l’illégalité mais aussi un danger pour autrui.
    • Les policiers n’auraient sans doute pas du sortir leur arme pour menacer parce que dans ce cas il se mettaient en posture et en risque de tirer et de mal tirer.
    • Mais était-il raisonnable de laisser repartir cette voiture qui risquait de créer des accidents étant donné l’état d’excitation du jeune Nahel et probablement sa maîtrise limitée du bolide qu’il conduisait ? Je n’ai entendu personne expliquer comment immobiliser ce véhicule de manière efficace et sans utilisation d’arme létale. Il me semble que laisser repartir la voiture n’était pas une option.

    Il y a certainement des problèmes au sein de la police. Sans doute une formation insuffisante, peut être une organisation et des méthodes d’interpellation à revoir. Il existe probablement des racistes au sein de la Police qu’il faut combattre.

    Mais le déchainement de violence qui a eu lieu ces derniers jours doit aussi nous interroger sur ce que vivent nos policiers dans ces quartiers.

    Que ferions nous s’il n’y avait plus de Police ?

    SI tous les policiers déposaient brusquement tous leurs attributs en disant nous en avons marre de vivre cette violence, ces insultes et incivilités au quotidien, ce rejet systématique de l’autorité.

    D’ailleurs contrairement à ce que pense ces gauchistes qui ont perturbé les comparutions aux Palais de Justice de Lyon et qui scandaient cette affirmation : « Tout le monde déteste la Police », les français sont plutôt du côté de la police.

    <Selon ce sondage IFOP réalisé après la mort de Nahel> 43% et 14% ressentent de la confiance ou de la sympathie envers les forces du maintien de l’ordre, soit un total de 57% d’avis positifs. La police inspire de l’inquiétude ou de l’hostilité pour 32% des Français, tandis que 11% d’entre eux n’ont pas d’opinion.

    Alors, il ne s’agit pas de nier les problèmes mais gardons-nous bien de solution simpliste comme croire que tout est la faute de la Police ou inversement que tout est de la faute de l’immigration.

    Les choses sont infiniment plus complexes que cela.

    <1753>

  • Jeudi 22 juin 2023

    « La mort est au bout du chemin, mais elle s’est un peu éloignée. »
    Clémentine Vergnaud

    Elle s’appelle Clémentine Vergnaud, elle est journaliste à France Info, elle a trente ans.

    Elle est atteinte d’un cancer digestif des voies biliaires dont le nom scientifique est : « le cholangiocarcinome »

    C’est un cancer rare et extrêmement agressif.

    Un jour de grande douleur Clémentine Vergnaud a craqué et a recherché l’espérance de vie pour cette pathologie. Elle a trouvé que pour les malades qui peuvent être opérés, 10% restent en vie au bout de 5 ans.

    Les médecins lui ont dit qu’elle n’était pas opérable, à cause de la diffusion de métastases en dehors de l’organe initial touché.

    Un collègue journaliste Samuel Aslanoff lui a proposé d’enregistrer un podcast racontant son combat contre le cancer révélant ses sentiments, ses rapports à sa maladie, aux médecins, à ses proches, ses moments de découragement, d’espoir, de peur, de joie.

    Je me promenais et écoutais son entretien dans « C à Vous » (qui existe sous format de podcast audio) dans lequel j’apprenais l’existence de son podcast en dix épisodes de 10 à 12 minutes.

    J’ai immédiatement écouté le premier < J’ai l’impression que le bateau est en train de couler >, puis le second, le troisième et tous les suivants, à la fin de ma promenade j’avais fini les dix épisodes.

    C’est bouleversant et plein d’enseignement.

    Celles et ceux qui sont dans un combat similaire y apprendront beaucoup.

    Et peut-être, que celles et ceux qui accompagnent ou sont des proches d’un malade qui poursuit une telle lutte, apprendront encore davantage.

    Elle raconte comment des amis qui sont plein de bienveillance mais ne sachant que dire, lui assène : « Je suis sûr, tu vas t’en sortir ! »

    Mais il faut comprendre que pour le malade, conscient de son état, cela sonne faux et n’aide pas.

    Elle donne la solution, il faut juste être présent, être là.

    Elle avoue sa peur de la mort :

    « La peur de la mort vous saisit dans vos entrailles »

    Mais quand elle dit à sa mère et son père : « il faut préparer ma mort, mon départ », ses parents disent simplement : « Nous sommes là pour toi et nous allons en parler et prendre les décisions qu’il faut. »

    Ainsi, ses parents sont dans cette présence dont elle a besoin pour avancer.

    Elle dit aussi combien le patient a besoin de médecins qui sont dans l’écoute et si possible dans l’empathie.

    Elle raconte son expérience d’un médecin qui n’écoutait rien de ce qu’elle lui disait et concluait que ses terribles douleurs provenaient d’une déchirure musculaire.

    Heureusement, elle a aussi rencontré beaucoup de médecins remarquables sur lesquels elle a pu s’appuyer dans son combat.

    La douceur de celui qu’elle appelle le docteur H qui lui a annoncé la terrible nouvelle et lui a indiqué l’hôpital où elle devrait se rendre dès le lendemain et la procédure qui s’enclencherait alors, est bouleversante.

    Quand tout ce qui devait être dit dans l’opérationnel avait été dit, Clémentine Vergnaud et sa mère pleuraient, le docteur H a alors entouré sa main avec ses deux mains et dit :

    « Un médecin n’a pas le droit de pleurer. »

    Par la suite, elle croisera encore plusieurs fois la route du Docteur H qui chaque fois sera présent et aidant.

    Elle détaille aussi ses démêlés avec la bureaucratie et les bugs informatiques de la Sécurité Sociale. Ce serait comique, si on ne baignait pas dans la tragédie.

    Elle a aussi cette formule qui me parait très juste :

    « Être malade, c’est un vrai boulot »

    Elle dit, à mon sens, des choses très importantes à comprendre.

    Elle explique qu’elle ne donne jamais précisément les dates de ses séances de scanner à ses proches, de peur d’être envahie par des questionnements incessants et immédiats. Alors que le diagnostic après le scanner doit être accueilli par le patient avec calme et paix. Il est possible qu’il lui « faille faire le deuil d’un traitement qui n’a pas fonctionné. »

    Et puis elle explique qu’elle a reçu l’annonce de sa maladie, comme une immense injustice, avec une révolte intense. Mais qu’avec le temps et les conseils de médecins avisés, elle a compris qu’elle devait faire une place à ses cellules malades, accepter de vivre avec elles pour avancer et faire reculer la maladie.

    Après des traitements qui l’ont beaucoup affaibli, fait souffrir et eu des conséquences collatérales telles qu’ils ne pouvaient être poursuivis, l’Hôpital Paul-Brousse lui a proposé un traitement innovant qui a pu améliorer son état de santé et stabiliser sa maladie.

    Et c’est Clémentine Vergnaud qui a rapporté avec force et sagesse cette phrase de sa mère, ancienne infirmière :

    « La mort est au bout du chemin, mais elle s’est un peu éloignée. »

    Depuis la mise en ligne de son podcast, la journaliste a reçu des centaines de messages de soutien.

    « On m’écrit des tas de choses. Cela peut être des malades qui me disent qu’ils se sentent enfin moins seuls : Je me sens compris, vous avez mis des mots sur nos maux. Cela peut-être des proches de malades aussi »,

    Elle a aussi rapporté l’histoire de l’amie d’une femme atteinte d’un cancer :

    « J’ai écouté votre podcast juste avant de dîner avec elle et maintenant, je sais quoi lui dire. »

    Voici le <Lien> vers la Page présentant les 10 podcasts : « Ma vie face au cancer : le journal de Clémentine. »

    Un monument d’humanité !

    <1752>

  • Mercredi 14 juin 2023

    « Il faut de l’apaisement, il faut de la stabilité. Il faut rétablir des ponts et réparer les fractures et ne pas les creuser davantage. »
    François Ruffin, député LFI de la Somme, à propos de la société politique française

    François Ruffin était l’invité de France Info le 1er juin 2023.

    <Il répondait aux questions de Marc Fauvelle et Salhia Brakhlia>.

    A une des questions, il a répondu :

    « Pour moi, le cœur du sujet, c’est le travail, c’est le partage des richesses, c’est la démocratie. On a une société profondément fracturée en France. Le résultat des dernières élections n’est pas le fruit du hasard (….)

    Dans ce climat de tension, d’épuisement des esprits, il faut de l’apaisement, de la stabilité ».

    En tout cas, c’est ainsi que l’a résumé Jean Leymarie dans son « Billet Politique » : <La gauche a-t-elle le sens du progrès ?>

    Quelle était la question ?

    La question était de savoir s’il était prioritaire pour la Gauche, dans l’hypothèse où elle arrivait au pouvoir, de voter une loi pour permettre à des jeunes de 16 ans de changer de genre, sans l’accord de leurs parents ?

    Ce débat avait divisé la gauche espagnole. Le parti PODEMOS l’a imposé et une Loi espagnole le permet désormais.

    Pour être le plus précis possible je cite « Le Monde » du <16/02/2023>

    « Les députés espagnols ont adopté définitivement, jeudi 16 février 2023, une loi permettant de changer librement de genre dès 16 ans. Cheval de bataille du parti de gauche radicale Podemos, allié des socialistes au sein du gouvernement de Pedro Sánchez, cette loi dite « transgenre » permet aux personnes qui le souhaitent de faire changer leur genre sur leurs papiers d’identité via une simple déclaration administrative dès l’âge de 16 ans.

    Il ne sera donc plus nécessaire de fournir des rapports médicaux attestant d’une dysphorie de genre et des preuves d’un traitement hormonal suivi durant deux ans, comme c’était le cas jusqu’ici pour les personnes majeures. Le texte – adopté par 191 voix contre 60 et 91 abstentions – étend également ce droit aux 14-16 ans, à condition qu’ils soient accompagnés dans la procédure par leurs tuteurs légaux, ainsi qu’aux 12-14 ans, s’ils obtiennent le feu vert de la justice. »

    Donc pour François Ruffin, cette évolution législative ne doit pas constituer une priorité pour la Gauche.

    Mais en disant cela, il s’oppose frontalement à Jean-Luc Mélenchon qui souhaite inscrire la possibilité de changer de genre dans la Constitution.

    Dès lors, les « Insoumis », au moins celles et ceux qui s’expriment ont vivement critiqué François Ruffin.

    <France Info> rapporte :

    « Une fois l’extrait diffusé sur le compte Twitter de franceinfo, les premières critiques fusent. Quelques heures plus tard, le compte “Le coin des LGBT+”, aux près de 48 000 abonnés, relaye la vidéo, assorti de ce commentaire : “François Ruffin ne veut pas d’une loi permettant de changer plus facilement sa mention de genre car il faut ‘de l’apaisement’ pour que son parti accède au pouvoir”.

    Dans la foulée, François Ruffin se voit critiqué par ses pairs, sur le même réseau social. “Ce n’est en rien une position de La France insoumise ni du groupe parlementaire”, recadre la députée Sophia Chikirou, proche de Jean-Luc Mélenchon. “Ce propos, en ce jour, est au mieux maladroit, au pire une faute politique”, cingle-t-elle. […]

    Dans un tweet, le député LFI Antoine Léaument rappelle que le programme de son parti prévoit de “garantir le droit au changement de la mention du sexe à l’état civil, librement et gratuitement devant un officier d’état civil, sans condition médicale »

    Si bien que François Ruffin se sent obligé de faire marche arrière :

    Il twitte :

    « Ma réponse sur le genre, ça va pas ».

    Puis ajoute :

    « Sur ce sujet [des droits LGBT+] comme sur pas mal d’autres, en toute humilité, je dois progresser »

    Cela rappelle furieusement la culture de l’autocritique pratiquée dans les partis et régimes communistes d’antan.

    Mais revenons exactement au verbatim de l’interview de France Info :

    Marc Fauvelle contextualise et pose sa question

    « En Espagne, votre allié, le parti PODEMOS a pris une claque aux élections locales. 3% des voix seulement ! Certains électeurs ont, semble-t-il, considéré que PODEMOS qui gouverne avec les socialistes avait mis en place des lois trop clivantes. Comme par exemple la Loi qui permet de changer librement de genre à 16 ans, sans l’accord des parents. Est-ce que vous feriez la même chose en France ?

    Réponse de François Ruffin :

    « Je vous l’ai dit que pour moi le cœur du sujet, c’est le travail, c’est le partage des richesses, c’est la démocratie. »

    Marc Fauvelle :

    « Ce n’est pas les lois de société ? »

    François Ruffin

    « Je pense qu’on a une société qui est profondément fracturée en France. Le résultat des dernières élections ne sont pas le fruit du hasard.

    Il y a un bloc libéral, central qui s’effrite dans la durée, il y a un bloc d’extrême droite, il y a un bloc de gauche. Dans ce climat là de tension, d’épuisement des esprits, qu’est-ce qu’il faut ? Il faut de l’apaisement, il faut de la stabilité. Il faut rétablir des ponts et réparer les fractures et ne pas les creuser davantage. Je pense que dans ce cadre-là, on ne devra pas faire tout ce qui nous passe par la tête. Tout ce qu’on souhaite. Tout ce qui est peut-être, même, bon en soi. Mais il faudra chercher les chemins qui permettent de réconcilier la société.

    Marc Fauvelle :

    « Pas de loi qui fracture la société, cela veut dire par exemple pas de GPA. Pas de Loi sur le genre.

    François Ruffin

    « Je ne suis pas personnellement favorable à la GPA. Mais je ne crois pas que c’est ça qu’on doit placer au cœur de notre projet. C’est clair. Après il y a des choses sur lesquelles ont peut chercher à avancer avec précaution, avec sagesse, il faut avancer avec tendresse, avec compréhension à l’égard de l’opposition »

    Marc Fauvelle :

    « Si vous étiez au pouvoir, vous ne feriez pas la Loi sur la Fin de vie ?

    François Ruffin

    « Si ! En tout cas ouvrir la réflexion sur la fin de vie. Écouter les avis des français. Demander ce qu’ils en pensent. Demander comment ils vivent la fin de vie de leurs parents, comment ils appréhendent leur propre fin de vie. Est-ce qu’il a des choses à aménager ? […] Bien sûr pour aboutir à un texte à la fin.

    Je crois qu’il y a des tas de sujets où on peu chercher…Emmanuel Macron fait des Lois qui reposent su 1/3 ou 1/4 des français. Ben non, il faut chercher les 2/3 ou le 3/4 des français pour avancer avec l’ensemble de la société.

    Je crois qu’il y a un sujet sur lequel la société recule depuis 40 ans, c’est le travail, à cause de la mondialisation.

    Je veux aussi qu’on montre tout ce sur quoi la société, elle avance. Elle avance avec des limites. Mais la reconnaissance de l’homosexualité, elle a avancé. Les lois sur le Handicap, ça a avancé. La place des femmes dans la société ça a avancé. Même des choses comme la sécurité routière ça a avancé.

    Je ne veux qu’on ait une vision sur ce qui se passe en France depuis 40 ou 50 ans comme étant une régression sur tous les points. »

    Et il dit encore que la Gauche doit rassurer, parler à toute la société et ne pas imposer une humiliation et ne pas mépriser ceux qu’elle ne convainc pas.

    Je dois dire que je suis d’accord sur tous ces points avec François Ruffin.

    Je veux dire que je suis d’accord avec la version originale pas celle de l’auto-critique.

    Une majorité de français a voté Emmanuel Macron pour faire barrage à Le Pen. Mais, lui avait mis pour priorité une Loi brutale et non négociable sur la retraite.

    Il ne faudrait pas que les français votent pour la Gauche pour plus de justice sociale, une amélioration de la vie au travail, un programme écologique plus offensif et structuré et qu’au final la priorité soit la Loi sur le genre.

    Je pense d’ailleurs que ce type de projet servirait de repoussoir pour beaucoup de français.

    Au fond, je suis plein de doutes. Je pense à l’« l’homo deus » de Yuval Noah Harari.

    L’individualisme poussé à l’extrême ! L’individu doit pouvoir tout choisir, même son genre et son sexe. Rien ne saurait lui être opposé comme limite ou contrainte.

    Est-ce ainsi qu’on peut faire société ?

    Or, il faut faire société, si on veut pouvoir faire face aux défis qui sont là.

    Et plus encore pour pouvoir faire vivre un État social, il faut faire société, une assemblée d’individus ne le permet pas.

    Dans le mot du jour du <12 septembre 2014> j’avais cité Emile Durkheim

    « Pour que les hommes se reconnaissent et se garantissent mutuellement des droits, ils faut qu’ils s’aiment et que pour une raison quelconque ils tiennent les uns aux autres et à une même société dont ils fassent partie. »

    C’est pourquoi le propos de François Ruffin : il vaut chercher à avancer avec l’ensemble de la société, me parait très sage.

    Jean Leymarie finit son billet politique par cette conclusion :

    « Quels “progrès” la gauche veut-elle porter ? Que considère-t-elle comme un “progrès”, d’ailleurs ? Des mesures sociétales, bien sûr – depuis quelques années, elle les met beaucoup en avant. Mais est-ce que ça suffit ? Il y a dix ans, le mariage pour tous, défendu par François Hollande, était une mesure d’égalité. Un progrès, largement admis aujourd’hui, y compris à droite. Ce progrès n’a pas empêché la désillusion de nombreux électeurs, en tout cas de ceux qui voulaient d’abord des mesures sur le travail, sur la fiscalité.

    Finalement, quels sont les marqueurs de la gauche ? Ceux qui feront revenir ses électeurs perdus ? Une grande partie d’entre eux – des ouvriers, des employés notamment – réclame plus de justice sociale. Ça ne signifie pas que la gauche doit balayer tout le reste. Mais si elle veut convaincre, et si elle veut s’unir, il faudra qu’elle soit claire. Elle doit choisir ses combats. »

    <1751>

  • Vendredi 9 juin 2023

    « Sans le dire, sans en débattre, les pays industriels ont « choisi » la croissance et le réchauffement, et s’en sont remis à l’adaptation. »
    Jean-Baptiste Fressoz

    La Statue de la Liberté est entourée d’une brume due aux incendies de forêt qui font rage dans les provinces canadiennes du Québec et de la Nouvelle-Écosse à plus de 1000 km de New York.

    C’est une photo qu’on peut voir sur le site de la grande chaîne de télévision américaine <NBC>.

    Cette chaîne précise que les autorités de l’État de New York ont déclaré plusieurs zones, dont la région métropolitaine de New York et Long Island, comme ayant une qualité de l’air « malsaine pour les groupes sensibles ».

    Plus personne ne conteste que le nombre et l’importance de ces « méga-feux » sont la conséquence directe du réchauffement climatique.

    Une végétation sèche, des records de températures et des vents puissants : cette accumulation de phénomènes météorologiques explique ces feux de forêts d’une ampleur inédite.

    Dans un article du 8 juin « L’OBS » parle « d’incendie jamais vus »

    Et cite la porte-parole de la Maison Blanche Karine Jean-Pierre, mercredi,

    « Cet événement est « un autre signe inquiétant de la manière dont la crise climatique affecte nos vies ».

    Même la Présidence des États-Unis, encore faut il que ce ne soit pas Trump ou un de ses affidés qui occupent le bureau ovale, reconnait désormais ce fait

    Simultanément, nous avons appris que selon les scientifiques, Il est trop tard pour sauver la banquise estivale de l’Arctique.

    En hiver, jusqu’à présent elle atteignait son maximum en mars et couvrait la quasi-totalité de l’océan Arctique, soit plus de 15,5 millions de kilomètres carrés.

    Des étés sans glace en Arctique semblent désormais inévitables, même avec de fortes réductions des émissions de gaz à effet de serre, estiment plusieurs scientifiques dans une étude publiée dans la revue « Nature Communications ».

    <Ouest France> cite Dirk Notz de l’université de Hambourg, co-auteur de cette étude sur les glaces de mer de l’Arctique :

    « Les scientifiques ont alerté sur cette disparition pendant des décennies et c’est triste de voir que ces mises en garde n’ont pour l’essentiel pas été écoutées. Maintenant, c’est trop tard. »

    « Le Monde » a publié le 7 juin : <L’Arctique pourrait être privé de banquise en été dès les années 2030> et cite un autre co-auteur de cet article : Seung-Ki Min, des universités sud-coréennes de Pohang et Yonsei :

    « La disparition de la glace « accélérera le réchauffement arctique, ce qui peut augmenter les événements météorologiques extrêmes aux latitudes moyennes, comme les canicules et les feux de forêts ».

    Dans ce contexte, j’ai lu avec d’autant plus d’attention l’article de Jean-Baptiste Fressoz, historien et chercheur au CNRS, publié le 7 juin par « Le Monde » : « Les pays industriels ont «choisi» la croissance et le réchauffement climatique, et s’en sont remis à l’adaptation »

    Jean-Baptiste Fressoz explique que dès la fin des années 1970, les gouvernements des pays industriels, constatant l’inéluctabilité du réchauffement, ont délibérément poursuivi leurs activités polluantes quitte à s’adapter à leurs effets sur le climat.

    J’avais déjà évoqué lors du <mot du jour du 9 mai> que le gouvernement avait engagé une réflexion sur les possibilités de s’adapter à un réchauffement à 4°C à la fin du siècle.

    Jean-Baptiste Fressoz s’insurge contre la thèse que cette idée de s’adapter soit nouvelle :

    « Mais feindre la surprise donne l’impression d’avoir essayé : l’adaptation serait donc le résultat d’un échec, celui de nos efforts de transition. Or, ce récit moralement réconfortant est une fable. En réalité, l’adaptation a été très tôt choisie comme la stratégie optimale. »

    Et il cite un groupe de réflexion d’origine militaire proche de la Maison Blanche qui dès novembre 1976, il y a près de 50 ans, organisait un congrès intitulé « Living with Climate Change : Phase II ». Dans le préambule du rapport qu’ils avaient produit alors, il considérait le réchauffement comme inexorable.

    Et il cite encore :

    « En 1983, le rapport « Changing Climate » de l’Académie des sciences américaine […] Le dernier chapitre reconnaissait l’impact du réchauffement sur l’agriculture, mais comme son poids dans l’économie nationale était faible, cela n’avait pas grande importance. Concernant les « zones affectées de manière catastrophique », leur sacrifice était nécessaire pour ne pas entraver la croissance du reste du pays, même s’il faudra probablement les dédommager. »

    Même Margareth Thatcher s’était intéressé » au sujet tout en baissant les bras :

    « Au Royaume-Uni, un séminaire gouvernemental d’avril 1989 exprimait également bien ce point de vue. La première ministre Margaret Thatcher (1979-1990) avait demandé à son gouvernement d’identifier les moyens de réduire les émissions. Les réponses vont toutes dans le même sens : inutile de se lancer dans une bataille perdue d’avance. On pourrait certes améliorer l’efficacité des véhicules, mais les gains seraient probablement annihilés par ce que les économistes définissent comme les « effets rebonds ».

    Ce qui amène Jean-Baptiste Fressoz à cette conclusion :

    « Sans le dire, sans en débattre, les pays industriels ont « choisi » la croissance et le réchauffement, et s’en sont remis à l’adaptation. Cette résignation n’a jamais été explicitée, les populations n’ont pas été consultées, surtout celles qui en seront et en sont déjà les victimes. »

    Jean-Baptiste Fressoz était aussi l’invité des matins de France Culture du 8 juin 2023 consacré à ce groupe de militants écologiques révoltés par l’inaction des décideurs : « Les Soulèvements de la terre  »

    Ces militants pensent que seules les actions d’éclat, voire la violence permet que l’on parle des sujets essentiels qui concernent la vie d’homo sapiens sur terre.

    Et il est vrai qu’avant cela je n’avais pas beaucoup entendu parler de la captation de la ressource en eau dans des mega-bassines destinées pour l’essentiel à aider à produire du maïs pour nourrir du bétail destiné à l’exportation.

    Alors qu’est ce qui est le plus juste ? Parler d’« écoterrorisme » ou d’« écocide » ?

    Ce qui apparait assez clairement c’est que les décideurs continuent à vouloir faire perdurer le système économique et agricole qui nous a conduit dans cette situation. Les « mégas bassines » ne sont qu’un exemple parmi d’autres de l’entêtement et de cette stratégie qui consiste à penser que nous arriverons bien à nous adapter.

    Mais les décideurs ne sont pas seuls en cause.

    Savez vous que par exemple Jean-Marc Jancovici qui réfléchit et calcule, a donné comme indication que si on voulait conserver un réchauffement climatique « raisonnable » à 2°C (mais est ce raisonnable ?) concernant les vols en avion, avec le système énergétique actuel de l’aviation, il fallait qu’en moyenne chaque être humain ne dépasse pas 4 vols d’avion dans sa vie. Ce chiffre pour donner une vision de l’exigence écologique.

    Alors on parle d’écologie punitive !

    Mais sommes-nous conscients de ce qui est en train de nous arriver ?

    Sommes-nous prêts à nous adapter à cette situation ?

    Ne serait-il pas plus raisonnable d’essayer de la limiter au maximum ?

    Dans ce cas il faut vraiment interroger la croissance.

    Mais pour ce faire, je crois qu’aucune évolution ne sera possible si nous ne parvenons pas à diminuer les inégalités et l’injustice de la répartition des richesses dans ce monde.

    Et c’est bien les riches qui, dans ce cadre là, doivent faire le plus d’efforts. Je parle des très riches évidemment, mais aussi de nous, membres de la classe moyenne des pays occidentaux qui sommes riches par rapport à la moyenne mondiale.

    Sinon, on peut considérer que c’est d’abord aux autres à faire les efforts et continuer comme avant avec cette supplique de Madame du Barry :

    « Encore un instant Monsieur le Bourreau ».

    Pour finir cette autre photo de New York, le Washington Bridge, publié par le <Financial Times> le 8 juin 2023


    <1750>

  • Jeudi 1er juin 2023

    « Klaus Mäkelä dirige Chostakovitch dans la Philharmonie de Paris»
    Mot du jour éphémère

    Le concert que nous avons vécu avec Annie et dont j’ai fait le mot du jour du <vendredi 12 mai 2023> n’a pas été enregistré. :

    Mais le concert suivant que l’Orchestre de Paris sous la Direction de Mäkelä a joué a été filmé par ARTE et existe en replay.

    Il est en ligne jusqu’au 30 novembre 2023.

    Ce mot du jour n’ayant que vocation à renvoyer vers cet enregistrement, il deviendra donc obsolète le 1er décembre d’où sa vocation éphémère.

    Voici le Programme de ce concert :

    Dmitri Chostakovitch :

    • Suite pour orchestre de jazz n° 2
    • Concerto pour violoncelle n° 2

    Entracte

    William Walton

    • Belshazzar’s Feast.

    La première œuvre est particulière et très accessible au plus grand nombre. Ce qui constitue une particularité dans l’œuvre de Chostakovitch

    Un des mouvements de cette œuvre (Valse N°2) est connue je crois de tous, puisqu’il a été utilisé dans plusieurs publicité notamment de la <CNP> et puis dans des films comme <Le Guépard> de Luchino Visconti et la scène d’ouverture du dernier film de Stanley Kubrick < Eyes wide shut >

    Il commence dans l’enregistrement de Mäkelä à 19 :50

    Après cette introduction, un autre chef d’œuvre de Chostakovitch, un peu plus ardu, le 2ème concerto de violoncelle avec la lumineuse Sol Gabetta.

    Bien qu’il n’est pas possible de comparer cette vidéo avec le Live, il me semble qu’elle permet de percevoir cette extraordinaire symbiose entre le jeune chef et l’Orchestre de Paris. Ce sont des interprétations superlatives, encore une fois.

    Je ne dirai rien de l’œuvre du britannique William Walton en seconde partie, sinon que j’y suis moins sensible…

    Donc vous trouverez cela dans le Replay des concerts ARTE.

    Sur Internet vous trouverez cela sur le site de la <Philharmonie Live> et sur le site d'<ARTE>

    <Mot du jour éphèmère>

  • Mercredi 17 mai 2023

    « Être soi-même ne devrait jamais être un crime. » »
    António Guterres Secrétaire général de l’ONU dans son message du 11 mai 2023

    Avant on parlait d’homophobie, et le 17 mai était désigné par l’ONU comme « La journée internationale contre l’homophobie »

    Désormais, l’ONU parle, en 2023, de « La Lutte contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie »

    Le Conseil de l’Europe, en est resté à la première appellation : « Journée internationale contre l’homophobie »

    Une journée internationale (ou journée mondiale) est un jour de l’année dédié à un thème particulier à un niveau international ou mondial. Le calendrier de l’Organisation des Nations unies en prévoit plus de 140.
    La date choisie a toujours un rapport avec l’objet de la journée.
    Ainsi, la première ayant été instituée, le fut en 1950 : « La journée mondiale des droits de l’homme » fut fixée au 10 décembre.

    L’explication tient au fait que le 10 décembre 1948, l’Assemblée générale des Nations unies avait adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme.

    Alors pourquoi le 17 mai, pour lutter contre l’Homophobie ?

    Parce que le 17 mai 1990 l’Organisation Mondiale de la Santé a décidé de ne plus considérer l’homosexualité comme une maladie mentale !

    Ce n’est pas très ancien, 1990, c’était il y a 33 ans !

    La France l’avait fait en 1981 avec l’arrivée de la Gauche et de Mitterrand au pouvoir. Ce n’était que 9 ans avant…

    La journée est originaire du Québec. La Fondation Émergence a créé en 2003 la première journée nationale contre l’homophobie.
    Mais la première journée, organisée à un niveau international, eu lieu le 17 mai 2005 grâce à Louis-Georges Tin, un professeur et activiste français. Il a été le président du Comité IDAHO (du nom de la journée en anglais, International Day Against Homophobia and Transphobia) entre 2005 et 2013.

    Dans son message du 11 mai 2023 qui annonçait la journée du 17 mai, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, disait :

    « Alors que nous célébrons la Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, la constatation est saisissante. Partout dans le monde, les personnes LGBTQI+ continuent de connaître la violence, la persécution, les discours haineux, l’injustice, voire le meurtre pur et simple.

    Parallèlement, des lois rétrogrades continuent de criminaliser les personnes LGBTQI+ dans le monde, les punissant du simple fait d’être elles-mêmes.

    Chaque agression contre les personnes LGBTQI+ est une agression contre les droits humains et les valeurs qui nous sont chères.

    Nous ne pouvons pas faire marche arrière et nous ne le ferons pas.

    L’ONU soutient fermement la communauté LGBTQI+ et ne cessera son action que lorsque les droits humains et la dignité seront une réalité pour toutes les personnes.

    Je demande à nouveau à tous les États Membres de respecter la Déclaration universelle des droits de l’homme et de mettre fin à la criminalisation des relations consensuelles entre personnes du même sexe et à celle des personnes transgenres. Être soi-même ne devrait jamais être un crime. »

    Pour ceux qui ne connaissent pas précisément le sigle LGBTQI+, en voici le détail : Par L, on entend « Lesbiennes », par G « Gays », par B « Bisexuel·le·s », par T « Trans », par Q « Queers », par I « Intersexué·e·s », par A « Asexuel·le·s » ou « Aromantique·s » et le + inclut les nombreux autres termes désignant les genres et les sexualités. Plus précisément Queer, en anglais, signifie bizarre, inadapté, C’est le mot que l’on lançait à ceux qui n’étaient pas assez masculins, aux femmes aux allures de garçonnes, aux êtres dont le genre brouille les pistes. Bref, ce sigle entend englober toutes les tendances sexuelles.

    Mais dans le monde cette journée n’est célébrée que dans environ 60 Etats. C’est ce qu’on lit sur ce <site> qui rappelle aussi que la dernière exécution par la France s’est déroulée, à Paris, en Place de grève (c’est-à-dire la Place de l’Hôtel de Ville) le 6 juillet 1750 : Bruno Lenoir et Jean Diot furent brulés après avoir été étranglés.

    Le site de la journée mondiale nous apprend que :

    « Dans 72 états au moins, les actes homosexuels sont condamnés par la loi (Algérie, Sénégal, Cameroun, Ethiopie, Liban, Jordanie, Arménie, Koweït, Porto Rico, Nicaragua, Bosnie…) ; dans plusieurs pays, cette condamnation peut aller au-delà de dix ans (Nigeria, Libye, Syrie, Inde, Malaisie, Cuba, Jamaïque…) ; parfois, la loi prévoit la détention à perpétuité (Guyana, Ouganda). Et dans une dizaine de nations, la peine de mort peut être effectivement appliquée (Afghanistan, Iran, Arabie Saoudite…).
    En Afrique, récemment, plusieurs présidents de la république ont brutalement réaffirmé leur volonté de lutter personnellement contre ce fléau selon eux “anti-africain “. Dans d’autres pays, les persécutions se multiplient. Au Brésil par exemple, les Escadrons de la mort et les skin heads sèment la terreur : 1960 meurtres homophobes ont pu être recensés officiellement entre 1980 et 2000. Dans ces conditions, il paraît difficile de penser que la “tolérance” gagne du terrain. Au contraire, dans la plupart de ces Etats, l’homophobie semble aujourd’hui plus violente qu’hier. La tendance n’est donc pas à l’amélioration générale, tant s’en faut. »

    En effet, l’homophobie semble ne pas régresser sur une grande partie de l’humanité. Poutine est parmi ceux qui sont ouvertement homophobes et qui dénoncent la lutte contre l’homophobie comme une valeur occidentale qu’il faut combattre.<En Ouganda> le Président Yoweri Museveni vient de promulguer une loi anti-homosexualité 2023. Joe Biden a dénoncé une « atteinte tragique » aux droit humains.

    Au Maroc, une enseignante d’une classe de CM1 de l’école primaire française Honoré-de-Balzac de Kénitra, dans laquelle elle travaillait depuis 30 ans, a été suspendue suite à la plainte de parent d’élèves pour soi-disant « apologie de l’homosexualité ». La majorité des parents la soutiennent et considèrent cette sanction comme une injustice.

    Mais <Libération> précise :

    « Apologie de l’homosexualité». Au Maroc, l’accusation est grave. Dans un pays où l’homosexualité est punie jusqu’à trois ans d’emprisonnement, la « propagande LGBT» est considérée comme une atteinte à la religion et est donc encore plus sévèrement condamnée, avec des peines allant de trois à cinq ans de prison. »

    L’affaire est devant la justice marocaine.

    J’en avais déjà parlé lors du <mot du jour du 14 septembre 2022>, comme chaque année, le monde du football a organisé la journée dédiée à la lutte contre l’homophobie, pour laquelle il était demandé que les joueurs des 20 équipes de Ligue 1 arborent un maillot floqué de l’arc-en-ciel des fiertés LGBT, en marque de soutien.

    Plusieurs joueurs ont comme l’année dernière refusé de porter ce brassard et ont alors été écarté par leur club et n’ont pas joué lors de cette journée. Parmi eux je citerais le marocain jouant à Toulouse Zakaria Aboukhlal parce qu’il a essayé de justifier sa position :

    « Je tiens à souligner que j’ai la plus grande estime pour chaque individu, quels que soient ses préférences personnelles, son sexe, sa religion ou ses origines. c’est un principe que l’on ne soulignera jamais assez. Le respect est une valeur que j’estime beaucoup. Il s’étend aux autres mais comprend également le respect de mes propres croyances personnelles. Par conséquent, je ne crois pas être la personne la plus appropriée pour participer à cette campagne. J’espère sincèrement que ma décision sera respectée, tout comme nous souhaitons tous d’être traités avec respect. »

    La campagne dont il parle ne lui demande pas de devenir homosexuel, mais simplement de rejeter toute forme de discrimination à leur égard.

    Dans « L’Equipe » du 16 mai 2023, on peut lire la réponse d’un ancien joueur de Toulouse, Ouissem Belgacem, franco-tunisien et qui revendique la même religion musulmane que Zakaria Aboukhlal :

    « [Je ne le comprends pas] Il est en train de dire : « Je suis homophobe et respectez-moi » Sauf que dans notre pays, l’homophobie est punie par la loi. C’est décevant et lâche. Il y a des millions de Français de confession musulmane qui n’ont aucun problème avec l’homosexualité. En faisant ce choix, il nourrit [le sentiment anti musulman] en France. […] Les gens vont conclure que ce n’est pas le football qui a un problème avec l’homosexualité mais les footballeurs musulmans »

    Ouissem Belgacem a écrit un livre « Adieu ma honte » dans lequel il parle de son homosexualité et du monde du football par rapport à ce sujet. Dans l’article il a encore cette formule : « Raciste ou homophobe, c’est pareil. »

    L’homophobe qui demande le respect s’est trouvé mêlé à une autre histoire de respect. Cet épisode est aussi relaté dans l’Equipe.

    Comme le club de Toulouse avait gagné la Coupe de France, la Mairie de Toulouse avait organisé une fête dans ses locaux. Et pendant le discours du Maire, avec d’autres joueurs il faisait beaucoup de bruit. Alors, Laurence Arribagé, adjointe aux Sports à la mairie de Toulouse, leur a demandé de faire moins de bruit.

    Zakaria Aboukhlal  a alors interpellé l’élue toulousaine par ces mots :

    «  Dans mon pays les femmes ne parlent pas aux hommes comme cela »

    Cet individu veut donc que l’on respecte son homophobie et que la femme respecte l’homme en ne le critiquant jamais.

    Cette vision du « respect » ne me parait pas très respectable.

    Mais aux États-Unis, dans certains États, la situation est tout aussi préoccupante.

    En Floride, le gouverneur Ron Santis qui a pour ambition de gagner les primaires républicaines contre Trump, puis de devenir Président des Etats-Unis, s’est attaqué aux livres dans les écoles qui font mention de l’homosexualité, il a aussi attaqué Walt Disney qu’il juge trop inclusif.

    Et maintenant comme le révèle <France Info> il entend aller plus loin et publier une Loi prévoyant que les médecins auraient la possibilité d’opposer une clause de conscience, leur permettant de refuser de soigner un patient si celui-ci n’est pas en phase avec leur vision des mœurs. « Je ne peux pas vous soigner, votre orientation sexuelle me l’interdit »

    Ceci me conduit à deux conclusions :

    • Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites !
    • Les fondamentalistes de toutes les religions se rejoignent dans leur intolérance et leur rejet de ceux qu’ils accusent d’être déviants, alors qu’ils ne sont que différents de ce que leur raconte le récit auquel ils adhérent.

    <1749>

  • Vendredi 12 mai 2023

    « Symphonie n°7 « Leningrad » »
    Dimitri Chostakovich

    Une nouvelle fois, ce jeudi 11 mai 2023, Annie et moi avons pris le train pour aller à Paris.

    Notre destination était ce joyau posé au bord du périphérique, dans la partie sud-est du parc de la Villette, face à la Grande Halle de la Villette, à côté de la Cité de la musique et à proximité de la Porte de Pantin : La Philharmonie de Paris.

    Cette œuvre architecturale, attribuée à Jean Nouvel, a été inaugurée le 14 janvier 2015.

    Et depuis la 1ère saison 2015/2016, nous avons, avec Florence, souscrit chaque année un abonnement, jusqu’à la période COVID en 2020, pendant laquelle la moitié de nos concerts a été annulée.

    Nous n’avons repris notre abonnement que pour 2022/2023 et le concert du jeudi 11 mai était le dernier de la saison.

    Je parle de joyau, parce que le geste architectural crée la curiosité et attire le regard.

    On a envie de s’en approcher, d’en faire le tour et bien sûr d’y pénétrer.

    Cet objet constitue l’antithèse du monde des diamants.

    Dans une bijouterie l’écrin accueille le joyau.

    Ici, au bord du parc de la Villette, le joyau renferme un écrin qui accueille et magnifie les symphonies de sons que la musique des humains est capable d’ériger.

    Cet écrin, cette salle de concert de 2400 places a pour nom : salle Pierre Boulez.

    Car c’est le compositeur et chef d’orchestre Pierre Boulez qui voulait et qui plaidait pour que les institutions culturelles créent ce lieu, à Paris.

    Pierre Boulez a pu visiter le chantier mais n’a jamais vu le résultat final.

    Début 2015, malade, quasi aveugle, le musicien qui vivait à Baden-Baden en Allemagne, n’a pas pu venir à Paris.

    Il est mort, un an plus tard le 5 janvier 2016. Alors, il a été décidé d’appeler l’écrin du nom de cet homme.

    Mais Boulez aurait-il apprécié le concert que nous avons vécu ce jeudi, car le cœur du programme était constitué par la 7ème symphonie de Chostakovitch, celle qui a pour nom « Léningrad » ?

    Or Boulez considérait Chostakovitch comme un compositeur de seconde zone : « un succédané de Mahler ». Et il avait précisé sa pensée dans un quotidien britannique :

    « C’est comme pour les huiles d’olive : il y a les premières pressions et les autres. Je dirais que Chostakovitch est une deuxième ou troisième pression de Mahler. »

    J’ai entendu récemment Daniel Barenboïm qui, dans des termes plus mesurés que son grand ami Boulez,  jugeait Chostakovitch avec la même sévérité.

    Christian Merlin a consacré, la semaine du 15 mai 2023, 4 émissions à la musique orchestrale de Chostakovitch. Dans une de ses émissions il a cité Herbert von Karajan qui a dit :

    « Si j’étais compositeur, je composerais comme Dimitri Chostakovitch »

    Pour ma part, je suis résolument d’accord avec Karajan. J’avais déjà fait remarquer que Boulez disait beaucoup de bêtises sur les autres compositeurs. Dans ma série sur Schubert  je l’avais cité dans cette phrase indéfendable :

    « Si Schubert a écrit une seule note de musique, cela veut dire que je n’ai rien composé du tout. »

    Ma conclusion fut :

    « Si on prend cette phrase au premier degré, je pense que c’est la deuxième proposition qui est la plus vraisemblable. »

    Nous avons donc eu la grâce d’entendre cette symphonie qui a pour nom « Léningrad ». Le compositeur Dimitri Chostakovitch (1906–1975) a terminé cette symphonie le 27 décembre 1941 et l’a dédiée à sa ville natale, attaquée depuis seize semaines. Léningrad est assiégée pendant 900 jours par l’Allemagne nazie, et environ un tiers de la population urbaine d’avant-guerre est tuée.

    Le journal canadien « Le Devoir » écrit dans un article de 2018 : < La «Leningrad» de Chostakovitch: une symphonie pour l’humanité> :

    « Bien des épisodes liés à la symphonie « Leningrad » sont épiques. Lorsque Chostakovitch joua au piano les trois premiers mouvements à des amis le 17 septembre 1941, le siège de la ville venait de commencer. L’un des participants raconte le hurlement des sirènes, Chostakovitch évacuant sa femme et ses deux enfants à l’abri et continuant de jouer au piano dans le vacarme de la défense antiaérienne. « Pour finir, il rejoua l’ensemble […]. En rentrant, nous aperçûmes du tramway les lueurs de l’incendie […]. Encore sous le coup du noble pathos de cette symphonie, nous ressentions avec une acuité toute particulière l’absurdité de ce qui nous entourait. »

    « Wikipedia » a consacré un article à la « Création à Léningrad de la symphonie no 7 de Chostakovitch ». C’est une page d’Histoire absolument incroyable et unique, il me semble que tout homme de culture et d’Histoire, même celles et ceux qui ont des difficultés avec la musique classique devrait lire cette page d’Histoire que j’essaie de résumer. :

    Chostakovitch prévoyait que la création de la symphonie reviendrait à la Philharmonie de Léningrad, mais l’ensemble est évacué. La première mondiale est donnée à Kouïbychev aujourd’hui Samara, le 5 mars 1942.

    Puis la symphonie sera jouée le 29 mars à Moscou.

    La partition de la symphonie sera microfilmée pour s’envoler pour Téhéran en avril, afin de permettre sa publication à l’Ouest. Elle est créée à Londres, le 22 juin par le London Philharmonic Orchestra. Et puis la première américaine aura lieu, le 19 juillet 1942, par le plus illustre chef d’orchestre vivant Arturo Toscanini dirigeant son Orchestre symphonique de la NBC.

    Mais l’État soviétique parviendra finalement à faire jouer cette symphonie dans la ville de Léningrad assiégée dans la grande salle de la Philharmonie le 9 août 1942, jouée par le seul ensemble symphonique restant à Léningrad, après l’évacuation de la Philharmonie : L’Orchestre symphonique de la Radio de Léningrad — avec son chef Carl Eliasberg.

    Après bien des péripéties et une préparation d’une dureté dans les conditions de vie, la faim est omniprésente, dans le danger des combats et des bombardements, dans une discipline de fer imposée par le chef d’orchestre, le concert peut avoir lieu.

    « Le concert est donné dans la grande salle de la Philharmonie le 9 août 1942. C’est le jour désigné par Hitler pour célébrer la chute de la ville, avec un somptueux banquet à l’Hôtel Astoria de Léningrad. […]

    Le Lieutenant-Général Govorov commande un bombardement des positions de l’artillerie allemande avant le concert, dans une opération spéciale, avec le nom de code « Bourrasque ». Les agents du renseignement soviétique avaient localisé les batteries allemandes et les postes d’observation depuis plusieurs semaines, en préparation de l’attaque. Trois mille obus de fort calibre sont lancés sur l’ennemi. Le but de l’opération est d’empêcher les Allemands de cibler la salle de concert et de s’assurer qu’ils seraient assez silencieux pour laisser entendre la musique sur les haut-parleurs, dont la mise en place avait été ordonnée. Il a aussi encouragé les soldats soviétiques à écouter le concert à la radio. […]

    Un public important se rassemble pour le concert, composé de chefs du Parti, de militaires et de civils. Les citoyens de Léningrad, qui ne peuvent pas tous tenir dans la salle, sont rassemblés autour des fenêtres ouvertes et de haut-parleurs. […] L’exécution est de mauvaise qualité artistique, mais est marquée par les houles d’émotions du public, […]

    Le concert reçoit une ovation d’une heure, debout, Eliasberg recevant un bouquet de fleurs cultivées à Léningrad remis par une jeune fille. De nombreux auditeurs sont en larmes, en raison de l’impact émotionnel du concert, considéré comme une « biographie musicale des souffrances de Léningrad » […] Pendant le concert, les haut-parleurs diffusent la musique à travers la ville, ainsi qu’à destination des forces allemandes dans un mouvement de guerre psychologique, une « frappe tactique contre le moral des allemands ». Un soldat allemand s’est rappelé que son escadron a « écouté la symphonie des héros ». Eliasberg, quelque temps après, raconte que certains Allemands qui campaient à l’extérieur de Léningrad pendant le concert lui ont dit qu’ils avaient cru qu’ils ne pourraient jamais s’emparer de la ville : « Qui sommes-nous avec nos bombes ? Nous ne serons jamais en mesure de prendre Léningrad. » »

    Œuvre d’une puissance et d’une émotion incommensurable, les motivations de Chostakovitch sont ambigües et secrètes.

    Chostakovitch déclare à la Pravda le 19 mars 1942, à trois jours de la création moscovite :

    « J’ai songé à la grandeur de notre peuple, à son héroïsme, aux merveilleuses idées humanistes, aux valeurs humaines, à notre nature superbe, à l’humanité, à la beauté. […] Je dédie ma Septième Symphonie à notre combat contre le fascisme, à notre victoire inéluctable sur l’ennemi et à Leningrad, ma ville natale ».

    Très vite, Staline et les Soviétiques en font un instrument de propagande, l’un des symboles de la « Grande Guerre patriotique ». Il faut dire que les sous-titres prévus par Chostakovitch pour chacun des quatre mouvements allaient dans ce sens : « La guerre », « Souvenirs », « Les grands espaces de ma patrie » et « La victoire ».

    Par la suite, il retirera ces titres et dans ses Mémoires Chostakovitch amendera ses propos :

    « Je ne suis pas opposé à ce [qu’on l’appelle] Leningrad. Mais il n’y est pas question du siège de Leningrad. Il y est question du Leningrad que Staline a détruit. Et Hitler n’a plus eu qu’à l’achever. »

    Pour que cette œuvre puisse nous remplir de vibrations, d’énergie et d’émotion, il faut une interprétation superlative.

    Ce fut le cas ce jeudi 11 mai par un Orchestre de Paris transcendé par son jeune chef de 27 ans Klaus Mäkelä.


    J’avais déjà parlé de ce jeune chef lors du <mot du jour du 16 mai 2019> déjà à l’occasion d’une symphonie de Chostakovitch : la dixième. Je ne le connaissais pas alors, ni mon Ami Bertrand G. Mais à la fin du concert je lui avais envoyé un sms :

    « Tu en entendras parler c’est un chef exceptionnel. Surtout à son âge »

    Depuis il a été nommé directeur musical de l’Orchestre de Paris et peu de temps après, futur directeur musical d’un des quatre plus grands orchestres du monde : l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam.

    J’ai l’immodestie de prétendre que je n’ai pas besoin de lire l’avis des critiques musicaux pour savoir que j’ai assisté à un concert immense, exceptionnel, un moment d’éternité.

    Mais je peux quand même les citer quand ils expriment avec pertinence ce que j’ai ressenti :

    Ainsi Remy Louis dans « Diapason Mag » : <le Chostakovitch monumental de Klaus Mäkelä>

    « Le résultat est une interprétation monumentale de la Symphonie « Leningrad ». Monumentale par l’autorité, la force, l’intensité physique et sonore (littéralement terrifiante dans certains apogées), l’échelle dynamique vertigineuse, le contrôle des phrasés, la tenue et la cohérence expressive, sans un instant de baisse de tension, ni de trivialité sonore. Mais aussi par la finesse et la clarté magistrale de la structure, le raffinement des nuances et des transitions. […]

    Mais ce qui confirme que Mäkelä est un grand directeur musical, et pas seulement un très grand chef, c’est le niveau d’exécution de l’Orchestre de Paris, depuis des mois dans une forme éblouissante. Bois, cuivres et percussions sont admirables, on le sait. Mais jamais l’unité et l’homogénéité de texture des pupitres de cordes […] n’ont été aussi élevées. »

    Patrice Imbaud dans « Resmusica »

    « Véritable maelström orchestral cataclysmique engageant tout l’orchestre, superbement construit, riche en nuances, porté par une tension intense presque douloureuse qui achève en beauté cette exceptionnelle interprétation. »

    Hannah Starman sur le site « Toute la Culture » : « Une Septième de Chostakovitch terrifiante d’actualité à la Philharmonie de Paris » :

    « Klaus Mäkelä évoque l’aspect historique “absolument terrifiant” de la Symphonie N° 7 dont l’exécution demande une intense concentration et un investissement émotionnel hors norme. […] La conclusion est massive, expressive, fabuleusement cauchemardesque et interprétée par un chef et un orchestre qui ont tout donné. Le public éprouvé remerciera les musiciens épuisés avec une ovation debout plus que méritée. Une performance exceptionnelle !  »

    Et l’analyse que je préfère celle d’Alain Lompech sur le site « BACHTRACK »

    « Ce soir, l’ovation extraordinaire qui accueille le dernier accord ne doit rien au poids de l’histoire et tout à la puissance créatrice de Chostakovitch, qui provoque l’une de ces émotions collectives que seule la musique peut entraîner. La façon dont les musiciens de l’Orchestre de Paris et leur chef recréent cette Symphonie n° 7 donne à l’ouvrage un visage différent, pas moins intense mais comme résigné parfois, baigné par une lumière crépusculaire étreignante. D’une mobilité expressive incessante, tout entier dans son orchestre bien plus qu’il n’est devant lui et au-dessus de lui, le chef pulvérise les idées reçues : sa compréhension de la forme du propos, sa façon de diriger tout en laissant les musiciens libres de jouer, sa maîtrise du temps, de l’articulation, de la balance orchestrale, de l’art des transitions et de la dynamique, le naturel avec lequel il parvient à ordonner, sans qu’il y paraisse, le premier mouvement et plus encore cette heure et quart de musique fleuve, cinématographique jusque dans sa modulation et son crescendo conclusifs « babyloniens », dont il soulève cette œuvre gigantesque, parfois intime et implorante, jamais triviale ainsi dirigée et jouée font prendre conscience que cette musique issue du cœur retourne au cœur indépendamment de tout scénario, de toute image quand un chef l’aime pour ce qu’elle est. »

    Analyse qui finit par cette belle conclusion en forme de prière :

    « Et l’Orchestre de Paris à chaque note semble dire à son chef : « reste avec nous Klaus, on joue mieux ici qu’à Amsterdam »…

    A la fin du concert, un tout jeune homme assis à côté de nous, rempli d’émotion nous regarde et nous révèle : « Je n’ai jamais vécu quelque chose d’aussi puissant, cela n’a rien à voir avec le disque ».

    Sur la route vers la sortie un homme plus âgé m’approuve quand je dis que « l’Orchestre de Paris vit son âge d’or ».

    Je crois que ce serait très regrettable que les parisiens qui aiment la musique ou d’autres qui peuvent se rendre à la Philharmonie, négligent l’opportunité de participer à quelques moments de cet âge d’or.

    <1748>

  • Mardi 9 mai 2023

    « Excusez-moi ; Mais des gens aussi frivoles, aussi peu pratiques, aussi étranges que vous, je n’en ai jamais rencontré. !»
    Anton Tchekhov, La cerisaie Acte II, réplique de Lopakhine dans la traduction de Jean-Claude Carrière

    Dimanche 7 mai, nous avons honoré un des cadeaux que mes collègues m’ont offert, lors de mon départ à la retraite : deux places pour le théâtre des Célestins.

    Nous avions choisi le dernier chef d’œuvre écrit par Anton Tchekhov : « La cerisaie »

    La pièce était jouée par le Collectif flamand : <tg Stan>

    Comme l’écrit « TELERAMA » : « tg Stan offre une lecture ultra-vivante de la grande pièce de Tchekhov » et ajoute :

    « Entre loufoquerie, danse cathartique et montagnes russes émotionnelles, le fameux collectif d’Anvers plonge avec fougue dans le grand bain de l’œuvre ultime du grand dramaturge russe. »

    Et il est vrai que ces artistes tentent de tirer le plus possible cette œuvre vers son côté de comédie pour respecter la volonté de son auteur qui avait écrit à son épouse Olga Knipper, dans une lettre du 7 mars 1901 :

    « La prochaine pièce que j’écrirai sera sûrement drôle, très drôle, du moins dans l’approche. »

    <Wikipedia> écrit :

    « À l’origine, Tchekhov avait écrit cette pièce comme une comédie, comme l’indique le titre dans l’édition Marx de 1904, et même grotesque, comme l’auteur l’indique dans certaines lettres. Aussi, quand il assista à la première mise en scène de Constantin Stanislavski au Théâtre d’art de Moscou, il fut horrifié de découvrir que le metteur en scène en avait fait une tragédie. Depuis ce jour, la nature nuancée de la pièce, et de l’œuvre de Tchekhov en général, est un défi pour les metteurs en scène. »

    Ainsi, il existe, sur internet, la version que Peter Brook, dans l’adaptation de Jean-Claude Carrière, avait mis en scène au Théâtre des Bouffes du Nord, en 1981. Dans cette version, c’est le drame qui l’emporte.

    L’accent flamand de beaucoup des acteurs donne un aspect encore plus léger à cette interprétation très dynamique.

    Beaucoup de sites évoquent, à raison, cette interprétation qui tentent d’appuyer sur le côté comique de certaines parties et que tg Stan a joué sur plusieurs scènes avant de venir au Théâtre des Célestins :

    « Le tg STAN revisite l’âme russe avec une Cerisaie à ciel ouvert »

    « La Cerisaie : les Flamands du TG STAN tout en fougue aux Célestins »

    Mon ressenti reste cependant que Tchekhov n’est pas pleinement parvenu à remplir son objectif d’écrire une comédie, son art l’a poussé vers le drame, la difficulté de communiquer, de se dire les choses et de les comprendre.

    La pièce est d’une richesse inouïe dans l’étude des relations entre les différents protagonistes.

    Paul Desveaux qui a mis en scène « La Cerisaie » au Théâtre de l’Athénée (Louis-Jouvet) pense qu’on peut tirer la pièce jusqu’au frontière de la psychanalyse.

    Je ressens cette pièce comme un drame qui me parait, en outre, très inspirant pour notre situation moderne.

    La trame de cette pièce tient dans le fait qu’une magnifique demeure dont le joyau est une cerisaie, inscrite dans les livres d’Histoire, appartient à une famille noble russe endettée à un tel point que leur domaine hypothéqué va être vendu aux enchères pour éponger les dettes.

    Au début de la pièce il reste un peu de temps avant cette échéance. La figure centrale de cette famille noble est une femme : Lioubov qui a passé 5 ans à l’étranger, en France, suite à la perte de son mari puis de la noyade de son fils de 7 ans. Ces éléments de contexte n’encouragent pas la tendance comique.

    Face à cette femme, son frère, ses enfants, ses serviteurs se dresse un homme, Lopakhine, enfant et petit enfant de serfs, c’est-à-dire d’esclaves qui étaient au service de cette famille.

    Mais le Tsar Alexandre II avait aboli le servage en 1861. Et des esprits conquérants, doués pour les affaires, comme Lopakhine ont pu devenir riche, immensément riche pour sa part.

    Cette évolution de l’organisation sociale a eu pour autre conséquence que plusieurs aristocrates, comme Lioubov, se sont appauvris, devenant incapables d’entretenir leurs domaines sans leurs serfs. L’effet de cette réforme était encore ancré quand Tchekhov écrit sa pièce

    A la fin, le domaine sera vendu et c’est Lopakine qui va l’acheter.

    Mais Tchekhov présente cette situation avec d’infinie nuance et de complexité dans la relation humaine.

    Car avant cette fin qui va priver Lioubov et sa famille du domaine de leurs ancêtres et de leurs racines, Lopakhine va passer son temps à avertir Lioubov de l’urgence de la situation et lui propose une solution pour laquelle il propose son aide financière et qui permettrait de ne pas vendre tout en réglant les dettes : pour cela il faudrait abattre la cerisaie et utiliser le terrain pour créer un lotissement de maisons à louer.

    Lopakhine exprime, en effet, une grande affection pour Lioubov qu’il explique dans la première scène de la pièce :

    « C’est une excellente femme, simple, agréable à vivre… Je me rappelle, quand j’étais un blanc-bec de quinze ans, mon défunt père, qui tenait une boutique dans le village, me flanqua un coup de poing dans la figure, et mon nez se mit à saigner. Nous étions venus ici je ne sais pourquoi, et mon père était un peu ivre. Lioubov Andréïevna, toute jeune encore, toute mince, me mena à ce lavabo, dans cette chambre des enfants, et me dit : « Ne pleure pas, mon petit moujik ; avant ton mariage il n’y paraîtra plus. » (Un temps.) Mon petit moujik ! C’est vrai que mon père était un paysan, et moi je porte des gilets blancs et des souliers jaunes !  »

    Et dans la scène 2, il introduit sa proposition de solution par cette déclaration à Lioubov :

    « Tenez, Lioubov Andréïevna, votre frère Léonid Andréïevitch dit que je suis un manant, un accapareur ; mais ça m’est entièrement égal. Je voudrais seulement que vous ayez confiance en moi comme autrefois, que vos yeux extraordinaires, émouvants, me regardent comme jadis. Dieu miséricordieux ! Mon père était serf de votre grand-père et de votre père ; mais vous avez tant fait pour moi que j’ai oublié tout cela ; je vous aime comme quelqu’un de proche, plus que proche… »

    Mais tout au long des actes 1 et 2, sa proposition se heurte à un mur d’incompréhension. Jamais Lioubov ne dit Non. Mais elle comme son frère changent de sujet, parle de détails insignifiants qui n’ont aucun rapport avec son problème central : régler les dettes et conserver la Cerisaie.

    A l’acte 2 Lopakhine perd patience :

    « LOPAKHINE. – Il faut en finir. Le temps presse. La question est toute simple. Consentez-vous à vendre votre terre par lots, oui ou non ? Ne répondez qu’un seul mot. Un seul ! »

    Lioubov enchaine alors :

    « Qui a pu fumer ici de détestables cigares ?. »

    Il réplique alors par une phrase qui selon moi éclaire la situation :

    « Excusez-moi ; Mais des gens aussi frivoles, aussi peu pratiques, aussi étranges que vous, je n’en ai jamais rencontré.

    On vous dit clairement : votre bien va se vendre, et c’est comme si vous ne compreniez pas… »

    Loubiov – Que devons-nous donc faire ? Dites-le.

    LOPAKHINE. – Je ne fais que cela chaque jour. Chaque jour, je répète la même chose. Il faut louer la cerisaie et toute votre propriété comme terrain à villas, et cela tout de suite, au plus tôt. La vente est imminente. Entendez-le. Dès que vous aurez décidé de faire ce que je vous dis, vous aurez autant d’argent que vous voudrez, et vous serez sauvés. »

    Lioubov évite à nouveau la question et Lopakhine explose :

    « Je vais pleurer, je vais crier ou je vais m’évanouir ; je n’en puis plus ! Vous m’avez mis à bout !  »

    L’acte III montrera la Cerisaie vendue. C’est Lopakhine qui a surenchéri sur tous les autres acheteurs. La famille de Lioubov doit partir. Les cerisiers sont abattus et le plan de Lopakhine va se réaliser mais à son seul profit.

    Je perçois dans cette formidable œuvre deux éclairages d’aujourd’hui.

    Ces familles aristocrates pouvaient entretenir leur domaine parce qu’ils disposaient de main d’œuvre gratuite, d’esclaves qu’il fallait juste nourrir suffisamment pour qu’ils soient capables d’obéir aux ordres de leurs maîtres. Sans ces esclaves, la continuation de leur vie d’avant les entraînait dans l’accumulation de dettes.

    Nous devrions reconnaître que notre confort, notre capacité inexpugnable de consommation occidentale n’est ou n’a été possible que parce que quelque part dans le monde, des humains des enfants travaillent quasi gratuitement pour nous permettre d’acheter des biens que nous pouvons payer.

    Il y a quelques jours, nous commémorions les dix ans du drame de l’usine textile du Bengladesh, (l’immeuble de neuf étages qui s’était effondré près de Dacca le 24 avril 2013, et qui avait fait 1 127 morts. Cette usine produisait des tonnes de vêtements vendus dans les magasins occidentaux. J’avais évoqué ce drame par cette question posée par Michel Wieviorka et Anthony Mahé

    « Sommes-nous capables de regarder en face (la vie de) ceux qui nous permettent de consommer comme nous le faisons ? »

    Le second éclairage de nos temps présents est constitué par ces avertissements, comme ceux que Lopakhine exprime tout au long de « la Cerisaie », qui nous informent que notre vie quotidienne va être affectée de manière extrême par le réchauffement climatique, par la chute de la biodiversité, par la diminution des ressources en matière première et nous ne faisons rien ou si peu.

    Nous considérons normal que lorsqu’on tourne le robinet, l’eau coule. Nous n’avons pas l’assurance qu’il en sera toujours ainsi.

    Quand nous appuyons sur un bouton électrique, la lumière jaillit ou les appareils qui nous facilitent si grandement la vie se mettent à fonctionner. Pourrons nous disposer de toute l’électricité dont nous estimons avoir besoin pour notre confort ?

    Vendredi 5 mai, nous avons appris que le Conseil national de la transition écologique, qui regroupe des élus et représentants de la société civile, prévoyait que la France risquait de vivre avec un réchauffement climatique allant jusqu’à quatre degrés de plus d’ici la fin du siècle. Le gouvernement considère cette prédiction comme plausible.

    Cette perspective constitue un bouleversement de notre espace de vie assez proche de la perte de contrôle.

    Ce sont ces pensées que le chef d’œuvre de Tchékhov a suscité en moi.

    <1747>

  • Jeudi 27 avril 2023

    « Cette résistance à la cruauté du monde, qu’offre la passion aux êtres qu’elle habite. !»
    Jean-Guy Soumy

    Qu’est-ce qu’un bon livre ?

    Probablement que chacun possède sa propre réponse.

    Pour moi, c’est un livre qui lorsque j’y entre je n’arrive à en sortir qu’une fois la dernière page atteinte. Il n’est pas possible de s’arrêter avant.

    Ce fut le cas pour « Le Silence » de Jean-Guy Soumy, commencé en début d’après-midi, je ne l’ai lâché qu’en début de soirée lorsque je l’avais terminé.

    Je ne connaissais pas Jean-Guy Soumy avant que Sophie m’en parle. Elle a marqué tant d’enthousiasme pour cet auteur, que j’ai voulu tenter l’aventure.

    Je suis allé dans une des bibliothèques de Lyon qui devait détenir 3 de ses livres. Quand je suis arrivé, deux étaient prêtés, il restait « Le silence », alors je l’ai emprunté.

    Jean-Guy Soumy est né le 1er juin 1952 à Guéret dans la Creuse, département dans lequel il habite toujours.

    Après ses études, il est devenu professeur de mathématiques.

    Sa page Wikipédia nous apprend qu’il est coauteur d’ouvrages de mathématiques parus dans la collection « Vivre les mathématiques » chez l’éditeur Armand Colin.

    Mais son grand dessein est d’écrire des romans.

    Il fait partie de la « Nouvelle école de Brive » dans laquelle se trouvait aussi Claude Michelet, l’auteur de « Des grives aux loups. » et qui est décédé le 26 mai 2022.

    Claude Michelet avait fait auparavant partie de « L’école de Brive » qu’on avait décrit comme un mouvement régionaliste. Ce que Michelet nuançait dans cet article d’« Ouest France » de juillet 2013 :

    « Ce n’est pas que ça. Dans nos œuvres, on est allé bien au-delà des terroirs de France. Yves Viollier a écrit des romans qui se déroulent en Russie, moi, j’ai écrit une saga qui se déroule en grande partie au Chili. Ce serait trop réducteur. »

    En revanche, il expliquait que ce n’est pas du tout le cas de « la Nouvelle Ecole de Brive » :

    « Là, c’est plus informel. Nous sommes quatre, Gilbert Bordes, moi-même, Jean-Guy Soumy et Yves Viollier, qui prenons plaisir à nous voir et nous entraider. Nous n’hésitons pas à nous refiler des tuyaux sur tel ou tel thème qu’un de nous travaille. On dit toujours que les écrivains se détestent. Vous voyez que ce n’est pas vrai ! On a plaisir à se retrouver et à parler littérature ensemble, comme un groupe d’amis. »

    Concernant le livre « Le Silence » son action se déroule en grande partie à Chicago où Alexandre Leroy est un mathématicien célèbre, chercheur et professeur universitaire ayant obtenu la Médaille Fields qu’on appelle « Le Nobel » des mathématiciens. La fin du roman ramènera l’action en France, car c’est le pays d’origine d’Alexandre Leroy.

    Le roman commence par le désarroi de Jessica son épouse qui est professeur de littérature à l’Université et à qui on vient d’apprendre que son mari Alexandre vient de se suicider dans un motel alors qu’elle pensait qu’il était allé dans leur maison secondaire pour aller travailler, comme il le faisait régulièrement et comme il le lui avait dit avant de partir.

    Pourquoi s’est-il suicidé ?

    Voici la question. Il n’a pas laissé de lettre.

    Jessica qui est le personnage central de ce livre, ne comprend pas.

    Tout ce livre est constitué par ses découvertes d’abord fortuites puis conséquence de ses recherches et de sa quête pour essayer de comprendre le geste de l’homme de sa vie.

    C’est vraiment remarquable. L’histoire est très forte et l’écriture très fluide avec des fulgurances qui saisissent.

    Lors de l’enterrement, Soumy délivre cette description qui s’achève par une conclusion que j’ai utilisée comme exergue

    « Des silhouettes s’approchent. Des hommes défilent devant elle. Tous collègues ou étudiants d’Alexandre. Qui rendent hommage à leur maître sans que Jessica puisse deviner si le souvenir laissé par son mari leur est agréable ou pénible. Ils ont en commun quelque chose d’insaisissable qui la renvoie au défunt. Une légèreté d’artiste enfouie sous le simulacre de la gravité. Cette résistance à la cruauté du monde, qu’offre la passion aux êtres qu’elle habite »
    Page 16

    La passion emporte tout et permet aussi de résister à la cruauté du monde.

    Et il est possible d’être passionné par les mathématiques, cette passion qui a mené certains vers la folie.

    « Le Point » a posé cette question dans un article de 2018 : « Les mathématiques rendent-elles fou ? »

    L’article ne répond pas à cette question, mais cite plusieurs mathématiciens : Kurt Gödel, Georg Cantor, John Nash, Grigori Perelman qui chacun à leur manière avaient perdu le sens des réalités et des relations équilibrées avec les autres humains.

    Il cite aussi le cas plus connu par un plus large public de Alexandre Grothendieck :

    « En 1966, il reçoit lui aussi la médaille Fields pour avoir refondé la géométrie algébrique… et la refuse  ! Il s’installe dans un village de l’Hérault au sein d’une communauté adepte de la contre-culture. Il devient un chantre de l’écologie. Puis il se retire en Ariège pour vivre tel un ermite, refusant tout contact avec ses anciens amis. Il meurt en 2014, laissant des milliers de pages couvertes de notes. »

    Jean-Guy Soumy cite d’ailleurs Grothendieck au début de son ouvrage :

    « Ces deux passions, celle qui anime le mathématicien au travail, disons, et celle en l’amante ou en l’amant, sont bien plus proches qu’on ne le soupçonne généralement ou qu’on est disposé à l’admettre. »
    Alexandre Grothendieck « Récolte et Semailles »

    Mais que celles et ceux pour qui les mathématiques n’ont jamais été une passion mais plutôt une souffrance, se rassurent il n’y pas de mathématiques dans cet ouvrage. C’est simplement un élément de contexte.

    L’histoire se déroule à travers le regard de Jessica qui est professeur de littérature et qui doit faire face à ce qu’elle vit comme une trahison. Elle doitt aussi être le roc sur lequel peuvent s’appuyer les deux fils qu’elle a eu avec Alexandre. Le premier a suivi la même carrière que son père, tout en n’en possédant pas le génie, il se sent fragilisé par cet acte incompréhensible. Mais la situation est encore plus compliquée pour le second qui souffre d’autisme.

    Soumy met cette phrase dans la bouche de Jessica :

    « Et je veillerai sur mon enfant, je le consolerai, je boirai ses larmes, je sécherai ses peines. Une mère est là pour ça »
    Page 176

    Ce livre, en outre, ouvre vers un auteur étonnant au destin tragique : Armand Robin. Jessica est la spécialiste de cet auteur qu’elle a étudié intensément et dont les écrits auront un rôle à jouer dans l’intrigue.

    J’ai voulu en savoir un peu plus sur cet auteur.

    Armand Robin est né en 1912 à Plouguernével, en Bretagne et il est mort le 29 mars 1961.

    C’est à la fois un écrivain, un traducteur, un journaliste, un critique littéraire et un homme de radio.

    Il semble qu’il existe de nombreuses controverses à son sujet. Mais ce qui parait époustouflant c’est sa capacité d’apprendre des langues.

    Je cite Wikipedia :

    « il entreprend en 1932 l’étude du russe et du polonais, en 1933 de l’allemand, en 1934 de l’italien, en 1937 de l’hébreu, de l’arabe et de l’espagnol, en 1941 du chinois, en 1942, de l’arabe littéral, en 1943 du finnois, du hongrois et du japonais  […]

    Écrivain inclassable, libertaire, poète, il traduit en français, depuis une vingtaine de langues, une centaine d’auteurs dont Goethe, Achim von Arnim, Gottfried Benn, Max Ernst, Lope de Vega, José Bergamín, Vladimir Maïakovski, Boris Pasternak, Sergueï Essénine, Alexandre Blok…. »

    En 1933, il voyage en URSS. Il en revient anticommuniste.

    Et en 1945, il adhère à la Fédération anarchiste et contribue de cette date à 1955 au journal Le Libertaire.

    Sa fin tragique nous révèle qu’en 1961 aussi, il était légitime de s’interroger sur la possibilité de violences policières :

    Arrêté le 28 mars 1961 après une altercation dans un café, il est conduit au commissariat du quartier et y est « passé à tabac » par les policiers. Transféré à l’infirmerie spéciale du dépôt de la Préfecture de police de Paris, il y meurt seul le lendemain dans des conditions qui n’ont jamais été éclaircies.

    Françoise Morvan qui semble une spécialiste de cet auteur a écrit « Armand Robin ou le mythe du poète »

    La même écrit sur son blog une page dans laquelle elle entend démonter des contrevérités et falsifications sur « Armand Robin »   

    En 2011, France Culture lui a réservé une émission : <Armand Robin bouge encore>

    En conclusion, un livre palpitant et l’ouverture vers un autre auteur aussi étrange que fascinant.

    <1746>

  • Vendredi 21 avril 2023

    « Une librairie qui meurt, ce n’est pas une page qui se tourne, c’est un livre qui se ferme, à jamais !»
    Henri Loevenbruck

    C’est en me promenant, à Lyon entre la basilique d’Ainay et la Place Bellecour, que j’ai vu l’annonce :

    « Fermeture de la Librairie »

    C’était une librairie particulière.

    Elle avait pour adresse  : 14 Rue du Plat.

    Elle avait pour nom : « Raconte-moi la terre »

    Librairie du voyage, des cultures du monde et aussi de la transition écologique, c‘était une librairie-café, car on pouvait aussi y aller déguster un café.

    Elle disposait même d’une salle de conférence en sous-sol.

    Annie l’avait découverte et  y avait organisé, plusieurs fois, des réunions et des rencontres de travail.

    Car le lieu était accueillant.

    La Grande Librairie l’avait visité et il en reste <une vidéo>.

    La Période après Covid a été trop compliquée, l’équilibre financier ne permettait pas de continuer

    C’est triste, une librairie qui ferme.

    Dans mon monde idéal il y a beaucoup de librairies et il n’y a pas Amazon.

    Du moins pas Amazon comme il fonctionne actuellement

    Il pourrait peut-être se justifier si son unique objet était de livrer tous les livres du monde à des Librairies avec à l’intérieur des humains, cultivés qui aiment les livres, c’est-à-dire des libraires. Ces libraires qui font partager à celles et ceux qui viennent dans leur magasin le goût de lire et les aide à choisir.

    J’avais écrit une série de mots sur Amazon, elle avait débuté le 24 juin 2021 « Amazon nous veut-il du bien ? »

    En France, selon <le syndicat de la Librairie> il existe 3.500 librairies indépendantes.

    C’est beaucoup plus qu’aux États-Unis. D’après <cette publication> de 2019, sur tout le territoire des États-Unis il existe moins de 2 300 librairies indépendantes.

    Dans mon monde idéal, il n’y aurait pas Amazon.

    Mais je suis un réaliste, dans notre monde Amazon existe.

    Fallait-il pour autant que notre Président, en pleine période de manifestations sur les retraites, décore le fondateur Jeff Bezos ?

    Plusieurs journaux nous ont relaté cette incongruité :

    Mais il semble que ce soit « Le Point » qui a dégainé le premier : <Les indiscrets – Macron décore Bezos en secret> :

    « Cérémonie fastueuse mais confidentielle, jeudi 16 février en fin d’après-midi au palais de l’Élysée : Emmanuel Macron a remis les insignes de la Légion d’honneur à l’Américain Jeff Bezos, 4e fortune mondiale (111,3 milliards de dollars fin 2022), de passage à Paris.
    L’événement, prévu depuis plusieurs semaines, ne figurait pas à l’agenda officiel et n’a été suivi d’aucun communiqué.
    L’Élysée avait-il peur d’un fâcheux télescopage le jour où des milliers de manifestants défilaient contre la réforme des retraites ?
    Seuls quelques invités triés sur le volet ont assisté à la réception.
    Beau joueur, le fondateur d’Amazon avait convié le patron de LVMH, Bernard Arnault, qui le devance désormais (1er, selon Forbes, avec 184,7 milliards de dollars). »

    La Légion d’honneur naît le 19 mai 1802 par la volonté du Premier consul, Napoléon Bonaparte.

    Elle visait à l’époque à récompenser les citoyens français. D’abord pour saluer la bravoure ou la stratégie militaire, mais aussi pour gratifier des civils en raison de leur mérite au profit de la patrie.

    Le site de <l’Ordre de la Légion d’Honneur> explique que :

    « Les légionnaires œuvrent au bénéfice de la société et non dans leur intérêt exclusif. Les décorés, dans toute la diversité de leurs activités, contribuent au développement de la France, à son rayonnement, à sa défense. »

    Il est donc légitime de se poser les questions suivantes :

    • Jeff Bezos œuvre t’il au bénéfice de la société ou dans son intérêt exclusif ?
    • Contribue t’il au développement de la France ? à son rayonnement ? à sa défense ?

    Pour contribuer à la Défense, il faudrait déjà qu’il paie les impôts, en France, en proportion de ses profits, ce qui de source sûre n’est pas le cas.

    Pourquoi le président de la République a-t’il distingué le fondateur d’Amazon, à l’Élysée, jeudi 16 février, en pleine cinquième journée de mobilisation contre la réforme des retraites ?

    Parce qu’il crée de l’emploi en France, semble être l’argument.

    Il couvre, en effet, la France d’entrepôts. Cela fait-il rayonner la France ?

    Le Monde rappelle que la décoration d’un grand patron étranger par l’Élysée n’est pas sans précédent : Jamie Dimon, le patron de la banque JPMorgan Chase a reçu la Légion d’honneur en novembre 2022.

    Et avant Emmanuel Macron,

    • Le fondateur de Microsoft, Bill Gates, avait été fait commandeur de la Légion d’honneur par François Hollande,
    • Le PDG de Microsoft, Steve Ballmer, avait été décoré par Nicolas Sarkozy
    • Jacques Chirac avait distingué Shoichiro Toyoda, le patron du constructeur japonais Toyota.

    « Le Monde » analyse que :

    « [Cette distinction] accordée par M. Macron à M. Bezos illustre la dualité de la politique du président à l’égard du fondateur d’Amazon. Comme ailleurs, il a pratiqué le « en même temps ». Sous sa présidence, la France a poussé des régulations européennes renforçant les responsabilités et le respect de la concurrence des plates-formes comme Amazon. Elle a instauré une taxation des services numériques et obligé les services comme Prime Video (filiale d’Amazon) à consacrer 20 % de leur chiffre d’affaires à produire des programmes français.

    Parallèlement, Emmanuel Macron a favorisé l’essor de l’e-commerce, en particulier d’Amazon, dont il a inauguré un entrepôt à Amiens, en 2017. L’Élysée a toujours rappelé que l’entreprise américaine et son patron créaient des emplois en France. En 2020, l’exécutif s’est opposé à un moratoire sur l’ouverture de nouveaux entrepôts d’e-commerce, soutenu entre autres par la convention citoyenne pour le climat, et à un alignement de leur fiscalité sur celle des magasins physiques, réclamée par certains élus. »

    Selon l’AFP, la présidence française a justifié aussi cette décoration par le fait que :

    Jeff Bezos est « un partenaire des initiatives pour la protection du climat et de la biodiversité menées par la France, en particulier sur la protection des forêts »

    A la fin de 2021, M. Bezos était présent à la COP26 de Glasgow, quand le président français a présenté la « grande muraille verte ». Le milliardaire américain a promis de verser 1 milliard de dollars (945 millions d’euros) à ce projet de reforestation en Afrique, qui veut allier action publique et soutien privé.

    Bon…

    Ne serait-il pas judicieux qu’il cesse plutôt de polluer et d’utiliser de l’énergie pour envoyer des milliardaires faire un tour dans l’espace ?

    Et je pense à une autre Librairie lyonnaise en difficulté : « La Librairie Diogène » située au cœur du Vieux Lyon

    Cette Librairie a été créée en 1973, dans un immeuble du XVe siècle : la maison Le Viste.

    Librairie généraliste, elle propose des livres de toutes époques, sur tous sujets, et de tous prix sur plus de 300 m2, trois niveaux et deux boutiques.

    Elle s’adresse au collectionneur, au bibliophile averti à la recherche d’ouvrages de collection mais aussi à tout amoureux du livre qui aime chercher dans cette caverne d’Ali Baba qui renferme des trésors d’intelligence et de culture.

    Cette fois ce sont les propriétaires qui veulent l’éviction de la Librairie pour utiliser autrement ces locaux.

    Vous pouvez faire comme Annie et moi et les 32897 autres lecteurs qui ont signé <La pétition> qui refuse la fermeture de la Librairie Diogène.

    Cette librairie dispose aussi d’un site qui la présente et explique aussi le conflit avec les propriétaires : https://librairiediogene.fr/

    Henri Loevenbruck a écrit la phrase que j’ai mis en exergue dans son livre <Le Mystère Fulcanelli>

    <1745>

    Je vous invite à lire en commentaire la réponse de Blanche Gardin à une proposition d’Amazon Prime

  • Mardi 18 avril 2023

    « C’est l’impuissance publique qui est au cœur [de notre crise démocratique !] »
    Pierre-Henri Tavoillot

    Un des grands risques qui nous guette, dans notre vie sociale, c’est de ne plus discuter qu’avec celles et ceux qui sont d’accord avec nous. Celles et ceux qui partagent nos colères, nos analyses et nos convictions.

    Ce risque que Zygmunt Bauman a décrit de la manière suivante  :

    « S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.»

    Nous avons le sentiment que le problème de la démocratie française est celui d’un hyper-président qui a trop de pouvoir et qui en abuse.

    Il est vrai que le président actuel semble avoir cette conviction de détenir la vérité et de ne pas considérer qu’écouter les corps intermédiaires soit essentiel.

    Je ne parle même pas de son style et de ses répliques qui ont souvent blessé un grand nombre de français.

    D’après les spécialistes des sondages, il est le Président qui suscite le plus de haine, davantage même que Nicolas Sarkozy qui avait en son temps aussi suscité le rejet d’une part des français.

    Mais comme l’explique Pierre-Henri Tavoillot, dans Démocratie, il y a d’un côté le « Démos » c’est-à-dire le Peuple et de l’autre côté le « Kratos » qui est la capacité de décider.

    Notre sentiment est que le Kratos est trop fort

    Ce n’est pas l’avis de Pierre-Henri Tavoillot.

    J’avais déjà évoqué ce philosophe, lors du mot du jour du <23 mars 2020> et la sortie de son livre « Comment gouverner un peuple-roi ? ».

    Je l’ai récemment entendu dans deux émissions :

    La première dans le « Face à Face » de France Inter du 1er avril 2023 <L’art de gouverner> où il était le seul invité.
    Et l’émission de France-Culture, « L’Esprit Public » du dimanche 16 avril 2023 <Comment sortir de la crise démocratique ?> dans laquelle il était un des participants.
    Il intervient souvent dans l’émission « C ce soir » de France 5, dans laquelle il constitue souvent une voix dissidente.

    Dans l’émission de France Inter il dit (à partir de 41 :20)

    « Je crois qu’il faut prendre un peu de recul sur ce qu’est la nature de la crise de la démocratie française.
    Personnellement, je suis un libéral. Un libéral, c’est veiller à l’équilibre entre la société et l’État, entre le Demos et le Kratos, entre le peuple et le pouvoir.
    Spontanément le libéralisme s’est construit contre les pouvoirs abusifs, contre l’absolutisme.
    Il fallait faire baisser le Kratos et faire augmenter le Demos. […]

    Je pense qu’aujourd’hui, la crise profonde de notre démocratie ce n’est pas que le Demos soit trop faible et le Kratos trop fort, c’est exactement le contraire.

    C’est l’impuissance publicque qui est au cœur. »

    Au cœur du récit démocratique, il y a cette promesse que la nation, en tant que souverain, est maître de ses choix et peut décider librement de son destin.

    Cette promesse n’a jamais été totalement respectée.

    Mais aujourd’hui, elle est devenue extrêmement faible et encore plus pour un pays de moyenne importance comme la France.

    Nos grands défis sont planétaires : réchauffement climatique, crise de la biodiversité, crise de l’eau, paix entre les nations.

    Notre pays se trouve dans un maillage de dépendance pour sa consommation, son financement, ses investissements, sa défense.

    Cette dépendance qui est contrainte par de nombreux Traités, par notre appartenance à l’Union européenne, réduit d’autant les marges de manœuvre de nos gouvernants.

    Jancovici prétend que nous sommes déjà en décroissance, sans nous en apercevoir, que dès lors les choix que nous devons faire pour financer les grandes politiques publiques que nous demandons à nos gouvernants (Santé, Éducation, Transition écologique etc…) deviennent encore plus difficiles, car il faut prendre à l’un pour donner à l’autre.

    Depuis bien longtemps nous consommons plus que nous produisons, et cachons ce déséquilibre par de l’emprunt et une augmentation de la dette.

    Notre société est fracturée, il devient quasi impossible de générer des consensus suffisamment larges.

    Je ne développe pas, mais on constate bien un problème d’impuissance publique, dès que le candidat se trouve dans le bureau du gouvernant.

    C’est-à-dire que ce soit Emmanuel Macron ou Jean-Luc Melenchon et je ne cite pas la troisième, aucun ne dispose des moyens et possibilités d’honorer les promesses qu’il fait pour être élu.

    Bien sûr, il reste possible de gouverner autrement que le fait le Président actuel et d’éviter certaines provocations et écart de langage.

    Et il est un point que ne développe pas Tavoillot et dont je suis intimement persuadé, rien ne sera possible si on ne s’attaque pas au creusement des injustices sociales.

    Car dans un monde où il faudra aller vers plus de sobriété, en rabattre sur notre soif de consommation et d’hubris, il faut que le sentiment de l’équité et de la justice grandissent dans l’esprit du plus grand nombre.

    Et probablement qu’il faudrait aussi plus d’honnêteté de la part des candidats politiques dans la promesse de ce qu’ils sont capables de réaliser et une plus grande maturité de la part des citoyens pour accepter de l’entendre.

    <1744>

     

  • Lundi 17 avril 2023

    « Il y a un mantra dans la vie quotidienne du Conseil Constitutionnel, c’est une citation de Vedel ou de Badinter […] : C’est une mauvaise Loi, mais elle n’est pas contraire à la constitution ! »
    Dominique Schnapper

    Le Conseil Constitutionnel n’a donc pas censuré la Loi sur l’âge légal de la retraite, il a simplement censuré 6 dispositions comme l’index sénior pour lesquelles, il a considéré qu’elles n’avaient pas leur place dans cette loi de financement.

    On parle de « cavalier budgétaire », autrement dit on utilise comme support une Loi de financement qui permet au gouvernement de disposer de quelques instruments pour accélérer l’adoption de Loi, ce qu’il a fait dans le cas de cette Loi, pour faire adopter des dispositions qui ne doivent pas bénéficier des mêmes instruments et règles.

    Alors, Samedi matin, nous avons tous entendu : « Emmanuel Macron a promulgué la Loi cette nuit à 3:28 !»

    A cette nouvelle j’étais partagé entre deux sentiments :

    1° Quel bosseur, il ne s’arrête jamais de travailler. En même temps, il surmène ses collaborateurs.

    2° Je trouvais très inquiétant que notre président ne dorme pas et travaille au-delà du raisonnable ce qui peut conduire à craindre des décisions peu éclairées et irrationnelles.

    Mais revenons au sens du verbe : « promulguer »

    Le fait de promulguer une loi c’est donner l’ordre de l’exécuter, la loi devient exécutoire.

    En pratique, l’acte de promulguer la Loi se concrétise par le fait que l’Autorité exécutive signe le texte

    En l’occurrence, en France, le texte est signé par le président de la République et contresigné par le Premier ministre et les ministres qui seront chargés d’appliquer la loi.

    Je suppose qu’aujourd’hui cette signature est électronique.

    Ces choses étant rappelées, la Loi N° 2023-270 n’a pas été promulguée à 3:28, samedi.

    Il est tout à fait possible et même raisonnable de penser qu’Emmanuel Macron dormait à cette heure-là.

    Si vous allez sur le site « LEGIFRANCE » pour consulter <cette Loi> vous constaterez que son entête est la suivante :

    « LOI no 2023-270 du 14 avril 2023
    de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 »

    Cet entête nous montre que la Loi a été promulguée le vendredi 14 avril et non samedi 15 avril qui est le jour qui correspondait à 3:28.

    Le journal « Libération » l’affirme : <Non, Emmanuel Macron n’a pas promulgué la loi retraites au milieu de la nuit>

    Et donne ces explications :

    « La loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023, qui modifie le système de retraite français, a bien été publiée dans le Journal officiel du samedi 15 avril, paru au milieu de la nuit. Samedi, à 3 h 28 exactement, les personnes inscrites dans la boucle électronique relative aux parutions du Journal officiel ont ainsi reçu un mail les en informant.

    Tous les textes législatifs promulgués, comme les actes réglementaires adoptés par l’exécutif, sont rendus publics par leur inscription au Journal officiel de la République française (JORF), qui paraît du mardi au dimanche depuis 1869, par voie électronique uniquement depuis 2016. Même si sa sortie «ne connaît pas d’horaire officiel défini», «l’usage, les obligations politiques et juridiques ont conduit à une parution matinale du JORF (en moyenne entre 2 et 7 heures)», précise le site de la Direction de l’information légale et administrative. Ce qui ne veut pas dire que les textes sont promulgués dans la nuit.

    Ainsi, la promulgation de la loi réformant le système des retraites, elle, est intervenue la veille de la publication. Comme l’indique d’ailleurs l’intitulé du texte, qui mentionne une loi datant « du 14 avril 2023». […]

    Dans le cas de la réforme des retraites, la promulgation serait survenue à 19 h 30 – un horaire cité dans le commentaire d’une utilisatrice de Twitter et depuis largement relayé sur le réseau social. Dans un sujet diffusé au journal de 13 heures de samedi, une journaliste de TF1 relate : « Il est environ 17 h 30 vendredi quand le président de la République prend connaissance de la décision du Conseil constitutionnel. Selon nos informations, moins de deux heures plus tard, avant 20 heures donc, Emmanuel Macron signe la loi retraite. »

    L’information donnée confondait donc la Promulgation qui nécessite l’acte d’humains pour signer avec la publication au journal officiel qui est automatisée, au moins pour la partie qui s’est déroulée dans la nuit.

    Il faut toujours bien nommer les choses !

    Albert Camus avait bien raison.

    Cette confusion a conduit des gens à dire des billevesées.

    Jean-Luc Mélenchon, a tweeté : « Macron a voulu intimider toute la France dans la nuit. » et Laurent Berger a déclaré au Parisien que « Le message d’Emmanuel Macron avec cette promulgation en pleine nuit, c’est jusqu’au bout le mépris à l’égard du monde du travail et la déconnexion avec la réalité. ».

    Mais sur le fond que peut-on dire ?

    Le constitutionnaliste Dominique Rousseau que j’avais déjà cité pour dire qu’il faisait partie des spécialistes qui pensaient possible la censure globale du texte, s’entête et écrit dans Le Monde : <La décision du Conseil constitutionnel s’impose mais, […] elle est mal fondée et mal motivée en droit !>

    Et il cite des extraits de la décision pour s’en étonner :

    « § 65. En dernier lieu, la circonstance que certains ministres auraient délivrée, lors de leurs interventions à l’Assemblée nationale et dans les médias, des estimations initialement erronées sur le montant des pensions de retraite qui seront versées à certaines catégories d’assurés, est sans incidence sur la procédure d’adoption de la loi déférée dès lors que ces estimations ont pu être débattues. »

    Et

    « § 69. D’autre part, la circonstance que plusieurs procédures prévues par la Constitution et par les règlements des assemblées aient été utilisées cumulativement pour accélérer l’examen de la loi déférée, n’est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l’ensemble de la procédure législative ayant conduit à l’adoption de cette loi. »

    Et aussi

    « § 70. En l’espèce, si l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a revêtu un caractère inhabituel, en réponse aux conditions des débats, elle n’a pas eu pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution. Par conséquent, la loi déférée a été adoptée selon une procédure conforme à la Constitution. »

    Enfin

    « § 11. D’autre part, si les dispositions relatives à la réforme des retraites, qui ne relèvent pas de ce domaine obligatoire, auraient pu figurer dans une loi ordinaire, le choix qui a été fait à l’origine par le Gouvernement de les faire figurer au sein d’une loi de financement rectificative ne méconnaît, en lui-même, aucune exigence constitutionnelle. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur à cet égard, mais uniquement de s’assurer que ces dispositions se rattachent à l’une des catégories mentionnées à l’article L.O. 111-3-12 du Code de la sécurité sociale. »

    Et Dominique Rousseau s’étonne que le Conseil Constitutionnel reconnaisse que des ministres ont délivré des « estimations erronées » que lors des débats parlementaires plusieurs procédures ont été utilisées « cumulativement » pour accélérer l’adoption de la loi et que l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a un « caractère inhabituel » et conclut cependant que le principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires avait été respecté. Et il trouve également singulier que le texte de la réforme aurait pu figurer dans une Loi ordinaire mais que le fait de le faire figurer dans une loi de financement rectificative ne trouble pas le Conseil.

    Selon lui :

    « A l’évidence, la conclusion ne découle pas logiquement des prémisses et ce décalage ouvre un espace au doute sur le bien-fondé juridique de la décision. »

    « Le Monde » publie deux autres articles :
    Denis Baranger, professeur de droit public, considère que
    « le Conseil constitutionnel a perdu une chance de rétablir un degré d’équilibre entre les pouvoirs », en confortant une vision très large des prérogatives données à l’exécutif face au Parlement.
    Concernant le rejet de la proposition de référendum d’initiative partagée, la juriste Marthe Fatin-Rouge Stefanini estime qu’il semble condamner l’utilisation du RIP, en restreignant considérablement les conditions de son utilisation.

    En revanche lors de l’émission « l’Esprit Public du dimanche 16 avril » la sociologue Dominique Schnapper, ancienne membre du Conseil Constitutionnel affirme :

    « La décision était prévue, prévisible, normale. Hier après-midi au ministère de l’éducation nationale, nous avons été quelques-uns à annoncer ce qu’il y aurait dans la décision, sans avoir aucune information et c’est exactement celle qui a été adoptée, parce qu’elle s’inscrit directement dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. »

    Pour ma modeste part, je porte un grand crédit aux propos de la fille de Raymond Aron et cela non en raison de son hérédité, mais de sa hauteur de vue et ses analyses toujours très argumentées

    Parce qu’évidemment les citoyens qui contestaient la Loi souhaitaient une décision politique : il ne fallait pas que l’âge légal de départ à la retraite passe de 62 ans à 64.

    Mais les décisions du Conseil Constitutionnel sont juridiques et non politiques.

    La décision du Conseil constitutionnel signifie que la Loi qui modifie l’âge légal de départ en retraite de 62 ans à 64 ans n’est pas contraire à la constitution.

    Et, Dominique Schnapper nous apprend qu’il existe un mantra au Conseil constitutionnel, c’est-à-dire une formule sacrée dotée d’un pouvoir spirituel :

    « Il y a un mantra dans la vie quotidienne du Conseil Constitutionnel, c’est une citation de Vedel ou de Badinter […] : C’est une mauvaise Loi, mais elle n’est pas contraire à la constitution ! »

    Les sages ont donc été sage !

    Mais dans l’émission « C Politique de ce dimanche » Thierry Pech, le directeur général de « Terra Nova » a posé cette question :

    « Était-il sage, d’être sage ? »

    Et il explique cette question par ce développement

    « Est-ce que cela nous suffit ?
    Est-ce que lorsqu’on dit d’un texte qu’il est constitutionnel, on peut dire qu’il est démocratique ?
    Ce n’est pas la même chose, et c’est cela mon problème.
    Aucun des articles mobilisés pendant l’élaboration de ce texte n’est contraire à la constitution.
    […] Ils y figurent tous.

    Notre constitution est une armurerie extrêmement riche d’instruments pour brider la liberté du Parlement. Tous ces éléments sont donc constitutionnels.

    Leur accumulation fait-elle un processus démocratique ?

    Ma réponse est franchement non !»

    Et plus tard quand on l’interroge sur ce que devrait dire et faire Macron, il demande au Président de donner du sens à son affiche de campagne : « Avec vous »


    <1743>

  • Jeudi 6 avril 2023

    « Il y a chez lui une arrogance nourrie d’ignorance sociale et de méconnaissance de l’histoire des démocraties. »
    Pierre Rosanvallon parlant de notre Président de la République

    Ce jeudi 6 avril 2023 constitue la 11ème journée nationale de mobilisation, depuis le 19 janvier, contre la réforme des retraites.

    Élisabeth Borne a reçu les organisations syndicales, ce mercredi, dans un dialogue de sourd dans lequel, au bout d’une heure, la partie syndicale a quitté la réunion.

    Tout au long de ces semaines, la cheffe de gouvernement n’a pas négocié avec les représentants sociaux, elle a préféré négocier avec le parti des républicains, pensant cette manière de faire plus efficace. Bref, elle a cherché un compromis politique et non un compromis social. Et, elle a échoué.

    Il semblerait que le Président Macron parie sur un essoufflement du combat syndical : l’inflation, le manque à gagner des jours de grève et la lassitude conduisant à une diminution de la mobilisation. Et, si en outre, parmi les derniers manifestants, la violence se déchaine, rapidement la majorité des français qui aiment l’ordre se détourneront de ce mouvement qui les inquiétera, dès lors.

    Il reste la décision du Conseil Constitutionnel, le Conseil pourrait-il censurer l’intégralité de la Loi ?

    Les constitutionnalistes ne sont pas d’accord.

    <France Inter> avait réuni deux d’entre eux.

    Dominique Rousseau pense qu’une telle censure totale est possible, parce que selon lui :

    « Il y a dans la procédure d’adoption de la loi sur les retraites une accumulation d’outils qui font que personne ne peut contester que le débat a été peu clair et insincère »

    Il s’appuie sur une décision du Conseil Constitutionnel qui exigeait que pour l’adoption d’une loi il fallait qu’il y eut un débat clair et sincère. Or selon lui, les explications avancées par le Gouvernement sur des points précis comme la retraite minimale de 1200 euros ou comme l’utilisation de tous les arcanes de la Constitution pour raccourcir le temps d’examen du texte peuvent conduire à cette sanction.

    L’autre constitutionnaliste, Anne Levade, ne croit pas à cette hypothèse. Pour l’instant, le Conseil constitutionnel n’a censuré intégralement que deux textes un en 1979 et l’autre en 2012.

    Dès lors, s’il n’y a pas censure intégrale et si comme le croit le Président, la contestation sociale s’essoufle, la Loi sera promulguée et entrera en vigueur.

    Cette victoire légale, si elle a lieu, me semble pleine de danger politique.

    Je crois que, dans ce cas, le cœur du corps social français gardera un profond ressentiment de toute cette affaire.

    Les rocardiens et même Michel Rocard avant sa mort ont exprimé beaucoup de soutien à Emmanuel Macron.

    Je crois que ce temps est révolu.

    L’un d’entre eux : l’historien Pierre Rosanvallon exprime dans « Libération » dans un article publié le 3 avril 2023 :

    « Or, le grand problème d’Emmanuel Macron est qu’il n’a qu’une expérience sociale et politique limitée, étant passé directement de l’ombre à l’Elysée. Il y a chez lui une arrogance nourrie d’ignorance sociale et de méconnaissance de l’histoire des démocraties. Il est certain que dans l’optique d’une refonte des institutions, le comportement actuel du chef de l’Etat pose la question de la mise en œuvre constitutionnelle d’autres moyens de résolution des crises qui partent d’en bas. Le référendum d’initiative partagée n’en est qu’une modalité trop modeste. Faute de cela, le temps des révolutions pourrait revenir ou bien ce sera l’accumulation des rancœurs toxiques qui ouvrira la voie au populisme d’extrême droite. »

    Pour Rosanvallon Macron doit faire « demi-tour » sur le recul de l’âge de départ à la retraite. Et il ajoute :

    « Rarement un projet de réforme gouvernemental aura été aussi mal préparé et envisagé sur un mode aussi technocratique et idéologique, alors qu’il y a une discussion complexe et argumentée à mener sur le financement des retraites. Sur le fond, le débat a été escamoté en étant rétréci à la question de l’âge de départ. Cette approche ne prend pas en compte la diversité des situations et des conditions de travail. Le rapport au travail aurait ainsi dû être abordé en préalable à toute discussion sur le financement. La retraite, c’est le rétroviseur de la vie. Cette dimension existentielle n’est pas prise en compte dans le projet actuel. »

    Dans un autre article de Libération publié le même jour, le journal constate que :

    « Alors qu’il avait dans un premier temps séduit les milieux intellectuels, le Président voit de plus en plus d’anciens soutiens s’élever publiquement contre lui. Jusque dans ses relais les plus proches. »

    Et parmi ceux-ci, celui qui a été en quelque sorte son mentor : Jacques Attali qui l’avait présenté à François Hollande en 2010, évènement essentiel dans le parcours exceptionnel de celui qui allait devenir notre jeune président en 2017.

    Jacques Attali écrivait simplement, le 15 mars 2023, toujours dans Libération : « Cette réforme des retraites est mal faite et injuste. » et précisait :

    « Non, reculer l’âge de départ n’est pas la bonne méthode. J’ai toujours été favorable à la retraite à points, un système plus juste et plus équitable. Autrement, on peut se concentrer sur la durée de cotisation. Je ne suis pas du tout favorable au report de l’âge légal de départ à 64 ans, d’autant plus qu’il s’agit d’un âge fictif. Quelqu’un qui a besoin de 43 années de cotisation et qui a commencé à travailler à 25 ans partira à la retraite à 68 ans alors que celui qui a commencé à travailler plus tôt est pénalisé. Avec l’augmentation de l’âge de départ, le gouvernement s’est focalisé sur quelque chose d’absurde… »

    «Reculer l’âge de départ à 65 ans est à la fois injuste et inefficace», observait, toujours dans Libération, quelques mois plus tôt Philippe Aghion, l’économiste qui avait été un des principaux inspirateurs du programme d’Emmanuel Macron en 2017.

    Dans le mot du jour du 24 juin 2022 « Macron ou les illusions perdues. » j’évoquais le livre de son ancien professeur François Dosse, qui avait été celui qui avait présenté le jeune homme à Paul Ricoeur. François Dosse avait été enthousiaste par l’arrivée de Macron à la présidence de la République avant de déchanter.
    Libération précise que François Dosse n’a loupé aucune manifestation contre la réforme des retraites et qu’il a donné cette opinion sur son ancien élève :

    « Sa capacité d’absorption des choses et de maîtrise fait qu’il ne connaît pas la marche arrière, il est toujours sûr d’avoir raison. »

    Devant un tel déluge de critiques, un homme raisonnable devrait s’interroger.

    Mais le Président Macron est il raisonnable ou s’est-il laissé enfermer derrière les murs de l’Élysée dans une prison de certitudes dont la plus dangereuse est qu’il soit le seul à comprendre ce qui est utile et nécessaire à la France et aux français ?

    <1742>

  • Jeudi 30 mars 2023

    « Ils n’ont pas vu un artiste exprimant un avis, mais un fournisseur retardant la livraison de la marchandise à son client. »
    Réflexions personnelles suite à une attitude médiocre d’une partie du public de l’auditorium de Lyon le 17 mars

    Ce jour-là, Annie et moi n’étions pas au concert de l’Auditorium de Lyon.

    C’était le vendredi 17 mars, un jour après la décision du gouvernement d’utiliser l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire adopter la réforme de la retraite par le Parlement.

    François Apap, bassoniste et représentant de l’Orchestre national de Lyon a pris la parole avant le concert pour dire l’opposition des musiciens à cette réforme et en donner les raisons.

    <BFM TV> a mis en ligne une vidéo de ce moment.

    Postérieurement, cette même chaîne a donné la parole au musicien qui s’était exprimé : < On m’a lancé des pièces > :

    « Ça a été très compliqué sur scène, parce que j’ai entendu des insultes « ta gueule », « on n’est pas là pour ça », etc. On m’a lancé des pièces sur scène. Ce soir-là, ça a quand même été très violent. On ne s’y attendait pas. L’orchestre s’est très mal senti après cette scène.

    Pour François Apape, face aux invectives de la foule qui ont duré de longues minutes, les musiciens auraient dû faire le choix de « sortir de scène, attendre 10-15 minutes dehors avant de revenir pour le début du concert. […]

    Un témoin avait rapporté à BFM Lyon que « le public s’était indigné immédiatement, sans savoir de quoi il allait être question, haut et fort. Le discours n’avait même pas commencé qu’on entendait des « remboursés » vindicatifs ».

    Selon la « Lettre du musicien » que « Mediapart » a cité dans <un Article> que Christiane m’a fait parvenir :

    «  À peine les haut-parleurs avaient-ils annoncé qu’une déclaration précéderait le concert, vendredi 17 mars, que des cris ont fusé dans la salle : « On n’est pas là pour ça ! », « Vous nous faites chier ! ». François Apap a poursuivi sa lecture malgré les quolibets : « J’ai vu des regards haineux tandis qu’on me hurlait : “Ferme ta gueule et joue.” On m’a même jeté une pièce sur scène, traité de “chochotte”, de “connard”… », raconte le musicien.

    Des applaudissements ont tenté, en vain, de couvrir les huées : « La salle était en quelque sorte coupée en deux », témoigne Antoine Galvani, secrétaire général du Syndicat des artistes musiciens en Rhône-Alpes (Snam-CGT). »

    Il va, sans dire, que si Annie et moi avions été dans la salle nous aurions été du coté des applaudissements. Il y a quelques années, nous avions assisté à un évènement du même type qui avait déclenché un comportement hostile d’une partie public, mais les applaudissements avaient alors couvert les sifflets. Ce ne fut pas le cas, semble t’il, le 17 mars.

    Cet article donne aussi une partie des arguments développés par François Apap :

    « Je sais que la culture de la musique classique passe pour propre et lisse et que, pour certains, elle devrait le rester. Mais nous devons faire face à une forme de pénibilité encore taboue, qui fait beaucoup de dégâts sur les corps, notamment dans le pupitre des cordes. » Le bassoniste évoque, à l’Orchestre national de Lyon, quatre musiciens absents de leur poste depuis plus d’un an, une majorité contrainte de consulter régulièrement des ostéopathes, mais aussi de souscrire à des assurances supplémentaires, une partie des troubles musculosquelettiques n’étant pas suffisamment prise en charge par la Sécurité sociale.« Nous sommes des sportifs de haut niveau. Mon texte, à cet égard, n’était ni belliqueux ni agressif. Il visait seulement à souligner que tenir deux ans de plus, ce n’est pas possible pour certains d’entre nous, d’autant plus dans un contexte de gel des postes, de concerts annulés, et de salaires qui ne chiffrent pas par rapport aux exigences qu’on nous demande. Cette déclaration englobait aussi les intermittents, les femmes, qui souffrent de carrières hachées… »

    L’article montre aussi que cette attitude n’est pas limitée au public de Lyon :

    « Faut-il donc tenir pour exceptionnelles les réactions du public de l’Auditorium de Lyon ? En novembre dernier, les ouvreurs et ouvreuses de la Philharmonie, qui tractaient également pour leurs conditions de travail, recevaient un accueil mitigé, voire hostile de la part des spectateurs et spectatrices : « Parfois, on nous répond : “Ne vous plaignez pas, au moins vous avez du travail” », rapportait amèrement une employée. Tandis qu’à Lille, le 19 janvier, une prise de parole similaire à celle de François Apap, juste avant un concert de l’Orchestre national de Lille, rencontrait le même accueil. »

    Que dire ?

    Il y a donc des personnes probablement aisées, selon mon expérience de l’auditorium, plutôt âgées, probablement déjà à la retraite qui ne tolèrent pas que leur acte de consommation soit interrompu par un avis divergent du leur.

    Parce qu’ils pouvaient ne pas être d’accord avec les propos du musicien, c’était leur droit.

    Mais il leur appartenait d’écouter avec respect et silence un avis qui était contraire à leurs idées.

    Dans quel monde veulent-ils vivre ?

    Dans un monde où il n’existe qu’une opinion, la leur ?

    Zygmunt Bauman décrivait une telle attitude :

    « S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.»

    Ce monde dans lequel ils s’enferment, dans lequel il n’y a plus d’opinions divergentes mais une vérité et des erreurs est un monde triste, stérile, morbide.

    Ce sont non des esprits de culture, ouvert à l’art et aux artistes.

    Quand le musicien a pris la parole, ils n’ont pas vu un artiste exprimant un avis, mais un fournisseur retardant la livraison de la marchandise à son client.

    Ce sont de vils consommateurs.

    Le philosophe allemand, Peter Sloterdijke, disait :

    « La liberté du consommateur et de l’individu moderne, c’est la liberté du cochon devant son auge. »

    Ils n’ont même plus de savoir vivre !

    Moi qui pensais, qu’au moins, les bourgeois avaient toujours comme qualité, la politesse.

    Force est de constater que celles et ceux qui ont hué le musicien, en étaient dépourvus.

    <1741>

     

  • Mercredi 29 mars 2023

    « Nous devrions toujours célébrer les immigrés qui contribuent tellement à notre pays. »
    Humza Yousaf qui vient d’être désigné premier ministre de l’Écosse

    Il se passe quelque chose de l’autre côté de la Manche.

    D’abord en octobre 2022, après l’épisode court et peu glorieux de Liz Truss et celui tonitruant et peu sérieux de Boris Johnson, les conservateurs britanniques ont désigné comme premier ministre Rishi Sunak

    Rishi Sunak est né le 12 mai 1980 à Southampton dans le Hampshire en Angleterre.

    Mais il est le fils de Yashvir Sunak, né au Kenya, alors colonie britannique, et d’Usha Sunak, pharmacienne née au Tanganyika, alors territoire sous mandat britannique.

    Sa famille est originaire du Pendjab et fait partie de la diaspora indienne d’Ouganda, du Kenya et de Tanzanie .

    Celui qui dirige le Royaume-Uni est donc issu de l’immigration indienne.

    Mais en creusant un peu j’ai appris qu’il était pratiquant de l’Hindouisme. Lui-même a souligné que le jour de sa désignation, le lundi 24 octobre, correspondait au jour de la fête traditionnelle de Diwali.

    Le Diwali célèbre la victoire de la lumière sur les ténèbres et est fêté à travers le monde entier par la communauté hindoue.

    En Grande Bretagne, il n’y a pas de constitution écrite. Il est de tradition que les députés prêtent serment sur la bible. Mais, après son élection au Parlement en 2015, Rishi Sunak a prêté serment au Parlement sur la Bhagavad Gita, le livre sacré hindou.

    C’est ce qu’on lit dans cet article du Huffington Post : < La victoire de Rishi Sunak tombe le jour du Diwali, tout un symbole >

    Au nord des iles britanniques, en Écosse, la première ministre depuis 2014, Nicola Sturgeon, a annoncé sa démission le 15 février 2023.

    Ce mardi 28 mars, le parlement local d’Ecosse a désigné pour la remplacer Humza Yousaf qui deviendra aujourd’hui, mercredi, officiellement le premier ministre de l’Écosse.

    Le journal suisse « Le Temps » constate que c’est <la première fois qu’une démocratie occidentale élit un leader musulman> et ajoute

    « A l’annonce de sa victoire à la tête du parti, lundi, Humza Yousaf s’est levé, tout sourire, a donné une accolade aux deux candidates qu’il avait battues, puis s’est tourné vers ses parents, assis derrière lui. Son père, collier de barbe blanche strict, sa mère, foulard musulman sur la tête et une larme à l’œil, débordaient de fierté. Le nouveau leader du Scottish National Party (SNP), le parti indépendantiste écossais, élu avec 52,1% des voix, fait rarement de ses origines un argument politique, mais en ce jour historique, qui doit faire de lui mardi le premier ministre d’Écosse, il a tenu à les souligner. «Je dois remercier mes grands-parents, aujourd’hui décédés, d’avoir émigré du Pendjab (au Pakistan) vers l’Ecosse il y a plus de soixante ans. […] Ils n’auraient jamais imaginé que leur petit-fils serait un jour sur le point de devenir premier ministre.» »

    Sa page Wikipedia nous apprend qu’il est né le 7 avril 1985 à Glasgow.

    Il est le fils d’immigrés de première génération : son père, Muzaffar Yousaf, est né à Mian Channu au Pakistan et à émigré à Glasgow dans les années 1960, pour travailler comme comptable. Son grand-père paternel travaillait dans l’usine de machine de couture Singer à Clydebank dans les années 1960. Sa mère, Shaaista Bhutta, est née au Kenya dans une famille originaire d’Asie du Sud qui a subi de nombreuses attaques car elle était perçue comme prenant le travail aux locaux et qui a émigré plus tard en Écosse pour échapper aux violences anti-indiennes au Kenya.

    C’est donc un écossais issu de l’immigration pakistanaise qui va diriger l’Écosse en tant que chef du Parti National Écossais qui est un parti qui souhaite l’indépendance de l’écosse.

    Jean-Marc Four dans sa chronique du 28 mars : <Un musulman à la tête de l’Ecosse après un hindouiste à la tête du Royaume Uni> a ajouté

    « Et face à lui, en Écosse ; Yousaf aura pour premier opposant le chef du parti travailliste écossais, Anar Sarwar qui, lui aussi, est d’origine pakistanaise ! »

    « L’obs » dans un article <5 choses à savoir sur Humza Yousaf> nous révèle que :

    « Humza Yousaf dit avoir beaucoup souffert de racisme, en particulier après les attentats du 11 septembre 2001. En 2021, avec son épouse, il a porté plainte pour discrimination contre une crèche qui avait refusé d’accueillir leur fille »

    Jean Marc Four cite Humza Yousaf :

    « Nous devrions toujours célébrer les immigrés qui contribuent tellement à notre pays. ».

    Il y a donc au Royaume Uni un homme issu de l’immigration indienne et de religion Hindou qui est premier ministre et en écosse un homme issu de l’immigration pakistanaise et de religion musulmane qui est premier ministre

    Jean-Marc Four a analysé ce constat de la manière suivante :

    « […] c’est très révélateur de la poussée spectaculaire des élus issus de la diversité chez nos voisins britanniques. […]

    L’homme qui incarne désormais l’Écosse est donc musulman, originaire du Pendjab au Pakistan par sa famille paternelle.

    […] Et lorsqu’il est devenu député il y a 12 ans, Yousaf a prêté serment en anglais et en ourdou, l’une des langues du Pakistan.

    […] Un dirigeant musulman, c’est une première dans un pays occidental.

    […] Un phénomène similaire est donc à l’œuvre à Londres, au Parlement britannique.

    Puisque vous le savez, le premier ministre britannique, depuis l’automne, est lui aussi issu de l’immigration.

    Rishi Sunak est hindouiste, il a d’ailleurs prêté serment sur la Baghavad Gita, l’un des textes fondamentaux de cette religion. […]

    Deux de ses principaux ministres sont également enfants d’immigrants: la ministre de l’Intérieur Suella Braverman, originaire de l’île de Maurice et le ministre des affaires étrangères James Cleverly, originaire de Sierra Leone.

    Ajoutons d’autres figures du parti conservateur : Kemi Badenoch, originaire du Nigeria, ou Nadim Zahawi du Pakistan.

    Quant au maire de Londres, c’est le travailliste Sadiq Khan depuis maintenant 7 ans. Origine là encore : Pakistan.

    Ces exemples nombreux disent une évolution majeure de la vie politique britannique : les élus issus de la diversité accèdent désormais aux plus hauts postes.

    Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de racisme en Angleterre ou en Écosse. Il y en a : le nouveau premier ministre écossais raconte que sa fille en a été victime.

    Mais l’ascension sociale des élus de 2ème ou 3ème génération est rapide en politique. Parce que certains partis, comme le parti conservateur, ont imposé des quotas.

    Et aussi parce que la société y est prête. Elle n’a pas de réticence à porter à sa tête un enfant de l’immigration. […]

    En tout cas, le contraste entre la France et le Royaume-Uni, déjà frappant avec l’avènement de Sunak, devient saisissant avec celui de Yousaf : l’équivalent en France, ce serait un président ou un premier ministre issu des immigrations algérienne, marocaine, sénégalaise.

    Déjà qu’un ou une ministre, une Dati, un Ndiaye, une Vallaud Belkacem, c’est rare. Alors un chef de gouvernement n’en parlons pas. »

    Il me semble que nos amis britanniques ont, sur ce point, un peu d’avance sur la France

    <1740>

  • Lundi 27 mars 2023

    « Personne n’a envie d’être un con-vaincu. »
    Thomas d’Ansembourg

    Le climat social devient violent en France, vous ne trouvez pas ?

    Ce dimanche, les mégabassines de Sainte-Solines se sont ajoutées à la réforme des retraites pour donner lieu à des affrontements et des blessés entre des manifestants et des forces de l’ordre.

    J’ai regardé avec intérêt cette vidéo du média « Blast » sur la problématique de cette solution mise en œuvre par des céréaliers, pour pouvoir continuer à produire comme avant la sécheresse, en prélevant,  dans la nappe phréatique, d’immenses masses d’eau dont ils ont besoin pour leur activité.

    La conséquence de cette solution est d’aggraver à terme le problème par un asséchement renforcé des sols et un effondrement accéléré du niveau de la nappe phréatique et bien sûr de diminuer l’eau disponible pour tous les autres utilisateurs. Et parmi ces utilisateurs il y a des humains mais aussi d’autres espèces vivantes qui disparaissent et avec elles la biodiversité.

    <Mégabassines : la guerre est déclarée>

    Mais pour revenir à la réforme des retraites, il faut rappeler quelques éléments chronologiques.

    En utilisant l’argument de la guerre en Ukraine qui monopolisait son temps de réflexion disponible, le président Macron a enjambé l’élection présidentielle.

    Je veux dire qu’il a présenté tardivement un programme minimal et il a refusé tout débat sur ce programme et sur tout autre sujet.

    Si on ne peut plus débattre pendant l’élection présidentielle, quand pourra t’on débattre ?

    Le débat du second tour n’en était pas un. Il s’agissait simplement de montrer que l’autre candidate n’était pas capable d’assurer le rôle. Elle a parfaitement collaboré et joué le rôle qu’on attendait d’elle.

    Dans le programme lilliputien du Président sortant, il y avait quand même une mesure : l’allongement de l’âge de départ à la retraite

    Et c’est ainsi qu’au pas de charge, cette affaire a été menée, en utilisant tous les rouages de la constitution pour que cela aille vite.

    Plutôt que de discuter avec les représentants syndicaux, Emmanuel Macron a demandé à son gouvernement de négocier avec la Droite LR, dont la candidate proposait la même réforme dans son programme.

    Cela n’a pas fonctionné, parmi les députés LR, il en est suffisamment qui détestent tellement Macron qu’ils sont prêts à tout pour l’empêcher.

    L’opposition de la NUPES a aussi joué un rôle délétère, elle n’a pas débattu mais vociféré, elle n’a pas argumenté mais asséné ses croyances et son récit. Elle a réussi à aider Emmanuel Macron à rendre l’Assemblée Nationale encore plus impopulaire.

    Et puis finalement le Président sortant qui est reparti pour un second mandat a pris la parole le 23 mars.

    Il me semble possible de résumer son intervention de la manière suivante :

    « J’ai raison, ma réforme est indispensable. C’est celle qui peut le mieux répondre aux défis qui se présentent à nous. Vous ne l’avez pas bien comprise, je ne l’ai probablement pas bien expliqué. Je vais donc vous en convaincre en vous explicitant mes arguments. »

    Il y a un certain nombre de français qui n’ont pas été satisfaits ni du 49-3, ni de la manière dont Monsieur Macron a tenté de les convaincre qu’il avait raison.

    J’avais déjà évoqué Thomas d’Ansembourg, lors du mot du jour du 10 janvier 2017 : « La paix ça s’apprend »

    Thomas d’Ansembourg est un psychothérapeute belge spécialisé dans la communication non-violente.

    Il organise des séminaires en ligne, mais on trouve facilement des petites interventions pleine de sens sur la communication entre les humains.

    Dans celle-ci, il s’agit <de la communication dans un couple>, mais je pense que ces réflexions sont parfaitement adaptées à notre situation politique :

    « Il y a infiniment plus d’intelligence dans deux cœurs qui essaient de se rapprocher.
    Je dis bien qui essaient parce qu’on n’arrive pas toujours.
    Il y a bien plus d’intelligence dans deux cœurs qui essaient de se rapprocher que dans deux intelligences qui essaient d’avoir raison à coup de gourdin qui est malheureusement quasiment le seul modèle que nous ayons.

    Lorsqu’on regarde la moindre émission télévisée avec ceux qui sont censé nous inspirer comme dirigeants, on voit des collisions d’ego avec des êtres qui veulent avoir raison !
    Et qui ne passent pas leur temps de silence à écouter pour comprendre, mais à préparer leur contre-attaque.
    C’est d’une misère. Une absence de discernement. C’est d’une grande pauvreté.
    Prenez un petit moment d’écoute de vous-même pour aller voir les moments où vous vous retrouvez dans des rapports de force, dans cette prétention à avoir raison, à vouloir con-vaincre l’autre.
    Vous entendez dans ce joli mot que personne n’a envie d’être un con-vaincu ?
    Qu’est ce qui s’active en vous quand quelqu’un veut vous convaincre : La plupart du temps, c’est la fuite : « Fous moi la paix » ou la rébellion : « Arrête d’essayer de me convaincre, c’est moi qui vais te convaincre et on enclenche des rapports de force. »

    Il est beaucoup plus intelligent et sage de passer son temps de silence à tenter de comprendre l’autre que de préparer sa contre-attaque.

    Tous les français ne disent pas à M Macron qu’il ne faut pas une réforme de la retraite, mais beaucoup disent : « pas celle-là et pas avec cette méthode »

    Mais il semble que M Macron ne cherche pas à comprendre et continue dans son idée et tente de faire des français des « con-vaincus ».

    Cette méthode ne fonctionne visiblement pas.

    Thomas d’Ansembourg ajoute :

    « Il est temps de changer de modèle.
    C’est vraiment un enjeu citoyen.
    Et d’arrêter de s’accrocher à une vieille croyance que l’homme est un loup pour l’homme et que la violence est l’expression de la nature humaine.
    Waouh, qu’est ce que nous avons été plombés par ce système de pensée.
    J’ai entendu ça dans le petit cours de psycho que j’ai reçu dans mes études de droit.
    Tout petit cours de psychologie : la violence est l’expression de la nature humaine
    Ça fait 25 ans que j’expérimente le contraire.
    La violence n’est pas l’expression de notre nature.

    La violence est l’expression de la frustration de notre nature, ce qui n’est pas du tout la même chose.
    Si vous êtes aimé, reconnu, trouvez du sens à votre vie, avez une joyeuse appartenance, vous savez comment déployer vos talents et le monde autour de vous vous y encourage : pourquoi seriez-vous violent ?
    Inversement, vous vous sentez pas aimé, vous n’avez pas d’appartenance, vous ne trouvez pas votre place dans la vie, la vie n’a pas de sens à vos yeux, vous ne vous sentez pas compris, vous ne comprenez rien à ce qui se passe, là ça commence à bouillonner !

    D’où l’urgence d’apprendre à bien connaître notre nature, pour qu’elle trouve sa voie, son expansion dans le respect de la nature de l’autre évidemment.
    C’est ainsi que la connaissance de soi est un enjeu de santé publique. »

    Message destiné à des couples, mais les français et leur président peuvent aussi l’entendre avec intérêt, c’est ce que je pense.

    <1739>

  • Lundi 20 mars 2023

    « Peut-être aurait-il fallu commencer par là et assumer clairement qu’aux yeux du pouvoir, cette réforme s’impose uniquement comme un signal adressé aux marchés financiers. »
    Michaël Foessel

    Et Élisabeth Borne dégaina le 49-3, comme jadis John Wayne dégainait son colt.

    Le jeudi 16 mars, Emmanuel Macron a réuni à trois reprises Élisabeth Borne et ses ministres, à quelques heures d’un vote extrêmement incertain à l’Assemblée nationale sur la réforme des retraites. Et finalement, le chef de l’État a décidé. La formule constitutionnelle est « il a autorisé la Première ministre à engager la responsabilité du gouvernement. »

    Le Huffington Post rapporte :

    « Un choix que le chef de l’État a justifié comme suit, comme l’a rapporté un participant à l’ultime conseil des ministres : « Mon intérêt politique et ma volonté politique étaient d’aller au vote. Parmi vous tous, je ne suis pas celui qui risque sa place ou son siège. Mais je considère qu’en l’état, les risques financiers, économiques sont trop grands. » Et le locataire de l’Élysée d’ajouter : « On ne peut pas jouer avec l’avenir du pays. » »

    Qu’est ce qui se cache derrière ces risques financiers et économiques ?

    Tout le monde parle de la réforme des retraites, en se focalisant sur les règles permettant de demander sa retraite et sur les conditions budgétaires de l’équilibre des caisses de retraite.

    Et on parle de justice, d’impossibilité pour de nombreux métiers pénibles de travailler jusqu’à 64 ans, de l’injustice du critère d’âge, de la nécessité prioritaire d’intervenir pour empêcher que le système de retraite s’effondre.

    D’ailleurs, on entend de manière de moins en moins feutrée cette idée géniale de pousser les français vers des systèmes de retraite par capitalisation.

    Dans un tel système on laisserait un système par répartition minimale, correspondant grosso modo à une pension de base ayant pour vocation de permettre la survie de celles et ceux qui la touchent. Pour disposer de quelques éléments de confort, de culture et de loisirs il faudra compter sur un fonds de pension auprès duquel on aura cotisé tout au long de sa vie. La rémunération que le Fonds de pension donnera au retraité dépendra des montants de cotisation qu’il aura versé librement selon l’ampleur de ses moyens, ses goût et possibilités d’épargne.

    • Cette évolution créera une fracture encore plus grande entre les pauvres et les riches.
    • Ce système ne présente pas un caractère d’une grande stabilité, les fonds de pension se trouvant à la merci des crises financières, comme celle qui selon toute probabilité est en train de se développer dans le monde financier et d’assurance.
    • Enfin, selon moi, le plus grave est qu’on met ainsi l’argent des retraites aux mains de fonds spéculatifs dont l’objectif est de faire le plus de gains possibles. Ce qui signifie dans le monde dans lequel nous vivons : faire pression sur les emplois, les salaires et avant de s’intéresser à l’intérêt de la population et à la survie de l’humanité, prioriser la rentabilité financière.

    Ceci me fait penser à cette parole de François Mitterrand qui dans un moment de lucidité socialiste aurait dit :

    « Ils s’en prendront aux retraites, à la santé, à la Sécurité sociale, car ceux, disait-il, qui possèdent beaucoup veulent toujours posséder plus et les assurances privées attendent de faire main basse sur le pactole. Vous vous battrez le dos au mur, avait-il dit à son gouvernement. »

    Il aurait dit cela lors du dernier conseil des ministres de 1993, avant la victoire de la Droite aux élections législatives et la mise en place du gouvernement Balladur.

    « Aurait dit » parce que le compte rendu de ce conseil des ministres n’en fait pas état et que la source de cette information est Ségolène Royal lors d’un discours qu’elle a prononcé en 2011, à Jarnac la ville natale de Mitterrand. Elle a fait précéder cette citation par ces mots :

    « François Mitterrand n’a jamais sous-estimé l’acharnement des intérêts financiers coalisés. Nous sommes plusieurs ici à nous souvenir de ce message prémonitoire qu’il nous adressait lors du dernier Conseil des ministres de 1993. »

    Mais en réalité lorsque Emmanuel Macron parle de risques financiers et économiques, il ne parle pas principalement et peut être même pas du tout de l’équilibre financier des retraites.

    Ainsi Alain Minc, celui qui a popularisé le concept de « cercle de la raison » que finalement Emmanuel Macron a mis en œuvre en imposant « l’extrême centre » qui gouverne et qui a pour seule alternative des forces populistes divisées entre deux extrêmes irréconciliables, donnait ainsi la clé de cette affaire sur <Europe 1, le 21 février 2023>

    « Il y a une chose qui n’est pas dite, que les responsables politiques ne peuvent pas dire dans une France aussi émotive et populiste, qui est que nous avons 3.000 milliards de dette, nous vivons à crédit, nous vivons en payant des taux d’intérêt incroyablement bas, c’est-à-dire très proches de ceux de l’Allemagne. Si, et le monde entier nous regarde, on ne fait pas cette réforme, notre taux d’emprunt augmente par exemple de 1%. Je vais vous faire le calcul, c’est 2 milliards et demi la première année, 5 milliards la deuxième, 7,5 la troisième, 10 la quatrième. C’est vertigineux […] Mais évidemment avec l’atmosphère ambiante, mélenchoniste régnant, l’absurdité vis-à-vis de l’incompréhension économique qui est propre à ce pays, c’est très difficile de dire les marchés nous regardent, cette réforme est un geste extrêmement fort à leurs yeux et nous sommes obligés de la faire parce que nous portons nos 3.000 milliards de dette.[…] il n’est pas facile pour les responsables politiques de dire ce qu’un observateur peut dire en toute ingénuité ».

    Il reprend ces arguments dans un article dans <Sur le site Entreprendre> le 22 février.

    Et, en effet, Emmanuel Macron avait bien, devant les journalistes de l’association de la presse présidentielle, lundi 12 septembre 2022, à Nanterre (Hauts-de-Seine), expliqué qu’il avait besoin d’une réforme dès l’été 2023 afin de financer les trois grands chantiers qu’il s’est fixés en cette rentrée : l’école, la santé et la transition climatique.

    Donc il y a d’un côté celles et ceux qui discutent du bien fondé de la réforme des retraites de manière intrinsèque, en constatant qu’il n’y a pas d’urgence vitale de faire cette réforme pour le financement des retraites. Les arguments échangés depuis que la réforme a été proposée par le gouvernement n’aborde que le sujet sous cet angle : Faut-il faire une réforme des retraites pour sauvegarder les retraites ?

    Alors qu’au fond la préoccupation du gouvernement est tout autre : il faut faire un signe aux marchés financiers pour prouver que la France est en mesure d’économiser de l’argent d’un côté pour pouvoir d’une part faire diminuer sa dette et d’autre part financer d’autres dépenses urgentes.

    Je me souviens de Michel Rocard qui lors d’un discours, regrettait que l’État ait cédé ses instruments d’intervention dans l’économie et notamment la possibilité pour la Banque Centrale d’émettre du crédit au profit de l’État au lieu d’obliger ce dernier d’emprunter aux banques privées…

    Il reconnaissait son erreur de ne pas s’être opposé à cette évolution.

    Et maintenant nos États dépendent des institutions financières privées et des agences de notation.

    Récemment Liz Truss avait été désignée comme premier ministre du Royaume-Uni par le parti conservateur. Elle avait un programme totalement démagogique de diminution des impôts, sans diminution des dépenses. Après la période de deuil d’Elisabeth II qui a coïncidé avec le début de son mandat, elle a annoncé officiellement son programme économique le 23 septembre 2022. Elle ne tiendra pas un mois aux pressions de la sphère financière et des agences de notation et démissionnera le 20 octobre 2022.

    Dans le monde d’aujourd’hui, les États sont obligés d’écouter l’avis de leurs créanciers.

    Michaël Fœssel, dans un article de l’Obs, publié le 18 mars 2023 : « Pourquoi n’ont-ils pas assumé que cette réforme était un signal aux marchés financiers ? », explique :

    « En ce qui concerne les justifications de la réforme, nous avons eu droit à toute la palette des éléments de langage : justice sociale, efficacité, valeur travail, équilibre budgétaire, sauvetage du système par répartition, etc. Jusqu’au comique avec la revendication par Olivier Dussopt de mener une « réforme de gauche »… Logiquement, le moment d’exacerbation de la crise a aussi été celui de la vérité : pour justifier l’usage du 49.3, Emmanuel Macron a évoqué les nécessités financières dans un contexte économique mondial dégradé. Peut-être aurait-il fallu commencer par là et assumer clairement qu’aux yeux du pouvoir, cette réforme s’impose uniquement comme un signal adressé aux marchés financiers après une explosion de la dette due aux dépenses du « quoi qu’il en coûte ».
    Au moins, les choses auraient été claires : la hausse des taux d’intérêt, les marchés qui regardent la France avec suspicion, la crise bancaire qui s’annonce rendraient inévitable le report de l’âge de départ à la retraite. Nous aurions alors peut-être eu droit à un débat intéressant sur la dépendance des politiques publiques à l’égard des marchés financiers. Il est vrai qu’il aurait fallu aussi présenter à l’opinion une balance un peu cruelle : deux années de la vie des gens en échange de deux points décernés par les agences de notation. »

    Il me semble, en effet, que pour qu’une Démocratie puisse fonctionner correctement, il faut poser les bonnes questions et dire les véritables raisons de l’action politique.

    Le fiasco de cette réforme pose bien d’autres questions, mais celle-ci me parait essentiel.

    La question n’est pas simple, en tout cas pas aussi simple que le suggère Michaël Fœssel.

    Dès qu’on s’arrête un peu, on constate que partout on a besoin d’argent public : la transition écologique, la santé, l’éducation nationale, la justice, la défense, la culture partout…

    Bien sûr, de ci de là, il est possible d’obtenir quelques financements supplémentaires et mettre fin à certains gaspillages.

    Mais globalement il faut gérer des priorités : on ne peut pas tout donner à tout le monde. Il faut faire des choix et savoir décider ce qui est prioritaire, ce qui l’est moins.

    J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt l’émission « Esprit Public » de ce dimanche qui a abordé ces questions avec des invités ayant des avis assez différents pour que l’échange puisse être fécond.

    <1738>

  • Lundi 13 mars 2023

    « La femme de Tchaïkovski »
    Film de Kirill Serebrennikov

    Elle s’appelait Antonina Milioukova :

    Le 6 juillet 1877, en l’Eglise Saint George de Moscou, elle devint Madame Tchaïkovski, l’épouse du plus grand compositeur russe de l’Histoire Piotr Ilitch Tchaïkovski.

    Kirill Serebrennikov l’un des grands réalisateurs et metteurs en scène russe, qui vit désormais à Berlin a poursuivi le projet de consacrer un film à cette femme.

    Avec Annie, nous sommes allés voir ce film après avoir entendu le réalisateur invité de Léa Salamé : « Il est absolument impossible que mon film soit montré en Russie »

    C’est un film qui selon nous dégage une grande force.

    C’est un film de malheur, de malaise, d’humiliation et d’entêtement.

    Le malheur provient du fait que ce mariage est un désastre, il ne sera jamais consommé. Après trois mois Tchaïkovski fuit, tombe en dépression et fait même une tentative de suicide. Dans le film Srebrennikov montre une scène dans laquelle Tchaïkovski tente d’étrangler sa femme.

    Le malaise c’est le non-dit, des situations pénibles dans lesquelles va se retrouver Antonina Milioukova, dans un monde d’hommes dans lequel aucune place ne lui est accordée.

    L’humiliation est celle que Tchaikovsky et ses proches lui imposent pour se débarrasser d’elle, pour l’éloigner

    Et l’entêtement est celle de cette femme qui refuse le divorce et veut rester l’épouse de Tchaïkovski.

    Igor Minaev et Olga Mikhaïlova, dans leur livre : « Madame Tchaïkovski : chronique d’une enquête » explique

    « Dans sa notice nécrologique on pouvait lire : «Tchaïkovski est mort célibataire» mais lors des funérailles du compositeur, le 11 octobre 1893, les gens furent pris de stupeur à la lecture de l’inscription sur une des couronnes : «De la part de sa femme aimante».  »

    Le 1er décembre 2016, j’avais écrit un mot du jour : « La symphonie Pathétique » qui est la dernière œuvre du compositeur. Il l’a créé sous sa direction à Saint-Pétersbourg, le 28 octobre 1893 et 9 jours après, il est mort à l’âge de 53 ans.

    Dans ce mot du jour, j’évoquais la thèse défendue par certain, notamment l’écrivaine Nina Berberova, du suicide du compositeur suite à une décision de condamnation à mort par un tribunal d’honneur. Cette thèse est controversée.

    Mais le cœur de tout cela que plus personne ne conteste c’est l’homosexualité de Tchaïkovski.

    Une homosexualité inavouable dans la société de cette époque et pour Tchaïkovski exclusive : il ne supportait pas les attouchements avec un corps féminin.

    Il écrira quelques mois après les noces à son jeune frère Modeste :

    « Je l’avais bien prévenue qu’elle ne pouvait compter que sur un amour fraternel. Physiquement, ma femme m’inspire à présent une répulsion totale »

    Deux ans avant son mariage, en 1876, il avait écrit toujours à Modeste :

    « Je voudrais, par un mariage ou du moins par une liaison déclarée avec une femme, faire taire certaines créatures méprisables. »

    Dans le film, Srebrennikov, montre une Antonina qui poursuit Tchaïkovski avec passion pour lui demander le mariage auquel il finit par céder.

    L’actrice qui joue le rôle d’Antonina est extraordinaire et a pour nom Alyona Mikhailova.

    « Le Masque et la Plume» ont trouvé à une exception près ce film magnifique, mais c’est de manière unanime qu’ils ont reconnu la performance d’Alyona Mikhailova. Et ils ont dénoncé comme une injustice que le dernier festival de Cannes, où ce film était présenté, ne lui ait pas décerné le Prix d’interprétation féminine,
    Tout le monde sait que Tchaikovski était homo-sexuel. Mais le gouvernement russe, comme avant le gouvernement soviétique, comme avant le gouvernement tsariste ne veut pas le reconnaître.

    Lorsque Kirill Serebrennikov présente son projet au ministre russe de la Culture, ce dernier lui répond

    « Tchaïkovski n’était pas homosexuel, vous n’êtes pas autorisé à le laisser penser dans votre film, nous avons besoin d’un film sur Tchaïkovski hétérosexuel ».

    Serebrennikov explique à Léa Salamé :

    « Ce que j’ai trouvé repoussant, c’est cette commande propagandiste : quand on dicte à une équipe de tournage qu’il faut faire comme-ci, ou comme ça, c’est comme si le mensonge devenait une idéologie de propagande ».

    Concernant son film il décrit son projet :

    « Ces deux personnes ont été en vraie dépression, mais Tchaïkovski a réussi à rester un grand compositeur. Antonina, elle, a sombré dans cette folie. […] Il y a là une certaine naïveté, mais aussi un ego passionné, un désir de posséder la personne que vous avez choisie. Ce désir de posséder la rend extrêmement contemporaine […] En miroir de ce personnage qui agit, on voit un Tchaïkovski dur, narcissique, insensible à elle. Il était contre tout ce qui pouvait l’empêcher d’écrire sa musique, il essayait de créer autour de lui les bonnes circonstances pour travailler, il le fait par des efforts qu’on peut interpréter comme étant de l’agression ».

    Dans la réalité Antonina Milioukova finira sa vie dans un Hôpital psychiatrique à Moscou, dans lequel elle décédera le 1er mars 1917, 24 ans après son mari

    Igor Minaev et Olga Mikhaïlova, dans leur livre : « Madame Tchaïkovski : chronique d’une enquête » écriront :

    « En 1917, dans un hôpital psychiatrique de la ville de Saint-Pétersbourg, mourait une mystérieuse patiente. Elle ne figurait pas dans les registres de la clinique sous le nom de Madame Tchaïkovski, veuve du compositeur Piotr Tchaïkovski, mais comme Antonina Miloukova. […] Déjà rejetée de son vivant, elle fut par la suite complètement oubliée par ses contemporains ; la génération actuelle va même jusqu’à douter de son existence. »

    Sur le site <Zone Critique> Kirill Serebrennikov précise :

    « Je souhaitais porter un regard inattendu sur un héros national et intouchable et j’ai décidé, pour ce faire, de suivre les lois générales du biopic (ou film biographique), en considérant les éléments de loin sans porter un regard radical dessus. Se placer à une certaine distance permet d’entrevoir les choses avec du recul et d’embrasser toute la psychologie des personnages, ce qu’il n’est pas possible de faire quand on s’approche trop près, presque face contre face. J’ai adopté cette distance par le truchement d’Antonina, car je voulais adopter le point de vue d’une personne qui ne sait pas ce que nous, nous savons. Elle a son propre regard, vit sa propre expérience, celle d’une personne somme toute classique et banale, en proie à l’impossibilité d’interagir comme il faut avec un génie, ce qu’il représente : un soleil irradiant de talent. Elle n’y parvient pas car, bien que resplendissant, le soleil a aussi ses propres taches et, paradoxalement, ses parts d’ombre. […]
    Je voulais rendre les personnages absolument complexes, c’est pour cela que j’ai décidé de laisser dans leur bouche leurs vraies paroles. Il s’agit presque d’un film documentaire : les lettres sont authentiques, même le comportement des personnages montré à l’écran est extrêmement fidèle à la réalité. Ainsi, ce que dit Antonina des juifs dans son délire antisémite se retrouve mot pour mot dans ses lettres. Ma part d’auteur réside surtout dans la composition que j’ai faite des séquences, en tâchant de respecter le plus possible la réalité. »

    Et puis il parle de la seule photo sur laquelle on voit Monsieur et Madame :

    «  Il n’existe qu’une seule photo où ils apparaissent tous les deux et je l’ai restituée telle quelle dans le film. Elle est très étrange, on ne sait pas pourquoi, sur ce cliché, il nous regarde alors qu’elle-même a son attention portée ailleurs. Dans de nombreuses scènes du film coupées au montage, et d’une durée totale de 40 minutes qui se retrouveront peut-être dans une édition intégrale, j’ai représenté les ateliers dans lesquels Tchaïkovski, ses amis et ses élèves se faisaient photographier. Il y passait beaucoup de temps car les daguerréotypes nécessitaient une certaine application pour ne pas être flous. Tchaïkovski a été un pionnier des photos commerciales ; en raison de sa célébrité, tout le monde souhaitait posséder sa photo chez lui. Il se faisait alors tirer le portrait chez les plus grands artistes, lesquels vendaient les photos avec les partitions. »

    La Russie que le cinéaste montre est très sale, violente et glauque :

    « C’était la réalité du XIXe. Les ordures étaient encore lancées sur la chaussée, comme on le voit dans le film, même si les caniveaux et les canalisations commençaient à faire leur apparition. J’avais envie de montrer la saleté et l’absence du confort auquel on est habitué aujourd’hui. Les personnages ont envie de vivre, aimer, souffrir, servir la musique… Par contraste, ces ambitions s’opposent à ces scènes d’extérieur, tristes, sales et dégradées. Je voulais illustrer le véritable milieu où tous ces gens ont évolué, rêvé, aimé…. »

    Kirill Serebrennikov a été poursuivi par l’appareil judiciaire de Poutine, assigné à résidence, condamné en juin 2020 à de la prison avec sursis, Poutine ne voulait pas en faire un martyr. Il a quitté la Russie pour Berlin peu après le début de la guerre en Ukraine pour vivre à Berlin.

    Chez Léa Salamé il s’est exprimé sur la Russie contemporaine :

    « Le film montre aussi qu’à l’époque, la situation des femmes en Russie était pire que celle des hommes homosexuels, qui bénéficiaient d’une forme de tolérance. Aujourd’hui, il est impossible d’être homosexuel en Russie. Il est absolument impossible de montrer ce film en Russie compte tenu des lois prises ces dernières années: tous les enfants risqueraient de devenir homosexuels si on leur montrait ce film-là ? On va attendre d’autres, une autre époque, quand tout le monde se retrouvera en Russie. Si un jour ce film est montré, ce sera le signe des changements en Russie”. Après Poutine ? “Sans nul doute. »

    C’est un film puissant qu’on n’oublie pas.

    <1737>

  • Mardi 7 mars 2023

    « The Köln Concert »
    Keith Jarrett

    Le jazz n’est pas mon domaine.

    Il ne se trouve pas dans mon univers musical.

    Des amis précieux, Jean-François, Martine, François ont tenté de m’y initier sans succès.

    Au bout de quelques minutes je sentais l’ennui me submerger et même un sentiment de malaise lorsque le blues me communiquait une impression de dépression, bien loin de la vibration réconfortante, du bain régénérateur quand j’écoute Bach, Schubert, Beethoven, Mahler etc..

    Mais j’ai été intrigué par une émission « MAXXI Classique » que j’ai écouté par hasard, le 24 janvier 2023, et qui parlait d’un concert mythique : <The Köln Concert : Keith Jarrett à l’opéra>

    Et puis Adèle Van Reeth, en a également parlé dans son livre « Inconsolable ».

    Alors je me suis décidé à acquérir ce disque et à l’écouter.

    Ce concert a été enregistré à l’Opéra de Cologne il y a 48 ans, le 24 janvier 1975.

    Max Dozolme présente ce concert ainsi :

    « Sol ré do sol la. Cinq notes. Cinq notes et des sourires. Dans la salle, tout le monde reconnait dans ce motif musical la sonnerie annonçant le début de chaque concert donné à l’Opéra de Cologne. Du parterre aux balcons où il ne reste plus aucune place de libre, personne en revanche ne peut imaginer que ces cinq notes vont être le point de départ d’une improvisation qui durera une soirée entière.

    Quand il monte sur la scène de l’opéra, Keith Jarrett n’est pas dans une très grande forme. Cela fait plusieurs jours qu’il enchaîne les concerts et il est épuisé.

    La veille, il était à Lausanne et il n’a pas dormi depuis vingt-quatre heures.
    Une fois arrivé à Cologne, après dix heures de route, il découvre que le piano que l’opéra lui a réservé est un vieux Bösendorfer qui n’a pas été révisé depuis très longtemps et qui sonne, selon l’aveu-même de Jarrett « comme un mauvais clavecin ou un piano dans lequel on aurait mis des punaises. […] Parce que ce piano possède des aigus qui ne lui plaisent pas et une sonorité peu intéressante, le pianiste décide de solliciter au maximum le registre grave et médium du piano. Dans cette grande improvisation structurée, il privilégie également un jeu plutôt rythmique, composé de petits motifs et d’accords aérés. »

    Keith Jarrett envisage de renoncer et de ne pas jouer. Mais la salle est pleine, alors il hésite.

    Le site <Musanostra> prétend que ce concert aurait eu lieu à 23:30 après l’opéra du soir et que les 1400 spectateurs prirent place dans la salle après avoir entendu la sonnerie de rappel.

    Ce même site, rapporte un propos que Keith Jarret a tenu à propos de ce concert :

    « Je n’avais aucune idée de ce que j’allais jouer. Pas de première note, pas de thème. Le vide. J’ai totalement improvisé, du début à la fin, suivant un processus intuitif. Une note engendrait une deuxième note, un accord m’entraînait sur une planète harmonique qui évoluait constamment. Je me déplaçais dans la mélodie, les dynamiques et les univers stylistiques, pas à pas, sans savoir ce qui se passerait dans la seconde suivante ».

    Le producteur du disque qui sera réalisé à partir de ce concert ; Manfred Eicher déclare :

    « Dès les premières mesures, j’ai compris qu’il avait décidé de ne pas se battre contre l’instrument mais de l’accepter tel quel, et que ça allait avoir une influence sur son jeu, et peut-être l’emmener dans des territoires qu’il n’avait pas forcément l’habitude d’explorer. Je n’étais pas dans la salle mais dans le bus qui servait de régie à l’enregistrement, et j’ai tout de suite été saisi par la splendeur mélodique du motif originel, la façon extrêmement virtuose et naturelle avec laquelle il le transformait en vagues lyriques successives, l’art hautement dramaturgique avec lequel il déroulait cette espèce de fil émotionnel tout du long, sans jamais le lâcher. »

    Et Adèle Van Reeth, en fait cette description précise, dans « Inconsolable » pleine d’émotion et de sensibilité :

    « La pédale est bien appuyée, les doigts cherchent et la mélodie, instantanément, se dessine sous les yeux du public. Main gauche, touches effleurées, main droite, une suite de notes très simple et très douce, puis la pédale se relâche et le rythme s’installe, un rythme à contretemps, la mélodie chaloupe, le jazz qui cogne à la porte, discrètement, presque une minute, puis il repart, la mélodie reste en l’air, comme si elle n’allait pas rester, comme si une seconde de silence et elle pouvait disparaître, à chaque note on croit qu’il va s’arrêter, à chaque note on prie pour que ça continue, quelques notes à peine, c’est si fragile et si beau, et c’est ça, exactement ça, l’intraduisible, la mélodie du réel qui se fait devant nous, en direct, d’abord le silence puis ce concert, deux heures d’improvisation totale qui saisissent très exactement ce autour de quoi on tourne en permanence. Lui donne l’impression de tourner en rond mais il y va tout droit, c’est une évidence, des cris dans la voix quand la touche percute au bon moment, le pied qui bat la mesure sur la pédale, c’est une percussion, ça cogne à nouveau, puis presque plus rien, et ça repart, ça ne s’arrête pas, ça gonfle, petit à petit, ça monte, ça monte, qu’est-ce que c’est beau, et soudain ça part, après sept minutes il trouve le thème, le début de la jouissance accompagnée par des cris qui y ressemblent étrangement, et la vie est lancée, la vie est saisie, c’est l’existence qui se joue devant nous, dans nos oreilles, sur scène, et rien ne sera jamais aussi beau, si ce n’est la reprise du thème, quelques minutes plus tard, puis à nouveau, encore et encore, une reprise sans cesse imprévisible et sans cesse implorée, « ne nous laisse pas, semblent murmurer les spectateurs, montre-nous le chemin, toi qui ne parles pas, toi qui n’écris pas, toi qui joues et inventes au creux de l’hiver, en plein mois de janvier, ce que nous avons au plus profond de nous, l’exacte musique de notre cœur inconsolable »

    Max Dozolme conclut :

    « Avec environ quatre millions de ventes à ce jour, le Köln Concert est l’album du label ECM, de Keith Jarret et de piano jazz le plus vendu de tous les temps. Un concert qui a donné lieu à une transcription, une partition écrite et éditée. Mais cet objet ne nous aide pas à percer le mystère du jeu de Jarrett. Aussi précise soit-elle, la partition ne pourra jamais nous aider à comprendre ce qui s’est passé ce soir-là dans la tête de Keith Jarrett. Reste le disque, la photographie la plus fidèle d’une œuvre sans lendemain et immortelle. »

    Après avoir écouté plusieurs fois ce disque, surtout sa première partie, j’ai enchaîné sur la 7ème symphonie de Mahler et je suis retourné dans mon univers. Ce n’est pas, pour moi, la même sensation, pas les mêmes vibrations, ni la même émotion.

    Mais je reconnais que cette expérience d’un artiste fatigué jouant un instrument médiocre et parvenant à partir de 4 notes d’improviser et de créer une œuvre cohérente, foisonnante  et pleine de souffle, relève certainement du génie et conduit à un instant d’éternité.

    <1736>

  • Dimanche 5 mars 2023

    « J’ai horreur de l’imitation et des choses déjà connues. »
    Serge Prokofiev cité par Claude Samuel

    Il y a 70 ans, jeudi le 5 mars 1953, l’immense compositeur né, en 1891, à Sontsivka en Ukraine, Serge Prokofiev meurt, à Moscou. Il avait 61 ans.

    <Diapason Mag> raconte :

    « Ce jour-là, Serge Prokofiev avait repris le manuscrit à peine esquissé de sa Sonate pour piano n° 10. Au début de l’après-midi, son médecin était passé le voir et, malgré une grande fatigue et des troubles de santé qui avaient nécessité au cours des huit dernières années de nombreux séjours à l’hôpital, il avait fait quelques pas dans les rues enneigées de Moscou, accompagné de Mira Mendelssohn, sa seconde épouse. Ils avaient évoqué leur départ pour leur résidence campagnarde de Nicolina Gora. Le printemps, enfin. Pour l’heure, Prokofiev avait un rendez-vous avec les responsables du Bolchoï où son dernier ballet, La Fleur de pierre, avait été mis en répétition cinq jours auparavant. Malaise dans la soirée, le médecin revient avec un traitement d’urgence. Congestion cérébrale fatale à 21 heures. 5 mars 1953 »

    Mais son décès ne sera annoncé par la Pravda que le 11 mars, soit 6 jours après. Un journal américain avait publié la nouvelle le 9 mars.

    Parce qu’il s’était passé autre chose le 5 mars 1953 : la mort d’un monstre sanguinaire et immonde qui avait enfin eu la bonne idée de disparaître de la surface de la terre.

    Staline était le nom de cet individu qui fait partie du top 3 de ce que notre espèce « Homo sapiens » a généré de pire. Mao et Hitler ont été à l’origine d’encore plus de morts.

    « La plus éminente médiocrité du Parti », disait son rival Trotski. Un cas psychiatrique atteint d’« hystérie » et de « folie de la persécution », selon son successeur Nikita Khrouchtchev.

    Ce tyran disait de lui-même « Je ne fais confiance à personne, pas même à moi. »

    Et aussi : « La mort résout tous les problèmes. Plus d’homme, plus de problème ». On lui attribue la paternité de plus de 20 millions de décès prématurés, auxquels il faut ajouter 28 millions de déportations. Il ne niait d’ailleurs pas un penchant pour le sadisme : « Le plus grand plaisir, c’est de choisir son ennemi, préparer son coup, assouvir sa vengeance, puis aller se coucher. » Un général de l’Armée rouge pouvait voir sa femme se faire arrêter, être élevé au grade de maréchal deux jours plus tard et finir fusillé quelques années après…

    <Diapason Mag> évoque le récit que Prokofiev serait mort de joie  :

    « Ce jour-là, des rumeurs avaient couru dans la ville : le camarade Staline était très malade, sinon déjà défunt. On dira plus tard, mais sans preuves, que Prokofiev mourut (de joie) en apprenant par voie radiophonique le décès du dictateur… »

    Selon une autre source auquel j’ai eu accès, la mort de Staline a été annoncé 50 minutes après la mort de Prokofiev.

    Dans ces conditions l’enterrement du compositeur fut évidemment compliqué :

    « Cependant le corps de Prokofiev fut transporté dans la grande salle de l’Union des compositeurs, une opération particulièrement problématique dans une ville parsemée de barrages de police, sillonnée par des camions et des tanks. Quant à l’inhumation au cimetière de Novodievitchi, à proximité des tombes de Scriabine et de Tchekhov, elle fut un peu particulière. Peu de personnes s’étaient déplacées, sinon David Oïstrakh qui interpréta deux extraits de la Sonate pour violon n° 2 du défunt. Et il n’y avait pas la moindre fleur, denrée introuvable en ce jour de deuil national. »

    La vie de cet homme fut une suite de contrariété.

    D’abord il quitta son pays en 1918 pour fuir la guerre civile provoquée par l’arrivée au pouvoir des bolcheviks.

    Ensuite dans son exil, notamment à Paris il fut dans l’ombre de Stravinsky qui triomphait avec les ballets russes davantage que Prokofiev qui écrivait aussi pour la troupe de Diaghilev avec qui il monte « Le Pas d’acier » (1928) et « Le Fils prodigue » (1929).

    Il rencontre les artistes de son temps comme Pablo Picasso et Henri Matisse qui fait de lui un portrait au fusain.

    Selon <Wikipedia> à partir de 1927, Prokofiev supporte de plus en plus mal l’exil et correspond de plus en plus avec ses amis restés en URSS. Il décide d’y faire une tournée dont le succès est tel qu’il fait salle comble pendant plus de deux mois ; il est fêté comme un héros national ayant conquis l’Occident.

    Il envisage alors sérieusement un retour au pays, ce qui lui permettrait de sortir enfin de l’ombre de Stravinsky, d’autant que Diaghilev disparaît de manière totalement inattendue à Venise en 1929.

    Et puis, pour avoir des revenus suffisants que son seul métier de compositeur ne lui donne pas, il est obligé de poursuivre une carrière de pianiste virtuose qui lui donne accès à de nombreux concerts.

    Or Serge Prokofiev veut avant tout être compositeur.

    Cette quête, il la poursuit depuis son enfance.

    Je ne résiste pas à la tentation de raconter cette scène de son enfance relatée par Claude Samuel dans son ouvrage sur Prokofiev :

    « Un jour, raconte Mme Prokofiev [sa mère qui était bonne pianiste] lorsque j’avais fini de jouer, il s’approcha de moi, me tendit un papier et dit Voilà une mazurka de Chopin que j’ai composée, joue-la moi ! Je mis le papier devant moi et je commençai une des mazurkas de Chopin. « Non ce n’est pas ça ! joue la mazurka de Chopin que j’ai composée » Je répondis à cela que je ne pouvais jouer ce qu’il avait fait parce qu’on n’écrivait pas ainsi, mais en le voyant prêt à pleurer, je dus lui montrer les erreurs de sa notation. »

    Et le petit Serge appris vite et continua inlassablement à composer.

    Et il commença même à avoir un peu de succès auprès de compositeurs russes importants et reconnus comme Serge Tanaeiv.

    Cette passion pour la composition il pensa pouvoir l’exercer pleinement en Union soviétique qui lui promettait de l’accueillir confortablement en le laissant composer à sa guise et à son rythme tout en lui versant une pension régulière et sans condition lui permettant d’être compositeur à plein temps.

    C’est en 1936 qu’il devient résident permanent à Moscou. Au départ, la réalité correspond à peu près aux promesses.

    Mais à partir de 1948, le Parti Communiste, Staline et son bras armé culturel Jdanov conçurent qu’il fallait composer des œuvres d’art et notamment la musique selon des normes soviétiques.

    Ce fut l’objet de la Résolution du parti communiste du 10 février 1948.

    J’en ai déjà parlé lors de mots du jour consacrés à Dimitri Chostakovitch.

    Dès lors la vie des compositeurs et des artistes devint un enfer. Interdit de quitter l’Union soviétique, ils risquaient à tout moment de perdre toute capacité à exercer et donc à obtenir des revenus. Bien plus ils étaient menacés d’être envoyés au Goulag, voire d’être exécuté après un procès expéditif.

    David Oïstrakh et Dimitri Chostakovtch ont raconté comment, à cette époque, ils avaient préparé une petite valise pour être prêt, si un matin les sbires de ce régime scélérat venaient les chercher pour les emmener. Probablement que Prokofiev en fit autant.

    Ce fut alors une vie de contrariétés avant une cérémonie de l’Adieu tronquée à cause du « montagnard du Kremlin » comme l’appelait Ossip Mandelstam.

    Prokofiev fut un remarquable compositeur. J’emprunte encore au livre de Claude Samuel cet auto-évaluation du compositeur qui me parait pertinente.

    « Le mérite principal de ma vie a toujours été la recherche de l’originalité de ma propre langue musicale. J’ai horreur de l’imitation et j’ai horreur des choses déjà connues. »

    Il faut bien quelques liens vers des œuvres magistrales :

    D’abord pour admirer la force rythmique de Prokofiev : < <Yuja Wang jouant le Precipitato de la 7ème sonate de piano>

    Son chef d’œuvre symphonique la <5ème symphonie par l’Orchestre de Paris et Paavo Järvi>

    Et son chef d’œuvre absolu, le ballet <Roméo et Juliette par l’Opéra de Paris>

    <1735>

  • Mardi 28 février 2023

    « Un archiviste, c’est quelqu’un qui sait jeter. »
    Benoit Van Reeth

    Benoit van Reeth était archiviste paléographe, élève de la prestigieuse Ecole nationale des Chartes.

    Cette école créée en 1832 a eu pour élève, l’écrivain François Mauriac, les historiens Jean Favier et Régine Pernoud et le philosophe René Girard.

    Dans sa présentation il est précisé que cette école est spécialisée dans la formation aux sciences auxiliaires de l’histoire. En France, c’est l’école incontournable pour accéder au diplôme et au métier d’archiviste paléographe.

    Son établissement principal se trouve 65 rue Richelieu Paris 2ème, à quelques pas de la bibliothèque nationale Richelieu.

    Qu’est-ce qu’un archiviste ?

    Le dictionnaire le Robert donne cette définition : « Spécialiste préposé à la garde, à la conservation des archives. »

    J’aime beaucoup la définition de l’ONISEP qui tente de décrire tous les métiers pour que les jeunes étudiants puissent choisir celui qui leur convient

    « Collecter, étudier, classer, restaurer ou transmettre sur demande tout type de documents (du manuscrit du Moyen Âge, à l’enregistrement vidéo en passant par l’acte notarié), tel est le rôle de l’archiviste. »

    Et un paléographe ?

    Selon Wikipedia : « La paléographie (du grec ancien palaiόs (« ancien »), et graphía (« écriture ») est l’étude des écritures manuscrites anciennes, indépendamment de la langue utilisée (grec ancien, latin classique, latin médiéval, occitan médiéval, ancien français, moyen français, français classique, anciens caractères chinois, arabe, notation musicale, etc.). »

    C’est évidemment le père d’Adèle Van Reeth dont il était question hier.

    Lors de l’entretien mené dans le cadre de < la Librairie Mollat > , à partir de la minute 17, Adèle Van Reeth explique :

    « Mon père était archiviste et nous vivions aux archives. Nous avons vécu dans beaucoup de villes différentes. […] Je me promenais au milieu de tous ces documents. Et je demandais à mon père : c’est quoi être archiviste ?. C’est compliqué. […] Un archiviste c’est pas simplement quelqu’un qui garde des documents pour les rendre accessibles aux historiens et aux chercheurs. […] Il n’y a que certains documents qui peuvent être conservés et pas d’autres. […] Et puis surtout un archiviste, sa mission numéro un c’est conserver et rendre accessible, mais avant cela il faut trier. Et qui dit trier, dit savoir jeter. Et en fait, ce que mon père me répétait souvent et ce qui me fascinait : « Un archiviste, c’est quelqu’un qui sait jeter ». Je pense à mon père à chaque déménagement [quand je veux garder beaucoup de choses] pour pouvoir mieux préserver, il faut savoir jeter. »

    Voilà une réflexion qui me semble particulièrement utile et pertinente et pas seulement dans le cadre d’un déménagement.

    C’est une réflexion qui concerne la vie en général : si on veut bien conserver les choses essentielles, il faut savoir jeter ce qui ne l’est pas.

    Quand Adèle Van Reeth a annoncé la mort de son père, elle l’a illustrée par la photo des archives départementales du Rhône.

    Ce bâtiment se situe à 15 mn à pied de notre domicile.

    Benoit Van Reeth fut le directeur des archives du Rhône de 2003 à 2014.

    Benoît Van Reeth assura la conception et la préparation du déménagement des Archives dans ce nouveau bâtiment inauguré en septembre 2014, à côté de la gare de la Part-Dieu.

    C’est ce que l’on apprend sur ce site des <Archives du Rhône>

    Il finira sa carrière à partir de 2014 à Aix en Provence comme directeur des Archives nationales d’outre-mer.

    <Les actualités du livre> lui ont rendu hommage et raconté tout son parcours au sein des archives de France.

    Le hasard du butinage et de l’écriture du mot du jour, font que celui-ci est publié un 28 février, soit exactement 2 ans après la mort de cet homme du classement, du rangement et de l’Histoire.

    Il nous apprend que si on veut s’attacher à l’essentiel, à ce qui a du prix et de la valeur, il faut savoir se débarrasser du reste.

    <1734>

  • Lundi 27 février 2023

    « Le monde continue mais sans toi, et pour moi ce n’est pas le même monde. »
    Adèle Van Reeth « Inconsolable »

    « J’entre ici en perdante.
    Je sais que les mots ne pourront rien. Je sais qu’ils n’auront aucune action sur mon chagrin.
    Comme le reste de la littérature. Je ne dis pas qu’elle est inutile, je dis qu’elle ne console pas.
    Pourquoi écrire alors ?
    Plus envie de lire. Plus envie de rien.
    Mais les mots, les mots restent, ils dansent, ils percutent, et quand je cloue le bon mot au réel, parfois, je jouis.
    Le goût des mots, quand il s’efface je suis molle.
    Je n’ai pas de grande théorie sur le pouvoir de la littérature ni sur l’utilité de la philosophie.
    Je ne revendique rien.
    Je suis seule.
    Et tout a déjà été dit »

    C’est ainsi que débute « Inconsolable » l’essai qu’Adèle Van Reeth a écrit à la suite de la mort de son père. Il avait 65 ans.

    Mon frère en avait 74.

    Quand on perd un être cher, on dresse l’oreille, on fixe le regard vers celles et ceux qui connaissent la même déchirure et qui s’expriment ou écrivent.

    Adèle Van Reeth est depuis septembre 2022, présidente de France Inter. Je l’avais découverte lorsqu’elle animait les émissions de France Culture d’abord « Les Nouveaux Chemins de la connaissance » qui est devenue « Les Chemins de la philosophie » en 2017.

    Son entrée dans ce livre sur le chagrin, mot qu’elle préfère à deuil, est pessimiste.

    Il semble qu’il n’y a rien à faire et que la consolation est hors d’atteinte.

    Dans < cet entretien avec Pierre Coutelle > dans le cadre des rencontres organisées par la « Librairie Mollat » de Bordeaux, Adèle Van Reeth affirme :

    « La philosophie ou la littérature ne nous apporteront pas la consolation ultime ».

    Je comprends cette expression « consolation ultime » comme un processus qui fait oublier le chagrin et conduit à passer à autre chose.

    Elle ajoute : « Des livres, une œuvre d’art, un animal domestique, de l’alcool peuvent apporter de la consolation, mais pas la consolation ultime »

    Et elle explique :

    « Je pose l’hypothèse que nous sommes depuis la naissance des êtres inconsolables. C’est-à-dire que nous naissons avec une perte, un manque, une fêlure. »

    L’hypothèse qu’elle émet s’appuie, bien sûr, sur la perception de notre finitude. Nous sommes inconsolables parce que nous sommes mortels. Et elle parle de l’expérience de l’état d’« inconsolable » lors de la perte d’un être proche et aimé.

    Elle fustige « les marchands de consolation », remet en cause le bien-fondé de ce qu’on appelle « le travail de deuil » qu’elle assimile à un « manuel à suivre » et conteste les « injonctions à la consolation ».

    « Il y a un temps, un moment juste après la mort de l’être aimé où on peut avoir envie de rester triste […] Il y a un moment où la tristesse paraît être un lien encore vivant avec la personne qui n’est plus. Tant que je suis triste, je maintiens un lien avec cette personne que je ne peux plus toucher, avec qui je ne peux plus parler. […] Le rapport à la tristesse est beaucoup plus intéressant que ce que l’on dit. Il y a une manière de vivre non malgré la tristesse, mais avec la tristesse en allant bien. En retrouvant le goût, l’appétit de la vie, même en décuplant ce gout de la vie, parce que la tristesse nous apporte, nous enseigne quelque chose. Je crois qu’il y a une sagesse de la tristesse. Il me semble que c’est plus intéressant et même plus réconfortant que dire « consolez-vous » et vouloir que la personne sèche ses larmes à tout prix. »

    Mais ce qui m’a le plus marqué dans son témoignage c’est cette phrase qu’elle a écrite dans son essai et qu’elle adresse à son père mort :

    « Le monde continue mais sans toi, et pour moi ce n’est pas le même monde. »

    C’est ce que je ressens profondément, la vie continue, bien sûr, mais ce n’est plus le même monde !

    Et elle a cette autre inspiration :

    « Une absence dit ce qui n’est pas !
    Mais rien n’est plus présent qu’une absence quand il s’agit d’une personne qui vous manque autant. »

    Dans la dernière page du livre Adèle Van Reeth écrit :

    « Mon papa, je voulais te dire que je vais bien […] je vais bien avec la tristesse, si je n’avais pas de tristesse, j’irais bien aussi, mais pas de la même façon. La tristesse sera toujours là, c’est ainsi, mais elle ne m’empêche pas d’aller bien.[…] On m’a dit que pour aller bien il fallait me consoler, il fallait que la tristesse disparaisse, mais il n’en est rien. Je vais bien non pas malgré la tristesse mais avec elle. »

    Dans un duo très intéressant avec la philosophe Vinciane Despret, elles engagent des variations sur ce thème : « aller bien avec la tristesse » dans l’émission de France Culture : « Le book club » : <Écrire la mort>

    Vinciane Despret a aussi écrit un livre : « Les morts à l’œuvre » paru début janvier 2023.

    Dans ce livre, Vinciane Despret raconte cinq histoires de morts pour lesquels les vivants ont commandé une œuvre d’art grâce à un protocole politique et artistique nommé « le programme des Nouveaux Commanditaires ».
    Son livre est une enquête qui se concentre sur ce protocole artistique qui a été mis en œuvre par le photographe François Hertz en se posant simplement la question : « si les États, les banques, les entreprises ont le droit de commander des œuvres d’art, pourquoi les citoyens n’auraient pas le droit ? »

    Bien sûr il faut argumenter et tous n’auront pas gain de cause, mais il est possible à chacun de commander une œuvre d’art.

    Il existe un site des «Nouveaux Commanditaires» et une page expliquant «le protocole» qui se termine par ce paragraphe :

    « Financée par des subventions privées et publiques, l’œuvre devient la propriété d’une collectivité et sa valeur est, non plus marchande, mais celle de l’usage que cette collectivité en fait et de l’importance symbolique qu’elle lui accorde. »

    Dans l’émission en duo avec Adèle van Reeth, Vinciane Despret a cité une élue locale qui à la réception d’une œuvre, créée dans le cadre de ce protocole, a exprimé cette quête :

    « Faire de l’absence, une beauté »

    A la fin, de la fête de ses 70 ans, mon frère Gérard a déballé son violon et joué quelques œuvres dont une « Valse moderato » écrite par notre père qui lui avait dédié ce morceau, alors que tout jeune garçon de 15 ans, il se trouvait seul à Paris, dans une famille d’accueil pour suivre les cours du Conservatoire national supérieur de musique de Paris.

    Vous trouverez si vous le souhaitez une vidéo de ce moment derrière ce lien : <Gérard joue>

    <1733>

  • Mercredi 22 février 2023

    « Historiquement, ce travail de « reproduction sociale », comme j’entends le nommer, a été assigné aux femmes, bien que les hommes s’en soient aussi toujours en partie chargés. Étant à la fois affectif et matériel, souvent non rémunéré, c’est un travail indispensable à la société. »
    Nancy Fraser

    A la lecture du mot du jour d’hier, Annie m’a interpellé en remarquant que je ne disais pas que le travail hors emploi était indispensable à la société.

    C’est exact.

    Mais j’avais déjà écrit un tel mot du jour, le 14 octobre 2016, en faisant référence à une conférence de la philosophe Nancy Fraser : <Les contradictions sociales du capitalisme contemporain>

    <Mot du jour sans numéro>

  • Mardi 21 février 2023

    « C’est durant la période de [non-emploi] que l’on peut encore rêver, à la manière du jeune Marx, d’échapper à la spécialisation, d’être tour à tour chasseur, pêcheur ou lecteur de Platon »
    Raymond Aron « Les désillusions du progrès » page 185

    Dans <le mot du jour du 31 janvier 2023> j’esquissais une explication qui tentait d’approcher ce désir très fort, cet attachement, en France, à une retraite ne venant pas trop tard dans la vie humaine.

    Cette explication parlait non pas de la retraite, mais du travail et de l’insatisfaction actuelle d’un grand nombre par rapport au contenu, au sens et à l’organisation de leur activité professionnelle.

    Je reprenais dans cet article la distinction que faisait le philosophe Bernard Stiegler entre « le travail » et « l’emploi ».

    « L’emploi » étant toujours du travail, mais du travail rémunéré, celui qui permet à « l’employé » de toucher un revenu. Il permet aussi, au niveau macro-économique d’abonder le fameux « PIB » si important pour la foule des économistes traditionnels et des politiques qui exercent le pouvoir.

    Mais l’emploi n’englobe pas tout le travail réalisé dans une société et cela de très loin.

    Quand une assistante maternelle s’occupe d’enfants c’est du travail et un emploi. Quand une mère ou un père font exactement la même chose à l’égard de leurs enfants c’est aussi du travail, mais ce n’est pas de l’emploi.

    Quand un retraité, dans un cadre associatif, aide bénévolement des jeunes scolaires à améliorer leur compréhension de ce qui  leur est demandé, il exerce un travail mais non un emploi.

    Et aussi quand une femme ou un homme, travaillent dans leur jardin pour produire des légumes ou des fleurs, le verbe utilisé, à raison, est sans ambigüité. Mais ce n’est pas un emploi !

    Alors, certes la réforme des retraites que notre Président a brusquement dégainé pendant une campagne présidentielle assez pauvre en proposition, en contradiction formelle avec ce qu’il proposait cinq ans auparavant est très critiquable.

    Mais dans le mot du jour d’aujourd’hui je veux revenir à la problématique de « l’emploi » dans notre société moderne.

    Dans les années 80, il y a 40 ans, j’ai beaucoup lu Raymond Aron. Ce n’était pas une lecture habituelle des gens de gauche dont je me réclamais. Mais il m’attirait parce que lorsque je le lisais, je me sentais plus intelligent, je comprenais mieux ce qui était en train de se passer devant mes yeux, sur la scène internationale, comme dans la société dans laquelle je vivais.

    On ne sait plus très bien qui le premier a eu cette formule :

    « J’aime mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron»

    La formule avait été repris, en 1987, dans un essai d’Etienne Barilier, « Les Petits Camarades » qui évoquait les destins parallèles de Sartre et Aron qui avaient été camarades dans la même promotion de l’ENS de la rue d’Ulm entre 1924 et 1928.

    Cet article de « l’Express » de 1995 : <Sartre-Aron: duels au sommet> évoque cette relation à travers un autre essai celui de Jean-François Sirinelli : « Deux Intellectuels dans le siècle. Sartre et Aron » ( Fayard ).

    Pour ma part, j’ai très vite, été attiré davantage par le réalisme de Raymond Aron qui analysait le monde et les individus tels qu’ils étaient et envisageait les chemins permettant d’améliorer la situation en partant du réel, plutôt que Jean-Paul Sartre qui inventait un monde idéal dans sa tête et poursuivait le dessin de tordre la réalité pour essayer de l’amener vers ses idées. La démarche de Sartre était révolutionnaire, les révolutions ont versé beaucoup de sang et abouti à des catastrophes souvent monstrueuses.

    Alors bien sûr, beaucoup de choses ont changé depuis que Raymond Aron analysait le monde :

    • En premier lieu, l’Union soviétique s’est effondrée.
    • La révolution numérique a imposé d’autres organisations.
    • La France s’est largement désindustrialisée.
    • L’économie s’est mondialisée et financiarisée.
    • Les problèmes écologiques et de ressources se sont imposés à nous.

    Mais Raymond Aron avait déjà largement abordé le sujet de la modernité et de ses limites.

    Ainsi, il a publié en 1969, un livre « Les désillusions du progrès » dans lequel, entre autre, il montrait que le progrès n’était pas le même pour tous et qu’il ne signifiait pas forcément des lendemains qui chantent.

    Vous trouverez sur le site « CAIRN » une analyse globale de cet ouvrage par Serge Paugam :  « Relectures de Raymond Aron, Les Désillusions du progrès (1969) »

    Mais c’est un point précis de cet ouvrage qui est resté dans ma mémoire, 40 ans après sa lecture.

    Et en feuilletant le livre, j’ai retrouvé ce constat qui m’avait alors interpellé et qui depuis, au regard de mon expérience professionnelle, me parait totalement pertinent.

    Raymond Aron n’avait pas anticipé la réflexion de Bernard Stiegler et au contraire, il réduisait le concept de « travail » au seul « emploi » :

    « J’ai pris jusqu’à présent le terme de travail ou de métier en un sens neutre et social : ni châtiment divin, ni obligation morale, ni maniement d’outils, ni transformation de la matière, le travail désigne l’activité exercée le plus souvent hors du foyer, en vue d’un salaire ou d’un traitement. Cette définition reflète, me semble-t ‘il, la conception dominante de notre époque. »
    Raymond Aron « Les désillusions du progrès » page 185

    Et il posait cette limite à l’épanouissement du plus grand nombre des individus dans le cadre professionnel :

    « toutes les sociétés, y compris les plus riches, continuent de former les hommes dont elles ont besoin, mais qu’aucune d’entre elles, en dépit des objectifs proclamés, n’a besoin que tous les hommes accomplissent pleinement les virtualités qu’ils portent en eux. Aucune n’a besoin que beaucoup deviennent des personnalités et soient capables de liberté par rapport au milieu. »
    Raymond Aron « Les désillusions du progrès »

    Le monde économique a besoin de personnes qui se spécialisent pour être efficaces et productives :

    « Certes, la spécialisation professionnelle requiert une formation, elle aussi spécialisée, elle oblige chacun à sacrifier certaines aspirations à restreindre son horizon intellectuel : prix à payer mais que l’homme d’aujourd’hui doit payer ».
    Raymond Aron « Les désillusions du progrès »

    Et il en arrive à cette conclusion.

    « C’est durant la période de non-travail que l’on peut encore rêver, à la manière du jeune Marx, d’échapper à la spécialisation, d’être tour à tour chasseur, pêcheur ou lecteur de Platon »
    Raymond Aron « Les désillusions du progrès » page 185

    C’est ce constat que j’ai retenu et retrouvé dans ce livre.

    Je l’ai pris pour exergue de ce mot du jour, mais je me suis permis de l’amender dans le sens de la dichotomie décrite par Bernard Stiegler en remplaçant le mot « travail » par « emploi ». Ce qui correspond exactement à ce que voulait dire Raymond Aron.

    Et bien entendu, la période de la retraite correspond idéalement à cette période de non-emploi permettant de rêver d’être lecteur de Platon ou de mener une autre activité large et épanouissante très loin de la réduction à la spécialisation professionnelle.

    <1732>

  • Lundi 20 février 2023

    « Airglow »
    Lueur d’air, phénomène naturel rare d’origine chimique dans la haute atmosphère

    Au départ il y a une magnifique photo d’un étudiant de 22 ans : Julien Looten.

    La photo prise le 21 janvier 2023 vers 22 heures, est garantie sans trucage. Toutefois pour réaliser ce que l’on voit, il a fallu à ce jeune homme patient et disposant d’une solide connaissance de la technique photographique : réaliser un « grand panorama » d’une quarantaine d’images, cumulant environ une heure d’exposition. Il a ensuite dû les assembler et enfin utiliser un logiciel pour régler la distorsion, la balance des blancs.

    S’il n’y a pas de trucage, il y a au moins beaucoup de technique.

    Julien Looten l’a ensuite publié sur Instagram : < https://www.instagram.com/p/Cn42shuMNLs/> avec ce commentaire :

    « Samedi soir, je me suis rendu au Château de Losse (Dordogne) pour prendre en photo la Voie lactée. Un phénomène exceptionnel s’est produit ce soir-là… un airglow extraordinaire

    Le ciel semble être couvert de “nuages multicolores”… Il ne s’agit pas de couleurs parasites ou de traitements spéciaux. Il s’agit d’un phénomène naturel rare causé par une réaction chimique dans la haute atmosphère, où les rayons du soleil excitent des molécules qui émettent alors une très faible lumière (chimiluminescence).

    Ces “nuages” sont situés entre 100 et 300 km d’altitude. La couleur du phénomène change en fonction de l’altitude. Il peut prendre des formes étranges, comme ici sous forme de “vagues ». Ces nuages semblent émerger du pôle Nord (extrémité droite) et Sud (extrémité gauche).

    Le airglow peut être observé à l’œil nu. C’était le cas ce soir-là, je l’ai même confondu avec du brouillard. En revanche, les couleurs ne sont pas visibles par l’œil humain, qui est bien moins sensible qu’un capteur d’appareil photo.

    L’arche de la Voie lactée est ici, visible dans sa totalité, grâce à un panorama de 180°. À gauche, la constellation d’Orion. Au centre : Mars, les Pléiades et la nébuleuse Californie. À droite : la constellation de Cassiopée et la galaxie d’Andromède »

    Cette photo a été repérée par la Nasa, qui l’a ensuite publiée sur un de ses sites le mercredi 15 février : <Astronomy Picture of the Day>

    Cette étonnante photo prise en Dordogne a ainsi fait le tour du monde

    Pour ma part j’ai découvert cette photo sur le site du journal « La Montagne », quotidien régional de Clermont-Ferrand, : <Repérée par la Nasa>

    Ce journal nous apprend que Julien Looten étudie l’archéologie à Bordeaux et se passionne pour l’astrophotographie, une discipline consistant à immortaliser des objets célestes.

    Il nous apprend aussi que c’est la seconde fois que Julien Looten a été repéré par la NASA. En août, une de ses photos prise au cap du Dramont avait déjà été sélectionnée pour servir de « Picture of the day ».

    C’est aussi une aubaine pour le site touristique du château de Losse.

    « La Montagne », écrit :

    « Le gestionnaire de ce site touristique, Martin de Roquefeuil, se dit « très fier » de voir cette magnifique bâtisse du XVIème siècle ainsi mise en avant. « J’ai énormément de retours. Et notre site Internet, qui est d’habitude plutôt en sommeil à cette époque de l’année puisque nous sommes fermés jusqu’au printemps, a connu un gros pic de fréquentation ces derniers jours. Localement, on m’en parle beaucoup, les gens m’envoient les reportages qui sont faits sur le sujet. » »

    Les journaux se sont fait l’écho de cette photo et de sa destinée :

    « La Voix du Nord » : : <La superbe photo astronomique d’un Nordiste mise à l’honneur par la Nasa !>

    Même « TF1 » en a parlé : <Ce photographe nous en met plein la vue !>

    Et « Ouest France » <Sa photo d’un « airglow » capturée en Dordogne est l’image du jour sélectionnée par la Nasa>

    La plateforme numérique : « Lille Aux Artistes » qui promeut les artistes et la culture des Hauts-de-France dispose d’une page consacrée à cet étudiant artiste : <Julien Looten>

    Il faut savoir que sur le site de la NASA, « Apod » c’est généralement, des images capturées par des télescopes comme James Webb ou Hubble qui sont publiées.

    Un tel voisinage ne peut être que valorisant

    On pourrait dire que la nature est belle.

    Cela est certes vrai.

    Il faut cependant savoir qu’il n’est pas possible de voir ce que montre cette photo, à l’œil nu.

    <1731>

     

  • Mercredi 01 février 2023

    « Jubilación »
    Mot espagnol invitant à l’euphorie

    Ce 1er février 2023 est mon premier jour de retraite.

    C’est un drôle de nom que celui de « retraite ».

    La première définition que j’avais comprise, dans ma jeunesse, de ce mot était sa réalité militaire : « battre en retraite ». Autrement dit fuir devant l’adversaire, abandonner le champ de bataille, abandonner la position.

    Il existait des retraites en bon ordre de généraux ingénieux qui évitaient ainsi une défaite. Mais le plus souvent « retraite » était synonyme de « fuite », « débâcle », « débandade » « déroute ».

    Dans la Lorraine de mon enfance et plus précisément le bassin houiller lorrain, il n’était pas question de « retraité » mais de « pensionné », celui qui touchait une pension.

    C’était assez clair dans mon esprit : un salarié touchait un salaire, un pensionné touchait une pension.

    Dans les cours de religion, on parlait d’une autre retraite, la « retraite spirituelle » pour s’éloigner du tumulte de la vie séculaire et commerçante.

    Quand on se tourne aujourd’hui vers le « Larousse » il est clair que la première définition du mot retraite et la deuxième aussi, correspond à ma réalité d’aujourd’hui.

    « 1. Action de se retirer de la vie active, d’abandonner ses fonctions ; état de quelqu’un qui a cessé ses activités professionnelles : Prendre sa retraite.

    2. Prestation sociale servie à quelqu’un qui a pris sa retraite : Toucher sa retraite. »

    Puis on arrive à la retraite spirituelle et une déclinaison :

    « 3. Période où l’on se tient loin des préoccupations profanes pour se recueillir ; lieu où se déroulent ces exercices.

    4. Lieu où quelqu’un se retire pour vivre dans le calme, la solitude, ou pour se cacher : Un appartement qui a servi de retraite à un fugitif. »

    Il faut arriver au rang 5 pour parler d’une armée en retraite :

    « 5. Marche en arrière d’une armée qui ne peut se maintenir sur ses positions. »

    Et puis il y a des cas spécifiques :

    « Bâtiment

    6. Diminution donnée à l’épaisseur d’un mur, étage par étage, à mesure que l’on s’élève.

    Militaire

    7. Signal (sonnerie de clairon, batterie de tambours) marquant la fin d’une manœuvre ou d’un tir.

    Vénerie

    8. Sonnerie de trompe qui marque la fin de la chasse. »

    Dans « le Robert » l’ordre n’est pas le même on commence par la retraite militaire.

    Mais le juge de paix est le vieux « Littré » dont la première définition est : « Action de se retirer. ». Si vous voulez en savoir davantage voici le lien : https://www.littre.org/definition/retraite

    Si on s’intéresse à l’étymologie du mot retraite on constate qu’il est formé de deux mots :

    • du préfixe re, retour en arrière
    • et du latin trahere, tirer, traîner, tracter

    Et c’est donc le Littré qui commence par expliquer que c’est l’action de se retirer qui semble le plus proche de cette origine.

    Mais comment appelle t’on la « retraite » des salariés dans les autres langues ?

    En anglais, il s’agit toujours de se retirer : « retirement ».

    L’italien semble plutôt utiliser « pensione».

    Alors que l’allemand utilise « Ruhestand » ce qui signifie, en version littérale, Position (stand) de Repos (Ruhe).

    Mais c’est ma belle-sœur Josiane qui m’a appris que l’espagnol utilisait un terme à la consonance. étonnante.

    J’ai quand même voulu vérifier auprès du meilleur traducteur en ligne « DeepL »

    Et pas de doute, l’espagnol utilise bien le mot « Jubilación »

    Alors je suis bien incapable de produire l’exégèse de ce mot en espagnol.

    Toutefois cette langue comme la langue française sont des langues latines.

    Or l’excellent dictionnaire du CNRS nous apprend que « jubilation» vient du latin jubilaciun « chant d’allégresse » (Psautier Oxford, éd. F. Michel, p. 127 [= Psaume 88, 16])

    Et à la fin du XIVème siècle on trouve :

    «  « réjouissance, joie vive » (Roques t. 2, 6319 : iubilacio, cionis jubilacion. c’est chançon joieuse. grant joie). Empr. au lat.jubilatio « cris », lat. chrét. « cris, chants, retentissement d’un instrument de musique (exprimant la louange, la joie, le triomphe; Vulgate, Psaumes 88, 16 et 150, 5) », dér. de jubilare (jubiler*). »

    Il me semble donc qu’il faut bien entendre ce mot comme jubilatoire.

    Si un peu d’Histoire ne peut nuire, il faut rappeler que le système de retraite français est mis en place à la Libération par les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 qui instituent la Sécurité sociale.

    Les pères de cette réforme furent Ambroise Croizat, ministre du Travail de 1945 à 1947 et Pierre Laroque , Haut fonctionnaire.

    J’avais évoqué ces deux visionnaires de l’État social dans un mot du jour de 2016 en mettant en exergue une phrase d’Ambroise Croizat :

    « Mettre définitivement l’homme à l’abri du besoin, en finir avec la souffrance et les angoisses du lendemain »

    Mais il semble que l’ancêtre de tous les régimes de retraite français est « La Caisse des Invalides de la Marine Royale ». Le ministre des Finances de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert, a créé une pension de retraite pour les marins dès 1673.

    Donc finalement, en un mot et en conclusion : Jubilation !

    <1730>

  • Mardi 31 janvier 2023

    « Il y a un conflit très fort et très sourd, entre celles et ceux qui conçoivent le travail des autres sans le faire et celles et ceux qui font le travail sans pouvoir le concevoir. »
    Marie-Anne Dujarier

    Ce 31 janvier, la France va être touchée par un conflit social d’ampleur qui s’élève contre une nouvelle réforme des retraites qui va reculer l’âge minimum permettant de partir à la retraite de 62 ans à 64 ans.

    Les uns, en s’appuyant sur l’exemple des pays voisins qui ont presque tous un âge officiel de retraite supérieur à 64 ans et sur l’allongement de la durée de vie considèrent cette réforme indispensable, voire insuffisante par rapport aux enjeux.

    Les autres qui refusent cette réforme prétendent qu’il n’y a pas urgence à légiférer et que cette réforme est très injuste car elle fait reposer tous les efforts sur une population très ciblée.

    Mais ce n’est pas des retraites que je vais parler aujourd’hui, mais de cette appétence d’un grand nombre de français dont je fais partie, qui aspirent le plus vite possible à la retraite.

    Appétence qui probablement révèlent une relation contrariée avec le travail et plus précisément avec l’emploi.

    Le site Atlantico donne la parole au sociologue du CNRS Philippe d’Iribarne pour évoquer <les deux clés des blocages français à côté desquelles passent les réformes>

    Ces deux clés sont selon cet article :

    • L’emploi des seniors
    • La satisfaction au travail

    L’emploi des seniors est souvent évoqué à propos de cette réforme, parce que les salariés de 55 ans éprouvent beaucoup de difficultés à conserver leur emploi et d’en retrouver un, lorsqu’ils se trouvent au chômage.

    On parle moins de la satisfaction au travail.

    Atlantico cite un ancien ministre d’Emmanuel Macron qui affirme dans l’Opinion, qu’il faudrait dire aux Français : « On a compris que vous n’êtes pas heureux au travail. Et répondre à ce mal-être plutôt que d’encourager la fuite en avant avec la réforme des retraites dans sa version actuelle. »

    Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d’Iribarne est l’auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Son dernier ouvrage, publié en septembre 2022, s’intitule « Le Grand Déclassement »

    Il était aussi l’invité de l’émission des matins de France Culture du Lundi 23 janvier 2023 : <Retraites : la peur du travail sans fin>.

    Guillaume Erner avait également invité Marie-Anne Dujarier sociologue du travail, autrice de « Troubles dans le travail, sociologie d’une catégorie de pensée » (Presses Universitaires de France, 2021).

    Dans cette émission le rapport des Français au travail a été longuement développé. Rapport qui explique probablement notre relation crispée avec l’âge de la retraite.

    Philippe d’Iribarne livre ce qui est, selon lui, la « vision française » du travail : « un homme digne de ce nom, vraiment libre, qui ne dépend de personne, au service de sa propre gloire en quelque sorte. Pour un Allemand, faire une tâche utile, au service de la communauté, suffit. Pour un Français, il faut des conditions exceptionnelles de travail et d’autonomie pour qu’il se sente heureux. »

    Le premier point développé par Marie-Anne Dujarier qui m’a paru très pertinent est la distinction entre « travail » et « emploi » (7:08) :

    « Le travail ne se limite pas à l’emploi. […] Nous avons des usages sociaux du mot travail qui ont varié dans l’Histoire. Et qui continue d’être différent selon qui parle dans la société. Nos institutions et les usages qu’en font l’État : le travail c’est essentiellement l’emploi. Ce qu’on appelle le code du travail, les politiques du travail, les statistiques du travail se référent essentiellement à l’emploi. De même quand les employeurs parlent de travail, ce qui est assez rare, ils parlent essentiellement d’emploi. […]

    Pour celles et ceux qui œuvrent, qui produisent le travail a un tout autre sens puisqu’il peut, en effet, être l’emploi avec toutes les conditions liées à ce terme. C’est-à-dire la rémunération mais aussi les droits, l’accès à un système de solidarité. Mais le travail est aussi une activité qui soit sensée, qui fasse sens, qui produise des choses qu’on juge utile, belle ou simplement pertinente, dans des conditions qui permettent de développer son intelligence, ses pratiques.

    Et tout cela dans des relations sociales de belle qualité. […] Savoir qui travaille et à quel moment est un objet de conflit, un objet de débat politique.

    Est-ce que des tâches domestiques sont du travail ? Est-ce qu’un animal qui produit des choses utiles travaille ? Vous et moi, lorsque nous laissons des traces numériques sur le net qui enrichissent une firme étasunienne, travaillons-nous ?

    Tout cela fait l’objet de décisions collectives et qui sont profondément politiques.»

    Ainsi très concrètement quand j’écris un mot du jour, comme celui d’aujourd’hui est-ce du travail ?

    Je ne crois pas qu’on puisse qualifier cette activité de loisir. Si ce n’est du travail, qu’est ce alors ?

    Ce n’est pas un emploi : je ne suis pas rémunéré, je n’ai pas de droits sociaux, je n’ai pas non plus de contraintes ou d’obligations autres que celles que je me fixe moi-même.

    Cette distinction entre l’« emploi » et le « travail » je l’avais d’abord entendu exprimer par le philosophe Bernard Stiegler qui avait écrit « L’emploi est mort, vive le travail » en 2015.

    J’avais écouté avec beaucoup d’intérêt la présentation de son ouvrage qu’il avait fait lors d’une conférence qu’il avait réalisée à <l’Université Paris Ouest Nanterre> en 2016.

    J’avais le projet d’en faire un mot du jour. Projet que je n’ai jamais réalisé.

    Le philosophe mort en 2020, développait aussi ce concept qui m’a interpellé de « prolétarisation » qu’il définit de la manière suivante :

    « La prolétarisation est, d’une manière générale, ce qui consiste à priver un sujet (producteur, consommateur, concepteur) de ses savoirs (savoir-faire, savoir-vivre, savoir concevoir et théoriser). […] La prolétarisation transforme le travail dans son ensemble en emplois vides de tout savoir et n’appelant que des compétences définissant une « employabilité », c’est-à-dire une « adaptabilité ». Les savoir-faire aussi bien que les savoir-vivre étant passés dans les machines et les systèmes de communication et d’information avec les machines informationnelles qui les transforment en automatismes sans sujet. […] C’est cette prolétarisation qui instaure le salariat, c’est-à-dire l’emploi. [Les employés] deviennent une marchandise substituable sur le marché de l’emploi. »

    Ces idées sont développées dans ce texte publié sur le site des <Rencontres Philosophies Clermontoises>.

    Après cette distinction qui révèle que le travail peut être effectué dans le cadre d’un emploi ou en dehors, la question devient plus précise : Quel est le rapport des français par rapport à l’emploi ?

    Guillaume Erner cite un sondage (18:49) dans lequel il apparait que la fierté d’appartenance à une entreprise diminue et aussi que le rapport au temps et à l’argent s’est inversé. Cette évolution a été observée entre 2008 et 2022. Aujourd’hui les français préfèrent gagner moins d’argent pour avoir plus de temps libre (61%) alors qu’à la même question ils étaient 38% de cet avis en 2008.

    Je note que je fais partie des 61% puisque je renonce à une retraite pleine pour pouvoir me retirer de l’emploi plus rapidement.

    Marie-Anne Dujarier analyse cette réticence devant l’emploi par deux facteurs :

    « En matière d’emploi, nous sommes confrontés aujourd’hui à deux faits sociaux majeurs qui viennent à rendre l’activité dans l’emploi dégoutante ou repoussante :

    Le premier fait c’est ce qu’on appelle l’anthropocène ou capitalocène, on peut lui trouver plusieurs noms. Dans nos modes de production contemporain, plus nous travaillons plus nous polluons, nous réduisons nos chances de subsistance collective. Alors pas mal d’employés et pas seulement des jeunes se disent : à quoi bon se former se subordonner si c’est pour produire des choses moches, nocives, écocides qui enrichissent ceux qui sont déjà démesurément riche. […]

    Le second facteur, ce sont les modes de management contemporain. Dans les entreprises privées capitalistes, l’impatience et la gloutonnerie des actionnaires fait que ce qui compte, c’est uniquement ce qui se compte. Et cette logique financière abstraite fait que les employés ne sont que des ressources. Ils sont amenés à faire des choses pour autre chose : on ne produit pas de la nourriture pour produire de la nourriture, mais pour améliorer un score financier.

    Tout ceci fait douter de l’intérêt de s’engager et de consacrer beaucoup de temps de sa vie à ces projets dont on se met à douter de la finalité et de l’intérêt du point de vue de l’activité. »

    Pour Philippe d’Iribarne :

    « La fierté est une chose très importante en France. On a besoin d’être fier de faire son métier, d’appartenir à son entreprise. La dégradation de la fierté est quelque chose de très grave. […] Un aspect important a été que pendant longtemps les outils pratiques de contrôle du travailleur de base par les superstructures étaient limités. L’individu en prenait et en laissait par rapport aux instructions qu’ils suivaient de manière très lâche. Il y avait une sorte de compromis tacite entre de grande affirmation de contrôle et une pratique de contrôle assez modeste. L’évolution des systèmes informatiques a permis de suivre de manière beaucoup plus étroite et à tout instant les activités de chacun. Chacun est entré dans un système de contrôle et de contrainte de manière beaucoup plus sérieuse qu’auparavant. »

    Concernant le contrôle, on pourrait rétorquer que le travail à la chaîne, le taylorisme constituait un travail très contraint et très contrôlé, bien avant l’arrivée des outils informatiques.

    Mais concernant les activités de service et de cadre, je pense que son analyse est particulièrement exacte.

    Il évoque cependant le cas particulier d’ouvriers qui exercent une vraie activité, c’est-à-dire pour laquelle ils perçoivent immédiatement l’utilité et l’intérêt pour celles et ceux qui bénéficient de leur ouvrage. Ces ouvriers restent fiers et attachés à leur emploi. Dans l’article d’Atlantico cité, il dit :

    « Attention de ne pas généraliser, une partie importante des travailleurs français sont tout à fait satisfaits de leur travail, dont ils ont le sentiment qu’il correspond bien à leurs attentes. »

    Mais le sujet du management semble particulièrement problématique.

    Marie-Anne Dujarier explique :

    « Nous avons un management dans le privé qui a été importé dans le public sous le nom de « nouveau management public » qui […] est une conception de l’activité qui est faite par des gens qui sont assez éloignés de l’activité réelle. Ce qu’on peut appeler le management à distance, avec une méconnaissance de ce Réel assez forte qui induit que de plus en plus de femmes et d’hommes sont contraints de travailler avec des outils, des procédures, mais aussi des objectifs qui ont été conçus par d’autres, et qui orientent leur activité sur des indicateurs. Tout ceci avec des dispositifs pseudos rationnels qui face à la réalité du terrain sont toujours un peu défaillants et tout cela fondé sur un postulat de méfiance qui accroît le contrôle permanent de ces salariés, qui sont mis en concurrence, entre structures, entre pays, mais aussi entre statuts par exemple fonctionnaires et salariés.»

    Et puis elle a ce développement (34 :00) qui me semble essentiel et rencontre mon vécu :

    « Ce qui est intéressant c’est qu’il existe une sorte de guerre civile sur la notion de productivité comme sur celle de qualité. Vu des différents acteurs la notion de qualité ou de productivité n’est pas la même. Vous prenez un travailleur social qui doit recevoir des gens qui sont dans des difficultés multiples etc. Cela demande un entretien fin, pour pouvoir démêler les affaires de cette personne. Évidemment si cet entretien est long, vu du gestionnaire, vu d’en haut, l’entretien dure trop longtemps. Vous voyez bien que la performance n’est pas la même selon qu’on voit de haut ou qu’on le regarde dans le grain fin de l’activité.

    Il y a donc un conflit très fort et très sourd, entre celles et ceux qui conçoivent le travail des autres sans le faire et celles et ceux qui font le travail sans pouvoir le concevoir. »

    J’avais un jour répliqué à un de mes directeurs : « Plus on est placé haut dans la hiérarchie, plus on peut tenir des discours et des théories brillantes et lyriques remplis de contradictions et d’incohérence, mais plus on est près des réalités et du terrain plus ces incohérences sont prégnantes et ne peuvent être mises en œuvre sans surmonter la contradiction en s’éloignant de la théorie. ».

    L’envie de rester dans l’emploi dépend éminemment de la qualité de l’emploi.

    Mon père est parti à la retraite à 71 ans, il était professeur de violon. Il était fier de son emploi qui le rémunérait mais aussi le nourrissait intérieurement.

    <1729>

  • Dimanche 15 janvier 2023

    « Maman »
    Terme affectueux dans le langage de l’enfant et dans celui de l’adulte pour désigner sa propre mère

    Maman est un nom doux, un nom tendre.

    Revienne les souvenirs de l’enfance, on tombait et on se faisait mal, le nom de « Maman » sortait naturellement de la bouche. La tristesse trouvait sa consolation quand Maman prenait son enfant dans les bras.

    Brassens, chanteur iconoclaste qui écrivait le plus souvent des paroles drues et provocantes est devenu tout doux en l’évoquant

    « Maman, maman, je préfère à mes jeux fous
    Maman, maman, demeurer sur tes genoux
    Et, sans un mot dire, entendre tes refrains charmants »

    Le dictionnaire du CNRS donne la définition suivante de « Maman » :

    « [Souvent employer comme appellatif affectueux] Mère, dans le langage de l’enfant et dans celui de l’adulte pour désigner la mère de famille, sa propre mère ou celle qui en tient lieu. »

    Et Jean Pruvost écrit dans le <Figaro> :

    Issu du grec et du latin «mamma» qu’on retrouve dans «mammifère» et «mamelle», s’installe aussi dans notre langue son synonyme très affectueux et somme toute premier dans le langage enfantin: «maman». Attesté par écrit dès 1256, il entre aussi dans nos tout premiers dictionnaires, par exemple en 1680 dans le Dictionnaire françois de Pierre Richelet, avec une orthographe surprenante : m’aman, orthographe qui démarque bien la nature de ce mot, d’abord propre aux enfants.

    On raconte que dans les tranchées de 14-18, les rugueux soldats appelaient « Maman » quand ils étaient gravement blessés ou trop angoissés, comme un enfant qui appelle « Maman » car elle est forcément la solution.

    Après la mort de sa mère Albert Cohen a écrit « Le livre de ma mère » dans lequel il a eu cette phrase :

    « Les fils ne savent pas que leurs mères sont mortelles. »

    C’est pourtant l’expérience de la vie, quand l’ordre des choses est respecté, la mère décède avant ses filles et ses fils.

    Et dans l’immense majorité des cas, ce moment est une déchirure : la perte de l’être humain qui nous a porté et mis au monde.

    Mais avant de devenir Maman, il faut d’abord qu’une précédente Maman la fasse naître.

    Il y a 100 ans : le lundi 15 janvier 1923, une fille est née dans le foyer de Franziska Kordonowski et Vincent Tettling, tous deux de nationalité polonaise.

    35 ans après elle deviendra ma maman.

    A 24 ans elle est devenue Maman en mettant au monde mon frère Gérard. Entre temps, elle deviendra aussi la maman de Roger à 26 ans.

    Son acte de naissance révèle qu’elle est née le 15 janvier 1923 à 10h30 du matin à Essen III.

    Essen est une ville allemande de la Ruhr du Land : Rhénanie-du-Nord-Westphalie.

    Essen est divisée en subdivision administrative et la partie III se situe selon Wikipedia à l’Ouest de la ville.

    L’acte de naissance précise aussi que son père est mineur, c’est-à-dire travaille à la mine.

    Sa mère est née à Warmhof en Pologne le 15 juin 1898.

    Mais en 1898, l’Etat polonais n’existait pas, n’existait plus.

    En 1898, cette ville qui porte aujourd’hui le nom polonais de Ciepłe, était intégrée à l’empire de Russie.

    Selon l’acte, du 1er juillet 1947, de naturalisation française du père, ce dernier est né le 11 janvier 1894 à Osin en Pologne. Pour les mêmes motifs cette ville ne se situait pas en Pologne en 1894, mais aussi dans l’Empire de Russie.

    Je n’ai pas trouvé Osin sur Internet, j’ai trouvé deux villes polonaises d’aujourd’hui qui ont respectivement comme nom Osina et Osiny.

    La Pologne renaît après la guerre 1914-1918, comme le racontait le mot du jour du <15 novembre 2018> et à partir de cet instant mon grand-père et ma grand-mère sont devenus, de plein droit, des citoyens polonais et disposaient d’un passeport polonais.

    L’acte de naissance de ma mère donne une autre précision : l’adresse de ses parents : Gewerkenstraße au numéro 56.

    Cette adresse existe toujours et Google nous permet de la visualiser en aout 2008.

    A cette époque, dans les milieux populaires les femmes accouchaient à leur domicile.

    La seconde guerre mondiale ayant détruit la plus grande partie des villes allemandes, rien ne permet d’affirmer que cette maison est celle où est née ma mère : Anne Tettling, le 15 janvier 1923. Mais c’est en ce lieu, dans la maison qui s’y trouvait à cette date.

    Elle ne restera pas longtemps en Allemagne.

    Immédiatement après la création de l’État de Pologne, une convention franco-polonaise fut signée le 3 septembre 1919 pour favoriser l’arrivée de milliers de Polonais dans le Bassin minier Nord-Pas de Calais. Par suite cette convention s’appliqua pour d’autres bassins d’emplois en France. Mon grand-père qui avait travaillé dans les mines de charbon de la Ruhr jusque-là, va profiter de cette convention pour venir dans cette même année 1923 travailler pour les Houillères du Bassin de Lorraine.

    Il s’installera avec sa famille dans la petite ville de Stiring-Wendel où habitait mon père et sa famille.

    Elle deviendra française par son mariage en 1947.
    Mais auparavant elle va aller à l’école française. Ses parents sont très catholiques et ils ne vont pas l’envoyer à l’école Publique mais dans une institution religieuse : « Le Pensionnat de la Providence de Forbach ». Elle y restera le temps de l’école élémentaire et se verra attribuer le Certificat d’Études Primaires Élémentaires le 18 juin 1935.

    Ce qu’il y a de remarquable c’est que ma mère écrivait sans jamais faire une faute de grammaire. Elle écrivait au même niveau d’excellence, l’allemand sans erreur.

    Elle fut d’ailleurs embauchée comme secrétaire dans l’antenne locale du grand journal régional : « Le républicain Lorrain » C’est de cette époque, il me semble, que date cette photo avec la bicyclette.

    Elle vivait dans un monde populaire un peu rude dirigé par le père de famille.

    Sa maman comme elle, aimaient lire, ce à quoi s’opposait le père ouvrier pour qui il était inconcevable que des femmes perdent du temps à cette activité de loisir, selon lui.

    Peut être craignait-il aussi qu’une femme cultivée ne s’émancipe.

    Je reste persuadé que ma mère aurait pu continuer à faire des études et aspirer à un tout autre destin social.

    Mais cette époque ne le permettait pas, il fallait préparer les femmes à devenir femme au foyer et mère de famille.

    Mais pour ma maman avant que cela n’arrive, il y eut la terrible épreuve de la guerre qui éclata en 1939.

    Pour les nazis, ma région natale n’était pas une terre française occupée, mais une terre germanique retournée dans sa patrie légitime.

    Ma mère fut obligée d’aller travailler dans un grand magasin allemand à Sarrebruck, tout le temps de la guerre.

    Elle vécut cette période très mal et exprima un grand ressentiment à l’égard des allemands très longtemps. Ainsi après la guerre, elle ne retournera, pour la première fois en Allemagne qu’en 1991, 46 ans après la fin de la guerre. Elle habitait à 3 km de la frontière et la grande ville proche de notre maison était Sarrebruck.

    Elle me raconta une histoire de la guerre dans laquelle elle montra son esprit rebelle mais aussi une sorte d’inconscience.

    Un officiel allemand l’arrêta un jour et lui demanda son adresse et elle répondit « Rue nationale à Stiring ». Or, dès le début de l’occupation les nazis avaient renommé cette rue qui emmenait tout droit vers l’Allemagne : « Adolf Hitler Strasse ». L’officier lui fit répéter deux fois sa réponse. Et devant l’obstination de ma mère, il lui dit « Fais attention jeune fille, tu pourrais tomber sur un soldat moins compréhensif que moi et tu serais envoyé dans un camp. Moi je me contente de t’avertir car tu me fais penser à ma fille »

    Après la guerre, elle rencontra mon père qui habitait à 250 m de sa maison. Et elle consacra le reste de sa vie et toute son énergie à sa famille.

    Nous étions très modestes, mais jamais nous n’avons manqué de l’essentiel grâce à sa rigueur et son sens de l’organisation mais surtout par un travail immense de tous les instants qui compensait le manque de moyens.

    Elle était l’âme et le moteur du foyer.

    Elle était toujours debout et travaillait.

    Quand la maladie l’a attrapé et qu’elle ne pouvait plus rester debout, elle s’éteignit très vite en quelques mois.

    Pour son mari et ses enfants elle était prête à tout et savait être une tigresse.

    Dans mon enfance et plus encore, dix ans avant pour mes frères ainés, les instituteurs étaient brutaux et frappaient leurs élèves, notamment un qui avait pour nom Beck.

    Un jour il trouva une autre idée : il enferma mon frère ainé dans un placard. Ce fut un traumatisme pour Gérard qui ne rentra pas à la maison mais se cacha derrière l’église. Quand ma mère compris ce qui s’était passé, elle alla voir cet instituteur et lui dit sa façon de penser de manière directe et sévère. Jamais plus ce fameux Beck n’embêta Gérard !

    Je n’aimais pas beaucoup l’école maternelle, je trouvais qu’il y avait trop de bruit. Je fus souvent absent. La maîtresse dit à ma mère que jamais je ne parviendrai à faire d’études et que les lacunes que j’avais accumulées me poursuivront toute ma vie.

    Ma mère la regarda dans les yeux devant moi et lui dit « Vous racontez n’importe quoi, ne vous inquiétez pas pour mon fils »

    Nul ne décrivit mieux sa situation que maître Raynal le professeur de violon de mon frère Gérard au Conservatoire Supérieur de Musique de Paris.

    Lors de la dernière épreuve du conservatoire, à Paris, pour obtenir le premier Prix, Maître Raynal s’est rapproché de mon père et lui a demandé

    « Et votre épouse est-elle là ? »

    Et mon père a répondu par la négative et a dit qu’elle était restée à la maison.

    Maitre Raynal a eu alors ce mot :

    « Ah oui, l’éternelle sacrifiée ! »

    Ce fut longtemps le destin des mères de famille, surtout dans les familles modestes.

    Ma mère fut l’une d’entre elle, parmi les plus absolues dans le dévouement pour sa famille.

    Ce n’était pas juste qu’il en fut ainsi, ce ne peut être un exemple pour aujourd’hui.

    C’était ma maman.

    Elle a tout donné de ce qu’elle pouvait donner, sans compter.

    Elle est née polonaise, en terre d’Allemagne.

    C’était il y a 100 ans.

    <1728>

  • Mardi 10 janvier 2023

    « Ce n’est qu’en entrant dans l’océan […] que la rivière saura qu’il ne s’agit pas de disparaître dans l’océan, mais de devenir océan. »
    Auteur inconnu

    Continuer.

    Continuer à écrire des mots du jour.

    Je vais encore beaucoup parler de la mort.

    Mais, pour moi, parler de la mort, c’est avant tout parler de la vie.

    Parler des vivants qui sont affectés dans leurs sentiments, leur quotidien, leur confort, par l’absence.

    Parler de ce qui reste de vivant, en nous, de ceux qui sont partis.

    Personne n’a su exprimer cela de manière plus lumineuse que Tacite :

    « Le vrai tombeau des morts, c’est le cœur des vivants. »

    Le deuil de mon frère a précipité l’évolution que je souhaitais mettre en œuvre à partir du 1er février 2023.

    Pourquoi le 1er février 2023 ?

    Ce jour-là sera le premier de la dernière période de ma vie, celle de retraité !

    Jusqu’à présent mon ambition a été d’écrire un mot du jour par jour de semaine, en dehors des congés.

    Cette ambition s’est fracassée, d’abord devant le traumatisme de la guerre en Ukraine, ensuite le deuil inattendu de mon frère ainé.

    Le changement s’est donc imposé prématurément avant ce 1er février.

    Je ne suivrai plus la discipline d’écrire un mot du jour, chaque jour. Mais d’en écrire un chaque fois qu’un sujet, un évènement, une pensée me poussera à écrire.

    Ce ne sera plus : « Le mot du jour », mais une « invitation à un mot du jour…»

    Aujourd’hui, je souhaite partager un poème et aussi une explication sur la difficulté, souvent présente, de vérifier les sources des textes que l’on partage.

    Voici d’abord un texte magnifique qui peut se lire à l’heure de la mort, mais aussi à l’heure de beaucoup de moments de la vie, lorsqu’il s’agit de passer d’un monde connu, d’un confort relatif et de quelques certitudes vers l’inconnu et l’incertitude.

    « On dit qu’avant d’entrer dans la mer,
    une rivière tremble de peur.
    Elle regarde en arrière le chemin
    qu’elle a parcouru, depuis les sommets,
    les montagnes, la longue route sinueuse
    qui traverse des forêts et des villages,
    et voit devant elle un océan si vaste
    qu’y pénétrer ne paraît rien d’autre
    que devoir disparaître à jamais.
    Mais il n’y a pas d’autre moyen.
    La rivière ne peut pas revenir en arrière.
    Personne ne peut revenir en arrière.
    Revenir en arrière est impossible dans l’existence.
    La rivière a besoin de prendre le risque
    et d’entrer dans l’océan.
    Ce n’est qu’en entrant dans l’océan
    que la peur disparaîtra,
    parce que c’est alors seulement
    que la rivière saura qu’il ne s’agit pas
    de disparaître dans l’océan,
    mais de devenir océan. »

    Qui est l’auteur de ce texte, qui parle d’une rivière qui ne peut revenir en arrière et qui va s’accomplir en devenant océan ?

    Ce texte a été publié des dizaines de fois sur les réseaux sociaux ou des pages internet, en donnant comme auteur Khalil Gibran.

    Ce poète libanais, inoubliable auteur du livre « Le Prophète » qui a passé la plus grande partie de sa vie aux États-Unis et qui est mort en 1931, à New York, à 48 ans.

    Certains précisaient que ce texte est inclus dans « Le Prophète ».

    Cette affirmation me semblait fausse. Je suis allé m’en assurer en reprenant ce livre.

    Dans un des derniers poèmes, Khalil Gibran parle de la mort et dit :

    « Vous voudriez percer le secret de la mort,
    Mais comment le découvririez-vous si vous ne le pourchassez au cœur même de la vie ? »

    Et un peu plus loin, il évoque la rivière et la mer :

    « Si vraiment vous souhaitez percevoir la nature de la mort, faites que vos cœurs s’ouvrent largement au corps de la vie,
    Parce que la vie et mort ne font qu’un, comme fleuve et océan. »

    Mais pas de texte qui évoque la rivière qui disparait dans l’océan et qui devient océan.

    Mes recherches m’ont conduit à découvrir que la collection « Bouquins » de Robert Laffont avait publié un ouvrage ayant pour titre « Khalil Gibran : Œuvres complètes »

    Je suis allé l’emprunter à la Bibliothèque Municipale de Lyon.

    Et j’ai cherché…

    Mais je n’ai pas trouvé.

    Dans une des œuvres publiées « L’Errant » il existe un texte qui a pour titre « La rivière » (page 767) et qui relate la discussion de deux petits ruisseaux :

    « L’un des ruisseaux s’enquit : « Comment es-tu arrivé là, mon ami et comment était ton chemin ? »

    Ce texte se conclut ainsi :

    « A cet instant, la rivière leur dit d’une voix forte : « Venez, venez, allons vers la mer.
    Venez, venez donc et cessez de discuter. Rejoignez-moi. Nous allons à la mer.
    Venez, venez vous jeter en moi, vous oublierez vos errances qu’elles soient tristes ou joyeuses.

    Venez, venez et vous et moi, nous oublierons tous nos méandres lorsque nous atteindrons le cœur de notre mère, la mer. » »

    Mais la rivière qui tremble de peur avant de se jeter dans l’océan ne se trouve pas dans les 950 pages des œuvres complètes.

    Peut être se trouve t’il ailleurs, dans un ouvrage non publié dans ce bouquin. Restons prudent…

    Mais pour l’instant, rien ne me permet de dire que ce texte est de Khalil Gibran.

    Il est rationnel d’écrire que l’auteur est inconnu.

    Il arrive que des personnes non connues trouve qu’un de leur texte mériterait qu’il soit connu et dès lors tente de le publier en prétendant qu’il a été écrit par un auteur connu.

    J’ai trouvé un site <https://theophilelancien.org/> qui prétend donner la parole à un sage qui s’appelle Theophile l’ancien, sans plus de précisions.

    Sur ce site il y a une page qui a pour titre : « La rivière et l’Océan » dans laquelle on peut lire

    « Quand la rivière se jette dans l’Océan, elle perd son nom. »

    […] Cette métaphore m’inspire. La rivière perd tout naturellement son identité quand elle rejoint l’Océan, et tout se fait en douceur.

    La rivière en amont continue sa vie. Elle jaillit des profondeurs de la terre, puis s’écoule en traversant différents reliefs, contournant ou submergeant les obstacles. Elle reçoit les eaux de la pluie et les eaux des autres petits ruisseaux. Elle bouillonne en cascade, se repose paisiblement dans les lacs et se retrouve parfois même, emprisonnée par un barrage. Elle irrigue toutes les terres qu’elle traverse.

    Plus elle avance vers l’Océan, plus elle s’enrichit de limon nourrissant les terres environnantes […] Le plus difficile, c’est toujours le premier cycle. Une fois que la rivière a perdu son identité en se jetant dans l’Océan, elle devient l’Océan, sa conscience englobe tout l’Océan […]

    La conscience de la rivière est devenue océanique. Elle est à la fois la rivière, l’Océan et les cours d’eau… Elle est l’Eau. »

    L’esprit de ce développement me parait assez proche de celui que je cherchais.

    Je ne sais pas pour autant qui se cache derrière Théophile l’ancien.

    En musique, il a toujours existé des inconnus qui ont prétendu que le morceau qu’ils ont écrit était d’un glorieux ainé.

    Tomaso Albinoni est un compositeur baroque vénitien qui est né en 1671.

    Mis à part quelques mélomanes fouineurs comme moi, il n’est connu qu’à travers une seule œuvre : le célèbre « Adagio d’Albinoni » qui n’a pas été écrit par Albinoni mais par Remo Giazotto qui est décédé en 1998.

    Vous apprendrez cela sur cette page de Radio France : < Le mystère de l’Adagio d’Albinoni >.

    Nous ne savons pas de qui est ce texte.

    Il reste très inspirant :

    « La rivière a besoin de prendre le risque
    et d’entrer dans l’océan.
    Ce n’est qu’en entrant dans l’océan
    que la peur disparaîtra,
    parce que c’est alors seulement
    que la rivière saura qu’il ne s’agit pas
    de disparaître dans l’océan,
    mais de devenir océan. »

    <1727>

  • Vendredi 28 octobre

    « Nous ne nous verrons plus sur terre »
    Guillaume Apollinaire

    L’Adieu

    J’ai cueilli ce brin de bruyère
    L’automne est morte souviens-t’en
    Nous ne nous verrons plus sur terre
    Odeur du temps brin de bruyère
    Et souviens-toi que je t’attends

    Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913

    Gérard Klam, né le jeudi 30 octobre 1947 à Forbach, décédé le lundi 24 octobre 2022 à Nantes

    <1726>

  • Lundi 24 octobre 2022

    « Non rien ne m’est interdit, car je détiens le rêve. »
    Alicia Gallienne

    Depuis longtemps je n’ai plus partagé un poème d’Alicia Gallienne.

    Pour l’instant, il y en a eu 4 :

    • Le 7 février 2020 : « L’autre moitié du songe m’appartient »
    • Le 18 février 2020 : « Dire que je t’aime et je t’attends, c’est encore beaucoup trop de pas assez »
    • Le 18 avril 2020 : « A Mozart je dois une Église un arbre et une île»
    • Le 3 mai 2020 : « Pour aller plus haut »

    Aujourd’hui, les circonstances me poussent à reprendre ce livre plein de mots magiques :

    « Je suis riche de mes heures perdues
    De mes phrases mille fois heurtées à elles-mêmes
    Je suis riche de mes émerveillements
    Et chaque jour je bénis Dieu d’avoir donné
    La vertu de se dépasser et de créer l’impossible
    Pour cerner ses contours
    Avec la délicatesse des doigts amoureux
    Exquise sensation que de pouvoir toucher cet au-delà
    Aux émanations d’interdit

    Non rien ne m’est interdit
    Car je détiens le rêve
    Entre mes mains pleines de ciel
    Car j’ai conquis les oiseaux
    Tout au-dessus de l’eau
    Où je marche la nuit

    Oui tout m’est offert
    Tout est possédé de moi
    Et le plafond de Chagall est plein d’ailes
    De musique et de tentation
    ET c’est un dôme du ciel humain
    Comme une transcription magique
    Et les yeux sont appelés
    A se créer leur unique illusion »
    Page 191 Conclusion du poème « <La mort du Ciel » où elle a écrit en sous-titre (Si j’ai choisi ce titre, c’est bien pour qu’il ne meure jamais.)
    «L’autre moitié du songe m’appartient»
    Alicia Gallienne


    Le plafond de Chagall orne la grande salle de l’Opéra Garnier où mon frère ainé Gérard a œuvré dans l’Orchestre de 1970 à 1985.

    Dans ma famille nous sommes trois frères, Gérard, Roger, et moi qui suis le petit dernier d’une dizaine d’années plus jeune que les deux autres.

    Des trois frères, c’est Gérard qui était le roc, jamais malade, toujours super dynamique.

    Mais il y a quelques semaines une terrible maladie l’a submergé et ces derniers jours son état s’est brusquement détérioré.

    C’est important d’avoir son jardin secret. On dit aussi que les grandes douleurs sont muettes.

    Je crois cependant tout en respectant ces deux préceptes, il est aussi essentiel, tout en restant digne, de faire part des sentiments qui nous touchent et qui nous saisissent.

    Gérard a eu la grâce d’exercer un métier, dont l’objet est de créer la beauté.

    Avec l’Octuor de Paris il a fait le tour du monde.

    Plusieurs disques ont été produits avec cet ensemble en vinyle dans les années 70, mais n’ont jamais été reporté en CD.

    Parmi ces disques il y a l’emblématique Octuor de Schubert qui donne la composition de l’Octuor de Paris : un quatuor à cordes plus une contrebasse avec 3 instruments à vent : un cor, une clarinette et un basson.

    En voici le 3ème mouvement : 

    Allegro Vivace

    Après l’Opéra de Paris , Gérard est parti à Nantes où il est devenu violoniste supersoliste jusqu’à sa retraite.

    Ouest-France l’avait interviewé lors d’une folle journée de Nantes : <Gérard Klam a connu l’âge d’or des orchestres>

    Vous comprendrez donc que le mot du jour est interrompu jusqu’à nouvel ordre.

    <1725>

  • Vendredi 21 octobre 2022

    « Pause (ode à la fatigue) »
    Jour sans mot du jour

    Il y a plus de 4 ans, je consacrais le mot du jour du 4 juin 2018 à un livre d’Eric Fiat «Ode à la fatigue».

    Eric Fiat avait cette belle formule « La fatigue est une caresse du monde ».

    Il disait aussi « [La fatigue] nous révèle de très belles choses sur nous-mêmes, sur les autres et sur le monde. Écouter sa fatigue c’est apprendre l’humilité, le courage et la rêverie. »

    <Mot du jour sans numéro>

  • Jeudi 20 octobre 2022

    « Pause (Se tenir debout ! Sophia Aram) »
    Jour sans mot du jour nouveau

    Je partage la chronique de Sophia Aram de ce lundi 17 octobre, sans commentaire, mais en rappelant le contexte.

    Je rappelle que Samuel Paty a été assassiné et décapité par un fou de Dieu qui se réclamait de l’islam.

    Ce crime a été commis il y a deux ans.

    Son assassin a été enterré en Tchétchénie.

    <La Croix> rapporte qu’après le rapatriement du corps, la télévision tchétchène, dans un reportage, a présenté le terroriste en « jeune craignant Dieu » qui n’était pas agressif mais serait devenu meurtrier à cause d’une « provocation islamophobe ».

    Cette télévision est sous étroit contrôle de Ramzan Kadyrov, le sinistre président de ce pays et executeur des basses besognes de Vladimir Poutine.

    Vous trouverez la chronique de Sophia Aram sur cette page de France Inter : <Se tenir debout>

    Et vous pouvez la voir en <Video>

    « Bonjour à tous, Allah a dit…

    Ça va, je déconne, on se détend… On sait qu’on peut rire de tout… Même si maintenant au fond de nous il y a toujours une petite voix qui rajoute “oui mais… à condition d’être sous protection policière”.

    On a beau jouer les foufous prêts à tout dire, il faut reconnaître que sur le droit d’emmerder Dieu, ça ne s’est toujours pas détendu.

    Pas plus tard que la semaine dernière, le musée mémorial du terrorisme a choisi de ne pas exposer les dessins des élèves participant à l’exposition incluant des caricatures de Charlie Hebdo… Voilà, c’est tout. C’est juste le musée mémorial du terrorisme qui renonce à défendre les principes pour lesquels une partie des victimes de terrorisme en France sont morts. Autant je comprends la volonté de protéger les élèves, autant je me dis qu’il aurait peut-être été plus simple d’anonymiser leurs travaux, plutôt que d’assassiner une deuxième fois Charlie Hebdo.

    Le problème c’est que si tu cumules ceux qui se couchent parce qu’ils ont peur, ceux qui ne veulent pas de vagues et ceux qui prennent les musulmans pour des bébés phoques ça réduit considérablement le nombre de personnes qui restent debout.

    Et c’est quand tout le monde se couche que ceux qui restent debout deviennent des cibles.

    Est-ce que la rédaction de Charlie aurait été décimée si l’ensemble des journaux avaient publié les caricatures du prophète ?

    Samuel Paty aurait-il été assassiné si tout le monde avait défendu l’idée qu’aucune croyance ne saurait interdire la liberté de chacun de la critiquer, de la moquer et de la remettre en cause ? Personne ne le sait, mais j’imagine qu’il y aurait peut-être moins de monde pour mettre dans la tête des croyants que se moquer de leur croyance c’est du blasphème ou de l'”islamophobie”.

    C’est tout ce que ceux qui défendent la liberté d’expression n’ont cessé de dire.

    Avant-hier avec une poignée d’enseignants et d’élèves participant à la remise du premier prix Samuel Paty à la Sorbonne, Mickaëlle Paty, la sœur de Samuel, se tenait debout pour nous rappeler notre devoir de faire front, notre devoir de mémoire, notre devoir de vérité, mais aussi notre devoir de convaincre tous ceux qui doutent qu’enseigner c’est expliquer, et non se taire… Et puisqu’il est encore nécessaire de le rappeler : qu’on ne met pas un “oui mais” après une décapitation.

    Samedi dernier Mickaëlle Paty a rappelé dans un discours -qu’il faut lire, relire et diffuser- que les caricatures sont là pour montrer qu’on peut ne pas être d’accord avec telle personne, telle opinion politique ou religieuse et qu’en défendant ce principe, Samuel Paty donnait à ses élève la possibilité de comprendre que la laïcité permet de croire et de ne pas croire, et, dans les deux cas, “sans pression”.

    Contrairement à ce qui a été dit par quelques irresponsables, il n’y a que deux élèves sur soixante, (trois si l’on compte l’élève absente) … à s’être sentis blessés par le cours de Samuel Paty.

    Alors franchement, chacun est libre d’assouvir ses pulsions misérabilistes ou sa condescendance maladive en leur accordant toute l’attention qu’ils souhaitent, mais il n’est pas acceptable de le faire en sacrifiant nos principes les plus fondamentaux.

    C’est pour cette raison qu’il est plus que temps que chacun comprenne la nécessité de se tenir debout. »


    <Mot du jour sans numéro>

  • Mercredi 19 octobre 2022

     Nous avons changé de monde, nous n’habitons plus sur la même terre. »
    Bruno Latour

    Bruno Latour qui est mort le 9 octobre était devenu un des grands penseurs de l’écologie.

    Aborder ses textes et son œuvre m’a souvent paru très ardu.

    Mais ARTE a produit une série d’entretiens avec le journaliste Nicolas Truong qui me semble très accessible et que j’ai commencée à visionner avec beaucoup d’intérêt.

    Chaque entretien dure environ treize minutes et l’ensemble de ces entretiens se sont tenus en octobre 2021, un an avant son décès..

    Voici la page sur laquelle se trouve l’ensemble de cette série : <Entretien avec Bruno Latour>

    Ces vidéos resteront accessibles jusqu’au 31/12/2024.

    Aujourd’hui, je voudrais partager le premier de ces entretiens : <Nous avons changé de monde>.

    Nicolas Truong le présente ainsi :

    « Vous êtes sociologue et anthropologue des techniques mais vous êtes avant tout profondément philosophe »t

    Et le journaliste l’interroge sur ce constat que Bruno Latour a formulé :

    « Nous avons changé de monde, nous n’habitons plus sur la même terre. »

    Et Bruno Latour explique que nous sommes dans une situation politique, écologique extrêmement dure pour tout le monde et que nous sommes très affectés par ce ressenti.

    « La question est même de savoir ce qu’est le progrès, l’abondance, toutes ces questions qui sont liées à un monde dans lequel nous étions jusqu’à récemment. »

    Quel était donc ce monde ancien :

    « C’était un monde qui était organisé autour du principe que les choses n’avaient pas de puissance d’agir. »

    Et il prend l’exemple de Galilée qui étudie un plan incliné sur lequel des boules de billard roulent et peut en déduire la Loi de la chute des corps encore appelé la Loi de la gravité :

    On était ainsi habitué à décrire le monde avec des choses de ce type.

    Une boule de billard n’a pas de pouvoir d’agir, elle obéit à des lois qui entrainent la manière dont elle se comporte quand elle est placée dans une situation précise.

    Ces lois sont calculables et la Science avec un S majuscule les découvre.

    Et Bruno Latour affirme que les hommes regardaient le monde à travers ces Lois.

    A ce stade, je me permets d’objecter que dans le monde des milliards de gens regardent le monde à travers leurs croyances, leur foi et religion.

    Toutefois pour ceux qui ont déclenché le mouvement du progrès industriel, de l’abondance et de la société de consommation, l’analyse de Bruno Latour me semble pertinente.

    Ce monde est régi par des Lois et a su accueillir la vie et le monde des humains, sur la planète terre.

    Avec mes mots je dirais qu’il oppose la Science objective des Lois physiques, biologiques, chimiques qui constituent l’explication « vraie » du monde à la subjectivité du vivant.

    Il parle pour décrire cette perception du « monde moderne » celui qui est apparu à partir du XVIIème siècle, le siècle des Lumières qui est parvenu à extraire l’explication du monde des récits mythiques et religieux.

    Selon lui c’est l’ancien monde.

    Ce n’est pas que ce monde n’existe pas, n’a pas sa pertinence. Mais selon Bruno Latour ce n’est pas ce qui est essentiel à notre vie et même à notre survie.

    En prenant simplement l’expérience du COVID ou du changement climatique une autre vision du monde apparait :

    « Le monde est fait de vivants. Et on découvre de plus en plus avec les sciences de la terre, l’analyse de la biodiversité que c’est plutôt le monde du vivant qui constitue le fond métaphysique du monde dans lequel on est. »

    Le monde dans lequel nous sommes, dans lequel nous devons « atterrir » :

    « C’est plutôt un monde de virus et de bactéries. Car les virus et les bactéries sont les gros opérateurs qui ont transformés la terre, qui l’ont rendue habitable. Ce sont eux qui ont rendu possible l’atmosphère dans laquelle nous nous trouvons assez à l’aise avec de l’oxygène qui nous permet de respirer. […] cela change la consistance du monde dans lequel on est. Vous êtes dans un monde de vivants qui sont tous en train de muter, de se développer […] »

    Et il rappelle que nous sommes couverts de virus et de bactéries dont la plupart nous sont très bénéfiques. C’est un monde d’échange entre vivants, dans lequel nous devons trouver notre place et dans lequel nous ne savons pas immédiatement si le virus qui interagit avec nous est un ami ou un ennemi.

    Ce changement de la perception du monde a conduit aussi les scientifiques à étudier le « microbiote humain » sans lequel, il ne nous serait pas possible de vivre. Cette vision qui montre notre dépendance à l’égard des autres vivants :

    « Les sciences de la terre d’aujourd’hui, on peut parler d’une nouvelle révolution scientifique, montrent que les conditions d’existence dans lesquelles nous nous trouvons, les conditions atmosphériques, les conditions d’alimentation, de température, sont elles mêmes, le produit involontaires de ces vivants »

    On étudie aussi les champignons, les lichens, l’extraordinaire résilience et coopération des arbres.

    Si on prend simplement le sujet du gaz qui nous est indispensable pour vivre : l’oxygène. Ce gaz est produit par d’autres espèces vivantes qui absorbent en partie le gaz carbonique que nous rejetons.

    Et ce qui se passe c’est que nous avons créé une civilisation technologique qui surproduit plus que le monde des vivants est capable d’absorber et qui détruit aussi une partie de ce monde qui nous est indispensable.

    C’est la prise de conscience de notre dépendance à l’égard des autres espèces vivantes qui est le paradigme de ce changement de monde.

    Mais il reste des gens qui continuent à s’attacher à la perception ancienne :

    « Un monde d’objet calculable et surtout appropriable par un système de production qui nous apporte l’abondance et le confort.»

    C’est ainsi que Bruno Latour présente la prise de conscience écologique.

    Il reste optimiste dans cet entretien que je vous invite à regarder : <Nous avons changé de monde>.

    Pour compléter ce propos, vous pouvez écouter cette <chronique> que vient de me signaler Daniel que je remercie et qui tente de démontrer notre lien irréfragable avec le monde vivant de la terre. Il s’agit de la chronique « Le Pourquoi du comment : science » d’Étienne Klein du lundi 17 octobre et qui est diffusé sur France Culture, chaque jour à 16:52.

    <1724>

  • Mardi 18 octobre 2022

    « Pause (Où atterrir ? Bruno Latour) »
    Jour sans mot du jour nouveau

    Plusieurs mots du jour ont été consacrés à Bruno Latour qui vient de décéder le 9 octobre 2022. :

    Le premier fut celui du <8 février 2019> dans lequel je reprenais cette question vertigineuse qu’il posait : Où atterrir ?

    Et en effet, s’il n’existe pas de planète, de terre, de sol, de territoire pour y loger le Globe de la globalisation vers lequel tous les pays prétendent se diriger, pour vivre tous comme des américains, il s’agit d’atterrir. C’est-à-dire prendre en compte les contraintes et les ressources dont on dispose.
    <Mot du jour sans numéro>

  • Lundi 17 octobre 2022

    « La nature, ça n’existe pas. »
    Philippe Descola

    Philippe Descola est un anthropologue, disciple de Claude Levi Strauss. Il est né en 1949.

    Je l’avais évoqué lors du confinement en renvoyant vers une page de Radio France. C’était le mot du jour du <22 avril 2020>:

    Il a été l’invité du Grand Face à Face du samedi 15 octobre 2022, interrogé par Ali Baddou, Natacha Polony et Gilles Finchelstein.

    C’était en raison de son actualité : il vient de publier un livre avec Alessandro Pignocchi : « Ethnographies des mondes à venir » paru le 23/09/2022.

    Seuil présente cet ouvrage ainsi :

    « Au cours d’une conversation très libre, Alessandro Pignocchi, auteur de BD écologiste, invite Philippe Descola, professeur au Collège de France, à refaire le monde. Si l’on veut enrayer la catastrophe écologique en cours, il va falloir, nous dit-on, changer de fond en comble nos relations à la nature, aux milieux de vie ou encore aux vivants non-humains. Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Dans quels projets de société cette nécessaire transformation peut-elle s’inscrire ? Et quels sont les leviers d’action pour la faire advenir ? En puisant son inspiration dans les données anthropologiques, les luttes territoriales et les combats autochtones, ce livre esquisse la perspective d’une société hybride qui verrait s’articuler des structures étatiques et des territoires autonomes dans un foisonnement hétérogène de modes d’organisation sociale, de manières d’habiter et de cohabiter.

    Des planches de BD, en contrepoint de ce dialogue vif, nous tendent un miroir drôlissime de notre société malade en convoquant un anthropologue jivaro, des mésanges punks ou des hommes politiques nomades et anthropophages en quête de métamorphoses. »

    J’ai trouvé cet entretien très intéressant et j’ai d’ailleurs tenté d’acheter le livre dans ma librairie habituelle, mais elle avait vendu tous les exemplaires disponibles.

    Cet entretien vous pouvez l’écouter en version audio, à partir de la 24ème minute : <Le Grand Face à face>

    Ou en version vidéo à partir de la 27ème minute : <Le Grand Face à Face>

    Il avait également été invité par « La tête au carré » du 4 octobre de Matthieu Vidard. Dans cette émission il était accompagné d’Alessandro Pignocchi.

    Jeune étudiant, dans les années 1970, il était parti au fin fond de l’Amazonie, entre l’Équateur et le Pérou, à la découverte du peuple des « Achuars ». Il y a passé trois ans en immersion puis y a fait plusieurs séjours.

    Dans l’émission, il revient plusieurs fois sur cette expérience et surtout sur l’évolution de sa conception des relations entre les humains et les non humains.

    L’anthropologue avait déjà développé ces idées et donné les mêmes exemples dans une interview du 1er février 2020 à « REPORTERRE » : <Philippe Descola : « La nature, ça n’existe pas.»>

    Je dois dire quelques mots sur ce site et son fondateur qui est aussi l’interviewer de Philippe Descola.

    Ce site « REPORTERRE » a été créé en 2007 par le journaliste du « Monde » Hervé Kempf et a pour sous-titre « Le quotidien de l’Ecologie ».

    Ce site en ligne est en accès libre, sans publicité et il est financé par les dons de ses lecteurs

    Hervé Kempf avait quitté le quotidien Le Monde en 2013, estimant que ce journal ne prenait pas assez en compte les défis écologiques. Il s’était notamment vu opposé un refus répété de la direction du journal de le laisser réaliser des reportages sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

    Il s’agit d’un très long article, le site estime à 25 minutes le temps de lecture.

    Dans cet article il explique pourquoi il considère que la nature n’existe pas :

    «  « La nature a-t-elle une conscience ? » : cela renvoie à des interprétations romantiques parce que la nature est une abstraction.
    La nature, je n’ai cessé de le montrer au fil des trente dernières années : la nature, cela n’existe pas.
    La nature est un concept, une abstraction. C’est une façon d’établir une distance entre les humains et les non- humains qui est née par une série de processus, de décantations successives de la rencontre de la philosophie grecque et de la transcendance des monothéismes, et qui a pris sa forme définitive avec la révolution scientifique.
    La nature est un dispositif métaphysique, que l’Occident et les Européens ont inventé pour mettre en avant la distanciation des humains vis-à-vis du monde, un monde qui devenait alors un système de ressources, un domaine à explorer dont on essaye de comprendre les lois. »

    Et il me semble très intéressant de savoir que le mot « nature » est un mot quasi exclusivement utilisé par les européens dans leurs langues :

    « Non seulement les Achuars n’ont pas de terme pour désigner la nature, mais c’est un terme quasiment introuvable ailleurs que dans les langues européennes, y compris dans les grandes civilisations japonaise et chinoise. »

    C’est donc une invention européenne : l’idée que l’homme est un animal à part et qu’il dispose pour son bien-être et son plaisir d’un environnement qu’il peut utiliser à sa guise. Cet environnement, l’européen l’appelle la nature comprenant les autres animaux, les végétaux et aussi les minéraux. :

    « Ce n’est pas une invention d’ailleurs -,cela s’est fait petit à petit. C’est une attention à des détails du monde qui a été amplifiée. Et cette attention a pour résultat que les dimensions physiques caractérisent les continuités. Effectivement les humains sont des animaux. Tandis que les dimensions morales et cognitives caractérisent les discontinuités : les humains sont réputés être des êtres tout à fait différents du reste des êtres organisés, en particulier du fait qu’ils ont la réflexivité. C’est quelque chose qui a été très bien thématisé au XVIIe siècle, avec le cogito cartésien : « Je pense donc je suis. » Je suis capable réflexivement de m’appréhender comme un être pensant. Et, en cela je suis complètement différent des autres existants. »

    Descartes qui écrit aussi sans son « Discours de la méthode » de se rendre maîtres et possesseurs de la nature :

    « Et qu’au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. »
    Descartes, Discours de la Méthode

    Mais les religions « du Livre » l’avait précédé et ont joué dans cette dérive un rôle essentiel :

    « Dieu les bénit et leur dit : Reproduisez-vous, devenez nombreux, remplissez la terre et soumettez-la ! Dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se déplace sur la terre ! »
    Genèse 1.28

    Et c’est ainsi que la culture occidentale s’est construite en séparant radicalement l’Homme, de la Nature.

    Et Descola revient sur les raisons de son intérêt pour les Achuars :

    « Pourquoi l’Amazonie m’intéressait-elle ? Parce qu’il y a dans les descriptions que l’on donne des rapports que les Indiens des basses terres d’Amérique du Sud entretiennent avec la forêt, une constante qu’on dénote dès les premiers chroniqueurs du XVIe siècle : d’une part, ces gens là n’ont pas d’existence sociale, ils sont ‘sans foi, ni loi sans roi’ comme on disait à l’époque. C’est-à-dire ils n’ont pas de religion, pas de temple, pas de ville, pas même de village quelquefois. Et en même temps, disait-on, ils sont suradaptés à la nature. J’emploie un terme moderne, mais l’idée est bien celle-là : ils seraient des sortes de prolongements de la nature. Buffon parlait au XVIIIe siècle « d’automates impuissants », d’« animaux du second rang », des termes dépréciatifs qui soulignaient cet aspect de suradaptation. Le naturaliste Humbold disait ainsi des Indiens Warao du delta de l’Orénoque qu’ils étaient comme des abeilles qui butinent le palmier –- en l’occurrence, un palmier Morisia fructosa, dont on extrait une fécule. Et donc ils vivraient de cela comme des insectes butineurs. »

    Mais Philippe Descola en tire une tout autre conclusion :

    « Les Achuars mettent l’accent – et d’autres peuples dans le monde – sur une continuité des intériorités, sur le fait qu’on peut déceler des intentions chez des non-humains qui permettent de les ranger avec les humains sur le plan moral et cognitif.

    Et il raconte une expérience qu’il a cité aussi dans l’émission de France Inter plus succinctement :

    « J’ai été en Amazonie avec l’idée que peut-être, s’ils n’avaient pas d’institutions sociales immédiatement visibles c’était parce qu’ils avaient étendu les limites de la société au-delà du monde des humains. […]

    Nous avons commencé à comprendre ce qui se passait lorsque nous avons discuté avec les gens de l’interprétation qu’ils donnaient à leurs rêves. C’est une société — on le retrouve dans bien des régions du monde — où, avant le lever du jour, les gens se réunissent autour du feu, il fait un peu frais, et où l’on discute des rêves de la nuit pour décider des choses que l’on va faire dans la journée. Une sorte « d’oniromancie. »

    L’oniromancie, c’est-à-dire l’interprétation des rêves. Il y avait des rêves étranges, dans lesquels des non-humains, des animaux, des plantes se présentaient sous forme humaine au rêveur pour déclarer des choses, des messages, des informations, se plaindre. Là, j’étais un peu perdu, parce qu’autant l’oniromancie est quelque chose de classique, autant l’idée qu’un singe ou qu’un plant de manioc va venir sous forme humaine pendant la nuit déclarer quelque chose au rêveur était inattendue. […]

    C’était donc une femme qui racontait son rêve et disait qu’une jeune femme était venue la voir pendant la nuit. L’idée du rêve est simple et classique dans de nombreuses cultures : l’âme se débarrasse des contraintes corporelles, et entretient des rapports avec d’autres âmes qui sont également libérées des contraintes corporelles et s’expriment dans une langue universelle. Celle-ci permet donc de franchir les barrières de la communication qui rendent difficile pour une femme de parler à un plant de manioc.

    Donc, la jeune femme venue la visiter lui avait dit : « Voilà, tu as cherché à m’empoisonner » « Comment ? Pourquoi ? » Et elle répondait : « Parce que tu m’as plantée très près d’une plante toxique ». Celle-ci est le barbasco, une plante utilisée dans la région pour modifier la tension superficielle de l’eau et priver les poissons d’oxygène. Elle n’a pas d’effet sur la rivière à long terme mais elle asphyxie les poissons, et c’est d’ailleurs une plante qu’on utilise pour se suicider. La jeune femme disait : « Tu m’as planté tout près de cette plante. Et, tu as cherché à m’empoisonner. » Pourquoi disait-elle cela ? Parce qu’elle apparaissait sous une forme humaine, parce que les plantes et les animaux se voient comme des humains. Et lorsqu’ils viennent nous parler, ils adoptent une forme humaine pour communiquer avec nous. »

    Et quand Hervé Kempff le relance en envisageant que la femme avait l’intuition d’avoir mal agi et que son rêve est une conséquence de cette intuition : :

    « Je ne sais pas. On peut supposer qu’en effet, elle avait soupçonné qu’elle avait planté ses plants de manioc trop près de ses plants de barbasco. Et que c’est apparu sous la forme d’un rêve. En tout cas, ce genre de rêve met la puce à l’oreille puisque les non-humains y paraissent comme des sujets analogues aux humains, en mesure de communiquer avec eux. »

    Je ne peux pas citer tout ce long article que vous pouvez aller lire.

    A une question d’Hervé Kempff il répond qu’il rêve aussi mais pas comme les achuars car :

    « On ne devient pas animiste comme ça. »

    En conclusion il dit comme son grand ami Bruno Latour qui vient de mourir :

    « [Il faut] Inventer des formes alternatives d’habiter la Terre, des formes alternatives de s’organiser entre humains et d’entretenir des relations avec les non-humains. Je reprends la formule de Gramsci, « le pessimisme de la lucidité et l’optimisme de la volonté ». Moi, je dirais « le pessimisme du scientifique et l’optimisme de la volonté »

    Je redonne les différents liens :

    <1723>

  • Jeudi 13 octobre 2022

    « Pause »
    Jour sans mot du jour

    Le mot du jour reviendra lundi 17 octobre 2022

    <Mot du jour sans numéro>

  • Mercredi 12 octobre 2022

    « Négocier avec le diable. »
    Pierre Hazan

    Pierre Hazan, est suisse, il a été un temps journaliste puis s’est tourné vers le rôle de médiateur sur des lieux de conflits et de guerre. Il a été présent sur la guerre en Yougoslavie, au Rwanda, au Soudan et sur de nombreux autres lieux où les humains s’affrontaient et se massacraient.

    Aujourd’hui il est conseiller senior auprès du Centre pour le Dialogue Humanitaire dont le siège est à Genève et qui est l’une des principales organisations actives dans la médiation des conflits armés. Il a conseillé des organisations internationales, des gouvernements et des groupes armés sur notamment les questions de justice, d’amnistie, de réparations, de commissions vérité, de disparations forcées et de droit pénal international et de droits de l’homme.

    Pierre Hazan a aussi travaillé au Haut-Commissariat de l’ONU pour les droits de l’homme et a collaboré avec les Nations unies dans les Balkans.

    Parallèlement, en juin 2015, Pierre Hazan a fondé justiceinfo.net, un média de la Fondation Hirondelle, dédié à la gestion des violences politiques dans les sociétés en transition. Il fut aussi commissaire de l’exposition Guerre et Paix (octobre 2019-mars 2020) qui s’est tenue à la Fondation Martin Bodmer organisée en partenariat avec les Nations unies et le Comité international de la Croix-Rouge.

    C’est ce qu’on apprend sur le site qui lui est consacré : https://pierrehazan.com/biographie/

    Il est invité sur beaucoup de plateaux de media et fait l’objet d’entretien dans les journaux, à cause du conflit d’agression de la Russie à l’égard de l’Ukraine et aussi parce qu’il vient de faire paraître en septembre 2022, un livre qui a pour titre : « Négocier avec le diable, la médiation dans les conflits armés  »

    C’est un homme de terrain, ce qu’il dit ne vient pas d’une réflexion conceptuelle mais de son expérience.

    Pour ma part je l’ai écouté avec beaucoup d’attention et d’intérêt sur le site Internet « Thinkerview » que j’ai évoqué plusieurs fois et que j’apprécie particulièrement parce qu’il ne se centre que sur l’invité et le laisse s’exprimer pour aller au bout de ses idées.

    Cela a bien sûr pour conséquence que l’émission dure un peu plus longtemps. Dans ce cas particulier 1h37 : <Faut-il accepter de négocier avec le diable ?>

    Pierre Hazan souligne que nous vivons dans un monde toujours plus chaotique dans lequel l’Occident n’est plus hégémonique. Il parle aussi des dérives de la « guerre contre le terrorisme » à la suite des attentats du 11 septembre.

    Avec beaucoup de prudence, de doute, il parle de la nécessité, malgré tout, de la médiation, même avec son pire ennemi.

    Il donne comme exemple la médiation qui a permis à l’Ukraine de recommencer à exporter des céréales, cen qui a eu pour conséquence de sauver des gens de la famine et de permettre à l’Ukraine d’obtenir des ressources.

    La négociation a permis aussi d’échanger des prisonniers russes et ukrainiens.

    Il a rapporté que même avec Daech il a été possible de négocier, notamment pour faire passer de l’aide humanitaire pour secourir des populations en grande difficulté.

    <Le Monde> présente son livre ainsi :

    « Peut-on parler avec des groupes terroristes au risque de les légitimer ? Tenter d’arrêter un carnage peut-il justifier de discuter avec des régimes criminels ? A partir de quand la négociation devient-elle un alibi à la non-action ? Ce sont les éternels dilemmes de la médiation dans la quête de la paix ; souvent, le choix n’est pas entre le bien et le mal mais entre le mauvais et le pire. « Depuis longtemps, j’ai abandonné le confort de l’éthique de conviction, ce luxe d’être cohérent avec soi-même, pour assumer l’éthique de responsabilité », écrit Pierre Hazan, évoquant « une éthique de la responsabilité tournée vers l’efficacité qui encourage le compromis et le pragmatisme, selon les aléas de l’action et au nom de la finalité recherchée. »

    Il montre que si on se bloque sur une vision qui prétend n’accepter aucun compromis et avoir pour seul but d’éradiquer « le mal », on refusera tout dialogue avec des auteurs de crimes de guerre et des organisations « terroristes » Et dans ce cas ce sont les populations qui paient le prix de cette impossibilité de médiation.

    L’enjeu d’une médiation n’est pas de choisir ses interlocuteurs, mais de déterminer si le dialogue ou la négociation peut soulager des populations en souffrance.

    Il évoque aussi Cicéron et la désastreuse affaire de Libye dans laquelle les anglais et les français aidés des américains vont outrepasser le mandat de l’ONU, ce que Poutine et les chinois ne pardonneront jamais aux occidentaux.

    Il revient aussi sur ces deux points dans un entretien avec Pascal Boniface <4 questions à Pierre Hazan>

    D’abord Cicéron :

    « Cicéron parlait des pirates comme « les ennemis du genre humain ». À toutes les périodes, il y a eu la tentation d’isoler, voire d’éradiquer ceux qui représentent le mal. Dans l’après-guerre froide, après le génocide au Rwanda (1994) et les massacres de Srebrenica (1995), la figure du mal a été représentée par les criminels de guerre. Après les attentats du 11 septembre 2001, ce furent « les terroristes ». Le fait est que la lutte antiterroriste a montré ses limites, et les États-Unis ont signé un accord de paix avec les talibans après 20 ans de guerre et d’innombrables morts. Le traité de paix en Bosnie-Herzégovine a été possible parce qu’à cette époque, le chef de l’État serbe n’était pas encore inculpé. La justice doit passer. Mais elle doit être articulée avec la recherche de la paix. »

    Ensuite la Libye :

    « Le moment de bascule, c’est le moment où symboliquement se termine la Pax Americana avec l’intervention en Libye en 2011. L’intervention de l’OTAN en Libye a été justifiée par une résolution des Nations unies au nom de « la responsabilité de protéger » les populations civiles. La Russie et la Chine avaient accepté à l’époque de s’abstenir. Elles ont eu le sentiment d’avoir été trompées, puisque l’intervention occidentale s’est soldée par un changement de régime (chute de Mouammar Kadhafi). À partir de ce moment-là, alors que la révolte commence en Syrie et que la répression sera impitoyablement sanglante, la Russie va s’opposer à toute intervention de la justice pénale internationale, de la responsabilité de protéger, des mécanismes des droits de l’homme en Syrie, jugeant que ce sont des instruments contrôlés par les Occidentaux. »

    Et il parle aussi de la limite de la Justice Internationale, la Cour pénale internationale, n’ayant pour l’instant que juger des responsables africains. La justice pour les criminels de guerres dans les Balkans ayant été traité par un Tribunal spécifique pour l’ex Yougoslavie :

    « Il y a une soif inextinguible de justice au sein de sociétés qui ont été violentées et où de terribles crimes ont été commis. Comment ne pas comprendre cette exigence de dignité et de justice en vue d’un vivre ensemble pacifié ? Malheureusement, la morale est trop souvent instrumentalisée à des fins politiques. Il en est de même de la justice internationale, dont le principe moral est ô combien important, mais dont l’application est trop souvent sélective. La création de la Cour pénale internationale (CPI) avait suscité un immense espoir dans une grande partie du monde, mais hors de l’Occident, elle a généré un sentiment de frustration, estimant que la Cour fonctionne sur le principe de deux poids, deux mesures. »

    Et dans l’entretien passionnant sur Thinkerview, il rapporte un échange incroyable avec l’ancien ministre des affaires étrangères de François Mitterrand : Roland Dumas.

    Cet épisode, il le raconte aussi dans un article de Libération : « Il faut parler avec des criminels de guerre y compris quand ça tue. »

    « Je me souviens d’une interview avec Roland Dumas. Je vais le voir avec une incroyable naïveté. Je lui dis : «Vous êtes l’homme de la révolution judiciaire des années 90. C’est vous qui portez la résolution 808 et 827 [au Conseil de sécurité qui fonde le TPIY, ndlr]. Elle engendre, une année plus tard, la résolution 955 qui crée le TPIR [tribunal pénal international pour le Rwanda, ndlr]».
    Et là, il me fixe, avec un regard ironique et me dit :
    « Mon problème était très différent. Je craignais que Mitterrand et moi, soyons un jour accusés de complicité pour les crimes de guerre commis par les Serbes de Bosnie. Alors quand Robert Badinter est venu avec son idée un peu idéaliste de tribunal, je me suis dit que c’était formidable parce que, d’un côté, on aurait une épée de Damoclès pour effrayer les auteurs de crimes de guerre et, de l’autre, une sorte de bouclier juridique.»
    Je n’en croyais pas mes oreilles.
    C’est pour ça que la France ne collaborait pas avec le TPIY. Il a fallu attendre Jacques Chirac pour qu’elle le fasse. J’étais étonné du cynisme par lequel la justice pénale internationale était née. Je me suis dit qu’après l’os humanitaire, on jetait un os juridique pour calmer les opinions publiques. Parce que la question de fond qui se posait à l’époque en ex-Yougoslavie, c’était intervenir ou ne pas intervenir. Il y avait la peur des représailles, ou que ça dégénère avec une implication plus importante. »

    Et il finit cet article avec ce conseil pour le conflit russo-ukrainien :

    «  Nous sommes aujourd’hui face à des défis globaux qui demandent une responsabilité maximale à chacun. Vouloir fermer des fenêtres de dialogue me semble extraordinairement dangereux. Aujourd’hui, des voix se manifestent – la présidente de la Commission européenne semble le souhaiter– pour inculper Vladimir Poutine. Si on le fait, on risque de se fermer des portes dans le processus de négociation qui devra forcément avoir lieu un jour. »

    Je finirai par un autre extrait de l’entretien Thinkerview :

    Quand l’animateur lui demande de parler de ce qu’il a vu de pire sur les théâtres de guerre. Il dit son embarras et refuse de faire un palmarès.

    Il évoque rapidement un lieu de massacre dans les Balkans et aussi un lieu du génocide au Rwanda où il sentait l’odeur de mort.

    Et il ajoute :

    « Il faut voir l’étincelle de vie en chacun de nous.
    Il faut réfléchir, comment vivre.
    Comment avoir du plaisir, comment reconstruire.
    Comment faire avec, comment avec ce qui s’est passé.
    Comment réapprendre à être des hommes et des femmes.
    Réapprendre à être soi.
    Réapprendre à aimer, tout simplement.
    Et je crois que c’est sur ça qu’il faut regarder ! »


    <1722>

  • Mardi 11 octobre 2022

    « Une ivresse extatique de la destruction. »
    Pierre-Henri Castel

    J’avais déjà parlé de ce livre lors du mot du jour du 3 avril 2020, en plein confinement.

    Dans « Le mal qui vient » Pierre-Henri Castel se place dans le cadre du défi climatique et évoque l’hypothèse que l’humanité ne parvienne pas à surmonter ce défi.

    Il examine cette situation en se centrant sur ceux qui par esprit de jouissance, voudront se livrer à ce qu’il appelle une « ivresse extatique de la destruction » : « plus la fin sera certaine, donc proche, plus la dernière jouissance qui nous restera sera la jouissance du Mal ».

    Et pour éclairer cette hypothèse historiquement, il évoque ce qui s’est passé dans les derniers mois du nazisme.

    Ce livre et cette réflexion m’est venue lors de mes mots du jour autour du destin de la famille d’Anne Frank.

    Parce que revenons sur le calendrier.

    Anne Frank et sa famille seront emmenés au camp d’Auschwitz le 3 septembre 1944.

    C’est écrit dans tous les articles concernant Anne Frank, c’est le dernier convoi vers les camps d’extermination partant des Pays Bas.

    Mais quelle est la situation de l’Allemagne nazie à cette date ?

    • Le 31 janvier 1943, l’armée allemande s’est rendue à Stalingrad.
    • En septembre 1944, l’armée rouge a fait reculer la Wehrmacht jusqu’à la Bulgarie et continue vers les frontières de l’Allemagne
    • Les Alliés ont débarqué en Sicile le 10 juillet 1943, Rome a été libérée du joug allemand le 4 juin 1944, la Toscane est libre en août 1944, l’Italie s’est retournée contre l’Allemagne.
    • Les alliés ont débarqué sur les côtes de Normandie, le 6 juin 1944
    • Paris est libéré depuis le 25 aout 1944
    • Le 15 août, des troupes américaines et françaises ont débarqué en Provence

    L’Allemagne est encerclée, ses armées reculent partout.

    Ils préparent bien un dernier sursaut dans les Ardennes à Noël 1944, sursaut qui échouera.

    Leurs armées sont décimées, ils sont devant des puissances disposant d’un armement supérieur et d’un nombre de soldats valides largement supérieur.

    Et ils s’obstinent à perpétuer le génocide juif, alors que la raison devrait les inciter vers une tout autre voie.

    Parce que ceux qui savent qu’ils vont perdre devraient éviter d’aggraver leur cas et leurs crimes, ils savent qu’ils auront des comptes à rendre après la défaite. D’ailleurs, ils tenteront de cacher, sans y arriver, la barbarie des camps.

    Et ceux qui croient encore que la défaite n’est pas inéluctable, devraient consacrer toutes leurs forces, leur énergie à empêcher les armées alliées de continuer à avancer vers l’Allemagne.

    Mais il n’y a pas de rationalité dans ces hommes, que de la haine, une « ivresse extatique de la destruction »

    <1721>

  • Lundi 10 octobre 2022

    « Personne n’est épargné, vieillards, enfants, bébés, femmes enceintes, malades, tout, tout est entraîné dans ce voyage vers la mort. »
    Journal d’Anne Frank, le 19 novembre 1942

    Anne Frank a tenu son journal du 12 juin 1942 au 1er août 1944. Jusqu’au printemps de 1944, elle écrivait ses lettres pour elle, seule, jusqu’au moment où elle entendit à la radio de Londres, le ministre de l’Education du gouvernement néerlandais en exil dire qu’après la guerre, il faudrait rassembler et publier tout ce qui pourrait témoigner des souffrances du peuple néerlandais sous l’occupation allemande. Il citait à titre d’exemple, entre autres, les journaux intimes. Frappée par ce discours, Anne Frank décida de publier un livre après la guerre, son journal devant servir de base.

    Elle commença à remanier et à réécrire celui-ci, corrigeant et supprimant les passages qu’elle considérait comme peu intéressants, ou en ajoutant d’autres puisés dans sa mémoire.

    Parallèlement, elle continuait à tenir son journal originel, celui qui est appelé « version a » par opposition à la « version b » la deuxième réécrite.

    Après que les nazis aient pillé l’annexe et dérobé tous les objets de valeurs, les feuillets du journal se trouvaient par terre, car ces criminels avaient vidé la serviette qui les contenait pour utiliser celle-ci afin d’emporter les objets volés.

    C’est alors qu’une des salariés d’Otto Frank qui n’avait pas été arrêtée et avait aidé les huit juifs cachés pendant toute la période, Miep Gies a ramassé soigneusement tous les feuillets et les a rangés, sans les lire, avec pour objectif de les rendre à Anne à son retour.

    Après la guerre, quand il était devenu certain qu’Anne avait été victime de la barbarie nazi, Miep Gies remit ce document au seul survivant, le père d’Anne.

    Otto Frank lut alors le journal de sa fille, document qu’il n’avait jamais lu jusqu’alors.

    Il en fut bouleversé, il se rendit compte qu’il connaissait peu sa fille.

    Après mure réflexion, Otto Frank, décida d’exaucer le vœu de sa fille dont la volonté d’être publiée était évidente, en faisant éditer ce qui sera la première édition de ce journal.

    A cette fin, il composa à partir des deux versions d’Anne l’originale (version a) et la retouchée (version b) une troisième abrégée dite version c.

    C’est ce que l’on apprend dans le livre de Lola Lafon « Quand tu écouteras cette chanson », mais aussi l’Avant-Propos de l’édition publiée en juillet 2019 qui se veut une version exhaustive et non édulcorée de ce qu’a écrit Anne Frank.

    Anne Frank a écrit sur tous les thèmes, de l’intime à la politique en passant par la philosophie.

    Jeune adolescente elle entrait en conflit avec ses parents, elle s’éveillait à la sexualité.

    Le 24 mars 1944, elle décrit les organes sexuels féminins :

    « Devant, quand on est debout, on ne voit rien que des poils, entre les jambes se trouvent en fait des espèces de petits coussinets, des choses molles, elles aussi couvertes de poils, qui se touchent quand on se met debout, à ce moment-là, on ne peut pas voir ce qui se trouve à l’intérieur. Quand on s’assoit, elles se séparent, et dedans c’est très rouge, vilain et charnu. Dans la partie supérieure, entre les grandes lèvres, en haut, il y a un repli de peau qui, si l’on observe mieux, est une sorte de petite poche, c’est le clitoris. Puis il y a les petites lèvres, elles se touchent, elles aussi, et forment comme un repli. Quand elles s’ouvrent, on trouve à l’intérieur un petit bout de chair, pas plus grand que l’extrémité de mon pouce. Le haut de ce bout de chair est poreux, il comporte différents trous et de là sort l’urine. Le bas semble n’être que de la peau, mais pourtant c’est là que se trouve le vagin. Des replis de peau le recouvrent complètement, on a beaucoup de mal à le dénicher. Le trou en dessous est si minuscule que je n’arrive presque pas à m’imaginer comment un homme peut y entrer, et encore moins comment un enfant entier peut en sortir. On arrive tout juste à faire entrer l’index dans ce trou, et non sans mal. Voilà tout, et pourtant cela joue un si grand rôle !” »
    Page 247 de la version de 2019

    Il était inimaginable de publier un tel texte en 1947, il a donc fallu retirer ce texte et bien d’autres sur ce sujet comme celui dans lequel elle parle des prostituées.

    Dans un autre feuillet, elle souligne l’importance d’avoir une éducation sexuelle complète et de qualité et ne pas comprendre pourquoi les adultes étaient si discrets sur le sujet.

    Un district scolaire du Texas a d’ailleurs retiré le journal de ses bibliothèques en raison de « son caractère pornographique »

    Anne Frank dépeint la vie dans l’annexe avec un œil analytique, un sens du détail étonnant. Elle donne à voir, dans l’enfermement, des moments de partage, d’ennui, de rêverie, mais aussi d’agacement.

    Elle écrit sans détour sa relation conflictuelle avec sa mère et décrit sa proximité avec son père.

    Par exemple elle écrit le dimanche 2 janvier 1944 :

    « Ce matin, comme je n’avais rien à faire j’ai feuilleté mon journal et suis tombée à plusieurs reprises sur des lettres traitant du sujet « maman » en des termes tellement violents que j’en étais choquée et me suis demandé : « Anne, c’est vraiment toi qui as parlé de haine, oh Anne Comment as-tu pu ? »

    Elle développe, un long paragraphe de justifications, d’explications, de regret et dit sa conviction qu’elle n’agirait plus ainsi un an après et fini par cette conclusion :

    « Je tranquillise ma conscience en me disant qu’il vaut mieux laisser les injures sur le papier plutôt que d’obliger maman à les porter dans son cœur. »
    Page 167 de la version de 2019

    Lola Lafon nous apprend que pour ne pas froisser les allemands, les passages trop violents à leur égard seront aussi retirés.

    Mais les pires, à son sens, sont les américains qui veulent faire un film du journal. Mais à cette époque, la révolution des séries de H.BO. n’a pas encore eu lieu. Les artistes et producteurs américains ne veulent pas d’histoires trop tristes. Il y a certes des bons et des méchants, mais les méchants ne peuvent pas gagner et il faut que la fin ouvre sur l’espoir.

    En plus, il faut que tout le monde puisse s’identifier au héros, le film américain considère donc pertinent de gommer la judaïcité d’Anne et de sa famille.

    Lola Lafon signale le témoignage d’un spectateur américain qui a la fin du film trouvait qu’il était vraiment très beau et que finalement il n’exprimait aucune haine à l’égard des nazis.

    Puis on racontera le journal sur la base de ce film.

    On citera avec exaltation cette phrase écrite par Anne Frank :

    « Malgré tout, je crois encore à la bonté innée des hommes. »

    Et il est vrai qu’elle a écrit cette phrase le 15 juillet 1944, 20 jours avant d’être arrêtée et que son calvaire ne commence.

    Mais cette phrase est suivie de ce passage :

    « Il m’est absolument impossible de tout construire sur une base de mort, de misère et de confusion. Je vois comment le monde se transforme lentement en un désert, j’entends plus fort, toujours plus fort, le grondement du tonnerre qui approche et nous tuera, nous aussi, je ressens la souffrance de millions de personnes et pourtant, quand je regarde le ciel, je pense que tout finira par s’arranger, que toute cette cruauté aura une fin, que le calme et la paix reviendront régner sur le monde »
    Page 346 de la version de 2019

    Lucidité de la tragédie, de la cruauté et aussi qu’il existera un monde après les nazis. Lucidité de son sort : Le tonnerre, autrement dit la violence, nous tuera ! »

    Et Lola Lafon renvoie vers un autre texte qui n’est pas passé à la postérité probablement parce qu’il n’était pas en phase avec la Anne Frank qui croyait à « la bonté innée des hommes ».

    Elle a écrit, le mercredi 3 mai 1944 :

    « On ne me fera jamais croire que la guerre n’est provoquée que par les grands hommes, les gouvernants et les capitalistes, oh non, les petites gens aime la faire au moins autant sinon les peuples se seraient révoltés contre elle depuis longtemps ! Il y a tout simplement chez les hommes un besoin de frapper à mort, d’assassiner de s’enivrer de violence, et tant que l’humanité toute entière, sans exception, n’aura pas subi une grande métamorphose, la guerre fera rage, tout ce qui a été construit, cultivé, tout ce qui s’est développé sera tranché et anéanti, pour recommencer ensuite. »
    Page 293 de la version de 2019

    C’est une adolescente de 15 ans qui écrit cela.

    Et alors on ne savait pas ce qui se passait pour les juifs ?

    Voici ce qu’écrivait Anne Frank le 9 octobre 1942 :

    « Aujourd’hui, je n’ai que des nouvelles tristes et déprimantes à rapporter. Nos nombreux amis et connaissances juifs sont emmenés en masse. La Gestapo les traite très durement et les transporte dans des wagons à bestiaux jusqu’à Westerbork, le grand camp de Drenthe où ils envoient tous les Juifs. Miep nous a parlé de quelqu’un qui avait réussi à s’échapper de Westerbork. Westerbork doit être épouvantable. On ne donne presque rien à manger aux gens, encore moins à boire. Ils n’ont de l’eau qu’une heure par jour, et il n’y a qu’un WC et un lavabo pour plusieurs milliers de personnes. Ils dorment tous ensemble, hommes, femmes et enfants ; les femmes et les enfants ont souvent la tête rasée.
    Il est presque impossible de fuir. […]
    S’il se passe déjà des choses aussi affreuses en Hollande, qu’est ce qui les attend dans les régions lointaines et barbares où on les envoie ?
    Nous supposons que la plupart se font massacrer. La radio anglaise parle d’asphyxie par les gaz ; C’est peut-être la méthode d’élimination la plus rapide
    . »
    Page 62 de la version de 2019

    Et le 19 novembre 1942, elle écrivait :

    « Souvent le soir, à la nuit tombée, je vois marcher ces colonnes de braves gens innocents, avec des enfants en larmes, marcher sans arrêt, sous le commandement de quelques-uns de ces types, qui les frappent et les maltraitent jusqu’à les faire tomber d’épuisement, ou presque. Personne n’est épargné, vieillards, enfants, bébés, femmes enceintes, malades, tout, tout est entraîné dans ce voyage vers la mort.
    […] et tout cela, pour la seule raison qu’ils sont juifs »
    Page 77 de la version de 2019

    Ainsi parlait Anne Frank en 1942 !

    Lola Lafon entre peu à peu dans la réalité de cette œuvre, car il s’agit d’une œuvre littéraire qu’Anne Frank a corrigé, réécrit dans le but de la faire publier.

    Avant d’aller à Amsterdam, Lola Lafon a eu une rencontre vidéo avec Laureen Nussbaum qui est une écrivaine et linguiste, spécialiste du journal d’Anne Frank et qui a connu personnellement la famille Frank :

    « Ce soir-là, elle me conseille de m’intéresser aux quatrièmes de couverture des différentes éditions du Journal. Elles sont extrêmement révélatrices. Ce que les éditeurs ont choisi de mettre en avant et, aussi, les mots qu’ils ont évité d’employer.

    Dans les années 1960, par exemple, me dit Laureen, on pouvait lire ceci : « Lire le Journal c’est assister à l’épanouissement d’une adolescente face à l’adversité. »

    A sa parution aux États-Unis, on demande à Eleanor Roosevelt d’ajouter un avant-propos. Elle y loue « la noblesse de l’esprit humain », s’émeut de ce « message d’espoir ». Le Journal est « un monument » élevé à tous ceux qui « œuvrent pour la paix ».

    Pas une allusion au régime nazi, ni à la shoah. Pas un mot sur les conditions dans lesquelles Anne Frank a écrit.

    « Anne n’œuvrait pas pour la paix. Elle gagnait du temps sur la mort en écrivant sa vie. […] Anne Frank désirait être lue, pas vénérée. […]

    Elle n’est pas une sainte. Pas un symbole. Son journal est l’œuvre d’une jeune fille victime d’un génocide, perpétré dans l’indifférence absolue de tous ceux qui savaient.
    N’utilisez pas le mot espoir, s’il vous plait. »
    Pages 26 et 27 « Quand tu écouteras cette chanson de Lola Lafon

    Le livre de Lola Lafon nous incite à lire, dans sa dernière version, le Monument écrit par une jeune adolescente qui essaye d’arracher des moments de vie et de réflexions dans le monde terrifiant, horrible et bestial créé par des humains ignobles et monstrueux.

    <1720>

  • Vendredi 7 octobre 2022

    « Quand tu écouteras cette chanson. »
    Lola Lafon

    L’éditeur Stock a eu l’idée d’une collection « Ma nuit au musée » dans laquelle des écrivains s’enferment dans un musée pendant une nuit et tentent de trouver l’inspiration d’un livre.

    Kamel Daoud, Leila Slimani, Enki Bilal parmi d’autres se sont soumis à cette expérience qui peut être un peu déstabilisante. Surtout quand ce musée est le musée d’Anne Frank à Amsterdam.

    Lola Lafon a fait ce choix quand Stock lui a proposé d’entrer dans cette collection. Elle a dit qu’elle ne pouvait pas imaginer un autre musée que celui-ci.

    Elle en a tiré un livre « Quand tu écouteras cette chanson »

    Elle avait été invitée par Olivier Gesbert dans son émission du 8 septembre 2022 : <Lola Lafon et le journal d’Anne Frank >

    Émission qu’on peut aussi voir <en vidéo>

    Et cet échange, que j’ai entendu, m’a donné envie de lire ce livre.

    Ce que j’ai fait lors de notre semaine de repos en Bourgogne.

    Et j’ai aimé ce livre, parce que Lola Lafon trouve le ton juste et les mots qui captent notre attention pour parler de cette histoire terrible, bouleversante et y mettre une part d’elle-même.

    Le journal d’Anne Frank, tout le monde croit le connaître, le livre de Lola Lafon nous montre que probablement nous sommes passés à côté de l’essentiel.

    C’est l’œuvre d’une jeune fille de 14 ans « Sidérante de maturité » dit Lola Lafon dans l’entretien qu’elle a réalisé avec la Librairie Mollat (21:16)

    La famille d’Otto Frank et de son épouse Edith était une famille aisée allemande vivant à Francfort. Mais en 1933, après l’arrivée des nazis au pouvoir et les premières persécutions, la famille Frank quitte Francfort pour Amsterdam.

    Il y a deux filles dans cette famille : Margot née en 1926 et Anne née en 1929.

    Otto Frank crée une entreprise Opekta, vendant du gélifiant pour confiture, à Amsterdam.

    Les sœurs deviennent de vrai néerlandaises et vont à l’école Montesori à Amsterdam. Le journal est écrit en néerlandais.

    Mais la guerre les rattrape et Amsterdam est occupée par les Allemands à partir de mai 1940.

    Otto Frank se déleste de son entreprise au profit de ses salariés qui lui sont fidèles pour ne pas être exproprié par les nazis.

    Et c’est avec la complicité de ces salariés que la famille Frank va se cacher à partir de juillet 1942 dans un appartement secret aménagé dans l’« Annexe » de l’entreprise Opekta dont l’entrée est dissimulée par une bibliothèque.

    C’est là que la famille et quatre amis juifs vécurent vingt-cinq mois confinés dans moins de 40 m², sans vue vers l’extérieur, simplement une fenêtre du grenier leur permettant de voir le ciel.

    Le 4 août 1944, les nazis arrivent à l’usine et sans hésiter déplacent la bibliothèque et entrent dans l’annexe arrêter tout le monde.

    Ils ont été trahis et on ne sait toujours pas par qui.

    Ils seront déportés le 3 septembre 1944 vers le centre d’extermination d’Auschwitz-Birkenau puis les filles seront transférées au camp de Bergen-Belsen. Les conditions d’hygiène étant catastrophiques, une épidémie de typhus y éclata durant l’hiver 1944-1945, coûtant la vie à des milliers de prisonniers. D’abord Margot puis Anne mourront de cette maladie. La date de leur mort se situe entre fin février et début mars. Les corps des deux jeunes filles se trouvent sans doute dans la fosse commune de Bergen Belsen. Le camp est libéré, peu de semaines après, par des troupes britanniques le 15 avril 1945 et Amsterdam est libérée le 5 mai 1945. La mère est morte à Auschwitz, le 6 janvier 1945. Seul le père Otto Frank reviendra.

    Des huit personnes qui se cachèrent dans l’Annexe, il est le seul qui a survécu à l’arrestation et au génocide. Otto Frank consacrera le restant de sa vie au journal de sa fille, et à la lutte contre la discrimination et les préjugés. Il participera activement à l’ouverture de l’annexe en tant que musée en 1960. En 1963, Otto Frank crée le Fonds Anne Frank de Bâle, une association qui détient les droits d’auteur sur les écrits d’Anne Frank y administre l’héritage de la famille Frank. Les revenus sont consacrés à des œuvres caritatives dans le monde entier, par exemple la lutte contre les discriminations et l’injustice, les droits des femmes et des enfants. Il décédera en 1980 à 91 ans.

    Lola Lafon a perdu aussi une grande partie de sa famille dans la Shoah victime du génocide.

    Sa mère est roumaine et son père est français. Elle grandit en Bulgarie puis en Roumanie jusqu’à ses 12 ans.

    Sa grand-mère lui a donné très jeune une médaille représentant Anne Frank avec ces seuls mots :

    « N’oublie jamais »

    Longtemps, elle a voulu ignorer cette partie de son histoire :

    « Je suis celle qui, depuis l’adolescence, détourne les yeux. Je ne voulais pas entendre, pas savoir. (…) Ce que je souhaitais, c’était faire partie d’une famille normale. »

    Mais elle était arrivé à ce moment de sa vie où le moment de renouer le lien était venu.

    Et c’est ainsi que :

    « Le 18 août 2021, j’ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l’Annexe.
    Je suis venue en éprouver l’espace car on ne peut éprouver le temps. On ne peut pas se représenter la lourdeur des heures, l’épaisseur des semaines. Comment imaginer vingt-cinq mois de vie cachés à huit dans ces pièces exiguës ?
    Alors, toute la nuit, j’irai d’une pièce à l’autre.
    J’irai de la chambre de ses parents à la salle de bains, du grenier à la petite salle commune, je compterai les pas dont Anne Frank disposait, si peu de pas. »
    Quand tu écouteras cette chanson, Page 11

    Elle y restera dix heures

    La première chose qu’elle voit dans l’annexe est un cadre. Elle croit qu’il est vide, l’appartement est plongé dans une pénombre. Elle s’approche. Elle voit un morceau de papier peint. Elle s’approche encore et elle aperçoit des petits traits au crayon à papier : Otto Frank traçait au mur l’évolution de la taille de ses filles, Margot et Anne. Lola Lafon parle de preuve de vie. Elles vivaient, elles grandissaient dans cette annexe.

    Avant d’aller passer sa nuit au musée, des collaboratrices du musée lui avait fait visiter l’appartement que la famille Frank a occupé avant d’aller se réfugier dans l’annexe.

    Elle décrit cette visite :

    « Nous déambulons de pièce en pièce, comme de futures acquéreuses. »

    Teresien qui montre l’appartement explique que l’appartement a été entièrement pillé en 1944 par les nazis et que l’équipe du musée a tenté à l’aide de photos de l’époque et de témoignages de connaissances de Frank qui avait fréquenté le lieu pendant que les Frank y avaient habité de remeubler et décorer à l’identique.

    L’écrivaine écrit alors ce texte que je trouve très inspiré :

    « Tout, ici se veut plus vrai que vrai tout est faux, sauf l’absence. Elle accable, c’est un bourdonnement obsédant, strident.
    L’appartement des Frank est le décor d’un drame sans acteurs, c’est un musée sans visiteurs. […]

    Tout dans la chambre d’Anne paraît en suspens, interrompu, le moindre objet semble attendre son retour. L’étroit lit aux draps soigneusement tirés. Les tiroirs entrouverts d’une commode. Le bois sombre d’un secrétaire sur lequel ont été disposés des feuillets vierges, des cahiers sur lesquels personne n’écrira. Anne Frank manque terriblement à sa chambre d’adolescente. »
    Page 63

    Dans l’annexe, elle aura beaucoup de mal à entrer dans la chambre d’Anne. On n’entre pas dans une chambre d’adolescente, dit-elle

    Elle recule chaque fois devant la porte. Elle devra bientôt quitter le musée : « Il était 6 heures du matin »

    Et à la fin des fins elle franchit le pas :

    « Sans doute semblais-je sereine quand j’ai poussé la porte de la chambre d’Anne Franck »

    Et dans cette chambre, un souvenir va resurgir dans sa mémoire.

    Souvenir qui explique le titre du livre et qui concerne une rencontre, à Bucarest où elle vivait alors.

    La rencontre d’un jeune garçon cambodgien de 15 ans.

    Son père était fonctionnaire à l’ambassade du Cambodge en Roumanie. Mais les dirigeants du Cambodge, les sinistres Khmers Rouges, ont donné l’ordre au père de rentrer dans son pays avec sa famille.

    Le jeune garçon qui était pensionnaire dans un lycée parisien a été obligé de rejoindre ses parents et il va passer quelques jours à Bucarest. Puis partira pour le Cambodge avec sa famille.

    Il enverra une dernière lettre postée à Pékin avant d’être victime d’un autre génocide, sur un autre continent

    A propos de ce livre « Le Monde » écrit : < Lola Lafon en tête-à-tête avec Anne Frank >

    « Et lorsqu’il est question d’en faire un musée, en 1960, le père d’Anne et de Margot Frank exige que l’appartement demeure dans cet état. « Qu’on en soit témoin, du vide, sans pouvoir s’y soustraire ; qu’on s’y confronte, énonce Lola Lafon. Ainsi, en sortant, on ne pourra pas dire : dans l’Annexe, je n’ai rien vu. On dira : dans l’Annexe, il n’y a rien, et ce rien, je l’ai vu. […]

    Regarder en face « ce qui jamais ne sera comblé » : Quand tu écouteras cette chanson est le récit troublant, saisissant, de cette redoutable confrontation. Dix heures passées seule par l’écrivaine, le 18 août 2021, dans les 40 mètres carrés de l’Annexe, le plus vide de tous les musées. Les règles fixées à l’entrée sont strictes : pas de photo, interdit de boire comme de manger, mais aussi de sus­pendre son sac à une poignée de porte. Comme un écho des contraintes imposées à la famille Frank. Vingt-cinq mois durant, les huit habitants dissimulés au cœur de la ville qui les traquait se sont astreints au silence. »

    Lola Lafon fut aussi l’invité de la première Grande Librairie d’Augustin Trapenard : <Lola Lafon sur les traces d’Anne Frank>

    Il me semble que cet entretien vidéo de 48 minutes proposé par la Librairie Mollat est encore plus intéressant : <Quand tu écouteras cette chanson>

    <1719>

  • Jeudi 6 octobre 2022

    « Pause (Victor Klemperer.) »
    Jour sans mot du jour nouveau

    Il y a quasi 2 ans, <Le 18 octobre 2019>, j’avais mobilisé, pour le mot du jour, le philologue allemand Victor Klemperer : « Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir.»

    Il me semble qu’après le dernier discours de Poutine qui réinvente sans cesse l’histoire et qui est capable de dire sérieusement les vérités alternatives les plus insensées, il traite désormais les occidentaux de pratiquer la religion du satanisme, il faut réinterroger le travail de Victor Klemperer qui a analysé et dévoilé la langue du régime nazi.

    Sa grande œuvre parue en 1947 est le livre « LTI – Lingua Tertii Imperii » dont le sous-titre est « Notizbuch eines Philologen » ce qui traduit donne : « Langue du Troisième Reich : carnet d’un philologue ».

    Car, avant les grandes catastrophes il y a d’abord des mots, des mots qui forment un récit. Un récit qu’un grand nombre s’approprie, pour finalement analyser et voir le monde à travers ce récit, avec des mots choisis soigneusement et qui sont les vecteurs des idéologies et des croyances qui doivent embraser l’esprit des peuples.

    Le livre qu’il nomme lui-même « LTI » a été écrit peu à peu, car Klemperer a construit son analyse au fur à mesure des années, entre 1933 et décembre 1945, dans le journal qu’il tient. C’est un essai sur la manipulation du langage par la propagande nazie depuis son apparition sur la scène politique jusqu’à sa chute.

    <Mot du jour du 18 octobre 2019>

    <Mot du jour sans numéro>

  • Mercredi 5 octobre 2022

    « Le bus du Paris Saint Germain fait 3600 km à vide pour transporter les joueurs sur une distance de moins de 50 km. »
    Ce n’est pas une question de confort, mais de sécurité.

    Une nouvelle histoire de football…

    Vous savez que l’entraineur du Paris SG a été vilipendé parce qu’il a répondu, à un journaliste qui lui demandait pourquoi les joueurs ne prenaient pas le train plutôt que l’avion pour faire un match à 200 km de Paris, qu’une réflexion était en cours pour examiner la possibilité de voyager en char à voile.

    C’était un mot d’humour…

    En pratique, les joueurs de PSG se déplacent en avion et en bus.

    Aujourd’hui, le PSG affronte le club de Benfica à Lisbonne.

    Il faut donc se rendre à Lisbonne à 1460 km de Paris (à vol d’oiseau), Google annonce qu’il faut 16h43 en voiture pour faire le trajet d’environ 1800 km.

    Les joueurs sont donc allés à Lisbonne en avion.

    Dans ce contexte, je crois que même les écologistes se rendront à l’évidence, l’avion est la solution appropriée.

    Mais, dans la pratique, le transport des joueurs du PSG est une affaire d’une grande complexité.

    L’avion les amène à l’aéroport de Lisbonne !

    Mais l’hôtel des joueurs et le stade de Luz ne sont pas à côté de l’aéroport de Lisbonne.

    Pour l’hôtel, je ne sais pas où Messi et ses collègues vont dormir, mais l’aéroport et le stade nous savons où ils se trouvent.

    Je peux donc dire que la distance entre les deux se situent entre 6,6 et 7,9 km.

    Pour ces trajets il faut un bus.

    Un bus loué à Lisbonne ?

    Que nenni !

    Il faut le bus du PSG !


    Le bus du PSG n’est pas à Lisbonne, il est à Paris.

    Il faut donc que le Bus se rende à Lisbonne pour aller chercher les joueurs du PSG à l’aéroport, les promène à Lisbonne, puis revienne à Paris.

    Le bus du PSG fait donc 3600 km à vide pour promener l’équipe sur une cinquantaine de km, si l’hôtel ne se trouve pas dans la proximité immédiate du stade. Sinon les trajets seraient plus proche des 20 km.

    C’est le Parisien qui donne cette nouvelle : <Pourquoi le car parisien a fait 1800 km à vide jusqu’à Lisbonne ?>

    Article repris par <La Voix du Nord> :

    « Nos confrères du Parisien révèlent que le bus officiel du club a parcouru 1 800 kilomètres à vide entre Paris et Lisbonne… pour transporter les joueurs de l’aéroport à leur hôtel, puis au stade.

    Concrètement, précise le journal, le bus a relié Lisbonne depuis Paris, afin de réceptionner les joueurs, qui ont pris l’avion, à l’aéroport, pour pouvoir les emmener jusqu’à leur hôtel, puis les transférer de l’hôtel au Stade de la Luz où ils jouent, ce mercredi, leur troisième match de Ligue des champions. Jeudi, ce sera rebelote, mais dans l’autre sens : le bus remontera à vide jusqu’à son garage en Ile-de-France.

    C’est un nouveau non-sens écologique pour le PSG. Mais, une raison se cache derrière ce choix : selon le Parisien, les dirigeants du club ont pris cette décision pour une question de sécurité, « critère numéro 1 qui oriente les décideurs au moment de valider le choix du moyen de transport », écrivent nos confrères.

    Le journal précise que le bus rouge et bleu n’est pas vraiment un bus comme les autres : le véhicule, fournit par la société Man depuis 2013, possède des vitres blindées et a été conçu pour protéger les joueurs en cas d’attaque plus ou moins violente, à savoir des jets de projectiles de supporters, ou pour un attentat, à l’image de ce qui s’est produit en 2017, où bus du Borussia Dortmund avait été visé par trois explosions de bombes lors de son trajet entre l’hôtel et le quart de finale de Ligue des champions. Depuis cet événement, les grands clubs prennent leurs précautions et sont équipés de ce type de bus.

    Le bus du PSG, effectue environ 25 voyages par saison, précisent nos confrères : généralement pour emmener les joueurs de l’aéroport à l’hôtel puis au stade, mais aussi parfois pour de courts déplacements en France, à l’image du déplacement des Parisiens pour le match contre Lille le 21 août. Dans ce bus, au top du confort, se trouvent des sièges inclinables à 45 degrés sur lesquels se trouvent des écrans reliés à des consoles de jeux ou à la télé satellite et un coin cuisine, pour se faire réchauffer des repas.

    Il n’est, en revanche, pas présent partout. Il fait l’impasse sur les voyages les plus lointains et ne se rend pas dans les lieux où il pourrait provoquer les supporters adverses, comme à Marseille, par exemple, disent encore nos confrères. Le PSG n’est d’ailleurs pas le seul à faire voyager des bus à vide : le bus de l’Olympique de Marseille a, lui aussi, fait le voyage à vide lors de la première journée de Ligue des champions, pour se rendre à son match face à Tottenham. Il a été aperçu au péage de Setques, juste à côté de Saint-Omer, en direction de Calais.

    Comme le rappelle le quotidien national : depuis plusieurs mois, les déplacements du club en train sont systématiquement mis en concurrence avec l’avion et le bus sur quatre critères principaux, à savoir : la sécurité, le trouble à l’ordre public, le temps de trajet global et le coût. Mais, jusqu’à présent, la SNCF n’a jamais remporté les faveurs du club, notamment en raison des critères de sécurité et de l’impossibilité après certains matchs d’effectuer les trajets retour dans la nuit, élément indispensable à la récupération des joueurs. »

    Voilà, vous êtes ainsi pleinement informés !

    Il reste des questions : ne peut-on pas trouver un bus blindé à Lisbonne ? Comment font les parisiens à Marseille quand ils se privent de leur bus pour ne pas provoquer ?

    Mais l’information essentielle est qu’il faut un bus blindé pour emmener les joueurs de football au stade !

    Parce que c’est dangereux d’aller au stade de football !

    Voilà ce que notre société a créé à partir d’un jeu qui est devenu une affaire financière, une affaire de violence, un affrontement entre bandes rivales.

    <1718>

  • Mardi 4 octobre 2022

    « Le voile n’est pas la liberté. »
    Kamel Daoud

    C’est une histoire largement diffusée par les médias. Mahsa Amini jeune femme iranienne, kurde, a été arrêtée par la police des mœurs parce qu’elle portait mal son voile selon cette milice d’un autre âge. La jeune femme, originaire de Saqqez, une ville de la province du Kurdistan iranien, était en voyage dans la capitale iranienne avec sa famille lorsqu’elle a été interpellée sous les yeux de son frère. Sur les réseaux sociaux, on la voit malmenée pendant son arrestation, jetée à terre et finalement poussée contre sa volonté dans un véhicule de la police des mœurs. Après trois jours de détention, elle meurt le 16 septembre, à l’hôpital où finalement les policiers l’ont emmenée.

    Depuis des manifestations ont éclaté, des femmes brûlent leur voile, coupent leurs cheveux en signe de protestation de cet asservissement qu’elles subissent dans la république islamique d’Iran…

    <France 24>, citait le 29 septembre, l’agence officielle iranienne Fars qui affirme qu’environ 60 personnes ont été tuées depuis le début des protestations dans l’ensemble du pays et que 1200 personnes ont été arrêtées.

    En principe nous savons quand les voies officielles donnent ce type de chiffres, ils sont toujours minorés.

    Et bien sûr les autorités iraniennes accusent les puissances étrangères d’avoir fomenté le mouvement. « L’ennemi a visé l’unité nationale et veut dresser les gens les uns contre les autres », a ainsi prévenu le président ultraconservateur Ebrahim Raïssi mercredi, jugeant « le chaos inacceptable » et accusant les États-Unis, l’ennemi juré de la République islamique, d’attiser la contestation. Elles en profitent aussi pour stigmatiser la minorité Kurde iranienne et celles des pays limitrophes.

    <TV5> a interrogé la sociologue Mahnaz Shirali, née en 1965 à Téhéran :

    « La mort de Mahsha Amini, cette jeune fille de 22 ans, a déclenché de vives réactions des Iraniens. Mais en même temps, il y a toute une série d’autres facteurs qui se sont accumulés. Sa mort a servi d’étincelle pour faire exploser la rage des Iraniens qui étaient inquiets depuis très longtemps à cause de pleins de problèmes d’injustice, des problèmes économiques et une mauvaise gestion du pays.

    [ Danser puis brûler son hijab, ou se couper les cheveux, et partager ces vidéos sur les réseaux sociaux] fait parler. Ça montre que ça attire l’attention. C’est ça le symbolisme : quelque chose qui n’a peut-être pas beaucoup de sens mais qui attire les regards. Ça transmet des sentiments extrêmement forts.

    […] Elles en ont ras-le-bol. Elles ne peuvent plus supporter de ne pas être libre, les contraintes qu’on leur impose au nom de l’Islam et de la loi islamique. »

    Il y a peu de chance que le régime iranien et ses sbires cèdent devant la pression de la rue. Ils ont le monopole des armes pour tuer et forcer, le fanatisme du croyant pour se rassurer et évacuer les remords qui pourraient surgir devant tant de violence, les avantages économiques de l’élite religieuse et des forces de sécurité à préserver.

    Alors cela repose la question du voile de manière plus générale.

    Le voile pourrait être instrument d’asservissement en Iran et symbole de liberté en France ?

    Certain(e)s l’affirment.

    Et la député LFI Daniele Obono fustige même celles et ceux qui pourraient tenter d’y voir une contradiction et pousser « l’indécence » jusqu’à vouloir s’appuyer sur le combat des femmes iraniennes pour poser des questions sur l’association de «la liberté» et «du voile» en France.

    Elle a cette insulte morbide : « mangez vos morts » …

    D’autres, sans aller dans ces excès de langage, essayent aussi de surmonter et de résoudre cette contradiction. Sandrine Rousseau qui est de tous les combats est de celui-là aussi.

    Je lis toujours avec beaucoup d’intérêt et de plaisir intellectuel l’écrivain algérien Kamel Daoud.

    Il m’est arrivé plusieurs fois d’écrire des mots du jour en le mettant en exergue :

    Et je l’ai cité longuement dans le mot du jour consacré à ce livre étonnant d’Ibn Tufayl : « Le Vivant, fils de l’Éveillé »

    Kamel Daoud a écrit un éditorial, le 3 octobre 2022 dans « Le Point » : <Le voile est un féminicide> :

    « Le voile tue. La démocratie, non. La mort de Mahsa Amini et la vague de protestations qu’elle provoque en Iran rappelle une fois de plus cette évidence. […]

    « Cela suffit à tout dire et à tout démentir. Ce n’est pas un événement rare, d’ailleurs. Une femme harcelée, violentée, menacée, tuée ou excommuniée parce qu’elle refuse de porter le voile est chose banale dans le monde dit « musulman ». Une femme qui ose arracher ce linceul confessionnel, c’est encore pire que l’apostasie, c’est le choix de la pornographie, de la prostitution, de la désobéissance civile. Il faut être femme dans ces territoires pour le vivre, en mourir et sourire de celles et ceux qui, en Occident, prétendent que le voile est une liberté. »

    Kamel Daoud a vu arriver en Algérie, la vague islamiste, le voile qui couvrait toujours davantage les femmes et il se cite à la troisième personne :

    « Parce que, vivant dans le « Sud confessionnel », il sait que ce morceau d’étoffe est une prison et une condamnation à mourir une vie entière, un enterrement vertical, le renoncement acclamé à son propre corps. Il sait ce que cela coûte pour les femmes et combien elles le paient. Et écouter l’« engineering de l’islamisme » occidental présenter cela comme une liberté et un choix et rameuter les opinions et les médias pour geindre sur une présumée confiscation de droits provoque la rage. »

    Son opinion est claire et tranchante : .

    « Un bout de territoire cédé, pas un bout de tissu choisi. Il faut donc rappeler les évidences coûteuses : le voile n’est pas une liberté, mais sa fin. Le voile n’est pas un épiderme qui souffre d’un racisme adverse, mais un uniforme d’enrôlement. Le voile n’est pas le signe d’une identité communautaire, mais un renoncement à toute identité et communauté au bénéfice d’un refus de vivre ensemble, de partager, de s’ouvrir, de s’enrichir mutuellement. Le voile n’est pas une « origine », mais un effacement de soi, des siens, de ses généalogies au bénéfice d’un recrutement. Le voile n’est pas seulement un petit foulard, c’est surtout ainsi qu’il commence. Le refuser, le combattre, n’est pas un acte néocolonial, l’ordre d’un colon. Le dévoilement n’est pas une violence de colonisation reconduite, et l’accepter, c’est concéder le territoire et le corps de ses propres citoyens au bénéfice d’une autre loi. Le voile a bénéficié de la « culpabilité » en Occident, de l’intelligence de l’islamiste occidental expert en droits, ONG et architectures associatives. Il a profité de l’histoire mal soldée des colonisations et recycle les procès en arnaques rusées, les dénis en séparatismes. Il a surtout recyclé le communautaire en confessionnel et le confessionnel en stratégie de conquête. »

    Et il pose ce constat : « aujourd’hui, au sud du monde, une femme non voilée est une prostituée et, au nord, une femme non voilée est une traître à sa culture, à ses ancêtres. »

    Et il me semble qu’il parle ensuite de certains politiques qu’il ne faut peut être pas appeler islamo-gauchiste mais plutôt islamo-naïf.

    « Et il s’en trouvera pour le défendre, naïfs ou fourbes, électoralistes ou populistes. »

    Et il finit par cette conclusion :

    « Mais qu’on arrête une femme en Iran, qu’on la torture, qu’elle meure à cause de ce « tissu » qui n’est qu’une camisole et tout reprend sens, s’ordonne selon ces évidences à qui on fait une guerre sournoise : le voile n’est pas la liberté, ni l’identité, ni un choix. Il est prétendu choix dans le pays qui a le respect des choix, c’est-à-dire des libertés, c’est-à-dire dans les démocraties. Dans les dictatures, il se montre pour ce qu’il est : un assassinat. Car on aura beau jouer sur les mots, le voile tue. La démocratie, non. Des Iraniennes auraient donné beaucoup pour venir vivre leur liberté en France. Pas pour y renoncer. »

    Je partage cet article.

    Je partage l’analyse et l’opinion de Kamel Daoud.

    La plupart des commentaires de cet article sont favorables. J’en ai cependant lu un portant une critique étrange qui semble nier qu’il est plus doux de vivre dans notre démocratie que dans la théocratie chiite :

    « Le voile tue. La démocratie, non.

    Kamel Daoud a choisi d’oublier toutes les morts au nom des valeurs de l’occident.
    Jusqu’à maintenant, par exemple, c’étaient les pouvoirs démocratiques uniquement qui ont lâché une arme nucléaire sur la population de deux grandes villes.
    Qu’apporte la démocratie ?
    À partir de 1789 la France a connu une myriade de régimes plus ou moins démocratiques.
    Monarchie absolue monarchie constitutionnelle, les 9 régimes de la 1ère République, 3 Empires, Restauration Monarchie, 100 Jours de Napoléon, 2ème Restauration, Monarchie de juillet, 4 Républiques de plus, La France Libre, Comité Française de la Libération, Groupement Provisoire de la République.
    et vous croyez que la démocratie venait avec ?
    Quelles sont les dates de suffrage universel, de la majorité à 18 ans, des droits des minorités nombreux ?
    Les vainqueurs des guerres portent la victoire des plus forts. Non des plus moraux  »

    Je me suis permis une réponse : « Simplement Merci de dire ces choses simples. Le voile n’est pas une liberté. Alors je ne crois pas qu’il faille autoritairement l’interdire, mais il faut plutôt être fier de nos valeurs et les défendre. A savoir la liberté, les contre-pouvoirs, l’état de droit, la volonté d’émancipation de l’individu, l’égalité des femmes et des hommes, le droit de penser et de croire différemment et surtout de ne pas croire. Bien sur l’Occident a commis des fautes et des crimes parfois. Cela étant, les autres civilisations n’en sont pas exemptes non plus. Reconnaître des erreurs ne doit pas nous dissuader de défendre la part belle de notre histoire et de notre manière de vivre en société.  »

    <1717>

  • Lundi 3 octobre 2022

    « Les Krafft […] ne sont plus vulcanologues, ils deviennent des artistes, qui entrainent les spectateurs […] dans un royaume à la beauté insolite »
    Werner Herzog à propos des images tournées par Katia et Maurice Krafft

    Werner Herzog, né en 1942 est un des plus grands cinéastes allemands.

    Ses films sont connus par tous les cinéphiles et notamment ses films avec Klaus Kinski :

    • 1972 : Aguirre, la colère de Dieu
    • 1979 : Nosferatu, fantôme de la nuit
    • 1979 : Woyzeck
    • 1982 : Fitzcarraldo
    • 1987 : Cobra Verde

    Mais il est aussi l’auteur de documentaires et particulièrement de documentaires sur les volcans : La soufrière (1977) et Au fin fond de la fournaise (2016).

    Sa dernière œuvre qu’ARTE vient de diffuser le samedi 1er Octobre est encore consacrée aux volcans, mais cette fois à travers les images, les vidéos qu’ont réalisées les époux Maurice Krafft et Katia Krafft-Conrad.

    Ils sont tous les deux nés en Alsace : Maurice Krafft, le 25 mars 1946 à Guebwiller (Haut-Rhin) et Katia Conrad le 17 avril 1942 à Soultz-(Haut-Rhin).

    Ils se rencontrent en 1966 pour ne plus jamais se quitter et parcourir le monde, sur les lieux où la terre rugit et les volcans déversent leur magma de manière fascinante et dangereuse pour tous ceux qui sont en proximité.

    Ils voudront s’approcher toujours au plus près pour filmer et photographier ces monstres fascinants et dévastateurs.

    Plusieurs fois, comme le montre le documentaire, ils échapperont de peu aux griffes de ces géants qu’ils sont allés contempler

    Ils sont morts ensemble, victimes de leur passion commune, emportés avec 41 autres personnes par une nuée ardente, les techniciens parlent de coulée pyroclastique, sur les flancs du mont Unzen au Japon le 3 juin 1991.

    Le choix des images et le commentaire que fait Werner Herzog magnifient le travail des époux Krafft, les images sont d’une beauté stupéfiante.

    Quelquefois Herzog laisse défiler le film, par exemple celui tourné à Hawaï, simplement accompagné de la messe en Si de Jean-Sébastien Bach à partir de 33:13.

    Werner Herzog introduit cette séquence :

    « Les Krafft ne cessent d’être captivés par ces puissantes et fascinantes éruptions de magma à la surface de la terre.

    Ils ne sont plus vulcanologues, ils deviennent des artistes, qui entrainent les spectateurs que nous sommes dans un royaume à la beauté insolite. Ils nous offrent un spectacle qui n’existent que dans les rêves.

    Ces images se suffisent à elles-mêmes nous ne pouvons que contempler. »

    Ce documentaire a pour nom « Au cœur des volcans, Requiem pour Katia et Maurice Krafft»

    ARTE le rediffusera dimanche 9 octobre à 07:00.

    Mais il peut être visionné en replay sur la chaîne <ICI> ou encore sur la chaîne Youtube d’Arte : <
    Requiem pour Katia et Maurice Krafft>

    <TELERAMA> commente :

    « Dans un documentaire contemplatif et habité, le cinéaste rappelle le destin hors du commun du couple Krafft, volcanologues et faiseurs d’images hors pair disparus en 1991 lors d’une éruption au Japon.

    Sur les photos, leurs bonnets rouges vissés sur le crâne leur donnent des airs de lutins défiant les crachats de montagnes turbulentes. Deux minuscules points rouges dans un théâtre de cendres et de fumées dont ils ne voulaient rater aucune des représentations. Au grand spectacle du magma, Katia et Maurice Krafft avaient pris un abonnement à vie. Vingt-cinq ans d’assiduité sans relâche à danser sur les volcans. Cent soixante-quinze éruptions guettées, filmées et photographiées au plus près des cratères, pour mieux partager, dans des dizaines de livres, de conférences ou d’émissions télé, leur passion de cette pyrotechnie jaillie des entrailles de la Terre.

    Trente et un ans après leur disparition sur les flancs du mont Unzen, au Japon, avalés par une de ces ravageuses coulées pyroclastiques qu’ils étaient venus filmer, Katia et Maurice Krafft, volcanologues unis par le mariage et la lave qui coulait dans leurs veines, crèvent […] l’écran en ce début d’automne. »

    Et <le Monde> écrit :

    « Cette fois, le cinéaste allemand recourt aux images des spécialistes moins pour retracer leur parcours scientifique que pour interroger leur nature. Et sa réponse est sans appel : le couple (surtout Maurice, qui tenait la caméra pendant que Katia photographiait) était des cinéastes, et sa production est comme un film sans début ni fin, fait de plans prodigieux, que chaque imagination peut agencer.

    On connaît les moteurs de celle de Werner Herzog : sa fascination pour les moments ultimes à l’approche de la mort, sa conscience aiguë de l’insignifiance de l’homme face au cosmos. [Il montre] une admiration inconditionnelle pour Katia et Maurice Krafft, qui ont toujours travaillé avec une conscience aiguë des risques qu’ils prenaient. Il remonte leurs images – les éruptions, mais aussi la désolation que les volcans répandent parmi les hommes – pour composer un poème qui laisse entière l’énigme que pose aux gens ordinaires le destin des vulcanologues alsaciens. »

    Le Monde évoque un autre documentaire récent sur le même sujet que je n’ai pas vu

    « Par une heureuse coïncidence, on pourra, sinon la résoudre, du moins avancer vers la solution, en découvrant Fire of Love, le très délicat documentaire que l’Américaine Sara Dosa a composé à partir du même matériau que Herzog, les images tournées et prises par le couple Krafft. La réalisatrice s’attache à superposer la passion amoureuse de Katia et Maurice Krafft (on pourrait presque croire que pour eux, l’humanité se résumait à leur couple) et leur passion pour les volcans, au point que la conclusion de leur odyssée tellurique, point d’orgue d’une tragédie chez Herzog, apparaît ici comme la culmination de l’intimité fusionnelle entre Maurice, Katia et les volcans. »

    En conclusion des images uniques de beauté et de violence.


    Quand on voit ces images, on se rend compte que lorsque la nature et la terre déclenchent de telles forces telluriques, homo sapiens redevient un animal fragile dont la seule issue est la fuite si elle reste possible.

    <1716>

  • Vendredi 23 septembre 2022

    « L’automne débute aujourd’hui. »
    Cette année, comme le plus souvent, l’automne débute le 23 septembre

    Moi je croyais que le plus souvent l’automne tombait le 21 septembre.

    C’est manifestement faux.

    Nous savons que le jour de l’automne est celui où la durée du jour et la durée de la nuit sont égales.

    Ce moment a lieu entre le 21 et le 24 septembre, mais le 21 septembre est très rare.

    Sur ce <site> qui donne la date des quatre saisons entre 1970 et 2037, soit 68 automnes, ce ne fut jamais le 21 septembre, ni le 24 d’ailleurs.

    25 fois cela tomba un 22 et 43 fois, comme cette année, le 23 septembre.

    <Le Figaro> nous apprend que la prochaine fois que l’équinoxe d’automne aura lieu un 21 septembre sera en… 2092 !

    <Ce site belge> affirme que l’automne ne serait jamais tombé un 21 septembre depuis l’instauration du calendrier grégorien qui a été mis en place progressivement à partir de 1582.

    Je ne sais pas pourquoi, l’idée que l’automne débute le 21 septembre s’est répandue.

    Le Figaro non plus :

    « Contrairement à une idée reçue, les saisons ne débutent pas toutes les 21 du mois. Pour l’automne, c’est même plutôt une chose rare […] »

    Et le journal explique :

    « Chaque année, le début de l’automne commence au moment exact de l’équinoxe d’automne, quand la ligne qui marque la limite entre le jour et la nuit à la surface de la planète passe par les deux pôles. La durée du jour y est donc égale à la durée de la nuit, partout sur Terre. Et en conséquence, lors de l’équinoxe, le soleil se lève exactement à l’est et se couche exactement à l’ouest.

    Mais pourquoi cet équinoxe ne tombe-t-il pas le même jour chaque année ?

    Premier paramètre, l’année peut durer 365 jours, ou 366 quand elle est bissextile. Cette variation entraîne donc un décalage dans les dates des saisons. »

    L’année correspond à la révolution de la Terre autour du Soleil qui s’effectue précisément en 365 jours 5h48 minutes et 45 secondes.

    « Le deuxième paramètre, c’est que la Terre ne décrit pas une orbite parfaitement circulaire autour de son étoile. Si c’était le cas, les saisons seraient de durées égales, et leur début pourrait se caler plus régulièrement sur le calendrier grégorien, qui a justement été conçu pour éviter que ces dates ne se décalent dans le temps.

    Mais voilà, l’orbite terrestre est un tout petit peu excentrique : ce n’est pas un cercle, mais une ellipse très légèrement allongée, avec une distance Terre-Soleil qui varie entre 147 et 152 millions de kilomètres. »

    Et le site belge apporte encore un troisième paramètre appelé « la précession des équinoxes. » ce qui signifie que la rotation de la Terre sur elle-même n’est pas parfaitement circulaire. En réalité, notre planète décrit un cône tous les 26 000 ans.

    Cette année la date d’entrée de l’automne a intéressé beaucoup de monde. Ainsi sur France Culture, Guillaume Erner a invité Florent Deleflie, astronome à l’Observatoire de Paris- PSL, chercheur à l’Institut de Mécanique Céleste et de Calcul des Ephémérides, le 21 septembre pour expliquer que la saison des « sanglots longs des violons… » commencerait 2 jours plus tard.

    < Pourquoi le début de l’automne ne commence-t-il jamais à la même date ?>

    Florent Deleflie a précisé que l’équinoxe d’automne qui marque le début de la saison automnale tombe cette année « le 23 septembre et pour ce qui concerne la France à 3h, 3 minutes du matin et 43,51 secondes », d’après l’astronome à l’Observatoire de Paris.

    Il s’git donc d’une position précise par rapport au soleil.

    Selon <Geo> :

    « Durant l’équinoxe, les deux hémisphères sont éclairés de la même façon, car le soleil est pile à la verticale au-dessus de l’équateur : en astronomie, il est dit que notre astre passe au Zénith, point d’intersection entre la verticale de l’équateur et la sphère céleste. »

    Cet article donne aussi des éléments sur les éléments symboliques de l’Automne

    « Le passage à l’automne est associé à des traditions et rites dans de nombreuses cultures à travers le monde. Moment de collecter une grande partie des récoltes avant les gelées de l’hiver, il a longtemps été célébré par les païens. Le « Mabon » nom celtique associé à cet équinoxe, s’accompagnait ainsi de festivités de gratitude. En Grande-Bretagne, c’est ce qui est appelé le « Harvest festival » habituellement fêté le dimanche de la pleine lune la plus proche de l’événement astronomique, mais la date diffère selon les célébrations locales.

    Durant les équinoxes d’automne et de printemps, des milliers de voyageurs se rassemblent par ailleurs sur les ruines mayas de Chichén Itzá (Yucatán, Mexique). Car sur la pyramide de Kukulcán à cette période exacte, un jeu d’ombre et de lumière se crée : il laisse apparaître un serpent, descendant ou montant les 364 marches de l’escalier (365 avec l’entrée du temple) que forme le monument.

    Aussi, le calendrier républicain mis en place le 6 octobre 1793 par les révolutionnaires (et utilisé jusqu’en 1805) avait fixé l’équinoxe d’automne comme premier jour de l’année. Car hasard du sort, l’institution de la République avait eu lieu ce jour même, le 22 septembre 1792 — ou plutôt, le 1er vendémiaire an I — au lendemain de l’abolition de la royauté. Mais il est supprimé par Napoléon Ier à son arrivée au pouvoir, qui revient au calendrier grégorien. ».

    Ce début d’automne correspond pour nous à une semaine de repos.

    Le mot du jour devrait revenir le 3 octobre.

    <1715>

  • Jeudi 22 septembre 2022

    « L’inceste n’est pas tabou, c’est le fait d’en parler qui est tabou. »
    Iris Brey

    L’inceste est un phénomène massif dans notre Société.
    Ce n’est que récemment que cette réalité a été dévoilée et que les personnes intègres qui veulent savoir, le savent.

    A la sortie du livre de Camille Kouchner, j’avais commis une série de mots du jour du <15 février 2021> jusqu’au <24 février 2021> avec au centre de cette série, le livre de Dorothée Dussy « Le berceau des dominations » qui vient enfin d’être rééditer.

    Ce livre fut une révélation pour beaucoup.

    Le 23 janvier 2021, le président de la République a annoncé la création d’une commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise)

    Rapidement cette Commission lançait un vaste appel à témoignages.

    Elle a reçu 6 414 témoignages reçus, elle vient de dresser le bilan des lourdes séquelles que présentent, encore à l’âge adulte, celles et ceux qui ont été victimes de violences sexuelles durant l’enfance.

    Un traumatisme qui continue d’affecter leur santé physique et mentale, ainsi que leur vie familiale, sexuelle et professionnelle. Le rapport livre également de nombreux chiffres sur le profil des victimes.

    On apprend que dans 25% des cas, les victimes avaient moins de 5 ans

    Dans l’immense majorité des cas (81%), l’agresseur est un membre de la famille : père, grand-frère, demi-frère, grand-père, cousin, oncle, beau-père

    Un ouvrage collectif <La culture de l’Inceste> vient de paraître.

    Sonia Devilliers, dans son émission : <L’invité de 9h10> avait invité Iris Brey et Juliet Drouar qui codirigeaient l’écriture de ce livre écrit par 14 thérapeutes, universitaires et militantes.

    Annie et moi avons été si marqué par cette émission que nous avons immédiatement acheté ce livre. C’est Annie qui a commencé à le lire et le trouve remarquable.

    Dans cette émission Iris Brey rappelle que Claude Levi-Strauss affirmait que l’inceste constituait un interdit, un tabou.

    Ce que ce grand homme disait était faux, totalement, radicalement faux.

    Ce qui est interdit c’est le mariage incestueux, c’est le mariage qui est un évènement public qui oblige à l’alliance de deux familles différentes, c’est-à-dire pratiquer l’exogamie et non l’endogamie.

    D’ailleurs Claude Levi-Strauss abordait cette question par le prisme des alliances entre familles , alors que Dorothée Dussy et les personnes qui étudient l’inceste aujourd’hui analyse ce crime sous le projecteur des violences sexuelles.

    Mais la relation sexuelle incestueuse, à l’intérieur de la famille, est tellement massive : 7 millions de victimes en France, que dire que cette pratique constitue un interdit, un tabou est un mensonge.

    Et Iris Brey a eu cette phrase qui révèle la vérité :

    « L’inceste n’est pas tabou, c’est le fait d’en parler qui est tabou »

    C’est ce qu’éclaire parfaitement le témoignage que vient de publier « L’Obs » le 21 septembre 2022 : « La libération de la parole et la résilience sont, à mon sens, de grandes arnaques »

    L’Obs a changé le nom de la victime et l’a appelé Nina. Nina s’est exprimée  en mai, devant la Ciivise et c’est après cette intervention que l’Obs l’a rencontrée.

    Nina a 42 ans, elle a été victime d’inceste.

    Voilà ce qu’elle a dit à l’Obs :

    « J’ai été victime d’inceste et j’ai parlé. En février dernier, quelques semaines après avoir assisté à une première réunion publique de la Ciivise à Paris, j’ai parlé pour la première fois à ma famille.
    En révélant l’inceste toujours tu, je l’ai simplement perdue. Ma famille a disparu.
    Au-delà des seuls agresseurs, les réactions de mes proches ont été les mêmes : déni, menaces de suicide, chantage affectif : “Tu te rends compte de ce que tu nous fais ?” Sans compter l’invitation “à passer à autre chose”…
    Comment faire famille avec eux désormais ?
    Comment gérer cet isolement et cette douleur supplémentaires ?
    Une seconde rencontre de la Ciivise était prévue à Paris en mai. J’y suis retournée, et cette fois, parce qu’il en allait de ma survie je crois, j’ai pris le micro pour témoigner tout haut.

    J’ai dit ce qui arrive quand, comme moi, on révèle l’inceste à 42 ans. J’ai dit les quarante ans de silence, l’amnésie traumatique, l’angoisse, les difficultés relationnelles…
    J’ai dit la déflagration, l’empêchement de vivre vraiment.
    A la manière d’une rescapée de guerre ayant déserté un terrain miné, j’ai rejoint ce soir-là, en réalité, tant d’autres gueules cassées, tant de femmes formidables devenues depuis des alliées.
    Elles m’ont dit les réactions de leurs proches, identiques à celles des miens quel que soit leur milieu social.
    Les mêmes mots de nos mères et de nos frères nous reprochant d’avoir “détruit la famille”, “regrettant notre absence” à telle ou telle fête de famille…
    Je ne suis plus dans la solitude de l’enfant incesté qui se tait. J’ai trouvé des alter ego.
    Nous nous comprenons dans notre chair, dans nos histoires, nos souvenirs traumatiques et leurs manifestations incongrues et implacables.
    Le simple bruit d’une porte de frigo qu’on referme, un parfum… et tout peut ressurgir.
    […]

    J’ai dit aussi ma frustration et mon ire. Parce qu’au fil des ans, je suis devenue cette victime résiliente tant souhaitée par moi-même dans un premier temps, et par l’ensemble de la société.
    Et j’en ressens à présent une grande insatisfaction et une colère immense.
    La libération de la parole et la résilience sont, à mon sens, de grandes arnaques.
    Une parole qui se libère ? Pour quoi faire si elle retombe comme un caillou qui ricoche sur la surface plane d’une eau limpide sans laisser la moindre trace ? On parle encore et encore, nos paroles s’entremêlent, et puis quoi ? Rien. C’est un désastre. Comme je l’ai dit ce soir-là à la Ciivise, cela me fait penser à un charnier de victimes qui se débattent avec leurs paroles et, en surplomb, les agresseurs, la société, la justice et l’Etat qui nous regardent tentant de sauver notre peau, notre santé mentale, notre intégrité. Quant à la résilience, elle ne doit pas et ne peut pas suffire à laver les agresseurs de leurs crimes sexuels. Ce serait trop simple.
    […]

    Que se passe-t-il pour une victime d’inceste une fois qu’elle a parlé ? Depuis ma prise de parole, non suivie d’une action en justice pour ma part, il ne s’est rien passé. J’ai cherché un nouveau thérapeute. Un psychiatre de 70 ans a évoqué mon narcissisme et mon sentiment de culpabilité, m’invitant à m’engager dans un long processus thérapeutique et balayant littéralement d’un revers de la main l’inceste dont j’ai été victime. Pour lui, ce n’était qu’un détail. Pour la première fois de ma vie, je me suis opposée à un professionnel de santé et j’ai pointé du doigt son incompétence et affirmé mon refus de me soumettre à une cure psychanalytique longue, onéreuse et inadaptée, dans laquelle la domination se (re) joue encore et encore, à plusieurs endroits.

    Je n’ai plus besoin de cela, j’ai besoin d’autre chose. Mais de quoi ?

    […] Le tabou est tel que tout est incomplet ou inexistant : la réponse de la justice, la réponse de la société, la réponse politique.

    Il y a quelques jours, un ouvrage majeur a paru. « La Culture de l’inceste », coordonné par l’autrice Iris Brey et l’art-thérapeute Juliet Drouar.
    Sa lecture, qui m’a donné le vertige, me hante et m’accompagne. L’essai me répète que mon parcours individuel n’a rien de honteux ni de singulier, que mon histoire est au cœur d’un système patriarcal bien rodé qui promeut et permet l’inceste.
    L’anthropologue Dorothée Dussy y explique aussi que l’inceste structure la société, qu’il est le socle des dominations patriarcales. A défaut de justice, nous cherchons collectivement du sens et des réponses. A défaut de tout ce qui n’existe pas encore.

    […] On souffre aujourd’hui toujours de l’inceste. On en meurt aussi. Depuis le début de l’année, la mort rôde dans le “grand club des victimes résilientes” que j’ai intégré. Une amie m’évoque le suicide de la fille d’un ami, cet été, violée par son oncle. Une autre, violée toute son enfance par son frère, se confronte à nouveau à ses souvenirs traumatiques et me confie aussi son envie de mourir. L’acteur Johann Cuny, sur les réseaux sociaux, témoigne lui aussi du suicide de sa sœur Adèle, victime d’inceste à 7 ans.
    Combien d’autres ? Depuis que j’ai libéré ma parole, je vois et je relève désormais l’impact des violences sexuelles commises dans l’enfance, dans la chair, le psychisme, durant toute une vie.
    […]

    J’ai été victime d’inceste et j’ai parlé. Mais le silence revient toujours, sans un bruit, recouvrir l’inceste.
    C’est un linceul déployé sur chacun de nos témoignages, aussi puissants soient-ils.
    Un linceul crasse jeté simultanément sur des milliers d’enfants qui ne seront pas protégés cette nuit du ou des membres de leur famille, incesteur(s), agresseur sexuel dominant, dont l’autorité fait foi.
    Qu’attendons-nous pour agir ? »

    Oui vraiment ce qui était tabou c’était d’en parler.

    Et aujourd’hui encore le déni est la réponse la plus fréquente et non l’écoute et l’accueil bienveillante de la parole, comme le montre ce témoignage !

    A voir aussi cette émission de Mediapart <L’inceste est partout> avec Iris Brey, Juliet Drouar et Dorothée Dussy. La basketteuse Paoline Ekambi est aussi venue apporter son témoignage.

    <1714>

  • Mercredi 21 septembre 2022

    « En général, les choses doivent avoir des limites. »
    Tamim ben Hamad Al Thani, émir du Qatar

    Le mot du jour de vendredi dernier mettait l’accent sur la nécessité d’écouter.

    On cite souvent Goethe :

    « Parler est un besoin, écouter est un art ! »

    Hier, le mot du jour fut une attaque frontale contre le Qatar, alors il faut donc être en mesure d’écouter la parole de la défense.

    Et c’est une grande chance, le magazine « Le POINT » est allé opportunément, 2 mois avant l’ouverture de la coupe du Monde, interviewer l’émir du Qatar à Doha et publie un très long entretien avec le souverain du Qatar dans son numéro 2615 du jeudi 22 septembre 2022. : <Le grand entretien avec l’émir du Qatar>

    Le Point a dépêché à Doha deux de ses journalistes les plus chevronnés : Luc de Barochez et Ėtienne Gernelle

    Ils le décrivent comme un homme discret et plein d’attentions à leur égard.

    Les journalistes sont tout esbaudis quand ils constatent que pour la visite qu’on leur a promis, le chauffeur qui se fait aussi guide est tout simplement l’Émir lui-même.

    Il ne se livre pas souvent au Media puisque l’article nous apprend que

    « Il n’a donné que deux interviews formelles depuis qu’il a succédé à son père, en 2013 : la première à CNN, en 2014, la seconde à CBS, en 2017. Plus quelques citations accordées au New York Times. Il s’agit donc du premier véritable entretien accordé à la presse écrite, et de sa première prise de parole en Europe. »

    Mais quand il ouvre sa porte au Point, il sort le grand jeu.

    Tamim ben Hamad Al Thani, a 42 ans, et il règne sur le Qatar depuis le 25 juin 2013, après l’abdication de son père, Hamad ben Khalifa Al Thani.

    Après cette visite qu’il offre à ses hôtes et dans laquelle il leur démontre combien il est à l’aise avec son peuple, commence l’entretien proprement dit.

    Dans l’entretien nous apprenons que manifestement, il est un homme de paix bien que son pays soit menacé par son puissant voisin l’Arabie Saoudite qui, de 2017 à 2021, a organisé un blocus du pays avec pour objectif annoncé de le renverser. En outre, la fortune du Qatar provient surtout de l’immense réserve gazière, la troisième au monde, mais qu’il doit partager avec l’Iran qui est chiite alors que le Qatar est sunnite.

    Ainsi parle Tamim ben Hamad Al Thani :

    « Notre politique étrangère au Qatar vise à rapprocher les différents points de vue, à apporter notre aide à toutes les parties qui en ont besoin, et à jouer un rôle de facilitateur, dans la région et ailleurs. Le monde a besoin de dialogue pour résoudre ses problèmes. »

    « Nous ne souhaitons pas voir le monde polarisé entre deux superpuissances ; ce serait très dangereux. […] Notre pays est un allié majeur de l’Amérique et de l’Occident en général, mais notre principal importateur de gaz naturel liquéfié est la Chine. Nous ne pouvons que constater qu’il y a de grandes divergences entre eux, mais nous espérons que les tensions pourront s’apaiser par les voies diplomatique et pacifique. »

    « Cela s’inscrit dans notre politique : rapprocher les parties qui ont des divergences. En ce qui concerne les talibans, nous l’avons fait à la demande de nos amis américains […] Notre devoir et notre intérêt sont de tout faire pour rapprocher les parties et les engager à négocier un règlement pacifique. Nous ne nous imposons aucune limite dans le choix de nos interlocuteurs, pour autant qu’ils croient en la coexistence pacifique. »

    « Nous voulons aider et donner espoir à la jeunesse moyen-orientale. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour apporter la paix à la région. »

    « Pour que tout le monde y trouve son compte, il faut une coopération mondiale. Je ne veux pas que la mondialisation s’arrête, et je ne pense pas que ce sera le cas. Certains prétendent qu’un retour en arrière rendrait la vie plus facile. Ce n’est pas vrai. Parler et arriver aux responsabilités, ce n’est pas la même chose… Cela ne peut pas marcher. Le monde entier est intégré. Puisque nous sommes tous interconnectés, nous devons travailler ensemble et résoudre nos problèmes ensemble. »

    Et même quand les journalistes l’interrogent sur l’Arabie Saoudite qui a tenté de le renverser par un blocus, il répond :

    « Écoutez, je ne souhaite pas parler du passé. Nous voulons nous tourner vers l’avenir. Nous sommes entrés dans une nouvelle phase, les choses bougent dans le bon sens. Nous reconnaissons que, parfois, nous sommes en désaccord. Nous préparons l’avenir de cet ensemble de pays, le Conseil de coopération du Golfe [le CCG, qui regroupe les six monarchies de la Péninsule arabique, NDLR], qui est essentiel pour débloquer le potentiel des jeunes dans l’ensemble de la région. »

    Et sur son autre voisin, fervent de l’autre branche principale de l’Islam : l’Iran

    « Vous mentionnez l’Iran. Ce pays est très important pour nous. Nous avons une relation historique et, de surcroît, nous partageons avec lui notre principal champ gazier. Nous encourageons tous les États membres du CCG et l’Iran à se parler. Il y a bien sûr des divergences – tout le monde en a –, mais il faut s’asseoir autour d’une table et en parler, directement entre nous et les Iraniens, sans ingérence extérieure. »

    En même temps vu la petite superficie de son territoire, le nombre restreint de ses nationaux : 2,8 millions d’habitants dont 80 % d’étrangers, le Qatar ne peut pas se permettre d’être belliqueux et doit s’appuyer sur sa capacité diplomatique et c’est ce qu’il fait.

    Une autre de ses qualités, c’est qu’il mise sur l’éducation :

    « L’éducation est essentielle, surtout dans un pays qui jouit de ressources naturelles. […] Nous devons surtout investir dans nous-mêmes, dans le capital humain. Qu’on soit riche ou pauvre, l’éducation est la clé. Nous développons nos écoles et nos universités, nous avons invité des universités et des grandes écoles américaines et européennes à s’installer ici. »

    Et enfin il est lucide sur les difficultés des peuples et des dirigeants arabes mais le Qatar fait sa part pour que la situation s’améliore :

    « Les racines profondes du Printemps arabe sont hélas toujours là ! La pauvreté, le chômage, les diplômés sans emploi… Avons-nous résolu ces problèmes ? Non, au contraire, ils ont empiré ! Si nous ne les traitons pas, les événements qu’ils ont provoqués pourront se répéter. À mon avis, la meilleure façon de prévenir les turbulences à l’avenir est de mettre en œuvre des réformes, de manière graduelle. Nous devons donner de vrais espoirs aux populations, et pas seulement en paroles. Le Qatar avait promis d’éduquer 10 millions d’enfants non scolarisés et nous avons surpassé cette promesse : nous atteindrons bientôt 15 millions d’enfants dans le primaire. Nous devons également leur fournir des emplois, des opportunités, mais aussi les laisser exprimer leurs opinions et leurs différences. Le Qatar a mis en place des programmes pour aider à former plus de 2 millions de jeunes dans le monde arabe et leur donner des opportunités d’emploi. Par exemple, nous avons une expérience unique en Tunisie, où nous aidons des gens à lancer leur entreprise. Des dizaines de milliers de jeunes bénéficient de ce projet. »

    Après toutes ces belles réponses, il est légitime de se poser la question s’il reste raisonnable de critiquer autant le Qatar ?

    Mais ces journalistes ont-ils posé les questions embarrassantes ?

    Oui… un peu

    Ils ont rappelé que le Qatar est accusé de protéger les frères musulmans, ce mouvement islamique radical né en Égypte qui au-delà de la dimension religieuse veut aussi s’emparer du pouvoir politique.

    L’émir nie tout simplement :

    « De tels liens n’existent pas. Il n’y a pas, ici au Qatar, de membres actifs des Frères musulmans ou d’organisations leur appartenant. »

    Ils se sont aussi intéressés à sa vision sur le rôle et la place des femmes dans la société :

    « D’abord, devant Dieu, nous sommes tous égaux, hommes ou femmes. Le rôle des femmes est vital dans notre société. Au Qatar, leurs performances à l’université sont supérieures à celles des hommes. Elles représentent 63 % des étudiants. Dans la population active, c’est à peu près 50-50. Au sein de notre gouvernement, nous avons trois femmes ministres. Elles y font un travail formidable. Nous avons même des femmes pilotes dans notre armée de l’air. Nous ne voyons pas de différences avec les hommes. Bien sûr, nous sommes conscients qu’elles sont victimes de discriminations dans le monde, mais nous y sommes totalement opposés. »

    Dans une société où elles sont contraintes de porter le voile, il affirme être conscient qu’elles « sont victimes de discrimination dans le monde. » Dans le monde, peut-être, mais au Qatar, non.

    Et la liberté d’expression :

    « Je crois personnellement à la liberté d’expression. Elle doit être protégée. Mais si cette expression conduit, de manière intentionnelle, à des problèmes ou à des conflits dans le domaine culturel ou religieux, est-il vraiment nécessaire de le dire ? Je ne parle pas ici de quelqu’un qui critiquerait un ministre ou un haut responsable, cela ne me pose aucun problème. Mais, dans des domaines où l’on sait que cela va créer des problèmes, il faut être très prudent. Chacun a le droit de s’exprimer mais, quoi que nous disions, nous devons éviter de blesser des gens issus de cultures, de religions ou de milieux différents. En général, les choses doivent avoir des limites. »

    Sur ce point, nous le sentons un peu réticent. La liberté d’expression c’est très bien, mais les limites à la liberté d’expression lui semblent tout aussi important.

    Mais ont-ils parlé des morts sur les chantiers, du droit de travail, de la climatisation des stades, de la cause des LGBT.

    Rien sur ce dernier point

    Sur les deux autres :

    • Les conditions de travail :

    « Il y a deux sortes de critiques. La plupart du temps, nous y voyons un conseil ou une alerte, et nous les prenons au sérieux. Ainsi, nous avons compris que nous avions un problème avec le travail sur les chantiers, et nous avons pris des mesures fortes en un temps record. Nous avons modifié la loi et nous punissons quiconque maltraite un employé ; nous avons ouvert nos portes aux ONG et nous coopérons avec elles. Nous en sommes fiers. Et puis il y a la seconde catégorie de critiques, celles qui se poursuivent quoi que nous fassions. Ce sont des gens qui n’acceptent pas qu’un pays arabe musulman comme le Qatar accueille la Coupe du monde. Ceux-là trouveront n’importe quel prétexte pour nous dénigrer. »

    Le nombre de morts n’a pas été évoqué ni la controverse entre le Guardian (6500 morts) et la communication officielle du Qatar (37).

    • La climatisation

    « Je pense que chaque pays devrait avoir la chance d’organiser des événements sportifs mais, parfois, le climat peut être un obstacle. Nous avons utilisé les technologies de pointe pour minimiser la consommation d’eau et d’énergie pendant la Coupe du monde, afin d’en faire un événement plus durable. »

    Voici ce long droit de réponse que Le Point a accordé à l’Émir du Qatar.

    Le magazine « Marianne » s’est étonné de ce long entretien, sans aspérité, présentant un homme modéré, sage et recherchant toujours le consensus : < Quand l’hebdomadaire « Le Point » fait la promo de l’Émir du Qatar>

    « Dans sa dernière livraison, le Point annonce en couverture une interview fleuve du Cheikh Tamim ben Hamad Al Thani, émir du Qatar, avec photo de l’impétrant à l’appui. Pour cet exercice, l’hebdomadaire a délégué dans le pays hôte du Mondial de foot son directeur de la rédaction, Étienne Gernelle et Luc de Barochez, deux attaquants réputés de la maison, célèbres pour leur capacité à se jouer des défenses adverses. On s’attendait donc à voir l’Émir cerné, poussé dans ses retranchements, mis face à ses contradictions, sommé de s’expliquer, […] Rien de tel. En fait, le lecteur du Point risque de se retrouver dans la peau du supporter du PSG, propriété du Qatar, après une défaite de son équipe fétiche. Aucune question gênante. Pas de relance après une réponse lénifiante. L’Émir enfile les formules creuses comme d’autres enfilent les perles sans que jamais le duo d’intervieweurs ne daigne rompre l’atmosphère de complicité bienveillante qui sied à ce genre d’exercice »

    Et Marianne finit par cette réplique digne d’Audiard :

    « Bref, c’est un homme ordinaire, bien sous tous rapports, un grand humaniste méconnu, un modèle d’ « humilité », comme le confient Étienne Gernelle et Luc de Barochez, à qui l’impétrant confie cet ultime conseil : « L’éducation commence par des choses simples : faire son lit le matin, par exemple. » Nul ne sait si les deux intervieweurs du Point font leur lit, mais ils ont administré la preuve éclatante qu’ils savent se coucher. »

     

    <1713>

  • Mardi 20 septembre 2022

    « Ne pas voir le problème ou ne pas voir la Coupe du monde. »
    Jérome Latta

    Aujourd’hui, je vais faire un pas de côté par rapport au choc des civilisations, quoique…

    Le football a été inventé, en Angleterre, en Occident donc.

    Un pays, appartenant à une autre civilisation et se trouvant près d’un désert très chaud, a trouvé ce sport très à son goût.

    Comme il était particulièrement riche, il a investi et investi dans ce sport qui n’avait pas été créé pour lui et qu’il n’est pas facile de pratiquer chez lui car il y fait trop chaud.

    Alors …

    Alors, avec de l’argent on peut faire tant de choses et le 20 novembre va s’ouvrir la coupe du monde au Qatar, dans deux mois

    Une amie Facebook a partagé un texte d’un internaute qui a pour nom Bouffanges Bfg

    J’ai appris qu’il était écrivain.

    Il a écrit ce texte en l’accompagnant de cette photo :

    « Au début, tu sais, il n’y eut guère plus qu’une indignation molle, de celles que l’on exprime face aux tracas subalternes de la vie.
    Quand le Qatar se vit attribuer l’organisation de la Coupe du Monde, nous étions en 2010.
    C’était il y a une éternité !
    Certes, le Qatar n’enthousiasmait pas les plus démocrates d’entre nous ; mais somme toute, nous venions d’organiser des JO d’été à Pékin, nous allions organiser des JO d’hiver en Russie et, dans la lancée, nous retournerions en Chine.
    Et puis, tiens, on ferait même une Coupe du Monde en Russie, histoire de boucler la boucle.
    Alors bon…. Ce n’était guère plus que la routine, un menu nid-de-poule sur l’autoroute de la modernité.

    Peu après, quelques voix se sont élevées pour soupçonner que certains membres de la FIFA auraient perçu des “encouragements” à voter intelligemment.
    Certains, du bout des lèvres, allaient jusqu’à appeler ça corruption.
    L’affaire fit tant de clapotis que certaines têtes furent coupées.
    Mais que faire de plus ? Remettre en cause le résultat des votes ? Après tout, c’était le Qatar, on ne pouvait pas vraiment s’attendre à ce qu’ils n’achetassent pas ce qui peut s’acheter.
    D’ailleurs, entre temps, ils s’étaient offert le PSG [en mai 2011] avec des arguments sonnants et trébuchants, ce qui offrait enfin l’espoir que le plus grand club de France cesse de trébucher et de se faire sonner en Ligue des Champions.
    Alors bon…Ce n’était guère plus que la routine, un menu flash de radar sur l’autoroute de la mondialisation.

    Évidemment, ensuite, il fallut construire les infrastructures.
    Et les immenses stades nécessaires à la grand-messe du foute, ça ne pousse pas en arrosant le sable.
    Il y avait urgence, alors comme nous l’enseigne infailliblement l’Histoire, quand il s’agit de construire vite et grand, rien de mieux que l’esclavage.
    Oh ! L’esclavage ! Tout de suite les grands mots ! Peut-être ces travailleurs étaient-ils de humbles héraults tout entiers dévoués à la cause du foutebale ?
    D’ailleurs, les quelques moutons noirs cupides qui osèrent réclamer une paie furent renvoyés à domicile avec la plus stricte des fermetés.
    Mais entre le Guardian, qui recense un minimum de 6500 morts, et l’appareil officiel du Qatar, qui en dénombre 37, qui détient la vérité ? Alors bon…
    Ce n’était guère plus que la routine, un petit bouchon sur l’autoroute de la civilisation.

    Là où ça a commencé à coincer un peu aux entournures (et au col, aussi), c’est quand on s’est aperçu que le Qatar était islamique.
    On n’avait pas vraiment conscience de cela, avant.
    Rapport au fait que le Qatar semblait vouloir ressembler aux plus belles démocraties occidentales, à grands coups d’architecture ambitieuse et de pétrodollars (pardon, de riyals).
    Mais après 2010, il y eut 2015 et le grand festival des attentats.
    Charlie Hebdo, Bataclan.
    Et après 2015, il y eut 2016 : Bruxelles, Nice.
    Puis 2017, 2018, et plein d’autres nombres en 201…

    Et chaque année apportait son lot d’attentats islamistes, en France ou ailleurs.
    Et l’idée d’une Coupe du Monde en terre d’islam radical est devenue moins rock’n roll.
    Le Qatar ne semblait pas parti pour être le prochain Woodstock.
    Cela dit, le Qatar se défendait d’être islamiste.
    Islamique seulement.
    Islam ferme, résolu, mais certainement pas radical.
    D’ailleurs, à la différence de l’Arabie Saoudite voisine, qui décapite comme d’autres prennent leur café le matin (81 en une seule journée en 2022, dans un accès de ferveur dévote), le Qatar n’exécute plus personne depuis bien longtemps.
    À part en 2021, mais il s’agissait d’un Népalais.
    Alors bon. ….
    Ce n’était guère plus que la routine, un petit vomi sur le bord de l’autoroute de l’œcuménisme.

    Pour beaucoup, la problématique s’est concrétisée tardivement, au début de l’été.
    On s’est rendu compte de ce qu’islamique voulait dire lorsque le Qatar a fait savoir qu’une certaine tolérance serait de mise pendant la Coupe du Monde en ce qui concerne la loi locale sur les relations hors mariage.
    En temps habituels, toute relation hors mariage, ou pire adultérine, ou pire homosexuelle, ou pire sodomite, était passible de peine de mort, ou a minima de coups de fouets et d’emprisonnement.
    Bizarrement, le monde n’a pas forcément ressenti cette précision comme une preuve de la grande tolérance du Qatar.
    Mais bon…
    Ce n’était guère plus que la rout…


    Enfin bref, là oui, on commençait à sentir un peu que l’autoroute avait deux trois malfaçons dans l’enrobé.
    Et enfin, pour la plupart, la prise de conscience est survenue après l’été 2022.
    On sortait de la plus longue canicule de l’histoire moderne, on n’avait plus d’eau depuis des semaines, des pays entiers étaient sous les eaux, la guerre en Ukraine provoquait une flambée des prix de l’énergie et laissait augurer un hiver bas en couleurs.
    Soudain, les images de ces immenses stades perdus au milieu du désert, tempérés par des batteries de climatiseurs grands comme des réacteurs de Boeing 737, sont apparues comme un signe frappant de décalage temporel.
    On ne pouvait plus prétendre que ce n’était rien, que c’était comme ça.

    Voilà, maintenant tu sais comment, en douze années de temps, la Coupe du Monde au Qatar, avec ses stades bâtis sur des ossuaires, est devenue le symbole de la corruption, de l’atteinte aux droits humains, du dédain face à la catastrophe climatique, tout ça pour le plaisir de voir courir quelques milliardaires en culottes courtes.
    Voilà, mon fils, comment elle est devenue le symbole ultime du cynisme de notre civilisation.
    Et voilà comment elle est devenue l’instant où le monde s’est rendu compte que ce pouvait être le début de la fin ; ou le début d’autre chose.
    Tu n’étais pas né en 2010.
    Ton frère avait un an.
    Vous n’y pouviez rien.
    Et je croyais n’y rien pouvoir non plus.
    Mais quand on est nombreux à n’y rien pouvoir, on finit par pouvoir un peu. »

    Bon, il y a beaucoup d’informations dans ce texte !

    L’Arabie Saoudite a-t-elle exécuté 81 personnes le même jour ?

    Oui c’était le 12 mars 2022. Vous trouverez l’information diffusé par Amnesty International <ICI>

    Le Qatar a-t-il exécuté un népalais ?

    Oui c’était en avril 2021, vous trouverez la confirmation dans cet article de <L’Orient le jour>

    Beaucoup de Népalais se trouvent au Qatar pour y travailler.

    Le journal « Sud-Ouest » avait publié, en 2013 déjà : « Coupe du monde au Qatar : 44 ouvriers népalais morts, des preuves de travail forcé ».

    Dans cet article très court le journal citait le journal anglais « The Guardian » :

    « Au moins 44 ouvriers népalais , travaillant dans des conditions s’apparentant à de l’esclavagisme , sont morts en 2013 sur des chantiers au Qatar […]
    Le Guardian dit avoir trouvé des preuves et des témoignages de travail forcé sur un projet d’infrastructure majeur en vue de la Coupe du monde 2022, même si les travaux liés directement à l’événement n’ont pas encore commencé.

    Le journal relaie les allégations de certains ouvriers qui disent ne pas avoir été payés depuis des mois , qu’on leur a confisqué leur passeport et qu’on les prive d’eau potable gratuite sur les chantiers, malgré des températures caniculaires. »

    Le 21 février 2021 le même journal Le Guardian estimait que <6 500 ouvriers seraient morts dans les chantiers au Qatar>

    Vous trouverez sur le site de la <Diplomatie Belge> cette information sur les mœurs :

    « La prostitution, l’homosexualité et les relations extraconjugales (non seulement adultérines mais toute relation sexuelle hors mariage) sont illégales. Ces délits sont sévèrement sanctionnés en vertu de la loi islamique (sharia).

    Les personnes reconnues coupables d’actes homosexuels encourent jusqu’à dix ans de prison. Il est donc conseillé aux personnes LGBTI de considérer soigneusement les risques d’un voyage au Qatar.

    Les unions de fait sont illégales au Qatar. Un homme et une femme ne sont pas autorisés à vivre dans le même logement à moins d’être légalement mariés ou d’avoir un lien de parenté. Les relations sexuelles hors mariage constituent une infraction criminelle.

    Les démonstrations d’affection en public, y compris le fait de se tenir par la main ou de s’embraser, ne sont pas acceptables socialement.

    Hommes et femmes doivent s’habiller modestement, notamment en se couvrant les genoux et les épaules . Les femmes étrangères ne sont cependant pas obligées de porter le voile. »

    Le journaliste Jérôme Latta a publié dans le Monde, hier, 19 septembre : « 
    Le Mondial au Qatar, c’est la (grosse) goutte qui fait déborder la coupe » dans lequel il écrit :

    « Il y a ce bilan humain effarant, dont l’unité est le millier de morts, sur les chantiers du pays, et l’aberration écologique de ces huit stades climatisés de 40 000 à 80 000 places – sept nouveaux – serrés dans une agglomération de 800 000 habitants, dont les tribunes n’étaient pas remplies lors des Mondiaux d’athlétisme en 2019.

    Le Mondial qatari représente, certes, moins une rupture qu’un aboutissement navrant. C’est la (grosse) goutte qui fait déborder la coupe, en exhibant la réalité des grands événements sportifs : gigantisme, compromission politique, gabegie économique et environnementale, cupidité des organisations sportives, mépris des fans, etc.

    Le procès fait à la FIFA World Cup Qatar 2022 est celui d’un modèle poussé à son extrême, qui laisse beaucoup d’entre nous devant un sinistre dilemme : ne pas voir le problème ou ne pas voir la Coupe du monde. »

    Chacun agira comme lui dicte sa conscience.

    Pour ma part, je ne peux pas ne pas voir le Problème écologique, humain et éthique.

    Je ne pourrais pas regarder une minute de cette sinistre et criminelle farce.

    Je vous rappelle que Coluche avait eu cette phrase « et dire que pour cela ne se vende pas, il suffit simplement de ne pas l’acheter. »

    <1712>

    Les caricaturistes se sont lâchés.

  • Lundi 19 septembre 2022

    « La conférence mondiale de l’ONU sur les droits de l’homme à Vienne, en juin 1993. »
    Moment où l’Occident a compris que si elle avait gagné la guerre froide, son modèle et ses valeurs étaient loin de s’être imposés.

    La guerre froide était terminée depuis 1991.

    Les États Unis n’avaient plus d’ennemis à leur dimension comme pouvait l’être l’Union Soviétique.

    Les communistes chinois, sous l’autorité morale de Deng Xiaoping, ne suivront pas l’exemple de Gorbatchev et réprimerons par le sang l’espoir de jeunes étudiants chinois d’obtenir davantage de liberté et de droits.

    Le monde, dominé par l’hyperpuissance des Etats-Unis était prêt, pensait les occidentaux, à se soumettre davantage aux valeurs occidentales des droits de l’homme, de la démocratie et des libertés politiques.

    Et c’est dans cet esprit que fut organisée, du 14 au 25 juin 1993, à Vienne en Autriche, la Conférence mondiale sur les droits de l’homme sous l’égide de l’ONU.

    Huntington explique que c’est lors de cette conférence à Vienne, que les Occidentaux ont compris que même s’ils avaient pensé avoir gagné la guerre froide, le Monde ne s’occidentaliserait pas pour autant. :

    « Les différences quant aux droits de l’homme entre l’Occident et les autres civilisations, et la capacité limitée de l’Occident à atteindre ses objectifs sont apparues au grand jour lors de la conférence mondiale de l’ONU sur les droits de l’homme à Vienne, en juin 1993. D’un côté se tenaient les pays européens et nord-américains ; de l’autre, on trouvait un bloc d’environ cinquante États non occidentaux, dont les quinze plus actifs comprenaient les gouvernements d’un pays d’Amérique latine (Cuba), d’un pays bouddhiste (Myanmar), de quatre pays confucéens aux idéologies politiques, aux systèmes économiques et aux niveaux de développement très différents (Singapour, le Viet-nam, la Corée du Nord et la Chine) et de neufs pays musulmans (La Malaisie, l’Indonésie, le Pakistan, l’Iran, l’Irak, la Syrie, le Yémen, le Soudan et la Libye). Le regroupement islamo-asiatique représenté par la Chine, la Syrie et l’Iran dominait. Entre ces deux groupes, il y avait les pays d’Amérique latine, sauf Cuba, qui ont souvent soutenu l’Occident, et les pays africains et orthodoxes qui l’ont parfois soutenu mais qui s’y sont opposés le plus souvent. »
    Le choc des civilisations page 285

    Constatons d’abord que si l’Occident présente une certaine homogénéité, l’autre coalition est hétéroclite associant des pays d’Islam avec des États qui comme la Chine sont hostiles aux musulmans qui se trouvent dans leurs frontières ou d’autres pays comme Cuba et la Corée du Nord qui sont anti-religieux.

    Constatons ensuite que mise à part l’Amérique latine hors Cuba, l’Occident a peu d’alliés et se trouve minoritaire.

    Quelles étaient les sujets de conflits ?

    « Les problèmes à propos desquels les pays se divisaient en termes de civilisation étaient les suivants :

    • Universalisme/relativisme culturel en matière de droits de l’homme ;
    • Priorité relative de l’économie et des droits sociaux dont le droit au développement/droits politiques et civiques ;
    • Conditions politiques posées à l’assistance économique ;
    • Création d’un commissaire de l’ONU aux droits de l’homme ;
    • Autorisation donnée aux organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme, qui se rassemblaient simultanément à Vienne, de participer à la conférence gouvernementale ;
    • Droits particuliers traités par cette conférence ;
    • Problèmes plus spécifiques comme la possibilité laissée au dalaï-lama de s’adresser à la conférence. »
      Le choc des civilisations page 285/286

    Ces problèmes ont fait l’objet d’importantes divergences entre les pays occidentaux et le bloc islamo asiatique.

    Huntington nous apprend que les pays d’Asie avaient préparés cette conférence, contrairement aux Occidentaux :

    « Deux mois avant la conférence de Vienne, les pays d’Asie s’étaient réunis à Bangkok et avaient adopté une déclaration soulignant que les droits de l’homme devaient être considérés « dans le contexte […] des particularités nationales et régionales et des différents fonds religieux et culturels hérités de l’histoire. »
    Le choc des civilisations page 286

    Bref, il n’y avait aucune raison de se soumettre aux « diktats » des occidentaux concernant les droits de l’homme et leurs prétentions universalistes. C’est les particularités qui sont essentielles et qui justifient « la dose » de droits de l’homme qu’il est possible d’offrir.

    On peut être anti-occidentaux, ou comme moi conscients des faiblesses et des trahisons de l’Occident et trouver cette défense des pays autoritaires ou même tyranniques comme le comble de la mauvaise foi.

    <Le massacre de Tien an men> date de 4 ans, le 4 juin 1989 et dans ce cas plutôt que le particularisme chinois, il fallait surtout sauver le pouvoir du parti communiste chinois et les privilèges des dirigeants communistes.

    A Bangkok ces pays se sont mis d’accord sur une autre exigence :

    « Le fait de conditionner l’assistance économique à la situation des droits de l’homme étaient contraire au droit au développement. »
    Le choc des civilisations page 286

    Ces pays ne supportaient plus que l’Occident exerce une pression financière pour les obliger à améliorer les droits individuels de leurs citoyens.

    Huntington explique que les occidentaux ont fait plus de concessions que leurs adversaires mais ont tenté de préserver les droits des femmes :

    « La déclaration adoptée par la conférence a donc été minimale. »

    La proclamation de l’universalité des droits est donc tempérée largement par la prise en considération des particularismes locaux :

    Par exemple la Déclaration et Programme d’action de Vienne, adoptée dispose dans son article 5 que :

    « Tous les droits de l’homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. La communauté internationale doit traiter des droits de l’homme globalement, de manière équitable et équilibrée, sur un pied d’égalité et en leur accordant la même importance. S’il convient de ne pas perdre de vue l’importance des particularismes nationaux et régionaux et la diversité historique, culturelle et religieuse, il est du devoir des États, quel qu’en soit le système politique, économique et culturel, de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales. »

    Huntington cite Charles J. Brown qui écrivait :

    « [Ce document] représentait une victoire pour la coalition islamo-asiatique et une défaite pour l’Occident »
    Le choc des civilisations page 286

    Et il ajoute, en énumérant notamment tout ce qui manquait :

    « La déclaration de Vienne ne contenait aucune défense de la liberté de parole, de la presse, d’assemblée et de religion et était donc par bien des aspects plus faible que la déclaration universelle des droits de l’homme que les Nations unies avaient adoptée en 1948. Cette évolution traduit le déclin de puissance de l’Occident. […] Le monde est désormais aussi arabe, asiatique et africain qu’il est occidental. »

    Huntington cite alors ce qu’il appelle : « un détracteur asiatique de l’Occident »

    « Pour la première fois depuis que le Déclaration universelle a été adoptée en 1948, des pays qui n’ont pas été marqués profondément par les traditions du judéo-christianisme et du droit naturel sont au premier rang. Cette situation sans précédent va définir la nouvelle politique internationale des droits de l’homme. Elle va également multiplier les occasions de conflit »

    Et il ajoute :

    « Le grand gagnant […] fut clairement la Chine, du moins si on mesure la réussite au fait de dire aux autres ce qu’ils ne doivent pas faire »

    Huntington rappelle que l’Occident eut l’opportunité d’une petite revanche. Le gouvernement chinois avait défini comme objectif majeur d’obtenir l’organisation des jeux olympiques de l’an 2000. On sait que c’est finalement Sidney qui l’obtint, c’est-à-dire une ville et un pays occidentaux. Pour ce faire, il fallut beaucoup manœuvrer pour parvenir à écarter Pékin.

    Ce fut une victoire à la Pyrrhus, Pékin obtint les jeux de 2008, moins de 20 ans après Tien an Men.

    Le 28 janvier 1992, le président américain George HW Bush avait annoncé au Congrès que l’Amérique avait gagné la guerre froide.

    Fukuyama avait publié la même année, 1992, « La fin de l’Histoire »

    Et en juin 1993, la conférence mondiale de l’ONU sur les droits de l’homme à Vienne remettait très largement en cause cette vision occidentalo-optimiste.

    <1711>

  • Vendredi 16 septembre 2022

    « C’est tellement rare, c’est tellement improbable, c’est tellement miraculeux que c’est peut-être ça la civilisation et la culture. Rencontrer quelqu’un qui écoute. »
    Michel Serres

    C’est mon père qui m’avait raconté cette histoire.

    Un vieux sage reçoit un homme qui vient se plaindre d’un autre homme. Il lui raconte longuement les faits et aboutit à une conclusion qui lui est favorable.

    Le sage le congédie en lui disant : « Tu as raison ».

    Mais quelques heures plus tard, l’autre homme vient rencontrer le vieux sage et lui raconte la même affaire avec ses mots et son analyse.

    A la fin de la discussion et au moment du départ, le sage lui dit : « Tu as raison. ».

    Alors, l’épouse du sage qui avait entendu les deux conversations s’approche de son mari et lui dit son étonnement :

    « Je ne comprends pas, ces deux hommes ont exprimé des opinions radicalement opposées et tu as dit à chacun qu’il avait raison. ».

    Et le vieux sage répondit à sa femme : « Tu as raison ! »

    Puis, il a ajouté : « Ces hommes ne partent pas du même point de vue. Mais chacun a raison en partant de son point de vue !

    Cette histoire m’est restée.

    Elle raconte deux personnes qui parlent et ne se rencontrent jamais.

    Je veux dire leurs paroles ne se rencontrent pas, ils ne s’écoutent pas, n’échangent pas.

    Chacun ne se centre que sur son histoire, sa vision, son récit.

    Et aujourd’hui avec les réseaux sociaux, pour beaucoup, leur univers se restreint à un tel point qu’il ne peuvent plus que parler avec les gens qui pensent comme eux.

    Le <mot du jour du 3 mars 2016> citait le sociologue Zygmunt Bauman qui exprime cela avec une acuité rare :

    « S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.»

    A cela Michel Serres répond :

    « C’est tellement rare, c’est tellement improbable, c’est tellement miraculeux que c’est peut-être ça la civilisation et la culture. Rencontrer quelqu’un qui écoute. »

    Cette phrase se trouve dans un livre de Robert Blondin « Le Bonheur possible », dans lequel l’auteur est allé à la recherche des gens heureux. Entouré d’une dizaine de collaborateurs, armé de 40 questions, il a rencontré 2000 « sages heureux » d’Europe, d’Asie et d’Amérique.

    Parmi ces sages il y avait Michel Serres et cette phrase se trouve page 271.

    Voilà le mot du jour court que je souhaitais écrire après ceux de mercredi et de jeudi.

    Et si le cœur vous en dit voici une <Vidéo de la librairie Mollat où Michel Serres présentait son livre « Le Gaucher boiteux » dans lequel il parle beaucoup de rencontres.

    <1710>

  • Jeudi 15 septembre 2022

    « L’échec de l’impérialisme moral en Afrique ! »
    Jean-Pierre Olivier de Sardan

    « J’aime les gens qui doutent » chantait Anne Sylvestre :

    « J’aime les gens qui doutent, les gens qui trop écoutent leur cœur se balancer
    J’aime les gens qui disent et qui se contredisent et sans se dénoncer
    J’aime les gens qui tremblent, que parfois ils ne semblent capables de juger »

    Sur les quelques 1700 mots du jour que j’ai écrit depuis 2012, aucune série ne m’a donné autant de mal que celle-ci que j’ai initié sur ce livre et cette intuition de Samuel Huntington : « Le choc des civilisations ».

    Alors faut-il se taire ? Ne pas en parler ?

    J’ai l’intuition contraire, il ne faut pas être dans le déni.

    Dans un certain nombre de domaines qui touche les libertés, les progrès dans le droit des femmes, des pratiques sexuelles, de l’écriture, du dessin, de la réalité des faits, de la démarche scientifique, de l’enseignement de l’Histoire nous sommes depuis le début de ce siècle en pleine régression.

    Et je crois qu’il faut essayer de comprendre cela :

    • La colère des uns ;
    • Le totalitarisme des autres ;
    • L’aveuglement ou la naïveté d’autres encore
    • La peur, la lâcheté, l’indifférence du plus grand nombre

    Pour donner quelques éléments de compréhension de cette énumération qui peut être énigmatique pour les uns ou plein de sous-entendus pour les autres, voici quelques exemples. Il n’est pas question d’exhaustivité ici.

    Quand je parle de colère, je pense aux peuples qui ont été colonisés, soumis et exploités par un Occident arrogant et usant de toute la force que lui donnait ses capacités industrielles et militaires.

    Le totalitarisme correspond à des régimes tyranniques ou plus simplement autoritaires et qui en utilisant d’une part des fautes des occidentaux et d’autre part le récit ancien et souvent déformé de leur civilisation rejettent en bloc toutes les valeurs de l’occident et imposent des pouvoirs cruels, carcéraux, liberticides, régressifs et abêtissant.

    L’aveuglement ou la naïveté s’adresse aux politiques, intellectuels et journalistes de nos pays qui souvent aveuglés par leur anti-américanisme, qui peut avoir des justifications, défendent des mouvements, des idées ou des dictateurs. Il y a parmi eux des poutinologues, des pro-Xi Jinping, des compagnons de route des frères musulmans ou des salafistes ou d’autres causes ambigües comme le « Comité Vérité pour Adama ». La plupart de ces naïfs seraient parmi les premiers éliminés s’ils avaient le malheur de vivre dans un pays dirigé par les forces qu’ils soutiennent.

    La dernière partie est ultra majoritaire et ne veut pas se mêler de ses querelles, soit parce que cela dérange sa quiétude, soit que l’esprit est occupé de tant de choses qu’ils ne faut pas perdre de temps pour réfléchir à ces sujets, soit parce que les menaces qui nous guettent ne sont pas perçues, soit, comme ceux qui ne veulent pas que le collège de leur enfant prenne le nom de Samuel Paty, parce qu’ils sont lâches, il n’y a pas d’autre mot.

    Le chemin de crête pour parler de ces influences, de ce bouleversement sociétal et politique est extraordinairement difficile.

    A force de nuancer et de volonté d’embrasser tous les éléments du puzzle, on pourrait aboutir à des phrases interminables, entrecoupées par des conjonctions (mais, or) ou des adverbes (cependant, toutefois).

    Bref, des phrases qui sont illisibles.

    Alors je ne vais pas agir ainsi.

    Hier, je donnais un point de vue sur l’affaire Idrissa Gueye et les dissensions entre le Sénégal et La France qui en ont été la conséquence.

    Jean-Pierre Olivier de Sardan présente une opinion tout à fait différente qu’il défend dans le remarquable magazine numérique « AOC » pour Analyse, Opinion, Critique.

    Cet article d’opinion qui a été publié le 14 juin 2022 a pour titre « De quoi se mêlent-ils ? » : l’échec de l’impérialisme moral en Afrique »

    Je ne connaissais pas Jean-Pierre Olivier de Sardan qui est désigné comme anthropologue dans l’article

    Sa <Fiche Wikipedia> nous apprend qu’il est né en 1941 dans le Languedoc et qu’il a été professeur d’anthropologie à l’École des hautes études en sciences sociales de Marseille. Il était également directeur de recherches émérite au CNRS et professeur associé à l’Université Abdou-Moumouni (Niamey, Niger).

    Il présente la particularité de disposer à la fois de la nationalité de naissance française, mais aussi de la nationalité, acquise en 1999, du Niger.

    Nous apprenons qu’il a réalisé une grande partie de ses études anthropologiques en Afrique et que ses premiers travaux furent l’étude d’une société particulière, le peuple Wogo, sur les rives du fleuve Niger, à l’ouest du pays.

    Enrichis par cette double culture française et africaine, il affirme l’aspect contre-productif des attaques françaises contre le joueur sénégalais :

    « Attaquer publiquement et menacer de sanctions Idrissa Gueye, joueur sénégalais du Paris Saint-Germain qui a refusé de porter le maillot arc-en-ciel lors de la journée de lutte contre l’homophobie, est le meilleur moyen de renforcer à la fois l’homophobie au Sénégal et le rejet de la France. »

    Il renvoie vers un autre article d’AOC : <un fait social total par Jean-Loup Amselle> qui tente de relater toute cette histoire en essayant de rester dans la plus grande neutralité possible, à équidistance, de l’indignation française et de l’irritation sénégalaise.

    Olivier de Sardan souhaite se démarquer par un avis plus tranché :

    Je me risquerai […] à prendre parti très clairement, car derrière cette affaire c’est aussi toute l’attitude des Occidentaux qui est contestée en Afrique, bien au-delà du Sénégal, jusqu’à et y compris l’aide au développement, dont tout montre qu’elle est en crise profonde. Je pense que les attaques radicales et outrées contre Ibrahim Gueye sont non seulement déplacées mais doivent être condamnées, et qu’elles sont de plus révélatrices d’un mal profond dès lors qu’il est question des pays du Sud en général et de l’Afrique en particulier.

    À quel titre les dirigeants, autorités, intellectuels et experts occidentaux s’autorisent-ils à donner sans cesse des leçons de morale aux peuples africains, en oubliant les poutres qu’ils ont dans l’œil et en bafouant bien souvent les règles qu’ils veulent imposer aux autres ?

    Ce sont cette arrogance, cette suffisance, cette condescendance, cette tartuferie, qui expliquent pour une grande part le rejet de plus en plus prononcé de l’Occident (France en tête) par une très grande partie des opinions publiques africaines, rejet massif dont on voit d’ailleurs dans l’actualité une conséquence que je trouve particulièrement déplorable mais dont il faut comprendre le pourquoi : un soutien envers Poutine très souvent affiché en Afrique, pour la seule raison qu’il s’oppose à l’Occident. »

    Après avoir dressé le contexte, l’univers mental africaine et le ressentiment historique à l’égard des pays coloniaux et en particulier la France, il prend une position assez éloignée de celle que je défendais hier :

    « Participer aux Gay Pride ou aux manifestations contre le racisme serait-il alors obligatoire, et ne pas le faire serait-il donc assimilable à un comportement homophobe ou raciste ? Ce serait absurde. Ne pas s’associer à une activité publique contre l’homophobie ne signifie pas être homophobe, pas plus qu’un joueur de tennis russe qui ne critique pas publiquement l’agression russe en Ukraine ne peut être accusé pour autant de la soutenir. Les critiques virulentes contre Gueye n’ont pas lieu d’être. On peut d’ailleurs penser qu’elles ne visaient pas son identité sénégalaise et que tout autre joueur ayant réagi comme lui aurait fait l’objet de cette intolérance. Mais c’est justement parce qu’elles ne tenaient pas compte de son identité sénégalaise qu’elles ont soulevé un tel tollé en Afrique. »

    Le joueur est resté silencieux pendant toute la polémique. Il est parti en Angleterre à la fin de l’été. Olivier de Sardan explique l’embarras du joueur par sa peur d’être mal jugé dans son pays natal :

    « En effet, pour comprendre mieux l’attitude de Gueye lui-même, le fait qu’il soit sénégalais est incontournable. En refusant de porter le maillot symbolique de l’homosexualité, qui l’aurait sans doute transformé bien malgré lui en militant pro-homosexuel aux yeux de ses compatriotes, Gueye ne voulait sans doute pas tomber sous le coup d’une avalanche de quolibets et d’insultes au Sénégal, où l’opinion publique est clairement homophobe. Cela me semble très compréhensible de sa part. »

    Il explique que, selon lui, même si le joueur était hostile à l’homosexualité, rien ne pourrait lui être reproché s’il ne pratique pas personnellement des insultes ou des actes homophobes.

    « Peut-être aussi (je n’en sais absolument rien) est-il hostile personnellement à l’homosexualité. Et alors ? Là aussi ce serait son droit : ce sont les insultes et les actes homophobes qui sont proscrits (non seulement légalement, mais aussi légitimement à mon avis), mais pas le rejet de l’homosexualité à titre personnel (« en son âme et conscience » selon la formule consacrée). La répression en France de l’homophobie et de toutes les discriminations ne doit pas empiéter sur la liberté d’opinion. »

    Sur ce point je me permets une objection. La liberté dans notre civilisation s’exerce à l’égard de la sexualité qu’on souhaite vivre, hétéro, homo ou bi. Cela peut aller jusqu’à une hétéro sexualité contrainte par une homosexualité refoulée en raison d’interdits qu’on accepte en raison de ses croyances. Mais l’homophobie est désormais, dans notre civilisation, un délit et non une opinion. Ce n’est pas seulement le fait de s’abstenir d’insultes ou d’actes homophobes qui est ici en cause.

    Ce qui à mon sens se joue ici, c’est l’intolérance des religieux, le fait de ne pas accepter que l’autre peut penser différemment de moi.

    Et là, il y a un pas supplémentaire, qu’Olivier de Sardan néglige, l’homme tolérant intervient et défend celui qui pense différemment de lui, si on l’attaque.

    Nous savons aujourd’hui que Voltaire n’a jamais écrit : « « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ».

    Mais cette phrase est bien une phrase pleine de sens, dans ce contexte.

    De manière plus personnelle, je peux dire que je ne sais pas si Dieu existe. Mais ce que je crois c’est que le Dieu qui est décrit dans les Livres de Moïse des juifs, dans la bible chrétienne ou dans le coran des musulmans, lui, n’existe pas.

    Ce que l’Histoire nous apprend sur la rédaction, la sélection des textes et leur utilisation par des hommes de pouvoir pour asseoir leur autorité m’autorise une grande force dans cette conviction.

    Pourtant, non seulement j’accepte que cette croyance soit la réalité des gens qui y adhérent, mais bien plus, je les défendrai s’ils sont attaqués par des intolérants.

    S’associer à une journée contre l’homophobie pour quelqu’un qui s’interdit d’être homosexuel répond à cette même logique.

    Mais Olivier de Sardan place cette question dans un contexte plus général de relations ambigües entre l’Europe et l’Afrique :

    « Passons maintenant aux relations avec l’Afrique, non seulement en ce qui concerne l’homophobie mais plus généralement les interventions des Européens en matière de normes sexuelles et familiales d’une part, de mœurs politiques d’autre part. Il y a beaucoup de valeurs morales considérées désormais au Nord comme « allant de soi » que les décideurs occidentaux de tous bords, depuis les grandes agences de développement jusqu’aux ONG grandes et petites, entendent imposer à l’Afrique, non certes par la force, mais par le biais de multiples conditionnalités de l’aide : la défense des droits des homosexuels, certes, mais aussi la promotion des femmes, la régulation des naissances, la lutte contre le mariage forcé et le mariage des enfants, la lutte contre la corruption, la démocratie électorale, la transparence et la redevabilité, la promotion de la société civile […]

    Cela autorise-t-il pour autant les représentants de la France ou plus largement les décideurs de l’aide au développement et de l’aide humanitaire à donner des leçons aux autres peuples, et à se comporter en militants imposant de l’extérieur ces valeurs aux autres ? Certes, l’exportation systématique vers l’Afrique de valeurs morales devenues incontournables en Occident se fait avec les meilleures intentions du monde, au bénéfice des discriminés, des opprimés, des pauvres : il s’agit d’intervenir « pour leur bien ». Ceci rappelle d’une certaine façon les discours missionnaires des temps coloniaux. Le problème c’est que ce « bien » est perçu par la plupart de ceux auxquels il s’adresse comme un « mal », et que ces « amis qui nous veulent du bien » sont bien souvent considérés comme des hypocrites qui nous humilient. »

    Cette réaction anti-colonialiste que décrit l’anthropologue est certainement une réalité, en outre, parfaitement compréhensible.

    Il constate qu’en plus cette injonction moraliste de l’Occident échoue :

    « Soyons clairs. Dans la plupart des pays d’Afrique, le patriarcat est la règle et les hommes dominent de façon écrasante la vie publique (même si les femmes ne sont pas démunies de contre-pouvoirs), la polygamie est très développée, la corruption est généralisée, l’homophobie règne ouvertement, la démocratie est contournée ou décriée. Le racisme et la xénophobie sont fréquents et souvent à visage découvert. Au Sahel, les mariages précoces et forcés sont toujours nombreux et largement validés socialement et religieusement. L’Afrique (pas plus que l’Europe ou l’Amérique) n’a rien d’un monde idéal qu’il s’agirait de préserver en l’état.

    On ne peut donc se satisfaire de cette situation. Mais qui peut la changer ?

    Une réponse s’impose. Le fonctionnement actuel de l’aide occidentale, avec ses injonctions éthiques liées à toute allocation de fonds, a échoué. Il va à l’encontre de ses bonnes intentions, car ses leçons de morale exacerbent le rejet de l’Occident et par la même favorisent la perpétuation des pratiques locales qu’il s’agissait de modifier »

    Pour faire évoluer les pratiques que nous réprouvons son conseil est de plutôt s’appuyer sur les militants africains dont il reconnait qu’ils restent très minoritaires sans être pour autant isolés. Son expérience montre qu’une partie de la population n’approuve pas les mariages forcés ou la répression de l’homosexualité, accepte les contraceptifs, tolère les avortements. Mais cette partie-là reste silencieuse, dans la mesure où, sur la scène publique, la scène électorale et la scène religieuse, c’est le rejet des valeurs considérées comme occidentales qui tient de plus en plus le haut du pavé.

    Il oppose ainsi « réformateurs de l’extérieur » issus de l’Occident inefficace et rejetés, aux « réformateurs de l’intérieur » qui peuvent aider à l’évolution lente des sociétés et qu’il faudrait aider de manière discrète mais réelle. Et il finit par cette conclusion :

    « Les « réformateurs de l’extérieur » ne sont ni efficaces ni bienvenus sous les formes actuelles de leurs interventions. Leur impatience missionnaire et leur impérialisme moral sont bien souvent contre-productifs, malgré leurs bons sentiments, voire à cause d’eux. Leurs bons sentiments masquent en effet leur méconnaissance dramatique des réalités locales, et leur manque d’écoute des raisons pour lesquelles les gens font ce qu’ils font. »

    Un autre éclairage du même sujet abordé hier.

    Il montre toutes les forces souterraines à l’œuvre dans ce conflit de civilisation et cite la : « domination idéologique d’un salafisme revenant à l’époque du Prophète »

    J’y apprends la difficulté de convaincre du bien-fondé des valeurs occidentales dans ces lieux hostiles à l’Occident à cause d’un lourd passé.

    Toutefois l’histoire relaté hier parle non pas de ce qui se passe en Afrique, mais en France. Et je crois que sur notre territoire, tout en appliquant la tolérance telle que je l’ai évoquée précédemment, nous avons le droit d’affirmer nos valeurs et de demander qu’elles soient respectées par celles et ceux qui ne pensent pas comme nous, mais qui habitent, même temporairement, ce territoire.

    <1709>

  • Mercredi 14 septembre 2022

    « C’est juste un choc culturel ! »
    Bacary Cissé – journaliste sénégalais à propos du refus d’Idrissa Gueye de participer à un match contre l’homophobie

    Une civilisation, c’est une culture, ce sont des valeurs spirituelles souvent incarnées par une religion.

    C’est une conception de la relation entre les droits individuels et les exigences de la société.

    C’est une conception du sacré, des interdits et de ce qui est permis.

    Car il y a toujours du sacré, même dans les sociétés très largement athées.

    En France par exemple, la flamme du soldat inconnu, le drapeau, les tombes, la shoah sont sacrés, c’est-à-dire qu’ils sont susceptibles de faire l’objet d’un sacrilège, on utilise, dans le langage courant, le terme de profanation.

    Idrissa Gueye est un joueur de football de nationalité sénégalaise. Il était dans l’effectif du Paris Saint Germain de 2019 à juin 2022, depuis août 2022 il a rejoint un club anglais.

    Le samedi 14 mai 2022, se déroulait la 37e journée du championnat de Ligue 1,  journée dédiée à la lutte contre l’homophobie.

    Pour l’occasion, tous les joueurs des 20 équipes arboraient un maillot floqué de l’arc-en-ciel des fiertés LGBT, en marque de soutien.

    Idrissa Gueye avait été convoqué pour faire partie de l’équipe du PSG et devait donc porter ces couleurs arc en ciel. Idrissa Gueye n’a pas voulu jouer « pour des raisons personnelles »

    La saison précédente, une journée identique avait été organisée et le joueur s’était également abstenu officiellement pour des raisons médicales.

    Cette affaire a immédiatement agité le monde associatif qui a fait de la lutte contre l’homophobie une cause essentielle.

    Ainsi l’association de lutte contre l’homophobie dans le sport, Rouge Direct, a réagi dès le 15 mai :

    « L’homophobie n’est pas une opinion mais un délit. La LFP (Ligue) et le PSG doivent demander à Gana Gueye de s’expliquer et très vite. Et le sanctionner le cas échéant »

    Ce message a été suivi par beaucoup d’autres. Je crois qu’on peut dire que quasi toute la France du sport, de la politique et des milieux d’influence s’est mobilisée et indignée devant le comportement de ce joueur.

    Le joueur n’a fait aucun commentaire.

    Alors, le 18 mai, Le Conseil national éthique (CNE) de la FFF a écrit à Idrissa Gueye:

    « En refusant de participer à cette opération collective, vous validez de fait les comportements discriminatoires, le refus de l’autre, et pas uniquement contre la communauté LGBTQI +.
    L’impact du football dans la société et la capacité des joueurs à représenter un modèle nous donnent à tous une responsabilité particulière ».

    Nous pouvons conclure à une condamnation unanime en France.

    Au Sénégal la réaction a été tout autre.

    D’abord le président de l’État Macky Sall a affirmé son soutien au joueur :

    « Je soutiens Idrissa Gana Gueye. Ses convictions religieuses doivent être respectées ».

    Le ministre des Sports Matar Bâ s’est aussi joint à la défense du joueur en indiquant que

    « Quand on signe (un contrat avec un club), c’est pour jouer au foot, ce n’est pas pour faire la promotion de quoi que ce soit ou mettre de côté ses convictions »

    L’écrivain et intellectuel Boubacar Boris Diop, lauréat du très prestigieux Prix Neustadt, affirme, lui, sa

    « Solidarité totale avec Idrissa Gana Guèye. Ils sont étranges, ces gens qui se donnent tant de mal pour imposer à tous et à chacun leurs opinions. Au nom, suprême stupidité, de la liberté d’expression. Savent-ils seulement qu’ils font de plus en plus rire ?  »

    L’ex-Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne encourage Gueye en lui disant:

    « Tiens bon, Gaïndé”, lion en langue wolof, surnom de la sélection nationale de football, dans un message sur Twitter accompagné de versets du Coran. »

    Le président de la Fédération sénégalaise de football, Augustin Senghor a déclaré :

    « Idrissa Gueye est dans son bon droit.  Il est resté ancré dans ses valeurs, dans ses principes, dans sa foi qui font la « sénégalité », qui font l’ africanité » de tout un continent ».

    Pour démontrer le consensus politique, il faut citer l’une des principales personnalités politiques nationales et principal opposant au président Macky Sall, Ousmane Sonko:

    « Les +toubabs+ (les Blancs, en wolof) croient que nous sommes des ordures et qu’eux seuls ont des valeurs.
    Aujourd’hui, il faut qu’ils nous imposent l’homosexualité (…) Eux seuls ont des valeurs. Jusqu’à quand ?
    Ce qu’il (Gueye) a fait, c’est un acte de courage. Nous tous, sans distinction de religion, devons le soutenir »

    De nombreux Sénégalais ont aussi mis en statut Whatsapp le message de soutien du président sénégalais ou des photos de Gueye en pèlerinage à la Mecque.

    L’écrivain El Hamidou Kasse a déclaré sur Twitter soutenir Gueye

    « Au nom du principe de la libre croyance et du respect des différences. »

    Enfin la Fédération Sénégalaise de Football (FSF) défend le joueur d’abord en affirmant qu’il n’y a pas de preuve qu’il était absent pour la raison qu’on lui reproche et accuse Conseil National Ethique (CNE) de racisme :

    « Quand l’éthique se base sur l’hypothétique et le diktat, la liberté individuelle est en péril […]. [Un courrier du CNE que la FSF dit avoir accueilli ] avec une grande surprise (et une grande inquiétude sur le traitement de certains joueurs essentiellement d’origine africaine, disons-le clairement).

    [Criant à l’illégalité de la démarche de la FFF, la FSF estime que sa requête revient à] contraindre le joueur à faire ce que son libre arbitre ne l’incline à faire. Est-on vraiment dans cette France que l’on nous avait contée et racontée dans nos écoles, celle qui a comme devise la liberté, la fraternité et de l’égalité pour tous ? Comment une instance qui prétend promouvoir l’éthique dans le Football peut se fonder sur des supputations pour s’adresser à une personne pour lui enjoindre de s’exprimer et pire encore de s’afficher avec le maillot aux couleurs LGBTQI+ pour mettre fin auxdites supputations ?»

    Au Sénégal, pays musulman à 95% et très pratiquant, les relations homosexuelles sont interdites. La loi existante dispose que « sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 100.000 à 1.500.000 francs (152 à 2.286 euros) quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe. »

    Loi assumée et défendue à 100% par le chef de l’État au nom des spécificités culturelles comme en 2020 alors qu’il recevait le premier ministre canadien Justin Trudeau.

    « Ces lois sont le reflet de notre manière de vivre… elles n’ont rien à voir avec l’homophobie ».

    On peut ne pas être d’accord avec Macky Sall et constater simplement que cette discrimination, cette violence et ces sanctions exercées à l’égard des homosexuels répond exactement à la définition de l’homophobie.

    Un article du monde relate : « Ces derniers mois, la pression s’est accentuée sur la communauté LGBTI+ sénégalaise, mais aussi les militants et tous ceux qui, publiquement, osent réaffirmer les droits de cette communauté. « Avec l’implication nouvelle d’imams et de chefs religieux sur le sujet, l’homophobie a pris une nouvelle ampleur, juge Souleymane Diouf qui dénonce le soutien financier de certains pays – Turquie, Arabie saoudite et Iran –, aux organisations conservatrices. Les combattre demande des moyens dont on ne dispose pas, poursuit-il. Aujourd’hui, le niveau d’insécurité pour les défenseurs des droits LGBT au Sénégal est extrêmement élevé. J’ai dû quitter le pays et plusieurs autres activistes ont fait de même. »

    L’excellent site SO FOOT rapporte :

    « Invité de L’After Foot sur RMC, Bacary Cissé – journaliste sénégalais est revenu sur la polémique Idrissa Gueye. Le joueur parisien, qui avait refusé de porter un maillot au flocage arc-en-ciel symbole de la lutte contre l’homophobie, avait reçu les foudres de la Fédération française de football et de bon nombre d’associations. Selon le journaliste, il s’agit juste d’un « choc culturel » sur la perception de ce geste. Il assure qu’au Sénégal, les gens ont parfaitement compris son choix : « Aujourd’hui, Idrissa Gana Gueye a le soutien total de tous les Sénégalais, de tous les Africains. »

    Cissé développe son explication et estime que la culture du joueur est juste différente du pays dans lequel il évolue. « C’est une incompréhension. Il ne faut pas oublier qu’Idrissa Gana Gueye est né au Sénégal, il y a grandi, il y a été éduqué.
    Nous respectons tout ce que font les autres, mais nous ne sommes pas obligés de les suivre dans leur culture, déclare-t-il avant de réfléchir dans le sens inverse. Si Idrissa Gueye avait fait autrement, qu’aurions-nous dit ? On aurait été beaucoup plus choqué. »

    Voici les faits et les interprétations.

    Que dire ?

    Qu’il s’agit bien d’un choc culturel entre l’Occident et un pays africain de civilisation musulmane.

    Des deux côtés, il y a une incompréhension totale.

    Du côté occidental, on crie au scandale et on explique qu’il ne s’agissait pas de faire la promotion de l’homosexualité, mais simplement de se lever contre les discriminations et les violences contre les personnes ayant des pratiques sexuelles autres qu’hétéro sexuel.

    Le comportement du footballeur sénégalais, de ce point de vue, est moralement une faute.

    Il faut cependant reconnaître que la prise de conscience occidentale est récente.

    • En 1954, un des plus grands génies scientifiques Alan Turing s’est suicidé parce que la justice britannique après l’avoir condamné à de la prison l’avait ensuite contraint à une castration chimique parce qu’il était homosexuel.
    • En France, ce n’est que le 4 août 1982 que la France dépénalisait l’homosexualité lors d’un vote de l’Assemblée Nationale obtenu par Robert Badinter sous la présidence de François Mitterrand.
    • Et ce n’est qu’en 1990 que l’Organisation mondiale de la santé a supprimé l’homosexualité de la liste des maladies mentales.

    Mais peu importe qu’il s’agisse d’une prise de conscience récente, depuis 3 siècles, pour l’Occident quand il avait pris une position morale, il avait l’habitude que cela devienne une position universelle.

    Ainsi, concernant la démocratie et les droits de l’homme, notamment de ne pas enfermer les opposants, l’Occident disait le droit, la morale et ce qu’il convenait de faire.

    Et ceux qui ne faisaient pas comme l’Occident, s’excusaient de ne pas être arrivé au niveau « civilisationnel » de l’Occident et demandait un peu d’indulgence et de temps pour rejoindre les normes occidentales.

    Dans cette affaire, on constate que ce n’est plus du tout le cas.

    Tous les intervenants sénégalais cités partent du principe que « l’acceptation de l’homosexualité » est une valeur occidentale qui est contraire à leurs valeurs.

    Ils n’envisagent, en aucune façon, une évolution future.

    C’est un choc de culture et un choc de valeur.

    Dans le monde des civilisations islamiques, cette vision est partagée.

    Ainsi pour la coupe du monde de football au Qatar, fin 2022, les autorités qataries ont indiqué que les supporters LGBT qui assisteront à l’événement devront faire preuve de discrétion.

    Abdulaziz Abdullah al-Ansari le directeur de la sécurité de la coupe du monde a déclaré :

    « Si un supporter brandit un drapeau arc-en-ciel dans un stade et qu’on le lui enlève, ce ne sera pas parce qu’on veut l’offenser, mais le protéger […] il ne s’agit pas là de propos discriminatoires. Si on ne le fait pas, un autre spectateur pourrait l’agresser. Si vous souhaitez manifester votre point de vue concernant la cause LGBT, faites-le dans une société où cela sera accepté »

    Dans le pays de l’Islam chiite <Le Parisien> dans un article du 5 septembre 2022, nous apprend que deux lesbiennes et militantes LGBTQ viennent d’être condamnées à mort.

    Ces deux femmes, Zahra Sedighi Hamedani, âgée de 31 ans, et Elham Chubdar, 24 ans, ont été condamnées à mort par un tribunal dans la ville d’Ourmia (nord-ouest).

    L’Autorité judiciaire a confirmé la condamnation à mort pour « corruption sur terre » des jeunes femmes. Il s’agit de la charge la plus grave du code pénal iranien.

    Bien sûr, les ONG nous invitent à protester auprès des autorités iraniennes et de demander l’annulation de la sentence.

    Ce sont deux mondes culturels.

    Étant donné notre évolution morale en France, le Sénégal, le Qatar sont « des malveillants, des méchants » et pour l’Iran « des criminels ».

    Mais pour ces pays, nous, autres occidentaux, sommes des êtres dépravés, immoraux.

    Il n’y a plus d’hégémonie morale occidentale.

    Alors que faisons-nous ?

    Nous n’allons pas faire la guerre pour imposer nos valeurs !

    Nous n’allons même pas, envoyer des missionnaires, pour essayer de convertir ces peuples parce ce que venant de l’Occident, ils seraient rejetés.

    Mais devons nous accepter dans nos pays que ces représentants d’une autre civilisation transgressent notre morale ?

    Parce que personne n’a demandé à Idrissa Gueye de devenir homosexuel, on lui a simplement demander de s’associer à la condamnation du rejet des homosexuels.

    Le Qatar exige que les personnes LGBT venant d’Occident se dissimulent, restent discrets, se cachent.

    De notre point de vue, dans nos valeurs, ces musulmans sont homophobes.

    Alors pourquoi ne pourrait-on pas exiger, quand ils sont en Occident, d’être discrets et de cacher le fait qu’ils sont homophobes ?

    Les éléments de ce mot du jour se trouvent derrière ces liens :

    https://information.tv5monde.com/info/football-le-joueur-du-psg-idrissa-gana-gueye-au-coeur-d-une-polemique-sur-l-homophobie-456982

    https://www.lemonde.fr/sport/article/2022/05/17/l-absence-embarrassante-d-un-joueur-du-psg-lors-de-la-journee-de-lutte-contre-l-homophobie-dans-le-football_6126445_3242.html

    https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/derriere-l-affaire-idrissa-gueye-la-question-de-l-homosexualite-au-senegal_5119393.html

    https://www.france24.com/fr/sports/20220517-homophobie-dans-le-football-une-absence-d-idrissa-gueye-cr%C3%A9e-la-pol%C3%A9mique

    https://www.marianne.net/monde/afrique/acte-de-courage-valeurs-africanite-les-soutiens-a-idrissa-gueye-pleuvent-au-senegal

    https://www.letemps.ch/sport/soutien-idrissa-gueye-accuse-dhomophobie-france-ne-faiblit-senegal

    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/05/20/au-senegal-un-soutien-tres-politique-a-idrissa-gueye_6127039_3212.html

    https://www.lefigaro.fr/sports/football/ligue-1/la-federation-senegalaise-s-en-prend-violemment-a-la-fff-apres-l-affaire-idrissa-gueye-20220520

    https://www.sofoot.com/bacary-cisse-regrette-un-choc-culturel-dans-l-affaire-idrissa-gueye-516111.html

    <1708>

  • Mardi 13 septembre 2022

    « Deux pays, ayant présidé à la création du tribunal de Nuremberg, sont en train de réduire en miettes leurs engagements. »
    Philippe Sands parlant du Royaume-Uni et des Etats-Unis en raison de leur comportement à l’égard des Chagos

    Je souhaite revenir sur ma série concernant le choc des civilisations qui est surtout le choc des civilisations non occidentales contre la civilisation occidentale.

    Nous avons du mal avec ce rejet, parce qu’il remet en cause beaucoup de nos valeurs que nous voulons, pensons, espérons universelles.

    Il s’agit d’une question d’une très grande sensibilité. L’Occident a beaucoup trahi les valeurs qu’il prétendait partager avec tous les autres peuples.

    Est-ce que pour autant les valeurs de démocratie, des droits de l’homme, de la liberté de pensée et d’expression ne méritent pas d’être défendues ?

    C’est toute la question. C’est un chemin compliqué. Les valeurs de l’Occident ne sont pas seulement remises en cause par les autres civilisations.

    L’Occident a généré, en son sein même, des ennemis de ces valeurs : l’Amérique de Trump d’un côté et l’Amérique de la cancel culture et du communautarisme de l’autre côté, en constituent des exemples éclairants et désespérants.

    Ces mouvements sont aussi arrivés en France avec la même intolérance et le même aveuglement.

    Mais avant d’emprunter ce chemin pour essayer de comprendre ce qui se joue devant nos yeux, je vais aujourd’hui évoquer une de ces histoires qui alimente la collection des trahisons et des fautes de l’Occident.

    Le bras agissant dans cette affaire est le Royaume-Uni d’Elizabeth II, encouragé et influencé par les États-Unis.

    J’avais déjà évoqué ce sujet dans un mot du jour très ancien qui date du 2 septembre 2013 : « Le silence des chagos » qui est un livre de Shenaz Patel

    Cette lamentable histoire est revenue dans l’actualité, en raison de l’évolution du dossier et d’un livre qui vient d’être publié en France : « La dernière colonie » de Philippe Sands traduit par Agnès Desarthe

    Philippe Sands était l’invité de Guillaume Erner aux matins de France Culture d’hier le 12 septembre pour parler de son livre et aussi de l’actualité du Royaume Uni : < Royaume-Uni : l’empire qui ne voulait pas mourir >

    Philippe Sands est un avocat franco-britannique spécialisé dans la défense des droits de l’Homme, professeur de droit au University College de Londres.

    Il a écrit un ouvrage remarquable publié en 2017 dans sa traduction française : « Retour à Lemberg ». Le site Dalloz résume cet ouvrage fondamental de la manière suivante :

    « Dans un ouvrage passionnant, reposant sur une subtile biographie croisée de quatre personnages réunis par la ville de Lemberg (aujourd’hui Lviv, en Ukraine), l’avocat Philippe Sands livre une réflexion majeure sur les origines de la justice internationale à Nuremberg. En documentant et en relatant la préparation de ce procès exceptionnel à plus d’un titre, Philippe Sands dévoile un parcours initiatique personnel et familial d’une belle sensibilité. »

    « Le Monde » avait publié aussi un article de fond sur cet ouvrage : < Philippe Sands de Lviv à Nuremberg >

    A Nuremberg, les accusés nazis étaient accusés de 4 crimes :

    • Conjuration
    • Crime de guerre,
    • Crime contre la paix

    et, pour la première fois de l’histoire,

    • Crime contre l’humanité.

    Après cette longue introduction, pourtant très condensé nous pouvons revenir à l’Histoire de l’Archipel des Chagos situé dans l’Océan Indien et qui fait normalement partie des iles rattachées à la République de Maurice dont l’ile principale est l’ile Maurice.

    Si vous voulez replacer ces iles sur une mappemonde il faut en revenir à mon premier mot du jour : « Le silence des chagos ».

    En 1960, ces territoires étaient colonies britanniques et au sein de la décolonisation, tous ces territoires devaient devenir indépendants dans le cadre de la République de Maurice en 1968.

    Mais en 1965, les britanniques vont détacher l’archipel des Chagos, c’est-à-dire un ensemble de sept atolls situés dans le Nord de l’océan Indien et totalisant cinquante-cinq îles du reste de l’entité Mauricienne. Ils créent ainsi leur dernière colonie.

    Pourquoi font-ils cela ?

    Philippe Sands explique ainsi cette histoire : En 1964, les britanniques dont le premier ministre est alors Harold Wilson refuse de s’engager dans la guerre du Vietnam au côté des américains.

    Les américains acceptent cette défection mais suggèrent aux britanniques de les soutenir autrement, en mettant à leur disposition l’île principale de l’archipel des Chagos : Diego Garcia pour y installer une base militaire, au plein milieu de l’Océan Indien.

    Les Britanniques acceptent cette demande, trop heureux, de pouvoir ainsi compenser leur refus d’entrer dans la guerre du Vietnam.

    Dans « Astérix et les normands » Goscinny avait fait dire à un normand cette phrase cynique : « Il faut savoir sacrifier les autres ».

    Les Britanniques vont, en effet, céder à un autre caprice des États-Uniens : l’archipel des Chagos doit être vidé de tous ses habitants.

    Cela aboutit à une déportation de tous les habitants qui vivaient sur ces iles. Déportation vers l’ile Maurice où ils vont vivre de manière misérable.

    La création de cette colonie par amputation de la future République de Maurice ainsi que la déportation des habitants étaient parfaitement illégales par rapport au Droit International que l’Occident avait contribué à mettre en place.

    Dans les années 1960, l’Occident était encore en mesure de dicter sa volonté même contraire à la Loi.

    Depuis les habitants du Chagos cherchent par les voies juridiques à revenir sur le territoire de leurs ancêtres.

    Liseby Elysé est une de ces habitantes. Elle a été déportée avec les autres. Elle était enceinte et a perdu son enfant dans cette déportation.

    Philippe Sands a rencontré Liseby Elysé et est devenu son avocat.

    Le livre « La dernière colonie » raconte ce combat commun.

    Dans un <article du Monde> publié le 4 septembre 2022 , on lit :

    « Un jour de 2018, Liseby Elysé se présente devant Cour internationale de justice (CIJ) et déclare : « Je suis venue à La Haye pour récupérer mon île. » […]

    Auprès d’elle, à La Haye, où elle s’apprête à témoigner, se tient l’avocat franco-britannique Philippe Sands, inlassable défenseur des droits humains dans les zones les plus brûlantes de la planète.

    Engagé par le gouvernement de l’île Maurice, il obtient de la CIJ un jugement historique, qui reconnaît l’injustice commise contre Liseby et les siens et impose au Royaume-Uni d’autoriser leur retour.

    A ce jour, pourtant, rien n’a été fait. A Maurice, aux Seychelles, à Londres, les Chagossiens attendent encore. « Nous avons le droit de vivre là-bas, disent-ils à Philippe Sands, nous ne renoncerons ­jamais. »

    C’est à cela que sert la publication simultanée, en anglais et en français […] de La Dernière Colonie : Réveiller l’opinion publique.

    Mettre au service des Chagos la puissance littéraire qu’ont fait connaître au monde entier les deux précédents livres de Sands, Retour à Lemberg et La ­Filière (Albin Michel, 2017 et 2020). Et parce que cette manière de nouer la politique et la littérature, loin de tout discours idéologique, en unissant les pouvoirs de l’une et de l’autre pour les insérer ensemble dans la réalité, rend son œuvre unique, ce livre, passionnante synthèse de toutes les vies de son auteur, fournit une parfaite occasion de revenir sur chacune d’elles, et sur le tout qu’elles ont fini par créer.

    Quand le gouvernement britannique annonce, en 2010, la création d’une aire marine protégée (AMP) autour des Chagos, l’initiative paraît louable à beaucoup. Pas aux anciens habitants de l’archipel, chassés de leurs îles par les mêmes Britanniques entre 1967 et 1973.

    Si l’AMP est installée, la pêche sera interdite dans la zone, et ils ne pourront revenir : comment subsisteraient-ils ?

    Le projet semble balayer leurs espérances.

    En réalité, il va bientôt se retourner contre le Royaume-Uni. Des documents commencent à circuler, démontrant que l’administration britannique joue sciemment les défenseurs de l’environnement contre ceux des Chagossiens.

    L’île Maurice, qui n’avait pu accéder à l’indépendance, en 1968, qu’en cédant par force les Chagos, se tourne vers la Cour internationale de justice, laquelle, en 2019, lui donne raison. Les Chagossiens peuvent rentrer. Sauf que, depuis, les Britanniques feignent de ne pas avoir entendu la leçon. »

    Par rapport à 2013, nous avons avancé maintenant la justice internationale donne raison aux Chagos, mais les britanniques et les américains ne se sont toujours pas soumis à cette décision.

    Dans « L’Obs » un article de ce 11 septembre <Philippe Sands, l’avocat en guerre contre Londres> explique :

    « Depuis Nuremberg, la notion de « crime contre l’humanité » inclut la « déportation » et la Convention européenne des Droits de l’Homme entrée en vigueur en 1953 offre à un individu la possibilité de porter plainte contre son propre pays devant une cour internationale. Les Chagossiens ont au départ peu d’espoir.

    La Grande-Bretagne soutenue par les Etats-Unis avait même préféré les prévenir : aucune chance qu’un recours au droit international ne mette fin à la tutelle coloniale sur les Chagos. C’était sans compter sur la détermination des avocats dont, on l’aura compris, Philippe Sands. Il se bat aux côtés de Liseby Elysé et de sa famille, convaincu que cette affaire est le dernier vestige du colonialisme.

    Cette indignation se traduit par des années de lutte, un périple juridique complexe au sein des institutions internationales, jusqu’à la Cour internationale de Justice de La Haye. Le livre retrace avec minutie ce parcours, montrant le rôle compliqué qu’a joué le droit international depuis 1945 dans le recul du colonialisme. […] en 2019 la Cour a conclu que le Royaume-Uni devait mettre fin à son administration sur les Chagos. Et qu’en 2022, à la faveur d’une mission scientifique autorisée par Londres, Liseby Elysé, à l’âge de 69 ans, a pu retourner quelques heures sur sa terre natale et nettoyer la tombe de ses proches. »

    Cet article rapporte que la position de la Grande-Bretagne et des États-Unis devient intenable :

    « La réputation de la Grande-Bretagne en tant que garante de l’état de droit international a volé en éclats. » Le soutien des États-Unis devient à son tour intenable. Deux pays, ayant présidé à la création du tribunal de Nuremberg, sont en train de « réduire en miettes leurs engagements ». Une régression inquiétante aux yeux de Sands qui a toujours dit l’importance qu’il accordait à ce moment révolutionnaire que fut Nuremberg, et pour qui le droit international est notre seul système de valeurs commun. Sans compter que les implications géopolitiques sont graves : comment critiquer l’occupation illégale de l’Ukraine par la Russie quand on continue d’occuper illégalement une partie de l’Afrique ? »

    Cet article < Liseby Élysée : « notre voix est entendue à travers le monde »> est une interview de cette femme après son témoignage à la Cour internationale de Justice.

    Dans cet article on apprend que :

    « Bien qu’elle soit un être humain, elle a été placée dans la cale du bateau qui déportait les Chagossiens vers Maurice. Le voyage a duré 4 jours. Elle était enceinte et a accouché dans le bateau. Son enfant est mort durant la traversée. »

    Des informations se trouvent aussi sur <Site> d’un journal de la République de Maurice

    Et je redonne le lien vers l’émission de France Culture : < Royaume-Uni : l’empire qui ne voulait pas mourir >

    <1707>

  • Lundi 12 septembre 2022

    « Pause (Une reine qui régnait depuis 70 ans est décédée.) »
    Jour sans mot du jour nouveau

    J’ai été occupé ce Weekend par une autre activité que l’écriture du mot du jour, la pause est donc de rigueur.

    Autour de nous, les télévisions, les radios et les journaux sont saturés d’émissions plus ou moins pertinentes sur le décès de la Reine d’Angleterre et son remplacement par son fils de 73 ans.

    Ils n’ont pas été aussi agités pour célébrer Mikhaël Gorbatchev, l’homme qui a changé le monde.

    Alors qu’Elizabeth II s’est contentée d’être la spectatrice qui observait le monde en train de changer et accompagnait le déclin de l’empire britannique.

    Ainsi va le monde, l’apparat et l’or des palais restent objet de dévotion.

    Si vous voulez entendre une analyse sérieuse, je vous conseille ces 3 émissions :

    France Culture : « L’Esprit Public »: <Le mythe autour de la reine Elizabeth II>

    Slate : « Le monde devant soi » : <Les défis de Charles III, successeur d’une reine Elizabeth II très populaire>

    France Culture : « Affaires étrangères » : < Mort d’Elizabeth II : royauté et identité britanniques en question>

    La reine est morte, vive le Roi et les caricaturistes se sont déchainés : j’ai aimé celle ci


    Et il en est même qui se moque de la défunte Reine. Les couleurs de sa garde robe ont conduit à ce moment d’humour.

    <Mot du jour sans numéro>

  • Vendredi 9 septembre 2022

    « Est-ce la décroissance ou la croissance qui, sur le long terme, est un mythe ?
    Question qu’il me semble légitime de poser

    Antoine Bueno est né en 1978.

    Je ne le connaissais pas.

    « Le Point » le présente ainsi : essayiste et conseiller au Sénat en charge du développement durable, est notamment l’auteur de « Futur, notre avenir de A à Z » (éditions Flammarion). Son prochain ouvrage « L’effondrement (du monde) n’aura (probablement) pas lieu » (Flammarion) sortira le 19 octobre prochain.

    Il a commis un article dans Le Point, publié le 4 septembre 2022 : « La décroissance est un mythe »

    Il cite Élisabeth Borne qui comme Aurélien Barrau avait rendu visite au MEDEF et a déclaré :

    « La décroissance n’est pas la solution. »

    Il est d’accord avec cette opinion et regrette que

    « [La décroissance] est pourtant devenue incontournable dans le débat écologique. Des experts comme Jean-Marc Jancovici s’en font l’avocat, des personnalités politiques telles que Delphine Batho en font un programme, des penseurs tels que Gaspard Koenig, un objet de rêverie philosophique. »

    Il explique que personne ne dispose d’un mode d’emploi pour savoir comment faire, c’est-à-dire décroitre tout en préservant le corps social d’une implosion.

    Il tente une définition :

    « La décroissance peut être définie comme une action volontaire de réduction de la taille physique de l’économie, un processus organisé visant à réduire la quantité de matière et d’énergie exploitée par le métabolisme de la société humaine (Susan Paulson). »

    Pour lui, une politique de décroissance est impossible à mettre en œuvre.

    Et je vous livre ses arguments :

    « La première raison à cela relève du plus froid réalisme : aujourd’hui, personne n’en veut. Aucun pays n’est prêt à se lancer dans une réduction volontaire de la production et de la consommation.

    Peut-être sera-ce le cas dans un avenir plus ou moins lointain. Mais c’est aujourd’hui que le monde a besoin de décroissance.

    Pour qu’elle ait un impact écologique, elle devrait être mise en œuvre au plus vite. La planète n’a pas le temps d’attendre la maturation d’une idée.

    Ensuite, pour qu’une politique de décroissance porte ses fruits, elle devrait être mise en œuvre par le monde entier en même temps.

    Dans un monde ouvert et interconnecté, un ou plusieurs pays ne peuvent pas décroître isolément, indépendamment des autres, même de très grands pays.

    On ne peut pas décroître seul, contre le reste du monde. Le faire se traduirait par une politique d’autarcie. En décroissant seul, un pays aurait de moins en moins de moyens économiques pour financer les importations dont il a besoin. Il devrait donc devenir totalement autosuffisant. C’est impossible pour les petits pays qui dépendent, entre autres, de ressources énergétiques ou alimentaires extérieures. Et on sait que même les grands pays bien dotés en ressources naturelles ont du mal à assurer leur autosuffisance.

    De plus, un tel pays n’attirerait plus d’investissements étrangers puisque ceux-ci ne sont réalisés que dans l’attente d’un retour, c’est-à-dire d’une rentabilité condamnée par l’absence programmée de croissance. Au contraire, les intérêts étrangers en activité sur son territoire s’en retireraient. Sur le plan intérieur, ce pays verrait donc rapidement son tissu économique se rétrécir et se déliter. La décroissance dans un pays isolé ne peut mener qu’à une catastrophe économique à l’image de celle observable en Corée du Nord.

    Enfin, même si par un coup de baguette magique le monde s’entendait pour mettre en œuvre un programme global de décroissance, ce dernier ne pourrait aboutir qu’à une réduction considérable du niveau de vie moyen sur la planète. En effet, pour éviter cet effet, pour maintenir voire augmenter le niveau de vie des peuples tout en décroissant, les partisans de la décroissance en appellent à la redistribution. L’idée est que l’on peut rendre socialement indolore une réduction de l’économie en redistribuant bien mieux qu’aujourd’hui ses fruits. Une telle redistribution serait cependant illusoire. »

    Ces arguments me semblent très forts.

    L’auteur montre que la décroissance aurait des conséquences fâcheuses dans nos sociétés. Et il proclame sa croyance dans une croissance durable.

    Ces sujets sont évidemment très complexes. Toutefois il faut en revenir à des sujets solides et physiques.

    Si on en revient à la définition de la décroissance de Susan Paulson qu’Antoine Bueno met en lumière : « une réduction de la quantité de matière et d’énergie exploitée par le métabolisme de la société humaine »

    La « non décroissance », appelée plus simplement « la croissance » est donc le contraire. C’est-à-dire : « une augmentation de la quantité de matière et d’énergie exploitée par le métabolisme de la société humaine »

    J’ai écouté des conférences Philippe Bihouix qui systématiquement explique une chose simple que vous êtes capable de reproduire sur un simple tableur.

    Imaginez une croissance de 2% chaque année de manière infinie.

    Ce n’est pas grande chose 2%, c’est très raisonnable.

    Donc l’année 1 on a 1 et l’année 2 on a 1,02.

    Vous verrez sur votre tableur que l’année 36 on est à 2 : on a doublé le PIB

    L’année 57 on est à 3, l’année 71 on est à 4. L’année 118 on est à 10

    On a multiplié par 10 le PIB dans le monde fini qu’est la terre.

    On a fait à peu près cela depuis le début de l’ère industrielle et on voit où nous en sommes par rapport au réchauffement climatique, la bio-diversité, la pollution etc..

    Pour arriver à 100 il faut attendre l’année 234 !

    Donc dans ce système, au bout de 234 ans, on multiplierait la quantité de matière et d’énergie exploitée par 100 !

    Certains diront, oui mais on va améliorer l’efficacité : et donc on va multiplier le PIB par 100 mais pas la quantité de matière et d’énergie en proportion !

    Peut être, mais on sera obligé quand même d’augmenter l’énergie et la matière exploitée, de manière considérable.

    La terre ne peut pas faire face à cette demande.

    Alors oui probablement la décroissance est infaisable ou très très compliquée.

    Mais ce qui est un vrai mythe, c’est la croissance infinie pour la société d’homo sapiens sur terre !

    Et si vous avez encore des doutes je vous invite à regarder cette vidéo passionnante de Philippe Bihouix <La technologie ne nous sauvera pas>

    <1706>

  • Jeudi 8 septembre 2022

    « Tant que vous nommerez « croissance », le fait de raser un espace gorgé de vie pour le remplacer par un espace commercial, fut-il neutre en carbone, nous n’aurons pas commencé à réfléchir sérieusement. »
    Aurélien Barrau, lors de l’Université d’Été du MEDEF de 2022

    Pour celles et ceux qui ne le connaîtraient pas encore, Aurélien Barrau est né en 1973 et il est astrophysicien et sa fiche Wikipedia ajoute philosophe français.

    Il est spécialisé en relativité générale, physique des trous noirs et cosmologie. Il est directeur du Centre de physique théorique Grenoble-Alpes et travaille au Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble. Il est professeur à l’université Grenoble-Alpes.

    C’est un militant écologiste favorable à la décroissance.

    Je pense que les responsables du Patronat français le connaissent et savent les thèses qu’il défend.

    Et pourtant, ils l’ont invité à la dernière Université du MEDEF.

    Ils n’ont pas été déçus !

    Son introduction à la table ronde à laquelle il a été invité sur le thème qui traitait de la manière dont l’Europe pouvait devenir « le continent le plus vert de la planète » a été tonitruante.

    Elle a été très largement diffusée sur internet : <Aurélien Barrau a l’université d’été du MEDEF>

    Il a commencé en attaquant de front la manière d’aborder le sujet écologique par ce prisme européen, révélateur selon lui d’une « arrogance » occidentale :

    « Ce thème est très caractéristique de l’arrogance occidentale. Je crois que nous n’avons pas tous ici bien compris que nous ne sommes pas la solution, nous sommes le problème. Ce sont nos valeurs et nos manières d’être qui mènent, je cite, à ce que l’ONU nomme “une situation de menace existentielle directe”.
    Et nous en sommes encore à pérorer sur notre exemplarité. Quelle suffisance ! »

    Belle entrée en matière !

    Il explique ensuite que, selon lui, les dirigeants politiques et économiques passent à côté de l’essentiel.

    « Pour trois raisons fondamentales :

    La première est que ce qui est fait concernant le réchauffement climatique, et on le sait très bien, est dérisoire !

    La deuxième qui est plus grave encore et qui est moins bien comprise, c’est que le réchauffement climatique est, dans une certaine mesure, lui-même dérisoire par rapport à l’étendue de la crise systémique et pluri factoriel que nous traversons : Pollution, acidification des océans, interruption des cycles bio et géochimique, dévastation des espaces naturels, n’ont pour l’essentiel rien à voir avec le climat, mais tuent davantage que ce dernier. Ce qui signifie que chacun des piliers sur lesquels reposent l’habitabilité de cette planète est en train de céder.

    Et mon troisième est peut-être plus grave encore. Et il consiste à remarquer que, quand bien même, nous prendrions à bras le corps chacun des items que je viens de mentionner, ce qui n’est pas du tout le cas en pratique, nous demeurerions vraisemblablement toujours dans le dérisoire. Parce que le véritable problème, c’est qu’aujourd’hui notre rapport au monde, notre être à l’espace, fait de l’éradication systématique du vivant une finalité.

    Parce que nous sommes des gens sympathiques et éduqués, on se demande, en gros, comment faire des bombes issues du commerce équitable et utilisant des matériaux biologiques. C’est mignon, mais tant que le pilonnage en règle de la biosphère demeure le geste cardinal, croyez-moi, l’origine des projectiles n’a pas beaucoup d’importance. »

    Et il a lancé cet anathème qui a été beaucoup repris sur les réseaux sociaux et que je reprends comme exergue à ce mot du jour :

    « Tant que vous nommerez « croissance », le fait de raser un espace gorgé de vie pour le remplacer par un espace commercial, fut-il neutre en carbone, nous n’aurons pas commencé à réfléchir sérieusement. »

    Et il a aussi repris une évolution qu’il a combattu depuis le début : la 5G

    « Tant que le président du Medef nommera, à l’unisson d’ailleurs du chef de l’État, « progrès », la mise en place d’une nouvelle génération de téléphonie mobile qui ne répond strictement à aucun besoin mais dont les conséquences délétères, pour ne pas dire létales, sont avérées d’un point de vue de la pollution, de la consommation et de l’addiction, nous n’aurons pas commencé à réfléchir sérieusement.”

    Et il a fini par cette conclusion :

    «  Je crois qu’il faut être un peu conséquent. Nous ne sommes déjà plus dans une crainte quant à l’avenir. Nous sommes dans un constat quant au passé. Nous avons d’ores et déjà éradiqué plus de la moitié des arbres, des insectes, des poissons d’eau douce, des mammifères sauvages. Nous laissons d’ores et déjà 700 000 êtres humains mourir chaque année de la pollution en Europe. Si, même face à cette évidence, nous ne voyons pas la nécessité d’une refonte axiologique et ontologique drastique, c’est que nous faisons preuve d’une cécité que nos descendants, s’ils survivent, auront, croyez-moi, du mal à pardonner. »

    Bon, ça c’est dit !

    On peut nuancer ou même critiquer sur certains détails :

    Il parait excessif de dire que « l’éradication systématique du vivant constitue une finalité ». Dire que l’éradication du vivant n’est jamais considérée comme un obstacle pour poursuivre les finalités humaines de profits me parait plus juste

    C’est particulièrement le cas de la déforestation de l’Amazonie.

    <Reporterre> évoque un Rapport tout récent :

    « L’Amazonie : 390 milliards d’arbres, plusieurs millions d’espèces d’insectes, un nombre incalculable d’oiseaux, de mammifères et de reptiles, pour certains encore inconnus de l’être humain. Un trésor de biodiversité qui, malheureusement, s’effondre. Selon un rapport publié le 6 septembre par un regroupement d’organisations environnementales amazoniennes (RAISG) et la Coordination des organisations indigènes du bassin amazonien (Coica), la forêt pluviale a atteint son « point de bascule ». Certaines zones commencent déjà à se transformer en savane. »

    Sa position sur la 5G qui ne répondrait strictement à aucun besoin est peut-être aussi exagérée, il est possible que certaines utilisations médicales puissent en profiter. En revanche, l’addiction et le phénomène qu’on appelle « le rebond » et qui conduit à ce que type d’évolution conduise massivement à une nouvelle surconsommation d’énergie est certainement exacte.

    Donc, si on peut nuancer, je crois quand même qu’il faut reconnaître que globalement son constat est exact.

    A ce stade de la réflexion, je pense au « moment Gorbatchev ».

    Gorbatchev a aussi fait le constat que le système, qu’il essayait de diriger, était mauvais.

    Alors, il a essayé de le réformer.

    Ses réformes ont entrainé de grands malheurs et souffrances pour la société.

    Ce mauvais système s’est effondré !

    Et finalement le système qui a remplacé l’ancien, sur beaucoup de points, était pire que l’ancien.

    Faire le constat que cela ne fonctionne pas est fondamental.

    Réaliser localement des réponses qui permettent d’améliorer en pratique et dans le quotidien notre rapport au vivant, à la biodiversité, notre impact climatique et écologique est essentiel.

    Mais ensuite, mettre à bas, faire exploser notre organisation actuelle n’est probablement pas très compliqué si on s’y attaque résolument.

    Mais après ?

    Ceux qui sont dans les villes, pourront-ils faire face à leurs besoins primaires d’alimentation, d’hygiène et de santé ?

    Trouveront-ils des médicaments dans des pharmacies ou ailleurs ?

    Y aura-t-il de l’eau au robinet et de l’électricité quand on actionne l’interrupteur ?

    Pourront ils avoir de l’argent qui permet de tant simplifier et fluidifier les échanges ?

    Et si la solution proposée est de quitter massivement les métropoles, où iront ces citadins ? vers quels endroits où ils pourront se loger, se nourrir, se soigner ?

    Nous ne sommes pas 5 millions, nous sommes 8 milliards.

    Dire qu’il faut revoir toute l’organisation est très juste.

    Mais pour aller vers quoi ? Et comment faire pour y aller ?

    Voilà des sujets très compliqués dont j’entends peu parler.

    Si vous voulez écoutez plus que les 5 minutes d’introduction d’Aurélien Barreau, c’est à dire l’ensemble de l’échange, c’est <ICI>

    <1705>

  • Mercredi 7 septembre 2022

    « Qui y a-t-il de plus fort que le sentiment d’aimer une femme et d’être aimé par elle ? »
    Mikhaël Gorbatchev, évoquant son amour pour son épouse Raïssa

    C’est un documentaire un peu étrange qu’« ARTE » a diffusé en l’honneur de Mickhaël Gorbatchev : <Gorbatchev – En aparté>

    Ce documentaire restera disponible sur le site d’ARTE jusqu’au 28 février 2023.

    Un nonagénaire au visage et au corps gonflés par le diabète avance péniblement, à l’aide d’un déambulateur, dans la maison que l’État russe a mis à sa disposition et dont il possède l’usufruit.

    L’homme de la perestroïka et de la glasnost se laisse filmer dans son intimité par le réalisateur Vitaly Manski qui le connaît et le vénère.

    Son visage est devenu lunaire, son corps est épuisé. Il est quasi méconnaissable, mais sur le crâne lisse, apparait la fameuse tache de naissance qui est devenu célèbre avec lui.

    La présentation de ce documentaire, tournée en 2019, est alléchante : Près de trente ans après l’effondrement de l’Union soviétique, quel regard porte-t-il sur son testament politique, depuis son avènement au pouvoir en 1985 jusqu’à sa démission, le 25 décembre 1991 ?

    Il ne dit pas grand-chose, en tout cas rien de nouveau.

    Il refuse obstinément de se prononcer sur la politique contemporaine de la Russie de Poutine.

    Bernard Guetta explique dans une interview que Poutine a exigé, pour que sa fin de vie reste paisible dans cette maison confortable, que ses commentaires et critiques à son égard restent mesurés.

    Ce que j’ai trouvé unique, dans ce documentaire, c’est l’émotion qui se dégage quand ce vieil homme malade parle de son amour pour sa compagne de 46 ans Raïssa Maximova Tilorenko, morte d’une leucémie en 1999 dans un hôpital de Munster.

    Des photos ou des peintures la représentant se trouvent partout dans la maison.

    A 24 minutes 30 du documentaire, Mikhail Gorbatchev parle de sa fille qui a quitté la Russie et qui vit en Occident, comme ses enfants.

    Et Gorbatchev ajoute :

    « Du temps de Raïssa, tout le monde était là.
    Je n’arrive toujours pas à m’y faire. »

    Vitaly Manski le relance alors :

    « Lorsque Raissa Maximova est décédé vous avez déclaré à plusieurs reprises que pour vous la vie n’avait plus de sens. »

    Et Gorbatchev répond immédiatement :

    « C’est vrai ! »

    Et quand le réalisateur pose la question : « Comment ça ? » il répète

    « Elle n’en a plus ! »

    Gorbatchev mange et se tait.

    Alors Manski tente une nouvelle relance :

    « C’est quoi le sens de la vie ? »

    Gorbatchev continue à manger et ne répond pas. Il y a un long silence.

    Le questionneur tente une réponse :

    « Est-ce que cela ne serait pas d’aimer une femme tout simplement ? Et d’avoir des enfants avec elle ? Il ne faut peut-être pas chercher plus loin … »

    Et Le vieil homme brusquement reprend la parole et dit :

    « Qui y a-t-il de plus fort que le sentiment d’aimer une femme et d’être aimé par elle ?
    Il y a tant de jolies filles, tant de doux noms à entendre.
    Mais un seul, dans mon cœur, brille, me parait si beau, si tendre. »

    Un peu plus loin dans le documentaire à 32:50, il dit :

    « On ne s’est jamais séparé, on était toujours ensemble. On ne faisait qu’un.

    On se demande à quoi ça tient.

    On me disait qu’elle me menait par le bout du nez.

    Ce que je n’ai jamais démenti. En fait, j’étais tout à fait d’accord. Et c’était bien comme ça. […]

    Je me souviens d’une interview de Jacques Brel entendu à la radio.

    J’étais très jeune mais ces paroles me sont restées.

    « Il y a qu’un tout petit nombre de personnes qui sont en capacité de vivre le grand amour toute une vie »

    Raissa Tilorenko,et Mikhaël Gorbatchev faisaient partie de ce petit nombre.

    C’est d’autant plus difficile pour les hommes de pouvoir qui ont tant besoin de séduire et de se rassurer en séduisant encore.

    Dans tous les documentaires que j’ai vu, chaque fois que Gorbatchev parlait de Raissa, de sa mort, de sa dépression après le putsch des conservateurs de juillet 1991, les larmes venaient et il devait s’essuyer les yeux.

    Dans un article rédigé par Annick Cojean dans le Monde : < Mikhaël Gorbatchev : une enfance soviétique dans une famille aimante> il révèle :

    « Je suis né dans une famille heureuse. Mon père aimait beaucoup ma mère. En fait, ils ne faisaient qu’un. Ma mère était d’origine ukrainienne, région de Tchernigov, mon père de racines russes, région de Voronej. Ils étaient très heureux ensemble. »

    Et à cette journaliste il a dit :

    « L’éthique et la morale de mon grand-père sont restées mes références. Lui et mon père m’ont servi d’exemple. Je ne les ai pas trahis. Car ce n’est jamais la gloire qui m’a inspiré, ni la conservation du pouvoir. Ce sont les gens simples et dignes que j’avais connus, ceux que l’histoire avait malmenés et qui méritaient de vivre dans un monde libre et démocratique. Et tant pis pour la Nomenklatura que j’ai vexée et secouée ! Je ne veux ni qu’elle me pardonne ni qu’elle me réhabilite.

     Car, de toute façon, j’ai gagné ! Le processus démocratique est irréversible ! J’ai réussi parce que je venais de ce monde de paysans et de cette famille-là. Que je croyais honnêtement dans ce que je faisais. Et aussi… parce que Raïssa était à mes côtés. »

    En 2020, juste après son décès à 67 ans, Frédéric Mitterrand a réalisé un documentaire pour France 2 « Mikhaïl et Raïssa, souvenirs d’un grand amour ».

    Dans la présentation de son documentaire Frédéric Mitterrand écrit :

    « Mikhaïl et Raïssa Gorbatchev se sont rencontrés à Moscou au début des années cinquante, alors qu’ils étaient étudiants. […]

    Elle venait d’une famille d’origine bourgeoise et son père cheminot appartenait à l’élite du prolétariat dans un pays où les chemins de fer furent longtemps la seule réponse au défi des grandes distances.

    L’un et l’autre avaient largement souffert des séquelles de la grande famine des années 30, de l’invasion allemande et de la terreur stalinienne, le père de Raïssa ayant notamment été envoyé au goulag tandis que sa femme et ses enfants survivaient misérablement dans un wagon de marchandises abandonné dans une gare de Sibérie.

    […] Il est avéré que l’accession au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir suprême en 1985 fut bien le résultat d’une ambition commune et d’une entente sentimentale et intellectuelle profonde avec son épouse à tel point qu’ils étaient autant le partenaire et le meilleur ami l’un de l’autre que mari et femme.

    A cet égard, Raïssa Gorbatchev joua un rôle essentiel dans l’affirmation publique de la volonté réformatrice de son époux, tandis que son charme et son élégance fascinaient les medias et l’opinion internationale au cours de visites officielles à l’étranger à l’impact spectaculaire. […]

    Sa fin brutale laisse ouverte l’énigme d’un amour de près de cinquante années qui aura résisté aux aléas dramatiques d’une histoire ayant changé la face du monde. »

    Le journal « Challenge » énonce cette évidence : « Derrière Mikhaïl et la perestroïka, Raïssa Gorbatcheva »

    Cet article cite Margaret Thatcher :

    « Raïssa était tout à fait différente, ne ressemblait pas aux gens que l’on avait l’habitude d’associer au système soviétique. C’était une femme sûre d’elle, brillante et vive »

    Et cite aussi un ouvrage de Gorbatchev :

    « Toute notre vie, où que nous soyons, nous n’avons jamais arrêté de dialoguer avec Raïssa. Une fois devenu secrétaire général et président, j’appelais Raïssa ou elle m’appelait deux-trois fois par jour ».

    Et j’ai la faiblesse de croire que si Gorbatchev fut grand et courageux dans l’épreuve et n’utilisa pas la force pour empêcher ce qui allait amener à sa destitution, c’est aussi parce que Raïssa était à ses côtés dans un lien indéfectible et immense.

    <1704>

  • Mardi 6 septembre 2022

    « La Glasnost et la Perestroïka»
    Mikhaïl Gorbatchev

    La politique que Gorbatchev lance, à son arrivée au pouvoir, permit, au monde entier, d’apprendre deux mots russes «  glasnost » (transparence) et « perestroïka » (reconstruction).

    La « Glasnost » est une transformation politique qui va libérer la parole politique comme jamais. Ni avant, ni après, ni maintenant les russes et les autres peuples soviétiques ne seront aussi libres.

    « La pérestroïka » est quant à elle une transformation économique qui va s’annoncer désastreuse.

    A cela s’ajoute « la loi anti-alcool », qu’il imposa très vite, et qui a laissé un mauvais souvenir, avec, pour résultat, l’augmentation de la consommation d’eau de Cologne ou de produits d’entretien comme substituts à la vodka, devenue difficile à trouver.

    Sa méfiance à l’égard de l’alcool aurait dû le rapprocher de Poutine qui de ce point de vue est aussi très éloigné de la pratique d’Eltsine.

    On pourrait donc résumer en disant que la Glasnost est une réussite et la Perestroïka un échec.

    Concernant la glasnost, les observateurs aguerris ont pu rapporter qu’il y eut quand même des points très critiquables.

    <Le Monde> rappelle

    « Le 12 décembre 1989, le pays tout entier est témoin en direct des limites de la glasnost (« transparence »). Les Soviétiques suivent alors avec passion les débats du « Congrès des députés du peuple », où siègent des élus « indépendants ». Les discussions sont retransmises en direct à la télévision, du jamais-vu. Aux heures de diffusion, on peut entendre une mouche voler dans les rues de Moscou ; tous suivent avidement les échanges animés entre les députés.

    Ce jour-là, l’académicien et militant des droits de l’homme Andreï Dmitrievitch Sakharov réclame à la tribune l’abolition de l’article 6 [qui impose le Parti Communiste comme Parti Unique]. Gorbatchev lui coupe le micro. Sakharov quitte la tribune et jette les feuilles de son discours sur le numéro un soviétique, assis au premier rang. Deux jours plus tard, le 14 décembre 1989, l’académicien meurt.

    Certes, en décembre 1986, Gorbatchev avait autorisé Sakharov et sa femme, Elena Bonner, exilés dans la ville fermée de Gorki depuis 1980, à rentrer à Moscou. Le geste était avant tout destiné à rassurer l’Occident, dont il cherchait les bonnes grâces. Quelques jours auparavant, la disparition tragique du dissident Anatoli Martchenko, mort d’épuisement dans un camp où il purgeait une peine de quinze ans pour délit d’opinion, avait entamé son image de réformateur. Même à l’époque de la perestroïka, les opposants continueront d’être envoyés à l’asile psychiatrique ou dans des colonies pénitentiaires héritées du goulag. »

    Cependant, l’article du Monde écrit surtout ce que fut cette parenthèse dans le gouvernement autoritaire de l’empire russe jusqu’à Poutine en passant par le régime bolchévique :

    « La glasnost (l’ouverture) marqua à jamais les esprits. D’un coup, les principaux tabous furent levés. Les journaux purent publier des statistiques sur les phénomènes de société jusqu’ici passés sous silence, tels les divorces, la criminalité, l’alcoolisme, la drogue. Les premiers sondages d’opinion firent leur apparition.

    Bientôt, des pans entiers de l’histoire de l’URSS, concernant notamment Staline et la période des purges, sont révélés au grand public. En 1987, Les Nouvelles de Moscou publient le texte du testament de Lénine, où celui-ci réclame la mise à l’écart de Staline, jugé trop « brutal ». La même année, le brouillage de la BBC cesse, les Soviétiques peuvent, enfin, communiquer et correspondre avec des étrangers.

    Les gens sont avides de savoir. Ils s’arrachent les hebdomadaires en vue, tels qu’Ogoniok ou Les Nouvelles de Moscou, qui reviennent sur les zones d’ombre de la période stalinienne. La parole se libère, on ose enfin aborder le thème des purges, des arrestations, le pacte germano-soviétique et les massacres des officiers polonais à Katyn, jusque-là imputés aux nazis. »

    Mais concernant la perestroïka ce fut un désastre.

    L’économie soviétique ne fonctionnait pas, mais comment la réformer ?

    Les avis sur les intentions de Gorbatchev divergent.

    Dans un podcast très intéressant de Slate <Le monde devant soi>, Jean-Marc Colombani pense que :

    « Mikhaïl Gorbatchev est un homo soviéticus, un homme de l’Union soviétique. […] il voulait introduire de l’humanisme dans le communisme. »

    Dans cette option, Il est entré dans ces réformes, en pensant sincèrement être en mesure de sauver le communisme et de conserver l’intégrité de l’Union Soviétique.

    Il existe une autre option qui est débattue, c’est celle qui consiste à penser qu’il savait le communisme condamné et que sa politique devait l’emmener à sortir du communisme tout en préservant l’Union Soviétique.

    Cette seconde thèse est défendue, par exemple, par Bernard Guetta qui a assisté à tous ces bouleversements d’abord en Pologne puis à Moscou où il a rencontré, plusieurs fois, Gorbatchev. Comme argument, il avance que Gorbatchev était trop intelligent pour ne pas s’être aperçu que l’économie communiste ne fonctionnait pas.

    Et Bernard Guetta déclare :

    « S’il avait voulu sauver le communisme, vous pensez qu’il aurait organisé des élections libres ? Qu’il aurait permis à la presse de prendre une liberté immense, qu’elle a perdu totalement sous monsieur Poutine aujourd’hui ?” »

    Vous trouverez cette intervention dans l’émission de France Inter : < Mikhaïl Gorbatchev voulait sauver la Russie d’un effondrement communiste inéluctable>

    Bernard Guetta, toujours passionné et passionnant est aussi intervenu dans « C à Vous » : <Gorbatchev, l’homme qui a changé la face du monde>

    Et il a répété à nouveau cette thèse par un billet d’hier, le 5 septembre, sur son site : < C’est la Russie et non pas le communisme que Gorbatchev voulait sauver>

    Bernard Guetta est un Gorbachophile qui, en outre, fut un intervenant régulier de la fondation Gorbatchev.

    Pourtant, rien dans les déclarations de Gorbatchev, même récentes et particulièrement dans le documentaire d’ARTE cité dans le mot du jour d’hier ne permet de soutenir la thèse de Guetta.

    Il était communiste, léniniste et il l’est resté.

    Colombani dit :

    « Dans le moment Gorbatchev, l’erreur qui est faite est probablement une transformation trop rapide de l’économie soviétique. […] Transformation trop rapide qui va entraîner la société soviétique dans un malheur social »

    Gorbatchev lui-même raconte les files d’attentes interminables qui était générées par le fait que l’offre était largement insuffisante par rapport à la demande.

    Il me semble que la thèse de Colombani est plus crédible. Et comme le disait Brejnev, le système était probablement irréformable.

    Gorbatchev pu reprocher au destin des circonstances défavorables :

    • Le prix bas du baril de pétrole
    • Le refus des occidentaux de l’aider financièrement

    En 1991, Mikhaïl Gorbatchev, en quête de crédits, demanda de l’aide à Washington et aux pays du G7, alors réunis à Londres. C’était « le sommet de la dernière chance », rappelle son ancien conseiller Andreï Gratchev dans une biographie, Gorbatchev. Le pari perdu ? (Armand Colin, 2011).

    Des crédits ? Autant « verser de l’eau sur du sable », rétorqua le président américain George Bush (père), approuvé par ses partenaires européens. La déception fut grande au Kremlin. « Gorbatchev aurait pu obtenir de l’Ouest un meilleur prix pour sa politique », estime ainsi Andreï Gratchev.

    Mais sur le plan économique Gorbatchev était très indécis et tout simplement ne savait pas comment faire. La situation économique était désastreuse

    En outre, la liberté qu’il avait instillée va permettre l’éclosion des nationalismes.

    Elstine qui était un politicien habile, dépourvu de tout scrupule qu’il noyait régulièrement dans l’alcool, n’avait qu’une idée en tête : prendre le pouvoir.

    Il va composer avec l’émergence de ces nationalismes tout en s’appuyant sur le nationalisme russe pour faire exploser l’Union Soviétique et Gorbatchev avec elle.

    Il profitera habilement d’un coup d’état de vieux conservateurs tremblants pour accélérer le mouvement.

    Jean-Marc Colombani conclut :

    « L’URSS s’est effondrée à cause du nationalisme russe et s’est effondrée sur elle-même »

    La fin fut pathétique et triste. Le Monde raconte :

    « Le 25 décembre, le nouveau président russe, Boris Eltsine, somma son vieux rival de débarrasser le plancher verni du Kremlin. Mikhaïl Gorbatchev s’exécuta. « Nos accords prévoyaient que j’avais jusqu’au 30 décembre pour déménager mes affaires », raconte-t-il dans ses Mémoires. Le 27 décembre au matin, on lui annonce que Boris Eltsine occupe son bureau. « Il était arrivé en compagnie de ses conseillers [Rouslan] Khasboulatov et [Guennadi] Bourboulis, et ils y avaient bu une bouteille de whisky en riant à gorge déployée. Ce fut un triomphe de rapaces, je ne trouve pas d’autres mots. »

    Le drapeau soviétique fut abaissé, le drapeau russe hissé à sa place. L’URSS avait tout bonnement cessé d’exister. Une histoire était terminée, une autre commençait.

    Vingt ans plus tard, et alors que Boris Eltsine (1931-2007) n’était plus, la rancœur était intacte : « C’était la pire des trahisons ! Nous étions assis ensemble, nous parlions, nous nous mettions d’accord sur un point et, dans mon dos, il se mettait à faire tout le contraire ! », déplorait encore Mikhaïl Gorbatchev, en février 2011, sur les ondes de Radio Svoboda. »

    Bien sûr il y eut de nombreuses erreurs. Gorbatchev déclarera en janvier 2011 :

    « Bien sûr, j’ai des regrets, de grosses erreurs ont été commises ».

    Le pouvoir d’Elstine fut une calamité, il abandonna le pays aux kleptomanes issus de du KGB et de la nomenklatura qui s’emparèrent par la ruse et la violence de tout ce qui avait de la valeur. L’économie de marché abandonnée aux voleurs et s’implantant dans une société non préparée créa d’immenses malheurs sociaux.

    On raconte que des russes avec leur humour grinçant dirent : on nous a menti, le système communiste ne fonctionne pas, mais on nous a aussi dit une vérité : le système capitaliste ne fonctionne que pour les riches.

    L’espérance de vie à la naissance en Russie chuta.


    De 1986 à 1988 l’espérance de vie se situe autour de 69,5 ans. De 1989 à 2003 il va chuter de 4,5 ans jusqu’à 65,03 ans en 2003. Ces chiffres sont issues de ce site : https://fr.countryeconomy.com/demographie/esperance-vie/russie

    Si on compare cette évolution par rapport à celle de la France, pendant cette même période, le schéma est frappant : l’évolution est continue en France :

    Alors qu’Eltsine est davantage responsable du malheur économique et du chaos que vont vivre les russes, il y aura un transfert vers une responsabilité quasi-totale vers Gorbatchev.

    Quand il se présentera, contre Eltsine, aux présidentielles de 1996, il obtiendra un humiliant 0,5 %.

    Selon un sondage publié en février 2017 par l’institut Levada, 7 % des personnes interrogées disaient éprouver du respect pour le dernier dirigeant soviétique, lauréat du prix Nobel de la paix en 1990.

    Adulé en Occident, il suscitait l’indifférence et le rejet chez une majorité de Russes.

    Le Monde résume :

    « Avant tout, ils ne peuvent lui pardonner le saut du pays dans l’inconnu. Indifférent au vent de liberté, ils ressassent à l’envi le film de son quotidien de l’époque, fait de pénuries, de files d’attente et de troc à tout va : cigarettes en guise de paiement pour une course en taxi, trois œufs contre une place de cinéma. »

    Et pour Vladimir Poutine et ses partisans, ils perçoivent la chute de l’URSS comme le résultat de la capitulation de Mikhaïl Gorbatchev face à l’Occident.

    Gorbatchev avait fini par admettre en confiant au Sunday times en mai 2016 :

    « La majorité des Russes, comme moi, ne veut pas la restauration de l’URSS, mais regrette qu’elle se soit effondrée [ certain que] sous la table, les Américains se sont frotté les mains de joie ».

    Une des citations de Gorbatchev qu’on cite souvent est la suivante :

    « La vie punit celui qui arrive trop tard ! »

    <1703>

  • Lundi 5 septembre 2022

    « Le refus d’utiliser la force est le plus grand héritage de Gorbatchev »
    Pierre Grosser

    Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev était le fils d’un père russe et d’une mère ukrainienne.

    Et son épouse, Raïssa Maximovna Titarenko, était la fille d’un père ukrainien et d’une mère russe.

    Les choses se passaient ainsi dans l’Union Soviétique que Mikhaïl Gorbatchev avait pour ambition de réformer.

    Le système soviétique ne fonctionnait pas économiquement, les citoyens de cet immense empire communiste vivaient dans un univers de pénurie : pénurie de logement, pénurie alimentaire, pénurie de tous les biens de consommation courante.

    L’Union Soviétique parvenait à donner le change dans l’Industrie lourde et surtout arrivait à rivaliser avec les États-Unis dans le domaine de l’armement et des ogives nucléaires.

    Et quand Reagan arriva au pouvoir le 20 janvier 1981 et lança une accélération de la course des armements avec ce qui fut appelé « la guerre des étoiles », les dirigeants soviétiques pensèrent que leur système économique failli n’arriverait plus à suivre leur rival.

    Dans <Wikipedia> on lit :

    « En mars 1983, Reagan introduisit l’initiative de défense stratégique (IDS) prévoyant la mise en place de systèmes au sol et dans l’espace pour protéger les États-Unis d’une attaque de missiles balistiques intercontinentaux. Reagan considérait que ce bouclier anti-missiles rendrait la guerre nucléaire impossible mais les incertitudes concernant la faisabilité d’un tel projet menèrent ses opposants à surnommer l’initiative de « Guerre des étoiles » et ils avancèrent que les objectifs technologiques étaient irréalistes. Les Soviétiques s’inquiétèrent des possibles effets de l’IDS186 ; le premier secrétaire Iouri Andropov déclara qu’elle mettrait le monde entier en péril »

    Il n’était pas certain que ce projet puisse se concrétiser, mais il mobilisait des ressources financières considérables que les soviétiques n’étaient pas capable de réunir.

    Le patron de l’URSS était alors Iouri Andropov qui après avoir été pendant 15 ans le chef du KGB succéda, le 12 novembre 1982, au vieux et malade Leonid Brejnev qui avait prophétisé que le système soviétique n’était pas réformable et que si on tentait de le réformer, il s’effondrerait.

    La page wikipédia d’Andropov montre que celui-ci était le contraire d’un tendre, mais il était convaincu qu’il fallait réformer parce qu’en interne comme dans la confrontation avec les États-Unis et l’Occident l’URSS ne pouvait plus faire face aux attentes et aux défis.

    Il était le mentor d’un jeune qu’il avait fait entrer au Politburo du Comité central du Parti communiste : Gorbatchev

    Andropov ne resta que 14 mois au pouvoir mais il était aussi vieux et malade et décéda. Il souhaitait que Gorbatchev lui succède. Mais le Politburo désigna comme successeur, un conservateur qui n’avait aucune ambition de réformer, Konstantin Tchernenko.

    Lui aussi était vieux et malade comme Andropov et Brejnev.

    Lors de sa désignation le « Canard enchaîné » dans son numéro du 15 février 1984 afficha cette manchette :

    « Le triomphe du marxisme-sénilisme »

    Le Canard tenta aussi cet autre jeu de mots : « c’était le vieux placé ».

    Jeu de mots salué par « le Spiegel » du 20 février suivant qui titrait pour sa part plus sérieusement

    « Tchernenko – La revanche de l’Appareil ».

    Sa fiche Wikipédia précise que Tchernenko passa l’essentiel de son court règne, d’un an et 25 jours, à la tête de l’État à l’hôpital et donna ainsi de lui l’image d’un « fantôme à l’article de la mort ».

    Le Politburo décida alors de suivre les conseils d’Andropov et de mettre à la tête du Parti Communiste, le 11 mars 1985, un relatif « jeune homme » de 54 ans, en bonne santé (il ne mourra que 47 ans plus tard) : Mikhaël Gorbatchev.

    C’était un communiste convaincu. Encore récemment et très vieux dans un documentaire d’ARTE : <Gorbatchev en aparté> il qualifie Lénine, le fondateur de l’URSS de « notre Dieu à tous »

    Il voulut réformer pour sauver le communisme et conserver l’Union Soviétique.

    Six ans et neuf mois plus tard, il échoua et son rôle politique s’acheva.

    Mais pendant cette période :

    • Il retira les troupes soviétiques d’Afghanistan,
    • Il engagea avec les États-Unis une réduction inouïe des armements nucléaires,
    • Les dissidents comme Sakharov furent libérés et purent s’exprimer,
    • Les journaux purent raconter la vérité et exprimer des opinons divergentes. Une liberté qui n’existait bien sûr, pas avant et plus maintenant non plus.
    • Les autres pays communistes de l’Europe de l’est purent faire évoluer leur régime, faire tomber la dictature communiste sans qu’aucun soldat de l’armée rouge n’intervienne.

    Qu’on songe qu’il disposait de l’armée rouge autrement puissante que sous Poutine et qu’il avait entre ses mains l’arme nucléaire que le maître actuel du Kremlin brandit sans cesse.

    Il était communiste mais il aimait la Liberté, le Droit et il était un homme de paix.

    Dans le Documentaire d’ARTE il expliqua :

    « J’étais faible, je n’ai coupé aucune tête ».

    Mais il exprime aussi sa satisfaction de pas avoir employé « les méthodes de (s)es prédécesseurs, Lénine compris ».

    Il y eut bien quelques morts dans des évènements troubles dans les pays Baltes ou la Géorgie lors de la répression de mouvements nationalistes et indépendantistes. Le Monde rappelle dans la nécrologie qu’il lui consacre : <Mikhaïl Gorbatchev, le dernier dirigeant de l’URSS, est mort>

    « Le 13 janvier 1991, quatorze personnes perdent la vie lors de l’assaut du Parlement et de la télévision de Vilnius (Lituanie) par l’armée soviétique. Sept jours plus tard, à Riga (Lettonie), un assaut similaire fait cinq morts. A Tbilissi (Géorgie), vingt-deux manifestants sont massacrés à coups de pelle en avril 1989 par l’armée fédérale, tandis que 150 personnes sont tuées par les militaires à Bakou (Azerbaïdjan), en janvier 1990.

    Dans ses Mémoires, publiés en 1997 (éd. du Rocher), Mikhaïl Gorbatchev affirme avoir tout ignoré des opérations militaires déclenchées dans les Républiques baltes. Ce n’est que plus tard, en feuilletant un livre écrit par des anciens d’Alpha (les commandos d’élite du KGB), qu’il comprit qu’il s’agissait d’une « opération conjointe des tchékistes [police politique] et des militaires », organisée sans son aval. Imprécis sur le nombre de victimes à Vilnius (« Il y eut des pertes humaines », écrit Gorbatchev), il adhère sans détour à la thèse du complot et évoque une « provocation » des séparatistes locaux. »

    Sans passer sous silence ces faits, il me semble légitime de considérer que globalement tous ces immenses évènements eurent lieu presque sans effusion de sang. Et ce dénouement pacifique de la guerre froide doit quasi tout à un seul homme : Mikhaël Gorbatchev

    Qu’on songe un instant à tous ces hommes qui à la tête d’une telle puissance militaire et voyant leur pouvoir se désagréger, n’auraient pas laissé faire et auraient lancé des forces de destruction plutôt que d’accepter de partir dans la tristesse mais dans la paix.

    Angela Merkel qui subissait en Allemagne de l’Est, la dictature communiste et soviétique a exprimé en toute simplicité ce message à la fois politique et personnel :

    « Il a montré par l’exemple comment un seul homme d’État peut changer le monde pour le mieux […] Mikhaïl Gorbatchev a également changé ma vie de manière fondamentale. Je ne l’oublierai jamais »

    C’est l’historien Pierre Grosser qui dans un article de Libération exprime le plus justement ce rôle extraordinaire de Gorbatchev : «Le refus d’utiliser la force est le plus grand héritage de Gorbatchev»

    Il fait ainsi ce constat :

    « Au XXe siècle, les grandes transformations de l’ordre international, les révolutions et les chutes d’empires avaient été les conséquences de guerres, et en particulier des deux guerres mondiales. Or, les bouleversements de la fin des années 80 eurent lieu sans guère d’effusion de sang, même lors de processus de « décolonisation » dans les pays baltes et dans le Caucase. »

    Et il compare cette attitude avec celle du régime chinois :

    « Alors que le Parti communiste chinois utilisait la répression au Tibet et contre les mobilisations étudiantes et sociales en juin 1989, Gorbatchev n’utilisa la force ni pour sauver les régimes des démocraties populaires, ni celui de l’URSS, ni l’URSS elle-même. C’était cela aussi qui était inimaginable, tant il était répété depuis des décennies que l’Europe de l’Est était un glacis protecteur indispensable à la sécurité de la Russie, que celle-ci ne pourrait renoncer aux gains obtenus après la Grande Guerre patriotique qui avait coûté 27 millions de vies soviétiques, et que l’usage de la force et de la répression était une caractéristique principale du régime.

    Le refus d’utiliser la force, à de très rares exceptions (notamment en Lituanie, le 13 janvier 1991, provoquant infiniment moins de victimes que les violences staliniennes), est en définitive le plus grand héritage de Gorbatchev. Ses réformes ont rendu possibles les actions de peuples à partir de 1989. Ce sont les peuples, mais aussi des membres de partis communistes nationaux, qui ont été alors les moteurs de l’histoire. Gorbatchev fut moins le grand homme qui a organisé de grandes transformations que l’homme qui les a laissées faire. C’est aussi le cas de la réunification allemande, à laquelle il s’est finalement résolu, même si elle se faisait à l’intérieur de l’Otan. Dans les années 90, les observateurs concluaient à un déclin de l’usage de la force et de sa légitimité dans les sociétés développées et nanties à partir des années 70. L’usage répété de la force par Vladimir Poutine montre bien a posteriori qu’il y eut un vrai choix de Gorbatchev. Le Parti communiste chinois assume, lui, d’avoir utilisé la force en 1989, ce qui aurait sauvé le régime et le potentiel de réussite de la Chine. Il dénonce les cadres et les membres du Parti en URSS et en Europe qui ne se sont pas levés pour défendre leur régime, et éduque donc les communistes chinois à vouloir virilement défendre le Parti. »

    Pierre Grosser rappelle aussi que Gorbatchev est resté persuadé que le monde et les États-Unis auraient mieux fait de suivre ses conseils :

    « Depuis les années 90, Gorbatchev a répété que s’il avait été davantage écouté, et si les États-Unis n’avaient pas été saisis d’hubris après la guerre du Golfe et la réunification allemande, le monde aurait été beaucoup plus sûr et pacifique.  »

    Pour ce rôle, l’Humanité, à mon sens, doit une immense reconnaissance à cet homme qui vient de mourir à 91 ans, le 30 août 2022.

    <1702>

  • Lundi 1 août 2022

    « L’intelligence des anagrammes ! »
    L’art de l’anagramme permet de discerner ce qu’un mot cache dans ses lettres

    La continuation de la série sur le choc des civilisations me donne du mal.

    Il faut donc encore patienter, mais en attendant j’ai lu deux anagrammes que j’ai mis en forme dans un diaporama que je partage ici :

    <1701>

  • Vendredi 15 juillet 2022

    « Pause (Grammaire des civilisations de Braudel). »
    Le mot du jour est en pause, il reviendra au plus tôt le 8 août

    Le mot du jour du 13 juillet a été beaucoup enrichi sur la fin surtout par des apports empruntés à « Grammaire des civilisations » de Braudel.

    Je vous invite donc à le relire, si vous avez lu la première version : « Un monde divisé en civilisations. »

    Pour ce mot de pause, j’ai trouvé cet article rédigé par René-Éric Dagorn qui est géographe et historien.

    Il rappelle que le livre de Braudel a été d’abord un manuel d’Histoire pour les Terminales.

    Initiative qui n’a pas été couronnée de succès. René-Éric Dagorn explique une partie des raisons de cet échec en soulignant les limites de cet ouvrage tout en révélant le niveau intellectuellement brillant de la démarche.

    <Fernand Braudel et la Grammaire des civilisations (1963)>

    « Atteindre et comprendre notre temps […] à travers l’histoire lente des civilisations » tel est l’objectif central de cet étonnant manuel de classes de terminales publié par les éditions Belin en 1963, intitulé Le monde actuel. Histoire et civilisations, et signé par S. Baille, F. Braudel et R. Philippe. L’ouvrage de Fernand Braudel que nous appelons aujourd’hui Grammaire des civilisations est la partie centrale de ce manuel […].

    Grammaire des civilisations est donc un objet étrange. Il est lu aujourd’hui comme s’il avait le même statut que les autres textes de Braudel ; et il est même de plus en plus considéré comme le troisième grand texte de Braudel avec La Méditerranée (1947-1949) et Civilisation matérielle, économie et capitalisme (1967-1975). Pourtant oublier que Grammaire des civilisations est issu d’un manuel scolaire dont l’objectif était de transformer radicalement les approches de l’histoire des classes de terminales – au moment même où s’ouvrait le chantier de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (Ehess) fondée en 1962 – c’est passer à côté d’éléments essentiels à sa lecture et à sa compréhension, et c’est manquer les objectifs que Fernand Braudel s’était fixé en rédigeant ce livre.

    Car, depuis le milieu des années 50, Braudel est fortement impliqué dans la réforme du système éducatif. Et, il vient de subir un échec important : il a été contraint de quitter la présidence du jury de l’agrégation d’histoire, institution centrale dans la formation des enseignants du secondaire et étape importante dans la formation intellectuelle des futurs chercheurs des universités. Son implication dans les nouveaux programmes des lycées qui se mettent alors en place n’en est que plus forte. Et à la fin des années 50 Fernand Braudel remporte plusieurs victoires sur ce terrain.

    […] Le Bulletin Officiel du 19 juillet 1957 propose une refonte radicale des programmes d’histoire du lycée. Jusqu’alors l’objectif principal était de mettre en valeur le récit historique en découpant la chronologie en tranches : de la sixième (Mésopotamie et Égypte) aux classes de terminales (de 1851 à 1939). Sous l’impulsion de Braudel, la réforme proposée est radicale : garder le récit chronologique de la sixième à la première, et étudier durant toute l’année de terminale « les principales civilisations contemporaines ». L’étude des six « mondes » prévus (occidental, soviétique, musulman, extrême-oriental, asiatique du Sud-Est, africain noir) sera précédée d’une introduction qui « devra tout d’abord, définir la notion de civilisation, mais elle soulignera, en l’expliquant, la forme à donner à l’étude envisagée, qui comportera, pour chacun des ensembles envisagés […] trois éléments essentiels : fondements, facteurs essentiels de l’évolution, aspects particulier actuels de la civilisation ».

    Cette révolution (le mot n’est pas trop fort) est à comprendre dans cet immense effort de reconstruction de la société française de l’après-guerre. Il s’agit de former des hommes capables de comprendre le monde dans lequel ils vivent : à un moment où les enfants du baby-boom commencent à entrer massivement dans le secondaire, à un moment où le monde est lancé dans une série de changements qui donnent l’impression d’une accélération considérable de l’histoire, l’éducation doit donner les moyens intellectuels, les outils de pensée et les visions d’ensemble permettant la compréhension du monde. […]

    Entrer dans cette histoire de la « longue durée » passe d’abord par l’obligation de mobiliser « l’ensemble des sciences de l’homme » .

    […] Si les civilisations sont des structures spatiales, sociales, économiques et mentales, elles sont également autre chose : « les civilisations sont des continuités » en ce sens où « parmi les coordonnées anciennes (certaines) restent valables aujourd’hui encore ».[…]

    Une fois tout ceci posé, c’est bien sûr « à l’étude des cas concrets qu’il convient de s’attacher pour comprendre ce qu’est une civilisation ». Et c’est là que Fernand Braudel se révèle décevant. Après une introduction d’un tel niveau, on s’attendait à un exposé d’une grande efficacité pour comprendre le « monde actuel ». Or, ce n’est pas le cas, loin s’en faut. L’ampleur et la qualité de la pensée de Braudel ne sont pas en cause. Au contraire, la description des civilisations est d’une grande virtuosité intellectuelle. Les passages consacrés à l’Islam et au monde musulman, à la Chine ou encore à l’unité de l’Europe sont brillants. Mais il faut bien le dire, ces chapitres ne sont plus lus aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que, paradoxalement, ils ne permettent pas de penser le monde actuel. Malgré leur intérêt, les approches civilisationnelles de Braudel sont limitées pour au moins deux raisons.

    D’abord parce qu’en insistant sur la « longue durée », sur les permanences et le temps ralenti des civilisations, Braudel minimise largement les changements et les ruptures. Or, pour reprendre l’expression de Jürgen Habermas, la Seconde Guerre mondiale constitue une « rupture civilisationnelle » ; et on peut appliquer aux temps des civilisations ce que Habermas dit à propos de l’ensemble du 20e siècle : « les continuités […] qui défient les césures […] calendaires, ne nous apprennent qu’insuffisamment ce qui caractérise le 20e siècle en tant que tel. Pour l’expliquer les historiens s’attachent aux événements plutôt qu’aux changements de tendance et aux transformations structurelles […]. Or, ce faisant, on fait disparaître la singularité de l’unique événement qui non seulement divise chronologiquement le siècle, mais encore représente une ligne de partage du point de vue économique, politique et surtout normatif » (Jürgen Habermas, Après l’État-nation, 2000, p. 13 et p. 22-23). L’analyse en termes de longue durée, en privilégiant les grandes continuités historiques, passe donc à côté des ruptures importantes et, plus encore, ne permet pas de voir cette rupture fondamentale qu’est 1945 dans la compréhension du monde actuel.

    Ensuite parce que l’analyse des civilisations prises une par une minimise également ce qui n’est pas propre à ces civilisations particulières : bien sûr, à de nombreux moments de son ouvrage (et évidemment particulièrement lorsqu’il travaille sur l’Europe et sur les États-Unis), Braudel insiste sur les processus de décloisonnement des sociétés, mais son découpage par aires civilisationnelles l’empêche en fin de compte de penser les processus englobants. C’est en fait lorsqu’il travaille dans les tout premiers paragraphes sur les liens entre les civilisations et la civilisation qu’il approche, mais sans les analyser finement ni les développer, les problématiques qui sont les nôtres aujourd’hui… et qui étaient déjà au centre de certains travaux au début des années 60. Si l’expression « village global » proposée par McLuhan en 1962 a eu un tel impact – et ce malgré les limites de son ouvrage La Galaxie Gutenberg – c’est qu’elle faisait émerger l’idée que le monde doit être approché aussi comme un tout, et non pas seulement comme la somme de ses échelles inférieures, États ou civilisations.

    […] La rénovation très ambitieuse des programmes d’histoire par Fernand Braudel sera finalement un échec. A partir de 1970 le manuel Belin (dont une deuxième édition très légèrement modifiée avait été publiée en 1966) est retiré de la vente. Mais, comme le rappelle Maurice Aymard, 3le problème n’était pas […] celui d’un livre : il était bien plus profondément celui de l’enseignement de l’histoire3. Quarante ans plus tard, cette phrase est encore en partie vraie : le programme d’histoire des classes de terminales insiste encore et toujours sur la chronologie détaillée – et fort peu problématisée – de la Guerre Froide par exemple.

    Mais la bonne surprise est venue de la géographie. En prenant en charge l’intelligence des processus d’émergence des espaces mondiaux, et particulièrement des espaces politiques mondiaux, le programme de géographie des classes de terminales tente de répondre en fin de compte à l’injonction de Fernand Braudel : comprendre le « monde actuel » en faisant appel aux sciences sociales. »

    Maintenant si les récits de cet animal prétentieux qui a pour nom homo sapiens, qui a créé des dieux qu’il a pensé à son image et qui est en train d’abimer, sans doute irrémédiablement, les conditions de vie sur la planète qui l’a vu naître, vous ennuie, vous pouvez aussi allez voir les photos mises en ligne du télescope James Web https://www.jwst.fr/2022/07/les-premieres-images-du-webb/.

    C’est encore une création d’homo sapiens, mais qui devrait nous rendre d’une humilité absolue en visualisant la profondeur de l’Univers comme nous n’avons jamais pu la voir.

    Voici une de ses photos qu’Etienne Klein décrit poétiquement.

    <Mot sans numéro>

  • Mercredi 13 juillet 2022

    « Un monde divisé en civilisations. »
    Samuel Huntington, titre de la première partie du Choc des civilisations.

    Définir le terme de « civilisation » n’est pas commode.

    Souvent on donne comme synonyme «culture» et comme contraire «barbarie».

    Pour les romains le partage était simple : Rome constituait la civilisation, à laquelle ils acceptaient d’intégrer les grecs, et tous les autres étaient des barbares.

    Le Larousse tente cette définition :

    « Ensemble des caractères propres à la vie intellectuelle, artistique, morale, sociale et matérielle d’un pays ou d’une société : La civilisation des Incas. »

    Le Robert en propose une proche :

    « Ensemble de phénomènes sociaux (religieux, moraux, esthétiques, scientifiques, techniques) d’une grande société : La civilisation chinoise, égyptienne. »

    Le dictionnaire du CNRS propose d’abord une opposition : celle de l’état de nature avec l’état de civilisation :

    « Fait pour un peuple de quitter une condition primitive (un état de nature) pour progresser dans le domaine des mœurs, des connaissances, des idées. »

    Et ce dictionnaire cite plusieurs auteurs. J’en retiens deux, tous les deux académiciens :

    Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814), écrivain et botaniste français, auteur de « Paul et Virginie » :

    « Les Mexicains et les Péruviens, ces peuples naturellement si doux et déjà avancés en civilisation, offraient chaque année à leurs dieux un grand nombre de victimes humaines; … »
    Harmonies de la nature,1814, p. 298.

    Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804 – 1869) critique littéraire et écrivain français :

    « C’est l’effet et le but de la civilisation, de faire prévaloir la douceur et les bons sentiments sur les appétits sauvages. »
    Port-Royal,t. 5, 1859, p. 235.

    Cette manière d’aborder le sujet distingue la civilisation de la non civilisation, mais ne semble pas ouvrir la possibilité de la coexistence de civilisations différentes.

    Mais elle semble assez proche de l’étymologie du mot qui est d’origine latine : Formé à partir du mot latin civis (« citoyen »), qui a donné naissance à civilis qui signifie en latin « poli », « de mœurs convenables et raffinées ». Il semble que ce nouveau substantif « civilis » établissait une distinction qui s’était peu à peu établie entre gens des villes et habitants des campagnes.

    Mais le dictionnaire du CNRS propose d’autres définitions :

    « État plus ou moins stable (durable) d’une société qui, ayant quitté l’état de nature, a acquis un haut développement »

    Et ajoute :

    « Ensemble transmissible des valeurs (intellectuelles, spirituelles, artistiques) et des connaissances scientifiques ou réalisations techniques qui caractérisent une étape des progrès d’une société en évolution. »

    Mais si on veut vraiment approcher le concept de civilisation, il faut revenir à Fernand Braudel qui dans sa quête de raconter l’Histoire s’inscrivant dans le Temps long écrit dans son ouvrage « Grammaire des civilisations » :

    « Cependant vous n’aurez pas de peine à constater que la vie des hommes implique bien d’autres réalités qui ne peuvent prendre place dans ce film des évènements : l’espace dans lequel ils vivent, les formes sociales qui les emprisonnent et décident de leur existence, les règles éthiques, conscientes ou inconscientes auxquelles ils obéissent, leurs croyances religieuses et philosophiques, la civilisation qui leur est propre. Ces réalités ont une vie beaucoup plus longue que la nôtre et nous n’aurons pas toujours le loisir eu cours de notre existence, de les voir changer de fond en comble. »
    Grammaire des civilisations page 26

    Pour Braudel, le concept de civilisation est nécessaire pour expliquer le temps long en Histoire et il donne les éléments qui constituent la civilisation :

    • L’espace
    • Les formes sociales
    • Les règles éthiques
    • Les croyances religieuses et philosophiques

    et un peu plus loin, il lance cette envolée lyrique :

    « Les civilisations sont assurément des personnages à part, dont la longévité dépasse l’entendement. Fabuleusement vieilles, elles persistent à vivre dans chacun d’entre nous et elles nous survivront longtemps encore. »

    Mais si les civilisations sont « des personnages » qui viennent de loin et sont anciennes, il semble que le mot « civilisation » est d’invention assez récente, juste avant la révolution française.

    Selon l’excellent site d’Histoire « HERODOTE » :

    « Le mot « civilisation » n’a que trois siècles d’existence. […] Au siècle des Lumières, il commence à se montrer dans un sens moderne. On le repère en 1756 dans L’Ami des Hommes ou Traité sur la population, un essai politique à l’origine du courant physiocratique. Son auteur est Victor Riqueti de Mirabeau, le père du tribun révolutionnaire. Il écrit : « C’est la religion le premier ressort de la civilisation », c’est-à-dire qui rend les hommes plus aptes à vivre ensemble. »

    Mais que dit Huntington ?

    D’abord, il cite Braudel qui est un de ses inspirateurs :

    « Comme l’écrivait avec sagesse Fernand Braudel, « pour toute personne qui s’intéresse au monde contemporain et à plus forte raison qui veut agir sur ce monde, il est « payant » de savoir reconnaître sur une mappemonde quelles civilisations existent aujourd’hui d’être capable de définir leurs frontières, leur centre et leur périphérie, leurs provinces et l’air qu’on y respire, les formes générales et particulières qui existent et qui s’associent en leur sein. » »
    Page 42

    Et puis il aborde le cœur de son argumentation :

    « Dans le monde d’après la guerre froide, les distinctions majeures entre les peuples ne sont pas idéologiques, politiques ou économiques. Elles sont culturelles. Les peuples et les nations s’efforcent de répondre à la question fondamentale entre toutes pour les humains : Qui sommes-nous ? Et ils y répondent de la façon la plus traditionnelle qui soit : en se référant à ce qui compte le plus pour eux. Ils se définissent en termes de lignage, de religion, de langue, d’histoire, de valeurs, d’habitudes et d’institutions. Ils s’identifient à des groupes culturels : tribus, ethnies, communautés religieuses, nations et, au niveau le plus large, civilisations. Ils utilisent la politique non pas seulement pour faire prévaloir leur intérêt, mais pour définir leur identité. On sait qui on est seulement si on sait qui on n’est pas. Et, bien souvent, si on sait contre qui on est. »
    Page 21

    Et c’est ainsi qu’il s’oppose frontalement à la prétention à aller vers une civilisation universelle que prévoit Fukuyama dans la « Fin de l’Histoire » et qui serait une dérivée de la civilisation occidentale.

    Selon lui c’est justement la civilisation occidentale qui est source de frictions et de rejet. Il présente ainsi sa première partie : « Un monde divisé en civilisations » :

    « Pour la première fois dans l’histoire, la politique globale est à la fois multipolaire et multi-civilisationnel. La modernisation se distingue de l’occidentalisation et ne produit nullement une civilisation universelle pas plus qu’elle ne donne lieu à l’occidentalisation des sociétés non occidentales »
    Page 17

    Et cette opposition entre l’occident et les autres, il la précise encore davantage dans cet extrait :

    « Le monde en un sens, est dual, mais la distinction centrale oppose l’actuelle civilisation dominante, l’Occident et toutes les autres, lesquelles ont bien peu en commun. En résumé, le monde est divisé en une entité occidentale et une multitude d’entités non occidentales »
    Page 37

    A ce stade, Huntington est obligé de s’engager et de citer les principales civilisations contemporaines. Il en cite 6 et hésite sur une septième :

    1. La civilisation chinoise ;
    2. La civilisation japonaise ;
    3. La civilisation hindoue ;
    4. La civilisation musulmane ;
    5. La civilisation Occidentale ;
    6. La civilisation latino-américaine ;

    La 7ème sur laquelle il hésite est la civilisation africaine
    Page 51 à 57

    Si on essaye de reprendre la typologie de Fernand Braudel dans la «Grammaire des civilisations», on trouve cette liste que Braudel classe géographiquement et qui compte 11 civilisations :

    A – Les civilisations non-européennes

    1. L’Islam et le monde musulman
    2. Le continent noir « l’Afrique Noire, ou mieux les Afrique Noire »

    Aa – L’Extrême-Orient

    3. La Chine
    4. L’Inde
    5. Indochine, Indonésie, Philippines, Corée : « un Extrême-Orient maritime »
    6. Japon

    B – Les civilisations européennes

    7. L’Europe

    Ba – L’Amérique

    8. L’Amérique latine
    9. Les États-Unis
    10. L’univers anglais (Canada, Afrique du Sud, Australie, Nouvelle-Zélande)

    Bb – L’autre Europe (U.R.S.S.)

    11. Le monde orthodoxe

    Si on compare les deux listes, on constate que Braudel y inclut bien une civilisation africaine mais dont il enlève le Maghreb et l’Egypte et affirme la pluralité : «Les Afrique noire ». Ensuite il divise l’Occident en plusieurs branches : L’Europe, Les États-Unis et L’Univers anglais. Pour arriver à 11, il ajoute le «monde orthodoxe» qui a l’époque du livre de Braudel était largement sous le joug et même le négationnisme soviétique . Cette situation a bien changé depuis. Enfin, il ajoute une particularité orientale : « un Extrême-Orient maritime ».

    Sur ce <site> j’ai trouvé cette représentation de la vision braudelienne :

    Huntington précise que ces séparations ne sauraient être gravées dans le marbre, qu’elles sont fluctuantes, mouvantes, mobiles.

    Tout ceci n’a pas la rigueur de la science physique. Nous sommes dans l’humain, donc dans le récit. Et ce qui importe c’est que les sociétés, leurs gouvernants en appellent à ces récits pour justifier leurs actions, leurs organisations, leurs rejets. Des chinois, des russes, des musulmans font appel à ces récits civilisationnels pour rejeter les valeurs, l’organisation et l’hégémonie occidentales.

    Fernand Braudel évoque, dans son ouvrage, le choc des civilisations que conceptualisera Samuel Huntington 30 ans plus tard :

    « Le raisonnement, jusqu’ici, suppose des civilisations en rapport pacifique les unes avec les autres, libres de leurs choix. Or les rapports violents ont souvent été la règle. Toujours tragiques, ils ont été assez souvent inutiles à long terme. »

    Et il donne l’exemple du côté vain de ces affrontements :

    « Le colonialisme, c’est par excellence la submersion d’une civilisation par une autre. Les vaincus cèdent toujours au plus fort, mais leur soumission reste provisoire, dès qu’il y a conflit de civilisations. »

    Dans un exemple que j’ai déjà cité mardi, il raconte la Méditerranée comme l’espace de 3 civilisations : l’Occident, l’Islam et le monde orthodoxe gréco-russe. Et malgré de nombreuses guerres, et quelques fluctuations de frontières, globalement sur la longue durée ces 3 espaces n’ont que peu évolué. Et lors de la chute du communisme soviétique, Braudel était mort, le monde orthodoxe est réapparu du fond de la société opprimée par l’anti-religiosité communiste qui n’est pas parvenue à éradiquer ce récit porté dans les esprits, dans les familles, dans les siècles.

    Quelque repos est bienvenu, il n’y aura pas de mots du jour à partir du 14 juillet, au moins jusqu’au lundi 25 juillet. Mais il est possible que, pour poursuivre cette série, quelques jours de réflexions supplémentaires soient nécessaires.

    <1700>

  • Mardi 12 juillet 2022

    « Nous allons vous faire le pire des cadeaux : nous allons vous priver d’ennemi ! »
    Alexandre Arbatov conseiller diplomatique de Gorbatchev, à ses interlocuteurs américains pendant que le bloc soviétique était en trains de s’effondrer.

    Ce ne fut pas la ligne dominante des intellectuels et des politiques qui comptent, le « choc des civilisations » de Samuel Huntington fit l’objet de critiques virulentes et trouva finalement peu de défenseurs au moment de sa parution.

    Rappelons le contexte.

    Après l’effondrement du 3ème Reich allemand qui devait durer mille ans et qui s’effondra au bout de 12 ans, le monde était divisé entre Les États-Unis et leurs alliés et l’Union soviétique et ses alliés. C’était l’Ouest et l’Est.

    Il y avait bien une tentative de troisième voie : <Le mouvement des Non alignés>. Le terme de « non-alignement » avait été inventé par le Premier ministre indien Nehru lors d’un discours en 1954 à Colombo.

    Mais on fixe l’origine du mouvement des non-alignés à la déclaration de Brioni, en Yougoslavie, du 19 juillet 1956, qui était dominé par Josip Broz Tito le dirigeant de la Yougoslavie, Gamal Abdel Nasser, le raïs égyptien, Jawaharlal Nehru le premier ministre de l’Inde et Soekarno président de l’Indonésie. Cette organisation regroupait selon Wikipedia jusqu’à 120 États.

    Mais ce mouvement n’a pas très bien fonctionné.

    D’abord parce qu’il n’avait ni le poids politique, ni militaire des deux grandes alliances.

    Ensuite parce pour vouloir être indépendant des deux adversaires, ces États reconnaissaient que ce qui dominait c’était l’affrontement entre l’Est et l’Ouest.

    Enfin, dans la pratique et notamment pour les besoins militaires tous ces pays choisissaient quand même leur camp. L’inde était armée par l’Union soviétique parce que son grand ennemi, le Pakistan, était du côté américain. L’Égypte était armée par l’Union soviétique par que son ennemi Israël était dans le camp américain. Et puis la Yougoslavie après la mort de Staline était, malgré tout, dans le camp de l’Est.

    C’était donc cette division du monde qui expliquait la géopolitique, les tensions, les conflits et leur maîtrise. L’Union soviétique et les États-Unis ne se sont jamais affrontés mais l’on fait par procuration et par des conflits qui opposaient des pays qui se trouvaient dans l’un et l’autre camp.

    Cela permettait une compréhension globale et une explication commode des tensions.

    Mais vous connaissez l’Histoire, le mur de Berlin tombe le 9 novembre 1989, et l’Empire soviétique s’effondre, le 26 décembre 1991.

    Et en 1989, un conseiller diplomatique de Gorbatchev, Alexandre Arbatov dira à ses interlocuteurs américains : « Nous allons vous faire le pire des cadeaux : nous allons vous priver d’ennemi ! ». C’est en tout cas ce qu’affirme <Pierre Conesa>

    Le président Bush père déclarait : « La guerre froide est terminée, Nous l’avons gagnée ».

    « Nous » c’est bien sûr les États-Unis et par extension l’Occident.

    Mais comment dès lors penser cette nouvelle configuration géopolitique, géostratégique ?

    Les chefs et penseurs occidentaux n’ont pas fait très attention à la phrase d’Arbatov.

    Une réalité simple s’imposait à eux l’Empire du bien l’avait emporté sur l’Empire du mal.

    Le marché et la démocratie libérale allaient s’imposer partout. Il suffisait d’un peu de patience. Même l’immense Chine, qui restait dirigé par un Parti communiste, allait tomber comme un fruit mur dans un système politique à l’occidentale. C’était irrémédiable puisque les chinois étaient entrés dans une révolution économique nécessitant l’initiative et la concurrence qui allait les pousser inéluctablement vers la démocratie.

    C’est la fin des conflits, un système unique allait finir par s’imposer sur la planète entière.

    Les penseurs, les politiques, les responsables économiques ont alors trouvé celui qui allait conceptualiser cette nouvelle aube de l’humanité, Francis Fukuyama était son nom. Il écrit d’abord un article en 1989, puis un livre en 1992 « La Fin de l’histoire et le dernier homme ».

    Michel Onfray décrit cette thèse ainsi

    « La thèse de Fukuyama est simple, sinon simpliste, voire simplette : elle applique de façon scolaire, sinon américaine, la thèse hégélienne de la fin de l’histoire en la situant dans l’actualité : la chute de l’Empire soviétique annonce la fin de l’histoire ; elle rend caduc le combat entre le marxisme et le libéralisme en consacrant le triomphe du marché sur la totalité de la planète. Nous sommes dans le moment synthétique d’une copie de bac : thèse libérale, antithèse marxiste et synthèse postmarxiste assurant la vérité du libéralisme… C’est beau, non pas comme l’antique, mais comme une pensée issue d’un monde, les États-Unis d’Amérique, qui entre dans l’Histoire avec les petites chaussures d’un enfant… »

    Jean Yanne avait fait un film « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ».

    La créolisation du monde serait en route, mais sur un modèle essentiellement occidental.

    Rappelons quand même que le marxisme fut aussi une invention occidentale, d’un philosophe allemand.

    Et c’est cet instrument occidental que Mao mis en œuvre en Chine, Nasser essaya un peu en Égypte et bien d’autres pays firent cette tentative. On appelait cela la modernité et le progressisme. Nous savons que la Chine d’aujourd’hui ne reconnait plus cette importation occidentale et considère qu’elle suit son propre chemin, en phase avec la glorieuse histoire de la Chine et de ses traditions.

    L’ancien professeur de Francis Fukuyama, Samuel Huntington répliqua à son élève dans un article paru pendant l’été 1993 et qui lui aussi devint un livre en 1996 : « The clash of civilizations »

    Je laisse encore la parole à Michel Onfray :

    « Sa thèse ? À l’évidence, la chute de l’Empire soviétique impose un nouveau paradigme. Les oppositions ne s’effectuent plus selon les idéologies, le capitalisme contre le marxisme par exemple, mais selon les religions, les spiritualités, les cultures, les civilisations. Ce ne sont plus des nations qui s’opposent mais des civilisations. Ces lignes de forces civilisationnelles seront des lignes de fracture, donc des lignes de conflits qui opposeront désormais des blocs spirituels. »

    Huntington avait constaté que, le 18 avril 1984, en plein cœur de l’Europe chrétienne, deux mille personnes se retrouvent dans les rues de Sarajevo pour brandir des drapeaux de l’Arabie saoudite et de la Turquie. Les manifestants n’avaient pas choisi le drapeau européen, américain, ni même celui de l’Otan, mais celui de ces deux pays clairement musulmans.

    Huntington écrit : « Les habitants de Sarajevo, en agissant ainsi, voulaient montrer combien ils se sentaient proches de leurs cousins musulmans et signifier au monde quels étaient leurs vrais amis. » Lors de la guerre de Bosnie, les Bosniaques musulmans étaient soutenus par la Turquie, l’Iran et l’Arabie saoudite. La Serbie orthodoxe, quant à elle, l’était par la Russie. C’était donc une guerre de civilisations entre le bloc musulman et le bloc chrétien. On comprendra dès lors que défendre la Bosnie ou prendre le parti de la Serbie, c’était choisir une civilisation contre une autre.

    On critiqua ce livre absolument.

    On prétendit que les civilisations cela n’existe pas.

    Mais Huntington nuance :

    « Les civilisations n’ont pas de frontières clairement établies, ni de début ni de fin précis. On peut toujours redéfinir leur identité, de sorte que la composition et les formes des civilisations changent au fil du temps. »

    C’est un peu comme le racisme.

    Les races n’existent pas, il n’y a qu’une espèce : homo sapiens.

    Oui, mais le racisme existe.

    Il n’y a pas de civilisation « pure » mais il y a des conflits de civilisation, il y a des actes de terrorisme mais aussi des déclarations géopolitiques comme celle de la Chine qui s’appuient sur cet affrontement de civilisation.

    C’est pourquoi, j’ai lu le livre de Samuel Huntington.

    Il a été écrit en 1996, nous sommes 26 ans après. Force est de constater que certaine de ses prévisions ou intuitions se sont révélées erronées.

    Il écrit par exemple, en 1996, page 243  :

    « Beaucoup pensait qu’un conflit armé était possible [entre la Russie et l’Ukraine], ce qui a conduit certains analystes occidentaux à défendre l’idée que l’Occident devait aider l’Ukraine à avoir des armes nucléaires pour éviter une agression russe. Cependant, si le point de vue civilisationnel prévaut, un conflit entre Ukrainiens et Russes est peu probable »

    On dit avec justesse que la prévision est difficile, surtout quand elle concerne l’avenir.

    Mais malgré ces erreurs, la thèse de Huntington me parait très intelligente pour comprendre certains aspects essentiels de la géopolitique mondiale actuelle.

    Il écrit très humblement page 38 :

    « Aucun paradigme toutefois n’est valide pour toujours. Le modèle politique hérité de la guerre froide a été utile et pertinent pendant 40 ans mais il est devenu obsolète à la fin des années 80. A un moment donné le paradigme civilisationnel connaîtra le même sort. »

    Avec toutes ces limites, même Fukuyama a dû reconnaître : « Pour le moment, il semble qu’Huntington soit gagnant »

    J’en avais fait le <mot du jour du 20 septembre 2018>.

    Huntington pour son approche civilisationnel se réclame de Fernand Braudel.

    Je vous invite à relire le <mot du jour du 13 octobre 2015>, dans lequel je citais Fernand Braudel et notamment son analyse, sur la longue durée, de la Méditerranée qui depuis des siècles se partage entre trois civilisations : l’Occident Catholique, l’Islam et l’Univers Gréco-russe orthodoxe.

    <1699>

  • Lundi 11 juillet 2022

    « Cette civilisation occidentale qui, de nos jours, a fini par s’identifier, même aux yeux des autres peuples, avec la « civilisation » tout court. »
    Zoé Oldenbourg « Les croisades » (ouvrage de 1965)

    C’était en avril, Avec Marianne et Jean-François, nous partagions un gite, en Bourgogne près de Tournus.

    Le gite était pourvu de nombreux livres, classés sur des étagères.

    Un livre a attiré mon attention : « Les Croisades » de Zoé Oldenburg.

    Je le pris et commençai à le lire.

    Zoé Oldenbourg était historienne, mais aussi romancière.

    Elle est née en 1916 à Saint-Pétersbourg, un an avant la révolution bolchevique.

    Son grand-père était un homme de lettres et fut ministre du gouvernement Kerenski à l’été 1917, c’est-à-dire le gouvernement de la Russie après le renversement du Tsar Nicolas II et avant l’arrivée au pouvoir de Lénine.

    Son père est déjà historien mais aussi journaliste.

    Sa famille décide de quitter l’Union Soviétique de Staline en 1925 et d’émigrer en France.

    Elle deviendra française écrira des romans et des livres d’Histoire, notamment :

    • Le Bûcher de Montségur, 1959.
    • Les Croisades, 1965.
    • Catherine de Russie, 1966.

    Et son dernier Livre :

    • L’Épopée des cathédrales, 1998.

    Elle meurt, en France, le 8 novembre 2002.

    Son ouvrage de 1965, sur les croisades, commence par un avant-propos dont voici le début :

    « Le présent ouvrage n’est pas à proprement parler une « Histoire des Croisades » — il ne traite que de ce qu’il est convenu d’appeler les trois premières croisades et de l’histoire du royaume de Jérusalem jusqu’à sa conquête par Saladin.

    L’histoire de ces trois premières croisades et des États francs de Syrie est ici considérée surtout du point de vue de la situation politique du Proche-Orient au XIIe siècle. Le phénomène de la croisade, les rapports de l’Occident latin avec Byzance et l’Islam et la tentative, unique en son genre, d’implantation d’un État occidental dans un milieu oriental sont évoqués dans ce livre de façon nécessairement schématique et incomplète, étant donné l’ampleur du sujet ; ce que j’ai essayé d’analyser, après tant d’historiens éminents auxquels je n’ai pas la prétention de me comparer, c’est le côté humain de cette aventure longue, tragique, complexe et malgré tout glorieuse.

    Quelque signification que l’on veuille accorder au mot gloire, il est sûr que les premières croisades sont à l’origine d’une certaine notion de la gloire, notion propre à l’Occident latin, et, à ce titre, elles n’ont pas peu contribué à la formation de cette civilisation occidentale qui, de nos jours, a fini par s’identifier, même aux yeux des autres peuples, avec la « civilisation » tout court. »

    Voilà donc ce qu’une femme de lettres issue du milieu intellectuel russe et intégrée dans le monde intellectuel parisien écrivait en 1965 :

    « Cette civilisation occidentale qui, […] a fini par s’identifier, même aux yeux des autres peuples, avec la « civilisation » tout court »

    Cela ne choquait personne en 1965, et pendant longtemps cela n’a choqué personne.

    « La civilisation » c’était la civilisation occidentale.

    Beaucoup, même s’il n’ose pas exprimer cela aussi brutalement, continue à être en accord avec le fond de cette phrase.

    En tout cas, ils agissent comme s’ils considéraient cela comme une évidence.

    Cela n’a jamais été une évidence.

    Et aujourd’hui ce n’est plus une évidence du tout.

    Cette idée est remise en cause par une très grande partie de l’humanité, probablement même par tous les autres, je veux ceux dirent qui ne se considèrent pas comme occidentaux.

    La guerre d’Ukraine et d’autres évènements et actes internationaux nous montrent cett