• Lundi 10 mars 2025

    « Trump est un héros de la liberté négative »
    Timothy Snyder

    Dans l’évolution inquiétante du monde, nous avons besoin d’esprits calmes, capables d’analyser ce qui se passe et de nous éclairer un peu la route sinueuse que nous sommes en train d’emprunter.

    Timothy Snyder, historien américain de renom, né en 1969, spécialiste de l’histoire de l’Europe centrale et de l’Est et de la Shoah fait partie de ce cercle restreint. Il est professeur à l’université Yale et membre permanent de l’Institut des sciences humaines à Vienne.

    L’ouvrage qui l’a fait connaître en France est « Terres de sang » dans lequel il fait le récit du massacre de masse qui a été perpétré par l’Allemagne nazie et l’Union soviétique sur un territoire auquel il donne le nom de « Terres de sang »  et qui s’étend de la Pologne centrale à la Russie occidentale en passant par l’Ukraine, la Biélorussie et les pays Baltes.

    Entre 1933 et 1945, 14 millions de civils, ont été tués. Plus de la moitié d’entre eux sont morts de faim. Les famines préméditées par Staline, principalement en Ukraine, au début des années 1930, ont fait plus de 4 millions de morts, et l’affamement par Hitler de quelque 3 millions et demi de prisonniers de guerre soviétiques, au début des années 1940 – ont été perpétrés ainsi.

    Depuis cet ouvrage, il a focalisé ses réflexions sur les menaces pesant sur les systèmes politiques occidentaux.

    Il a publié un premier ouvrage sur ce thème : « La route pour la servitude » paru en France en octobre 2023.

    Et fin 2024, il a publié un second ouvrage « De la liberté »

    Parmi les grands désaccords entre les Etats-Unis de Donald Trump, JR Vance et Elon Musk et la plupart des européens se trouvent la conception de la liberté. Le vice-président des Etats-Unis s’est autorisé lors de la conférence sur la sécurité de Munich de donner une leçon sur la liberté aux européens, en les accusant de ne plus respecter la liberté d’expression : « A Munich, la démocratie selon J. D. Vance sidère les Européens », si vous souhaitez lire la traduction française de l’intégralité du discours c’est « ici »

    Lorsqu’on lit ce que l’administration Trump est en train de réaliser aux États-Unis, il me semble qu’on peut être surpris que ce soit eux qui parlent de liberté, peut être la liberté de mentir…

    C’est pourquoi Thomas Snégaroff a invité Timothy Snyder dans son émission de France inter, du 8 mars 2025 pour évoquer ce sujet : « La liberté est difficile

    Snégaroff interroge d’abord Snyder sur son analyse de la liberté prônée par Trump :

    « Pour lui, il n’y a pas de différence entre la liberté du peuple et sa propre liberté.
    La liberté négative c’est quand je ne pense qu’à moi. Et ma liberté c’est moi contre tous.
    En fait pour être libre, il faut avoir une société, au sein de laquelle nous créons tous les conditions dans lesquelles nous pouvons devenir libre.
    Donald Trump est un héros de la liberté négative, parce qu’il a hérité de sa fortune. Il peut dire que la liberté cela ne concerne que des gens comme lui.
    Et, son administration est en train de détruire le gouvernement. »

    Dans son ouvrage Timothy Snyder oppose la liberté positive et la liberté négative.

    Cette dichotomie a été inventée par Isaiah Berlin (1909-1997) un philosophe et historien des idées d’origine russe. Après une enfance passée à Saint-Pétersbourg, il a émigré avec ses parents en Angleterre, fuyant l’Union soviétique deux ans après la révolution bolchevique.

    Sur le site du journal libéral « Contrepoints » vous trouverez une présentation de cette pensée : « Deux conceptions de la liberté, par Isaiah Berlin ».

    Pour Timothy Snyder, la liberté négative est celle qui nous permet de ne pas être opprimée par le gouvernement. C’est une première étape vers la liberté positive mais ce n’est qu’une première étape.

    Si on se contente de cette première étape la liberté ne s’adresse qu’aux forts, aux riches et aux puissants. Cette liberté n’est pas pour tout le monde et elle ne permet pas de faire société.

    Pour Timothy Snyder la liberté positive s’appuie sur cinq piliers :

    • souveraineté, c’est-à-dire cette capacité à construire sa propre liberté ;
    • l’imprévisibilité, autrement dit le refus de se laisser enfermer dans les bulles idéologiques ou numériques et la capacité à ne pas agir comme les algorithmes le prévoient ;
    • la mobilité, qu’elle soit sociale ou géographique ;
    • la factualité, l’ouverture aux faits (« la science du réchauffement climatique est un exemple de vérité générale », cite Snyder à titre d’illustration. « Peut-être n’avons-nous pas envie d’en entendre parler, mais si nous l’ignorons, nous sommes moins libres ») ;
    • la solidarité, qui nous amène à nous sentir responsables d’un certain équilibre social.

    Thomas Snégaroff interroge l’historien sur ce qu’il pense du concept de liberté d’expression totale défendu par le vice-président US, ce qu’Elon Musk et ses semblables nomment « free speech » :

    « Je pense que toute définition de liberté doit commencer par l’individu.
    Lorsque les américains parlent de liberté d’expression, on a souvent à l’esprit les algorithmes et en pratique nous finissons par défendre la liberté des milliardaires qui possèdent déjà les plates formes des réseaux sociaux.
    Mais si on commence par la tradition de liberté d’expression, à partir d’Euripide, nous nous souvenons que nous avons besoin de la liberté d’expression, parce qu’il est dangereux pour les faibles de dire la vérité aux forts. Donc la liberté d’expression doit commencer comme toutes les autres libertés, par les corps vulnérables et la vérité. Si on s’inquiète de la liberté d’expression, nous ne nous occupons pas seulement de protéger les faibles, nous essayons de créer les conditions où tout le monde peut avoir accès à la vérité.  »

    Natacha Polony soumet à a son analyse la devise de la république française en y ajoutant la célèbre phrase prononcée par Saint Just le 3 mars 1794 : « Le bonheur est une idée neuve en Europe. »

    « Le bonheur est l’élément central. Nous pouvons tous être heureux, mais de façon différente. Parce que nous donnons de la valeur à des choses différentes. […]
    Le bonheur est une clé pour réfléchir à la liberté positive. Parce qu’on peut pense au bonheur de manière générale, mais cela nous oblige à penser à chaque individu de manière différente. Donc le bonheur nous mène à une notion de liberté positive.
    La façon dont l’égalité et la fraternité fonctionnent ensemble avec la liberté est aussi positive. Je ne crois pas comme beaucoup d’américains le font qu’il y a une véritable tension.
    Pour moi être libre, je dois écouter ce que vous dites à mon sujet.
    Pour moi être libre, je dois me comprendre et je ne peux le faire sans fraternité. Si je ne crois pas que les autres sont mes frères ou mes sœurs, qu’ils sont fondamentalement comme moi, alors je ferais de grandes erreurs sur moi-même.
    La fraternité ce n’est pas simplement une forme de gentillesse, c’est aussi une forme d’auto-compréhension. Et comme je l’ai déjà suggéré, c’est semblable à l’égalité. Sans l’égalité, nous n’avons pas les conditions nécessaires pour être libre. Je ne vois pas la liberté, l’égalité et la fraternité comme trois choses séparées.
    C’est plutôt qu’on peut appliquer cette notion française d’égalité et de fraternité pour avoir une notion plus riche de liberté. »

    Snyder pense donc qu’on ne peut pas être pleinement libre, si les autres ne le sont pas. Mais il pense aussi que l’individu qui veut être libre doit non seulement s’intégrer dans la société dans laquelle il vit mais aussi s’inscrire dans l’Histoire.

    « Je ne crois pas qu’on puisse faire de la liberté sans histoire. Je ne crois pas que la France puisse être une société de gens libres sans l’Histoire de France et sans l’Histoire du monde.

    Je crois que c’est vrai en général. Une république ne peut avoir un avenir que si elle est reliée à son passé. Et cela ne signifie pas que nos passés soient parfaits. Cela signifie simplement que le passé fournit la seule voie vers l’avenir.

    Et il en va de même avec les individus. Comme nous essayons d’envisager les avenirs individuels qui ont toujours un composant normatif ou éthique, nous ne pouvons le faire que par des valeurs que nous avons pris dans le passé. »

    Il conclut l’entretien par cet avertissement

    « La liberté est difficile. Toute personne qui dit que la liberté est simple, est probablement très riche et essaye de vous exploiter. »

    Sur l’excellent site « Grand Continent » Snyder se soumet aussi à un entretien concernant son livre sur la liberté « Je suis frappé par les similitudes entre les milliardaires de la Silicon Valley et les bolcheviks les plus radicalisés ».Dans cet entretien il précise encore sa pensée :

    « D’un point de vue philosophique ou psychologique, défendre la liberté négative revient à ne jamais se poser la question de ce que l’on défend, mais uniquement de ce à quoi l’on s’oppose. Sur le plan politique, cela se traduit souvent par une hostilité envers l’État, perçu comme la source principale de l’oppression.

    On en vient alors à penser que réduire la taille de l’État accroît la liberté — ce qui est une erreur. La question n’est pas celle de la quantité, mais de la qualité : l’État contribue-t-il ou non à rendre les individus plus libres ? Il peut, certes, le faire en s’abstenant de les opprimer, mais aussi en leur fournissant des biens et services qu’ils ne peuvent obtenir par eux-mêmes, comme l’éducation, les infrastructures ou l’accès aux soins. »

    Je redonne le lien vers l’émission de France Inter du 8 mars 2025 : « La liberté est difficile

  • Vendredi 17 janvier 2025

    « L’avenir de tout ce que nous avons de meilleur est en train de se jouer en ce moment même, et la partie semble très mal engagée. »
    Jean-PIerre Bourlanges en analysant l’attaque en règle que Trump et Musk lancent contre les valeurs, les intérêts et la souveraineté des européens

    Je voudrais conclure cette série sur Elon Musk qu’aujourd’hui on ne peut plus dissocier du couple disruptif qu’il forme avec Trump.

    Pouviez-vous imaginer, un candidat à la présidence d’un grand Etat occidental qui en plein meeting déclare ?

    « Je suis favorable aux automobiles électriques. Je n’ai pas le choix car vous le savez, Elon Musk vient de m’apporter son soutien »

    C’était Trump en Géorgie, le 4 août 2024. Quatre jours avant le 31 juillet, le même candidat affirmait être « contre tous ceux qui possèdent une voiture électrique » et rappelait qu’il mettrait immédiatement fin aux mesures d’aides à l’achat de ces autos en cas de victoire.

    Le fait qu’un candidat épouse la stratégie d’un lobbyiste qui le finance n’est pas nouveau.
    Mais le fait qu’il le révèle ouvertement, ça c’est du jamais vu. Trump dit : je suis contre mais je suis payé par Musk, donc je suis pour !

    Je pourrais continuer à énumérer les « dingueries » d’Elon Musk.

    Je viens de lire que l’entrepreneur a affirmé que sa société Boring Company était en mesure de réaliser un tunnel de 4 800 km, sous l’Océan Atlantique, reliant les Etats-Unis et le Royaume Uni. Rappelons que le tunnel sous la Manche mesure 37 km.

    Ce projet a été imaginé par d’autres, mais personne ne le pensait réalisable. Certains avaient estimé son coût à 20 000 milliards de dollars. Lui pense que sa société grâce à des technologies révolutionnaires pourrait le réaliser pour 20 milliards de dollar. Autant dire, presque rien : la Cour des comptes estime le coût total de l’ EPR de Flamanville à 23,7 milliards d’euros

    Je préfère finir en abordant deux points.

    Le premier est d’essayer de comprendre cette volonté de diminuer le rôle de l’Etat et des services publics. Nous avons appris que non seulement les hyper-riches de Californie accaparaient l’eau pour leurs besoins propres, eau qui manquait aux pompiers pour lutter contre les feux. Mais ils font mieux : ils emploient des pompiers privés.

    Le Prix Nobel d’Economie, Joseph Stiglitz, analyse cela précisément dans un article du Figaro :

    « Quand il y a trop d’inégalités – c’était l’objet de mon livre précédent – les plus riches ne dépendent plus des services publics. À l’époque, je vous avoue que je n’avais pas pensé aux pompiers privés ! Les plus fortunés usent de leur influence sur le système d’information – les médias – et sur l’économie pour encourager à réduire les dépenses sur les services publics dont ils n’ont pas besoin. Et c’est ainsi, de fil en aiguille, que dans la première puissance économique mondiale, on arrive à avoir une des espérances de vie les plus faibles parmi les pays riches, avec de très fortes inégalités. L’un des droits de l’Homme les plus fondamentaux, le droit de vivre, a régressé aux États-Unis. »

    Emmanuel Todd ne cesse de répéter que désormais l’espérance de vie moyenne en Russie est supérieure à celle des Etats-Unis.

    On pourrait se demander : mais comment Elon Musk pensent-ils pouvoir supprimer autant d’emplois publics ?

    La réponse est qu’il pense qu’on peut remplacer la plupart d’entre eux, ceux qui gardent une utilité dans son esprit, par de l’intelligence artificielle. C’est ce que raconte dans « Le nouvel esprit public du 12 janvier », Richard Werly, journaliste et essayiste franco-suisse, qui a fait un long tour des Etats-Unis pendant la campagne électorale de 2024 :

    « Et le pire dans tout cela, c’est que cela va donner des résultats. Le cynisme absolu, l’autoritarisme et le talent médiatique de l’un, combiné aux ressources et à la créativité de l’autre, vont forcément produire des résultats.
    On se demande comment tout cela pourrait tenir, après les coupes énormes prévues.
    Grâce à l’intelligence artificielle. Une fois que le ménage est fait, on remplace tous ces hauts fonctionnaires par des robots. Cela a l’air délirant, mais j’ai entendu tout cela. C’est ainsi qu’on entend gérer l’Amérique, qui restera de toute façon la meilleure, dans la mesure où on aura cassé les rotules de tous les concurrents gênants. »

    Dans Libération, le 15 janvier 2025, Sylvie Laurent, historienne et américaniste française explique que les dirigeants de la tech qui peuplent aujourd’hui l’administration Trump sont les représentants d’un projet singulier, stade ultime de la fusion entre l’Etat et le capital : « Comment les Etats-Unis sont entrés dans l’ère techno-réactionnaire »
    .

    Elle montre que plusieurs d’entre eux sont issus ou ont vécus dans l’Afrique du sud de l’apartheid outre Elon Musk, Peter Thiel et David Sacks sont dans ce cas. C’est ainsi qu’elle pense qu’ils sont dans une défense de la minorité blanche. Elle écrit :

    « L’oligarchie est génétique. »

    Elle prétend que le natalisme de Musk est une réaction à la peur du déclin démographique de l’Occident, l’obsession de Musk. Inspirés par les idéologues qu’elle cite, Sylvie Laurent termine son article par cette description :

    « Toute l’idéologie du monde, et elle est solide chez les techno- réactionnaires, n’est jamais que l’idéologie de la classe à laquelle ils appartiennent. Les grandes effusions entre ces capitalistes de la tech, Trump et l’Etat américain n’ont qu’un objectif : obtenir la valorisation de leurs intérêts fiscaux et économiques, fusse en siphonnant les budgets publics, de la recherche et du Pentagone, mais aussi en s’imposant comme seuls prestataires de missions de service public : remplacer la Federal Reserve et le dollar par les cryptomonnaies, les agences de santé par le transhumanisme, les écoles publiques par des formations en ligne et autres mooks, les trains à grande vitesse par des Tesla ou des Hyperloop, la fibre par des accès au réseau Starlink. »

    Le second point c’est l’attaque en règle de Musk et de Trump contre ses alliés et notamment contre l’Europe. Non seulement ils s’attaquent à nos valeurs mais ils s’attaquent aussi à nos intérêts. Dans le Nouvel Esprit Public, précité Jean-Pierre Bourlanges décrit la situation :

    « On s’est demandé pendant quelques mois si l’élection de Trump se traduirait par une baisse de la protection américaine de l’Europe, mais nous n’avions jamais envisagé que ce serait lui qui nous ferait la guerre. Or objectivement, c’est ce qui est en train d’arriver avec les menaces sur le Groenland […] Ne nous leurrons pas : la situation est réellement hallucinante. Ce qui est en train de se passer est un choc de première grandeur pour le monde, pour l’Europe, et pour la France. C’est la ploutocratie absolue qui règne désormais. Le conflit d’intérêt n’est plus une anomalie ou une exception, il est devenu le moteur de la constitution de l‘équipe de Donald Trump. »

    « Sommes-nous prêts ? » est la question qu’a posée « C Politique » du 12 janvier. Les invités très intéressants de cette émission David Djaïz, Asma Mhalla et Céline Spector sont assez peu confiants dans la capacité européenne de répondre au défi.

     

    Ce que l’on peut constater, c’est que l’Europe est désunie. Meloni cherche à s’attirer les bonnes grâces d’Elon Musk qui accepte bien volontiers ses avances dans la mesure où des contrats lui sont promis. Orban est ouvertement l’allié de Trump. Et l’Allemagne si dépendante des Etats-Unis pour sa protection et ses exportations n’aura qu’une idée : ne pas contrarier le duo Musk Trump.

    Dans le « Nouvel Esprit Public » Nicolas Baverez explique cela très bien :


    « Il n’y a pas si longtemps, l’adversaire désigné était la Chine, mais pour le moment, toutes les cibles des Etats-Unis sont des pays alliés, même les plus proches (Royaume-Uni et Canada). Cette structure intellectuelle est celle de Vladimir Poutine : Trump est en train de nous expliquer qu’il y a un étranger proche des USA (Canada, Panama, Groenland) auquel personne n’a le droit de toucher, et dont on va s’assurer le contrôle. C’est un raisonnement de sphère d’influence, qui n’exclut pas le recours à la force. Il n’y a donc plus de respect de la souveraineté nationale, ni des frontières, c’est le monde de Poutine, de Xi, d’Erdogan. […] Olaf Scholz se fait insulter sans même répondre, Keir Starmer panique, et Kaja Kallas se contente de rappeler que « les Etats-Unis restent l’allié privilégié de l’Europe ». Et parallèlement aux tentatives de division, le duo met sur un piédestal Mme Meloni.
    C’est une grande leçon pour l’Europe. L’idée de l’UE, selon laquelle elle va réguler l’IA et le numérique alors qu’elle n’a aucun acteur dans ces secteurs, qu’elle va prendre le leadership de la transition écologique alors qu’elle n’a aucun acteur industriel est une chimère complète. Comment réguler des secteurs dans lesquels on n’a aucun poids ? Sans compter la dépendance européenne en matière de Défense. Les Etats-Unis de MM. Trump et Musk vont nous faire payer tout cela au prix fort. »

    Jean-Pierre Bourlanges voudrait trouver un Churchill, mais n’en trouve aucun :

    « Car nous sommes dans la même situation que Churchill dans son discours passé à la postérité, celui de la « plus belle heure » du Royaume-Uni (« the finest hour »), où il dit que les Britanniques sont les seuls à défendre la civilisation, tout ce en quoi nous croyons, qu’ils doivent mener le combat le plus décisif, à l’enjeu le plus élevé, seuls. Et Churchill dans un formidable élan d’optimisme prophétique, déclare que cette heure la plus sombre est aussi la plus belle. L’Europe est dans la même situation.
    Mais est-ce que les Européens sont capables d’un tel sursaut ? […]
    Nous sommes dans la situation décrite par Churchill ; l’avenir de tout ce que nous avons de meilleur est en train de se jouer en ce moment même, et la partie semble très mal engagée. »

    Notre problème est double d’abord nous sommes tellement dépendants à l’égard des américains : de leur technologie, de leur protection militaire, de leur système financier, de notre incapacité à répondre à la puissance de l’extraterritorialité de leur justice.

    Ensuite, si nous voulions vraiment défendre nos valeurs et nos intérêts ,il faudrait aussi que l’immense majorité des européens soient des citoyens avant d’être des consommateurs. Car notre confort de consommateur à court terme a beaucoup à perdre, si nous voulions vraiment défendre notre citoyenneté. Mais en agissant ainsi, à moyen terme nous perdrons les deux : notre confort de consommateur et nos valeurs citoyennes.

  • Jeudi 16 janvier 2025

    « Vous êtes les médias, maintenant ! »
    Tweet d’Elon Musk sur X, le lendemain de l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis

    Le quatrième épisode que France Culture lui consacre a pour titre « Elon Musk, l’homme le plus puissant d’Amérique ? ».

    Et voilà qu’en 2022, Elon Musk achète « Twitter » pour 43 milliards de dollars. C’est une entreprise peu rentable. Ce n’est pas pour l’argent qu’il va acheter ce réseau social.

    François Saltiel :

    « C’est vraiment l’achat de Twitter qui va le plonger dans l’arène idéologique et politique. Il va adhérer à Donal Trump car c’est lui qui est le mieux placé pour propulser ses idées. »

    Elon Musk n’a pas le désir de devenir Président des Etats-Unis, nonobstant le fait qu’il ne peut pas se présenter à l’élection présidentielle parce que seul les états-uniens de naissance disposent de ce droit.

    François Saltiel insiste sur le fait que même s’il le pouvait, il ne le souhaiterait pas parce que les libertariens ne considèrent pas que le président est l’homme qui a le plus de pouvoir.

    François Saltiel cite Peter Thiel qui est un grand joueur d’échec :

    « L’équivalent sur l’échiquier du président des Etats-Unis c’est le Roi.
    Le Roi n’a pas beaucoup de capacité. Il se déplace comme un pion. C’est la pièce qui a certes le plus grand pouvoir symbolique, mais la plus vulnérable.
    Qui protège le Roi ?
    La Dame et le Fou, ça ce sont les pièces qui comptent.
    Ce sont les rôles que veulent avoir Elon Musk et Peter Thiel. Le Roi ils n’ont pas envie de l’être : avoir la couronne mais ne pas avoir la puissance. Musk se rapproche de Trump, mais il ne veut pas être à sa place. Il veut continuer à développer ses entreprises, continuer à se servir de Donald Trump pour véhiculer ses idées. »

    Dans cet épisode, on entend Elon Musk répondre à une interview, sur France 2, en juin 2023 :

    « Vous êtes reçu comme un chef d’État, y compris par le Président chinois. Est-ce que vous voudriez être Président des Etats-Unis ?
    Non je n’ai pas envie !

    Pourquoi ?
    Vous savez les gens imaginent quelquefois que le Président des Etats-Unis est dans un poste extrêmement puissant. Alors, oui d’une certaine façon, bien sûr. Mais la constitution américaine est telle que le Président est dans une position très limitée, en fait.
    Président c’est un peu comme être le capitaine d’un très grand bateau, avec une toute petite rame, ou un petit gouvernail. [gros rire] Vous êtes accusé de tout et vous ne pouvez rien faire.

    Vous êtes en train de dire que vous êtes plus puissant que le Président des Etats-Unis ?
    Alors disons que je ne peux pas déclarer la guerre ! »

    Elon Musk a reconnu avoir voté démocrate pendant longtemps. Parmi les libertariens de la Silicon Valley, seul Peter Thiel avait osé, dès 2016, soutenir Donald Trump.
    Mais Musk va changer de camp.

    Il se lance, selon lui, dans un combat pour la liberté d’expression. C’est semble t’il son argument principal pour le rachat de twitter.

    Elon Musk :

    « Il est important que les gens aient le sentiment de s’exprimer librement. Et que ce soit une réalité. »

    Mais un autre combat ; idéologique, va le motiver : un rejet profond du progressisme et du « wokisme », mouvement qu’il associe à une menace personnelle et sociale.

    Elon Musk a eu 12 enfants. C’est un nataliste, il croit que la baisse de natalité conduirait à un effondrement de la civilisation.

    En 2022, son ainé décide de changer de genre, il décide de devenir une femme. Constatons que 2022 est aussi la date d’achat de twitter par Musk.

    Elon Musk n’accepte pas cette transition, il se lamente dans les médias :

    « Le wokisme a tué mon enfant ».

    Il déclare renier son enfant. Le fils devenu fille décide de prendre le nom de sa mère et de s’appeler désormais : Vivian Jenna Wilson. Elle décidera aussi, le lendemain de l’élection de Donald Trump de quitter les Etats-Unis.

    Elle explique :

    « Je ne vois pas mon avenir aux États-Unis […] La journée d’hier (de l’élection) me l’a confirmé. Même si Donald Trump ne reste au pouvoir que quatre ans, même si les réglementations anti-trans ne sont pas appliquées comme par magie, les gens qui ont voté pour lui ne vont pas s’en aller de sitôt. ».

    Le père et la fille s’invectivent sur les médias sociaux, la fille traite Musk de « père absent », « froid », « cruel », et « narcissique ».

    L’achat de Twitter était certainement programmé avant, mais cet épisode de la vie d’Elon Musk va le conduire à un tournant idéologique dans son utilisation d’X, non seulement comme outil de communication, mais aussi comme plateforme de lutte culturelle et politique. Depuis son acquisition par Elon Musk, X incarne une vision radicale de la liberté d’expression au détriment de la véracité des faits et de la modération. Cette plateforme devient un levier de polarisation et de désinformation.

    François Saltiel explique :

    « En réduisant la modération, il cultive ce en quoi il croit, la liberté d’expression à tout crin, provoquant une forme de chaos informationnel où tout le monde, en échange de paiement, pouvait s’offrir de la visibilité. »

    En s’emparant de X il va réintégrer de nombreux comptes qui ont été exclus, notamment celui de Trump, il va supprimer la modération, virer une grande partie du personnel et le remplacer par des collaborateurs à ses ordres.

    Il va utiliser X comme instrument de propagande au profit de Trump.

    Guillaume Erner raconte qu’il a envoyé un message aux utilisateurs arabes pour leur dire que Kamala Harris va favoriser Israël et un message aux utilisateurs juifs disant que Kamala Harris mènera une politique favorable aux Hamas. Il ne recule devant aucun mensonge.

    Au lendemain de la victoire de Trump, Elon Musk a simplement publié sur X :

    « Vous êtes les médias, maintenant. »

    « Le Monde » analyse :

    « Vous êtes les médias, maintenant. » Ce tweet d’Elon Musk, publié le 6 novembre et vu plus de 105 millions de fois, n’a pas seulement mis en lumière la croisade que mène l’homme le plus riche du monde contre les médias traditionnels.
    Il marque sans doute l’entrée dans un nouveau régime informationnel, dominé par les médias sociaux, dont le modèle économique est indifférent à la qualité et à la véracité de l’information qu’ils propagent.
    A bien des égards, Elon Musk incarne mieux que personne la nouvelle dynamique entre influenceurs, algorithmes et foules numériques, décrite par Renée DiResta dans Invisible Rulers (« dirigeants invisibles », PublicAffairs, 2024, non traduit) et qui constitue le creuset d’une part croissante de l’information parvenant sur nos écrans, au détriment de celle qui émane des médias traditionnels. »

    Guillaume Erner et François Saltiel insistent aussi sur le caractère eugéniste d’Elon Musk et sa défiance à l’égard de la démocratie :

    « A la fin, seuls les plus intelligents vaincrons. A la fin ce que veut réaliser Elon Musk c’est de saper la démocratie. Il ne croit pas en la démocratie. Il croit en une élite qui va arriver au pouvoir et qui saura mieux que les autres ce qui est bon pour l’humanité, le bas peuple.

    C’est pour cela aussi qu’il fait 11 enfants (un est mort en bas âge) parce qu’il estime qu’il a un QI extraordinaire et qu’il faut qu’il puisse se reproduire. »

    Lors du mot du jour consacré à la victoire de Donald Trump, j’avais cité Peter Thiel qui était encore plus explicite :

    « Je ne crois plus désormais que la liberté et la démocratie sont compatibles. […] Les années 1920 furent la dernière décennie dans l’histoire américaine où l’on pouvait être parfaitement optimiste à propos de la politique. Depuis 1920, l’augmentation considérable des bénéficiaires de l’aide sociale et l’extension du droit de vote aux femmes – deux coups notoirement durs pour les libertariens – ont fait de la notion de « démocratie capitaliste » un oxymore. »

    François Saltiel conclut :

    « Nous avons mis finalement le destin de la démocratie américaine dans les mains d’un entrepreneur un peu fou, un peu dingue, un peu génial, un peu maléfique, qui rigole et qui prend les choses avec dérision. Sa posture, mêlant humour noir et stratégies de domination, déstabilise les valeurs traditionnelles des démocraties occidentales. »

    Régis Debray avait expliqué que là où l’Etat recule, et c’est le combat que poursuivent Musk, Thiel et les autres, ce sont les mafias et les religieux qui prennent la place…

    Que ces transhumanistes réactionnaires constituent une sorte de mafia, relève de l’évidence, leurs croyances et leurs visions messianiques rappellent par leur fanatisme, le pire des religions.

    Peut-être comme le prédisent certains, tous ces males alpha ne pourront pas s’empêcher de se battre pour qu’il n’en subsiste plus qu’un et que dans ces disputes, ils se neutralisent.

    C’est un espoir fragile, mais possible.

  • Mercredi 15 janvier 2025

    « Beaucoup de choses sont improbables, seules quelques-unes sont impossibles ! »
    Elon Musk


    En 2002, Elon Musk et Peter Thiel vendent « Paypal » à « E Bay » pour une somme de 1,5 milliards de dollars. Lors de cet vente les relations entre les deux hommes vont se détériorer.

    Ne perdant pas de temps, cette même année 2002, Musk fonde « SpaceX », un fabricant aérospatial et une société de services de transport spatial. Il en est le PDG.

    Le troisième épisode que France Culture lui consacre a pour titre : « De Tesla à Starlink, un serial entrepreneur dans la Silicon Valley »

    Cet épisode raconte ce qui se passe deux ans plus tard.

    Elon Musk va investir 6,5 millions de dollars dans une modeste entreprise appelée « Tesla » et qui avait été fondée, un an auparavant, par deux passionnés d’énergie durable : Martin Eberhard et Marc Tarpenning.

    Pour cette petite société, l’investissement de Musk est énorme, pour ce dernier il ne s’agit que d’une fraction de sa fortune.

    Elon Musk va par ses idées révolutionnaires et un marketing forcené rendre cette marque mondialement célèbre.

    Il s’agit bien sûr d’un groupe d’informaticiens qui vont créer une voiture technologique qui allie le physique : le châssis, le moteur électrique et le logiciel.

    Les constructeurs automobiles, comme Général Motors, ne voient rien venir, ne comprennent pas cette concurrence qui ne vient pas de leur monde.

    C’est exactement la même erreur que les grands distributeurs, qui venaient du monde de l’épicerie, ont commis à l’égard d’Amazon de Jeff Bezos qui est la création de logisticiens totalement insérés dans le monde informatique.

    Au début Tesla travaille sur un modèle appelé « Roadster » qui est basé sur le châssis de la « Lotus Ellise » qui était une voiture de sport assez peu utilisable pour la route.

    Sa batterie au lithium-ion donne au Tesla Roadster une autonomie de 370 km. Elle se recharge en cinq heures. Elle est vendue aux environs de 84 000 euros et Tesla a vendu environ 2 450 Roadsters dans plus de 30 pays (source Wikipedia)

    Les débuts sont difficiles…

    Elon Musk (PDG de Tesla et SpaceX) décide d’envoyer un Tesla Roadster dans l’espace vers Mars lors du premier vol de la fusée Falcon Heavy. Le lancement, effectué le 6 février 2018, est réussi. La voiture est désormais en orbite autour du soleil, entre la Terre et Mars.

    Le second modèle qu’il créera sera une berline luxueuse le « model S » qui sera vendu environ 100 000 $ et qui est commercialisé à partir de juin 2012.

    Et après un troisième modèle le « model X » commercialisé aux USA en septembre 2015, Elon Musk voudra démocratiser la voiture électrique en créant le « model 3 » qui est le quatrième modèle et vaudra 35 000 $. Les premiers modèles sortiront en juillet 2017. Le Model 3, initialement moqué pour des problèmes de production, finit par devenir un succès retentissant.

    Il sera produit en beaucoup plus grand nombre et le principal lieu de production sera la Gigafactory de Shangaï en Chine.

    Tesla Gigafactory Shanghai en 2024

    En 2020 est produit le « Model Y » . Il est le cinquième modèle de l’histoire de ce constructeur, et se présente comme une version surélevée du Model 3. En 2023, il devient le modèle le plus vendu en Europe, toutes énergies confondues.

    Tesla Model Y

    En mars 2020, Tesla avait annoncé la production de la millionième Tesla depuis le lancement de la marque. Il s’agit d’un Model Y de couleur rouge.

    Guillaume Erner, grand connaisseur de voiture explique :

    « Ce sont des voitures extrêmement performantes, qui vont très vite. […] Il va créer un véritable éco système, un peu de la même façon qu’Apple qui a créé un certain nombre d’objets qui n’existaient pas avant. »

    C’est un peu exagéré, la voiture existait avant… Mais une voiture Tesla constitue une véritable rupture avec ce qui existait. Ce qui existait, c’était des voitures avec un ordinateur de bord qui s’y rajoutait. La Tesla est une application informatique qui dirige une voiture. La vocation de l’application informatique est de rendre cette voiture autonome pouvant se passer d’un conducteur humain.

    François Saltiel ajoute :

    « Posséder une Tesla aujourd’hui, c’est adhérer à un imaginaire. Comme à un moment donné, il fallait avoir un iphone grâce au marketing.
    C’est une sorte de communauté. Lorsqu’on roule en Tesla, on appartient à une communauté de gens qui croient au progrès. Avec une bonne conscience du départ.
    On parle d’un Elon Musk ecolo, un homme qui faisait des remontrances à Donal Trump parce qu’il ne voulait pas respecter les accords de Paris. »

    Je me demande ce que peut penser un authentique « bobo » possédant une Tesla en voyant l’évolution récente d’Elon Musk. Mon ami Jean-Louis m’a raconté qu’il a vu une Tesla garée avec un mot derrière le pare-brise : « Excusez-moi. J’ai acheté cette Tesla avant qu’Elon ne devienne dingue ! ».

    Guillaume Erner fait le constat de la rupture de Musk : Tesla est une voiture démocrate, de gens aisés mais conscient de certaines problématiques écologiques. Maintenant Tesla est devenu une icône républicaine qui se matérialise dans un nouveau modèle le « Cybertruck » :

    Tesla Cybertruck 2024


    « Qu’est-ce que le cybertruck ? C’est un camion, un pickup […] C’est une voiture trumpienne avec des angles acérés.
    Vous n’en voyez pas en circulation en France parce qu’elle est tout simplement interdite de circulation en Europe. Elle est considérée comme trop dangereuse pour les piétons.
    Je trouve cela très caractéristique. Elle est inspirée de l’univers dystopique de Blade Runner, alors que jusqu’à présent les formes de Tesla étaient plutôt féminines. »

    Il s’agit donc d’une voiture viriliste qui résiste aux balles et qui illustre un changement d’idéologie pour Elon Musk et marque un virage vers une mentalité trumpiste et conservatrice.

    Les producteurs de Blade Runner ont attaqué Musk en justice en considérant qu’il trahit l’esprit de leur film avec son dernier modèle : « Quand les producteurs de Blade Runner attaquent Elon Musk »

    En 2023, Tesla a vendu plus de voitures dans le monde que Renault. Elle reste cependant loin de Toyota : 1,8 millions contre 9,5 millions pour la marque japonaise.

    En revanche, dès 2020 Tesla est devenu la 1ère capitalisation automobile mondiale. En Janvier 2025, la capitalisation boursière pour Tesla s’élève à 1.234 Billion d’euros. Cela fait de Tesla la 8ème entreprise la plus précieuse au monde par capitalisation, la première restant Apple.

    Elon Musk va continuer à lancer des entreprises innovantes et créer ainsi un empire tentaculaire.

    En 2016, Tesla rachète « SolarCity » spécialisée dans les panneaux solaires pour 2,6 milliards de dollars. Elon Musk déclare que la mission de Tesla depuis sa création est « d’accélérer la transition du monde vers une énergie durable »

    En 2019, Elon Musk crée « Starlink » fournisseur d’accès à Internet par satellite de la société SpaceX. Il s’appuie sur une constellation de satellites comportant des milliers de satellites de télécommunications placés sur une orbite terrestre basse. Starlink est le premier fournisseur d’internet par satellite à choisir cette orbite car elle permet de diminuer la latence (le temps de réponse) en la faisant passer de 600 ms à environ 20 ms. La constellation est en cours de déploiement depuis 2019 et repose sur environ 6 300 satellites opérationnels mi-septembre 2024. En septembre 2024, Starlink affirme disposer de plus de 4 millions de clients. Pour atteindre ses objectifs commerciaux, SpaceX prévoit de disposer vers 2025 de 12 000 satellites, chiffre qui doit être porté à terme à 42 000. (source wikipedia).

    Toujours dans son ambition de privatiser des domaines qui appartenait à la sphère publique et à l’autorité des Etats, il devient un acteur incontournable de l’infrastructure spatiale comme de la collecte des données.

    Il mettra à disposition de l’Ukraine son réseau Starlink, au début de l’invasion russe, pour rétablir des communications qui avait été coupées par l’armée de Moscou. A Mayotte, après la dévastation de l’île par le cyclone chido, le premier ministre François Bayrou fera appel à Starlink pour rétablir l’internet sur le département.

    Il tentera encore d’autres innovations telles que « Hyperloop » un transport ferroviaire à très grande vitesse, projet de recherche industrielle proposé en 2013, ou « The Boring Company » société de construction de tunnels fondée en 2016.

    Ces tentatives n’ont pas encore abouti.

    Par exemple, un projet « Hyperloop Lyst », mené avec l’école des Mines de Saint-Étienne, devait permettre de relier Lyon à Saint-Étienne en 10 minutes. Ce projet a été abandonné.

    Il fallait trouver un exergue à ce troisième épisode.

    Elon Musk est un grand créateur d’aphorisme. J’ai choisi celui qui me semblait le plus en phase avec les faits relatés dans ce mot du jour :

    « Beaucoup de choses sont improbables, seules quelques-unes sont impossibles ! »

    Je redonne le lien vers le troisième épisode que France Culture a mis en ligne : « De Tesla à Starlink, un serial entrepreneur dans la Silicon Valley »

  • Mardi 14 janvier 2025

    « La mafia paypal ! »
    Peter Thiel, Elon Musk, David Sacks et d’autres libertariens issu de Paypal et jouant un rôle d’influence dans la tech

    Continuons à nous intéresser au parcours d’Elon Musk jusque dans les bureaux de la Maison Blanche…

    Pour le deuxième épisode, France Culture a choisi ce titre : « Elon Musk à l’assaut de l’État »

    Dans l’épisode 1, nous avions laissé Elon Musk riche, après avoir vendu sa première Start Up créée avec son frère : Zip2. Nous avons compris que l’argent gagné, il n’allait pas l’utiliser pour s’amuser et payer des loisirs.

    Dans la logique de la Silicon Valley, il va utiliser son premier gros gain pour investir dans une nouvelle entreprise : il s’agira d’une plateforme de paiements en ligne qu’il nommera déjà « X », plus précisément « X.com »

    François Saltiel explique :

    « Il veut déjà court-circuiter le schéma traditionnel pour développer cette entreprise qui va par la suite racheter une jeune pousse qui s’appelle « Paypal ». Et Paypal prendra par la suite le dessus sur X pour devenir ce qui va devenir son premier très grand succès. »

    En 2002, Ebay rachètera Paypal pour 1,5 milliards de dollars, ce qui lui permet d’empocher personnellement plus de 180 millions de dollars.

    Mais de cette aventure, il ne retire pas seulement de l’argent, c’est aussi une philosophie qui est à l’œuvre. Il s’agit d’une philosophie libertarienne qui vise à réduire le rôle des structures étatiques dans la gestion monétaire.

    Il fait partie alors d’un groupe d’entrepreneurs qui partagent l’idée d’une réduction des services publics et souhaitent s’en prendre directement au monopole de l’État, notamment dans le domaine financier.

    François Saltiel précise :

    « Avec PayPal, c’est la première fois que l’on peut payer, avoir un instrument de paiement qui n’est pas une banque traditionnelle. »
    Musk et ses proches transforment leurs idées audacieuses en une révolution économique qui ne dissimule pas ses ambitions politiques. Au fond, il s’agit de préparer la réorganisation de la société autour des nouvelles technologies.

    François Saltiel décrit cette révolution ainsi :

    « Paypal c’est un « game changer » pour Elon Musk. Il y a un avant et un après Paypal. Lorsqu’il entre dans cet éco système, il fait la rencontre de Peter Thiel. […] Peter Thiel, c’est un investisseur, c’est un des premiers investisseurs de Facebook. Il a beaucoup d’argent. Il est beaucoup plus discret qu’Elon Musk mais il a une énorme influence [dans la silicon valley]. Il est un des chantres du libertarianisme. C’est un transhumaniste. »

    Peter Thiel est un des hommes qui comptent le plus dans cet écosystème. Il cofonde « Palantir » dans lequel il joue un rôle essentiel. C’est une entreprise qui fait de l’analyse de données et notamment de données secrètes. Il se sert de l’Ukraine comme un laboratoire d’expérimentation.

    Peter Thiel avait étudié la philosophie à l’université Stanford, et se dit très influencé par la pensée de René Girard et sa théorie du désir mimétique. Peter Thiel va soutenir Trump dès 2016.

    En 2007, le magazine «Fortune» utilise le terme de « mafia PayPal » en appui d’une photographie montrant un groupe de 13 hommes liés à l’entreprise PayPal et habillés dans des vêtements évoquant des mafieux. Notons qu’Elon Musk est absent de cette photo…

    Il n’y a pas que le décor, il y a aussi l’influence grandissante de ces entrepreneurs libertariens sur la tech. Outre Elon Musk et Peter Thiel, on y trouve David Sacks, fondateur de Yammer; Reid Hoffman, fondateur de LinkedIn; Jawed Karim et Chad Hurley, co-fondateurs de Youtube et quelques autres.

    Le Figaro publie un article le 6 novembre 2024 : « Elon Musk, Peter Thiel, David Sacks… Comment la «mafia PayPal» a œuvré pour la victoire de Donald Trump » Ce sont eux qui auraient proposé le vice président à Donald Trump : J. D. Vance. Ce dernier présente Peter Thiel comme son mentor.

    En 2002, Elon Musk va se lancer dans un nouveau défi : la conquête spatiale. Il crée SpaceX. Son premier objectif est de réduire de manière drastique les coûts des vols spatiaux en devenant le sous-traitant de la Nasa. Peu croit en lui. François Saltiel raconte :

    « Tout le monde se moque de lui,  surtout qu’il ajoute : Je vais aller construire mes propres fusées et puis on va coloniser Mars. »

    Force est de constater qu’il va réussir à devenir indispensable à la NASA. Le projet concurrentiel de Jeff Bezos « Blue Origin » a pris beaucoup de retard. Sans Space X, la NASA n’est plus en mesure de réaliser ses projets.

    Ce constat fait dire à François Saltiel : « ce dingue n’est pas fou ». Il n’est pas fou, mais il est peut être dangereux.

    Il a beau être libertarien, le succès de SPace X repose quand même sur beaucoup de subventions versées par l’Etat honni.

    En revanche, il rempli l’objectif de diminuer les coûts, même si cela doit entraîner une augmentation du risque. Trump l’embauche pour essayer de réaliser les mêmes performances dans l’Administration fédérale.

    En conclusion, François Saltiel, caractérise l’homme d’affaire comme l’incarnation du « technosolutionnisme ». Cette hypothèse prétend que si les ressources de la planète sont limitées, l’homme parviendra toujours à repousser ses frontières grâce à la technologie.

    Je redonne le lien vers ce deuxième épisode : « Elon Musk à l’assaut de l’État »

  • Lundi 13 janvier 2025

    « Je pourrais m’acheter une île dans les Bahamas, mais créer des nouvelles entreprises m’intéresse beaucoup plus ! »
    Elon Musk, en 1999, après avoir vendu sa première Start up

    Faut-il en rire ou au contraire s’en inquiéter, voire avoir réellement peur ?

    Donald Trump veut récupérer la souveraineté sur le canal de Panama, acheter le Groenland et convaincre les canadiens à devenir le 51ème État des États-Unis…

    Et, Elon Musk comme l’homme qu’il soutient parle et écrit à tort et à travers, dans son soutien aux extrêmes-droite en Europe, dans sa volonté de tout déréguler et d’entrer dans un monde où seule la loi du plus fort et du plus riche s’imposera.

    Les États-Unis sont sur le chemin de renforcer leur « Ploutocratie ». La ploutocratie est un système de gouvernement où la richesse est la base du pouvoir politique
    Les professeurs de droit ont multiplié les mots et les définitions pour expliquer l’organisation du pouvoir.

    L’Iran est une « théocratie » fondée sur des principes religieux. La Chine est soit une « oligarchie » si on considère qu’elle est dirigée par le Comité permanent du bureau politique du Parti communiste chinois ou une « autocratie » si on se persuade que le pouvoir est entre les seuls mains de Xi Jinping.

    Mais revenons à la ploutocratie américaine. Dans l’émission de la 5 « C à Vous » du 7 janvier 2025, le journaliste Philippe Corbe, spécialiste des États-Unis a fait le constat suivant :

    « En janvier 2024, la fortune d’Elon Musk était d’environ 251 Milliards de dollars (selon Forbes), il était déjà l’homme le plus riche du monde. Il est en ce début d’année 2025 à 418 Milliards de dollars. […] Dans l’Histoire de l’humanité, il n’y a jamais existé un homme aussi riche. »

    Cette augmentation de la fortune s’explique par une valorisation maximale des valeurs boursières de Musk dû au fait que les investisseurs et les spéculateurs parient que maintenant que Musk est au cœur du pouvoir fédéral, les multiples contrats qui le lient avec l’État fédéral des Etats-Unis, vont encore s’épanouir davantage.

    Si les actions de Musk peuvent se valoriser aussi rapidement, il est tout à fait rationnel de prévoir qu’elles peuvent se dévaloriser dans les mêmes proportions, tout aussi rapidement.

    Toutefois, il semble bien qu’il se sente aujourd’hui très fort, quasi invulnérable et se donne le droit donc d’intervenir sur n’importe quel sujet et de traiter le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, de « girl ». Ainsi a-t-il écrit sur son réseau social mercredi 8 janvier à 9:58 :

    « Girl, you’re not the governor of Canada anymore, so doesn’t matter what you say »— Elon Musk (@elonmusk)

    Ce que la presse québécoise a traduit : « Chérie, tu n’es plus le gouverneur du Canada, donc ce que tu dis, nous importe peu ».

    Il attaque le premier ministre britannique et quand celui-ci veut rétablir la vérité, Musk l’accuse de « tenir des propos insensés » puis le qualifie de personne « totalement méprisable ».

    Lors de la même émission de « C à Vous » Alain Duhamel, me semble avoir bien décrit Musk et Trump :

    « On a l’impression, qu’il y a un génie un peu fou et un fou dont on se demande s’il est génial »

    Il me semble donc nécessaire d’en savoir un peu plus sur cet homme né le 28 juin 1971 à Pretoria, dans une famille blanche aisée vivant dans une Afrique du Sud sous le joug de l’apartheid. Nelson Mandela est en prison depuis 9 ans et le restera encore pendant 19 ans.

    « France Culture » a produit une série de 4 podcasts, de 15 minutes chacun, qui retrace le parcours de cet homme.

    Pour ce faire, Guillaume Erner a interrogé François Saltiel, producteur de « Un monde connecté » sur France Culture.
    Le premier épisode s’intitule : « de l’enfant harcelé à l’étudiant rebelle de Stanford »

    François Saltiel raconte :

    « Il est né au moment de l’apartheid, dans un contexte assez violent. Son père est un ingénieur assez fortuné et sa mère une mannequin canadienne. Le fait que sa mère soit canadienne est important dans sa trajectoire. »

    Il a une enfance assez difficile. Il est petit et chétif et il est victime d’harcèlement.

    François Saltiel poursuit :

    « On se moque de lui. Là on a déjà la faille. […] Il y aura une quête de l’enfant humilié qui cherche à se venger. »

    Il semble qu’il aurait intégré assez vite qu’il ne peut s’en remettre qu’à lui-même. Il fera des stages de survivaliste où son père l’avait inscrit. Pendant ces stages, la nourriture était insuffisante et on incitait les plus forts de dérober la nourriture des plus faibles. Et Musk était un des plus faibles, il s’est fait avoir plusieurs fois. Il a alors décidé de devenir sportif, de boxer et de faire d’autres sports de combats et de se complaire dans le virilisme.

    En 2023, lors d’un conflit avec Marc Zuckerberg, patron de Facebook, il lui a proposé de faire un combat de MMA. Zuckerberg pratique aussi les arts martiaux mixtes (MMA). Ce combat n’aura pas lieu.

    Selon François Soltiel, il sera totalement en phase avec la mentalité méritocratique de la Silicon Valley : seul ceux qui le méritent peuvent survivre et s’élever. Il en tirera des règles violentes de management en pointant du doigt ceux qui n’y arrivent pas et en agissant quelquefois au mépris de la loi.
    Pour en revenir à l’enfance, il sera décrit comme un enfant supérieurement intelligent. Dès 10 ans il se passionne pour l’informatique et à douze ans, il aurait vendu son premier jeu vidéo pour 500 dollars.

    Mais François Soltiel nous met en garde d’adhérer trop vite à ce qu’il considère comme un storytelling. Plus nuancé il dira :

    « Il s’est auto-diagnostiqué asperger. On est en face d’un enfant qui est assez seul, qui va développer des compétences et se réfugier dans la science-fiction. Il est un grand lecteur d’Asimov et de K. Dick. La plupart de ses entreprises vont naître de ses lectures. »

    Selon son biographe, les relations entre Elon Musk et son père sont très mauvaises. Il le voit comme un père violent. Ses parents vont divorcer assez tôt.

    Il va quitter l’Afrique du Sud à 17 ans, parce qu’il veut échapper au service militaire. Il émigre au Canada après avoir acquis la nationalité canadienne grâce à sa mère canadienne. En réalité il veut aller aux États-Unis, patrie de ses romans de science-fiction, mais il pense que par le Canada ce sera plus facile.

    Il va passer deux ans au Canada et fera des études de Physique et d’Économie et pratiquera quelques petits boulots, à côté. Son père lui coupe les vivres

    Puis du Canada il pourra se rendre à l’Université de Pennsylvanie à Philadelphie et obtiendra un bachelor de physique et continuera ses études d’économie.

    Puis il sera admis en 1995 dans une des plus prestigieuses universités : Stanford

    François Saltiel raconte :

    « Stanford, c’est l’université de la Silicon Valley qui est au cœur de cet eco-système. C’est à Stanford qu’est né Google. […] Elon Musk va se distinguer en ne restant que deux jours à un moment où il voit Internet monter et il se dit je n’ai pas besoin de suivre ces études. Je vais quitter Stanford pour monter ma première entreprise. »

    Et c’est ainsi qu’en 1995, Elon Musk fonde avec son frère la compagnie Zip2, éditeur d’un logiciel de publication de contenu en ligne. Ses principaux clients seront les gros titres de la Presse américaine. Cette même Presse qui est aujourd’hui son grand ennemi.

    En 1999, Compaq acquiert Zip2 pour 341 millions de dollars. Elon Musk et son frère Kimbal possèdent alors environ 12 % de Zip2. Elon Musk y gagne 22 millions de dollars, ils avaient investi, 4 ans auparavant avec son frère, 28 000 $.

    Dans un reportage de CNN de 1999, on entend Elon Musk dire :

    « L’agent c’est juste du papier. […] Je pourrais m’acheter une île dans les Bahamas, mais créer des nouvelles entreprises m’intéresse beaucoup plus. »

    François Saltiel conclut ce premier épisode :

    « Elon Musk est un personnage fascinant. On peut être inquiet par ses idées. Mais tout le monde lui reconnaît sa capacité d’être là au bon moment, au bon endroit et dans le juste timing. […] Il va toujours anticiper ce que sera la prochaine révolution technologique. »

     

  • Mardi 7 janvier 2025

    « Je suis toujours Charlie »
    C’est une profession de foi

    Je me souviens exactement de l’endroit où j’étais, il y a dix ans, vers midi, quand j’ai eu les premières informations qu’il s’était déroulé un massacre effroyable à Paris, dans les locaux de Charlie Hebdo.

    J’étais rue du Sergent Michel Berthet, dans le 9ème arrondissement de Lyon, en face de l’immeuble Fiducial et j’attendais ma fille car nous avions rendez vous pour aller ensemble au restaurant.

    Nous nous souvenons avec précision des moments où nous avons été sidérés : le 11 septembre 2001, les attentats du 13 novembre 2015 et cette journée du 7 janvier 2015 qui allait être suivie par deux autres jours pendant lesquels des tueries allaient avoir lieu d’abord à Montrouge (Hauts-de-Seine), Clarissa Jean-Philippe, 26ans, policière, était tuée d’une balle dans le dos. Puis vendredi 9 janvier, quatre personnes étaient encore tuées dans l’attaque de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes : Yohan Cohen, 20 ans, Philippe Braham, 45 ans, François-Michel Saada, 63 ans, Yoav Hattab, 21 ans.

    Tout de suite je me suis senti Charlie et je n’ai pas compris que d’autres osent dire qu’ils n’étaient pas Charlie. Je lisais très rarement ce journal, son humour n’était pas le mien. Mais il n’est pas admissible, qu’en France on puisse être tué parce qu’on a fait un dessin ou écrit un texte. Je me souviens d’une enfant à l’époque qui avait dit : « Quand on n’aime pas un dessin, on ne tue pas, on en fait un plus jolie. ». Dans la naïveté de ces propos  se révèle une grande sagesse.

    Nous parlons de liberté, de liberté d’expression. Nous parlons de l’obscurantisme prôné par des adeptes religieux figés dans des interprétations archaïques de leurs textes « sacrés ». Je ne conçois pas qu’on puisse manifester la moindre faiblesse à leur égard.

    Dessin de Coco dessinatrice de Charlie Hebdo rescapée des massacres

    Où en sommes nous aujourd’hui ?

    Elisabeth Badinter dans un article de l’Express : « Dix ans après l’attentat contre Charlie, je pense que la peur l’a emportée » est très pessimiste :

    « Je pense que la peur l’a emporté. La peur, d’abord, de ce qu’il peut en coûter physiquement, pour sa vie, quand on prend la parole sur ces sujets-là, et je pense bien sûr aux morts de Charlie mais aussi à Samuel Paty, décapité à la sortie de son collège.
    Les réseaux sociaux jouent un rôle délétère, car on sait désormais comment un « bad buzz » peut se former et grossir jusqu’à atterrir dans le téléphone d’un candidat au djihad.
    Notre actualité est émaillée d’affaires comme celles du proviseur du Lycée Maurice Ravel, à Paris, menacé de mort après avoir demandé à une élève d’enlever son voile dans l’enceinte de l’établissement. Ces affaires-là ne peuvent que confirmer la peur qu’a la majorité de parler.
    S’ajoute une autre crainte : celle d’être pointé du doigt comme appartenant au « mauvais camp »; de se faire traiter de raciste, d’islamophobe, etc. Alors, il y a quand même encore très peu de gens qui parlent. A part, bien sûr, dans le secret des conversations en famille ou entre amis.

    Cette dichotomie totale entre la conversation publique et la parole privée n’est pas un signe de santé démocratique. »

    Je pense qu’Elisabeth Badinter a raison nous avons reculé, beaucoup d’auto-censure a été pratiquée d’abord par ceux qui ont simplement peur « des fous de dieu ». On se souvient de ses parents qui se sont mobilisés pour que leur collège ne porte pas le nom de Samuel Paty.

    Mais plus insidieusement, beaucoup se taisent parce qu’ils ont peur d’être classés parmi les racistes et les islamophobes.  Et c’est ainsi que les islamistes gagnent du terrain.

    Pour ma part, et sur ce sujet précis je serai toujours du côté de ceux qui dénoncent les ravages de la lâcheté et du renoncement devant les rétrogrades et les groupes religieux qui nous entraînent dans une régression inouïe dans nos libertés et aussi dans l’enseignement de l’Histoire dans nos Collèges comme le pratiquait Samuel Paty et Dominique Bernard . Je serai du côté des journalistes de Charlie Hebdo, de Gilles Kepel, de Caroline Fourest, de Sophia Aram ou de l’avocat Richard Malka et résolument contre ceux qui les traitent d’islamophobe. Richard Malka l’avocat de Charlie Hebdo lors du procès des attentats a plaidé : 


    « C’est notre faiblesse qui donne à nos ennemis leur marche d’action. C’est un rapport de force avec le fait religieux, ça sera toujours un rapport de force. C’est comme ça… Le meilleur moyen de ne pas avoir d’attentat, c’est de montrer qu’ils n’obtiendront rien, jamais ! Pas un seul recul, pas un seul renoncement. C’est ça leur kérosène, en fait, ce sont nos renoncements, c’est ça l’huile de leur moteur.»

    Dans un article publié hier le 6 janvier, dans Libération :  « Le billet de Thomas Legrand  », évoque l’inoubliable Bernard Maris qui a fait partie des victimes du massacre de Charlie Hebdo.

    Outre, d’être un économiste humaniste qui expliquait avec humour et pédagogie les perversions qui se cachant derrière les concepts claironnés par ses confrères, Bernard Maris avait une autre passion : Maurice Genevoix et le projet de sa panthéonisation.

    Il était l’époux de la fille de l’écrivain, Sylvie Genevois, jusqu’à la mort de cette dernière en 2012. Il avait créé un mouvement de soutien et il a obtenu la panthéonisation du romancier de la grande guerre. Thomas Legrand écrit :

    « Les monstruosités de 14-18 qui fascinaient Bernard l’ont rattrapé. Les attentats, la folie jihadiste sont aussi (les historiens le disent) de lointaines répercussions des dérèglements géopolitiques issus de 1918, avec le tracé par les Français et les Anglais de frontières artificielles au Levant…
    Peu avant l’annonce, au printemps 2015, de la panthéonisation de Genevoix, Bernard Maris mourait sous les balles des terroristes. […]
    Aujourd’hui, quand je me souviens de Bernard, mon compagnon de matinale de radio, je comprends mieux ces mots «nos morts» qui me paraissaient avant l’attentat contre Charlie un brin cocardiers, inutilement grandiloquents ou même suspects de récupération, sur les monuments du souvenir des communes françaises. Il y a bien autre chose que l’aspect sacrificiel, morts pour la cause. D’autant que Bernard, comme Cabu ou Charb, fan de Brassens, était plutôt du genre à vouloir «mourir pour des idées, mais de mort lente».
    Non, nos morts, ce sont aussi ceux qui, disparus, nous accompagnent toujours, sont à nous. […] «A nos morts», dans chaque village, c’était la famille, les voisins, les copains… Je vois maintenant ce que cette expression «nos morts» signifie et a d’utile pour les vivants.
    Nous, nous avons Bernard et ceux de Charlie, nos morts.»

    Et dans cette liste de nos morts je n’oublierai pas Samuel Paty, Dominique Bernard et les autres victimes de cette barbarie qui a débarqué sur notre sol et que nous devons résolument affronter.

  • Jeudi 2 janvier 2025

    « Je te souhaite du temps »
    Elli Michler

    Elli Michler est une poétesse allemande. Elle est née le 12 février 1923 et elle est morte il y a un peu plus de 10 ans, le 18 novembre 2014.

    Le début de l’année est le moment des vœux.

    Plus l’âge avance, plus je perçois combien le temps est précieux.

    Lors de l’hommage à mon ami Fabien, le 23 juillet 2024, j’écrivais que l’immense cadeau que nous nous offrions l’un à l’autre, deux fois par an, c’était du temps.

    On court après le temps, on perd son temps, on tue le temps en l’occupant mollement par des activités ludiques, parfois on gâche son temps pour faire des économies de bout de chandelles lors de cette activité si prégnante dans le monde d’aujourd’hui : la consommation.

    Lors du mot du jour, du 2 juillet 2020, j’avais cité José Mujica, président de l’Uruguay de 2010 à 2015 :

    « Quand j’achète quelque chose, quand tu achètes toi, on ne le paye pas avec de l’argent. On le paye avec du temps de vie qu’il a fallu dépenser pour gagner cet argent. »

    Nous sommes bien obligés de pratiquer des activités utilitaires, mais au-delà, le temps est une denrée rare qu’il faut penser à savourer.

    Photo prise par James Webb et finalisée le 27 novembre 2024. Cette photo correspond à une réalité qui date de 40 millions d’années Elle nous donne peut être une image du temps suspendu…

    Le télescope spatial James Webb nous montre cette galaxie spirale située dans la constellation de la Colombe à 40 millions d’années-lumière. Les bras spiraux, le gaz et la poussière sont visibles avec d’incroyables détails.

    Si vous voulez voir cette photo en haute résolution c’est <Ici>

    Elli Michler a écrit un texte magnifique que je partage aujourd’hui, pour cette période de vœux.

    «Je te souhaite du temps
    Je ne te souhaite pas un simple cadeau, mais quelque chose de bien plus précieux,
    quelque chose que tant de gens recherchent sans jamais le trouver.

    Je te souhaite du temps.
    Du temps pour rire, pour t’émerveiller, pour te perdre dans la douceur de l’instant.
    Si tu sais l’apprivoiser, il t’offrira bien plus que tu ne l’imagines.

    Je te souhaite du temps pour créer,
    pour rêver et pour réfléchir.
    Pas seulement pour toi, mais aussi pour ceux que tu aimes.

    Je te souhaite du temps,
    non pas pour courir après,
    mais pour ralentir,
    pour te poser là où ton cœur se sent en paix.

    Je te souhaite du temps, non pas pour qu’il s’efface au fil des heures,
    mais pour qu’il te reste, pour que tu puisses t’arrêter et contempler le monde,
    pour que tu prennes le temps d’avoir confiance,
    non pas en l’aiguille d’une montre, mais en la vie elle-même.

    Je te souhaite du temps pour effleurer les étoiles,
    pour grandir, non pas seulement en âge,
    mais en force, en tendresse, en toi.

    Je te souhaite du temps pour espérer encore,
    même lorsque tout semble vaciller.
    Du temps pour aimer, car il n’y a pas de plus belle manière de le vivre.

    Je te souhaite du temps pour faire la paix avec le passé,
    pour ouvrir tes bras à ce qui vient,
    et pour pardonner, à toi-même comme aux autres.

    Je te souhaite de recevoir le temps comme on reçoit un trésor,
    de le savourer, non pas comme une chose à posséder,
    mais comme un souffle à embrasser.

    Je te souhaite du temps,
    pour vivre, pleinement, intensément, librement.
    Je te souhaite du temps, pour ta vie et pour la Vie.»
    Elli Michler

    Je ne connaissais pas Elli Michler avant de lire ce poème, son poème le plus célèbre.

    Elle est née à Wurtzbourg, en Allemagne, pendant une période difficile économiquement et politiquement. Écolière, elle assiste à la destruction par les nazis de son école religieuse.
    Elle vivra sous le joug nazi pendant toute la guerre, dans la terreur et le travail forcé dans un groupement industriel de Wurtzbourg.

    Elle écrira toute sa vie, mais ce n’est que tardivement, à l’âge de 64 ans qu’elle commencera à publier chez Don Bosco Verlag Munich de nombreux recueils de poèmes. C’est sur le site de « cet éditeur » que j’ai appris ce que je suis en mesure d’écrire.
    Elle obtiendra un véritable succès populaire en Allemagne.

    L’éditeur écrira aussi :

    « L’œuvre d’Elli Michler répond ainsi aux trois exigences que Kästner attribue aux poètes :
    – l’honnêteté du ressenti,
    – la clarté de la pensée
    – la simplicité du mot et de la phrase.

    La réponse de Schopenhauer à la question de ce qu’est un poème – « un fragment d’éternité dans le temps » – a inspiré Elli Michler dans sa volonté d’aider les hommes en proie à un négativisme ambiant à se libérer de leurs peurs et de la frénésie du quotidien en leur offrant, à travers la poésie, des perspectives de tranquillité intérieure, ainsi qu’une approche positive. »

    Je vous souhaite une belle année 2025, pendant laquelle vous prendrez du temps pour vivre, pour la vie, pour votre vie et aussi pour le partage avec d’autres qui sauront prendre ce même temps.

  • Lundi 30 décembre 2024

    « J’ai voulu, en ouvrant les portes de ce procès le 2 septembre dernier, que la société puisse se saisir des débats qui s’y sont tenus. »
    Gisèle Pelicot

    Après quatre mois d’audiences, La cour criminelle du Vaucluse a rendu son verdict dans le procès des viols de Mazan, le19 décembre 2024.

    Ce fut un procès historique en raison du nombre d’accusés, des conditions dans lesquelles ces crimes ont été commis et aussi parce que la victime n’a pas demandé le huis clos des débats et a accepté que des journalistes du monde entier puissent assister aux audiences et voir les viols filmés par le mari de la victime.

    Après le refus par Gisèle Pelicot du huis clos, « le nouvel obs » a compté 165 médias dont 76 médias étrangers qui ont suivi le procès. Les derniers jours à l’approche du verdict, des médias s’accréditaient encore.

    Je crois que les informations qui ont été diffusées pendant ces quatre mois ont été si répandues qu’il n’est pas nécessaire de rappeler les faits. Si besoin, ils sont précisément décrits dans cette page de de Wikipedia : « Affaire des viols de Mazan ».

    La plupart des journaux ont créé une page spécifique regroupant tous les articles sur ce procès. Le nouvel obs a publié les comptes rendus pour chacune des audiences ainsi que des articles de fond écrits par ses journalistes. La plupart sont en accès libre : « Le procès des viols de Mazan »

    Il est donc possible d’aller directement aux enseignements que nous apportent cette affaire hors norme et selon la volonté de Gisèle Pelicot de se saisir des débats pour comprendre et faire évoluer notre société.

    Ce mot du jour va modestement tenter de faire une partie du chemin, sans être en mesure d’aborder tous les sujets.

    Pour commencer, il me semble quand même, essentiel de rappeler que tous les accusés ont été déclarés coupables et ont été condamnés à de la prison, au minimum 1 an ferme et 2 ans de sursis qui s’appliqueront immédiatement en cas de récidive. En outre tous ont été condamnés à poursuivre des soins. Dès lors les journalistes qui ont écrit que certains sont « repartis libre à l’issue du procès » au minimum manquent de précisions. Ce qu’il aurait fallu énoncer c’est que tous ont été condamnés à de la prison, mais que certains ayant déjà purgé leur temps de peine en préventive lors de l’enquête, n’ont pas été incarcérés.

    Le premier enseignement de ce procès nous met face à un récit erroné de la réalité des viols. On nous a raconté que le viol se passait dans un parking dans lequel un prédateur sexuel inconnu se jetait sur une femme pour la violer sous contrainte. Cela pouvait se passer la nuit, dans une rue obscure, une femme seule agressée par un inconnu.

    Ces histoires existent, mais 91% des viols sont commis par un proche. Le plus souvent dans le cadre familial. D’ailleurs, 45 % des agresseurs sont le conjoint ou ex-conjoint. La cellule familiale qui a vocation à protéger ses membres est le lieu le plus dangereux pour les femmes et aussi pour les enfants. C’est là, dans ce huis clos que les crimes sexuels les plus horribles sont commis.
    Le deuxième enseignement est celui de la faillite d’un argument et d’un concept : « le bon père de famille ». Il n’a jamais pu faire cela, c’est un bon père de famille…
    Un article du monde présente cette « disqualification définitive des « bons pères de famille ». Cet article cite l’essai de Rose Lamy « En bons pères de famille » (Lattès, 2023 et s’appuie sur une interview pour expliquer :

    « Selon Rose Lamy. « Dans cette fiction sociale [du bon père de famille], ajoute-t-elle, les hommes violents, ce sont toujours les autres, les monstres, les fous, les étrangers, les marginaux. » D’un côté, les bons pères de famille, qui, certes, parfois, dérapent, étant « trop amoureux, trop lourds, trop malheureux, trop séducteurs, trop bourrés, trop jaloux, mais, croyez-les sur parole, jamais violents » ; de l’autre, les vrais monstres, qui agressent à la nuit tombée.
    C’est sans doute cette distinction qui explique les mots de l’un des avocats des accusés du procès de Mazan, Louis-Alain Lemaire, assurant sans sourciller que ses clients sont « tout sauf des violeurs ».

    Peut être est-il plus fort encore de citer Gisèle Pelicot lors de l’audience du 23 octobre lorsqu’elle interpelle son ex mari :


    « Dominique, nous avons eu cinquante ans de vie commune, nous avons été heureux et comblés, nous avons eu trois enfants, sept petits-enfants, tu as été un père attentionné, présent, je n’ai jamais douté de ta confiance. Je me suis souvent dit : Quelle chance j’ai de t’avoir à mes côtés. […] Cela fait quatre ans que je prépare le procès et je ne comprends toujours pas comment cet homme qui était pour moi l’homme parfait a pu en arriver là, comment ma vie a basculé. » Elle élève la voix :
    « Comment as-tu pu me trahir à ce point ? Comment as-tu pu faire entrer tous ces individus chez nous, dans ma chambre à coucher ? Cette trahison est incommensurable. J’ai toujours essayé de te tirer vers le haut, tu as choisi les bas-fonds de l’âme humaine. »


    Et par la suite devant les témoignages des proches des accusés, elle leur renvoie :

    « Je voudrais faire remarquer à ces femmes, ces mamans, ces sœurs, qui toutes parlent de leur mari, leur père, leur frère comme d’un homme exceptionnel : j’avais le même à la maison ! »


    « Libération » parle de « l’effrayante banalité des 50 accusés », Dominique Pelicot étant traité à part.

    Le troisième enseignement est celui de la soumission chimique qui semble se développer de plus en plus. Et dans ce crime c’est encore plus souvent un proche qui utilise cette manipulation. La députée Sandrine Josso qui a fait elle-même l’objet d’une soumission chimique par un collègue l’explique sans détour : « On est le plus souvent drogué par un proche »

    Cette député préconise d’établir un parcours fléché de soins pour les personnes estimant avoir été droguées. Car cette réalité est encore très méconnue par les victimes et aussi par les professions médicales qui devraient être formées à détecter les cas de soumission chimique. Gisèle Pélicot a consulté de nombreux médecins car elle avait des pertes de mémoire, au point que ses proches pensaient à un cas d’Alzheimer précoce. Aucun médecin n’a eu l’idée d’une drogue et par conséquent de prescrire une analyse

    Le quatrième enseignement est celui du retard français concernant le consentement. Beaucoup de législation des pays comparables à la France, la Belgique, le Canada ont lié le viol à l’absence de consentement.

    D’ailleurs La France a signé la convention d’Istanbul de 2011 qui fait ce lien, mais pour l’instant le droit positif français n’a pas réalisé cette évolution. L’article du Code pénal qui définit le viol est l’article 222-23 :

    « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. »

    Lors du procès de Mazan, le viol était caractérisé par « la surprise » qui ne pouvait être discuté.

    Mais la Justice française a aggravé son cas. Dans un jugement de 2018 qui concernait des accusations contre Gérald Darmanin qui était alors ministre du budget, il est écrit :

    « Le défaut de consentement ne suffit pas à caractériser le viol. Encore faut-il que le mis en cause ait eu conscience d’imposer un acte sexuel par violence, menace, contrainte ou surprise ».

    Pourtant à chaque interrogatoire, le président de la cour criminelle du Vaucluse a demandé : « Avez-vous d’une manière ou d’une autre recueilli le consentement de Mme Pelicot ? » Et systématiquement l’accusé répondait non. Ils ne l’ont pas recueilli, ils n’ont pas cherché à le faire. Certains ont même dit ne pas avoir cherché à voir son visage.

    La journaliste Céline Rastello a expliqué :

    « Et il y a un phénomène qui est très intéressant, qui est que depuis l’affaire, depuis le procès Pelicot, il y a beaucoup de femmes qui nous ont confié relire leur histoire passée à l’aune de cette notion et elles sont nombreuses à se demander si elles avaient vraiment consenti.

    Est-ce qu’elles n’avaient pas plutôt cédé pour de mauvaises raisons ? Ou est-ce qu’elles ne s’étaient pas réellement interrogées ? […]

    Il y a cette idée forte aussi dans le consentement qu’on commence à voir émerger, mais qui est une notion très nouvelle qui est qu’on ne donne pas son consentement une bonne fois pour toutes, on ne donne pas son consentement en entrant dans la chambre de quelqu’un. Son consentement, on le donne pour des choses spécifiques.

    Prosaïquement, ce n’est pas parce qu’on est toute nue dans le lit de quelqu’un qu’on a donné son consentement pour les cinq prochaines heures à venir. Ça dépend de ce qui va se passer, ce consentement, il est révocable et il est spécifique. Et ça, ce sont des choses nouvelles qui commencent à être connues encore une fois dans le cerveau des gens.»

    Le cinquième enseignement découle directement du consentement : le viol conjugal.

    Pendant longtemps cette notion, dans un univers patriarcal, de domination masculine et de prédominance du désir sexuel masculin n’était pas envisagé.

    L’historienne Aïcha Limbada, autrice de l’essai « La nuit de noces, une histoire de l’intimité conjugale » rappelle que la notion prégnante était plutôt celle du devoir conjugal. Le viol conjugal constitue une notion beaucoup plus récente qui repose entièrement sur la nécessité du consentement.
    Chaque homme doit faire son introspection et remettre sur le métier ses croyances, son éducation pour parvenir à intégrer cette réalité : ce n’est pas parce que je vis en couple avec une femme ou un homme, et le mariage ne change rien à cela, qu’il ne faut pas s’assurer du consentement de son partenaire avant tout ébat sexuel.

    Je m’arrêterais provisoirement à un sixième enseignement alors qu’il en existe encore d’autres : L’avocat a une obligation éthique dans son action de défendre.

    Longtemps j’ai cru, que l’avocat avait tous les droits pour défendre son client. L’avocate de Dominique Pelicot, Me Béatrice Zavarro a été remarquable de ce point de vue. Elle a défendu son client sans jamais agresser la victime ou remettre en cause ses paroles. D’autres avocats ont franchi toutes les limites, en déclarant qu’« il y a viol et viol », en croyant percevoir des mouvements de bassin de Giséle Pelicot dans les vidéos projetées, laissant entendre un début de participation au viol ou d’autres vilenies encore.

    Or, grâce à ce procès j’ai appris que les avocats étaient tenus de se conformer à un code déontologie. Or voici ce qu’on peut lire dans l’article 3 de ce code :

    « L’avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment.
    Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d’honneur, de loyauté, d’égalité et de non-discrimination, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie. »


    Probité, dignité, humanité et délicatesse… Force est de constater que certains se sont beaucoup éloignés de cette éthique.

    Pour terminer, il me semble pertinent de redonner la parole à cette femme admirable qui s’est tenue debout devant ceux qui l’ont violée et qui a fait changer la honte du camp de la victime vers celui des criminels. Elle a dit lors de l’audience du 23 octobre :

    « J’ai choisi de renoncer au huis clos car j’ai voulu que toutes les femmes victimes de viols, pas seulement sous soumission chimique, puissent se dire “Madame Pelicot l’a fait, on pourra le faire” […]. Je voulais qu’elles n’aient plus honte. Quand on est violée, on a honte. Mais ce n’est pas à nous d’avoir honte. C’est à eux d’avoir honte. Je n’exprime ici ni ma colère ni ma haine, seulement ma volonté et ma détermination à ce qu’on fasse évoluer la société. »

    C’est avec un courage et une lucidité incroyable qu’elle s’est avancée à la barre et devant tous ces hommes accusés de viol aggravé sur elle, elle a oublié son cas personnel pour parler de l’avenir :

    « Voilà, pour moi le mal est fait, mais je le fais pour les autres parce que j’aurais souhaité pouvoir entendre un tel témoignage. Ça m’aurait aidé si ça avait été le cas. »

    Dans sa prise de parole, à l’issue de l’énoncé du verdict à l’égard des 51 accusés, elle a conclu :

    « J’ai voulu, en ouvrant les portes de ce procès le 2 septembre dernier, que la société puisse se saisir des débats qui s’y sont tenus. Je n’ai jamais regretté cette décision. J’ai confiance à présent en notre capacité à saisir collectivement un avenir dans lequel chacun, femme et homme, puisse vivre en harmonie, dans le respect et la compréhension mutuelle. Je vous remercie. »

  • Mardi 17 décembre 2024

    « Et à la fin ce sont les islamistes qui gagnent ! »
    Réflexion suite à la victoire des islamistes sur Bachar El Assad

    Cette histoire commence en 1979. Je l’avais raconté dans la série consacrée au livre d’Amin Maalouf : « Le naufrage des civilisations. ». La révolution iranienne nous paraissait ouvrir un horizon radieux. Autour du vieux barbu assis en tailleur sous un pommier, à Neauphle le Château, il y avait plusieurs hommes sympathiques qui parlaient de liberté, de justice, de droits de l’homme. Très rapidement, ils seront balayés, tués, emprisonnés ou contraints à l’exil. Le vieux barbu n’était pas sage, il était islamiste d’obédience chiite : « Vous ne pouvez pas comprendre ».

    En 1979, il y eut un autre évènement : l’invasion de l’Afghanistan par l’Union soviétique pour consolider un pouvoir communiste aux abois. Car différentes ethnies, regroupées autour de chefs de guerre ne voulaient pas que le communisme remettent en cause leurs traditions locales et leur religion. musulmane. Nous savons maintenant que le secrétaire d’état américain Zbignizw Brzezinski, dit « Zbig » avait convaincu le président des Etats-Unis Carter d’aider et d’armer les rebelles avant que l’URSS intervienne. Les américains avaient appelés cette opération « cyclone ».

    L’Union soviétique avait, à l’époque, réagi à une intervention américaine. Une fois l’armée rouge en Afghanistan, l’aide américaine aux rebelles s’est déployée de manière de plus en plus vigoureuse. J’avais aussi narré cette histoire : « Nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam. » disait Zbigniew Brzezinski.

    Nous connaissons la suite, les soviétiques partiront, vaincus, après avoir épuisé énormément de force et de ressources.

    Ils avaient bien subi leur Viet Nam. Mais il y eut une grande différence, la révolution vietnamienne qui a chassé les américains de son territoire a créé des liens d’amitié et de collaboration fidèle avec la grande puissance qui l’avait aidé à se débarrasser des américains. Rien de tel en Afghanistan. D’abord Ben Laden qui avait profité de l’aide américaine va créer Al Qaïda et frapper la pays qui l’a aidé par les attentats du 11 septembre 2001.

    Parallèlement les chefs de guerre et les ethnies vont utiliser les armes américaines pour s’entretuer dans une guerre civile meurtrière. Ce sera la frange la plus islamiste, la plus radicale  « Les talibans » qui l’emportera. Après avoir été chassé du pouvoir par les américains qui voulaient punir Al Qaida et son chef, ils reviendront après le départ des américains, voulu par Trump, avec les même valeurs obscurantistes qui donnent une image délétère de la pratique de l’islam contemporain.

    En Algérie, quand en janvier 1992, le pouvoir autoritaire du FLN a tenté un processus électoral et des élections législatives libres, les résultats du premier tour ont donné une victoire nette au Front islamique du salut (FIS) qui veut mettre en place une république islamique.  L’armée interrompt le processus électoral et une guerre civile terrible va s’en suivre pendant dix ans. Il ne faut pas parler de ces choses là en Algérie, Kamel Daoud a commis l’irréparable en écrivant « Houris ». L’écrivain explique que « les islamistes ont perdu militairement mais gagné politiquement ». Les islamistes imposent leur règles et leur vision sociétale dans une Algérie où le pouvoir économique reste aux mains du FLN et des chefs militaires qui ont considéré que leur fortune et leur tranquillité méritait bien qu’on laisse la société aux mains des religieux afin que ces derniers se tiennent tranquille. L’Algérie nous donne donc l’exemple d’un pays où même si les islamistes sont battus par les armes, ils reviennent dans la société.

    Et puis il y a eu les printemps arabes. Ils commencèrent en Tunisie, le 17 décembre 2010. Plusieurs dirigeants autoritaires furent chassés. En Egypte, Hosni Moubarak fut démis et même condamné à la prison. En Occident, nous aimions ces jeunes manifestants de la place Tahrir du Caire. Ces jeunes dénonçaient les abus de la police égyptienne, la corruption, le manque de liberté d’expression,le chômage etc.. Mais les élections ont envoyé au pouvoir les frères musulmans, des islamistes qui n’avaient aucune réponse à ces questions et qui sur certains points étaient à l’antipode de ce qui était demandé notamment la liberté d’expression. L’armée a repris le pouvoir et un nouveau général dirige l’Egypte avec une main de fer plus dure que celle de Moubarak.

    Il serait long de faire le tour de tous les États ayant été touché par les printemps arabes. Mais il faut bien parler de la Syrie.

    Bachar El Assad était un tyran abominable qui martyrisait son peuple. Le 29 mai 2012, le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, déclarait :

    « M. Bachar Al-Assad est un assassin. Il faut qu’il quitte le pouvoir et le plus tôt sera le mieux »

    Il est resté au pouvoir jusqu’en 2024. Il y a eu beaucoup de manquements de la part des occidentaux qui n’ont pas soutenu les forces démocratiques. Par la suite ces forces démocratiques ont été anéanties par l’action de l’aviation russe et des milices du Hezbollah qui combattaient avec beaucoup plus de mollesse les islamistes de DAESH.

    Finalement la Russie, l’Iran et le Hezbollah trop affaibli n’avaient plus les moyens de défendre le régime de Bachar el Assad. Et c’est ainsi que des forces coalisées ont pu enfin chasser ce monstre. Nous ne pouvons que nous réjouir avec les Syriens de la défaite de cet homme a la tête d’un État mafieux pratiquant le trafic de drogue. A la tête des forces coalisées un mouvement islamiste : Hayat Tahrir al-Cham ou HTC (en français, Organisation de libération du Levant). En anglais le Levant s’écrit al-Sham d’où le sigle HTS.

    A leur tête, un homme, Ahmed Hussein al-Chara qui se faisait appeler jusque là par un nom de guerre : Abou Mohammed al-Joulani.

    Ahmed al-Chara est le fils d’un économiste, acquis aux idéaux de la gauche nationaliste arabe. Il suivra un chemin différent de son père. Il abandonnera des études de médecine pour poursuivre le jihad, la guerre sainte musulmane.

    Il quitte l’université de Damas et se rend à Bagdad pour faire allégeance à Al-Qaïda en Irak, dirigé par Abou Moussab Al-Zarqaoui. Il fera de la prison dans les geôles de l’armée américaine. Quand il sort de prison il se rapproche d’Abou Bakr al-Baghdadi le fondateur de l’Etat islamique, c’est-à-dire Daesh.

    Et c’est au nom de Daesh qu’il retourne en Syrie où il fondera le Front al-Nosra le 23 janvier 2012. Il rompt avec Abou Bakr al-Baghdadi pour se rapprocher d’Al Qaïda.

    En 2016, le Front al-Nosra annonce qu’il rompt aussi avec al-Qaïda et il prend le nouveau nom avec lequel on le connait aujourd’hui. Il a donc poursuivi un chemin dans lequel il s’est affilié successivement au pire des islamistes

    Dans la partition de la Syrie, son mouvement s’implantera à Idlib et sa région. Il y appliquera la charia de stricte obédience.

    Il acceptera le parrainage du président turc Erdogan proche des frères musulmans pour prendre le pouvoir à Damas.

    Donc en Syrie, c’est aussi les islamistes qui gagnent à la fin ! 

    Beaucoup dénoncent la responsabilité de l’Occident. C’est vrai en partie. En Irak, la guerre déclenchée par G.W. Busch a eu une responsabilité directe dans la création de Daesh.

    En Syrie c’est plus compliqué, l’Occident a surtout brillé son inaction, mais c’est bien la Russie et l’Iran qui ont aidé Bachar El Assad à combattre les forces démocratiques et la Turquie qui en se battant contre les Kurdes, seuls à combattre réellement l’État islamique, qui sont les principaux responsables de ce désastre.

    En Égypte et en Algérie, le rôle de l’Occident est vraiment ténu. Dans ces deux pays quand des élections libres ont donné la parole au peuple, celui-ci a choisi des islamistes.

    Ainsi si les occidentaux doivent assumer leur responsabilité, les musulmans de ces pays ne peuvent pas être exonérés de toute responsabilité dans le développement de la part la plus archaïque et la plus brutale de leur religion.

  • Vendredi 6 décembre 2024

    « Ça va très mal finir !»
    Nicolas Sarkozy à propos de la présidence Macron en octobre 2017

    Dès octobre 2017, soit 4 mois après l’élection d’Emmanuel Macron, Nicolas Sarkozy avait émis ce jugement sur le parcours présidentiel de Macron. Vous trouverez cette information dans « Le Point » ou « L’Express ». Cette phrase a été prononcée 1 an avant le début du mouvement des gilets jaunes.

    Et, après ce mouvement, après la pandémie du COVID 19, après les guerres d’Ukraine et de Gaza, après une réélection en 2022 sans campagne, sans débat, uniquement pour éviter le Rassemblement National et enfin une dissolution en 2024 donnant une chambre ingouvernable, ces propos inquiétants rencontrent une situation politique que nous voyons dégénérer devant nous.

    Nicolas Sarkozy avait donné les raisons de ce jugement :

    « Il n’a pas d’emprise sur le pays. Il ne s’adresse qu’à la France qui gagne, pas à celle qui perd. Il est déconnecté. »

    Emmanuel Macron a, en effet, une responsabilité immense dans la situation actuelle.

    D’abord il a échoué à réaliser sa promesse de faire reculer l’extrême droite au cours de son mandat. Ces 7 ans n’ont été qu’une progression inexorable du rassemblement national, conséquence de la montée des colères, des exaspérations et même de la haine à l’égard du Président de la République.

    Macron en 2017Probablement est-il utile de rappeler, ce que le candidat élu, après une longue marche solitaire au milieu de la cour Napoléon du palais du Louvre, va promettre, le 7 mai 2017, à ses partisans dans la joie de son triomphe et aux français dans l’attente d’une nouvelle ère :

    « Je sais nos désaccords, je les respecterai mais je resterai fidèle à cet engagement pris : je protégerai la République. […]
    Je ferai tout dans les cinq années qui viennent pour qu’ils n’aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes.[…]
    Je le sais, la tâche sera dure, je vous dirai à chaque fois la vérité, mais votre ferveur, votre énergie, votre courage toujours me porteront. (…) Je rassemblerai et réconcilierai parce que je veux l’unité de notre peuple et de notre pays. […]
    Et enfin mes amis, je vous servirai. Je vous servirai avec humilité, avec force. Je vous servirai au nom de notre devise : liberté, égalité, fraternité. Je vous servirai dans la fidélité de la confiance que vous m’avez donnée. Je vous servirai avec amour. »

    Chacun jugera de la distance entre les promesses et la réalité du pouvoir exercé par ce jeune homme parvenu au sommet de l’État à 39 ans.

    Depuis ce jour de mai 2017, il a eu souvent des propos maladroits, blessants, méprisants rendant son pouvoir encore plus insupportable à beaucoup.

    Il a aussi échoué à rétablir les comptes publics, à éviter la dégradation de la balance commerciale et l’augmentation de la dette. Il n’a pas pu faire cesser la politique du « quoi qu’il en coûte » à temps. Et il a laissé le déficit public déraper en 2024 sans réagir ni sur les dépenses, ni sur les recettes. Le déficit, pour lequel la prévision annonçait 4,4 %, ce qui était déjà trop élevé par rapport à l’engagement de 3%, dépasse les 6 % en 2024.

    Il n’a pas réagi, le nouvel Obs le raconte dans son article du 3 décembre 2024 : « Les trois fautes de Macron » :

    « Le premier acte se noue le 8 avril 2024. Le chef de l’État participe, contrairement à son habitude, à la réunion des présidents de groupes de la majorité qui se tient tous les lundis à l’Elysée. « J’entends parler de projet de loi de finances rectificative. Je n’en vois pas l’intérêt. » Puis, au sujet des pistes d’économies réclamées par son ministre Bruno Le Maire : « Il ne faut pas que ça soit la foire à la saucisse. » […] Alors que depuis la fin de 2023, la direction du Trésor alerte sur une baisse inquiétante des recettes et un déficit qui dérape dangereusement, le président décide… de ne rien faire. Les élections européennes s’approchent, il ne faut surtout pas inquiéter les électeurs qui pourraient se détourner du parti présidentiel. Au lieu d’intervenir en urgence, Emmanuel Macron procrastine. Pendant ce temps, les finances publiques flambent.»

    Cette première erreur va en entraîner une seconde, il va prendre la décision de dissoudre la chambre des députés, le soir des élections européennes catastrophiques pour son camp. Il ne veut probablement pas affronter le débat budgétaire de la fin de l’année, avec sa majorité relative et la révélation de ce dérapage budgétaire.
    Beaucoup explique qu’il ne pensait pas que les partis de gauche, qui s’étaient déchirés et insultés au cours de la campagne européenne, puissent se réconcilier et présenter un front uni, indispensable pour gagner dans un mode de scrutin uninominal à deux tours. Peut être aussi, c’est une hypothèse personnelle, espérait t’il secrètement une victoire du rassemblement national qui aurait, selon toute vraisemblance, devant la difficulté de la tâche et son manque de compétence évidente, perdu  de sa crédibilité et son principal argument pour gagner les présidentielles : les français n’avaient jamais essayé son programme jusque là.

    Lors de ces élections législatives, les français se sont mobilisés et la gauche est arrivée unie aux élections.

    L’assemblée qui a été élue est fracturée en 3 blocs à peu près équivalent : La Gauche (NFP) 33% le Bloc central macroniste 29%, l’Extrême Droite 25%, avec une quatrième force, beaucoup plus faible, la droite LR 8%. Chaque bloc refuse de faire alliance avec aucun des deux autres. Les blocs de gauche et central sont même très divisés en leur sein.

    Finalement Emmanuel Macron va aussi échouer dans le domaine économique dont pourtant lui-même et ses partisans prétendaient qu’il constituait le point fort de son mandat.

    Il a accentué la politique de l’offre qui avait été initié par Hollande. Cette politique repose sur l’idée qu’on peut favoriser la croissance en créant un cadre fiscal et normatif très favorable aux entreprises, ce qui leur permet d’être plus compétitive, rentable, d’investir et in fine de créer de l’emploi.

    Cette politique de fiscalité très arrangeante pour les entreprises diminue beaucoup les recettes de l’État sauf si un surcroit important de croissance les augmente en volume bien que les taux soient plus faibles. Cela n’est pas arrivé et aujourd’hui les plans de licenciement sont d’une ampleur telle que le chômage est de nouveau en train de repartir à la hausse.
    La responsabilité d’Emmanuel Macron dans cette situation désastreuse d’une France qui s’enfonce dans la crise, de services publics qui se détériorent, avec un déficit abyssal, une dette qui ne sert pas à investir mais à payer les frais de fonctionnement, une crédibilité internationale de plus en plus faible, est immense.
    Mais il n’est pas seul responsable, les députés qu’ils soient de son camp comme de l’opposition de gauche ou d’extrême gauche ont aussi une responsabilité énorme. Comment ne pas être choqué par le sourire narquois de Mélenchon en train d’assister, dans les tribunes du palais Bourbon, à la chute de Barnier et qui ne veut aucun compromis, mais espère des présidentielles anticipées qu’il pense pouvoir gagner. Marine Le Pen est dans un état d’esprit similaire. Et les chefs des différents partis du bloc central comme de la droite LR sont aussi, avant tout, préoccupés des élections futures et non de la situation des français et de la France.
    Incapable de discuter, de débattre. Chaque fois qu’un plateau de télévision présente deux députés d’un camp différent, il n’y a qu’invectives et dialogue de sourd.
    Ce n’est pas une élection présidentielle qui règlera ce problème d’une France divisée en trois et demi et qui ne sait plus se parler, ne sait plus faire société ensemble et se réfugie largement dans le déni des contraintes et des contradictions auxquelles la France doit faire face.

  • Jeudi 28 novembre 2024

    « Il était tétanisé et son visage est devenu très pâle lorsqu’il a réalisé que l’équipage du DC-10 était complètement noir »
    Simon Diasolua parlant de Mohammed Ali alors qu’il avait pour mission de piloter l’avion qui devait emmener le boxeur au Zaïre

    C’est une histoire que j’ai lue dans le numéro du Nouvel Obs qui célébrait les 60 ans de l’hebdomadaire créé par Jean Daniel.

    Le Nouvel Obs pour fêter ses 60 ans, s’est offert 60 éclats de joie partagés par des personnalités. Parmi ces articles qui fêtaient le pouvoir de la joie, j’ai été particulièrement marqué par celui de l’écrivaine camerounaise Hemley Boum : « Quand Mohamed Ali a découvert que le pilote de son avion était noir… ».

    Cet épisode a été aussi décrit sur le site de RTL Info : « Nos destins se sont croisés avant le combat du siècle à Kinshasa ».

    Je pense que tout le monde connaît Mohammed Ali, probablement le plus grand boxeur de l’Histoire. Mais il fut aussi un militant de la cause noire luttant contre les injustices et les humiliations qui étaient infligées à ses frères de couleur par le pouvoir et la domination blanche.

    Il refusa notamment à aller se battre dans l’armée américaine au Viet-Nam. Lorsqu’on lui reprocha son attitude, il répondit :

    « Aucun vietcong ne m’a jamais traité de nègre »

    En 1974, il devait se rendre au Zaïre affronter George Foreman pour reconquérir le titre mondial qui lui avait été retiré en raison de son refus d’aller se battre au Viet-Nam.

    Pour s’y rendre, un avion d’Air Zaïre avait été mis à sa disposition. Cet avion était piloté par des africains. Le commandant de bord était Simon Diasolua.

    Simon Diasolua Zitu, né à Léopold ville (actuellement Kinshasa), le 14 Novembre 1942, est l’un des deux premiers pilotes Congolais en 1965. Il fut pilote de ligne pendant 37 ans, puis instructeur pilote DC-10, il a également occupé le poste d’Administrateur Directeur des Opérations au sein de la compagnie aérienne étatique Air Zaïre. Expert en enquêtes d’accidents et Consultant en aéronautique. Il a écrit ses mémoires dans un livre intitulé « Entre ciel et terre, Confidences d’un pilote de ligne congolais » paru aux éditions Le Harmattan en 2014.

    Et dans ce livre il conte sa rencontre avec Mohamed Ali en 1974 :

    « Nos destins se sont croisés un mois et demi avant le combat du siècle à Kinshasa. J’étais pilote pour la compagnie Air Zaïre, qui était à l’époque la compagnie aérienne nationale de la République démocratique du Congo. Je devais piloter l’avion que Mohamed Ali allait prendre pour se rendre à Kinshasa. Le boxeur allait affronter George Foreman »

    Les deux hommes ont été présentés lors de la conférence de presse que l’Américain donnait à l’aéroport français. Lorsqu’il a entendu que Simon allait être son pilote, il n’a pas caché sa surprise en comprenant que l’équipage du vol était « noir ».

    « Il m’a dit qu’il était fier et étonné d’être piloté par un équipage noir. »

    Au moment de l’embarquement, les pilotes ont accepté que Mohamed Ali s’installe avec eux dans le cockpit, les consignes de sécurité étaient beaucoup plus souples à l’époque. Mais lorsque le boxeur est entré, il est resté figé quelques instants.

    « Il était tétanisé et son visage est devenu très pâle lorsqu’il a réalisé que l’équipage du DC-10 était complètement noir. »

    Mohamed Ali lui a lancé, inquiet :

    « Il n’y a pas de blanc ? Je croyais que c’était une blague. »

    Le pilote, amusé par la situation, lui a confirmé que toutes les personnes de l’équipage étaient noires. Ensuite, il a demandé au boxeur de s’installer et de mettre sa ceinture.

    « Je comprenais sa surprise. J’avais fait un entrainement sur DC-10 en Californie l’année d’avant et les Américains me demandaient si j’étais un vrai pilote. Comme eux, Mohamed Ali était surpris de voir un homme noir aux commandes d’un avion car il n’en avait jamais vu. Je ne lui en voulais pas, bien au contraire. »

    Je trouve absolument édifiant que même un homme comme Mohamed Ali, défenseur acharné de la cause noire, de la lutte contre la discrimination contre les noirs, puisse avoir une telle réaction de défiance parce que la situation qui se présente à lui est en dehors de ses schémas mentaux, de ce que la vie jusqu’à ce moment lui avait prescrit : les blancs savent piloter des avions, pas les noirs….

    Simon Diasolua va parvenir par sa compréhension de la situation et son calme à rassurer le boxeur et à changer son appréhension en fierté. Quand Mohammed Ali débarque à Kinshasa, il déclare aux journalistes qui l’attendent  :

    « C’est un sentiment de liberté que je n’ai pas ressenti depuis longtemps. Ce n’est pas rien de voler dans un avion piloté par des Noirs, non ?
    C’est vraiment étrange pour nous les Afro-Américains. Nous n’aurions jamais pu imaginer une chose pareille !
    A chaque fois que nous regardons la télé, on nous montre Tarzan et les Indigènes et la jungle. On ne nous parle jamais des Africains qui sont plus intelligents que nous ne le sommes. Ils parlent anglais, français et africain. »

    Deux ans plus tard, Simon a croisé le sportif par hasard à l’aéroport de Los Angeles. Lorsque l’Américain l’a reconnu, il a crié :

    « My pilot ! »

  • Lundi 18 novembre 2024

    «N’importe qui ! Même un affabulateur, un menteur, un escroc, un violeur ! Tout sauf une femme !»
    Une invitée d’une émission consacrée à l’élection de Donald Trump comme 47ème président des États-Unis

    Le monde est tellement compliqué que l’ambition de le comprendre est peut être hors de notre portée. J’ai renoncé à conserver en exergue de mon blog cette phrase que Guillaume Erner avait prononcée lors de la première matinale de France Culture qu’il avait animée : « Comprendre le monde c’est déjà le transformer ».

    Il faut probablement être beaucoup plus humble. A ce stade, la parole de sagesse de Rachid Benzine écrite dans son livre « Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ? » semble plus appropriée à la situation : « Le contraire du savoir, ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes. »

    L’ignorance, dans la mesure où elle est comprise et intégrée, constitue une connaissance précieuse : je sais que je ne sais pas. Dans l’Apologie de Socrate, Platon a rapporté ce propos de son maître en philosophie : « Ce que je ne sais pas, je ne pense pas non plus le savoir ! »

    Dans son expression publique, Donald Trump semble très éloigné de cette connaissance.

    Comment dialoguer avec quelqu’un qui est figé dans ses certitudes ?

    Comment vivre en démocratie et organiser le dissensus entre citoyens avec des gens pétris de certitudes ? Je n’ai pas la réponse à cette question.

    Donald Trump et ses partisans sont dans cette dérive. Lui qui considère que le réchauffement climatique est une blague. En 2020, visitant la Californie, ravagée par des incendies violents et meurtriers, Donal Trump a nié l’impact du changement climatique sur les phénomènes d’incendies et a déclaré :

    « Ça finira par se refroidir, vous verrez. »

    Lorsqu’un responsable local de l’agence de protection des ressources naturelles de Californie, à Sacramento lui répond : « J’aimerais que la science dise cela » le président a rétorqué :

    « Je ne pense pas que la science sache vraiment. »

    Nous sommes entrés dans un monde où la vérité est une opinion parmi d’autre et où un homme, sans étude scientifique,  se croit autorisé de contester l’avis de professeurs spécialisés dans le domaine où ils interviennent.

    En 2024, Donald Trump persiste et a inventé un slogan qu’il a entonné à de multiples reprises au cours de sa campagne, et qu’il a encore répété lors de son discours de victoire :

    « Drill, baby, drill ! » (« Fore, bébé, fore »).


    Dans un article du « Nouvel Obs » nous pouvons lire :

    « « On va forer [du pétrole] comme des malades ! », a promis le magnat aux électeurs américains. « Nous avons plus d’or liquide que n’importe quel pays dans le monde. Plus que l’Arabie saoudite ou la Russie », s’est-il encore félicité dans son discours de victoire, en référence au pétrole et au gaz. « Pendant la campagne, il n’a eu de cesse de dire qu’il fallait “réparer l’économie américaine” en offrant l’énergie la moins chère du monde, et donc en accélérant notamment la fragmentation hydraulique en vue de produire des gaz de schistes », observe Pierre Blanc, professeur à Sciences-Po Bordeaux et Bordeaux Sciences Agro. »

    Deux documentaires, d’une heure chacun, publiés par Public Sénat montre ce que fut la première présidence de Donald Trump par celles et ceux qui l’ont vécu au plus près « America First, partie 1 – L’Europe doit payer » et « America First, partie 2 – L’ennemi au Moyen-Orient ». C’est affligeant ! Affligeant dans la prise de décision, dans l’argumentation pour répondre aux partenaires, dans le manque de maîtrise des dossiers et des procédures. Pourquoi Donal Trump a t’il à nouveau gagné, jusqu’au vote populaire ?  :

    Beaucoup d’analyses ont considéré que le triomphe de Trump était avant tout économique : C’est le pouvoir d’achat des américains dans leur quotidien et aussi pour leur achat de logement qui s’est dégradé pendant la présidence Biden. Tous les économistes nous racontaient que la politique économique de Biden était remarquable. Je prends pour exemple cet article du Monde : « America is back » :

    « A huit mois de l’élection présidentielle, le tableau économique est reluisant. […] le chômage est au plus bas ou presque avec un taux de 3,7 % de la population active ; les salaires réels augmentent, notamment au bas de l’échelle ; le pays produit plus de pétrole que jamais, finance un immense plan d’investissement dans l’énergie et les microprocesseurs, et se lance à corps perdu dans l’intelligence artificielle, ce qui fait s’envoler Wall Street. Plus personne ne parle de stagnation séculaire comme dans les années 2010, tandis que le mot « Rust Belt », ceinture de la rouille, nommant les Etats désindustrialisés ayant fait l’élection de Donald Trump en 2016, a disparu des journaux. Premier constat, l’Amérique redevient plus industrielle. Donald Trump en avait rêvé, Joe Biden l’a fait. »

    L’article du Monde évoquait bien l’inflation mais pour souligner que Biden était arrivé à la faire diminuer lors des derniers mois. Il semble que nombre d’électeurs américains ont eu une vision différente. Ce décalage arrive quand on donne trop d’importance aux chiffres macroéconomiques et aux moyennes et qu’on ne regarde pas la vie réelle des gens.

    D’autres analyses ont insisté sur le sujet de l’immigration qui a déferlé sans maîtrise sur les Etats-Unis pendant la présidence Biden. Enfin d’autres ont considéré que le vote Trump était aussi un vote anti woke qui était défendu par l’aile gauche du Parti démocrate. Probablement qu’il est nécessaire de convoquer toutes ces causes pour expliquer l’élection de cet histrion dangereux qu’est Donald Trump. Mais Thomas Snégoroff y a ajouté une supplémentaire : le masculinisme.

    Et lors d’une des nombreuses émissions que j’ai écoutées depuis le 5 novembre, j’ai entendu une intervenante tenir ces propos « N’importe qui ! Même un affabulateur, un menteur, un escroc, un violeur ! Tout sauf une femme !».

    Force est de constater que Trump a perdu une fois contre un homme et a gagné deux fois, chaque fois, contre une femme.

    Quand on compare le résultat des démocrates sur 4 ans Kamela Harris a perdu 7,5 millions d’électeurs par rapport à Biden. Et puis le vote des hommes hispaniques a progressé de 18 % en faveur de Trump entre 2020 et 2024. Cette population réputée plus conservatrice peut aussi apparaître comme un signe de ce vote « genré ».

    Mais c’est dans l’émission « C Politique » de France 5 du dimanche 17 novembre que cet aspect du vote du 5 novembre a été le mieux contextualisé. Elon Musk est un libertarien, mais l’intellectuel qui l’influence est Peter Thiel, fondateur de Paypal et lui soutient Donal Trump depuis sa première candidature en 2016. Il est aussi l’inspirateur déclaré de Cyrus Vance le vice Président élu. Or cet homme a écrit qu’il ne croyait plus en la démocratie depuis que les femmes avaient obtenu le droit de vote. C’est aussi écrit sur sa page Wikipedia.

    J’ai trouvé sur le site le « Grand Continent » une page consacrée aux écrits de cet homme né en 1967 à Frankfort sur le Main et sur laquelle on peut lire :

    « Je ne crois plus désormais que la liberté et la démocratie sont compatibles. […] Les années 1920 furent la dernière décennie dans l’histoire américaine où l’on pouvait être parfaitement optimiste à propos de la politique. Depuis 1920, l’augmentation considérable des bénéficiaires de l’aide sociale et l’extension du droit de vote aux femmes – deux coups notoirement durs pour les libertariens – ont fait de la notion de « démocratie capitaliste » un oxymore. »


    C’est à la fois extrêmement inquiétant pour la démocratie et bien sûr une attaque en règle contre les femmes. Il me semble donc qu’il ne faut pas sous estimer cette dimension du vote Trump : surtout pas une femme !

  • Mercredi 6 novembre 2024

    « Les nouvelles sont comme les feuilles d’automne. »
    Christian Bobin « Tout le Monde est occupé »

    Donald Trump a été élu 47ème président des Etats-Unis et nous sommes en automne.

    En automne, nous sommes subjugués par la beauté des couleurs des arbres : dorées, orangées et rouges.

    En outre, les feuilles se détachent des branches et virevoltent jusqu’au sol qu’elles recouvrent d’un tapis humide et parfumé.

    La flamboyance de ces couleurs est un vrai enchantement.

    J’ai lu un article sur le site de France 3 Occitanie concernant ce sujet et qui tente d’expliquer ce phénomène. C’est cet article que je souhaite partager aujourd’hui : « Pourquoi les arbres s’illuminent en automne ? »

    La feuille d’un arbre est un capteur solaire. Les arbres transforment la lumière du soleil en énergie et en nutriments, notamment des glucides, par un mécanisme appelé photosynthèse.

    En automne, l’ensoleillement diminue : l’arbre se met alors au repos et va vivre au ralenti. Quand les températures chutent, la sève ne circule plus. Les arbres à feuilles caduques, en opposition aux conifères, perdent leur feuillage en automne.

    Ce phénomène se produit quand les conditions de la photosynthèse ne sont plus là. Il est directement lié à la diminution de la durée du jour.

    Quand la durée des journées diminue, la photosynthèse est moins efficace. Pour l’arbre, la dépense énergétique pour maintenir ses feuilles devient alors trop lourde et il va s’en débarrasser.

    Mais avant cela, les feuilles doivent dépérir. A la baisse de l’ensoleillement et des températures, l’arbre va boucher ses vaisseaux de sève et petit à petit, les pigments de chlorophylle vont disparaître.

    Un représentant du conservatoire botanique explique :

    « Les pigments jaunes et orangés étaient déjà présents, mais il ne reste qu’eux. Le vert s’estompe et fait ainsi place à ces couleurs extraordinaires. Ce faisant, l’arbre récupère tous les sucres possibles et tombe en dormance. Les quantités de pigments varient d’une espèce à l’autre, d’une feuille à l’autre, selon l’exposition au soleil. Le pigment rouge, lui, par contre n’était pas présent dans la feuille. Il apparaît avec l’arrivée du froid sur certains érables ou les chênes rouges par exemple ».

    L’article explique aussi que l’automne est une période essentielle pour l’arbre qui va assimiler les réserves de sucre accumulées au cours de l’été et les stocker. Il va grandir et mettre en réserve des nutriments dans ses parties souterraines. Ainsi, les racines se développent en hiver. C’est de ce processus que s’inspire le proverbe « À la Sainte-Catherine, tout arbre prend racine ». La sainte Catherine qui se fête le 25 novembre.

    En outre, les feuilles qui tombent à terre se décomposent par l’action des insectes et des vers de terre. Les champignons assimilent et décomposent aussi la matière. Et au fur et à mesure, la microfaune du sol, avec les acariens notamment, mais aussi toutes sortes de microorganismes, produit du compost disponible pour les racines.

    Je redonne le lien vers cette explication automnale : « Pourquoi les arbres s’illuminent en automne ? ».

    Sur le site de l’Office National des Forêts, une autre page donne des explications : « Quelle est l’influence de l’automne sur l’arbre ? ».

    La phrase complète de Christian Bobin dont j’ai extrait l’exergue est la suivante : « Les nouvelles sont comme les feuilles d’automne. Le vent qui les porte les malmène. »

  • Mardi 5 novembre 2024

    « Trump n’est que le symptôme d’une crise plus profonde »
    Gérard Araud

    Nous sommes le mardi qui suit le premier lundi de novembre, quatre ans après la dernière élection présidentielle américaine.
    Ce jour-là a lieu la nouvelle élection présidentielle américaine. Il est plus juste de dire que c’est le dernier jour de l’élection puisque nombre d’américains ont déjà voté par anticipation. En effet, sur les quelque 244 millions d’Américains appelés aux urnes pour l’élection présidentielle, 78 millions, soit 31,9 %, avaient déjà voté de manière anticipée à la date du 3 novembre, selon les données de l’université de Floride. Le vote par anticipation – qu’il soit en personne ou par correspondance – permet aux Américains d’exprimer leur suffrage plus tôt. Cette option est valable dans tous les États du pays, mais la date d’ouverture du vote anticipé varie beaucoup d’un État à l’autre : il peut débuter jusqu’à cinquante jours avant l’élection, ou seulement cinq jours avant.

    Cela peut paraître curieux, pour nous français qui avons l’habitude de voter le dimanche, de fixer le jour officiel de l’élection, un mardi.

    Cela montre toute la différence entre la France laïque et les Etats-Unis otages des bondieuseries. Car le dimanche est le jour sacré des chrétiens, il ne saurait être question pour les américains croyants de « souiller » ce jour dédié à dieu pour une simple raison profane d’organisation du pouvoir terrestre. Alors qu’en France, notre révolution a conduit à considérer « sacré » la République. Nous avons donc pris, sans vergogne, le jour sacré des religieux pour organiser le vote qui se déroule dans les locaux de notre temple sacré : « L’école ».

    Mais « Ouest France » nous en dit davantage sur ce mardi de l’élection.

    La toute première élection présidentielle américaine se tient le 7 janvier 1789, un mercredi. Ce jour-là, les grands électeurs se réunissent pour désigner le président George Washington. Trois ans après, en 1792, une loi est votée pour fixer officiellement les règles de l’Election Day. Elle prévoit que la réunion des grands électeurs prenne place aussi le mercredi, mais cette fois-ci le premier de décembre.

    Les différents États doivent alors élire leurs représentants dans les 34 jours avant cette date.
    Les élections se déroulent donc en novembre, comme aujourd’hui. Et pour une raison purement pratique : à cette période, les moissons sont terminées, condition primordiale dans la société rurale de l’époque. Autre raison : cette période précède les tempêtes hivernales du Nord-Est des États-Unis, qui auraient empêché certains électeurs de se déplacer.

    Un problème se pose cependant : comme chaque État vote à un moment différent, les résultats des voisins commencent à influencer les électeurs, à mesure que les moyens de communication se développent. Une date unique est donc instituée en 1845 : le mardi suivant le premier lundi de novembre.

    Pourquoi un mardi ? Car contrairement à la France, il est hors de question que le jour du seigneur des chrétiens, le dimanche, soit perturbé. On écarte donc le dimanche, mais aussi le lundi, car cela aurait contraint certaines personnes à voyager le dimanche pour voter à temps. Le vote officiel des grands électeurs a pour sa part toujours lieu en décembre. Aujourd’hui, c’est donc toujours cette même règle qui est appliquée. Les électeurs se rendent aux urnes un mardi, entre le 2 et le 8 novembre, selon les années.

    Nous savons que les américains n’élisent pas directement leur président mais élisent des Grands électeurs disposant d’un mandat impératif les obligeant à voter, lors de la réunion du collège des grands électeurs, pour le candidat dont ils ont porté les couleurs.
    J’ai tenté d’expliquer ce mécanisme lors d’un mot du jour qui faisait une analyse assez détaillée de l’élection précédente dans laquelle Biden avait battu Trump : « Des chiffres et des électeurs. ».
    Je rappelle les points saillants de cette analyse assez dérangeante :

    • L’affirmation péremptoire que Biden a battu nettement Trump au vote populaire se heurte à la réalité que cet écart s’explique par le vote de deux Etats : la Californie et de New York. En effet ces deux états cumulés représentaient un avantage pour Biden de 7 096 598 voix, c’est-à-dire un nombre de voix supérieur à la différence observée au niveau national.
    • Si on élargit un peu la focale à 6 Etats en ajoutant aux deux premiers l’Illinois (Chicago), le Massachusetts (Boston), le Maryland (Baltimore) et aussi le District of Columbia qui même si la démographie en est plus modeste, présente la particularité d’abriter la capitale : Washington, l’avantage pour Biden monte à 10,5 millions d’électeurs.
    • Ces 6 Etats représentent 25% des électeurs américains, dès lors, l’ensemble des 44 autres Etats qui représentent donc 75% des électeurs ont voté pour Trump et lui ont donné un avantage de 3,5 millions d’électeurs pour un score relatif de 51,5% à 48,5%.
    • Enfin concernant les grands électeurs, j’ai pu démontrer que l’inversion du vote de 21 459 électeurs de Biden vers Trump, c’est-à-dire 0,014% du corps électoral, aurait conduit à un match nul 269 grands électeurs chacun.

    Je finissais cet article sur la question de savoir comment expliquer qu’autant d’américains aient voté pour Trump bien qu’ils l’ait vu à l’œuvre pendant 4 ans.

    J’osais cette nuance : L’explication simpliste est que 74 000 000 d’américains sont des extrémistes ou des ignorants. La réalité est certainement plus complexe.

    Nous sommes 4 ans plus tard, Trump a incité certains de ses partisans à monter à l’assaut du Capitole dans une insurrection qui a stupéfié le monde, il a été condamné pour des faits dans lesquels il montre une attitude qui devrait horrifier tous les évangélistes qui votent pour lui, c’est-à-dire 50% de ses électeurs, il est poursuivi pour d’autres délits, pendant toute la campagne il a tenu des propos d’une violence, d’un esprit de vengeance, d’une volonté de s’attaquer aux institutions démocratiques (« je serais dictateur une journée », « après vous n’aurez plus besoin de voter »), des documents sérieux montrent ses liens étroits et surprenants avec la Russie de Poutine …

    Et pourtant, il est tout à fait possible qu’il redevienne Président des Etats-Unis. A celles et ceux qui s’interrogent s’il pourra briguer un nouveau mandat dans 4 ans, la réponse est négative. Seuls deux mandats sont tolérés, ils peuvent être successifs ou disjoints.
    Comment expliquer cela ?

    Gérard Araud, ancien ambassadeur de France à Washington expliquait déjà en 2021 : dans un article de 2021 : «Trump n’est que le symptôme d’une crise plus profonde». Il existe un malaise au sein de la classe moyenne américaine :  .

    « Le génie [de Trump] a été de comprendre en 2016 l’existence d’un malaise américain que personne n’avait vu venir, car les résultats macro-économiques à la fin du mandat d’Obama étaient bons. Il a su parler aux oubliés, et son génie fut aussi d’arriver à continuer à être leur voix durant son mandat sans être récupéré par les républicains «classiques» qui pensaient pouvoir le manipuler. Cette rébellion est toujours là, et restera. »

    Il faut comprendre que la démocratie libérale n’est possible que s’il existe une grande classe moyenne qui la fait vivre et qui est content de son sort ou au moins a l’espoir raisonnable que son avenir et celui de leur enfants seront meilleurs :

    « Il y a deux cause possibles à cette rébellion . La première est économique. En effet, si quarante ans de néolibéralisme auront permis aux pays émergents de sortir de la pauvreté, les classes moyennes inférieures ainsi que la classe ouvrière des sociétés occidentales auront vu leur niveau de vie stagner, voire diminuer. Ce phénomène a provoqué une hausse du chômage et un accroissement des inégalités. Ce n’est pas un hasard si la révolte touche particulièrement le Midwest où le chômage, lié à la désindustrialisation, est fort. » .

    La mondialisation et le libre échange ont eu des conséquences sur les classes moyennes occidentales non réfléchies par les élites qui ne voyaient que « la mondialisation heureuse ». Ce déclassement économique est certainement premier dans le malaise.

    « La seconde est identitaire. La majorité des électeurs de Trump sont des hommes blancs ; plus de 60 % des hommes blancs ont voté pour lui. Sur fond de changement démographiques, l’Amérique blanche sent qu’elle perd le pouvoir. De ce point de vue, le trumpisme peut apparaître comme le baroud d’honneur de cette Amérique-là. » .

    Il me semble qu’il existe une autre dimension que Gérard Araud n’aborde pas: c’est le recul de l’hégémonie occidentale sur les affaires du monde. Un monde qui conteste de plus en plus le leadership américain.

    Probablement de manière assez confuse, car les américains moyens ne sont pas connus pour leur vision géopolitique, mais le fait que l’homme occidental soit contesté dans le monde est certainement aussi un élément du malaise. A cela s’ajoute, aux États-Unis, une immigration massive non régulée, non accueillie qui heurtent profondément les américains qui voient des tentes et des squats s’installer de plus en plus nombreux dans leurs villes.

    Enfin, il y a aussi, à l’intérieur de la société, des fractures sociétales provoquées par des démocrates délaissant les intérêts et les valeurs  de la classe moyenne pour entrer dans un progressisme de plus en plus rapide, intolérant à ceux qui pensent différemment pour s’abimer dans le communautarisme, dans des luttes sectorielles où chaque particularité est mis en avant : .

    « Les démocrates de leur côté n’utilisaient pas de message national, ils demandaient, pour simplifier aux noirs de voter pour leur camp simplement en raison de leur couleur de peau ! Cela n’a pas vraiment changé. Quand on regarde leur vision de la constitution du gouvernement américain, nous avons l’impression que c’est une répartition avec deux noirs, deux latinos, six femmes et un gay. C’est d’ailleurs présenté comme cela dans la presse. On peut se demander quel est le message national des Démocrates… Les démocrates ne voient plus les citoyens américains qu’à travers leurs identités. La «cancel culture» dans les universités, même si elle reste extrêmement minoritaire, exacerbe ce phénomène. S’il y a un bon exemple des erreurs des Démocrates, c’est la question des transgenres. Si l’on doit le respect à ces derniers, ils ne représentent qu’une infime minorité de la population. En faire un sujet national n’était sans doute pas un bon calcul. » .

    Et maintenant, on constate que des latinos et des noirs, surtout les hommes, commencent à voter de plus en plus pour Trump. Je pense que des évolutions sociétales que la Gauche démocrate défend avec ce sentiment d’un combat du bien contre le mal heurtent profondément le conservatisme de ces populations pour qui tout cela va trop vite et trop loin. Trump a su avec ruse et intuition capter ce malaise pour nourrir sa quête du pouvoir. Désormais, pour des raisons électorales il est allé jusqu’à flatter les franges les plus réactionnaires de son électorat qui sont anti-avortement, anti-LGBT, anti-féministe. Ces minorités ne pourraient pas imposer ainsi leurs idées, s’il n’existait pas dans une plus large partie de la population les malaises économiques, les malaises identitaires et les malaises sociétaux .

    Je pense qu’en Europe et en France nous sommes sur la même voie, d’un malaise profond de la société auquel prétendent répondre des forces illibérales, des extrêmes droite contre lesquelles la gauche largement dans le déni des problèmes qui se posent, n’a comme seule réponse la diabolisation de l’adversaire et la fuite en avant.

    Quand il y a un terrain fertile, des Trump peuvent pousser.

  • Mardi 22 octobre 2024

    « Une nation a solennellement promis à une seconde le territoire d’une troisième. »
    Arthur Koestler

    Heureusement qu’il y a Jean-Louis Bourlanges pour oser monter au créneau et dire simplement, à la fin de l’émission du « nouvel esprit public du 20 octobre 2024 » :

    « J’ai été très frappé, de l’atmosphère de dénonciation indignée qui a accueilli un propos du Président de la République qui me paraissait très franchement tout à fait ordinaire et normal. […] De rappeler qu’Israël est un produit de la communauté internationale et qu’il a été créé par une résolution de l’ONU ne me parait ni faux, ni attentatoire à la dignité de ce pays. Je crois que c’est plutôt le signe de la culpabilité profonde de ladite communauté internationale à l’égard du peuple juif qui a été massacré par les nazis dans un climat d’indifférence assez général des Alliés. […] Cela ne sous-estime pas le rôle des forces armées d’Israël dans la protection de [l’Etat].
    Il s’agit là d’une indignation tout à fait inopportune ! »

    Au départ il y a une déclaration d’Emmanuel Macron, lors du conseil des ministres du mardi 15 octobre, qui était tenue à usage interne et qui n’aurait pas dû être rendu public.

    Ces propos sont les suivants :

    « Nétanyahou ne doit pas oublier que son pays a été créé par une décision de l’ONU […] Et par conséquent ce n’est pas le moment de s’affranchir des décisions de l’ONU »

    Si on veut juridiquement être exact, il ne s’agit pas d’une « décision » mais d’une « résolution », qui porte le numéro 181 et qui propose le partage de la Palestine entre un État juif et un État arabe et un statut particulier et international pour Jérusalem.

    Cette proposition sera adoptée le 29 novembre 1947 à la majorité des 2/3.

    Sans cette résolution, la Déclaration d’établissement de l’État n’aurait pas pu être proclamée le 14 mai 1948, dernier jour du mandat britannique sur la Palestine dans le hall du Musée d’art de Tel Aviv, par David Ben Gourion, président de l’Agence juive.

    Benyamin Nétanyahou conteste vigoureusement ce point de vue.

    « Le Monde » sans relativiser la position du premier ministre israélien a simplement rapporté sa réaction :

    « Dans la soirée, le chef du gouvernement israélien lui a répondu par communiqué. « Un rappel au président de la France : ce n’est pas la résolution de l’ONU qui a établi l’Etat d’Israël, mais plutôt la victoire obtenue dans la guerre d’indépendance avec le sang de combattants héroïques, dont beaucoup étaient des survivants de la Shoah – notamment du régime de Vichy en France », ajoutant que « l’ONU a approuvé des centaines de décisions antisémites contre l’Etat d’Israël »

    Ce même journal a rapporté les propos de Yonathan Arfi, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) sans commentaire :

    « Laisser penser que la création de l’État d’Israël est le fruit d’une décision politique de l’ONU, c’est méconnaître à la fois l’histoire centenaire du sionisme et le sacrifice de milliers d’entre eux pour établir l’État d’Israël. »

    Il a ajouté cette phrase :

    « A l’heure où l’antisémitisme se nourrit de l’antisionisme, ces propos renforcent dangereusement le camp de ceux qui contestent la légitimité du droit à l’existence d’Israël »

    « Le Figaro » a également pris fait et cause pour le premier ministre d’Israël : « Créé par une décision de l’ONU » : comment Emmanuel Macron a simplifié l’histoire d’Israël.

    « L’Opinion » se fait pédagogue et explique pourquoi Macron se trompe.

    Avant de continuer à plonger dans toute cette complexité et l’article de l’Opinion, il faut se rappeler que l’imaginaire des peuples se forge à travers des récits auxquels ils adhérent.

    Ces récits sont fondamentaux pour créer une unité et un sens au destin commun. Mais un récit peut être très dangereux ou plus précisément porteur de violence et de guerre s’il est en contradiction absolue avec ceux d’un autre peuple. La paix n’est possible que si on écoute aussi les récits de l’autre et qu’on est capable d’en tenir compte.
    Je prends comme exemple cette illustration. Le récit de l’homme dans sa voiture c’est que la biche traverse la route. Mais le récit de la biche est que c’est la route de l’homme qui traverse la forêt. Il n’y a pas une vérité qui s’impose, mais deux récits qui s’opposent. En est-il un plus pertinent que l’autre ? les deux récits sont-ils conciliables ?

    Le Journaliste de l’Opinion affirme que ce qui donne naissance à l’État d’Israël, ce ne sont pas les Nations unies, ni la SDN, c’est le mouvement sioniste, c’est-à-dire la volonté d’une partie des Juifs de retourner dans ce qu’ils considèrent comme leur terre ancestrale, la Palestine. Et cela date de la fin du XIXᵉ siècle. Le premier mouvement de migration juive en Palestine – des Juifs venant de Russie essentiellement, mais aussi du Yémen – remonte à 1881.

    Toujours selon ce journaliste, ce sont ces migrations qui incitent les britanniques à faire leur fameuse déclaration Balfour.

    Arthur Koestler, (1905 – 1983), célèbre auteur du « zéro et de l’infini » est un juif hongrois qui dans un premier temps va adhérer à la cause sioniste révisionniste et deviendra même, pendant un court moment, le secrétaire du chef de ce mouvement Vladimir Jabotinsky. Il sera remplacé, dans ce rôle, plus tard par le père de Benyamin Nétanyahou. Ce mouvement prône un sionisme armé et agressif pour imposer la présence juive, par la force, aux arabes vivants sur le territoire convoité.

    Après avoir vécu beaucoup d’expériences dans sa vie, Arthur Koestler a décrit la déclaration Balfour par cette phrase éloquente : « Une nation a solennellement promis à une seconde le territoire d’une troisième. » .

    Le journaliste continue sa démonstration en rappelant que la résolution 181 n’a pas été acceptée par la partie arabe et que donc la création d’Israël na pas pu avoir lieu sur la base de cette résolution refusée par une des parties.

    En conséquence c’est la proclamation par Ben Gourion suivie de la victoire des troupes israéliennes, lors de la guerre d’indépendance, qui a permis de réaliser le rêve des sionistes..

    Le mot du jour a déjà évoqué beaucoup des épisodes de cette histoire tragique qui continuent à faire tant de morts.

    L’analyse la plus intelligente que j’ai entendu sur la confrontation des récits est celle qu’en a donné Dominique Moïsi : .

    « Quand Israël naît […] en 1948, […] Pour le monde Arabe, c’est le dernier phénomène colonial de l’histoire européenne qui est anachronique. Pour les Israéliens, c’est avec quelque retard, le dernier phénomène national de l’histoire européenne du 19ème siècle.[…] Et en fait ce conflit de calendrier n’a jamais été surmonté.»

    C’était le mot du jour du lundi 19 octobre 2015.

    Cette analyse de Moïsi nécessite un acte fondateur qui autorise la nation juive à obtenir un État. Seule la résolution 181 peut donner cette légitimé, directement issue de l’horreur de la Shoah.

    Parce que le récit de Nétanyahou, du président du CRIF ou du journaliste de l’Opinion signifie quoi ?

    Des gens venus d’Europe se sont installés sur un territoire occupé par d’autres habitants. Leurs représentants se sont entendus avec l’État occidental le plus colonialiste de l’Histoire pour obtenir une déclaration les autorisant à occuper ce territoire.

    Par la suite et le refus des indigènes de se soumettre, le peuple venant d’Europe, armé par les occidentaux, s’est emparé du territoire par la guerre. Cela s’appelle un fait colonial, la colonisation de cette terre entre la Méditerranée et le Jourdain par des personnes venues d’Occident.

    Le récit, qui veut que le mouvement sioniste presque sans aide et s’imposant par la force aux arabes a créé un État d’Israël, valide absolument les thèses décoloniales des États du sud global et celles des jeunesses occidentales des Universités. Contrairement à l’affirmation du président du CRIF ce ne sont pas les propos de Macron, mais ce récit qui donne les meilleurs arguments aux ennemis les plus féroces d’Israël.

    Et si certains évoquent une légitimité historique datant de 2000 ou 3000 ans. Rappeler simplement ce que signifierait ce concept de « premier occupant » aux États-Unis, en Australie ou en Nouvelle Zélande suffit à en dévoiler l’inanité. Bien sûr, le récit de Nétanyahou autorise tout, jusqu’à l’annexion de la partie arabe du plan de partage, puisque l’État est la résultante de la force armée et des conquêtes.

    Ce n’est pas ainsi que la Paix pourra arriver sur ce territoire. Il me semble qu’il vaut mieux s’en tenir au récit que la création d’Israël a été rendue possible par une résolution de l’ONU et qu’il faut trouver un chemin pour que la partie arabe du partage puisse également trouver un État dans lequel elle pourra se reconnaître.

    Vous pourrez lire avec intérêt cet article du journal de Montréal « Le Devoir » : « La déclaration Balfour: juste et injuste à la fois? ».

    Vous y trouverez cette idée d’un grand penseur juif, Martin Buber d’une « injustice minimale », c’est-à-dire limiter au strict minimum l’injustice causée aux Arabes en ne permettant aux Juifs de s’installer que sur une partie de la Palestine.

  • Mercredi 9 octobre 2024

    « Résister pour la Paix »
    Hannah Assouline et Sonia Terrab, documentaire des guerrières de la paix

    Un an déjà !

    Le 7 octobre 2023 est un jour de haine et de massacre.

    On ne sait pas comment le nommer. Certains parlent de pogrom. Mais ce mot n’est pas approprié, car il désignait des massacres de juifs de la diaspora perpétrés par une population majoritaire dans un pays dirigé par des gouvernants antisémites. Cette fois, les crimes ont été commis à l’intérieur de l’État qui avait été justement conçu pour protéger les juifs.

    Comment parler de ce jour et des suivants et de toute l’année qui s’est écoulée depuis ?

    Beaucoup regardent cet évènement à travers le filtre de leur croyance et de leurs certitudes. Ils s’enferment dans une vision binaire dans laquelle, ils défendent le camp du bien contre le camp du mal. Ce sont deux blocs de haine qui s’affrontent et qui entrainent une grande partie du monde dans cette polarisation dans laquelle l’empathie pour les souffrances de l’autre est anéantie par l’indifférence et la déshumanisation de l’adversaire.

    Dès le 9 octobre, le ministre israélien de la Défense. Yoav Gallant a eu cette phrase :

    « Nous combattons des animaux humains, et nous agissons en conséquence. »

    Que ce soit pendant la shoah, pendant le génocide arménien ou celui des tutsis au Rwanda, la première étape de l’horreur a été de traiter, celui qu’on voulait massacrer, d’animal ou d’insecte. C’est à dire ne plus reconnaître son humanité. Mais les islamistes qui ont attaqué, massacré, torturé les juifs et autres habitants d’Israël qu’ils ont trouvé sur leur route ont agi de même : c’est uniquement parce qu’ils ne voyaient pas dans ces israéliens leurs semblables humains qu’ils ont été capable de perpétrer ces atrocités.

    Est il difficile de comprendre que ce 7 octobre constitue un traumatisme pour les israéliens mais aussi pour les juifs du monde entier en raison de leur histoire, de toutes les fois où ils ont été massacrés en nombre, jusqu’à la folie nazi où il fut question de leur anéantissement ?

    Et cette fois le massacre a eu lieu sur la terre de l’État qui avait été créé pour empêcher cela. Est-il difficile de comprendre leur désarroi, leur peur et leur colère quand, dès le 8 octobre, des actes d’antisémitisme ont été perpétrés à travers le monde. Se souvient t’on, qu’en France après que Mohamed Merah ait tué 4 juifs dont 3 enfants dans une école juive, le 19 mars 2012, à Toulouse, les actes antisémites se sont multipliés ?

    Ils sont victimes d’un acte innommable et on déchaine encore de la violence contre eux. En 2012, il n’y eut aucune manifestation de soutien à la communauté juive, après ces faits.

    Existe-t’il un humain, digne de ce nom, qui pourrait ne pas être plein d’empathie pour les juifs du monde entier ?

    Parallèlement, existe-t’il un humain qui n’est pas capable d’exprimer une immense compassion pour la souffrance des palestiniens depuis la nakba ?

    Israël a répliqué. Depuis un an, Gaza est sous les bombes, les habitations ont été rasées, des dizaines de milliers de gazaouis ont été tués ou blessés, dont beaucoup de femmes, d’enfants et de civils. Les massacreurs du Hamas se cachent dans les tunnels et s’octroient la majorité de l’aide alimentaire. Les autres habitants vivent dans des conditions abominables d’hygiène, d’alimentation et de santé.

    Est-il légitime d’arriver à une telle désolation ? Suffit-il de dire que tout est de la faute du Hamas ?

    Il existe encore tant d’autres questions. Israël a t’il un plan pour après la guerre ou Netanyahou pense t’il rester dans un état de guerre permanent ? Croit t’il que tout peut se régler par la force ?

    Plusieurs fois j’ai entendu des journalistes rapporter des propos de responsables israéliens qui disaient que la paix est trop difficile pour Israël qui a trop à perdre, trop à concéder pour l’obtenir. Ce qu’Israël veut, c’est la sécurité !

    Mais la sécurité sans la paix est ce possible ? Les avis sont très tranchés. Je lis que des israéliens disent que le 7 octobre montre qu’il n’est pas possible de donner un État palestinien à de tels individus, ce serait incompatible avec la sécurité d’Israël. Hubert Vedrine et d’autres pensent exactement le contraire : Si un État palestinien avait existé, il n’y aurait pas eu de 7 octobre.

    Mais Vedrine ajoute que pour pouvoir parler aux palestiniens il faut un interlocuteur.

    Quand en Afrique du Sud, un homme d’État, Frederik de Klerk, a voulu sortir de l’engrenage infernal de la violence, il est allé chercher un militant noir en prison : Nelson Mandela. Or, depuis, qu’il est au pouvoir Netanyahou a systématiquement agi pour ne pas avoir d’interlocuteur. Car évidemment ce mouvement islamiste, régressif qui veut détruire « l’entité sioniste » ne peut pas être un interlocuteur. Quelle meilleure solution pour un homme qui ne veut pas d’un État palestinien que de tout faire pour qu’apparaisse comme représentant des palestiniens un mouvement aussi repoussoir que l’est le Hamas et son chef actuel Yahya Sinwar ? Yahya Sinwar et Benjamin Netanyahou sont des ennemis indispensables l’un à l’autre, car l’un et l’autre ne veulent pas d’une solution pacifique.

    La force ne peut pas tout. Elie Barnavi écrit très justement :

    « Israël gagne des batailles, mais est en train de perdre la guerre »

    En outre, le monde est en train de changer. Les occidentaux n’ont plus le monopole pour proclamer ce qui est juste et les moyens de l’imposer. A l’intérieur de l’Occident, une grande partie de la jeunesse n’a plus la même lecture des évènements que leurs ainés.

    Pour les occidentaux seniors, l’État d’Israël a été rendu nécessaire en raison de la shoah : il fallait un État pour les juifs.

    Les historiens ont montré que ce n’était pas uniquement la culpabilité de ce qu’ils avaient fait ou laissé faire qui a justifié le comportement des pays occidentaux et de l’Union soviétique pour la création de l’État d’Israël en 1948. Une analyse des échanges diplomatiques de cette époque montre une autre réalité. Dans une Europe exsangue après 6 ans de guerre, le nombre considérable de réfugiés juifs revenant des camps constituait un problème d’intendance immense. Créer un État et y envoyer les survivants et réfugiés représentaient une solution commode pour les européens.

    Mais le récit est celui ci : la shoah justifiait la création d’Israël et faisait des juifs les victimes qu’il fallait soutenir et aider.

    Pour les pays non occidentaux, qu’on appelle imparfaitement le « Sud global » et pour une grande partie de la jeunesse occidentale, la création de l’État d’Israël correspond à une réalité coloniale. Le grand crime de l’Histoire n’est pas que la shoah, mais aussi la domination coloniale et brutale de l’Occident sur le reste du monde. On peut contester cette vision en disant que le peuple juif n’a pas de métropole d’où il est parti, en conquérant, et dans lequel il peut revenir, si la situation se dégrade. D’ailleurs, beaucoup d’habitants d’Israël viennent des pays arabes. Ces communautés juives, en raison des discriminations subies ont été conduites à rejoindre Israël. Donc pour simplifier : les israéliens juifs ne peuvent pas rentrer chez eux, parce qu’il n’y a pas de « chez eux » ailleurs.

    Mais ces arguments rationnels ne convainquent pas les tenants de l’autre thèse : pour deux raisons : la première c’est qu’il y a bien eu une arrivée massive d’une population venant d’Europe qui a pris des terres aux autochtones qui habitaient la Palestine. Et la seconde, qui est plus essentielle encore pour cette thèse : c’est la manière totalement disproportionnée des armes et des moyens de répression dont disposent les israéliens et la disproportion du nombre de morts entre les deux camps. Cette réalité est celle qui existait dans la domination coloniale occidentale. Dans cette pensée, les palestiniens sont les victimes et les israéliens les bourreaux. Cette thèse est expliquée par Gilles Kepel qui ne la partage pas et Didier Fassin qui me semble la partager.

    Ce dernier, enseignant à Princeton et membre du Collège de France, avance « le spectre d’un génocide à Gaza ». A l’appui de sa démonstration, il prend l’exemple du génocide des Hereros, exterminés par les colons allemands à la suite d’une révolte en 1904 dans l’actuelle Namibie, et évoque de « préoccupantes similitudes » entre la riposte israélienne au massacre du 7 octobre et cette page d’histoire retenue comme le premier génocide du XXe siècle, préfigurateur de la Shoah. C’est ce qu’il explique dans un débat l’opposant frontalement à Eva Illouz dans le Nouvel Obs : « L’entretien croisé entre Didier Fassin et Eva Illouz », dans lequel il écrit :

    « [Les israélien] ont progressivement privé les Palestiniens de leur espace vital, de leur souveraineté et de leur liberté. C’est ce qui amène Maxime Rodinson à parler de « fait colonial ». S’agissant de la paix, le non-respect par les Israéliens des accords d’Oslo, dénoncés dès leur signature, montre que la seule option envisagée par l’État hébreu supposait le rejet du droit international et le renoncement aux droits des Palestiniens. »

    Je ne crois pas qu’en restant figé dans de tels récits, il sera possible d’avancer.

    C’est pourquoi pour garder l’optimisme il vaut mieux se tourner vers des personnes, en l’occurrence des femmes, des militantes de l’espoir, qui continuent à se battre pour la Paix.

    Hannah Assouline et Sonia Terrab deux guerrières de la Paix ont produit un documentaire diffusé sur Public Sénat et que vous pouvez voir derrière ce lien : « Résister pour la Paix ». Il commence le 4 octobre 2023, 3 jours avant… Et il se poursuit après.

    Sonia Terrab est née, en 1986, à Meknès au Maroc, elle est d’origine arabo musulmane. Hanna Assouline, est née en 1990 à Paris, son père, David Assouline est né en 1959 à Sefrou au Maroc, dans une famille juive marocaine.

    C’est ce documentaire que je souhaite partager aujourd’hui, dans ce monde de chaos, de violence, d’incompréhension, pour qu’il reste une lueur, une espérance.

  • Vendredi 4 Octobre 2024

    « La Neuvième symphonie de Mahler est l’oméga de la Musique. »
    Herbert von Karajan

    La Phrase complète de Karajan est la suivante :

    « La Messe en si de Bach et la Neuvième de Mahler sont l’alpha
    et l’oméga de la musique. »

    Bien sûr il existe des chefs d’oeuvre écrits avant Bach et d’autres après Mahler, mais Karajan veut montrer un arc qui relie deux piliers sur lesquels repose la musique européenne : le premier une messe catholique écrit par un luthérien et achevé en 1749, le second l’aboutissement de la symphonie romantique créée, le 26 juillet 1912, à Vienne sous la direction de Bruno Walter, un peu plus d’un an après la mort de Gustav Mahler, le 18 mai 1911, à 51 ans.

    Mahler avait écrit le premier avril 1910 : « Mise au net, la partition de ma Neuvième est
    terminée. ». Il l’avait donc terminé un an avant sa mort, il ne l’a jamais entendue autrement que dans une réduction au piano et dans sa vie intérieure.

    Concernant la musique de chambre, j’ai déjà évoqué le disque que j’emmènerai sur une île déserte : « Le quintette en ut pour D. 956. » de Franz Schubert. S’il m’était possible d’ajouter un disque de symphonie je prendrai une interprétation de la 9ème symphonie de Mahler.

    Hier nous avons eu la joie d’entendre cette symphonie jouée à la Philharmonie de Paris par l’Orchestre de Paris, dirigé par son jeune et talentueux directeur musical : Klaus Mäkelä

    S’il faut croire André Peyrègne, un critique ayant assisté à ce concert « Symphonie n°9. Orchestre de Paris / Klaus Mäkelä » :

    « La Neuvième symphonie de Gustav Mahler fait partie de ces œuvres monumentales que l’on n’entend en concert que deux ou trois fois dans sa vie. »

    Si cette assertion est exacte, j’ai déjà rempli mon quota.

    J’ai pourtant eu le sentiment que ce monument mystique de l’Adieu se refusait à moi, en concert. Pourtant, le 17 février 2019, l’Orchestre Philharmonique de Vienne était de passage à Lyon et joua cette œuvre à l’Auditorium. Mais, au même moment, avec Annie et Florence, nous étions déjà à la Philharmonie de Paris, pour assister au concert d’une symphonie de Mahler encore plus rarement joué : la symphonie N°8 symphonie « des Mille » qui nécessite des effectifs démesurés. J’avais écrit un mot du jour le lendemain de ce concert : « une hymne à la sacralité de l’univers ».

    Une seconde chance nous fut offerte et nous avions pris nos billets pour assister à l’interprétation de la 9eme par l’Orchestre de San Francisco sous la direction de Michael Tilson-Thomas. Mais ce concert devait avoir lieu le 7 avril 2020, temps de la Covid 19 et de confinement. Et finalement, la première fois eut lieu le 16 septembre 2022, le jour où mon frère m’annonça qu’il était atteint de la leucémie qui l’emportera 40 jours après. Gustavo Dudamel était le chef et l’Orchestre était celui dans lequel mon frère a œuvré pendant 15 ans : l’Orchestre de l’Opéra de Paris. Depuis, Nikolaj Szeps Znaider a interprété cette œuvre avec son orchestre lyonnais, lors de la dernière saison.

     Beaucoup de musicologues ont parlé de la superstition de Mahler concernant la symphonie numéro 9 qui fut la dernière de Beethoven, de Schubert et aussi de Dvorak. Il tenta de biaiser, sa vraie 9ème fut en réalité sa précédente œuvre, mais pour conjurer le sort, il l’appela « Le chant de la terre ». Et puis, il n’avait pas encore totalement finalisé la symphonie qu’il numérota 9, pour commencer la composition de la 10 en 1909. Tout ceci fut vain, seul le premier mouvement de la 10 put être, à peu près, fini et la symphonie qu’il appela 9 fut bien sa dernière œuvre achevée qu’il ne put jamais entendre jouée par un orchestre.

    L’œuvre est composée de 4 mouvements, le premier est extraordinaire. Alban Berg écrivit :

    « Le premier mouvement de sa Symphonie n° 9 est le plus merveilleux que Mahler ait écrit. Il exprime l’amour de ce monde, pour la nature,le désir d’y vivre en paix, d’en jouir pleinement, jusqu’aux tréfonds de son être, avant que la mort, irrémédiablement,ne nous appelle. »

    Mahler est dans une période douloureuse de sa vie. Sa fille ainée est morte suite à une brusque maladie, son médecin vient de lui diagnostiquer une maladie cardiaque très grave et son épouse Alma Schindler dont il se rend compte combien elle compte pour lui, s’éloigne de lui et le trompe. Ce premier mouvement émerge du silence. Bernstein entend, dans ce début, le rythme irrégulier d’un cœur qui bat :

    « La première chose qu’on entend dans ce mouvement est une prémonition de la mort sous forme d’un rythme irrégulier qui, j’en suis sûr, est pour Mahler le battement irrégulier de son propre cœur. Son rythme cardiaque l’inquiétait beaucoup. Dans la dernière année de sa vie, il connaissait ce problème cardiaque, et il le nota pour en faire le début de cette symphonie. »

    Par la suite ce mouvement passera par toutes les phases des émotions humaines : la tendresse, la colère, la révolte, la nostalgie, l’apaisement. Harnoncourt ou Celibidache ne voulaient pas interpréter Mahler parce qu’ils le trouvaient impudique, il mettait toutes ses émotions dans la partition. Sa fille survivante Anna disait qu’il n’a jamais rien écrit de plus accompli, tout Mahler est dans ce premier mouvement. C’est encore Bernstein qui en parle le mieux :

    « Dans ce premier mouvement, c’est surtout un adieu à la tendresse, à la passion, un adieu à l’amour humain. […] Toute la symphonie parle de réminiscences, de nostalgie, de tendresse, de relations personnelles. Au milieu de cette nostalgie attristée, il y a une série d’immenses progressions, des rencontres personnelles qui tantôt marchent et tantôt échouent. Elles sont suivies de renoncements, de retraites, de redditions. Suivis de nouvelles tentatives de se souvenir, de ressaisir, de revivre les moments passionnés de la vie. […] Dès que j’arrive à la fin de ce premier mouvement, avec sa rage tempétueuse et ses aspirations, c’est comme si j’étais à la fin d’un roman de Tolstoï. Il dure près d’une demi-heure. C’est une espèce de « Guerre et Paix », et je suis toujours étonné à l’idée qu’il reste encore trois autres longs mouvements à jouer, dans lesquels Mahler fait de nouveau ses adieux à d’autres aspects de la vie. »

    Les deuxièmes et troisièmes mouvements sont des danses pleines de fougues, d’ironies et de futilités. Selon Bernstein la première danse est rustique et la seconde urbaine.

    Je dirai que Mahler s’amuse, essaye de se divertir entre l’immense premier mouvement et le sublime adagio final. Pour cet adagio, il vaut mieux encore laisser la parole à Leonard Bernstein qui a tant joué, étudié et aimé la musique de Mahler :

    « Le mouvement est à peine discernable. L’espace entre les lignes est immense. C’est ce qui se rapproche le plus dans la musique occidentale de la notion orientale de méditation transcendantale. Mais il n’est pas encore prêt à accepter cette solution, ce « Brahma », ce néant. Et il se cramponne donc de nouveau à la vie avec amertume, ressentiment, passion. Tout au long du mouvement, Mahler alterne entre ces deux tentatives de réalisation spirituelle : l’occidentale et l’orientale. Lorsqu’il s’essouffle dans l’une, il essaie l’autre, et inversement. Il y a une série de progressions, dont la dernière n’aboutit pas. Très courte, elle essaie de les surpasser toutes, mais n’y parvient pas.
    Après cela, on a soudain le sentiment qu’il laisse filer. C’est le tournant du dernier mouvement, car c’est à ce moment-là que le monde lui glisse entre les doigts. Il réussit à parvenir à une acceptation heureuse, sereine de la fin de la vie. Et il lâche prise. Et ce moment est l’une des choses les plus remarquables de toute la musique : la dernière page de cette symphonie. Qui arrive avec une étonnante lenteur, une étonnante série de silences. Mais après chacun il essaie de nouveau de ressaisir la vie, de s’y accrocher, et elle glisse de nouveau. Il y a une série de tentatives, de moins en moins réussies. Et finalement il lâche, complètement, de la plus merveilleuse façon, par le silence plus que par les notes.
    A la fin du mouvement, il n’y a plus qu’une série de « fils d’araignée » : Un petit fil qui le rattache à peine à la vie. Et puis qui lâche, et puis un autre petit fil, juste un la bémol aigu, et il finit, et c’est le silence. Et finalement, l’acceptation, et tout s’éteint. »

    Ces pianossimos finaux que Claudio Abbado expliquait à ses musiciens par l’image suivante : « le bruit que fait la neige qui tombe sur de la neige ».

    La symphonie a émergé du silence et retourne dans le silence, après être passé par des chemins tortueux de violence, de chaos, de méditation et de tendresse. Si le coeur vous en dit Gil Pressnitzer, sur le site Esprits Nomades analyse longuement cette symphonie de l’adieu et de la plénitude : « L’abîme des abîmes »

    Que dire de l’interprétation de Klaus Mäkelä du haut de ses 28 ans ?

    D’abord on est frappé une nouvelle fois par la symbiose incroyable qu’il est parvenu à créer avec son Orchestre de Paris qu’il va quitter en 2027 pour devenir le directeur musical de deux orchestres qui se trouvent dans le Top 5 au niveau mondial : L’orchestre du ConcertGebouw d’Amsterdam et le Chicago symphony Orchestra.

    Ensuite, j’ai été ému et j’ai aimé par ce concert.

    Les critiques ont été partagées. Le magazine Diapason a été déçu « Une claudicante Neuvième de Mahler par Klaus Mäkelä ». Le site ResMusica est dans le même esprit :« un beau témoignage orchestral, malheureusement dénué d’émotion, d’intériorité et de continuité. ».

    André Peyrègne, déjà cité, est d’un avis opposé « On eut droit à une interprétation étourdissante, bouleversante, mémorable de cette œuvre hors du commun. ». Le plus drôle est Loïc Céry qui non seulement encense Klaus Mäkelä « Une version magistrale de la Neuvième Symphonie de Mahler par l’orchestre de Paris sous la direction de Klaus Mäkelä jeudi 3 octobre », en outre, critique les deux premiers critiques avec un argumentaire solide et structuré.

    Pour ma part, sur le site de Diapason j’ai plus simplement répondu à la première critique par ces mots :

    « j’ai beaucoup aimé. Évidemment que dans 40 ans, il jouera autrement ce monument, cet Omega de la musique selon Karajan. Il aura alors 68 ans et je ne serai plus en état de l’entendre.
    Alors je suis très heureux et comblé d’avoir pu entendre ce que du haut de ses 28 ans, Klaus Mäkelä pouvait faire résonner de cet œuvre d’adieu, de mort et de beauté.
    Il a su donner des moments sublimes dans l’adagio, mais aussi la fin du premier mouvement qui fut un moment de grâce. Et il n’y a jamais eu des moments de vide, tout était habité et intéressant.
    Il a eu raison d’interpréter cette oeuvre à ce stade de son développement artistique et humain.
    J’étais rempli de beauté et d’émotion à la fin de ce concert.
    Et rien ne m’empêche en rentrant d’écouter sur ma chaîne d’autres interprétations : Giulini, Walter a quelques mois de sa mort, Karajan, Klemperer ou Sinopoli et tant d’autres…. Abbado par exemple…
    Cette œuvre est si riche et si intense qu’elle autorise beaucoup de regards différents.»

    Au cours des années, beaucoup d’enregistrements remarquables ont été publiés. Faire un choix est très subjectif.

    Sur internet vous trouverez de nombreuses interprétations de cette 9ème symphonie, mais toujours avec cette contrariété absolue d’interruption de la musique par de la publicité, contrepartie de la gratuité.

    Si vous passez outre ce sacrilège, vous pouvez visionner le dernier concert, en tant que directeur musical, sur une page coréenne, de Seiji Ozawa à la tête du Boston Symphony Orchestra dans le Boston Symphony Hall, le 20 avril 2002.

    Seiji Ozawa fut le directeur musical de cet orchestre durant près de trente ans, de 1973 à 2002.

    « Mahler – 9 – Boston Symphony – Seiji Ozawa – 20 avril 2002 »

  • Lundi 30 septembre 2024

    « Visiteur, ne t’attarde pas au tympan de l’entrée. »
    Pierre Soulages dans « Les dits de Pierre Soulages » de Marie Rouanet page 37

    Dans toutes les plaquettes de tourisme d’Aveyron, le premier élément de l’abbatiale Sainte Foy de Conques qui sera souligné est le tympan de l’abbatiale.

    Il jouit dans le Midi d’une réputation qui lui vaut un dicton aveyronnais :

    « Qui n’a pas bist Clouquié de Roudès, Pourtel de Counquos, Gleizo d’Albi, Compono dé Mondé, N’a pas res bist. » (Qui n’a pas vu le clocher de Rodez, le portail de Conques, l’église d’Albi, la cloche de Mende, N’a rien vu).

    Ce tympan est considéré comme « l’une des œuvres fondamentales de la sculpture romane par ses qualités artistiques, son originalité et par ses dimensions ».

    Il date du début du XII° siècle et comporte une scène avec 124 personnages. Il mesure 6,70 m de large et 3,60 m de haut. Dans le détail, la qualité des sculptures et des mises en scène est extraordinaire.

    Les humains du moyen-âge avaient poussé leur savoir faire et leur technique à un niveau exceptionnel.

    Je me souviens encore d’une conférence d’un grand médiéviste que j’ai vu sur le web et qui rapportait qu’il avait subi des cours d’un professeur d’Histoire qui parlait du « sombre moyen-âge » pendant lequel les hommes avaient sombré dans la régression  culturelle en perdant les techniques et l’art que la civilisation romaine avait développés. Or, ajoutait ce médiéviste, ce professeur habitait rive droite (de la Seine) et venait à pied jusqu’à la Sorbonne  Dans son trajet pédestre, il passait devant Notre Dame de Paris, création du moyen-âge, qui par sa beauté d’ensemble, comme dans ses détails portaient un démenti cinglant à cette affirmation négative sur la période.

    Mais cette technique et cet art étaient mis au service d’un récit religieux qu’il faut essayer d’analyser et de comprendre.

    Ce <site consacré à l’art roman> le décrit de manière précise, <L’office de tourisme de Conques> en fait de même, de manière plus simple.

    C’est un peu comme une bande dessinée, réalisée au moyen âge pour l’humble croyant qui ne sait pas lire, mais peut comprendre les représentations figuratives.

    L’histoire racontée est celle de la parousie.

    La parousie est un concept de la théologie chrétienne. Les savants religieux expliquent qu’il s’agit à la fois de la présence invisible du Christ dans le monde depuis la création et son retour sur la Terre à la fin des temps.

    Pour les incrédules comme moi, il s’agit de l’annonce de la fin du monde et du jugement dernier. C’est une histoire qui vise à faire peur et à inciter fortement les croyants de suivre le plus fidèlement possible les préceptes et règles édictés par les prêtres de l’Église afin de bien se préparer à ce moment et pouvoir se présenter dans les meilleures conditions devant le juge suprême.

    Les religions catholiques, orthodoxes et protestantes ont quelque peu édulcoré ce point central de leur croyance : l’inéluctabilité de la fin des temps et le jugement dernier dans lequel il vaut mieux être le plus irréprochable possible par rapport aux fondamentaux religieux

    D’autres, comme les évangélistes et toutes les sectes millénaristes ont gardé, au cœur de leur discours, le retour du Christ et ce moment où les mécréants et les déviants passeront un mauvais quart d’heure et normalement beaucoup de mauvais quart d’heures après. Dans ces milieux fondamentalistes, on insiste, en outre, sur l’imminence de ce moment eschatologique.

    En effet, un autre mot est utilisé dans ces dogmes : « une eschatologie », c’est à dire une doctrine relative au jugement dernier et au salut assigné aux fins dernières de l’homme, de l’histoire et du monde.

    Les religions monothéistes possèdent chacune des théories sur ce sujet : « l’eschatologie islamique » et « l’eschatologie juive ».

    Tous ces récits ont pour objectif de convaincre le croyant qu’il a bien raison de croire ce qu’il croit et que ce serait tout à fait déraisonnable de ne pas suivre tous les commandements qui lui sont prescrits.

    Ils renferment aussi une espérance : un jour arrivera où ses mérites seront reconnus et où « les méchants », on peut aussi les appeler les mécréants, les hérétiques, les musulmans parlent de « kâfir » au pluriel « kouffar », seront punis. L’adhésion à ces récits permet de mieux supporter les injustices et les épreuves du présent.

    Mais ces croyances génèrent aussi une anxiété : puisque le croyant se demandera, sans cesse, s’il en fait assez, pour être du bon côté au moment ultime, celui du jugement dernier.

    C’est la force et la ruse des religions pour obtenir un peuple docile et une société soudée.

    Pierre Soulages disait :

    « Je ne crois pas en Dieu, mais je crois au sacré. »
    propos rapporté dans le journal « La Croix », no. 42453 du 26 octobre 2022 – article « Soulages a rejoint l’outrenoir »

    Il a aussi donné ce conseil :

    « Visiteur, ne t’attarde pas au tympan de l’entrée. »
    dans « Les dits de Pierre Soulages » de Marie Rouanet page 37

    L’abbatiale Sainte-Foy de Conques, à travers cette dichotomie, soulignée par Pierre Soulages répond parfaitement à la distinction que j’ai, tant de fois, tenté d’expliquer entre la religion et la spiritualité.

    La religion par son récit angoissant et apocalyptique veut soumettre et contraindre par la crainte et l’espérance au bout de la soumission.

    A Conques, si après avoir admiré la qualité artistique et hors du temps des sculpteurs du XIIème siècle, vous ne vous attardez pas trop et entrez rapidement dans l’abbatiale, vous trouverez autre chose : élévation, paix, sérénité, spiritualité.

    Lors d’un échange, à Conques, avec une touriste, j’ai décrit cette sensation d’une spiritualité intense à l’intérieur de l’église. La femme m’a immédiatement interpellé :

    « Moi la religion et la spiritualité, cela ne me parlent pas. »

    Cette rencontre m’a rappelé que les français avant d’être laïcs sont d’abord majoritairement athées. Mais je disposais de la parade. Elle m’avait été fournie par Jean-Claude Carrière qui s’insurgeait sur la captation du concept de spiritualité par les religions.

    Car spiritualité signifie «esprit», «pensée» alors que les religions, le plus souvent, conduisent à éviter de penser pour remplacer la recherche spirituelle par le «dogme».

    J’en avais parlé lors du <mot du jour du 12 février 2021>, en hommage, à cet homme d’immense culture. Et grâce à l’évocation de Jean-Claude Carrière, mon interlocutrice devint conciliante :

    « Dans ce cas je veux bien retourner dans l’abbatiale et tenter d’y trouver un peu de spiritualité »

    Christian Bobin écrit :

    « Il faut ouvrir une porte là où il n’y en a pas, puis laisser entrer le silence qui est le seul vrai dieu.»
    « La Nuit du cœur » page 31

  • Vendredi 27 septembre 2024

    « Cette lumière […] a une valeur émotionnelle, une intériorité, une qualité métaphysique en accord avec la poésie de cette architecture comme avec sa fonction : lieu de contemplation, lieu de méditation. »
    Pierre Soulages

    J’ai expliqué dans le mot du jour précédent que certains obstacles s’étaient dressés sur le chemin de Pierre Soulages vers la réalisation des vitraux de l’abbatiale de Conques.

    Le plus compliqué et le plus long fut cependant la résolution du problème technique : trouver le verre qui parviendra à atteindre les objectifs qu’il s’était fixé.

    Il a explicité ses objectifs dans « l’entretien du 14 juin 2001 » avec son ami Pierre Encrevé :

    • Ne pas se laisser distraire par le spectacle extérieur,
    • Et surtout que les surfaces des baies deviennent émettrices de clarté.

    Dès lors il s’est mis à la recherche d’un verre permettant de remplir ces deux objectifs. Il est allé en Italie, en Allemagne et partout où il pensait pouvoir trouver une solution qu’il n’a finalement pas trouvé.

    Il s’est convaincu que ce verre n’existait pas et qu’il fallait donc l’inventer. Il consacrera sept ans de sa vie à cette quête dont deux pendant lesquels il ne peindra plus, pour se consacrer exclusivement à cette aventure.

    En 1987, il va aller voir, à Toulouse, le maître vitrier Jean-Dominique Fleury et c’est avec son aide ainsi que celle d’une jeune artiste verrière hollandaise, Hanneke Fokkelman, qu’il va parvenir à un résultat qui le satisfera.

    Les tests seront réalisés à Marseille, au Centre international de recherche sur le verre et les arts plastiques (Cirva). Plus de 350 plaques d’essai seront réalisées.

    Toute une partie du musée Soulages de Rodez est consacrée à ces études.

    Un documentaire vidéo passionnant présente ces recherches.

    Je ne l’ai pas trouvé sur Internet mais il y a deux vidéos mises en ligne par l’INA qui reprennent en partie ces explications.

    Dans un premier extrait il est question de « La conception technique des vitraux de conques » et dans le second d’une durée de 11 mn, vous verrez notamment l’installation des vitraux : « Pierre Soulages et les vitraux de l’abbatiale de Conques »

    Pour réaliser le vitrail qui lui convient, il ne va pas teinter le verre mais utiliser du verre blanc et changer la structure du verre.

    Il va créer du verre broyé obtenu en versant du verre en fusion dans un liquide froid qui le fait éclater en nombreux petits fragments.

    Et comme on le constate sur les photos ci-contre, il va ensuite répartir ces grains de verre de différentes grosseurs. En passant ensuite ces éclats à la cuisson qui les cristallise, on obtient un verre dont la luminosité est modulée en fonction de la taille des grains et de leur répartition dans le moule.

    Dans un deuxième temps, ils travailleront dans l’Unité de recherche de Saint-Gobain à Aubervilliers. Les translucidités recherchées proviendront d’une variation des températures de cuisson, du calibrage des grains et du type de four utilisé.

    Mais quand il s’agira de fabriquer, en nombre, toutes les plaques nécessaires pour réaliser les vitraux des 104 ouvertures de l’abbatiale, Saint-Gobain tergiversera pour investir dans un four de 50 000 F, pour un marché global de 8 000 000 de francs.

    Soulages et Fleury trouveront la solution en Allemagne, à Rheine, près de Munster où l’entreprise Glaskunst Klinge possède les installations recherchées. Cette entreprise avait développé, à côté d’une usine de verrerie traditionnelle, une unité pour produire de grandes plaques de verre « securit » permettant de réaliser des parois de verre. Les plaques qui sortent de l’usine font environ 8 millimètres d’épaisseur et mesurent 90 sur 150 centimètres. Leur texture est différente selon leur face : lisse, elle sera orientée vers l’extérieur et réfléchira le soleil ; granuleuse, elle sera réservée à l’intérieur et entretiendra une sorte de continuité avec les murs.

    Cette épaisseur a permis de renoncer à la bordure du vitrail traditionnel, chaque vitrail peut directement toucher la pierre. Chaque baie diffuse ainsi de la clarté sur toute sa surface et non sur la seule partie centrale.

    Dans ses notes de travail publiées dans le livre publié par Seuil, « Conques les vitraux de Soulages » de Christian Heck, Pierre Soulages explique page 57 :

    « J’ai voulu que la transmission diffuse provienne non d’un état de surface comme avec le verre dépoli, mais de la masse même de la matière. J’ai voulu aussi qu’elle soit variée, c’est-à-dire produisant des modulations de luminosité sur la paroi de la fenêtre. Une lumière vivante en quelque sorte, prise dans le verre même, celui-ci devenant émetteur de clarté.
    Cette lumière que l’on pourrait dire « transmutée » a une valeur émotionnelle, une intériorité, une qualité métaphysique en accord avec la poésie de cette architecture comme avec sa fonction : lieu de contemplation, lieu de méditation »

    Après avoir été fabriquées en Allemagne les lourdes plaques de verre sont envoyées à Toulouse, dans l’atelier de Jean-Dominique Fleury, maître verrier qui accompagne Pierre Soulages depuis le début de sa recherche. L’artiste dessine des formes en accord avec la lumière consentie par le verre et avec l’architecture. Des formes qui sont « comme un souffle », des lignes fluides qui ne viennent pas répéter les grandes structures verticales de l’édifice mais le parcourent, comme un flottement, obliques, courbes, tendues vers le haut.
    Dans l’atelier de Toulouse, les artisans s’attellent donc à découper ces plaques sous l’œil vigilant et décideur de Pierre Soulages.
    Une scie à ruban gigantesque, commandée exprès, est vite abandonnée au profit d’une taille à la main, au diamant ou à la molette. Il faut préciser que les 104 ouvertures qu’il s’agit de fermer par des baies de vitraux sont toutes de tailles différentes. C’est un travail d’artisan non d’industriel.
    Sur la table couverte d’un drap noir, chaque pièce est choisie pour ses variations de translucidité, qui chanteront avec ses voisines.
    Puis il faut les assembler, avec des plombs d’une taille inhabituelle car le verre inédit de Soulages est épais de 8 millimètres, quatre fois plus qu’un vitrail classique ! Le plomb est fondu afin de pourvoir l’incurver selon les désirs de l’artiste. les panneaux de vitrail sont ainsi réalisés en associant le plomb et le verre.
    Ces panneaux fabriqués en atelier seront accrochés, sur site, aux barlotières.
    La « barlotière » est une traverse en fer qui est fixé sur la maçonnerie et qui tient les panneaux de vitrail.

    Lors de ce travail, les artisans vont avoir une surprise :

    « Un des premiers jours de l’installation, les verriers s’apprêtaient à creuser les trous de fixation des barlotières. Stupéfaits, ils se sont aperçus que les trous existaient déjà. Donc, les barlotières avaient déjà été fixées exactement aux mêmes endroits. »
    (Pierre Soulages, Outrenoir. Entretiens avec Françoise Jaunin. La Bibliothèque des Arts, 2012, p.112)

    Les artisans découvrent donc que les nouvelles mesures correspondent aux trous des barlotières médiévales, qu’on avait abandonnés au cours des restaurations successives…

    Deux livres de Christian Heck m’ont particulièrement inspiré pour écrire ces trois mots du jour :

    « Conques : les vitraux de Soulages » qui contient des notes de travail de Pierre Soulages avec une préface de Georges Duby et « Présence de la lumière inaccessible, les vitraux de Conques et la peinture de Soulages »

    J’ai aussi recopié des extraits de ce long et passionnant article de « Connaissance des Arts » : « Pierre Soulages : un peintre cistercien ».

    Des informations sont issues de ce site consacré au : « travail du vitrail »

    D’autres ressources sont encore disponibles pour celles et ceux qui souhaitent approfondir :
    <Créer le verre et moduler la lumière>

    Et trois épisodes de l’émission de France Inter : « La marche de l’Histoire » :

    <Pierre Soulages et l’abbaye de Conques>,

    <Christian Bobin, le visiteur de Sète>,

    <Pierre Soulages, le noir est une couleur>

    Je laisserai le mot de la fin à Jean-Dominique Fleury :

    « Lorsqu’on termine un chantier pareil, c’est comme un deuil. Mais quelle expérience aussi ! Soulages m’a appris à savoir attendre. À l’heure de la retraite, je mesure le prix de sa relation au temps… »

  • Vendredi 20 septembre 2024

    « Le verre illuminé des vitraux de Conques, doux comme le papier cristal qui protège les livres anciens, dit que nous ne sommes séparés de la grâce que par un rien. »
    Christian Bobin, « La nuit du coeur » page 202

    Pierre Soulages aime à raconter que c’est lors d’une visite qu’il fit, enfant, à l’abbatiale de Conques qu’il décida de devenir peintre.

    « La dépêche du midi » précise que c’est en classe de quatrième au lycée Foch, lors d’une visite de l’abbatiale de Conques, que Pierre Soulages fut submergé par une émotion… Il trouva tant de beauté et de majesté dans cette architecture romane… C’est à ce moment-là que le garçon se décida : il serait peintre.

    Pierre Soulages insiste sur ce moment le 14 juin 2001 lors de « L’entretien » qu’il réalisa dans le grand auditorium de la BNF avec Pierre Encrevé, son ami, auteur du catalogue de ses œuvres et qui a publié au Seuil et chez Gallimard quatre volumes consacrés aux œuvres du peintre :

    « C’est un espace architectural qui m’avait toujours beaucoup impressionné. C’est même là, je peux le dire, que tout jeune j’ai décidé que l’art serait la chose la plus importante de ma vie, et que tous les gens qui étaient autour de moi perdaient leur vie à la gagner. Il n’y avait qu’une chose définitivement importante pour moi : la peinture. Je n’ai pas pensé devenir architecte. C’est là que ça s’est passé, c’est vrai. »

    L’abbatiale romane Sainte-Foy de Conques a été construite à partir de 1041.

    Elle devient au XIIe siècle une grande étape sur la via Podiensis, route de pèlerinage du Puy-en-Velay à Saint-Jacques-de-Compostelle. Elle est d’abord abbaye bénédictine jusqu’en 1537, elle fut ensuite placée sous la responsabilité de chanoines séculiers. Depuis 1873, l’abbatiale est confiée aux frères de l’ordre de Prémontré.

    Pendant les guerres de Religion, l’édifice est incendié (1568). Elle subira aussi des dommages pendant la Révolution française et sera désacralisée. Prosper Mérimée, inspecteur général des Monuments historiques, imposera la réhabilitation du site en 1837.

    Quand Soulages y pénètre dans les années 1931/32, il n’y a pas de vitraux depuis l’incendie provoqué par les protestants, mais de simples vitres qui laissent entrer pleinement la lumière permettant d’admirer la beauté intérieure de l’édifice.

    Mais cette situation va changer. Le 20 avril 1942, le Comité consultatif d’architecture des monuments historiques commande au maître verrier Francis Chigot de Limoges, une baie d’essai pour l’abbatiale. Et suite à ces essais, le 3 avril 1944, ce comité donnera un avis favorable à l’exécution du projet présenté par M. Chigot avec des vitraux dessinés par Pierre Parot. Ces vitraux finiront d’être installés l’année 1952. Il s’agit de vitraux figuratifs illustrant des thèmes religieux.

    En 1981, François Mitterrand arrive au pouvoir et installe Jack Lang au Ministère de la Culture. Ce dernier nomme Claude Mollard directeur des arts plastiques. C’est lui qui va solliciter Soulages pour réaliser des vitraux contemporains dans des églises. Il pense d’abord à Nevers, à Reims et d’autres lieux, Pierre Soulages refuse, jusqu’à ce qu’il soit question de Conques. Dans certaines versions de cette aventure, il est écrit que c’est Soulages qui a suggéré l’abbatiale de Conques devant le découragement de Claude Mollard qui voyait toutes ses propositions se heurter à un refus. Dans un article de 2019 écrit par Sabine Gignoux dans le journal « La CROIX » : « Soulages à Conques : lumières sur un chef-d’oeuvre » elle cite le peintre et le contexte :

    « Pierre Soulages observe longuement l’édifice et les vitraux colorés, assez sombres, posés à la fin de la guerre. Rapidement, il confie qu’il souhaite faire exactement l’opposé : valoriser par un verre neutre l’architecture et la lumière. Comme s’il avait voulu retrouver l’éblouissement premier de son adolescence, quand Conques, qui avait été incendiée au XVIe siècle par les protestants, n’offrait plus que des vitres ordinaires. De retour au ministère, le délégué aux arts plastiques annonce la nouvelle à ses équipes goguenardes : « Ah, Soulages va faire des vitraux noirs, disaient-ils, sans comprendre que c’est un artiste de la lumière. » »

    Pierre Soulages n’apprécie pas l’œuvre de Chigot parce ce qu’elle assombrit l’abbatiale, il ne retrouve plus la magie de son enfance et la mise en valeur de l’architecture du moyen âge. Il assène :

    «Quand on met 104 ouvertures dans un bâtiment de 56 mètres, c’est pas pour en faire une crypte».

    Je remarque d’ailleurs qu’on oppose souvent Soulages à Chigot, ce qui me semble erroné. Car le travail des vitraux nécessite deux compétences celle du vitrier qu’est Francis Chigot et celle d’un peintre, Pierre Parot était son partenaire.

    Il semble plus juste d’opposer Pierre Parot et Pierre Soulages. Ce dernier travaillait avec Jean-Dominique Fleury, maître verrier toulousain qui, lui, pourrait être considéré comme l’alter ego de Francis Chigot. L’histoire n’a pas retenu cette opposition mais celle de Chigot et de Soulages.

    L’histoire de la création et de l’installation des vitraux de l’abbatiale que l’on désignera sous le nom des « vitraux Soulages » n’est pas un chemin facile parsemé de roses. Ce fut un cheminement long, compliqué, souvent en milieu hostile.

    D’abord, il y a le contexte politique. A l’origine, il y a donc une commande, en 1984, de Claude Mollard directeur au ministère de la Culture dirigé par Jack Lang. Mais en 1986, les élections législatives ouvrent la première cohabitation, les responsables du ministère de la culture changent. Lang est remplacé par Léotard et Claude Mollard perd son poste au profit de Dominique Bozo.

    Ce dernier apprécie Soulages, mais prudent, il tente de restreindre la commande à la nef ou aux absidioles.

    Pour continuer son grand dessein, le peintre va mobiliser toutes celles et ceux qui reconnaissent son talent et sont fascinés par sa vision artistique. Proche de Claude Pompidou, il est aussi très ami avec l’historien Georges Duby qui dirige le conseil d’orientation du Centre national des arts plastiques.

    Finalement, la commande des vitraux de Conques est confirmée à Soulages, en février 1987.

    Mais si la route de la décision administrative est dégagée, beaucoup d’autres obstacles vont se dresser sur la route de Soulages.

    Il y a d’abord l’hostilité de la population. On lit dans l’article de la Croix précité que le jour où l’artiste et le maître verrier décident d’entamer le démontage des anciens vitraux, l’accueil des habitants est glacial. Le patron de l’auberge Saint-Jacques en face de l’abbatiale, Francis Fallières, est  nettement antagoniste

    « Le tir était parti de Paris. Personne chez nous ne connaissait Soulages et ça nous restait en travers de la gorge. Pour nous, Aveyronnais, un sou est un sou et on ne comprenait pas la nécessité de changer nos vitraux. ».

    La population, viscéralement attachée à son patrimoine organise la résistance « Conquois contre les Conquistadors », plaisante l’aubergiste. Des réunions publiques houleuses se tiennent, une pétition circule.

    Le propriétaire de notre gite, Michel Falip, ancien maire de Noailhac désormais intégré dans la commune de Conques en Rouergue, nous raconte une autre facette de cette hostilité : les parents des habitants de la commune avaient participé au financement des vitraux de Francis Chigot et ils goutaient peu que leur investissement familial soit relégué, 40 ans après leur mise en place, dans des caisses entreposées dans des caves sombres.

    Michel nous a raconté l’accueil des vitraux comme une polarisation extrême : il y avait ceux qui criaient au génie et les autres à l’escroquerie, les positions modérées semblaient inexistantes.

    L’architecte des bâtiments de France, Louis Causse, catholique engagé, s’oppose aussi à Pierre Soulages :

    « Conques était l’un des édifices du département les mieux vitrés. Alors que tant d’églises ou de chapelles de l’Aveyron avaient des baies nécessitant d’être rénovées, c’était incompréhensible […] Et pourquoi remiser au purgatoire les vitraux figuratifs créés, quarante ans plus tôt, par le peintre Pierre Parot et le verrier Francis Chigot ? » .

    Il y a encore les moines chargés du sanctuaire, les prémontrés en habit blanc qui s’insurgent. Leur prieur, frère Renaud, s’exclame, devant les artisans en pleine installation :

    « Il n’y a plus qu’à sonner le glas ! »

    Un autre frère Jean-Daniel, apostrophe le peintre :

    « C’est dommage. Avec le dépôt des vitraux, on n’aura plus toutes ces couleurs sur les piliers, le sol et nos habits pendant l’office, c’était joli…»

    La réplique cinglante de l’artiste est restée célèbre : 

    « Mais une église, ce n’est pas une boîte de nuit ! »

    Et enfin, il y a un adversaire que le destin capricieux a placé sur la route de cette œuvre.

    Un des hommes les plus puissants de la République d’abord porte-parole puis secrétaire général de l’Élysée auprès de François Mitterrand, Hubert Vedrine dont la mère était la fille de Francis Chigot.

    Il est très hostile qu’on touche au travail de son grand père. Il cédera mais exigera qu’on conserve les vitraux déposés : Finalement, huit seront envoyés à Limoges et quelques autres exposés à la mairie de Conques ou au centre culturel, qui conserve la totalité. En 2013, le lycée Turgot de Limoges en récupérera certains et les installera dans l’établissement.

    Dans l’entretien à la BNF avec Pierre Encrevé précité, Soulages explique que l’omniprésence de la lumière dans l’abbatiale ne l’avait pas marqué lors de sa découverte à 13 ans :

    « À cette époque, je ne m’étais pas encore rendu compte à quel point cet espace architectural est lié à la lumière. Je l’ai constaté seulement lorsque j’ai accepté de faire des vitraux. ».

    Et il continue :

    « Avant toute chose, j’ai voulu évacuer le côté émotionnel, […], j’ai voulu analyser le bâtiment de la manière la plus froide, la plus détachée, la plus précise possible.

    Je me suis aperçu, à ce moment-là, que cet espace architectural était vraiment conçu avec la lumière. Il y a des disproportions stupéfiantes entre les différentes fenêtres, elles ne sont explicables que par un souci d’organisation de l’espace avec la lumière.

    Dans la nef, quand on arrive, à la gauche, c’est le nord, à la droite, c’est le sud. Au nord, les fenêtres sont plus basses, plus étroites que celles qui leur font face au sud. Et pourtant, lorsqu’on construit une nef, on est bien obligé de construire les deux côtés à la fois. C’était donc voulu ainsi. […]

    La longueur de l’édifice est à peine une fois et demie la largeur, le plan est vraiment très compact. À cette compacité s’ajoute la force de l’épaisseur des murs que l’on ressent devant la profondeur des ébrasements de chaque baie. Alliée à cette force il y a la grâce qui naît de l’élan des colonnes et des piliers alternés d’une des plus hautes nefs de l’art roman. Je pense que c’est dans cette alliance que se trouve l’origine de l’émotion ressentie dans ce lieu.

    Mais c’est en mesurant les ouvertures que je me suis rendu compte de l’importance qu’avait la distribution de la lumière. C’est à ce moment-là que j’ai été conduit à imaginer des vitraux qui soient uniquement fondés sur la lumière, et sur la lumière naturelle.

    J’avais deux objectifs. Le premier était que le regard ne puisse pas être distrait par le spectacle extérieur, et le deuxième que la surface du vitrail apparaisse comme émettrice de clarté, productrice d’une clarté très particulière »

    Soulages insiste sur la pauvreté des lieux, les bâtisseurs ont construit avec les pierres dont ils disposaient. L’abbatiale bénédictine fut édifiée au XIIe siècle grâce à toutes les pierres du Rouergue : le grès rouge de Combret, le calcaire blond de Lunel, le schiste bleu de Nauviale…

    « […] J’ai seulement tenu à respecter, à être fidèle à l’identité de ce bâtiment. Cette identité réside dans les dimensions, les proportions, la nature des matériaux, couleur des pierres et des lauzes, etc. Aussi dans l’organisation de la lumière inséparable de l’espace, telle qu’elle est fixée par les dimensions souvent surprenantes des baies.

    À l’époque de la construction, le bâtiment était peut-être coloré, d’après tous les renseignements qu’on peut avoir, et d’après les médiévistes que j’ai consultés.

    Mais par contre il n’y avait sûrement pas de vitraux colorés aux fenêtres. Ce pays était très pauvre, le verre très cher, les verres colorés notamment. D’ailleurs les vitraux colorés, c’était au nord de la Loire, c’était Bourges, c’était Chartres. Pas du tout dans le Midi, et les médiévistes que j’ai consultés, que ce soit Jacques Le Goff, que ce soit Georges Duby ou d’autres, pensaient qu’il était possible que les fenêtres soient closes à l’origine par du parchemin, ou peut-être n’y avait-il que des volets de bois… »

    La création artistique se conjugue pour lui avec l’amour :

    « C’est un bâtiment que j’aime et j’ai voulu le donner à voir tel qu’il nous est parvenu et tel que nous l’aimons, nous, maintenant. C’est ainsi que j’ai été conduit à créer ce verre que vous connaissez. »

    Je ne peux pas citer tout l’entretien que je vous invite à lire : « L’entretien »

    La population comme les moines ont pour, leur plus grande part, évolué dans leur ressenti par rapport à ce travail de lumière. Dans l’article de La Croix, la journaliste cite le nouveau prieur, le frère Cyrille :

    « Les vitraux offrent une grande variété de nuances, des laudes jusqu’au soir. Et le dessin des courbes vit. Parfois il nous donne envie de s’élever, parfois il invite au calme […]
    Ouvrir dans cette lumière l’abbatiale au matin de Pâques, c’est extraordinaire ! »

    Christian Bobin, dans l’ultime page de « La Nuit du cœur » consacré à son séjour à Conques et à son émerveillement devant l’abbatiale et le travail de son ami, écrit :

    « Le verre illuminé des vitraux de Conques, doux comme le papier cristal qui protège les livres anciens, dit que nous ne sommes séparés de la grâce que par un rien. C’est dans la purification de cette pensée que je m’endors dans la chambre 14. »

    Pierre Soulages dans le livre de Marie Rouanet « Les dits de Pierre Soulages » parle du silence :

    « Lorsque j’ai entrepris l’exécution des vitraux de l’église Sainte-Foy de Conques, j’avais compris le sens du silence imposé dans les ordres réguliers. Car le silence est l’écrin de la vie intérieure »

    Ce livre finit par cette phrase :

    « Conques, mon chef d’œuvre, mon chant du cygne. »

    Il dit cela à 75 ans. Le destin lui accordera encore plus de 25 ans de vie, pendant lesquelles il continuera à produire, en s’inspirant du travail accompli dans ce lieu de l’Aveyron où souffle les forces de l’esprit.

  • Mardi 17 septembre 2024

    « A la place de l’éblouissement des yeux tu trouves l’indicible, l’invisible. »
    Pierre Soulages dans « les dits de Pierre Soulages » de Marie Rouanet page 39

    Nous nous trouvons enfin, en ce lundi 9 septembre, dans l’Abbatiale Sainte Foy de Conques.

    Dehors, il fait gris, nul bleu dans le ciel, un léger crachin tombe par intermittence.

    Les vitraux gris de Soulages, en l’absence de soleil ne s’embrasent pas.

    Je suis d’abord un peu déçu, ces vitraux avec leurs milles nuances de gris ne subjuguent pas.

    Mais bientôt, je comprends mon erreur, l’abbatiale ne constitue pas un écrin, à l’égal d’un musée, pour mettre en valeur l’œuvre du peintre.

    Bien au contraire, ce sont les vitraux et leurs lumières qui forment un écrin pour révéler l’abbatiale dans toute sa splendeur.

    Dans le petit livre où Marie Rouanet a noté ce que Soulages disait, elle cite ses propos sur les vitraux de Conques :

    « Il est temps d’oublier le monde extérieur.
    C’est le sens sacré des vitraux.
    Vue de dehors, ils ont l’air d’une porte close.
    Au-dedans ils maintiennent une lumière voilée.
    Tu ne rencontreras pas l’explosion de couleurs attendue, aucun orgue tonitruant ne saluera le cortège des moines et leur psalmodie presque un murmure. Ne sois pas trop déçu. A la place de l’éblouissement des yeux tu trouves l’indicible, l’invisible. »
    opuscule cité pages 38 et 39

    Soulages est pour moi, une découverte tardive.

    Il est vrai que l’art que j’ai investi depuis mes plus jeunes années est la musique, non la peinture. J’avais vaguement entendu l’association de Pierre Soulages et de la peinture noire, rien de plus.

    Mais, trois « rencontres », je ne trouve pas de mot plus pertinent, vont me conduire en ce lieu dans lequel nous retournerons trois jours de suite, tout en allant aussi au musée Soulages à Rodez.

    La première de ces rencontres a eu lieu dans ma cuisine. Ma sensible belle-soeur, Josiane, m’a demandé :

    « As-tu déjà vu l’abbatiale de Conques, avec les vitraux de Soulages ? ».

    Après ma réponse négative, elle m’a raconté son expérience intense dans cette église qui baigne dans une lumière qui permet de tutoyer les forces de l’esprit.

    La seconde rencontre a été provoquée par ma lecture de Christian Bobin qui lui a consacré un livre « Pierre, » dans lequel il raconte son voyage, une nuit de Noël, depuis Le Creusot jusqu’à Sète, pour rencontrer le peintre et lui remettre, en cadeau de son 99ème anniversaire, le manuscrit de « La nuit du cœur ». 

    Dans cet ouvrage, il écrit ces mots qui font vibrer mes cordes intérieures :

    « Les morts ne sont pas plus loin de nous que les vivants.
    Je voyage dans cette parole. Elle serre mes tempes, elle va durer trois heures, le temps du trajet.
    Aller vers ceux qu’on aime, c’est toujours aller dans l’au-delà. »
    « Pierre » dans « Les différentes régions du ciel » page 986.

    Ce livre, date de 2019, l’année précédente il avait donc écrit « La nuit du cœur ».

    Il se trouve, une nuit, dans l’hôtel Sainte Foy à Conques. Une des fenêtres de sa chambre donne sur un flanc de l’abbatiale. Il écrit :

    « C’est dans cette chambre, se glissant par la fenêtre la plus proche du grand lit, que dans la nuit du mercredi 26 juillet 2017, un ange est venu me fermer les yeux pour me donner à voir.
    Dans l’abbatiale, on donnait un concert.
    Je regardais la nuit d’été par la fenêtre, ce drapé d’étoiles et de noir.
    Un livre m’attendait sur la table de chevet. Mon projet était d’en lire une dizaine de pages, puis de glisser mon âme sous la couverture délicieusement fraîche de la Voie lactée.
    Mais.
    Mais en me penchant pour fermer les volets de bois, je vis les vitraux jaunis devenir plus fins que du papier et s’envoler.
    Le plomb, le verre et l’acier qui les composaient, plus légers que l’air, n’étaient plus que jeux d’abeilles, miel pour les yeux qui sont à l’intérieur des yeux.
    Des lanternes japonaises flottant sur le noir, épelant le nom des morts. À cette vue je connus l’inquiétude apaisante que donne un premier amour. ».

    Dans ce livre il raconte sa rencontre avec l’Abbatiale, avec Conques. « Conques est un village introuvable. Les routes qui y mènent imposent une lenteur dont le monde n’a plus goût. » page 15 et avec les vitraux de Soulages.

    Page 113, il donne cette clé :

    « A Conques on lève la tête pour voir au fond de soi. »

    Et puis, il y a eu une troisième rencontre, ou plutôt le croisement du chemin de vie avec le ruisseau du hasard…

    Un signe, dont je ne fais pas un récit et pour lequel je ne prétends donner aucun sens mystique.

    J’étais plongé dans un deuil profond, mon frère Gérard venait de mourir.

    Le lendemain, le 25 octobre 2022, Pierre Soulages quittait aussi le monde des vivants.

    En y regardant de plus près, je m’apercevais qu’il était né le 24 décembre 1919, 14 jours après la naissance de notre père.

    La vie de Pierre Soulages qui a duré 102 ans et 10 mois recouvrait quasi exactement la vie de mon père et de mon frère.

    Toutes ces rencontres m’ont poussé à aller à la rencontre de l’œuvre de Pierre Soulages et particulièrement ses vitraux.

    Dans sa préface du livre « Les vitraux de Conques », le grand Historien médiéviste Georges Duby décrit ainsi cette architecture venue du moyen-âge :

    « Les hommes de très haute culture qui décidèrent il y a neuf siècles de rebâtir la basilique de Conques entendaient d’abord honorer sainte Foy, présente en ce lieu par ce qui restait de son corps […]La basilique de Conques fut conçue […] pour être le lieu du passage de la transition, de la sublimation. Il faut voir en elle une sorte d’antichambre du Paradis, une réplique imparfaite de la Jérusalem céleste, et se rappeler que les harmonies de son espace interne fut calculées de manière à susciter la vision prémonitoire des perfections intemporelles.
    Franchir son seuil devait être vécu comme une rupture, comme une conversion de l’être. ».

    Dans ce même livre, Pierre Soulages compare l’abbatiale Sainte Foy et la basilique Saint Sernin de Toulouse, toutes deux étapes sur les chemins de pèlerinage vers Saint Jacques de Compostelle.

    Cette comparaison montre ce que l’église de Conques a de particulier. Saint Sernin est immense 120 m de long, Sainte Foy n’a que 56 m, moins de la moitié.

    En revanche, la nef de Saint Sernin a une hauteur de 21,10 m pour une largeur de 8,60m. Alors que Conques possède une nef de 22,10m, soit un mètre de plus pour 6,80 de large, ce qui la fait paraitre encore plus élancée. Nous sommes dans un édifice qui porte haut la force de la verticalité.

    C’est cet élan vers le haut qui pousse à élever l’esprit et pour celui qui sait recevoir, accueillir le spirituel. La lumière qu’offre les 104 vitraux de Soulages éclaire ces immenses colonnes surmontées de chapiteaux et illumine les espaces derrière les colonnes.

    Christian Heck dans son livre : « Présence de la Lumière inaccessible. Les vitraux de Conques et la peinture de Soulages. » cite le peintre

    « C’est ce qui m’a fortement impressionné dans cette aventure : créer pour un tel lieu une matière qui marque l’écoulement du temps est une rencontre qui a un sens profond et qui a beaucoup compté dans la suite de mon travail. »
    page 35.

    Et il a ajouté :

    « On ne se rend pas compte à quel point tout ce que je fais est lié aux vitraux que j’ai réalisés à Conques, c’est à dire la lumière. ».

  • Mardi 23 juillet 2024

    « Une lumière si tendre qu’elle semble s’adresser aux morts plus qu’à nous. »
    Christian Bobin « Ressusciter »

    C’était un immense cadeau que nous nous offrions l’un à l’autre : du temps.

    Deux fois par an, l’été et l’hiver, Fabien et moi convenions d’un jour : un vendredi, d’un lieu : un restaurant pour nous offrir ce qu’un être humain a de plus précieux : du temps de vie.

    La dernière fois où nous avons eu cet échange à deux, ce fut au restaurant Bulle qui est situé juste à côté de la basilique de Fourvière.
    La qualité du repas était importante, mais n’était pas principale.

    Le cadre, l’écrin du dialogue, était plus essentiel.

    A la fin du repas, comme nous avions prélevé 1/2 journée sur notre portefeuille de congé, nous nous accordions encore le reste de l’après-midi, pour continuer la discussion en marchant et en finissant par nous asseoir à la terrasse d’un café.

    Nous parlions de tout, de politique, d’économie, d’Histoire, des relations humaines, de la santé, des idées et de la vie.
    Et puis nous parlions aussi de notre finitude, la mort s’invitait à notre dialogue.

    Surtout depuis un épisode qu’il avait vécu.

    Le 30 novembre 2018, notre rendez-vous avait eu lieu au Restaurant « Les téléphones » situé rue Radisson dans le 5ème arrondissement de Lyon, près des ruines romaines.
    Quelques semaines plus tard, en plein déjeuner, lors de la pause méridienne professionnelle, Fabien s’est écroulé victime d’un arrêt cardiaque.

    Un collègue, initié dans cette technique, a immédiatement pratiqué des massages cardiaques pendant que d’autres appelaient le SAMU.
    Il fut sauvé !

    Lors de notre rencontre suivante, il eut ce mot :

    « Je suis mort, mais j’ai ressuscité ! »

    Il faut croire qu’on ne peut ressusciter qu’une fois.
    Fabien a quitté définitivement la communauté des vivants le 20 juillet 2024, il avait 62 ans.

    « Ressusciter » est un verbe particulier, il se conjugue à la fois avec l’auxiliaire être et avec l’auxiliaire avoir et il est surtout l’apanage d’une grande communauté de croyants qui racontent une histoire dans laquelle un homme, mais qui dans ce récit était aussi un dieu, est ressuscité, le 3ème jour après sa mort.

    Christian Bobin a écrit un ouvrage en 2001 qui a pour titre « Ressusciter », on peut y lire ces mots dont j’ai extrait l’exergue du mot du jour.

    « Il y a ce matin sur les arbres, les murs et dans le ciel, une lumière si tendre
    qu’elle semble s’adresser aux morts plus qu’à nous.
    à moins que ce ne soient les morts qui nous l’envoient,
    comme on écrit une lettre rassurante à des parents un peu inquiets. »
    « Ressusciter » Page 79 dans la version Folio

    La dernière fois que nous nous sommes vus c’était le 17 mai, Pierre s’était joint à nous. Fabien se plaignait bien de quelques douleurs mais il ignorait alors qu’un cancer terriblement agressif était à l’œuvre. La médecine s’est révélée impuissante à stopper le mal.

    Nos agapes et nos causeries fécondes nous éloignaient parfois de Lyon comme ce vendredi de juin 2020, au milieu de deux confinements, où notre lieu de rencontre se situait à Ville-sur-Jarnioux, dans la petite région appelée « Pierres dorées ».

    Il venait de découvrir ce petit restaurant plein de charme : « L’Auberge de la place » situé 7 route de Theizé.
    Cette fois-là, après le restaurant, nos pas nous ont amené à Chasselay.

    7 jours auparavant, j’avais écrit un mot du jour sur «Le Tata sénégalais de Chasselay» parce que 80 ans plus tôt, le 20 juin 1940, des soldats allemands de la Wehrmacht et non des SS comme on l’a cru pendant longtemps, ont assassiné des soldats français parce qu’ils avaient la peau noire et qu’ils avaient résisté avec force et courage à l’armée blanche des bons aryens

    Dans ce mot du jour j’expliquais que « Tata » signifie enceinte fortifiée en Afrique. L’édifice, entièrement ocre rouge, est constitué de pierres tombales entourées d’une enceinte rectangulaire de 2,8 mètres de hauteur. Son porche et ses quatre angles sont surmontés de pyramides bardées de pieux. Le portail en claire-voie, en chêne massif, est orné de huit masques africains.
    On a fait venir de la terre de Dakar par avion, pour la mélanger à la terre française.

    188 tirailleurs « sénégalais » ainsi que six tirailleurs nord-africains et deux légionnaires (un Albanais et un Russe) y sont inhumés. Nous nous sommes rendus, plein d’émotion, dans ce lieu de mémoire.

    L’Histoire était un de nos sujets de discussion préférés. Fabien lisait énormément, c’était un puits de culture.

    Au début de notre rencontre, lors des pauses méridiennes de notre service, Fabien m’étonnait par l’étendue de son savoir qu’il présentait avec assurance mais sans aucune arrogance.

    J’étais tellement interpellé qu’après la pause j’allais vérifier ses dires, c’était quasi toujours parfaitement exact. Quand il y avait quelques imprécisions, il pouvait s’expliquer facilement par de petites confusions jamais essentielles. Il reconnaissait d’ailleurs facilement ces quelques erreurs minimes.

    Un collègue Louis B. avait eu cette description, finalement assez juste :

    « Fabien, c’est ce collègue qui, alors que tu lui demandes l’heure, te narre l’histoire de l’horlogerie »

    Mais Fabien était bien plus que cela.Il était d’une profonde humanité et ce que nous échangions ce n’était pas essentiellement nos savoirs mais bien davantage ce que nous avions appris et continuions d’apprendre de la vie.

    Après le mot du jour, dans lequel je laissais entrevoir une aggravation de mon état de santé, je lui envoyais un message pour l’inciter à rapidement fixer une date de rencontre car je lui disais que nous ne savions pas combien de rencontres nous pourrions encore nous offrir.

    Il m’a alors répondu par ce message :

    « Comme tu l’as exprimé dans ton mot du jour du 21 janvier sur « l’attente », la solitude et le silence peuvent être habités.
    J’ai ressenti ce mot du jour dans toute sa profondeur comme tu l’auras sans doute deviné, une profondeur qui s’inscrit certes dans mais aussi au-delà de nos histoires et trajectoires personnelles et nous renvoie à l’humaine condition, c’est à dire à l’essentiel.

    Si « La solitude et le silence peuvent être habités  » c’est aussi en partie parce que les mots ne permettent pas toujours d’exprimer avec exactitude la complexité de ce que nous ressentons …

    Cher Alain, nous n’allons pas pour autant sacrifier au culte de la vitesse et tu comprendras que je me refuse tout particulièrement à évaluer le nombre de repas qu’il nous resterait à partager  faisons comme nous le ressentons.

    Comme d’habitude, pour le choix du lieu de nos agapes, je m’en remets lâchement et pleinement à ton choix, ..aussi propose moi ( et c’est un ordre ! ) une prochaine date de rencontre. Il n’appartient qu’à nous de faire de ces moments de vrais moments d’amitié et de liberté. »

    Tous ceux qui l’ont connu, ont apprécié sa bonhomie, sa bienveillance, sa rectitude. Il était de ceux à qui on pouvait toujours faire confiance, on savait que cette confiance était entre de bonnes mains.

    Il savait écouter avant de parler.

    Nous n’étions pas toujours d’accord, mais nous savions accepter nos désaccords et aussi évoluer à cause de l’argumentation de l’autre.

    Fabien était mon collègue.

    Il est devenu mon ami, un ami précieux, un ami qui fait progresser.

    Nous n’irons plus ensemble dans tous ces restaurants comme « l’Étage » place des terreaux auquel on accède après avoir monté un escalier d’un autre temps.

    Le serveur à l’humour « pince sans rire » nous révélait qu’il était encore plus difficile à descendre qu’à monter et que parfois après des repas arrosés, des convives descendaient très vite en roulant plutôt qu’en marchant.

    Photo prise en décembre 2021 après notre repas à l’Artichaut, je prends en photo Fabien en train de prendre une photo de la basilique d’Ainay

    Ou encore « l’Artichaut » qui se situe à côté de la merveilleuse Basilique d’Ainay, endroit qui incite au recueillement, à la méditation.

    C’est lors de ce repas que Fabien m’a parlé de Jules Supervielle et comme un moment, hors du temps, m’a récité, d’un trait, ce poème :

    « Encore frissonnant
    Sous la peau des ténèbres
    Tous les matins je dois
    Recomposer un homme
    Avec tout ce mélange
    De mes jours précédents
    Et le peu qui me reste
    De mes jours à venir.
    Me voici tout entier,
    Je vais vers la fenêtre.
    Lumière de ce jour,
    Je viens du fond des temps,
    Respecte avec douceur
    Mes minutes obscures,
    Épargne encore un peu
    Ce que j’ai de nocturne,
    D’étoilé en dedans
    Et de prêt à mourir
    Sous le soleil montant
    Qui ne sait que grandir. »

    J’en avais fait l’objet du mot du jour du 23 décembre 2021.

    Il reste la richesse de tout ce que nous avons échangé, des souvenirs à jamais dans mon cœur de vivant.

    « J’écris pour me quitter,
    aussi pour inventer une maison pour les vivants,
    avec une chambre d’amis pour les morts »
    Christian Bobin, « Ressusciter » Page 83 dans la version Folio

  • Vendredi 12 juillet 2024

    « Gagner »
    Comment gagner ?

    Qui gagne ?

    Qui perd ?

    Jean-Luc Melenchon affirme que le Nouveau Front populaire a gagné et, qu’à l’intérieur du NFP, son parti a gagné .

    Il en conclut que c’est au sein du parti le plus à gauche de l’échiquier politique qu’il faut désigner le premier ministre. Et avec tout cela, il veut appliquer son programme, tout son programme.
    La secrétaire générale de la CGT Sophie Binet s’insurge 

    « Emmanuel Macron veut nous voler la victoire ! ».

    D’autres pensent que c’est le Rassemblement National qui a gagné.
    D’abord au premier tour comme au second, c’est ce bloc d’extrême droite qui a a obtenu le plus de voix.
    Ensuite à l’intérieur de l’hémicycle, si on s’intéresse aux groupes politiques, c’est à dire aux députés qui ont suffisamment de convergence pour accepter de siéger dans un ensemble homogène et identifié au Parlement, le RN est nettement le premier groupe.
    En outre,  sa progression entre la législature précédente et celle d’aujourd’hui est la plus importante de toutes les formations.

    Il existe aussi des hommes politiques comme Bruno Retailleau  qui prétendent que c’est « la Droite » qui a gagné et qu’il est impossible de nommer un premier ministre de gauche :

    « Notre pays est majoritairement à droite ! »

    Personne ne s’aventure à dire qu’Ensemble, les formations politiques qui, avant la dissolution, formaient la majorité présidentielle,  a gagné. Il y a des limites à l’outrance. Toutefois, le président de la république pour quelques mois encore, au maximum 34, a écrit une lettre le 10 juillet, dans laquelle on trouve cette phrase :

    « Personne ne l’a emporté. »

    Et, avec tous ces braves gens comment est-il possible de gouverner la France ?

    Emmanuel Macron, Marine Le Pen, Jean-Luc Melenchon et quelques autres sont fondamentalement des autocrates, des bonapartistes, non des démocrates.
    Il considère qu’il faut un processus de désignation d’un vainqueur, selon des méthodes quelconques.

    Le fait que des électeurs votent pour leur parti pour éviter une catastrophe plus grande, sans partager leurs options politiques fait partie de ces méthodes. Une fois « ce truc de prestidigitateur » ayant donné un résultat, celui qui est premier pense pouvoir gouverner à sa guise, sans tenir compte des autres. Les institutions de la cinquième république donne d’ailleurs quelques outils pour ce faire.

    Dans sa lettre du 10 juillet, Emmanuel Macron, exprime des réticences par rapport à cette méthode. Le problème c’est qu’il l’a appliquée depuis 2022, alors que lui aussi n’avait pas gagné les législatives, sa majorité présidentielle était seulement le groupe le plus important de l’Assemblée.

    Que ferait des démocrates ?

    Les différents groupes se réuniraient pour discuter d’un programme. Non pas pour choisir dans une liste de distribution de gratification,  mais pour répondre à  des questions :

    • Comment envisagez vous la dette de la France ?
    • Que pensez vous qu’on puisse faire pour le pouvoir d’achat des français ?
    • Quel est votre plan pour affronter le défi climatique et écologique ?
    • Quel est votre plan énergétique, sur les énergies renouvelables, sur le nucléaire ?
    • Que pensez vous faire pour la réindustrialisation de la France et l’attractivité du territoire ?
    • Quelle est votre politique européenne ?
    • Quelle est votre position sur la guerre en Ukraine ? et à Gaza ? Quelle est votre position sur le budget de la défense ? Quelle est votre vision par rapport à l’OTAN ?
    • Que proposez vous pour diminuer les tensions à l’intérieur de la société française ? Comment peut on rendre l’immigration compatible avec les craintes des français ? Quelle est votre modèle républicain et votre conception de la laïcité ?
    • Quelle est votre position sur la demande de sécurité des français ?
    • Considérez vous qu’il existe un sujet d’insécurité culturelle des français ou cette question est-elle en dehors de votre analyse ?

    On pourrait continuer et notamment parler du scrutin proportionnel qui constitue, dans l’état actuel des choses, une arme efficace contre les autocrates.

    Qui a gagné ? Qui a perdu ?

    Peut être faut il poser la question autrement comment gagne t’on vraiment ?

    Et comment perd t’on dignement. ?

    Pour donner une piste, je voudrai évoquer un épisode sportif.

    Le 2 décembre 2012, une épreuve de cross-country se déroulait à Burlada, en Espagne.

    Le premier de la course, le Kenyan Abel Mutai (médaillé de bronze du 3 000m steeple cet été aux JO de Londres), s’apprête à remporter la course. Pensant avoir franchi la ligne, il coupe sa foulée et regarde son chronomètre… Seulement, il s’est trompé, et la ligne d’arrivée réelle est à quelques dizaines de mètres.

    Derrière lui, l’Espagnol Ivan Fernandez Anaya arrive en pleine lancée. Il s’aperçoit immédiatement de la méprise de Mutai, et lui fait signe que la ligne est plus loin. Il essaye de dire  au Kenyan de continuer à courir.

    Mutai ne connaissait pas l’espagnol et ne comprenait pas. Alors Fernandez a poussé Mutai à la victoire. A ceux qui lui ont demandé pourquoi il a fait cela, Ivan Fernandez Anaya a déclaré qu’il ne méritait pas de gagner, car il n’aurait jamais pu rattraper Abel Mutai sans son erreur.

    Ivan Fernandez Anaya, 24 ans, a été champion d’Espagne espoirs du 5 000 mètres en 2010.

    On trouve sur les réseaux sociaux cette belle histoire avec des photos erronées ou des réflexions pleines de sagesse qui aurait été prononcées par l’espagnol et qui ne sont pas exactes.

    L’histoire montre simplement un homme qui a une éthique et qui se pose la question : Comment gagne- t-on ? Je crois que c’est une bonne question.

  • Lundi 8 juillet 2024

    « La Gauche est très minoritaire dans le pays ! »
    Des chiffres et une analyse factuelle

    Certains propos de hier soir ont profondément irrité mon âme démocrate.

    Si je me suis réjouis que les citoyens français ont une nouvelle fois, et j’espère que ce ne sera pas la dernière, repoussé la menace de l’arrivée au pouvoir de gens xénophobes, illibéraux et incompétents, il n’est pas décent que des hommes politiques qui combattent cette menace plongent dans la démagogie et le déni.

    Quand Jean-Luc Melenchon affirme que son camp a gagné et que le seul choix est d’appliquer son programme, tout son programme et rien que son programme il tient des propos hors sol et dangereux pour la démocratie, parce qu’il ne tient pas compte des autres électeurs.

    Revenons simplement à ce qui s’est passé lors de ces deux tours d’élections législatives qui ont permis d’élire une Assemblée nationale dont la durée de vie se situe entre 1 et 5 ans. Et n’oublions pas qu’il ne s’agit pas d’un jeu mais de gouverner notre vieux pays qui est menacé par la guerre, par les dettes, par le défi climatique, par la détresse sociale, par l’insécurité physique et culturelle.

    Tous les résultats se trouvent sur le site du Ministère de l’Intérieur à l’adresse suivante : <Résultats législatives 2024>

    Voici d’abord le tableau des résultats du premier tour qui s’est déroulé le dimanche 30 juin 2024. J’ai ajouté une colonne regroupement, pour tenter d’inscrire tous ces mouvements politiques dans notre grammaire républicaine qui classe les tendances politiques entre l’extrême gauche et l’extrême droite. Il est nécessaire, pour une petite part, de distinguer une tendance <autre> notamment pour les divers et régionalistes.


    Dès lors lorsque qu’on présente les résultats en voix selon cette typologie on obtient ce tableau. Mais visuellement, c’est par l’intermédiaire d’un graphique qu’on peut le mieux discerner l’état des forces en présence.


    Dès lors, il est clair que les mouvements qui se réclament de la gauche sont nettement minoritaires dans l’électorat. Pour espérer obtenir une majorité il faudrait que ces mouvements puissent s’adjoindre, convaincre, s’allier avec la quasi l’intégralité du mouvement de centre droit, plutôt à droite de ce qui reste de la majorité présidentielle macroniste.

    Il me semble que toutes les personnes raisonnables qui ont réfléchi à situation politique dans notre pays ont conclu qu’il faudrait abandonner le scrutin uninominal à deux tours qui n’est plus pratiqué qu’en France pour passer au scrutin proportionnel.

    Le scrutin proportionnel a également des défauts, notamment celui d’interdire au corps électoral d’écarter un candidat dont il ne veut pas. En effet, la confection des listes étant entre les mains des dirigeants des partis politiques, les députés sont ceux qui sont choisis par ces dirigeants .

    En revanche, et cela me semble la qualité essentielle de ce mode de scrutin, il ne permettra jamais à un force politique qui dispose de l’appui d’un tiers de l’électorat,  d’obtenir la majorité absolue des sièges de l’Assemblée nationale et de poursuivre une politique contraire à la volonté des deux tiers des citoyens.

    En outre, ce mode de scrutin rend inutile des alliances contre nature entre des partis politiques qui sont en désaccord sur des points fondamentaux. Enfin, il rend indispensable une autre manière de conduire la politique puisqu’il induit la nécessité de coalitions après les élections. Dès lors si on avait appliqué un scrutin proportionnel aux résultats du premier tour, en prenant comme règle que seuls les mouvements disposant au minimum de 5% des voix peuvent obtenir des députés, on arrive à cette assemblée :

    Arrivé à ce stade, il  apparait normal de vouloir comparer l’image de cette assemblée avec celle qui est issue du second tour.

    Le scrutin uninominal autorise des candidatures locales qui ne se rattachent pas formellement à un des grands partis.

    En outre, des dissidents de l’un ou l’autre parti peuvent aussi obtenir le succès qui leur serait refusé dans un scrutin proportionnel.

    Pour pouvoir comparer les deux assemblées, il faut évidemment faire des rapprochements que j’ai effectué ci-contre selon les classements du ministère l’intérieur qui a rangé ces députés selon une répartition gauche, droite, centre. Il reste des régionalistes divers qui sont plus difficilement classables. On constate donc que le Rassemblement national a été très défavorisé par le scrutin actuel. Il me semble très pernicieux que celles et ceux qui se réjouissent de cet effet, en raison de leur opposition radicale à ce parti, considèrent qu’il ne faut pas changer le mode de scrutin qui permet cela. Pour ma part, je n’ai pas de doute, il arrivera un jour où le RN profitera à son tour des effets pervers du scrutin uninominal à deux tours pour obtenir un nombre de sièges disproportionné par rapport à son ancrage électoral.

    Hier nous avons donc vécu le second tour, car il restait 501 députés à élire. Pour certains ce fut une divine surprise. De manière factuelle voilà la répartition en voix, en siège et en pourcentage. J’ai repris les mêmes regroupements que pour le premier tour.

    Nous constatons les effets déformants qu’induit ce mode de scrutin dans la distribution des sièges. Le Rassemblement national arrive encore largement en tête du scrutin avec plus de 10 millions d’électeurs, il fait mieux qu’au premier tour avec 37% des exprimés contre 33% au premier tour.

    Avant de lire ces chiffres, étiez vous conscients de cette réalité ?

    501 sièges étaient à distribuer. Si on ne s’intéresse qu’au trois grands blocs de cette élection, on constate que si 37% des électeurs lui ont donné leur bulletin, ils n’ont récupéré que 20,8 % des sièges. En parallèle la majorité présidentielle avec 23,15% des voix a récupéré près de 30% des sièges. Le nouveau front populaire a obtenu 25,7% des voix, si on a écouté le démagogue Melenchon, hier juste après 20:00, on avait le sentiment qu’il croyait avoir obtenu 50% des suffrages. Et si on refait un graphique des forces en présence comme pour le premier tour on obtient le schéma suivant :

    Hier, La gauche n’était pas minoritaire, elle est très minoritaire. Hier soir, après que mon ancien camarade du PS, Philippe Prieto se réjouissait de la victoire de la candidate socialiste dans la circonscription où je vote, je lui écrivais ce message :

    «  Il y a un peu de répit. Mais attention ce sera très compliqué. Certaines prises de position, ce soir, par des membres de NFP sont totalement hors sol. La Gauche est minoritaire en voix en France. Au premier tour elle représente à peu près 32% des exprimés. Au second tour elle pèse encore moins. Ce n’est pas avec cela qu’on applique « son programme », « tout son programme. ».
    C’est le temps de l’humilité, des discussions et des compromis intelligents.
    Est ce qu’il y a des hommes de gauche lucides et convaincants qui peuvent prendre ce rôle  ».

    Oui, il faut de l’humilité et le sens du compromis. Sinon ce que nous redoutions reviendra en boomerang, plus fort encore.

  • Mercredi 3 juillet 2024

    « La brutalité et la tendresse »
    Inspiré par François Ruffin.

    L’extrême droite c’est le mal !
    J’en suis convaincu.

    L’extrême gauche c’est le bien ?
    J’ai des doutes.

    Doute qui s’efface quand j’essaie d’écouter ce clip de rap, publié dans la nuit du 1er juillet, « No Pasaran ». Ce sont 20 strophes ou couplets qui sont alternativement psalmodiés par plusieurs rappeurs.

    On commence la première strophe par Sofiane, c’est à dire Sofiane Zermani, né le 21 juillet 1986 à Saint-Denis dans le 93 : 

    « La menace vient droit des cités (Ouais, ouais, pah), ma gueule, on vote contre les porcs
    Jordan, t’es mort, Jordan, t’es mort ».

    La seconde est confiée au rappeur Zola, de son vrai nom Aurélien N’Zuzi Zola né le 16 novembre 1999 à Évry en Essonne :

    « Yeah, j’propose un octogone à Bardella
    Ferme les frontières mais la dope remontera d’Marbella quand même (Quand même)
    Donc, ouais, c’est pour ça qu’je les ken, donc ouais, c’est pour ça qu’j’ai la paye (Ouais, ouais) »

    La troisième, Kerchak, anciennement Zolal, originaire de Bois-Colombes, est né le 19 février 2004. Il exprime les sentiments suivants :

    « J’suis pas les politiciens genre j’fais pas trop le Mandela (Nan, nan)
    Mais tout c’que j’sais, c’est qu’on vote pas Marine et baise la mère à Bardella (Rrrah) »

    Je joins le texte intégral <No Pasaran> et je dévoile encore quelques passages fleuris :

    Le rappeur Alkpote, nom de scène d’Atef Kahlaoui, né le 3 février 1981 dans le 10e arrondissement de Paris :

    « J’recharge le Kalachnikov, en Louis Vuitton comme Ramzan Kadyrov (Clique, clique)
    Nique l’imam Chalgoumi et ceux qui suivent le Sheitan à tout prix (Trogneux)
    Marine et Marion, les putes, un coup de bâton sur ces chiennes en rut (Vlan)»

    Sauf pour la dernière phrase qui devrait faire hurler toutes les féministes de droite et de gauche !!!! Il faut peut être quelques notes explicatives. Ramzan Kadyrov est le président de la Tchétchénie, alliée de Poutine il a pris le pouvoir après que les troupes russes aient massacré la population tchétchène qui voulait s’émanciper du colonialisme russe.

    Ramzan Kadyrov applique dans sa république un islamisme rigoriste, il avait minimisé l’acte terroriste de son compatriote qui avait décapité Samuel Paty.

    L’imam Chalgoumi est celui de Drancy qui est menacé de mort depuis des années pour ses prises de position républicaines. « Sheitan » est un mot arabe qui signifie : Satan ou démon.

    J’ignore ce que vient faire le nom de Trogneux dans ce morceau de haine, nous savons que c’est le nom de naissance de l’épouse du président de la République.

    Ce même rappeur continue sa logorrhée par ces propos complotistes :

    « Nique tous ces députés, on sait qu’ils manipulent les statistiques (Menteurs) […]
    Font du mal à nos enfants, ils veulent nous injecter une puce dans l’sang (Antéchris) »

    Les francs-maçons sont aussi leurs ennemis : Strophe 8 : « Fuck ******** ******, c’est tous des francs-maçons » Strophe 13 « Espèce de franc-maçon, tu te nourris du sang qu’tu consommes Dans leurs ambassades, c’est le Sheitan qui les passionne Ouais, la France, c’est nous (C’est nous), fuck Eric Zemmour».

    Quand ces personnes qui sont françaises et ont leur place en France crient, après toutes leurs invectives, « Ouais, la France, c’est nous » ils en sont au même stade d’exclusion que ceux du RN qui disent « La France, c’est nous ». Il y a alors deux France face à face, ce n’est pas ainsi qu’on fait société, et ces jeunes gens sont aussi coupables que ceux qu’ils veulent combattre.

    Je trouve tout cela affligeant. Ce n’est pas ma Gauche.

    Le Parisien évoque sobrement « des paroles particulièrement virulentes contre le Rassemblement national ou ses dirigeants ». Sur le site de France Info, on lit que « les rappeurs utilisent des paroles incisives pour dénoncer la montée de l’extrême droite », Le Monde est un peu plus incisif : « les mots souvent excessifs voire insultants, les propos misogynes et complotistes, au risque de brouiller leur message. »

    Il faut se tourner vers l’hebdomadaire Marianne : <« No Pasaran » : le morceau indigeste et contre-productif des rappeurs qui veulent s’opposer au RN> ou Le Point <« No Pasaran » : les rappeurs du déshonneur et leurs suiveurs> pour obtenir une analyse qui parvient à trouver des mots qui me parlent, après ce déchainement de haine, de sexisme, d’islamisme et de laideur.

    Dans mon éthique, il n’est pas possible de tenter de dénicher toutes les dérives extrémistes et racistes que les élus et militants du RN ont semé sur la toile et ne pas dénoncer avec autant de force ce monument de bêtise et de violence de ceux qui prétendent combattre l’extrême droite.

    Je me sens beaucoup plus proche de cette injonction de François Ruffin, au moment de la réforme des retraites d’Emmanuel Macron : « Il faut de la tendresse pour notre pays. » car il jugeait la réforme « brutale ».

  • Vendredi 28 juin 2024

    « En politique le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal. »
    Nicholas Machiavel

    Je n’ai pas retrouvé cette citation d’un ministre allemand qui avait dit :

    « Les gens croient que mon job est de choisir entre une bonne décision et une mauvaise décision. Presque toujours je dois choisir entre une mauvaise décision et une décision pire. »

    Mais je me suis souvenu de cette phrase que j’ai souvent vu attribuer à Machiavel, sans citer la source exacte.

    Il me semble que c’est très juste. Je peux donner un exemple récent. L’Union européenne a augmenté les droits de douane sur les véhicules électriques chinois. <Le Monde> donne des précisions à ce sujet.

    Le problème vient du fait que l’Union européenne est submergée par ces voitures chinoises et qu’il est quasi certain que les industries qui les produisent, soient largement subventionnées par l’Etat chinois. Donc bonne décision !

    Mais non, mauvaise, car la Chine va répliquer :

    « la viande de porc provenant de l’Union européenne est désormais dans la ligne de mire de Pékin. Une enquête antidumping sur les importations de produits porcins est au cœur d’un bras de fer commercial entre l’Europe et la Chine.
    La France pourrait-elle perdre des parts de marché ?
    Un éleveur de truie en Ille-et-Vilaine réalise 10 à 15% de ses ventes grâce à des exportations en Chine. Les Chinois sont en effet friands de parties du cochon qui sont peu consommées ailleurs dans le monde, comme les oreilles ou les pieds.
    Une douche froide pour la filière française porcine  […]
    Au total, l’an passé, la France a exporté 115 700 tonnes de viande de porc vers la Chine, soit plus de 16% de ses exportations.»

    Il faudra donc arbitrer entre deux mauvaises décisions.

    On pourrait dire de même pour la guerre en Ukraine, il n’y a pas de bonne décision mais une décision « entre le pire et le moindre mal.»

    Il en va de même pour nous, en tant qu’électeur, ce dimanche : nous devrons choisir entre le pire et le moindre mal. La seule chose que nous devrions nous interdire, c’est de ne pas choisir.

    Pour finir ces pensées de Christian Bobin :

    « Il semblerait que la nuit doive s’épaissir encore un peu plus pour qu’on puisse apercevoir quelques étoiles.
    Après, on verra les étoiles, par contraste.
    Il faut que le noir s’accentue encore pour que les premières étoiles – les premières, ça veut dire qu’il y en aura d’autres – apparaissent.
    Il est possible qu’une catastrophe économique soit une grâce, une chance.
    Ça nous dessoulera, ça nous sortira d’une ivresse, de l’irréel, de l’avidité, de la consommation. Mais on n’y est pas encore »
    Le Plâtrier siffleur, page 13

  • Mercredi 26 juin 2024

    « Moi ou le chaos » et en fait « moi et le chaos »
    Daniel Muraz dans le journal « Courrier Picard » du 18 juin

    Et maintenant, il parle du risque de guerre civile !

    En effet, dans un entretien au podcast «Génération Do It Yourself» diffusé lundi 24 juin, le président de la République a attaqué ses rivaux des «deux extrêmes», et pour ajouter à l’angoisse générale, prophétise la possibilité de la guerre civile !

    Nous sommes passés de la promesse de « Moi ou le chaos » au constat du « Moi et le chaos ».

    Un Président de la République ne devrait pas dire cela !

    Il ne devrait pas attiser les braises mais au contraire apaiser, essayer de rassembler. Daniel Muraz écrit dans le journal « Courrier Picard » du 18 juin :

    « En dramatisant les enjeux et en renvoyant caricaturalement dos-à-dos le front populaire de gauche et l’extrême droite. Face à ces « extrêmes » également diabolisées et traités de « fous », le chef de l’extrême centre en a appelé à créer ce « bloc central » qu’il n’a jamais réussi à construire depuis deux ans.
    Quant au projet politique, rien de neuf. Bref, c’est juste « moi ou le chaos ». Et en fait « moi et le chaos ».
    Chaos sinon créé, du moins accentué par sa dissolution. Chaos évident à droite chez les Républicains. Chaos à gauche ou les rancœurs réapparaissent. Une clarification politique répondrait certes l’Élysée. Mais chaos aussi au sein d’une ex-majorité présidentielle déboussolée, qui a subi deux ans éprouvants à l’Assemblée et qui se voit contrainte de repartir au front dans la pire des situations, avec un RN au plus haut et une gauche qui, déjouant les espérances élyséennes des « gauches irréconciliables », est quand même parvenue à afficher son unité.
    Image chaotique encore renvoyée à l’étranger, notamment aux partenaires européens, affaiblissant le poids de la France dans les négociations qui s’ouvrent à Bruxelles pour renouveler les instances européennes. Chaos et K.O. politique surtout pour un président qui s’engageait en 2017 à tout faire pour que les Français n’aient plus aucune raison de voter pour le RN… »

    Parmi toutes les nombreuses causes à la présence de l’Extrême droite aux portes du pouvoir, ce président ne se rend il pas compte de ce que sa manière d’agir, de gouverner en solitaire et de parler a pu irriter au plus haut point les français ?

    Il n’aurait pas pu gagner les élections présidentielles de 2017 ou de 2022 sans l’apport de millions d’électeurs qui n’étaient pas d’accord avec les solutions qu’il proposait,  mais voulaient juste éviter le chaos.

    En 2022, les électeurs sont allés plus loin, il n’ont donné qu’une majorité relative à son camp. En réponse, il n’a jamais cherché à faire une coalition, il voulait des ralliements pour pouvoir continuer à agir comme lors de son premier mandat, avec une assemblée de députés soumis qui votaient tout ce que ses conseillers et lui proposaient.

    Et le sommet de cette dérive fut la gestion de la Loi sur les retraites. Il n’a même pas voulu parler et négocier avec Laurent Berger, l’homme du compromis et de la modération.

    Au moment de son départ de la CFDT Laurent Berger a expliqué au JDD, en parlant d’Emmanuel Macron :

    « Je ne veux pas tomber dans l’ultra personnalisation des choses, mais on n’a pas la même conception de la démocratie sociale, ni sans doute de la démocratie […] On n’a pas la même conception du modèle social qui doit être le nôtre pour accompagner les Français, les parcours ».

    Emmanuel Macron ne nous a pas préservé du chaos, il a été un accélérateur de chaos.

  • Lundi 24 juin 2024

    « Et s’ils comprennent quelque chose à notre présence commune sur terre. »
    Christian Bobin

    « Je voudrais parfois entrer dans une maison au hasard, m’asseoir dans la cuisine et demander aux habitants de quoi ils ont peur, ce qu’ils espèrent et s’ils comprennent quelque chose à notre présence commune sur terre.»
    Christian Bobin, « Ressusciter» p. 159

    Je ne sais pas quoi ajouter à cette sage injonction de Christian Bobin.

    Peut être ajouter deux photos qui montrent que c’est possible de trouver des humains qui ont compris quelque chose à notre présence commune sur terre et ont agi en conséquence.

  • Vendredi 21 juin 2024

    « Timeo hominem unius libri »
    Parole attribuée à Saint Thomas d’Aquin et qui signifie « Je crains l’homme d’un seul livre »

    Thomas d’Aquin est considéré comme l’un des plus grands maîtres de la théologie catholique. Les procédures religieuses l’ont proclamé « Docteur de l’Eglise » catholique.

    Il est né autour des années 1225 en Italie et il est mort le 7 mars 1274 à l’abbaye de Fossanova dans les États pontificaux. C’était un religieux de l’ordre dominicain.

    Il aurait dit :

    « Je crains l’homme d’un seul livre. »

    La rigueur nous oblige à dire qu’il n’est pas certain que cette citation soit exacte.

    <Cette page anglaise> prétend que c’est l’évêque Jeremy Taylor (1613-1667), qui affirmait que Thomas d’Aquin aurait prononcé cette phrase.

    Aujourd’hui, il est devenu banal de citer cette phrase et de l’attribuer au théologien dominicain du XIIIème siècle.

    Ainsi Delphine Horvilleur a écrit sur un réseau social, en utilisant un dessin de Plantu, le 29 octobre 2020 :

    « Thomas d’Aquin a écrit un jour: « je crains l’homme d’un seul livre ». Le fanatique est toujours un mono-lecteur. Ce soir, tandis que nos portes se ferment, promettons-nous de lire DES livres, et surtout ceux qui nous délivrent. »

    La citation n’est pas certaine, mais l’Histoire nous a appris qu’elle était juste.

    Un <mot du jour récent> a rappelé le combat noble, visionnaire et juste de Simon Leys contre Mao et les maoïstes. Ces fanatiques intolérants étaient les prisonniers intellectuels du « Petit livre Rouge ».

    Spontanément on songe aux livres des religions monothéistes : La Torah, la Bible, le Coran qui au cours des siècles et encore aujourd’hui ont nourri des fanatiques qui en croyant comprendre et puiser à une seule source ont commis ou commettent des crimes sans l’once d’un doute ou d’une humanité.

    L’ironie de cette citation est que son invention dans le monde chrétien catholique conduisait à une toute autre explication.

    On voulait souligner par cette phrase que :

    « L’homme qui ne connaît qu’un livre unique mais le connaît à fond est redoutable par la parfaite connaissance qu’il en a…. »

    Ce sens primitif, sans grand intérêt, a donc évolué vers deux interprétations :

    • Tout d’abord l’idée qu’il faut craindre l’homme qui ne connaît ou ne jure que par un seul livre ce qui conduit à des visions simplistes et intolérantes du monde en prétendant que leur opinion ou leur croyance constitue « la vérité ».
    • Ensuite pour fustiger ceux qui n’ayant lu qu’un seul livre croient tout connaître et se retrouvent sur la Montagne de la stupidité, première étape de l’effet Dunning-Kruger

    Nous sommes dans une situation très préoccupante : Par la décision solitaire du Prince élu qui nous gouverne, la France peut être, le 8 juillet de cette année, dirigée par un parti démagogue, xénophobe et très peu outillé pour comprendre la complexité de notre monde d’interdépendance, de conflictualité, dans lequel l’arrogance de l’Occident est de plus en plus dénoncée et son leadership contesté par des forces puissantes et déterminées.

    Et pour expliquer cette situation, beaucoup ne donne qu’une raison principale, voire unique.

    Pour quelles raisons, les citoyens français qui se sont exprimés, ont donné près de 40% des suffrages à des partis d’extrême droite ?

    LFI prétend que c’est la question sociale : le pouvoir d’achat, la peur du déclassement et les politiques « ultra libérales » du gouvernement français.

    Les médias d’extrême droite prétendent que cette raison est à trouver dans les flux migratoires qui submergent notre pays, l’insécurité qu’ils provoqueraient et l’attaque de notre identité nationale par des groupes venant d’autres pays et portant une vision de la société et des valeurs incompatibles avec la République.

    D’autres font porter toute la responsabilité à l’Union européenne et son droit de la concurrence libre et non faussée et les traités de libre échange qu’elle négocie.

    Enfin les plus simplistes expliqueront que tout est de la faute d’Emmanuel Macron.

    Je crois qu’il est alors possible de reprendre la citation attribuée à Saint Thomas d’Aquin en l’adaptant de la manière suivante : « Je crains l’humain qui croit que le problème complexe qui se pose à lui n’est la conséquence que d’une seule cause. »

    Parce que si on est persuadé comme je le suis que l’arrivée au pouvoir du RN serait une catastrophe pour la France, parce qu’il n’a aucune solution réaliste aux problèmes qui se posent et qu’en outre les valeurs qui sous-tendent son action sont xénophobes, racistes, il faut bien comprendre les raisons de ce vote pour essayer de trouver des solutions réalistes et conformes aux valeurs humanistes.

    La complexité du vote RN, notamment dans les campagnes, est un peu approchée par Camille Bordenet, journaliste au Monde, chargée des ruralités et Benoit Coquard Sociologue à l’INRAE à Dijon dans « les Matins de France Culture » du mercredi 19 juin 2024 : <Vote RN>

    La première raison évoquée est le recul des services publics, la lente désaffection des services publics dans nos campagnes.

    Camille Bordenet a observé ce phénomène et explique :

    « Des guichets de poste, écoles, centres des impôts, services de maternité et d’urgence ou encore des tribunaux, ont progressivement fermé au gré des plans de restructurations nationaux des vingt dernières années. [C’est un processus] très douloureusement vécu par les habitants et les élus et qui entraîne un sentiment de déclassement et de désengagement de la puissance publique »

    Le gouvernement a tenté de pallier ce manque par des guichets France Service qui ont pour vocation de constituer, en un lieu unique, un accueil de premier niveau de quasi tous les services publics. Il ne s’agit, pour l’essentiel, pas de résoudre et de répondre aux besoins des gens mais de les accompagner vers des outils numériques qui constituent, dans l’esprit des technocrates qui nous administrent, le dispositif efficace pour répondre aux demandes de services publics des usagers.

    Selon la journaliste ni les habitants ni les agents ne sont à l’aise avec cette organisation : pour les uns le service est insuffisant, pour les autres ils se sentent débordés par l’exigence des populations.

    Ce dispositif se heurte aussi au problème de la « fracture numérique » car énormément de personnes dans notre pays ne sont pas à l’aise avec le tout numérique

    «  Ils sont alors renvoyés à un sentiment d’incapacité qui peut nourrir une aigreur ».

    De cette insatisfaction, le Rassemblement national s’est nourri construisant le récit des deux France : celle des villages abandonnés par l’État face à celle de la « France des banlieues nécessairement immigrée et trop aidée » décrit Camille Bordenet.

    Benoit Coquard insiste sur l’implantation locale des militants RN et le message délétère qu’ils propagent :

    « [Le discours] reconnait que les gens ont beaucoup perdu, assure que la France est en décrépitude et que plus rien ne fonctionne. Mais il rassure aussi en promettant qu’il y aura toujours plus bas socialement que soi ». Un nouvel bouc émissaire est donc créé, la figure de l’assisté social vivant sur les aides d’État, et dont les représentations se recoupent souvent avec celles de l’immigré. »

    Il y a donc les difficultés économiques, la peur de s’appauvrir et que les enfants soient encore plus mal lotis, le sentiment de déclassement personnel et du pays, le constat d’être délaissé par l’État, si important en France, la fracture numérique et plus généralement de la modernité.

    Mais ce n’est pas tout.

    Une grande dame de la Culture, âgée de 85 ans, fondatrice du théâtre du Soleil a publié une Tribune dans « Libération » le 12 juin 2024 :

    «A quel moment doit-on cesser de faire du théâtre sous un gouvernement RN ?»

    Ariane Mnouchkine fustige l’acte d’Emmanuel Macron :

    « et soudain, ce geste du président de la République – ce geste d’adolescent gâté, plein de fureur, de frustration et d’hubris […] Il déverse un bidon d’essence sur le feu qui, déjà, couvait. Il met le feu à notre maison, à notre pays, à la France. »

    Elle exprime un espoir à l’égard du nouveau front populaire, mais dit son rejet de la NUPES :

    «Je ne pourrais accepter ce qui ne serait qu’un nouveau masque de certains leaders de cette Nupes qui nous a fait tant de mal, car la politique ne doit pas être que tactique cynique au service de convictions plus brutales que sincères. Elle doit se fonder sur la vérité et l’amour de l’humanité. »

    Mais elle fait surtout cet aveu :

    «Macron est bien trop petit pour porter, à lui seul, la totalité du désastre. Je nous pense, en partie, responsables, nous, gens de gauche, nous, gens de culture. On a lâché le peuple, on n’a pas voulu écouter les peurs, les angoisses. Quand les gens disaient ce qu’ils voyaient, on leur disait qu’ils se trompaient, qu’ils ne voyaient pas ce qu’ils voyaient. Ce n’était qu’un sentiment trompeur, leur disait-on. Puis, comme ils insistaient, on leur a dit qu’ils étaient des imbéciles, puis, comme ils insistaient de plus belle, on les a traités de salauds. On a insulté un gros tiers de la France par manque d’imagination. L’imagination, c’est ce qui permet de se mettre à la place de l’Autre. Sans imagination, pas de compassion. »

    Elle parle d’un déni.

    Elle parle aussi d’une posture, celle d’un camp du bien, d’un camp « qui sait » et qui traite de salauds celles et ceux qui ne sont pas d’accord.

    On évoque là l’insécurité physique et l’insécurité culturelle dont la gauche ne veut pas parler.

    Melenchon vante la vertu de la créolisation, c’est-à-dire du mélange des cultures. Cela peut se révéler pertinent sur la longue durée, mais pas en l’espace d’une génération.

    Le nouveau front populaire, parle de lutte contre « l’islamophobie », c’est une erreur, il faudrait parler de la lutte contre le racisme anti-musulman.

    Il veut abroger la Loi sur le séparatisme, c’est une autre erreur, il faut peut-être l’amender, non la supprimer.

    Il faut défendre avec vigueur et force, la laïcité, les sciences, l’Histoire dans l’éducation nationale contre toutes les menaces, les pressions qui s’exercent contre elle par des hommes fanatisés qui croient trouver toutes les réponses dans un seul livre et dans une seule interprétation de celui-ci.

    Et puis parallèlement, « les beaux esprits » de la gauche des villes, exactement comme les croyants d’un seul livre, proclament des opinions comme s’il s’agissait de la vérité : s’agissant du colonialisme, du genre, de la culture woke dont ils prétendent, en outre, qu’elle n’existe pas etc…

    Sur tous ces sujets, il faut s’éloigner du déni, du dogme et trouver des réponses de gauche, humanistes, universalistes.

    Ce sont aussi des raisons qui expliquent le vote RN.

  • Mardi 18 juin 2024

    « Deux français sur trois. »
    Valéry Giscard d’Estaing

    Valéry Giscard d’Estaing avait écrit un livre en 1984 : « Deux français sur trois » dans lequel il estimait que pour gouverner la France, il fallait convaincre deux français sur trois.

    Aujourd’hui, nous en sommes loin.

    Nous savons qu’il y a trois blocs qui sont, selon leurs programmes, leurs alliances et les hommes qui les composent, totalement incapables de travailler ensemble ou simplement d’accepter de dire que le programme des deux autres blocs, bien que différent, constitue une alternative acceptable. Les autres sont soient des salauds, des incompétents ou des factieux.

    Le bloc le mieux placé peut espérer 33% des voix.

    Comment peut-on espérer rassembler les français ainsi.

    J’ai déjà écrit deux mots du jour ancien qui d’une part montrait toutes les limites de la 5ème république : <mot du 8 février 2017> et un autre, en 2022, qui expliquait la perversité, dans le contexte actuel, du scrutin uninominal à deux tours : « Les 16 élections législatives de la Vème République : Un regard historique sur un scrutin qui se délite »

    Ce scrutin pouvait se concevoir tant que la France était divisée en deux coalitions qui se combattaient mais se respectaient.

    Aujourd’hui c’est une catastrophe.

    Parce qu’il est envisageable que le Rassemblement National avec 33% des voix puissent, au second tour, avoir la majorité absolue des sièges, alors de 77% des électeurs ne veulent pas de ce programme. Je veux dire qu’ils n’en veulent absolument pas.

    Il en va de même pour le nouveau front populaire, qui pourrait avoir, avec 30% des voix, la majorité absolue des sièges alors que tous les autres sont radicalement contre.

    Nous avons déjà suffisamment de problèmes pour ne pas y ajouter un type de scrutin qui permet une telle distorsion de la volonté du corps électoral.

    Dans l’Union européenne, nous sommes les seuls à ne pas avoir le scrutin proportionnel et nous avons tort.

    Avec un scrutin proportionnel, le PS, le PC et les verts n’auraient pas besoin de s’associer à LFI.

    Les républicains ne se rallieraient pas au Rassemblement National.

    Et les divers partis ne s’ostraciserait pas comme actuellement, car ils sauraient qu’après les élections il faudrait trouver des coalitions.

    Ces coalitions éviteraient les mesures excessives et trop décalées par rapport aux autres mouvements politiques.

    Il est urgent de passer à la Proportionnelle.

  • Vendredi 14 juin 2024

    « Consultation »
    Que signifie ce mot ?

    Quelquefois on se pose des questions sur des mots qui nous semblent de la langue courante, mots qu’on utilise sans y penser.

    Et puis arrive un évènement qui nous interpelle et on commence à douter du sens de ce mot.

    Récemment c’est le mot « consultation » qui m’a conduit à une telle interrogation.

    Au départ, il y a cet article du « Canard enchaîné » du 12 juin 2024 :

    « Après avoir annoncé aux ténors de la majorité sa décision de dissoudre, Macron leur donne la parole, comme s’ils avaient encore leur mot à dire. Première à s’exprimer, pour des raisons protocolaires Yaël Braun-Pivet, sonnée par la nouvelle, jette un pavé dans la mare.
    « Monsieur le Président, selon l’article 12 de la Constitution , vous devez consulter les Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat. »
    Réponse dudit Président :
    « Je suis en train de te consulter…
    – Pas comme ça. Je vous demande un entretien en tête à tête »
    Demande accordée, Macron et Braun-Pivet s’éclipsent dans un salon voisin, où la présidente de l’Assemblée dit tout le mal qu’elle pense de la dissolution.
    « J’ai fait mon choix «  réplique le chef de l’État qui appelle dans la foulée Gérard Larcher, président du Sénat, pour le « consulter » lui aussi. »

    Nous avons bien entendu le Président de la République nous dire le 9 juin

    « C’est pourquoi, après avoir procédé aux consultations prévues à l’article 12 de notre Constitution, j’ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote »,

    Que dit cet article 12 ?

    Article 12 de la Constitution :

    «  Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale. Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution. »

    Yaël Braun-Pivet, avait donc raison, en omettant toutefois le premier ministre, il faut une consultation préalable de trois autorités avant la décision par le Président de la République.

    Mais que signifie consultation ?

    Selon le dictionnaire Larousse, « consultation » est un nom féminin dont la définition est la suivante :

    « Action de consulter quelqu’un, de lui demander son avis »

    Selon ce même dictionnaire « consulter » répond à la définition suivante :

    « Demander à quelqu’un son avis, son conseil, chercher des renseignements auprès de lui, interroger ».

    <Le dictionnaire du CNRS> donne l’étymologie :

    « Empr. au lat. class. consultare « délibérer »

    Il s’agit donc de délibérer, de discuter, d’échanger des arguments…

    Le Canard enchaîné a raconté la réaction du Président du Sénat :

    « En fait de consultation a raconté Gérard Larcher, vingt-quatre heures plus tard en Conférence des présidents, « J’ai eu un coup de fil du chef de l’État pour « m’informer » qu’il allait dissoudre. Je n’ai pu qu’en prendre acte ». Larcher, afin qu’il y ait « une trace » de cette conversation en a fait consigner le contenu dans les archives du Sénat »

    Le Président a informé les trois autorités, il ne les a pas consultés.

    L’esprit de l’article 12 et donc de la Constitution n’a pas été respecté.

    Soazig de la Moissonnière, la photographe officielle de la Présidence, a immortalisé l’annonce de la décision de dissolution lors de la fameuse réunion de l’Élysée :

    On y voit la sidération de Yaël Braun-Pivet, de Gabriel Attal et de Gérald Darmanin.

    Que signifie, en terme de communication, le fait de rendre public cette photo officielle ?

    Je trouve cela étrange.

    Autre incongruité de l’organisation de la République française, que j’ai essayée de décrire dans un mot du jour de 2017 : « La cinquième République »

    Le vote sanction des électeurs français a été réalisé contre le Président de la République puisque c’est lui qui décide de tout.

    Mais la réponse n’est pas sa dissolution, c’est-à-dire sa démission, mais la dissolution et donc le renvoi des députés. Il faut savoir sacrifier les autres !

    Il y a quelques jours, le premier ministre britannique, Rishi Sunak, a demandé la dissolution du Parlement. Mais cette décision s’applique à lui, si le peuple britannique envoie une autre majorité au Parlement, Rishi Sunak ne sera plus premier ministre.

    Et il en irait de même en Allemagne, en Espagne, en Italie, au Danemark, bref dans tous les pays comparables.

    Sauf aux États Unis, où le Président a beaucoup de pouvoirs comme en France, mais ne peut pas dissoudre la chambre des représentants.

    « Il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark » écrivait Shakespeare dans « Hamlet ».

    Peut-être y a-t-il quelque chose de pourri dans la Vème République française ?

  • Jeudi 13 juin 2024

    « Le sexe d’un côté et le fric de l’autre et on arrive à ça ! »
    Roselyne Bachelot

    C’est dans l’émission <Face à Alain Duhamel> du 12 juin que Roselyne Bachelot explique le chaos actuel de la manière suivante :

    « Cette dilution de la vie politique française vient de loin. Elle n’est pas à imputer à Emmanuel Macron. Emmanuel Macron est l’effet de cette dilution, il n’est pas la cause.
    Parce que les ferments de la distorsion de la vie politique française, ils ont commencé avec le scandale de Dominique Strauss Kahn, qui fait que l’élection présidentielle de 2012 choisit François Hollande qui n’était pas le bon candidat et qui scelle la mort du PS. Ils ont continué avec le scandale de François Fillon qui tue la Droite républiaine. Donc ces deux éléments, ces deux colonnes vertrébrales de la vie politique française s’effondrent à cause de la faute de deux hommes.
    Le sexe d’un côté et le fric de l’autre et on arrive à ça. »

    Ainsi parle Roselyne Bachelot avec sa gouaille et son sens des formules.

    Elle, qui fut ministre de la Culture, post COVID, sous la présidence d’Emmanuel Macron, de 2020 à 2022.

    Mais elle fut préalablement, ministre de la Santé et des Sports de 2007 à 2010 et ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale de 2010 à 2012 sous la présidence de Nicolas Sarkozy

    Et encore avant, cette Docteure en pharmacie, née le 24 décembre 1946 à Nevers, eut sa première expérience gouvernementale, de 2002 à 2004, comme ministre de l’Écologie et du Développement durable. Jacques Chirac était alors Président de la République.

    Elle a raison sur un point, Emmanuel Macron est devenu Président de la République suite à un concours de circonstances : un quinquennat raté de François Hollande et une campagne ratée de François Fillon qui proclamait qu’il fallait faire des économies drastiques dans le train de vie de l’État mais qui n’appliquait pas cette règle pour ses besoins personnels et familiaux.

    Sans ces deux aventures, Emmanuel Macron n’aurait jamais été élu Président de la République en 2017, malgré ses talents, son ambition et sa bonne étoile.

    Dans son discours de la victoire de 2017, il avait fait la promesse suivante :

    « Je veux avoir un mot pour les Français qui ont voté simplement pour défendre la République face à l’extrémisme. Je sais nos désaccords, je les respecterai, mais je serai fidèle à cet engagement pris : je protègerai la République.
    Et je veux enfin avoir un mot pour ceux qui ont voté aujourd’hui pour Madame LE PEN – ne les sifflez pas, ils ont exprimé aujourd’hui une colère, un désarroi, parfois des convictions. Je les respecte. Mais je ferai tout, durant les cinq années qui viennent, pour qu’ils n’aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes. »

    Le résultat des élections européennes du 9 juin 2024 qui a fait monter le Parti de Mme Le Pen à 31,4% des suffrages exprimés et en y incluant les autres mouvements, l’extrême droite à près de 40% des voix, montre que la promesse n’a pas été tenue.

    Mais « Le sexe d’un côté et le fric de l’autre » ne suffisent pas à expliquer pourquoi « on arrive à ça ! », c’est-à-dire à une extrême droite devant la porte entrouverte du pouvoir.

    Rappelez-vous les dernières années crépusculaires de François Mitterrand, puis les 12 ans de Chirac pour lesquels on se rappelle avec reconnaissance l’opposition à la guerre en Irak, mais qui sur le plan interne ne sut et ne put rien faire sur l’inexorable déclin de la France, l’angoisse de la classe moyenne et l’augmentation des tensions au sein de la société française.

    Son successeur, Nicolas Sarkozy, qui a traité son prédécesseur de « roi fainéant » malgré son activisme et son énergie n’a pas davantage réussi à rendre confiance aux français.

    Entre temps, il y eut les 5 ans de cohabitation de 1997 à 2002 pendant lesquels Lionel Jospin fut un premier ministre sérieux, rigoureux qui pensait que ses résultats économiques lui permettraient d’accéder, sans difficultés, à la Présidence de la république contre « un Chirac fatigué ».

    Que Nenni…

    Pour la première fois un représentant de l’extrême droite s’invita au second tour de la Présidentielle.

    Puis il y eut François Hollande qui échoua jusqu’au point de ne pouvoir se présenter à sa réélection, trahi il est vrai, par un jeune fougueux qui croyait connaître la solution aux problèmes et qui s’est fracassé, à son tour, au mur des réalités de son impuissance politique, plombé et rejeté avec d’autant plus de force que son arrogance apparait grande.

    Je ne crois pas un instant que l’élection de Strauss Kahn en 2012 ou de Fillon en 2017 aurait changé quoi que ce soit de fondamental dans cette évolution.

    Pourquoi ?

    Je peux essayer d’avancer quelques pistes :

    Nous sommes en face d’une impuissance politique, dans laquelle pour se faire élire les politiques promettent des choses qu’ils ne pourront tenir.

    Nous n’avons plus ni la démographie, ni la productivité, ni la croissance économique pour faire progresser notre État providence et même le maintenir.

    Concernant la démographie, nous avons besoin d’immigration mais nous n’avons plus l’énergie et la force pour intégrer ceux qui viennent et même les enfants de ceux qui sont déjà là. Cette situation crée des tensions identitaires, une montée du communautarisme, alimentée par des groupuscules qui sont hostiles à nos valeurs occidentales, créant en réaction, un rejet de plus en plus fort d’une société en plein doute.

    Notre pays s’est désindustrialisé et se trouve bien faible dans un monde interdépendant, mondialisé et financiarisé.

    Et je n’ai même pas évoqué le défi climatique et plus généralement de la biodiversité et de l’écologie.

    Il faudrait encore parler de notre faiblesse militaire dans un monde de prédateurs carnivores qui se moquent de notre comportement d’herbivores feignant de croire que les normes, les règles de droit sont en capacité d’arrêter ou de faire fléchir ces fauves, ces empires qui nous regardent d’un air narquois.

    Mais de tout cela les Politiques ne veulent pas parler et les français probablement ne veulent pas en entendre parler.

    Quand des hommes politiques, non démagogues, ont tenté de se faire élire, ils ont été balayés ou empêchés de se présenter. On peut parler de Rocard et de Delors à gauche ou de Barre et de Balladur à droite. Ils n’avaient pas de solutions miracles à proposer, bien sûr, mais ils disaient davantage la vérité.

    Interrogé par France Inter Jean-Louis Bourlanges que je qualifierai aussi de Politique à démagogie très modérée, a eu cette phrase :

    « Ce que je constate et c’est très dur à dire : c’est un divorce profond entre les besoins du pays et les attentes du pays. Les attentes c’est plus de pouvoir d’achat, c’est plus de subvention, c’est plus de « care » comme disait Mme Martine Aubry. Tout un ensemble de soins et de choses. Et les besoins c’est renforcer les budgets militaires, renforcer l’investissement, renforcer la technologie, accroitre la compétitivité des entreprises. »

  • Mercredi 12 juin 2024

    « Le grand remplaçant : La face cachée de Jordan Bardella»
    Pierre-Stéphane Fort

    Beaucoup pensent que d’ici un mois, il existe une grande probabilité que le premier ministre de la France soit un homme de 29 ans, puisqu’il est né le 13 septembre 1995, à Drancy.

    Les premiers ministres sont nommés de plus en plus jeunes.

    Le premier ministre actuel Gabriel Attal, avait battu le record puisqu’à 34 ans, le 9 janvier 2024, il est nommé Premier ministre par Emmanuel Macron, devenant le 25e et plus jeune Premier ministre de la Ve République, devançant de trois ans Laurent Fabius, nommé à 37 ans en 1984.

    Jordan Bardella serait alors le 26ème premier ministre et battrait une nouvelle fois le record du premier ministre le plus jeune.

    Il parait donc normal de s’intéresser à ce jeune homme plein d’avenir.

    Dans les matins de France Culture du mardi 11 juin 2024, Guillaume Erner avait pour invité Pierre-Stéphane Fort : « Le RN ère Bardella : anatomie d’un succès électoral »

    Pierre-Stéphane Fort a écrit « Le grand remplaçant : la face cachée de Jordan Bardella »

    La page Wikipedia consacré à Bardella, nous apprend qu’il est enfant unique.

    Son père est un patron de PME, né en 1968 à Montreuil sous-bois, en Seine-Saint-Denis, d’origine italienne et franco-algérienne.

    Mais ses parents ayant divorcé, il grandira avec sa mère dans une cité HLM de sa ville natale.

    Sa mère est une agente territoriale spécialisée des écoles maternelles (ATSEM), Luisa Bertelli-Mota. Elle est née en 1962 à Turin en Italie.

    Il commence souvent ses discours en rappelant qu’il vient de Seine Saint Denis et insiste sur ses origines populaires.

    Mais Pierre-Stéphane Fort juge que « Jordan Bardella n’est pas Cosette » :

    « Jordan n’est pas Cosette et son enfance n’aurait sans doute pas inspiré un roman social à Victor Hugo ou Emile Zola. [Sa mère] gagne sa vie modestement et l’élève au quotidien avec le soutien de sa grand-mère.
    Jordan Bardella réalise l’ensemble de sa scolarité dans le privé. Saint-Jean-Baptiste de La Salle, l’établissement catholique qu’il fréquente, est à deux pas de chez lui, il a bonne réputation. Vérification faite, pour y scolariser son enfant, il faut payer environ 1 200 euros par an, sans la cantine. Pas évident quand on touche un petit salaire, il paraît donc probable que le père de Jordan Bardella, jamais cité dans ses discours, leur apportait une aide financière.
    Son père travaille dans une PME. Dans la presse, je lis souvent qu’il est patron de cette PME, mais malgré des recherches fouillées, la consultation des statuts, etc., je ne peux l’affirmer. Je peux en revanche vous dire qu’il gagne confortablement sa vie et même qu’il est copropriétaire des locaux dans lesquels est installée cette entreprise. Selon mes informations, quand Jordan est adolescent, il l’emmène faire un long voyage aux États-Unis. A 19 ans, il lui offre sa première voiture, une Smart, petite citadine chic et branchée. A la même époque, il le loge gracieusement dans un appartement qu’il détient, sur la coquette commune d’Enghien-les-Bains dans le Val-d’Oise. […] Bref, Jordan Bardella, comme bien des enfants de divorcés, avait un pied dans deux milieux sociaux différents, c’est ainsi qu’il a grandi. Et puis généralement, quand on souffre de difficultés financières, on travaille dès qu’on le peut. Jordan Bardella, lui, ne travaille pas. Enfin si, un mois seulement, à 18 ans, dans l’entreprise de son père. Point final.
    Le mythe de l’enfant pauvre issu des pires quartiers de France, qui a grimpé l’échelle sociale à la seule force de son mérite et de son abnégation, a du plomb dans l’aile. »

    Ses études ont été courte, il n’a obtenu qu’un baccalauréat économique et social toutefois avec la mention très bien.

    Il a tenté d’entrer dans l’Institut d’études politiques de Paris, mais il échoue. Il étudie alors la géographie à l’université Paris-IV mais arrête ses études sans obtenir de diplôme, indiquant préférer se consacrer à la politique.

    A part une petite incursion dans l’entreprise de son père, il n’a jamais travaillé. Son métier a été de faire de la politique, rien que de la politique.

    Son histoire avec le RN commence en 2012, Il n’a alors que 16 ans lorsqu’il prend sa carte, à l’époque au FN. Il va être remarqué par Marine Le Pen puisqu’il arrive à intégrer son deuxième cercle amical, le clan Chatillon.

    Jordan Bardella était en couple avec la fille de Frédéric Chatillon pendant deux ans, qui elle-même est une militante assez radicale. Douze jours après la rencontre entre lui, Marine Le Pen et la fille Chatillon, M. Bardella est nommé porte-parole du Rassemblement national.

    <Wikipedia> donne beaucoup d’informations sur Frédéric Chatillon, homme de l’extrême droite dure, ayant travaillé pour le régime syrien d’Assad, tristement célèbre pour ses exactions. Il serait également lié avec le Hezbollah libanais dont il est beaucoup question ces temps-ci. Marine Le Pen a une confiance absolue dans Frédéric Chatillon.

    Marine Le Pen mise très tôt sur son storytelling : « Jordan Bardella est le tout jeune homme issu de Seine-Saint-Denis, d’un quartier modeste, d’une famille relativement modeste.»

    Pierre-Stéphane Fort raconte :

    « Elle mise sur lui et va investir beaucoup d’argent pour le faire former en média training. »

    C’est-à-dire qu’il est formé pour devenir un professionnel de la communication dans les médias.

    Pour Pierre-Stéphane Fort :

    « [Bardella] fait preuve d’un opportunisme chronique. Il a commencé avec Florian Philippot sur une ligne nationaliste sociale. Puis, quand l’étoile de Philippot a commencé à pâlir, il est passé chez les identitaires avec Philippe Olivier. Beaucoup de témoins que j’ai pu rencontrer m’ont dit qu’il sent le vent tourner et qu’il a toujours un coup d’avance. Ce n’est pas un idéologue, mais par contre, c’est un stratège »

    Parmi ses talents de communicants, il parvient à toucher beaucoup les jeunes grâce à son utilisation fréquente du média chinois Tiktok.
    Pierre-Stéphane Fort souligne par ailleurs la contradiction les paroles et les actes du député européen :

    « Au Parlement européen, il vote très souvent le contraire de ce qu’il déclare sur TikTok ou dans les médias français. Par exemple, il fait de grands discours dans lesquels il célèbre les droits des femmes dans l’Union européenne. Dans le même temps, il ne s’oppose pas à l’interdiction de l’IVG en Pologne. Idem sur l’égalité salariale entre hommes et femmes, il préfère s’abstenir. Sur les réseaux sociaux, c’est l’un des champions de la lutte contre le réchauffement climatique. La vérité, c’est qu’il n’a jamais voté un texte majeur au Parlement européen en faveur de cette lutte ».

    <France Info> et le <Nouvel Obs> analysent le travail modéré réalisé par Bardella au Parlement européen dont il est élu depuis 2019.

    Est il compétent pour le job de premier ministre ?

    Pour répondre à cette question, je reprendrai ce passage d’un billet d’humeur de François Morel en 2013.

    « Je vous répondrai ce que dans le film « Coup de tête » de Jean-Jacques Annaud dialogué par Francis Weber, Michel Aumont répondait à Paul Le Person qui se demandait si l’abruti à qui on allait offrir un poste de maître-nageur, savait nager : « complique pas ! » »

    Mais je ne finirai pas ainsi ce mot du jour. Françoise Hardy qui vient de nous quitter, dans sa chanson « Mon amie la rose », chantait :

    « Moi j’ai besoin d’espoir
    Sinon je ne suis rien »

    <1808>

  • Lundi 10 juin 2024

    « Dissoudre le peuple »
    Berthold Brecht

    Les élections au Parlement européen de ce dimanche ont donc conduit à ce que la liste du parti d’extrême droite obtienne plus de 30% des voix soit deux fois plus que la Liste de la majorité présidentielle.

    Le Président de la République a considéré que cette situation devait conduire à la dissolution de l’Assemblée Nationale.

    Si on y pense, c’est un drôle de système que celui de la Démocratie. Tous les citoyens ont droit de voter et chaque vote ne compte que pour une voix. Un prix Nobel et un analphabète ont chacun une voix, le patron d’une entreprise de 50 000 salariés et un éboueur pèsent, le jour du vote, le même poids, un scientifique et un platiste (quelqu’un qui croie que la terre est plate) sont égaux face au scrutin. C’est assez déstabilisant.

    Certains régimes comme le régime chiite iranien ont trouvé un moyen pour modérer ces inconvénients : pour pouvoir se présenter, les candidats doivent avoir eu l’autorisation par une commission jugeant de leur capacité et surtout de leurs qualités religieuses.

    En écoutant certains commentateurs ou politiques hier, il m’a semblé que pour eux le peuple n’avait pas bien voté. Peut être que le président Macron aurait du dissoudre le peuple, plutôt que l’Assemblée nationale ?

    C’est ce qu’avait suggéré Berthold Brecht, dans un poème, après une révolte en l’Allemagne de l’Est où il résidait, contre le gouvernement communiste.

    Faut-il préciser que le propos de  Berthold Brecht était ironique  ?

    La Solution
    Après l’insurrection du 17 juin,
    Le secrétaire de l’Union des écrivains
    Fit distribuer des tracts dans la Stalinallee.
    Le peuple, y lisait-on, a par sa faute
    Perdu la confiance du gouvernement
    Et ce n’est qu’en redoublant d’efforts
    Qu’il peut la regagner.
    Ne serait-il pas
    Plus simple alors pour le gouvernement
    De dissoudre le peuple
    Et d’en élire un autre ?

  • Vendredi 31 mai 2024

    « Un ou une amie, c’est quelqu’un qui vous rend meilleur ! »
    Aristote, dans son « Éthique à Nicomaque » synthétisé par Charles Pépin

    Que dire ou écrire dans ce monde de chaos sans ajouter son lot d’entropie ?

    Parfois raconter de belles histoires, comme celle de l’entraîneur de Lyon, Pierre Sage. immédiatement obscurcies par des hordes de supporters qui n’ont pour objectif que de se battre, montrer leur force brutale ou une virilité dévoyée.

    Les histoires d’humains qui s’affrontent, il en est beaucoup, en ce moment, dans le monde..

    Outre, l’Ukraine et Gaza, des conflits armés de grande ampleur se déroulent actuellement au Soudan, au Burkina Faso, en Somalie, au Yémen, en Birmanie, au Nigeria et en Syrie. Une guerre est en train de commencer entre le Rwanda et la République démocratique du Congo, Haïti est en prise à une guerre des gangs sans que les autorités politiques défaillantes du pays ne parviennent à agir pour remettre de l’ordre.

    Mais le drame qui revient toujours au premier plan des médias est celui qui oppose Israël et le Hamas, sur le territoire de Gaza.

    Après 7 mois de guerre, des milliers de morts israéliens et des dizaine de milliers de morts palestiniens, aucun effet tangible n’a été obtenu par Israël après sa réponse brutale au piège atroce que lui a tendu le Hamas : De nombreux otages sont toujours détenus, le Hamas continue a envoyer des roquettes sur Israël, les chefs du Hamas n’ont pas été neutralisés et aucune solution de sortie de crise n’est envisagée par le gouvernement israélien.

    Cela ne marche pas, malgré les destructions, les morts et une population palestinienne contraint, à Gaza, à des conditions de vie indigne et une angoisse permanente.

    Vincent Lemirre dans l’émission « 28′ d’Arte » du 29 mai <Israël-Gaza : après le drame de Rafah>, explique l’impasse militaire :

    « On mène une guerre en surface, contre un ennemi qui est en sous-sol. […] Ils sont au huitième sous-sol. Ils ont de l’eau, de l’électricité, de la nourriture. Ils ont en rien à faire des populations civiles. Le Hamas mène une guerre révolutionnaire, les pertes civiles ne comptent pas. […] Elles peuvent même être utile politiquement. »

    Utile politiquement, puisque pour le Hamas, plus il y a de morts palestiniens, plus le monde oublie les crimes du 7 octobre et ne voit que la violence de l’armée d’Israël.

    En outre, ces fanatiques religieux sont aux antipodes de notre respect pour la vie. Pour eux, un mort gazaouis, n’est pas une victime de la guerre, mais un martyr de leur cause auquel est promis le plus bel avenir, dans l’au-delà.

    Les dirigeants du Hamas sont monstrueux, beaucoup de celles et ceux qui manifestent pour le cessez le feu, n’expriment pas la pleine conscience de cette réalité.

    Mais il n’est pas possible non plus d’exonérer la responsabilité d’Israël et de son gouvernement.

    • D’abord dans la disproportion de la violence employée et des victimes alors qu’il devient de plus en plus clair que la seule force ne règlera rien, ni la sécurité d’Israël, ni la stabilité de la région ;
    • Aucune solution politique d’après-guerre n’est envisagée ;
    • Enfin, il y a un déni au regard de la situation des palestiniens : Tout le territoire de la Palestine mandataire n’appartient pas à l’État d’Israël. Sur la partie que l’ONU a donnée aux arabes : il y a un occupant : Israël et un occupé : le Peuple palestinien.

    C’est ce que dit Rony Brauman, né à Jérusalem dans une famille juive dont le père était un militant sioniste, qui s’installa avec sa famille en Israël dès la création de cet État en 1948. Rony Braumann fut d’abord sioniste comme son père, considérant que les arabes de la Palestine pourraient laisser ce petit pays pour les juifs et aller dans un des nombreux états arabes qui se trouvent autour. Avant de se laisser convaincre que les arabes qui vivaient sur cette terre avaient aussi le droit d’y rester et de disposer d’une organisation étatique dans laquelle ils pourraient se reconnaitre, se sentir citoyens et respectés.

    Dans l’Invité des matins du 29 mai <Attaque à Rafah : un tournant dans l’opinion ?> Rony Brauman, explique ainsi :

    «La reconnaissance d’un État palestinien aurait une vertu majeure, à mes yeux, qui serait d’officialiser la situation d’occupation de la Palestine
    La Palestine est selon certains un territoire occupé, selon d’autres un territoire disputé, un territoire administré. On joue sur les mots, on joue sur les significations
    Il y a contestation de la part de ceux qui s’estiment être les amis d’Israël
    Personnellement cette notion d’ami d’Israël est très discutable. On appelle ami d’Israël, l’amitié qu’un dealer voue à un addict. »

    La dernière phrase de Rony Brauman m’a interpellé.

    Qu’est-ce qu’un ami ?

    J’ai déjà parlé de l’émission de Charles Pépin qui est diffusée le samedi matin à 8h50, sur France Inter : « La Question Philo » dans laquelle il répond aux questions que lui posent les auditeurs.

    C’était le mot du jour du 8 janvier 2024 dans lequel il était question de définir ce que signifiait « Réfléchir » et le philosophe ouvrait une piste : « Réfléchir c’est supporter le doute, car c’est précisément quand on ne supporte plus le doute que l’on cesse de réfléchir. »

    Or, dans son émission du 4 mai 2024, il a choisi de répondre à la question de Béatrice : <Qu’est-ce qu’un ou une véritable ami(e) ?>

    Et voici le début de sa réponse :

    « Aristote, chère Béatrice, donne dans son Éthique à Nicomaque une belle définition de l’amitié : un ou une amie, écrit-il en substance, c’est quelqu’un qui vous rend meilleur…

    […] un ami, c’est quelqu’un qui vous permet de devenir un meilleur être humain, de développer vos facultés humaines : votre raison, votre sensibilité… Mais pour bien comprendre ce que veut dire Aristote, il faut avoir en tête la distinction qu’il fait entre ce qui est en Puissance et ce qui est en Acte. Une image pour comprendre : la graine ou l’enfant n’est qu’en puissance, là où la plante et l’adulte sont des êtres accomplis, « en acte ». Même chose quand Aristote distingue les facultés qui sont « en puissance », potentielles, possiblement développées, de celles qui sont « en acte » c’est-à-dire effectivement développées…

    Et donc l’ami, c’est celui qui vous permet d’actualiser ce qui n’était en nous qu’en puissance ?

    Oui, exactement, l’ami est l’ami de la vie en vous : il est l’occasion favorable, le Kaïros en grec, du développement de la vie en vous. D’ailleurs c’est moins lui qui vous permet de vous développer, que la relation que vous avez avec lui, et vous trouvez là au passage un bon critère d’évaluation de vos amitiés : si vous vous sentez diminué au cœur de votre relation d’amitié, c’est que l’ami en question n’est pas un véritable ami. Et je vous propose donc d’arrêter de le voir.

    Grâce à Aristote, on définit un ami véritable non pas par sa disponibilité, non pas par le nombre de coups de téléphone que vous vous passez par semaine, non pas par sa capacité à vous prêter de l’argent, mais par les effets que cette relation d’amitié produit sur vous. »

    J’ai essayé de lire les livres VIII et IX de « l’Éthique à Nicomaque » dans lesquels Aristote, le disciple de Platon et précepteur d’Alexandre le Grand, élabore un véritable traité sur l’amitié. C’est assez complexe, je comprends mieux la synthèse qu’en fait Charles Pépin.

    Frédéric Manzini, dans un article de Philomag de 2020 : <Qu’est ce qu’un véritable ami ?> fait la même synthèse :

    « L’amitié nous rend meilleurs, c’est la thèse forte que soutient Aristote dans l’Éthique à Nicomaque, »

    Un ami n’est pas celui qui vous donne toujours raison, mais qui sait dire avec bienveillance, mais fermeté les conseils qui vous rendront meilleur.

    Un ami d’Israël dirait probablement :

    • Ce que le Hamas a fait le 7 octobre constitue une abomination.
    • Je comprends que tu veuilles neutraliser le Hamas, arrêter ou éliminer ses dirigeants et libérer les otages.
    • Mais la force brutale ne suffit pas, ce n’est pas ainsi que tu résoudras cette crise et encore moins assureras ta sécurité pour l’avenir, bien au contraire.
    • Toute la terre qui se trouve entre la mer et le Jourdain ne t’appartient pas, il faut que tu la partages avec l’autre peuple qui s’y trouve, avec toi.
    • S’il faut marginaliser le Hamas chez les palestiniens, il faut aussi que tu sois en mesure de marginaliser les messianistes juifs qui sont contre le partage de la même manière ;
    • Une fois, ces choses admises il sera possible de trouver des interlocuteurs palestiniens avec qui tu pourras discuter, peut-être s’en trouve t’il un dans tes prisons.
    • Mais toi aussi, tu as cette mission de trouver, en ton sein, un homme ou peut être plutôt une femme capable de porter ce combat vers la justice, l’égalité, la sécurité et la paix.

    Un ami ne doit pas vous encourager dans l’aveuglement, mais vous rendre meilleur.

    Charles Pepin développe encore d’autres aspects de : « Qu’est-ce qu’un ou une véritable ami(e) ? »

    <1807>

  • Jeudi 23 mai 2024

    « L’entraîneur sage»
    Un jeu de mots qui parle de Pierre Sage, entraîneur de football

    Albert Camus nous l’avait appris : le football nous permet de comprendre beaucoup de la vie.

    J’écris « L’entraineur sage » pour faire référence à l’entraineur Pierre Sage de l’Olympique lyonnais.

    Pour celles et ceux qui ne suivent pas le football, il me faut narrer un peu cette histoire.

    L’olympique Lyonnais a commencé le championnat cette année avec un entraineur de renom :  Laurent Blanc. Les résultats furent catastrophiques.
    Il fut remplacé rapidement par un entraineur italien, Fabio Grosso qui fut ce joueur qui marqua le dernier penalty de l’équipe d’Italie lors de la finale de la coupe du monde perdue par la France en 2006.

    Cet ancien joueur prestigieux n’arriva pas davantage à faire gagner l’équipe puisqu’au bout de 13 journées, Lyon était 18ème et dernier de la Ligue 1 avec 7 pts.

    Les spécialistes ont étudié le passé : jamais une équipe, ayant ce nombre de points à la 13ème journée, n’était parvenue à assurer son maintien à l’issue de la saison, c’est-à-dire éviter d’être classée dans les 3 derniers du classement.
    Alors on vira aussi Fabio Grosso.

    En attendant et de manière temporaire, il fut décidé de prendre Pierre Sage qui était le responsable du centre de formation de Lyon.
    Il n’avait pas été un joueur de football de haut niveau, il n’avait même pas le diplôme permettant d’entraîner.
    Il commença très mal par deux défaites, puis une remontée historique, dans le sens où cela n’était jamais arrivé avant.

    L’équipe de Lyon a terminé 6ème du championnat et s’est aussi qualifié pour la finale de la coupe de France qu’elle jouera samedi.

    Quand on examine le parcours que cet entraîneur a permis à son équipe de réaliser à partir de la quinzième journée, voici ce que cela donne :


    Je compare donc l’évolution des points accumulés depuis la quinzième journée par Lyon et les deux clubs qui ont terminé aux deux premières places du championnat.
    Lyon a réalisé un meilleur parcours que les deux premiers. En pratique, Lyon est le club qui a gagné le plus de points à partir de la quinzième journée.

    Je ne vais pas aller plus loin dans l’analyse footballistique de ce parcours.

    Que nous apprend cette expérience ?
    Les journalistes et les spécialistes sportifs ont décortiqué ce qui a fait le succès.

    D’abord il est parvenu à redonner confiance aux joueurs.
    Son premier succès a été de savoir écouter les joueurs et leur parler.

    Contrairement aux autres entraîneurs, il n’a pas changé tout le temps son équipe et a mis en place une stratégie de jeu plutôt simple.

    Il s’est appuyé sur les qualités de ses joueurs et les a fait jouer sur le poste qui leur convenait le mieux.
    L’équipe a pu recommencer à gagner et la dynamique de groupe a pu se réenclencher.

    Bien sûr, il a eu un peu de chance de ci de là, mais la chance ne se provoque-t-elle pas ?

    Les spécialistes de football pourraient encore expliquer bien des raisons de cette réussite.
    Pour ma part je retiendrai : humilité, savoir écouter, parler avec bienveillance, rester simple et faire confiance.

    J’ai confiance, je sais faire confiance, on me retourne la confiance.

    Ces règles de réussite peuvent s’appliquer dans bien d’autres domaines que le football.

    Mais pour agir ainsi, il faut être sage, je veux dire faire œuvre de sagesse.

    <1806>

  • Jeudi 16 mai 2024

    « Ce n’est pas un hasard si vous avez le gouvernement le plus radical du point de vue de l’orthodoxie juive d’un côté et le Hamas de l’autre côté qui perpétue le pire crime en matière de barbarie en criant «Allah Akbar» et non «Palestine libre» »
    Eric Danon

    La tragédie qui se passe à Gaza ne laisse que peu de personnes indifférentes. Certains, pour leur sérénité, tentent de se tenir à distance.

    Pour tous ceux qui ne choisissent pas cette solution, le plus grand nombre se met dans un des deux camps.

    Eric Danon, ambassadeur de France en Israël d’août 2019 à juillet 2023, en introduction de sa « Conférence publique à la Sorbonne, le 25 avril 2024 » enjoint cependant, ceux qui sont dans ce cas, de ne jamais omettre de garder, au fond d’eux, de la compassion et de l’empathie pour ce qu’il se passe de l’autre côté.

    La conférence de ce diplomate de 67 ans qui a été ambassadeur en Israël pendant 4 ans, est d’une hauteur de vue et d’une intelligence rare.

    Après avoir entendu cette conférence, il devient encore plus clair, que le Moyen orient est lieu de complexité. Il avoue d’ailleurs que c’est encore plus complexe qu’il ne peut l’expliquer dans une conférence d’une heure trente.

    Je ne peux que vous encourager à l’écouter, surtout qu’à la fin de la conférence il esquisse une piste de sortie du conflit grâce à l’implication de l’Arabie Saoudite et de son prince héritier qui est, selon lui, le seul dirigeant arabe qui souhaite vraiment la paix et la stabilité de cette région. Et il a ce souhait parce qu’il en a besoin pour poursuivre la stratégie de développement de son pays. Il évoque brièvement une autre possibilité qui passerait par une confédération entre la Palestine et la Jordanie.

    Je donne ci-après quelques éléments d’éclairage de cette conférence. Pour ce faire, je me suis largement servi de la synthèse réalisée par Marie-Caroline Reynier et que vous trouverez derrière « ce lien ».

    Pour Éric Danon cette guerre va durer parce que ni Israël, ni le Hamas n’ont atteint leurs objectifs respectifs.

    Nous connaissons les trois objectifs officiels d’Israël :

    • éradiquer le Hamas ou au moins lui infliger des pertes quasi irréparables ;
    • libérer les otages ;
    • et neutraliser toute menace émanant de Gaza.

    Mais Eric Danon prétend qu’Israël poursuit aussi trois objectifs sinon secrets, au moins officieux :

    • Israël souhaite rebâtir une dissuasion afin qu’aucun groupe n’ambitionne de faire pareil que le Hamas. Car l’action du Hamas a fissuré les racines, la raison d’exister d’Israël : Protéger les juifs, interdire à jamais qu’il puisse encore exister des massacres de juifs comme ceux qui ont eu lieu en Europe au XIXème et au XXème siècle. Or le Hamas a non seulement réalisé un tel massacre et de plus sur le territoire d’Israël.
    • La guerre de Gaza constitue aussi une catharsis pour surmonter le traumatisme du 7 octobre 2023, certains parleront de vengeance.
    • Enfin, Netanyahou cherche à faire durer la guerre au moins jusqu’au 5 novembre 2024, date de l’élection présidentielle américaine, car il ne souhaite pas faire le cadeau de la paix au président actuel mais à Trump dont il attend un soutien plus indéfectible que celui offert par Biden.

    Le Hamas poursuit aussi trois objectifs officiels :

    • rentrer en Israël et tuer le maximum de personnes ;
    • capturer le plus d’otages possibles pour les échanger avec des prisonniers ;
    • et préempter l’objet « résistance palestinienne » en montrant qu’il est le plus crédible pour porter ce combat.

    Il poursuit également un objectif officieux : être présent à la table des négociations du jour d’après. Ce dernier objectif n’est pas atteint, mais le Hamas pense que plus il parviendra à faire durer la guerre et ne pas s’effondrer, plus il parviendra à se rendre incontournable pour la suite.

    Nous constatons que pour Israël comme pour le Hamas, la vie et la souffrance des gazaouis n’a pas grande valeur. Il me semble que ce mépris de la vie palestinienne est beaucoup plus fort encore au Hamas, qui considère que chaque victime supplémentaire, « martyr » disent-ils, est une bonne chose car elle fait augmenter le ressentiment contre Israël.

    Cette attitude cynique me fait penser à la réplique que Michel Audiard avait mis dans la bouche de Bernard Blier :

    « J’ai déjà vu des faux-culs, mais vous êtes une synthèse ! »
    (« Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais elle cause, 1969 »)

    L’ancien ambassadeur parle de la souffrance des deux peuples. Il met en avant une souffrance particulière des Palestiniens qui prennent conscience que les pays arabes, notamment méditerranéens, ne sont pas intéressés par la fin du conflit.

    La jeunesse palestinienne réalise ainsi qu’ils ont toujours été empêchés, depuis 1948, d’avoir un État par leurs dirigeants ou par ces pays arabes.

    Et il explique pourquoi les pays arabes, et tout particulièrement ceux de la Méditerranée, n’ont rien fait pour favoriser l’émergence d’un État palestinien. Et il est vrai que dès la création de l’État d’Israël, les états arabes sont entrés en guerre non pour créer un État palestinien mais pour détruire l’État d’Israël et s’accaparer les territoires ainsi conquis entre Jordanie, Égypte, Syrie et Liban.

    • La première raison qu’il cite est que la cause palestinienne constitue un puissant levier de politique intérieure pour les pays arabes. En effet, elle permet d’entraîner la population en faveur des gouvernements au pouvoir. Dès qu’un gouvernement se trouve en difficulté, il évoque la question palestinienne et parvient à recréer une unité autour de lui pour défendre cette cause. Aucun gouvernement ne voudrait se priver d’un tel levier.
    • La seconde raison est que si les populations des pays arabes s’entendent bien, leurs gouvernements ne s’apprécient pas, comme le souligne la rivalité entre le Maroc et l’Algérie ou celle entre la Tunisie et l’Égypte. De fait, le rejet d’Israël contribue à rassembler ces pays lorsqu’ils se réunissent, par exemple lors des sommets de la Ligue arabe. Pour que cette entente dure, ils ont donc tout intérêt à ce que le conflit perdure.
    • Troisièmement, si le conflit israélo-palestinien prend fin, Israël pourrait devenir encore plus puissant. Israël est déjà une puissance déterminante du Proche-Orient dont le PIB (525 milliards de dollars) est supérieur à l’addition du PIB de tous les pays qui l’entourent. Ce conflit, les dépenses militaires d’Israël et les pertes économiques représentées par les appels au boycott, demeure un frein qui empêche Israël de devenir une superpuissance.
    • Enfin, le statut de Jérusalem demeure une des réticences essentielles à la création d’un État palestinien. Le fait que la Palestine récupère ce lieu saint (la mosquée Al-Aqsa) pourrait ne pas convenir à l’Arabie Saoudite ou à l’Iran. Dans leur esprit la Palestine ne mérite pas un tel honneur.

    La religion prend d’ailleurs de plus en plus de place dans ce conflit.

    Car ce conflit n’est plus simplement un conflit territorial, la religion occupe une place de plus en plus prégnante.

    Inspirés par la religion, des individus sont profondément contre l’idée de la paix aussi bien du côté palestinien qu’israélien.

    Ainsi, du côté palestinien, l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 a d’abord été revendiquée comme une non-acceptation d’Israël, au sens d’un refus du partage de l’ancienne Palestine mandataire (1923-1948). En ce sens, la difficulté originelle, renforcée par l’échec des nombreuses négociations, tient à la non-acceptation de ce partage.

    Il rappelle aussi que si on accuse, à raison, le Hamas d’avoir sabordé les accords d’Oslo par des attentats terroristes faisant notamment exploser des bus israéliens, ce sont les messianistes sionistes qui ont commencé le cycle de violence. Ainsi, le massacre du caveau des Patriarches commis par un colon juif fanatique en 1994 a précédé les attentats du Hamas. Il explique que ces groupes religieux étaient motivés par le fait d’éviter à tout prix la création d’un Etat palestinien. C’est encore un fanatique issu de ces rangs qui a assassiné Yitzhak Rabin en 1995 en ayant pour but de tuer le processus d’Oslo.

    Ce sionisme messianique, qui a pris une importance grandissante pour des raisons démographiques et politiques, refuse l’existence d’un État palestinien.

    Eric Danon avant d’expliciter la piste qui lui semble la plus susceptible pour avancer vers une stabilisation puis une paix pose ces trois prémices : .

    • Premièrement, il récuse l’utilisation du terme « solution » (l’expression « solution à deux États » étant très présente dans le débat public) pour parler du conflit israélo-palestinien, et lui préfère l’expression de « tectonique des puissances ». Selon lui, il ne faut pas penser les dynamiques politiques en termes de « solution » mais plutôt d’évolution.
    • Deuxièmement, il soutient que la paix est aussi une question de personnes capables de la faire advenir. Or, sortir de ce conflit requiert des gens à la hauteur, ce qui n’est pas le cas au premier trimestre 2024.
    • Troisièmement, au vu du rapport de forces déséquilibré entre Israël et la Palestine, il n’est pas possible de les laisser négocier face-à-face. Il faut donc une médiation. Or, celle-ci ne peut pas s’articuler exclusivement autour des États-Unis, médiateur traditionnel, car sa proximité vis-à-vis des Israéliens tend à les disqualifier. M. Danon défend donc une double médiation menée par l’Arabie Saoudite et des États-Unis.

    Pour le reste je vous renvoie vers la vidéo de la conférence qui est d’une richesse d’analyse exceptionnelle : « Conférence publique à la Sorbonne, le 25 avril 2024 »

    Dans sa conclusion il revient sur ce constat que beaucoup sous-estime la dimension religieuse qu’a pris ce conflit :

    Si le conflit israélo-palestinien est de nature géopolitique, il comporte une autre composante déterminante, la dimension religieuse. En effet, les Messianiques juifs refusent de lâcher les territoires pour des raisons religieuses. Une difficulté structurelle à gérer le Mont du Temple persiste. Enfin, les politiques et diplomates souhaitant le compromis se heurtent à la radicalité religieuse. L’attentat du 7 octobre 2023 en est le symbole. Par conséquent, cette montée du religieux déplace les frontières du conflit israélo-palestinien. En effet, le Palestinien est devenu un symbole du refus de l’histoire et des valeurs de l’Occident.

    Et il a cette phrase :

    « Ce n’est pas un hasard si vous avez le gouvernement le plus radical du point de vue de l’orthodoxie juive d’un côté et le Hamas de l’autre côté qui perpétue le pire crime en matière de barbarie en criant Allah Akbar et non Palestine libre »

    Pour Eric Danon, c’est aussi parce que la politique est devenue faible que la religion s’est renforcée. La religion appelle à l’absolu et interdit le compromis que permet la politique. C’est à la politique qu’il faut revenir et dans ce domaine le prince héritier saoudien peut jouer un rôle utile, selon lui.

    <1805>

  • Mardi 14 mai 2024

    « Leys, l’homme qui a déshabillé Mao »
    Documentaire consacré à Simon Leys, sinologue belge qui, le premier, a regardé la réalité du maoïsme en face

    La mort de Bernard Pivot a conduit à mettre la lumière sur certaines de ses émissions qui ont été sinon un moment d’Histoire, au moins un moment essentiel de révélation.

    Il en a été ainsi de l’émission « Apostrophes » du 27 mai 1983 dans laquelle il invite, enfin, Simon Leys, cet immense sinologue qui a dénoncé avant tous les autres, les crimes et l’incompétence de Mao Tsé Toung et de la politique menée par le Parti communiste chinois.

    J’avais déjà consacré un mot du jour à cette émission : « Que les idiots disent des idioties, c’est comme les pommiers qui produisent des pommes, c’est dans la nature. Le problème, c’est qu’il y ait des lecteurs pour les prendre au sérieux. ».

    Dans cet épisode, Bernard Pivot avait également invité Maria-Antonietta Macciocchi, qui avait écrit des livres très élogieux sur la Chine de Mao et qui était une référence pour les maoïstes français.

    Simon Leys parviendra sur la chaîne nationale à démonter l’argumentaire de Mme Macciochi et hésitera pour qualifier son dernier ouvrage entre « stupidité totale » ou « escroquerie ». D’après une interview de Bernard Pivot, ce fut le seul cas où, à la suite d’un passage à Apostrophes, les prévisions de vente d’un livre furent révisées à la baisse.

    Il faut absolument voir le documentaire de 50 minutes diffusé sur la Chaîne « Public Sénat » : <Leys, l’homme qui a déshabillé Mao> qui montre le combat de Simon Leys pour dévoiler la vérité sur la Chine de Mao.

    Simon Leys s’appelait dans l’état civil Pierre Ryckmans. Il est né en 1935, en Belgique dans une famille de la grande bourgeoisie catholique belge.

    En mai 1955, il a l’opportunité de participer au voyage d’une délégation de dix jeunes Belges invités durant un mois en Chine. La République populaire de Chine avait été proclamé par Mao, 6 ans auparavant. Ce séjour très encadré par le Parti communiste chinois lui permet de rencontrer et d’échanger avec Zhou Enlai, le numéro 2 derrière Mao. Il en sortira fasciné.

    Il décide d’apprendre le chinois afin de pouvoir s’ouvrir à la langue et à la culture du pays et d’aller l’étudier dans le monde chinois.

    Il commencera à étudier à la section des Beaux-Arts de l’Université nationale de Taïwan. Puis il voyagera beaucoup dans le monde et se fixera d’abord à Singapour, mais devra en partir car il sera soupçonné d’être pro-communiste et ensuite s’installera, à partir de 1963, à à Hong Kong.

    Il épousera une journaliste chinoise en 1964 : Han-fang Chang qui sera sa compagne jusqu’à la fin de sa vie et avec qui il aura quatre enfants.

    Il étudie beaucoup et a du mal à trouver des emplois suffisamment rémunérés., il complète son salaire en rédigeant tous les quinze jours, de 1967 à 1969, un rapport analysant le déroulement des événements en Chine, pour le compte de la délégation diplomatique belge de Hong-Kong.

    Ce sont ces rapports qui se fondent sur les publications officielles du régime communiste, comme sur le témoignage des chinois qui ont pu fuir le pays du livre rouge qui lui permettront d’écrire son premier ouvrage « Les Habits neufs du président Mao » dans lequel il dénonce ce qu’il sait de ce régime horrible et assassin

    Il prendra pour nom d’auteur Simon Leys pour des raisons qui sont expliquées dans le documentaire.

    Je ne vais pas écrire tout ce que le documentaire décrit. Il me parait très important, en revanche, d’insister sur un point essentiel : Le monde des intellectuels et universitaires, le monde des journalistes et des hommes politiques de gauche feront plus que critiquer le travail de Simon Leys : ils le couvriront d’injures, l’ostraciseront et lui fermeront définitivement les portes de l’Université française, alors qu’il était un des sinologues les plus compétents et les plus lucides qui existait alors sur la place.

    Je veux donner la liste de ceux qui se sont trompés et qui, au moment où Simon Leys révélait la vérité, se sont trouvés dans l’autre camp :

    • Philippe Sollers et la revue Tel Quel
    • Le journal Le Monde
    • Le journal Libération qui a été créé par des maoïstes dont Serge July
    • Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir
    • Roland Barthes
    • Michel Foucault
    • Louis Althusser et ses disciples Benny Lévy, les frères Miller (Jacques-Alain et Gérard),
    • André Glucksmann, père de Raphaël qui se distinguera des autres en pratiquant la plus sévère autocritique, quand il constatera qu’il s’était trompé.

    Il sera cependant soutenu immédiatement par Jean-François Revel et René Étiemble.

    Tous ses critiques reconnaîtront, plus ou moins, leurs erreurs et la justesse des écrits de Simon Leys sauf le philosophe Alain Badiou qui continue à affirmer que « Les Habits neufs du président Mao » est une « brillante improvisation idéologique de Simon Leys dépourvue de tout rapport au réel politique »

    En attendant Simon Leys trouvera la sérénité et la reconnaissance en Australie, où l’Université ouvrira ses portes à cet homme lucide et habité par la recherche de la vérité. Il s’y installera en 1970, et y finira ses jours en 2014.

    « Le Monde » tentera, par un hommage appuyé, un rattrapage de l’aveuglement, 40 ans auparavant :

    « Il possédait un goût pour le savoir qui soutenait son immense érudition ainsi que son énergie pour lire, traduire et comprendre. Néanmoins, conscient de la fragilité de nos connaissances, il mêlait volontiers l’humour du sceptique et la modestie du sage. C’est sans doute cette lucidité qui lui permit de voir la Chine maoïste sous son véritable visage et de publier, en 1971, le livre le plus percutant sur la Révolution culturelle, « Les Habits neufs du président Mao » »

    Je crois que nous pouvons beaucoup apprendre de ce moment d’affrontement entre un homme lucide, sage et modéré et une cohorte de gens, pour la plupart classés à gauche, convaincus de détenir la vérité et d’être du côté du bien, aveuglés par leur dogme et leurs certitudes.

    Le maoïsme et le stalinisme ne sont plus d’actualités, le trotskysme presque plus, mais il reste encore bien des dogmes et des nouveaux combats dits « progressistes » qui aujourd’hui continuent à aveugler des femmes et des hommes qui sont certains d’être du bon côté du combat. Qu’en sera-t-il dans quarante ans ?

    Je redonne le lien vers le documentaire : <Leys, l’homme qui a déshabillé Mao>.

    <1804>

  • Mardi le 7 mai 2024

    « Je vis avec les mots […] Mourir c’est abandonner les mots et cela c’est terrible ! »
    Bernard Pivot dans l’émission « L’Invité » de Patrick Simonin en mars 2021

    Même Bernard Pivot est mortel, sa vie s’est arrêtée le 6 mai 2024, le lendemain de son 89ème anniversaire.

    Le créateur et animateur des émissions de télévision qui ont rendu les français plus cultivés et instruits : « Apostrophes » (de 1975 à 1990) et « Bouillon de culture » (de 1991 à 2001) a fait l’objet de nombreux hommages dès l’annonce de sa disparition.

    Je privilégie une émission plus ancienne, en mars 2021, lorsqu’il a été invité par Patrick Simonin pour parler de son avant dernier livre : « … Mais la vie continue ». Il parle de son grand âge et de ce travail difficile et en perpétuel évolution : vieillir.

    « Quand on écrit un livre sur la vieillesse on connait chaque matin le sujet mieux que la veille, et moins bien que le lendemain »

    Pour lui, le problème principal devient la santé :

    « Les obsèques, on s’en fout. L’important est de vivre le plus longtemps possible et en bonne santé ! L’objet principal du livre est la santé.
    A 80 ans passés, la question « Comment vas-tu ?», ce n’est plus une question de politesse, c’est une question médicale ! »

    On sent dans cette émission sa passion intacte pour la vie, vivre au présent est pour lui une quête de tous les instants. Et il insiste sur le privilège acquis de la liberté, liberté de la maitrise du temps et liberté de parole :

    « Le grand privilège de l’âge, par rapport au moment où on est dans la vie active […] c’est qu’on a la maîtrise de son temps et de son jugement. » […] Si vous avez envie de dire quelque chose vous le dites carrément. A 30 ou 40 vous n’osiez pas. »

    Il insiste beaucoup sur cette liberté d’organiser son temps à sa guise.

    « Ce qui est extraordinaire c’est la maîtrise du temps. Quand vous êtes jeune, vous avez toute la vie devant vous, vous avez des décennies devant vous et vous n’avez jamais le temps et quand vous êtes vieux vous n’avez plus beaucoup de temps devant vous, les années sont comptées et vous avez tout votre temps. !
    Autrement dit à long terme on n’a jamais le temps et à court terme on a tout son temps. »

    Et puis il parle des mots. Des mots qu’ils a tant aimé, qui ont été la sève de sa vie, les mots qui finissent avec la mort :

    « C’est par amour des mots que nous sommes devenus écrivains ou journalistes. Les mots c’est notre matière première, ce sont nos amis, nos esclaves, ce sont nos fiancés, ce sont nos amants. Nous adorons les mots. […] Les mots cela peut-être du poil à gratter, comme cela peut être de la barbe à papa, cela peut être de la crème caramel comme du poivre de cayenne. […] Les mots sont à notre service, écrire c’est les réunir, les assembler, les biffer c’est un plaisir extraordinaire. Moi je vis avec les mots, trop souvent les gens ne se rendent pas compte que les mots font partie de notre vie, de notre atmosphère, de notre univers. Mourir c’est abandonner les mots et cela c’est terrible ! »

    Les mots c’est aussi ceux que l’on oublie quand l’âge avance. Le mot qu’il aime le plus est « Aujourd’hui » en ajoutant qu’il lui plait beaucoup que ce mot comporte une « apostrophe » mais surtout parce qu’il désigne le présent qui était si important pour cet amoureux de la vie.

    Il avait aussi beaucoup d’humour, il a écrit dans son livre : 

    « Rire, ça fait fuir la mort ! »

    Il faut ajouter, un certain temps…

    <1804>

  • Lundi 29 avril 2024

    « L’évocation d’une ancienne tradition qui est en réalité très moderne. »
    Max Fisher, journaliste qui rappela que le relais de la flamme olympique est une invention de l’Allemagne nazie

    Ces derniers jours quand on allume la radio et je suppose la télévision (que je ne regarde pas) on nous parle beaucoup de la flamme Olympique.

    Actuellement, elle se trouve sur le navire le BELEM pour faire le trajet d’Athènes à Marseille où elle arrivera le 8 mai. Puis elle sera portée par de nombreux athlètes dans un très long trajet à travers la France, toute la France, c’est à dire aussi les départements et territoire d’outre mer.

    Un site <Relais de la flamme olympique : parcours> vous permet d’en connaître tous les détails. Un article plus simple de l’hebdomadaire <Le Point> donne la liste des villes et les dates.

    Lyon et d’autres villes ont refusé d’accueillir la flamme pour ne pas s’acquitter des 180 000 euros exigés pour que le trajet daigne passer par la métropole lyonnaise.

    Au préalable, il a fallu allumer cette flamme à Olympie grâce aux rayons du soleil et l’aide de femmes habillées de manière hollywoodienne, dans l’objectif de ressembler à des prêtresses grecques.

    J’espère que les adeptes exacerbés des trois monothéismes se rendent compte que nous sommes en pleine célébration polythéiste. On ne dira jamais assez que le polythéisme constitue une invitation à la tolérance, contrairement au monothéisme qui confond croyance et vérité.

    Le polythéisme est aussi pragmatique puisque la flamme n’a pas été allumée par le soleil le jour prévu, c’est à dire mardi 16 avril, parce que les nuages ne l’ont pas permis. Il y avait un plan B, une flamme, allumée selon le rite,  attendait sagement de pouvoir transmettre le feu.

    Mais quelle est cette tradition qui consiste à faire parcourir à la flamme olympique un si long trajet ?

    Il existe même une question préalable : Cette tradition de la flamme olympique existait-elle lors des jeux antiques ?

    Sur le site officiel des jeux olympiques de Paris, les organisateurs prétendent que oui :

    « Lors des Jeux Olympiques antiques, la Flamme était générée par les rayons du soleil et restait allumée pendant toute la durée des Jeux dans un sanctuaire d’Olympie, le Prytanée. ».

    Ce n’est pas ce qu’affirme Wikipedia dans son article sur la flamme olympique :

    « La flamme olympique n’existait pas dans les Jeux olympiques antiques. Elle est apparue pour la première fois le 28 juillet 1928 lors des Jeux olympiques d’été de 1928, à Amsterdam. »

    La bible française en matière de sport : L’Équipe pose la question à Vinciane Pirenne-Delforge, professeur au Collège de France, qui confirme : « Pas de flamme olympique dans l’Antiquité ».

    Une recherche Google donne comme élément de rapprochement qu’à l’époque, des torches étaient allumées pour des cérémonies religieuses, en hommage à certains Dieux ou durant des compétitions sportives, comme des courses de flambeau !

    Voilà qui est dit !

    Lors de la création des jeux olympiques de l’ère moderne, en 1896 à Athènes, il n’a pas été question non plus de flamme olympique. Elle est apparue, comme l’écrit Wikipedia en 1928 à Amsterdam.

    Mais le parcours de la flamme à  travers des villes et des pays a été inventé par d’autres : les nazis. C’est ce que qu’on peu voir sur le Mémorial de l’Holocauste. Mais un article du journal « Le Monde » de 2012 nous donne plus de précision :

    « Le journaliste Max Fisher, du magazine américain The Atlantic, rappelle les conditions dans lesquelles est née cette tradition moderne, en 1936, pour les Jeux de Berlin. Le régime nazi avait inventé cette année-là le relais de la flamme, l’utilisant comme instrument de propagande.
    A l’origine, Adolf Hitler ne voulait pas des Jeux, qu’il qualifiait d’« invention des juifs et des francs-maçons » [mais] convaincu par le ministre de la propagande, Joseph Goebbels, en 1934, Hitler en fit une démonstration du pouvoir nazi, une évocation des racines aryennes du peuple allemand, unifié par « l’esprit combattant » de ses athlètes. Il saisit aussi l’occasion de lier symboliquement son régime aux empires de l’Antiquité qui lui étaient chers. La flamme fut utilisée pour exprimer la continuité historique naturelle, imaginée par le régime nazi, entre son propre essor et l’héritage grec, via Rome et le Saint-Empire romain germanique. Cette année-là, les porteurs de flambeau passèrent par la Tchécoslovaquie. La propagande allemande encouragea des heurts entre des membres de la communauté allemande et la majorité tchèque. Deux ans plus tard, l’Allemagne envahissait le pays. […] L’idée originale de la torche avait été soufflée à Hitler et Goebbels par un dénommé Carl Diem, patron du Comité olympique du Reich, qui avait mené une longue campagne pour obtenir l’organisation des jeux en Allemagne. ».

    Le Monde cite Max Fisher, qui écrivait que l’on peut encore discerner « les échos lointains de cette première cérémonie […] : les costumes, l’orchestration minutieuse, le fer et la flamme, l’évocation d’une ancienne tradition qui est en réalité très moderne ».

    A ce stade, on peut conclure soit que le régime nazi a peut être eu des innovations qu’on peut reprendre, soit sentir un certain malaise devant cette antiquité inventée de toutes pièces par des monstres du XXème siècle.

    <1803>

  • Lundi 22 avril 2024

    « Dans l’eau, les baleines sont devenues l’espèce dominante, sans tuer leurs semblables. »
    Heathcote Williams

    C’est une amie d’Annie, habitant la Guadeloupe, qui a conseillé de voir ce documentaire remarquable « Les gardiennes de la Planète ».

    Il a été réalisé par Jean-Albert Lièvre et il est sorti en salle début février.
    Il commence par ces mots écrits par Heathcote Williams dans son ouvrage : « The Whale Nation » traduit en français et ayant pour titre « Des Baleines. :

    « Vue de l’espace, la planète est bleue
    Vue de l’espace, la planète est le territoire
    Non pas des hommes, mais de la baleine »

    Le documentaire s’inspire librement de ce livre, écrit en 1988. Quand nous avions fini de regarder le documentaire, je me suis empressé d’aller emprunter à la bibliothèque le livre de Heathcote Williams traduit par Jacqueline Ollier.

    Ce livre, plein de photos, est encore plus magnifique et instructif que le documentaire.

    Je crois que le documentaire est une invitation à lire ce livre qui est un long poème en prose, un hymne à la beauté, à l’intelligence et à la majesté de ce grand mammifère : la baleine.

    « D’anciens mammifères inconnus quittèrent la terre. En quête de nourriture ou de sanctuaire,Et entrèrent dans l’eau »
    Page 10

    Pendant longtemps les humains ont massacré les baleines. Tout était prétexte à les chasser, les dépecer. Les êtres humains ont utilisé chaque partie de la baleine une part pour la nourriture et une grande part pour l’industrie.
    Heathcote Williams est non seulement écrivain et poète, il mobilise aussi de grandes connaissances scientifiques pour expliquer tout ce que les baleines apportent à la biodiversité, à l’équilibre de la vie sur terre.

    Il montre comment elles se comportent et conseille aux humains d’apprendre de ces doux géants une nouvelle façon de vivre :

    « Comme les bouddhistes,
    Elles sont très sobres,
    Elles peuvent rester huit mois sans nourriture
    Et elles ne travaillent pas pour manger
    Elles jouent pour manger.
    La baleine à bosse attrape sa nourriture en faisant des bulles […]
    Quand elles éclatent, elles font un cercle de brume aveuglante. »
    Page 15

    C’est ainsi que les baleines piègent le plancton : les crevettes arctiques, le krill, les papillons de mer.Leur énorme oreille est vingt fois plus sensible que celle de l’homme. Parce que : « La baleine se meut dans une mer de sons »

    Elles sont naturellement écologistes :

    « Elles se reproduisent en fonction exacte de la quantité de nourriture que contient la mer »
    Page 31

    Il décrit toujours avec poésie et précision comment les baleines qui sont mammifères comme nous se reproduisent. Il ajoute des détails qui touchent notre humanité :

    « Si survient une mort prématurée
    La mère portera son petit sur son dos
    Jusqu’’à ce qu’il se désintègre. »
    Page 47

    Le livre après avoir montré la magie de ces immenses êtres vivants, ne va rien nous épargner de la brutalité, de la rapacité des gens de notre espèce qui voient en ces majestueux voyageurs des océans, uniquement des objets économiques :

    « Quand la baleine arrive à portée de tir,
    On met le moteur au ralenti.
    Un tir précis la touche entre les omoplates […]
    La pointe frappe,
    Suivie par une charge-retard qui explose trois secondes après.
    Déchiquetant et lacérant le flanc de la baleine au passage du harpon.[…]
    La baleine serre les mâchoires
    Halète, se convulse et crache du sang par son évent. […]
    Vingt minutes s’écoulent […]
    N’ayant pas d’ennemis dans la mer,
    La baleine se refuse à croire qu’on l’attaque, […]
    Elle suffoque et meurt […]
    Une lance creuse
    Fixée à un tube
    Est lancée contre son ventre retourné,
    Insufflant de l’air comprimé dans son cadavre
    Pour le gonfler et le maintenir à flot […]
    Le navire-usine, grand comme un porte-avions,
    Capable de débiter une baleine toutes les demi-heures
    S’approche d’elle… »
    Pages 53 à 56

    La description du carnage continue pendant plusieurs pages, avant que dans une dizaine de pages, l’auteur énumère la liste interminable de tous les usages que les humains ont réalisé à partir du géant des mers.

    Les scientifiques se sont rendus compte de l’importance des baleines dans l’écosystème de la terre, la chasse en a été interdite en 1982. Pourtant 3 pays continuent à les tuer : Le Japon, la Norvège et l’Islande.

    « France info » nous apprend qu’après la chasse le réchauffement climatique décime aussi la population des cétacés :

    « De nouvelles recherches australiennes montrent qu’entre 2012 et 2021, en moins de 10 ans, le nombre de baleines a baissé de 20% dans le Pacifique Nord.
    Car les vagues de chaleur marines bouleversent tout l’écosystème marin et réduisent la production de phytoplancton, ces plantes à la base de la chaîne alimentaire des baleines. […] Après avoir été décimées par les chasseurs, aujourd’hui, c’est donc la faim qui tue les baleines. […] Les scientifiques australiens, qui rappellent que les baleines sont des sentinelles de la santé des océans, appellent à agir d’urgence contre le changement climatique. »

    Le documentaire se termine par ce texte de Heatchcote Williams :

    « Dans l’eau, les baleines sont devenues l’espèce dominante,
    Sans tuer leurs semblables.

    Dans l’eau, les baleines sont devenues l’espèce dominante,
    Bien qu’elles permettent aux ressources qu’elles utilisent de se renouveler.

    Dans l’eau, les baleines sont devenues l’espèce dominante,
    Bien qu’elles communiquent par le langage plutôt que d’éliminer leurs rivaux.

    Dans l’eau, les baleines sont devenues l’espèce dominante,
    Bien qu’elles ne défendent pas jalousement leur domaine, armées jusqu’aux dents.

    Dans l’eau, les baleines sont devenues l’espèce dominante,
    Sans troquer leur innocence contre l’illusion de posséder.

    Dans l’eau, les baleines sont devenues l’espèce dominante,
    Bien qu’elles admettent l’existence d’autres esprits que les leurs.

    Dans l’eau, les baleines sont devenues l’espèce dominante,
    Sans permettre à leur population d’atteindre des densités catastrophiques.

    Dans l’eau, les baleines est l’espèce dominante,
    Extra-terrestre, qui a déjà atterri…
    Pages 99 à 101

    Livre d’une beauté magique, d’une science confondante qui nous permet d’approcher et d’un peu mieux comprendre ce mammifère qui a choisi de vivre dans l’eau, qui ne se comporte pas comme homo sapiens et qui fait tant de bien à la terre. 

    « Wikipedia » nous apprend qu’en outre les baleines jouent un rôle majeur dans la capture du dioxyde de carbone. Car elles agissent comme une pompe biologique, elles se nourrissent de zooplancton, remontent à la surface pour respirer et libèrent dans l’eau de gigantesques vagues de nutriments riches en azote, en phosphore et en fer.

    Autrement dit, elles remettent en circulation des nutriments grâce à leurs fèces (excréments), qui vont par la suite nourrir et stimuler la croissance du phytoplancton et des algues marines qui absorbent le carbone de l’atmosphère par photosynthèse. Ainsi, elles contribuent à la séquestration du carbone en ingérant ces organismes qui concentrent une grande partie du carbone atmosphérique. Ces mêmes informations se trouvent dans le documentaire et le livre.

    <1802>

  • Lundi 15 avril 2024

    « De temps en temps, il faut poser des gestes gratuits de bonté, c’est ce qui rend la vie supportable. »
    Denys Arcand, dans son film « Testament », sorti en salles le 22 novembre 2023

    Denys Arcand, cinéaste québécois, est à 82 ans, un des monuments du cinéma mondial.

    Ma première rencontre avec son œuvre fut quand, avec Annie, nous avons vu « Jésus de Montréal » (1989) qui venait de recevoir le Prix du Jury de Cannes.
    Mais ses films les plus connus et ayant eu le plus de succès furent certainement : « Le Déclin de l’empire américain » (1986) et « Les invasions barbares » (2003).

    « Testament » est son dernier opus, peut être l’ultime si on veut donner un sens à ce titre.
    Ce samedi, nous avons regardé ce film nostalgique et jubilatoire avec Annie.

    Les deux héros de TestamentLe film montre un vieil homme, célibataire, probablement le double cinématographique de Denys Arcand, interprété par Rémy Girard. À 70 ans, Jean-Michel Bouchard (Rémy Girard) sent sa fin approcher. Dépassé par son époque et pensant souvent à la mort, il vit dans une résidence pour personnes âgées, gérée par Suzanne (Sophie Lorain), et travaille encore deux jours par semaine aux Archives nationales.

    Jean-Michel et Suzanne vont assister à l’arrivée de jeunes manifestants qui vont camper devant la résidence et marteler leur slogan : « Respect pour les premières nations ». Ils dénoncent la présence dans la résidence d’une fresque murale, réalisée au XIXème siècle, montrant la rencontre entre Jacques Cartier et des autochtones du Canada.

    Jacques Cartier (1491-1557) est décrit dans nos livres d’Histoire comme un navigateur et un explorateur français ayant découvert le Canada. Dans la compréhension d’aujourd’hui, c’est un colonialiste qui n’a rien découvert puisqu’il existait une population appelé « amérindienne » qui vivait déjà sur cette terre et que son rôle a consisté à soumettre cette population et préparer l’installation et l’exploitation de cette terre et de ses habitants par les européens.

    Jean-Michel, grâce à un ami, va inviter une femme autochtone pour voir, avec son regard, la fresque. Elle va donner son sentiment et dialoguer avec le groupe de jeunes qui veulent la destruction de la fresque.
    De cette rencontre, il apparaît que le groupe de jeunes ne compte aucun autochtone mais une vingtaine de vrais « wokes », ayant trouvé une nouvelle cause pour exercer leur censure.

    Ce moment est très émouvant car si les jeunes stigmatisent la représentation des amérindiens parce qu’ils sont quasi nus, alors que selon les wokes ils auraient dû être représentés en « tenue d’apparat » accueillant des émissaires européens. La femme autochtone décrit une scène mettant en présence des hommes de l’âge de pierre devant des européens armés de fusils qui vont bientôt servir. Pour elle, ce tableau est l’annonce d’un génocide. Mais il ne semble pas qu’elle en demande la destruction, plutôt une explication. Ainsi, quand elle interpelle les deux occidentaux qui l’accompagnent par cette question : « Vous n’avez jamais vu cette fresque sous cet angle ? », ils acquiescent.

    Il ne s’agit pas de rejeter l’intégralité des sources du woke, mais d’en saisir les excès, les anachronismes et parfois la bêtise.
    C’est ce que fait Denys Arcand dans ce beau film, drôle, sarcastique, tendre parfois.
    Comme cette réplique, dont j’ai fait l’exergue de ce mot du jour, que pose Jean-Michel Bouchard à la fille de Suzanne qui a quitté sa mère brutalement et ne veut plus la revoir.

    Car l’affaire de la fresque, n’est pas le seul sujet du film. Il montre aussi le fonctionnement toxique de la télévision et de la radio, qui dramatisent vite et exagérément l’événement. Il s’attaque ensuite au monde politique, qui gouverne en fonction des apparences et qui carbure à l’indignation populaire.
    Enfin, l’autre grand sujet de cette comédie satirique est la solitude, celle des vieux en particulier, mais avec des moments d’échange et d’humanité pleins de grâce.

    Cependant le sujet de ce mot du jour, n’est pas que mon avis sur ce film.

    J’ai voulu connaître les réactions des médias français sur ce film. Et j’ai été frappé par une scission entre deux camps.

    « Le Figaro » sous la plume d’Eric Neuhoff est enthousiaste :

    « à 82 ans, denys arcand n’a pas l’âge de ses artères. mais avec testament, il a la dent dure. l’époque le désole. il choisit de s’en moquer. le programme est infini. c’est le monde à l’envers. l’inculture le dispute à la bêtise, qu’accompagne souvent l’arrogance […] l’enfer se pare de slogans bien intentionnés. […] ce courant d’air salubre fait un bien fou. contre le politiquement correct, la méthode Arcand est la meilleure. cela se passe au Québec, c’est-à-dire partout. on attend l’équivalent chez nous. il n’est pas interdit de rêver. »

    Le magazine de cinéma « Première » est aussi élogieux :

    « Denys Arcand […] signe une savoureuse comédie sur la cancel culture qui insiste précisément sur le décalage entre générations. […] si la situation entraîne imbroglios politiques et désaccords existentiels, le film a la judicieuse idée de privilégier l’humour et même d’oser la comédie sentimentale. au final, Arcand se questionne avec une bonne dose d’ironie et de tendresse sur son propre statut de ringard présumé. »

    Le journal régional de tours : « La Nouvelle République » nous donne des informations sur l’origine de ce film :

    « C’est un événement qui s’est déroulé dans un grand musée de new-york qui m’a donné l’idée du film » raconte Denys Arcand. « sur une grande fresque murale, on voyait la rencontre d’indiens de l’île de Manhattan avec un explorateur hollandais. »
    un jour, « un groupe a exigé sa destruction en prétextant que cette toile constituait une insulte aux premiers arrivants. les responsables du musée ont alors placé une vitre devant l’immense tableau et, par quelques notes écrites, ont indiqué : “ il est impossible que cette réunion ait eu lieu en pareilles circonstances ” ou “ les indiens que vous voyez ne sont pas exactement habillés comme ils le devraient ”. ça a satisfait tout le monde et cette vitrine – explicative, en quelque sorte – est encore là, aujourd’hui. cet événement a excité mon imagination. pourquoi ne pas concevoir, dans la chapelle sixtine, de petites notes qui préciseraient : « dieu le père est ici représenté comme un homme blanc, vieux et probablement hétérosexuel, mais libre à vous d’imaginer, à sa place, une femme noire, jeune et enceinte ».

    La Nouvelle République se situe aussi dans le camp favorable au film :

    « C’est une chronique drôle et grinçante sur la « bien-pensance ».
    avec testament, le cinéaste québécois Denys Arcand s’amuse à régler des comptes avec les excès d’une époque où réactions épidermiques et parfois irréfléchies ont remplacé analyse et temps de réflexion.
    […] testament est avant tout un film où on sourit. […] peinture réaliste des excès de certains justes combats, testament choisit l’optimisme. »

    Le quotidien catholique « La Croix » considère que le film « distille un charme qui doit beaucoup à l’interprétation fluide de Rémy Girard et à une photographie élégante ». le journal trouve le « dénouement lumineux » et juge qu’il « confirme rétrospectivement le soupçon que la satire visait aussi cette génération de seniors indifférente au devenir des plus jeunes. le testament du cinéaste de 82 ans se trouve-t-il dans cet ultime message d’espoir ? »

    « Le Point » porte aussi un regard positif sur ce film

    « Dans son quinzième film, le cinéaste québécois observe avec humour, et sans ménagement, un monde qui brûle des livres et réécrit des œuvres. »

    Et il donne la parole au cinéaste :

    « Je crois que ce sont des mouvements qui ressemblent en grande partie à une forme de renaissance religieuse chez un peuple dissident et fondamentalement croyant […]. ces mouvements ne sont pas politiques, n’abordent pas les questions sociales, la condition de vie des gens les plus démunis. Ils sont puritains, prônent la recherche de la rectitude morale, la primauté du genre, de l’origine ethnique et veulent accorder l’histoire à leurs principes. C’est un peu comme le temps de la prohibition où l’alcool fut interdit pour ne pas conduire à la débauche et améliorer l’être humain. pour moi, c’est un des multiples avatars du rêve américain.
    […] difficile de savoir si ces excès, devenus quotidiens, vont durer ou sont passagers […] qu’en pensera-t-on dans vingt ans ? On se dira peut-être : quelle folie cette culture de l’annulation, exactement comme nous paraît aujourd’hui absurde le fanatisme des maoïstes dans les années 1970. Quand je pense à la fascination du Petit Livre Rouge de Mao sur les intellectuels de l’époque : quinze ans après, la réalité prouvait qu’il était un tyran sanguinaire, responsable de millions de morts […] on ne peut jamais rien prévoir : c’est ma vieille formation d’historien qui me fait penser cela. on a déjà commencé à brûler des livres, à réécrire des œuvres. pour l’instant, on s’en prend à Ian Fleming et à Agatha Christie. pourquoi pas Shakespeare très bientôt ? à moins d’un sursaut, on assiste à la fin de l’universalisme. »

    Le magazine de la gauche culturelle « Télérama » est plus en nuance. si le journal juge le film « inégal », il a été touché par la mise en scène de ce débat entre la « cancel culture » et la « mémoire nécessaire ». pour l’hebdomadaire, « c’est dans ce nœud gordien que s’infiltre l’intelligence de testament. un film sur l’automne de la vie d’un homme sardonique, qui cherche à ne pas mourir trop vieux ni de cœur ni d’esprit. »

    Mais les « vrais médias de gauche » ont massacré le film. En premier lieu « Le Monde »

    « Le cinéaste Denys Arcand sombre dans l’antiwokisme. sans finesse, le réalisateur québécois dissèque l’affaissement moral supposé de son pays en mettant les femmes et la jeunesse en première ligne.
    […] le cinéaste ne se montre jamais à la hauteur des débats qu’il soulève, la profondeur analytique de ses saillies pouvant se résumer à un désespéré « tout fout le camp ! » et « on ne peut plus rien dire », tandis que femmes et jeunesse sont filmées comme des monstres irrationnels. en faisant du wokisme l’explication de tous les maux de son pays, Arcand oublie, au passage, de faire le méticuleux décompte de ses privilèges, et notamment celui-ci : il a une heure cinquante-cinq pour raconter n’importe quoi sans être interrompu. en somme, le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et, dans ce clair-obscur, surgissent les « boomers ».»

    Ce texte peu aimable est de Murielle Joudet qui va jusqu’à oser cette comparaison disqualifiante, pour elle : « Denys Arcand rejoignant là Eric Zemmour en faisant des femmes – et d’une supposée « féminisation de la société » – les agents d’un affaissement intellectuel. ».


    Jérôme Garcin
    n’est pas plus aimable dans « Le Nouvel Obs ». Dans le titre il utilise les termes « vieillot et poussiéreux » et il ajoute :

    « C’est un film de vieux, que notre époque insupporte et que le politiquement correct exaspère. [..] il n’est pas le seul à dénoncer les excès du nouvel ordre moral, mais il le fait ici avec une délicatesse d’éléphant blessé, échappé du cirque. le pamphlet n’est pas seulement un genre, c’est aussi un art. son film à sketches, où il beurre épais à chaque plan, n’en est pas. »

    Avec ses acolytes de l’émission « Le masque et la plume » de France Inter, ils récidivent dans un jugement très défavorable.

    Le journal « Libération » pratique la cancel culture : il ne parle pas de ce film !

    Il faut aller sur « France 5 » pour entendre les éloges de Pierre Lescure et de Patrick Cohen avec en outre une interview du cinéaste.
    Quand Patrick Cohen dit à la fin de la chronique que c’est le film le plus drôle qu’il ait vu depuis la rentrée, Anne Elisabeth Lemoine réplique :

    « Cela fait peut être de vous un vieux con ? ».

    Peut être faut-il savoir être un vieux con pour dénoncer les excès et les effets de mode et de troupeau qui mènent vers le néant.

    <1801>

  • Vendredi 5 avril 2024

    « Mais, au nom de Dieu, qu’on laisse tranquille la Palestine »
    Yusuf Dia Khalidi (1842-1906), dans une lettre du 1er Mars 1899,destinée à Theodor Herzl

    Est-il nécessaire de faire le point sur la situation à Gaza et au Proche-Orient ?

    Nous sommes au milieu du chaos. Le Hamas, sans aucune considération et humanité à l’égard de la population de Gaza, a lancé une attaque terroriste d’une ampleur et d’une violence inouïe  contre Israël et sa population.

    Depuis, dans un mouvement de réaction mais aussi de rage et de vengeance, Israël s’acharne sur les maisons de Gaza et surtout sa population.

    Aujourd’hui, je voudrai partager une page d’Histoire. Du 29 au 31 août 1897, Theodor Herzl convoqua le Premier Congrès Sioniste mondial à Bâle, en Suisse. Ce congrès appelle à la création d’un foyer juif en Palestine. Dans son journal, à la date du 3 septembre 1897, il écrit :

    «A Bâle, j’ai fondé l’État juif… Dans cinq ans peut-être, dans cinquante sûrement, chacun le verra.»

    Un homme, un arabe de Palestine observe ce mouvement avec attention et angoisse. Il a pour nom Yusuf Dia Khalidi , certains écrivent son nom : Youssef Diya Al-Khalidi.

    C’est un homme érudit, polyglotte, il a été maire de Jérusalem à plusieurs reprises. Il connaît le projet sioniste par les journaux. Et, il a observé les premières frictions entre les nouveaux arrivants et les fellahs (paysans) locaux, déplacés de force pour permettre la création des colonies.

    Alors, le 1er mars 1899, Yusuf Dia Khalidi qui est alors député au Parlement impérial ottoman à Constantinople, prend la plume et envoie, en langue française, une lettre de sept pages au grand rabbin de France, Zadoc Kahn, lui demandant de la transmettre à Herzl.

    Vous trouverez cette lettre, ainsi que la réponse de Theodor Herzl sur ce site <Correspondance 1899>. J’en cite quelques extraits. Voici d’abord l’introduction qui montre son empathie pour le peuple juif.

    « Je me flatte de penser que je n’ai besoin de parler de mes sentiments vers Votre peuple. Tous ceux qui me connaissent savent bien, que je ne fais aucune distinction entre juifs, chrétiens et musulmans.

    Je m’inspire toujours de la sublime parole de Votre Prophète Malachie, n’est-ce pas que nous avons un père commun à nous tous ? N’est-ce pas le même Dieu qui nous à créé tous ?

    En ce qui concerne les israélites je prends cette parole au sens de la lettre, car, en dehors de ce que je les estime pour leurs hautes qualités morales et intellectuelles, je les considère vraiment comme parents à nous autres, arabes, pour nous ils sont des cousins, nous avons vraiment le même Père, Abraham, dont nous descendons également. […] Ce sont ces sentiments qui me mettent à l’aise pour Vous parler franchement de la grande question qui agite actuellement le peuple juif. Vous Vous doutez bien que je veux parler du Sionisme. »

    Et, il écrit ensuite ce paragraphe que l’historien juif, Georges Bensoussan, relève dans son livre « Les origines du conflit israélo-arabe (1870-1950) » :

    « L’idée en elle-même n’est que toute naturelle, belle et juste. Qui peut contester les droits des Juifs sur la Palestine ? Mon Dieu, historiquement c’est bien Votre pays ! Et quel spectacle merveilleux ça serait si les Juifs, si doués, étaient de nouveau reconstitués en une nation indépendante, respectée, heureuse, pouvant rendre à la pauvre humanité des services dans le domaine moral comme autrefois ! »

    Yusuf Dia Khalidi exprime d’abord l’idée que le projet sioniste est voué à l’échec. L’Histoire lui a donné tort, l’État d’Israël a bel et bien vu le jour. Mais quand il écrivait cela, il ne pouvait imaginer une succession d’évènements au XXème siècle qui vont rendre possible ce qui semblait impossible : la Première guerre mondiale, la disparition de l’Empire ottoman, l’attitude ambigüe, perverse et colonisatrice britannique, la seconde guerre mondiale, la shoah. Cette succession d’horreurs et d’interventions délétères des États européens vont permettre, avec la volonté, l’action et l’organisation des juifs de Palestine, la réalisation de l’utopie sioniste :

    « Malheureusement, les destinées des nations ne sont point gouvernées seulement par ces conceptions abstraites, si pures, si nobles qu’elles puissent être. Il faut compter avec la réalité, avec les faits acquis, avec la force, oui avec la force brutale des circonstances. […] J’ai été pendant dix ans maire de Jérusalem, et après député de cette ville au Parlement impérial et je le suis encore ; je travaille maintenant pour le bien de cette ville pour y amener de l’eau salubre. Je suis en état de Vous parler en connaissance de cause. Nous nous considérons nous Arabes et Turcs, comme gardiens des lieux également sacrés pour les trois religions, le judaïsme, la chrétienté et l’Islam. Eh bien, comment les meneurs du Sionisme peuvent-ils s’imaginer qu’ils parviendraient à arracher ces lieux sacrés aux deux autres religions qui sont l’immense majorité ? Quelles forces matérielles les juifs possèdent-ils pour imposer leur volonté eux qui sont 10 millions au plus, aux 350 millions des chrétiens et 300 millions des musulmans. Les Juifs possèdent certainement des capitaux et de l’intelligence. Mais si grande que soit la force de l’argent dans ce monde, on ne peut acheter tout à coups de millions. […] C’est donc une pure folie de la part de Dr. Herzl, que j’estime d’ailleurs comme homme et comme écrivain de talent, et comme vrai patriote juif, et de ses amis, de s’imaginer que, même s’il était possible d’obtenir le consentement de S.M. le Sultan, ils arriveraient un jour de s’emparer de la Palestine.»

    Mais s’il s’est trompé dans sa première prédiction, il ne s’est pas trompé sur le fanatisme et le bain de sang que suivrait une telle réalisation. Il pensait que la plus grande haine viendrait des chrétiens, il a sous estimé la réaction des arabes musulmans de Palestine qui se sont sentis trahis, envahis, ignorés, dépossédés :

    Mais je ne me croirais pas en droit d’intervenir si je ne prévoyais pas un grand danger de ce mouvement pour les israélites en Turquie et surtout en Palestine.
    Certes, les Turcs et les Arabes sont généralement bien disposés envers Vos coreligionnaires. Cependant il y a parmi eux aussi des fanatiques, eux aussi, comme toutes les autres nations, même les plus civilisées, ne sont pas exemptes des sentiments de haine de race. En réalité, il y a en Palestine des Chrétiens fanatiques, surtout parmi les orthodoxes et les catholiques, qui considérant la Palestine comme devant appartenir à eux seulement, sont très jaloux des progrès des Juifs dans le pays de leurs ancêtres et ne laissent passer aucune occasion pour exciter la haine des musulmans contre les Juifs. Il y a lieu de craindre un mouvement populaire contre Vos coreligionnaires, malheureux depuis tant de siècles, qui leur serait fatal et que le gouvernement doué des meilleures dispositions du monde ne pourra étouffer facilement. C’est cette éventualité très possible qui me met la plume dans la main pour vous écrire. Il faut donc pour la tranquillité des Juifs en Turquie que le mouvement sioniste, dans le sens géographique du mot, cesse. Que l’on cherche un endroit quelque part pour la malheureuse nation juive, rien de plus juste et équitable. Mon Dieu, la terre est assez vaste, il y a encore des pays inhabités ou l’on pourrait placer les millions d’israélites pauvres, qui y deviendraient peut-être heureux et un jour constitueraient une nation. Ce serait peut-être la meilleure, la plus rationnelle solution de la question juive. Mais, au nom de Dieu, qu’on laisse tranquille la Palestine. »

    18970101_PD0019Theodor Herzl lui répondra avec diplomatie, sens de l’économie et en minimisant l’ambition sioniste en ce lieu. A sa décharge, lui aussi ne pouvait imaginer ce que la première moitié du XXème siècle allait bouleverser dans l’histoire de l’humanité et particulièrement de l’Europe :

    « […] les Juifs n’ont aucune puissance belligérante derrière eux, et ils ne sont pas eux-mêmes de nature guerrière. C’est un élément tout à fait paisible, et très satisfaisant s’ils sont laissés en paix. Il n’y a donc absolument rien à craindre de leur immigration. […]
    Vous voyez une autre difficulté, Excellence, dans l’existence de la population non-juive en Palestine. Mais qui penserait à les renvoyer ? C’est leur bien-être, leur richesse individuelle que nous augmenterons en y apportant la nôtre. Pensez-vous qu’un Arabe qui possède un terrain ou une maison en Palestine d’une valeur de trois ou quatre mille francs sera très fâché de voir le prix de sa terre augmenter en peu de temps, de la voir augmenter de cinq à dix fois en valeur peut-être en quelques mois ? D’ailleurs, cela se produira nécessairement avec l’arrivée des Juifs. C’est ce que la population indigène doit réaliser, qu’elle gagnera d’excellents frères comme le Sultan gagnera des sujets fidèles et bons qui feront prospérer cette province, cette province qui est leur patrie historique. »

    Je vous redonne le lien vers le site qui donne l’intégralité des lettres : <Correspondance 1899>. J’ai appris l’existence de cet échange par l’excellente série que Thomas Snégoroff a consacré à ce conflit « Six dates clés » et particulièrement la première émission avec l’historien Vincent Lemire : « 1897, l’utopie sioniste »

    Bien sûr, ce ne seront pas les historiens qui trouveront les solutions de la Paix aujourd’hui. Mais ils permettent quand même de comprendre que ce territoire est celui de deux peuples et qu’il faut des hommes d’État qui soient capables de trouver les conditions de cohabitation des deux peuples dans l’honneur et la sécurité. Celles et ceux qui pensent qu’il est possible de vider ce territoire de l’autre peuple sont atteints de folie qui ne peut que faire perdurer le bain de sang.

    <1800>

  • Jeudi 28 mars 2024

    « Personne au monde ne veut de moi, nulle part. […] C’est l’unique raison pour laquelle je porte une arme, pour qu’ils ne me chassent pas d’ici aussi.»
    Amos Oz, « Une histoire d’amour et de ténèbres », page 450

    Comme je l’écrivais lundi, les humains aiment se raconter des histoires et développer des narratifs sur lesquels ils s’appuient pour réfléchir, décider et agir.

    Cela se passe partout dans le monde, mais dans la partie du globe où sont nés les trois monothéismes c’est encore davantage le cas.

    Alors, quand des illuminés des deux camps affirment que c’est leur Dieu qui leur a donné cette terre, la possibilité de la négociation et du compromis est très réduite.

    Mais d’autres récits, un peu plus subtils, sont à l’œuvre.

    Un des narratifs est celui de « l’anticolonialisme » qui consiste à prétendre que le sionisme serait un colonialisme.

    Rappelons que le colonialisme est une idéologie qui consiste à étendre la souveraineté d’un État sur des territoires situés en dehors de ses frontières nationales afin d’y exercer une domination politique et une exploitation économique.

    Le colonialisme européen qui s’est développé durant le XIXe siècle et la première moitié du XXème se présentait, en outre, sous l’idée d’une « mission civilisatrice » fondée sur la notion d’impérialisme.

    Après les deux guerres mondiales, le principal moteur d’évolution de la politique internationale fut le mouvement de la décolonisation qui créa un très grand nombre d’États indépendants et la fin des empire coloniaux britanniques, français, néerlandais, belge et portugais.

    Les mouvements anticoloniaux d’aujourd’hui luttent contre la survivance, dans les sociétés, d’une certaine pensée colonialiste et contre les conséquences du colonialisme.

    Une parole attribuée à Einstein affirme :

    « Celui qui a dans sa tête un marteau, donnera à chaque problème une forme de clou. »

    Ce jeune homme très convaincu par cette cause explique « L’histoire coloniale derrière la guerre Israël-Palestine. »

    Certaines de ses thèses apparaissent justifiées : Les peuples arabes du Moyen-Orient étaient bien dans un combat contre le colonialisme de l’Empire Ottoman. Les manœuvres britanniques et françaises pour obtenir un mandat de la SDN pour administrer ces territoires après la défaite ottomane, lors de la première guerre mondiale s’apparente à du colonialisme.

    En revanche, pour que le sionisme soit un colonialisme, il faudrait que les juifs sionistes disposent d’une métropole, c’est-à-dire un « chez soi » permettant de se replier, si la colonisation se passe mal.

    Pour les colons français en Algérie qui vivaient dans ce pays depuis plusieurs générations, la fin de la colonie signifiait pour eux le retour vers la France, non pas pays de leur enfance, mais de leurs aïeux. Même s’ils n’ont pas aimé cette solution, il existait cependant un État qui les accueillait. On pourrait même dire qui était obligé de les accueillir.

    Rien de tel pour les juifs d’Israël.

    Amos Oz, l’écrivain israélien l’a remarquablement décrit dans son livre « Une histoire d’amour et de ténèbres » :

    « Personne au monde ne veut de moi, nulle part. La question est là. Il y a trop de gens comme moi. C’est l’unique raison pour laquelle je suis ici. C’est l’unique raison pour laquelle je porte une arme, pour qu’ils ne me chassent pas d’ici aussi. Mais je ne traiterai jamais d’«assassin» les Arabes qui ont perdu leur village. En tous cas, je ne le ferai pas à la légère. Les nazis, oui, Staline aussi. Et ceux qui s’approprient la terre d’autrui.
    – Est-ce que ça s’applique à nous aussi ? Mais on vivait ici, il y a deux mille ans, n’est-ce pas ?
    – C’est très simple : où se trouve la terre des juifs sinon ici ? Sous les mers ? Sur la lune ? A moins que les juifs soient les seuls au monde qui ne puissent avoir une petite patrie ?
    – Et qu’est-ce qu’on leur a pris ?
    – Et bien, tu as peut-être oublié qu’en 48 ils ont essayé de nous tuer tous ? En 48 il y a eu une guerre terrible, et ils se sont débrouillés pour que ça soit : eux ou nous. Et on a gagné et on le leur a pris. Il n’y a pas de quoi être fier ! Mais si c’était eux qui avaient gagné en 48, il y aurait encore moins de quoi être fier : ils n’auraient pas laissé un seul juif vivant. Et d’ailleurs, il n’y a pas un seul juif qui vive dans leur territoire aujourd’hui. La question est là : c’est parce que nous leur avons pris ce que nous leur avons pris en 1948, que nous avons ce que nous avons aujourd’hui. Et c’est parce que nous avons quelque chose maintenant que nous ne devons rien leur prendre de plus. C’est tout. Voilà la différence entre M. Begin et moi : si nous leur prenons plus un jour, maintenant que nous avons quelque chose, nous commettrons un très grave péché. »
    Page 450 du livre

    Le livre est autobiographique et dans cet épisode le jeune Amos se trouve de garde dans son Kibboutz, en compagnie d’un homme plus âgé, Ephraïm Avneri, qui fut des premiers combats pour l’indépendance d’Israël.

    Amos Oz compte dans sa famille de nombreux membres qui appartiennent au «  sionisme révisionniste. » de Zeev Jabotinsky, un mouvement d’extrême droite qui entend faire parler la violence pour chasser les anglais et les arabes et imposer la suprématie juive sur le territoire de la Palestine mandataire.

    C’est de cette mouvance que viennentt Menahem Begin et Bension Netanyahou, historien israélien et père de Benjamin Netanyahou, fut le secrétaire de Jabotinsky.

    A la mort de Jabotinsky en 1940, Begin prend le relais et crée le parti politique Hérout qui deviendra plus tard le Likoud.

    Avant l’échange avec Ephraim Avneri,  Amos Oz aura , influencé par cette pensée révisionniste, dira :

    « Personne ne parlait alors de « Palestiniens » : on les appelait « terroristes », « fedayin », « l’ennemi », ou « les réfugiés arabes avides de revanche ». »

    Et puis il raconte cette garde qu’il va faire avec son ainé de 24 ans :

    « Une nuit d’hiver au kibboutz, je m’étais retrouvé de garde en compagnie d’Ephraïm Avneri (moi 16 ans, lui 40). Je demandais à Ephraïm si, pendant la guerre d’Indépendance (48) ou les émeutes des années 30, il lui était arrivé de tirer ou de tuer un de ces assassins.
    Je ne distinguais pas son visage dans le noir, mais je décelai une pointe d’ironie séditieuse, une curieuse tristesse sardonique dans sa voix quand il répondit, après un bref moment de réflexion :
    – Des assassins ? Mais qu’aurais-tu voulu qu’ils fassent ? De leur point de vue, nous sommes des extra-terrestres qui avons envahi leur pays et le grignotons petit à petit, et tout en les assurant que nous sommes venus leur prodiguer des bienfaits, les guérir de la teigne ou du trachome, et les affranchir de l’arriération, l’ignorance et la féodalité, nous usurpons sournoisement leur terre. Ey bien, qu’est-ce que tu croyais ? Qu’ils allaient nous remercier ? Qu’ils nous accueilleraient en fanfare ? Qu’ils nous remettraient respectueusement les clés du pays sous prétexte que nos ancêtres y vivaient autrefois ? En quoi est-ce extraordinaire qu’ils aient pris les armes contre nous ? Et maintenant que nous les avons battus à plates coutures, et que des centaines de milliers d’entre eux vivent dans les camps, penses-tu vraiment qu’ils vont se réjouir avec nous et nous souhaiter bonne chance ?
    J’étais sidéré. Bien qu’ayant pris mes distances avec l’idéologie du Hérout et de la famille, je n’en demeurais pas moins un pur produit de l’éducation sioniste. J’étais effaré et exaspéré par ce discours. A cette époque, cette manière de penser était considérée comme une trahison. De stupeur, je lui posais une question sarcastique :
    – Dans ce cas, que fais-tu ici avec cette arme ? Pourquoi est-ce que tu ne quittes pas le pays ? Tu pourrais aussi prendre ton fusil et aller te battre avec eux ?
    Je perçus son sourire triste dans l’obscurité :
    – Avec eux ? Mais ils ne veulent pas de moi. Personne au monde ne veut de moi, nulle part… »

    Dans une dernière tentative d’essayer de mettre en échec la vision d’Ephraïm Avneri, il pose cette question :

    « – Et si les fédaiyns débarquaient maintenant ?
    – Dans ce cas, soupira Ephraïm, et bien il faudra nous aplatir dans la boue et tirer. Et on aura intérêt à tirer mieux et plus vite. Pas parce que ce sont des assassins, mais pour la simple raison que nous avons également le droit de vivre et d’avoir un pays à nous. Il n’y a pas qu’eux. »

    Amos Oz évoluera vers des positions de plus en plus à la gauche du spectre politique. Il sera un des fondateurs du mouvement « La Paix maintenant ».

    Le sionisme n’est pas un colonialisme, mais un mouvement nationaliste visant à donner une terre aux juifs.

    Mais la terre sur laquelle ils ont construit leur État est aussi celui d’un autre peuple qui vivait sur ce territoire : le peuple palestinien.

    Lors du « mot du jour du 19 octobre 2015 » j’avais rapporté les propos de Dominique Moïsi qui analysait lucidement ce conflit :

    « Parce qu’il y a un conflit de calendrier fondamental.
    Quand Israël naît sur les fonts baptismaux de la communauté internationale en 1948, c’est au moment où commence le grand mouvement de décolonisation dans le monde. Pour le monde Arabe, c’est le dernier phénomène colonial de l’histoire européenne qui est anachronique.
    Pour les Israéliens, c’est avec quelque retard, le dernier phénomène national de l’histoire européenne du 19ème siècle. Les Allemands ont un état, les Italiens ont un état.
    Pourquoi pas les juifs ?
    Et en fait ce conflit de calendrier n’a jamais été surmonté.
    Dès le début, une immense majorité des arabes n’accepte pas que l’Europe paye ses péchés sur le dos des Palestiniens.
    Et une grande partie des Israéliens a du mal à intégrer le fait qu’en réalité, il y a les Palestiniens sur ces territoires. (…) »

    Comprendre l’autre, pour pouvoir progresser et éviter de continuer à s’entretuer.

    <1799>

  • Lundi 25 mars 2024

    « L’espèce fabulatrice »
    Nancy Huston

    Nous nous racontons des histoires.
    Nous adorons nous raconter des histoires.

    Un jour Moïse est passé à côté d’un buisson ardent, c’est-à-dire qui brulait sans se consumer et il a entendu une voix qui l’interpellait : « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. ». Et sur la demande de cette voix, Moïse va rassembler le peuple des hébreux qui est esclave en Égypte et parvenir à convaincre le pharaon de laisser ce peuple partir d’Égypte. C’est ce qu’on lit dans le livre de l’Exode.

    Plus tard, Moïse monte sur le mont Sinaï et reçoit les tables de la Loi de ce même Dieu. Et c’est ainsi que naît la religion qu’on appelle désormais la religion juive.

    Est-ce qu’il existe un début de réalité dans ce récit ? Personne ne le sait, un grand nombre l’a cru et il en est encore qui le croit.

    Pour ce récit, des hommes ont consacré quasi toutes les heures de leur vie à étudier, à essayer de comprendre, à écrire des livres, à s’obliger et obliger les autres à suivre avec rigueur des normes sociétales et aussi à faire la guerre.

    Une autre histoire a été racontée plus tard : une femme du nom de Marie a enfanté un enfant mais sans avoir de relations sexuelles au préalable. Cet enfant de Galilée, Jésus, a par la suite, prêché, fait des miracles. Il est entré dans Jérusalem et a été accueilli par une foule qui agitait des rameaux en signe de bienvenue et quelques jours après, à la suite d’histoires de désordres et de trahisons, les romains l’ont arrêté et crucifié. Mais deux jours après sa tombe était vide. Certains de ses disciples disent qu’ils l’ont vu vivant, d’autres l’auraient vu mais ne l’ont pas reconnu immédiatement. Ses disciples racontent qu’il est ressuscité d’entre les morts et qu’au bout de quarante jours il a fait une ascension qui pourrait faire penser qu’un vaisseau spatial extra-terrestre l’a emmené. Le récit ne parle pas d’extra-terrestre mais d’une montée vers dieu sans passer par la mort. A partir de ce moment-là, les disciples vont attendre fébrilement son retour, ils appelleront cela l’attente du royaume. Mais au bout de l’attente, ne voyant pas venir le royaume, ils ont créé l’Église. Il y a eu par la suite une rencontre particulièrement féconde avec un empereur romain, Constantin qui dans le cadre d’une guerre civile a trouvé judicieux de raconter, à son tour, une histoire qui disait que c’est avec cette croyance qu’il a pu vaincre son adversaire pour régner sur l’Empire.

    Ce récit correspond-il a des faits qui ont vraiment eu lieu ? Personne ne le sait, un grand nombre l’a cru et il en est encore qui le croit.

    Michel Onfray prétend que Jésus n’a pas existé. Selon mes lectures, la plupart des historiens pensent plutôt qu’il a existé. Pour le reste nous sommes dans la croyance. Il y a un point qui est historiquement certain : Par l’action de Constantin et de ses successeurs, la religion chrétienne est devenue la religion de l’empire romain. Et c’est ainsi que les persécutés allait bientôt devenir les persécuteurs.

    Là encore, des humains allaient consacrer toute leur vie pour suivre et illustrer ce récit. Pour ce récit, ils vont encore construire des cathédrales, des couvents, créer des œuvres musicales et graphiques, mettre en place des œuvres de charité, des hôpitaux, mais aussi faire la guerre, enfermer, torturer, brûler vif celles et ceux que les autorités de l’Église accusaient ne pas suivre les règles de cet autre récit ou narratif.

    Il y a une troisième histoire qui s’est passée en Arabie, entre La Mecque et Médine, un homme a raconté avoir rencontré un être spirituel qui lui a expliqué qu’il existait un Dieu unique et qu’il fallait suivre un certain nombre de règles et de principes pour lui être agréable et pouvoir bénéficier de ses faveurs notamment après la mort. C’est une histoire plus récente, mieux documentée. Sa part de vérité n’est pas davantage certaine, un grand nombre le croit encore.

    En outre, il y a des interprétations. Les membres du Hamas prétendent que la terre de Palestine leur a été donné par Allah. L’Histoire, qui n’est pas croyance mais la science des historiens, nous apprend plutôt que ce sont des armées musulmanes qui ont vaincu dans des combats meurtriers les troupes de l’empire byzantin, appelé aussi empire romain d’orient, notamment lors de la bataille de Yarmouk (2 août 636) en Syrie. Dans le narratif musulman, c’est bien sûr Allah qui a permis ces victoires militaires et humaines. Ce qui est étonnant, si l’on donne crédit à cette hypothèse, c’est ce que ce narratif n’admet pas que si l’armée israélienne a battu les armées arabes, lors des différentes guerres depuis 1948, c’était parce que Allah, qui peut tout, le voulait ainsi…

    Nancy Huston explique que notre espèce homo sapiens est fabulatrice, donc raconte des fables, pour <les raisons suivantes>

    « [Homo sapiens] invente des histoires et construit des mythes en raison de sa fragilité.À la différence de tous les primates supérieurs, l’être humain naît prématurément, plusieurs mois avant terme. S’il naissait à terme, vu le gigantisme de son crâne (dû à la taille exceptionnelle du cerveau chez Homo sapiens) et la minceur du bassin de la mère (due à la station debout adoptée par Homo sapiens), tous les accouchements seraient fatals : pour la mère, l’enfant ou les deux. Ce qui engendrerait, en quelques décennies, la fin de notre espèce. Quant au bébé humain, il doit être aidé, protégé et éduqué pendant de longues années avant de pouvoir se débrouiller seul. Enfin, notre vulnérabilité par rapport aux autres espèces qui nous entourent (presque pas de griffes, de crocs ou de poils […] nous oblige à nous lier entre nous pour la survie de notre espèce. »

    C’est une thèse que Yuval Noah Harari, après d’autres, a largement développé dans son œuvre « Sapiens » : Le récit permet de fédérer un grand nombre d’humains qui ne se connaissent pas en dépassant largement le cercle du clan et de la famille, pour réaliser un groupe très fort. Homo sapiens est devenu ainsi l’espèce dominante alors que, seul, homo sapiens était moins fort que plusieurs autres espèces.

    Une autre fragilité de notre espèce est qu’elle a conscience de sa finitude, que chaque individu va mourir. Raconter un récit rassurant qui donne une perspective après ce passage inéluctable, permet de calmer un peu les angoisses de la vie, surtout vers la fin.

    Celui qui se trouve devant le corps sans vie d’un être aimé, ne peut se résoudre à ce que cela se termine ainsi. Attraper le récit religieux qui donne sens à ce moment, devient tentant et agit tel un baume réparateur en y ajoutant un espoir de se retrouver.

    Johann Chapoutot, dans son livre « Le grand récit » parle de ces narratifs religieux et y ajoute des religions sans dieu qui promettait aussi des avenirs radieux, comme le « communisme », le « fascisme », le « nazisme ». C’était encore des narratifs qui voulaient expliquer et donner un sens à l’Histoire. Au bout de la croyance, de beaucoup de sacrifices un avenir radieux était promis, mais sur terre.

    Johann Chapoutot ne dépasse pas l’horizon occidental. Or il y a aussi des narratifs dans d’autres civilisations confucéennes, bouddhistes, Hindouistes et encore bien d’autres.

    Et Johann Chapoutot évoque le philosophe Jean-François Lyotard qui considère que la structuration de la société par les grands récits est désormais remplacée par une fragmentation des récits qui se centre davantage sur l’individu.

    Et, selon Chapoutot, on voit l’émergence de nouveaux récits qui structurent notre vision du monde. Ils servent à se cartographier à se repérer et à lire le réel présent pour essayer de lui donner sens : on peut parler de la pensée anticoloniale, woke, des théories du genre.

    Ce qui me semble essentiel de comprendre, c’est qu’en étant inspiré de ces récits globaux ou fragmentés, on va appliquer le filtre de ce narratif à la réalité et ainsi totalement modifier la perception des faits et des évènements analysés.

    Quand vous observez la guerre à Gaza avec le filtre religieux, ou le filtre anticolonialiste vous changez totalement votre perception des faits, vous écoutez certaines sources et restez sourds à d’autres qui sont en dehors de votre narratif.

    Ce que je pense avoir compris c’est que ce narratif est partout. Prenez l’exemple d’un couple qui se défait, rarement les deux protagonistes racontent la même chose. Certains parleront d’un ressenti différent en essayant d’expliquer ou de trouver des raisons au conflit. Mais à la fin, cela conduit inéluctablement à deux narratifs différents qui s’opposent.

    Notre société, nos valeurs, notre manière d’agir se basent énormément sur le narratif de la méritocratie. J’ai déjà consacré une série sur ce sujet : <La méritocratie>. C’est un récit essentiel qui assure un ordre assez apaisé à la société : mon sort est la conséquence de mon mérite. Comme la plupart des histoires, ce n’est pas totalement faux : on réussit mieux si on fait beaucoup d’efforts. Mais les études sociologiques et économiques sont suffisamment nombreuses désormais pour constater que la réussite sociale est étroitement corrélée au statut social des parents. Vous êtes très riches parce que vos parents étaient très riches, vous êtes pauvres parce que vos parents étaient pauvres et puis… il y a quelques exceptions qui constituent des alibis du narratif.

    Aujourd’hui, nous sommes mêmes rentrés dans un nouveau stade celui des faits alternatifs qu’il est possible d’exprimer ainsi : à chacun ses faits. Les électeurs de Trump et les électeurs de Biden ont chacun leur version des faits, je crains qu’en France les mêmes clivages soient présents.

    Géraldine Muhlmann, agrégée de Philosophie et productrice de l’émission « Avec philosophie » sur France Culture, a écrit un livre inquiet sur ce sujet : « Pour les faits »

    Elle a répondu à une interview dans Ouest-France « Qu’on s’engueule d’accord mais qu’on parle des même faits ! »
    Elle cite Charles Péguy, à l’aube de la Première Guerre mondiale :

    « Il faut toujours dire ce que l’on voit : surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit. »

    Et Géraldine Muhlmann plaide qu’on en revienne aux récits des faits.

    C’est ce qu’elle développe avec Johann Chapoutot et Tristan Mendès France dans une émission de France Inter de Novembre 2023 « La guerre des récits » largement consacré à la guerre de Gaza.

    Peut-être certains seront-ils surpris de ce lien que j’établis entre les grands récits, les récits fragmentés et finalement les faits alternatifs ?

    Chacun de ces narratifs, rassurants pour celles et ceux qui les croient, vont contribuer à raconter le monde, non à tenter de le comprendre.

    Ils vont écarter certains faits, donner de l’importance à d’autres, en modifier certains pour rester cohérent avec leur narratif.

    Ce sont ces dynamiques, dans leurs trois dimensions, grands récits, récits fractionnés, faits alternatifs qui sont à l’œuvre dans le conflit de Palestine, en Ukraine et sur bien d’autres terrains.

    <1798>

  • Lundi 11 mars 2024

    « C’est vous qui avez fait cela ? »
    Otto Abetz et Pablo Picasso

    C’est un échange connu ou, au moins, raconté entre l’ambassadeur allemand à Paris, Otto Abetz et Pablo Picasso devant une photo de la Toile « Guernica » de l’artiste.

    L’ambassadeur demande à Picasso :

    « C’est vous qui avez fait cela ? », l’artiste a répondu : « Non… vous »

    Gaza est détruit.

    Et, il y a plus de 2 000 000 d’habitants.

    Ils vivent dans les gravats, la saleté.

    Avoir de l’eau potable, avoir de la nourriture est un problème incommensurable chaque jour.

    D’un côté comme de l’autre, on utilise des mots : « pogrom », « génocide ». Des mots venant de l’Histoire, qui rappellent d’autre moments, d’autres faits.

    Pour faire réagir, pour essayer d’expliquer le désastre, le chaos.

    Faire en sorte que le monde réagisse en faveur du camp défendu.

    Je ne crois pas que cela soit la bonne méthode.

    Peut-on simplement dire les faits ?

    Les membres du Hamas ont attaqué Israël le 7 octobre, ils ont tué 1160 personnes, en majorité des civils et ont emmené 250 otages.

    Ce furent des massacres, filmés par les assaillants eux-mêmes et diffusés sur les réseaux en forme de propagande.

    La violence fut extrême, les viols assez systématiques.

    En face, l’armée d’Israël a réagi tardivement. Elle n’a pas anticipé l’attaque

    <Des observatrices de l’armée> avaient pourtant informé leurs supérieurs que des choses bizarres se passaient du côté de Gaza. Elles n’ont pas été entendues.

    Les troupes qui devaient défendre Israël du côté de Gaza étaient réduites à la portion congrue.

    D’abord, parce qu’une partie de ces troupes étaient mobilisée en Cisjordanie, Judée-Samarie disent beaucoup d’israéliens. Elles étaient mobilisées pour défendre les israéliens qui se sont installés sur ces territoires qu’ils considèrent aujourd’hui comme leur pays historique, mais qui avaient été attribués aux arabes dans le plan de partage de l’ONU de 1947.

    Cette présence juive sur une terre qui devait former une partie essentielle de l’État arabe de Palestine est contraire au Droit International.

    Mais les implantations juives sont de plus en plus importantes et sont évidemment rejetées par la partie Palestinienne d’où le besoin de présence de l’armée pour protéger les citoyens juifs et éviter les désordres.

    Ensuite, une partie plus importante de soldats que d’habitude avaient eu le droit de retourner dans leur famille pour des fêtes religieuses après que le gouvernement ait cédé à des lobbys religieux qui demandaient cette évolution.

    Ces deux faits : la non anticipation et la présence réduite de forces de défenses ont facilité l’attaque du Hamas et l’ampleur du désastre.

    La gravité des massacres sur le territoire israélien et le sort des otages a créé un traumatisme du côté de la population d’Israël qui a exigé et soutenu une action massive contre le Hamas pour punir et empêcher que de tels évènements se reproduisent.

    Et c’est ainsi que les bombardements et l’attaque de l’armée d’Israël sur Gaza ont commencé.

    Nous sommes ce lundi au 157ème jour de guerre.

    Israël a beaucoup détruit, rendant le territoire de Gaza invivable.

    Mais aucun des principaux chefs du Hamas n’a pu être neutralisé. Le Hamas n’est pas détruit et continue à agir.

    Les habitants de Gaza sont prisonniers sur leur territoire.

    Leurs conditions de vie sont terrifiantes.

    Je lis régulièrement « Times of Israël » qui donne le point de vue d’israéliens.

    Il n’y a aucune information concernant la situation humanitaire, de famine, de chaos, d’urgence sanitaire et d’accès à l’eau de la population de Gaza.

    Du côté arabe, notamment d’Al Jazeera, l’ampleur et la barbarie des massacres du 7 octobre sont parallèlement édulcorées.

    L’État Hébreu limite aussi le renouvellement des visas des humanitaires pouvant apporter l’aide à Gaza.

    On peut lire dans l’Obs : « A Gaza, la famine est devenue une arme de guerre »

    « Presque aucune aide n’atteint le Nord, où des enfants commencent à mourir de faim. […]

    A l’hôpital Kamal Adwan, le seul hôpital pédiatrique du nord de la bande de Gaza, près de Beit Lahia, une quinzaine d’enfants sont morts de faim depuis le début du mois de mars. Les médecins, débordés, voient chaque jour des mères affamées mendier du lait pour leurs bébés. Très peu nourries pendant leur grossesse, ces femmes ne parviennent plus à allaiter leurs nouveau-nés et sont contraintes de les nourrir d’une à deux dattes écrasées par jour. […]

    C’est dans le Nord de Gaza, ravagé par les bombes, désormais sous contrôle militaire israélien et où vivent encore 300 à 500 000 Gazaouis, que la situation est la plus désespérée. « Les terres n’y sont pas cultivables, les puits sont pourris, on y boit de l’eau saumâtre. Les Gazaouis sont prisonniers et crèvent de faim », relate Jean-François Corty, médecin et vice-président de Médecins du Monde. ».

    Il y a aussi ce billet de Guillaume Erner sur France Culture <La famine organisée dans la bande de Gaza>

    Il parle de son oncle Dov qui vit en Israël et qui a presque 100 ans. Il avait émigré en Israël après la Shoah.

    Guillaume Erner le décrit ainsi :

    « Dov a été un militant inlassable de la paix, d’une solution à deux États. Il est devenu artiste, grand artiste. »

    Et il finit son billet par ces mots :

    « Et c’est pourquoi, en voyant ce visage d’enfant Gazaoui émacié, décrit comme étant en train de mourir de faim, je me suis dit que Dov n’avait jamais voulu cela, que ces images insupportables allaient doublement le hanter, comme homme, mais aussi comme rescapé. Si cette image d’un enfant à Gaza est vraie, et rien n’indique aujourd’hui qu’elle soit fausse, alors l’Israël que voulait Dov est un Israël à l’agonie, car rien ne justifie bien sûr cette famine. Famine organisée, une famine que même les États-Unis ne parviennent pas à rompre. Si cet enfant Gazaoui meurt, c’est avec lui une certaine conception d’Israël qui va disparaître. »

    Devant ce désastre, on va poser la question : « C’est vous qui avez fait cela ? »

    Le « Vous » c’est le Hamas, le Hamas qui garde les otages, qui a pris l’initiative de cette guerre en sachant que les gazaouis deviendraient les victimes de la réaction d’Israël meurtri. Mais pour eux les victimes ne sont pas des humains qui souffrent mais des martyrs qui aident leur cause.

    Mais aujourd’hui le « Vous » c’est aussi le gouvernement d’Israël et son bras prolongé l’armée d’Israël qui s’obstine dans une stratégie.

    Le peuple de la Shoah peut-il assumer ce qui se passe sur cette petite enclave, prison de 2000 000 d’habitants qui meurent de faim, de soif et de manque de soins ?

    C’est vous qui avez fait cela ?

    <1797>

  • Mercredi 6 mars 2024

    « Mais cette loi (sur l’IVG) on la doit aussi à un homme Valéry Giscard d’Estaing »
    Simone Veil

    Pour une fois, la France a réalisé un progrès sociétal avant tous les autres : inscrire la liberté des femmes à interrompre une grossesse dans sa loi fondamentale.

    Le Chili l’avait tenté lors de la rédaction de sa nouvelle constitution qui devait remplacer celle qui avait été mise en place sous la dictature du sinistre Augusto Pinochet. Mais par deux fois, cette tentative de nouvelle constitution a été rejetée par les électeurs chiliens en 2023. Par voie de conséquence, la disposition concernant l’avortement n’a pas pu entrer en vigueur.

    C’est donc la France qui dans l’article 34 de sa Constitution a proclamé :

    « La liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse »

    Il fallait après le vote positif sur le même texte par l’Assemblée Nationale et le Sénat, que les deux assemblées réunies en Congrès votent la modification à la majorité des 3/5ème

    La majorité des 3/5ème représentait 60,1 % des exprimés, le résultat du 4 mars 2024, fut de 91,5% pour l’adoption de la réforme de la constitution.

    <L’église catholique a protesté> contre cette expression de la souveraineté d’un pays laïc.

    Cette protestation est-elle légitime ?

    Je ne le crois pas.

    Dans un billet flamboyant <Sophia Aram> a cité un extrait d’une homélie de Michel Aupetit, archevêque de Paris :

    « Satan déteste la vie, toute la culture de mort, de l’avortement à l’euthanasie en passant par la destruction d’embryons surnuméraires et la réduction embryonnaire est son œuvre à lui Satan »

    C’est sa croyance, c’est son récit. Il a le droit de le croire. Des hommes et des femmes peuvent librement adhérer à ce récit. Ils seront alors catholiques. Et Monsieur Aupetit comme Monsieur Jorge Mario Bergoglio, responsable de cette église peuvent légitimement dire à celles qui adhérent au même récit qu’eux que si elles veulent suivre l’enseignement de cette église, elles ne devraient pas avorter.

    Mais l’un comme l’autre n’a rien à dire aux représentants légitimes du Peuple français qui décident quelle est la Loi de la France et quelle est la Constitution de la France.

    Il me semble que nous devons reprendre le flambeau de nos libérateurs de la troisième république pour stopper la prétention revigorée des religieux de tout bord, de vouloir imposer leurs croyances, leurs tabous et leurs interdits à la République française qui n’est soumis à aucun Dieu, mais à la volonté du Peuple souverain.

    Mais la raison principale de ce mot du jour est autre.

    J’aime la vérité historique et quand des faits sont établis clairement, les rappeler.

    Pendant cette réforme, seule Simone Veil a été évoquée pour rappeler son rôle dans la loi de 1975 qui n’était pas une loi pour le droit à l’avortement mais une loi qui dépénalisait l’interruption volontaire de grossesse.

    Comme le disait Simone Veil elle-même :

    « Mais cette loi (sur l’IVG) on la doit aussi à un homme Valéry Giscard d’Estaing »

    J’avais expliqué le rôle de Giscard d’Estaing et le hasard que ce soit Simone Veil qui porta cette réforme : « Mémoire et Histoire du droit à l’avortement »

    J’ai beaucoup d’admiration et d’affection pour Simone Veil. Je l’ai écrit dans plusieurs mots du jour.

    Rien de tel à l’égard de Valéry Giscard d’Estaing.

    Mais c’est lui, alors que sa Foi et son milieu familial et politique s’opposaient à cette évolution, qui à l’écoute de l’évolution de la Société et de l’injustice commise à l’égard des femmes qui n’avaient pas les moyens d’aller à l’étranger avorter dans des conditions sanitaires sécurisées, a promis, lors de la campagne présidentielle de 1974, de réaliser cette réforme s’il était élu président de la république.

    Il a agi en homme d’État, contre la majorité qui l’avait élu. D’ailleurs, à l’Assemblée Nationale sa majorité présidentielle vota contre la Loi. On lit dans Wikipedia :

    « Après quelque vingt-cinq heures de débats animés par 74 orateurs, la loi est finalement adoptée par l’Assemblée le 29 novembre 1974 à 3 h 40 du matin par 284 voix contre 189, grâce à la quasi-totalité des votes des députés des partis de la gauche et du centre, et malgré l’opposition de la majeure partie – mais pas de la totalité des députés de la droite, […] dont est pourtant issu le gouvernement dont fait partie Simone Veil. »

    Valéry Giscard d’Estaing est mort deux jours après Anne Sylvestre le 2 décembre 2020, des suites du COVID19, à 94 ans.

    Je ne lui avais pas rendu hommage alors parce que j’ai consacré ce moment à Anne Sylvestre.

    Car, il mérite qu’on lui rende hommage : il a modernisé la France et réalisé plusieurs évolutions majeures, souvent contre l’avis des groupes politiques qui le soutenaient.

    Ainsi il a demandé au parlement d’abaisser l’âge de la majorité. Ce fut une loi du 5 juillet 1974 qui abaissa la majorité à 18 ans alors qu’elle était fixée à 21 ans pour tous depuis 1907 (25 ans auparavant pour les hommes). Cette mesure avait alors permis à près de 2,4 millions de Français concernés d’accéder au droit de vote. Au Royaume-Uni, la mesure était déjà en vigueur depuis 1970, et depuis 1969 en Allemagne.

    Il est probable que sa défaite de 1981 contre Mitterrand fut en grande partie causée par cette évolution. Je ne dispose pas du vote au second tour des électeurs de 18 à 21 ans. Mais de celui  des électeurs de 18 à 24 ans et ils votèrent à 63% pour Mitterrand et à 37% pour Giscard d’Estaing.

    Valéry Giscard d’Estaing, lors de cette campagne de 1981, refusa la proposition de ses conseillers qui voulaient révéler les rapports troubles de Mitterrand avec le Régime de Vichy et la décoration de la francisque par Pétain. Il rejeta cela parce qu’il trouvait ces méthodes indignes d’une campagne présidentielle.

    C’est aussi dans la première année de son mandat, par la loi du 4 décembre 1974, qui comporte plusieurs dispositions relatives à la régulation des naissances, que fut acté le remboursement de la pilule par la Sécurité sociale. Par cette Loi, la contraception devient « un droit individuel », avec la possibilité de délivrer une contraception aux mineures sans limite d’âge et sans autorisation parentale.

    C’est encore sous le mandat de Valéry Giscard d’Estaing qu’est adoptée la loi du 11 juillet 1975 introduisant la notion de « consentement mutuel » dans le divorce. Les demandes devaient être auparavant motivées par une faute commise par l’un des deux époux. « Lorsque les époux demandent ensemble le divorce, ils n’ont pas à en faire connaître la cause », explique le nouveau texte. « Ils doivent seulement soumettre à l’approbation du juge un projet de convention qui en règle les conséquences. »

    Il y eut également cette évolution majeure de nos institutions par la révision constitutionnelle du 29 octobre 1974 qui donne aux parlementaires (60 députés ou sénateurs) la possibilité de contester la constitutionnalité d’une loi. Auparavant, seuls le président de la République, le Premier ministre et les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat pouvaient saisir le Conseil constitutionnel. Cette évolution permettra enfin de vérifier que les projets de Loi du gouvernement sont conformes à la Constitution.

    Et puis il y eut des épisodes moins glorieux, mais ils n’ont pas la place dans ce mot du jour qui se veut un hommage à un homme qui avait certes des défauts, mais qui avait aussi sa part de lumière que j’ai essayé de mettre en avant aujourd’hui.

    Pour en revenir à l’évolution législative concernant l’avortement, c’est sous la présidence de François Mitterrand, en 1982, que la Loi Yvette Roudy, complétant la Loi Simone Veil, ordonnera le remboursement de l’IVG par la Sécurité Sociale.

    Lors du vote du Congrès, il y eut aussi cette intervention pleine de sens et d’émotion de Claude Malhuret dont j’admire souvent l’intelligence et la qualité des interventions : « Je reverrai le visage de cette jeune femme dont la vie et celle de son bébé ont été anéanties lorsque j’irai voter. »

    <1796>

  • Lundi 26 février 2024

    « Pour résister, il faudrait une armée d’adultes ! »
    Judith Godrèche

    Nous ne sommes pas sortis de la pédophilie, de l’inceste, de la violence faite aux femmes et aux enfants.

    Le mot du jour a souvent parlé de ces sujets, en montrant combien ces crimes sont incroyablement nombreux et ont été odieusement banalisés.

    Aujourd’hui c’est Judith Godrèche qui occupe le devant de la scène.

    Je l’ai écoutée sur France Inter <Je n’ai jamais été attirée par Benoît Jacquot mais j’ai été son enfant femme>

    Elle raconte, l’emprise, la violence, les coups, la peur à la journaliste Sonia Devillers dont j’ai apprécié la qualité d’écoute et la sensibilité pour accompagner ce témoignage avec dignité et douceur.

    Interrogé par Le Monde, Benoît Jacquot nie l’ensemble des accusations. Il insiste sur le caractère « amoureux » de cette relation longue.

    Et puis, il y eut aussi Jacques Doillon.

    Elle a exprimé une parole forte aux César 2024 : <Je parle mais je ne vous entends pas>

    La rentrée littéraire fut marquée par un livre remarquable de Neige Sinno : « Triste Tigre », dans lequel elle raconte son inceste subi entre l’âge de 4 à 7 ans.

    Entre temps, il y eut les accusations nombreuses et cohérentes contre Gérard Depardieu et aussi Gérard Miller pour des viols et des violences faites aux femmes. Dans le monde du journalisme il y a PPDA

    J’ai écouté le témoignage d’Anouk Grinbert, <Depardieu est comme ça parce que tout le monde lui permet d’être comme ça>

    L’émission <L’Esprit Public> du 25 février est revenue, de manière plus globale, sur ces sujets : <Metoo du cinéma : le procès d’une époque ?> en soulignant notamment le caractère symbolique du cinéma :

    « Le 7ème art a aussi une responsabilité particulière en ceci qu’il véhicule les stéréotypes, comme celui de la jeune fille sexy qui séduit les hommes bien plus âgés qu’elle. »

    Ce sont souvent des actes qui ont été commis au vu et au su de beaucoup de monde.

    Des parents, des adultes, des femmes et des hommes étaient là !

    Ils n’ont rien dit, rien fait, ils n’ont rien empêché.

    Dans l’interview avec Sonia Devillers, Judith Godrèche exprime cette supplique :

    « Pour empêcher cela il aurait fallu une armée d’adultes. Pour résister il faudrait une armée d’adultes. »

    Alors, on peut se lancer dans de multiples analyses sur le patriarcat, sur la libération des mœurs de mai 68 qui a été délétère sur certains points pour les femmes et les enfants.

    Aujourd’hui j’en resterai uniquement sur ce point-là : « il faut une armée d’adultes ».

    Des adultes qui connaissent la Loi et qui empêchent quand un homme qu’ils connaissent et qu’ils voient ne s’empêche pas.

    On en revient à ces mots du père d’Albert Camus : « Non, un homme ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme, ou sinon… »

    Albert Einstein, n’a pas toujours été un modèle de vertu et d’éthique, mais il a écrit une phrase très juste :

    « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire.
    Albert Einstein Comment je vois le monde (1934)

    Des adultes qui protègent les enfants !

    Mais aussi des adultes qui protègent d’autres adultes quand ce qu’ils voient, entendent ou savent n’est pas acceptable.

    Encore faut-il être clair dans sa tête sur ces sujets.

    Aussi, je partage aujourd’hui une initiative du département de Seine Saint Denis reprise par  la maison de l’égalité homme femme de Grenoble et qui tente d’évaluer les violences à l’intérieur d’un couple : <Le violentomètre>

    Cet outil utilise un code couleur Vert, Orange et Rouge qui qualifie des comportements.

    Le vert, correspond à des attitudes qualifiées de saine, comme par exemple : « le partenaire accepte tes décisions et tes goûts »

    L’orange correspond à une situation dans laquelle il faut être vigilant et dire Stop, par exemple : « le partenaire rabaisse tes opinions et tes projets »

    Pour le rouge qui est le dernier stade, il faut se protéger, demander de l’aide car il y a danger par exemple « Pète les plombs lorsque quelque chose lui déplait ».

    Je ne reproduis pas ici cette échelle que vous trouverez derrière ce lien : <Le violentomètre>

    Des adultes ce sont des humains qui posent des limites et avant tout qui se posent des limites à eux-mêmes.

    <1795>

  • Vendredi 23 février 2024

    « Merci pour toutes ces heures d’écoute. »
    Clémentine Lecalot-Vergnaud

    Clémentine Vergnaud est morte le 23 décembre 2023, après un an et demi de lutte, à l’âge de 31 ans, des suites d’un cancer des voies biliaires.

    J’en ai parlé deux fois déjà.

    Le 22 juin 2023 : « La mort est au bout du chemin, mais elle s’est un peu éloignée. ». C’était au moment de la publication de la série de 10 podcasts dans lesquels elle décrivait son combat, ses espoirs, sa peur et ses relations avec les médecins et l’administration.

    Le 27 décembre 2023 : « 18 mois de vie. » au moment de son décès.

    Ce troisième article est motivé par la publication de 6 nouveaux podcasts, les 6 derniers qu’elle a enregistrés et dans lesquels elle raconte ses dernières semaines, son mariage à l’hôpital, et le moment où elle a compris que la maladie avait toujours un coup d’avance et qu’il fallait pour elle, lâcher prise,  vivre ses derniers jours avec le plus d’intensité et de saveur possible, tout en reconnaissant la peur devant l’inconnu.

    Elle raconte sa peur :

    « Comme l’autre soir, alors que j’étais censée me reposer, juste récupérer sur mon lit, et où c’est monté.
    Et j’avais mon papa en face de moi, assis sur sa chaise, qui attendait que je me repose.
    Et j’ai su lui dire, juste : papa, j’ai peur.
    Et il n’a rien fait d’incroyable, il est juste venu près de moi, il a pris ma main et il a dit : « Moi aussi j’ai peur ». Ce n’était pas grand-chose, mais sa main, ma main dans la sienne, et juste savoir qu’il était là, qu’il entendait, qu’il comprenait que je puisse avoir peur, que lui aussi partageait ça…
    C’est peu de chose, mais il y a des fois où juste se libérer de cette émotion, juste la dire, la formuler, rien que ça, c’est salvateur.
    Et de savoir que les autres sont à côté, qu’ils comprennent ou qu’ils ne comprennent pas, mais en tout cas de lire dans leur regard ou dans leurs gestes qu’ils seront là quoi qu’il arrive, c’est quelque chose qui fait énormément de bien. »

    Elle avait vécu d’espoir, la thérapie ciblée qui lui avait été proposée semblait pleine de promesse. Mais elle a provoqué comme effet collatéral un « takotsubo » : appelé aussi syndrome du cœur brisé, proche des symptômes d’un infarctus. La lutte contre le cancer aboutissait à ce que le cœur lâche. Elle bénéficiera d’une autre thérapie, une chimiothérapie qui aura aussi des effets collatéraux désastreux.

    Souvent l’émotion déchire le témoignage, ces 6 émissions constituent une leçon de vie dans ce qu’elle a de plus profond, de plus humain.

    Il faut être prêt à écouter et à entrer dans ce témoignage poignant.

    Pour ma part, j’ai été bouleversé, mais aussi rempli de force et d’intelligence pour vivre ce qui doit être vécu en restant pleinement humain et lucide, jusqu’au bout du chemin.

    Elle a terminé ces 6 émissions par ces mots :

    « La maladie m’a forcément changée. Je ne suis plus la même personne.
    Je dirais que je suis à la fois plus enjouée, plus reconnaissante des petits moments, ces petits moments dorés dont on parlait, qu’on peut peut-être laisser filer quand on n’est pas malade.
    Et qu’on n’a pas conscience du caractère ténu de ce fil de la vie. […]. Et en même temps, il y a toujours eu cette espèce d’ombre qui plane au-dessus et qui m’a enlevée toute mon insouciance […]

    Je pense aussi que ça m’a rendu une part de joie de vivre parce qu’on a quand même beaucoup rigolé dans toutes ces épreuves, souvent. […].
    Et puis l’envie de donner, beaucoup, l’envie de donner aux autres et notamment au travers du podcast. Je m’en suis rendue compte par les répercussions qu’il a eu : je pouvais donner énormément de choses aux gens en ayant l’impression d’en faire peu, finalement.
    […] Si j’ai pu aider au moins une personne avec ce podcast, moi, je suis mille fois heureuse parce que quand on est malade, on subit beaucoup.
    Et ça m’a rendu tellement de pouvoir sur tout ça. De prise. De possibilités de faire. D’être dans l’agir, d’être là pour les autres.
    C’était vraiment, je crois, l’expérience à faire dans cette maladie, l’expérience d’une vie.

    Merci pour toutes ces heures d’écoute. Merci pour ça. »

    « Merci pour toutes ces heures d’écoute », ces remerciements que Clémentine Vergnaud adresse à celles et ceux qui l’ont écoutée, peuvent aussi bien être renvoyés vers elle, sous la forme d’une immense gratitude que l’on peut exprimer pour ce qu’elle a su donner à celles et ceux qui ont eu la capacité de recevoir son témoignage et sa leçon de vie et de partage.

    Son compagnon et mari, Grégoire Lecalot, a été l’invité de France 5 pour raconter sa part dans cette histoire tragique et lumineuse. <le podcast bouleversant de Clémentine>


    Il parait juste aussi de citer Samuel Aslanoff qui a co-produit et réalisé cette série de 16 podcasts au total.

    <1794>

  • Lundi 19 février 2024

    « Si cela se produit, s’ils décident de me tuer, N’abandonnez pas ! »
    Alexei Navalny

    C’est dans un documentaire Navalny, sorti en 2022, que le cinéaste Daniel Roher avait interrogé l’opposant, juste avant son départ pour Moscou, sur la possibilité qu’il soit tué en prison.
    Alexeï Navalny, comme très souvent souriant, avait répondu par un message à ses concitoyens :

    « N’abandonnez pas. Si cela se produit, s’ils décident de me tuer »

    En 2020 il avait été empoisonné par l’utilisation d’un agent neurotoxique de type Novitchok, arme favorite des services secrets russes. Il avait réchappé à l’empoisonnement après avoir pu être hospitalisé dans un hôpital de Berlin et grâce à l’intervention de médecins allemands.

    Le 17 janvier 2021 il a voulu retourner en Russie, en ayant la conviction que malgré les risques, il ne pouvait appeler à la résistance ses concitoyens s’il ne se trouvait pas sur le territoire russe, partageant avec eux le combat contre Poutine et sa clique.

    C’est avant son départ qu’il a prononcé ces mots.

    Dès son arrivée à Moscou, il fut immédiatement arrêté, condamné pour des motifs d’une vacuité indescriptible : « extrémisme », « escroquerie », « outrage au tribunal » et « fraude aux dons ».

    Dans un parcours pénitentiaire de plus en plus rude, il est transféré en décembre 2023, dans la colonie pénitentiaire n°3, surnommée « Loup polaire » de la localité de Kharp, dans l’Arctique russe. On est au-delà du cercle polaire : certaines nuits, la température peut atteindre les -30 ° Celsius.

    Le service fédéral de l’exécution des peines a annoncé la mort d’Alexeï Navalny, vendredi 16 février, à 47 ans, dans la prison du Grand Nord russe où il purgeait une peine de dix-neuf ans d’incarcération.

    Depuis son arrestation à son retour en Russie, il a été envoyé vingt-sept fois au mitard, pour les prétextes les plus fallacieux : « a mal boutonné son uniforme » ; « n’a pas mis ses mains derrière le dos en marchant » ; « a cité une décision de la Cour européenne des droits de l’homme » ; « a mal nettoyé la cour »…

    Au mitard, il partageait fréquemment sa cellule avec un prisonnier fou et non lavé, qui hurlait toute la journée. Alexeï Navalny se plaignait aussi de devoir écouter, jour après jour, de longues rediffusions des discours de Vladimir Poutine.

    Est-il mort assassiné brutalement ou est-il mort d’épuisement, on ne le sait pas ?

    Il avait sa part d’ombre, il a commencé sa carrière politique en tant que nationaliste belliqueux ayant des propos scandaleux à l’égard des tchétchènes.

    Mais par la suite il a engagé un bras de fer avec Poutine et ses sbires, dénonçant leurs crimes contre la démocratie et la liberté ainsi que et leur corruption généralisée, en la démontrant de manière explicite.

    Grand orateur, il souriait et maniait l’humour jusque dans le dernier moment où il a été vu, trois jours avant sa mort, dans une énième confrontation avec un juge. Il était devenu le symbole de la liberté et de l’opposition à Poutine.

    Vous pouvez écouter l’émission de Christine Ockrent qui lui a été consacrée ce samedi 17 février : < Russie : le martyre de Navalny >

    Il y a aussi ces articles « du Monde » :

    <Navalny meurt en emmenant avec lui « les derniers espoirs » d’une Russie libre>

    <Alexeï Navalny, de l’engagement au sacrifice>

    Il semble utile aussi de s’intéresser à cette affaire qui a conduit la filiale russe de l’entreprise française Yves Rocher à attaquer Navalny et son frère, en justice, sur des accusations mensongères pour complaire au gouvernement : <Procès Navalny : Yves Rocher, une plainte au service du pouvoir>

    Toutes les personnes qui en France ou en Europe manifestent la moindre complaisance à ce tyran sanguinaire qu’est Poutine, ne pourront plus se cacher : l’homme qu’ils traitaient avec bienveillance, est un monstre.

    Alexei Navalny était un homme courageux et qui menait un noble combat.

    Ces choses sont claires et dites.

    Mais je ne souhaite pas m’arrêter là.

    Le 26 septembre 2022, Vladimir Poutine a accordé la citoyenneté russe à Edouard Snowden, pour lui permettre d’échapper à la justice ou plutôt la vindicte des États-Unis.

    Ce n’était pas le premier choix du lanceur d’alerte. Dès 2013, il avait demandé l’asile politique à la France présidée par François Hollande. Le 16 septembre 2019, Snowden avait réitéré son souhait d’être accueilli par la France. Le 19 septembre 2019, jour de la sortie en France de son autobiographie « Mémoires vives », sa demande était de nouveau rejetée, le ministère des Affaires étrangères indiquant n’avoir « pas changé d’avis » et lui refusant l’asile.

    Quel est le crime d’Edouard Snowden ?

    Edward Joseph Snowden, né le 21 juin 1983 en Caroline du Nord a révélé l’existence de plusieurs programmes de surveillance de masse américains et britanniques.

    À compter du 6 juin 2013, Snowden rend publiques, par l’intermédiaire des médias, des informations classées top-secrètes de la NSA concernant la captation des données de connexion des appels téléphoniques aux États-Unis, ainsi que les systèmes d’écoute sur Internet des programmes de surveillance.

    Le 14 avril 2014, l’édition américaine du Guardian et le Washington Post se voient décerner le prix Pulitzer pour la publication des révélations de Snowden sur le système de surveillance de la NSA, rendues possibles grâce aux documents qu’il leur a fournis.

    Quand Snowden quitte les États-Unis, en mai 2013, à 29 ans, après la perte d’un emploi qui lui assurait une vie confortable, il explique :

    « Je suis prêt à sacrifier tout cela parce que je ne peux, en mon âme et conscience, laisser le gouvernement américain détruire la vie privée, la liberté d’Internet et les libertés essentielles des gens du monde entier avec cet énorme système de surveillance qu’il est en train de bâtir secrètement »

    Quelques voix se sont cependant élevées pour défendre Snowden et dire la vérité « crue » : les manœuvres illégales commises par Snowden sont négligeables devant l’intérêt de ses révélations qui démontrent que la « grande » démocratie américaine, donneuse de leçons au monde entier, écoute massivement les citoyens et les dirigeants des pays alliés et cela même davantage pour des motifs économiques que pour des motifs de sureté nationale. Aggravant ainsi leur faute contre la démocratie et la liberté.

    Ainsi, le 10 juin 2014, l’ancien vice-président Al Gore indique qu’Edward Snowden a « rendu un important service », en « révélant le viol de lois importantes, dont des violations de la Constitution des États-Unis », ce qui était « bien plus sérieux que les crimes qu’il a commis »

    Mais rien n’y fait, Les États-Unis ne renoncent pas aux poursuites et les pays occidentaux comme la France se rangent délibérément dans le camp des ennemis de la liberté, faisant à la Russie de Poutine le cadeau d’apparaître comme un pseudo défenseur des droits proclamés par les occidentaux.

    Cela n’enlève rien à l’ignominie du maître du Kremlin qui n’agit ainsi que pour s’opposer aux occidentaux.

    Mais nous [l’Occident] ne sommes décidément pas le camp du bien.

    Vous pouvez avoir d’amples informations sur la < Page Wikipedia > qui lui est consacrée.

    On peut encore citer le cas de Julian Assange qui est informaticien, journaliste et lanceur d’alerte australien. Il est fondateur, rédacteur en chef et porte-parole de WikiLeaks qui font des révélations sur la manière dont les États-Unis et leurs alliés mènent la guerre en Irak et en Afghanistan,

    Il dispose aussi d’une < Page wikipedia >qui relate les différentes étapes de sa vie qui l’ont amené dans une prison de haute sécurité du Royaume-Uni dans l’attente de son extradition aux États-Unis où il risque plus de 170 années de prison.

    On y lit notamment :

    « Assange est soumis à un isolement strict en principe réservé aux terroristes internationaux, alors qu’il est journaliste en détention provisoire. Il est maintenu 23 heures par jour dans un isolement total et ne dispose que de 45 minutes par jour de promenade dans une cour revêtue de béton. WikiLeaks affirme que la détention d’Assange ternit la réputation de défenseur de la liberté de la presse du Royaume-Uni. Quand il quitte sa cellule, « tous les couloirs par lesquels il passe sont évacués et toutes les portes des cellules sont fermées pour éviter tout contact avec les autres détenus »

    Dans un état de santé précaire, ses amis et proches craignent pour sa vie.

    Je voulais parler aujourd’hui d’Alexei Navalny et du comportement criminel des autorités russes qui ont conduit à sa mort.

    Mais que dire, pour les cas d’Edward Snowden et de Julien Assange, des autorités de l’État qui les poursuivent et de la complicité des autres États occidentaux qui laissent faire ou participent à cet acharnement contre les lanceurs d’alerte ?

    La voix des occidentaux devient de plus en plus faible aux oreilles du reste du monde, en raison de nos manquements immenses aux valeurs que nous proclamons.

    <1793>

  • Mardi 13 février 2024

    « Israël est né d’une angoisse de mort comme aucun peuple n’en a connue à ses origines. »
    Robert Badinter

    Robert Badinter a vécu les horreurs de l’antisémitisme. :

    Il se définissait comme « républicain, laïque et juif », c’est ce qu’a rappelé Richard Zelmati, lors de la <commémoration> de la rafle du 12 de la rue Sainte-Catherine à Lyon, en bas des pentes de la Croix Rousse.

    Cette rafle a eu lieu le 9 février 1943. Parmi les 86 personnes arrêtées, il y avait Simon Badinter le père de Robert Badinter.

    Le destin a voulu que Robert Badinter soit décédé 81 ans, jour pour jour, après l’arrestation de son père à Lyon.

    <Le Mémorial de la Shoah> précise :

    « C’est un piège que les nazis tendent au 12 de la rue Sainte-Catherine, siège de la Fédération des sociétés juives de France et du comité́ d’assistance aux refugies, réunis au sein de l’Union générale des israélites de France. La Gestapo attend plusieurs heures sur place pour arrêter le maximum de personnes, employés et personnes qui se présentent dans les locaux.
    D’abord emprisonné au Fort Lamothe, le groupe est transféré́ au camp de Drancy le 12 février. Sur place, se trouvent notamment les victimes de la rafle du département de la Seine des 10 et 11 février, opérée par la police française à l’initiative des autorités allemandes. Il s’agit pour beaucoup de personnes âgées et d’enfants accueillis dans des foyers et des hospices, notamment ceux de la fondation Rothschild.
    Sur les 86 Juifs raflés à Lyon, 80 sont déportés dans les camps d’Auschwitz-Birkenau, Sobibor et Bergen-Belsen. Le plus jeune a 13 ans. Parmi eux figure Simon Badinter, le père de Robert Badinter.
    En 1945, il demeure 4 survivants. »

    Le père de Robert Badinter, mourra à 47 ans, dans le camp d’extermination de Sobibor

    Robert Badinter fut toujours en première ligne dans le combat contre l’antisémitisme et le négationnisme.

    Israël était important pour lui, comme un refuge protecteur des juifs. Mais il considérait toujours qu’Israël devait, pour sa sureté, accepter un état palestinien à côté de lui.

    J’ai retrouvé un article dans lequel il expliquait la psychologie de la majorité des juifs israéliens de manière qui m’a paru très pénétrante.

    J’ajoute tout de suite qu’il ne parle pas de la minorité des messianiques qui poursuivent une vision religieuse délirante du destin d’Israël et qui, au même titre que le Hamas, sont des propagandistes de la haine et du chaos.

    Le Monde avait publié le 20 août 2001 cet article : <L’angoisse et la paix par Robert Badinter>

    Il réagissait après un attentat anti-israélien dans une pizzeria, au cœur de Jérusalem, dans lequel 3 enfants de 14 ans, 4 ans, 2 ans avaient été tués avec leurs parents

    Robert Badinter écrivait :

    « Nul ne saurait demeurer indifférent aux morts et aux souffrances du peuple palestinien. Pour ma part, je souhaite depuis longtemps qu’il connaisse une vie paisible dans un Etat indépendant. »

    Et puis il a ajouté cela sur Israël, les juifs et les palestiniens :

    « Juif du XXe siècle ayant traversé, jeune adolescent, les ténèbres de la guerre et de l’Occupation, j’ai vu naître, au travers d’épreuves inouïes, l’Etat d’Israël. Il en va des peuples comme des humains.

    Les premiers jours de leur vie et ceux qui précèdent leur naissance sont lourds de conséquences pour leur sensibilité et leur avenir.

    Or Israël est le fruit de la plus tragique histoire. Les peuples arabes rappellent avec raison qu’ils ne portent pas la responsabilité de la Shoah. Ce crime sans pareil contre l’humanité s’inscrit en lettres de sang dans l’histoire européenne. Dès l’origine, le projet sioniste a pris corps parce que dans les premières décennies du 20e siècle l’antisémitisme n’avait cessé de régner en Europe jusqu’à l’apocalypse nazie.

    Les vagues d’immigrants en Palestine depuis le début du 20e siècle succèdent aux persécutions. Le « foyer juif » promis par Lord Balfour pendant la première guerre mondiale répond à cette aspiration d’un peuple si éprouvé à trouver, sur la terre dont les écritures disent qu’elle lui fut promise, un refuge, un lieu de paix et d’enracinement.

    On sait ce qu’il advint de cette promesse d’un « foyer juif » du temps du mandat britannique.
    Sur la terre de Palestine, les immigrants en petit nombre rencontrèrent l’hostilité de ceux qui s’y étaient établis avant eux. A croire que seuls les juifs n’avaient pas le droit de vivre en Terre sainte !
    Après la guerre, lorsque les survivants de la Shoah se comptèrent, l’élan fut irrésistible qui poussa les plus engagés d’entre eux vers la Palestine. Si les autorités anglaises s’y opposèrent, c’est d’abord parce que les peuples arabes de la région ne voulaient pas d’un Etat hébreu parmi eux. On a trop oublié dans quelles conditions fut arrachée la reconnaissance de l’Etat d’Israël, là où d’ailleurs n’avait jamais existé d’Etat palestinien. Cet Etat hébreu était l’expression non pas de l’impérialisme colonial, comme certains le disent aujourd’hui, mais de la tragique condition qu’avait souffert à travers les siècles un peuple dispersé et toujours persécuté. Israël est né de la Shoah. Il ne faut jamais l’oublier. Non parce que les Israéliens ou les juifs seraient devenus des créanciers moraux du monde jusqu’à la fin des temps. Mais parce qu’on ne peut rien comprendre à l’Israël d’aujourd’hui si on ne prend pas en compte cette vérité : Israël est né d’une angoisse de mort comme aucun peuple n’en a connue à ses origines.

    Or cette angoisse-là, elle ne l’a jamais quitté. Il faut rappeler à ceux qui aujourd’hui mettent l’accent sur les exactions et les crimes commis par les activistes sionistes lors de la guerre de 1948 que, dès la proclamation de l’Etat d’Israël, toutes les puissances arabes, ses voisins, ont proclamé la guerre sainte et juré sa destruction. Si le sort des armes n’en avait pas décidé autrement, si les Israéliens avaient succombé sous le nombre et le poids de leurs ennemis coalisés, il n’y aurait jamais eu d’Etat d’Israël.

    Après un demi-siècle écoulé et tant de campagnes victorieuses, les Israéliens demeurent convaincus en majorité que les peuples arabes autour d’eux veulent en définitive l’anéantissement de l’Etat d’Israël. Sentiment absurde, disent les esprits raisonnables. Tsahal est la première armée de la région. Israël jouit de l’appui inconditionnel des Etats-Unis, superpuissance du monde et gardien ultime de l’ordre international. Aucune menace sérieuse ne pèse donc sur l’avenir d’Israël, hormis son impuissance à résoudre le problème palestinien.
    Mais là est précisément le cœur du problème. La plupart des Israéliens sont prêts aux plus importantes concessions pour obtenir une paix réelle pour eux et leurs enfants. Mais la paix n’est acquise réellement que lorsque les adversaires ont renoncé en eux-mêmes à la volonté d’abattre l’autre. La seule paix durable, c’est celle du cœur et de l’esprit. A défaut, il n’y a que des armistices entre deux guerres.

    Or cette paix-là, cette paix spirituelle sans laquelle rien ne sera acquis au Proche-Orient, nombre d’Israéliens aujourd’hui demeurent convaincus qu’elle est hors de leur portée. A lire les manuels d’histoire palestiniens, à écouter les discours à usage interne des leaders, à entendre les cris de haine des plus violents d’entre eux, les Israéliens ressentent que c’est bien la destruction d’Israël que leurs adversaires veulent.
    Rien ne leur paraît, à cet égard, avoir changé depuis l’époque où les chefs des Etats arabes s’unissaient pour envahir et détruire le minuscule Etat qui venait de naître. A ce sentiment-là, chaque attentat terroriste donne une intensité nouvelle. La mort des victimes, au-delà de la souffrance des parents, résonne dans tout Israël comme le glas de l’espérance de paix. Elle fait renaître cette angoisse existentielle qui n’a jamais cessé depuis la naissance d’Israël, enfant des pogromes et de la Shoah. A quoi bon rendre les territoires, abandonner les colonies de peuplement, reconnaître à Jérusalem-Est le statut de capitale de l’Etat palestinien, indemniser les réfugiés palestiniens, à quoi bon tant de concessions et de renoncements si l’on n’atteint pas le but : la paix, la vraie paix, celle des âmes.
    Le recours à la force qui assure le statu quo permet au moins de rassurer pour un moment les esprits. Jusqu’au prochain attentat, jusqu’au prochain mort. La douleur renaît alors, et la colère, et la fureur. Et la riposte vient qui sème à son tour la mort de l’autre côté, en attendant la prochaine bombe de kamikaze qui lui fera écho.

    Devant pareil désastre, les hommes de paix s’interrogent sur les moyens de mettre un terme à cette violence toujours sanglante, toujours stérile. Mais tous les efforts demeureront vains s’ils ne prennent pas en compte cette donnée psychologique essentielle : le sentiment angoissé des Israéliens qu’en définitive, pour leurs ennemis, tout accord n’est qu’une étape vers la réalisation de leur objectif ultime : la destruction d’Israël.
    Sans doute il incombe aux Israéliens de mettre un terme, sans différer, aux souffrances et aux humiliations subies par les Palestiniens. Mais il appartient à ceux-ci et à leurs alliés de mesurer enfin que, aussi longtemps que demeurera vivant au cœur des Israéliens la conviction que leurs adversaires veulent la mort de l’Etat hébreu, rien ne sera possible.

    Au moment décisif, l’homme d’Etat sait que c’est à l’imagination et au cœur qu’il faut s’adresser pour donner à l’histoire un cours nouveau. Le génie de Sadate fut de l’avoir un jour compris. Son exemple, hélas, paraît aujourd’hui oublié. »

    Robert Badinter présente l’Histoire de ce conflit du point de vue d’Israël.

    Comme toujours, il trouve les mots justes pour décrire très précisément les sentiments et les peurs du côté israélien de cette tragédie.

    « Challenges » lui avait rendu visite après le 7 octobre 2023.

    Le journaliste Maurice Szafran résume cet entretien, sur ce sujet du 7 octobre et de la suite de la manière suivante :

    « Jusqu’à ce pogrom du 7 octobre 2023. « Une monstruosité, évidemment, relève-t-il. Mais il s’est aussi produit un événement capital : Israël devait être le pays du « plus jamais ça », protéger, ce devait être son rôle historique. Et là, Israël a échoué dans sa mission ».
    Robert Badinter critique rudement Benyamin Netanyahou — comment pourrait-il d’ailleurs en aller autrement, lui qui a pour référence et « compagnons » Itzhak Rabin et Shimon, Peres, lui qui a toujours défendu la solution à deux états, lui qui estime que « la sécurité des Israéliens passe par l’émancipation des Palestiniens ». « Netanyahou, ajoute-t-il sans même qu’il soit nécessaire de lui poser la question, est un danger pour les Israéliens, un danger pour les libertés publiques, un danger pour la démocratie. Heureusement une partie du peuple s’était soulevée avant le 7 octobre. Il y a pire encore : des partis ouvertement racistes qui « font » la majorité parlementaire, des ministres favorables à l’expulsion des Palestiniens… C’est invraisemblable ». Il dit : « je suis inquiet pour Israël ». Comme un voile de tristesse sur son visage. »

    Lucide, pleinement engagé pour la sécurité d’Israël dans la paix, il me semble que lire Robert Badinter permet d’améliorer notre compréhension de cette tragédie.

    <1792>

  • Lundi 12 février 2024

    « [Son travail] témoigne, mieux que tous les discours, que l’on ne doit jamais désespérer des hommes. »
    Robert Badinter, avant-propos à l’édition de la thèse de Philippe Maurice

    Bien sûr, il faut honorer la mémoire de cet humaniste que la France a eu la chance de compter dans ses rangs : Robert Badinter.

    Il semble légitime d’écrire qu’il est mort de vieillesse à 95 ans, le 9 février 2024.

    Au cours du week-end, les médias ont rappelé son histoire et ses combats nombreux, toujours pour défendre l’honneur et la dignité de la personne humaine.

    Son grand combat, fut l’abolition de la peine de mort en France.

    Les gens de ma génération se souviennent de ce discours qu’il prononça le 17 septembre 1981 à l’Assemblée Nationale.

    <Discours> qui commença par ces mots

    « J’ai l’honneur, au nom du gouvernement de la République, de demander à l’Assemblée nationale l’abolition de la peine de mort en France. »

    Un peu plus loin, il disait :

    « La France a été parmi les premiers pays du monde à abolir l’esclavage, ce crime qui déshonore encore l’humanité.
    Il se trouve que la France aura été, en dépit de tant d’efforts courageux, l’un des derniers pays, presque le dernier – et je baisse la voix pour le dire – en Europe occidentale dont elle a été si souvent le foyer et le pôle, à abolir la peine de mort.
    Pourquoi ce retard ? Voilà la première question qui se pose à nous. »

    En 2016, lors d’une commémoration de cette abolition, Robert Badinter avait eu ce mot dans les matins de France Culture :

    « La France n’est pas le pays des droits de l’Homme, elle n’est que le pays de la déclaration des droits de l’Homme »

    J’en fis le mot du jour du <21 octobre 2016>

    Outre, qu’il rappela qu’il n’est jamais apparu que l’existence de la peine de mot eut un effet significatif sur le nombre de crimes de sang, il expliqua les deux raisons fondamentales qui, selon lui, doivent conduire à rejeter définitivement la peine de mort :

    « Il s’agit bien, en définitive, dans l’abolition, d’un choix fondamental, d’une certaine conception de l’homme et de la justice. Ceux qui veulent une justice qui tue, ceux-là sont animés par une double conviction : qu’il existe des hommes totalement coupables, c’est-à-dire des hommes totalement responsables de leurs actes, et qu’il peut y avoir une justice sûre de son infaillibilité au point de dire que celui-là peut vivre et que celui-là doit mourir.

    A cet âge de ma vie, l’une et l’autre affirmations me paraissent également erronées. Aussi terribles, aussi odieux que soient leurs actes, il n’est point d’hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement. Aussi prudente que soit la justice, aussi mesurés et angoissés que soient les femmes et les hommes qui jugent, la justice demeure humaine, donc faillible. »

    Et puis, il existait au fond de lui cette conviction qu’un être humain, même celui qui avait commis le pire, était toujours capable de devenir meilleur.

    Je voudrais pour rendre hommage à Robert Badinter, narrer l’histoire de Philippe Maurice que l’on peut trouver sur Wikipedia.

    Philippe Maurice est né à Paris le 15 juin 1956.

    En quittant l’armée, Philippe Maurice participe à un trafic de faux billets. Les gendarmes dans l’Aveyron le surprennent en train de forcer un barrage routier avec un véhicule volé. Puis, il est inculpé et incarcéré à la maison d’arrêt de Rodez, en mars 1977, dans le cadre de plusieurs recels de vols de véhicules et de multiples escroqueries (usages de chèques volés, faux monnayage), délits pour lesquels le tribunal de Millau le condamne en 1978 à cinq ans de prison dont un an avec sursis. Lors d’une permission de sortie il ne regagne pas la maison d’arrêt.

    Avec un ami, il se lance dans une série de vols à main armée en région parisienne qui se termine dans un épilogue sanglant, d’abord avec le meurtre le 26 septembre 1979 d’un veilleur de nuit qui le surprend en flagrant délit de vol de véhicule dans le 15e arrondissement de Paris, puis avec les meurtres de deux gardiens de la paix de la préfecture de police qui tentent de les intercepter dans la nuit du 7 décembre 1979, rue Monge dans le 5e arrondissement de Paris. Son ami est tué dans la fusillade.

    Philippe Maurice est condamné à mort par la cour d’assises de Paris le 28 octobre 1980 pour complicité de meurtre et meurtre sur agents de la force publique.

    Il va même tenter une évasion, le 24 février 1981, et blesser grièvement un gardien de prison avec une arme que lui avait remis clandestinement son avocate.

    Comme dirait les jeunes de maintenant : « C’est du lourd !»

    Son pourvoi de cassation est rejeté le 19 mars 1981, le président d’alors Valéry Giscard d’Estaing repousse volontairement sa réponse pour la demande de grâce, après les élections présidentielles de mai 1981, laissant à son successeur, qui pouvait être lui-même, la charge de répondre à cette demande.

    Le 10 mai 1981, François Mitterrand qui avait déclaré qu’il voulait abolir la peine de mort s’il était élu, gagne les élections présidentielles.

    Le 11 mai 1981, Robert Badinter va visiter Philippe Maurice dans sa prison et lui dit :

    « Vous allez être gracié, l’abolition de la peine de mort est imminente. D’une certaine manière, vous allez symboliser désormais l’abolition elle-même… ». Il lui enjoint de reprendre ses études en prison.

    Le 25 mai 1981, le nouveau président de la République, François Mitterrand, quatre jours après son investiture, lui accorde sa grâce et commue sa condamnation à mort en une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité.

    Une fois gracié, Philippe Maurice abandonne ses projets d’évasion et suit le conseil de Badinter : il se met à étudier en commençant par l’équivalence du baccalauréat (examen d’entrée à l’université). Il passe sa licence d’histoire en 1987. Le 18 octobre 1989, il soutient sa maîtrise d’histoire du Moyen Âge.

    C’est en décembre 1995 qu’il soutient une thèse de doctorat en histoire médiévale, dirigée par Bernard Chevalier et Christiane Deluz, à l’université François-Rabelais de Tours portant sur « La famille au Gévaudan à la fin du Moyen Âge ». Pour sa première sortie de prison sans menottes depuis 16 ans, trois gendarmes et trois fonctionnaires de la pénitentiaire sont chargés de l’observer lors de la soutenance. La thèse recueille les félicitations unanimes du jury et la mention « très honorable ».

    À l’automne 1999, il est placé en régime de semi-liberté. Puis le 8 mars 2000, il bénéficie d’une libération conditionnelle. La communauté scientifique de l’université de Tours lui trouve un poste d’assistant de recherche. Par la suite, il sera chargé de recherches, il travaillera à l’EHESS dans les domaines de la famille, de la religion et du pouvoir au Moyen Âge. Il fut également chargé de recherche au CNRS.

    Dans l’avant-propos à l’édition de sa thèse, Robert Badinter rappelait qu’il était venu voir Philippe Maurice à Fresnes le lendemain même du 10 mai 1981 :

    « Je lui ai dit que, parce qu’il devait sa vie à l’abolition imminente, il symboliserait d’une certaine manière, l’abolition elle-même (…). [Son travail] témoigne, mieux que tous les discours, que l’on ne doit jamais désespérer des hommes. »

    Le 25 mai 2000, le journal « Le Monde » lui a consacré un très long article : < Il était une fois… Le retour à la vie de Philippe Maurice >

    J’en tire deux extraits. D’abord celui qui décrit la soutenance de la thèse :

    « Alors, en décembre 1995, Philippe Maurice soutient sa thèse à Tours, le temps d’une extraction, sous escorte policière, du centre de détention de Caen. Cinq heures de face-à-face érudit, qui rompent la solitude et valident 1 245 pages, fruit de sa patience et de sa volonté. « Une prestation remarquable d’intelligence du sujet », se souvient Jacques Poumarède, historien à Toulouse des institutions du droit. Mention « très honorable » avec félicitations du jury. « Vous m’avez rendue plus intelligente », conclut ce jour-là une professeure de la Sorbonne, à sa place de juré. »

    Et ce jugement de deux des plus grands historiens français :

    « [Philippe Maurice figure] parmi les meilleurs docteurs en histoire dont j’ai eu connaissance ces dernières années, attestait le médiéviste Jacques Le Goff, en 1996. Il s’agit là d’un cas exceptionnel non seulement de réinsertion psychologique, intellectuelle et morale, mais d’un apport important aux travaux de l’historiographie française contemporaine. » « Je suis tout à fait porté à lui faire confiance pour le travail qu’il pourrait accomplir dans l’avenir », écrivait l’historien et président de la Bibliothèque nationale de France, Jean Favier. »

    Par <cet article> de « l’Obs » nous apprenons qu’il a été présent en 2021, avec Robert Badinter, pour célébrer le 40ème anniversaire de la peine de mort :

    « La célébration du 40ème anniversaire de l’abolition de la peine de mort à l’Hôtel de Lassay, a été l’occasion pour Robert Badinter de plaider pour « l’abolition universelle ». Puis, il s’est adressé à ce professeur d’histoire, discrètement assis dans l’assistance, « il a été l’incarnation de l’abolition et il n’a pas déçu les espérances que nous avions en lui ». Appelé à son tour à prendre la parole, Philippe Maurice a rendu hommage à l’homme qui a consacré sa vie à la justice et, a-t-il ajouté, « à François Mitterrand que j’aurais aimé connaître ». Habillé tout de blanc, couleur des fantômes et des anges, Philippe Maurice tranchait sur l’aréopage en costumes sombres. Nulle effusion entre les deux hommes, l’ancien ministre cultive la réserve et le professeur, la discrétion. L’histoire les a fait se croiser et se recroiser mais Robert Badinter n’a pas été son défenseur. »

    Sollicité par « Ouest-France », Philippe Maurice s’est dit trop pudiquement touché par la mort de Robert Badinter pour évoquer le sujet de vive voix. Il a toutefois rédigé un petit texte que voici à son égard :

    « Voici plus de quarante ans, dans une cellule de condamné à mort, les pieds et les mains enchaînés, les chevilles ensanglantées, je recevais la visite régulière de Robert Badinter. Je n’étais qu’un gamin de banlieue sans avenir. Nous étions certains que je serais exécuté.
    Cet homme, socialement si important, ce grand notable, se présentait toujours avec une boîte neuve de cigarillos. Il posait la boîte sur la table, devant nous, l’ouvrait, et m’invitait à fumer. Il allumait les cigarillos que je grillais ainsi devant lui. Quand, en parlant, je laissais mon cigarillo s’éteindre, attentif, attentionné, il se précipitait sur son briquet pour le rallumer. Je crois qu’il s’apercevait avant moi que le cigarillo était éteint.
    Ce petit geste dont il ne s’est jamais vanté, je crois, aurait dû disparaître avec moi… À mes yeux, ce geste modeste reste une marque de sa très grande humanité… Le grand bourgeois se pliait devant la mort à venir d’un gamin destiné à l’échafaud. »

    Philippe Maurice a publié plusieurs ouvrages d’historien : « La famille en Gévaudan au XV e siècle (1380-1483) » qui fut l’objet de sa thèse, en 1998, aux éditions de la Sorbonne, « Guillaume le Conquérant » en 2002, chez Flammarion, mais aussi son autobiographie : « De la haine à la vie », en 2001, aux éditions du Cherche Midi et « Adieu la mère », en 2014, aux éditions du Cherche Midi, consacré à la vie si difficile de sa mère.

    <1791>

  • Vendredi 9 février 2024

    « Une défaite sans vainqueur »
    Jean-Pierre Filiu

    La journaliste de « La Croix l’hebdo » Vinciane Joly a échangé, via WhatsApp, avec Ahmad, un jeune palestinien qui vit à Gaza. Au gré des coupures de communication, il lui a raconté son quotidien sous les bombes. Leur correspondance est un document unique sur la guerre publié par le journal : < Je t’écris de Gaza >.

    Ahmad a fui Gaza ville pour aller à Khan Younes où un bombardement l’attendait, qui a laissé son frère handicapé… Les échanges sont terribles, autant pour ce que dit le Palestinien, que par la distance entre celui qui vit un calvaire et celle qui en France, ne peut que trembler et dire sa pitié… Et Ahmad dit :

    « Nous nous plaindrons de ce monde à Dieu quand nous Le rencontrerons. »

    Le Calvaire continue pour la population de Gaza. Du côté israélien, l’angoisse et le traumatisme du massacre du 7 octobre persistent.

    Dieu qui est invoqué des deux côtés ne dispose visiblement d’aucun moyen d’action pour intervenir…

    Je comprends la réaction d’Ahmad et il aura bien raison de se plaindre à ce Dieu qui semble responsable de toute cette tragédie et qui n’intervient pas.

    Et je pense que pour toutes celles et ceux qui croient en Dieu, « la tempête sous un crâne » pour reprendre la phrase utilisée par Victor Hugo dans les Misérables est de plus en plus forte.

    Pour celles et ceux qui ne croient pas ou qui croient mais gardent un doute fécond, il me semble pertinent d’écouter et de suivre les réflexions de l’historien, spécialiste du Moyen-Orient contemporain, Jean-Pierre Filiu.

    Ce 9 février il fait paraître un livre : « Comment la Palestine fut perdue » et comme sous-titre « Et pourquoi Israël n’a pas gagné. Histoire d’un conflit (XIXe-XXIe siècle) »

    Il était l’invité du « Grand Entretien » de France Inter du mardi 5 février 2024 : <La défaite palestinienne est claire, elle est écrasante>.

    Il fait d’abord le constat que la défaite palestinienne depuis le début de ce conflit est écrasante et pourtant Israël, malgré sa supériorité militaire gigantesque et les victoires obtenues dans toutes les guerres contre les palestiniens et les arabes, n’a pas gagné.

    Il n’y a en réalité pas de victoire définitive d’Israël.

    Il parle d’« une défaite sans vainqueur ».

    Jean-Pierre Filiu, à l’instar de beaucoup d’autres, affirme que cela montre qu’il ne peut pas y avoir de victoire militaire, il ne peut exister qu’une solution politique. C’était ce que Itzhak Rabin avait compris, et c’est pourquoi il avait entamé les négociations du processus d’Oslo.

    Il rappelle qu’il existe une historiographie dense sur ce conflit qui a tant duré.

    Mais Jean-Pierre Filiu a voulu rompre avec le récit chronologique des évènements, les étapes de la tragédie et des solutions avortées, pour analyser ce conflit de manière plus globale en opposant ce qu’il analyse comme « les trois forces d’Israël » aux « trois faiblesses Palestiniennes ».

    Au préalable, il entend dénoncer un « certain nombre d’impasses intellectuelles ».

    Tout d’abord celle du « mythe d’un État binational » partagé entre juifs et arabes :

    « L’État binational est une fausse bonne idée, vu qu’on l’agite en disant vous voyez qu’on n’arrivera pas à faire les deux États, donc pourquoi pas l’Etat binational. Sauf que, l’Etat binational existe déjà, mais sous une forme non avouée. On a un État binational avec une domination israélienne sur la population palestinienne et manifestement ce n’est pas une solution ni pour les uns ni pour les autres. »

    Ensuite celle « d’une question palestinienne une fois pour toute enterrée » :

    « Ce mythe a volé en éclat, tragiquement, à la face du monde en automne dernier [le 7 octobre] »

    A mon sens, ces deux questions sont intimement liées.

    Benyamin Netanyahou n’a jamais expliqué comment il entendait sortir de l’impasse. Il ne veut pas, depuis toujours, d’un Etat palestinien.

    Déjà en 1984, 12 ans avant de devenir premier ministre pour la première fois ; il est ambassadeur d’Israël auprès des Nations unies à New York. Et il dit son opposition à un Etat palestinien. <Il a été filmé>.

    S’il ne veut pas d’un État palestinien que reste-t ‘il ? Un Etat binational !

    S’il est démocratique, la souveraineté est partagée, il n’y a plus d’État juif. Inacceptable pour les israéliens !

    Donc s’il est binational et juif, cela devient un Etat d’apartheid dans lequel les juifs exercent le pouvoir et les palestiniens sont des citoyens de seconde zone. Inacceptable pour le reste du monde !

    C’est pourquoi Netanyahou a voulu rester dans l’ambigüité et le statu quo, c’est-à-dire un état binational qui ne dit pas son nom et qui prétend que la question palestinienne n’existe plus. Il ne reste plus qu’à trouver la voie de la paix avec les Etats arabes, via les accords d’Abraham. Les gouvernements arabes écartant avec la même désinvolture et le même cynisme la question palestinienne. C’est cette stratégie qui a volé en éclat le 7 octobre 2023, selon l’expression de Jean-Pierre Filiu.

    Dans la suite de l’émission il développe les trois forces de l’un et les trois faiblesses de l’autre.

    Les trois forces d’Israël sont :

    • Le sionisme chrétien
    • Un pluralisme de combat
    • Une stratégie du fait accompli

    La première force d’Israël, est selon l’historien, de manière surprenante « un sionisme historiquement chrétien » :

    Voilà ce qu’il écrit dans son livre :

    « « Le sionisme, en tant que mouvement prônant le rassemblement du peuple juif sur la terre d’Israël, a été historiquement chrétien avant que d’être juif. Cette réalité aussi méconnue que déroutante a représenté un formidable atout pour l’implantation juive en Palestine, malgré la résistance pourtant précoce de la population locale. Le courant évangélique du protestantisme anglo-saxon considère […] tant que le peuple juif n’y [en Palestine] a pas accompli son supposé destin, ouvrant ainsi la voie à l’établissement du Royaume de Dieu. Cette obsession eschatologique conforte le soutien des autorités britanniques au projet sioniste en Palestine, puis celui des Etats-Unis au jeune Etat d’Israël. […] Le sionisme chrétien devenu progressivement un acteur central de la politique américaine, joue un rôle déterminant dans le sabotage du processus de paix israélo-palestinien. C’est enfin lui qui encourage Donald Trump à porter les coups les plus sévères jamais infligés à la légitimité même de la cause palestinienne. »
    « Comment la Palestine fut perdue » page 18 et 19

    Et il ajoute dans l’émission de France Inter :

    « C’est une force qui s’est imposée. D’abord dans l’évangélisme anglo-saxon et qui a littéralement façonné l’imaginaire de décideur protestant, qui d’une certaine manière était plus sioniste que les sionistes. En tout cas, il y a une antériorité chronologique incontestable. Et je reproduis une carte très frappante du révérend Busch, en 1844, […] carte de Palestine, sans palestiniens, avec les tribus d’Israël. C’est antérieur d’un demi-siècle de « L’Etat des juifs de Theodor Herzl ». »

    Dans un article de « l’Obs » : <La solution à deux Etats est d’une urgence existentielle> il précise :

    « Pour résumer, cette mouvance évangélique a lié son salut individuel et collectif au « retour » du peuple juif sur « sa » terre. L’imprégnation biblique du gouvernement britannique a notoirement pesé en faveur de la déclaration Balfour de 1917, à laquelle s’est opposé en vain Edwin Montagu, le seul ministre juif de ce cabinet. »

    Selon lui, la déclaration Balfour, c’est-à-dire l’appui que donna le gouvernement britannique à l’implantation, en Palestine, d’un foyer national juif, n’aurait pas eu lieu s’il n’y avait pas eu des membres éminents du gouvernement britannique, dont Lord Balfour, qui partageait cette vision biblique du retour des juifs dans leur antique patrie.

    Pour la situation actuelle, il est établi que les évangéliques, cette mouvance fondamentaliste des protestants, ont pris une importance capitale à l’intérieur du Parti républicain et sont les principaux soutiens de Trump.

    Trump recueille 81% du vote des évangéliques blancs mais que 25% du vote juif. Le Likoud et Netanyahou sont soutenus essentiellement par ces évangéliques et beaucoup moins par la communauté juive.

    Ces évangéliques croient en la fin des temps, c’est la vision eschatologique, et lient cet évènement au retour des juifs à Jérusalem. Dans leur croyance, ces juifs doivent d’ailleurs se convertir, avant l’acte final, au christianisme sous peine d’être définitivement éliminé. Ils sont antisémites mais Israel occupe une importance essentielle dans leur croyance étonnante pour nos yeux de français incrédules.

    <Cet article du Monde de 2020> donne les éléments suivants :

    « On estime qu’il y a environ 95 millions d’évangéliques aux Etats-Unis, tous groupes confondus. Cela inclut les évangéliques charismatiques, qui sont les plus fervents soutiens de Donald Trump, lesquels représentent 12 à 15 % de la population américaine [Mais leur taux de participation aux élections est très supérieur à la moyenne américaine] ….

    Les visions eschatologiques [relatives à la fin des temps] et millénaristes sont très ancrées chez ces chrétiens. Un sondage de 2017 indique que 80 % des évangéliques américains croient au retour prochain du Christ et qu’ils sont convaincus que la création de l’Etat d’Israël en 1948 en est un signe annonciateur. »

    Il y a donc une gradation, parmi eux, dans les croyances extrémistes. Mais parmi ces 95 millions, la croyance en la fin des temps et dans le rôle d’Israël dans cet heureux dénouement de notre humanité (selon eux) est proche de l’unanimité (4 sur 5).

    J’irais plus vite sur les deux autres forces :

    Un pluralisme de combat : C’est-à-dire la capacité du mouvement sioniste d’accueillir en son sein, des tendances contradictoires, mais avec cette dynamique de combat qui ont conduit à ce qu’il y a toujours eu unité dans les moments essentiels ou existentiels de l’histoire du sionisme et d’Israël.

    Une stratégie du fait accompli :

    « C’est le fait de ne jamais donner l’objectif final. […] Cela a permis de manière très intelligente, pas forcément consciente mais plutôt dans le cadre d’un mécanisme de survie et de mobilisation collective de ne [rater aucune occasion d’avancer], d’abord le foyer national juif, l’Etat juif en 1947, l’occupation des territoires en 1967, et aujourd’hui Netanyahou refuse de dire ce qu’il veut faire de Gaza. »

    C’est à la fois une stratégie pour avancer ses pions et puis une fois une position acquise ne jamais reculer.

    Ce sont donc ces trois forces, qui selon Jean-Pierre Filiu ont permis le développement du sionisme et de l’Etat d’Israël.

    En face, il y a les trois faiblesses palestiniennes :

    1 L’Illusion de la solidarité arabe. Les palestiniens pensaient qu’ils pouvaient compter sur le soutien arabe, or ce soutien des pays et des gouvernements arabes leur a le plus souvent été refusé. Il y eut même des guerres atroces entre pays arabes et le nationalisme palestinien : La Jordanie ou la Syrie des Assad ont fait la guerre aux palestiniens et leur ont causé des pertes énormes. Encore aujourd’hui, ils protestent contre la réaction d’Israël à Gaza, mais n’exercent aucune action concrète pour tenter de faire pression contre Israël.

    2 La dynamique factionnelle du nationalisme palestinien. Contrairement au pluralisme de combat sioniste, les palestiniens se sont toujours affrontés en leur sein entre familles, entre clans au détriment de leur combat nationaliste.

    3 l’incapacité de la communauté internationale de faire respecter le droit international par l’Etat d’Israël. Nous sommes dans ce que l’on appelle les deux poids, deux mesures.

    Dans l’article de l’Obs, Jean-Pierre Filiu esquisse une porte de sortie de la violence :

    « C’est précisément l’épouvante actuelle qui confère à la solution à deux Etats un caractère d’urgence pratiquement existentielle. Les deux peuples ne peuvent plus être laissés face à face sous peine de s’entraîner l’un l’autre dans une spirale destructrice où chaque affrontement sera plus effroyable que le précédent. Le conflit israélo-palestinien n’est pas un jeu à somme nulle où les pertes de l’un se traduisent mécaniquement en gains pour l’autre, puisque Israël a connu la pire épreuve de son histoire au moment même où le rapport de force en sa faveur était écrasant.

    Et s’il y a une leçon à tirer de l’échec du processus de paix de 1993-2000, c’est qu’il faut travailler d’emblée sur le statut final, sans période intérimaire, et avec une implication internationale à la fois volontariste et équilibrée. L’Union européenne a un rôle majeur à jouer en tant que puissance de normes et de droit dans un conflit qui a plus que jamais besoin de normes et de droit pour être réglé. Mais soyons clairs, ce processus de paix, même s’il est couronné de succès, ne fera que négocier les conditions de la défaite palestinienne. Et seule la solution à deux États permettra à Israël de se proclamer enfin vainqueur. D’où le sous-titre de mon livre « Et pourquoi Israël n’a pas gagné ». »

    Je vous redonne le lien vers l’émission de France Inter : <La défaite palestinienne est claire, elle est écrasante>.

    L’article de l’Obs : <La solution à deux Etats est d’une urgence existentielle>

    Il y a aussi une émission de Mediapart du 8 février dont Jean-Pierre Filiu était l’invité : < Israël est en train de détruire Gaza sans détruire le Hamas >

    <1790>

  • Lundi 5 février 2024

    « Le murmure »
    Christian Bobin

    « Le murmure », c’est un son délicat, mais c’est aussi le nom que l’on donne aux grands rassemblements d’oiseaux dans le ciel, où ils forment des masses compactes et mouvantes au crépuscule.

    Cette mystérieuse faculté que possèdent les oiseaux à évoluer, en groupe immense, de manière harmonieuse, sans jamais se cogner, tout en changeant de direction est fascinante.

    Je me souviens que lors d’un entretien avec Jacques Chancel, Herbert von Karajan parlait du murmure des oiseaux pour expliquer comment se passe les inflexions : les changements de tempo et de nuances au sein d’un orchestre symphonique composé seulement d’une centaine d’individus. Il expliquait que le groupe était suffisamment en harmonie pour que ces évolutions soient immédiatement perçues par tous, de sorte qu’ils agissent en symbiose.

    Le réalisateur hollandais Jan Van Ijken nous apprend dans un documentaire que les formations d’oiseaux ne sont pas dirigées par un seul individu mais bien par tout le groupe. Quand un des individus change quelque chose, les autres réagissent instantanément quelle que soit la taille du murmure. L’information circule dans le groupe quasi sans dégradation.

    « Le murmure » est l’ultime livre écrit par Christian Bobin.

    Il est paru le 1er février 2024. Le 2 février j’avais fini de le lire, mais certainement pas d’y revenir, maintes et maintes fois.

    Le 2 octobre 2022, un Christian Bobin lumineux et semble t’il en forme, était l’invité du « Grand Atelier » de Vincent Josse sur France Inter : « Nous existons si peu, c’est un miracle que cette larme dans les yeux »

    La Médiatrice de France Inter a mis en ligne la réaction de quelques-uns des auditeurs qui se sont exprimés suite à cette émission.

    J’en citerai deux :

    « Quel bonheur cette émission d’aujourd’hui ! D’un seul coup on grandit, on vibre à ses paroles, on est ému par son émotion, sa profondeur. Une interview comme celle-là nous rend plus intelligent. Bravo à Christian Bobin et sa poésie, sa spiritualité de la vie et merci à Vincent Josse de ces deux heures magnifiques ! J’en redemande ! Merci merci !»

    « Ahhhh Monsieur Josse, comme j’ai souri en vous entendant dire cette phrase qu’ici même j’envoyais à mon amie « Regarde, on va se prendre une rafale de joie ». J’avais cette sensation d’être parmi vous. Un grand merci pour ce beau rendez-vous, Christian Bobin est une lueur sur tant de chemins !!! »

    J’ai réécouté cette émission, ce dimanche, pendant ma marche quotidienne et je me suis dit qu’il faudrait l’écouter chaque fois qu’on n’est pas bien, c’est plus puissant et moins nocif que tous les antidépresseurs.

    Quelques jours après cette émission, Christian Bobin a été attaqué par la maladie foudroyante qui allait l’emporter le 23 novembre 2022.

    Christian Bobin a fini son existence terrestre, à l’hôpital de Chalons sur Saône, allée Saint Jean des Vignes.

    Il avait commencé son livre en juillet, mais c’est sur son lit de souffrance de l’hôpital qu’il l’a continué, et pour la fin il l’a dicté à sa compagne devenue son épouse la poétesse Lydie Dattas auquel le livre est dédié. Ce livre est bien plus : une ode à leur amour partagé.

    Lydie Dattas avec l’éditrice Gabrielle Lecrivain ont finalisé cet ouvrage dont l’exergue initial est :

    « Rien est le tout de ce que je sais »

    Lydie Dattas a accepté une interview très émouvante sur le site de « la Tribune » : « J’ai vécu avec un ange, Christian Bobin » .

    Lydie Dattas est, elle-même, une poétesse reconnue par ses pairs. Elle déclare dans la Tribune :

    « A l’instant où j’ai connu Christian Bobin, je suis devenu sa disciple. J’ai tout de suite vu que j’avais à faire à tellement plus grand que moi. »

    Lydie Dattas confirme ce que révèle la quatrième de couverture : « Commencé chez lui, au Creusot, en juillet 2022, poursuivi sur son lit d’hôpital durant les deux mois précédant sa mort, le murmure appartient à ces œuvres extrêmes écrites dans des conditions extrêmes. »

    Quand le journaliste lui demande si elle l’a encouragé dans cette aventure inouïe :

    « On n’encourage pas le tonnerre à tonner, ni le rossignol à chanter. Il chante tout seul. Ma seule action dans cette affaire, ça a été de noter, parfois à la vitesse de la lumière, une phrase, une parole ou une correction. Parfois en direct, parfois au téléphone. Dans une telle aventure divino-humaine (le fond poétique indestructible du vivant), où la mort peut survenir à chaque instant, il ne peut être question de plans, de désirs, de souhaits : le verbe arrive et il faut juste être à la hauteur de son sens. Malgré sa taille modeste, ce livre restera comme le grand œuvre de Christian Bobin. »

    Dans ce livre, il est question d’art, il cite une dizaine de fois le grand pianiste russe Grigory Sokolov, qu’il a découvert tardivement.

    Il est question de sa maladie, qui s’adresse à lui :

    « Et de paix ! S’exclama la maladie. Sais-tu seulement de quoi tu parles ? Il ne s’agit pas de cesser d’écrire, malheureux ! Regarde : je les ai fait venir pour toi mes auxiliaires : quatre douleurs pour y voir clair. Une guerre pour l’âme, une pour le poumon, tout ! Ils t’apporteront lumière, non ténèbres ! Rien de plus éloigné de la mort ! Bon dit la maladie en claquant des doigts pour rameuter sa troupe : en route ! Nous avons encore du chemin à faire. Je reviendrai. Le message est clair. […]
    Si ce livre devrait être le dernier, alors il faudrait qu’il soit le plus jeune de tous ceux que j’ai écrits. »
    Le Murmure page 19

    La gravité, on la comprend dans ce dialogue avec le médecin :

    Le médecin entre dans ma chambre, mon dossier dans les mains, et me dit doctement contrarié : « Je ne sais pas qui vous êtes, mais c’est complétement anormal. Avec ce que vous avez, vous devriez être terrassé ! ».
    Le Murmure page 47

    Tous les médecins n’ont pas cette brutalité, mais nous, je veux dire nous qui fréquentons assidument les disciples d’Esculape, avons tous rencontré ce que j’appelle « des techniciens » qui ont dans leur tête les protocoles et des tableaux statistiques, mais ont oublié de cocher la case « humanité »…

    Christian Bobin lui répond dans son livre :

    « Ce spécialiste ne connaît pas les ressources des bébés. Je n’ai pas de ruse. Moi j’arrive sur mes jambes de 4 ans – et je cause. Je saute à pieds joints dans toutes les flaques de découragement qui sont devant moi et je les change en étincelles. »

    Et il continue par un mot plus piquant, car Bobin est bienveillant et gentil, mais il n’est dupe de rien et voit aussi l’ombre des choses :

    « La sensibilité s’est retirée du monde. Elle a laissé la place à la précision. Si j’étais la lune, je commencerais à faire mes valises… »

    Il y a aussi ce moment où le lecteur se dit il est vraiment trop …

    « Il pleut… Sur mon lit d’hôpital, je mange un plat incomestible entre un mourant et une vitre en larmes. Ensuite, j’écris ce petit billet pour la cuisinière : « Chère cuisinière, je viens de finir mon assiette : c’était absolument délicieux. Peut être seulement un tout petit peu froid… ».
    J’ai un frisson d’ange. Nous ne sommes que rarement les auteurs de nos actes. »
    Le Murmure page 35

    Mais la critique suit :

    « Si seulement on pouvait s’occuper des malades et des pauvres comme leurs majordomes s’occupent des riches… »

    Et il finit par cette analyse sur ceux que notre président, lors de la pandémie, a décrit comme les indispensable de notre société :

    « C’est grâce à l’insomnie des mères consolant un enfant dévoré par les diables de la nuit ou à un balayeur aidant ici ou là un trottoir à mieux respirer – oui : c’est grâce à ce genre de service que les ténèbres n’ont pas encore refermé définitivement leurs bras sur les humains. Écrire est ce genre de service. »

    Mais ce n’est pas la maladie qui a la première place dans ce livre :

    « J’écris pour vous construire un nid. Il fait trop froid dehors. »
    Le Murmure page 34

    C’est un hymne à la nature et tant d’autres choses

    « Le Temps est venu d’être félicité pour ce qu’on n’a pas fait, pour ce qu’on n’a pas détruit, pour notre amour des fleurs sauvages, qui avec les cris du cœur ont seule puissance de nous guérir.
    Fie-toi aux fleurs ! Toute fleur est une goutte de courage, une transfusion de couleurs dans nos veines flétries de ne croire qu’aux ténèbres. »
    Le Murmure page 119

    C’est un livre à lire, je ne peux dans ce mot du jour que picorer quelques bribes.

    Mais je voudrai partager la fin de ce livre, car c’est un livre sur la mort et sur l’amour :

    « Je suis au bout du langage. La poésie n’est rien, l’écriture n’est rien, la musique n’est rien. Mais ce qui n’est rien ignore la mort. Les larmes et les sourires sans cause survivent à la fin du monde. On va vers des jours extraordinaires.

    Nous ne descendrons pas l’escalier de tristesse. Plus vite que la vie et plus vite que la mort, je te retrouverai TOI . Nous tourbillonnerons dans la lumière.
    Le vol magique des étourneaux, seconds violons du ciel. Quand ils rencontrent un obstacle – comme d’un roc qui dépasse d’une rivière-, ils scindent en deux cette masse de grâce sans se heurter, vite recomposent leur amitié après le franchissement de l’épreuve. Cette passe s’appelle « le murmure ».
    Quand tu mourras notre amour se recomposera. Il se recomposera dans le ciel rouge, comme le murmure des étourneaux après le franchissement de l’obstacle.
    Sur le roc de la mort nous serons deux présences éternelles. Dieu n’éteindra jamais nos yeux qui voyaient. »

    Et puis vient la toute dernière page avec une seule phrase.

    L’éditrice Gabrielle Lecrivain a expliqué que la page manuscrite, toujours écrite à la main, était entièrement noire, car elle avait été intégralement écrite mais barrée à l’exception de cette phrase :

    « Nous serons deux enfants réenfantés »

    Après leur rencontre, Lydie Dattas et Christian Bobin se sont installés, en 2005, dans une maison isolée, au lieudit Champ-Vieux, à la lisière du bois de Saint Firmin, à une dizaine de kilomètres du Creusot. Dans <cet article de blog>, il est question de ce lieu enchanteur. Cette maison, ils l’ont abandonnée, pour vivre au Creusot, lorsque l’état de santé de Christian Bobin s’est dégradé. Et, Lydie Dattas finit l’article de la Tribune ainsi :

    « Récemment, pour la première fois, je suis retournée à Champ-Vieux où nous avons vécu. Il neigeait. La maison et la clairière étaient toutes blanches. C’était beau à pleurer. J’ai pensé : « J’ai vécu au paradis avec un ange. Pourquoi ai-je eu ce privilège ? Personne ne mérite un tel bonheur. »

    <1789>

  • Mercredi 31 janvier 2024

    « Car c’est ainsi que les hommes naissent, vivent et disparaissent. »
    Cécile Coulon, début de son livre « La langue des choses cachées »

    Ce livre « La langue des choses cachées » commencent ainsi :

    « Car c’est ainsi que les hommes naissent, vivent et disparaissent, en prenant avec les cieux de funestes engagements : leurs mains caressent et déchirent, rendent la peau si douce qu’on y plonge facilement des lances et des épées. Rien ne les effraie sinon leur propre mort, leurs doigts sont plus courts que ceux des grands singes, leurs ongles moins tranchants que ceux des petits chiens, pourtant ils avilissent bêtes et prairies, ils prennent les rivières, les arbres et les ruines du vieux monde. Ils prennent, oui, avec une avidité de nouveau-né et une violence de dieu malade, ils posent les yeux sur un carré d’ombre et, par ce regard, l’ombre leur appartient et le soleil leur doit sa lumière et sa chaleur. Ils se nourrissent des légendes qui font la terre ronde et trouée, le ciel bleu et fauve, ils construisent des villes géantes pour des vies minuscules et la haine de cette petitesse les pousse à toutes les grandeurs. En amour, ils ne comprennent rien aux secousses du cœur et du sexe, ils tentent de les apaiser, leurs forces sont fragiles, leurs corps mal préparés aux tempêtes des sentiments. Ils ont trouvé un langage pour tout dire ; avec ce trésor, ils s’épuisent à convaincre qu’ils sont les chefs, les puissants, les vainqueurs.

    Qu’importe qu’ils violent des femmes, des enfants, des frères ou des inconnus, qu’importe qu’ils vident des océans et remplissent des charniers, tout est voué à finir dans un livre, un musée, une salle de classe, tout sera transformé en statue, en compétition, en documentaire. Alors, qu’importe qu’ils incendient des bibliothèques, des villages et des pays entiers, qu’ils martyrisent ceux qu’ils aiment, il faut pour vaincre tout brûler, et regarder les flammes monter au-dessus des forêts jusqu’à ce qu’elles forment sous l’orbe des nuages de grandes lettres illisibles. Qu’importe qu’ils passent sur cette terre plus vite qu’un arbre, une maison, une tortue ou un rivage, ils sont si beaux, avec leurs yeux pleins d’amour et leurs mains pleines de sang, ils sont si beaux, avec leurs corps comme des brindilles, ils se tiennent droit, ils imitent les falaises, ils se croient montagnes ou sommets, ils sont si beaux dans leur soif capable de tarir les sources les plus anciennes, ils sont si beaux dans la timidité du premier baiser, cela ne dure qu’une seconde mais après ils ne seront plus jamais grands. Oui, c’est ainsi que les hommes naissent, vivent et disparaissent.

    Au milieu de cette foule aveugle, titubante, certains comprennent les choses cachées.»

    A l’origine de mon intérêt pour ce livre se trouve un extrait de « la Grande Librairie » que Florence a partagé sur un réseau social : <Cécile Coulon Lit>.

    J’ai, ainsi, entendu Cécile Coulon lire le début du prologue de son dernier livre, accompagné par le violoncelle de Victor Julien-Laferrière interprétant un chant de Noël traditionnel catalan : « Le chant des oiseaux »

    J’ai trouvé tant de force et de poésie dans cette déclamation de Cécile Coulon que je suis allé visionner l’intégralité de l’émission de la Grande Librairie du 10 janvier 2024 dans laquelle elle intervenait.

    Émission très intéressante, comme toujours, dans laquelle Cécile Coulon irradiait de passion, d’intelligence et de lumière.

    Alors, je suis allé acheter ce livre de 130 pages. Je l’ai ouvert, j’ai commencé par le prologue.

    J’ai d’abord constaté que la déclamation qu’avait faite Cécile Coulon à la grande librairie n’était pas exactement le texte écrit. Il semblerait qu’elle ait prononcé le texte de mémoire, en réalisant quelques petits écarts avec ce qui était écrit.

    Pour ma part, dans l’élan de la lecture j’ai continué et terminé sans m’interrompre.

    Le récit, mais aussi le style et la poésie m’ont entrainé jusqu’à la fin, sans passer par la case pause.

    L’Histoire est celle d’un guérisseur qui est appelé par les gens d’un village pour soigner un enfant malade.

    En réalité, c’est sa mère qui est appelée, mais elle n’a plus la force de se déplacer, alors elle envoie, pour la première fois, son fils, qu’elle a initié, réaliser la mission de guérir.

    On appelle cette mère ou son fils quand on ne sait plus quoi faire, que même les médecins sont démunis.

    Cécile Coulon avoue dans l’émission « Les Midis de Culture » du 26 janvier 2024 <On n’arrivera jamais au bout du langage, c’est sa grande beauté>, sa fréquentation de semblables pratiquants « des soins archaïques », selon l’expression utilisée dans le livre :

    « Ils ont une mission. On y croit beaucoup. Quand je dis qu’on ne comprend pas, c’est qu’on a du mal à expliquer exactement, comme on expliquerait un processus médical […] Étant donné que je suis quelqu’un qui va beaucoup plus souvent voir ce genre de personnes que mon médecin traitant […], j’y crois et je m’y sens bien, je me sens rassuré et en sécurité ».

    Cette famille de guérisseur est particulièrement extraordinaire dans ses dons de percevoir ce qui n’est pas dit, caché. Il suffit au fils d’entrer dans une pièce pour sentir des choses graves qui se sont passées dans cette pièce des mois ou des années auparavant.

    C’est tellement extraordinaire qu’il ne peut s’agir d’un guérisseur que Cécile Coulon a rencontré.

    C’est pourquoi Louis Henri de la Rochefoucault, dans « Lire Magazine » décrit ce livre ainsi :

    « Un court conte intemporel »

    C’est un conte et il est hors du temps, on ne sait pas à quelle époque se déroule cette histoire.

    En revanche, le temps du roman est déterminé : tout le récit se passe au cours d’une seule nuit.

    Le guérisseur, en dehors de ses dons de guérir, connait aussi la langue des choses cachées.

    Cécile Coulon explique dans la grande Librairie :

    « La langue des choses cachées ce sont tous les mots qui ne sont pas dits. Tout le langage qui existe dans le silence. C’est une langue qu’on apprend quand on regarde les gens et qu’on décide de se taire. Et qu’on essaye de comprendre ce qui se cache derrière les conversations, ce qui se cache derrière les maisons, dans le corps, sous les corps. Et je crois qu’apprendre la langue des choses cachées, c’est aussi la capacité d’être ouvert et attentif à tout et à tous. »

    L’écriture est poétique mais répond aussi à une sorte d’urgence, de frénésie que l’autrice explique ainsi :

    « J’ai écrit cette histoire dans un état hypnotique, bouillonnant, fiévreux. Je voulais raconter ce que sont ces lieux, ces endroits sans lois inscrites, sans rien si ce n’est une église et un pont, flanqués de quelques maisons. Je voulais écrire que plus on cache un événement, plus il persiste à travers les générations suivantes. Je suis partie d’un lieu tenu par deux familles et un homme d’Église, j’ai voulu qu’en une seule nuit, dans ce hameau, tout soit défait, jusqu’aux entrailles, jusqu’au sang. »

    C’est un conte cruel, un conte dur.

    Il est question de violence sociale, de violence qu’on fait aux femmes et aux enfants.

    Et il se termine avec une rupture de comportement entre l’action du fils et l’apprentissage que lui a donné sa mère.

    Et, vous risquez à la fin du roman, si vous le lisez, d’avoir le même questionnement que moi : Faut il agir comme la mère : se contenter de soigner et éviter d’ajouter du désordre dans la société, ou comme, le fils, au risque du chaos, ne pas laisser les choses en l’état ?

    <1788>

  • Vendredi 19 janvier 2024

    « La chute infinie des soleils. »
    Pièce de théâtre écrit par Elemawusi Agbedjidji

    Avec Annie nous sommes allés, le 17 janvier, au Théâtre des Célestins, à Lyon, voir « La Chute infinie des soleils », écrite et mise en scène par Elemawusi Agbedjidji. Cette pièce sera jouée jusqu’au 27 janvier.

    C’est un spectacle qui mêle le récit d’un naufrage, au XVIIIème siècle, avec celui d’un étudiant étranger, en France, qui tente de démontrer à un jury incrédule, lors d’une épreuve universitaire que cette histoire ancienne mérite d’être racontée et étudiée, parce qu’elle parle de nous et de notre humanité. La pièce mêle vérités historiques et fictions.

    La scénographie est épurée et seul deux comédiens un homme et une femme se trouvent sur le plateau.

    Avec une grande sobriété de moyens, la pièce de théâtre touche juste, et « tape avec le cœur sur le cœur » selon une expression de Christian Bobin.

    Le récit historique nous apprend que dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1761, une frégate, de la Compagnie française des Indes, « L’utile » fait naufrage près d’une minuscule ile qui s’appelait alors « l’ile des sables », elle porte désormais le nom d’« île de Tromelin »

    Elle a une superficie de 1 km², le tour de l’île fait 3,7 km et le point culminant se situe à 7m au-dessus du niveau de la mer.

    Elle se situe dans l’Océan Indien et se trouve à 436 km à l’est de Madagascar et à environ 560 km au nord des îles de La Réunion et de Maurice

    A cette époque, la France et l’Angleterre se combattent au cours de la « guerre de Sept Ans »..

    La frégate Utile a été envoyée à Madagascar pour ravitailler les colonies.

    Le navire a notamment pour mission de ravitailler l’île Maurice qui portait alors pour nom « l’île de France ». Cette île affronte une sévère famine en raison de la surpopulation d’esclaves. Pour cette raison, le gouverneur Antoine Marie Desforges-Boucher interdit temporairement leur commerce sur les terres qu’il administre (les îles de France et Bourbon, actuellement Maurice et La Réunion).

    Mais ce trafic rapportant des sommes considérables, des marins se mettent à leur compte.

    Ainsi le capitaine de l’Utile, Jean de La Fargue, malgré l’interdit, fait embarquer 160 esclaves malgaches afin de les revendre à Rodrigues pour sa fortune personnelle.

    Ce trafic explique non seulement la route empruntée par le marin français (beaucoup plus au nord que la voie connue), mais aussi sa volonté d’expédier son chargement au plus vite, quitte à risquer le naufrage. Il navigue de nuit.

    « La Libre Belgique » a consacré une page documentée sur ce drame

    « Nous sommes le 31 juillet 1761, il est 22h20. La nuit est noire, la mer houleuse. Seuls quelques officiers et l’homme de barre sont encore sur le pont de l’Utile […]. Malgré les conditions de navigation difficiles, le bateau suit les ordres du capitaine, Jean de Lafargue, et fait route vers l’est. Le matin-même, une dispute avait éclaté entre le capitaine et son second, Barthélémy Castellan du Vernet, au sujet de la direction à prendre. Chacun, muni d’une carte différente, redoutait de passer trop près de l’Ile des Sables, un îlot d’un kilomètre carré dont la position n’était pas connue avec certitude. Buté, le capitaine Jean de Lafargue avait refusé d’écouter son second. Il en était sûr : la carte fournie par la Compagnie française des Indes Orientales était plus précise que celle, plus récente, dessinée par un vieux loup de mer. Le capitaine avait donc tué toute mutinerie dans l’œuf en déclarant d’un ton autoritaire que le cap resterait inchangé. […] »

    Le navire va se fracasser contre la barrière de corail qui entoure l’île :

    « En quelques secondes, des cris se firent entendre. Des hurlements de désespoir venant aussi bien des hommes d’équipage de toutes nationalités que des esclaves noirs, enfermés dans les cales du navire, piégés derrière des portes clouées. Castellan se mit aussitôt à distribuer des ordres. Son but : garder son bateau à flot jusqu’à ce que le soleil se lève. Durant dix longues heures, il fit son possible pour l’empêcher de tanguer. Malheureusement, il ne pouvait lutter contre les forces de la nature. Aux alentours de huit heures du matin, le 1er août 1761, le navire se brisa en deux, jetant à la mer des hommes désespérés, Blancs et Noirs, pour la plupart incapables de nager. Beaucoup périrent noyés ou déchiquetés contre les rochers. Mais, comme une lumière au bout du tunnel, l’un d’eux aperçut une minuscule île. A peine eut-il crié « Terre en vue » que tous les survivants usèrent leurs dernières forces pour rejoindre les côtes. Cette île de sable qui avait tant effrayé l’équipage et qui les avait fait sombrer était maintenant devenue leur seul espoir de survie.

    Durant cette catastrophe, personne ne vit le capitaine Jean de Lafargue, dont l’Histoire nous apprendra qu’il était resté caché dans les toilettes du navire, sans doute occupé à se demander comment tout cela avait pu arriver. Plusieurs facteurs pouvaient en effet expliquer ce naufrage mais, à chaque fois, le capitaine avait sa part de responsabilité. Ainsi, si le bateau avait respecté sa mission de départ, il n’aurait même jamais emprunté cette route chaotique.  »

    Sur les 140 membres d’équipage, 18 périssent avant d’atteindre la rive, il en reste donc 122.

    Pour les esclaves noirs le bilan est beaucoup plus catastrophique, sur les 160 qui se trouvaient sur le bateau, il n’y a que 88 survivants. Comme l’Utile n’est pas taillé pour le transport d’esclaves, les cales sont clouées chaque soir pour éviter toute révolte. Cette nuit-là, les prisonniers ne doivent leur délivrance qu’à la violence de la houle, qui brise le pont du navire en même temps que les portes de leurs geôles.

    Le capitaine a sombré dans la folie, il est incapable d’organiser le sauvetage. C’est désormais son premier lieutenant, Barthélémy Castellan du Vernet, qui mène les opérations. Après une brève reconnaissance de l’île, ce dernier s’aperçoit que la terre qu’il foule n’abrite ni arbre ni eau douce. L’épave de l’Utile représente quasiment l’unique ressource de l’île. Durant les trois premiers jours, le rationnement décrété par les Français entraîne le décès d’une trentaine d’esclaves, privés d’eau potable.

    « Au bout de quelques jours, les survivants entament la construction d’un puits de 5 mètres de profondeur qui leur offrira de l’eau saumâtre, de l’eau de mer dont la majorité du sel est filtré par le corail. Une fosse commune est également creusée afin d’y enterrer les corps des Noirs morts de soif. »

    Le lieutenant aura l’idée de construire un bateau pour sortir de cet enfer. Il sera construits en 57 jours par une équipe essentiellement composée par les esclaves venues de Madagascar.

    Mais il était trop petit pour emmener tout le monde.

    Qui va partir ?

    Question naïve : les blancs, ceux qui n’avaient pas participé à la construction du bateau de secours.

    Castellan promet aux noirs de venir les rechercher.

    Ils vivront, mourront et certaines survivront pendant 15 ans, le temps qu’un bateau vienne les chercher.

    Dans le texte de la pièce de théâtre, l’auteur met les paroles suivantes dans la bouche de l’actrice :

    « Cela fait 4 018 tombés de soleils dans le lointain depuis que le capitaine s’en est allé sur le dos de l’océan jusqu’à derrière la porte fine de l’horizon. 4 018 jours que l’espoir est né. Aujourd’hui, il s’est consumé dans la courbe infinie des couchers de soleil en même temps que tu quittais, nous quittais »

    Pendant 15 ans, tous les jours ils ont vu le soleil se coucher sur cette ile inhospitalière.

    D’où le titre de la pièce : « La chute infinie des soleils. »

    Pour la défense du lieutenant, l’histoire retient qu’une fois sur la terre ferme, Castellan demande l’autorisation au gouverneur de l’île Maurice d’aller secourir les esclaves. Mais le gouverneur refuse d’affréter un bateau pour des esclaves qu’il leur avait interdit de transporter. Après plusieurs tentatives, Castellan renonce et décide de retourner en France. Tout le monde oublie ces naufragés, sans doute morts mais qui en fait attendent toujours du secours. Mais en 1773, un navire passant à proximité de l’île les repère et les signale de nouveau aux autorités de l’île de France. Un bateau est envoyé mais ce premier sauvetage échoue, le navire n’arrivant pas à s’approcher de l’île. Un an plus tard, un second navire, La Sauterelle, ne connaît pas plus de réussite. A partir de ce moment, il faudra encore trois ans pour organiser le sauvetage. Ce n’est qu’au bout de quinze ans le 29 novembre 1776, qu’un bateau viendra enfin les sauver pour de bon. Celui du chevalier de Tromelin qui donnera d’ailleurs son nom à cette île. Malheureusement, il ne trouvera vivants que sept femmes et un bébé de 8 mois.

    <Wikipedia> nous apprend que

    « En arrivant sur place, Tromelin découvre que les survivants sont vêtus d’habits en plumes tressées et qu’ils ont réussi, pendant toutes ces années, à maintenir un feu allumé grâce au bois provenant de l’épave, l’île étant dépourvue d’arbres. Les survivants sont recueillis par Jacques Maillart du Mesle, intendant de l’île de France, qui les déclare libres (ayant été acquis illégalement, ils ne sont pas considérés comme esclaves et n’ont donc pas à être affranchis) et leur propose de les ramener à Madagascar, ce qu’ils refusent, au motif qu’elles y seraient « esclaves des autres Noirs ». Maillart décide de baptiser l’enfant Jacques Moyse (Moïse), le jour même de son arrivée à Port-Louis le 15 décembre 1776 de renommer d’office sa mère « Ève » (alors que son nom malgache était Semiavou qui se traduit par « celle qui n’est pas orgueilleuse ») et de faire de même avec sa grand-mère qu’il nomme « Dauphine » d’après le nom de la corvette qui les a secourues. Le trio est accueilli dans la maison de l’intendant sur l’île de France. […]

    Condorcet plaidant l’abolition de l’esclavage dans son ouvrage Réflexions sur l’esclavage des nègres, paru en 1781 sous nom d’emprunt, relate la tragédie des naufragés de Tromelin afin d’illustrer l’inhumanité de la traite »

    Aujourd’hui, l’île Tromelin est une île de l’océan Indien administrée par la France au sein des îles Éparses de l’océan Indien, entité rattachée aux Terres australes et antarctiques françaises. Ces îles sont revendiquées par Madagascar, indépendant depuis 1960 et par l’ile Maurice, indépendant depuis 1968.

    En 1947, l’île commence à intéresser les autorités françaises à des fins de météorologie tropicale pour la surveillance des cyclones tropicaux. La direction de la météorologie nationale française, suivant une demande de l’Organisation météorologique mondiale, installe le 7 mai 1954 une station météorologique permanente qui détruit les derniers vestiges des naufragés de Tromelin.

    Premier président de la République à le faire, le Président Macron a visité, le 23 octobre 2019, la plus grande île de l’Archipel « La Grande Glorieuse » <pour parler de biodiversité> mais aussi pour répéter que ces îles sont la France :

    « Ici c’est la France, c’est notre fierté, notre richesse. Ce n’est pas une idée creuse. Les scientifiques et militaires qui sont là le rappellent. La France est un pays archipel, un pays monde […] On n’est pas là pour s’amuser, mais pour bâtir l’avenir de la planète. Ce que nous préservons ici aura des conséquences sur les littoraux, y compris dans l’Hexagone. »

    Cette déclaration <a fortement déplu> à Madagascar.

    Mais, il faut comprendre que ces iles représentent une richesse économique considérable. Par exemple L’îlot Tromelin permet de revendiquer le contrôle de 280 000 km² de zone économique exclusive (ZEE), ce qui fait de la France l’État contrôlant le plus vaste espace maritime au monde avec, au total, 11,7 millions de kilomètres carrés de ZEE. Concrètement, la ZEE permet notamment le contrôle des droits de pêche et d’exploitation d’éventuelles autres ressources. Un enjeu de taille pour une telle surface.

    Je ne connaissais pas cette histoire, mais elle a depuis de nombreuses années suscitée l’intérêt et divers travaux.

    La première fût une expédition archéologique « Esclaves oubliés » menée par Max Guérout, ancien officier de la marine française et directeur des opérations du Groupe de recherche en archéologie navale et Thomas Romon, archéologue à l’Inrap, a lieu d’octobre à novembre 2006. L’expédition sonde l’épave de L’Utile et fouille l’île à la recherche des traces des naufragés dans le but de mieux comprendre leurs conditions de vie pendant ces quinze années.

    Selon Max Guérout, chef de la mission, « En trois jours, un puits de 5 mètres de profondeur est creusé. Cela représente un effort considérable. » « On a retrouvé de nombreux ossements d’oiseaux, de tortues, et de poissons. » « L’arrivée de ces naufragés a dû causer une véritable catastrophe écologique pour l’île. »

    Des soubassements d’habitations fabriquées en grès de plage et corail sont également mis au jour (les survivants transgressèrent ainsi une coutume malgache selon laquelle les constructions en pierre étaient réservées aux tombeaux. On retrouva aussi six gamelles en cuivre réparées à de nombreuses reprises et un galet servant à affûter les couteaux. Le feu du foyer est maintenu pendant quinze ans grâce au bois provenant de l’épave, l’île étant dépourvue d’arbres.

    D’autres expéditions suivirent cette première.

    Wikipedia nous apprend ainsi que cette histoire a inspiré le livre « Les Naufragés de l’île Tromelin » d’Irène Frain paru en 2009.

    En octobre 2010, les éditions du CNRS et l’INRAP ont publié « Tromelin : L’île aux esclaves oubliés », un ouvrage scientifique destiné au grand public, rédigé par Max Guérout et Thomas Romon.

    Parue en 2015, la bande dessinée Les esclaves oubliés de Tromelin de Sylvain Savoia raconte de façon croisée le naufrage et la vie des rescapés sur l’île Tromelin et l’expédition de fouille de 2010.

    Il existe de nombreuses ressources sur Internet :

    Deux vidéos d’une heure environ :

    Un documentaire de 2013 de TV5 Monde <Les esclaves oubliés de l’île Tromelin>

        Une conférence du 18 février 2019 au Musée de l’homme : <Tromelin : Bilan des recherches archéologiques>

    Et ces pages d’information :

    « France Info » : «Tromelin, l’île des esclaves oubliés » une exposition au musée de l’Homme à Paris, en février 2019.

    Un article très détaillé de « Ouest France » : « Le tragique destin des esclaves oubliés de l’île Tromelin »

    « L’INRAP » : Un dossier thématique conçu en lien avec l’exposition « Tromelin, l’île des esclaves oubliés » présentée au Château des ducs de Bretagne – musée d’histoire de Nantes, du 17 octobre 2015 au 30 avril 2016.

    « Geo » : <Tromelin : comment des esclaves naufragés ont survécu pendant 15 ans sur une île déserte>

    Une page de « Radio France » : « L’histoire des esclaves oubliés de Tromelin en quelques images »

    Il y a bien sûr la Page consacrée au spectacle du Théâtre des Célestins : <La chute infinie des soleils>

    Le livre de cette pièce a été publié aux <éditions théâtrales>

    <1787>

  • Lundi 8 janvier 2024

    « Réfléchir c’est supporter le doute, car c’est précisément quand on ne supporte plus le doute que l’on cesse de réfléchir. »
    Charles Pépin

    « Réfléchir » est un verbe qui m’intéresse.

    Je pense que j’essaie de réfléchir pour écrire les mots du jour.

    Je suppose et j’espère que celles et ceux qui me font l’honneur de lire le mot du jour souhaitent aussi réfléchir.

    Mais que veut dire « réfléchir » ?

    Le premier sens de réfléchir, n’est pas de penser mais de renvoyer, comme le fait un miroir qui réfléchit.

    Ce qui a permis à Jean Cocteau de faire un jeu de mots sur les deux sens :

    « Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images. »
    Le sang d’un poète, Jean Cocteau, 1930

    Étymologiquement « réfléchir » vient du latin, « reflectere » qui signifie « courber en arrière, recourber; ramener »,

    Le sens de « penser » est second et c’est un sens figuré comme ont peut le lire dans le dictionnaire de l’Académie française :

    « Arrêter sa pensée sur un sujet, fixer sur lui son esprit, son attention pour le considérer plus avant.
    Réfléchir à un problème, à une situation. Réfléchissez à cette proposition. J’ai réfléchi à ce que vous m’avez dit. Réfléchir sur sa vie. »

    Pour le Littre il s’agit de :

    « Penser mûrement et plus d’une fois à quelque chose. »

    Ce dictionnaire de référence précise que :

    « Le sens de penser, méditer, se rattache à l’expression latine reflectere animum, reporter son esprit sur quelque chose. »

    Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais pour moi, toutes ces définitions ne nous permettent pas vraiment d’avancer sur la compréhension de ce verbe.

    Le Larousse nous donne cependant quelques éclairages, non dans la définition qu’il donne : « Concentrer son attention sur une idée, une question » mais plutôt en donnant certaines citations sur ce verbe :

    « Réfléchir, c’est nier ce que l’on croit. »
    Émile Chartier, dit Alain (Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951) « Propos sur la religion, P.U.F. »

    « Douter de tout ou tout croire, ce sont deux solutions également commodes, qui l’une et l’autre nous dispensent de réfléchir. »
    Henri Poincaré (Nancy 1854-Paris 1912) : « La Science et l’hypothèse, Flammarion »

    « Réfléchir, c’est déranger ses pensées. »
    Jean Rostand (Paris 1894-Ville-d’Avray 1977) « Pensées d’un biologiste, Stock »

    Heureusement, il y a Charles Pépin, né en 1973 à Saint-Cloud, philosophe et romancier.

    Il a notamment écrit : « Les Vertus de l’échec » Allary Éditions, 2016. Et en 2023, il a publié « Vivre avec son passé ».

    Et, le samedi matin à 8h50, sur France Inter, dans « La Question Philo » il répond aux questions que lui posent les auditeurs.

    C’est une sorte de GPT humain, pour le replacer dans un contexte de compréhension contemporaine.

    Pour les « vieux » il s’agit d’un exercice de philosophie qui essaye de répondre aux questions qu’on lui pose.

    Une auditrice lui a posé cette question qui m’intéresse : « Qu’est-ce que réfléchir ? ».

    Sa réponse m’a convaincu et c’est pourquoi je la partage aujourd’hui avec vous.

    Si vous préférez l’écouter, il suffit de suivre le lien : < Qu’est-ce que réfléchir ? >

    Il commence d’abord à donner les antonymes, c’est-à-dire ce que ne signifie pas réfléchir :

    « Réfléchir n’est pas balancer son opinion, car « l’opinion est du genre du cri », écrit Platon dans le Philèbe, et réfléchir ce n’est pas crier, ce serait plutôt cheminer en silence ou, si ce n’est pas en silence, avec une forme de joie de penser qui exclut le cri et s’accommode de l’humilité, de la prudence…

    Réfléchir n’est pas exprimer sa conviction car bien souvent nos convictions sont non réfléchies. […}

    Réfléchir n’est pas vouloir avoir raison à tout prix, mais bien plutôt savoir reconnaître qu’on a tort.

    Réfléchir n’est pas non plus crier son identité, et c’est bon de le rappeler aujourd’hui que chaque débat devient une polémique au cœur de laquelle chacun semble jouer son identité toute entière

    Réfléchir n’est pas non plus chose purement intellectuelle, coupée du corps, des émotions et des affects car on réfléchit aussi, évidemment, avec son corps, et c’est pourquoi d’ailleurs, comme Socrate en son temps accompagnant ses interlocuteurs, on réfléchit très bien en marchant, on met sa pensée en mouvement en même temps que ses jambes. »

    Et il cite alors Platon qui appelait, « réfléchir, penser », « un dialogue de l’âme avec elle-même. »

    Et il dit enfin, de manière positive, ce que signifie pour lui réfléchir :

    « Réfléchir, c’est revenir à soi comme le rayon qui se réfléchit sur le miroir, revenir à soi après avoir écouté d’autres arguments, d’autres points de vue, et faire résonner ce voyage au cœur de sa raison, de sa pensée

    Dans réflexion, il y a donc résonner avec un « é » et pas simplement raisonner avec « ai ». Et c’est pourquoi, quand je réfléchis, je me sens vivant, vivant de m’ouvrir à d’autres avis que les miens, vivant de douter et surtout de supporter le doute, car c’est précisément quand on ne supporte plus le doute que l’on cesse de réfléchir et sombre dans l’idéologie, qu’Hannah Arendt définissait parfaitement comme l’enfermement dans la logique d’une idée : « idéologie, enfermement dans la logique d’une idée »

    Réfléchir, c’est avoir en horreur l’idéologie autant que la certitude, bref tout ce qui est figé, mortifère, et voilà pourquoi on ressent lorsque l’on pense vraiment cette joie de penser qui est une expression de notre vitalité. Montaigne dans les Essais dit penser « par sauts et gambades », réfléchir c’est cela, des sauts et des gambades, des élans et des écarts, des ivresses et des retours en arrière, du concret à l’abstrait et de l’abstrait au concret »

    Autrement dit, pour celles et ceux qui ont une explication unique du monde, (la lutte des classes, la culpabilité de l’Occident, nos difficultés provenant exclusivement des immigrés, des musulmans, des USA, des chinois etc…, et enfin toutes celles et ceux qui adhérent de manière exclusive à une croyance ou une religion) il ne leur est pas impossible de réfléchir, mais pour eux, c’est très compliqué.

    J’ai entendu récemment un historien qui a affirmé qu’il y avait après la guerre des tenants de « la lutte des classes » qui ont nié la shoah à cause de l’argumentaire suivant : les allemands qui disposaient d’une main d’œuvre gratuite, esclave, ne pouvaient pas se priver de cette ressource pour des raisons économiques, en la tuant sans l’utiliser.

    Et Charles Pépin continue :

    « Réfléchir c’est rebondir, faire preuve de sens critique, être intranquille toujours, en éveil, réactif, et voilà pourquoi je crois toute vraie pensée est sceptique, voilà pourquoi je crois la vraie philosophie, celle qui est à l’extrême opposé de l’idéologie, est le scepticisme, et j’aurais même envie de dire : le scepticisme gai

    Réfléchir, c’est assumer sa pleine humanité : nous sommes au monde, c’est déjà une bonne nouvelle, même si ce monde ne tourne pas rond, mais nous ne nous contentons pas d’être au monde – nous le questionnons, nous l’interrogeons, nous le pensons, car ce monde, et notre être au monde, ne vont pas de soi

    Réfléchir, c’est enfin être ensemble, être ensemble jusque dans nos désaccords, et c’est bien en quoi réfléchir ne relève pas simplement d’une logique de l’opinion, car nos opinions nous opposent, tandis que réfléchir ensemble nous rapproche et nous rappelle ce que nous avons en commun : ce monde dont l’existence ne va pas de soi et cette raison curieuse, inquiète, intranquille, par laquelle nous essayons de le penser

    Comment notre existence peut-elle être à la fois si miraculeuse et si douloureuse ? Réfléchir, ce n’est pas se prendre la tête mais prendre cette question à bras le corps et découvrir alors que nous n’avons pas besoin d’avoir la réponse pour nous trouver, tout contre cette belle question, au cœur même de la joie de penser, plus humains, et plus vivants »

    Je ne pense pas que ChatGPT aurait donné réponse plus pertinente, sauf si cette IA était allée plagier la réflexion d’un humain philosophe qui pense, qui doute et qui considère la question plus essentielle que la réponse.

    Je nous souhaite à tous de continuer à essayer de réfléchir ainsi.

    <1786>

  • Vendredi 5 janvier 2024

    « Mais, n’y a-t-il que les nazis pour fonctionner ainsi ? »
    Boris Cyrulnik

    L’année 2023 a été terrible pour sa violence, les guerres qui nous sont rapportées par les Médias.

    Bien sûr des hommes cultivés pourront nous rappeler que ce n’était pas mieux avant.

    Que le XXème siècle avec ses deux guerres mondiales, ses génocides contre les arméniens, les juifs, les tziganes, les tutsis, ses régimes exterminateurs nazis, staliniens, maoïstes, khmers rouges constituent, pour l’instant, une norme d’horreur insurpassable.

    Mais il me parait essentiel de toujours revenir à l’Histoire pour essayer d’apprendre et comprendre, les mécanismes de la sortie des valeurs de l’humanisme.

    En faisant les ménage dans ma boite courriels, je suis tombé sur un article de Boris Cyrulnik que j’avais envoyé en 2005 à quelques-uns de mes amis.

    Je l’ai relu et j’ai perçu toute son actualité. C’est pourquoi, je partage cet article aujourd’hui. J’ai aussi été saisi par sa phrase de conclusion que j’ai utilisée comme exergue.

    Boris Cyrulnik a écrit cet article dans le numéro 2097 du « Nouvel Observateur », paru le 13 janvier 2005.

    Il s’agissait d’un numéro consacré aux 60 ans de la libération des camps nazis.

    Parmi ces camps, la libération du camp de concentration d’Auschwitz a lieu le 27 janvier 1945. L’Armée rouge libère environ 7 000 survivants. Plus d’un million de victimes ont péri dans ce camp de concentration et centre d’extermination nazi.

    Le titre de son article était : « Auschwitz : Les anges exterminateurs »

    Le grand psychiatre n’était qu’un enfant quand ses parents ont été raflés à Bordeaux.

    Ils ont disparu à Auschwitz. Lui-même arrêté, il a réussi à s’enfuir.

    Soixante ans après, cette expérience continue de nourrir sa réflexion sur le nazisme. Et sur la nature humaine… :

    « J’avais 6 ans et demi quand, une nuit, j’ai été arrêté par des inspecteurs français portant des lunettes noires. Les policiers m’ont poussé vers la porte où des soldats allemands constituaient avec leurs fusils une haie qui orientait vers des camions. La rue était barrée. Le silence et l’ordre régnaient. Un inspecteur a dit qu’il fallait m’éliminer parce que plus tard je deviendrais un ennemi de la société. J’ai appris cette nuit-là que j’étais destiné à commettre une faute qui méritait une mise à mort préventive.

    Soixante ans plus tard, je pense que ce policier a dû éprouver un merveilleux sentiment d’ange exterminateur. En participant avec tant de compétence à une série de coups de filet qui ont tué 1645 adultes et 239 enfants sur les 240 raflés, il a obéi à un ordre moral.

    On peut tuer des innocents sans éprouver de culpabilité quand l’obéissance est sacralisée par la culture. La soumission déresponsabilise le tueur puisqu’il ne fait que s’inscrire dans un système social où l’assujettissement permet le bon fonctionnement.

    Ce qui compte dans ce cas, c’est l’objectif et non pas la relation. Et même le mot « obéissance » désigne des sentiments différents selon le contexte où il est prononcé.

    Quand deux personnes s’affrontent, celui qui obéit éprouve un sentiment de défaite. Tandis que le simple fait d’appartenir à un groupe ennoblit l’obéissance, puisque celui qui se soumet donne le pouvoir à sa communauté grâce à sa subordination.

    Quand l’âme du groupe, un dieu, un demi-dieu, un chef ou un philosophe, propose un merveilleux projet d’épuration, c’est au nom de l’humanité que la personne obéissante participe au crime contre l’humanité.

    Dès l’âge de 6 ans, il m’a fallu comprendre que ce qui gouverne un groupe ne correspond pas toujours à ce qui gouverne les individus qui composent ce groupe.

    Chaque soir, dans la synagogue de Bordeaux transformée en prison, un soldat venait s’asseoir près de moi pour me montrer une photo de sa famille. Je ne comprenais pas ses mots mais je sentais clairement qu’il avait besoin de parler de ses proches et de son petit garçon qui, d’après ses gestes, avait mon âge et me ressemblait.

    Plus tard, j’ai vu ce gentil papa frapper à coups de crosse les enfants qui ne se dirigeaient pas assez vite vers les wagons à bestiaux de la gare Saint-Jean. Quand cet homme venait, le soir, me parler de son fils, il répondait à un besoin d’affection. Quand ce soldat poussait les enfants vers les wagons scellés, il obéissait à une représentation théorique qui récitait les slogans du demi-dieu que sa collectivité vénérait.

    Depuis ce jour, la récitation des certitudes m’alarme et la vulnérabilité des hommes m’attendrit.

    Dès l’âge de 6 ans, il m’a fallu comprendre que mes geôliers se soumettaient avec ravissement, afin de participer à un triomphe.

    Aujourd’hui, je pense que peu de personnalités sont capables d’échapper à une pression culturelle qui apporte tant de bénéfices : l’affection des siens, l’estime de soi, la griserie de l’appartenance et la noblesse d’un projet moral épurateur fondé sur une croyance en une surhumanité.

    C’est délicieux d’être gouverné par un demi-dieu, ça déresponsabilise, ça supprime l’angoisse.

    Quand le « moi » est fragile, le « nous » sert de prothèse et les hommes d’appareil aiment grimper l’échelle des valeurs qui leur sont imposées.

    Leur facilité à apprendre les récitations, leur aptitude à faire marcher le système et leur art de la relation les placent rapidement en haut de l’échelle, quelle qu’elle soit.

    Ce qui compte pour eux et provoque leur bonheur, c’est de grimper.

    Le moindre doute briserait leur rêve d’une société épurée.

    Seul un traître peut remettre en cause un si beau projet. Cette heureuse affiliation engage les personnalités conformistes dans une relation perverse, où l’emprise sur l’autre et sa disparition se programment au nom du Bien. Dans tout génocide, le tueur se sent innocent puisqu’il transcende le massacre et, en cas de défaite, explique qu’il n’a fait qu’obéir. Le soumis-triomphant ne se pense pas comme une personne, mais comme un rouage, ce qui provoque sa fierté.

    A la Libération, de Gaulle a été accueilli au Grand Hôtel à Bordeaux. On m’a demandé de lui offrir un bouquet de fleurs. La nuit, un milicien s’est infiltré afin d’assassiner le Général. L’homme a été attrapé et lentement lynché, un coup de poing par-ci, un coup de crosse par-là. Il est mort, tué par mes libérateurs, des hommes que j’admirais. Ce jour-là, il m’a fallu comprendre que l’ambivalence est au cœur de la condition humaine et que la vengeance aussi est une soumission au passé.

    Le processus qui permet d’exterminer un peuple sans éprouver de sentiment de crime est toujours le même. En voici la recette :

    1. D’abord, il faut le désocialiser afin de le rendre vulnérable. Personne n’a protesté quand une des premières lois de Pétain a décrété la réquisition des vélos des avocats juifs. Ce n’est pas grave, entendait-on, tant qu’on respecte les personnes. Mais dans une société dépourvue d’essence et de voiture, un homme sans vélo ne peut plus travailler.
    2. Puis il convient de parler de ce groupe humain en employant des métaphores animales : « des rats qui polluent notre société », « des vipères qui mordent le sein qui les a nourries »
    3. Quand on arrive enfin à la démarche administrative signée par un représentant du demi-dieu ou énoncée à la radio par un porte-parole du maître, il devient possible de mettre à mort ce peuple sans éprouver de culpabilité car « ce n’est pas un crime tout de même d’éliminer des rats » !

    Surhommes dérisoires soumis à des demi-dieux absurdes, les nazis ont provoqué une déflagration mondiale, un massacre inouï pour une bagatelle idéologique, une théorie navrante. Ils ont cru à une représentation incroyable, ils ont récité des fables riquiqui où ils se sont donné un rôle grandiose.

    Le panurgisme de ces moutons intellectuels leur a offert une brève illusion de grandeur. Ils avaient besoin de haine pour légitimer et exalter leur programme délirant, car dans le quotidien c’est la banalité et la soumission qui caractérisaient leur projet.

    Mais, n’y a-t-il que les nazis pour fonctionner ainsi ? »

    Boris Cyrulnik

    Je ne veux pas affaiblir ce propos, en pointant tel ou tel groupe humain dans son comportement actuel à l’égard d’un autre.

    Je veux en rester au niveau de l’observation des mécanismes qui conduisent à des comportements d’inhumanité et au constat que des humains qui, par ailleurs, ont des comportements familiaux et sociaux normalement bienveillants, sont capables de tels comportements.

    • Le premier élément du mécanisme est de déshumaniser l’autre, celui qui appartient au groupe humain qui est considéré comme l’ennemi. On dira de lui qu’il s’agit d’un rat, d’un serpent, d’une vermine, d’un insecte… toute catégorie de vivants qu’il semble normal d’exterminer.
    • Le deuxième élément est l’adhésion à un narratif religieux, raciste, nationaliste ou une utopie qui croit en un monde parfait, une fois éliminé les nuisibles.
    • Ces deux éléments permettent à un homme d’être affectueux, prévenant, généreux avec les siens qui sont des humains et monstrueux avec les autres qui ne le sont pas dans son imaginaire.

    Les enfants de Klaus Barbie ont affirmé que leur père n’était pas capable des horreurs que la justice et que ses victimes dénonçaient.

    On attribue à Léon Tolstoï cette citation pleine de sagesse :

    « Si vous ressentez de la douleur, vous êtes vivant, si vous ressentez la douleur des autres vous êtes un être humain… »

    <1785>

  • Vendredi 29 décembre 2023

    « Il n’y a pas de chemin pour la paix – la paix est le chemin. »
    Vivian Silver

    J’ai déjà évoqué Vivien Silver, lors du mot du jour du 17 novembre 2023 : « C’était un temps déraisonnable. On avait mis les morts à table […] »

    Vivian Silver, militante pacifiste israélienne a été assassinée par des terroristes du Hamas le 7 octobre.

    Canadienne, elle était arrivée en Israël il y a cinquante ans, avec plusieurs membres du mouvement Habonim, des sionistes socialistes.

    <La Croix> la présente ainsi :

    « Née à Winnipeg au Canada, Vivian Silver part en 1968 étudier la psychologie et la littérature anglaise à l’Université hébraïque de Jérusalem.
    Après un bref retour au Canada, elle s’envole à nouveau pour Israël en 1974, quelques mois après la guerre de Kippour qui a fait plus de 2 700 morts côté israélien et près de 20 000 au sein de la coalition arabe.

    Vivian Silver part en compagnie d’un groupe de jeunes Nord-Américains qui cherchent à rétablir le kibboutz Gezer, situé dans le centre d’Israël, précise le journal Haaretz.
    Là, elle promeut l’égalité des genres au sein du kibboutz et dirige des projets de construction.
    L’activiste est aussi un membre actif de l’organisation Chemin vers la guérison, qui transporte gratuitement des patients gazaouis – majoritairement des enfants – jusqu’aux hôpitaux israéliens, où ils peuvent être correctement soignés.

    En 1998, Vivian Silver devient directrice exécutive de l’Institut du Néguev pour les stratégies de paix et de développement. L’organisation installée à Beersheba, dans le sud d’Israël, promeut la paix au Moyen-Orient, ainsi qu’un modèle de société partagée entre Juifs et Arabes.

    Elle travaille d’abord en lien avec des organisations palestiniennes, avant de se concentrer ensuite sur le sort des communautés bédouines locales.
    Vivian Silver milite pour la formation et l’autonomisation de cette minorité d’Arabes musulmans vivant dans le désert du Néguev, rattachée à Israël mais qui conserve des liens étroits avec les Territoires palestiniens.

    Juste après la guerre de Gaza de 2014, Vivian Silver participe à la création d’une association féministe et pacifiste israélo-palestinienne, Women Wage Peace (« Les femmes mènent la paix »), qui rassemble plus de 45 000 membres. Un mouvement « non partisan, qui ne soutient aucune solution au conflit » israélo-palestinien et qui milite pour une plus grande représentation des femmes dans les négociations diplomatiques, assure l’organisation.

    Vivian Silver a remporté de nombreux prix pour son engagement pour la paix tout au long de sa vie, dont le prix Victor J. Goldberg pour la paix au Moyen-Orient en 2011. « Elle se bat pour la justice, c’est une mère et grand-mère fantastique », avait déclaré Yonatan Zeigen, le fils de Vivian Silver, quelques jours après l’attaque du Hamas. »

    Cet article : « Le Hamas n’a pas tué ton rêve » décrit ses obsèques et l’éloge funèbre de ses amis qui éclairent aussi la personnalité de cette femme exceptionnelle :

    « Des centaines de proches, Juifs et arabes, de la pacifiste israélo-canadienne Vivian Silver ont rendu hommage jeudi à une « femme hors du commun » et « porteuse d’espoir » tuée lors de l’attaque du groupe terroriste du Hamas en Israël le 7 octobre.

    Ils se sont réunis au kibboutz Gezer, dans le centre d’Israël, où la militante avait vécu dans les années 1970. Elle a été assassinée à l’âge de 74 ans dans sa maison du kibboutz de Beeri, proche de la bande de Gaza.

    Venues d’horizons très divers, les personnes qui ont pris la parole ont dit leur profonde douleur face à la mort de Silver mais aussi leur détermination à poursuivre les causes pour lesquelles elle se battait : la paix et le féminisme.

    En larmes, son amie Ghadid Hani, une arabe israélienne de Hura, ville bédouine du sud d’Israël, qui militait avec elle au sein de WWP, a raconté son dernier échange avec Vivian Silver durant l’attaque du Hamas.

    « Tu m’as dit que ça allait mais que tu entendais des bruits et puis mes messages n’ont plus reçu de réponses », raconte Mme Hani, vêtue de noir et voilée, une écharpe bleue azur autour du cou, un des symboles du mouvement WWP.
    « Tu disais que l’obscurité ne se repousse que par la lumière, comme j’aimerais que tu sois là pour apporter de la lumière et de l’espoir comme tu le faisais toujours », ajoute-t-elle.
    « Ma chère Vivian, si tu m’entends, je veux te dire que le Hamas n’a pas tué ton rêve. »
    « Il est impossible de détruire l’humanité, la solidarité, le désir d’un avenir plus sûr », a ajouté Hani. […]

    « Le seul moyen de vivre en sécurité ici c’est de faire la paix », répétait Mme Silver, selon son fils Yonatan Zeigen.

    « Nous, les vivants, continuerons à briller, à persévérer et à faire tout pour apporter le lendemain dont tu parlais toujours. Avec ton absence, je suis retombé amoureux des mots comme paix, égalité des sexes et fraternité », a déclaré M. Zeigen, lors de la cérémonie. »

    C’est en lisant un article d’« AOC » : rédigé par l’historienne Naomi Sternberg : <Le monde a oublié le camp de la paix israélien et palestinien> que j’ai vu la phrase que j’ai mise en exergue parce qu’elle était citée par l’autrice au début de son article :

    « Il n’y a pas de chemin pour la paix – la paix est le chemin. »

    Mais la Paix, n’est pas une chose qui va de soi. Il faut la construire.

    Ce n’est pas une histoire d’amour, une brusque révélation de la bonté et de la morale.

    Dans un remarquable entretien, en accès libre, mené par Edwy Plenel, Elias Sanbar, ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco, explique : « j’ai compris que la paix était une affaire très violente »

    Elias Sanbar est né le 16 février 1947 à Haïfa, en Palestine mandataire, dans l’actuel Etat d’Israël.

    Sa famille sera exilée au Liban après la proclamation de l’État d’Israël

    C’est un historien, poète et essayiste palestinien.

    Il fut aussi le commissaire de l’exposition « Ce que la Palestine apporte au monde » qui a eu lieu à l’Institut du monde arabe entre le 31 mai et le 31 décembre 2023.

    Il a participé aux négociations bilatérales à Washington et dirigé, de 1993 à 1996, la délégation palestinienne aux négociations sur les réfugiés.

    Et c’est l’expérience de ces négociations qui lui font dire :

    « Vous savez, on subit beaucoup le fait que nous nous faisons violence.
    Je vais vous dire dans mon vécu à moi, moi j’ai haï être face, quand j’ai été à des négociations, j’ai haï être en face d’une délégation israélienne.
    Je ne pouvais pas les voir en peinture parce que je me disais : Tu es face aux gens qui ont fait ton malheur, qui ont fait que ton père est mort en exil en pleurant. Tu es face à eux.
    Je me suis fait une violence inouïe pour leur parler.

    Je n’y suis pas aller en disant : « ça va être formidable, on va s’aimer. »
    Non pas du tout !

    Et petit à petit, j’ai compris que la paix était une affaire très violente.
    La différence entre la paix et la guerre, ce n’est pas que l’une est violente et l’autre non.
    Les deux sont très violentes.

    Dans la guerre, vous dirigez la violence contre votre adversaire, dans la paix vous la dirigez contre vous-même, pour accepter de parler avec celui que vous pensez être l’artisan de votre malheur.
    Ce n’est pas un voyage d’agrément.
    Les négociations contrairement à ce que beaucoup pensent, c’est très violent, mais c’est une violence faite à soi. »

    Cet extrait commence derrière <ce lien>

    Je vous conseille d’écouter cet entretien dans son ensemble car il est d’une grande intelligence et humanité : « Ce que la Palestine dit au monde »

    Il me semblait essentiel de finir cette année 2023 par l’affirmation de ce combat, de cette conviction que c’est la paix qui est le chemin.

    Toute cette violence ne résoudra rien.

    Le Hamas est une idée, on ne peut pas éradiquer une idée avec des bombardements mais par une autre idée qui paraîtra plus désirable.

    Daniel Barenboïm disait : « Nous avons le choix : nous entretuer ou apprendre à partager ce qui peut se partager. »

    Les enfants qui auront survécu sous ce déluge de bombe et auront vu mourir leurs proches, auront la violence au cœur et ne penseront qu’à se venger.

    Sauf si une autre solution peut leur être proposée, une solution qui leur paraîtra désirable et pour laquelle ils auront l’énergie de diriger cette violence vers eux même pour faire la paix.

    La paix est le chemin, Vivian Silver avait raison.

    <1784>

  • Mercredi 27 décembre 2023

    « 18 mois de vie. »
    Clémentine Vergnaud

    C’est le 15 juin 2022, que Clémentine Vergnaud a appris qu’elle souffrait d’un cancer des voies biliaires, rare, très agressif : le cholangiocarcinome.

    Elle avait décrit son combat, ses espoirs, sa peur et ses relations avec les médecins et l’administration dans une série de 10 podcasts : « Ma vie face au cancer : le journal de Clémentine. » publiée en juin 2023.

    J’ai commencé à écouter le premier, puis tous les autres d’une seule traite, lors d’une longue promenade.

    Je concluais le mot du jour que je lui ai consacré : « La mort est au bout du chemin, mais elle s’est un peu éloignée. » par cette exclamation : Un monument d’humanité !

    Son podcast était une manière de « laisser une trace », comme elle l’expliquait sur le plateau de « C à vous ».

    Elle n’a pas fêté Noël, elle est morte le 23 décembre 2023 au matin, 18 mois et quelques jours après le diagnostic de sa maladie. Elle avait 31 ans.

    Début octobre, elle donnait des nouvelles peu rassurantes sur sa santé sur le réseau social X, tout en annonçant l’enregistrement de la saison 2 de son podcast. Elle écrivait :

    « Vous êtes plusieurs à demander de mes nouvelles, à vous inquiéter de mon silence. Je vais bien, rassurez-vous. Mais les deux dernières semaines ont été compliquées. Je suis passée à un cheveu de la mort à cause d’un grave accident cardiaque. Maintenant, je me remets doucement ».

    Elle travaillait à France Info. Ses collègues lui ont rendu <Hommage> :

    « La rédaction de franceinfo a perdu l’une des siennes, une femme merveilleuse, une journaliste de grand talent, une amie pour beaucoup. […]

    Pendant ces longs mois où elle a combattu la maladie, Clémentine a fait preuve d’un courage incroyable, d’une détermination sans faille et d’une immense joie de vivre.
    Sa force de caractère et sa lucidité, nous les avons tous entendues dans le podcast « Ma vie face au cancer » qu’elle avait tenu à faire pour raconter sa vie avec la maladie.

    Dans ce podcast, […] Elle a apporté beaucoup aux malades, à leurs proches, aux soignants. Avec une telle justesse des mots et des émotions.

    […] Jusqu’au dernier moment, Clémentine a voulu profiter de ses « moments dorés » : chaque plaisir, chaque bonheur qui passait à sa portée. « La fin, elle est connue, nous disait-elle, il n’y a pas trop de mystère. Mais il y a tout ce qui va y mener et je n’ai pas envie de gâcher ces moments. Aucun de ces moments. »

    Clémentine, c’était un rire, un sourire, une voix.
    Et cette voix, parce que c’est ce qu’elle a voulu, nous continuerons à l’entendre. »

    Cette jeune femme qui a dit « Je ne suis pas une battante. En fait, je n’ai juste pas le choix » a donné une immense leçon : elle a vécu aussi intensément que possible les 18 mois de vie qui lui restait à vivre après son terrible diagnostic.

    L’oncologue canadien Gabriel Sara qui avait joué son propre rôle dans ce merveilleux film « De son vivant » avait révélé cette tragédie dans la tragédie : « Mourir de son vivant », c’est-à-dire ne pas vivre ce qui reste à vivre :

    « On peut mourir de son vivant. On le voit chez Benjamin. Au fur et à mesure que son corps s’affaiblit, son esprit devient paradoxalement plus puissant. Il prend le contrôle de sa vie, il règle son histoire avec son fils, il pardonne à sa mère, il transmet à ses élèves tout ce qu’il a de plus beau à donner. Alors que son corps est foutu, lui vit plus intensément que jamais. Il n’a jamais été aussi en contrôle de sa vie. Et c’est merveilleux. »

    Et il parle de cette mission sacrée qui doit être celle des médecins, de l’être humain malade et de sa famille :

    « Face à un patient condamné, ma mission sacrée est de l’accompagner pour que les années, les mois et jusqu’aux minutes qu’il lui reste, soient de beaux instants de vie et pas d’agonie. Quand mon patient meurt, je suis triste bien sûr, mais j’ai le sentiment du devoir accompli. Pour un cancérologue, c’est une satisfaction énorme. »

    Je crois que Clémentine Vergnaud a porté haut cette mission sacrée de vivre les « 18 mois de vie. » qui lui restait.

    Comme souvent, ces derniers temps, je terminerai par un texte de Christian Bobin qui écrivait lors d’un entretien avec le journal « La Vie » en 2019 :

    « Ceux qui ont disparu mêlent leur visage au nôtre.
    Nous sommes étroitement liés, souterrainement, dans une métamorphose incessante.
    C’est pourquoi il est impossible de définir aussi bien la vie que la mort.
    On ne peut que parler d’une sorte de flux qui sans arrêt se transforme, s’assombrit puis s’éclaire de façon toujours surprenante.
    La mort a beaucoup de vertus, notamment celle du réveil.
    Elle nous ramène à l’essentiel, vers ce à quoi nous tenons vraiment. »

    <1783>

  • Dimanche 24 décembre 2023

    « Éclaire ce que tu aimes sans toucher à son ombre. »
    Christian Bobin, exergue de son livre « Éloge du rien »

    Dans les pays chrétiens et même au-delà nous fêtons Noël.

    C’est-à-dire la nativité de Jésus, personnage central du Christianisme.

    Je fais partie, sur un réseau social, d’un groupe d’amis de Christian Bobin. Une des participantes a accompagné l’exergue de « l’éloge du rien » : « Éclaire ce que tu aimes sans toucher à son ombre. » par une reproduction de ce magnifique tableau : Le nouveau-né.

    Wikipédia explique : C’est un tableau du peintre lorrain Georges de La Tour, peint vers 1648, et conservé au musée des beaux-arts de Rennes. Cette huile sur toile représente une Nativité : la Vierge Marie tient l’Enfant Jésus emmailloté, en compagnie de sainte Anne qui éclaire la scène à la bougie.

    « Chef-d’œuvre d’entre les chefs-d’œuvre » de Georges de La Tour, la toile est un sommet du clair-obscur, et tire également sa popularité du fait que les signes religieux s’effacent pour donner à la scène une portée universelle : celle de la célébration du mystère de la naissance d’un enfant. Noël est la fête de la nativité.

    Car il est vrai que si Noël est une fête religieuse, aujourd’hui il s’agit aussi d’un monument de la culture occidentale qui est une fête des enfants, une fête familiale dans laquelle le fondement religieux s’est estompé.

    J’ai déjà consacré plusieurs mots du jour à Noël.

    En décembre 2013 : « Le cadeau de Noël. Histoire d’une invention. »

    Et ce même mois, lundi 30 décembre 2013, je parlais de la persécution des chrétiens dans le monde : « Comme se fait-il qu’en Occident sécularisé, règne « le silence de Noël sur les chrétiens persécutés ? ».

    Dans différents mots du jour j’ai expliqué ma réticence devant les religions monothéistes, en insistant toujours sur le désir de spiritualité des femmes et des hommes que je distinguais de la religion en reprenant ce propos percutant de Régis Debray : « La spiritualité prépare à la mort, la religion prépare les obsèques. »

    Notre culture, notre calendrier, nos fêtes, Noël, restent ancrés dans notre héritage chrétien

    Mais nous sommes devenus indifférents à celles et ceux qui partagent cet héritage.

    « Plus de 360 millions de chrétiens ont été « fortement persécutés et discriminés » en raison de leur foi dans le monde en 2022, selon un rapport de l’ONG Portes ouvertes »

    C’est ce que nous pouvons lire sur le site de <France Info>

    En 2016, j’essayais simplement parler de la fête de « Noël » m’interrogeant s’il ne s’agissait pas d’une fête païenne célébrant le solstice d’hiver.

    Et enfin, j’ai encore parlé de Noël, en donnant, fin 2019, <les recettes des gâteaux de Noël alsaciens>.

    Pourquoi reparler de Noël, cette année ?

    Parce que j’ai été interpellé par cette publication de Céline Pina :


    D’abord j’ai voulu vérifier, beaucoup de sources donnent la même information :

    Air France demande à son personnel dans un mail interne, d’employer le terme « Joyeuses fêtes » et non « Joyeux Noël ». L’entreprise justifie ce choix :

    « La marque Air France ne doit pas être associée à des fêtes religieuses, nous ne faisons pas référence à Noël. »

    Et grâce à ce site, j’ai appris que Audi suivait la même politique.

    Nous constatons qu’il faut attendre la compagnie d’un pays d’Islam assumé pour pouvoir encore entendre le souhait « Joyeux Noël » ou « Merry Christmas » dans un avion !

    Si des personnes bien pensantes continuent à dire que le wokisme n’a pas atteint la France, je me demande comment ce comportement d’une entreprise occidentale et franco-néerlandaise peut être qualifié ?  Je comprends que cette entreprise mondialisée ne veut plus assumer son occidentalité. Noël n’est pas que religieux, il est aussi un élément incontournable de la culture occidentale.

    Nous avons un problème d’intégration massif, avant d’avoir des problèmes d’immigration.

    Dans certaines élites, tout ce qui est occidental est suspect, ou même doit être rejeté.

    Certes l’Occident a été coupable de crimes, d’avoir trahi des valeurs qu’il proclamait haut et fort.

    Mais il n’est pas le seul.

    L’esclavage ne fut pas le crime des seuls occidentaux, et même si on fait un calcul morbide, l’esclavage fut plus développé chez les musulmans. Et si on parle de la colonisation du monde par l’Occident qui fut un racisme et une exploitation économique, il fut précédé par la colonisation Arabe qui imposa par la force de ses armées son organisation et sa religion à un empire colonial immense.

    Pour le reste la Russie, le Japon, les Ottomans et les Turcs, les pays arabes, la Chine et l’Inde n’ont rien à envier à l’Occident concernant la cruauté, les exactions, les discriminations et les inégalités.

    Moi je crois qu’on ne peut pas aimer quelqu’un, si on ne s’aime pas soi-même.

    Je ne crois pas que nous soyons en mesure d’intégrer d’autres cultures si nous ne sommes pas un peu fier de la nôtre et de ce que nous sommes.

    Et même si Jésus n’avait jamais existé comme le prétend Michel Onfray dans son dernier ouvrage et si pour ma part je ne professe plus de croyance chrétienne, je pense sage et convivial de souhaiter « un Joyeux Noël » à nos semblables.

    Je trouve que la phrase de Christian Bobin est particulièrement appropriée :

    « Éclaire ce que tu aimes sans toucher à son ombre. ».

    Cette phrase est l’exergue d’un tout petit ouvrage de 23 pages, « L’Éloge du rien »

    Ce livre de 1990 est une réponse à une lettre qu’il avait reçue et qui lui demandait un texte pour une revue. Texte qui tenterait de répondre à cette question : Qu’est ce qui donne du sens à votre vie ?

    Et après quelques variations sur la difficulté de répondre, Christian Bobin écrivit cela :

    « Un mot me gêne dans votre lettre. Ce mot de « sens ».
    Permettez-moi de l’effacer.
    Voyez ce que devient votre question, comme elle a belle allure, à présent.
    Aérienne, filante : « Qu’est-ce qui vous donne votre vie ? ».
    La réponse cette fois ci est aisée : Tout.
    Tout ce qui n’est pas moi et qui m’éclaire.
    Tout ce que j’ignore et que j’attends.
    L’attente est une fleur simple. Elle pousse au bord du temps.
    C’est une fleur pauvre qui guérit tous les maux.
    Le temps d’attendre est un temps de délivrance.
    Cette délivrance opère en nous à notre insu.
    Elle ne nous demande rien que de la laisser faire, le temps qu’il faut, les nuits qu’elle doit.
    Sans doute l’avez-vous remarqué : notre attente – d’un amour, d’un printemps, d’un repos – est toujours comblée par surprise.
    Comme si ce que nous espérions était toujours inespéré.
    Comme si la vraie formule d’attendre était celle-ci : ne rien prévoir – sinon l’imprévisible. Ne rien attendre – sinon l’inattendu.
    Ce savoir me vient de loin. Ce savoir qui n’est pas un savoir, mais une confiance, un murmure, une chanson.

    Il vient du seul maître que je n’aie jamais eu : un arbre.
    Tous les arbres dans le soir frémissant.
    Ils m’instruisent par leur manière d’accueillir chaque instant comme une bonne fortune. L’amertume d’une pluie, la démence d’un soleil : tout leur est nourriture. Ils n’ont souci de rien, et surtout pas d’un sens. Ils attendent d’une attente radieuse et tremblée.
    Infinie.
    Le monde entier repose sur eux.
    Le monde entier repose sur nous.
    Il dépend de nous qu’il s’éteigne, qu’il s’enflamme.
    Il dépend d’un grain de silence, d’une poussière d’or — de la ferveur de notre attente.
    Un arbre éblouissant de vert.
    Un visage inondé de lumière. »

    « Éclaire ce que tu aimes sans toucher à son ombre. »

    Joyeux Noël !

    <1782>

  • Vendredi 15 décembre 2023

    « Si on laisse monter l’intolérance, elle fait naître de l’intolérance en face. »
    François Fillon

    Dans le conflit israélo-palestinien, les extrémistes des deux bords sont dans l’exclusion et l’élimination de l’autre.

    Par exemple le ministre des finances de Nétanyahou, Bezalel Smotrich, ultranationaliste israélien, a déclaré le 19 mars 2023 dans les salons Hoche, un luxueux centre de réception près des Champs-Elysées à Paris : « Le peuple palestinien n’existe pas. »

    Je cite cet article « du Monde » :

    « Durant la cérémonie, M. Smotrich s’est exprimé derrière un pupitre décoré d’une carte incluant non seulement l’Etat hébreu et les territoires occupés palestiniens mais aussi le territoire de l’actuelle Jordanie : l’espace du Grand Israël pour les tenants de cette idéologie expansionniste.

    Il a prononcé un discours dans lequel il a exhorté les juifs de France à faire leur alya, c’est-à-dire à s’installer en Israël, [Et il a déclaré] :

    Le peuple palestinien est une invention de moins de cent ans. Est-ce qu’ils ont une histoire, une culture ? Non, ils n’en ont pas. Il n’y a pas de Palestiniens, il y a juste des Arabes. »

    En face, le mouvement Hamas veut créer sur tout le territoire compris entre la Méditerranée et le jourdain et comprenant donc l’État d’Israël, un État islamique de Palestine vierge de présence juive.

    Alors, je voudrais partager une vidéo aujourd’hui.

    C’est un partage qui me semble plein d’enseignements à plusieurs titres.

    D’abord, celui qui s’exprime est François Fillon.

    Je n’ai aucune affinité avec cet homme, mais ce n’est pas une raison de ne pas l’écouter pour examiner si ce qu’il dit est pertinent.

    De plus en plus de personnes n’écoutent plus que les personnes qui leurs ressemblent et professent les mêmes idées qu’eux.

    Il arrive même que ce soit des présupposés qui vont conduire à ce que l’on refuse d’écouter un tel parce qu’il serait homophobe, islamophobe, antisémite, islamo-gauchiste toute qualification qui ne vont pas plus loin qu’une simple impression, une rumeur ou simplement une interprétation hâtive d’une phrase sortie de son contexte.

    Pour ma part je préfère écouter les personnes et faire mon jugement ensuite.

    C’est ainsi que j’ai écouté et regardé François Fillon.

    J’ai vu d’abord cette petite vidéo avec comme titre : « Free Palestine ».

    Vous voyez François Fillon dire :

    « Il y a trois ans je rencontrais à Téhéran l’ayatollah Rafsandjani, l’ancien président iranien.
    Et un moment dans la conversation, on parlait d’Israël et il me dit qu’il faut qu’il s’en aille !.
    Je lui réponds

    • Mais qu’est-ce que vous voulez dire ?
    • Ils n’ont rien à faire en Palestine, il faut qu’ils partent.
    • Vous ne pouvez pas dire cela, même si vous le pensez, de toute façon ça ne se produira pas.
    • Donnez-moi une seule raison pour laquelle il pourrait rester ?
    • Ben oui, ils étaient là, il y a deux mille ans.

    Il éclate de rire et il me dit : nous il y a 5000 ans on était en Inde, on ne va pas y retourner.

    Et là je ne sais plus quoi dire.

    La vidéo s’arrête là avec une question : « et vous qu’auriez-vous répondu à la place de François Fillon ? »

    Le sous-titre à cette question suggère qu’il n’y a pas de réponse et la conclusion en découle simplement : il n’y a aucune raison à ce que les juifs disposent d’un État en Palestine.

    Puisque même François Fillon ne trouve rien à répondre, cette vidéo donne raison aux partisans des palestiniens qui veulent chasser les juifs de Palestine.

    A ce stade, il y a encore deux enseignements :

    Le premier est que la publication de cette vidéo est tronquée. Celui qui a publié a coupé à l’endroit qui lui permettait de renforcer sa thèse. Mais j’y reviendrai après.

    Le second, c’est quand même que la réponse de François Fillon est très problématique : Les juifs ont le droit de créer un État juif parce qu’ils étaient là, il y a deux mille ans.

    Cela fait partie du narratif d’Israël, sur lequel je reviendrai dans un mot du jour ultérieur.

    Mais de manière rationnelle, ce que signifie cette prétention : ils ont droit d’être là parce qu’ils y étaient il y a deux mille ans, conduit à un concept très déstabilisant : le droit du premier occupant !

    Je me souviens d’une déclaration de Valéry Giscard d’Estaing qui avait porté ce jugement définitif :

    « En droit international, il n’existe pas de droit du premier occupant. »

    Quand on évoque un concept de droit, il faut en examiner les conséquences.

    Sainte Sophie d’Istanbul est une immense église chrétienne qui a été érigée au IVème siècle de notre ère dans la ville de Constantinople. Elle a été commandée par l’empereur romain Constantin en 325. Elle est restée une église Chrétienne Orthodoxe, comme Constantinople est resté la capitale chrétienne byzantine jusqu’à 1453. Bref 1100 ans. En 1453, immédiatement après la prise de Constantinople par les Ottomans, la basilique fut convertie en mosquée, Plus tard elle devint musée, jusqu’à ce que ce compagnon de route des frères musulmans, le président turc, Recep Tayyip Erdoğan a décidé d’en refaire une mosquée. Devant cet acte de provocation, nous devrions faire jouer le droit du premier occupant, Constantinople est musulmane depuis 570 ans, alors qu’elle a été chrétienne pendant 1100 ans. Nous devrions exiger que Constantinople redevienne Chrétienne, nous étions là avant !

    J’ai voulu dans un premier exemple parler de symboles, de religions puisque ce sont des éléments très utilisés dans le conflit qui secoue le territoire entre la méditerranée et le Jourdain.

    De manière plus pratique, quelle serait les conséquences d’une application du droit du premier occupant aux États Unis et au Canada ? En Australie et en Nouvelle Zélande ? Et dans tant d’autres lieux de notre planète ?

    L’expliciter ainsi, montre la fragilité de cet argument et la potentialité de la violence et des conflits que cela entraînerait.

    J’espère que personne n’émettra l’idée d’un Dieu qui aurait promis quelque chose.

    Car si le Dieu des armées, Yahvé a promis cette terre au peuple élu, Allah a de la même manière, selon les musulmans, consacré cette terre comme Dar al-Islam, c’est-à-dire terre d’Islam.

    En faire un conflit entre deux dieux qui selon ce que j’ai compris de leurs croyances, est le même, n’a aucune vocation à simplifier le problème.

    Il vaut beaucoup mieux en rester à une proposition de partage de l’Assemblée générale de l’ONU qui a souhaité un état juif et un état arabe et de constater qu’aujourd’hui la disparition de l’un des deux peuples sur le territoire convoité par une épuration ethnique est inadmissible de cruauté et de haine future.

    J’en reviens au premier enseignement, la manipulation.

    François Fillon a d’abord été déstabilisé c’est vrai, mais, après avoir repris ses esprits  il a répondu.

    Et j’ai trouvé l’interview intégrale, c’était une émission de la Radio-Télévision Suisse : < Interview de François Fillon par Darius Rochebin, de la RTS>

    Il évoque à partir de 22:16, la tendance de se replier sur sa communauté.

    Il évoque d’abord la communauté géographique en parlant du Brexit britannique ou de la Catalogne.

    Puis il parle du repli au sein de communauté religieuse.

    « On voit monter une forme de sectarisme, de fondamentalisme religieux. Plutôt chez les musulmans aujourd’hui, mais qui peut demain, en réaction, appeler une sorte de fondamentalisme dans les autres religions […]
    Je ne peux pas ne pas raconter cette histoire parce que je trouve qu’elle est très révélatrice.
    Il y a trois ans je rencontrais à Téhéran l’ayatollah Rafsandjani, l’ancien président iranien.
    Et un moment dans la conversation, on parlait d’Israël et il me dit qu’il faut qu’il s’en aille !.
    Je lui réponds

    • Mais qu’est-ce que vous voulez dire ?
    • Ils n’ont rien à faire en Palestine, il faut qu’ils partent.
    • Vous ne pouvez pas dire cela, même si vous le pensez, de toute façon ça ne se produira pas.
    • Donnez-moi une seule raison pour laquelle il pourrait rester ?
    • Ben oui, ils étaient là, il y a deux mille ans.

    Il éclate de rire et il me dit : nous il y a 5000 ans on était en Inde, on ne va pas y retourner.

    Et là je ne sais plus quoi dire.

    « Et donc je rassemble toutes mes forces pour trouver une réponse et je lui dis : C’est ça, continuer comme ça : Mettez les chrétiens dehors, mettez les juifs dehors et vous ne croyez pas qu’un jour les européens voudront mettre les musulmans dehors ?
    Il y a eu un peu de silence et en repartant dans la voiture je me suis dit au fond, je n’ai pas réfléchi à cette phrase, elle est brutale, elle est provocatrice, mais c’est la vérité.

    Si on laisse monter l’intolérance, elle fait naître de l’intolérance en face.
    On a aujourd’hui des communautés religieuses qui peuvent se radicaliser.
    On a un repli communautaire ethnique. »

    Je trouve cette réponse pleine de sagesse.

    Les communautés chrétiennes sont aujourd’hui opprimées dans les pays musulmans. Le nombre de chrétiens a diminué de manière considérable par rapport au début du XXème siècle en Turquie, en Égypte, en Syrie, en Irak etc…

    Et que personne ne se trompe, il ne s’agissait pas de chrétiens occidentaux, venant d’Europe de l’Ouest qui auraient colonisé ces pays. Pas du tout, ce sont des populations locales qui s’étaient convertis au christianisme il y a longtemps et qui lors de l’expansion de l’Islam ont refusé de se convertir à ce troisième monothéisme.

    Et la situation est encore plus dégradée pour les communautés juives dans ces pays. Si les pays arabes ne voulaient pas d’Israël, il aurait été intelligent, me semble t’il, qu’ils convainquent les juifs de leurs pays de rester et qu’ils prennent les mesures adéquates pour rendre ce séjour paisible et serein.

    En parallèle dans nos pays, les communautés musulmanes augmentent notamment dans le nombre de celles et de ceux qui se soumettent à des pratiques religieuses ostensibles.

    Tout n’est pas parfait dans nos pays, loin s’en faut : il existe des discriminations et des intolérances mais sans commune mesure avec ce qui se passe, en Turquie, en Égypte etc.

    La cohabitation des religions dans un monde tolérant et acceptant l’autre constitue un grand progrès de l’humanité.

    L’empire ottoman a su pendant longtemps, jusqu’à l’arrivée au pouvoir du gouvernement jeunes turcs, réaliser grosso modo cette cohabitation paisible.

    Amin Maalouf parle même de son enfance au Liban et en Égypte où cette coexistence de communautés religieuses restait harmonieuse.

    Il faudrait retrouver ce chemin de la tolérance qui appelle à la tolérance chez tous.

    Ce qui conduit à écarter tous les discours qui veulent chasser l’autre, comme ce discours de l’ayatollah Rafsandjani.

    <1781>

  • Jeudi 14 décembre 2023

    « Ici, dans le feu mal éteint,
    Perdant, notre jeunesse par miettes,
    Nous n’avons esquivé aucun
    Des coups qui tombaient sur nos têtes  »
    Anna Akhmatova

    Anna Akhmatova est, selon Christian Bobin, la plus grande des poètes et des poétesses.

    Dans le livre « Anthologie » qui regroupe un choix de ses textes j’ai trouvé celui-ci :

    « Honte à ceux qui laissent leur terre
    A leur ennemi triomphant ;
    Leur basse louange m’indiffère,
    Je leur refuserai mon chant

    Mais l’exilé me reste cher,
    Comme un malade, comme un captif :
    Le pain d’aumône est amer,
    Le regret de l’exil est vif…

    Ici, dans le feu mal éteint,
    Perdant, notre jeunesse par miettes,
    Nous n’avons esquivé aucun
    Des coups qui tombaient sur nos têtes.

    Dans le décompte des faits d’armes
    Seront justifiés nos destins,
    Personne n’est plus sec de larmes
    Plus simple que nous, et plus hautain »
    Anna Akhmatova
    1922

    Lorsqu’on voit ce qui se passe à Gaza et qui fait suite aux massacres du 7 octobre 2023, on est saisi par une sorte de sidération et de découragement.

    Évidemment si on se place dans un des deux camps, l’analyse est simple :

    Pour le camp d’Israël, les massacres du 7 octobre ne peuvent pas rester impuni.
    D’abord à cause de l’horreur de l’attaque, ensuite parce que cela conduit à une menace sécuritaire de tous les instants. Il faut donc punir ceux qui ont fait cela, mais aussi empêcher qu’une telle attaque puisse être réitéré.
    La destruction de Gaza, une émission de France Info évoque « Gaza en miettes  », s’explique dès lors par la nécessité de trouver les responsables et les combattants du Hamas afin de les neutraliser.
    Pour ce faire, il y a des milliers de morts, de blessés, d’enfants, de femmes et d’hommes angoissés devant la mort qui rode, la famine qui guette, l’eau qui est rare et pollué.
    Le camp d’Israël relève que les assassins du Hamas qui sont revenus à Gaza ont été célébrés par des foules en liesse. Que si ces combats sont si meurtriers, c’est parce que le Hamas se cache dans des tunnels interdits à ceux qui ne font pas partie de l’organisation.
    Dans cette logique la population sans protection constituent pour eux un bouclier qui les protège. En outre, leur mort en masse constitue un excellent argument pour le Hamas pour dénoncer la violence d’Israël et essayer de faire arrêter par la communauté internationale le bras vengeur de leur ennemi.
    Enfin ce camp peut encore dénoncer le fait que le Hamas s’empare de la plus grande part des denrées alimentaires que les ONG font entrer dans le territoire. Une interview en direct d’Al Jazeera montre une vieille femme palestinienne dénoncer ce fait devant un journaliste très ennuyé devant ce témoignage qui ne correspond pas au récit souhaité, mais qu’il ne peut éviter en raison du direct.

    Pour le camp palestinien, l’attaque du 7 octobre est un acte qui a remis au premier plan la question palestinienne dont plus personne ne parlait.
    Les pays arabes étaient en train d’établir des relations amicales et économiques avec Israël dans le cadre des accords d’Abraham, sans parler des palestiniens.
    Même l’Arabie saoudite était en train de signer un tel accord. Ce qui achoppait encore était le fait que l’Arabie Saoudite exigeait d’avoir la responsabilité de l’esplanade des mosquées, la question palestinienne n’était pas prioritaire. Souvent les religieux sont attachés davantage aux symboles, aux pierres, qu’aux humains.
    Et en Palestine, on voyait des murs, des checks point qui rendaient la vie tellement compliquée avec, en plus, une progression de l’emprise de la population juive sur la Cisjordanie à travers des implantations tolérées, voire encouragées par le gouvernement israélien.
    Un gouvernement dans lequel le premier ministre et des hommes encore plus à droite exprimaient clairement leur refus de donner un État aux Palestiniens.
    Bien au contraire, ils voulaient s’emparer de tout le territoire de Judée Samarie comme ils l’appellent.
    Dans cette situation l’action du Hamas a constitué une rupture et, en tant que tel, un acte de résistance d’un peuple opprimé. Certes la violence extrême et des excès ont pu être commis, mais il était nécessaire d’arrêter le lent étouffement de la cause palestinienne.

    Dans tout cela il n’y a pas plus de place pour l’empathie, d’empathie pour l’autre, même pour le plus faible et le plus innocent de l’autre : un enfant.

    Jean Daniel avait écrit le <9 juillet 2014> :

    « Mais pour finir sur Israël je peux confier, à l’âge où je parviens, que l’un de mes échecs personnels a été de ne pas arriver à persuader les élites juives de sauver leur peuple et leurs âmes. Sur la violence, il y a eu les plus grands textes. Et sur celle qui concerne les enfants, on ne peut pas oublier Dostoïevski.

    Voyant revenir les stigmates annonciateurs de la fraternelle cruauté entre Israéliens et Palestiniens, je ne puis m’empêcher de repenser aux fameux propos prêtés à la redoutable et remarquable Golda Meir : « Ce que je vous reproche, vous serez étonnés de l’apprendre, ce n’est pas tant de tuer nos propres enfants, mais c’est de nous forcer à tuer les vôtres. » Cette phrase peut avoir mille interprétations. Un de mes amis arabes était révolté que je puisse m’y attarder. Non seulement elle se trouve une excuse pour l’assassinat, mais y ajoute un nouveau procès de notre comportement.

    C’est vrai que cette phrase a plusieurs sens selon la conscience que l’on a de sa propre immobilité. Mais si sensible que je sois au destin palestinien, je ne puis m’empêcher d’y voir une volonté de ne pas se consoler du meurtre même qu’on prétend justifier par notre défense. Le meurtre, c’est le meurtre. Les enfants des autres, ce sont les nôtres. Aujourd’hui, presque partout, il ne s’agit que d’enfants ou d’adolescents. Ils sont la majorité chez les djihadistes. »

    J’ai déjà rapporté les paroles d’humanité que Daniel Barenboïm avait prononcés à Ramallah lors de l’unique concert qu’il a pu réaliser en Palestine, ce ne fut jamais possible en Israël, avec l’orchestre qu’il a créé avec Edward Saïd et composé de musiciens israéliens, palestiniens et arabes :

    « Nous croyons qu’il n’existe pas de solution militaire à ce conflit,
    Nous croyons que les destinées de ces deux peuples palestinien et israélien sont inextricablement liées. […]
    Nombreux sont ceux qui comprendront bientôt que nous avons ici deux peuples pas un.
    Deux peuples liés par un lien très fort philosophique, psychologique et historique à cette région du monde.
    C’est notre devoir d’apprendre à vivre ensemble.
    Nous avons le choix : nous entretuer ou apprendre à partager ce qui peut se partager. »

    C’est ainsi que je reviens à ce poème d’Akhmatova qui parle d’exil.

    Et nous avons deux peuples qui ont été obligés à l’exil. Le premier pour fuir l’antisémitisme, d’abord en Russie puis dans toute l’Europe. Le second peuple parce que le premier est venu sur la terre qu’il habitait.

    Nous avons affaire à deux récits ou deux narratifs comme le disent plutôt les anglo-saxons.

    Probablement qu’il faut revenir à ces deux narratifs et espérer que chacun sache entendre celui de l’autre.

    Afin, que l’avenir ne soit pas de s’entretuer mais d’apprendre à partager ce qui peut se partager.

    L’objectif du gouvernement de Benyamin Netanyahou n’a jamais été de faire la paix mais d’assurer la sécurité d’Israël.

    Il a échoué.

    Le peuple arabe de Palestine se reconnait probablement dans ces vers d’Akhmatova :

    « Honte à ceux qui laissent leur terre
    A leur ennemi triomphant ; »

    Mais aujourd’hui il y a deux peuples sur cette terre, une partie de chacun des peuples veut voir disparaître l’autre peuple.

    Cela ne se fera pas ou alors par des cruautés et des souffrances encore plus terribles qui ne pourront avoir comme conséquence qu’une haine démultipliée qui entrainera d’autres violences et massacres.

    Pour éviter cela, il faut tenter de comprendre l’autre.

    Et trouver une voie vers la Paix

    Pour que les rires remplacent les larmes.

    <1780>

  • Samedi 2 décembre 2023

    « Maria Callas est née il y a 100 ans. »
    La plus grande tragédienne de l’opéra est née le 2 décembre 1923

    Maria Anna Cecilia Sofia Kalogeropoulou, plus connue sous le nom de Maria Callas est née le 2 décembre 1923 au Flower Hospital de New York, sur la Cinquième Avenue et Central Park.

    Maria Callas a changé l’opéra. Elle a fait de la chanteuse d’opéra une actrice, une tragédienne.

    Sa carrière débuta vraiment en 1947. A cette époque, elle vivait aux Etats-Unis et cherchait d’avoir des rôles dans les opéras américains, sans trop de succès.

    Elle était parfaitement inconnue

    Mais un impresario italien, Giovanni Zenatello, était venu aux États-Unis sur la demande du chef d’orchestre italien Tullio Serafin afin de rechercher un soprano pour chanter La Gioconda de Ponchielli aux arènes de Vérone.

    Après avoir emprunté 1 000 dollars à son parrain pour payer son voyage et son séjour, elle est présentée par Zenattelo à Tullio Serafin qui, enthousiaste, l’engage séance tenante.

    Le chef dirige l’œuvre et peu à peu, décèle les extraordinaires possibilités de la jeune diva.

    C’est lui qui fera de Maria « la Callas ».

    Tullio Serafin dira à son sujet :

    « Elle était si étonnante, si imposante physiquement et moralement, si certaine de son avenir. Je savais que cette fille, dans un théâtre en plein air comme l’est Vérone, avec sa voix puissante et son courage, ferait un effet démentiel. »

    Lors d’une interview de 1968, la cantatrice admettra quant à elle que son travail sous la direction de Serafin a été :

    « La chance de ma vie […] Il m’a enseigné qu’il doit y avoir une formulation ; qu’il doit y avoir une justification. Il m’a enseigné le sens profond de la musique, la justification de la musique. J’ai réellement, véritablement absorbé tout ce que je pouvais de cet homme. »

    Sa dernière apparition lors d’un spectacle d’opéra eu lieu de 5 juillet 1965 au Covent Garden de Londres.

    Il s’agit en fait d’une carrière de 18 ans, pendant laquelle elle donnera 595 représentations et concerts, tiendra 42 rôles et enregistrera 26 intégrales d’opéra

    Et c’est lors de ces 18 ans de carrière qu’elle forgera sa légende.

    Elle est morte, seule, déprimée à 53 ans, le 16 septembre 1977, dans son appartement parisien au troisième étage du 36 avenue Georges-Mandel, où ses seules occupations étaient d’écouter ses vieux enregistrements et de promener ses caniches en empruntant chaque jour le même itinéraire : rue de la Pompe, rue de Longchamp et rue des Sablon.

    En 2017, pour les 40 ans de la mort de cette extraordinaire artiste, j’avais rédigé deux mots du jour :

    « La diva, c’est celle qui apporte l’exemple d’un travail, d’une discipline et d’une grande maîtrise du métier »

    « J’ai vécu d’art, j’ai vécu d’amour »

    Dans ce second mot du jour j’évoquais sa relation avec ce marchand grec qui avait pour nom Onassis et qui savait amasser beaucoup d’argent mais pas rendre heureux ses proches.

    Le centenaire donne lieu à beaucoup de publications médiatiques.

    Sur la plateforme de replay de France TV on trouve le remarquable documentaire de Tom Volf : <Maria by Callas>. Il sera disponible jusqu’au 16/12/2023.

    Et puis il y a 64 émissions, et d’autres sont annoncées, proposées par Radio France sur cette page : < Callas, le podcast>

    L’Opéra de Paris lui rend également hommage : <Hommage à Maria Callas>

    Le 2 décembre, L’Opéra de Paris propose un Gala Maria Callas qui sera retransmis le 8 décembre 2023 sur France 5, lors d’une soirée spéciale consacrée à Maria Callas.

    L’Opéra de Paris la présente ainsi :

    « Cantatrice magnétique et tragédienne bouleversante, Maria Callas a transformé l’art du jeu et du chant à l’opéra. »


    Elle fut une artiste unique, bouleversante, probablement, pour l’éternité, la plus grande de toutes les chanteuses d’opéra.

    Sa vie fut une tragédie, mais, comme elle le dit à fin du documentaire de Tom Volf <Maria by Callas>, elle eut aussi de nombreux témoignages d’admiration et de remerciement de toutes celles et de tous ceux qui surent ouvrir leurs oreilles et surtout leur cœur à la beauté, la sensibilité et l’émotion du chant et du jeu de Maria Callas.

    <1779>

  • Vendredi 1er décembre 2023

    « Une fleur s’épanouira à l’improviste. »
    Inna Sokolova

    Les temps sont lourds.
    Notre espèce continue à détruire la biosphère qui constitue l’écrin de notre vie.
    Elle continue à s’auto-détruire dans des conflits meurtriers dont nul ne voit l’issue.

    Elle poursuit des chimères de l’homme augmenté alors que c’est la sensibilité et la résilience humaine qu’il faudrait faire croitre.

    Difficile, par moment, de ne pas se résoudre à conclure que nous sommes une sale race et que le vivant serait plus harmonieux sur terre, sans nous.

    Et puis, il y a des soirées, des moments, hors du temps qui nous redonne espoir, élève l’âme.

    Quasi comme chaque année, le pianiste Grigory Sokolov, s’est arrêté ce lundi 27 novembre, à l’auditorium de Lyon, pour un moment de grâce.

    Il a joué Bach puis Mozart puis, comme souvent, six bis, parce que le lien, l’échange avec le public est si fort que la séparation ne peut être que lente et prendre beaucoup de temps.

    Dans le programme de son concert à <Baden Baden du 11 novembre>, avec le même programme qu’à Lyon, la présentation du concert affirme :

    « C’est le meilleur de tous les pianistes, déclare Daniel Barenboim à propos de Grigory Sokolov »

    A Lyon, il a joué cette œuvre de Bach <Jean-Sébastien Bach : Partita N° 2 BWV 826> (Audio uniquement)

    Pour le voir jouer il faut écouter la partita précédente : <Jean-Sébastien Bach : Partita N° 1 BWV 825>

    Partout où il passe les éloges viennent à sa rencontre. Ainsi le journal suisse <Le Temps> écrit :

    « Physiquement, c’est un colosse. Mais à l’intérieur, c’est un poète – un poète de l’indicible »

    Tout le monde pourtant n’est pas convaincu.

    Le grand pianiste français Philippe Cassard dans son émission <Portraits de famille> avoue :

    « Je ne comprends rien, ou si peu à l’esthétique, au gout, aux choix interprétatifs qui sont les siens depuis dix ans. »

    Il a réalisé cependant deux longues émissions consacrées à Sokolov, mais uniquement à ses jeunes années pendant les lesquelles Cassard reconnaît le génie et ajoute que celles-ci ne sont :

    « Pas encore contaminé par cette surcharge expressive, ce maniérisme de chaque note, cette appétence pour des tempos lentissimes qui dénaturent, selon moi, le langage des compositeurs. »

    Disons qu’il ne comprend pas ce que comprenne des milliers d’auditeurs comme ceux de l’auditorium de Lyon.

    A Bruges, pour le même programme on lit :

    « L’interprétation de Sokolov se déploie avec une telle évidence qu’il parvient à captiver ses auditeurs dès les premières notes.
    Entre douceur, tranchant et raffinement, l’impressionnante précision avec laquelle Grigory Sokolov effleure les touches du clavier dépasse l’imagination.
    Quoi qu’il joue, Sokolov est le maître des moments suspendus. »

    Au Théâtre des Champs Elysées on cite directement Grigory Sokolov :

    « L’essence de l’interprétation, c’est l’amour profond que l’on porte à une pièce, assorti à la liberté intérieure de l’interprète »,

    Grigory Sokolov est né à Léningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg) le 18 avril 1950.

    J’avais déjà, lors d’un concert précédent à Lyon en 2018, consacré un mot du jour à cet interprète hors norme : <Grigory Sokolov>

    Alors, pourquoi en reparler, alors qu’il est si difficile de trouver les mots à placer sur de tels moments ?

    C’est parce que, par hasard, dans mon butinage numérique, j’ai trouvé Christian Bobin qui parlait de Grigory Sokolov.

    Et il ne parlait pas que de Grigory Sokolov mais aussi de son épouse Inna Sokolova dont je n’avais jamais entendu parler.

    J’ignorais même qu’il fût marié.

    Christian Bobin était invité en Suisse, pour faire une conférence le 7 octobre 2022, à Crans-Montana. Conférence qui avait pour titre « Variations Bobin »

    La veille, il était interviewé à la Radio Suisse RTS pour parler notamment de son dernier livre paru : « Le Muguet rouge ».

    Je parle des dates, parce que le 6 octobre 2022, il ne restait plus que 50 jours de vie au poète.

    Christian Bobin écrivait dans « Autoportrait d’un radiateur »

    « Ma vie, ou du moins la part la plus déliée de ma vie, la moins obéissante, celle que j’appelle, faute de mieux : mon âme, mon âme, donc, grimpe sur la fumée qui s’élève d’un jardin, traverse les roses qui somnolent dans la cuisine, danse sur la couverture des livres qui m’entourent, ignore superbement les pages de ce carnet et moi je l’attends un peu bête, un peu creux, pigeonnier vidé de ses pigeons.
    Cette histoire se reproduit souvent.
    Elle ne m’inquiète pas, même si je devine qu’un jour elle ira à son terme : mon âme se rendant si légère qu’elle oubliera de revenir et que quelqu’un dira de moi : « il est mort », puisque c’est ainsi que l’on nomme ce genre de figure. »

    Il avait donné aussi une interview au quotidien « La Vie » en septembre 2022, toujours à l’occasion de la sortie de son livre « Muguet Rouge » et il avait alors opposé deux types de mort :

    « Il y a une mort dont on se remet paradoxalement assez bien, c’est celle qui arrive à chacun de nous par la loi de la nature.
    Une fleur éclot sur terre, donne sa lumière, séduit quelques abeilles et, le soir venu, se replie sur elle-même, fane et meurt.
    Il en va de même pour nous : nous sommes voués à une mort qui n’est pas un abandon de souveraineté mais une métamorphose.
    C’est une chose qu’il serait folie de vouloir empêcher, comme les apprentis sorciers de la Silicon Valley en ont le sinistre projet.
    Car la mort est un sacre pour chacun, fut-il le plus pauvre ou le plus mal famé, on est confié à ce moment-là aux bras innombrables de l’invisible.

    Mais il y a une deuxième sorte de mort, dont il est difficile de sortir une fois qu’on y est entré.
    Elle est à l’intérieur même de la vie courante et nous est donnée par les injonctions du monde et la nécessité non expliquée de penser et d’agir de plus en plus vite, d’aimer de moins en moins, de vouloir de plus en plus.
    Cette mort-là, absolument désolante, dont personne ne porte le deuil, j’ai souhaité la montrer au plus près dans le Muguet rouge.
    C’est une mort sournoise qui commence par vider les yeux, et ensuite le cœur. »

    Mais revenons à l’entretien qu’il a donné le 6 octobre 2022 à RTS « Le muguet rouge de Christian Bobin, du rêve au roman »

    C’est tout à la fin de l’entretien qu’il parle de Sokolov et de son épouse, cela commence à 23:00

    Le journaliste révèle que Christian Bobin a amené quelques textes de poèmes qu’il envisage de lire le lendemain lors de la conférence :

    « C’est uniquement de la poésie russe : Akhmatova, Mandelstam et un poème de l’épouse du grand, très très grand, pur pianiste russe Sokolov.
    Je pourrais vous parler quelques minutes de Sokolov et lire un poème de son épouse. »

    Je note qu’il cite deux des plus immenses poètes russes : Anna Akhmatova et Ossip Mandelstam et qu’il y associe Inna Sokolova.

    Et, il parle d’abord de Grigory Sokolov :

    « J’ai découvert Grigory Sokolov il y a quelques mois […].
    Qu’est-ce que j’ai découvert avec lui ?
    J’ai découvert …
    Imaginez-vous vous vous êtes dans une maison assez modeste, assez simple, à la campagne.
    Vous ouvrez la fenêtre, tous les jours. Et devant vous il n’y a rien, presque rien. Il y a une étendue un peu monotone, un peu lasse d’herbes.
    Et quelques herbes folles qui essaient, à la gitane, à faire danser tout cela.
    Tous les jours comme ça.
    Et un matin, vous ouvrez la fenêtre et il y a un arbre qui a poussé en une seule nuit.
    Et cet arbre, c’est Sokolov.
    Je ne savais pas qu’un musicien pouvait atteindre à la souplesse, à la fermeté et à la rigueur extrême de quoi ? d’un érable ou même d’un sapin, ou d’un bouleau. Disons un bouleau, puisque nous sommes en terre russe, il s’agit d’un pianiste russe.
    Et je me trouve, avec lui, devant une montagne qui est à la fois infranchissable et rassurante.
    Je n’ai jamais entendu Schubert joué comme cela, que par cet homme.
    Je n’ai jamais entendu Haydn joué comme cela […]
    C’est toujours plus ou moins joué par des braves musiciens dont je ne conteste pas la grandeur.
    Mais c’est toujours joué par des musiciens qui me revête peu à peu, quand je les écoute, d’un col de dentelle, de jabot, d’un chapeau à plume, de petites bottines du grand siècle.
    Je me retrouve dans un siècle qui n’est pas le mien et du coup il y a quelque chose qui est un peu chagrin.
    Ce n’est pas tout à fait aujourd’hui.
    Je voudrais juste qu’aujourd’hui soit aujourd’hui.
    Je voudrais juste que le présent soit la déchirure des rideaux du temps.
    L’ouverture du fini à l’infini.
    Et ça c’est ce que je trouve dans le jeu de Sokolov quand il joue Haydn.
    C’est primesautier, c’est enfantin, c’est culotté, c’est audacieux.
    Ce n’est pas non plus le monsieur qui dit : je veux vous montrer comme je vous domine tous. Je veux vous montrer quelque chose que vous n’avez jamais entendu.
    Il ne veut rien nous montrer Sokolov. Il devient la partition, il devient le musicien.
    Et Schubert, c’est pareil quand il se met à poser sa main sur l’épaule de Schubert, c’est extraordinaire. […]
    C’est un monstre magnifique. C’est un monstre parce qu’il est humain de part en part.
    Aujourd’hui c’est devenu monstrueux d’être humain.
    Heureusement, il y a quelques-uns comme cela. »

    Bobin parle de Sokolov jouant Haydn. Pour vous donner une idée voici une sonate de Haydn : <Haydn: Piano Sonata N° 47 Hob. XVI-32>

    Et puis il évoque son épouse :

    « Sa femme, elle est sa part secrète, elle est sa part vivante, elle est plus que tout, elle est plus que le piano pour lui.
    Il faut savoir que pour Sokolov, la musique c’est tout, tout le temps, toutes les secondes, toutes les minutes, même quand il ne joue pas.
    A coté de ce tout, tout le temps […] à côté de ce qui pour lui est l’absolu, il y a encore plus que l’absolu, il y a encore plus que le tout.
    Et le tout, plus grand que le tout, l’absolu plus grand que l’absolu, s’appelait, s’appelait parce qu’elle n’est plus de ce monde, Inna comme Inné.
    Et elle porte le nom, avec cette belle coutume russe qui ajoute un « a » au nom de l’époux, Anna Sokolova.
    Elle écrivait des poèmes qu’elle n’a jamais montré qu’à un tout petit entourage.
    J’en ai trouvé trace dans un livret qui accompagnait un récital de son mari.
    Très peu, Six ou Sept poèmes, c’est tout ce que je peux connaître.
    Cela n’a jamais été imprimé.
    Et elle met parfois en bas du poème, une petite note qui explique les circonstances de l’écriture.
    Il lui est arrivé, un jour, d’être tellement bouleversé par le début du jeu de son mari, qu’elle se retire de la salle, tellement c’est fort, qu’elle préfère écouter derrière la porte, comme un enfant. »

    Inna Sokolova est morte en 2013.

    Christian Bobin lit un de ses poèmes qu’elle a écrit dans une situation comparable à celle qu’il vient de décrire. »

    « Seigneur sauve-moi, retiens-moi
    Dans ses mains, le piano est si tendre
    Ne te presse pas d’apaiser les amoureux
    La séparation est inévitable
    Que leur dialogue ailé nous dise quelque chose de toi
    Et donne aux soucis de la vie de reclus, à la foule
    L’ordre d’écouter
    Le cri dans le berceau s’éteindra
    Une fleur s’épanouira à l’improviste
    La vie nous offre rarement un instant où avoir envie de prier »
    Inna Sokolova

    Et Christian Bobin, deux mois avant son départ de la vie, finit cet entretien ainsi :

    « Et je me permets de répéter ces deux vers, comme on peut répéter un morceau, une petite trouvaille en musique :
    « Le cri dans le berceau s’éteindra
    Une fleur s’épanouira à l’improviste »

    Une fleur s’épanouira à l’improviste
    C’est tout ce que je vous souhaite,
    En parlant demain à Crans-Montana
    En écrivant un nouveau livre,
    En lisant, en regardant qui est en face, partout.
    Une fleur s’épanouira à l’improviste
    Je ne vois pas quoi souhaiter de plus vif. »

    Inna Sokolova, Grigory Sokolov et Christian Bobin sont des inspirateurs, des enchanteurs de l’âme, des médecins de la détresse.

    Pour finir deux des six bis que Grigory Sokolov a joué, lundi, à l’auditorium :

    <Chopin Prélude N°15 opus 28>

    <Bach/Siloti Prélude en si>

    <1778>

  • Mardi 21 novembre 2023

    « Ils ne voient qu’une chose : nous sommes venus et nous avons volé leur pays. Pourquoi l’accepteraient-ils ? »
    David Ben Gourion en 1956 en parlant des arabes, propos reproduit par Nahum Goldmann dans « Le Paradoxe juif »

    Depuis un mois, il y a un grand effort de la part des médias pour rappeler ce que la situation au Moyen-Orient doit à l’Histoire et notamment à l’histoire du sionisme.

    Le sionisme, c’est-à-dire créer un État pour les juifs, est une réponse à l’antisémitisme millénaire

    La prise de conscience a d’abord lieu dans la Russie tsariste, dans les années 1880.

    L’assassinat d’Alexandre II, le 13 mars 1881, déclenche, en effet, une vague de pogroms jusqu’à l’été 1884.

    Les massacres et les pillages, encouragés par l’autocratie d’Alexandre III, rappellent brutalement aux Juifs qu’ils ne sont que tolérés en Russie.

    Dès lors, beaucoup d’entre eux choisiront la rupture avec la Russie – rupture « mentale » par l’engagement dans les mouvements révolutionnaires, rupture « physique » par l’émigration.

    La masse des expatriés (600 000 sur plus de cinq millions de Juifs russes entre 1881 et 1903) s’installera aux États-Unis. Mais une partie d’entre eux optera pour une solution radicale : l’installation en Erefz Israël (la Terre d’Israël), où ils édifieront des villages qui formeront la base d’une société juive autonome.

    Cette émigration vers la Palestine qui est une province, administrée depuis 1517, par l’Empire ottoman portera pour nom « Aliya »

    Un mouvement sera créé en Russie par un médecin d’Odessa Léo Pinsker (1821-1891) : « Les Amants de Sion »

    C’est dans ce cadre que va germer l’idée que la survie des Juifs nécessite la reconstitution d’une patrie en Palestine

    David Ben Gourion, premier Premier ministre de l’État d’Israël, l’homme qui a proclamé la création de l’Etat d’Israël est né le 16 octobre 1886, en Pologne, dans la partie qui était alors intégrée dans l’Empire russe.

    Son père était professeur d’hébreu et membre des Amants de Sion

    David Ben Gourion émigrera en 1906, dans ce que les historiens appelleront la deuxième Aliya.

    Mais la formidable dynamique du « sionisme » sera surtout l’œuvre de Theodor Herzl (1860-1904), fils de négociants hongrois aisés, devenu journaliste à Vienne.

    Il sera le vrai fondateur du mouvement sioniste au « congrès de Bâle en 1897 » et l’auteur de « Der Judenstaat » (L’État des Juifs) en 1896 dans lequel il explique comment il pense possible, avec l’appui de la communauté internationale, d’obtenir une souveraineté sur un territoire déterminé.

    Il y aura des discussions sur ce territoire, on parle de l’Argentine, ou encore de l’Ouganda, mais le terme utilisé de « Sion » qui est le nom biblique d’une colline de Jérusalem, laissait quand même prévoir que le territoire espéré était celui qui naguère, au début de l’ère chrétienne, avait pour nom Judée, Galilée et Samarie.

    Mais il faudra encore la première guerre mondiale et l’intervention pertinente de Chaim Weizman, inventeur de l’explosif Acetone, pour que l’Empire Britannique accepte l’idée d’«un foyer national juif en Palestine » dans la « Déclaration Balfour ».

    Cet épisode historique, je l’ai déjà raconté dans le mot du jour du < 17 mars 2015>

    Chaim Weizman sera Président de l’Organisation Sioniste Mondiale, par deux fois, de 1920 à 1931, puis de 1935 à 1946, avant de devenir le premier président de l’État d’Israël entre 1949 et 1952.

    Et puis il faudra la seconde guerre mondiale, la Shoah, la création de l’ONU, le plan de partage de la Palestine voté à l’ONU le 29 novembre 1947 entre un État juif et un État arabe et enfin la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël, le 14 mai 1948, dernier jour du mandat britannique sur la Palestine dans le hall du Musée d’art de Tel Aviv par David Ben Gourion.

    L’État arabe n’a pas été créé jusqu’à présent.

    En 1948, la Palestine comptait 2/3 d’arabes musulmans et chrétiens et 1/3 de juifs.

    Nahum Goldmann était aussi né dans l’Empire russe, le 10 juillet 1895 en Biélorussie, il est mort en 1982. Il était également dirigeant du mouvement sioniste.

    Il a écrit en 1976, un livre « Le Paradoxe juif », sous-titré « Conversations en français avec Léon Abramowicz »

    Lors de la Seconde Guerre mondiale, Nahum Goldmann s’établit aux États-Unis et participa activement aux négociations en faveur de la création de l’État d’Israël.

    En 1948, il est l’un des leaders de la Confédération sioniste et à partir de 1956, son président ; il est également ensuite président du Congrès juif mondial.

    Il eut un rôle primordial dans les négociations de l’accord de réparations avec l’Allemagne

    Il était un ami intime de David Ben Gourion, même si leurs relations furent parfois tumultueuses.

    Il écrit :

    « Nous nous sommes souvent affrontés, tant en public, qu’en privé, mais, en dépit de nos différents, surtout en ce qui concernait la politique arabe, nous étions fort liés et chez David Ben Gourion, j’ai toujours admiré l’homme d’État. »
    Le Paradoxe juif page 115

    Il en fait un portrait élogieux mais sans concession :

    « Il fut non seulement un grand homme d’Etat, mais aussi un diplomate et un politicien très habile, très rusé, en vérité l’un des meilleurs que je n’aie jamais connus. Une promesse de lui ne valait rien du tout. Il n’hésitait pas à promettre une chose et ensuite à faire le contraire. Il était tout à fait dénué de scrupules. Il n’a jamais poursuivi d’autres but que de réaliser l’idéal sioniste et d’assouvir son immense ambition. […]
    J’ai connu beaucoup d’hommes d’État, mais presque aucun n’ayant son sens historique. Il était persuadé que chaque mot qu’il prononçait l’était pour l’éternité. »
    Le Paradoxe juif Page 116

    En résumé, ils étaient d’accord sur tout, sauf sur la politique Arabe.

    Ben Gourion ne voulait pas lui confier les négociations avec les Arabes. Après avoir encensé tous ses talents, notamment de diplomate, Ben Gourion a posé ce jugement :

    « Tu as donc le droit de te demander pourquoi je ne te charge pas du problème qui décidera de l’avenir de l’État d’Israël : la paix avec les Arabes. Je vais t’en expliquer les raisons…
    [Dans tes missions précédentes avec les hommes politiques américains, avec Adenauer] A ces hommes tu as parlé d’égal à égal car vous partagez les mêmes qualités. Mais avec les Arabes, qui sont des barbares, tous tes dons n’ont aucune valeur. Ni ta culture, ni ton charme, ni ton art de la persuasion n’auraient d’effet sur eux. Eux ne comprennent que la manière forte, et la main de fer, c’est moi, pas toi. Voilà l’explication. »
    Le Paradoxe juif pages 118 et 119.

    Alors que Nahum Goldmann était persuadé que : « sans un accord avec les Arabes, Israël ne connaîtrait pas d’avenir à long terme. » Le Paradoxe juif page 121

    Et Nahum Goldmann va révéler un échange qu’il aura dans l’intimité de la cuisine de l’habitation de David Ben Gourion. Je cite l’intégralité de ce passage avec son introduction :

    « En effet, il m’est souvent apparu que chez les hommes d’État, le caractère l’emporte sur l’intelligence.
    Nombre d’entre eux comprennent avec leur cerveau ce qu’il convient de faire, mais leur caractère leur interdit de le réaliser.
    Ce comportement est typique de Ben Gourion : je vais en donner un exemple que je n’oublierai jamais.
    Un jour, ou plutôt une nuit de 1956, je suis resté chez lui jusqu’à trois heures du matin. Nos véritables conversations se déroulaient souvent dans la cuisine et, comme à l’accoutumée il voulait que sa femme Paula allât dormir. Comme elle insistait pour rester, Ben Gourion me disait : « Nahum, tu es le seul qu’elle respecte. SI je lui demande, elle n’ira pas dormir, mais, si toi tu l’en pries, elle acceptera. » Je disais donc à Paula : «  Fais moi plaisir, va te coucher », puis Ben Gourion préparait du café et des sandwiches.
    Cette nuit-là, une belle nuit d’été, nous eûmes une conversation à cœur ouvert sur le problème arabe.

    « Je ne comprends pas ton optimisme », me déclara Ben Gourion.
    « Pourquoi les Arabes feraient-ils la paix ? Si j’étais, moi, un leader arabe, jamais je ne signerais avec Israël. C’est normal : nous avons pris leur pays.
    Certes, Dieu nous l’a promis, mais en quoi cela peut-il les intéresser ? Notre Dieu n’est pas le leur.
    Nous sommes originaires d’Israël, c’est vrai, mais il y a de cela deux mille ans : en quoi cela les concerne-t-il ?
    Il y a eu l’antisémitisme, les nazis, Hitler, Auschwitz, mais était-ce leur faute ?
    Ils ne voient qu’une chose : nous sommes venus et nous avons volé leur pays. Pourquoi l’accepteraient-ils ?
    Ils oublieront peut-être dans une ou deux générations, mais, pour l’instant, il n’y a aucune chance.
    Alors, c’est simple : nous devons rester forts, avoir une armée puissante.
    Toute la politique est là. Autrement, les Arabes nous détruiront. »
    J’étais bouleversé par ce pessimisme, mais il poursuivit :
    « J’aurai bientôt soixante-dix ans. Eh bien, Nahum, me demanderais-tu si je mourrai et si je serai enterré dans un État juif que je te répondrais oui : dans dix ans, dans quinze ans, je crois qu’il y aura encore un État juif.
    Mais si tu me demandes si mon fils Amos, qui aura cinquante ans à la fin de l’année, a des chances de mourir et d’être enterré dans un État juif, je te répondrais : cinquante pour cent. »
    Mais enfin, l’interrompis-je, comment peux-tu dormir avec l’idée d’une telle perspective tout en étant Premier ministre d’Israël ?
    « Qui te dit que je dors ? » répondit-il simplement. »
    Le Paradoxe juif pages 121 et 122

    Nous sommes 67 ans après cet échange de 1956.

    Le pessimisme de Ben Gourion a été démenti, Israël est toujours puissant, l’État a une armée redoutable et dispose d’une modernité technologique à la pointe.

    Mais il n’a pas résolu le problème Arabe. 3 générations après, les palestiniens n’ont pas oublié.

    Nahum Goldmann écrit :

    « Les Arabes ont, eux, la même mémoire historique que les Juifs. La race sémite est très entêtée et n’oublie rien.
    Lors d’un grand meeting à Sydney, en Australie, j’ai dit que le malheur d’Israël était d’avoir pour adversaires les Arabes et non plus les Anglais. En effet, les Anglais ont le génie de l’oubli ; en l’espace d’une génération, ils ont perdu le plus grand empire du monde et, malgré cela, ils sont très heureux : le plus grand souci populaire fut longtemps de savoir qui épousera la princesse… Imaginez-vous les Juifs dans cette situation ? Il y a deux mille ans, le temple de Jérusalem fut détruit et, chaque année, pour commémorer cette destruction, nous observons un jour de jeûne. Si nous avions perdu un empire équivalant à celui des Anglais, nous devrions jeûner deux fois par semaine pendant vingt siècles !
    Et les Arabes sont comme nous. C’est une idée tout à fait naïve de croire qu’ils finiront par oublier notre présence en Palestine, qu’ils se feront une raison ».
    Le Paradoxe juif page 241

    Bien sûr cela n’excuse en rien les actes inhumains que les membres du Hamas ont commis le 7 octobre.

    Cela explique cependant pourquoi les peuples arabes ne condamnent pas le Hamas, même s’ils n’approuvent pas leur barbarie.

    Ils ont toujours en mémoire ce que Ben Gourion reconnaissait en toute lucidité « nous avons pris leur pays » et « les nazis, Hitler, Auschwitz » n’étaient pas la faute des arabes.

    Et il n’y a toujours pas d’État Palestinien !

    Et la colonisation en Cisjordanie rend cette perspective quasi impossible.

    Je n’ai pas de solution miracle à proposer, mais il me semble que cet éclairage est nécessaire pour comprendre ce qui se passe.

    Le Hamas est une organisation islamiste, nihiliste en ce sens que ce qui lui importe n’est pas le bien être du peuple palestinien sur cette terre, mais l’installation d’un régime islamiste, sur ce territoire, pour la vie après la mort.

    La colère et la haine des israéliens contre le Hamas est compréhensible.

    Mais éradiquer le Hamas ne suffira pas, si toutefois Israël y parvient.

    Et si cette éradication se fait au prix de la destruction de toute possibilité de vie à Gaza, et au prix d’un nombre de plus en plus grand de victimes innocentes, la haine ne fera que s’exaspérer.

    Nahum Goldmann développe dans son livre cette vision certes utopique :

    « Si j’avais rencontré Nasser, j’aurais aimé lui dire ceci « Vous autres Arabes êtes un peuple très généreux. Votre rencontre avec les Juifs au cours de l’histoire a été meilleure que la nôtre avec les chrétiens. Vous nous avez persécutés, mais nous avons également connu des périodes de coopération merveilleuse : en Espagne, à Bagdad, en Algérie… Alors restez généreux. Notre peuple est malheureux. J’admets que la Palestine vous appartenait d’après les lois internationales. Mais nous avons tant souffert depuis deux mille ans, nous avons perdu un tiers de notre population parce que nous n’avions pas de territoire. Alors cédez-nous au moins un pour cent du vôtre et garantissez notre existence. Soyez avec l’Amérique, la Russie et la France l’un des garants de la survie d’Israël. »
    Je suis persuadé qu’un tel discours aurait eu une grande influence psychologique sur les Arabes, en leur donnant un sentiment de fierté, voire d’égalité. J’en ai d’ailleurs parlé avec quelques leaders arabes qui étaient fascinés par cette idée ; hélas ! il ne semble pas qu’Israël choisisse cette voie-là. »

    Le Paradoxe juif page 106

    <1777>

  • Vendredi 17 novembre 2023

    « C’était un temps déraisonnable. On avait mis les morts à table […] Moi si j’y tenais mal mon rôle. C’était de n’y comprendre rien. »
    Louis Aragon, « Le roman inachevé »

    « Le roman inachevé » est une des plus grandes œuvres de Louis Aragon (1897-1982).

    C’est une des six œuvres que j’ai eu la chance d’étudier lors de mon passage inabouti en classe préparatoire scientifique dans les années 1976 à 1979.

    On décrit cet ouvrage sous la forme « d’une autobiographie poétique ».

    Aragon parle de son passé et en fait un recueil de poésie.

    Le livre est divisé en trois parties et chaque partie comprend des thèmes.

    Le dernier thème de la 1ère partie a pour titre : « La guerre et ce qui s’en suivit »

    La guerre dont il s’agit est celle de 1914-1918.

    Il est mobilisé en 1917 et rejoint le front au printemps 1918 comme médecin auxiliaire.

    La page Wikipedia qui lui est consacrée rapporte :

    « Sur le front, il fait l’expérience des chairs blessées, de la violence extrême de la Première Guerre mondiale, d’une horreur dont on ne revient jamais tout à fait mais qui réapparaîtra constamment dans son œuvre et qui est à l’origine de son engagement futur pour la paix. Il reçoit la croix de guerre et reste mobilisé jusqu’en juin 1919 en Rhénanie occupée, épisode qui lui inspirera le célèbre poème «  Bierstube Magie allemande. » »

    En réalité, les poèmes ne portent pas de titre et on les nomme par leur premier vers, ainsi de celui-ci dont je cite la première strophe :

    « Bierstube Magie allemande
    Et douces comme un lait d’amandes
    Mina Linda lèvres gourmandes
    Qui tant souhaitent d’être crues
    A fredonner tout bas s’obstinent
    L’air Ach du lieber Augustin
    Qu’un passant siffle dans la rue

    Léo Ferré fera de ce poème une chanson qu’il nommera : « Est-ce ainsi que les hommes vivent »

    Car il ajoutera un refrain de deux vers qui sont dans la quatrième strophe :

    « Est-ce ainsi que les hommes vivent
    Et leurs baisers au loin les suivent »

    Mais la chanson de Léo Ferré débute à la cinquième strophe :

    « Tout est affaire de décors
    Changer de lit changer de corps
    À quoi bon puisque c’est encore
    Moi qui moi-même me trahis
    Moi qui me traîne et m’éparpille
    Et mon ombre se déshabille
    Dans les bras semblables des filles
    Où j’ai cru trouver un pays »

    La septième strophe du poème et troisième de la chanson est la suivante :

    « C’était un temps déraisonnable
    On avait mis les morts à table
    On faisait des châteaux de sable
    On prenait les loups pour des chiens
    Tout changeait de pôle et d’épaule
    La pièce était-elle ou non drôle
    Moi si j’y tenais mal mon rôle
    C’était de n’y comprendre rien »

    C’est Pierre Servent, spécialiste des questions de défense, pendant 20 ans professeur de stratégie d’influence à l’Ecole de guerre; qui pour dire que nous ne pouvons pas être certain que des décisions raisonnables vont être prises dans le conflit à Gaza, a rappelé ces vers d’Aragon « C’était un temps déraisonnable. On avait mis les morts à table ».

    Il était l’invité, ce jeudi 16 novembre de la matinale de France Inter : <Quelle est la stratégie militaire d’Israël ?>

    Il n’était pas raisonnable que Poutine attaque l’Ukraine, il l’a fait pourtant.

    Il était raisonnable cependant pour l’Azerbaïdjan de s’emparer du Haut Karabakh car les Azéris savaient que personne ne réagirait et c’est ce qui s’est passé.

    Dans la guerre de Gaza, il y a beaucoup de choses déraisonnables et d’autres qui pourraient encore arriver.

    En tout cas, « on a mis les morts à table », expression que je comprends comme le fait que ces guerres font de plus en plus de morts et qu’ils s’invitent à notre table par les informations et le sinistre décompte des victimes de chaque camp.

    Ce que nous disons, en France, sur ce conflit n’a aucun effet sur ce qui se passe là bas.

    Mais en France aussi est venu un temps déraisonnable.

    Les actes antisémites ont explosé, nos concitoyens juifs ont peur.

    Mais Jean-Luc Melenchon n’a pas voulu aller à la marche contre l’antisémitisme. Le 7 novembre à 8:12 PM il a tweeté :

    « Dimanche manif de « l’arc républicain » du RN à la macronie de Braun-Pivet. Et sous prétexte d’antisémitisme, ramène Israël-Palestine sans demander le cessez-le-feu. Les amis du soutien inconditionnel au massacre ont leur rendez-vous. »

    Selon la déraison de cet homme, il n’est pas possible de séparer de manière étanche les actes antisémites en France et la guerre d’Israël contre le Hamas

    Et donc selon cette logique, les français juifs sont tous responsables de la politique que mène le gouvernement d’Israël. Sinon, s’ils ne sont pas responsables, il n’est pas admissible qu’il fasse l’objet de menace, insulte ou agression. Et donc s’ils ne sont pas responsables, il est normal de défiler contre l’antisémitisme.

    Le Président de la République a également refusé de défiler.

    En 1990, le Président d’alors, François Mitterrand avait défilé.

    Il est vrai qu’au moment de cette manifestation, il était clair dans l’esprit de tous que les coupables des profanations du cimetière juif de Carpentras étaient d’extrême droite. Ce qui s’est avéré faux après enquête.

    Les actes antisémites, contre lesquels il s’agissait de défiler sont majoritairement commis par des personnes qui sont révoltées par le destin du peuple palestinien. Beaucoup sont d’origine musulmane.

    Il y a donc une lutte noble contre l’antisémitisme, celle qui vient de l’extrême droite.

    Et une autre qui l’est moins, celle de l’antisémitisme qui ne vient pas d’extrême droite.

    Le président a expliqué qu’il ne voulait pas fracturer la société française, puis il a dit explicitement

    « Protéger les Français de confession juive, ce n’est pas mettre au pilori les Français de confession musulmane. »

    J’exprime la croyance que la majorité de la communauté musulmane n’est pas antisémite et n’approuve pas les actes commis en France et encore une fois ne juge pas responsable chaque juif de France de ce qui se passe au Proche Orient.

    Il était donc possible et bienvenue, pour une large majorité des musulmans et le Président de la République, de s’associer à cette marche.

    Pour ma part, il m’apparaissait très important de participer à la déclinaison lyonnaise, Place Bellecour, de la marche de Paris.

    Cela ne dit rien de mon opinion sur ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie.

    Mais je dis non à l’antisémitisme. L’antisémitisme est mon ennemi et je trouve très important en tant que non juif de prendre ma part dans sa dénonciation.

    Et je voudrais encore répliquer à certains réticents que dans une guerre on choisit son ennemi, pas ses amis. Lors de la dernière guerre mondiale, le camp allié a choisi son ennemi : Hitler, il n’a pas choisi Staline comme un ami, mais simplement il a fait le constat que dans le combat contre Hitler, ils étaient dans le même camp.

    Nous vivons un temps déraisonnable il n’est plus possible d’entendre les arguments de celles et de ceux qui ne partagent pas exactement les mêmes indignations et les mêmes croyances.

    On n’exprime pas un désaccord, on ne discute plus du tout, on ne lit plus, on n’écoute plus celle ou celui que l’on a classé dans l’autre camp ou même pas suffisamment dans son camp.

    Les pro-israéliens ne peuvent-ils pas entendre qu’il s’est passé des évènements, des actes avant le 7 octobre qui ont eu pour conséquence une explosion de haine du côté palestinien ?

    Les pro-palestiniens ne peuvent-ils pas admettre qu’un acte de résistance aurait du se limiter à attaquer les postes de l’armée israélienne et non pas de s’attaquer à des civils, aux kibboutz , à une manifestation musicale et en plus commettre des actes d’une abomination absolue ?

    Parmi les victimes, il y avait en outre, notamment dans les kibboutz, des hommes et des femmes qui avaient consacré leur vie pour donner une chance à la paix.

    Vivian Silver était l’une d’entre elles. On n’a identifié son corps qu’il y a deux jours. Elle a été tuée le 7 octobre dans le kibboutz Be’eri où elle résidait. Elle était membre de l’ONG Women Wage Peace (WWP) qui regroupe des femmes de tous horizons – juives, chrétiennes, musulmanes, religieuses, athées, orthodoxes, libérales, de droite, de gauche pour œuvrer pour la paix. Elle organisait depuis des années le transfert de Gazaouis ne pouvant être soignés dans l’enclave palestinienne vers des hôpitaux israéliens.

    Il existe bien entendu des hommes et des femmes de lumière dans le camp palestinien.

    Écoutez, cette infirmière américaine, Emily Callahan, qui a passé près d’un mois dans l’enclave palestinienne pour Médecins sans frontières, raconter son expérience avec des soignants palestiniens extraordinaire d’humanité et de dévouement aux autres.

    Les pro-israéliens peuvent-ils entendre que le comportement des colons en Cisjordanie est non seulement inacceptable à l’égard des palestiniens, mais ne peut qu’attiser davantage la haine et surtout rend la paix impossible. Paix qui est la seule solution possible pour que l’État juif puisse vivre en sécurité ?

    D’ailleurs Netanyahu ne veut pas de la paix. La paix l’obligerait à discuter des colonies en Cisjordanie et à les démanteler pour la plus grande part.

    Jean-Louis Bourlanges dans le « Nouvel Esprit Public » du 5 novembre expliquait :

    « Avant le 7 octobre, la seule stratégie M. Netanyahou ait envisagé à propos du problème palestinien, c’était de le régler par le vide : « Il y a des gens à Gaza qui devraient plutôt être chez le maréchal Sissi. Et il y a des gens en Cisjordanie qui devraient plutôt être chez le roi Abdallah II. » […]

    Son choix fondamental, et fondamentalement pervers, a consisté à accepter la confrontation générale. Bien sûr, il n’avait pas imaginé les évènements du 7 octobre, mais comment pouvait-il espérer qu’une organisation aussi démente que le Hamas se contenterait d’encaisser l’argent du Qatar sans préparer quelque chose, alors qu’on sait que ces gens sont habités par des passions destructrices et nihilistes, et qu’ils veulent la mort d’Israël ? M. Netanyahou n’a cessé de jeter de l’huile sur le feu : provocations répétées dans les lieux saints, extensions très violentes des colonies, accompagnée d’une quasi élévation des colons de Cisjordanie au rang de garde nationale … Imaginait-il vraiment que tout cela ne produirait aucun effet ?

    C’était la « théorie du mur », selon laquelle Israël était parfaitement capable de vivre en parfaite inimitié avec son entourage proche : peu importe l’hostilité de l’environnement, tant que le « mur » est assez haut et épais. Israël a des alliés, de l’argent, la meilleure armée du monde, le dôme de fer, bref il s’est cru à l’abri. »

    Le Hamas ne veut pas davantage la paix que Netanyahou. Négocier la paix signifierait accepter l’existence de l’État d’Israël, ce qui est incompatible avec leur volonté de créer un état islamique sur l’ensemble du territoire.

    Et les pro-palestiniens peuvent-ils entendre que le malheur actuel des gazaouis est en grande partie dû à la stratégie et aux actes du Hamas. D’abord en raison de la barbarie démesurée du 7 octobre qui entraîne cette réplique d’une violence inouïe de Tsahal. Ensuite parce qu’ils se protègent derrière les civils de Gaza et que si eux se réfugient dans les tunnels souterrains pour résister aux bombardements, ils laissent les civils recevoir toutes les bombes sans protection ? Le Hamas est d’un cynisme absolu et n’en a que faire des femmes, des enfants et des hommes qui meurent à Gaza. Son objectif n’est pas le bonheur sur terre et chaque victime supplémentaire constitue un carburant supplémentaire pour la haine et le rejet d’Israël que poursuit le Hamas.

    Et on pourrait continuer à interpeller les uns et les autres dans leur déraison.

    Et on continue à « mettre les morts à table ».

    Alors que la seule solution, bien sûr très compliquée, mais c’est la seule qui est viable à terme, c’est de mettre des vivants à la table, des vivants capable de négocier, d’écouter l’autre et de faire des pas vers l’autre. Et aussi remettre au centre de ce conflit la raison du différent qui est territorial. Enfin, en écarter autant que possible le caractère religieux qui est une impasse parce qu’elle écarte le compromis au dépens d’un absolutisme délétère.

    <1776>

  • Jeudi 16 novembre 2023

    « Concert de l’Orchestre de Paris du 15 novembre 2023. »
    Dirigé par Klaus Mäkelä

    J’ai déjà écrit que l’Orchestre de Paris vivait son âge d’or, parce qu’il a choisi, comme directeur musical, un jeune prodige né le 17 janvier 1996 à Helsinki : Klaus Mäkelä

    Comme les autres grands orchestres, l’Orchestre de Paris dispose de sa chaîne Internet : <https://philharmoniedeparis.fr/fr/live>

    Mais contrairement aux autres phalanges, comme le Philharmonique de Berlin, par exemple, ce site est gratuit et ouvert à tous.

    Il vient de mettre en ligne le concert du 15 novembre.

    Ce concert se trouve derrière ce lien : <https://philharmoniedeparis.fr/fr/live/1160923>

    Programme :

    Maurice Ravel : Shéhérazade – Ouverture de féérie

    Camille Saint-Saëns : Concerto pour piano n° 5 « Égyptien »

    Entracte

    John Dowland : Lachrimae Antiquae

    Robert Schumann : Symphonie n° 2

    Le pianiste est Alexandre Kantorow, de 6 mois plus jeune que Klaus Mäkelä et premier français à avoir remporté le prestigieux Concours international Tchaïkovski de Moscou en 2019.

    Ce concert pourra être visionné en ligne en intégralité, jusqu’au 15 mai 2024.


    < Mot du jour éphémère >

  • Jeudi 9 novembre 2023

    « C’est très simple : la haine est un poison et, en fin de compte, on s’empoisonne soi-même. »
    Anita Lasker-Wallfisch, rescapée d’Auschwitz

    Tant de haine se déverse sur ce monde.

    Quel torrent de haine devait couler dans les veines de ces hommes du Hamas pour commettre ces abominations du 7 octobre contre des hommes, des femmes et des enfants simplement parce qu’ils habitaient en Israël.

    Cette haine a alimenté la haine des israéliens qui veulent éradiquer le Hamas et qui se sont lancés dans un bombardement terrifiant d’un territoire qui est une prison puisqu’on ne peut pas en sortir.

    Ces bombes ont-ils pour objectif de détruire les 30 000 à 40 000 combattants que compte cette organisation, au milieu de 2 200 000 palestiniens qui habitent Gaza et plus de 200 otages du Hamas ?

    De part et d’autre, on déshumanise les humains de l’autre camp en les traitant d’animaux.

    La violence et la vengeance que le gouvernement de Benyamin Netanyahou a extériorisé par un déluge de bombes sur la bande de Gaza, sans oublier les exactions que commettent les colons juifs extrémistes, sur le territoire occupé de Cisjordanie, à l’égard des palestiniens a encore augmenté la haine contre Israël dans les peuples arabes, les communautés musulmanes des pays occidentaux et beaucoup de celles et de ceux qui défendent les droits des palestiniens à posséder une patrie.

    Et cet engrenage a réveillé l’antisémitisme dans le monde et dans nos pays, France, Belgique, Royaume-Uni, Allemagne.

    Edgar Morin vient de faire paraître un livre : « Mon ennemi c’est la haine. »

    Augustin Trapenard, l’a interrogé, dans le cadre de son émission « la Grande Librairie » du mercredi 8 novembre.

    Edgar Morin après avoir rappelé que la haine engendre la haine a expliqué que pendant la guerre, dans laquelle il avait été résistant, il ne haïssait pas les allemands, il haïssait juste l’idéologie nazi.

    Ne pas haïr les humains, mais quelquefois les idées qui sont à l’œuvre.

    Hier, j’ai reçu un message d’un site auquel je suis abonné « Resmusica » qui me renvoyait vers un article : « Furtwängler et la violoncelliste Lasker-Wallfisch d’Auschwitz »

    L’article faisait la promotion d’un DVD documentaire qui parlait, un peu, du plus grand chef d’orchestre allemand au milieu du XXème siècle : Wilhelm Furwängler.

    Furwängler s’était compromis avec le régime nazi en continuant à diriger en Allemagne et notamment devant et à l’invitation des dignitaires nazis.

    Mais ce documentaire parlait surtout d’une violoncelliste juive : Anita Lasker-Wallfisch qui a été déportée à 17 ans dans le camp de la mort d’Auschwitz et qui a été incorporé dans l’orchestre des femmes d’Auschwitz ce qui lui a permis de survivre.

    Le rapport entre les deux c’est que Furtwängler est venu diriger cet orchestre ce qui donne comme sous-titre : « Le maestro et la violoncelliste d’Auschwitz ».

    Je ne la connaissais pas, mais grâce à ce message je suis parti à sa découverte.

    Chaque année l’Allemagne commémore une journée souvenir à la mémoire des victimes de la Shoah.

    Le 31 janvier 2018, Anita Lasker Wallfisch avait 92 ans, elle était l’invitée d’honneur du Bundestag et a fait un discours.

    Vous trouverez ce discours en allemand, derrière ce lien : <Anita Lasker-Wallfisch im Bundestag>

    Sur ce site, vous trouverez un extrait de ce discours sous-titré en français : <l’émouvant discours d’une rescapée de l’holocauste >

    Et derrière ce lien : <2018-01-31-Le discours d’Anita Lasker Wallfisch> vous trouverez une tentative de traduction en français de l’intégralité du discours.

    Elle y raconte son histoire, l’arrivée au pouvoir des nazis et l’oppression des juifs à partir de ce moment.

    En 2016 et 2017 de nombreux actes antisémites ont été commis en Allemagne, le parti d’extrême droite AFD est entré au Parlement allemand : <Antisémitisme : en Allemagne, les vieux démons resurgissent>

    Ce qui fait dire à Anita Lasker Wallfisch :

    « L’antisémitisme est un virus vieux de deux mille ans et apparemment incurable. Il mute pour prendre de nouvelles formes : religion, race. Seulement aujourd’hui, on ne dit pas forcément « les Juifs ». Aujourd’hui, ce sont les Israéliens, sans vraiment comprendre le contexte ni savoir ce qui se passe en coulisses.
    On reproche aux Juifs de ne pas s’être défendus, ce qui ne fait que confirmer l’impossibilité d’imaginer ce qu’il en était pour nous à l’époque. Et puis on reproche aux Juifs de se défendre. Il est scandaleux que les écoles juives, même les jardins d’enfants juifs, doivent être surveillés par la police. »

    Elle raconte la brutalité avec laquelle la shoah s’est brutalement montrée aux yeux des juifs :

    « Et puis tout s’est arrêté brusquement. L’exclusion radicale. Il y avait des affiches partout : « Les Juifs ne sont pas les bienvenus ». Nous n’avions plus le droit d’utiliser les piscines ni de nous asseoir sur les bancs publics, et nous devions rendre nos bicyclettes. Les hommes juifs devaient ajouter le nom « Israël » et les femmes « Sarah » à leur nom. Nous avons été chassés de chez nous. Puis nous sommes entrés dans le Moyen-Âge : nous devions porter une étoile jaune, on me crachait dessus dans la rue et on me traitait de sale juif. Notre père, incurable optimiste, ne pouvait pas croire ce qui se passait. Les Allemands ne peuvent tout de même pas accepter cette folie ? »

    Son père avait été soldat allemand en 1914-1918, il avait été décoré. Il était avocat, totalement imprégné de culture allemande. Du point de vue religieux, la famille n’était pas pratiquante, Anita Lasker ne savait même pas ce que signifiait être juif.

    Toute la famille comprend que l’horreur est en route :

    Nos parents ont été déportés le 9 avril 1942. Bien sûr, nous voulions rester ensemble, aller avec eux. Mais notre père nous a sagement dit non. « Là où nous allons, on y arrive bien assez tôt ». Inutile de dire que nous ne les avons jamais revus. J’avais 16 ans.

    Elle sera déportée à Auschwitz un peu plus tard et sera intégrée à l’orchestre des femmes. Elle assistera aux horreurs qui s’y passeront. Elle raconte

    « L’orchestre était installé dans le Block 12, tout au bout de la route du camp, à quelques mètres du Crématorium I et avec une vue imprenable sur la rampe. Nous pouvions tout voir : les cérémonies d’arrivée, les sélections, les colonnes de personnes marchant vers les chambres à gaz, bientôt transformées en fumée.

    En 1944, les transports en provenance de Hongrie arrivent et les chambres à gaz ne peuvent plus suivre. Comme le décrit Danuta Czech dans son remarquable livre Auschwitz Chronicle, 1939-1945 : Le commandant du camp, Höß, ordonna de creuser cinq fosses pour brûler les cadavres. Il y avait tellement de transports que parfois, il n’y avait pas de place dans le crématorium V pour tous les corps. S’il n’y avait pas de place dans les chambres à gaz, les gens étaient fusillés à la place. Beaucoup ont été jetés vivants dans les fosses en feu. J’ai vu cela de mes propres yeux.

    Même si vous n’étiez pas envoyé directement dans la chambre à gaz, personne ne survivait longtemps à Auschwitz – le maximum que vous pouviez espérer était d’environ trois mois. Mais si l’on avait besoin de vous pour une raison ou une autre, vous aviez une chance infime de survivre. J’ai eu cette chance – on avait besoin de moi.

    Nous jouions des marches à la porte du camp pour les prisonniers qui travaillaient dans les usines voisines – IG Farben, Buna, Krupp, etc. – et nous donnions des concerts le dimanche autour du camp pour les personnes qui y travaillaient ou toute autre personne qui souhaitait nous entendre jouer. Pour beaucoup, entendre jouer de la musique dans cet enfer était l’insulte suprême. Mais pour d’autres, peut-être, c’était l’occasion de rêver d’un autre monde, ne serait-ce que pour quelques instants. »

    Elle raconte à propos de cet orchestre :

    « Parfois, je pense que l’orchestre d’Auschwitz était une sorte de microcosme, une société en miniature dont nous pouvons nous inspirer. Toutes les nationalités étaient représentées. C’était une tour de Babel. À qui puis-je parler ? Seulement à ceux qui parlent allemand ou français. Je ne sais pas parler russe ou polonais, donc je ne leur parlerai pas. Au lieu de cela, nous nous regardons avec méfiance et supposons automatiquement que l’autre personne est hostile ; nous ne pensons pas à demander pourquoi l’autre personne a également fini à Auschwitz. »

    A partir de ce constat et d’une expérience elle donne le conseil de construire des ponts :

    « Bien des années après ces événements, je suis en contact étroit avec l’une de ces autres prisonnières, une Polonaise, une aryenne pure qui jouait du violon dans l’orchestre. Nous ne nous sommes jamais parlé à l’époque. Mais grâce à un livre incroyablement mal écrit sur l’orchestre de femmes, nous avons repris contact et nous nous sommes retrouvées à Cracovie. Nous avons encore du mal à trouver une langue commune, mais nous nous parlons et nous nous écrivons en anglais. Bref, nous sommes devenues amies et avons découvert que nous avons bien plus en commun que ce qui nous sépare. Cela peut peut-être servir d’exemple pour les problèmes d’aujourd’hui. Parlez à l’autre. Construisez des ponts. »

    Et puis elle termine par cette conclusion bouleversante :

    « Nous avons dû surmonter d’innombrables difficultés avant de pouvoir quitter l’Allemagne ; cela a pris près d’un an, et j’ai juré de ne plus jamais mettre les pieds sur le sol allemand. J’étais rongé par une haine sans borne de tout ce qui était allemand. Comme vous le voyez, j’ai rompu mon serment – il y a de très nombreuses années – et je ne le regrette pas. C’est très simple : la haine est un poison et, en fin de compte, on s’empoisonne soi-même. »

    Si des femmes qui ont vécu ce qu’a vécu Anita Lasker Wallfisch sont capable de surmonter la haine, l’espoir peut rester dans nos cœurs.

    D’après sa page <Wikipedia> Anita Lasker Wallfisch vit toujours, elle a 98 ans.

    Son fils Raphaël Wallfisch est un des grands violoncellistes de la scène musicale.

    Elle a témoigné longuement, en langue française, sur son histoire au « Mémorial de la Shoah ». L’INA a mis en ligne ce témoignage de plus de 2 heures : « Anita Lasker Wallfisch »

    Le Point parle d’elle : « une survivante d’Auschwitz dénonce le « virus » antisémite »

    Geo aussi : <Le long silence d’Anita Lasker-Wallfisch>

    <1775>

  • Vendredi 3 novembre 2023

    « Que nous soyons Israéliens ou Palestiniens, Libanais, Syriens, juifs ou musulmans, chrétiens ou athées, Français ou Américains, nous ne nous méfierons jamais assez du recours au « nous contre eux », qui signe fatalement le début de l’obscurantisme et de la cécité. »
    Dominique Eddé

    Écrire sur ce conflit qui met face à face, deux peuples pour une même terre, présente le risque de se fâcher avec beaucoup de monde. D’abord avec les personnes convaincues de chacun des deux camps qui trouveront toujours qu’on ne compatit pas assez avec les souffrances du camp défendu et qu’on est aveugle sur la culpabilité du camp d’en face. Mais on peut aussi se fâcher avec les personnes neutres qui considèrent que dans ce domaine la seule position digne est de se taire.

    Je n’ai pas de solution bien sûr et je suis rempli de doutes.

    Mais il me semble que seuls les mots, même maladroits, sont en mesure de surpasser la violence et de maîtriser la sidération et le désarroi.

    L’histoire ne commence pas le 7 octobre 2023 et il faut se pencher aussi sur ce qui s’est passé avant.

    Mais le 7 octobre constitue une rupture que l’écrivaine libanaise Dominique Eddé décrit ainsi dans une Tribune du Monde du <31 octobre 2023>

    « Le carnage barbare du Hamas, le 7 octobre, n’a pas fait que des milliers de morts et de blessés civils israéliens, il a jeté une bombe dans les esprits et dans les cœurs, il a arrêté la pensée. Il a autorisé le déchaînement des passions contre les raisons et les preuves de l’histoire. Ce déchaînement peut se comprendre là où manquent les moyens de savoir, d’un côté comme de l’autre. Là où la douleur est écrasante. Il est inacceptable chez les puissants : là où se déclarent les guerres, là où se décident les chances de la paix. »

    Par cet acte « horrible » le Hamas a tendu un piège à Israël, piège qu’Israël a énormément de difficultés à contourner.

    Il était inimaginable et inacceptable qu’Israël ne réagisse pas et ne s’attaque durement au Hamas.

    Le blocus et les bombardements massifs sur une population civile qui est prisonnière, dans ce bout de territoire surpeuplé, sont en train de renverser dans l’esprit de beaucoup, notamment dans les populations musulmanes et aussi des populations non occidentales, le poids de l’inhumanité du côté de l’armée israélienne.

    En outre, des exactions et des crimes commis par des colons juifs en Cisjordanie contre la population arabe ont conduit, même les États-Unis, à réagir par la voie du porte-parole du département d’État, Matthew Miller en dénonçant <des attaques> :

    « Incroyablement déstabilisatrices et contre-productives pour la sécurité à long terme d’Israël, en plus d’être, bien sûr, extrêmement préjudiciables aux Palestiniens vivant en Cisjordanie »

    Ceci a fait exploser un antisémitisme latent dans le monde entier et en France aussi.

    Longtemps, l’antisémitisme était analysé comme l’apanage de l’extrême droite maurassienne. Beaucoup de gens de gauche ont eu du mal à accepter l’idée qu’il y avait aussi en France un antisémitisme musulman.

    Parce qu’on peut se trouver être très critique avec les décisions, les actions du gouvernement d’Israël, mais pourquoi faire porter la responsabilité et commettre des actes contre les juifs en France ou ailleurs ?

    Seul l’antisémitisme peut l’expliquer sans le justifier.

    Ismaël Saidi est musulman, il est comédien et metteur en scène de la pièce « Djihad ». Il a commis un article : « En tant que musulman, je refuse de me voiler la face sur la nature de l’antisémitisme en France » dans lequel il écrit :

    « « Il ne faut pas être juif » : c’est l’unique « raison » que l’on peut trouver aux crimes commis ce 7 octobre 2023, du moins, je n’en vois pas d’autre car aucune cause, aussi légitime soit-elle, même aussi noble que celle de la création d’un état pour le peuple palestinien en souffrance depuis si longtemps, ne justifie un massacre. […]

    Mais si, pour une fois, au lieu d’inviter un rabbin et un imam sur tous les plateaux en leur demandant de nous montrer à quel point les religions ne sont qu’amour et paix (les millions de morts à travers les siècles, victimes de guerres de religions, de croisades, de pogroms, d’esclavage apprécieront…), on se posait la bonne question.

    Si pour une fois, au lieu de mettre la poussière sous le tapis jusqu’au prochain attentat, nous arrêtions de nous voiler la face.

    Je vais donc lancer un pavé dans la mare : pourquoi lorsque des atrocités sont commises à des milliers de kilomètres de chez nous, faut-il protéger la communauté juive de France ?

    Pourquoi est-ce que l’on trouve cela normal ?

    Pourquoi est-ce qu’un Français juif doit craindre de sortir avec une kippa ou la moindre preuve d’appartenance à sa communauté de croyance ?

    Pourquoi des maisons où se trouvent des mézouzas sont visées ? Pourquoi des familles changent leur nom sur les applications de livraison pour éviter de se faire agresser si elles sont reconnues comme juives ? De quoi les Français juifs sont-ils coupables ?

    Si le Moyen-Orient s’enflamme, pourquoi nos compatriotes juifs doivent-ils en souffrir ?

    La réponse qui me vient à l’esprit est qu’il y a une idéologie en France qui a décidé de faire des juifs ses ennemis.

    Comme l’avait fait le nazisme, par le passé, il y a une idéologie qui veut « se faire du juif ».

    Je le dis parce que je ne la connais que trop bien.

    Des années à être abreuvé d’images, de discours sur « nos frères palestiniens » très vite devenus « nos frères en islam » tués par les « juifs » – et pas par les Israéliens car dans le monde arabo-musulman, c’est le mot « juif » qui est utilisé et à dessein.

    Les terroristes n’ont-ils pas appelé leur famille, hurlant de joie, leur expliquant qu’ils ont tué « des juifs ».

    Ainsi le glissement sémantique a eu lieu depuis bien longtemps : ce n’est pas Palestinien contre Israélien, mais musulman contre juif.

    Il n’est donc pas étonnant, quand on comprend cela, que dans le pays où se trouve la plus grande communauté musulmane d’Europe et la plus grande communauté juive d’Europe, la situation devienne explosive.

    Et là où beaucoup d’entre nous pensent que c’est le conflit israélo-palestinien qui est la matrice de l’antisémitisme en France, je répondrai : changez de paradigme de lecture, retournez l’image d’Épinal et vous comprendrez: c’est l’antisémitisme que l’on retrouve dans une idéologie meurtrière, cancer de l’islam, qui est devenu, aujourd’hui, la matrice du conflit israélo-palestinien. »

    Dans sa tribune au Monde Dominique Eddé ajoute :

    « Que nous soyons Israéliens ou Palestiniens, Libanais, Syriens, juifs ou musulmans, chrétiens ou athées, Français ou Américains, nous ne nous méfierons jamais assez du recours au « nous contre eux », qui signe fatalement le début de l’obscurantisme et de la cécité.

    Or l’emploi de ces trois mots enregistre à l’heure qu’il est des records terrifiants, d’un bord à l’autre de la planète. Et il se répand à une vitesse si foudroyante qu’il emporte les têtes, comme un ouragan des maisons. […]

    Pour assurer son existence dans la durée, Israël doit renoncer à l’anéantissement de Gaza et à l’annexion de la Cisjordanie. Son avenir ne peut pas lui être assuré par l’expulsion, l’extermination, la conquête du peu de territoire qui reste. Il ne peut l’être que par un changement radical de politique. Un renoncement à la logique de l’affirmation de soi par la supériorité militaire et la négation de l’autre. Alors, les esprits ignorants ou bornés du monde arabo-musulman prendront mieux la mesure de ce temps de l’horreur absolue que fut la Shoah. Il sera enfin enseigné et transmis aux nouvelles générations. Nous apprendrons, de part et d’autre, que pas une histoire ne commence avec soi.

    On ne détruira pas les islamistes radicaux à coups de déclarations de guerre, on les affaiblira en leur ôtant, une par une, leurs raisons d’exister et d’instrumentaliser l’islam. Ce sera long ? Oui. Mais qu’on nous dise, quel autre moyen a-t-on d’éteindre un incendie sans frontières ?

    C’est en retirant ses « prétextes » à la mauvaise foi générale qu’on fera peut-être advenir la paix à laquelle aspire désespérément le plus grand nombre. Les psychothérapeutes savent ce que les politiciens s’abstiennent de prendre en compte : formuler la souffrance de l’autre, son humiliation, l’aider à dire son cri, sa rage, sa haine, c’est les désamorcer. C’est d’un combat contre la haine qu’il s’agit désormais. Il engage chacun de nous, si l’on veut donner une chance aux prochaines générations.

    Que les dirigeants israéliens et leurs soutiens aveugles renoncent à leur domination brutale, satisfaite et sans partage de ce lieu explosif qu’est la « Terre sainte ». Que les Arabes, les musulmans, les défaits de l’histoire n’oublient pas qu’en versant dans l’antisémitisme ils se salissent, ils tombent dans un mal qui n’est pas le leur, ils se retournent contre eux-mêmes. Qu’ils s’élèvent, bien sûr, contre le massacre en masse qui est en cours, mais qu’ils ne privent pas les familles israéliennes endeuillées de leur compassion, qu’ils ne confondent pas leur révolte avec le fantasme de la disparition d’Israël.

    N’oublions pas, nous autres Arabes, que nous avons massivement contribué à notre malheur. N’oublions pas qu’en matière d’horreur nous avons enregistré sur nos sols, depuis 1975, une série abominable de massacres. Du Liban à la Syrie, à l’Irak, nos prisonniers ont été enfermés dans des conditions atroces. Des femmes, des hommes ont été torturés, sans que nous sachions les défendre. Nos mémoires, nos cerveaux, nos âmes ont été torturés. Nos cultures. Notre histoire millénaire. Aucun de ces pays n’est parvenu à résister aux manipulations internes et externes, à la pression infernale des grandes puissances, à la sinistre alliance de la corruption, du mépris des pauvres et de la plus abusive des virilités.

    Nous ne pouvons plus relever la tête à coups de slogans et de doléances exclusivement dirigés contre Israël. L’avenir ne consiste pas à revendiquer ce que l’on a perdu, mais à examiner ce qui reste à sauver. Israël existe. De ce qui fut un mal pour beaucoup d’entre nous peut sortir un bien pour tous.

    Un chantier gigantesque

    Ne ratons pas ce terrible et dernier rendez-vous. Souvenons-nous que la vie, la mort, le jour, la nuit, la douleur, l’orphelin, la terre et la paix se disent pareil en arabe et en hébreu. Il est temps pour chacun de nous de faire un immense effort si nous ne voulons pas que la barbarie triomphe à nos portes, pire : à l’intérieur de chacun de nous. »

    J’avais déjà fait appel à Dominique Eddé lors d’un mot du jour précédent, c’était une lettre ouverte à Alain Finkielkraut : «Le monde est comme un masque qui danse : pour bien le voir, il ne faut pas rester au même endroit.»

    <1774>

  • Lundi 30 octobre 2023

    « Du coup, c’est compliqué … »
    Essai de synthétiser la situation en langue moderne

    Il y a deux mois j’ai trouvé une publication sur Facebook qui m’a amusé et que j’ai partagé.

    Et je dois dire que depuis j’écoute la radio, les émissions trouvées sur Internet, mes échanges avec autrui, jusqu’aux conversations dans la rue ou les transports commun, j’arrive à cette conclusion qu’en effet l’expression « du coup » est devenu extraordinairement fréquente.

    Ce dimanche matin j’ai entendu le député LFI Eric Coquerel sur France Info. Dans un discours uniquement tourné vers la responsabilité de l’Etat d’Israël, il a reconnu dans une proposition subordonnée qu’il y avait crime de guerre de la part du Hamas. Plus loin il a dit qu’Israël commettait aussi des crimes de guerre.

    Un instant…

    Ce qui s’est passé le 7 octobre, c’est le plus grand massacre de juifs, depuis la Shoah, avec des actes d’une barbarie écœurante.

    Le Hamas est une organisation islamique, totalitaire, d’extrême droite. Je ne peux même pas comprendre qu’un homme de gauche puisse trouver le début du commencement d’une connivence avec une organisation qui est si loin de ses valeurs déclarées.

    La vie des palestiniens et leur aspiration légitime à un État sont très loin de leur priorité qui est l’islamisation de la société palestinienne et de l’Oumma c’est-à-dire de la communauté de l’ensemble des musulmans du monde, puis de l’expansion de cette communauté dans la logique de l’idéologie des frères musulmans.

    Je suis atterré que Mediapart, auquel j’étais abonné longtemps et qui sur certains dossiers a fait un travail remarquable et utile soit tombé avec son fondateur Edwy Plenel dans un islamo gauchiste niant l’idéologie et les objectifs de certaines organisations qu’ils défendent. Ce fut encore le cas lors de cette émission <Guerre au Proche-Orient : les dérives du débat français> dans laquelle après avoir une fois de plus dénigré le travail de Florence Bergeaud-Blackler a nié l’évidence du caractère totalitaire du Hamas, sa volonté d’éradiquer la présence juive au moyen orient et son ambition générale concernant l’Oumma, ainsi que les forces à l’œuvre en Occident et en France suivant les mêmes objectifs.

    Je reconnais cependant que la présence et les interventions de Latifa Oulkhouir et de Hanna Assouline, déjà évoquée lors du mot du jour du lundi 23 octobre, étaient de qualité et donnaient des éclairages intéressants.

    Et puis, il y a aussi l’Iran à la manœuvre.

    Et je ne me lasserai pas de répéter ce moment de révélation rationnelle et laïque, lorsqu’en 1979, j’ai entendu une jeune iranienne appeler « la Ligne Ouverte », émission de Gonzague Saint Bris, pour crier sa colère que la gauche occidentale, dont je faisais partie, trouvait génial que Khomeini puisse renverser la dictature honnie du Shah d’Iran.

    J’ai raconté cet épisode et aussi la manière dont la gauche et les humanistes iraniens ont été dupés puis persécutés par les monstres qui ont pris le pouvoir en 1979, en Iran : « Vous ne pouvez pas comprendre»

    Les frères musulmans, le Hamas, les salafistes et autres font partie de cette même idéologie régressive, totalitaire, expansionniste et absolument opposée à notre manière de vivre, à notre liberté, à nos valeurs.

    Alors « du coup c’est compliqué », parce qu’en face du Hamas, du côté des pro-israéliens, il y a aussi une vision unilatérale, violente, exclusive qui s’exprime.

    Je pourrais aussi multiplier les exemples j’en prendrai deux.

    Le premier est celui du discours télévisé du mercredi 25 octobre du premier ministre qu’Israël s’est donné :

    « Ils sont le peuple des ténèbres, et la lumière triomphe des ténèbres. »

    Benjamin Nétanyahou promet ensuite de « réaliser la prophétie d’Isaïe » avant de citer une partie du texte. « Il n’y aura plus de voleurs dans vos frontières et vos portes seront glorieuses. ».

    Le verset 18 du chapitre 60 du livre d’Isaïe qui est un livre prophétique dit exactement.

    « On n’entendra plus parler de violence en ton pays, de ravages ni de ruine en ton territoire, et tu appelleras tes murs ‘Salut’, et tes portes ‘Gloire’».

    Il y a d’un côté « le camp du bien » et de l’autre « le camp du mal » et on fait appel à la religion pour éradiquer le mal. Le discours a comme fondement le fait que la force (avec l’aide de Dieu ?) permettra d’obtenir la paix et la fin de la violence.

    « Du coup s’est compliqué » et la paix me semble alors très éloignée.

    L’autre exemple est celui du député Habib Meyer, lors du discours de Jean-Louis Bourlanges, objet du mot du jour de vendredi dernier.

    Lorsque Jean-Louis Bourlanges parle des colonies israéliennes en Cisjordanie, ce député réplique :

    « La Judée ne sera jamais une colonie ! »

    Faut-il une explication de texte ?

    Le député utilise le terme de Judée, terme Biblique utilisé il y a 2000 ans à l’époque du Christ, jusqu’au moment où les romains et Titus ont combattu et chassé les juifs de ces terres parce qu’ils s’étaient révoltés contre l’empire romain.

    Et puis il dit : « ce n’est pas une colonie ».

    Dès lors, il rejette l’acte de l’ONU de 1947 qui avait autorisé la création en Palestine d’un « État juif » et d’un « État arabe ».

    Il se place sur un autre registre, exactement parallèle à celui des islamistes.

    Pour les islamistes, cette terre est musulmane selon la volonté de Dieu. Aucun humain et pas davantage l’ONU ne peut en disposer.

    Pour les messianistes juifs et comme l’exprime Habib Meyer, cette terre, la Judée est la terre promise par Dieu à son peuple élu. La décision de l’ONU est une simple anecdote ne révélant qu’une partie de la vérité sur cette terre : Elle est aux juifs, il n’y a pas lieu d’en discuter avec les palestiniens ou d’autres humains.

    Tant qu’il y a des combats politiques et territoriaux, des compromis sont possibles.

    Mais si on jette sur la situation une vision religieuse, nous sommes dans l’absolu, il n’y a pas de compromis possible.

    Il n’y a que la violence qui est bien sûr « l’expression de la volonté divine » qui peut être mise en œuvre.

    Et c’est ce que fait Israël en bombardant de manière massive, cette prison à ciel ouvert qu’est Gaza. Les chiffres annoncés par le Hamas sont sujets à caution, mais il est certain que des milliers d’enfants, de femmes et d’hommes sont tués ou blessés grièvement avec peu de possibilité d’être soignés. A cela s’ajoute le blocus qui les prive d’eau, de nourriture, d’électricité. C’est un enfer. Des israéliens tombés dans une faille empathique absolue, disent : c’est la faute du Hamas. Peut être, mais ce sont les avions, les missiles et les armes israéliennes qui donnent la mort à beaucoup d’innocents. D’autres israéliens répondent mais eux aussi nous envoient des roquettes et des projectiles pour nous tuer.  Oui, ils répliquent dans ce cas.

    Nous sommes dans une tragédie dans laquelle des enfants, des femmes et des hommes souffrent et meurent, pris dans l’engrenage des haines qui se nourrissent  les unes des autres, sans que notre humanité ne soit en mesure de les freiner.

    Manon Quérouil-Bruneel, Grande-reporter Paris Match, témoigne dans l’émission du 26 octobre 2023 <C ce soir : La bataille de l’émotion> :

    « On est arrivé à un degré de haine des deux côtés qui est terrifiant.

    Je suis allé du côté de la Cisjordanie, avec des images du 7 octobre. Il y avait une impossibilité de reconnaître les crimes contre les civils qui avaient été commis par le Hamas.
    Même des personnes de l’intelligentsia palestinienne, solidement structurées, remettent en cause ces images.
    Parce que, pour eux, c’est un mouvement de libération et qu’il n’aurait pas pu commettre de telles atrocités.
    Et côté israélien le choc devant la barbarie est tel que la parole de paix est inaudible.
    On n’arrive plus à faire ce travail de compassion, au sens propre, c’est à dire souffrir avec l’autre. »

    Ce défaut de capacité de comprendre ou simplement d’entendre la souffrance de l’autre est prégnant non seulement pour les deux peuples qui s’affrontent, mais même pour celles et ceux qui ont pris fait et cause pour l’un des camps.

    Il n’y a que de l’empathie pour celles et ceux que l’on défend

    Nous sommes dans une rupture d’humanité.

    J’ai quand même trouvé ce beau dialogue entre la Rabin Delphine Horvilleur et Kamel Daoud écrivain et journaliste franco-algérien dans « l’Obs » : « Nous devons réaffirmer notre humanité »

    Delphine Horvilleur dit au début de l’entretien :

    « D’abord, je m’étais dit que j’arrêterais les entretiens. Et puis quand on m’a proposé de dialoguer avec toi, Kamel, j’ai senti combien j’avais besoin de le faire, presque dans un souci de santé mentale. Depuis quelques jours, j’oscille entre une très profonde tristesse, un sentiment de dévastation, et une colère, une rage particulière et un désespoir que je ne connaissais pas en moi qui me suis toujours perçue comme une optimiste. Je suis en manque d’un dialogue humain sensé, empathique, au milieu de cette déferlante de haine et de rage. Je suis en réalité très blessée de trouver si difficilement des interlocuteurs. J’avoue, j’attendais les paroles d’intellectuels musulmans avec qui je dialogue habituellement. Il y en a eu quelques-unes, si essentielles, mais si rares. Quelque chose m’échappe dans ce silence qui me terrasse. J’ai le sentiment d’une immense solitude. »

    Et Kamel Daoud répond :

    J’aime écouter Delphine. Et je ressens aussi le besoin de dialoguer pour réaffirmer quelque chose de banal qui est l’humanité, face à cette déferlante d’inhumanité qui s’est infiltrée en chacun, dans chaque camp, dans chaque famille. Mais j’ai aussi une colère, elle n’est pas de même valeur que la tienne, je n’ai pas été attaqué comme les Israéliens dans leur maison, j’ai connu autrefois ce genre d’attaque en tant qu’Algérien durant la guerre civile quand les islamistes décapitaient, massacraient et violaient, mais c’est autre chose. Je suis en colère parce que je suis musulman de culture et que dans ma géographie on me refuse le droit à l’expression et à la nuance, parce qu’on voudrait me forcer à une unanimité monstrueuse qui n’est pas la mienne. Je ressens également cette solitude profonde, incomparable avec celle de ceux qui ont perdu des vies, parce que j’ai pris la parole pour dire qu’une cause doit garder sa supériorité morale, qu’elle s’effondre si elle choisit la barbarie et trouve des gens qui la justifient. »

    Pourquoi est-il si compliqué de trouver de la compassion pour l’Autre ?

    « D. H. La lucidité vient du mot lumière, mais c’est l’éloge de l’obscurité qui prime aujourd’hui. Tu parlais de malentendu, ça m’a fait penser au non-entendu. Après le 7 octobre, ce qui m’a paru le plus fou, c’est que je n’ai pas trouvé de voix palestinienne en France pour dénoncer le Hamas. En fait, et pardon pour ma naïveté, ça me paraissait facile à faire. Cela fait des années que je m’emploie à dénoncer le gouvernement de Netanyahou, l’horreur de l’occupation, la dérive de la société, son hubris, etc., et j’ai été sidérée de ne pas trouver de voix palestinienne en France pour dire « notre cause est juste, les Palestiniens ont le droit d’avoir une terre, mais pas par ces moyens-là ». Même pour Leïla Shahid [ancienne déléguée générale de l’Autorité palestinienne en France, NDLR], dénoncer le terrorisme du Hamas était impossible. Jusqu’à aujourd’hui, je ne m’en relève pas. Ce silence ne trouve pas de place dans mon schéma mental. »

    « K. D. Malheureusement, ça ne m’étonne pas, j’ai toujours connu ce « on » et ce « off » dans le discours des intellectuels du Sud. Mais ce qui me frappe, c’est qu’en Algérie ou en Égypte, et dans bien d’autres pays, nous connaissons les méthodes des islamistes, et leur but. […] On le sait que le but des islamistes n’a jamais été de fonder un État palestinien ; le but des islamistes, c’est de précipiter la fin du monde, ils veulent un messianisme qui a abouti, c’est une vision judéophobe dont la finalité est la disparition du peuple juif. Et le Palestinien, dans cette mythologie, est un destin des plus tragiques. Il lui est dit que la fin du monde adviendra le jour où tous les Juifs seront tués et le Palestinien libéré. Mais quelle arnaque ! On lui promet à la fois un pays et la mort, on lui dit « tu vivras libre, mais un instant », au prix de ta disparition et de celle du monde entier. Et le fait que les élites laïques ont opté, dans leur majorité, pour une mécanique de l’affect et de la vengeance, de la douleur et de la frustration, pour soutenir ce rêve, qui est un cauchemar, en oubliant le rêve porté par Arafat – avec certes les errements de son époque –, que des intellectuels succombent à cette illusion en se disant que c’est un moyen, peut-être pourri, d’aboutir à quelque chose, ce basculement vers le rêve de fin du monde en soi comme étant la seule solution possible, est désarmant. »

    Et je citerai encore ces deux propos de Kamel Daoud de ce long entretien qu’il est bon de lire :

    «  Je suis pour un État palestinien et je crois que l’existence d’un tel État est nécessaire non seulement pour les Palestiniens mais aussi pour ma propre liberté dans mon propre pays, parce que ce problème hypothèque tous nos projets de démocratisation. Mais je ne peux pas adhérer à un projet d’extermination qui refuse l’humanité à chacun. S’il s’agit d’une cause de colonisation et de décolonisation, là je suis solidaire. S’il s’agit d’une cause raciale, arabe, ou confessionnelle, musulmane, je ne peux pas l’être. Ce ne serait pas rendre justice à cette cause et à la volonté de ce peuple d’avoir une terre et une histoire. Ce 7 octobre est une véritable défaite, parce que ce qu’il disait, c’est « on veut la terre pour les Palestiniens avec la noyade pour les Israéliens ».

    Et

    « Et il y a un autre drame, c’est l’hydre dont parlait Delphine : la guerre fabrique le tueur de demain. C’est le cycle dans lequel nous sommes tous entraînés et ce pour quoi il faut impérativement revoir ce problème à partir de deux grands enjeux. D’une part, l’enjeu de l’humanité de chacun : le droit d’humanité pour l’Israélien et le Juif, pour l’Arabe et le Palestinien. Et d’autre part, l’enjeu démocratique, car plus la Palestine rétrécit, plus le califat imaginaire s’étend. Je demande à Israël comme en Palestine, de faire la paix pour pouvoir me libérer. Tous les propalestiniens, loin de là, ne sont pas d’accord avec ça ! »

    Pour conclure le journaliste de « L’Obs » rappelle à Delphine Horvilleur le sermon qu’elle a prononcé le 24 septembre à l’occasion de la fête juive de Kippour

    «  Je ne le regrette pas, mais il me fait trembler. Je voulais en effet faire une mise en garde, à partir de nos textes, contre l’hubris de la souveraineté. La Bible, et en particulier le Deutéronome, dit aux Hébreux qui vont entrer sur la Terre promise : « Il arrivera un jour où vous serez souverains sur cette terre, et vous serez menacés par votre puissance parce que vous n’aurez plus conscience de votre vulnérabilité. Vous allez tellement croire à cette puissance qu’elle risque d’être pour vous assassine. »

    Et Delphine Horvilleur finit par :

    « Dans l’une de ses chansons, Leonard Cohen, qui était présent sur les champs de bataille durant la guerre de Kippour, écrit : « Il y a une brisure dans chaque chose, mais c’est là que la lumière se faufile. » Je veux me raccrocher à cela. »

    Cette phrase « There is a crack, a crack in everything, That’s how the light gets in » se trouve dans la chanson « Anthem » de Leonard Cohen

    « Ah les guerres elles
    Recommenceront
    La colombe sacrée
    Sera attrapée de nouveau
    Pour être achetée et vendue
    Et achetée encore
    La colombe n’est jamais libre.
    Sonnez les cloches qui peuvent encore sonner

    Oubliez vos offrandes parfaites.
    Il y a une fissure en toute chose.
    C’est ainsi qu’entre la lumière. »

    Extrait d’Anthem

    Du coup, si on laisse parler l’humanisme, qu’on revient à la politique et qu’on limite la religion à s’occuper du spirituel et de l’âme, on pourra peut-être trouver la voie du compromis qui est la seule permettant d’aller vers la Paix.

    <1773>

     

  • Vendredi 27 octobre 2023

    « Partout, les forces attachées à la modération, à la coopération et à la paix ont été battues en brèche. »
    Jean-Louis Bourlanges, le 23 octobre, à l’Assemblée Nationale

    Hier j’ai partagé un cri de colère.

    Non ! ce que le Hamas a fait n’est pas un acte de résistance !

    C’est un crime contre l’humanité. Ce que ces croyants ont perpétré au nom d’Allah, ne peut s’inscrire dans les valeurs de l’humanité.

    Il faut aimer la mort, comme nous aimons la vie pour agir ainsi.

    Il faut croire aveuglément à un récit et dénier à celles et ceux qui n’y croient pas, jusque qu’à la dernière parcelle d’humanité.

    Non, on ne peut pas considérer que ce qui s’est passé à partir de 7 octobre est une simple riposte entre deux belligérants.

    Les crimes du Hamas sont au-delà de ce que nous pouvions imaginer, horreur et atrocité.

    Je ne suis plus croyant dans une des religions du Livre. Mais pour les croyants, il y a cette malédiction que je crois légitime pour chacun des assassins du Hamas et de ceux qui les ont envoyés :

    « Quand on le jugera, qu’il soit déclaré coupable, Et que sa prière passe pour un péché ! »
    Psaume 107 verset 7 dans la traduction de Louis Segond.

    Que leurs prières soient péchés !

    Il fallait que cette abomination soit dénoncée.

    Et le 23 octobre, un vieil homme de 77 ans, est monté, tout essoufflé, à la tribune de l’Assemblée Nationale, au Palais Bourbon.

    Il avait du mal à retrouver son souffle. Il finira épuisé, au bord du malaise.

    Mais lorsqu’il a vraiment débuté son discours, la magie du verbe et la lucidité de la politique, se sont emparées de ce corps fragile.

    Un discours exceptionnel de Jean-Louis Bourlanges, président de la Commission des affaires étrangères et député Modem. Un discours comme il y en eut jadis à la tribune de cette Assemblée, loin des interventions querelleuses et électoralistes qui sont désormais le lot quotidien de la chambre basse de notre parlement.

    Il a aussi commencé à poser, ce qui doit être dit :

    « Le 7 octobre dernier, cette interminable tragédie a pris un cours décisivement nouveau et d’une gravité exceptionnelle : Israël s’est trouvé confronté à une agression paramilitaire de première grandeur, menée par un Hamas résolu à piétiner tous les principes, toutes les règles, tous les usages régissant les relations entre les peuples, que ceux-ci soient en guerre ou en paix. Si les mots ont un sens, il est clair que l’agression conduite par le Hamas est à la fois terroriste, constitutive d’un crime de guerre généralisé et adossée à un discours à caractère génocidaire assumé. Le Hamas met en scène les pires violences sur les populations dans le seul but d’effrayer et d’intimider : c’est du terrorisme. Le Hamas ne fait la guerre qu’aux civils, c’est la définition même et dans son extension maximale du crime de guerre ! Les fidèles du Hamas n’hésitent pas à appeler non pas uniquement à la disparition de l’État d’Israël, mais à l’élimination des Juifs en tant que Juifs ! C’est l’expression même d’une volonté de génocide porteuse d’un crime contre l’humanité.»

    Mais il avait introduit ce propos par un rappel historique essentiel qui fait le constat que la situation conflictuelle au Proche-Orient depuis soixante-quinze ans provient de l’absence d’un État palestinien aux côtés de l’État israélien :

    « Le 29 novembre 1947, L’Assemblée générale des Nations unies décidait, par trente-trois voix contre treize, la création de l’État d’Israël tout en prenant soin de proposer l’institution parallèle d’un État palestinien qui, à la suite de la guerre qui a accueilli la décision onusienne, n’a jamais pu voir le jour. De ce vote solennel qui engage la communauté internationale date à la fois le droit imprescriptible du peuple juif à vivre dans un État libre et souverain, et le lancinant problème posé par l’émergence indéfiniment différée de son jumeau palestinien. Israël était né, Ismaël restait dans les limbes ; la tragédie prenait ses marques au cœur d’un Moyen-Orient par ailleurs déchiré par la guerre froide. »

    Pour ceux qui manquent de références bibliques, il faut savoir que selon ce récit Ismaël est le fils d’Abraham qui serait le père de tout le peuple Arabe ainsi que de la lignée menant au prophète de l’islam Mahomet. Le second fils d’Abraham sera Isaac qui lui même sera le père de Jacob qui prendra le nom d’Israël et sera l’ancêtre du peuple juif. Ces personnages apparaissent dans les livres de Moïse des juifs et dans le Coran des musulmans. Les croyants de ces deux religions croient à ce récit.

    Et puis prenant de la hauteur, Jean-Louis Bourlanges s’est interrogé sur la sécurité à long terme d’Israël :

    « Et c’est de la réponse à cette question que doivent dépendre nos réactions à court et à moyen terme, comme celles de l’État hébreu.

    Comment un État de 20 770 kilomètres carrés, peuplé de moins de sept millions de Juifs, fer de lance d’une communauté humaine de près de treize millions de personnes, pourrait-il espérer vivre durablement en paix et en sécurité au milieu d’un environnement par hypothèse hostile de plus d’un milliard et demi de musulmans ? »

    Et il répond que les murs, les équipements militaires les plus sophistiqués sont une mauvaise réponse :

    « Même l’arme nucléaire dont dispose Israël n’est pas de nature à assurer la survie d’un État concentrant toute sa population sur un espace aussi restreint. »

    Et puis, il y eut ce développement remarquable de clarté et de lucidité en comparant l’attitude du premier ministre actuel de l’Etat d’Israel avec ses prédécesseurs :

    « Face à cette terrible situation, il faut analyser sans œillères ni préjugés ce qui s’est modifié ces dernières années sur la scène moyen-orientale. Comme l’a très justement dit monseigneur Vesco, archevêque d’Alger : « La violence barbare du Hamas est sans excuse mais elle n’est pas sans cause. »

    Avant la prise de pouvoir de M. Netanyahou, les grands dirigeants historiques d’Israël, quelle qu’ait été leur sensibilité politique, ont eu une conscience aiguë de cette vulnérabilité après que la guerre du Kippour l’eut rendue manifeste.

    Yitzhak Rabin, qui avait vu au plus près le péril de la patrie, a défendu, avec une force de conviction et une volonté politique sans pareille, l’idée qu’il n’y aurait ni paix ni sérénité pour Israël si les Palestiniens ne se voyaient pas reconnaître, eux aussi, un État libre et souverain.

    Menahem Begin, venu pourtant de la droite de la droite, a assumé courageusement à Camp David, le choix de la paix avec le principal ennemi d’Israël, l’Égypte post-nassérienne.

    Ariel Sharon, qui avait pris la mesure de l’impuissance de la force dans le cadre de l’intervention controversée qu’il avait conduite au Liban, avait, à la veille de l’accident de santé qui devait le terrasser, décidé d’amener son pays à renoncer ses ambitions coloniales en Cisjordanie.

    Ces hommes avaient pressenti et pleinement reconnu, pour Yitzhak Rabin du moins, qu’Israël ne trouverait la paix qu’à la condition d’établir avec les États arabes qui l’entouraient, mais aussi avec les hommes et les femmes de Palestine, une relation équilibrée qui supposerait le respect mutuel et le partage des bénéfices de la paix.

    La rupture introduite ces dernières années dans la politique israélienne par les gouvernements successifs de M. Netanyahou n’est certainement pas la cause unique de la situation nouvelle, mais elle y a puissamment contribué. »

    Jean-Louis Bourlanges dit tout le mal qu’il pense de M. Netanyahou sur le plan militaire mais aussi politique :

    « L’essentiel est toutefois d’ordre politique. M. Netanyahou a semblé imaginer que l’établissement de relations apaisées et coopératives avec les voisins arabes d’Israël, ce qui était en soi une excellente ambition et se révélera demain fort utile à la quête nécessaire de l’apaisement, pouvait avoir ce pouvoir indirect, mais précieux à ses yeux, de dispenser Israël de rechercher avec les Palestiniens un accord équilibré et respectueux de leurs attentes et de leurs aspirations profondes.

    Bien plus, les accords d’Abraham ayant permis aux États arabes d’abandonner les Palestiniens à leur triste sort, le Gouvernement israélien s’est estimé libre d’engager sans risque une relance rampante mais brutale et déterminée de sa politique de colonisation en Cisjordanie. »

    Bien sûr, Israël n’est pas le seul responsable :

    « Il serait injuste d’attribuer à l’État hébreu le monopole de la nouvelle brutalisation du monde d’où l’horreur du 7 octobre est sortie. Partout, les forces attachées à la modération, à la coopération et à la paix ont été battues en brèche.
    Que les Palestiniens aient eu la tentation croissante et suicidaire de se réfugier dans une sorte de nihilisme politique ne peut, hélas, pas nous surprendre.

    Une population sans avenir, donc sans espoir, pouvait-elle être tentée par des partis modérés qui n’avaient rien à lui offrir ? »

    Il pointe aussi la responsabilité des Etats-Unis, notamment de Trump et ajoute :

    « Comment, dans ces conditions, ne pas voir que ce sont aujourd’hui les héritiers idéologiques des assassins d’Anouar el-Sadate et d’Yitzhak Rabin qui tiennent ensemble la plume de la tragédie qui s’écrit sous nos yeux ?  »

    J’avais déjà expliqué dans le mot du jour de lundi, le soutien de l’actuel Ministre de la Sécurité nationale du gouvernement israélien : Itamar Ben Gvir à l’assassin de Rabin, sans oublier que Netanyahou intervenait dans des meetings où une partie des participants appelait à tuer Rabin.

    Sadate a été tué par le Jihad islamique égyptien qui est une organisation armée issue des frères musulmans exactement comme le Hamas.

    La fin du discours consistera à essayer de trouver le juste niveau de la riposte en épargnant les vies innocentes :

    « Dans l’immédiat, il faut impérativement veiller à ce qu’une contre-attaque légitime, dès lors qu’elle vise exclusivement à détruire les moyens militaires de l’agresseur, évite les deux écueils majeurs que chacun a clairement identifiés.
    D’abord le risque d’une escalade incontrôlée pouvant conduire à un embrasement général. Derrière le Hamas, il y a le Hezbollah ; derrière le Hezbollah, il y a l’Iran ; derrière l’Iran, il y a la Russie et la Chine. […]

    Le deuxième risque majeur est celui d’un anéantissement massif de populations civiles utilisées par les uns comme des boucliers humains et par les autres comme l’exutoire d’une tentation de vengeance,…

    …pour reprendre l’expression préoccupante du Premier ministre israélien. »

    Et puis il envisage une solution à plus long terme qui ne peut que prendre en compte pleinement le besoin de justice pour la population palestinienne au terme d’une nouveau processus de dialogue basé sur la paix, le besoin de sécurité d’Israël et des concessions réciproques :

    « Reste à construire un avenir de paix. La tâche est redoutable en raison du mur de détresse et de haine qui sépare aujourd’hui Israéliens et Palestiniens. Aujourd’hui, il est à la fois trop tard et trop tôt pour instituer deux États en terre de Palestine.

    Il est en revanche temps – et même grand temps – de commencer à réaliser les conditions qui rendront possible, le moment venu, cette double création. La première de ces conditions, c’est qu’Israël fasse cesser sa politique de colonisation et reconnaisse enfin que la solution du problème palestinien ne saurait passer par l’exportation, en Égypte, des Palestiniens de l’Ouest et, en Jordanie, des Palestiniens de l’Est.

    La seconde de ces conditions consiste à recréer, notamment avec l’appui des États modérés du pacte d’Abraham, une autorité palestinienne active, respectée et capable de prendre à Gaza le relais d’un Hamas en cendres et de négocier un statut respectueux des droits palestiniens. Au-delà du Moyen-Orient, les bonnes volontés existent, comme celle du Brésil, dont la France a eu raison de soutenir le projet de résolution à l’ONU. Il nous appartient de nous associer à leurs efforts.  »

    Il en appelle aussi à l’Union européenne dont l’expérience est celle de la réconciliation franco-allemande et qui doit convaincre « Palestiniens et Israéliens de la pertinence de son logiciel de réconciliation. »

    Je n’ai pas cité tout le discours mais la plus grande partie.

    Si vous voulez voir intégralement, en vidéo, ce moment de haute politique : <Débat du 23 octobre 2023>. Cela commence à 1:05 :00

    Vous pouvez aussi avoir, grâce au journal officiel (cela me rappelle mes études de Droit lorsque j’allais régulièrement lire le JO pour prendre connaissance des débats parlementaires.), la retranscription textuelle intégrale du discours de M Bourlanges ainsi que les interpellations agacées et négatives de M Meyer Habib, député républicain, proche du Likoud et ami revendiqué de Benyamin Netanyahou

    Le lien se trouve derrière ce lien :

    https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2023-2024/seance-du-lundi-23-octobre-2023

    Ce texte permet d’ailleurs de revenir à la vidéo et au moment précis de l’intervention transcrite.

    Je n’ai pas grand-chose à ajouter à ce discours équilibré, profond, inscrit dans l’Histoire et qui tente de tracer un objectif pour l’avenir. Le chemin pour y arriver reste compliqué.

    Les extrémistes des deux côtés voudraient que l’autre peuple dégage et soit chassé de cette terre. Cela est inadmissible et ne pourrait que conduire à d’autres crimes inouïs.

    Il reste à trouver la voie qui permette de faire vivre ces deux peuples dans la Palestine de l’Empire Ottoman puis du mandat britannique, dans la paix, la justice et l’équilibre.

    <1772>

  • Jeudi 26 octobre 2023

    « Ce qu’il y a de bien avec les Juifs, c’est que même lorsqu’ils sont innocents, ils sont coupables. »
    Alexandra Laignel-Lavastine

    Aujourd’hui je partage, une lettre, un cri de colère.

    Je n’y ajoute rien, aucun commentaire.

    Je vous invite à lire cette tribune, à la recevoir, à l’accueillir.

    Après l’avoir lu, vous pouvez évidemment donner libre cours à votre analyse, à vos critiques, à vos désaccords.

    Elle exprime un point de vue fort, que certainement beaucoup de membres de la communauté juive, notamment française, ressentent.

    C’est une lettre ouverte au Président de la République par une intellectuelle : Alexandra Laignel-Lavastine

    Alexandra Laignel-Lavastine est une philosophe, historienne des idées, essayiste, journaliste née à Paris le 17 octobre 1966.

    Elle a écrit de nombreux articles dans Le Monde et aussi à Libération, Le Monde des débats, Philosophie Magazine.

    C’est une spécialiste du totalitarisme et de l’histoire intellectuelle et politique des pays de l’ex-Europe de l’Est au XXe siècle, elle a aussi beaucoup étudié la Shoah.

    Elle s’est notamment intéressée à la shoah en Roumanie : « Grand entretien. Alexandra Laignel-Lavastine autour de «Cartea neagra – Le livre noir de la destruction des juifs de Roumanie 1940-1944»

    En 2017, elle a écrit un livre ayant pour titre : « Pour quoi serions-nous encore prêts à mourir ? »

    Elle s’est aussi intéressé à la montée de l’islamisme en France « Face à l’islamisme, certains intellectuels « progressistes » sont dangereux »

    Cette lettre a été publiée sur ce site <Tribune Juive>

    24 octobre 2023
    Lettre ouverte au Président Emmanuel Macron à l’occasion de son arrivée en Israël.
    Par Alexandra Laignel-Lavastine


    Monsieur le Président de la République,

    Il semblerait donc que nous vous attendons aujourd’hui en Israël, où je me trouvais quand les barbares du Hamas ont attaqué et massacré ce samedi 7 octobre, et où il va de soi que je me trouve toujours. D’abord, parce qu’on ne déserte pas par temps de guerre. Ensuite, parce qu’il faudrait avoir l’estomac bien accroché pour rentrer dans le pays que vous présidez, où l’esprit public et la classe politico-médiatique — aux habituelles exceptions près depuis vingt ans — a atteint, depuis quinze jours, un degré d’avilissement encore jamais vu. Je suis française en effet, pas même franco-israélienne, enfin pas encore, de ces intellectuels « néo-réactionnaires » qui s’épuisent à alerter depuis des années, de livre en livre, d’article en article, de lettre ouverte en lettre ouverte, en vain. Nous prêchons tous dans le désert.

    Nous espérions vous voir ici un peu plus tôt, question d’honneur en la circonstance, « en même temps » que d’autres chefs d’État. Mais nous subissions un déluge de missiles, qui auraient déjà fait des milliers de morts en Israël si les autorités s’y comportaient comme le Hamas : interdire aux civils de s’abriter dans les abris-bunkers, en l’occurrence cinq étages de tunnels et de cité souterraine sous Gaza.

    Et les missiles, M. le président, vous n’avez peut-être pas l’habitude. C’est dire si la prudence s’imposait, comme elle continue de s’imposer dans l’Hexagone face à nos islamistes locaux et autres idiots utiles du Hamas, qui sévissent en toute liberté et devant lesquels nous nous couchons depuis les massacres de Mohamed Merah en 2012, avec une lâcheté et une complaisance collectives qui n’ont d’égale que notre obstination dans l’art criminogène de se crever les yeux, y compris face à l’explosion de l’antisémitisme, toujours un symptôme indiquant que l’ensemble du corps social est malade.

    Nous allons payer extrêmement cher cette indignité, les réjouissances ayant déjà commencé, vous entrouvrez peut-être un œil. Israël aussi s’était endormi, avec le résultat que l’on sait. Les massacres des kibboutz seront pour demain en France, dans nos foyers lunaires. Les même pathétiques rodomontades à chaque fois : on allait avoir « un avant et un après », après Merah, après Charlie, après le Bataclan, après Nice, après Samuel Paty, etc. etc. Or, non seulement nous n’avançons pas, mais nous régressons après chaque tuerie. Elles ne se cumulent pas, elles s’annulent.
    On nous a expliqué que vous attendiez le cadre d’un « agenda utile » avant de nous faire grâce de votre personne sur place : des négociations de paix avec le Hamas, ou peut-être avec le Hezbollah ou les deux?

    Au point où nous en sommes… Car nous sommes en juin 1940.
    Un « agenda utile » ? Une formule qui inspire trois attitudes possibles : le fou rire (un peu nerveux par ici ces temps-ci) pour les plus conscients du désastre français, la perplexité pour les plus aveugles et la fascination pour tous : comment peut-on être aussi décalé ? Je tiens toutefois à vous rassurer si d’aventure vous changiez d’avis : on vous accueille par politesse, ici presque personne ne vous connaît et la France ne représente plus rien, devenue une minuscule province à peine capable d’aligner 15 000 soldats opérationnels, dont mon propre fils a longtemps fait partie dans une unité parachutiste (une précision au cas où l’on me donnerait des leçons). Vu d’Israël, où l’on vient de mobiliser près de 400 000 combattants, une farce.

    Comment résumer ce en quoi s’illustre notre beau pays depuis le 7 octobre ? On ne sait trop par quoi commencer. D’abord, il y eut les cinq minutes d’émotion rituelle inspirées par un carnage à grande échelle, le plus abject depuis la Shoah : 1 400 victimes en un jour. Une petite cinquantaine, voire moins, nous expliquaient encore doctement certains journaux hexagonaux plusieurs jours après, l’AFP à l’appui… L’émotion : il est vrai que des bébés décapités, des femmes enceintes éventrées, des enfants et des jeunes filles violées et égorgés, des familles brûlées vives ou déchiquetées à la grenade, des êtres démembrés ou découpés à la tronçonneuse (oui, ils avaient aussi des tronçonneuses), des gosses survivants cachés et silencieux sous le corps de leurs parents et j’en passe, cela n’arrive pas non plus tous les jours.

    Mais c’était tout de même bien embêtant. D’abord, ces habitants des kibboutz du sud, tous de gauche, étaient aussi en première ligne depuis longtemps pour inviter les Gazaouis à travailler avec eux dans les champs — ils croyaient en la paix. Or ce sont pour partie ces travailleurs et ces gentils voisins, en plus des terroristes infiltrés, qui les ont trucidés.

    Comme pendant la Shoah : le rôle central joué par les voisins, qui se transforment en bêtes sauvages du jour au lendemain.
    Grâce à eux, ce 7 octobre, les terroristes disposaient des plans très détaillées de ces kibboutz pastoraux où ils étaient bienvenus.

    Très embêtant aussi, l’héroïsme de tous, de tous ces « sionistes ». Des civils, des jeunes ou des pères de famille qui sont immédiatement sortis de chez eux, avec ou sans armes, pour défendre les villages et sauver des jeunes gens qui dansaient à la Rave Party. L’héroïsme absolu des soldats et des policiers, de garçons et de filles en tout petit nombre, présents ou arrivés spontanément sur place quand ils ont commencé à comprendre, appelés au téléphone par les suppliciés tapis dans les bunkers, se battant pendant plus de vingt heures d’affilée parfois, avec un simple pistolet, contre des hordes de monstres surarmées.
    Des héros n’hésitant pas à se sacrifier et à sauter eux-mêmes sur les grenades (les terroristes en avaient deux mille) pour protéger les familles ou leurs camarades. Un héroïsme dont, en France, on n’a plus idée. Les mots manquent, oui, pour décrire l’horreur. Les représentations mentales nous manquent désormais aussi, en France, pour appréhender ce courage.

    On a donc vu sur « Cnews » Frédéric Taddéï s’empresser d’inviter la sociologue Laetitia Bucaille sur son plateau, « professeure » à l’INALCO et membre de l’Institut universitaire de France (IUF), un lieu d’excellence intellectuelle, pour nous expliquer que nous ne disposions d' »aucune preuve de ce qu’il s’était passé » le 7 octobre… L’animateur en question, venu de « Russia Today », la télévision de M. Poutine, jubilait, cela va de soi, sans la reprendre. Tout comme il jubilait déjà après Charlie sur « France 3 » en invitant Emmanuel Todd qui nous expliquait alors que les frères Kouachi étaient en fait des victimes (de la France catholique rance et discriminante), si bien que les victimes étaient les vrais bourreaux, nous avions mal vu (j’étais ce jour-là sur le plateau, invitée en néo-réac de service pour feindre la discussion « équilibrée »).

    Frédéric Taddeï a-t-il été viré depuis ce scandaleux « dialogue » avec Madame Bucaille ? Non. Un ou plusieurs chroniqueurs de la chaîne, des esprits à l’endroit et courageux, pour mettre leur démission dans la balance ? Personne. Et Madame Bucaille, virée de sa fac ? Le minimum syndical. Non plus. La direction de l’INALCO ? Elle est « outrée » et ne bougera pas une oreille.

    En Suisse, au même moment, un autre « professeur » s’est distingué par un propos négationniste similaire. Viré sur le champ et sans préavis. Nos amis helvétiques sont plus vigoureux.

    À propos des universités, l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), notamment (où j’ai enseigné jadis) s’est, elle aussi, illustrée au lendemain du carnage par un communiqué émanant d’un syndicat étudiant pour pratiquer le même type de discours : nous avions affaire à « une forme de résistance à l’occupation sioniste » (Gaza n’est plus occupée depuis 2005, sinon par une dictature totalitaire). Le poisson pourrit toujours par la tête. Et il se décompose depuis longtemps, nos facultés et nos Grandes écoles s’étant islamo-wokisées en diable dans une quasi indifférence, les lanceurs d’alerte n’étant pas plus entendus sur ce point que sur d’autres.

    Mieux, « France-Culture » s’est empressée de réinviter la sociologue de l’INALCO dès le lendemain, à ses « Matins », pour derechef éclairer l’opinion publique. Il fallait le faire ! Et sur quoi portent cette semaine « Les Chemins de la philosophie » sur cette même station ? Sur la « compromission » des grands intellectuels roumains des années 30 avec le fascisme et les pogroms (j’ai écrit aussi quelques livres là-dessus). Une voix pour oser faire remarquer au micro qu’on assistait à la même compromission en France depuis dix jours ? Non, bien sûr. Business as usual.

    En fin de semaine, on évoquera dans cette émission le courage des dissidents d’Europe de l’Est, de Vaclav Havel et de Jan Patocka. Comme si de rien n’était, comme si, eux, auraient laissé passer pareille ignominie.

    Le bal des faux-cul. Je ne généralise pas, je ne parle pas des admirables exceptions, là encore, une miraculeuse poignée dans la veulerie ambiante, à l’instar des rebelles de l’An 40 : les Georges Bensoussan, les Abnousse Shilmani et quelques autres intellectuels et journalistes, des guerriers du verbe et de la plume qui, comme après « l’étrange défaite » que nous sommes en train de revivre en live, sauvent l’honneur. Force est néanmoins de constater leur rareté.

    Phase II, il y eut heureusement cette roquette, tombée sur un hôpital de Gaza et ses quelque « 500 victimes », soi-disant tirée par les méchants, donc les sionistes. Une bénédiction. Ouf ! En fait, un missile lancé par le Hamas et retombé sur le parking pour un bilan revu à quelques dizaines de morts. On l’a su très rapidement. Mais c’était trop beau, il fallait s’engouffrer dans la brèche toutes affaires cessantes.

    Même vous, M. le président, avez commis la lourde faute de twitter bien vite. Et voilà la plupart des médias français reprenant aussitôt la propagande de l’organisation terroriste massacreuse, car on a toujours tendance à croire ce que l’on a envie de croire. Or, c’était irrésistible !

    Puis le démenti est arrivé, preuves formelles à l’appui. Subitement, la roquette du Hamas n’a plus intéressé grand-monde, pas plus que les 450 autres ayant loupé leur cible depuis le 7 octobre pour atterrir sur la bande de Gaza et ses civils. Il en va ainsi, du reste, lors de toutes les attaques du Hamas depuis de nombreuses années, un classique, comme à l’été 14, mais l’ignorance est crasse car elle souhaite le rester.

    Ce qu’il y a de bien avec les Juifs, c’est que même lorsqu’ils sont innocents, ils sont coupables. Jouissance, donc, avec cette roquette inopinée : les Juifs, pardon les sionistes, coupables de « génocide »(LCI) et de « crime contre l’humanité »… On a choisi les mots. Soulagement ! On a même vu Pierre Moscovici, ancien ministre et actuel président de la Cour des comptes, se précipiter à l’antenne de « i24News » pour expliquer qu’il faudrait nommer « une commission d’enquête indépendante ». Un esprit très mal tourné pourrait songer à la fable de La Fontaine, « Le chat, la belette et le petit lapin », « sa majesté fourrée », « un saint homme de chat, expert sur tous les cas ». Son père, le psychosociologue Serge Moscovici (dont j’ai publié chez Grasset les mémoires posthumes en 2019, Mon Après-guerre à Paris), un Grand, a survécu au pogrom de Bucarest de janvier 1941, qu’il décrit de façon stupéfiante dans ce livre. La fillette alors massacrée avec d’autres aux abattoirs de la ville par les fascistes de la Garde de fer, suspendue à un croc de boucher, portait autour du coup un écriteau : « Viande cascher », une image qui avait horrifié le monde entier… Nous n’en sommes donc plus là.

    En si bon chemin, Qui a-t-on invité, cette même semaine, à « Sud-Radio » ? Jean-Jacques Bourdin a réfléchi et il a opté pour la député Danièle Obono, bien connue pour sa clairvoyance face à l’islamisme. Rien de plus urgent que de l’entendre, sachant d’avance ce qu’elle allait dire. Le Hamas, une organisation qui « résiste » au crime d’occupation, etc. « Apologie du terrorisme », a dégainé à juste titre votre ministre de l’Intérieur en saisissant le procureur. Résultat ? Elle vient d’être élue pour siéger, à partir du 6 novembre, à la Cour de justice…

    À propos de ministère de l’Intérieur, qu’attend d’ailleurs votre ministre, M. le Président de la République, pour enfin autoriser — et même obliger — ses policiers à porter leur arme de service pendant leur congé, au-delà du trajet entre leur domicile et leur caserne ou leur commissariat, comme le veut jusqu’à présent la règle (un sketch) ? Le b-a ba d’un maillage plus serré du territoire s’agissant de mieux protéger leurs concitoyens, par exemple quand nos forces de l’ordre sont au cinéma en famille, dînent dans une pizzeria ou se promènent au jardin d’acclimatation avec leurs enfants, dans l’hypothèse où des énergumènes issus de nos quartiers émotifs se mettraient à mitrailler dans le tas. Vous avez peut-être fini par le comprendre, cette éventualité n’est plus à exclure.

    Même chose pour nos militaires, en particulier nos officiers, et cela dépend du ministère de la Défense. Mais à sa tête, et à un quart d’heure avant une possible troisième guerre mondiale, celui-ci paraît tout aussi à l’Ouest.

    Vous n’en êtes pas moins, M. le président, le Chef des Armées. Vous pourriez avoir votre mot à dire. C’est ainsi qu’en Israël, une nation de soldats, des dizaines de morts sont évités chaque année. Cela ne requiert aucun moyen, juste un brin de jugeote et une circulaire. J’ai soufflé en direct cette suggestion à des camarades qui se trouvaient sur le plateau de « Cnews » lors de l’intervention de M. Darmanin il y a quelques jours, par portables interposés. La question ne fut pas posée et elle ne le sera sans doute pas. Je la formule depuis 2015, en vain naturellement. Nous restons à des années lumières du réel.

    Sans jamais nous lasser, hier soir, dimanche, nous avons remis cela à la télévision. Quelle autre « personnalité » encore sur un plateau ? Le député Alexis Corbières, encore un convive de marque, pour nous servir ses habituelles circonvolutions. Mais il y a toujours un autre invité en face pour accepter de « débattre » avec lui, en l’occurrence Alain Bauer, il est vrai très agacé.

    Si tout le monde refusait (mon cas depuis 2015), on n’inviterait plus M. Corbières car il n’aurait plus de vis-à-vis. Mais comment résister à une invitation télévisuelle ? Convoquer le député France Insoumise était sans doute d’autant plus pressant que sa fille de 21 ans, une islamiste radicalisée, dont la maman est Raquel Garrido, autre tête pensante du parti de M. Mélenchon, venait de twitter : « Alors g ptet pas d’âme, mais ils me font pas du tt de peine, je les trouve mm plutôt chiants, surtt les gosses », allusions aux otages du Hamas détenus à Gaza, dont on n’ose imaginer le calvaire. Abject. Les parents ne sont certes pas responsables des déraillements de leurs enfants majeurs. Mais enfin…

    La rue ? On a des manifestations monstres, dites « pro-palestiniennes », en vérité « pro-Hamas », ce qui n’échappe à personne, mais qu’il ne conviendrait pas d’interdire. Encore et toujours le choix des mots car appeler un chat un chat, nous n’en sommes plus capables. Sur une pancarte brandie par une jeune fille, parmi mille autres, Place de la République, oui, de la République, on avait il y a trois jours : « Vous avez pleurés 40 faux bébés israéliens. Où êtes-vous pour les 1000 enfants palestiniens tués ? » Cette demoiselle fâchée avec l’orthographe (on se demande comment, du reste, l’Education nationale se portant si bien) doit ignorer que les enfants en question servent au Hamas de boucliers humains, l’organisation « caritative de résistance » déployant tous les moyens possibles pour empêcher les malheureux d’évacuer vers le sud (en plus de leur interdire l’accès aux tunnels protecteurs pendant les bombardements).

    Car plus il y a de « martyrs », plus le sang coule, plus le Hamas, dont on sait l’importance qu’il attache à la vie humaine, peut compter d’idiots utiles en France, en Europe et dans le monde, toujours au rendez-vous. C’est tout bon. Et que voit-on fleurir après les massacres du 7 octobre si on va faire ses emplettes au Printemps, à Paris, ces jours-ci ? Une belle affiche, où on lit ceci : « La torture des enfants palestiniens par Israël et l’occupation sioniste ». On se frotte les yeux. À ce seuil d’affaissement national, on pourrait être tenté de rendre les armes.

    Je m’arrête ici, la liste serait trop longue. En deux semaines, la France, la vôtre, M. le Président, celle que vous allez représenter demain en Israël, s’est surpassée. Je n’aimerais pas être à votre place. [….]

    En France, il n’est plus question que de l’aide humanitaire à Gaza et des bombardements de l’armée israélienne, un pays dont on se demande comment il ose se défendre. Et tenir à ce point à éviter d’autres carnages, au Sud comme au Nord, s’il laissait la menace prospérer comme on sait si bien le faire dans le pays qui vous a élu à la tête de l’Etat à force de regarder ailleurs. On me rapporte toutefois de source bien informée qu’on commence à observer une certaine fébrilité au sein de notre classe politique. Un avant et un après ? Pour l’heure, nous en sommes très loin, mais on aimerait malgré tout croire en un miracle. »

    <1771>

  • Mardi 24 octobre 2023

    « Le voyage à Nantes. »
    Souvenir personnel d’il y a un an lundi 24 octobre 2022

    Le voyage à Nantes est pour les nantais un concept touristique.

    Le Voyage à Nantes est d’abord un organisme touristique chargé de la promotion via la culture de la destination de Nantes, créé en 2011 sous la forme d’une société publique locale.

    C’est ensuite un parcours pérenne d’une cinquantaine d’étapes, dans la ville de Nantes, matérialisé par une ligne verte tracée au sol qui conduit le visiteur d’une œuvre originale d’un artiste d’aujourd’hui à un monument du patrimoine, célèbre ou méconnu.

    Pour un grand nombre de français, le voyage de Nantes fait songer à une chanson bouleversante de Barbara.

    Une chanson d’Adieu.

    D’adieu à son père incestueux.

    Elle entreprit le voyage à Nantes pour le rencontrer une dernière fois avant qu’il ne meure.

    Mais elle n’est pas arrivée à temps.

    Le titre exact du voyage à Nantes est simplement « Nantes ».

    Il pleut sur Nantes
    Donne-moi la main
    Le ciel de Nantes
    Rend mon cœur chagrin
    Un matin comme celui-là
    Il y a juste un an déjà
    La ville avait ce teint blafard
    Lorsque je sortis de la gare
    Nantes m’était alors inconnue
    Je n’y étais jamais venue
    Il avait fallu ce message
    Pour que je fasse le voyage
    Madame soyez au rendez-vous
    Vingt-cinq rue de la Grange aux Loups
    Faites vite, il y a peu d’espoir
    Il a demandé à vous voir
    À l’heure de sa dernière heure
    Après bien des années d’errance
    Il me revenait en plein cœur
    Son cri déchirait le silence
    Depuis qu’il s’en était allé
    Longtemps je l’avais espéré
    Ce vagabond, ce disparu,
    Voilà qu’il m’était revenu
    Vingt-cinq rue de la Grange aux Loups
    Je m’en souviens du rendez-vous
    Mais j’ai gravé dans ma mémoire
    Cette chambre au fond d’un couloir
    Assis près d’une cheminée
    J’ai vu quatre hommes se lever
    La lumière était froide et blanche
    Ils portaient l’habit du dimanche
    Je n’ai pas posé de questions
    À ces étranges compagnons
    J’ai rien dit, mais à leur regard
    J’ai compris qu’il était trop tard
    Pourtant j’étais au rendez-vous
    Vingt-cinq rue de la Grange aux Loups
    Mais il ne m’a jamais revue
    Il avait déjà disparu
    Voilà tu la connais l’histoire
    Il était revenu un soir
    Et ce fut son dernier voyage
    Et ce fut son dernier rivage
    Il voulait avant de mourir
    Se réchauffer à mon sourire
    Mais il mourut à la nuit même
    Sans un adieu, sans un je t’aime,
    Au chemin qui longe la mer
    Couché dans le jardin de pierres
    Je veux que tranquille il repose
    Je l’ai couché dessous les roses
    Mon père, mon père
    Il pleut sur Nantes
    Et je me souviens
    Le ciel de Nantes
    Rend mon cœur chagrin

    Pour moi, aujourd’hui, « le voyage à Nantes » est le trajet en train que j’ai entrepris, il y a un an, lundi 24 octobre 2022, avec Annie.

    Mon but était de voir encore une fois mon grand frère, avant qu’il ne soit trop tard.

    Les nouvelles étaient mauvaises. 40 jours auparavant Gérard m’avait appris qu’il était atteint d’une leucémie aigüe. Mais lors du weekend, les médecins avaient brusquement donné le signal de l’urgence absolue.

    Alors, avec Annie nous avons pris le TGV pour Nantes à 15:30 avec une arrivée prévue à 19:50.

    A 16:50, ce TGV va s’arrêter en pleine voie, une panne électrique en est la cause.

    Il sera toujours arrêté quand à 17:25, Gérard expira pour la dernière fois.

    Son fils Gregory m’a tout de suite informé :

    « Papa vient d’avoir son dernier souffle. »

    C’était mon Grand Frère, puisque lui m’appelait toujours, alors que j’avais 60 ans passé, « mon petit frère ».

    Il est vrai que 11 ans nous séparaient.

    Le train arrivera à Nantes à 22:10 avec 2h20 de retard


    « La vie est une drogue.
    La mort est son sevrage qui nous rend plus jeunes encore qu’au berceau où nous sommes saturés de gloires.
    Il y a deux forces inépuisables dans le monde, celle des nouveau-nés et celle des morts.
    Le seul fait de vivre, d’être jeté au monde, comme on est jeté aux chiens, nous crée un devoir envers ceux qui nous ont précédés sur ce chemin, sous cette charmille, dans ce cyclone.
    Les morts nous ont menés, siècle après siècle, au rivage de la vie. Nous leur devons bien un peu de lumière.
    Être dignes d’eux, ne pas abîmer ce qu’ils n’ont plus.
    Nous avons le devoir d’enchanter le bout de tissu que nos doigts de nouveau venu serraient au fond du berceau.
    Ce tissu est la vie entière, légère, froissable. »
    Christian Bobin, « Le muguet rouge » page 40

    Bobin l’enchanteur est mort le 23 novembre 2022, soit trente jours après mon grand frère

    <1770>

  • Lundi 23 octobre 2023

    « Si la haine répond à la haine, comment la haine finira-t-elle ? »
    Bouddha

    Une actualité violente chasse l’autre :

    On ne parle presque plus de la guerre que la Russie mène à l’Ukraine et plus du tout de l’épuration ethnique au Haut Karabakh.

    On parle des crimes abjects et inimaginables que les terroristes du Hamas ont perpétré pendant leur attaque contre Israël du 7 octobre.

    Avant de parler des bombardements de l’armée israélienne sur la prison à ciel ouvert de Gaza, je voudrais quand même renvoyer vers un article qui raconte le 7 octobre : « On n’avait pas vu de telles images depuis le régime nazi »

    Alors, bien sûr on peut passer son chemin, se protéger de l’horreur, ne pas sombrer avec la folie meurtrière des hommes.

    Mais si on veut essayer de comprendre, comprendre la sidération de la communauté juive mondiale, le désir de vengeance, la haine, il n’est pas possible de passer son chemin.

    Cet article relate ce que les soldats de la base de Shura, dans le centre d’Israël, transformée en morgue géante et en service d’identification des corps ont vu et vécu.

    « Depuis le carnage du 7 octobre, [ l’article est du 20 octobre ] cette morgue géante aménagée sur la base du rabbinat militaire a reçu plus de 1300 cadavres, souvent méconnaissables. Ces derniers jours, l’armée en a ouvert les portes à la presse afin de faire connaître l’ampleur des sévices infligés aux victimes. « Parce que vous êtes journalistes, prévient le colonel Weissberg, vous savez qu’en temps de guerre chaque camp s’efforce d’imposer sa vérité aux dépens de l’adversaire. Mais dans ces circonstances exceptionnelles, vous avez le devoir de me croire. De toute façon, toutes les horreurs dont nous allons vous parler ont été filmées par les terroristes puis diffusées sur les réseaux sociaux. Et je peux vous assurer qu’on n’avait pas vu de telles images depuis le régime nazi. »

    Les corps sont méconnaissables, mutilés montrant une ampleur de sévices infligés aux victimes défiant absolument notre humanité.

    « Depuis quelques années, on s’entraînait en prévision d’une tuerie de masse en se disant qu’on devrait ce jour-là être capables d’accueillir des dizaines de dépouilles à la fois, sourit tristement Shery, une volontaire qui a rejoint l’unité pour s’occuper spécifiquement des femmes soldats. Mais jamais on n’aurait imaginé être confrontés à une telle abomination.»

    L’article donne des éléments concrets de cette inhumanité.

    Je n’en ferai pas la liste, le podium de l’horreur n’a pas de sens.

    Mais je m’arrêterai sur l’un de ces crimes contre l’humanité, je cite le colonel Weissberg :

    « Que dire lorsque vous découvrez le corps d’une femme enceinte tuée par un terroriste qui lui a ouvert le ventre, puis en a extrait le fœtus avant de leur couper la tête à tous les deux ? ».

    Oui que dire ?

    Le criminel veut éradiquer toute vie, la vie juive, jusqu’à sa racine.

    Et ce crime a été commis au nom d’Allah.

    Au début, le conflit de la Palestine était un conflit territorial, certes les uns étaient de confession juive et les autres de confession musulmane, mais aussi chrétienne, mais la religion n’était pas prégnante dans cette opposition.

    Elle l’est devenue, c’est ce qu’écrit Sylvain Cypel dans l’hebdomadaire « Le Un » : « Le conflit a basculé de national à religieux »

    Le Hamas veut créer un état islamique et se bat au nom de son Dieu qui lui a donné cette terre selon sa croyance. Et du côté israélien, il y a aussi des combattants de la Foi qui affirment que ce n’est pas la décision de l’ONU qui leur a donné cette terre, mais leur Dieu qui justifie leur présence sur la terre promise. La Cisjordanie, dans leur bouche, devient la Judée Samarie, appellation biblique.

    On disait parfois que la musique adoucit les mœurs, ce qui selon mon expérience n’est que partiellement exact pour les interprètes.

    Mais notre expérience collective montre que la religion n’adoucit pas non plus les mœurs. Elle parvient à compliquer encore davantage des situations qui le sont déjà, et dans le cas qui nous occupe parvient à déchainer encore davantage la violence.

    Et maintenant Israël réagit et bombarde la bande de Gaza.

    Les 2,3 millions d’habitants ne sont pas le Hamas, mais le Hamas est parmi eux.

    Ces habitants sont enfermés dans cette bande, ils ne peuvent pas la quitter, Israël et l’Egypte les en empêchent.

    C’est dans ce numéro du « Un » qu’est reproduit la phrase du Bouddha mise en exergue :

    « Si la haine répond à la haine, comment la haine finira-t-elle ?»

    J’ai été bouleversé par cette <Video> mise en ligne par une journaliste indépendante israélienne : Or-ly Barlev 

    Elle a filmé ce témoignage d’une résidente survivante du kibboutz Be’éri, âgée de 19 ans, qui au delà de son désarroi et de sa douleur parvient à se hisser au-delà de la vengeance et s’en prend à Benyamin Netanyahou qu’elle appelle Bibi :

    « Il a décidé de nous jeter le dôme de fer, plutôt que d’arriver à une solution politique »

    Il y avait un processus de paix.

    Benyamin Netanyahou n’en voulait pas.

    Sur le site de Radio France, le journaliste Charles Enderlin rappelle en 2020:

    « Vous savez, Benyamin Netanyahou, l’actuel Premier ministre de l’État d’Israël, était à la tête des manifestations place de Sion à Jérusalem, où la foule hurlait « À mort. Rabin, par le feu, par le sang, nous expulserons Rabin ». »

    Et en face, le Hamas faisait des attentats contre les israéliens pour saboter le processus. Charles Enderlin écrit :

    « Dès le début du processus d’Oslo, les extrémistes des deux camps se sont mis à l’œuvre. Le Hamas a décidé de tout faire pour empêcher la création d’un État palestinien au côté de l’État d’Israël car pour les islamistes radicaux, il n’est pas question de permettre un État juif en terre d’islam. Et pour les nationalistes messianiques juifs, il n’est pas question de permettre une Palestine libre et indépendante en terre d’Israël. Au début de l’année 1994, quelques mois après la signature des accords d’Oslo, un terroriste juif a massacré 29 Palestiniens en prière dans le caveau des Patriarches à Hébron. Cela a donné le prétexte aux islamistes de Gaza pour lancer des campagnes d’attentats suicides qui, bien entendu, ont contribué à la détérioration de l’image du processus de paix dans le public israélien. L’insécurité a commencé à régner dans les rues israéliennes. »

    Aujourd’hui Netanyahou est à la tête d’Israël et le Hamas gouverne Gaza.

    Rabin lui disait :

    « Je continue le processus de paix comme s’il n’y avait pas d’attentats, et je lutte contre les attentats comme s’il n’y avait pas de processus de paix »

    Personne ne sait si Rabin aurait pu mener le processus de Paix à son terme. Mais il en avait la volonté car il savait que l’avenir d’Israël en dépendait.

    Aujourd’hui ce sont ses ennemis et les supporters de son assassin qui sont au pouvoir.

    Yitzhak Rabin a été assassiné, le 4 novembre 1995 au soir, de deux balles tirées à bout portant dans le dos par un messianique exalté juif.

    <Cet Article> raconte que Itamar Ben Gvir a demandé en 2007 la libération de l’assassin de Rabin : Yigal Amir.

    Itamar Ben Gvir est l’actuel Ministre de la Sécurité nationale du gouvernement israélien.

    Il exposait jusqu’en 2020 dans son salon une photo de Baruch Goldstein, l’auteur du massacre d’Hébron cité par Charles Enderlin. Il a déclaré l’avoir retirée en janvier 2020 après s’être aperçu que cela pouvait lui nuire politiquement. Il continue toutefois de revendiquer son admiration pour le terroriste. C’est ce que vous pourrez lire dans cet article de <Times Of Israel>

    Ce que le Hamas a fait le 7 octobre constitue un paroxysme de haine.

    Mais la haine ne peut pas vaincre la haine, elle ne peut que l’exacerber.

    En France, il existe un mouvement de femmes : « Les guerrières de la paix » fondé en mars 2022 qui rassemblent des femmes musulmanes et juives convaincues que seules la Paix et la prise en compte de l’autre constitue une issue à toute cette haine.

    Les deux co-presidentes sont Fatima Bousso et Hanna Assouline.

    Cette dernière avait été invitée par Karim Rissouli dans son émission « En société » sur France 5 du dimanche 22 octobre 2023.

    Hanna Assouline qui dit (reproduit sur cette page de Radio France) :

    « Il faut savoir nommer les choses. Nommer l’horreur des massacres perpétués par le Hamas, celle des civils qui meurent sous les bombardements israéliens. [mais] il est important de réaliser que parler d’une souffrance n’en invisibilise pas une autre. »

    Vous trouverez derrière ce lien <Guerrière de la Paix> un documentaire de 50 minutes sur ces militantes de l’espoir en Palestine et en Israël.

    <1769>

  • Mardi 17 octobre 2023

    « Je n’aurai pas le temps […] de visiter toute l’immensité d’un si grand univers. »
    Texte de Pierre Delanoë, chanté par Michel Fugain et titre d’un ouvrage de Hubert Reeves

    Nous sommes dans un monde de violence.

    Et la violence, hélas, mille fois hélas, paie.

    L’israélien fanatique qui a tué Yitzhak Rabin a gagné, le processus de paix engagé par les accords d’Oslo a été enterré.

    L’Azerbaïdjan a récupéré le Haut Karabakh par une violence inouïe, elle a gagné, personne ne proteste, ou si mollement.

    Poutine a usé de violence sur tous les fronts. Nous avons l’intuition qu’il va garder la Crimée et une partie de l’Ukraine. Par lassitude nous accepterons cette situation de fait.

    Les islamistes monstrueux qui ont pratiqué le carnage de Charlie Hebdo ont gagné, plus personne ne caricature le prophète de l’islam.

    Cette religion que certains veulent voir ou proclamer comme une religion de paix et qui aujourd’hui dans le monde fonde des régimes odieux et des organisations criminelles à l’égard des femmes, des idées, de la connaissance et de ceux qui ne croient pas ou ne suivent pas leur récit intégriste.

    Ce n’est au nom de la Palestine mais au cri de la formule du « takbir » que les criminels du Hamas ont tué, massacré, mutilé enfants, femmes et hommes parce qu’ils étaient sur le sol de l’État d’Israël, juifs et aussi non juifs

    Le takbir est cette expression arabe, utilisée dans l’islam : « Allahu akbar » ou « Allahou akbar » parfois transcrite « Allah akbar », qui signifie « Allah est [le] plus grand ».

    Nous pouvons craindre que ces actes de terrorisme, ces crimes de guerre et ces crimes contre l’humanité, car ces 3 appellations correspondent, toutes les trois, à la réalité des faits, vont entrainer encore plus de violence et de chaos, ce que les odieux stratèges du Hamas avaient anticipé.

    Alors, cela fait du bien de parler d’un homme doux, d’un homme sage, d’un humain qui a cherché à comprendre le monde, non en cherchant de manière abêtissante dans des récits proclamés « sacrés » une vérité qui ne s’y trouve pas, mais en observant l’univers, en l’étudiant humblement, en faisant des expériences et en acceptant de distinguer entre ce que l’on pouvait savoir, ce qui était probable et l’immensité de ce que l’on ne savait pas.

    Cet homme qui disait :

    « Quand il y a plusieurs hypothèses, c’est qu’on ne sait pas »

    Cet homme était Hubert Reeves, il est parti rejoindre les étoiles ce vendredi 13 octobre 2023 à 15:15 . Il avait 91 ans

    En 2008, il a publié un livre de 348 pages : « Je n’aurai pas le temps » dans lequel il parle de son parcours, de son enfance québécoise à sa carrière scientifique internationale, de son milieu familial à sa renommée médiatique et à ses engagements écologiques.

    Il décrit la quête de cet ouvrage de la manière suivante :

    « Le motif de ce livre peut se résumer en ces quelques mots : « un homme et son métier ». Comment ai-je atterri dans ce monde de la science ? Que m’a-t-il apporté ? Que lui ai-je apporté ? Je parlerai de mes moments de bonheur, d’euphorie, et aussi de mes frustrations. Je décrirai les projets que j’ai poursuivis et comment ils m’ont amené à visiter le vaste monde. »

    Le titre de son livre a été inspiré directement de <cette chanson> de Michel Fugain dont les paroles ont été écrites par Pierre Delanoë

    « Je n’aurai pas le temps
    Pas le temps
    Même en courant
    Plus vite que le vent
    Plus vite que le temps
    Même en volant

    Je n’aurai pas le temps
    Pas le temps
    De visiter
    Toute l’immensité
    D’un si grand univers
    Même en cent ans
    Je n’aurai pas le temps
    De tout faire »

    « La terre au carré » de Mathieu Vidard a consacré un <Hommage à Hubert Reeves> en rediffusant des parties d’émissions auxquelles il a participé. La première d’entre elles était consacrée à la sortie de ce livre « Je n’aurai pas le temps »

    La première fois que j’ai évoqué Hubert Reeves, ce fut en 2015, dans un mot du jour consacré à la théorie de la réfutabilité de Karl Popper : « Une théorie qui n’est réfutable par aucun événement qui se puisse concevoir est dépourvue de caractère scientifique. »

    C’était pour illustrer cette théorie par une remarquable conférence de Hubert Reeves <La crédibilité de la théorie du big bang par Hubert Reeves>

    Un an après, entre le lundi 14 mars et le vendredi j’ai consacré 5 mots du jour à un livre que je venais de lire : « Là où croit le péril, croit aussi ce qui sauve »

    Voici le lien vers le premier article : « C’est une chose étrange à la fin que le monde… »

    Dans l’émission hommage de la terre au carré, Hubert Reeves révèle que s’il pouvait vivre une nouvelle vie, il serait à nouveau astrophysicien, mais qu’il apprendrait aussi à faire de la musique et plus précisément à jouer du violoncelle.

    Le dernier mot du jour consacré à Hubert Reeves, le 23 avril 2021, avant celui d’aujourd’hui était aussi consacré à la musique : « Schubert, il est mort. […] Et pourtant il n’est pas mort. Il est avec moi, il vient me parler, il me parle »

    Hubert Reeves disait que :

    « [Ma plus grande fierté] est quand des gens me disent qu’après avoir lu un de mes livres, ils se sont sentis plus intelligents. »

    Et il a écrit beaucoup de livres qui rendent plus intelligents celles et ceux qui ont la bonne idée de les lire.

    Vous trouverez derrière ce lien <Hubert Reeves> le site consacré à cet homme doux et sage et sur lequel il est écrit sobrement : « Le présent site, maintenu par un membre de sa famille, restera en ligne aussi longtemps que les ressources nécessaires seront là pour le permettre, afin de perpétuer son souvenir. »

    <1768>

  • Lundi 9 octobre 2023

    « Ce qui caractérise la situation [du Haut-Karabakh] c’est un nettoyage ethnique sous menace génocidaire. »
    Jean-Louis Bourlanges, président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale

    Les derniers mois et jours ont montré un déchainement de violence et de guerre dans des conflits latents que les diplomates et hommes politiques n’ont pas su apaiser.

    Ces impasses me font penser à ce mot d’esprit : Connaissez vous la différence entre un homme intelligent et un homme sage ?

    Un homme intelligent parvient à régler un problème que le sage a su éviter.

    Mais nous sommes à la recherche d’hommes intelligents, à défaut qu’ils n’ont su être sage. Ce sont des hommes d’État dont nous avons besoin, non d’hommes politiques.

    Parmi ces sujets, il en est un qui a retenu mon attention : le conflit du Haut-Karabakh.

    Pour celles et ceux qui sont un perdus dans cette histoire, je vais d’abord faire un rappel des faits.

    Mais l’essentiel de ce mot du jour est la seconde partie qui tentera d’éclairer cette situation qui révèle la manière dont les choses se passent dans le monde et dans la géopolitique internationale.

    On attribue au Général de Gaulle ce constat non romantique :

    « Les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts »

    A – Rappel des faits

    Il serait possible de remonter très loin, mais pour se concentrer sur l’essentiel, il faut commencer en 1921, dans l’Union soviétique dirigé par Lenine et les Bolcheviks mais dans laquelle Staline jouait déjà un grand rôle. Il avait été nommé « commissaire aux nationalités »

    L’union soviétique était un état fédéral dans lequel coexistaient des états fédérés. Parmi ces états il y avait l’Arménie et l’Azerbaidjan.

    Les arméniens étaient chrétiens, les azéris musulmans.

    Staline va proposer et Lenine va accepter des manipulations concernant l’attribution de territoires entre les États.

    Concernant l’Arménie et l’Azerbaidjan, Staline va obtenir le rattachement du Haut-Karabagh, appelé alors le Nagorno Karabakh à la république socialiste soviétique d’Azerbaïdjan le 4 juillet 1921.

    Or le Haut-Karabagh à cette époque, est peuplé à 94 % d’Arméniens et pour cette raison était auparavant, rattaché à la république socialiste soviétique d’Arménie.

    Parallèlement, en mars 1921, Staline décide le rattachement du Nakhitchevan à l’Azerbaïdjan, avec un statut de Région autonome.

    Ce qui fait que l’Azerbaidjan est divisé en deux et que c’est l’Arménie qui sépare la partie principale, de la région autonome.

    Si on avait voulu créer les conditions du désordre et du chaos, on ne s’y serait pas pris autrement.

    Même si, tant qu’existait le régime totalitaire de l’Union soviétique dirigé d’une main de fer par le Politburo situé à Moscou, les petites divergences entre États Fédérés étaient rapidement réglées

    Mais à ce stade, il faut remonter encore un peu plus loin dans l’Histoire.

    Pas très loin, 6 ans avant, en 1915.

    En 1915, commence le premier génocide de l’Histoire européenne, le génocide arménien perpétré par les turcs de l’empire ottoman.

    La carte reproduite, montre que les arméniens se situent à un très mauvais endroit : la rencontre de 3 empires :

    • L’Empire russe
    • L’empire Turc qui à l’époque était l’empire Ottoman
    • L’empire Perse qui s’appelle désormais l’Iran.

    Les territoires dont il est question ici avaient, pour l’essentiel, été arrachés à l’Empire Perse par l’Empire tsariste russe en 1828.

    Pour motiver le massacre des arméniens, les turcs avaient prétendu que les arméniens chrétiens trahissaient l’empire ottoman dirigé par les musulmans au profit de l’empire russe dirigé par les chrétiens. Car en 1915, nous étions en pleine première guerre mondiale et l’empire Ottoman était allié à l’Allemagne et à l’Autriche, alors que l’Empire Russe était de l’autre côté celui de la France et de la Grande Bretagne.

    Les historiens ont démontré que cette trahison générale des arméniens contre leur empire ottoman était inexistante. Disons, de manière cynique, que le génocide peut s’analyser comme une action préventive contre le risque éventuel que la religion chrétienne commune avec l’ennemi, aurait pu pousser les arméniens à trahir.

    Lors du centenaire, en 2015, j’avais écrit plusieurs mots du jour sur ce crime impardonnable organisé par le gouvernement jeune turc de Talaat Pacha, Enver Pacha et Cemal Pacha :

    L’Empire ottoman sera dans le camp des vaincus. Une partie du territoire ottoman occupé par les arméniens, on parle de l’Arménie orientale sera intégrée à l’Union soviétique. Et c’est lors de cette intégration que le Nakhitchevan qui était rattaché auparavant à l’Oblast arménien, sera rattaché à l’Azerbaïdjan. C’est pourquoi ce rattachement fera l’objet d’un accord signé en mars 1921 entre la république socialiste fédérative soviétique de Russie et la Turquie.

    Or, le Nakhitchevan, était peuplé de quasi 50 % d’Arméniens avant la soviétisation. Mais il a perdu presque toute sa population arménienne pendant l’ère soviétique à cause de mouvements d’émigration et d’une politique pro-azérie dans l’exclave : La population arménienne du Nakhitchevan, estimée à 15 % en 1926 préfère alors quitter la république socialiste soviétique autonome du Nakhitchevan pour la république socialiste soviétique d’Arménie voisine. Dans les années 1980, il n’y a plus qu’1 à 2 % d’Arméniens au Nakhitchevan.

    Dans la relation entre les azéris et les arméniens, le génocide est omniprésent.

    En effet, les azéris sont une ethnie turcophone.

    Et l’autocrate turc Erdogan, dans ses discours définit ainsi la relation entre la Turquie et l’Azerbaïdjan :

    « Une seule nation, deux états »

    C’est pourquoi lorsque les arméniens parlent des azéris, ils les appellent « les turcs »

    Tout est en place pour la guerre :

    L’Union soviétique s’effondre en 1991. Les États de la fédération deviennent indépendants.

    L’Arménie devient indépendante, mais le Haut Karabakh appartient à l’Azerbaïdjan, en raison de la décision de 1921 de Staline.

    Le 2 septembre 1991, l’Assemblée nationale de la Région autonome du Haut-Karabagh proclame l’indépendance du pays.

    L’Arménie intervient de son côté et une guerre va éclater entre les azéris et les arméniens, des massacres ont lieu des deux côtés.

    Dans les années 1990, l’Arménie est mieux armée et organisée et va finalement gagner et même s’emparer de territoires supplémentaires autour du Haut-Karabakh.

    En mai 1994, un cessez-le-feu est obtenu et des négociations pour une résolution du conflit sont organisées. Mais la situation sur le terrain est celle d’un Haut-Karabakh indépendant de l’Azerbaïdjan.

    Dans le Droit international il existe deux principes concurrents :

    • Le droit des peuples à disposer d’eux même
    • L’intangibilité des frontières

    L’application du premier, étant donné la population du Haut-Karabakh, aurait été pour un détachement de cette région de l’Azerbaïdjan.

    Mais le monde entier a préféré le second. Personne, mis à part l’Arménie, n’a reconnu l’indépendance de l’Artsakh, nom donné par les arméniens au Haut-Karabakh.

    Pendant 25 ans la situation a été gelée et les négociations n’ont pas progressé.

    Mais pendant ce temps, l’Azerbaïdjan, grand producteur de pétrole et de gaz s’est énormément enrichi et a utilisé sa richesse pour s’armer massivement.

    Et puis, elle a un allié qui est devenu puissant et qui s’affranchit de la prudence que lui imposait son appartenance à l’OTAN : la Turquie.

    En 2020, avec l’aide de la Turquie, l’Azerbaïdjan attaque le Haut-Karabakh et l’Arménie et gagne très facilement.

    Mais elle ne peut pas s’emparer du Haut-Karabakh proprement dit, mais simplement des territoires supplémentaires que les arméniens avaient conquis en 1990.

    Elle n’a pas pu aller jusqu’au bout parce que la Russie, normalement protectrice des arméniens, s’était interposé et avait sifflé la fin de la partie, sans engager son armée.

    La Russie avait cependant engagé une force d’interposition pour figer la nouvelle situation.

    La Russie doit assistance à l’Arménie parce qu’elle a signé le traité de sécurité collective (ou encore traité de Tachkent) le 15 mai 1992 avec l’Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan.

    Ce traité, elle ne l’a presque pas respecté en 2020 et elle ne respectera pas du tout en 2023, lorsqu’après un blocus de 9 mois ayant poussé la population au bord de la famine, l’Azerbaïdjan a attaqué avec son armée le Haut-Karabakh  et l’a poussé à la capitulation en deux jours.

    L’Arménie n’est pas intervenue. Sans allié, elle était certaine d’être à nouveau battu par les Turcs des deux états. En outre, après la défaite de 2020, le premier ministre arménien Nikol Pashinyan a été contraint à reconnaître la souveraineté de l’Azerbaïdjan sur le Haut-Karabakh.

    Dans ce cadre, l’intervention de l’armée d’Azerbaïdjan constituait une simple opération interne à un État qui mettait fin à une situation de sécession d’une population séparatiste qui ne reconnaissait pas l’autorité légitime de l’État.

    Pour quasi tous les pays du monde, tout ceci est absolument normal, à commencer par la Chine qui estime que Taïwan est dans la même situation que le Haut-Karabakh.

    Admettons…

    Mais après cet écroulement en deux jours, «  plus de 100 000 personnes ont quitté le territoire ».

    Or, ce territoire comptait 120 000 habitants.

    A ce stade, les deux principes évoqués ci-avant vont pouvoir se rejoindre, tous les arméniens étant partis, un référendum réalisé sur ce territoire permettra de constater que le peuple qui l’habite souhaite faire partie de l’État d’Azerbaïdjan.

    Pourquoi les arméniens sont-ils partis ?

    S’ils étaient restés, ils devaient prendre un passeport azerbaïdjanais et les jeunes être incorporés dans l’armée qui potentiellement pouvait entrer en guerre contre l’Arménie.

    Mais de manière beaucoup plus simple, par peur d’un nouveau génocide perpétré par les turcs.

    C’est ce qu’a résumé Jean-Louis Bourlanges dans l’émission < Un jour dans le monde> :

    « Ce qui caractérise la situation [du Haut-Karabakh] c’est un nettoyage ethnique sous menace génocidaire. »

    Jean-Louis Bourlanges, rappelait que lorsque le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, parlait des arméniens il les traitait de chiens.

    Et il ne faisait guère de doute, que le choix des arméniens se trouvait entre le cercueil et l’exil. Ils ont choisi l’exil, cela s’appelle de l’épuration ethnique.

    Voilà grosso modo les faits, mais cette histoire du Haut-Karabakh présente de nombreuses questions que je pourrais résumer en une seule : Pourquoi l’Arménie est-elle si seule ?

    B – Analyse de l’isolement de l’Arménie

    La réponse courte est que l’Arménie n’a ni pétrole , ni gaz !

    Mais allons un peu plus loin…

    1° Pourquoi la Russie n’est-elle pas intervenue ?

    C’était son devoir d’intervenir, d’abord en raison du traité de Tachkent et ensuite stratégiquement parce qu’elle ne devrait pas tolérer que la Turquie impose son leadership sur cette région.

    Dire simplement, que c’est parce qu’elle est occupée en Ukraine, ne suffit pas.

    L’explication se trouve dans le fait que l’Arménie est une démocratie, certes imparfaite mais le pouvoir politique peut changer de main suite à une élection.

    C’est ce qui s’est passé en mai 2018, lorsque Nikol Pashinyan est devenu premier ministre alors qu’avant il était dans l’opposition.

    Poutine a beaucoup de mal avec les pouvoirs démocratiques, il préfère les autocrates de son espèce, comme Ilham Aliyev qui a succédé à son père qui détenait le pouvoir depuis l’indépendance de l’Azerbaïdjan. Aucune opposition n’est tolérée en Azerbaïdjan, aucune élection ne peut être défavorable au pouvoir. Cette manière de gouverner, Poutine la comprend et l’approuve.

    Nikol Pashinyan a encore aggravé son cas en se rapprochant de l’Occident, des États-Unis et des européens. Pour Poutine, c’est une trahison supplémentaire et l’exemple de l’Arménie doit pouvoir faire comprendre que si on veut compter sur la Russie, il ne faut pas agir comme l’Arménie.

    Enfin, il y aurait même une raison économique. Plusieurs sources prétendent que grâce à l’Azerbaïdjan, la Russie contourne le blocus occidental sur son gaz et son pétrole : l’Azerbaïdjan acceptant de faire passer pour sien les hydrocarbures que la Russie lui livre. C’est ce qu’on peut trouver comme information sur le site de <France 24>

    2° Pourquoi l’Union européenne n’exerce t’elle aucune pression sur l’Azerbaïdjan ?

    Il y a utilisation d’une force brutale d’un État autoritaire contre une démocratie et il y a de toute évidence une épuration ethnique.

    L’union européenne devrait réagir autrement que par des communiqués mous.

    Mais elle ne le fait pas.


    La guerre d’Ukraine avait à peine commencé, l’Allemagne et les autres pays européens étaient très inquiets pour leur approvisionnement en gaz. Alors la présidente de la commission européenne avait pris son bâton de pèlerin pour se rendre à Bakou le <18 juillet 2022> et faire cette déclaration à côté du Président Aliyev, visiblement ravi :

    « Vous êtes pour nous un partenaire énergétique crucial […] et fiable ».

    C’était pour la bonne cause pour que les européens puissent continuer à se chauffer et à disposer de l’énergie nécessaire pour continuer à vivre convenablement.

    D’ailleurs, si nos dirigeants n’étaient pas arrivés à trouver des sources d’approvisionnement alternatives, nos concitoyens des différents États de l’Union se seraient manifestés bruyamment, voire davantage.

    Il n’est pas raisonnable de se fâcher avec un État aussi indispensable et fiable….

    3° Pourquoi L’Ukraine prend-elle position pour l’Azerbaïdjan ?

    Courrier International écrit : « Au Haut-Karabakh, l’Azerbaïdjan est dans son droit, estime la presse ukrainienne »

    En outre Volodymyr Zelensky a décroché son téléphone, mercredi 4 octobre, pour appeler son homologue azerbaïdjanais, Ilham Aliev et le président ukrainien a déclaré sur la plateforme X (ex-Twitter).:

    « Nous avons réaffirmé notre attachement aux principes de souveraineté et d’intégrité territoriale des États »

    Il a également annoncé avoir aussi « remercié » le président azerbaïdjanais pour l’aide humanitaire fournie à Kiev, « en particulier dans le secteur de l’énergie à l’approche de l’hiver ».

    Ce dernier argument se rapproche de celui de l’Union européenne.

    Mais le premier montre une communauté de destin et d’intérêt. L’Ukraine comme l’Azerbaïdjan a profité d’une décision unilatérale d’un responsable soviétique. Pour l’Ukraine il s’agissait du successeur de Staline, Nikita Khrouchtchev qui a attribué la Crimée à l’Ukraine, bien qu’elle fût majoritairement peuplée de russes. Le Haut Karabakh se trouve donc par rapport à l’Azerbaïdjan dans une situation similaire que la Crimée par rapport à l’Ukraine.

    4° Pourquoi Israël soutient elle l’Azerbaïdjan et lui fournit des armes ?

    L’explication des ressources énergétiques peut, encore une fois, être avancée.

    Mais on peut quand même s’étonner du peu d’empathie entre le peuple victime de la shoah à l’égard du peuple arménien qui a vécu un autre génocide, avant le sien.

    Israël n’a jamais reconnu le génocide arménien !

    Parce qu’Israël a toujours voulu, depuis sa création, conserver d’excellentes relations avec la Turquie. Il y eut quelques tensions avec Erdogan, mais rien d’essentiel qui puisse justifier de se fâcher avec le pays responsable du génocide arménien.

    5° La position de la Turquie est claire et univoque.

    Cette fois nous sommes dans un univers connu.

    Chaque fois que la Turquie peut nuire aux arméniens, elle le fait.

    L’Azerbaïdjan ce sont des turcs, donc ils doivent être aidés.

    6° Pourquoi l’Iran soutient-elle l’Arménie, plutôt que l’Azerbaïdjan ?

    L’Arménie a un soutien, c’est l’Iran.

    C’est doublement surprenant parce que d’une part l’Arménie est chrétienne et surtout que les azéris sont principalement chiites comme les iraniens.

    Cette fois la religion n’a rien à faire dans cette affaire.

    Il existe en Iran, un territoire essentiellement occupé par des azéris, cette ethnie turcophone. L’Iran ne veut surtout pas que ses azéris puissent avoir une velléité de rejoindre l’Azerbaïdjan.

    L’Iran est, de ce fait, totalement opposé à l’idée que poursuivent les azéris et les turcs de créer un corridor appelé « le corridor de Zanguezour » qui permettrait de relier à l’Azerbaïdjan au Nakhitchevan jusqu’à la Turquie, au dus de l’Arménie, le long de la frontière avec l’Iran.

    Ce projet pourrait être la raison d’une nouvelle guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

    7° Pourquoi les États-Unis se désintéressent de cette affaire

    D’abord parce que les États-Unis ne veulent plus s’intéresser à autre chose que leurs affaires internes et leur rivalité avec la Chine.

    Mais il y a une autre raison indiquée par Jean-Claude Bourlanges : les États-Unis, ennemi absolu de l’Iran, n’aime pas que l’Arménie soit soutenue par ce pays ostracisé. Vous ne pouvez être ami de l’Iran et compter sur l’appui des États-Unis.

    Il y aurait encore d’autres points à souligner mais cela dépasserait le cadre d’un mot du jour.

    Mais on voit ainsi que la morale, l’éthique et l’émotion sont très éloignées des motivations des États.

    <1767>

  • Vendredi 6 octobre 2023

    « Je ne sais pas si Dieu existe, mais je crois que oui et je pense qu’André va répondre : je ne sais pas mais je pense que non. »
    Éric-Emmanuel Schmitt répondant à la question est ce que Dieu existe ? et interpellant son ami André Compte Sponville

    Lors de l’émission « La Grande Librairie » du 26 avril 2023, Augustin Trapenard interrogeait le sacré et la spiritualité.

    Il avait invité les auteurs de quatre ouvrages.

    • Éric-Emmanuel Schmitt qui dans « Le défi de Jérusalem » raconte son pèlerinage sur les traces de Jésus Christ. De Nazareth à Jérusalem en passant par Capharnaüm, Césarée, Bethléem ou la Galilée, il a écrit un livre de réflexion sur son cheminement spirituel.
    • Le philosophe André Comte-Sponville qui a écrit : « La Clé des champs et autres impromptus ». Un livre qui réunit une série d’articles et d’essais sur des sujets graves, comme la détresse, la souffrance, le pessimisme et la mort. Son recueil se conclut sur un texte inédit intitulé « Maman », parlant de sa mère qui a été malheureuse toute sa vie et qui s’est suicidée lorsqu’il avait une trentaine d’années.

    Le titre de son ouvrage, André Comte-Sponville l’a emprunté à son cher Montaigne :

    « Le présent que nature nous ait fait le plus favorable, et qui nous ôte tout moyen de nous plaindre de notre condition, c’est de nous avoir laissé la clé des champs »
    (Essais, II, 3)

    La clé des champs que toutes les religions du Livre voudrait nous interdire, mais que le sage Montaigne accepte comme un présent de la nature.

    • La romancière et philosophe Éliette Abécassis et le dessinateur Nejib ont publié « Sépher » bande dessinée qui retrace l’épopée millénaire de la Bible.

    Le dernier écrivain aurait été brulé ou exécuté par un autre châtiment, que les hommes qui croient dans le récit abrahamique ont inventé et infligé à tous celles et ceux qui mettaient en doute ou s’éloignaient du récit qu’ils prétendaient sacré, si ces « hommes de dieu » disposaient encore du pouvoir politique dans nos contrées.

    Car comme le disait Woody Allen : « je n’ai pas de problème avec Dieu, ce sont ses fans qui me font peur ! »

    • Metin Arditi a en effet corrigé un peu le récit évangélique dans « Le Bâtard de Nazareth  ». Comme Marie était enceinte de Jésus, en dehors des liens du mariage, l’enfant était de manière factuel « un bâtard ». Or, à cette époque, il n’était pas bon de naître bâtard. Cet auteur explique alors la vie et l’enseignement du Christ par ce traumatisme initial d’avoir été rejeté socialement et ostracisé.

    Mais ce que je souhaite partager essentiellement aujourd’hui c’est ce qu’Eric Emmanuel Schmitt a dit tout au début de l’émission.

    Au commencement de l’émission seuls Eric Emmanuel Schmitt et André Comte-Sponville étaient présents.


    Eric Emmanuel Schmitt répondit à une question d’Augustin Trapenard sur la croyance :

    « Moi si vous demandez : est-ce que Dieu existe ? Je vous répondrais : Je ne sais pas mais je crois que oui et je pense qu’André va répondre : je ne sais pas mais je pense que non. Je me définis comme un agnostique croyant. Parce qu’il est très important de distinguer le savoir et la croyance »

    André Comte-Sponville approuva cette assertion et la fit sienne.

    La question de la différence entre « le savoir » et de « la croyance » se pose bien au-delà des religions. L’épisode du COVID que nous avons vécu a été particulièrement fécond en confusion entre ces deux notions.

    Mais ce sont bien les religions du Livre ou Abrahamique qui ont poussé le plus loin cette terrifiante confusion.

    Ils sont allés jusqu’à ce crime contre l’esprit de prétendre que « leur croyance » était « la vérité ». Et au nom de ce mensonge, ils ont tué. Et ils tuent encore dans certains des pays où l’Islam est religion d’État et je crois condamnent pénalement dans tous les pays où l’Islam est religion d’État .

    Les chrétiens, catholiques, protestants, orthodoxes faisaient de même dans des temps pas si anciens.

    Cayetano Ripoll, a été exécuté par l’inquisition espagnole en 1826. Ce catalan, instituteur a été condamné pour hérésie. Son crime ? Avoir enseigné à ses élèves des idées jugées contraires au catholicisme.

    1826 c’était 37 ans après la révolution française.

    Dire « Je ne sais pas, mais je crois que… » ou « Je ne sais pas, mais je ne crois pas que » constituent une attitude d’humilité et de sagesse qui conduit immédiatement à un comportement plus paisible, moins exalté et donc moins violent.

    Probablement que Woody Allen craindrait moins les fans de dieu qui seraient dans cette posture : « Je ne sais pas, mais je crois que … ».

    Vous pouvez encore regarder en replay cette émission de la Grande Librairie jusqu’au 26 novembre 2023. Voici le <Lien >

    <1766>

  • Mardi 3 octobre 2023

    « Quand la femme est grillagée, toutes les femmes sont outragées ! »
    Pierre Perret : « La femme grillagée »

    Souvent ce sont les artistes et les poètes qui expriment le mieux la réalité du vécu.

    Je ne connaissais pas cette chanson de Pierre Perret, je l’ai découverte par hasard hier :

    <La femme grillagée> chantée par Pierre Perret

    Écoutez ma chanson bien douce
    Que Verlaine aurait su mieux faire
    Elle se veut discrète et légère
    Un frisson d’eau sur de la mousse


    C’est la complainte de l’épouse
    De la femme derrière son grillage
    Ils la font vivre au Moyen Âge
    Que la honte les éclabousse


    Quand la femme est grillagée
    Toutes les femmes sont outragées
    Les hommes les ont rejetées
    Dans l’obscurité


    Elle ne prend jamais la parole
    En public, ce n’est pas son rôle
    Elle est craintive, elle est soumise
    Pas question de lui faire la bise


    On lui a appris à se soumettre
    À ne pas contrarier son maître
    Elle n’a droit qu’à quelques murmures
    Les yeux baissés sur sa couture


    Quand la femme est grillagée
    Toutes les femmes sont outragées
    Les hommes les ont rejetées
    Dans l’obscurité


    Elle respecte la loi divine
    Qui dit, par la bouche de l’homme,
    Que sa place est à la cuisine
    Et qu’elle est sa bête de somme


    Pas question de faire la savante
    Il vaut mieux qu’elle soit ignorante
    Son époux dit que les études
    Sont contraires à ses servitudes


    Quand la femme est grillagée
    Toutes les femmes sont outragées
    Les hommes les ont rejetées
    Dans l’obscurité


    Jusqu’aux pieds, sa burqa austère
    Est garante de sa décence
    Elle prévient la concupiscence
    Des hommes auxquels elle pourrait plaire


    Un regard jugé impudique
    Serait mortel pour la captive
    Elle pourrait finir brûlée vive
    Lapidée en place publique


    Quand la femme est grillagée
    Toutes les femmes sont outragées
    Les hommes les ont rejetées
    Dans l’obscurité


    Jeunes femmes, larguez les amarres
    Refusez ces coutumes barbares
    Dites non au manichéisme
    Au retour à l’obscurantisme


    Jetez ce moucharabieh triste
    Né de coutumes esclavagistes
    Et au lieu de porter ce voile
    Allez vous-en, mettez les voiles


    Quand la femme est grillagée
    Toutes les femmes sont outragées
    Les hommes les ont rejetées
    Dans l’obscurité

    L’ONU considère que le traitement des femmes en Afghanistan, par les Talibans s’apparenterait à un « apartheid sexiste »

    Vous trouverez cette publication, du 11 Juillet 2023, sur cette <Page ONU>

    Pierre Perret s’inspire d’un poème de Verlaine dont je cite ci-dessous les premières strophes.


    Écoutez la chanson bien douce
    Qui ne pleure que pour vous plaire.
    Elle est discrète, elle est légère :
    Un frisson d’eau sur de la mousse !

    La voix vous fut connue (et chère ?)
    Mais à présent elle est voilée
    Comme une veuve désolée,
    Pourtant comme elle encore fière,

    Et dans les longs plis de son voile
    Qui palpite aux brises d’automne,
    Cache et montre au cœur qui s’étonne
    La vérité comme une étoile.

    Elle dit, la voix reconnue,
    Que la bonté c’est notre vie,
    Que de la haine et de l’envie
    Rien ne reste, la mort venue.

    Paul VERLAINE : Écoutez la chanson bien douce (1878) Sagesse I/XVI

    Ce poème a été mis en musique et la chanson qui en est le fruit <est chantée par Léo Ferré>

    <1765>

  • Jeudi 28 septembre 2023

    « Les propos que j’entends en France me rappellent ceux que nous tenions à Alger lorsque l’islamisme commençait à occuper le terrain et installer ses bases. »
    Boualem Sansal

    Dans le mot du jour du 19 septembre 2023 j’évoquais l’ouvrage de Florence Bergeaud-Blackler : « Le frérisme et ses réseaux. L’enquête » ainsi que l’hostilité qui lui a été opposée par les milieux universitaires et les menaces proférées par des milieux plus troubles qui refusent tous deux que soit analysé ce qui se passe dans la société française, à savoir une opération volontaire et maîtrisée par des partisans d’un islam rétrograde visant à emmener une part grandissante de la communauté musulmane vers des pratiques plus rigoristes et archaïques. Parallèlement, le mouvement frériste utilise tous les moyens d’informations, les outils juridiques et la liberté qu’offrent nos États démocratiques pour tenter de rendre notre organisation, notre école, notre société plus compatible avec leur vision du monde.

    Je voudrais pour compléter ce premier mot du jour sur ce sujet par un entretien très instructif entre Florence Bergeaud-Blackler et Boualem Sansal l’écrivain algérien de langue française qui a vécu en Algérie la montée de l’Islam rétrograde au sein d’une société musulmane et qui voit avec inquiétude des mécanismes similaires se développer dans notre société largement athée avec une tradition chrétienne remontant à plusieurs siècles. Boualem Sansal vit toujours en Algérie, dans la banlieue d’Alger.

    <Cet article> a été publié par « Le Figaro » le 7 juillet 2023.

    Boualem Sansal éclaire d’abord les conditions qui rendent possible cet « entrisme » des frères musulmans et autres salafistes et wahhabite : le déclin de la civilisation occidentale :

    « Les civilisations, comme les humains, ont leurs maladies et elles se transforment en permanence. Je pense que la civilisation occidentale est en perte de vitesse depuis longtemps, « les Lumières » sont un souvenir qui ne dit rien aux jeunes. On parle d’effondrement. Ses élites ont laissé faire ou n’ont pas su faire. En se vidant de sa puissance, en perdant l’initiative, elle s’est fragilisée. Là, elle est face à un défi majeur, le plus grand de son Histoire. […] Les Frères étaient une petite poignée discrète en France, ils sont aujourd’hui des milliers, puissamment organisés, ayant pignon sur rue et ne manquant d’aucun moyen d’action. Grâce à eux, mais pas seulement, l’islamisme s’est répandu en France et fait souche. Il a ses objectifs, ses programmes, ses institutions et ses relais dans la société française dans tous ses compartiments. C’est du billard pour eux car l’État et la société françaises en sont encore à se demander ce qu’ils ont en face d’eux. »

    Boualem Sansal a vécu la guerre civile qui a opposé entre 1992 et 2002 le gouvernement algérien, disposant de l’Armée nationale populaire (ANP), et divers groupes islamistes. Finalement les forces gouvernementales ont gagné et poussé à la reddition l’Armée islamique du salut (AIS) et le Groupe islamique armé (GIA). Et Boualem Sansal considère que beaucoup de ce qui arrive en France lui rappelle l’évolution de l’Algérie : .

    « Les propos que j’entends en France me rappellent ceux que nous tenions à Alger lorsque l’islamisme commençait à occuper le terrain et installer ses bases. Il paraissait bien sympathique avec son folklore et ses promesses de justice et de fraternité. Ça tombait bien, nous étions en révolte contre les injustices et la corruption du pouvoir. Nous avions les mêmes sympathies pour eux que les gauchistes en France ont aujourd’hui pour vos islamistes. Refuser les islamistes, c’était quelque part soutenir la junte au pouvoir. Nous, nous n’avions que ce choix, la peste ou le choléra, en France, le choix est heureusement plus large. »

    Et Boualem Sansal met l’accent sur le voile qui par sa visibilité, de plus en plus ostensible, a démontré en Algérie, l’influence et la place des mouvements islamistes.

    Dans son essai « Gouverner au nom d’Allah » il a écrit que le « voile a été un outil de conquête ».

    Sur ce petit bout de tissu que beaucoup jugent insignifiant et sans importance, je ne me lasserai pas de renvoyer vers une vidéo de Nasser que j’avais déjà cité lors du mot du jour qui a fait suite à l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015

    Dans cette vidéo : <Entretien en 1953 avec les frères musulmans>, Nasser, lors d’un meeting politique, explique qu’il a voulu discuter avec les frères musulmans pour les associer au pouvoir. Et quand il dit que leur première exigence est que « nos femmes sortent dans la rue voilées » vous entendez, la salle qui éclate de rire.

    C’était en 1953, en Egypte pays musulman historique, siège de l’université al-Azhar du Caire dont on dit qu’il s’agit de la plus haute institution d’enseignement sunnite du monde.

    Aujourd’hui, en France quand des personnes posent la question du voile Edwy Plenel ou Jean Luc Mélenchon, parmi d’autres, les accusent de racisme et plus précisément « d’islamophobie ».

    Et Jean-Luc Mélenchon récemment s’est aussi insurgé contre l’interdiction de l’Abaya à l’école avec cette expression : « Absurde guerre de religion »

    Mais Jean-Luc Melenchon approuvait l’interdiction de la Burqa , le 24 avril 2010, dans l’émission « On n’est pas couché » sur France 2.

    « Moi je considère que c’est un traitement dégradant et je considère que c’est une provocation d’un certain nombre de milieux intégristes contre la République. Et par conséquent la République a gagné et elle va gagner encore une fois : ça sera interdit », poursuit Jean-Luc Mélenchon. « Et on le fera non seulement pour empêcher une absurdité qui consiste à accepter l’idée qu’une femme considère qu’elle est un enjeu, un gibier, qu’un homme ne peut la regarder qu’avec un œil de prédateur. Et deuxièmement, parce que c’est obscène cette histoire de burqa, ça part de l’idée que les hommes ne sont que des prédateurs. »

    Et il ajoutait même à l’égard de celles qui portent volontairement la burqa

    « Je leur donne le signal suivant : en République française, les hommes et les femmes sont égaux. J’ai le droit de te regarder dans les yeux », répond-il. « Dans ce pays, on va vivre ensemble et on ne se trimballera pas avec des fantômes qui se promènent dans la rue et qui interdisent qu’on les regarde. »

    Alors, il est juste de dire qu’il ne s’agissait pas en l’occurrence du simple voile islamique mais du voile intégral.

    Toutefois dans « Marianne » à propos d’une candidate NPA qui était apparue voilée aux Régionales de 2010, Jean-Luc Mélenchon décrivait

    « Une attitude immature et un peu racoleuse. On ne peut pas se dire féministe en affichant un signe de soumission patriarcale »

    Je n’en dis pas davantage : un signe de soumission patriarcale et qui est le contraire du féminisme.

    Mais voilà ce que Boualem Sansal écrit sur l’apparition du voile dans les rues d’Algérie :

    « Quelques filles avaient commencé à le porter puis un jour le phénomène s’est emballé et le voile s’est généralisé. On peut dire que l’islamisation c’est la victoire du voile avant d’être celle de l’islam. Nous avions mal compris le but de guerre des islamistes, nous pensions qu’ils visaient le pouvoir et nous sommes allés les attendre de ce côté. En réalité, le pouvoir ne les intéresse pas, leur but, c’est l’islamisation de la société, c’est la oumma, c’est le califat mondial. On l’a compris un peu tard.

    La question du voile a provoqué autant sinon plus de débats qu’en France. Elle a profondément agité les gens, les familles, elle a été débattue à l’Assemblée nationale et une loi a été votée en 1992, interdisant les signes religieux dans l’espace public, le voile, l’abaya, la calotte. Trop tard, ils avaient conquis le pays ; un an plutôt, aux élections municipales ils avaient gagné 1450 communes sur les 1500 que comptait le pays. Au fronton des mairies, la devise officielle « Par le peuple et pour le peuple » a été remplacée par des slogans islamistes. Après avoir voilé les filles, ils ont voilé les villes et les villages gagnés aux élections. Le gouvernement ne s’était pas posé la question de l’application de sa loi, en conséquence de quoi elle a été frappée de nullité le jour même de son entrée en vigueur. »

    On a compris que l’on ne pouvait pas compter sur l’État. Certains ont pris le chemin de l’exil. Les autres se sont divisés en réconciliateurs qui voulaient un compromis avec les islamistes, et en éradicateurs qui voulaient extirper le mal à la racine, et mobiliser contre lui au-delà de l’Algérie, partout où il pousse. En quelques jours, le pouvoir a arrêté plusieurs centaines de milliers de personnes suspectées d’être des activistes islamistes et les a enfermés dans des camps éparpillés en plein Sahara. L’objectif était de casser les réseaux qui avaient pu se former dans la clandestinité et cela a fonctionné. L’armée est ensuite passée à l’éradication militaire.

    Les réconciliateurs ont tenté de déplacer le problème sur l’Islam, leur idée était que si les valeurs de l’islam étaient parfaitement appliquées, les islamistes n’auraient plus de raisons de combattre pour les imposer à la société et la réconciliation se ferait d’elle-même. L’État a joué cette carte avec tout le cynisme requis, en l’espace de quelques années, il a couvert l’Algérie de mosquées, d’instituts islamiques, et a ouvert aux islamistes l’accès aux médias lourds télés et radios, et mis en œuvre une vraie police islamique des mœurs. Cette stratégie, qui s’est concrétisée par une loi dite de réconciliation nationale, a pu ramener au bercail un certain nombre de  »repentis ». Nous y avons cru. En fait non, ils avaient seulement changé de stratégie. « Nous avons perdu les maquis pour gagner les villes » , se disaient-ils.

    Et il ajoute pour la France :

    « S’ils ont pu se construire aussi solidement, c’est qu’ils ont détruit quelque chose dans la société pour prendre sa place. En bons stratèges, ils ont toujours peur que leur victime prenne conscience de leur domination et se révolte. Il faut la « piquer » pour l’endormir, la rassurer, avancer dans son dos. Il me semble qu’ils sont allés un peu trop vite ces dernières années, grisés par leurs succès. La société française commence à réagir, elle regimbe, la confrontation approche, ils font tout pour détendre l’atmosphère. Ils attendront un meilleur moment. Pendant que l’on pense hexagone, eux pensent monde. Ils peuvent aisément déplacer le théâtre des opérations en Italie, en Belgique, ailleurs. »

    J’aimerai avoir cette conviction que la société française commence à réagir.

    Réagissez-vous ?

    Continuez vous à penser qu’il s’agit exclusivement d’un problème socio-économique et que nous ne sommes pas dans un mouvement de régression incroyable dont quelques fanatiques tirent les ficelles ?

    Ces fanatiques ont su trouver des alliés, j’en ai cité deux.

    Boualem Sansal écrivait pour l’Algérie :

    « Même problématique, mêmes effets. Nos islamistes avaient leurs alliés dans le système, parmi les conservateurs, dans la gauche dont les troupes étaient toutes passées chez les islamistes, et parmi les opportunistes en tout genre. Le ressort de la culpabilité a évidemment joué, les islamistes sont experts dans l’art de le susciter et de le manipuler dans le sens qu’ils veulent. C’est une souffrance pour un musulman sincère d’apprendre qu’il n’a pas toujours été un bon musulman. Il y avait parmi nos islamistes qui étaient sincères dans leur démarche, ils étaient en quête de réconfort, déçus qu’ils étaient par le socialisme matérialiste importé de Moscou.

    Ils étaient faciles à manipuler. Puis sont arrivés les islamistes d’Egypte, d’Arabie, du Yémen, du Golfe, d’Iran, des missionnaires aguerris, dont nombre de Frères musulmans. Les Algériens d’un certain âge se sont souvenus qu’au lendemain de l’indépendance en juillet 1962, le pays a vu débarquer les Témoins de Jéhovah et les Évangélistes venus d’Europe. En quelques mois, ils ont converti des milliers de personnes, dont ma propre famille. La première décision prise par le colonel Boumediene après son putsch en mars 1965 a été de les renvoyer d’un coup de pied. Une bonne chose mais il n’a pas renvoyé les islamistes étrangers, ils s’étaient dissous dans la population. »

    En conclusion, Boualem Sansal rend hommage à Florence Bergeaud-Blackler :

    Les islamistes travaillent dans le secret, sur la durée, sans répit, ne cédant jamais sur rien. Ils pénètrent la société comme l’humidité pénètre les murs et les désagrège. Quand on ne sait pas agir, on tergiverse, on culpabilise, on se pose encore et toujours les mêmes questions : Sommes-nous responsables de ce qui s’est passé, de ce qui se passe ? La façon dont on répondra à ces questions déterminera la suite. On s’engage comme le fait Florence Bergeaud-Blackler, en alertant l’opinion, en l’informant, ou on se contente d’observer et de commenter l’actualité ou on rejoint les forces de l’axe ? »

    Florence Bergeaud-Blackler qui dit dans cet entretien :

    « Là où l’islamisme se développe, la réaction des pouvoirs musulmans consiste à injecter plus d’islam. Je parle ici des « réconciliateurs » . En France, la tendance est aussi à la réconciliation, mais plutôt par le marché et par la culture de l’excuse. Le halal en est la preuve. Face à la demande d’Islam, tout a été fait en sorte pour que le commerce halal se développe, pour le business bien sûr mais avec l’espoir de faire des musulmans des consommateurs comblés et bien intégrés. En réalité le problème n’était pas qu’identitaire. Le marché halal propose bien plus qu’une identité, une façon de vivre en modernité dans l’espace normatif du halal, selon une norme fondamentaliste.

    Des opportunistes se sont également saisis du sujet de la prévention ou de la lutte contre la radicalisation et ont présenté leur remède basé sur la théorie identitaire. Ils nous ont empêchés de résoudre ces problèmes par leur incompréhension du système frériste, des attentes qu’il avait semées chez les jeunes réislamisés. Ces soi-disant experts n’ont cessé de parler de la responsabilité d’une islamophobie généralisée, soulignant les problèmes socio-économiques et plaçant dans l’angle mort l’action des Frères. Leurs solutions se sont avérées, sans surprise, inefficaces. Cette idée qui consiste à dire qu’il faut plus d’islam, d’un islam français « apaisé » pour combattre le radicalisme est comparable aux politiques d’accommodement du code de la famille menées dans les pays musulmans, elle alimente le problème. Nous sommes pris dans ce piège. Cependant, contrairement aux pays musulmans, nous avons une solide tradition de laïcité et de sécularisation. ».

    Nous avons beaucoup reculé par naïveté, par culpabilité aussi devant cet assaut régressif qui est tout sauf insignifiant.

    Je renvoie vers <L’entretien de Boualemm Sansal et Florence Bergeaux-Blacker> qui nécessite cependant d’être abonné.

    <1764>

  • Mardi 19 septembre 2023

    « Nous ne sommes plus qu’une poignée de chercheurs à travailler sur l’islamisme. »
    Florence Bergeaud-Blackler lors d’une interview sur France Inter

    J’ai commencé l’écriture de ce mot du jour en février, juste après la publication du livre « Le frérisme et ses réseaux. L’enquête » par Florence Bergeaud-Blackler, anthropologue et chargée de recherche au CNRS à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman.

    Mais l’écriture de ce mot du jour s’est révélée très compliquée.

    Car il faut dire ce qui nous arrive, tout en restant nuancé et équilibré.

    Je suis né, il y a près de 65 ans maintenant, dans une famille chrétienne catholique.

    Plus tard, vers les 18 ans, j’ai participé à une expérience spirituelle assez intense dans une communauté chrétienne millénariste.

    Cette expérience m’a beaucoup appris.

    Elle m’a surtout convaincu de l’immense différence qui existe entre « la spiritualité » et « la religion ».

    La spiritualité constitue une élévation de l’esprit pour dépasser le matérialisme du monde et se réconcilier avec la finitude de notre vie.

    La religion c’est autre chose, c’est une organisation qui prétend parler de spiritualité. Mais quand on observe ces organisations avec lucidité, on constate qu’elles sont toujours dirigées par des hommes de pouvoir qui imposent par la force et la terreur des règles à la société. Règles qui vont jusqu’à la chambre à coucher et les choses les plus intimes de notre être pour mieux asseoir le désir de puissance, l’hubris et l’égocentrisme de ces chefs religieux.

    Christian Bobin, qui était croyant a écrit :

    « Je n’aime pas le mot « religieux ». Je lui préfère le mot « spirituel ». Est spirituel ce qui en nous ne se suffit pas du monde, ne s’accommode d’aucun monde. C’est quand le spirituel s’affadit qu’il devient du « religieux » ».
    « Autoportrait d’un radiateur » Vendredi 21 juin

    Régis Debray avait écrit de manière plus prosaïque :

    « Le spirituel nous prépare à la mort, la religion prépare les obsèques »

    Les religions quand elles exercent le pouvoir dans la société, que ce soit dans le monde d’aujourd’hui ou que ce fut dans le passé, se révèlent invariablement brutales, tristes, perverses, liberticides et inhumaines.

    Parallèlement à cette expérience personnelle, j’ai grandi et vieilli dans une France qui s’est éloignée, séparée de la religion, dans la liberté de s’exprimer, de blasphémer comme ils disent, dans la liberté des mœurs, des dogmes et des évolutions familiales, sexuelles et sociétales jusqu’au mariage pour tous.

    C’était pendant le combat d’arrière garde que menait des intégristes catholiques soutenus par l’Église contre la réforme du mariage pour tous, que j’avais pu citer lors d’un mot du jour ce propos du cardinal de Paris, André Vingt-Trois, qui concluait sur ce constat :

    « Nous ne pouvons plus attendre des lois civiles qu’elles défendent notre vision [chrétienne] de l’homme »

    Cette phrase a été prononcée le 16/04/2013 lors de son dernier discours de Président de la Conférence Épiscopale de France

    J’étais profondément en accord et heureux avec cette évolution qui faisait reculer l’emprise archaïque de la religion sur la société.

    Et voici que depuis les années 1970, l’immigration économique a conduit à l’installation sur notre territoire, largement libéré des archaïsmes religieux, une communauté musulmane de plus en plus importante, traversée par des courants identitaires, d’affirmation religieuse et prosélytes.

    C’est à ce stade que toute la nuance est nécessaire à la fois dans mon expression, mais aussi dans votre lecture.

    Car il ne s’agit pas de mettre en cause « les musulmans » dont la communauté est si diversifiée.

    Il ne s’agit pas non plus de parler de l’Islam en général, de cette extraordinaire civilisation qui a créé un art de vivre, des chefs d’œuvre de l’esprit, qui avant l’Occident a initié l’avènement d’une médecine moderne. Et qui aussi par son érudition et sa sagesse a su conserver les textes de l’antiquité grecque pour notre savoir d’aujourd’hui.

    Ce dont il est question, ce sont les forces vives fondamentalistes et archaïques qui sont à l’œuvre dans l’Islam d’aujourd’hui et qui hélas pour le monde, bénéficient des financement gigantesques que permettent l’exploitation des hydrocarbures . C’est elles qui sont à l’œuvre et qui exercent un pouvoir d’attraction et d’influence sur de nombreuses personnes en quête de sens et d’identité.

    Il existe toujours des esprits épris de spiritualité, comme par exemple Ghaleb Bencheikh qui anime l’émission de France Culture « Questions d’Islam ».

    Dans son émission du 3 septembre 2023 <Enquête historique sur les origines de l’islam> il avait invité l’islamologue Michel Orcel auteur du livre « Naissance de l’islam – Enquête historique sur les origines ».

    Dans cette émission Michel Orcel qui est chrétien, a dit toute son admiration de cette civilisation et a rappelé des faits historiques que certains anti-musulmans tentaient de falsifier ou nier.

    Mais il a fini l’émission en fustigeant la dérive sectaire des wahhabites qui est ce mouvement fondamentaliste créé par Mohammed ben Abdelwahhab (1703-1792) et qui a fait alliance avec la dynastie de Ibn Saoud pour imposer une religion figée dans les normes supposées de l’origine dans l’Arabie qui est devenue saoudite. Cette secte s’inscrit plus généralement dans un mouvement salafiste dépassant les frontières de l’Arabie et qui prône de la même manière « un retour aux pratiques en vigueur dans la communauté musulmane du prophète Mahomet et ses premiers successeurs ou califes ».

    Et c’est en Égypte, qu’en 1928 a été créée par Hassan el-Banna, « les Frères musulmans » qui poursuivent les mêmes buts mais qui, en outre, souhaitent disposer du pouvoir politique et temporel. Cette particularité les oppose aux wahhabites qui ont accepté de laisser ce pouvoir à la dynastie Ibn Saoud pour conserver ce qui est essentiel pour eux le pouvoir absolu sur la société et les règles familiales et civiles. En Égypte, le maréchal Sissi et l’armée au pouvoir, ont d’excellents rapports avec le mouvement salafiste égyptien mais combattent et oppriment les frères musulmans qui veulent les chasser du pouvoir.

    C’est cette organisation qui œuvre en occident et particulièrement en France que dénonce Florence Bergeaud-Blackler dans son livre : « Le frérisme et ses réseaux. L’enquête ».

    Parce que s’il y a indiscutablement une demande identitaire chez les musulmans de France, les mouvements fréristes sont à l’œuvre pour d’abord convaincre le plus de de musulmans possibles de suivre leur vision de l’islam et parallèlement de rendre la société française « charia-compatible » comme l’appelle Florence Bergeaud-Blackler.

    C’est un combat qui vise à évacuer le blasphème et toute atteinte à la religion en France, à imposer des modes vestimentaires spécifiques qui distinguent les musulmans et d’influer sur, ce qui est essentiel pour eux, l’éducation nationale et l’Université. Un combat qui s’inscrit dans la durée et vise à faire évoluer le récit historique notamment à l’égard de la shoah et de l’enseignement du fait religieux, à interdire ou restreindre l’éducation sexuelle, à créer des quartiers dans lesquels la place publique est uniquement occupée par des hommes etc.

    Et ça marche : il n’y a plus de caricature, toute critique et même toute description du phénomène est immédiatement condamnée comme un acte « islamophobe ». Les enseignants ne peuvent plus librement enseigner la shoah, sans parler de l’ensemble des tentatives de faire rentrer les signes religieux dans les cours de l’École.

    Dans les rues de nos villes, le nombre de femmes qui portent le voile ou d’autre tenues plus couvrantes encore est en augmentation constante.

    Ce qui est arrivé à Samuel Paty et surtout le manque de soutien avant l’assassinant montre que l’administration n’a pas défendu nos valeurs.

    Alors qu’il s’agit d’un combat de gauche c’est-à-dire défendre la liberté de croyance et de spiritualité et refuser toute atteinte à l’universalisme par des organisations communautaristes, ennemis de la liberté individuelle, toute une partie de la gauche par intérêt électoral, par aveuglement ou par facilité soutiennent ces mouvements séparatistes.

    Et puis, dès que quelqu’un essaye d’expliquer cela, il est ostracisé par toute une partie de cette intelligentsia islamo-gauchiste et menacé de mort. C’est incroyable la rapidité avec laquelle des menaces de mort fleurissent, dès qu’il est question d’islamisme. C’est le cas pour Florence Bergeaud-Blackler qui vit désormais sous protection policière.

    Elle était l’invitée de Léa Salamé, le 23 mai 2023. Lors de cet entretien elle a déclaré :

    « Je n’ai pas reçu des menaces de mort immédiatement, j’ai d’abord reçu des intimidations à l’intérieur de l’université, des proches des milieux fréristes qui ont commencé à faire circuler des calomnies à mon égard. […] Ensuite, j’ai reçu un certain nombre de menaces qui viennent de France et de l’étranger, qui ont abouti notamment à l’arrestation d’un personnage qui est maintenant écroué »

    Elle dit aussi :

    « Ça fait 30 ans que j’ai vu évoluer l’islamisme, que je dis qu’il y a un problème, et de plus en plus j’ai vu ma parole réduite, parce que ces milieux étant infiltrés, je suis devenue une cible »

    Dans un premier temps sa conférence sur le sujet du livre qui devait se tenir à la Sorbonne le 12 mai a été suspendue puis a été renvoyée à une date ultérieure pour des « raisons de sécurité » par la doyenne de la Faculté de Lettres de la Sorbonne.

    Cette conférence a finalement pu avoir lieu le 2 juin.

    « Le Figaro » décrit le contexte de cette conférence :

    « Le dispositif de sécurité déployé entre l’entrée du 46 rue Saint-Jacques et l’amphithéâtre où la conférence va débuter en dit long sur la nervosité qui accompagne l’événement. Pour pénétrer dans les bâtiments historiques de la Sorbonne, chaque participant doit émarger sur la liste des participants sous le regard sévère de trois agents de sécurité de l’Université, flanqués de deux autres agents de sécurité d’une agence privée. Une fois dans le hall, on vide ses poches avant de passer au détecteur de métaux, comme à l’aéroport. En haut des marches qui mènent à l’amphithéâtre Michelet où le public se rassemble, nouveau contrôle au détecteur de métaux. Sécurité oblige.  »

    La sortie de l’anthropologue à la fin de son intervention est dans le même esprit :

    « La scène finale de cette soirée n’en reste pas moins éloquente, sur la vie qu’une chercheuse qui travaille sur de tels sujets est condamnée à mener. Attendue par plusieurs journalistes devant le 46 rue Saint-Jacques, Florence Bergeaud-Blackler a finalement quitté les lieux par une autre sortie, « pour des raisons de sécurité », explique Pierre-Henri Tavoillot. »

    Il y a ceux qui insultent et menacent et puis il y a ceux qui prétendent argumenter : ainsi l’avocat et essayiste Rafik Chekkat qui publie sur « Orient XXI » cet article : « Islamophobie. Le complotisme d’atmosphère de Florence Bergeaud-Blackler » qui débute ainsi

    « Le spectre des Frères musulmans hante l’Europe. Administrations, entreprises, partis, associations, écoles, centres de soins, syndicats…, la menace de leurs réseaux tentaculaires serait partout. Tel est le point de départ de l’argumentation que déroule Florence Bergeaud-Blackler. Une vision paranoïaque au service d’un traitement policier du fait musulman en France et en Europe.

    « Tout vient du Juif, tout revient au Juif. Il y a là une véritable conquête, une mise à la glèbe de toute une nation par une minorité infime, mais cohésive […] ». Au fil de la lecture de Le frérisme et ses réseaux, la référence au pamphlet antisémite d’Édouard Drumont, La France juive (1885), dont sont extraites ces lignes, s’imposent de manière troublante.

    Et pour cause, Florence Bergeaud-Blackler partage avec Drumont une intention, une forme, et une méthode : dénouer dans la société l’élément « frériste » — qui était naguère l’élément juif. Tous deux racontent l’histoire de la France sur le mode tragique

    Tous deux relèvent la difficulté de la tâche : l’œuvre du « frériste » est toujours cachée, il est malaisé de déterminer précisément où elle commence et où elle finit (p. 68). « Tout d’abord, écrit quant à lui Drumont, l’œuvre latente du Juif est très difficile à analyser, il y a là toute une action souterraine, dont il est presque impossible de saisir le fil ». En somme, un grand complot contre la civilisation occidentale.

    À l’instar d’un Drumont, qui a voulu de son propre aveu décrire la « conquête juive », Bergeaud-Blackler se propose d’étudier la « conquête islamique », dont la visée n’est autre que « l’instauration d’une société islamique mondiale ». À chacun son ennemi mortel »

    Pour cet avocat le point godwin ne se situe pas au niveau de Hitler et des nazis, mais en amont dans l’écrivain antisémite Édouard Drumont, (1844 -1917) auteur de la France Juive.

    Avec cette accusation qui vise à faire taire tout esprit qui interroge l’action d’organisation islamiste en France : l’islamophobie.

    J’avais posé cette question « Qui est islamophobe ? » dans un mot du jour écrit après l’assassinat de Samuel Paty.

    Plus le temps passe, plus l’utilisation de ce mot me semble problématique et porteur d’une profonde confusion.

    C’est un mot dont la vocation est de faire taire et de stigmatiser.

    Il est beaucoup utilisé par des gens et des médias qui se réclament de la gauche.

    « Libération » écrit un article remettant en cause le sérieux du travail de Florence Bergeaud-Blackler : <Menaces et tensions autour d’un livre sur le «frérisme» musulman>. Florence Bergeaux-Blacker <a répondu longuement à l’article de Libe>.

    Selon l’outil de recherche de « L’OBS », cet hebdomadaire n’a pas évoqué le livre de l’anthropologue ni des menaces qui lui ont été adressés.

    « MEDIAPART » a attendu le 9 juillet pour publier un article à charge :

    « Invitée dans tous les médias depuis trois mois, la chercheuse, qui dénonce un projet mondial d’infiltration des Frères musulmans, est sévèrement jugée par nombre de ses collègues, qui critiquent ses méthodes considérées plus militantes que scientifiques. Son entourage sulfureux interroge également. »

    «L’entourage sulfureux» est probablement « Le Printemps Républicain » fondé par le regretté Laurent Bouvet, qui n’est certainement pas exempt de critiques mais qui par rapport à cet assaut d’archaïsme des fondamentalistes musulmans présente l’immense qualité d’être une force de gauche qui s’oppose à ces manœuvres.

    Sur un des blogs de Mediapart, un ex collègue au CNRS de Bergeaud-Blacker : <François Burgat> l’accuse de « d’anti-islamisme primaire » et s’attaque à tous ses soutiens : Gilles Kepel, Pierre-André Taguieff, Caroline Fourest, Bernard Rougier l’auteur du livre « Les Territoires conquis de l’islamism» en les mettant dans le même camp que Marine Le Pen et Eric Zemmour. Il montre que, pour lui, toute personne qui interroge les réseaux d’influence des frères musulmans en France ne peut être qu’un fasciste !

    La philosophe et islamologue Razika Adnani, lui répond dans « Marianne ». : <L’islamisation de l’Occident, les islamistes n’ont jamais caché leur intention>.

    Bien sûr, de même qu’il existe un fondamentalisme musulman, il en existe un chrétien et un juif. Ils sont tout aussi condamnables. Mais force est de constater, qu’en France, ce sont les réseaux fréristes qui sont les plus visibles.

    Nous ne devons pas être naïfs et empêcher ces fanatiques d’agir pour faire évoluer notre société vers une formidable régression. Nous devons accueillir et respecter la spiritualité. Mais parallèlement nous devons être sans faiblesse devant les religions et les contraindre à respecter les Lois de la République et le socle des valeurs fondamentales sur lesquelles s’appuient notre société :

    • L’égalité entre les femmes et les hommes, aucune contrainte ne saurait être imposée à un genre et non à l’autre.
    • Le droit absolu de changer de religion ou de quitter sa religion pour aucune autre.
    • La modestie et l’humilité devant les consensus scientifiques et la recherche historique.

    <1763>

  • Vendredi 15 septembre 2023

    « Je n’ai absolument rien fait de cette journée […] et je me suis découvert heureux, comblé. »
    Christian Bobin

    Christian Bobin est mort un mois après mon frère (à un jour près) : le 23 novembre 2022, lui aussi d’un cancer fulgurant.

    Depuis j’ai beaucoup lu Bobin.

    Bobin n’est pas l’écrivain de longs textes, de grandes arches littéraires.

    Il est l’écrivain des miniatures, des fulgurances.

    Il a été confronté avec la mort, tout au long de sa vie.

    En 1995, il a perdu brutalement, son amie de cœur Ghislaine Marion, d’une mort prématurée.

    Il écrira pour la célébrer, en 1996, « La plus que vive », ouvrage que j’ai lu d’une traite, une nuit d’insomnie de décembre.

    L’ouvrage suivant sera en 1997 «  Autoportrait au radiateur  »
    De ce livre, je partage ce texte :

    « Je n’ai absolument rien fait de cette journée,
    qu’ouvrir au matin les fenêtres de la cuisine et de la chambre,
    laisser les nuages entrer dans l’appartement,
    frotter leur silence régnant dans ces pièces,
    Oui, voilà ce que j’ai fait de ma journée,
    j’ai ouvert mes fenêtres sur le jour, rien d’autre,
    et dans ce rien beaucoup de choses se préparaient
    dont je saurai plus tard le nom, beaucoup plus tard.

    Au soir, parce que les nuages avaient repris leur errance
    et que le froid s’invitait sans façon, j’ai refermé les fenêtres, il était huit heures.
    De la cuisine, j’ai vu un moineau se poser sur le sapin.
    La branche a tremblé sous la maladresse de son atterrissage.
    Dans ce mouvement communiqué à l’immense par presque rien,
    j’ai reconnu l’image de ma journée
    et je me suis découvert heureux, comblé. »

    Autoportrait au radiateur
    Lundi 30 septembre

    Christian Bobin

    <1762>

  • Vendredi 8 septembre 2023

    « Le secteur du vin est-il intouchable ? »
    Jean-Marie Leymarie

    Jean-Marie Leymarie a posé cette question : <La République est-elle alcoolique ? > dans sa chronique sur France Culture du Vendredi 1 septembre 2023 :

    « Le secteur du vin est-il intouchable ? Finalement, le gouvernement n’augmentera pas les taxes sur l’alcool. Cet été, pourtant, il l’a envisagé, pour faire entrer de l’argent dans les caisses, et pour faire baisser la consommation d’alcool. Le secteur viticole a protesté. Bercy et le ministère de la santé ont discuté. Et la première ministre a tranché. Elisabeth Borne l’a annoncé elle-même : pas question de relever les impôts sur l’alcool.
    Le vin est beaucoup moins taxé que le tabac. »

    Sur le site de l’OFT , organisme public qui a pour dénomination complète : L’Observatoire français des drogues et des tendances addictives, on peut lire :

    « En 2019, le coût social du tabac et de l’alcool est respectivement de 156 et 102 milliards d’euros, et de 7,7 milliards d’euros pour les drogues illicites. […]. Cette nouvelle estimation confirme que le coût social des drogues reste très supérieur aux recettes fiscales induites. »

    Cette évaluation montre que l’alcool n’est pas significativement moins couteux pour la société que le tabac. L’utilisation du mot « drogue » dans l’expression « coût social des drogues » concerne les 3 produits tabac, alcool et drogues illicites.

    Et ce n’est pas le site gouvernemental <santé.gouv.fr> qui contredira ce constat :

    « La consommation d’alcool représente un enjeu de santé publique majeur en France, où elle est à l’origine de 49 000 décès par an. Il en est de même en Europe, où elle est responsable de plus de 7 % des maladies et décès prématurés. Au niveau mondial, l’alcool est considéré comme le troisième facteur de risque de morbidité, après l’hypertension artérielle et le tabac. La consommation d’alcool provoque des dommages importants sur la santé. Elle peut agir sur le « capital santé » des buveurs tout au long de la vie, depuis le stade embryonnaire jusqu’au grand âge.

    […] Au-delà d’une certaine consommation (2 verres par jour pour les femmes et 3 verres par jour pour les hommes), l’alcool est un facteur de risque majeur pour :

    – certains cancers : bouche, gorge, œsophage, colon-rectum, sein chez la femme.

    Pour l’OMS, l’alcool est classé comme une molécule cancérigène avérée depuis 1988.

    – certaines maladies chroniques : maladies du foie (cirrhose) et du pancréas, troubles cardiovasculaires, hypertension artérielle, maladies du système nerveux et troubles psychiques (anxiété, dépression, troubles du comportement), démence précoce, etc. »

    Cette surconsommation d’alcool présente aussi un coût supplémentaire pour les hôpitaux :

    « Le coût estimé des hospitalisations liées à la consommation excessive d’alcool s’élève à près de 3,6% de l’ensemble des dépenses hospitalières en 2012 (BEH 2015).

    Le coût de ces séjours hospitaliers est estimé à 2,64 milliards d’euros.

    Les conséquences de la consommation excessive d’alcool sont l’un des tous premiers motifs d’hospitalisation en France. »

    Alors pourquoi le gouvernement a-t-il décidé de renoncer à augmenter les taxes sur l’alcool ?

    Jean-Marie Leymarie explique :

    « La raison en est simple : la France reste un immense producteur, et le secteur connaît des difficultés. Une révolution, même. Prenez le Bordelais, le premier vignoble français, en appellation d’origine contrôlé. Il subit à la fois la surproduction, la baisse de la consommation, les conséquences de la crise climatique, et cette année, de surcroît, une redoutable attaque de mildiou.

    Dans ces conditions, fallait-il augmenter les taxes ? Le nouveau ministre des Comptes publics n’a pas hésité. Entre deux récoltes – le raisin et les impôts – Thomas Cazenave a choisi : solidarité avec les viticulteurs ! Il les connaît bien. Juste avant d’entrer au gouvernement, il était député… de Gironde.

    Regardez les débats sur l’alcool, à l’Assemblée nationale et au Sénat. Depuis des dizaines d’années, des parlementaires défendent la production et l’image du vin. Peu importe qu’ils soient de gauche ou de droite, ils ont un point commun : ils viennent de régions viticoles. Une vieille expression, péjorative, les qualifiait de députés « pinardiers ». Le poids politique du secteur reste fort, comme son pouvoir d’influence, aussi. En 2017, quand Emmanuel Macron compose son cabinet, à l’Elysée, qui choisit-il pour suivre les sujets agricoles ? Audrey Bourolleau, déléguée générale de Vin et société, le principal lobby viticole français. »

    C’est encore sur le site de l’OFT qu’on peut savoir que le vin représente 54 % des quantités totales d’alcool pur mises en vente (contre 23 % pour la bière et 21 % pour les spiritueux). Rapportées à la population âgée de 15 ans ou plus, les quantités totales d’alcool pur vendues en 2021 représentent en moyenne l’équivalent de 2,3 verres standards de boissons alcoolisées quotidiens par personne (un verre standard contenant 10 g d’alcool pur).

    Il faut cependant constater que l’évolution de la consommation va dans le bons sens. Par rapport au début des années 1960, la consommation de boissons alcoolisées (en équivalent alcool pur) a été réduite de plus de moitié en France, cette diminution étant essentiellement imputable à la baisse de la consommation de vin.

    Mais au niveau mondial le site <Geo> nous apprend que ce sont nettement les européens qui sont les plus grands consommateurs d’alcool :

    « L’Europe arrive en tête pour la consommation d’alcool par habitant, huit des 10 pays ayant la plus forte consommation d’alcool par habitant à travers le monde se trouvent en effet en Europe. »

    Et si on veut faire un classement par pays la première place est disputée par la République Tchèque, la Lettonie et la Moldavie, selon le sites l’ordre change mais ces trois pays se trouvent toujours sur le podium. Par exemple sur ce <site>

    Il me semble aussi important de mettre fin à un mythe : « Non, boire un verre de vin par jour n’est pas bon pour la santé »

    Jean-Marie Leymarie conclut :

    « Une taxation plus forte changerait-elle la donne ? Pas sûr. Mais nous pouvons au moins, collectivement, poser la question. Ne pas évacuer le sujet, au nom de la tradition ou de l’économie. […].. Vous vous souvenez de Claude Evin, l’ancien ministre de la santé, l’auteur de la fameuse loi Evin, sur le tabac et sur l’alcool ? Aujourd’hui, encore, il explique qu’il comprend l’importance du secteur viticole. Mais rappelle que la politique consiste à « arbitrer entre des intérêts contradictoires ». Faire des choix. Tout mettre sur la table. La bouteille – ça peut être agréable ! – et ses conséquences. »

    <1761>

  • Mardi 5 septembre 2023

    « Garder la part d’humanité, d’humanisation de la relation d’une personne à une autre, et ne pas se laisser envahir par le numérique. »
    Daniel Cohen

    Aujourd’hui, je partage avec vous une courte vidéo que Daniel Cohen a réalisé en 2019 pour l’Obs : <Quand Daniel Cohen nous parlait de l’avenir du travail : « Il faut absolument garder la part d’humanité »>

    Daniel Cohen fait la distinction entre « deux révolutions » successives.

    La première, celle de l’ordinateur de bureau et d’internet, a permis de « réorganiser à l’échelle planétaire le fonctionnement des entreprises », transformant l’ensemble des travailleurs en « sous-traitants » qui se concurrencent à l’échelle mondiale.

    Selon lui, cette révolution montre ses limites et arrive un peu à son terme.

    La seconde révolution évoquée par l’économiste est celle de l’intelligence artificielle.

    C’est cette seconde partie qui m’a marqué.

    Je vous en livre la retranscription intégrale :

    « La révolution qui commence aujourd’hui est d’une toute autre nature. C’est celle de l’intelligence artificielle.

    Il est évidemment beaucoup trop tôt pour savoir exactement ce qu’elle va produire mais on peut essayer d’en définir la portée.

    La portée, je crois tout simplement, c’est que nous sommes dans une société de services.

    Dans laquelle ce qui compte c’est s’occuper des gens eux-mêmes, et non plus seulement comme dans la société industrielle de la matière.

    S’occuper des gens, ça veut dire passer du temps avec eux, ça veut dire en réalité augmenter les coûts.

    Ça veut dire « perdre son temps » à passer du temps avec les gens.

    Cette idée est inconcevable dans un capitalisme comme celui que l’on connaît maintenant, qui cherche par définition à rentabiliser, réduire les coûts de fabrication.

    La solution que le capitalisme contemporain est en train de trouver à cette société de service où les coûts sont trop élevés, c’est tout simplement celle qui consiste à numériser, dématérialiser tout ce qui peut l’être, de façon qu’un humain, une fois qu’il sera une immense banque de données qui pourra être traitée par un algorithme et redevienne un objet de croissance, c’est-à-dire de rentabilité.

    Évidemment cette perspective est celle d’une extraordinaire déshumanisation de la relation d’une personne à une autre, d’un médecin avec son patient, d’un enseignant à son élève.

    Une déshumanisation qui nous rappelle tout simplement ce que, dans « les Temps modernes », Charlie Chaplin avait parfaitement illustré pour la société industrielle.

    Nous sommes en train, en réalité, d’industrialiser la société de services et c’est ça qui m’inquiète beaucoup.

    Il faut absolument, comme on l’a rappelé au moment du travail à la chaîne, garder la part d’humanité, d’humanisation de la relation d’une personne à une autre, et ne pas se laisser envahir par le numérique. »

    Ce que Daniel Cohen dit c’est que ce qui est en cause c’est la rentabilité, l’objet de croissance.

    Il parle des services à la personne.

    Cela remet complément en cause le modèle économique dominant.

    Il me semble d’ailleurs qu’il en va de même pour freiner le réchauffement climatique, comme les atteintes à la biodiversité et la prise en compte des limites des ressources planétaires.

    Quel modèle économique, pourra réaliser ces idées humanistes, voilà la question ?

    <1760>

  • Vendredi 1er septembre 2023

    « [Daniel Cohen] restera à jamais mon interlocuteur imaginaire, celui qui m’aide à penser hors des clous. »
    Esther Duflo, Prix Nobel d’Économie de 2019 parlant de son « mentor » Daniel Cohen

    Daniel Cohen est mort le dimanche 20 août, à l’âge de 70 ans, à l’hôpital Necker, à Paris.

    Il était gravement malade depuis plusieurs mois.

    Selon mes recherches, la dernière vidéo que j’ai trouvée de lui sur internet date du 24 janvier 2023. Il était l’invité du Cercle Humania qui est un groupe qui réunit des Directeurs des Ressources Humaines. Nous pouvons écouter <son introduction> dans laquelle il dit les choses suivantes

    « On est dans une période où les incertitudes surgissent de partout. Incertitudes économiques, inflation, les taux d’intérêt, la récession […] géopolitique, la guerre en Ukraine, la Chine qui sort d’une crise tumultueuse, les Etats-Unis qui ont une crise spécifique, ce qu’on a appelé la grande démission. […]

    Le point important c’est ce que disait Jérôme Fourquet, auteur magnifique d’un très beau livre, l’Archipel français et d’autres, qui expliquait […] que les Français hésitent entre la colère et la résignation. On a ces deux sentiments, alors parfois pour des groupes sociaux différents, mais souvent dans une même personne.
    La colère contre une situation qui au fond, ne permet plus de comprendre ce qu’on fait, où on va.
    L’inflation est un facteur d’anxiété. Ce n’est pas exactement la même chose de perdre son pouvoir d’achat, en le sachant. Voilà, je vous le réduis, ça ne fait pas plaisir mais au fond, on sait ce qui nous attend.
    Alors que l’inflation, même si ça produit la même chose, ajoute une couche d’anxiété, parce qu’on voit quelque chose, ça coûte plus cher d’acheter des fruits frais, mais on ne sait pas quand ça va se terminer.

    Donc tout ça génère de la colère, de ne pas être en contrôle de sa vie […] et puis de la résignation, parce qu’en effet l’avalanche de toutes ces crises fait qu’on n’arrive même pas à les hiérarchiser soi-même dans sa propre vie.

    Et donc, il y a une espèce de laisser-aller de démotivation. C’est ce que disait aussi Jérôme Fourquet. Une grande partie des Français, 35-40%, dans ses statistiques, qui sont démotivés, qui n’arrivent plus à trouver le jus pour repartir le matin à la charge. […]
    La recherche d’une maîtrise de ce qu’on veut faire, […] Il y a une demande à la fois de reconnaissance de ce qu’on fait, c’est une des plaintes des Français dans les enquêtes. Ils disent j’adore mon travail, mais personne ne se rend compte de ce que je fais, je ne suis pas suffisamment reconnu, quand j’ai des idées on ne les écoute pas. Donc ça, ce sont des problèmes très importants pour les membres de votre groupe : comprendre les aspirations des gens. »

    Et il dit encore cela du télétravail :

    « C’est la grande rupture qu’a apporté de manière tout à fait imprévue le Covid. On a découvert qu’on pouvait télétravailler. En 2019 personne n’aurait imaginé qu’une telle exigence sociale puisse se faire jour avec des technologies qu’on connaissait déjà [depuis assez longtemps]. Il n’y a pas eu de rupture technologique. […] Mais on n’avait pas l’idée que ça puisse devenir un instrument de travail et ça l’est devenu avec le Covid. Et c’est devenu une revendication très importante pour beaucoup de gens. Et les entreprises qui ne sont pas capable de proposer du télétravail […] ont du mal à recruter. […]

    Le télétravail c’est un médicament et un poison à la fin. C’est un médicament parce que oui vous le savez que vous êtes chez vous. On contrôle, très bien.
    Et puis, c’est un poison parce que le rapport au collectif, à vos collègues [est appauvri].
    On est dans cette ambivalence, dans cette incertitude sur l’effet net qui va s’imposer dans les deux ou trois prochaines années. On sait qu’on est dans des sociétés de plus en plus, non seulement individualistes mais individualisantes. Et le télétravail est une couche de plus dans cette évolution. Avec beaucoup de difficultés pour comprendre ce que cela va produire au bout du compte pour les collectifs eux-mêmes et pour les individus. »

    Dans cet ultime entretien, Daniel Cohen se révèle tel qu’en lui-même : un économiste qui d’abord s’intéresse à l’humain, au destin, aux aspirations, aux sentiments et au difficultés des êtres humains.

    Il partageait cette qualité avec l’inoubliable Bernard Maris mort dans le carnage de Charlie Hebdo.

    Et puis, c’était un formidable pédagogue.

    C’est le premier mot qu’a utilisé Thomas Piketty pour lui porter hommage « un pédagogue incroyable »

    Le Point parle d’un « Immense économiste et pédagogue hors pair » :

    Pascal Riché dans un article de l’Obs « Eblouissant Daniel Cohen » cite cet épisode de sa vie :

    « Un jour, pendant ses premiers mois à l’ENS, il expliquait une équation quand une étudiante lui a lancé : « Et en langue vernaculaire, ça donne quoi ? » « Cela, nous avait-il raconté, m’a glacé… Je me suis rendu compte que je ne pouvais pas enseigner comme ça. » S’éloignant de la froideur des pures mathématiques, il a commencé à parler à ses étudiants de la vraie vie. Comme il l’a fait dans ses livres. « Avec Daniel, derrière chaque équation, il y avait une histoire, nous avait raconté Julia Cagé, prof à Sciences-Po. C’était un cours énergique, qui avait de la vie… On débattait, on avait l’impression de tout comprendre. »
    Lorsque Esther Duflo a reçu le prix Nobel en 2019, je me souviens de son émotion. Ce jour-là, il n’y avait pas homme plus heureux. »

    Esther Duflo fut, en effet, son élève et lui a rendu le plus bel hommage : « Sans Daniel Cohen, je ne serais pas ce que je suis » :

    « Toute vie est faite d’accidents et de rencontres fortuites, et il peut être difficile d’attribuer son parcours à telle ou telle personne. Mais mon cas est plus simple. Sans Daniel Cohen, je ne serais pas ce que je suis : je n’aurais pas la même profession, je ne vivrais pas où je vis, je n’aurais pas la même famille.
    C’est grâce à Daniel que je suis devenue économiste. C’est grâce à lui que je le suis restée, après un démarrage un peu désastreux. C’est grâce à lui que je suis l’économiste que je suis. Je lui dois ma vie telle qu’elle est aujourd’hui. C’est aussi simple que cela. Et mon parcours, il me semble, illustre bien les qualités uniques de Daniel. »

    […]
    Pendant trente ans, je n’ai jamais interrompu ce dialogue […] avec Daniel Cohen. A chacun de mes passages à Paris nous déjeunions ensemble pour le reprendre en personne. Je prenais soin de réserver tout l’après-midi car ces déjeuners pouvaient durer. Nous parlions de politique, d’économie, de ses projets et des miens. Je n’ai jamais cessé de le vouvoyer, et lui non plus, mais je me sentais extrêmement proche de lui. Je sais que c’était le cas pour beaucoup, car tel était le don incomparable de Daniel : une chaleur humaine telle que tous ceux qui le côtoyaient se sentaient immédiatement ses amis.
    Il n’est plus là pour me faire rire de lui-même, comme il aimait à le faire, mais il restera à jamais mon interlocuteur imaginaire, celui qui m’aide à penser hors des clous. »

    Elle parlera encore de lui dans l’émission de <Thinkerview du 31/08/2023> à laquelle elle a participé et dans lequel elle le nomme « son mentor ».

    C’est avec Daniel Cohen que j’ai réalisé ma première série de mots du jour (5) : « Daniel Cohen – homo œconomicus et la stagnation séculaire ».

    J’ai aussi fait appel à lui deux fois pendant la période aigüe du Covid :

    Le 8 avril 2020 : « La crise du coronavirus signale l’accélération d’un nouveau capitalisme, le capitalisme numérique »

    Le 30 juin 2020 : « Toute la panoplie des instruments que la doxa libérale a longtemps décriée doit continuer à être mobilisée pour lutter contre la crise.»

    Un intellectuel remarquable qui va manquer dans le débat d’Idées.

    <1759>

  • Jeudi 24 août 2023

    « L’histoire de l’humanité, ­individuelle et collective, n’est qu’une longue succession de schismes et de ruptures. »
    Douglas Kennedy dans « Et c’est ainsi que nous vivrons »

    « Et c’est ainsi que nous vivrons » de Douglas Kennedy, dans sa traduction de Chloé Royer est paru le 1er juin 2023.

    Lorsque j’ai entendu son interview sur France Culture, dans l’émission « Bienvenue au club » : <Il y a deux Amériques et on se déteste> j’ai décidé de l’acheter.

    Et lorsque j’ai entrepris de débuter sa lecture, je l’ai lu d’une seule traite.

    Ce n’est pas un livre de science-fiction mais un livre d’anticipation.

    Le roman déroule un thriller en son sein, mais ce n’est pas cet aspect du livre qui est le plus intéressant.

    Ce qui est passionnant c’est l’arrière-plan : la société et les Etats dans lequel l’intrigue se développe.

    Nous sommes en 2045, « les États désunis » ont remplacé « les Etats-Unis » qui n’existent plus suite à une guerre de sécession version 2.0.

    D’un côté, il y a les États qui avaient voté massivement Trump qui sont devenus « La Confédération Unie ». C’est une théocratie totalitaire dirigée par un collège de « douze apôtres ».

    Le divorce, l’avortement et le changement de sexe sont interdits, les valeurs chrétiennes font loi. Et celles et ceux qui remettent en cause le récit religieux ou les valeurs sont éliminés avec la cruauté dont les religions ont le secret quand par malheur on a la mauvaise idée de leur laisser le pouvoir temporel en plus de l’influence spirituelle.

    De l’autre côté « La République Unie » regroupe les États démocrates, progressistes dans le sens du transhumanisme et du wokisme. Chez ces gens-là, les individus sont sous surveillance, ultra-connectés. Tout le monde est doté obligatoirement d’une puce dans le corps qui donne des informations, sert de GPS et accompagne la vie de chacun dans son quotidien en même temps qu’elle surveille son comportement. Sous couvert de sécurité, la paranoïa règne. L’ennemi dont on s’est séparé justifie tous les excès.

    Ce roman constitue un prolongement des États-Unis actuels qui se désagrègent en deux camps hostiles qui ne s’écoutent plus, ne se parlent plus, s’invectivent en s’accusant mutuellement des mêmes déviations : complotisme, fraude et valeurs morales indignes. Ce pays qui jadis était considéré comme le pays de la liberté, se caractérise aujourd’hui par la remise en cause des droits fondamentaux.

    La lecture des premières pages m’a immédiatement fait penser à une scène qui m’avait marqué lors de ma lecture, il y a 45 ans, des « Colonnes du ciel » de Bernard Clavel.

    « Les colonnes du ciel » sont une série de cinq romans de Bernard Clavel qui se passent en Franche-Comté pendant la guerre de Dix Ans, au XVIIe siècle, sous le règne de Louis XIII.

    Guerre de pillages et de massacres qui a été aggravée encore par l’apparition d’une terrible peste.

    Dans le troisième volume, « La Femme de guerre », Hortense d’Eternoz et son grand amour le docteur Alexandre Blondel se dévouent pour les enfants, victimes innocentes de la guerre. Ils en ont sauvé tant qu’ils ont pu mais, au terme de leur voyage, le docteur va mourir et Hortense par colère et vengeance va devenir la femme de guerre. Avec une petite armée qu’elle a levée, elle se jette avec toute sa hargne dans cette guerre.

    Dans le quatrième volume « Marie Bon Pain » la terrible guerre de dix ans s’est achevée en 1644. Toute la petite communauté, Marie bon pain, Pierre, Bisontin et les autres peuvent enfin regagner leur pays, se réinstaller à La Vieille-Loye dans la forêt de Chaux près de la ville de Dole. Ils retrouvent leurs grands arbres avec leur fût rectiligne qu’ils appellent les colonnes du ciel. Ils ont retroussé leurs manches et relevé les ruines du village, construisant de nouvelles maisons, réapprenant à vivre dans la paix retrouvée. Mais un jour, Hortense d’Eternoz, la femme de guerre, revient. Elle est accusée de sorcellerie et va être condamnée au bûcher.

    Bernard Clavel décrit ainsi un bucher en 1644 :

    « Hortense monte. Lentement, mais sans qu’on ait besoin ni de la forcer, ni de la soutenir. Le prêtre lui présente la croix. Il semble qu’elle hésite puis elle finit par y poser ses lèvres. […]
    En quatre pas, Hortense est au poteau. Elle se détourne et d’elle-même, appuie son dos contre le bois. Le silence s’est reformé. On dirait que, jusqu’à la poterne de la cité, jusque par-delà le Doubs, par-delà les fossés et les murailles d’enceinte, le peuple et les choses retiennent leur souffle.
    Hortense en profite.
    D’une voix qui ne tremble pas, d’une voix qui semble s’en aller chercher l’écho des quatre points cardinaux, elle crie :
    « Regardez bien bruler ma robe, ils l’ont trempée dans le soufre pour que la comédie soit jouée jusqu’au bout ! »
    Les bourreaux se sont précipités. L’un passe une chaine autour de sa taille et l’autre une corde de chanvre à son cou.
    Elle veut crier encore mais sa voix s’étrangle. Son visage se contracte, il semble que ses veines se gonflent à sa gorge et à ses tempes que ses yeux agrandis vont jaillir des orbites.
    Derrière elle, l’homme en rouge tourne un levier de bois contre le poteau. […]
    Le prêtre et les hommes rouges descendent de l’échafaud.
    Alors tout va très vite. Dix aides au moins de mettent à lancer les fagots sur les planches, tout autour d’Hortense dont le corps secoué semble vivre encore. […]
    Les flammes montent de tout côté en même temps. […] Les flammes sont si hautes qu’elles cachent Hortense dont la robe claire n’apparait que par instants.
    Et puis soudain, Marie sursaute. Une immense flamme bleue vient de naître d’un coup au centre du brasier.
    Un grand cri monte de la foule.
    La voix terrible de Bisontin gronde :
    -Le soufre…le soufre de la robe. »
    Page 154 à 156 de « Marie Bon Pain » dans la version en livre de poche collection « J’ai Lu » des éditions Flammarion

    Dans le livre de Douglas Kennedy, nous sommes au XXIème siècle. Il commence ainsi :

    « Nous sommes le 6 août. Dans le grand pays qui faisait autrefois partie du nôtre, ils s’apprêtent à brûler mon amie sur un bûcher.
    Elle s’appelle Maxime. Elle travaille pour moi, en quelque sorte, et nous nous sommes rapprochées au fil des années, bien que, dans mon secteur, une telle camaraderie soit considérée comme peu professionnelle. La raison de son exécution : elle a osé plaisanter en public au sujet du Christ.

    Quelques pages plus loin, la narratrice et héros du livre Samantha Stengel va avec ses compagnons suivre sur un écran, nous sommes au XXIème siècle, l’exécution de Maxime :

    Sur l’écran, des cris et des huées commencent à s’élever du public, signe que Maxime est en route pour le bûcher. Effectivement, une brigade de types musclés en uniforme traverse la foule au pas de l’oie. Parmi eux, je distingue la silhouette de Maxime ; […] La brume dans le regard de Maxime ne laisse planer aucun doute : si ses geôliers sont obligés de la maintenir aussi fermement, ce n’est pas parce qu’elle se débat, mais parce qu’elle a été droguée. Cette femme infatigablement subversive et désopilante, qui n’a jamais reculé devant les vérités qui dérangent, qui m’a un jour déclaré que j’avais « vraiment besoin de tomber amoureuse », et peu importait que ma vocation l’interdise, avance mollement vers sa mort sous l’emprise d’un sédatif.
    […]
    — Ça ne m’étonne pas qu’ils l’aient assommée de tranquillisants avant de l’exhiber devant tout ce monde, fait remarquer Breimer, acide. Ils avaient sûrement peur qu’elle se paie leur tête jusqu’au bout. »
    Maxime parvient au lieu de l’exécution. Son escorte se referme autour d’elle, la dérobant entièrement aux regards. Peu après, un ordre indistinct retentit et les soldats se mettent au garde-à-vous avant d’effectuer un demi-tour parfaitement synchronisé et de s’éloigner en cadence, laissant Maxime enchaînée à un poteau au centre de la place, seule en terrain découvert. Des écrans stratégiquement disposés autour de la foule offrent aux spectateurs même les plus éloignés une vue parfaite de la scène, sur laquelle entre soudain un homme en soutane blanche, qui s’avance vers Maxime, micro en main. Il se présente comme le révérend Lewis Jones, venu « offrir à cette créature déchue et condamnée le plus précieux des cadeaux, la vie éternelle, si elle accepte à présent Jésus comme son Seigneur et son Sauveur ».
    […]
    « Avant l’accomplissement de ta sentence, veux-tu te prosterner devant le Tout-Puissant et accepter Jésus en ton cœur ? »
    Silence. Maxime ne réagit pas, tête baissée, le regard aussi opaque qu’un lac en plein hiver.
    Avec la dose de cheval qu’ils lui ont visiblement administrée, son absence de réponse n’a rien d’étonnant. Mais le révérend Jones secoue tout de même la tête avec une affliction théâtrale – et savamment calculée – avant de se retirer.
    Aussitôt, quatre gardes apparaissent, le visage dissimulé par des casques intégraux, vêtus de combinaisons de protection et armés de tuyaux métalliques reliés aux bonbonnes qu’ils portent sur le dos. Ils s’immobilisent face à Maxime. Un de leurs supérieurs lance un ordre et ils lèvent tous leur tuyau d’un même mouvement pour le pointer vers Maxime. Un nouvel ordre retentit, et un geyser de liquide clair déferle sur la malheureuse. J’échange un regard avec Breimer. On s’est renseignés ensemble sur le cas précédent d’exécution publique par le feu en CU : d’après nos analystes, le produit qu’ils viennent d’utiliser serait un composé chimique hautement inflammable, au point qu’il embrase tout à la moindre étincelle. Étrangement, je ressens un certain soulagement à les regarder asperger Maxime de cette substance dangereuse. L’un de nos experts-chimistes a été formel : au moindre contact avec une flamme, la mort est instantanée. Je craignais que, juste pour pousser l’atrocité au maximum et pour la punir d’être transgenre, ils ne décident de lui infliger une exécution à l’ancienne, lente, de type Jeanne d’Arc. À cet instant, je sais que Breimer pense à la même chose que moi. Voilà bien un minuscule geste d’humanité dans cette surenchère de barbarie.
    Les quatre soldats pivotent sur leurs talons et s’éloignent. Un long silence impatient s’abat sur la foule.
    Dans son micro, le révérend Jones commence le compte à rebours. « Cinq, quatre, trois, deux… »
    On ne l’entend pas prononcer le « un ». Un souffle d’incendie, suivi d’une détonation sèche, couvre sa voix amplifiée par les haut-parleurs alors qu’un cercle tracé à l’avance autour de la suppliciée prend feu. Maxime est avalée par une déferlante de flammes. Disparue en fumée. Il ne reste plus à sa place qu’une énorme boule de feu.
    « Ça suffit », déclare Fleck.
    L’écran s’éteint. »

    Pages 22 à 24 de « Et c’est ainsi que nous vivrons »

    Il me semblait pertinent de rapprocher ces deux exécutions, l’une il y a presque 400 ans et l’autre imaginée par l’auteur dans le futur dans un peu plus de 20 ans.

    Woody Allen disait : « Je n’ai pas de problème avec Dieu, c’est son fan club qui me fout les jetons »

    Si la spiritualité constitue un supplément d’âme pour l’être humain, les religions fondamentalistes avec le but de contraindre et de soumettre la société sont des monstres.

    Il en existe toujours dans le monde, aujourd’hui.

    Et nous occidentaux ne sommes pas à l’abri que demain une telle calamité nous rattrape, si nous ne savons pas mâter et faire reculer les forces régressives à l’œuvre dans toutes les religions. Ces ennemis de la liberté qui profitent de nos libertés pour progresser et faire avancer insidieusement leurs valeurs et leurs récits dans nos sociétés.

    Dans « Lire » magazine littéraire de juin 2023, Douglas Kennedy disait :

    « Quand j’étais à la fac, ma spécialité, c’était l’histoire américaine. Déjà, à l’époque, un des sujets qui me passionnait, c’était le puritanisme aux États-Unis, un pays qui est en fait né d’une expérience religieuse. Les puritains qui ont fondé les premières colonies étaient des sortes de talibans. »

    En face de ce régime théocratique assassin se dresse la République Unie qui est la conjonction de la pensée transhumaniste de la Silicon Valley et d’un courant socialiste et wokiste qui est tout aussi terrifiant dans son organisation et son contrôle de la société.

    Dans la même revue l’auteur explique :

    « En fait, la République unie est un système autoritaire light, doté d’un président très malin, qui a décidé qu’il allait séduire des gens comme vous et moi en mettant l’accent sur l’éducation, la culture, le rétablissement de belles architectures. J’ai trouvé ça intéressant. Notamment, parce qu’on peut imaginer les conversations chez ceux qui le subissent : « OK, ce n’est pas idéal, mais c’est toujours mieux qu’en face. » »

    Geneviève Simon écrit sur le site de la « Libre Belgique » : « Un roman mordant qui déroule un scénario plausible ».

    Denis Cosnard écrit sur le site  « Le Monde » un article « …prophète de malheur » dans lequel il juge aussi que « L’écrivain prédit la dislocation des États-Unis dans une dystopie vraisemblable et caustique ».

    A la fin de l’ouvrage, Douglas Kennedy finit, comme le faisait La Fontaine dans ses fables, par la morale de cette histoire :

    « A l’image des cellules biologiques qui nous composent, il est dans notre nature de nous diviser. L’histoire de l’humanité, ­individuelle et collective, n’est qu’une longue succession de schismes et de ruptures. Nous brisons nos familles, nos couples. Nous brisons nos nations. Et nous rejetons la faute les uns sur les autres. C’est un besoin inhérent à la condition humaine : celui de trouver un ennemi proche de nous afin de l’exclure en prétextant ne pas avoir le choix. Vivre, c’est diviser. »
    Et c’est ainsi que nous vivrons, page 332

    <1758>

  • Vendredi 18 août 2023

    « Écouter c’est la fermer ! »
    Thomas d’Ansembourg

    J’avais évoqué, lors du mot du jour précédent, l’importance dans les relations de la qualité de l’écoute.

    Je voudrais revenir sur ce sujet si important grâce à une vidéo de Thomas d’Ansembourg : <Savons-nous écouter ? >

    J’ai déjà évoqué Thomas d’Ansembourg lors de plusieurs mots du jour. Le plus récent étant celui du 27 mars 2023 : « Personne n’a envie d’être un con-vaincu»

    Thomas d’Ansembourg est un psychothérapeute belge spécialisé dans la communication non-violente.

    Il fait d’abord un constat :

    « C’est quelque chose qui m’impressionne depuis que j’enseigne la Communication Non Violente : c’est combien les gens ne s’écoutent pas. Ils se fourguent des conseils, des solutions, des commentaires et ils ne s’écoutent pas et ça fait souffrir beaucoup d’êtres. Énormément. »

    Et pour donner un exemple, il évoque des parents qui sont venus le consulter parce qu’ils avaient des difficultés de compréhension avec leur garçon :

    « Et ils arrivent, les deux parents, le garçon. Et les parents me racontent toutes leurs attentes et leurs misères à communiquer avec le garçon et à un moment, après les avoir écoutés je me tourne vers le garçon et je dis : « Et toi comment tu te sens quand tu entends tes parents te dire ça ? et il me répond du tac au tac : « Mais je suis extrêmement en colère parce que mes parents, là vous les avez écoutés, mais eux ils ne m’écoutent jamais. »
    Et la mère saute sur ses deux pieds en disant : « Comment on ne t’écoute jamais, mais on passe son temps à t’écouter ! » »

    Après cette entrée en matière, Thomas d’Ansembourg intervient pour montrer la cohérence entre les propos du garçon et la réaction de sa mère.

    « Et je dis : « Stop madame pourriez-vous faire un petit arrêt sur image, votre enfant dit que vous ne l’écoutez jamais, donc ça veut dire qu’il ne se sent pas écouté et vous montrez que vous ne l’écoutez pas. Vous argumentez pour avoir raison : « mais si je t’écoute, mais je t’ai déjà écouté. » Vous n’écoutez pas le fait que lui ne se sent pas écouté. Et bien sûr que c’est dérangeant d’entendre son enfant, qu’on a cru écouter, dire : « je ne me sens pas écouté. ». Mais s’il dit qu’il n’est pas écouté, c’est qu’il ne se sent pas écouté.
    Et je me retourne vers le garçon et je lui dis : « Que veux-tu dire par-là, quand tu dis que tes parents ne t’écoutent jamais ? Apparemment ils ont l’impression de t’écouter ».
    Et bien je vais vous le dire clairement, il ne me laisse jamais finir mes phrases. »

    Poser les mots sur un problème permet de le comprendre avant d’essayer de le résoudre :

    « Et je me retourne vers la mère, je dis : « Est-ce que ça vous parle ? ». Et elle reconnaît, la larme à l’œil « effectivement, j’ai du mal à le laisser aller jusqu’au bout. Souvent, je pense que j’ai la solution, que c’est moi qui comprends comment ça doit se passer.
    Je dis « bah voilà ! Apprenez juste à écouter. »

    « Et ceci m’a éclairé, cette maman ne savait pas écouter ce qui est une chose. Mais quand on ne sait pas écouter, on peut apprendre à écouter, mais ce qui est plus grave encore, et cette maman illustre un problème qui nous touche pratiquement tous et toutes, cette maman ne savait pas qu’elle ne savait pas écouter !
    Je ne sais pas ce que je ne sais pas, comment voulez-vous que je m’améliore ?
    Et ça c’est un enjeu fondamental. »

    L’ignorance est un manque de connaissance. Mais connaître ou être conscient de son ignorance constitue un savoir.

    Connaître ses faiblesses est aussi un savoir qui permet soit de les prendre en compte, soit de les surmonter.

    Ce qui est grave comme le dit Thomas d’Ansembourg, c’est ignorer sa faiblesse.

    A ce stade, il explique ce que signifie, selon lui, écouter :

    « Écouter c’est la fermer et laisser l’autre arriver au bout de sa phrase.
    Et éventuellement ajouter à ça un reflet ou même une formulation empathique pour s’assurer qu’on a bien compris l’autre. »

    Et puis, il ajoute ce point fondamental du dialogue : être en capacité de comprendre l’autre en l’écoutant pleinement ne signifie qu’on lui donne raison, simplement qu’on le prend en compte. Et cela change tout :

    « Et écouter l’autre ça ne veut pas dire qu’on est d’accord.
    Et être en empathie avec l’autre, refléter ce que l’autre ressent, ça ne veut pas dire qu’on souscrit à son besoin. Ça veut simplement dire qu’on reconnaît que cet être humain, il est là. Et quand l’autre être humain se sent reconnu et le droit d’exister […] et bien il nous reconnaît, il nous donne le droit d’exister aussi. C’est un échange »

    L’exemple qu’il a donné était dans un contexte familial, mais cela dépasse ce cadre pour concerner de la même manière le monde professionnel, comme l’ensemble des relations de toute sorte qu’on peut nouer dans une vie :

    « Et je peux témoigner que dans l’entreprise quand j’anime des sessions de Communication Non violente c’est le même écho des équipes qui me retournent : tu nous a appris que nous ne savions pas écouter. Je pense à des équipes de Conseil, de conseil en informatique qui arrivent avec leurs solutions mais ils n’écoutent pas les vrais enjeux. Et donc ça dysfonctionne. Ils pensent qu’ils n’ont pas le temps, comme dans les familles ils n’ont pas le temps, alors que le temps consacré à bien écouter fait que le résultat s’ajuste. […] Je vous encourage à mettre ça en pratique, voir que quand vous avez créé du nous, par une belle et bonne écoute, même si vous n’êtes pas d’accord avec l’autre ce nous est fécond. On va trouver des solutions qui nous arrange de façon gagnant/gagnant, plutôt que des solutions qui sont dans la domination, soumission, agression, démission. »

    Je vous invite d’écouter ce message dans la fluidité du remarquable pédagogue qu’est Thomas d’Ansembourg : <Savons-nous écouter ? Thomas d’Ansembourg>

    Il me semble qu’il révèle quelque chose d’essentiel.

    Mon expérience me donne à penser qu’il a absolument raison.

    Je plaide coupable, je n’ai pas toujours su être au niveau de cette exigence.

    Mais chaque fois que j’ai pu ou su être dans cette qualité d’écoute, le résultat a toujours été extrêmement valorisant. Et cela même si je n’étais pas d’accord avec mon interlocuteur.

    <1757>

  • Vendredi 11 août 2023

    « Charlotte et moi. »
    Olivier Clert

    Aujourd’hui, je vais parler d’une bande dessinée en trois tomes que je viens de lire : « Charlotte et moi »

    C’est une Bd plutôt de jeunesse, mais qui peut se lire à tout âge.

    Les éditions « Makaka » qui publient ce livre écrivent malicieusement qu’elle est à destination de lecteurs de « 10 à 109 ans ».

    J’aurais dû lire ces 3 livres depuis longtemps, puisque le tome 1 est paru en novembre 2016 et que le tome 3 a été publié en septembre 2018.

    Pourquoi aurais-je du lire ces 3 livres depuis plusieurs années ? C’est ce que je vais narrer dans la suite de ce mot du jour.

    Mais je voudrais d’abord dire que j’ai été conquis par cette BD pleine de sensibilité, d’humanité et aussi de rebondissements qui rendent sa lecture à la fois agréable et pleine d’intérêt jusqu’au bout de l’Histoire.

    Son auteur qui a écrit le texte et dessiné les personnages présente cette histoire dans <Ouest France> de la manière suivante :

    « [C’est l’histoire] d’un petit garçon, Gus, dont les parents divorcent. Il part vivre avec sa mère dans un petit immeuble de province. Il n’a pas envie. C’est juste avant la rentrée des classes et il s’ennuie. Il se met à observer les habitants de son immeuble. En particulier Charlotte, une grosse bonne femme timide qui ne parle pas, lui fait un peu peur et sur laquelle ragotent les gens du village. Il l’espionne. Cette BD, c’est l’histoire de Gus, de Charlotte et des gens de leur immeuble. Avec un effet domino : les actions des uns ont des conséquences sur la vie des autres. »

    En faisant une recherche sur le site des bibliothèques de Lyon j’ai pu constater que les 3 Tomes étaient présents dans 10 des 16 établissements de la ville et que 5 de ces 10 exemplaires sont empruntés actuellement.

    Cela donne la double preuve que les administrateurs de la bibliothèque de Lyon ont beaucoup aimé la série et que les abonnés de la bibliothèque l’apprécient toujours, 5 ans après sa sortie.

    Sur ce <Site> j’ai trouvé cet avis qui fait écho avec ce que j’ai ressenti à la lecture de ces pages qui racontent une histoire de quête :

    « Cette bande dessinée en 3 tomes est une merveille de tendresse, d’humour et d’aventures. […] La rencontre entre ces deux êtres sera pourtant le point de départ d’une aventure extraordinairement émouvante, autour d’une quête commune : celle des origines. Leur amitié se construira peu à peu, nous donnant l’envie de croiser le chemin d’une Charlotte et d’un Gus, un jour ou l’autre… Mention spéciale pour le dessin, la colorisation et le fourmillement de petits détails auxquels prêter attention, notamment au niveau des transitions entre les scènes.
    Ode au vivre-ensemble et à la lutte contre les préjugés, voici une BD à mettre entre toutes les mains. »

    Mais l’histoire que je veux partager et qui s’entremêle avec celle de Gus et de Charlotte a commencé au milieu des années 1990.

    Je travaillais alors dans l’administration centrale d’une Direction qui n’existe plus depuis 2008 et qui était la Direction Générale des Impôts. Mon bureau était situé au cinquième étage, du bâtiment Turgot, celui qui était le plus loin des bureaux des Ministres et le plus proche de la gare de Lyon.

    Mon bureau était juste à côté des ascenseurs, facilement accessible et ma porte était toujours ouverte.

    Ce devait être en avril ou mai, nous étions à la fin de la journée, André est venu me rendre visite après une réunion à laquelle je n’avais pas assisté. Pendant notre discussion qui fut assez longue dans mon souvenir, le soleil s’était couché lentement, les fenêtres étaient orientées sud-ouest.

    La lumière chaude nous enveloppait et rendait ce moment inoubliable, c’est pourquoi son souvenir ne m’a pas abandonné.

    André était mon ainé de douze ans. Le travail commun nous avait rapproché, il y avait de l’affection parce que nous nous reconnaissions mutuellement la capacité de nous écouter, la volonté de nous comprendre et d’aboutir à une solution qui nous convenait à tous les deux et que nous pourrions défendre devant notre hiérarchie. Il était responsable d’une équipe d’informaticiens et moi je représentais la maîtrise d’ouvrage qui écrivait les cahiers des charges et exerçait la recette des applications c’est-à-dire leur réception et leur test.

    La confiance et surtout l’écoute de l’autre permet de passer à un autre niveau de dialogue, plus engageant et qui touche davantage l’intime.

    Nous parlions de nos enfants, mais les miens étaient encore dans leurs toutes premières années.

    André Clert était particulièrement préoccupé par son fils qui était dans l’année de son baccalauréat et qui ne travaillait pas assez pour la réussite de cet examen selon les critères de son père. Il me disait et je sentais une angoisse dans sa voix :

    « Tu comprends Alain, il trouve beaucoup plus important de dessiner toute la journée. Il s’est pris de passion pour les dessins animés et la bande dessinée. J’essaie de lui expliquer de travailler pour son Bac et puis de dessiner après. »

    Et il a ajouté cette phrase qui m’est resté :

    « Nos enfants et nous les parents n’avons décidément pas les mêmes priorités ! »

    Après mon départ de Paris pour Lyon et même après sa retraite nous avons continué à échanger par courriel.

    Et puis le 21 novembre 2016, j’ai reçu, avec d’autres, un message provenant de l’adresse courriel d’André, mais ce n’était pas lui qui écrivait :

    « C’est avec une immense tristesse que je vous annonce le décès brutal d’André survenu samedi soir dans un restaurant de Toulouse où nous étions pour quelques jours.

    Un séjour pour circuler dans Toulouse où il a fait ses études et qu’il aimait beaucoup, et aussi pour aller à un festival de bandes dessinées où notre fils Olivier dédicaçait sa bande dessinée qui vient d’être publiée (il en était heureux et fier).

    Nous avions passé une merveilleuse journée…

    Malgré une retraite pleine d’occupations, il ne vous a pas oubliés et nous gardons un excellent souvenir de nos années parmi vous. »

    André est donc décédé le 19 novembre 2016, le Tome 1 de « Charlotte et moi » était paru exactement le 4 novembre 2016.

    Le tome 2 paru en avril 2018, porte cette simple dédicace : « Pour mon père »

    Dans l’article d’Ouest France déjà cité, Olivier Clert expliquait en 2017 les différentes facettes de son activité professionnelle :

    « J’ai 36 ans et je vis à Paris. J’ai toujours dessiné. Après le lycée, j’ai fait une fac d’arts plastiques et préparé le concours de l’école des Gobelins. Je me suis formé au film d’animation, notamment en participant à un court-métrage collectif de fin d’études, Blind Spot. Je me suis occupé de l’histoire et de la mise en scène. J’ai ensuite travaillé comme animateur sur plusieurs longs-métrages comme Un monstre à Paris […]

    Être storyboarder, c’est travailler sur le script des réalisateurs et en faire une BD du film. »

    Et il raconte comment est né la BD :

    « J’ai eu une fenêtre entre deux projets d’animation. J’ai commencé Charlotte et moi, puis je l’ai proposée à des éditeurs.

    [… J’ai des idées de BD mais très vagues : il faut que je plonge dedans. En dessin animé, je travaille sur Klaus (paru en 2019). Faire un film, c’est très long : environ cinq ans. On est nombreux à travailler : cela permet à la fois une émulation intéressante, c’est pour ça qu’il y a souvent beaucoup de gags et de trouvailles visuelles, mais ça peut aussi être très laborieux car on est beaucoup. Alors que quand on fait une BD, on est seul, on dessine et ça peut aller vite. C’est la façon la plus simple de raconter une histoire. Ça tombe bien, c’est mon métier ! »

    Gus et Charlotte qui ont vécu beaucoup d’aventures ensemble, vont se quitter, avant la fin du Tome 3 parce que Charlotte va continuer sa quête seule, loin de France.

    La manière dont Olivier Clert dessine cet instant me fait revenir en mémoire la parole d’Eleanor Roosevelt l’épouse du Président Franklin D. Roosevelt :

    « The future belongs to those who believe in the beauty of their dreams.
    – L’avenir appartient à ceux qui croient à la beauté de leurs rêves. »

    <1756>

  • Mardi 1er août 2023

    « C’est vrai que cette histoire manque de chameaux »
    Alice Zeniter dans « L’art de Perdre » page 336 en conclusion du résumé que fait Hamid de l’histoire de sa famille classée dans les Harkis

    Parfois, on croise un livre sans le rencontrer.

    Il en fut ainsi, pour moi, pour « l’Art de perdre » d’Alice Zeniter.

    J’en avais entendu parler, lors de plusieurs interviews de l’autrice, dès la sortie du roman en 2017. D’abord, alors qu’elle était invitée sur France Inter <le 25 aout 2017>, puis par une émission de France Culture du 9 septembre 2017 <Je voulais combler les silences de mon histoire>

    En écoutant, Alice Zeniter j’avais l’intuition qu’il s’agissait d’un livre à lire pour mieux comprendre la guerre d’Algérie, celle des vainqueurs et celle des vaincus, la guerre et ses conséquences.

    Mais la rencontre n’a pas eu lieu en 2017 ou 2018.

    Plus tard, j’avais vu le livre posé sur une table chez Marianne, je l’avais remarqué mais je suis passé à côté.

    Après les émeutes qui ont frappé la France, j’ai retrouvé un long article de « Libération » que j’avais soigneusement découpé et classé dans une chemise : <Enfant j’ignorais pourquoi on n’allait pas en Algérie>.

    En le relisant, j’ai eu l’intuition que le temps était vraiment venu de lire ce livre.

    Et deux jours après, dans la maison de Joyce et Patrick, je suis, à nouveau, tombé sur ce roman dont je me suis, cette fois, emparé et que j’ai lu d’une traite.

    L’art de perdre est l’histoire d’une famille entre l’Algérie et la France sur trois générations :

    • Ali, le grand-père, venu des montagnes kabyles dans lesquelles il menait une vie plutôt aisée, étant riche relativement à la population locale. Cet homme est tombé du côté harki pendant la guerre et dû fuir l’Algérie, en 1962, lors de l’indépendance.
    • Hamid, son fils qui était trop jeune pour comprendre ce qui s’était passé avant 1962 et qui a vécu sa vie en France, algérien pour les français, harki pour les algériens. Il a épousé Clarisse, française n’ayant rien à voir avec les évènements d’Algérie.
    • Naïma, une des filles d’Hamid et de Clarisse, narratrice de cette Histoire.

    Alice Zeniter s’est inspirée de son histoire personnelle, dans la réalité elle occupe la place de Naïma. Mais elle savait si peu de chose, sa famille était taiseuse sur ce passé algérien et les débuts français. Alors, elle a beaucoup lu, rencontré des historiens pour arriver à écrire son roman qui est une vérité possible et qui surtout montre la complexité des choix et des destins.

    Alice Zeniter parle d’un destin de « harki », c’est-à-dire un algérien qui a choisi le camp des français contre celui du FLN.

    Dans l’article de Libération elle montre l’absurdité de désigner avec ce nom toute une famille dont le père a fait un choix qui n’était pas celui de l’Histoire.

    « Je me souviens d’avoir cherché dans le dictionnaire ce soir-là, je pense que les explications de mes parents devaient avoir été trop peu claires, et d’avoir trouvé dans le Larousse la définition qui est : harki, membre d’une harka, supplétif indigène travaillant pour l’armée française. Et, en deuxième entrée : qualifie les enfants et petits-enfants de harkis. Cela m’a paru extrêmement détestable, l’idée que ce nom que je ne connaissais pas quelques minutes avant était censé pouvoir me qualifier aussi. C’est quelque chose qui n’a toujours aucun sens pour moi aujourd’hui, et c’est ce que je dis dans la deuxième partie du livre. Déjà, le terme n’est pas juste, on devrait parler d’ex-harkis, d’anciens supplétifs. Quand les mecs arrêtent d’être soldats, eh bien ils ne sont plus soldats. Et puis je ne vois pas pourquoi ça qualifierait la famille et la descendance, c’est une aberration. Ni pourquoi cela qualifie des gens qui n’ont jamais fait partie des harkas et des contingents de l’armée française, et qu’on a juste considérés comme étant pro-Français. Ce terme est extrêmement mal utilisé. Et quand, en plus, on sait qu’il est devenu pour beaucoup une insulte… »

    Pourquoi devient-on harki ?

    La réponse à cette question Alice Zeniter ne l’a pas trouvé dans sa famille.

    Dans le roman, elle tente d’expliquer ce silence, ce tabou pour Naïma.

    Le fils Hamid tente d’arracher une explication à son père Ali :

    «- Est-ce qu’on t’a forcé ? demande t-il ?
    – Forcé à quoi ?
    – A collaborer avec les français ? Est-ce qu’ils t’ont enrôlé de force ?

    Il n’a pas le vocabulaire suffisant en arabe pour mener une conversation politique et il parsème ses questions de français.

    – Ils t’ont menacé ? »
    Page 269

    Mais aucune réponse de son père ne sera donnée, juste de la colère et cette sentence murmurée :

    « Tu ne comprends rien, tu ne comprendras jamais rien »

    C’était inexplicable et plus encore inracontable.

    Alors Alice Zeniter invente, c’est la force et la liberté du roman.

    Quand les premiers soulèvements ont eu lieu, c’était l’œuvre du MNA, le Mouvement national algérien de Messali Hadj. Le grand père Ali n’en veut pas parce qu’il le soupçonne de vouloir l’arabisation à outrance, et qu’en tant que Kabyle il tient à son identité. Il ne faudrait jamais oublié qu’avant la colonisation française de l’Algérie, il y eut la colonisation de la Kabylie par les arabes.

    Après le FLN écarta le MNA et Messali Hadj de manière sanglante et violente et ce fut le FLN qui porta le combat de l’indépendance.

    Alice Zeniter fait dire à Ali qu’il est pour l’indépendance mais pas celui du FLN.

    Les partisans du FLN prétendent que pour chasser le colonisateur il n’y avait pas d’autres choix que celui d’une violence et d’une cruauté extrême, non seulement tournées vers les colons mais aussi vers les algériens qu’ils considéraient comme trop tièdes.

    Ali les considérait comme des bandits, des « mafieux » même si ce mot n’est jamais utilisé.

    D’ailleurs, la suite après l’indépendance lui donnera raison, les dirigeants du FLN ont mis leur pays en coupe réglée et sont arrivés de faire de leur pays riche en minerai et pétrole, un pays de pauvres dans lequel seule une nomenklatura est très riche.

    C’est après le massacre indigne et cruel par le FLN, d’un vieux combattant de 14-18 qui avait refusé de renoncer à la pension de guerre que lui versait la France, qu’Ali bascule et demande l’aide de l’armée française pour le protéger ainsi que sa famille.

    Il franchit ce pas parce qu’il est révolté par l’assassinat de son ami et aussi parce qu’il a peur parce que lui aussi est ancien combattant mais de la guerre 39-45.

    Et par ce geste, il se place malgré son désir d’indépendance, dans un camp et non dans l’autre dont il juge les méthodes et le comportement inacceptables.

    Il ne peut pas l’expliquer à son fils, juste lancer ce qui peut être vu comme une plainte : « tu ne comprendras jamais rien. »

    Et le fils, Hamid, devant ce mur se réfugie aussi dans le silence.

    Quand sa future femme, essaye d’obtenir quelques lueurs sur cette histoire, il répondra toujours par une ellipse en évoquant l’idée qu’elle espère une histoire de chameaux qui n’existe pas

    Un jour pourtant et une seule fois dans le roman, sa future épouse parvient à l’obliger à un résumé pathétique et sans concession de la part d’histoire que connait Hamid.

    La femme de sa vie, Clarisse, le menace de le quitter s’il ne parle pas de ses origines, alors il dit cela :

    « On est arrivés en France quand j’étais encore gamin, dit Hamid.
    On était dans un camp, on était derrière des barbelés, comme des bêtes nuisibles.
    Je ne sais plus combien de temps ça a duré. C’était le royaume de la boue.
    Mes parents ont dit merci.
    Et puis après, ils nous ont foutus dans la forêt, au milieu de nulle part, tout près du soleil. c’est là qu’il y avait les chenilles.
    Mes parents ont dit merci.
    Ensuite, ils nous ont envoyé dans une cité HLM de Basse-Normandie, dans une ville ou avant nous, je ne crois pas que qui que ce soit ait jamais vu un arabe.
    Mes parents ont dit merci.
    C’est là qu’ils sont encore.
    Mon père bossait, ma mère faisait des gosses, et je pourrais te dire comme tous les gars du quartier que je les aime et que je les respecte parce qu’ils nous ont tout donné mais je ne crois pas que ce soit honnête, j’ai détesté qu’il me donne tout et qu’eux arrêtent de vivre.
    Je me suis senti étouffé, ça me rendait fou. »
    Page 336

    Clarisse conclura cette confession par :

    « C’est vrai que cette histoire manque de chameaux »

    J’ai trouvé cette formule, dans sa simplicité, si juste pour tenter d’approcher cette histoire de violence, de trahison, d’humiliation, de colonisation, de mépris.

    Dans ce court résumé Hamid évoque d’abord <le camp de Rivesaltes>
    Les harkis n’ont plus de pays quand ils arrivent en France, en 1962. La France les accueille comme des parias. Le camp de Rivesaltes ce sont des barbelés, des tentes, des conditions de vie épouvantables, l’impossibilité de circuler.

    Il évoque ensuite <Le camp de Jouques appelé aussi la cité du Logis d’Anne>

    Et puis il y a le racisme aveugle, forcément débile et toujours présent :

    « Un jour, en cours d’anglais [lors d’un exercice] le professeur laisse échapper :
    « Ecoute, Pierre, si Hamid peut le faire, tu dois en être capable aussi ! »

    « Qu’est-ce que ça veut dire ? demande Hamid.
    La question a passé ses lèvres sous le coup de la surprise plus que de la colère. Il ne voulait pas la poser à voix haute mais au silence qui la suit et aux yeux écarquillés de ses camarades, il comprend qu’elle est trop énorme pour qu’il puisse la faire oublier.[…] Hamid se lance à la poursuite de sa première question :
    « Que ce qu’un Arabe peut faire, il est évident que c’est à la portée des Français ? Que si je peux le faire avec mon cerveau sous-développé d’Africain, l’Homme Blanc peut le faire mieux que moi ? C’est ça que vous vouliez dire ?
    Devant ce manque de respect, le professeur oublie sa gêne et s’exclame :
    « Bon, c’est bon, ça suffit comme ça. Tais-toi maintenant !
    – Vous êtes raciste, dit Hamid le plus calmement qu’il peut mais sa voix tremble de colère et de peurs mêlées »
    Page 265 et 266

    D’autres élèves prendront le parti d’Hamid, mais le professeur aura le dernier mot et ce sera Hamid et ses camarades qui seront collés pour « conduite scandaleuse ».

    Hamid s’était emmuré dans le silence pour son histoire algérienne mais aussi pour son service militaire

    « En janvier 1974, à la fin du service militaire de Hamid – Une autre période de sa vie dont il ne parlera pas, des mois de silence à peine troués par des mots « racisme », « cachot », « officier de service », « tour de garde » et « dortoir ».
    Page 328 :

    Son père Ali a aussi affronté cette haine raciste au quotidien.

    Dans le camp de Jouques, il a le droit de sortir contrairement à Rivesaltes. Un jour pour se donner du courage il va dans un bar pour commander une bière, le tenancier refuse de le servir, l’insulte avec des propos racistes et lui demande de sortir du bar.

    Ali refuse alors le propriétaire appelle la gendarmerie. Quand le gendarme se rend compte qu’il a partagé avec Ali le même lieu de bataille à savoir Monte Cassino, il oblige le barman à leur servir à tous les deux de la bière. Après une longue discussion, le gendarme et Ali se séparent, mais Ali ne retournera jamais dans ce bar, l’humiliation est trop dure à supporter même si son immense taille plus de deux mètres lui permettrait d’avoir le dessus physiquement mais il pressent qu’il n’aurait pas le dernier mot.

    Dans ce livre j’ai appris une collection de mots de la haine avec lesquelles les « bons français » insultaient les algériens : « crouille, bicot, l’arbi, fatma, moukère, raton, melon, mohamed, tronc-de-figuier, fellouze…. (p. 313)

    Et puis ce roman parle aussi de notre présent, en le reliant au passé. Alice Zeniter se sert de Naïma pour faire ce lien. Elle évoque les attentats du 13 novembre 2015 :

    « Le soir du 13 novembre, Naïma est au cinéma.

    Elle regarde le dernier James Bond, ce qui lui apparaîtra rétrospectivement comme un choix légèreté presque obscène.
    Un de ces anciens collègues, du temps de la revue culturelle, meurt au Bataclan. elle l’apprend au petit matin et s’effondre sur le carrelage froid de la cuisine. (…)

    Elle pleure sa mort, tout en se reprochant son égoïsme, elle pleure sur elle-même, ou plutôt sur la place qu’elle croyait s’être construite durablement dans la société française et que les terroristes viennent de mettre à bas, dans un fracas que relaye tous les médias du pays.

    « Naïvement, elle pense que les coupables des attentats ne réalisent pas à quel point ils rendent la vie impossible à toute une partie de la population française – cette minorité floue dont Sarkozy a dit à la fin du mois de mars 2012 qu’elle était musulmane d’apparence.
    Elle leur en veut de prétendre la libérer alors qu’ils contribuent à son oppression.

    Elle repère ainsi un schéma historique de mésinterprétation, amorcé soixante plus tôt par son grand-père. Au début de la guerre d’Algérie, Ali n’avait pas compris le plan des indépendantistes : il voyait les répressions de l’armée française comme des conséquences terribles auxquelles le FLN, dans son aveuglement, n’avait pas pensé.
    Il n’a jamais imaginé que les stratèges de la libération les avaient prévues, et même espérées, en sachant que celles-ci rendraient la présence française odieuse aux yeux de la population.
    Les têtes pensantes ‘Al-Qaïda ou de Daech ont appris des combats du passé et elles savent pertinemment qu’en tuant au nom de l’islam, elles provoquent une haine de l’islam, et au-delà de celle-ci une haine de toute peau bronzée, barbe et chèche qui entraîne à son tour des débordements et des violences.
    Ce n’est pas comme le croit Naïma, un dommage collatéral, c’est précisément ce qu’ils veulent : que la situation devienne intenable pour tous les basanés d’Europe et que ceux-ci soient obligés de les rejoindre. »
    Page 376 & 377

    Et puis, elle parle aussi de la vague de régression dans les mœurs et particulièrement à l’égard des femmes que traverse, depuis quelques décennies, l’Islam dans les pays d’islam. Vague qui hélas est venue aussi en France.

    Naîma va à Alger pour organiser une exposition dans la galerie dans laquelle elle travaille à Paris. Elle a pour correspondant Mehdi et sa compagne Rachida.

    C’est la compagne de Mehdi, Rachida qui lui révèle :

    « Ça me tue de voir que les gamines d’aujourd’hui se font avoir par ces conneries. La situation a clairement régressé pour nous dans ce pays.

    Elle regarde autour d’elle, remarque quelques groupes de convives exclusivement masculins et ricane :

    – La plupart des choses que les femmes ne font pas dans ce pays ne leur sont même pas interdites. Elles ont juste accepté l’idée qu’il ne fallait pas qu’elles le fassent. Tu as vu à Alger le nombre de terrasses où il n’y a que des hommes ?
    Ces bars ne sont pas interdits aux femmes, il n’y a rien pour le signaler et si j’y entre, le personnel ne me mettra pas dehors, pourtant aucune femme ne s’y installe. De même qu’aucune femme ne fume dans la rue –et ne parlons pas de l’alcool. […]
    On ne peut pas résister à tout, hélas. Moi je sais qu’ils ont en partie gagné parce qu’ils ont réussi à me mettre en tête que j’aurais préféré être un homme. »
    Page 465 & 466

    Un livre d’une richesse inouïe.

    Le lecteur connait plus de complexité après l’avoir lu et s’enrichit de beaucoup de questions tout en se défiant des certitudes qu’il pensait acquise.

    <1755>

  • Mercredi 12 juillet 2023

    « Dissuasif »
    Terme peu compris et usité dans la société française

    Un policier, après 9 jours de travail sans repos, au terme d’une course poursuite d’un délinquant conduisant sans permis et enfreignant le code de la route, a commis la grave erreur de dégainer son arme, puis de tirer sans maîtriser son tir.

    Il a commis une faute !

    Mais quand j’entends et je lis les médias et la plupart des hommes politiques de gauche, il semblerait que « LE PROBLEME » est ce policier et le cortège de violences policières qu’ils énumèrent.

    Je ne dis pas qu’il ne faille pas s’interroger sur les méthodes, la formation et certaines dérives racistes de la Police, mais il y a un moment où quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limite.

    Libération dans un article : <comment Gérald Darmanin soutient financièrement le policier mis en examen> s’offusque du fait que l’administration a trouvé un moyen juridique, pour permettre au policier de continuer à toucher une partie de son traitement, bien qu’il ne travaille plus et que de manière factuelle en l’«absence de service fait», il ne devrait pas être payé.

    Ce policier a commis une faute, encore faut-il laisser la Justice trancher, mais ce n’est pas le plus grand criminel de la terre.

    Il est aussi possible d’exprimer de la bienveillance à son égard.

    Il a eu mauvaise réaction prise dans l’urgence, dans un quart de seconde, qui a causé des conséquences terribles.

    Mais pourquoi s’arrête t’on à ce tir du policier, en considérant qu’il s’agit de l’alpha et l’oméga du problème posé à la société française ?

    Ce tir est la fin d’une histoire, la dernière étape de toute une série de manquements, de lâchetés, de dénis dans lesquels nous nous sommes enfermés.

    Dans le mot du jour précédent, j’avais déjà noté que si le jeune Nahel n’avait pas pris le volant de ce bolide ou s’il s’était soumis à l’injonction des policiers, il serait toujours vivant.

    Mais si un individu n’avait pas créé, trois mois auparavant, une société de location de voiture de « frimeur » avec la complicité de vendeurs polonais, dans le but de permettre à des dealers ou autres trafiquants des quartiers de jouir de ce symbole de réussite qu’est de conduire de telles automobiles qui ne servent à rien d’autre que de satisfaire le mâle alpha dans sa bêtise et sa vacuité, Nahel serait aussi en vie.

    Mais pourquoi existent-t ‘il de telles sociétés de location dans des quartiers que les mélenchonistes décrivent simplement comme pauvres et délaissées ?

    Parce que s’il y a de la pauvreté, il y a aussi de la richesse dans des zones que l’État a accepté de laisser devenir des zones de non droit.

    Lors du mot du jour du « 20 janvier 2015 » je citais Régis Debray :

    « Lorsque l’Etat se dégrade et perd en autorité symbolique
    il y a deux gagnants : les sectes et les mafias. »

    Verser de l’argent dans ces quartiers ne sert à rien, s’il n’existe pas en parallèle des humains qui accompagnent, dialoguent et peuvent aussi aider à sanctionner, le cas échéant.

    Rappelons que c’est le Président Nicolas Sarkozy qui a mis fin à la Police de Proximité.

    Les travailleurs sociaux sont manifestement insuffisants et insuffisamment soutenus.

    Ce sont des problèmes d’une grande complexité, les aborder de manière simpliste est une faute.

    Mais je voudrais aujourd’hui parler d’un mot qui je crois n’est pas bien compris, voire accepté en France.

    La première fois que j’ai été confronté, dans ma vie, au terme dissuasif c’était au moment de l’achat de notre appartement de Montreuil.

    Les propriétaires étaient un couple en instance de divorce et l’appartement était toujours occupé par l’épouse. Certaines réflexions et signes, m’ont donné l’intuition que cette dame ne quitterait peut-être pas l’appartement après la vente.

    Nous en avons parlé à notre notaire qui nous a suivi. Au moment de la promesse de vente, il a donc demandé à son collègue d’introduire dans l’acte, la mention d’une astreinte de mille francs par jour, si l’appartement n’avait pas été totalement vidé, le jour de la vente.

    Je me souviens encore de la réaction offusquée de la Dame qui s’exclama :

    « Mais c’est plus cher qu’une nuit d’hôtel »

    Et j’ai trouvé sur ce <site> qu’en effet, en 1991, année de cet achat, le prix d’une chambre d’hôtel de qualité se situait autour de 400 Francs.

    Mais devant la réaction de la dame scandalisée, son notaire lui a répondu simplement :

    « Oui Madame c’est beaucoup plus cher qu’une nuit d’hôtel. Mais c’est fait pour cela. C’est une mesure qui présente un caractère dissuasif ».

    Dans cette situation, le caractère dissuasif était d’autant plus affirmé que le montant de la vente serait dans les mains du notaire et qu’il n’y avait dès lors aucune échappatoire au déclenchement effectif de l’astreinte.

    Plus récemment, j’ai eu la compréhension de la signification du mot dissuasif par le témoignage de mon fils lors de son séjour à New York. Je me plaignais que souvent en France, aux carrefours, les voitures déclenchaient un embouteillage néfaste à la sécurité des cyclistes et à la fluidité de la circulation. Mon fils m’a dit qu’à New York un tel phénomène n’existait pas. Les règles imposaient qu’une voiture ne devaient jamais s’engager dans un carrefour si elle n’avait pas la certitude de pouvoir en sortir avant le changement de feu. Et toute voiture égarée au milieu d’un carrefour n’ayant pas respecté cette règle était sanctionnée par une amende d’un montant très sévère.

    Mon frère Gérard était allé dans la ville allemande, voisine du domicile parental, Sarrebruck. Il s’était garé sur une grande avenue. Partout des panneaux indiquaient qu’il fallait qu’aucune voiture ne soit garée sur cette avenue à partir de 17 heures. C’était expliqué, il fallait que les grandes avenues de la ville soient dégagées à l’heure où les salariés allemands quittaient leur travail pour fluidifier la circulation. Mon frère, français de son état, est arrivé à sa voiture à 17h01, la discussion entre lui et l’autorité allemande a tourné court. Il a dû s’acquitter d’une sévère amende. Mais il jura qu’on ne le reprendrait plus.

    Alors en France on ne fait pas comme ça. Les dirigeants jusqu’au français modestes estiment toujours qu’il est possible de s’arranger avec les règles et que si on ne les respecte pas, ce n’est pas très grave, c’est quasi excusable et presque compréhensible.

    Évidemment si la sanction est une amende de 80 ou de 130 euros, que parfois d’ailleurs on ne paie pas, nous ne sommes pas dans le domaine du dissuasif mais de la taxe : On paie une taxe et on a le droit de ne pas respecter la règle.

    Alors en France :

    • Énormément de cyclistes ne respectent pas les feux rouges, ni d’ailleurs les passages pour piétons !
    • Des parents insultent des enseignants
    • Des personnes sans permis conduisent des voitures (vous comprenez ils ont en besoin !). Selon une étude de l’Observatoire de la sécurité routière, 800 000 conducteurs rouleraient sans permis. Quasi autant circulent sans assurance.
    • Des pompiers, des médecins sont agressés et bien sûr la Police. Et pour les pompiers et les médecins, les arguments de certaines associations et groupes politiques ne peuvent même pas évoquer les violences policières…

    Alors, peut être existe-t-il trop de règles en France.

    Mais quand il existe une règle, on la respecte et on l’a fait respecter.

    Et parallèlement on s’attaque aux autres problèmes, tous plus compliqués les uns que les autres, mais dans une société de règles acceptées, défendues et respectées sinon sanctionnées.

    Les élites doivent bien entendu donner l’exemple.

    Sans ce socle, le reste est inatteignable.

    Jean-Pierre Colombies, ex-policier, analyse l’affaire de manière qui me semble très pertinente dans <Le Media pour tous>.
    Il critique sévèrement l’intervention des deux policiers. Mais il ne s’arrête pas là et analyse plus profondément les problématiques de la sécurité, des quartiers et de la politique .

    <1754>

  • Vendredi 7 juillet 2023

    « Un débat bloqué [entre] deux camps caricaturaux et irréconciliables : D’un côté une police parfaite qui ne fait jamais d’erreur, de l’autre des victimes indignées qui ne sont que des anges. »
    La Tribune de Genève à propos des évènements en France suite à la mort du jeune Nahel

    Un jeune homme de 17 ans, français, de religion musulmane, a été tué, lors d’un contrôle routier, par un tir, à bout portant, d’un motard de la police nationale.

    Le jeune garçon conduisait une voiture, avec deux passagers à bord.

    Cette scène a été filmée.

    La mort du jeune homme, d’origine algérienne comme le mentionne le communiqué du ministre des affaires étrangères algérien, a conduit à des manifestations de protestation de jeunes gens qui s’identifient à la victime, dans un premier temps.

    Mais rapidement ces protestations ont fait place à des scènes de pillages, de destructions, d’agressions et de chaos dans les grandes métropoles françaises et aussi dans des villes de moindre population.

    En parler est délicat, les choses sont compliquées.

    Il vaut peut-être mieux se taire pour ne pas déplaire.

    Mais ne pas savoir poser des mots sur ce qui se passe, c’est laisser la place à la violence.

    Les mots c’est ce que la démocratie a trouvé pour gérer les conflits : débattre pour ne pas se battre.

    Mais d’abord, il faut en revenir aux faits.

    Il faudrait quand même pouvoir se mettre d’accord sur les faits, sinon comment débattre, comment analyser ?

    « Le Monde » a publié un article le 5 juillet donnant les éléments de l’enquête mené par le parquet général de Versailles à ce jour : < les premières constatations de l’enquête >

    La chronologie est la suivante :

    • Lundi 26 juin, une Mercedes de type AMG, immatriculée en Pologne, est louée auprès d’une société de location de voiture, FullUp Location à Nanterre. Cette société avait été créée trois mois auparavant. A ce stade, il n’est pas précisé qui a loué.
    • Mardi 27 juin, Avant que le jeune Nahel n’en prenne le volant, deux autres personnes l’ont utilisé dans des circonstances encore inconnues. Le jeune Nahel, 17ans, qui n’a pas de permis, prend le volant de ce véhicule onéreux et puissant capable de passer de 0 à 100 km/h en 3,9 secondes, selon sa fiche technique.
    • D’après le brigadier qui a tiré, les deux motards ont remarqué « une Mercedes dont le moteur vrombissait et qui circulait dans la voie de bus ».
    • Lorsque la Mercedes regagne le flot normal de la circulation, les motards de la police tentent une première fois de l’intercepter. Le brigadier se porte alors à la hauteur du passager et, sa sirène enclenchée, fait signe au conducteur de se ranger sur le côté. « Mais celui-ci, note le réquisitoire, avait alors accéléré brusquement et pris la fuite . Poursuivi par les deux motards, il avait conduit à vitesse élevée avec de brusques accélérations, des franchissements de feux rouges fixes et passages de carrefours « à pleine vitesse » et sans précaution pour les piétons…… Il avait même fait une embardée volontaire vers son collègue qui était venu se mettre à son niveau. »
    • Après examen de la vidéosurveillance, le parquet note que, au cours de son périple, la Mercedes a « failli percuter un cycliste tandis qu’un piéton engagé sur un passage protégé avait dû faire demi-tour en courant pour éviter d’être percuté ». Celle-ci aurait également roulé plusieurs fois à contresens.
    • Une fois la Mercedes à l’arrêt, bloquée par d’autres véhicules à proximité de la place Nelson-Mandela où elle finira sa course, les deux policiers mettent leur moto sur béquille et s’en approchent, leur arme de service dégainée, la visière de leur casque relevée. Le premier, gardien de la paix, que les enquêteurs de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) désignent dans un rapport comme « P1 », se place face à la vitre du côté du conducteur. Le second, le brigadier (« P2 » pour l’IGPN), se positionne du côté avant gauche du capot, son pistolet automatique Sig Sauer pointé en direction du conducteur.
    • C’est dans cette attitude que la séquence vidéo tournée par une passante saisit les deux fonctionnaires, quelques secondes avant que ne soit tiré le coup de feu mortel. C’est également à ce moment que le brigadier reconnaît avoir cogné contre le pare-brise – l’un des deux passagers évoque des coups de crosse contre Nahel M. – pour « attirer l’attention du conducteur ».
    • L’exploitation de la séquence vidéo par l’IGPN confirme les mots prononcés par l’un des policiers, sans pour autant que celui-ci soit identifié à ce stade. Dans leur reconstitution des échanges, les enquêteurs notent : « Au début de la séquence, on entend un échange entre trois voix différentes (V1, V2, V3) avant la détonation, que nous interprétons comme suit :
      • V1 : « … une balle dans la tête »
      • V2 : « Coupe ! Coupe ! »
      • V3 : « Pousse-toi ! »
      • V1 : « Tu vas prendre une balle dans la tête » (propos pouvant être attribués à P1 qui agite son bras droit au même moment).
      • V2 : « Coupe ! » »
    • D’après cette première analyse, ce serait donc le collègue du brigadier et non ce dernier qui aurait crié à l’adresse de Nahel « Tu vas prendre une balle dans la tête », des propos que le policier auteur du tir a, du reste, constamment nié avoir tenus lors de sa garde à vue.
    • Nahel redémarre et le Brigadier (P2) tire, à bout portant, une balle mortelle.

    Il existe ensuite une ambigüité. Tous les médias ont repris l’information que le Brigadier a menti en affirmant que la voiture fonçait sur lui alors qu’il était à côté de la voiture.

    Je cite :

    « Le parquet souligne que le premier compte rendu policier, à 8 h 22, six minutes après le tir policier, évoque un « individu blessé par balle à la poitrine gauche ». L’opérateur signale, dans une fiche de résumé d’intervention Pegase (pilotage des événements, gestion des activités et sécurisation des équipages) que « le fonctionnaire de police s’est mis à l’avant pour le stopper » et que « le conducteur a essayé de repartir en fonçant sur le fonctionnaire ». Ce qui soulève une interrogation importante sur l’origine de cette information démentie par la vidéo de la passante : comment est-elle remontée jusqu’à l’opérateur ? Le parquet note que le brigadier n’utilise jamais ces mots dans les conversations enregistrées sur la « conférence 32 » – en réalité, la « conférence 132 » qui est le réseau radio utilisé par l’ensemble des effectifs de la direction de l’ordre public et de la circulation, à laquelle appartenaient les deux policiers motocyclistes. »

    Selon cette version, le brigadier n’aurait pas, lui-même, déclaré que la voiture lui fonçait dessus.

    Dans sa version, le brigadier a déclaré qu’il avait peur que son coéquipier soit entraîné par la voiture parce qu’il pensait que son corps était engagé dans l’habitacle, alors qu’en réalité ce n’était que le bras qui était concerné. Enfin, il a affirmé que sa volonté était de viser vers les jambes du conducteur mais que déstabilisé par le démarrage le coup est parti vers le thorax.

    Le brigadier, auteur du tir, a également révélé qu’il enchaînait son neuvième jour consécutif de travail

    L’article du Monde fait aussi mention d’une situation extrêmement tendue dès les minutes qui ont suivi la mort de Nahel.

    Le parquet relève que, au moment de la sécurisation des lieux, des « jeunes hostiles étaient présents » ainsi que des proches de la victime.

    • Selon les policiers, la grand-mère de la victime aurait tenu les propos suivants : « Les deux policiers, ils vont pas sortir (…). Je les attendrai. J’ai des copains qui travaillent au dépôt. (…) Il y a un terroriste qui va tous les attraper Inch’Allah, un terroriste qui va tous les massacrer. »
    • Un gardien de la paix, lui, est pris à partie par un ambulancier, dans une séquence également filmée et devenue virale où l’on peut entendre les propos, répétés à deux reprises : « Tu vas plus vivre tranquille, frère. »
    • Le même jour, un jeune homme âgé de 20 ans a été condamné à dix-huit mois de prison dont douze mois avec sursis probatoire pour avoir diffusé les coordonnées personnelles du brigadier.

    J’ai entendu un journaliste affirmer que l’adresse de l’hôtel dans lequel, la famille du policier avait trouvé refuge, a également été divulgué.

    Très rapidement le Ministre de l’intérieur a eu des propos qui exprimait une défiance par rapport à l’attitude du policier. Et le Président de la République a eu ces mots, en contradiction formelle avec la présomption d’innocence, traitant le geste du policier « d’inexcusable » et d’inexplicable »

    Probablement que le Président de la République et son Ministre espéraient ainsi calmer la colère des jeunes de banlieue qu’ils craignaient.

    Il n’en fut rien : La France s’est embrasée malgré ces propos prenant délibérément partie contre le policier.

    La Justice qui a pourtant inculpé le brigadier pour « homicide volontaire » et placé en détention provisoire n’est pas davantage parvenue à éviter ce qui allait devenir un chaos de destruction et de pillage.

    Dans leur ensemble, tous les médias, mis à part ceux d’extrême droite, ont exprimé leur compassion pour le jeune homme, certain parlant « d’enfant » et ont présenté le brigadier comme un assassin.

    Le footballeur né à Bondy et mondialement connu Kylian Mbappé a publié ce tweet en direction de ses 12,6 millions d’abonnés en évoquant « un petit ange ! » :

    « J’ai mal à ma France. Une situation inacceptable. Toutes mes pensées vont pour la famille et les proches de Nahel, ce petit ange parti beaucoup trop tôt ».

    Quand le chaos était à son comble, Jean-Luc Melenchon a pris la parole.

    Il a été fidèle à son récit : Toutes ces horreurs viennent des inégalités économiques, de la discrimination à l’égard de la population des banlieues et du mauvais fonctionnement de la police qui tue et qui est raciste.

    Il n’a pas appelé « au calme » mais à « la justice »

    Il a demandé que les jeunes ne s’attaquent pas aux « Ecoles », « aux Bibliothèques » « aux gymnases », ce qui laisse à penser que pour les autres cibles, le saccage est une option ?

    Michel Onfray lui a répondu avec véhémence : « Melenchon est prêt à tout pour arriver au pouvoir » :

    « Quand je dis tout, c’est-à-dire détruire la France. C’est-à-dire mettre la France à feu et à sang. C’est-à-dire contribuer à ce que le sang puisse couler. Melenchon est prêt à tout ça »

    et il ajoute:

    « [on dit] Les gens sont mécontents, ils descendent dans la rue. Non ce ne sont pas des gens qui sont mécontents dans la rue. C’est un peuple qui se soulève contre un autre peuple ! »

    Michel Onfray poursuit un autre récit, totalement opposé à celui de Melenchon, celui d’une « guerre civile à bas bruit »

    A ce propos, j’ai entendu un sociologue estimer à 0,2% de la population des banlieues concernées par les faits de violence.

    Par ailleurs pour qu’on puisse parler de « Peuple », il faudrait que ces personnes aient une conscience politique d’être un peuple ayant un destin commun. Je ne vois pas ce dessin politique mais surtout une rage de se défouler et un désir irréfragable de consommer des chaussures Nike, des Smartphones et autres marques de réussite.

    Et lors du 20h de Darius Rochebin sur LCI le 1er juillet 2023, le premier argument utilisé par Hubert Vedrine, le secrétaire général de la présidence de la République de François Mitterrand et le ministre des affaires étrangères de Lionel Jospin est celui d’une immigration mal maîtrisée et il en appelle à l’exemple danois.

    Chacun suit son récit, sans jamais rencontrer et même chercher à échanger avec l’autre.

    <Le Monde> cite un éditorial de « La Tribune de Genève » qui appelle de son côté à sortir d’un « débat bloqué » entre « deux camps caricaturaux et irréconciliables » : « D’un côté une police parfaite qui ne fait jamais d’erreur, de l’autre des victimes indignées qui ne sont que des anges. » « Selon toute apparence, le policier n’avait pas à tirer », analyse l’auteur, qui ajoute, au sujet du jeune conducteur tué, que, « s’il avait obtempéré à la police, il vivrait ». « Dans le débat politique français, ces deux vérités ne sont jamais confrontées, elles s’affrontent stérilement, déplore le journal suisse. Pauvre débat, triste débat, qui ne fait qu’entretenir la violence, car chacun ne veut voir que celle de l’autre. »

    Si je dois donner quelques mots de conclusion, ce serait les suivants :

    • Si ce jeune homme n’avait pas pris le volant d’une voiture excessivement puissante alors qu’il n’avait ni le permis, ni d’assurance, il n’aurait pas été tué.
    • S’il avait obtempéré à l’ordre de la police, il n’aurait pas été tué.
    • On a écrit, il n’avait pas d’arme dans cette voiture. Mais enfin, la voiture qu’il conduisait pouvait tuer. D’ailleurs il a faillé renverser un piéton et un cycliste. Il était donc non seulement dans l’illégalité mais aussi un danger pour autrui.
    • Les policiers n’auraient sans doute pas du sortir leur arme pour menacer parce que dans ce cas il se mettaient en posture et en risque de tirer et de mal tirer.
    • Mais était-il raisonnable de laisser repartir cette voiture qui risquait de créer des accidents étant donné l’état d’excitation du jeune Nahel et probablement sa maîtrise limitée du bolide qu’il conduisait ? Je n’ai entendu personne expliquer comment immobiliser ce véhicule de manière efficace et sans utilisation d’arme létale. Il me semble que laisser repartir la voiture n’était pas une option.

    Il y a certainement des problèmes au sein de la police. Sans doute une formation insuffisante, peut être une organisation et des méthodes d’interpellation à revoir. Il existe probablement des racistes au sein de la Police qu’il faut combattre.

    Mais le déchainement de violence qui a eu lieu ces derniers jours doit aussi nous interroger sur ce que vivent nos policiers dans ces quartiers.

    Que ferions nous s’il n’y avait plus de Police ?

    SI tous les policiers déposaient brusquement tous leurs attributs en disant nous en avons marre de vivre cette violence, ces insultes et incivilités au quotidien, ce rejet systématique de l’autorité.

    D’ailleurs contrairement à ce que pense ces gauchistes qui ont perturbé les comparutions aux Palais de Justice de Lyon et qui scandaient cette affirmation : « Tout le monde déteste la Police », les français sont plutôt du côté de la police.

    <Selon ce sondage IFOP réalisé après la mort de Nahel> 43% et 14% ressentent de la confiance ou de la sympathie envers les forces du maintien de l’ordre, soit un total de 57% d’avis positifs. La police inspire de l’inquiétude ou de l’hostilité pour 32% des Français, tandis que 11% d’entre eux n’ont pas d’opinion.

    Alors, il ne s’agit pas de nier les problèmes mais gardons-nous bien de solution simpliste comme croire que tout est la faute de la Police ou inversement que tout est de la faute de l’immigration.

    Les choses sont infiniment plus complexes que cela.

    <1753>

  • Jeudi 22 juin 2023

    « La mort est au bout du chemin, mais elle s’est un peu éloignée. »
    Clémentine Vergnaud

    Elle s’appelle Clémentine Vergnaud, elle est journaliste à France Info, elle a trente ans.

    Elle est atteinte d’un cancer digestif des voies biliaires dont le nom scientifique est : « le cholangiocarcinome »

    C’est un cancer rare et extrêmement agressif.

    Un jour de grande douleur Clémentine Vergnaud a craqué et a recherché l’espérance de vie pour cette pathologie. Elle a trouvé que pour les malades qui peuvent être opérés, 10% restent en vie au bout de 5 ans.

    Les médecins lui ont dit qu’elle n’était pas opérable, à cause de la diffusion de métastases en dehors de l’organe initial touché.

    Un collègue journaliste Samuel Aslanoff lui a proposé d’enregistrer un podcast racontant son combat contre le cancer révélant ses sentiments, ses rapports à sa maladie, aux médecins, à ses proches, ses moments de découragement, d’espoir, de peur, de joie.

    Je me promenais et écoutais son entretien dans « C à Vous » (qui existe sous format de podcast audio) dans lequel j’apprenais l’existence de son podcast en dix épisodes de 10 à 12 minutes.

    J’ai immédiatement écouté le premier < J’ai l’impression que le bateau est en train de couler >, puis le second, le troisième et tous les suivants, à la fin de ma promenade j’avais fini les dix épisodes.

    C’est bouleversant et plein d’enseignement.

    Celles et ceux qui sont dans un combat similaire y apprendront beaucoup.

    Et peut-être, que celles et ceux qui accompagnent ou sont des proches d’un malade qui poursuit une telle lutte, apprendront encore davantage.

    Elle raconte comment des amis qui sont plein de bienveillance mais ne sachant que dire, lui assène : « Je suis sûr, tu vas t’en sortir ! »

    Mais il faut comprendre que pour le malade, conscient de son état, cela sonne faux et n’aide pas.

    Elle donne la solution, il faut juste être présent, être là.

    Elle avoue sa peur de la mort :

    « La peur de la mort vous saisit dans vos entrailles »

    Mais quand elle dit à sa mère et son père : « il faut préparer ma mort, mon départ », ses parents disent simplement : « Nous sommes là pour toi et nous allons en parler et prendre les décisions qu’il faut. »

    Ainsi, ses parents sont dans cette présence dont elle a besoin pour avancer.

    Elle dit aussi combien le patient a besoin de médecins qui sont dans l’écoute et si possible dans l’empathie.

    Elle raconte son expérience d’un médecin qui n’écoutait rien de ce qu’elle lui disait et concluait que ses terribles douleurs provenaient d’une déchirure musculaire.

    Heureusement, elle a aussi rencontré beaucoup de médecins remarquables sur lesquels elle a pu s’appuyer dans son combat.

    La douceur de celui qu’elle appelle le docteur H qui lui a annoncé la terrible nouvelle et lui a indiqué l’hôpital où elle devrait se rendre dès le lendemain et la procédure qui s’enclencherait alors, est bouleversante.

    Quand tout ce qui devait être dit dans l’opérationnel avait été dit, Clémentine Vergnaud et sa mère pleuraient, le docteur H a alors entouré sa main avec ses deux mains et dit :

    « Un médecin n’a pas le droit de pleurer. »

    Par la suite, elle croisera encore plusieurs fois la route du Docteur H qui chaque fois sera présent et aidant.

    Elle détaille aussi ses démêlés avec la bureaucratie et les bugs informatiques de la Sécurité Sociale. Ce serait comique, si on ne baignait pas dans la tragédie.

    Elle a aussi cette formule qui me parait très juste :

    « Être malade, c’est un vrai boulot »

    Elle dit, à mon sens, des choses très importantes à comprendre.

    Elle explique qu’elle ne donne jamais précisément les dates de ses séances de scanner à ses proches, de peur d’être envahie par des questionnements incessants et immédiats. Alors que le diagnostic après le scanner doit être accueilli par le patient avec calme et paix. Il est possible qu’il lui « faille faire le deuil d’un traitement qui n’a pas fonctionné. »

    Et puis elle explique qu’elle a reçu l’annonce de sa maladie, comme une immense injustice, avec une révolte intense. Mais qu’avec le temps et les conseils de médecins avisés, elle a compris qu’elle devait faire une place à ses cellules malades, accepter de vivre avec elles pour avancer et faire reculer la maladie.

    Après des traitements qui l’ont beaucoup affaibli, fait souffrir et eu des conséquences collatérales telles qu’ils ne pouvaient être poursuivis, l’Hôpital Paul-Brousse lui a proposé un traitement innovant qui a pu améliorer son état de santé et stabiliser sa maladie.

    Et c’est Clémentine Vergnaud qui a rapporté avec force et sagesse cette phrase de sa mère, ancienne infirmière :

    « La mort est au bout du chemin, mais elle s’est un peu éloignée. »

    Depuis la mise en ligne de son podcast, la journaliste a reçu des centaines de messages de soutien.

    « On m’écrit des tas de choses. Cela peut être des malades qui me disent qu’ils se sentent enfin moins seuls : Je me sens compris, vous avez mis des mots sur nos maux. Cela peut-être des proches de malades aussi »,

    Elle a aussi rapporté l’histoire de l’amie d’une femme atteinte d’un cancer :

    « J’ai écouté votre podcast juste avant de dîner avec elle et maintenant, je sais quoi lui dire. »

    Voici le <Lien> vers la Page présentant les 10 podcasts : « Ma vie face au cancer : le journal de Clémentine. »

    Un monument d’humanité !

    <1752>

  • Mercredi 14 juin 2023

    « Il faut de l’apaisement, il faut de la stabilité. Il faut rétablir des ponts et réparer les fractures et ne pas les creuser davantage. »
    François Ruffin, député LFI de la Somme, à propos de la société politique française

    François Ruffin était l’invité de France Info le 1er juin 2023.

    <Il répondait aux questions de Marc Fauvelle et Salhia Brakhlia>.

    A une des questions, il a répondu :

    « Pour moi, le cœur du sujet, c’est le travail, c’est le partage des richesses, c’est la démocratie. On a une société profondément fracturée en France. Le résultat des dernières élections n’est pas le fruit du hasard (….)

    Dans ce climat de tension, d’épuisement des esprits, il faut de l’apaisement, de la stabilité ».

    En tout cas, c’est ainsi que l’a résumé Jean Leymarie dans son « Billet Politique » : <La gauche a-t-elle le sens du progrès ?>

    Quelle était la question ?

    La question était de savoir s’il était prioritaire pour la Gauche, dans l’hypothèse où elle arrivait au pouvoir, de voter une loi pour permettre à des jeunes de 16 ans de changer de genre, sans l’accord de leurs parents ?

    Ce débat avait divisé la gauche espagnole. Le parti PODEMOS l’a imposé et une Loi espagnole le permet désormais.

    Pour être le plus précis possible je cite « Le Monde » du <16/02/2023>

    « Les députés espagnols ont adopté définitivement, jeudi 16 février 2023, une loi permettant de changer librement de genre dès 16 ans. Cheval de bataille du parti de gauche radicale Podemos, allié des socialistes au sein du gouvernement de Pedro Sánchez, cette loi dite « transgenre » permet aux personnes qui le souhaitent de faire changer leur genre sur leurs papiers d’identité via une simple déclaration administrative dès l’âge de 16 ans.

    Il ne sera donc plus nécessaire de fournir des rapports médicaux attestant d’une dysphorie de genre et des preuves d’un traitement hormonal suivi durant deux ans, comme c’était le cas jusqu’ici pour les personnes majeures. Le texte – adopté par 191 voix contre 60 et 91 abstentions – étend également ce droit aux 14-16 ans, à condition qu’ils soient accompagnés dans la procédure par leurs tuteurs légaux, ainsi qu’aux 12-14 ans, s’ils obtiennent le feu vert de la justice. »

    Donc pour François Ruffin, cette évolution législative ne doit pas constituer une priorité pour la Gauche.

    Mais en disant cela, il s’oppose frontalement à Jean-Luc Mélenchon qui souhaite inscrire la possibilité de changer de genre dans la Constitution.

    Dès lors, les « Insoumis », au moins celles et ceux qui s’expriment ont vivement critiqué François Ruffin.

    <France Info> rapporte :

    « Une fois l’extrait diffusé sur le compte Twitter de franceinfo, les premières critiques fusent. Quelques heures plus tard, le compte « Le coin des LGBT+ », aux près de 48 000 abonnés, relaye la vidéo, assorti de ce commentaire : « François Ruffin ne veut pas d’une loi permettant de changer plus facilement sa mention de genre car il faut ‘de l’apaisement’ pour que son parti accède au pouvoir ».

    Dans la foulée, François Ruffin se voit critiqué par ses pairs, sur le même réseau social. « Ce n’est en rien une position de La France insoumise ni du groupe parlementaire », recadre la députée Sophia Chikirou, proche de Jean-Luc Mélenchon. « Ce propos, en ce jour, est au mieux maladroit, au pire une faute politique », cingle-t-elle. […]

    Dans un tweet, le député LFI Antoine Léaument rappelle que le programme de son parti prévoit de « garantir le droit au changement de la mention du sexe à l’état civil, librement et gratuitement devant un officier d’état civil, sans condition médicale »

    Si bien que François Ruffin se sent obligé de faire marche arrière :

    Il twitte :

    « Ma réponse sur le genre, ça va pas ».

    Puis ajoute :

    « Sur ce sujet [des droits LGBT+] comme sur pas mal d’autres, en toute humilité, je dois progresser »

    Cela rappelle furieusement la culture de l’autocritique pratiquée dans les partis et régimes communistes d’antan.

    Mais revenons exactement au verbatim de l’interview de France Info :

    Marc Fauvelle contextualise et pose sa question

    « En Espagne, votre allié, le parti PODEMOS a pris une claque aux élections locales. 3% des voix seulement ! Certains électeurs ont, semble-t-il, considéré que PODEMOS qui gouverne avec les socialistes avait mis en place des lois trop clivantes. Comme par exemple la Loi qui permet de changer librement de genre à 16 ans, sans l’accord des parents. Est-ce que vous feriez la même chose en France ?

    Réponse de François Ruffin :

    « Je vous l’ai dit que pour moi le cœur du sujet, c’est le travail, c’est le partage des richesses, c’est la démocratie. »

    Marc Fauvelle :

    « Ce n’est pas les lois de société ? »

    François Ruffin

    « Je pense qu’on a une société qui est profondément fracturée en France. Le résultat des dernières élections ne sont pas le fruit du hasard.

    Il y a un bloc libéral, central qui s’effrite dans la durée, il y a un bloc d’extrême droite, il y a un bloc de gauche. Dans ce climat là de tension, d’épuisement des esprits, qu’est-ce qu’il faut ? Il faut de l’apaisement, il faut de la stabilité. Il faut rétablir des ponts et réparer les fractures et ne pas les creuser davantage. Je pense que dans ce cadre-là, on ne devra pas faire tout ce qui nous passe par la tête. Tout ce qu’on souhaite. Tout ce qui est peut-être, même, bon en soi. Mais il faudra chercher les chemins qui permettent de réconcilier la société.

    Marc Fauvelle :

    « Pas de loi qui fracture la société, cela veut dire par exemple pas de GPA. Pas de Loi sur le genre.

    François Ruffin

    « Je ne suis pas personnellement favorable à la GPA. Mais je ne crois pas que c’est ça qu’on doit placer au cœur de notre projet. C’est clair. Après il y a des choses sur lesquelles ont peut chercher à avancer avec précaution, avec sagesse, il faut avancer avec tendresse, avec compréhension à l’égard de l’opposition »

    Marc Fauvelle :

    « Si vous étiez au pouvoir, vous ne feriez pas la Loi sur la Fin de vie ?

    François Ruffin

    « Si ! En tout cas ouvrir la réflexion sur la fin de vie. Écouter les avis des français. Demander ce qu’ils en pensent. Demander comment ils vivent la fin de vie de leurs parents, comment ils appréhendent leur propre fin de vie. Est-ce qu’il a des choses à aménager ? […] Bien sûr pour aboutir à un texte à la fin.

    Je crois qu’il y a des tas de sujets où on peu chercher…Emmanuel Macron fait des Lois qui reposent su 1/3 ou 1/4 des français. Ben non, il faut chercher les 2/3 ou le 3/4 des français pour avancer avec l’ensemble de la société.

    Je crois qu’il y a un sujet sur lequel la société recule depuis 40 ans, c’est le travail, à cause de la mondialisation.

    Je veux aussi qu’on montre tout ce sur quoi la société, elle avance. Elle avance avec des limites. Mais la reconnaissance de l’homosexualité, elle a avancé. Les lois sur le Handicap, ça a avancé. La place des femmes dans la société ça a avancé. Même des choses comme la sécurité routière ça a avancé.

    Je ne veux qu’on ait une vision sur ce qui se passe en France depuis 40 ou 50 ans comme étant une régression sur tous les points. »

    Et il dit encore que la Gauche doit rassurer, parler à toute la société et ne pas imposer une humiliation et ne pas mépriser ceux qu’elle ne convainc pas.

    Je dois dire que je suis d’accord sur tous ces points avec François Ruffin.

    Je veux dire que je suis d’accord avec la version originale pas celle de l’auto-critique.

    Une majorité de français a voté Emmanuel Macron pour faire barrage à Le Pen. Mais, lui avait mis pour priorité une Loi brutale et non négociable sur la retraite.

    Il ne faudrait pas que les français votent pour la Gauche pour plus de justice sociale, une amélioration de la vie au travail, un programme écologique plus offensif et structuré et qu’au final la priorité soit la Loi sur le genre.

    Je pense d’ailleurs que ce type de projet servirait de repoussoir pour beaucoup de français.

    Au fond, je suis plein de doutes. Je pense à l’« l’homo deus » de Yuval Noah Harari.

    L’individualisme poussé à l’extrême ! L’individu doit pouvoir tout choisir, même son genre et son sexe. Rien ne saurait lui être opposé comme limite ou contrainte.

    Est-ce ainsi qu’on peut faire société ?

    Or, il faut faire société, si on veut pouvoir faire face aux défis qui sont là.

    Et plus encore pour pouvoir faire vivre un État social, il faut faire société, une assemblée d’individus ne le permet pas.

    Dans le mot du jour du <12 septembre 2014> j’avais cité Emile Durkheim

    « Pour que les hommes se reconnaissent et se garantissent mutuellement des droits, ils faut qu’ils s’aiment et que pour une raison quelconque ils tiennent les uns aux autres et à une même société dont ils fassent partie. »

    C’est pourquoi le propos de François Ruffin : il vaut chercher à avancer avec l’ensemble de la société, me parait très sage.

    Jean Leymarie finit son billet politique par cette conclusion :

    « Quels « progrès » la gauche veut-elle porter ? Que considère-t-elle comme un « progrès », d’ailleurs ? Des mesures sociétales, bien sûr – depuis quelques années, elle les met beaucoup en avant. Mais est-ce que ça suffit ? Il y a dix ans, le mariage pour tous, défendu par François Hollande, était une mesure d’égalité. Un progrès, largement admis aujourd’hui, y compris à droite. Ce progrès n’a pas empêché la désillusion de nombreux électeurs, en tout cas de ceux qui voulaient d’abord des mesures sur le travail, sur la fiscalité.

    Finalement, quels sont les marqueurs de la gauche ? Ceux qui feront revenir ses électeurs perdus ? Une grande partie d’entre eux – des ouvriers, des employés notamment – réclame plus de justice sociale. Ça ne signifie pas que la gauche doit balayer tout le reste. Mais si elle veut convaincre, et si elle veut s’unir, il faudra qu’elle soit claire. Elle doit choisir ses combats. »

    <1751>

  • Vendredi 9 juin 2023

    « Sans le dire, sans en débattre, les pays industriels ont « choisi » la croissance et le réchauffement, et s’en sont remis à l’adaptation. »
    Jean-Baptiste Fressoz

    La Statue de la Liberté est entourée d’une brume due aux incendies de forêt qui font rage dans les provinces canadiennes du Québec et de la Nouvelle-Écosse à plus de 1000 km de New York.

    C’est une photo qu’on peut voir sur le site de la grande chaîne de télévision américaine <NBC>.

    Cette chaîne précise que les autorités de l’État de New York ont déclaré plusieurs zones, dont la région métropolitaine de New York et Long Island, comme ayant une qualité de l’air « malsaine pour les groupes sensibles ».

    Plus personne ne conteste que le nombre et l’importance de ces « méga-feux » sont la conséquence directe du réchauffement climatique.

    Une végétation sèche, des records de températures et des vents puissants : cette accumulation de phénomènes météorologiques explique ces feux de forêts d’une ampleur inédite.

    Dans un article du 8 juin « L’OBS » parle « d’incendie jamais vus »

    Et cite la porte-parole de la Maison Blanche Karine Jean-Pierre, mercredi,

    « Cet événement est « un autre signe inquiétant de la manière dont la crise climatique affecte nos vies ».

    Même la Présidence des États-Unis, encore faut il que ce ne soit pas Trump ou un de ses affidés qui occupent le bureau ovale, reconnait désormais ce fait

    Simultanément, nous avons appris que selon les scientifiques, Il est trop tard pour sauver la banquise estivale de l’Arctique.

    En hiver, jusqu’à présent elle atteignait son maximum en mars et couvrait la quasi-totalité de l’océan Arctique, soit plus de 15,5 millions de kilomètres carrés.

    Des étés sans glace en Arctique semblent désormais inévitables, même avec de fortes réductions des émissions de gaz à effet de serre, estiment plusieurs scientifiques dans une étude publiée dans la revue « Nature Communications ».

    <Ouest France> cite Dirk Notz de l’université de Hambourg, co-auteur de cette étude sur les glaces de mer de l’Arctique :

    « Les scientifiques ont alerté sur cette disparition pendant des décennies et c’est triste de voir que ces mises en garde n’ont pour l’essentiel pas été écoutées. Maintenant, c’est trop tard. »

    « Le Monde » a publié le 7 juin : <L’Arctique pourrait être privé de banquise en été dès les années 2030> et cite un autre co-auteur de cet article : Seung-Ki Min, des universités sud-coréennes de Pohang et Yonsei :

    « La disparition de la glace « accélérera le réchauffement arctique, ce qui peut augmenter les événements météorologiques extrêmes aux latitudes moyennes, comme les canicules et les feux de forêts ».

    Dans ce contexte, j’ai lu avec d’autant plus d’attention l’article de Jean-Baptiste Fressoz, historien et chercheur au CNRS, publié le 7 juin par « Le Monde » : « Les pays industriels ont «choisi» la croissance et le réchauffement climatique, et s’en sont remis à l’adaptation »

    Jean-Baptiste Fressoz explique que dès la fin des années 1970, les gouvernements des pays industriels, constatant l’inéluctabilité du réchauffement, ont délibérément poursuivi leurs activités polluantes quitte à s’adapter à leurs effets sur le climat.

    J’avais déjà évoqué lors du <mot du jour du 9 mai> que le gouvernement avait engagé une réflexion sur les possibilités de s’adapter à un réchauffement à 4°C à la fin du siècle.

    Jean-Baptiste Fressoz s’insurge contre la thèse que cette idée de s’adapter soit nouvelle :

    « Mais feindre la surprise donne l’impression d’avoir essayé : l’adaptation serait donc le résultat d’un échec, celui de nos efforts de transition. Or, ce récit moralement réconfortant est une fable. En réalité, l’adaptation a été très tôt choisie comme la stratégie optimale. »

    Et il cite un groupe de réflexion d’origine militaire proche de la Maison Blanche qui dès novembre 1976, il y a près de 50 ans, organisait un congrès intitulé « Living with Climate Change : Phase II ». Dans le préambule du rapport qu’ils avaient produit alors, il considérait le réchauffement comme inexorable.

    Et il cite encore :

    « En 1983, le rapport « Changing Climate » de l’Académie des sciences américaine […] Le dernier chapitre reconnaissait l’impact du réchauffement sur l’agriculture, mais comme son poids dans l’économie nationale était faible, cela n’avait pas grande importance. Concernant les « zones affectées de manière catastrophique », leur sacrifice était nécessaire pour ne pas entraver la croissance du reste du pays, même s’il faudra probablement les dédommager. »

    Même Margareth Thatcher s’était intéressé » au sujet tout en baissant les bras :

    « Au Royaume-Uni, un séminaire gouvernemental d’avril 1989 exprimait également bien ce point de vue. La première ministre Margaret Thatcher (1979-1990) avait demandé à son gouvernement d’identifier les moyens de réduire les émissions. Les réponses vont toutes dans le même sens : inutile de se lancer dans une bataille perdue d’avance. On pourrait certes améliorer l’efficacité des véhicules, mais les gains seraient probablement annihilés par ce que les économistes définissent comme les « effets rebonds ».

    Ce qui amène Jean-Baptiste Fressoz à cette conclusion :

    « Sans le dire, sans en débattre, les pays industriels ont « choisi » la croissance et le réchauffement, et s’en sont remis à l’adaptation. Cette résignation n’a jamais été explicitée, les populations n’ont pas été consultées, surtout celles qui en seront et en sont déjà les victimes. »

    Jean-Baptiste Fressoz était aussi l’invité des matins de France Culture du 8 juin 2023 consacré à ce groupe de militants écologiques révoltés par l’inaction des décideurs : « Les Soulèvements de la terre  »

    Ces militants pensent que seules les actions d’éclat, voire la violence permet que l’on parle des sujets essentiels qui concernent la vie d’homo sapiens sur terre.

    Et il est vrai qu’avant cela je n’avais pas beaucoup entendu parler de la captation de la ressource en eau dans des mega-bassines destinées pour l’essentiel à aider à produire du maïs pour nourrir du bétail destiné à l’exportation.

    Alors qu’est ce qui est le plus juste ? Parler d’« écoterrorisme » ou d’« écocide » ?

    Ce qui apparait assez clairement c’est que les décideurs continuent à vouloir faire perdurer le système économique et agricole qui nous a conduit dans cette situation. Les « mégas bassines » ne sont qu’un exemple parmi d’autres de l’entêtement et de cette stratégie qui consiste à penser que nous arriverons bien à nous adapter.

    Mais les décideurs ne sont pas seuls en cause.

    Savez vous que par exemple Jean-Marc Jancovici qui réfléchit et calcule, a donné comme indication que si on voulait conserver un réchauffement climatique « raisonnable » à 2°C (mais est ce raisonnable ?) concernant les vols en avion, avec le système énergétique actuel de l’aviation, il fallait qu’en moyenne chaque être humain ne dépasse pas 4 vols d’avion dans sa vie. Ce chiffre pour donner une vision de l’exigence écologique.

    Alors on parle d’écologie punitive !

    Mais sommes-nous conscients de ce qui est en train de nous arriver ?

    Sommes-nous prêts à nous adapter à cette situation ?

    Ne serait-il pas plus raisonnable d’essayer de la limiter au maximum ?

    Dans ce cas il faut vraiment interroger la croissance.

    Mais pour ce faire, je crois qu’aucune évolution ne sera possible si nous ne parvenons pas à diminuer les inégalités et l’injustice de la répartition des richesses dans ce monde.

    Et c’est bien les riches qui, dans ce cadre là, doivent faire le plus d’efforts. Je parle des très riches évidemment, mais aussi de nous, membres de la classe moyenne des pays occidentaux qui sommes riches par rapport à la moyenne mondiale.

    Sinon, on peut considérer que c’est d’abord aux autres à faire les efforts et continuer comme avant avec cette supplique de Madame du Barry :

    « Encore un instant Monsieur le Bourreau ».

    Pour finir cette autre photo de New York, le Washington Bridge, publié par le <Financial Times> le 8 juin 2023


    <1750>

  • Jeudi 1er juin 2023

    « Klaus Mäkelä dirige Chostakovitch dans la Philharmonie de Paris»
    Mot du jour éphémère

    Le concert que nous avons vécu avec Annie et dont j’ai fait le mot du jour du <vendredi 12 mai 2023> n’a pas été enregistré. :

    Mais le concert suivant que l’Orchestre de Paris sous la Direction de Mäkelä a joué a été filmé par ARTE et existe en replay.

    Il est en ligne jusqu’au 30 novembre 2023.

    Ce mot du jour n’ayant que vocation à renvoyer vers cet enregistrement, il deviendra donc obsolète le 1er décembre d’où sa vocation éphémère.

    Voici le Programme de ce concert :

    Dmitri Chostakovitch :

    • Suite pour orchestre de jazz n° 2
    • Concerto pour violoncelle n° 2

    Entracte

    William Walton

    • Belshazzar’s Feast.

    La première œuvre est particulière et très accessible au plus grand nombre. Ce qui constitue une particularité dans l’œuvre de Chostakovitch

    Un des mouvements de cette œuvre (Valse N°2) est connue je crois de tous, puisqu’il a été utilisé dans plusieurs publicité notamment de la <CNP> et puis dans des films comme <Le Guépard> de Luchino Visconti et la scène d’ouverture du dernier film de Stanley Kubrick < Eyes wide shut >

    Il commence dans l’enregistrement de Mäkelä à 19 :50

    Après cette introduction, un autre chef d’œuvre de Chostakovitch, un peu plus ardu, le 2ème concerto de violoncelle avec la lumineuse Sol Gabetta.

    Bien qu’il n’est pas possible de comparer cette vidéo avec le Live, il me semble qu’elle permet de percevoir cette extraordinaire symbiose entre le jeune chef et l’Orchestre de Paris. Ce sont des interprétations superlatives, encore une fois.

    Je ne dirai rien de l’œuvre du britannique William Walton en seconde partie, sinon que j’y suis moins sensible…

    Donc vous trouverez cela dans le Replay des concerts ARTE.

    Sur Internet vous trouverez cela sur le site de la <Philharmonie Live> et sur le site d'<ARTE>

    <Mot du jour éphèmère>

  • Mercredi 17 mai 2023

    « Être soi-même ne devrait jamais être un crime. » »
    António Guterres Secrétaire général de l’ONU dans son message du 11 mai 2023

    Avant on parlait d’homophobie, et le 17 mai était désigné par l’ONU comme « La journée internationale contre l’homophobie »

    Désormais, l’ONU parle, en 2023, de « La Lutte contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie »

    Le Conseil de l’Europe, en est resté à la première appellation : « Journée internationale contre l’homophobie »

    Une journée internationale (ou journée mondiale) est un jour de l’année dédié à un thème particulier à un niveau international ou mondial. Le calendrier de l’Organisation des Nations unies en prévoit plus de 140.
    La date choisie a toujours un rapport avec l’objet de la journée.
    Ainsi, la première ayant été instituée, le fut en 1950 : « La journée mondiale des droits de l’homme » fut fixée au 10 décembre.

    L’explication tient au fait que le 10 décembre 1948, l’Assemblée générale des Nations unies avait adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme.

    Alors pourquoi le 17 mai, pour lutter contre l’Homophobie ?

    Parce que le 17 mai 1990 l’Organisation Mondiale de la Santé a décidé de ne plus considérer l’homosexualité comme une maladie mentale !

    Ce n’est pas très ancien, 1990, c’était il y a 33 ans !

    La France l’avait fait en 1981 avec l’arrivée de la Gauche et de Mitterrand au pouvoir. Ce n’était que 9 ans avant…

    La journée est originaire du Québec. La Fondation Émergence a créé en 2003 la première journée nationale contre l’homophobie.
    Mais la première journée, organisée à un niveau international, eu lieu le 17 mai 2005 grâce à Louis-Georges Tin, un professeur et activiste français. Il a été le président du Comité IDAHO (du nom de la journée en anglais, International Day Against Homophobia and Transphobia) entre 2005 et 2013.

    Dans son message du 11 mai 2023 qui annonçait la journée du 17 mai, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, disait :

    « Alors que nous célébrons la Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, la constatation est saisissante. Partout dans le monde, les personnes LGBTQI+ continuent de connaître la violence, la persécution, les discours haineux, l’injustice, voire le meurtre pur et simple.

    Parallèlement, des lois rétrogrades continuent de criminaliser les personnes LGBTQI+ dans le monde, les punissant du simple fait d’être elles-mêmes.

    Chaque agression contre les personnes LGBTQI+ est une agression contre les droits humains et les valeurs qui nous sont chères.

    Nous ne pouvons pas faire marche arrière et nous ne le ferons pas.

    L’ONU soutient fermement la communauté LGBTQI+ et ne cessera son action que lorsque les droits humains et la dignité seront une réalité pour toutes les personnes.

    Je demande à nouveau à tous les États Membres de respecter la Déclaration universelle des droits de l’homme et de mettre fin à la criminalisation des relations consensuelles entre personnes du même sexe et à celle des personnes transgenres. Être soi-même ne devrait jamais être un crime. »

    Pour ceux qui ne connaissent pas précisément le sigle LGBTQI+, en voici le détail : Par L, on entend « Lesbiennes », par G « Gays », par B « Bisexuel·le·s », par T « Trans », par Q « Queers », par I « Intersexué·e·s », par A « Asexuel·le·s » ou « Aromantique·s » et le + inclut les nombreux autres termes désignant les genres et les sexualités. Plus précisément Queer, en anglais, signifie bizarre, inadapté, C’est le mot que l’on lançait à ceux qui n’étaient pas assez masculins, aux femmes aux allures de garçonnes, aux êtres dont le genre brouille les pistes. Bref, ce sigle entend englober toutes les tendances sexuelles.

    Mais dans le monde cette journée n’est célébrée que dans environ 60 Etats. C’est ce qu’on lit sur ce <site> qui rappelle aussi que la dernière exécution par la France s’est déroulée, à Paris, en Place de grève (c’est-à-dire la Place de l’Hôtel de Ville) le 6 juillet 1750 : Bruno Lenoir et Jean Diot furent brulés après avoir été étranglés.

    Le site de la journée mondiale nous apprend que :

    « Dans 72 états au moins, les actes homosexuels sont condamnés par la loi (Algérie, Sénégal, Cameroun, Ethiopie, Liban, Jordanie, Arménie, Koweït, Porto Rico, Nicaragua, Bosnie…) ; dans plusieurs pays, cette condamnation peut aller au-delà de dix ans (Nigeria, Libye, Syrie, Inde, Malaisie, Cuba, Jamaïque…) ; parfois, la loi prévoit la détention à perpétuité (Guyana, Ouganda). Et dans une dizaine de nations, la peine de mort peut être effectivement appliquée (Afghanistan, Iran, Arabie Saoudite…).
    En Afrique, récemment, plusieurs présidents de la république ont brutalement réaffirmé leur volonté de lutter personnellement contre ce fléau selon eux « anti-africain « . Dans d’autres pays, les persécutions se multiplient. Au Brésil par exemple, les Escadrons de la mort et les skin heads sèment la terreur : 1960 meurtres homophobes ont pu être recensés officiellement entre 1980 et 2000. Dans ces conditions, il paraît difficile de penser que la « tolérance » gagne du terrain. Au contraire, dans la plupart de ces Etats, l’homophobie semble aujourd’hui plus violente qu’hier. La tendance n’est donc pas à l’amélioration générale, tant s’en faut. »

    En effet, l’homophobie semble ne pas régresser sur une grande partie de l’humanité. Poutine est parmi ceux qui sont ouvertement homophobes et qui dénoncent la lutte contre l’homophobie comme une valeur occidentale qu’il faut combattre.<En Ouganda> le Président Yoweri Museveni vient de promulguer une loi anti-homosexualité 2023. Joe Biden a dénoncé une « atteinte tragique » aux droit humains.

    Au Maroc, une enseignante d’une classe de CM1 de l’école primaire française Honoré-de-Balzac de Kénitra, dans laquelle elle travaillait depuis 30 ans, a été suspendue suite à la plainte de parent d’élèves pour soi-disant « apologie de l’homosexualité ». La majorité des parents la soutiennent et considèrent cette sanction comme une injustice.

    Mais <Libération> précise :

    « Apologie de l’homosexualité». Au Maroc, l’accusation est grave. Dans un pays où l’homosexualité est punie jusqu’à trois ans d’emprisonnement, la « propagande LGBT» est considérée comme une atteinte à la religion et est donc encore plus sévèrement condamnée, avec des peines allant de trois à cinq ans de prison. »

    L’affaire est devant la justice marocaine.

    J’en avais déjà parlé lors du <mot du jour du 14 septembre 2022>, comme chaque année, le monde du football a organisé la journée dédiée à la lutte contre l’homophobie, pour laquelle il était demandé que les joueurs des 20 équipes de Ligue 1 arborent un maillot floqué de l’arc-en-ciel des fiertés LGBT, en marque de soutien.

    Plusieurs joueurs ont comme l’année dernière refusé de porter ce brassard et ont alors été écarté par leur club et n’ont pas joué lors de cette journée. Parmi eux je citerais le marocain jouant à Toulouse Zakaria Aboukhlal parce qu’il a essayé de justifier sa position :

    « Je tiens à souligner que j’ai la plus grande estime pour chaque individu, quels que soient ses préférences personnelles, son sexe, sa religion ou ses origines. c’est un principe que l’on ne soulignera jamais assez. Le respect est une valeur que j’estime beaucoup. Il s’étend aux autres mais comprend également le respect de mes propres croyances personnelles. Par conséquent, je ne crois pas être la personne la plus appropriée pour participer à cette campagne. J’espère sincèrement que ma décision sera respectée, tout comme nous souhaitons tous d’être traités avec respect. »

    La campagne dont il parle ne lui demande pas de devenir homosexuel, mais simplement de rejeter toute forme de discrimination à leur égard.

    Dans « L’Equipe » du 16 mai 2023, on peut lire la réponse d’un ancien joueur de Toulouse, Ouissem Belgacem, franco-tunisien et qui revendique la même religion musulmane que Zakaria Aboukhlal :

    « [Je ne le comprends pas] Il est en train de dire : « Je suis homophobe et respectez-moi » Sauf que dans notre pays, l’homophobie est punie par la loi. C’est décevant et lâche. Il y a des millions de Français de confession musulmane qui n’ont aucun problème avec l’homosexualité. En faisant ce choix, il nourrit [le sentiment anti musulman] en France. […] Les gens vont conclure que ce n’est pas le football qui a un problème avec l’homosexualité mais les footballeurs musulmans »

    Ouissem Belgacem a écrit un livre « Adieu ma honte » dans lequel il parle de son homosexualité et du monde du football par rapport à ce sujet. Dans l’article il a encore cette formule : « Raciste ou homophobe, c’est pareil. »

    L’homophobe qui demande le respect s’est trouvé mêlé à une autre histoire de respect. Cet épisode est aussi relaté dans l’Equipe.

    Comme le club de Toulouse avait gagné la Coupe de France, la Mairie de Toulouse avait organisé une fête dans ses locaux. Et pendant le discours du Maire, avec d’autres joueurs il faisait beaucoup de bruit. Alors, Laurence Arribagé, adjointe aux Sports à la mairie de Toulouse, leur a demandé de faire moins de bruit.

    Zakaria Aboukhlal  a alors interpellé l’élue toulousaine par ces mots :

    «  Dans mon pays les femmes ne parlent pas aux hommes comme cela »

    Cet individu veut donc que l’on respecte son homophobie et que la femme respecte l’homme en ne le critiquant jamais.

    Cette vision du « respect » ne me parait pas très respectable.

    Mais aux États-Unis, dans certains États, la situation est tout aussi préoccupante.

    En Floride, le gouverneur Ron Santis qui a pour ambition de gagner les primaires républicaines contre Trump, puis de devenir Président des Etats-Unis, s’est attaqué aux livres dans les écoles qui font mention de l’homosexualité, il a aussi attaqué Walt Disney qu’il juge trop inclusif.

    Et maintenant comme le révèle <France Info> il entend aller plus loin et publier une Loi prévoyant que les médecins auraient la possibilité d’opposer une clause de conscience, leur permettant de refuser de soigner un patient si celui-ci n’est pas en phase avec leur vision des mœurs. « Je ne peux pas vous soigner, votre orientation sexuelle me l’interdit »

    Ceci me conduit à deux conclusions :

    • Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites !
    • Les fondamentalistes de toutes les religions se rejoignent dans leur intolérance et leur rejet de ceux qu’ils accusent d’être déviants, alors qu’ils ne sont que différents de ce que leur raconte le récit auquel ils adhérent.

    <1749>

  • Vendredi 12 mai 2023

    « Symphonie n°7 « Leningrad » »
    Dimitri Chostakovich

    Une nouvelle fois, ce jeudi 11 mai 2023, Annie et moi avons pris le train pour aller à Paris.

    Notre destination était ce joyau posé au bord du périphérique, dans la partie sud-est du parc de la Villette, face à la Grande Halle de la Villette, à côté de la Cité de la musique et à proximité de la Porte de Pantin : La Philharmonie de Paris.

    Cette œuvre architecturale, attribuée à Jean Nouvel, a été inaugurée le 14 janvier 2015.

    Et depuis la 1ère saison 2015/2016, nous avons, avec Florence, souscrit chaque année un abonnement, jusqu’à la période COVID en 2020, pendant laquelle la moitié de nos concerts a été annulée.

    Nous n’avons repris notre abonnement que pour 2022/2023 et le concert du jeudi 11 mai était le dernier de la saison.

    Je parle de joyau, parce que le geste architectural crée la curiosité et attire le regard.

    On a envie de s’en approcher, d’en faire le tour et bien sûr d’y pénétrer.

    Cet objet constitue l’antithèse du monde des diamants.

    Dans une bijouterie l’écrin accueille le joyau.

    Ici, au bord du parc de la Villette, le joyau renferme un écrin qui accueille et magnifie les symphonies de sons que la musique des humains est capable d’ériger.

    Cet écrin, cette salle de concert de 2400 places a pour nom : salle Pierre Boulez.

    Car c’est le compositeur et chef d’orchestre Pierre Boulez qui voulait et qui plaidait pour que les institutions culturelles créent ce lieu, à Paris.

    Pierre Boulez a pu visiter le chantier mais n’a jamais vu le résultat final.

    Début 2015, malade, quasi aveugle, le musicien qui vivait à Baden-Baden en Allemagne, n’a pas pu venir à Paris.

    Il est mort, un an plus tard le 5 janvier 2016. Alors, il a été décidé d’appeler l’écrin du nom de cet homme.

    Mais Boulez aurait-il apprécié le concert que nous avons vécu ce jeudi, car le cœur du programme était constitué par la 7ème symphonie de Chostakovitch, celle qui a pour nom « Léningrad » ?

    Or Boulez considérait Chostakovitch comme un compositeur de seconde zone : « un succédané de Mahler ». Et il avait précisé sa pensée dans un quotidien britannique :

    « C’est comme pour les huiles d’olive : il y a les premières pressions et les autres. Je dirais que Chostakovitch est une deuxième ou troisième pression de Mahler. »

    J’ai entendu récemment Daniel Barenboïm qui, dans des termes plus mesurés que son grand ami Boulez,  jugeait Chostakovitch avec la même sévérité.

    Christian Merlin a consacré, la semaine du 15 mai 2023, 4 émissions à la musique orchestrale de Chostakovitch. Dans une de ses émissions il a cité Herbert von Karajan qui a dit :

    « Si j’étais compositeur, je composerais comme Dimitri Chostakovitch »

    Pour ma part, je suis résolument d’accord avec Karajan. J’avais déjà fait remarquer que Boulez disait beaucoup de bêtises sur les autres compositeurs. Dans ma série sur Schubert  je l’avais cité dans cette phrase indéfendable :

    « Si Schubert a écrit une seule note de musique, cela veut dire que je n’ai rien composé du tout. »

    Ma conclusion fut :

    « Si on prend cette phrase au premier degré, je pense que c’est la deuxième proposition qui est la plus vraisemblable. »

    Nous avons donc eu la grâce d’entendre cette symphonie qui a pour nom « Léningrad ». Le compositeur Dimitri Chostakovitch (1906–1975) a terminé cette symphonie le 27 décembre 1941 et l’a dédiée à sa ville natale, attaquée depuis seize semaines. Léningrad est assiégée pendant 900 jours par l’Allemagne nazie, et environ un tiers de la population urbaine d’avant-guerre est tuée.

    Le journal canadien « Le Devoir » écrit dans un article de 2018 : < La «Leningrad» de Chostakovitch: une symphonie pour l’humanité> :

    « Bien des épisodes liés à la symphonie « Leningrad » sont épiques. Lorsque Chostakovitch joua au piano les trois premiers mouvements à des amis le 17 septembre 1941, le siège de la ville venait de commencer. L’un des participants raconte le hurlement des sirènes, Chostakovitch évacuant sa femme et ses deux enfants à l’abri et continuant de jouer au piano dans le vacarme de la défense antiaérienne. « Pour finir, il rejoua l’ensemble […]. En rentrant, nous aperçûmes du tramway les lueurs de l’incendie […]. Encore sous le coup du noble pathos de cette symphonie, nous ressentions avec une acuité toute particulière l’absurdité de ce qui nous entourait. »

    « Wikipedia » a consacré un article à la « Création à Léningrad de la symphonie no 7 de Chostakovitch ». C’est une page d’Histoire absolument incroyable et unique, il me semble que tout homme de culture et d’Histoire, même celles et ceux qui ont des difficultés avec la musique classique devrait lire cette page d’Histoire que j’essaie de résumer. :

    Chostakovitch prévoyait que la création de la symphonie reviendrait à la Philharmonie de Léningrad, mais l’ensemble est évacué. La première mondiale est donnée à Kouïbychev aujourd’hui Samara, le 5 mars 1942.

    Puis la symphonie sera jouée le 29 mars à Moscou.

    La partition de la symphonie sera microfilmée pour s’envoler pour Téhéran en avril, afin de permettre sa publication à l’Ouest. Elle est créée à Londres, le 22 juin par le London Philharmonic Orchestra. Et puis la première américaine aura lieu, le 19 juillet 1942, par le plus illustre chef d’orchestre vivant Arturo Toscanini dirigeant son Orchestre symphonique de la NBC.

    Mais l’État soviétique parviendra finalement à faire jouer cette symphonie dans la ville de Léningrad assiégée dans la grande salle de la Philharmonie le 9 août 1942, jouée par le seul ensemble symphonique restant à Léningrad, après l’évacuation de la Philharmonie : L’Orchestre symphonique de la Radio de Léningrad — avec son chef Carl Eliasberg.

    Après bien des péripéties et une préparation d’une dureté dans les conditions de vie, la faim est omniprésente, dans le danger des combats et des bombardements, dans une discipline de fer imposée par le chef d’orchestre, le concert peut avoir lieu.

    « Le concert est donné dans la grande salle de la Philharmonie le 9 août 1942. C’est le jour désigné par Hitler pour célébrer la chute de la ville, avec un somptueux banquet à l’Hôtel Astoria de Léningrad. […]

    Le Lieutenant-Général Govorov commande un bombardement des positions de l’artillerie allemande avant le concert, dans une opération spéciale, avec le nom de code « Bourrasque ». Les agents du renseignement soviétique avaient localisé les batteries allemandes et les postes d’observation depuis plusieurs semaines, en préparation de l’attaque. Trois mille obus de fort calibre sont lancés sur l’ennemi. Le but de l’opération est d’empêcher les Allemands de cibler la salle de concert et de s’assurer qu’ils seraient assez silencieux pour laisser entendre la musique sur les haut-parleurs, dont la mise en place avait été ordonnée. Il a aussi encouragé les soldats soviétiques à écouter le concert à la radio. […]

    Un public important se rassemble pour le concert, composé de chefs du Parti, de militaires et de civils. Les citoyens de Léningrad, qui ne peuvent pas tous tenir dans la salle, sont rassemblés autour des fenêtres ouvertes et de haut-parleurs. […] L’exécution est de mauvaise qualité artistique, mais est marquée par les houles d’émotions du public, […]

    Le concert reçoit une ovation d’une heure, debout, Eliasberg recevant un bouquet de fleurs cultivées à Léningrad remis par une jeune fille. De nombreux auditeurs sont en larmes, en raison de l’impact émotionnel du concert, considéré comme une « biographie musicale des souffrances de Léningrad » […] Pendant le concert, les haut-parleurs diffusent la musique à travers la ville, ainsi qu’à destination des forces allemandes dans un mouvement de guerre psychologique, une « frappe tactique contre le moral des allemands ». Un soldat allemand s’est rappelé que son escadron a « écouté la symphonie des héros ». Eliasberg, quelque temps après, raconte que certains Allemands qui campaient à l’extérieur de Léningrad pendant le concert lui ont dit qu’ils avaient cru qu’ils ne pourraient jamais s’emparer de la ville : « Qui sommes-nous avec nos bombes ? Nous ne serons jamais en mesure de prendre Léningrad. » »

    Œuvre d’une puissance et d’une émotion incommensurable, les motivations de Chostakovitch sont ambigües et secrètes.

    Chostakovitch déclare à la Pravda le 19 mars 1942, à trois jours de la création moscovite :

    « J’ai songé à la grandeur de notre peuple, à son héroïsme, aux merveilleuses idées humanistes, aux valeurs humaines, à notre nature superbe, à l’humanité, à la beauté. […] Je dédie ma Septième Symphonie à notre combat contre le fascisme, à notre victoire inéluctable sur l’ennemi et à Leningrad, ma ville natale ».

    Très vite, Staline et les Soviétiques en font un instrument de propagande, l’un des symboles de la « Grande Guerre patriotique ». Il faut dire que les sous-titres prévus par Chostakovitch pour chacun des quatre mouvements allaient dans ce sens : « La guerre », « Souvenirs », « Les grands espaces de ma patrie » et « La victoire ».

    Par la suite, il retirera ces titres et dans ses Mémoires Chostakovitch amendera ses propos :

    « Je ne suis pas opposé à ce [qu’on l’appelle] Leningrad. Mais il n’y est pas question du siège de Leningrad. Il y est question du Leningrad que Staline a détruit. Et Hitler n’a plus eu qu’à l’achever. »

    Pour que cette œuvre puisse nous remplir de vibrations, d’énergie et d’émotion, il faut une interprétation superlative.

    Ce fut le cas ce jeudi 11 mai par un Orchestre de Paris transcendé par son jeune chef de 27 ans Klaus Mäkelä.


    J’avais déjà parlé de ce jeune chef lors du <mot du jour du 16 mai 2019> déjà à l’occasion d’une symphonie de Chostakovitch : la dixième. Je ne le connaissais pas alors, ni mon Ami Bertrand G. Mais à la fin du concert je lui avais envoyé un sms :

    « Tu en entendras parler c’est un chef exceptionnel. Surtout à son âge »

    Depuis il a été nommé directeur musical de l’Orchestre de Paris et peu de temps après, futur directeur musical d’un des quatre plus grands orchestres du monde : l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam.

    J’ai l’immodestie de prétendre que je n’ai pas besoin de lire l’avis des critiques musicaux pour savoir que j’ai assisté à un concert immense, exceptionnel, un moment d’éternité.

    Mais je peux quand même les citer quand ils expriment avec pertinence ce que j’ai ressenti :

    Ainsi Remy Louis dans « Diapason Mag » : <le Chostakovitch monumental de Klaus Mäkelä>

    « Le résultat est une interprétation monumentale de la Symphonie « Leningrad ». Monumentale par l’autorité, la force, l’intensité physique et sonore (littéralement terrifiante dans certains apogées), l’échelle dynamique vertigineuse, le contrôle des phrasés, la tenue et la cohérence expressive, sans un instant de baisse de tension, ni de trivialité sonore. Mais aussi par la finesse et la clarté magistrale de la structure, le raffinement des nuances et des transitions. […]

    Mais ce qui confirme que Mäkelä est un grand directeur musical, et pas seulement un très grand chef, c’est le niveau d’exécution de l’Orchestre de Paris, depuis des mois dans une forme éblouissante. Bois, cuivres et percussions sont admirables, on le sait. Mais jamais l’unité et l’homogénéité de texture des pupitres de cordes […] n’ont été aussi élevées. »

    Patrice Imbaud dans « Resmusica »

    « Véritable maelström orchestral cataclysmique engageant tout l’orchestre, superbement construit, riche en nuances, porté par une tension intense presque douloureuse qui achève en beauté cette exceptionnelle interprétation. »

    Hannah Starman sur le site « Toute la Culture » : « Une Septième de Chostakovitch terrifiante d’actualité à la Philharmonie de Paris » :

    « Klaus Mäkelä évoque l’aspect historique « absolument terrifiant » de la Symphonie N° 7 dont l’exécution demande une intense concentration et un investissement émotionnel hors norme. […] La conclusion est massive, expressive, fabuleusement cauchemardesque et interprétée par un chef et un orchestre qui ont tout donné. Le public éprouvé remerciera les musiciens épuisés avec une ovation debout plus que méritée. Une performance exceptionnelle !  »

    Et l’analyse que je préfère celle d’Alain Lompech sur le site « BACHTRACK »

    « Ce soir, l’ovation extraordinaire qui accueille le dernier accord ne doit rien au poids de l’histoire et tout à la puissance créatrice de Chostakovitch, qui provoque l’une de ces émotions collectives que seule la musique peut entraîner. La façon dont les musiciens de l’Orchestre de Paris et leur chef recréent cette Symphonie n° 7 donne à l’ouvrage un visage différent, pas moins intense mais comme résigné parfois, baigné par une lumière crépusculaire étreignante. D’une mobilité expressive incessante, tout entier dans son orchestre bien plus qu’il n’est devant lui et au-dessus de lui, le chef pulvérise les idées reçues : sa compréhension de la forme du propos, sa façon de diriger tout en laissant les musiciens libres de jouer, sa maîtrise du temps, de l’articulation, de la balance orchestrale, de l’art des transitions et de la dynamique, le naturel avec lequel il parvient à ordonner, sans qu’il y paraisse, le premier mouvement et plus encore cette heure et quart de musique fleuve, cinématographique jusque dans sa modulation et son crescendo conclusifs « babyloniens », dont il soulève cette œuvre gigantesque, parfois intime et implorante, jamais triviale ainsi dirigée et jouée font prendre conscience que cette musique issue du cœur retourne au cœur indépendamment de tout scénario, de toute image quand un chef l’aime pour ce qu’elle est. »

    Analyse qui finit par cette belle conclusion en forme de prière :

    « Et l’Orchestre de Paris à chaque note semble dire à son chef : « reste avec nous Klaus, on joue mieux ici qu’à Amsterdam »…

    A la fin du concert, un tout jeune homme assis à côté de nous, rempli d’émotion nous regarde et nous révèle : « Je n’ai jamais vécu quelque chose d’aussi puissant, cela n’a rien à voir avec le disque ».

    Sur la route vers la sortie un homme plus âgé m’approuve quand je dis que « l’Orchestre de Paris vit son âge d’or ».

    Je crois que ce serait très regrettable que les parisiens qui aiment la musique ou d’autres qui peuvent se rendre à la Philharmonie, négligent l’opportunité de participer à quelques moments de cet âge d’or.

    <1748>

  • Mardi 9 mai 2023

    « Excusez-moi ; Mais des gens aussi frivoles, aussi peu pratiques, aussi étranges que vous, je n’en ai jamais rencontré. !»
    Anton Tchekhov, La cerisaie Acte II, réplique de Lopakhine dans la traduction de Jean-Claude Carrière

    Dimanche 7 mai, nous avons honoré un des cadeaux que mes collègues m’ont offert, lors de mon départ à la retraite : deux places pour le théâtre des Célestins.

    Nous avions choisi le dernier chef d’œuvre écrit par Anton Tchekhov : « La cerisaie »

    La pièce était jouée par le Collectif flamand : <tg Stan>

    Comme l’écrit « TELERAMA » : « tg Stan offre une lecture ultra-vivante de la grande pièce de Tchekhov » et ajoute :

    « Entre loufoquerie, danse cathartique et montagnes russes émotionnelles, le fameux collectif d’Anvers plonge avec fougue dans le grand bain de l’œuvre ultime du grand dramaturge russe. »

    Et il est vrai que ces artistes tentent de tirer le plus possible cette œuvre vers son côté de comédie pour respecter la volonté de son auteur qui avait écrit à son épouse Olga Knipper, dans une lettre du 7 mars 1901 :

    « La prochaine pièce que j’écrirai sera sûrement drôle, très drôle, du moins dans l’approche. »

    <Wikipedia> écrit :

    « À l’origine, Tchekhov avait écrit cette pièce comme une comédie, comme l’indique le titre dans l’édition Marx de 1904, et même grotesque, comme l’auteur l’indique dans certaines lettres. Aussi, quand il assista à la première mise en scène de Constantin Stanislavski au Théâtre d’art de Moscou, il fut horrifié de découvrir que le metteur en scène en avait fait une tragédie. Depuis ce jour, la nature nuancée de la pièce, et de l’œuvre de Tchekhov en général, est un défi pour les metteurs en scène. »

    Ainsi, il existe, sur internet, la version que Peter Brook, dans l’adaptation de Jean-Claude Carrière, avait mis en scène au Théâtre des Bouffes du Nord, en 1981. Dans cette version, c’est le drame qui l’emporte.

    L’accent flamand de beaucoup des acteurs donne un aspect encore plus léger à cette interprétation très dynamique.

    Beaucoup de sites évoquent, à raison, cette interprétation qui tentent d’appuyer sur le côté comique de certaines parties et que tg Stan a joué sur plusieurs scènes avant de venir au Théâtre des Célestins :

    « Le tg STAN revisite l’âme russe avec une Cerisaie à ciel ouvert »

    « La Cerisaie : les Flamands du TG STAN tout en fougue aux Célestins »

    Mon ressenti reste cependant que Tchekhov n’est pas pleinement parvenu à remplir son objectif d’écrire une comédie, son art l’a poussé vers le drame, la difficulté de communiquer, de se dire les choses et de les comprendre.

    La pièce est d’une richesse inouïe dans l’étude des relations entre les différents protagonistes.

    Paul Desveaux qui a mis en scène « La Cerisaie » au Théâtre de l’Athénée (Louis-Jouvet) pense qu’on peut tirer la pièce jusqu’au frontière de la psychanalyse.

    Je ressens cette pièce comme un drame qui me parait, en outre, très inspirant pour notre situation moderne.

    La trame de cette pièce tient dans le fait qu’une magnifique demeure dont le joyau est une cerisaie, inscrite dans les livres d’Histoire, appartient à une famille noble russe endettée à un tel point que leur domaine hypothéqué va être vendu aux enchères pour éponger les dettes.

    Au début de la pièce il reste un peu de temps avant cette échéance. La figure centrale de cette famille noble est une femme : Lioubov qui a passé 5 ans à l’étranger, en France, suite à la perte de son mari puis de la noyade de son fils de 7 ans. Ces éléments de contexte n’encouragent pas la tendance comique.

    Face à cette femme, son frère, ses enfants, ses serviteurs se dresse un homme, Lopakhine, enfant et petit enfant de serfs, c’est-à-dire d’esclaves qui étaient au service de cette famille.

    Mais le Tsar Alexandre II avait aboli le servage en 1861. Et des esprits conquérants, doués pour les affaires, comme Lopakhine ont pu devenir riche, immensément riche pour sa part.

    Cette évolution de l’organisation sociale a eu pour autre conséquence que plusieurs aristocrates, comme Lioubov, se sont appauvris, devenant incapables d’entretenir leurs domaines sans leurs serfs. L’effet de cette réforme était encore ancré quand Tchekhov écrit sa pièce

    A la fin, le domaine sera vendu et c’est Lopakine qui va l’acheter.

    Mais Tchekhov présente cette situation avec d’infinie nuance et de complexité dans la relation humaine.

    Car avant cette fin qui va priver Lioubov et sa famille du domaine de leurs ancêtres et de leurs racines, Lopakhine va passer son temps à avertir Lioubov de l’urgence de la situation et lui propose une solution pour laquelle il propose son aide financière et qui permettrait de ne pas vendre tout en réglant les dettes : pour cela il faudrait abattre la cerisaie et utiliser le terrain pour créer un lotissement de maisons à louer.

    Lopakhine exprime, en effet, une grande affection pour Lioubov qu’il explique dans la première scène de la pièce :

    « C’est une excellente femme, simple, agréable à vivre… Je me rappelle, quand j’étais un blanc-bec de quinze ans, mon défunt père, qui tenait une boutique dans le village, me flanqua un coup de poing dans la figure, et mon nez se mit à saigner. Nous étions venus ici je ne sais pourquoi, et mon père était un peu ivre. Lioubov Andréïevna, toute jeune encore, toute mince, me mena à ce lavabo, dans cette chambre des enfants, et me dit : « Ne pleure pas, mon petit moujik ; avant ton mariage il n’y paraîtra plus. » (Un temps.) Mon petit moujik ! C’est vrai que mon père était un paysan, et moi je porte des gilets blancs et des souliers jaunes !  »

    Et dans la scène 2, il introduit sa proposition de solution par cette déclaration à Lioubov :

    « Tenez, Lioubov Andréïevna, votre frère Léonid Andréïevitch dit que je suis un manant, un accapareur ; mais ça m’est entièrement égal. Je voudrais seulement que vous ayez confiance en moi comme autrefois, que vos yeux extraordinaires, émouvants, me regardent comme jadis. Dieu miséricordieux ! Mon père était serf de votre grand-père et de votre père ; mais vous avez tant fait pour moi que j’ai oublié tout cela ; je vous aime comme quelqu’un de proche, plus que proche… »

    Mais tout au long des actes 1 et 2, sa proposition se heurte à un mur d’incompréhension. Jamais Lioubov ne dit Non. Mais elle comme son frère changent de sujet, parle de détails insignifiants qui n’ont aucun rapport avec son problème central : régler les dettes et conserver la Cerisaie.

    A l’acte 2 Lopakhine perd patience :

    « LOPAKHINE. – Il faut en finir. Le temps presse. La question est toute simple. Consentez-vous à vendre votre terre par lots, oui ou non ? Ne répondez qu’un seul mot. Un seul ! »

    Lioubov enchaine alors :

    « Qui a pu fumer ici de détestables cigares ?. »

    Il réplique alors par une phrase qui selon moi éclaire la situation :

    « Excusez-moi ; Mais des gens aussi frivoles, aussi peu pratiques, aussi étranges que vous, je n’en ai jamais rencontré.

    On vous dit clairement : votre bien va se vendre, et c’est comme si vous ne compreniez pas… »

    Loubiov – Que devons-nous donc faire ? Dites-le.

    LOPAKHINE. – Je ne fais que cela chaque jour. Chaque jour, je répète la même chose. Il faut louer la cerisaie et toute votre propriété comme terrain à villas, et cela tout de suite, au plus tôt. La vente est imminente. Entendez-le. Dès que vous aurez décidé de faire ce que je vous dis, vous aurez autant d’argent que vous voudrez, et vous serez sauvés. »

    Lioubov évite à nouveau la question et Lopakhine explose :

    « Je vais pleurer, je vais crier ou je vais m’évanouir ; je n’en puis plus ! Vous m’avez mis à bout !  »

    L’acte III montrera la Cerisaie vendue. C’est Lopakhine qui a surenchéri sur tous les autres acheteurs. La famille de Lioubov doit partir. Les cerisiers sont abattus et le plan de Lopakhine va se réaliser mais à son seul profit.

    Je perçois dans cette formidable œuvre deux éclairages d’aujourd’hui.

    Ces familles aristocrates pouvaient entretenir leur domaine parce qu’ils disposaient de main d’œuvre gratuite, d’esclaves qu’il fallait juste nourrir suffisamment pour qu’ils soient capables d’obéir aux ordres de leurs maîtres. Sans ces esclaves, la continuation de leur vie d’avant les entraînait dans l’accumulation de dettes.

    Nous devrions reconnaître que notre confort, notre capacité inexpugnable de consommation occidentale n’est ou n’a été possible que parce que quelque part dans le monde, des humains des enfants travaillent quasi gratuitement pour nous permettre d’acheter des biens que nous pouvons payer.

    Il y a quelques jours, nous commémorions les dix ans du drame de l’usine textile du Bengladesh, (l’immeuble de neuf étages qui s’était effondré près de Dacca le 24 avril 2013, et qui avait fait 1 127 morts. Cette usine produisait des tonnes de vêtements vendus dans les magasins occidentaux. J’avais évoqué ce drame par cette question posée par Michel Wieviorka et Anthony Mahé

    « Sommes-nous capables de regarder en face (la vie de) ceux qui nous permettent de consommer comme nous le faisons ? »

    Le second éclairage de nos temps présents est constitué par ces avertissements, comme ceux que Lopakhine exprime tout au long de « la Cerisaie », qui nous informent que notre vie quotidienne va être affectée de manière extrême par le réchauffement climatique, par la chute de la biodiversité, par la diminution des ressources en matière première et nous ne faisons rien ou si peu.

    Nous considérons normal que lorsqu’on tourne le robinet, l’eau coule. Nous n’avons pas l’assurance qu’il en sera toujours ainsi.

    Quand nous appuyons sur un bouton électrique, la lumière jaillit ou les appareils qui nous facilitent si grandement la vie se mettent à fonctionner. Pourrons nous disposer de toute l’électricité dont nous estimons avoir besoin pour notre confort ?

    Vendredi 5 mai, nous avons appris que le Conseil national de la transition écologique, qui regroupe des élus et représentants de la société civile, prévoyait que la France risquait de vivre avec un réchauffement climatique allant jusqu’à quatre degrés de plus d’ici la fin du siècle. Le gouvernement considère cette prédiction comme plausible.

    Cette perspective constitue un bouleversement de notre espace de vie assez proche de la perte de contrôle.

    Ce sont ces pensées que le chef d’œuvre de Tchékhov a suscité en moi.

    <1747>

  • Jeudi 27 avril 2023

    « Cette résistance à la cruauté du monde, qu’offre la passion aux êtres qu’elle habite. !»
    Jean-Guy Soumy

    Qu’est-ce qu’un bon livre ?

    Probablement que chacun possède sa propre réponse.

    Pour moi, c’est un livre qui lorsque j’y entre je n’arrive à en sortir qu’une fois la dernière page atteinte. Il n’est pas possible de s’arrêter avant.

    Ce fut le cas pour « Le Silence » de Jean-Guy Soumy, commencé en début d’après-midi, je ne l’ai lâché qu’en début de soirée lorsque je l’avais terminé.

    Je ne connaissais pas Jean-Guy Soumy avant que Sophie m’en parle. Elle a marqué tant d’enthousiasme pour cet auteur, que j’ai voulu tenter l’aventure.

    Je suis allé dans une des bibliothèques de Lyon qui devait détenir 3 de ses livres. Quand je suis arrivé, deux étaient prêtés, il restait « Le silence », alors je l’ai emprunté.

    Jean-Guy Soumy est né le 1er juin 1952 à Guéret dans la Creuse, département dans lequel il habite toujours.

    Après ses études, il est devenu professeur de mathématiques.

    Sa page Wikipédia nous apprend qu’il est coauteur d’ouvrages de mathématiques parus dans la collection « Vivre les mathématiques » chez l’éditeur Armand Colin.

    Mais son grand dessein est d’écrire des romans.

    Il fait partie de la « Nouvelle école de Brive » dans laquelle se trouvait aussi Claude Michelet, l’auteur de « Des grives aux loups. » et qui est décédé le 26 mai 2022.

    Claude Michelet avait fait auparavant partie de « L’école de Brive » qu’on avait décrit comme un mouvement régionaliste. Ce que Michelet nuançait dans cet article d’« Ouest France » de juillet 2013 :

    « Ce n’est pas que ça. Dans nos œuvres, on est allé bien au-delà des terroirs de France. Yves Viollier a écrit des romans qui se déroulent en Russie, moi, j’ai écrit une saga qui se déroule en grande partie au Chili. Ce serait trop réducteur. »

    En revanche, il expliquait que ce n’est pas du tout le cas de « la Nouvelle Ecole de Brive » :

    « Là, c’est plus informel. Nous sommes quatre, Gilbert Bordes, moi-même, Jean-Guy Soumy et Yves Viollier, qui prenons plaisir à nous voir et nous entraider. Nous n’hésitons pas à nous refiler des tuyaux sur tel ou tel thème qu’un de nous travaille. On dit toujours que les écrivains se détestent. Vous voyez que ce n’est pas vrai ! On a plaisir à se retrouver et à parler littérature ensemble, comme un groupe d’amis. »

    Concernant le livre « Le Silence » son action se déroule en grande partie à Chicago où Alexandre Leroy est un mathématicien célèbre, chercheur et professeur universitaire ayant obtenu la Médaille Fields qu’on appelle « Le Nobel » des mathématiciens. La fin du roman ramènera l’action en France, car c’est le pays d’origine d’Alexandre Leroy.

    Le roman commence par le désarroi de Jessica son épouse qui est professeur de littérature à l’Université et à qui on vient d’apprendre que son mari Alexandre vient de se suicider dans un motel alors qu’elle pensait qu’il était allé dans leur maison secondaire pour aller travailler, comme il le faisait régulièrement et comme il le lui avait dit avant de partir.

    Pourquoi s’est-il suicidé ?

    Voici la question. Il n’a pas laissé de lettre.

    Jessica qui est le personnage central de ce livre, ne comprend pas.

    Tout ce livre est constitué par ses découvertes d’abord fortuites puis conséquence de ses recherches et de sa quête pour essayer de comprendre le geste de l’homme de sa vie.

    C’est vraiment remarquable. L’histoire est très forte et l’écriture très fluide avec des fulgurances qui saisissent.

    Lors de l’enterrement, Soumy délivre cette description qui s’achève par une conclusion que j’ai utilisée comme exergue

    « Des silhouettes s’approchent. Des hommes défilent devant elle. Tous collègues ou étudiants d’Alexandre. Qui rendent hommage à leur maître sans que Jessica puisse deviner si le souvenir laissé par son mari leur est agréable ou pénible. Ils ont en commun quelque chose d’insaisissable qui la renvoie au défunt. Une légèreté d’artiste enfouie sous le simulacre de la gravité. Cette résistance à la cruauté du monde, qu’offre la passion aux êtres qu’elle habite »
    Page 16

    La passion emporte tout et permet aussi de résister à la cruauté du monde.

    Et il est possible d’être passionné par les mathématiques, cette passion qui a mené certains vers la folie.

    « Le Point » a posé cette question dans un article de 2018 : « Les mathématiques rendent-elles fou ? »

    L’article ne répond pas à cette question, mais cite plusieurs mathématiciens : Kurt Gödel, Georg Cantor, John Nash, Grigori Perelman qui chacun à leur manière avaient perdu le sens des réalités et des relations équilibrées avec les autres humains.

    Il cite aussi le cas plus connu par un plus large public de Alexandre Grothendieck :

    « En 1966, il reçoit lui aussi la médaille Fields pour avoir refondé la géométrie algébrique… et la refuse  ! Il s’installe dans un village de l’Hérault au sein d’une communauté adepte de la contre-culture. Il devient un chantre de l’écologie. Puis il se retire en Ariège pour vivre tel un ermite, refusant tout contact avec ses anciens amis. Il meurt en 2014, laissant des milliers de pages couvertes de notes. »

    Jean-Guy Soumy cite d’ailleurs Grothendieck au début de son ouvrage :

    « Ces deux passions, celle qui anime le mathématicien au travail, disons, et celle en l’amante ou en l’amant, sont bien plus proches qu’on ne le soupçonne généralement ou qu’on est disposé à l’admettre. »
    Alexandre Grothendieck « Récolte et Semailles »

    Mais que celles et ceux pour qui les mathématiques n’ont jamais été une passion mais plutôt une souffrance, se rassurent il n’y pas de mathématiques dans cet ouvrage. C’est simplement un élément de contexte.

    L’histoire se déroule à travers le regard de Jessica qui est professeur de littérature et qui doit faire face à ce qu’elle vit comme une trahison. Elle doitt aussi être le roc sur lequel peuvent s’appuyer les deux fils qu’elle a eu avec Alexandre. Le premier a suivi la même carrière que son père, tout en n’en possédant pas le génie, il se sent fragilisé par cet acte incompréhensible. Mais la situation est encore plus compliquée pour le second qui souffre d’autisme.

    Soumy met cette phrase dans la bouche de Jessica :

    « Et je veillerai sur mon enfant, je le consolerai, je boirai ses larmes, je sécherai ses peines. Une mère est là pour ça »
    Page 176

    Ce livre, en outre, ouvre vers un auteur étonnant au destin tragique : Armand Robin. Jessica est la spécialiste de cet auteur qu’elle a étudié intensément et dont les écrits auront un rôle à jouer dans l’intrigue.

    J’ai voulu en savoir un peu plus sur cet auteur.

    Armand Robin est né en 1912 à Plouguernével, en Bretagne et il est mort le 29 mars 1961.

    C’est à la fois un écrivain, un traducteur, un journaliste, un critique littéraire et un homme de radio.

    Il semble qu’il existe de nombreuses controverses à son sujet. Mais ce qui parait époustouflant c’est sa capacité d’apprendre des langues.

    Je cite Wikipedia :

    « il entreprend en 1932 l’étude du russe et du polonais, en 1933 de l’allemand, en 1934 de l’italien, en 1937 de l’hébreu, de l’arabe et de l’espagnol, en 1941 du chinois, en 1942, de l’arabe littéral, en 1943 du finnois, du hongrois et du japonais  […]

    Écrivain inclassable, libertaire, poète, il traduit en français, depuis une vingtaine de langues, une centaine d’auteurs dont Goethe, Achim von Arnim, Gottfried Benn, Max Ernst, Lope de Vega, José Bergamín, Vladimir Maïakovski, Boris Pasternak, Sergueï Essénine, Alexandre Blok…. »

    En 1933, il voyage en URSS. Il en revient anticommuniste.

    Et en 1945, il adhère à la Fédération anarchiste et contribue de cette date à 1955 au journal Le Libertaire.

    Sa fin tragique nous révèle qu’en 1961 aussi, il était légitime de s’interroger sur la possibilité de violences policières :

    Arrêté le 28 mars 1961 après une altercation dans un café, il est conduit au commissariat du quartier et y est « passé à tabac » par les policiers. Transféré à l’infirmerie spéciale du dépôt de la Préfecture de police de Paris, il y meurt seul le lendemain dans des conditions qui n’ont jamais été éclaircies.

    Françoise Morvan qui semble une spécialiste de cet auteur a écrit « Armand Robin ou le mythe du poète »

    La même écrit sur son blog une page dans laquelle elle entend démonter des contrevérités et falsifications sur « Armand Robin »   

    En 2011, France Culture lui a réservé une émission : <Armand Robin bouge encore>

    En conclusion, un livre palpitant et l’ouverture vers un autre auteur aussi étrange que fascinant.

    <1746>

  • Vendredi 21 avril 2023

    « Une librairie qui meurt, ce n’est pas une page qui se tourne, c’est un livre qui se ferme, à jamais !»
    Henri Loevenbruck

    C’est en me promenant, à Lyon entre la basilique d’Ainay et la Place Bellecour, que j’ai vu l’annonce :

    « Fermeture de la Librairie »

    C’était une librairie particulière.

    Elle avait pour adresse  : 14 Rue du Plat.

    Elle avait pour nom : « Raconte-moi la terre »

    Librairie du voyage, des cultures du monde et aussi de la transition écologique, c‘était une librairie-café, car on pouvait aussi y aller déguster un café.

    Elle disposait même d’une salle de conférence en sous-sol.

    Annie l’avait découverte et  y avait organisé, plusieurs fois, des réunions et des rencontres de travail.

    Car le lieu était accueillant.

    La Grande Librairie l’avait visité et il en reste <une vidéo>.

    La Période après Covid a été trop compliquée, l’équilibre financier ne permettait pas de continuer

    C’est triste, une librairie qui ferme.

    Dans mon monde idéal il y a beaucoup de librairies et il n’y a pas Amazon.

    Du moins pas Amazon comme il fonctionne actuellement

    Il pourrait peut-être se justifier si son unique objet était de livrer tous les livres du monde à des Librairies avec à l’intérieur des humains, cultivés qui aiment les livres, c’est-à-dire des libraires. Ces libraires qui font partager à celles et ceux qui viennent dans leur magasin le goût de lire et les aide à choisir.

    J’avais écrit une série de mots sur Amazon, elle avait débuté le 24 juin 2021 « Amazon nous veut-il du bien ? »

    En France, selon <le syndicat de la Librairie> il existe 3.500 librairies indépendantes.

    C’est beaucoup plus qu’aux États-Unis. D’après <cette publication> de 2019, sur tout le territoire des États-Unis il existe moins de 2 300 librairies indépendantes.

    Dans mon monde idéal, il n’y aurait pas Amazon.

    Mais je suis un réaliste, dans notre monde Amazon existe.

    Fallait-il pour autant que notre Président, en pleine période de manifestations sur les retraites, décore le fondateur Jeff Bezos ?

    Plusieurs journaux nous ont relaté cette incongruité :

    Mais il semble que ce soit « Le Point » qui a dégainé le premier : <Les indiscrets – Macron décore Bezos en secret> :

    « Cérémonie fastueuse mais confidentielle, jeudi 16 février en fin d’après-midi au palais de l’Élysée : Emmanuel Macron a remis les insignes de la Légion d’honneur à l’Américain Jeff Bezos, 4e fortune mondiale (111,3 milliards de dollars fin 2022), de passage à Paris.
    L’événement, prévu depuis plusieurs semaines, ne figurait pas à l’agenda officiel et n’a été suivi d’aucun communiqué.
    L’Élysée avait-il peur d’un fâcheux télescopage le jour où des milliers de manifestants défilaient contre la réforme des retraites ?
    Seuls quelques invités triés sur le volet ont assisté à la réception.
    Beau joueur, le fondateur d’Amazon avait convié le patron de LVMH, Bernard Arnault, qui le devance désormais (1er, selon Forbes, avec 184,7 milliards de dollars). »

    La Légion d’honneur naît le 19 mai 1802 par la volonté du Premier consul, Napoléon Bonaparte.

    Elle visait à l’époque à récompenser les citoyens français. D’abord pour saluer la bravoure ou la stratégie militaire, mais aussi pour gratifier des civils en raison de leur mérite au profit de la patrie.

    Le site de <l’Ordre de la Légion d’Honneur> explique que :

    « Les légionnaires œuvrent au bénéfice de la société et non dans leur intérêt exclusif. Les décorés, dans toute la diversité de leurs activités, contribuent au développement de la France, à son rayonnement, à sa défense. »

    Il est donc légitime de se poser les questions suivantes :

    • Jeff Bezos œuvre t’il au bénéfice de la société ou dans son intérêt exclusif ?
    • Contribue t’il au développement de la France ? à son rayonnement ? à sa défense ?

    Pour contribuer à la Défense, il faudrait déjà qu’il paie les impôts, en France, en proportion de ses profits, ce qui de source sûre n’est pas le cas.

    Pourquoi le président de la République a-t’il distingué le fondateur d’Amazon, à l’Élysée, jeudi 16 février, en pleine cinquième journée de mobilisation contre la réforme des retraites ?

    Parce qu’il crée de l’emploi en France, semble être l’argument.

    Il couvre, en effet, la France d’entrepôts. Cela fait-il rayonner la France ?

    Le Monde rappelle que la décoration d’un grand patron étranger par l’Élysée n’est pas sans précédent : Jamie Dimon, le patron de la banque JPMorgan Chase a reçu la Légion d’honneur en novembre 2022.

    Et avant Emmanuel Macron,

    • Le fondateur de Microsoft, Bill Gates, avait été fait commandeur de la Légion d’honneur par François Hollande,
    • Le PDG de Microsoft, Steve Ballmer, avait été décoré par Nicolas Sarkozy
    • Jacques Chirac avait distingué Shoichiro Toyoda, le patron du constructeur japonais Toyota.

    « Le Monde » analyse que :

    « [Cette distinction] accordée par M. Macron à M. Bezos illustre la dualité de la politique du président à l’égard du fondateur d’Amazon. Comme ailleurs, il a pratiqué le « en même temps ». Sous sa présidence, la France a poussé des régulations européennes renforçant les responsabilités et le respect de la concurrence des plates-formes comme Amazon. Elle a instauré une taxation des services numériques et obligé les services comme Prime Video (filiale d’Amazon) à consacrer 20 % de leur chiffre d’affaires à produire des programmes français.

    Parallèlement, Emmanuel Macron a favorisé l’essor de l’e-commerce, en particulier d’Amazon, dont il a inauguré un entrepôt à Amiens, en 2017. L’Élysée a toujours rappelé que l’entreprise américaine et son patron créaient des emplois en France. En 2020, l’exécutif s’est opposé à un moratoire sur l’ouverture de nouveaux entrepôts d’e-commerce, soutenu entre autres par la convention citoyenne pour le climat, et à un alignement de leur fiscalité sur celle des magasins physiques, réclamée par certains élus. »

    Selon l’AFP, la présidence française a justifié aussi cette décoration par le fait que :

    Jeff Bezos est « un partenaire des initiatives pour la protection du climat et de la biodiversité menées par la France, en particulier sur la protection des forêts »

    A la fin de 2021, M. Bezos était présent à la COP26 de Glasgow, quand le président français a présenté la « grande muraille verte ». Le milliardaire américain a promis de verser 1 milliard de dollars (945 millions d’euros) à ce projet de reforestation en Afrique, qui veut allier action publique et soutien privé.

    Bon…

    Ne serait-il pas judicieux qu’il cesse plutôt de polluer et d’utiliser de l’énergie pour envoyer des milliardaires faire un tour dans l’espace ?

    Et je pense à une autre Librairie lyonnaise en difficulté : « La Librairie Diogène » située au cœur du Vieux Lyon

    Cette Librairie a été créée en 1973, dans un immeuble du XVe siècle : la maison Le Viste.

    Librairie généraliste, elle propose des livres de toutes époques, sur tous sujets, et de tous prix sur plus de 300 m2, trois niveaux et deux boutiques.

    Elle s’adresse au collectionneur, au bibliophile averti à la recherche d’ouvrages de collection mais aussi à tout amoureux du livre qui aime chercher dans cette caverne d’Ali Baba qui renferme des trésors d’intelligence et de culture.

    Cette fois ce sont les propriétaires qui veulent l’éviction de la Librairie pour utiliser autrement ces locaux.

    Vous pouvez faire comme Annie et moi et les 32897 autres lecteurs qui ont signé <La pétition> qui refuse la fermeture de la Librairie Diogène.

    Cette librairie dispose aussi d’un site qui la présente et explique aussi le conflit avec les propriétaires : https://librairiediogene.fr/

    Henri Loevenbruck a écrit la phrase que j’ai mis en exergue dans son livre <Le Mystère Fulcanelli>

    <1745>

    Je vous invite à lire en commentaire la réponse de Blanche Gardin à une proposition d’Amazon Prime

  • Mardi 18 avril 2023

    « C’est l’impuissance publique qui est au cœur [de notre crise démocratique !] »
    Pierre-Henri Tavoillot

    Un des grands risques qui nous guette, dans notre vie sociale, c’est de ne plus discuter qu’avec celles et ceux qui sont d’accord avec nous. Celles et ceux qui partagent nos colères, nos analyses et nos convictions.

    Ce risque que Zygmunt Bauman a décrit de la manière suivante  :

    « S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.»

    Nous avons le sentiment que le problème de la démocratie française est celui d’un hyper-président qui a trop de pouvoir et qui en abuse.

    Il est vrai que le président actuel semble avoir cette conviction de détenir la vérité et de ne pas considérer qu’écouter les corps intermédiaires soit essentiel.

    Je ne parle même pas de son style et de ses répliques qui ont souvent blessé un grand nombre de français.

    D’après les spécialistes des sondages, il est le Président qui suscite le plus de haine, davantage même que Nicolas Sarkozy qui avait en son temps aussi suscité le rejet d’une part des français.

    Mais comme l’explique Pierre-Henri Tavoillot, dans Démocratie, il y a d’un côté le « Démos » c’est-à-dire le Peuple et de l’autre côté le « Kratos » qui est la capacité de décider.

    Notre sentiment est que le Kratos est trop fort

    Ce n’est pas l’avis de Pierre-Henri Tavoillot.

    J’avais déjà évoqué ce philosophe, lors du mot du jour du <23 mars 2020> et la sortie de son livre « Comment gouverner un peuple-roi ? ».

    Je l’ai récemment entendu dans deux émissions :

    La première dans le « Face à Face » de France Inter du 1er avril 2023 <L’art de gouverner> où il était le seul invité.
    Et l’émission de France-Culture, « L’Esprit Public » du dimanche 16 avril 2023 <Comment sortir de la crise démocratique ?> dans laquelle il était un des participants.
    Il intervient souvent dans l’émission « C ce soir » de France 5, dans laquelle il constitue souvent une voix dissidente.

    Dans l’émission de France Inter il dit (à partir de 41 :20)

    « Je crois qu’il faut prendre un peu de recul sur ce qu’est la nature de la crise de la démocratie française.
    Personnellement, je suis un libéral. Un libéral, c’est veiller à l’équilibre entre la société et l’État, entre le Demos et le Kratos, entre le peuple et le pouvoir.
    Spontanément le libéralisme s’est construit contre les pouvoirs abusifs, contre l’absolutisme.
    Il fallait faire baisser le Kratos et faire augmenter le Demos. […]

    Je pense qu’aujourd’hui, la crise profonde de notre démocratie ce n’est pas que le Demos soit trop faible et le Kratos trop fort, c’est exactement le contraire.

    C’est l’impuissance publicque qui est au cœur. »

    Au cœur du récit démocratique, il y a cette promesse que la nation, en tant que souverain, est maître de ses choix et peut décider librement de son destin.

    Cette promesse n’a jamais été totalement respectée.

    Mais aujourd’hui, elle est devenue extrêmement faible et encore plus pour un pays de moyenne importance comme la France.

    Nos grands défis sont planétaires : réchauffement climatique, crise de la biodiversité, crise de l’eau, paix entre les nations.

    Notre pays se trouve dans un maillage de dépendance pour sa consommation, son financement, ses investissements, sa défense.

    Cette dépendance qui est contrainte par de nombreux Traités, par notre appartenance à l’Union européenne, réduit d’autant les marges de manœuvre de nos gouvernants.

    Jancovici prétend que nous sommes déjà en décroissance, sans nous en apercevoir, que dès lors les choix que nous devons faire pour financer les grandes politiques publiques que nous demandons à nos gouvernants (Santé, Éducation, Transition écologique etc…) deviennent encore plus difficiles, car il faut prendre à l’un pour donner à l’autre.

    Depuis bien longtemps nous consommons plus que nous produisons, et cachons ce déséquilibre par de l’emprunt et une augmentation de la dette.

    Notre société est fracturée, il devient quasi impossible de générer des consensus suffisamment larges.

    Je ne développe pas, mais on constate bien un problème d’impuissance publique, dès que le candidat se trouve dans le bureau du gouvernant.

    C’est-à-dire que ce soit Emmanuel Macron ou Jean-Luc Melenchon et je ne cite pas la troisième, aucun ne dispose des moyens et possibilités d’honorer les promesses qu’il fait pour être élu.

    Bien sûr, il reste possible de gouverner autrement que le fait le Président actuel et d’éviter certaines provocations et écart de langage.

    Et il est un point que ne développe pas Tavoillot et dont je suis intimement persuadé, rien ne sera possible si on ne s’attaque pas au creusement des injustices sociales.

    Car dans un monde où il faudra aller vers plus de sobriété, en rabattre sur notre soif de consommation et d’hubris, il faut que le sentiment de l’équité et de la justice grandissent dans l’esprit du plus grand nombre.

    Et probablement qu’il faudrait aussi plus d’honnêteté de la part des candidats politiques dans la promesse de ce qu’ils sont capables de réaliser et une plus grande maturité de la part des citoyens pour accepter de l’entendre.

    <1744>

     

  • Lundi 17 avril 2023

    « Il y a un mantra dans la vie quotidienne du Conseil Constitutionnel, c’est une citation de Vedel ou de Badinter […] : C’est une mauvaise Loi, mais elle n’est pas contraire à la constitution ! »
    Dominique Schnapper

    Le Conseil Constitutionnel n’a donc pas censuré la Loi sur l’âge légal de la retraite, il a simplement censuré 6 dispositions comme l’index sénior pour lesquelles, il a considéré qu’elles n’avaient pas leur place dans cette loi de financement.

    On parle de « cavalier budgétaire », autrement dit on utilise comme support une Loi de financement qui permet au gouvernement de disposer de quelques instruments pour accélérer l’adoption de Loi, ce qu’il a fait dans le cas de cette Loi, pour faire adopter des dispositions qui ne doivent pas bénéficier des mêmes instruments et règles.

    Alors, Samedi matin, nous avons tous entendu : « Emmanuel Macron a promulgué la Loi cette nuit à 3:28 !»

    A cette nouvelle j’étais partagé entre deux sentiments :

    1° Quel bosseur, il ne s’arrête jamais de travailler. En même temps, il surmène ses collaborateurs.

    2° Je trouvais très inquiétant que notre président ne dorme pas et travaille au-delà du raisonnable ce qui peut conduire à craindre des décisions peu éclairées et irrationnelles.

    Mais revenons au sens du verbe : « promulguer »

    Le fait de promulguer une loi c’est donner l’ordre de l’exécuter, la loi devient exécutoire.

    En pratique, l’acte de promulguer la Loi se concrétise par le fait que l’Autorité exécutive signe le texte

    En l’occurrence, en France, le texte est signé par le président de la République et contresigné par le Premier ministre et les ministres qui seront chargés d’appliquer la loi.

    Je suppose qu’aujourd’hui cette signature est électronique.

    Ces choses étant rappelées, la Loi N° 2023-270 n’a pas été promulguée à 3:28, samedi.

    Il est tout à fait possible et même raisonnable de penser qu’Emmanuel Macron dormait à cette heure-là.

    Si vous allez sur le site « LEGIFRANCE » pour consulter <cette Loi> vous constaterez que son entête est la suivante :

    « LOI no 2023-270 du 14 avril 2023
    de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 »

    Cet entête nous montre que la Loi a été promulguée le vendredi 14 avril et non samedi 15 avril qui est le jour qui correspondait à 3:28.

    Le journal « Libération » l’affirme : <Non, Emmanuel Macron n’a pas promulgué la loi retraites au milieu de la nuit>

    Et donne ces explications :

    « La loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023, qui modifie le système de retraite français, a bien été publiée dans le Journal officiel du samedi 15 avril, paru au milieu de la nuit. Samedi, à 3 h 28 exactement, les personnes inscrites dans la boucle électronique relative aux parutions du Journal officiel ont ainsi reçu un mail les en informant.

    Tous les textes législatifs promulgués, comme les actes réglementaires adoptés par l’exécutif, sont rendus publics par leur inscription au Journal officiel de la République française (JORF), qui paraît du mardi au dimanche depuis 1869, par voie électronique uniquement depuis 2016. Même si sa sortie «ne connaît pas d’horaire officiel défini», «l’usage, les obligations politiques et juridiques ont conduit à une parution matinale du JORF (en moyenne entre 2 et 7 heures)», précise le site de la Direction de l’information légale et administrative. Ce qui ne veut pas dire que les textes sont promulgués dans la nuit.

    Ainsi, la promulgation de la loi réformant le système des retraites, elle, est intervenue la veille de la publication. Comme l’indique d’ailleurs l’intitulé du texte, qui mentionne une loi datant « du 14 avril 2023». […]

    Dans le cas de la réforme des retraites, la promulgation serait survenue à 19 h 30 – un horaire cité dans le commentaire d’une utilisatrice de Twitter et depuis largement relayé sur le réseau social. Dans un sujet diffusé au journal de 13 heures de samedi, une journaliste de TF1 relate : « Il est environ 17 h 30 vendredi quand le président de la République prend connaissance de la décision du Conseil constitutionnel. Selon nos informations, moins de deux heures plus tard, avant 20 heures donc, Emmanuel Macron signe la loi retraite. »

    L’information donnée confondait donc la Promulgation qui nécessite l’acte d’humains pour signer avec la publication au journal officiel qui est automatisée, au moins pour la partie qui s’est déroulée dans la nuit.

    Il faut toujours bien nommer les choses !

    Albert Camus avait bien raison.

    Cette confusion a conduit des gens à dire des billevesées.

    Jean-Luc Mélenchon, a tweeté : « Macron a voulu intimider toute la France dans la nuit. » et Laurent Berger a déclaré au Parisien que « Le message d’Emmanuel Macron avec cette promulgation en pleine nuit, c’est jusqu’au bout le mépris à l’égard du monde du travail et la déconnexion avec la réalité. ».

    Mais sur le fond que peut-on dire ?

    Le constitutionnaliste Dominique Rousseau que j’avais déjà cité pour dire qu’il faisait partie des spécialistes qui pensaient possible la censure globale du texte, s’entête et écrit dans Le Monde : <La décision du Conseil constitutionnel s’impose mais, […] elle est mal fondée et mal motivée en droit !>

    Et il cite des extraits de la décision pour s’en étonner :

    « § 65. En dernier lieu, la circonstance que certains ministres auraient délivrée, lors de leurs interventions à l’Assemblée nationale et dans les médias, des estimations initialement erronées sur le montant des pensions de retraite qui seront versées à certaines catégories d’assurés, est sans incidence sur la procédure d’adoption de la loi déférée dès lors que ces estimations ont pu être débattues. »

    Et

    « § 69. D’autre part, la circonstance que plusieurs procédures prévues par la Constitution et par les règlements des assemblées aient été utilisées cumulativement pour accélérer l’examen de la loi déférée, n’est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l’ensemble de la procédure législative ayant conduit à l’adoption de cette loi. »

    Et aussi

    « § 70. En l’espèce, si l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a revêtu un caractère inhabituel, en réponse aux conditions des débats, elle n’a pas eu pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution. Par conséquent, la loi déférée a été adoptée selon une procédure conforme à la Constitution. »

    Enfin

    « § 11. D’autre part, si les dispositions relatives à la réforme des retraites, qui ne relèvent pas de ce domaine obligatoire, auraient pu figurer dans une loi ordinaire, le choix qui a été fait à l’origine par le Gouvernement de les faire figurer au sein d’une loi de financement rectificative ne méconnaît, en lui-même, aucune exigence constitutionnelle. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur à cet égard, mais uniquement de s’assurer que ces dispositions se rattachent à l’une des catégories mentionnées à l’article L.O. 111-3-12 du Code de la sécurité sociale. »

    Et Dominique Rousseau s’étonne que le Conseil Constitutionnel reconnaisse que des ministres ont délivré des « estimations erronées » que lors des débats parlementaires plusieurs procédures ont été utilisées « cumulativement » pour accélérer l’adoption de la loi et que l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a un « caractère inhabituel » et conclut cependant que le principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires avait été respecté. Et il trouve également singulier que le texte de la réforme aurait pu figurer dans une Loi ordinaire mais que le fait de le faire figurer dans une loi de financement rectificative ne trouble pas le Conseil.

    Selon lui :

    « A l’évidence, la conclusion ne découle pas logiquement des prémisses et ce décalage ouvre un espace au doute sur le bien-fondé juridique de la décision. »

    « Le Monde » publie deux autres articles :
    Denis Baranger, professeur de droit public, considère que
    « le Conseil constitutionnel a perdu une chance de rétablir un degré d’équilibre entre les pouvoirs », en confortant une vision très large des prérogatives données à l’exécutif face au Parlement.
    Concernant le rejet de la proposition de référendum d’initiative partagée, la juriste Marthe Fatin-Rouge Stefanini estime qu’il semble condamner l’utilisation du RIP, en restreignant considérablement les conditions de son utilisation.

    En revanche lors de l’émission « l’Esprit Public du dimanche 16 avril » la sociologue Dominique Schnapper, ancienne membre du Conseil Constitutionnel affirme :

    « La décision était prévue, prévisible, normale. Hier après-midi au ministère de l’éducation nationale, nous avons été quelques-uns à annoncer ce qu’il y aurait dans la décision, sans avoir aucune information et c’est exactement celle qui a été adoptée, parce qu’elle s’inscrit directement dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. »

    Pour ma modeste part, je porte un grand crédit aux propos de la fille de Raymond Aron et cela non en raison de son hérédité, mais de sa hauteur de vue et ses analyses toujours très argumentées

    Parce qu’évidemment les citoyens qui contestaient la Loi souhaitaient une décision politique : il ne fallait pas que l’âge légal de départ à la retraite passe de 62 ans à 64.

    Mais les décisions du Conseil Constitutionnel sont juridiques et non politiques.

    La décision du Conseil constitutionnel signifie que la Loi qui modifie l’âge légal de départ en retraite de 62 ans à 64 ans n’est pas contraire à la constitution.

    Et, Dominique Schnapper nous apprend qu’il existe un mantra au Conseil constitutionnel, c’est-à-dire une formule sacrée dotée d’un pouvoir spirituel :

    « Il y a un mantra dans la vie quotidienne du Conseil Constitutionnel, c’est une citation de Vedel ou de Badinter […] : C’est une mauvaise Loi, mais elle n’est pas contraire à la constitution ! »

    Les sages ont donc été sage !

    Mais dans l’émission « C Politique de ce dimanche » Thierry Pech, le directeur général de « Terra Nova » a posé cette question :

    « Était-il sage, d’être sage ? »

    Et il explique cette question par ce développement

    « Est-ce que cela nous suffit ?
    Est-ce que lorsqu’on dit d’un texte qu’il est constitutionnel, on peut dire qu’il est démocratique ?
    Ce n’est pas la même chose, et c’est cela mon problème.
    Aucun des articles mobilisés pendant l’élaboration de ce texte n’est contraire à la constitution.
    […] Ils y figurent tous.

    Notre constitution est une armurerie extrêmement riche d’instruments pour brider la liberté du Parlement. Tous ces éléments sont donc constitutionnels.

    Leur accumulation fait-elle un processus démocratique ?

    Ma réponse est franchement non !»

    Et plus tard quand on l’interroge sur ce que devrait dire et faire Macron, il demande au Président de donner du sens à son affiche de campagne : « Avec vous »


    <1743>

  • Jeudi 6 avril 2023

    « Il y a chez lui une arrogance nourrie d’ignorance sociale et de méconnaissance de l’histoire des démocraties. »
    Pierre Rosanvallon parlant de notre Président de la République

    Ce jeudi 6 avril 2023 constitue la 11ème journée nationale de mobilisation, depuis le 19 janvier, contre la réforme des retraites.

    Élisabeth Borne a reçu les organisations syndicales, ce mercredi, dans un dialogue de sourd dans lequel, au bout d’une heure, la partie syndicale a quitté la réunion.

    Tout au long de ces semaines, la cheffe de gouvernement n’a pas négocié avec les représentants sociaux, elle a préféré négocier avec le parti des républicains, pensant cette manière de faire plus efficace. Bref, elle a cherché un compromis politique et non un compromis social. Et, elle a échoué.

    Il semblerait que le Président Macron parie sur un essoufflement du combat syndical : l’inflation, le manque à gagner des jours de grève et la lassitude conduisant à une diminution de la mobilisation. Et, si en outre, parmi les derniers manifestants, la violence se déchaine, rapidement la majorité des français qui aiment l’ordre se détourneront de ce mouvement qui les inquiétera, dès lors.

    Il reste la décision du Conseil Constitutionnel, le Conseil pourrait-il censurer l’intégralité de la Loi ?

    Les constitutionnalistes ne sont pas d’accord.

    <France Inter> avait réuni deux d’entre eux.

    Dominique Rousseau pense qu’une telle censure totale est possible, parce que selon lui :

    « Il y a dans la procédure d’adoption de la loi sur les retraites une accumulation d’outils qui font que personne ne peut contester que le débat a été peu clair et insincère »

    Il s’appuie sur une décision du Conseil Constitutionnel qui exigeait que pour l’adoption d’une loi il fallait qu’il y eut un débat clair et sincère. Or selon lui, les explications avancées par le Gouvernement sur des points précis comme la retraite minimale de 1200 euros ou comme l’utilisation de tous les arcanes de la Constitution pour raccourcir le temps d’examen du texte peuvent conduire à cette sanction.

    L’autre constitutionnaliste, Anne Levade, ne croit pas à cette hypothèse. Pour l’instant, le Conseil constitutionnel n’a censuré intégralement que deux textes un en 1979 et l’autre en 2012.

    Dès lors, s’il n’y a pas censure intégrale et si comme le croit le Président, la contestation sociale s’essoufle, la Loi sera promulguée et entrera en vigueur.

    Cette victoire légale, si elle a lieu, me semble pleine de danger politique.

    Je crois que, dans ce cas, le cœur du corps social français gardera un profond ressentiment de toute cette affaire.

    Les rocardiens et même Michel Rocard avant sa mort ont exprimé beaucoup de soutien à Emmanuel Macron.

    Je crois que ce temps est révolu.

    L’un d’entre eux : l’historien Pierre Rosanvallon exprime dans « Libération » dans un article publié le 3 avril 2023 :

    « Or, le grand problème d’Emmanuel Macron est qu’il n’a qu’une expérience sociale et politique limitée, étant passé directement de l’ombre à l’Elysée. Il y a chez lui une arrogance nourrie d’ignorance sociale et de méconnaissance de l’histoire des démocraties. Il est certain que dans l’optique d’une refonte des institutions, le comportement actuel du chef de l’Etat pose la question de la mise en œuvre constitutionnelle d’autres moyens de résolution des crises qui partent d’en bas. Le référendum d’initiative partagée n’en est qu’une modalité trop modeste. Faute de cela, le temps des révolutions pourrait revenir ou bien ce sera l’accumulation des rancœurs toxiques qui ouvrira la voie au populisme d’extrême droite. »

    Pour Rosanvallon Macron doit faire « demi-tour » sur le recul de l’âge de départ à la retraite. Et il ajoute :

    « Rarement un projet de réforme gouvernemental aura été aussi mal préparé et envisagé sur un mode aussi technocratique et idéologique, alors qu’il y a une discussion complexe et argumentée à mener sur le financement des retraites. Sur le fond, le débat a été escamoté en étant rétréci à la question de l’âge de départ. Cette approche ne prend pas en compte la diversité des situations et des conditions de travail. Le rapport au travail aurait ainsi dû être abordé en préalable à toute discussion sur le financement. La retraite, c’est le rétroviseur de la vie. Cette dimension existentielle n’est pas prise en compte dans le projet actuel. »

    Dans un autre article de Libération publié le même jour, le journal constate que :

    « Alors qu’il avait dans un premier temps séduit les milieux intellectuels, le Président voit de plus en plus d’anciens soutiens s’élever publiquement contre lui. Jusque dans ses relais les plus proches. »

    Et parmi ceux-ci, celui qui a été en quelque sorte son mentor : Jacques Attali qui l’avait présenté à François Hollande en 2010, évènement essentiel dans le parcours exceptionnel de celui qui allait devenir notre jeune président en 2017.

    Jacques Attali écrivait simplement, le 15 mars 2023, toujours dans Libération : « Cette réforme des retraites est mal faite et injuste. » et précisait :

    « Non, reculer l’âge de départ n’est pas la bonne méthode. J’ai toujours été favorable à la retraite à points, un système plus juste et plus équitable. Autrement, on peut se concentrer sur la durée de cotisation. Je ne suis pas du tout favorable au report de l’âge légal de départ à 64 ans, d’autant plus qu’il s’agit d’un âge fictif. Quelqu’un qui a besoin de 43 années de cotisation et qui a commencé à travailler à 25 ans partira à la retraite à 68 ans alors que celui qui a commencé à travailler plus tôt est pénalisé. Avec l’augmentation de l’âge de départ, le gouvernement s’est focalisé sur quelque chose d’absurde… »

    «Reculer l’âge de départ à 65 ans est à la fois injuste et inefficace», observait, toujours dans Libération, quelques mois plus tôt Philippe Aghion, l’économiste qui avait été un des principaux inspirateurs du programme d’Emmanuel Macron en 2017.

    Dans le mot du jour du 24 juin 2022 « Macron ou les illusions perdues. » j’évoquais le livre de son ancien professeur François Dosse, qui avait été celui qui avait présenté le jeune homme à Paul Ricoeur. François Dosse avait été enthousiaste par l’arrivée de Macron à la présidence de la République avant de déchanter.
    Libération précise que François Dosse n’a loupé aucune manifestation contre la réforme des retraites et qu’il a donné cette opinion sur son ancien élève :

    « Sa capacité d’absorption des choses et de maîtrise fait qu’il ne connaît pas la marche arrière, il est toujours sûr d’avoir raison. »

    Devant un tel déluge de critiques, un homme raisonnable devrait s’interroger.

    Mais le Président Macron est il raisonnable ou s’est-il laissé enfermer derrière les murs de l’Élysée dans une prison de certitudes dont la plus dangereuse est qu’il soit le seul à comprendre ce qui est utile et nécessaire à la France et aux français ?

    <1742>

  • Jeudi 30 mars 2023

    « Ils n’ont pas vu un artiste exprimant un avis, mais un fournisseur retardant la livraison de la marchandise à son client. »
    Réflexions personnelles suite à une attitude médiocre d’une partie du public de l’auditorium de Lyon le 17 mars

    Ce jour-là, Annie et moi n’étions pas au concert de l’Auditorium de Lyon.

    C’était le vendredi 17 mars, un jour après la décision du gouvernement d’utiliser l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire adopter la réforme de la retraite par le Parlement.

    François Apap, bassoniste et représentant de l’Orchestre national de Lyon a pris la parole avant le concert pour dire l’opposition des musiciens à cette réforme et en donner les raisons.

    <BFM TV> a mis en ligne une vidéo de ce moment.

    Postérieurement, cette même chaîne a donné la parole au musicien qui s’était exprimé : < On m’a lancé des pièces > :

    « Ça a été très compliqué sur scène, parce que j’ai entendu des insultes « ta gueule », « on n’est pas là pour ça », etc. On m’a lancé des pièces sur scène. Ce soir-là, ça a quand même été très violent. On ne s’y attendait pas. L’orchestre s’est très mal senti après cette scène.

    Pour François Apape, face aux invectives de la foule qui ont duré de longues minutes, les musiciens auraient dû faire le choix de « sortir de scène, attendre 10-15 minutes dehors avant de revenir pour le début du concert. […]

    Un témoin avait rapporté à BFM Lyon que « le public s’était indigné immédiatement, sans savoir de quoi il allait être question, haut et fort. Le discours n’avait même pas commencé qu’on entendait des « remboursés » vindicatifs ».

    Selon la « Lettre du musicien » que « Mediapart » a cité dans <un Article> que Christiane m’a fait parvenir :

    «  À peine les haut-parleurs avaient-ils annoncé qu’une déclaration précéderait le concert, vendredi 17 mars, que des cris ont fusé dans la salle : « On n’est pas là pour ça ! », « Vous nous faites chier ! ». François Apap a poursuivi sa lecture malgré les quolibets : « J’ai vu des regards haineux tandis qu’on me hurlait : « Ferme ta gueule et joue. » On m’a même jeté une pièce sur scène, traité de « chochotte », de « connard »… », raconte le musicien.

    Des applaudissements ont tenté, en vain, de couvrir les huées : « La salle était en quelque sorte coupée en deux », témoigne Antoine Galvani, secrétaire général du Syndicat des artistes musiciens en Rhône-Alpes (Snam-CGT). »

    Il va, sans dire, que si Annie et moi avions été dans la salle nous aurions été du coté des applaudissements. Il y a quelques années, nous avions assisté à un évènement du même type qui avait déclenché un comportement hostile d’une partie public, mais les applaudissements avaient alors couvert les sifflets. Ce ne fut pas le cas, semble t’il, le 17 mars.

    Cet article donne aussi une partie des arguments développés par François Apap :

    « Je sais que la culture de la musique classique passe pour propre et lisse et que, pour certains, elle devrait le rester. Mais nous devons faire face à une forme de pénibilité encore taboue, qui fait beaucoup de dégâts sur les corps, notamment dans le pupitre des cordes. » Le bassoniste évoque, à l’Orchestre national de Lyon, quatre musiciens absents de leur poste depuis plus d’un an, une majorité contrainte de consulter régulièrement des ostéopathes, mais aussi de souscrire à des assurances supplémentaires, une partie des troubles musculosquelettiques n’étant pas suffisamment prise en charge par la Sécurité sociale.« Nous sommes des sportifs de haut niveau. Mon texte, à cet égard, n’était ni belliqueux ni agressif. Il visait seulement à souligner que tenir deux ans de plus, ce n’est pas possible pour certains d’entre nous, d’autant plus dans un contexte de gel des postes, de concerts annulés, et de salaires qui ne chiffrent pas par rapport aux exigences qu’on nous demande. Cette déclaration englobait aussi les intermittents, les femmes, qui souffrent de carrières hachées… »

    L’article montre aussi que cette attitude n’est pas limitée au public de Lyon :

    « Faut-il donc tenir pour exceptionnelles les réactions du public de l’Auditorium de Lyon ? En novembre dernier, les ouvreurs et ouvreuses de la Philharmonie, qui tractaient également pour leurs conditions de travail, recevaient un accueil mitigé, voire hostile de la part des spectateurs et spectatrices : « Parfois, on nous répond : « Ne vous plaignez pas, au moins vous avez du travail » », rapportait amèrement une employée. Tandis qu’à Lille, le 19 janvier, une prise de parole similaire à celle de François Apap, juste avant un concert de l’Orchestre national de Lille, rencontrait le même accueil. »

    Que dire ?

    Il y a donc des personnes probablement aisées, selon mon expérience de l’auditorium, plutôt âgées, probablement déjà à la retraite qui ne tolèrent pas que leur acte de consommation soit interrompu par un avis divergent du leur.

    Parce qu’ils pouvaient ne pas être d’accord avec les propos du musicien, c’était leur droit.

    Mais il leur appartenait d’écouter avec respect et silence un avis qui était contraire à leurs idées.

    Dans quel monde veulent-ils vivre ?

    Dans un monde où il n’existe qu’une opinion, la leur ?

    Zygmunt Bauman décrivait une telle attitude :

    « S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.»

    Ce monde dans lequel ils s’enferment, dans lequel il n’y a plus d’opinions divergentes mais une vérité et des erreurs est un monde triste, stérile, morbide.

    Ce sont non des esprits de culture, ouvert à l’art et aux artistes.

    Quand le musicien a pris la parole, ils n’ont pas vu un artiste exprimant un avis, mais un fournisseur retardant la livraison de la marchandise à son client.

    Ce sont de vils consommateurs.

    Le philosophe allemand, Peter Sloterdijke, disait :

    « La liberté du consommateur et de l’individu moderne, c’est la liberté du cochon devant son auge. »

    Ils n’ont même plus de savoir vivre !

    Moi qui pensais, qu’au moins, les bourgeois avaient toujours comme qualité, la politesse.

    Force est de constater que celles et ceux qui ont hué le musicien, en étaient dépourvus.

    <1741>

     

  • Mercredi 29 mars 2023

    « Nous devrions toujours célébrer les immigrés qui contribuent tellement à notre pays. »
    Humza Yousaf qui vient d’être désigné premier ministre de l’Écosse

    Il se passe quelque chose de l’autre côté de la Manche.

    D’abord en octobre 2022, après l’épisode court et peu glorieux de Liz Truss et celui tonitruant et peu sérieux de Boris Johnson, les conservateurs britanniques ont désigné comme premier ministre Rishi Sunak

    Rishi Sunak est né le 12 mai 1980 à Southampton dans le Hampshire en Angleterre.

    Mais il est le fils de Yashvir Sunak, né au Kenya, alors colonie britannique, et d’Usha Sunak, pharmacienne née au Tanganyika, alors territoire sous mandat britannique.

    Sa famille est originaire du Pendjab et fait partie de la diaspora indienne d’Ouganda, du Kenya et de Tanzanie .

    Celui qui dirige le Royaume-Uni est donc issu de l’immigration indienne.

    Mais en creusant un peu j’ai appris qu’il était pratiquant de l’Hindouisme. Lui-même a souligné que le jour de sa désignation, le lundi 24 octobre, correspondait au jour de la fête traditionnelle de Diwali.

    Le Diwali célèbre la victoire de la lumière sur les ténèbres et est fêté à travers le monde entier par la communauté hindoue.

    En Grande Bretagne, il n’y a pas de constitution écrite. Il est de tradition que les députés prêtent serment sur la bible. Mais, après son élection au Parlement en 2015, Rishi Sunak a prêté serment au Parlement sur la Bhagavad Gita, le livre sacré hindou.

    C’est ce qu’on lit dans cet article du Huffington Post : < La victoire de Rishi Sunak tombe le jour du Diwali, tout un symbole >

    Au nord des iles britanniques, en Écosse, la première ministre depuis 2014, Nicola Sturgeon, a annoncé sa démission le 15 février 2023.

    Ce mardi 28 mars, le parlement local d’Ecosse a désigné pour la remplacer Humza Yousaf qui deviendra aujourd’hui, mercredi, officiellement le premier ministre de l’Écosse.

    Le journal suisse « Le Temps » constate que c’est <la première fois qu’une démocratie occidentale élit un leader musulman> et ajoute

    « A l’annonce de sa victoire à la tête du parti, lundi, Humza Yousaf s’est levé, tout sourire, a donné une accolade aux deux candidates qu’il avait battues, puis s’est tourné vers ses parents, assis derrière lui. Son père, collier de barbe blanche strict, sa mère, foulard musulman sur la tête et une larme à l’œil, débordaient de fierté. Le nouveau leader du Scottish National Party (SNP), le parti indépendantiste écossais, élu avec 52,1% des voix, fait rarement de ses origines un argument politique, mais en ce jour historique, qui doit faire de lui mardi le premier ministre d’Écosse, il a tenu à les souligner. «Je dois remercier mes grands-parents, aujourd’hui décédés, d’avoir émigré du Pendjab (au Pakistan) vers l’Ecosse il y a plus de soixante ans. […] Ils n’auraient jamais imaginé que leur petit-fils serait un jour sur le point de devenir premier ministre.» »

    Sa page Wikipedia nous apprend qu’il est né le 7 avril 1985 à Glasgow.

    Il est le fils d’immigrés de première génération : son père, Muzaffar Yousaf, est né à Mian Channu au Pakistan et à émigré à Glasgow dans les années 1960, pour travailler comme comptable. Son grand-père paternel travaillait dans l’usine de machine de couture Singer à Clydebank dans les années 1960. Sa mère, Shaaista Bhutta, est née au Kenya dans une famille originaire d’Asie du Sud qui a subi de nombreuses attaques car elle était perçue comme prenant le travail aux locaux et qui a émigré plus tard en Écosse pour échapper aux violences anti-indiennes au Kenya.

    C’est donc un écossais issu de l’immigration pakistanaise qui va diriger l’Écosse en tant que chef du Parti National Écossais qui est un parti qui souhaite l’indépendance de l’écosse.

    Jean-Marc Four dans sa chronique du 28 mars : <Un musulman à la tête de l’Ecosse après un hindouiste à la tête du Royaume Uni> a ajouté

    « Et face à lui, en Écosse ; Yousaf aura pour premier opposant le chef du parti travailliste écossais, Anar Sarwar qui, lui aussi, est d’origine pakistanaise ! »

    « L’obs » dans un article <5 choses à savoir sur Humza Yousaf> nous révèle que :

    « Humza Yousaf dit avoir beaucoup souffert de racisme, en particulier après les attentats du 11 septembre 2001. En 2021, avec son épouse, il a porté plainte pour discrimination contre une crèche qui avait refusé d’accueillir leur fille »

    Jean Marc Four cite Humza Yousaf :

    « Nous devrions toujours célébrer les immigrés qui contribuent tellement à notre pays. ».

    Il y a donc au Royaume Uni un homme issu de l’immigration indienne et de religion Hindou qui est premier ministre et en écosse un homme issu de l’immigration pakistanaise et de religion musulmane qui est premier ministre

    Jean-Marc Four a analysé ce constat de la manière suivante :

    « […] c’est très révélateur de la poussée spectaculaire des élus issus de la diversité chez nos voisins britanniques. […]

    L’homme qui incarne désormais l’Écosse est donc musulman, originaire du Pendjab au Pakistan par sa famille paternelle.

    […] Et lorsqu’il est devenu député il y a 12 ans, Yousaf a prêté serment en anglais et en ourdou, l’une des langues du Pakistan.

    […] Un dirigeant musulman, c’est une première dans un pays occidental.

    […] Un phénomène similaire est donc à l’œuvre à Londres, au Parlement britannique.

    Puisque vous le savez, le premier ministre britannique, depuis l’automne, est lui aussi issu de l’immigration.

    Rishi Sunak est hindouiste, il a d’ailleurs prêté serment sur la Baghavad Gita, l’un des textes fondamentaux de cette religion. […]

    Deux de ses principaux ministres sont également enfants d’immigrants: la ministre de l’Intérieur Suella Braverman, originaire de l’île de Maurice et le ministre des affaires étrangères James Cleverly, originaire de Sierra Leone.

    Ajoutons d’autres figures du parti conservateur : Kemi Badenoch, originaire du Nigeria, ou Nadim Zahawi du Pakistan.

    Quant au maire de Londres, c’est le travailliste Sadiq Khan depuis maintenant 7 ans. Origine là encore : Pakistan.

    Ces exemples nombreux disent une évolution majeure de la vie politique britannique : les élus issus de la diversité accèdent désormais aux plus hauts postes.

    Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de racisme en Angleterre ou en Écosse. Il y en a : le nouveau premier ministre écossais raconte que sa fille en a été victime.

    Mais l’ascension sociale des élus de 2ème ou 3ème génération est rapide en politique. Parce que certains partis, comme le parti conservateur, ont imposé des quotas.

    Et aussi parce que la société y est prête. Elle n’a pas de réticence à porter à sa tête un enfant de l’immigration. […]

    En tout cas, le contraste entre la France et le Royaume-Uni, déjà frappant avec l’avènement de Sunak, devient saisissant avec celui de Yousaf : l’équivalent en France, ce serait un président ou un premier ministre issu des immigrations algérienne, marocaine, sénégalaise.

    Déjà qu’un ou une ministre, une Dati, un Ndiaye, une Vallaud Belkacem, c’est rare. Alors un chef de gouvernement n’en parlons pas. »

    Il me semble que nos amis britanniques ont, sur ce point, un peu d’avance sur la France

    <1740>

  • Lundi 27 mars 2023

    « Personne n’a envie d’être un con-vaincu. »
    Thomas d’Ansembourg

    Le climat social devient violent en France, vous ne trouvez pas ?

    Ce dimanche, les mégabassines de Sainte-Solines se sont ajoutées à la réforme des retraites pour donner lieu à des affrontements et des blessés entre des manifestants et des forces de l’ordre.

    J’ai regardé avec intérêt cette vidéo du média « Blast » sur la problématique de cette solution mise en œuvre par des céréaliers, pour pouvoir continuer à produire comme avant la sécheresse, en prélevant,  dans la nappe phréatique, d’immenses masses d’eau dont ils ont besoin pour leur activité.

    La conséquence de cette solution est d’aggraver à terme le problème par un asséchement renforcé des sols et un effondrement accéléré du niveau de la nappe phréatique et bien sûr de diminuer l’eau disponible pour tous les autres utilisateurs. Et parmi ces utilisateurs il y a des humains mais aussi d’autres espèces vivantes qui disparaissent et avec elles la biodiversité.

    <Mégabassines : la guerre est déclarée>

    Mais pour revenir à la réforme des retraites, il faut rappeler quelques éléments chronologiques.

    En utilisant l’argument de la guerre en Ukraine qui monopolisait son temps de réflexion disponible, le président Macron a enjambé l’élection présidentielle.

    Je veux dire qu’il a présenté tardivement un programme minimal et il a refusé tout débat sur ce programme et sur tout autre sujet.

    Si on ne peut plus débattre pendant l’élection présidentielle, quand pourra t’on débattre ?

    Le débat du second tour n’en était pas un. Il s’agissait simplement de montrer que l’autre candidate n’était pas capable d’assurer le rôle. Elle a parfaitement collaboré et joué le rôle qu’on attendait d’elle.

    Dans le programme lilliputien du Président sortant, il y avait quand même une mesure : l’allongement de l’âge de départ à la retraite

    Et c’est ainsi qu’au pas de charge, cette affaire a été menée, en utilisant tous les rouages de la constitution pour que cela aille vite.

    Plutôt que de discuter avec les représentants syndicaux, Emmanuel Macron a demandé à son gouvernement de négocier avec la Droite LR, dont la candidate proposait la même réforme dans son programme.

    Cela n’a pas fonctionné, parmi les députés LR, il en est suffisamment qui détestent tellement Macron qu’ils sont prêts à tout pour l’empêcher.

    L’opposition de la NUPES a aussi joué un rôle délétère, elle n’a pas débattu mais vociféré, elle n’a pas argumenté mais asséné ses croyances et son récit. Elle a réussi à aider Emmanuel Macron à rendre l’Assemblée Nationale encore plus impopulaire.

    Et puis finalement le Président sortant qui est reparti pour un second mandat a pris la parole le 23 mars.

    Il me semble possible de résumer son intervention de la manière suivante :

    « J’ai raison, ma réforme est indispensable. C’est celle qui peut le mieux répondre aux défis qui se présentent à nous. Vous ne l’avez pas bien comprise, je ne l’ai probablement pas bien expliqué. Je vais donc vous en convaincre en vous explicitant mes arguments. »

    Il y a un certain nombre de français qui n’ont pas été satisfaits ni du 49-3, ni de la manière dont Monsieur Macron a tenté de les convaincre qu’il avait raison.

    J’avais déjà évoqué Thomas d’Ansembourg, lors du mot du jour du 10 janvier 2017 : « La paix ça s’apprend »

    Thomas d’Ansembourg est un psychothérapeute belge spécialisé dans la communication non-violente.

    Il organise des séminaires en ligne, mais on trouve facilement des petites interventions pleine de sens sur la communication entre les humains.

    Dans celle-ci, il s’agit <de la communication dans un couple>, mais je pense que ces réflexions sont parfaitement adaptées à notre situation politique :

    « Il y a infiniment plus d’intelligence dans deux cœurs qui essaient de se rapprocher.
    Je dis bien qui essaient parce qu’on n’arrive pas toujours.
    Il y a bien plus d’intelligence dans deux cœurs qui essaient de se rapprocher que dans deux intelligences qui essaient d’avoir raison à coup de gourdin qui est malheureusement quasiment le seul modèle que nous ayons.

    Lorsqu’on regarde la moindre émission télévisée avec ceux qui sont censé nous inspirer comme dirigeants, on voit des collisions d’ego avec des êtres qui veulent avoir raison !
    Et qui ne passent pas leur temps de silence à écouter pour comprendre, mais à préparer leur contre-attaque.
    C’est d’une misère. Une absence de discernement. C’est d’une grande pauvreté.
    Prenez un petit moment d’écoute de vous-même pour aller voir les moments où vous vous retrouvez dans des rapports de force, dans cette prétention à avoir raison, à vouloir con-vaincre l’autre.
    Vous entendez dans ce joli mot que personne n’a envie d’être un con-vaincu ?
    Qu’est ce qui s’active en vous quand quelqu’un veut vous convaincre : La plupart du temps, c’est la fuite : « Fous moi la paix » ou la rébellion : « Arrête d’essayer de me convaincre, c’est moi qui vais te convaincre et on enclenche des rapports de force. »

    Il est beaucoup plus intelligent et sage de passer son temps de silence à tenter de comprendre l’autre que de préparer sa contre-attaque.

    Tous les français ne disent pas à M Macron qu’il ne faut pas une réforme de la retraite, mais beaucoup disent : « pas celle-là et pas avec cette méthode »

    Mais il semble que M Macron ne cherche pas à comprendre et continue dans son idée et tente de faire des français des « con-vaincus ».

    Cette méthode ne fonctionne visiblement pas.

    Thomas d’Ansembourg ajoute :

    « Il est temps de changer de modèle.
    C’est vraiment un enjeu citoyen.
    Et d’arrêter de s’accrocher à une vieille croyance que l’homme est un loup pour l’homme et que la violence est l’expression de la nature humaine.
    Waouh, qu’est ce que nous avons été plombés par ce système de pensée.
    J’ai entendu ça dans le petit cours de psycho que j’ai reçu dans mes études de droit.
    Tout petit cours de psychologie : la violence est l’expression de la nature humaine
    Ça fait 25 ans que j’expérimente le contraire.
    La violence n’est pas l’expression de notre nature.

    La violence est l’expression de la frustration de notre nature, ce qui n’est pas du tout la même chose.
    Si vous êtes aimé, reconnu, trouvez du sens à votre vie, avez une joyeuse appartenance, vous savez comment déployer vos talents et le monde autour de vous vous y encourage : pourquoi seriez-vous violent ?
    Inversement, vous vous sentez pas aimé, vous n’avez pas d’appartenance, vous ne trouvez pas votre place dans la vie, la vie n’a pas de sens à vos yeux, vous ne vous sentez pas compris, vous ne comprenez rien à ce qui se passe, là ça commence à bouillonner !

    D’où l’urgence d’apprendre à bien connaître notre nature, pour qu’elle trouve sa voie, son expansion dans le respect de la nature de l’autre évidemment.
    C’est ainsi que la connaissance de soi est un enjeu de santé publique. »

    Message destiné à des couples, mais les français et leur président peuvent aussi l’entendre avec intérêt, c’est ce que je pense.

    <1739>

  • Lundi 20 mars 2023

    « Peut-être aurait-il fallu commencer par là et assumer clairement qu’aux yeux du pouvoir, cette réforme s’impose uniquement comme un signal adressé aux marchés financiers. »
    Michaël Foessel

    Et Élisabeth Borne dégaina le 49-3, comme jadis John Wayne dégainait son colt.

    Le jeudi 16 mars, Emmanuel Macron a réuni à trois reprises Élisabeth Borne et ses ministres, à quelques heures d’un vote extrêmement incertain à l’Assemblée nationale sur la réforme des retraites. Et finalement, le chef de l’État a décidé. La formule constitutionnelle est « il a autorisé la Première ministre à engager la responsabilité du gouvernement. »

    Le Huffington Post rapporte :

    « Un choix que le chef de l’État a justifié comme suit, comme l’a rapporté un participant à l’ultime conseil des ministres : « Mon intérêt politique et ma volonté politique étaient d’aller au vote. Parmi vous tous, je ne suis pas celui qui risque sa place ou son siège. Mais je considère qu’en l’état, les risques financiers, économiques sont trop grands. » Et le locataire de l’Élysée d’ajouter : « On ne peut pas jouer avec l’avenir du pays. » »

    Qu’est ce qui se cache derrière ces risques financiers et économiques ?

    Tout le monde parle de la réforme des retraites, en se focalisant sur les règles permettant de demander sa retraite et sur les conditions budgétaires de l’équilibre des caisses de retraite.

    Et on parle de justice, d’impossibilité pour de nombreux métiers pénibles de travailler jusqu’à 64 ans, de l’injustice du critère d’âge, de la nécessité prioritaire d’intervenir pour empêcher que le système de retraite s’effondre.

    D’ailleurs, on entend de manière de moins en moins feutrée cette idée géniale de pousser les français vers des systèmes de retraite par capitalisation.

    Dans un tel système on laisserait un système par répartition minimale, correspondant grosso modo à une pension de base ayant pour vocation de permettre la survie de celles et ceux qui la touchent. Pour disposer de quelques éléments de confort, de culture et de loisirs il faudra compter sur un fonds de pension auprès duquel on aura cotisé tout au long de sa vie. La rémunération que le Fonds de pension donnera au retraité dépendra des montants de cotisation qu’il aura versé librement selon l’ampleur de ses moyens, ses goût et possibilités d’épargne.

    • Cette évolution créera une fracture encore plus grande entre les pauvres et les riches.
    • Ce système ne présente pas un caractère d’une grande stabilité, les fonds de pension se trouvant à la merci des crises financières, comme celle qui selon toute probabilité est en train de se développer dans le monde financier et d’assurance.
    • Enfin, selon moi, le plus grave est qu’on met ainsi l’argent des retraites aux mains de fonds spéculatifs dont l’objectif est de faire le plus de gains possibles. Ce qui signifie dans le monde dans lequel nous vivons : faire pression sur les emplois, les salaires et avant de s’intéresser à l’intérêt de la population et à la survie de l’humanité, prioriser la rentabilité financière.

    Ceci me fait penser à cette parole de François Mitterrand qui dans un moment de lucidité socialiste aurait dit :

    « Ils s’en prendront aux retraites, à la santé, à la Sécurité sociale, car ceux, disait-il, qui possèdent beaucoup veulent toujours posséder plus et les assurances privées attendent de faire main basse sur le pactole. Vous vous battrez le dos au mur, avait-il dit à son gouvernement. »

    Il aurait dit cela lors du dernier conseil des ministres de 1993, avant la victoire de la Droite aux élections législatives et la mise en place du gouvernement Balladur.

    « Aurait dit » parce que le compte rendu de ce conseil des ministres n’en fait pas état et que la source de cette information est Ségolène Royal lors d’un discours qu’elle a prononcé en 2011, à Jarnac la ville natale de Mitterrand. Elle a fait précéder cette citation par ces mots :

    « François Mitterrand n’a jamais sous-estimé l’acharnement des intérêts financiers coalisés. Nous sommes plusieurs ici à nous souvenir de ce message prémonitoire qu’il nous adressait lors du dernier Conseil des ministres de 1993. »

    Mais en réalité lorsque Emmanuel Macron parle de risques financiers et économiques, il ne parle pas principalement et peut être même pas du tout de l’équilibre financier des retraites.

    Ainsi Alain Minc, celui qui a popularisé le concept de « cercle de la raison » que finalement Emmanuel Macron a mis en œuvre en imposant « l’extrême centre » qui gouverne et qui a pour seule alternative des forces populistes divisées entre deux extrêmes irréconciliables, donnait ainsi la clé de cette affaire sur <Europe 1, le 21 février 2023>

    « Il y a une chose qui n’est pas dite, que les responsables politiques ne peuvent pas dire dans une France aussi émotive et populiste, qui est que nous avons 3.000 milliards de dette, nous vivons à crédit, nous vivons en payant des taux d’intérêt incroyablement bas, c’est-à-dire très proches de ceux de l’Allemagne. Si, et le monde entier nous regarde, on ne fait pas cette réforme, notre taux d’emprunt augmente par exemple de 1%. Je vais vous faire le calcul, c’est 2 milliards et demi la première année, 5 milliards la deuxième, 7,5 la troisième, 10 la quatrième. C’est vertigineux […] Mais évidemment avec l’atmosphère ambiante, mélenchoniste régnant, l’absurdité vis-à-vis de l’incompréhension économique qui est propre à ce pays, c’est très difficile de dire les marchés nous regardent, cette réforme est un geste extrêmement fort à leurs yeux et nous sommes obligés de la faire parce que nous portons nos 3.000 milliards de dette.[…] il n’est pas facile pour les responsables politiques de dire ce qu’un observateur peut dire en toute ingénuité ».

    Il reprend ces arguments dans un article dans <Sur le site Entreprendre> le 22 février.

    Et, en effet, Emmanuel Macron avait bien, devant les journalistes de l’association de la presse présidentielle, lundi 12 septembre 2022, à Nanterre (Hauts-de-Seine), expliqué qu’il avait besoin d’une réforme dès l’été 2023 afin de financer les trois grands chantiers qu’il s’est fixés en cette rentrée : l’école, la santé et la transition climatique.

    Donc il y a d’un côté celles et ceux qui discutent du bien fondé de la réforme des retraites de manière intrinsèque, en constatant qu’il n’y a pas d’urgence vitale de faire cette réforme pour le financement des retraites. Les arguments échangés depuis que la réforme a été proposée par le gouvernement n’aborde que le sujet sous cet angle : Faut-il faire une réforme des retraites pour sauvegarder les retraites ?

    Alors qu’au fond la préoccupation du gouvernement est tout autre : il faut faire un signe aux marchés financiers pour prouver que la France est en mesure d’économiser de l’argent d’un côté pour pouvoir d’une part faire diminuer sa dette et d’autre part financer d’autres dépenses urgentes.

    Je me souviens de Michel Rocard qui lors d’un discours, regrettait que l’État ait cédé ses instruments d’intervention dans l’économie et notamment la possibilité pour la Banque Centrale d’émettre du crédit au profit de l’État au lieu d’obliger ce dernier d’emprunter aux banques privées…

    Il reconnaissait son erreur de ne pas s’être opposé à cette évolution.

    Et maintenant nos États dépendent des institutions financières privées et des agences de notation.

    Récemment Liz Truss avait été désignée comme premier ministre du Royaume-Uni par le parti conservateur. Elle avait un programme totalement démagogique de diminution des impôts, sans diminution des dépenses. Après la période de deuil d’Elisabeth II qui a coïncidé avec le début de son mandat, elle a annoncé officiellement son programme économique le 23 septembre 2022. Elle ne tiendra pas un mois aux pressions de la sphère financière et des agences de notation et démissionnera le 20 octobre 2022.

    Dans le monde d’aujourd’hui, les États sont obligés d’écouter l’avis de leurs créanciers.

    Michaël Fœssel, dans un article de l’Obs, publié le 18 mars 2023 : « Pourquoi n’ont-ils pas assumé que cette réforme était un signal aux marchés financiers ? », explique :

    « En ce qui concerne les justifications de la réforme, nous avons eu droit à toute la palette des éléments de langage : justice sociale, efficacité, valeur travail, équilibre budgétaire, sauvetage du système par répartition, etc. Jusqu’au comique avec la revendication par Olivier Dussopt de mener une « réforme de gauche »… Logiquement, le moment d’exacerbation de la crise a aussi été celui de la vérité : pour justifier l’usage du 49.3, Emmanuel Macron a évoqué les nécessités financières dans un contexte économique mondial dégradé. Peut-être aurait-il fallu commencer par là et assumer clairement qu’aux yeux du pouvoir, cette réforme s’impose uniquement comme un signal adressé aux marchés financiers après une explosion de la dette due aux dépenses du « quoi qu’il en coûte ».
    Au moins, les choses auraient été claires : la hausse des taux d’intérêt, les marchés qui regardent la France avec suspicion, la crise bancaire qui s’annonce rendraient inévitable le report de l’âge de départ à la retraite. Nous aurions alors peut-être eu droit à un débat intéressant sur la dépendance des politiques publiques à l’égard des marchés financiers. Il est vrai qu’il aurait fallu aussi présenter à l’opinion une balance un peu cruelle : deux années de la vie des gens en échange de deux points décernés par les agences de notation. »

    Il me semble, en effet, que pour qu’une Démocratie puisse fonctionner correctement, il faut poser les bonnes questions et dire les véritables raisons de l’action politique.

    Le fiasco de cette réforme pose bien d’autres questions, mais celle-ci me parait essentiel.

    La question n’est pas simple, en tout cas pas aussi simple que le suggère Michaël Fœssel.

    Dès qu’on s’arrête un peu, on constate que partout on a besoin d’argent public : la transition écologique, la santé, l’éducation nationale, la justice, la défense, la culture partout…

    Bien sûr, de ci de là, il est possible d’obtenir quelques financements supplémentaires et mettre fin à certains gaspillages.

    Mais globalement il faut gérer des priorités : on ne peut pas tout donner à tout le monde. Il faut faire des choix et savoir décider ce qui est prioritaire, ce qui l’est moins.

    J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt l’émission « Esprit Public » de ce dimanche qui a abordé ces questions avec des invités ayant des avis assez différents pour que l’échange puisse être fécond.

    <1738>

  • Lundi 13 mars 2023

    « La femme de Tchaïkovski »
    Film de Kirill Serebrennikov

    Elle s’appelait Antonina Milioukova :

    Le 6 juillet 1877, en l’Eglise Saint George de Moscou, elle devint Madame Tchaïkovski, l’épouse du plus grand compositeur russe de l’Histoire Piotr Ilitch Tchaïkovski.

    Kirill Serebrennikov l’un des grands réalisateurs et metteurs en scène russe, qui vit désormais à Berlin a poursuivi le projet de consacrer un film à cette femme.

    Avec Annie, nous sommes allés voir ce film après avoir entendu le réalisateur invité de Léa Salamé : « Il est absolument impossible que mon film soit montré en Russie »

    C’est un film qui selon nous dégage une grande force.

    C’est un film de malheur, de malaise, d’humiliation et d’entêtement.

    Le malheur provient du fait que ce mariage est un désastre, il ne sera jamais consommé. Après trois mois Tchaïkovski fuit, tombe en dépression et fait même une tentative de suicide. Dans le film Srebrennikov montre une scène dans laquelle Tchaïkovski tente d’étrangler sa femme.

    Le malaise c’est le non-dit, des situations pénibles dans lesquelles va se retrouver Antonina Milioukova, dans un monde d’hommes dans lequel aucune place ne lui est accordée.

    L’humiliation est celle que Tchaikovsky et ses proches lui imposent pour se débarrasser d’elle, pour l’éloigner

    Et l’entêtement est celle de cette femme qui refuse le divorce et veut rester l’épouse de Tchaïkovski.

    Igor Minaev et Olga Mikhaïlova, dans leur livre : « Madame Tchaïkovski : chronique d’une enquête » explique

    « Dans sa notice nécrologique on pouvait lire : «Tchaïkovski est mort célibataire» mais lors des funérailles du compositeur, le 11 octobre 1893, les gens furent pris de stupeur à la lecture de l’inscription sur une des couronnes : «De la part de sa femme aimante».  »

    Le 1er décembre 2016, j’avais écrit un mot du jour : « La symphonie Pathétique » qui est la dernière œuvre du compositeur. Il l’a créé sous sa direction à Saint-Pétersbourg, le 28 octobre 1893 et 9 jours après, il est mort à l’âge de 53 ans.

    Dans ce mot du jour, j’évoquais la thèse défendue par certain, notamment l’écrivaine Nina Berberova, du suicide du compositeur suite à une décision de condamnation à mort par un tribunal d’honneur. Cette thèse est controversée.

    Mais le cœur de tout cela que plus personne ne conteste c’est l’homosexualité de Tchaïkovski.

    Une homosexualité inavouable dans la société de cette époque et pour Tchaïkovski exclusive : il ne supportait pas les attouchements avec un corps féminin.

    Il écrira quelques mois après les noces à son jeune frère Modeste :

    « Je l’avais bien prévenue qu’elle ne pouvait compter que sur un amour fraternel. Physiquement, ma femme m’inspire à présent une répulsion totale »

    Deux ans avant son mariage, en 1876, il avait écrit toujours à Modeste :

    « Je voudrais, par un mariage ou du moins par une liaison déclarée avec une femme, faire taire certaines créatures méprisables. »

    Dans le film, Srebrennikov, montre une Antonina qui poursuit Tchaïkovski avec passion pour lui demander le mariage auquel il finit par céder.

    L’actrice qui joue le rôle d’Antonina est extraordinaire et a pour nom Alyona Mikhailova.

    « Le Masque et la Plume» ont trouvé à une exception près ce film magnifique, mais c’est de manière unanime qu’ils ont reconnu la performance d’Alyona Mikhailova. Et ils ont dénoncé comme une injustice que le dernier festival de Cannes, où ce film était présenté, ne lui ait pas décerné le Prix d’interprétation féminine,
    Tout le monde sait que Tchaikovski était homo-sexuel. Mais le gouvernement russe, comme avant le gouvernement soviétique, comme avant le gouvernement tsariste ne veut pas le reconnaître.

    Lorsque Kirill Serebrennikov présente son projet au ministre russe de la Culture, ce dernier lui répond

    « Tchaïkovski n’était pas homosexuel, vous n’êtes pas autorisé à le laisser penser dans votre film, nous avons besoin d’un film sur Tchaïkovski hétérosexuel ».

    Serebrennikov explique à Léa Salamé :

    « Ce que j’ai trouvé repoussant, c’est cette commande propagandiste : quand on dicte à une équipe de tournage qu’il faut faire comme-ci, ou comme ça, c’est comme si le mensonge devenait une idéologie de propagande ».

    Concernant son film il décrit son projet :

    « Ces deux personnes ont été en vraie dépression, mais Tchaïkovski a réussi à rester un grand compositeur. Antonina, elle, a sombré dans cette folie. […] Il y a là une certaine naïveté, mais aussi un ego passionné, un désir de posséder la personne que vous avez choisie. Ce désir de posséder la rend extrêmement contemporaine […] En miroir de ce personnage qui agit, on voit un Tchaïkovski dur, narcissique, insensible à elle. Il était contre tout ce qui pouvait l’empêcher d’écrire sa musique, il essayait de créer autour de lui les bonnes circonstances pour travailler, il le fait par des efforts qu’on peut interpréter comme étant de l’agression ».

    Dans la réalité Antonina Milioukova finira sa vie dans un Hôpital psychiatrique à Moscou, dans lequel elle décédera le 1er mars 1917, 24 ans après son mari

    Igor Minaev et Olga Mikhaïlova, dans leur livre : « Madame Tchaïkovski : chronique d’une enquête » écriront :

    « En 1917, dans un hôpital psychiatrique de la ville de Saint-Pétersbourg, mourait une mystérieuse patiente. Elle ne figurait pas dans les registres de la clinique sous le nom de Madame Tchaïkovski, veuve du compositeur Piotr Tchaïkovski, mais comme Antonina Miloukova. […] Déjà rejetée de son vivant, elle fut par la suite complètement oubliée par ses contemporains ; la génération actuelle va même jusqu’à douter de son existence. »

    Sur le site <Zone Critique> Kirill Serebrennikov précise :

    « Je souhaitais porter un regard inattendu sur un héros national et intouchable et j’ai décidé, pour ce faire, de suivre les lois générales du biopic (ou film biographique), en considérant les éléments de loin sans porter un regard radical dessus. Se placer à une certaine distance permet d’entrevoir les choses avec du recul et d’embrasser toute la psychologie des personnages, ce qu’il n’est pas possible de faire quand on s’approche trop près, presque face contre face. J’ai adopté cette distance par le truchement d’Antonina, car je voulais adopter le point de vue d’une personne qui ne sait pas ce que nous, nous savons. Elle a son propre regard, vit sa propre expérience, celle d’une personne somme toute classique et banale, en proie à l’impossibilité d’interagir comme il faut avec un génie, ce qu’il représente : un soleil irradiant de talent. Elle n’y parvient pas car, bien que resplendissant, le soleil a aussi ses propres taches et, paradoxalement, ses parts d’ombre. […]
    Je voulais rendre les personnages absolument complexes, c’est pour cela que j’ai décidé de laisser dans leur bouche leurs vraies paroles. Il s’agit presque d’un film documentaire : les lettres sont authentiques, même le comportement des personnages montré à l’écran est extrêmement fidèle à la réalité. Ainsi, ce que dit Antonina des juifs dans son délire antisémite se retrouve mot pour mot dans ses lettres. Ma part d’auteur réside surtout dans la composition que j’ai faite des séquences, en tâchant de respecter le plus possible la réalité. »

    Et puis il parle de la seule photo sur laquelle on voit Monsieur et Madame :

    «  Il n’existe qu’une seule photo où ils apparaissent tous les deux et je l’ai restituée telle quelle dans le film. Elle est très étrange, on ne sait pas pourquoi, sur ce cliché, il nous regarde alors qu’elle-même a son attention portée ailleurs. Dans de nombreuses scènes du film coupées au montage, et d’une durée totale de 40 minutes qui se retrouveront peut-être dans une édition intégrale, j’ai représenté les ateliers dans lesquels Tchaïkovski, ses amis et ses élèves se faisaient photographier. Il y passait beaucoup de temps car les daguerréotypes nécessitaient une certaine application pour ne pas être flous. Tchaïkovski a été un pionnier des photos commerciales ; en raison de sa célébrité, tout le monde souhaitait posséder sa photo chez lui. Il se faisait alors tirer le portrait chez les plus grands artistes, lesquels vendaient les photos avec les partitions. »

    La Russie que le cinéaste montre est très sale, violente et glauque :

    « C’était la réalité du XIXe. Les ordures étaient encore lancées sur la chaussée, comme on le voit dans le film, même si les caniveaux et les canalisations commençaient à faire leur apparition. J’avais envie de montrer la saleté et l’absence du confort auquel on est habitué aujourd’hui. Les personnages ont envie de vivre, aimer, souffrir, servir la musique… Par contraste, ces ambitions s’opposent à ces scènes d’extérieur, tristes, sales et dégradées. Je voulais illustrer le véritable milieu où tous ces gens ont évolué, rêvé, aimé…. »

    Kirill Serebrennikov a été poursuivi par l’appareil judiciaire de Poutine, assigné à résidence, condamné en juin 2020 à de la prison avec sursis, Poutine ne voulait pas en faire un martyr. Il a quitté la Russie pour Berlin peu après le début de la guerre en Ukraine pour vivre à Berlin.

    Chez Léa Salamé il s’est exprimé sur la Russie contemporaine :

    « Le film montre aussi qu’à l’époque, la situation des femmes en Russie était pire que celle des hommes homosexuels, qui bénéficiaient d’une forme de tolérance. Aujourd’hui, il est impossible d’être homosexuel en Russie. Il est absolument impossible de montrer ce film en Russie compte tenu des lois prises ces dernières années: tous les enfants risqueraient de devenir homosexuels si on leur montrait ce film-là ? On va attendre d’autres, une autre époque, quand tout le monde se retrouvera en Russie. Si un jour ce film est montré, ce sera le signe des changements en Russie ». Après Poutine ? « Sans nul doute. »

    C’est un film puissant qu’on n’oublie pas.

    <1737>

  • Mardi 7 mars 2023

    « The Köln Concert »
    Keith Jarrett

    Le jazz n’est pas mon domaine.

    Il ne se trouve pas dans mon univers musical.

    Des amis précieux, Jean-François, Martine, François ont tenté de m’y initier sans succès.

    Au bout de quelques minutes je sentais l’ennui me submerger et même un sentiment de malaise lorsque le blues me communiquait une impression de dépression, bien loin de la vibration réconfortante, du bain régénérateur quand j’écoute Bach, Schubert, Beethoven, Mahler etc..

    Mais j’ai été intrigué par une émission « MAXXI Classique » que j’ai écouté par hasard, le 24 janvier 2023, et qui parlait d’un concert mythique : <The Köln Concert : Keith Jarrett à l’opéra>

    Et puis Adèle Van Reeth, en a également parlé dans son livre « Inconsolable ».

    Alors je me suis décidé à acquérir ce disque et à l’écouter.

    Ce concert a été enregistré à l’Opéra de Cologne il y a 48 ans, le 24 janvier 1975.

    Max Dozolme présente ce concert ainsi :

    « Sol ré do sol la. Cinq notes. Cinq notes et des sourires. Dans la salle, tout le monde reconnait dans ce motif musical la sonnerie annonçant le début de chaque concert donné à l’Opéra de Cologne. Du parterre aux balcons où il ne reste plus aucune place de libre, personne en revanche ne peut imaginer que ces cinq notes vont être le point de départ d’une improvisation qui durera une soirée entière.

    Quand il monte sur la scène de l’opéra, Keith Jarrett n’est pas dans une très grande forme. Cela fait plusieurs jours qu’il enchaîne les concerts et il est épuisé.

    La veille, il était à Lausanne et il n’a pas dormi depuis vingt-quatre heures.
    Une fois arrivé à Cologne, après dix heures de route, il découvre que le piano que l’opéra lui a réservé est un vieux Bösendorfer qui n’a pas été révisé depuis très longtemps et qui sonne, selon l’aveu-même de Jarrett « comme un mauvais clavecin ou un piano dans lequel on aurait mis des punaises. […] Parce que ce piano possède des aigus qui ne lui plaisent pas et une sonorité peu intéressante, le pianiste décide de solliciter au maximum le registre grave et médium du piano. Dans cette grande improvisation structurée, il privilégie également un jeu plutôt rythmique, composé de petits motifs et d’accords aérés. »

    Keith Jarrett envisage de renoncer et de ne pas jouer. Mais la salle est pleine, alors il hésite.

    Le site <Musanostra> prétend que ce concert aurait eu lieu à 23:30 après l’opéra du soir et que les 1400 spectateurs prirent place dans la salle après avoir entendu la sonnerie de rappel.

    Ce même site, rapporte un propos que Keith Jarret a tenu à propos de ce concert :

    « Je n’avais aucune idée de ce que j’allais jouer. Pas de première note, pas de thème. Le vide. J’ai totalement improvisé, du début à la fin, suivant un processus intuitif. Une note engendrait une deuxième note, un accord m’entraînait sur une planète harmonique qui évoluait constamment. Je me déplaçais dans la mélodie, les dynamiques et les univers stylistiques, pas à pas, sans savoir ce qui se passerait dans la seconde suivante ».

    Le producteur du disque qui sera réalisé à partir de ce concert ; Manfred Eicher déclare :

    « Dès les premières mesures, j’ai compris qu’il avait décidé de ne pas se battre contre l’instrument mais de l’accepter tel quel, et que ça allait avoir une influence sur son jeu, et peut-être l’emmener dans des territoires qu’il n’avait pas forcément l’habitude d’explorer. Je n’étais pas dans la salle mais dans le bus qui servait de régie à l’enregistrement, et j’ai tout de suite été saisi par la splendeur mélodique du motif originel, la façon extrêmement virtuose et naturelle avec laquelle il le transformait en vagues lyriques successives, l’art hautement dramaturgique avec lequel il déroulait cette espèce de fil émotionnel tout du long, sans jamais le lâcher. »

    Et Adèle Van Reeth, en fait cette description précise, dans « Inconsolable » pleine d’émotion et de sensibilité :

    « La pédale est bien appuyée, les doigts cherchent et la mélodie, instantanément, se dessine sous les yeux du public. Main gauche, touches effleurées, main droite, une suite de notes très simple et très douce, puis la pédale se relâche et le rythme s’installe, un rythme à contretemps, la mélodie chaloupe, le jazz qui cogne à la porte, discrètement, presque une minute, puis il repart, la mélodie reste en l’air, comme si elle n’allait pas rester, comme si une seconde de silence et elle pouvait disparaître, à chaque note on croit qu’il va s’arrêter, à chaque note on prie pour que ça continue, quelques notes à peine, c’est si fragile et si beau, et c’est ça, exactement ça, l’intraduisible, la mélodie du réel qui se fait devant nous, en direct, d’abord le silence puis ce concert, deux heures d’improvisation totale qui saisissent très exactement ce autour de quoi on tourne en permanence. Lui donne l’impression de tourner en rond mais il y va tout droit, c’est une évidence, des cris dans la voix quand la touche percute au bon moment, le pied qui bat la mesure sur la pédale, c’est une percussion, ça cogne à nouveau, puis presque plus rien, et ça repart, ça ne s’arrête pas, ça gonfle, petit à petit, ça monte, ça monte, qu’est-ce que c’est beau, et soudain ça part, après sept minutes il trouve le thème, le début de la jouissance accompagnée par des cris qui y ressemblent étrangement, et la vie est lancée, la vie est saisie, c’est l’existence qui se joue devant nous, dans nos oreilles, sur scène, et rien ne sera jamais aussi beau, si ce n’est la reprise du thème, quelques minutes plus tard, puis à nouveau, encore et encore, une reprise sans cesse imprévisible et sans cesse implorée, « ne nous laisse pas, semblent murmurer les spectateurs, montre-nous le chemin, toi qui ne parles pas, toi qui n’écris pas, toi qui joues et inventes au creux de l’hiver, en plein mois de janvier, ce que nous avons au plus profond de nous, l’exacte musique de notre cœur inconsolable »

    Max Dozolme conclut :

    « Avec environ quatre millions de ventes à ce jour, le Köln Concert est l’album du label ECM, de Keith Jarret et de piano jazz le plus vendu de tous les temps. Un concert qui a donné lieu à une transcription, une partition écrite et éditée. Mais cet objet ne nous aide pas à percer le mystère du jeu de Jarrett. Aussi précise soit-elle, la partition ne pourra jamais nous aider à comprendre ce qui s’est passé ce soir-là dans la tête de Keith Jarrett. Reste le disque, la photographie la plus fidèle d’une œuvre sans lendemain et immortelle. »

    Après avoir écouté plusieurs fois ce disque, surtout sa première partie, j’ai enchaîné sur la 7ème symphonie de Mahler et je suis retourné dans mon univers. Ce n’est pas, pour moi, la même sensation, pas les mêmes vibrations, ni la même émotion.

    Mais je reconnais que cette expérience d’un artiste fatigué jouant un instrument médiocre et parvenant à partir de 4 notes d’improviser et de créer une œuvre cohérente, foisonnante  et pleine de souffle, relève certainement du génie et conduit à un instant d’éternité.

    <1736>

  • Dimanche 5 mars 2023

    « J’ai horreur de l’imitation et des choses déjà connues. »
    Serge Prokofiev cité par Claude Samuel

    Il y a 70 ans, jeudi le 5 mars 1953, l’immense compositeur né, en 1891, à Sontsivka en Ukraine, Serge Prokofiev meurt, à Moscou. Il avait 61 ans.

    <Diapason Mag> raconte :

    « Ce jour-là, Serge Prokofiev avait repris le manuscrit à peine esquissé de sa Sonate pour piano n° 10. Au début de l’après-midi, son médecin était passé le voir et, malgré une grande fatigue et des troubles de santé qui avaient nécessité au cours des huit dernières années de nombreux séjours à l’hôpital, il avait fait quelques pas dans les rues enneigées de Moscou, accompagné de Mira Mendelssohn, sa seconde épouse. Ils avaient évoqué leur départ pour leur résidence campagnarde de Nicolina Gora. Le printemps, enfin. Pour l’heure, Prokofiev avait un rendez-vous avec les responsables du Bolchoï où son dernier ballet, La Fleur de pierre, avait été mis en répétition cinq jours auparavant. Malaise dans la soirée, le médecin revient avec un traitement d’urgence. Congestion cérébrale fatale à 21 heures. 5 mars 1953 »

    Mais son décès ne sera annoncé par la Pravda que le 11 mars, soit 6 jours après. Un journal américain avait publié la nouvelle le 9 mars.

    Parce qu’il s’était passé autre chose le 5 mars 1953 : la mort d’un monstre sanguinaire et immonde qui avait enfin eu la bonne idée de disparaître de la surface de la terre.

    Staline était le nom de cet individu qui fait partie du top 3 de ce que notre espèce « Homo sapiens » a généré de pire. Mao et Hitler ont été à l’origine d’encore plus de morts.

    « La plus éminente médiocrité du Parti », disait son rival Trotski. Un cas psychiatrique atteint d’« hystérie » et de « folie de la persécution », selon son successeur Nikita Khrouchtchev.

    Ce tyran disait de lui-même « Je ne fais confiance à personne, pas même à moi. »

    Et aussi : « La mort résout tous les problèmes. Plus d’homme, plus de problème ». On lui attribue la paternité de plus de 20 millions de décès prématurés, auxquels il faut ajouter 28 millions de déportations. Il ne niait d’ailleurs pas un penchant pour le sadisme : « Le plus grand plaisir, c’est de choisir son ennemi, préparer son coup, assouvir sa vengeance, puis aller se coucher. » Un général de l’Armée rouge pouvait voir sa femme se faire arrêter, être élevé au grade de maréchal deux jours plus tard et finir fusillé quelques années après…

    <Diapason Mag> évoque le récit que Prokofiev serait mort de joie  :

    « Ce jour-là, des rumeurs avaient couru dans la ville : le camarade Staline était très malade, sinon déjà défunt. On dira plus tard, mais sans preuves, que Prokofiev mourut (de joie) en apprenant par voie radiophonique le décès du dictateur… »

    Selon une autre source auquel j’ai eu accès, la mort de Staline a été annoncé 50 minutes après la mort de Prokofiev.

    Dans ces conditions l’enterrement du compositeur fut évidemment compliqué :

    « Cependant le corps de Prokofiev fut transporté dans la grande salle de l’Union des compositeurs, une opération particulièrement problématique dans une ville parsemée de barrages de police, sillonnée par des camions et des tanks. Quant à l’inhumation au cimetière de Novodievitchi, à proximité des tombes de Scriabine et de Tchekhov, elle fut un peu particulière. Peu de personnes s’étaient déplacées, sinon David Oïstrakh qui interpréta deux extraits de la Sonate pour violon n° 2 du défunt. Et il n’y avait pas la moindre fleur, denrée introuvable en ce jour de deuil national. »

    La vie de cet homme fut une suite de contrariété.

    D’abord il quitta son pays en 1918 pour fuir la guerre civile provoquée par l’arrivée au pouvoir des bolcheviks.

    Ensuite dans son exil, notamment à Paris il fut dans l’ombre de Stravinsky qui triomphait avec les ballets russes davantage que Prokofiev qui écrivait aussi pour la troupe de Diaghilev avec qui il monte « Le Pas d’acier » (1928) et « Le Fils prodigue » (1929).

    Il rencontre les artistes de son temps comme Pablo Picasso et Henri Matisse qui fait de lui un portrait au fusain.

    Selon <Wikipedia> à partir de 1927, Prokofiev supporte de plus en plus mal l’exil et correspond de plus en plus avec ses amis restés en URSS. Il décide d’y faire une tournée dont le succès est tel qu’il fait salle comble pendant plus de deux mois ; il est fêté comme un héros national ayant conquis l’Occident.

    Il envisage alors sérieusement un retour au pays, ce qui lui permettrait de sortir enfin de l’ombre de Stravinsky, d’autant que Diaghilev disparaît de manière totalement inattendue à Venise en 1929.

    Et puis, pour avoir des revenus suffisants que son seul métier de compositeur ne lui donne pas, il est obligé de poursuivre une carrière de pianiste virtuose qui lui donne accès à de nombreux concerts.

    Or Serge Prokofiev veut avant tout être compositeur.

    Cette quête, il la poursuit depuis son enfance.

    Je ne résiste pas à la tentation de raconter cette scène de son enfance relatée par Claude Samuel dans son ouvrage sur Prokofiev :

    « Un jour, raconte Mme Prokofiev [sa mère qui était bonne pianiste] lorsque j’avais fini de jouer, il s’approcha de moi, me tendit un papier et dit Voilà une mazurka de Chopin que j’ai composée, joue-la moi ! Je mis le papier devant moi et je commençai une des mazurkas de Chopin. « Non ce n’est pas ça ! joue la mazurka de Chopin que j’ai composée » Je répondis à cela que je ne pouvais jouer ce qu’il avait fait parce qu’on n’écrivait pas ainsi, mais en le voyant prêt à pleurer, je dus lui montrer les erreurs de sa notation. »

    Et le petit Serge appris vite et continua inlassablement à composer.

    Et il commença même à avoir un peu de succès auprès de compositeurs russes importants et reconnus comme Serge Tanaeiv.

    Cette passion pour la composition il pensa pouvoir l’exercer pleinement en Union soviétique qui lui promettait de l’accueillir confortablement en le laissant composer à sa guise et à son rythme tout en lui versant une pension régulière et sans condition lui permettant d’être compositeur à plein temps.

    C’est en 1936 qu’il devient résident permanent à Moscou. Au départ, la réalité correspond à peu près aux promesses.

    Mais à partir de 1948, le Parti Communiste, Staline et son bras armé culturel Jdanov conçurent qu’il fallait composer des œuvres d’art et notamment la musique selon des normes soviétiques.

    Ce fut l’objet de la Résolution du parti communiste du 10 février 1948.

    J’en ai déjà parlé lors de mots du jour consacrés à Dimitri Chostakovitch.

    Dès lors la vie des compositeurs et des artistes devint un enfer. Interdit de quitter l’Union soviétique, ils risquaient à tout moment de perdre toute capacité à exercer et donc à obtenir des revenus. Bien plus ils étaient menacés d’être envoyés au Goulag, voire d’être exécuté après un procès expéditif.

    David Oïstrakh et Dimitri Chostakovtch ont raconté comment, à cette époque, ils avaient préparé une petite valise pour être prêt, si un matin les sbires de ce régime scélérat venaient les chercher pour les emmener. Probablement que Prokofiev en fit autant.

    Ce fut alors une vie de contrariétés avant une cérémonie de l’Adieu tronquée à cause du « montagnard du Kremlin » comme l’appelait Ossip Mandelstam.

    Prokofiev fut un remarquable compositeur. J’emprunte encore au livre de Claude Samuel cet auto-évaluation du compositeur qui me parait pertinente.

    « Le mérite principal de ma vie a toujours été la recherche de l’originalité de ma propre langue musicale. J’ai horreur de l’imitation et j’ai horreur des choses déjà connues. »

    Il faut bien quelques liens vers des œuvres magistrales :

    D’abord pour admirer la force rythmique de Prokofiev : < <Yuja Wang jouant le Precipitato de la 7ème sonate de piano>

    Son chef d’œuvre symphonique la <5ème symphonie par l’Orchestre de Paris et Paavo Järvi>

    Et son chef d’œuvre absolu, le ballet <Roméo et Juliette par l’Opéra de Paris>

    <1735>

  • Mardi 28 février 2023

    « Un archiviste, c’est quelqu’un qui sait jeter. »
    Benoit Van Reeth

    Benoit van Reeth était archiviste paléographe, élève de la prestigieuse Ecole nationale des Chartes.

    Cette école créée en 1832 a eu pour élève, l’écrivain François Mauriac, les historiens Jean Favier et Régine Pernoud et le philosophe René Girard.

    Dans sa présentation il est précisé que cette école est spécialisée dans la formation aux sciences auxiliaires de l’histoire. En France, c’est l’école incontournable pour accéder au diplôme et au métier d’archiviste paléographe.

    Son établissement principal se trouve 65 rue Richelieu Paris 2ème, à quelques pas de la bibliothèque nationale Richelieu.

    Qu’est-ce qu’un archiviste ?

    Le dictionnaire le Robert donne cette définition : « Spécialiste préposé à la garde, à la conservation des archives. »

    J’aime beaucoup la définition de l’ONISEP qui tente de décrire tous les métiers pour que les jeunes étudiants puissent choisir celui qui leur convient

    « Collecter, étudier, classer, restaurer ou transmettre sur demande tout type de documents (du manuscrit du Moyen Âge, à l’enregistrement vidéo en passant par l’acte notarié), tel est le rôle de l’archiviste. »

    Et un paléographe ?

    Selon Wikipedia : « La paléographie (du grec ancien palaiόs (« ancien »), et graphía (« écriture ») est l’étude des écritures manuscrites anciennes, indépendamment de la langue utilisée (grec ancien, latin classique, latin médiéval, occitan médiéval, ancien français, moyen français, français classique, anciens caractères chinois, arabe, notation musicale, etc.). »

    C’est évidemment le père d’Adèle Van Reeth dont il était question hier.

    Lors de l’entretien mené dans le cadre de < la Librairie Mollat > , à partir de la minute 17, Adèle Van Reeth explique :

    « Mon père était archiviste et nous vivions aux archives. Nous avons vécu dans beaucoup de villes différentes. […] Je me promenais au milieu de tous ces documents. Et je demandais à mon père : c’est quoi être archiviste ?. C’est compliqué. […] Un archiviste c’est pas simplement quelqu’un qui garde des documents pour les rendre accessibles aux historiens et aux chercheurs. […] Il n’y a que certains documents qui peuvent être conservés et pas d’autres. […] Et puis surtout un archiviste, sa mission numéro un c’est conserver et rendre accessible, mais avant cela il faut trier. Et qui dit trier, dit savoir jeter. Et en fait, ce que mon père me répétait souvent et ce qui me fascinait : « Un archiviste, c’est quelqu’un qui sait jeter ». Je pense à mon père à chaque déménagement [quand je veux garder beaucoup de choses] pour pouvoir mieux préserver, il faut savoir jeter. »

    Voilà une réflexion qui me semble particulièrement utile et pertinente et pas seulement dans le cadre d’un déménagement.

    C’est une réflexion qui concerne la vie en général : si on veut bien conserver les choses essentielles, il faut savoir jeter ce qui ne l’est pas.

    Quand Adèle Van Reeth a annoncé la mort de son père, elle l’a illustrée par la photo des archives départementales du Rhône.

    Ce bâtiment se situe à 15 mn à pied de notre domicile.

    Benoit Van Reeth fut le directeur des archives du Rhône de 2003 à 2014.

    Benoît Van Reeth assura la conception et la préparation du déménagement des Archives dans ce nouveau bâtiment inauguré en septembre 2014, à côté de la gare de la Part-Dieu.

    C’est ce que l’on apprend sur ce site des <Archives du Rhône>

    Il finira sa carrière à partir de 2014 à Aix en Provence comme directeur des Archives nationales d’outre-mer.

    <Les actualités du livre> lui ont rendu hommage et raconté tout son parcours au sein des archives de France.

    Le hasard du butinage et de l’écriture du mot du jour, font que celui-ci est publié un 28 février, soit exactement 2 ans après la mort de cet homme du classement, du rangement et de l’Histoire.

    Il nous apprend que si on veut s’attacher à l’essentiel, à ce qui a du prix et de la valeur, il faut savoir se débarrasser du reste.

    <1734>

  • Lundi 27 février 2023

    « Le monde continue mais sans toi, et pour moi ce n’est pas le même monde. »
    Adèle Van Reeth « Inconsolable »

    « J’entre ici en perdante.
    Je sais que les mots ne pourront rien. Je sais qu’ils n’auront aucune action sur mon chagrin.
    Comme le reste de la littérature. Je ne dis pas qu’elle est inutile, je dis qu’elle ne console pas.
    Pourquoi écrire alors ?
    Plus envie de lire. Plus envie de rien.
    Mais les mots, les mots restent, ils dansent, ils percutent, et quand je cloue le bon mot au réel, parfois, je jouis.
    Le goût des mots, quand il s’efface je suis molle.
    Je n’ai pas de grande théorie sur le pouvoir de la littérature ni sur l’utilité de la philosophie.
    Je ne revendique rien.
    Je suis seule.
    Et tout a déjà été dit »

    C’est ainsi que débute « Inconsolable » l’essai qu’Adèle Van Reeth a écrit à la suite de la mort de son père. Il avait 65 ans.

    Mon frère en avait 74.

    Quand on perd un être cher, on dresse l’oreille, on fixe le regard vers celles et ceux qui connaissent la même déchirure et qui s’expriment ou écrivent.

    Adèle Van Reeth est depuis septembre 2022, présidente de France Inter. Je l’avais découverte lorsqu’elle animait les émissions de France Culture d’abord « Les Nouveaux Chemins de la connaissance » qui est devenue « Les Chemins de la philosophie » en 2017.

    Son entrée dans ce livre sur le chagrin, mot qu’elle préfère à deuil, est pessimiste.

    Il semble qu’il n’y a rien à faire et que la consolation est hors d’atteinte.

    Dans < cet entretien avec Pierre Coutelle > dans le cadre des rencontres organisées par la « Librairie Mollat » de Bordeaux, Adèle Van Reeth affirme :

    « La philosophie ou la littérature ne nous apporteront pas la consolation ultime ».

    Je comprends cette expression « consolation ultime » comme un processus qui fait oublier le chagrin et conduit à passer à autre chose.

    Elle ajoute : « Des livres, une œuvre d’art, un animal domestique, de l’alcool peuvent apporter de la consolation, mais pas la consolation ultime »

    Et elle explique :

    « Je pose l’hypothèse que nous sommes depuis la naissance des êtres inconsolables. C’est-à-dire que nous naissons avec une perte, un manque, une fêlure. »

    L’hypothèse qu’elle émet s’appuie, bien sûr, sur la perception de notre finitude. Nous sommes inconsolables parce que nous sommes mortels. Et elle parle de l’expérience de l’état d’« inconsolable » lors de la perte d’un être proche et aimé.

    Elle fustige « les marchands de consolation », remet en cause le bien-fondé de ce qu’on appelle « le travail de deuil » qu’elle assimile à un « manuel à suivre » et conteste les « injonctions à la consolation ».

    « Il y a un temps, un moment juste après la mort de l’être aimé où on peut avoir envie de rester triste […] Il y a un moment où la tristesse paraît être un lien encore vivant avec la personne qui n’est plus. Tant que je suis triste, je maintiens un lien avec cette personne que je ne peux plus toucher, avec qui je ne peux plus parler. […] Le rapport à la tristesse est beaucoup plus intéressant que ce que l’on dit. Il y a une manière de vivre non malgré la tristesse, mais avec la tristesse en allant bien. En retrouvant le goût, l’appétit de la vie, même en décuplant ce gout de la vie, parce que la tristesse nous apporte, nous enseigne quelque chose. Je crois qu’il y a une sagesse de la tristesse. Il me semble que c’est plus intéressant et même plus réconfortant que dire « consolez-vous » et vouloir que la personne sèche ses larmes à tout prix. »

    Mais ce qui m’a le plus marqué dans son témoignage c’est cette phrase qu’elle a écrite dans son essai et qu’elle adresse à son père mort :

    « Le monde continue mais sans toi, et pour moi ce n’est pas le même monde. »

    C’est ce que je ressens profondément, la vie continue, bien sûr, mais ce n’est plus le même monde !

    Et elle a cette autre inspiration :

    « Une absence dit ce qui n’est pas !
    Mais rien n’est plus présent qu’une absence quand il s’agit d’une personne qui vous manque autant. »

    Dans la dernière page du livre Adèle Van Reeth écrit :

    « Mon papa, je voulais te dire que je vais bien […] je vais bien avec la tristesse, si je n’avais pas de tristesse, j’irais bien aussi, mais pas de la même façon. La tristesse sera toujours là, c’est ainsi, mais elle ne m’empêche pas d’aller bien.[…] On m’a dit que pour aller bien il fallait me consoler, il fallait que la tristesse disparaisse, mais il n’en est rien. Je vais bien non pas malgré la tristesse mais avec elle. »

    Dans un duo très intéressant avec la philosophe Vinciane Despret, elles engagent des variations sur ce thème : « aller bien avec la tristesse » dans l’émission de France Culture : « Le book club » : <Écrire la mort>

    Vinciane Despret a aussi écrit un livre : « Les morts à l’œuvre » paru début janvier 2023.

    Dans ce livre, Vinciane Despret raconte cinq histoires de morts pour lesquels les vivants ont commandé une œuvre d’art grâce à un protocole politique et artistique nommé « le programme des Nouveaux Commanditaires ».
    Son livre est une enquête qui se concentre sur ce protocole artistique qui a été mis en œuvre par le photographe François Hertz en se posant simplement la question : « si les États, les banques, les entreprises ont le droit de commander des œuvres d’art, pourquoi les citoyens n’auraient pas le droit ? »

    Bien sûr il faut argumenter et tous n’auront pas gain de cause, mais il est possible à chacun de commander une œuvre d’art.

    Il existe un site des «Nouveaux Commanditaires» et une page expliquant «le protocole» qui se termine par ce paragraphe :

    « Financée par des subventions privées et publiques, l’œuvre devient la propriété d’une collectivité et sa valeur est, non plus marchande, mais celle de l’usage que cette collectivité en fait et de l’importance symbolique qu’elle lui accorde. »

    Dans l’émission en duo avec Adèle van Reeth, Vinciane Despret a cité une élue locale qui à la réception d’une œuvre, créée dans le cadre de ce protocole, a exprimé cette quête :

    « Faire de l’absence, une beauté »

    A la fin, de la fête de ses 70 ans, mon frère Gérard a déballé son violon et joué quelques œuvres dont une « Valse moderato » écrite par notre père qui lui avait dédié ce morceau, alors que tout jeune garçon de 15 ans, il se trouvait seul à Paris, dans une famille d’accueil pour suivre les cours du Conservatoire national supérieur de musique de Paris.

    Vous trouverez si vous le souhaitez une vidéo de ce moment derrière ce lien : <Gérard joue>

    <1733>

  • Mercredi 22 février 2023

    « Historiquement, ce travail de « reproduction sociale », comme j’entends le nommer, a été assigné aux femmes, bien que les hommes s’en soient aussi toujours en partie chargés. Étant à la fois affectif et matériel, souvent non rémunéré, c’est un travail indispensable à la société. »
    Nancy Fraser

    A la lecture du mot du jour d’hier, Annie m’a interpellé en remarquant que je ne disais pas que le travail hors emploi était indispensable à la société.

    C’est exact.

    Mais j’avais déjà écrit un tel mot du jour, le 14 octobre 2016, en faisant référence à une conférence de la philosophe Nancy Fraser : <Les contradictions sociales du capitalisme contemporain>

    <Mot du jour sans numéro>

  • Mardi 21 février 2023

    « C’est durant la période de [non-emploi] que l’on peut encore rêver, à la manière du jeune Marx, d’échapper à la spécialisation, d’être tour à tour chasseur, pêcheur ou lecteur de Platon »
    Raymond Aron « Les désillusions du progrès » page 185

    Dans <le mot du jour du 31 janvier 2023> j’esquissais une explication qui tentait d’approcher ce désir très fort, cet attachement, en France, à une retraite ne venant pas trop tard dans la vie humaine.

    Cette explication parlait non pas de la retraite, mais du travail et de l’insatisfaction actuelle d’un grand nombre par rapport au contenu, au sens et à l’organisation de leur activité professionnelle.

    Je reprenais dans cet article la distinction que faisait le philosophe Bernard Stiegler entre « le travail » et « l’emploi ».

    « L’emploi » étant toujours du travail, mais du travail rémunéré, celui qui permet à « l’employé » de toucher un revenu. Il permet aussi, au niveau macro-économique d’abonder le fameux « PIB » si important pour la foule des économistes traditionnels et des politiques qui exercent le pouvoir.

    Mais l’emploi n’englobe pas tout le travail réalisé dans une société et cela de très loin.

    Quand une assistante maternelle s’occupe d’enfants c’est du travail et un emploi. Quand une mère ou un père font exactement la même chose à l’égard de leurs enfants c’est aussi du travail, mais ce n’est pas de l’emploi.

    Quand un retraité, dans un cadre associatif, aide bénévolement des jeunes scolaires à améliorer leur compréhension de ce qui  leur est demandé, il exerce un travail mais non un emploi.

    Et aussi quand une femme ou un homme, travaillent dans leur jardin pour produire des légumes ou des fleurs, le verbe utilisé, à raison, est sans ambigüité. Mais ce n’est pas un emploi !

    Alors, certes la réforme des retraites que notre Président a brusquement dégainé pendant une campagne présidentielle assez pauvre en proposition, en contradiction formelle avec ce qu’il proposait cinq ans auparavant est très critiquable.

    Mais dans le mot du jour d’aujourd’hui je veux revenir à la problématique de « l’emploi » dans notre société moderne.

    Dans les années 80, il y a 40 ans, j’ai beaucoup lu Raymond Aron. Ce n’était pas une lecture habituelle des gens de gauche dont je me réclamais. Mais il m’attirait parce que lorsque je le lisais, je me sentais plus intelligent, je comprenais mieux ce qui était en train de se passer devant mes yeux, sur la scène internationale, comme dans la société dans laquelle je vivais.

    On ne sait plus très bien qui le premier a eu cette formule :

    « J’aime mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Aron»

    La formule avait été repris, en 1987, dans un essai d’Etienne Barilier, « Les Petits Camarades » qui évoquait les destins parallèles de Sartre et Aron qui avaient été camarades dans la même promotion de l’ENS de la rue d’Ulm entre 1924 et 1928.

    Cet article de « l’Express » de 1995 : <Sartre-Aron: duels au sommet> évoque cette relation à travers un autre essai celui de Jean-François Sirinelli : « Deux Intellectuels dans le siècle. Sartre et Aron » ( Fayard ).

    Pour ma part, j’ai très vite, été attiré davantage par le réalisme de Raymond Aron qui analysait le monde et les individus tels qu’ils étaient et envisageait les chemins permettant d’améliorer la situation en partant du réel, plutôt que Jean-Paul Sartre qui inventait un monde idéal dans sa tête et poursuivait le dessin de tordre la réalité pour essayer de l’amener vers ses idées. La démarche de Sartre était révolutionnaire, les révolutions ont versé beaucoup de sang et abouti à des catastrophes souvent monstrueuses.

    Alors bien sûr, beaucoup de choses ont changé depuis que Raymond Aron analysait le monde :

    • En premier lieu, l’Union soviétique s’est effondrée.
    • La révolution numérique a imposé d’autres organisations.
    • La France s’est largement désindustrialisée.
    • L’économie s’est mondialisée et financiarisée.
    • Les problèmes écologiques et de ressources se sont imposés à nous.

    Mais Raymond Aron avait déjà largement abordé le sujet de la modernité et de ses limites.

    Ainsi, il a publié en 1969, un livre « Les désillusions du progrès » dans lequel, entre autre, il montrait que le progrès n’était pas le même pour tous et qu’il ne signifiait pas forcément des lendemains qui chantent.

    Vous trouverez sur le site « CAIRN » une analyse globale de cet ouvrage par Serge Paugam :  « Relectures de Raymond Aron, Les Désillusions du progrès (1969) »

    Mais c’est un point précis de cet ouvrage qui est resté dans ma mémoire, 40 ans après sa lecture.

    Et en feuilletant le livre, j’ai retrouvé ce constat qui m’avait alors interpellé et qui depuis, au regard de mon expérience professionnelle, me parait totalement pertinent.

    Raymond Aron n’avait pas anticipé la réflexion de Bernard Stiegler et au contraire, il réduisait le concept de « travail » au seul « emploi » :

    « J’ai pris jusqu’à présent le terme de travail ou de métier en un sens neutre et social : ni châtiment divin, ni obligation morale, ni maniement d’outils, ni transformation de la matière, le travail désigne l’activité exercée le plus souvent hors du foyer, en vue d’un salaire ou d’un traitement. Cette définition reflète, me semble-t ‘il, la conception dominante de notre époque. »
    Raymond Aron « Les désillusions du progrès » page 185

    Et il posait cette limite à l’épanouissement du plus grand nombre des individus dans le cadre professionnel :

    « toutes les sociétés, y compris les plus riches, continuent de former les hommes dont elles ont besoin, mais qu’aucune d’entre elles, en dépit des objectifs proclamés, n’a besoin que tous les hommes accomplissent pleinement les virtualités qu’ils portent en eux. Aucune n’a besoin que beaucoup deviennent des personnalités et soient capables de liberté par rapport au milieu. »
    Raymond Aron « Les désillusions du progrès »

    Le monde économique a besoin de personnes qui se spécialisent pour être efficaces et productives :

    « Certes, la spécialisation professionnelle requiert une formation, elle aussi spécialisée, elle oblige chacun à sacrifier certaines aspirations à restreindre son horizon intellectuel : prix à payer mais que l’homme d’aujourd’hui doit payer ».
    Raymond Aron « Les désillusions du progrès »

    Et il en arrive à cette conclusion.

    « C’est durant la période de non-travail que l’on peut encore rêver, à la manière du jeune Marx, d’échapper à la spécialisation, d’être tour à tour chasseur, pêcheur ou lecteur de Platon »
    Raymond Aron « Les désillusions du progrès » page 185

    C’est ce constat que j’ai retenu et retrouvé dans ce livre.

    Je l’ai pris pour exergue de ce mot du jour, mais je me suis permis de l’amender dans le sens de la dichotomie décrite par Bernard Stiegler en remplaçant le mot « travail » par « emploi ». Ce qui correspond exactement à ce que voulait dire Raymond Aron.

    Et bien entendu, la période de la retraite correspond idéalement à cette période de non-emploi permettant de rêver d’être lecteur de Platon ou de mener une autre activité large et épanouissante très loin de la réduction à la spécialisation professionnelle.

    <1732>

  • Lundi 20 février 2023

    « Airglow »
    Lueur d’air, phénomène naturel rare d’origine chimique dans la haute atmosphère

    Au départ il y a une magnifique photo d’un étudiant de 22 ans : Julien Looten.

    La photo prise le 21 janvier 2023 vers 22 heures, est garantie sans trucage. Toutefois pour réaliser ce que l’on voit, il a fallu à ce jeune homme patient et disposant d’une solide connaissance de la technique photographique : réaliser un « grand panorama » d’une quarantaine d’images, cumulant environ une heure d’exposition. Il a ensuite dû les assembler et enfin utiliser un logiciel pour régler la distorsion, la balance des blancs.

    S’il n’y a pas de trucage, il y a au moins beaucoup de technique.

    Julien Looten l’a ensuite publié sur Instagram : < https://www.instagram.com/p/Cn42shuMNLs/> avec ce commentaire :

    « Samedi soir, je me suis rendu au Château de Losse (Dordogne) pour prendre en photo la Voie lactée. Un phénomène exceptionnel s’est produit ce soir-là… un airglow extraordinaire

    Le ciel semble être couvert de « nuages multicolores »… Il ne s’agit pas de couleurs parasites ou de traitements spéciaux. Il s’agit d’un phénomène naturel rare causé par une réaction chimique dans la haute atmosphère, où les rayons du soleil excitent des molécules qui émettent alors une très faible lumière (chimiluminescence).

    Ces « nuages » sont situés entre 100 et 300 km d’altitude. La couleur du phénomène change en fonction de l’altitude. Il peut prendre des formes étranges, comme ici sous forme de « vagues ». Ces nuages semblent émerger du pôle Nord (extrémité droite) et Sud (extrémité gauche).

    Le airglow peut être observé à l’œil nu. C’était le cas ce soir-là, je l’ai même confondu avec du brouillard. En revanche, les couleurs ne sont pas visibles par l’œil humain, qui est bien moins sensible qu’un capteur d’appareil photo.

    L’arche de la Voie lactée est ici, visible dans sa totalité, grâce à un panorama de 180°. À gauche, la constellation d’Orion. Au centre : Mars, les Pléiades et la nébuleuse Californie. À droite : la constellation de Cassiopée et la galaxie d’Andromède »

    Cette photo a été repérée par la Nasa, qui l’a ensuite publiée sur un de ses sites le mercredi 15 février : <Astronomy Picture of the Day>

    Cette étonnante photo prise en Dordogne a ainsi fait le tour du monde

    Pour ma part j’ai découvert cette photo sur le site du journal « La Montagne », quotidien régional de Clermont-Ferrand, : <Repérée par la Nasa>

    Ce journal nous apprend que Julien Looten étudie l’archéologie à Bordeaux et se passionne pour l’astrophotographie, une discipline consistant à immortaliser des objets célestes.

    Il nous apprend aussi que c’est la seconde fois que Julien Looten a été repéré par la NASA. En août, une de ses photos prise au cap du Dramont avait déjà été sélectionnée pour servir de « Picture of the day ».

    C’est aussi une aubaine pour le site touristique du château de Losse.

    « La Montagne », écrit :

    « Le gestionnaire de ce site touristique, Martin de Roquefeuil, se dit « très fier » de voir cette magnifique bâtisse du XVIème siècle ainsi mise en avant. « J’ai énormément de retours. Et notre site Internet, qui est d’habitude plutôt en sommeil à cette époque de l’année puisque nous sommes fermés jusqu’au printemps, a connu un gros pic de fréquentation ces derniers jours. Localement, on m’en parle beaucoup, les gens m’envoient les reportages qui sont faits sur le sujet. » »

    Les journaux se sont fait l’écho de cette photo et de sa destinée :

    « La Voix du Nord » : : <La superbe photo astronomique d’un Nordiste mise à l’honneur par la Nasa !>

    Même « TF1 » en a parlé : <Ce photographe nous en met plein la vue !>

    Et « Ouest France » <Sa photo d’un « airglow » capturée en Dordogne est l’image du jour sélectionnée par la Nasa>

    La plateforme numérique : « Lille Aux Artistes » qui promeut les artistes et la culture des Hauts-de-France dispose d’une page consacrée à cet étudiant artiste : <Julien Looten>

    Il faut savoir que sur le site de la NASA, « Apod » c’est généralement, des images capturées par des télescopes comme James Webb ou Hubble qui sont publiées.

    Un tel voisinage ne peut être que valorisant

    On pourrait dire que la nature est belle.

    Cela est certes vrai.

    Il faut cependant savoir qu’il n’est pas possible de voir ce que montre cette photo, à l’œil nu.

    <1731>

     

  • Mercredi 01 février 2023

    « Jubilación »
    Mot espagnol invitant à l’euphorie

    Ce 1er février 2023 est mon premier jour de retraite.

    C’est un drôle de nom que celui de « retraite ».

    La première définition que j’avais comprise, dans ma jeunesse, de ce mot était sa réalité militaire : « battre en retraite ». Autrement dit fuir devant l’adversaire, abandonner le champ de bataille, abandonner la position.

    Il existait des retraites en bon ordre de généraux ingénieux qui évitaient ainsi une défaite. Mais le plus souvent « retraite » était synonyme de « fuite », « débâcle », « débandade » « déroute ».

    Dans la Lorraine de mon enfance et plus précisément le bassin houiller lorrain, il n’était pas question de « retraité » mais de « pensionné », celui qui touchait une pension.

    C’était assez clair dans mon esprit : un salarié touchait un salaire, un pensionné touchait une pension.

    Dans les cours de religion, on parlait d’une autre retraite, la « retraite spirituelle » pour s’éloigner du tumulte de la vie séculaire et commerçante.

    Quand on se tourne aujourd’hui vers le « Larousse » il est clair que la première définition du mot retraite et la deuxième aussi, correspond à ma réalité d’aujourd’hui.

    « 1. Action de se retirer de la vie active, d’abandonner ses fonctions ; état de quelqu’un qui a cessé ses activités professionnelles : Prendre sa retraite.

    2. Prestation sociale servie à quelqu’un qui a pris sa retraite : Toucher sa retraite. »

    Puis on arrive à la retraite spirituelle et une déclinaison :

    « 3. Période où l’on se tient loin des préoccupations profanes pour se recueillir ; lieu où se déroulent ces exercices.

    4. Lieu où quelqu’un se retire pour vivre dans le calme, la solitude, ou pour se cacher : Un appartement qui a servi de retraite à un fugitif. »

    Il faut arriver au rang 5 pour parler d’une armée en retraite :

    « 5. Marche en arrière d’une armée qui ne peut se maintenir sur ses positions. »

    Et puis il y a des cas spécifiques :

    « Bâtiment

    6. Diminution donnée à l’épaisseur d’un mur, étage par étage, à mesure que l’on s’élève.

    Militaire

    7. Signal (sonnerie de clairon, batterie de tambours) marquant la fin d’une manœuvre ou d’un tir.

    Vénerie

    8. Sonnerie de trompe qui marque la fin de la chasse. »

    Dans « le Robert » l’ordre n’est pas le même on commence par la retraite militaire.

    Mais le juge de paix est le vieux « Littré » dont la première définition est : « Action de se retirer. ». Si vous voulez en savoir davantage voici le lien : https://www.littre.org/definition/retraite

    Si on s’intéresse à l’étymologie du mot retraite on constate qu’il est formé de deux mots :

    • du préfixe re, retour en arrière
    • et du latin trahere, tirer, traîner, tracter

    Et c’est donc le Littré qui commence par expliquer que c’est l’action de se retirer qui semble le plus proche de cette origine.

    Mais comment appelle t’on la « retraite » des salariés dans les autres langues ?

    En anglais, il s’agit toujours de se retirer : « retirement ».

    L’italien semble plutôt utiliser « pensione».

    Alors que l’allemand utilise « Ruhestand » ce qui signifie, en version littérale, Position (stand) de Repos (Ruhe).

    Mais c’est ma belle-sœur Josiane qui m’a appris que l’espagnol utilisait un terme à la consonance. étonnante.

    J’ai quand même voulu vérifier auprès du meilleur traducteur en ligne « DeepL »

    Et pas de doute, l’espagnol utilise bien le mot « Jubilación »

    Alors je suis bien incapable de produire l’exégèse de ce mot en espagnol.

    Toutefois cette langue comme la langue française sont des langues latines.

    Or l’excellent dictionnaire du CNRS nous apprend que « jubilation» vient du latin jubilaciun « chant d’allégresse » (Psautier Oxford, éd. F. Michel, p. 127 [= Psaume 88, 16])

    Et à la fin du XIVème siècle on trouve :

    «  « réjouissance, joie vive » (Roques t. 2, 6319 : iubilacio, cionis jubilacion. c’est chançon joieuse. grant joie). Empr. au lat.jubilatio « cris », lat. chrét. « cris, chants, retentissement d’un instrument de musique (exprimant la louange, la joie, le triomphe; Vulgate, Psaumes 88, 16 et 150, 5) », dér. de jubilare (jubiler*). »

    Il me semble donc qu’il faut bien entendre ce mot comme jubilatoire.

    Si un peu d’Histoire ne peut nuire, il faut rappeler que le système de retraite français est mis en place à la Libération par les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 qui instituent la Sécurité sociale.

    Les pères de cette réforme furent Ambroise Croizat, ministre du Travail de 1945 à 1947 et Pierre Laroque , Haut fonctionnaire.

    J’avais évoqué ces deux visionnaires de l’État social dans un mot du jour de 2016 en mettant en exergue une phrase d’Ambroise Croizat :

    « Mettre définitivement l’homme à l’abri du besoin, en finir avec la souffrance et les angoisses du lendemain »

    Mais il semble que l’ancêtre de tous les régimes de retraite français est « La Caisse des Invalides de la Marine Royale ». Le ministre des Finances de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert, a créé une pension de retraite pour les marins dès 1673.

    Donc finalement, en un mot et en conclusion : Jubilation !

    <1730>

  • Mardi 31 janvier 2023

    « Il y a un conflit très fort et très sourd, entre celles et ceux qui conçoivent le travail des autres sans le faire et celles et ceux qui font le travail sans pouvoir le concevoir. »
    Marie-Anne Dujarier

    Ce 31 janvier, la France va être touchée par un conflit social d’ampleur qui s’élève contre une nouvelle réforme des retraites qui va reculer l’âge minimum permettant de partir à la retraite de 62 ans à 64 ans.

    Les uns, en s’appuyant sur l’exemple des pays voisins qui ont presque tous un âge officiel de retraite supérieur à 64 ans et sur l’allongement de la durée de vie considèrent cette réforme indispensable, voire insuffisante par rapport aux enjeux.

    Les autres qui refusent cette réforme prétendent qu’il n’y a pas urgence à légiférer et que cette réforme est très injuste car elle fait reposer tous les efforts sur une population très ciblée.

    Mais ce n’est pas des retraites que je vais parler aujourd’hui, mais de cette appétence d’un grand nombre de français dont je fais partie, qui aspirent le plus vite possible à la retraite.

    Appétence qui probablement révèlent une relation contrariée avec le travail et plus précisément avec l’emploi.

    Le site Atlantico donne la parole au sociologue du CNRS Philippe d’Iribarne pour évoquer <les deux clés des blocages français à côté desquelles passent les réformes>

    Ces deux clés sont selon cet article :

    • L’emploi des seniors
    • La satisfaction au travail

    L’emploi des seniors est souvent évoqué à propos de cette réforme, parce que les salariés de 55 ans éprouvent beaucoup de difficultés à conserver leur emploi et d’en retrouver un, lorsqu’ils se trouvent au chômage.

    On parle moins de la satisfaction au travail.

    Atlantico cite un ancien ministre d’Emmanuel Macron qui affirme dans l’Opinion, qu’il faudrait dire aux Français : « On a compris que vous n’êtes pas heureux au travail. Et répondre à ce mal-être plutôt que d’encourager la fuite en avant avec la réforme des retraites dans sa version actuelle. »

    Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d’Iribarne est l’auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Son dernier ouvrage, publié en septembre 2022, s’intitule « Le Grand Déclassement »

    Il était aussi l’invité de l’émission des matins de France Culture du Lundi 23 janvier 2023 : <Retraites : la peur du travail sans fin>.

    Guillaume Erner avait également invité Marie-Anne Dujarier sociologue du travail, autrice de « Troubles dans le travail, sociologie d’une catégorie de pensée » (Presses Universitaires de France, 2021).

    Dans cette émission le rapport des Français au travail a été longuement développé. Rapport qui explique probablement notre relation crispée avec l’âge de la retraite.

    Philippe d’Iribarne livre ce qui est, selon lui, la « vision française » du travail : « un homme digne de ce nom, vraiment libre, qui ne dépend de personne, au service de sa propre gloire en quelque sorte. Pour un Allemand, faire une tâche utile, au service de la communauté, suffit. Pour un Français, il faut des conditions exceptionnelles de travail et d’autonomie pour qu’il se sente heureux. »

    Le premier point développé par Marie-Anne Dujarier qui m’a paru très pertinent est la distinction entre « travail » et « emploi » (7:08) :

    « Le travail ne se limite pas à l’emploi. […] Nous avons des usages sociaux du mot travail qui ont varié dans l’Histoire. Et qui continue d’être différent selon qui parle dans la société. Nos institutions et les usages qu’en font l’État : le travail c’est essentiellement l’emploi. Ce qu’on appelle le code du travail, les politiques du travail, les statistiques du travail se référent essentiellement à l’emploi. De même quand les employeurs parlent de travail, ce qui est assez rare, ils parlent essentiellement d’emploi. […]

    Pour celles et ceux qui œuvrent, qui produisent le travail a un tout autre sens puisqu’il peut, en effet, être l’emploi avec toutes les conditions liées à ce terme. C’est-à-dire la rémunération mais aussi les droits, l’accès à un système de solidarité. Mais le travail est aussi une activité qui soit sensée, qui fasse sens, qui produise des choses qu’on juge utile, belle ou simplement pertinente, dans des conditions qui permettent de développer son intelligence, ses pratiques.

    Et tout cela dans des relations sociales de belle qualité. […] Savoir qui travaille et à quel moment est un objet de conflit, un objet de débat politique.

    Est-ce que des tâches domestiques sont du travail ? Est-ce qu’un animal qui produit des choses utiles travaille ? Vous et moi, lorsque nous laissons des traces numériques sur le net qui enrichissent une firme étasunienne, travaillons-nous ?

    Tout cela fait l’objet de décisions collectives et qui sont profondément politiques.»

    Ainsi très concrètement quand j’écris un mot du jour, comme celui d’aujourd’hui est-ce du travail ?

    Je ne crois pas qu’on puisse qualifier cette activité de loisir. Si ce n’est du travail, qu’est ce alors ?

    Ce n’est pas un emploi : je ne suis pas rémunéré, je n’ai pas de droits sociaux, je n’ai pas non plus de contraintes ou d’obligations autres que celles que je me fixe moi-même.

    Cette distinction entre l’« emploi » et le « travail » je l’avais d’abord entendu exprimer par le philosophe Bernard Stiegler qui avait écrit « L’emploi est mort, vive le travail » en 2015.

    J’avais écouté avec beaucoup d’intérêt la présentation de son ouvrage qu’il avait fait lors d’une conférence qu’il avait réalisée à <l’Université Paris Ouest Nanterre> en 2016.

    J’avais le projet d’en faire un mot du jour. Projet que je n’ai jamais réalisé.

    Le philosophe mort en 2020, développait aussi ce concept qui m’a interpellé de « prolétarisation » qu’il définit de la manière suivante :

    « La prolétarisation est, d’une manière générale, ce qui consiste à priver un sujet (producteur, consommateur, concepteur) de ses savoirs (savoir-faire, savoir-vivre, savoir concevoir et théoriser). […] La prolétarisation transforme le travail dans son ensemble en emplois vides de tout savoir et n’appelant que des compétences définissant une « employabilité », c’est-à-dire une « adaptabilité ». Les savoir-faire aussi bien que les savoir-vivre étant passés dans les machines et les systèmes de communication et d’information avec les machines informationnelles qui les transforment en automatismes sans sujet. […] C’est cette prolétarisation qui instaure le salariat, c’est-à-dire l’emploi. [Les employés] deviennent une marchandise substituable sur le marché de l’emploi. »

    Ces idées sont développées dans ce texte publié sur le site des <Rencontres Philosophies Clermontoises>.

    Après cette distinction qui révèle que le travail peut être effectué dans le cadre d’un emploi ou en dehors, la question devient plus précise : Quel est le rapport des français par rapport à l’emploi ?

    Guillaume Erner cite un sondage (18:49) dans lequel il apparait que la fierté d’appartenance à une entreprise diminue et aussi que le rapport au temps et à l’argent s’est inversé. Cette évolution a été observée entre 2008 et 2022. Aujourd’hui les français préfèrent gagner moins d’argent pour avoir plus de temps libre (61%) alors qu’à la même question ils étaient 38% de cet avis en 2008.

    Je note que je fais partie des 61% puisque je renonce à une retraite pleine pour pouvoir me retirer de l’emploi plus rapidement.

    Marie-Anne Dujarier analyse cette réticence devant l’emploi par deux facteurs :

    « En matière d’emploi, nous sommes confrontés aujourd’hui à deux faits sociaux majeurs qui viennent à rendre l’activité dans l’emploi dégoutante ou repoussante :

    Le premier fait c’est ce qu’on appelle l’anthropocène ou capitalocène, on peut lui trouver plusieurs noms. Dans nos modes de production contemporain, plus nous travaillons plus nous polluons, nous réduisons nos chances de subsistance collective. Alors pas mal d’employés et pas seulement des jeunes se disent : à quoi bon se former se subordonner si c’est pour produire des choses moches, nocives, écocides qui enrichissent ceux qui sont déjà démesurément riche. […]

    Le second facteur, ce sont les modes de management contemporain. Dans les entreprises privées capitalistes, l’impatience et la gloutonnerie des actionnaires fait que ce qui compte, c’est uniquement ce qui se compte. Et cette logique financière abstraite fait que les employés ne sont que des ressources. Ils sont amenés à faire des choses pour autre chose : on ne produit pas de la nourriture pour produire de la nourriture, mais pour améliorer un score financier.

    Tout ceci fait douter de l’intérêt de s’engager et de consacrer beaucoup de temps de sa vie à ces projets dont on se met à douter de la finalité et de l’intérêt du point de vue de l’activité. »

    Pour Philippe d’Iribarne :

    « La fierté est une chose très importante en France. On a besoin d’être fier de faire son métier, d’appartenir à son entreprise. La dégradation de la fierté est quelque chose de très grave. […] Un aspect important a été que pendant longtemps les outils pratiques de contrôle du travailleur de base par les superstructures étaient limités. L’individu en prenait et en laissait par rapport aux instructions qu’ils suivaient de manière très lâche. Il y avait une sorte de compromis tacite entre de grande affirmation de contrôle et une pratique de contrôle assez modeste. L’évolution des systèmes informatiques a permis de suivre de manière beaucoup plus étroite et à tout instant les activités de chacun. Chacun est entré dans un système de contrôle et de contrainte de manière beaucoup plus sérieuse qu’auparavant. »

    Concernant le contrôle, on pourrait rétorquer que le travail à la chaîne, le taylorisme constituait un travail très contraint et très contrôlé, bien avant l’arrivée des outils informatiques.

    Mais concernant les activités de service et de cadre, je pense que son analyse est particulièrement exacte.

    Il évoque cependant le cas particulier d’ouvriers qui exercent une vraie activité, c’est-à-dire pour laquelle ils perçoivent immédiatement l’utilité et l’intérêt pour celles et ceux qui bénéficient de leur ouvrage. Ces ouvriers restent fiers et attachés à leur emploi. Dans l’article d’Atlantico cité, il dit :

    « Attention de ne pas généraliser, une partie importante des travailleurs français sont tout à fait satisfaits de leur travail, dont ils ont le sentiment qu’il correspond bien à leurs attentes. »

    Mais le sujet du management semble particulièrement problématique.

    Marie-Anne Dujarier explique :

    « Nous avons un management dans le privé qui a été importé dans le public sous le nom de « nouveau management public » qui […] est une conception de l’activité qui est faite par des gens qui sont assez éloignés de l’activité réelle. Ce qu’on peut appeler le management à distance, avec une méconnaissance de ce Réel assez forte qui induit que de plus en plus de femmes et d’hommes sont contraints de travailler avec des outils, des procédures, mais aussi des objectifs qui ont été conçus par d’autres, et qui orientent leur activité sur des indicateurs. Tout ceci avec des dispositifs pseudos rationnels qui face à la réalité du terrain sont toujours un peu défaillants et tout cela fondé sur un postulat de méfiance qui accroît le contrôle permanent de ces salariés, qui sont mis en concurrence, entre structures, entre pays, mais aussi entre statuts par exemple fonctionnaires et salariés.»

    Et puis elle a ce développement (34 :00) qui me semble essentiel et rencontre mon vécu :

    « Ce qui est intéressant c’est qu’il existe une sorte de guerre civile sur la notion de productivité comme sur celle de qualité. Vu des différents acteurs la notion de qualité ou de productivité n’est pas la même. Vous prenez un travailleur social qui doit recevoir des gens qui sont dans des difficultés multiples etc. Cela demande un entretien fin, pour pouvoir démêler les affaires de cette personne. Évidemment si cet entretien est long, vu du gestionnaire, vu d’en haut, l’entretien dure trop longtemps. Vous voyez bien que la performance n’est pas la même selon qu’on voit de haut ou qu’on le regarde dans le grain fin de l’activité.

    Il y a donc un conflit très fort et très sourd, entre celles et ceux qui conçoivent le travail des autres sans le faire et celles et ceux qui font le travail sans pouvoir le concevoir. »

    J’avais un jour répliqué à un de mes directeurs : « Plus on est placé haut dans la hiérarchie, plus on peut tenir des discours et des théories brillantes et lyriques remplis de contradictions et d’incohérence, mais plus on est près des réalités et du terrain plus ces incohérences sont prégnantes et ne peuvent être mises en œuvre sans surmonter la contradiction en s’éloignant de la théorie. ».

    L’envie de rester dans l’emploi dépend éminemment de la qualité de l’emploi.

    Mon père est parti à la retraite à 71 ans, il était professeur de violon. Il était fier de son emploi qui le rémunérait mais aussi le nourrissait intérieurement.

    <1729>

  • Dimanche 15 janvier 2023

    « Maman »
    Terme affectueux dans le langage de l’enfant et dans celui de l’adulte pour désigner sa propre mère

    Maman est un nom doux, un nom tendre.

    Revienne les souvenirs de l’enfance, on tombait et on se faisait mal, le nom de « Maman » sortait naturellement de la bouche. La tristesse trouvait sa consolation quand Maman prenait son enfant dans les bras.

    Brassens, chanteur iconoclaste qui écrivait le plus souvent des paroles drues et provocantes est devenu tout doux en l’évoquant

    « Maman, maman, je préfère à mes jeux fous
    Maman, maman, demeurer sur tes genoux
    Et, sans un mot dire, entendre tes refrains charmants »

    Le dictionnaire du CNRS donne la définition suivante de « Maman » :

    « [Souvent employer comme appellatif affectueux] Mère, dans le langage de l’enfant et dans celui de l’adulte pour désigner la mère de famille, sa propre mère ou celle qui en tient lieu. »

    Et Jean Pruvost écrit dans le <Figaro> :

    Issu du grec et du latin «mamma» qu’on retrouve dans «mammifère» et «mamelle», s’installe aussi dans notre langue son synonyme très affectueux et somme toute premier dans le langage enfantin: «maman». Attesté par écrit dès 1256, il entre aussi dans nos tout premiers dictionnaires, par exemple en 1680 dans le Dictionnaire françois de Pierre Richelet, avec une orthographe surprenante : m’aman, orthographe qui démarque bien la nature de ce mot, d’abord propre aux enfants.

    On raconte que dans les tranchées de 14-18, les rugueux soldats appelaient « Maman » quand ils étaient gravement blessés ou trop angoissés, comme un enfant qui appelle « Maman » car elle est forcément la solution.

    Après la mort de sa mère Albert Cohen a écrit « Le livre de ma mère » dans lequel il a eu cette phrase :

    « Les fils ne savent pas que leurs mères sont mortelles. »

    C’est pourtant l’expérience de la vie, quand l’ordre des choses est respecté, la mère décède avant ses filles et ses fils.

    Et dans l’immense majorité des cas, ce moment est une déchirure : la perte de l’être humain qui nous a porté et mis au monde.

    Mais avant de devenir Maman, il faut d’abord qu’une précédente Maman la fasse naître.

    Il y a 100 ans : le lundi 15 janvier 1923, une fille est née dans le foyer de Franziska Kordonowski et Vincent Tettling, tous deux de nationalité polonaise.

    35 ans après elle deviendra ma maman.

    A 24 ans elle est devenue Maman en mettant au monde mon frère Gérard. Entre temps, elle deviendra aussi la maman de Roger à 26 ans.

    Son acte de naissance révèle qu’elle est née le 15 janvier 1923 à 10h30 du matin à Essen III.

    Essen est une ville allemande de la Ruhr du Land : Rhénanie-du-Nord-Westphalie.

    Essen est divisée en subdivision administrative et la partie III se situe selon Wikipedia à l’Ouest de la ville.

    L’acte de naissance précise aussi que son père est mineur, c’est-à-dire travaille à la mine.

    Sa mère est née à Warmhof en Pologne le 15 juin 1898.

    Mais en 1898, l’Etat polonais n’existait pas, n’existait plus.

    En 1898, cette ville qui porte aujourd’hui le nom polonais de Ciepłe, était intégrée à l’empire de Russie.

    Selon l’acte, du 1er juillet 1947, de naturalisation française du père, ce dernier est né le 11 janvier 1894 à Osin en Pologne. Pour les mêmes motifs cette ville ne se situait pas en Pologne en 1894, mais aussi dans l’Empire de Russie.

    Je n’ai pas trouvé Osin sur Internet, j’ai trouvé deux villes polonaises d’aujourd’hui qui ont respectivement comme nom Osina et Osiny.

    La Pologne renaît après la guerre 1914-1918, comme le racontait le mot du jour du <15 novembre 2018> et à partir de cet instant mon grand-père et ma grand-mère sont devenus, de plein droit, des citoyens polonais et disposaient d’un passeport polonais.

    L’acte de naissance de ma mère donne une autre précision : l’adresse de ses parents : Gewerkenstraße au numéro 56.

    Cette adresse existe toujours et Google nous permet de la visualiser en aout 2008.

    A cette époque, dans les milieux populaires les femmes accouchaient à leur domicile.

    La seconde guerre mondiale ayant détruit la plus grande partie des villes allemandes, rien ne permet d’affirmer que cette maison est celle où est née ma mère : Anne Tettling, le 15 janvier 1923. Mais c’est en ce lieu, dans la maison qui s’y trouvait à cette date.

    Elle ne restera pas longtemps en Allemagne.

    Immédiatement après la création de l’État de Pologne, une convention franco-polonaise fut signée le 3 septembre 1919 pour favoriser l’arrivée de milliers de Polonais dans le Bassin minier Nord-Pas de Calais. Par suite cette convention s’appliqua pour d’autres bassins d’emplois en France. Mon grand-père qui avait travaillé dans les mines de charbon de la Ruhr jusque-là, va profiter de cette convention pour venir dans cette même année 1923 travailler pour les Houillères du Bassin de Lorraine.

    Il s’installera avec sa famille dans la petite ville de Stiring-Wendel où habitait mon père et sa famille.

    Elle deviendra française par son mariage en 1947.
    Mais auparavant elle va aller à l’école française. Ses parents sont très catholiques et ils ne vont pas l’envoyer à l’école Publique mais dans une institution religieuse : « Le Pensionnat de la Providence de Forbach ». Elle y restera le temps de l’école élémentaire et se verra attribuer le Certificat d’Études Primaires Élémentaires le 18 juin 1935.

    Ce qu’il y a de remarquable c’est que ma mère écrivait sans jamais faire une faute de grammaire. Elle écrivait au même niveau d’excellence, l’allemand sans erreur.

    Elle fut d’ailleurs embauchée comme secrétaire dans l’antenne locale du grand journal régional : « Le républicain Lorrain » C’est de cette époque, il me semble, que date cette photo avec la bicyclette.

    Elle vivait dans un monde populaire un peu rude dirigé par le père de famille.

    Sa maman comme elle, aimaient lire, ce à quoi s’opposait le père ouvrier pour qui il était inconcevable que des femmes perdent du temps à cette activité de loisir, selon lui.

    Peut être craignait-il aussi qu’une femme cultivée ne s’émancipe.

    Je reste persuadé que ma mère aurait pu continuer à faire des études et aspirer à un tout autre destin social.

    Mais cette époque ne le permettait pas, il fallait préparer les femmes à devenir femme au foyer et mère de famille.

    Mais pour ma maman avant que cela n’arrive, il y eut la terrible épreuve de la guerre qui éclata en 1939.

    Pour les nazis, ma région natale n’était pas une terre française occupée, mais une terre germanique retournée dans sa patrie légitime.

    Ma mère fut obligée d’aller travailler dans un grand magasin allemand à Sarrebruck, tout le temps de la guerre.

    Elle vécut cette période très mal et exprima un grand ressentiment à l’égard des allemands très longtemps. Ainsi après la guerre, elle ne retournera, pour la première fois en Allemagne qu’en 1991, 46 ans après la fin de la guerre. Elle habitait à 3 km de la frontière et la grande ville proche de notre maison était Sarrebruck.

    Elle me raconta une histoire de la guerre dans laquelle elle montra son esprit rebelle mais aussi une sorte d’inconscience.

    Un officier allemand l’arrêta un jour et lui demanda son adresse et elle répondit « Rue nationale à Stiring ». Or, dès le début de l’occupation les nazis avaient renommé cette rue qui emmenait tout droit vers l’Allemagne : « Adolf Hitler Strasse ». L’officier lui fit répéter deux fois sa réponse. Et devant l’obstination de ma mère, il lui dit « Fais attention jeune fille, tu pourrais tomber sur un soldat moins compréhensif que moi et tu serais envoyé dans un camp. Moi je me contente de t’avertir car tu me fais penser à ma fille »

    Après la guerre, elle rencontra mon père qui habitait à 250 m de sa maison. Et elle consacra le reste de sa vie et toute son énergie à sa famille.

    Nous étions très modestes, mais jamais nous n’avons manqué de l’essentiel grâce à sa rigueur et son sens de l’organisation mais surtout par un travail immense de tous les instants qui compensait le manque de moyens.

    Elle était l’âme et le moteur du foyer.

    Elle était toujours debout et travaillait.

    Quand la maladie l’a attrapé et qu’elle ne pouvait plus rester debout, elle s’éteignit très vite en quelques mois.

    Pour son mari et ses enfants elle était prête à tout et savait être une tigresse.

    Dans mon enfance et plus encore, dix ans avant pour mes frères ainés, les instituteurs étaient brutaux et frappaient leurs élèves, notamment un qui avait pour nom Beck.

    Un jour il trouva une autre idée : il enferma mon frère ainé dans un placard. Ce fut un traumatisme pour Gérard qui ne rentra pas à la maison mais se cacha derrière l’église. Quand ma mère compris ce qui s’était passé, elle alla voir cet instituteur et lui dit sa façon de penser de manière directe et sévère. Jamais plus ce fameux Beck n’embêta Gérard !

    Je n’aimais pas beaucoup l’école maternelle, je trouvais qu’il y avait trop de bruit. Je fus souvent absent. La maîtresse dit à ma mère que jamais je ne parviendrai à faire d’études et que les lacunes que j’avais accumulées me poursuivront toute ma vie.

    Ma mère la regarda dans les yeux devant moi et lui dit « Vous racontez n’importe quoi, ne vous inquiétez pas pour mon fils »

    Nul ne décrivit mieux sa situation que maître Raynal le professeur de violon de mon frère Gérard au Conservatoire Supérieur de Musique de Paris.

    Lors de la dernière épreuve du conservatoire, à Paris, pour obtenir le premier Prix, Maître Raynal s’est rapproché de mon père et lui a demandé

    « Et votre épouse est-elle là ? »

    Et mon père a répondu par la négative et a dit qu’elle était restée à la maison.

    Maitre Raynal a eu alors ce mot :

    « Ah oui, l’éternelle sacrifiée ! »

    Ce fut longtemps le destin des mères de famille, surtout dans les familles modestes.

    Ma mère fut l’une d’entre elle, parmi les plus absolues dans le dévouement pour sa famille.

    Ce n’était pas juste qu’il en fut ainsi, ce ne peut être un exemple pour aujourd’hui.

    C’était ma maman.

    Elle a tout donné de ce qu’elle pouvait donner, sans compter.

    Elle est née polonaise, en terre d’Allemagne.

    C’était il y a 100 ans.

    <1728>

  • Mardi 10 janvier 2023

    « Ce n’est qu’en entrant dans l’océan […] que la rivière saura qu’il ne s’agit pas de disparaître dans l’océan, mais de devenir océan. »
    Auteur inconnu

    Continuer.

    Continuer à écrire des mots du jour.

    Je vais encore beaucoup parler de la mort.

    Mais, pour moi, parler de la mort, c’est avant tout parler de la vie.

    Parler des vivants qui sont affectés dans leurs sentiments, leur quotidien, leur confort, par l’absence.

    Parler de ce qui reste de vivant, en nous, de ceux qui sont partis.

    Personne n’a su exprimer cela de manière plus lumineuse que Tacite :

    « Le vrai tombeau des morts, c’est le cœur des vivants. »

    Le deuil de mon frère a précipité l’évolution que je souhaitais mettre en œuvre à partir du 1er février 2023.

    Pourquoi le 1er février 2023 ?

    Ce jour-là sera le premier de la dernière période de ma vie, celle de retraité !

    Jusqu’à présent mon ambition a été d’écrire un mot du jour par jour de semaine, en dehors des congés.

    Cette ambition s’est fracassée, d’abord devant le traumatisme de la guerre en Ukraine, ensuite le deuil inattendu de mon frère ainé.

    Le changement s’est donc imposé prématurément avant ce 1er février.

    Je ne suivrai plus la discipline d’écrire un mot du jour, chaque jour. Mais d’en écrire un chaque fois qu’un sujet, un évènement, une pensée me poussera à écrire.

    Ce ne sera plus : « Le mot du jour », mais une « invitation à un mot du jour…»

    Aujourd’hui, je souhaite partager un poème et aussi une explication sur la difficulté, souvent présente, de vérifier les sources des textes que l’on partage.

    Voici d’abord un texte magnifique qui peut se lire à l’heure de la mort, mais aussi à l’heure de beaucoup de moments de la vie, lorsqu’il s’agit de passer d’un monde connu, d’un confort relatif et de quelques certitudes vers l’inconnu et l’incertitude.

    « On dit qu’avant d’entrer dans la mer,
    une rivière tremble de peur.
    Elle regarde en arrière le chemin
    qu’elle a parcouru, depuis les sommets,
    les montagnes, la longue route sinueuse
    qui traverse des forêts et des villages,
    et voit devant elle un océan si vaste
    qu’y pénétrer ne paraît rien d’autre
    que devoir disparaître à jamais.
    Mais il n’y a pas d’autre moyen.
    La rivière ne peut pas revenir en arrière.
    Personne ne peut revenir en arrière.
    Revenir en arrière est impossible dans l’existence.
    La rivière a besoin de prendre le risque
    et d’entrer dans l’océan.
    Ce n’est qu’en entrant dans l’océan
    que la peur disparaîtra,
    parce que c’est alors seulement
    que la rivière saura qu’il ne s’agit pas
    de disparaître dans l’océan,
    mais de devenir océan. »

    Qui est l’auteur de ce texte, qui parle d’une rivière qui ne peut revenir en arrière et qui va s’accomplir en devenant océan ?

    Ce texte a été publié des dizaines de fois sur les réseaux sociaux ou des pages internet, en donnant comme auteur Khalil Gibran.

    Ce poète libanais, inoubliable auteur du livre « Le Prophète » qui a passé la plus grande partie de sa vie aux États-Unis et qui est mort en 1931, à New York, à 48 ans.

    Certains précisaient que ce texte est inclus dans « Le Prophète ».

    Cette affirmation me semblait fausse. Je suis allé m’en assurer en reprenant ce livre.

    Dans un des derniers poèmes, Khalil Gibran parle de la mort et dit :

    « Vous voudriez percer le secret de la mort,
    Mais comment le découvririez-vous si vous ne le pourchassez au cœur même de la vie ? »

    Et un peu plus loin, il évoque la rivière et la mer :

    « Si vraiment vous souhaitez percevoir la nature de la mort, faites que vos cœurs s’ouvrent largement au corps de la vie,
    Parce que la vie et mort ne font qu’un, comme fleuve et océan. »

    Mais pas de texte qui évoque la rivière qui disparait dans l’océan et qui devient océan.

    Mes recherches m’ont conduit à découvrir que la collection « Bouquins » de Robert Laffont avait publié un ouvrage ayant pour titre « Khalil Gibran : Œuvres complètes »

    Je suis allé l’emprunter à la Bibliothèque Municipale de Lyon.

    Et j’ai cherché…

    Mais je n’ai pas trouvé.

    Dans une des œuvres publiées « L’Errant » il existe un texte qui a pour titre « La rivière » (page 767) et qui relate la discussion de deux petits ruisseaux :

    « L’un des ruisseaux s’enquit : « Comment es-tu arrivé là, mon ami et comment était ton chemin ? »

    Ce texte se conclut ainsi :

    « A cet instant, la rivière leur dit d’une voix forte : « Venez, venez, allons vers la mer.
    Venez, venez donc et cessez de discuter. Rejoignez-moi. Nous allons à la mer.
    Venez, venez vous jeter en moi, vous oublierez vos errances qu’elles soient tristes ou joyeuses.

    Venez, venez et vous et moi, nous oublierons tous nos méandres lorsque nous atteindrons le cœur de notre mère, la mer. » »

    Mais la rivière qui tremble de peur avant de se jeter dans l’océan ne se trouve pas dans les 950 pages des œuvres complètes.

    Peut être se trouve t’il ailleurs, dans un ouvrage non publié dans ce bouquin. Restons prudent…

    Mais pour l’instant, rien ne me permet de dire que ce texte est de Khalil Gibran.

    Il est rationnel d’écrire que l’auteur est inconnu.

    Il arrive que des personnes non connues trouve qu’un de leur texte mériterait qu’il soit connu et dès lors tente de le publier en prétendant qu’il a été écrit par un auteur connu.

    J’ai trouvé un site <https://theophilelancien.org/> qui prétend donner la parole à un sage qui s’appelle Theophile l’ancien, sans plus de précisions.

    Sur ce site il y a une page qui a pour titre : « La rivière et l’Océan » dans laquelle on peut lire

    « Quand la rivière se jette dans l’Océan, elle perd son nom. »

    […] Cette métaphore m’inspire. La rivière perd tout naturellement son identité quand elle rejoint l’Océan, et tout se fait en douceur.

    La rivière en amont continue sa vie. Elle jaillit des profondeurs de la terre, puis s’écoule en traversant différents reliefs, contournant ou submergeant les obstacles. Elle reçoit les eaux de la pluie et les eaux des autres petits ruisseaux. Elle bouillonne en cascade, se repose paisiblement dans les lacs et se retrouve parfois même, emprisonnée par un barrage. Elle irrigue toutes les terres qu’elle traverse.

    Plus elle avance vers l’Océan, plus elle s’enrichit de limon nourrissant les terres environnantes […] Le plus difficile, c’est toujours le premier cycle. Une fois que la rivière a perdu son identité en se jetant dans l’Océan, elle devient l’Océan, sa conscience englobe tout l’Océan […]

    La conscience de la rivière est devenue océanique. Elle est à la fois la rivière, l’Océan et les cours d’eau… Elle est l’Eau. »

    L’esprit de ce développement me parait assez proche de celui que je cherchais.

    Je ne sais pas pour autant qui se cache derrière Théophile l’ancien.

    En musique, il a toujours existé des inconnus qui ont prétendu que le morceau qu’ils ont écrit était d’un glorieux ainé.

    Tomaso Albinoni est un compositeur baroque vénitien qui est né en 1671.

    Mis à part quelques mélomanes fouineurs comme moi, il n’est connu qu’à travers une seule œuvre : le célèbre « Adagio d’Albinoni » qui n’a pas été écrit par Albinoni mais par Remo Giazotto qui est décédé en 1998.

    Vous apprendrez cela sur cette page de Radio France : < Le mystère de l’Adagio d’Albinoni >.

    Nous ne savons pas de qui est ce texte.

    Il reste très inspirant :

    « La rivière a besoin de prendre le risque
    et d’entrer dans l’océan.
    Ce n’est qu’en entrant dans l’océan
    que la peur disparaîtra,
    parce que c’est alors seulement
    que la rivière saura qu’il ne s’agit pas
    de disparaître dans l’océan,
    mais de devenir océan. »

    <1727>

  • Vendredi 28 octobre 2022

    « Nous ne nous verrons plus sur terre »
    Guillaume Apollinaire

    L’Adieu

    J’ai cueilli ce brin de bruyère
    L’automne est morte souviens-t’en
    Nous ne nous verrons plus sur terre
    Odeur du temps brin de bruyère
    Et souviens-toi que je t’attends

    Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913

    Gérard Klam, né le jeudi 30 octobre 1947 à Forbach, décédé le lundi 24 octobre 2022 à Nantes

    <1726>

  • Lundi 24 octobre 2022

    « Non rien ne m’est interdit, car je détiens le rêve. »
    Alicia Gallienne

    Depuis longtemps je n’ai plus partagé un poème d’Alicia Gallienne.

    Pour l’instant, il y en a eu 4 :

    • Le 7 février 2020 : « L’autre moitié du songe m’appartient »
    • Le 18 février 2020 : « Dire que je t’aime et je t’attends, c’est encore beaucoup trop de pas assez »
    • Le 18 avril 2020 : « A Mozart je dois une Église un arbre et une île»
    • Le 3 mai 2020 : « Pour aller plus haut »

    Aujourd’hui, les circonstances me poussent à reprendre ce livre plein de mots magiques :

    « Je suis riche de mes heures perdues
    De mes phrases mille fois heurtées à elles-mêmes
    Je suis riche de mes émerveillements
    Et chaque jour je bénis Dieu d’avoir donné
    La vertu de se dépasser et de créer l’impossible
    Pour cerner ses contours
    Avec la délicatesse des doigts amoureux
    Exquise sensation que de pouvoir toucher cet au-delà
    Aux émanations d’interdit

    Non rien ne m’est interdit
    Car je détiens le rêve
    Entre mes mains pleines de ciel
    Car j’ai conquis les oiseaux
    Tout au-dessus de l’eau
    Où je marche la nuit

    Oui tout m’est offert
    Tout est possédé de moi
    Et le plafond de Chagall est plein d’ailes
    De musique et de tentation
    ET c’est un dôme du ciel humain
    Comme une transcription magique
    Et les yeux sont appelés
    A se créer leur unique illusion »
    Page 191 Conclusion du poème « <La mort du Ciel » où elle a écrit en sous-titre (Si j’ai choisi ce titre, c’est bien pour qu’il ne meure jamais.)
    «L’autre moitié du songe m’appartient»
    Alicia Gallienne


    Le plafond de Chagall orne la grande salle de l’Opéra Garnier où mon frère ainé Gérard a œuvré dans l’Orchestre de 1970 à 1985.

    Dans ma famille nous sommes trois frères, Gérard, Roger, et moi qui suis le petit dernier d’une dizaine d’années plus jeune que les deux autres.

    Des trois frères, c’est Gérard qui était le roc, jamais malade, toujours super dynamique.

    Mais il y a quelques semaines une terrible maladie l’a submergé et ces derniers jours son état s’est brusquement détérioré.

    C’est important d’avoir son jardin secret. On dit aussi que les grandes douleurs sont muettes.

    Je crois cependant tout en respectant ces deux préceptes, il est aussi essentiel, tout en restant digne, de faire part des sentiments qui nous touchent et qui nous saisissent.

    Gérard a eu la grâce d’exercer un métier, dont l’objet est de créer la beauté.

    Avec l’Octuor de Paris il a fait le tour du monde.

    Plusieurs disques ont été produits avec cet ensemble en vinyle dans les années 70, mais n’ont jamais été reporté en CD.

    Parmi ces disques il y a l’emblématique Octuor de Schubert qui donne la composition de l’Octuor de Paris : un quatuor à cordes plus une contrebasse avec 3 instruments à vent : un cor, une clarinette et un basson.

    En voici le 3ème mouvement : 

    Allegro Vivace

    Après l’Opéra de Paris , Gérard est parti à Nantes où il est devenu violoniste supersoliste jusqu’à sa retraite.

    Ouest-France l’avait interviewé lors d’une folle journée de Nantes : <Gérard Klam a connu l’âge d’or des orchestres>

    Vous comprendrez donc que le mot du jour est interrompu jusqu’à nouvel ordre.

    <1725>

  • Vendredi 21 octobre 2022

    « Pause (ode à la fatigue) »
    Jour sans mot du jour

    Il y a plus de 4 ans, je consacrais le mot du jour du 4 juin 2018 à un livre d’Eric Fiat «Ode à la fatigue».

    Eric Fiat avait cette belle formule « La fatigue est une caresse du monde ».

    Il disait aussi « [La fatigue] nous révèle de très belles choses sur nous-mêmes, sur les autres et sur le monde. Écouter sa fatigue c’est apprendre l’humilité, le courage et la rêverie. »

    <Mot du jour sans numéro>

  • Jeudi 20 octobre 2022

    « Pause (Se tenir debout ! Sophia Aram) »
    Jour sans mot du jour nouveau

    Je partage la chronique de Sophia Aram de ce lundi 17 octobre, sans commentaire, mais en rappelant le contexte.

    Je rappelle que Samuel Paty a été assassiné et décapité par un fou de Dieu qui se réclamait de l’islam.

    Ce crime a été commis il y a deux ans.

    Son assassin a été enterré en Tchétchénie.

    <La Croix> rapporte qu’après le rapatriement du corps, la télévision tchétchène, dans un reportage, a présenté le terroriste en « jeune craignant Dieu » qui n’était pas agressif mais serait devenu meurtrier à cause d’une « provocation islamophobe ».

    Cette télévision est sous étroit contrôle de Ramzan Kadyrov, le sinistre président de ce pays et executeur des basses besognes de Vladimir Poutine.

    Vous trouverez la chronique de Sophia Aram sur cette page de France Inter : <Se tenir debout>

    Et vous pouvez la voir en <Video>

    « Bonjour à tous, Allah a dit…

    Ça va, je déconne, on se détend… On sait qu’on peut rire de tout… Même si maintenant au fond de nous il y a toujours une petite voix qui rajoute « oui mais… à condition d’être sous protection policière ».

    On a beau jouer les foufous prêts à tout dire, il faut reconnaître que sur le droit d’emmerder Dieu, ça ne s’est toujours pas détendu.

    Pas plus tard que la semaine dernière, le musée mémorial du terrorisme a choisi de ne pas exposer les dessins des élèves participant à l’exposition incluant des caricatures de Charlie Hebdo… Voilà, c’est tout. C’est juste le musée mémorial du terrorisme qui renonce à défendre les principes pour lesquels une partie des victimes de terrorisme en France sont morts. Autant je comprends la volonté de protéger les élèves, autant je me dis qu’il aurait peut-être été plus simple d’anonymiser leurs travaux, plutôt que d’assassiner une deuxième fois Charlie Hebdo.

    Le problème c’est que si tu cumules ceux qui se couchent parce qu’ils ont peur, ceux qui ne veulent pas de vagues et ceux qui prennent les musulmans pour des bébés phoques ça réduit considérablement le nombre de personnes qui restent debout.

    Et c’est quand tout le monde se couche que ceux qui restent debout deviennent des cibles.

    Est-ce que la rédaction de Charlie aurait été décimée si l’ensemble des journaux avaient publié les caricatures du prophète ?

    Samuel Paty aurait-il été assassiné si tout le monde avait défendu l’idée qu’aucune croyance ne saurait interdire la liberté de chacun de la critiquer, de la moquer et de la remettre en cause ? Personne ne le sait, mais j’imagine qu’il y aurait peut-être moins de monde pour mettre dans la tête des croyants que se moquer de leur croyance c’est du blasphème ou de l' »islamophobie ».

    C’est tout ce que ceux qui défendent la liberté d’expression n’ont cessé de dire.

    Avant-hier avec une poignée d’enseignants et d’élèves participant à la remise du premier prix Samuel Paty à la Sorbonne, Mickaëlle Paty, la sœur de Samuel, se tenait debout pour nous rappeler notre devoir de faire front, notre devoir de mémoire, notre devoir de vérité, mais aussi notre devoir de convaincre tous ceux qui doutent qu’enseigner c’est expliquer, et non se taire… Et puisqu’il est encore nécessaire de le rappeler : qu’on ne met pas un « oui mais » après une décapitation.

    Samedi dernier Mickaëlle Paty a rappelé dans un discours -qu’il faut lire, relire et diffuser- que les caricatures sont là pour montrer qu’on peut ne pas être d’accord avec telle personne, telle opinion politique ou religieuse et qu’en défendant ce principe, Samuel Paty donnait à ses élève la possibilité de comprendre que la laïcité permet de croire et de ne pas croire, et, dans les deux cas, « sans pression ».

    Contrairement à ce qui a été dit par quelques irresponsables, il n’y a que deux élèves sur soixante, (trois si l’on compte l’élève absente) … à s’être sentis blessés par le cours de Samuel Paty.

    Alors franchement, chacun est libre d’assouvir ses pulsions misérabilistes ou sa condescendance maladive en leur accordant toute l’attention qu’ils souhaitent, mais il n’est pas acceptable de le faire en sacrifiant nos principes les plus fondamentaux.

    C’est pour cette raison qu’il est plus que temps que chacun comprenne la nécessité de se tenir debout. »


    <Mot du jour sans numéro>

  • Mercredi 19 octobre 2022

     Nous avons changé de monde, nous n’habitons plus sur la même terre. »
    Bruno Latour

    Bruno Latour qui est mort le 9 octobre était devenu un des grands penseurs de l’écologie.

    Aborder ses textes et son œuvre m’a souvent paru très ardu.

    Mais ARTE a produit une série d’entretiens avec le journaliste Nicolas Truong qui me semble très accessible et que j’ai commencée à visionner avec beaucoup d’intérêt.

    Chaque entretien dure environ treize minutes et l’ensemble de ces entretiens se sont tenus en octobre 2021, un an avant son décès..

    Voici la page sur laquelle se trouve l’ensemble de cette série : <Entretien avec Bruno Latour>

    Ces vidéos resteront accessibles jusqu’au 31/12/2024.

    Aujourd’hui, je voudrais partager le premier de ces entretiens : <Nous avons changé de monde>.

    Nicolas Truong le présente ainsi :

    « Vous êtes sociologue et anthropologue des techniques mais vous êtes avant tout profondément philosophe »t

    Et le journaliste l’interroge sur ce constat que Bruno Latour a formulé :

    « Nous avons changé de monde, nous n’habitons plus sur la même terre. »

    Et Bruno Latour explique que nous sommes dans une situation politique, écologique extrêmement dure pour tout le monde et que nous sommes très affectés par ce ressenti.

    « La question est même de savoir ce qu’est le progrès, l’abondance, toutes ces questions qui sont liées à un monde dans lequel nous étions jusqu’à récemment. »

    Quel était donc ce monde ancien :

    « C’était un monde qui était organisé autour du principe que les choses n’avaient pas de puissance d’agir. »

    Et il prend l’exemple de Galilée qui étudie un plan incliné sur lequel des boules de billard roulent et peut en déduire la Loi de la chute des corps encore appelé la Loi de la gravité :

    On était ainsi habitué à décrire le monde avec des choses de ce type.

    Une boule de billard n’a pas de pouvoir d’agir, elle obéit à des lois qui entrainent la manière dont elle se comporte quand elle est placée dans une situation précise.

    Ces lois sont calculables et la Science avec un S majuscule les découvre.

    Et Bruno Latour affirme que les hommes regardaient le monde à travers ces Lois.

    A ce stade, je me permets d’objecter que dans le monde des milliards de gens regardent le monde à travers leurs croyances, leur foi et religion.

    Toutefois pour ceux qui ont déclenché le mouvement du progrès industriel, de l’abondance et de la société de consommation, l’analyse de Bruno Latour me semble pertinente.

    Ce monde est régi par des Lois et a su accueillir la vie et le monde des humains, sur la planète terre.

    Avec mes mots je dirais qu’il oppose la Science objective des Lois physiques, biologiques, chimiques qui constituent l’explication « vraie » du monde à la subjectivité du vivant.

    Il parle pour décrire cette perception du « monde moderne » celui qui est apparu à partir du XVIIème siècle, le siècle des Lumières qui est parvenu à extraire l’explication du monde des récits mythiques et religieux.

    Selon lui c’est l’ancien monde.

    Ce n’est pas que ce monde n’existe pas, n’a pas sa pertinence. Mais selon Bruno Latour ce n’est pas ce qui est essentiel à notre vie et même à notre survie.

    En prenant simplement l’expérience du COVID ou du changement climatique une autre vision du monde apparait :

    « Le monde est fait de vivants. Et on découvre de plus en plus avec les sciences de la terre, l’analyse de la biodiversité que c’est plutôt le monde du vivant qui constitue le fond métaphysique du monde dans lequel on est. »

    Le monde dans lequel nous sommes, dans lequel nous devons « atterrir » :

    « C’est plutôt un monde de virus et de bactéries. Car les virus et les bactéries sont les gros opérateurs qui ont transformés la terre, qui l’ont rendue habitable. Ce sont eux qui ont rendu possible l’atmosphère dans laquelle nous nous trouvons assez à l’aise avec de l’oxygène qui nous permet de respirer. […] cela change la consistance du monde dans lequel on est. Vous êtes dans un monde de vivants qui sont tous en train de muter, de se développer […] »

    Et il rappelle que nous sommes couverts de virus et de bactéries dont la plupart nous sont très bénéfiques. C’est un monde d’échange entre vivants, dans lequel nous devons trouver notre place et dans lequel nous ne savons pas immédiatement si le virus qui interagit avec nous est un ami ou un ennemi.

    Ce changement de la perception du monde a conduit aussi les scientifiques à étudier le « microbiote humain » sans lequel, il ne nous serait pas possible de vivre. Cette vision qui montre notre dépendance à l’égard des autres vivants :

    « Les sciences de la terre d’aujourd’hui, on peut parler d’une nouvelle révolution scientifique, montrent que les conditions d’existence dans lesquelles nous nous trouvons, les conditions atmosphériques, les conditions d’alimentation, de température, sont elles mêmes, le produit involontaires de ces vivants »

    On étudie aussi les champignons, les lichens, l’extraordinaire résilience et coopération des arbres.

    Si on prend simplement le sujet du gaz qui nous est indispensable pour vivre : l’oxygène. Ce gaz est produit par d’autres espèces vivantes qui absorbent en partie le gaz carbonique que nous rejetons.

    Et ce qui se passe c’est que nous avons créé une civilisation technologique qui surproduit plus que le monde des vivants est capable d’absorber et qui détruit aussi une partie de ce monde qui nous est indispensable.

    C’est la prise de conscience de notre dépendance à l’égard des autres espèces vivantes qui est le paradigme de ce changement de monde.

    Mais il reste des gens qui continuent à s’attacher à la perception ancienne :

    « Un monde d’objet calculable et surtout appropriable par un système de production qui nous apporte l’abondance et le confort.»

    C’est ainsi que Bruno Latour présente la prise de conscience écologique.

    Il reste optimiste dans cet entretien que je vous invite à regarder : <Nous avons changé de monde>.

    Pour compléter ce propos, vous pouvez écouter cette <chronique> que vient de me signaler Daniel que je remercie et qui tente de démontrer notre lien irréfragable avec le monde vivant de la terre. Il s’agit de la chronique « Le Pourquoi du comment : science » d’Étienne Klein du lundi 17 octobre et qui est diffusé sur France Culture, chaque jour à 16:52.

    <1724>

  • Mardi 18 octobre 2022

    « Pause (Où atterrir ? Bruno Latour) »
    Jour sans mot du jour nouveau

    Plusieurs mots du jour ont été consacrés à Bruno Latour qui vient de décéder le 9 octobre 2022. :

    Le premier fut celui du <8 février 2019> dans lequel je reprenais cette question vertigineuse qu’il posait : Où atterrir ?

    Et en effet, s’il n’existe pas de planète, de terre, de sol, de territoire pour y loger le Globe de la globalisation vers lequel tous les pays prétendent se diriger, pour vivre tous comme des américains, il s’agit d’atterrir. C’est-à-dire prendre en compte les contraintes et les ressources dont on dispose.
    <Mot du jour sans numéro>

  • Lundi 17 octobre 2022

    « La nature, ça n’existe pas. »
    Philippe Descola

    Philippe Descola est un anthropologue, disciple de Claude Levi Strauss. Il est né en 1949.

    Je l’avais évoqué lors du confinement en renvoyant vers une page de Radio France. C’était le mot du jour du <22 avril 2020>:

    Il a été l’invité du Grand Face à Face du samedi 15 octobre 2022, interrogé par Ali Baddou, Natacha Polony et Gilles Finchelstein.

    C’était en raison de son actualité : il vient de publier un livre avec Alessandro Pignocchi : « Ethnographies des mondes à venir » paru le 23/09/2022.

    Seuil présente cet ouvrage ainsi :

    « Au cours d’une conversation très libre, Alessandro Pignocchi, auteur de BD écologiste, invite Philippe Descola, professeur au Collège de France, à refaire le monde. Si l’on veut enrayer la catastrophe écologique en cours, il va falloir, nous dit-on, changer de fond en comble nos relations à la nature, aux milieux de vie ou encore aux vivants non-humains. Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Dans quels projets de société cette nécessaire transformation peut-elle s’inscrire ? Et quels sont les leviers d’action pour la faire advenir ? En puisant son inspiration dans les données anthropologiques, les luttes territoriales et les combats autochtones, ce livre esquisse la perspective d’une société hybride qui verrait s’articuler des structures étatiques et des territoires autonomes dans un foisonnement hétérogène de modes d’organisation sociale, de manières d’habiter et de cohabiter.

    Des planches de BD, en contrepoint de ce dialogue vif, nous tendent un miroir drôlissime de notre société malade en convoquant un anthropologue jivaro, des mésanges punks ou des hommes politiques nomades et anthropophages en quête de métamorphoses. »

    J’ai trouvé cet entretien très intéressant et j’ai d’ailleurs tenté d’acheter le livre dans ma librairie habituelle, mais elle avait vendu tous les exemplaires disponibles.

    Cet entretien vous pouvez l’écouter en version audio, à partir de la 24ème minute : <Le Grand Face à face>

    Ou en version vidéo à partir de la 27ème minute : <Le Grand Face à Face>

    Il avait également été invité par « La tête au carré » du 4 octobre de Matthieu Vidard. Dans cette émission il était accompagné d’Alessandro Pignocchi.

    Jeune étudiant, dans les années 1970, il était parti au fin fond de l’Amazonie, entre l’Équateur et le Pérou, à la découverte du peuple des « Achuars ». Il y a passé trois ans en immersion puis y a fait plusieurs séjours.

    Dans l’émission, il revient plusieurs fois sur cette expérience et surtout sur l’évolution de sa conception des relations entre les humains et les non humains.

    L’anthropologue avait déjà développé ces idées et donné les mêmes exemples dans une interview du 1er février 2020 à « REPORTERRE » : <Philippe Descola : « La nature, ça n’existe pas.»>

    Je dois dire quelques mots sur ce site et son fondateur qui est aussi l’interviewer de Philippe Descola.

    Ce site « REPORTERRE » a été créé en 2007 par le journaliste du « Monde » Hervé Kempf et a pour sous-titre « Le quotidien de l’Ecologie ».

    Ce site en ligne est en accès libre, sans publicité et il est financé par les dons de ses lecteurs

    Hervé Kempf avait quitté le quotidien Le Monde en 2013, estimant que ce journal ne prenait pas assez en compte les défis écologiques. Il s’était notamment vu opposé un refus répété de la direction du journal de le laisser réaliser des reportages sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

    Il s’agit d’un très long article, le site estime à 25 minutes le temps de lecture.

    Dans cet article il explique pourquoi il considère que la nature n’existe pas :

    «  « La nature a-t-elle une conscience ? » : cela renvoie à des interprétations romantiques parce que la nature est une abstraction.
    La nature, je n’ai cessé de le montrer au fil des trente dernières années : la nature, cela n’existe pas.
    La nature est un concept, une abstraction. C’est une façon d’établir une distance entre les humains et les non- humains qui est née par une série de processus, de décantations successives de la rencontre de la philosophie grecque et de la transcendance des monothéismes, et qui a pris sa forme définitive avec la révolution scientifique.
    La nature est un dispositif métaphysique, que l’Occident et les Européens ont inventé pour mettre en avant la distanciation des humains vis-à-vis du monde, un monde qui devenait alors un système de ressources, un domaine à explorer dont on essaye de comprendre les lois. »

    Et il me semble très intéressant de savoir que le mot « nature » est un mot quasi exclusivement utilisé par les européens dans leurs langues :

    « Non seulement les Achuars n’ont pas de terme pour désigner la nature, mais c’est un terme quasiment introuvable ailleurs que dans les langues européennes, y compris dans les grandes civilisations japonaise et chinoise. »

    C’est donc une invention européenne : l’idée que l’homme est un animal à part et qu’il dispose pour son bien-être et son plaisir d’un environnement qu’il peut utiliser à sa guise. Cet environnement, l’européen l’appelle la nature comprenant les autres animaux, les végétaux et aussi les minéraux. :

    « Ce n’est pas une invention d’ailleurs -,cela s’est fait petit à petit. C’est une attention à des détails du monde qui a été amplifiée. Et cette attention a pour résultat que les dimensions physiques caractérisent les continuités. Effectivement les humains sont des animaux. Tandis que les dimensions morales et cognitives caractérisent les discontinuités : les humains sont réputés être des êtres tout à fait différents du reste des êtres organisés, en particulier du fait qu’ils ont la réflexivité. C’est quelque chose qui a été très bien thématisé au XVIIe siècle, avec le cogito cartésien : « Je pense donc je suis. » Je suis capable réflexivement de m’appréhender comme un être pensant. Et, en cela je suis complètement différent des autres existants. »

    Descartes qui écrit aussi sans son « Discours de la méthode » de se rendre maîtres et possesseurs de la nature :

    « Et qu’au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. »
    Descartes, Discours de la Méthode

    Mais les religions « du Livre » l’avait précédé et ont joué dans cette dérive un rôle essentiel :

    « Dieu les bénit et leur dit : Reproduisez-vous, devenez nombreux, remplissez la terre et soumettez-la ! Dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se déplace sur la terre ! »
    Genèse 1.28

    Et c’est ainsi que la culture occidentale s’est construite en séparant radicalement l’Homme, de la Nature.

    Et Descola revient sur les raisons de son intérêt pour les Achuars :

    « Pourquoi l’Amazonie m’intéressait-elle ? Parce qu’il y a dans les descriptions que l’on donne des rapports que les Indiens des basses terres d’Amérique du Sud entretiennent avec la forêt, une constante qu’on dénote dès les premiers chroniqueurs du XVIe siècle : d’une part, ces gens là n’ont pas d’existence sociale, ils sont ‘sans foi, ni loi sans roi’ comme on disait à l’époque. C’est-à-dire ils n’ont pas de religion, pas de temple, pas de ville, pas même de village quelquefois. Et en même temps, disait-on, ils sont suradaptés à la nature. J’emploie un terme moderne, mais l’idée est bien celle-là : ils seraient des sortes de prolongements de la nature. Buffon parlait au XVIIIe siècle « d’automates impuissants », d’« animaux du second rang », des termes dépréciatifs qui soulignaient cet aspect de suradaptation. Le naturaliste Humbold disait ainsi des Indiens Warao du delta de l’Orénoque qu’ils étaient comme des abeilles qui butinent le palmier –- en l’occurrence, un palmier Morisia fructosa, dont on extrait une fécule. Et donc ils vivraient de cela comme des insectes butineurs. »

    Mais Philippe Descola en tire une tout autre conclusion :

    « Les Achuars mettent l’accent – et d’autres peuples dans le monde – sur une continuité des intériorités, sur le fait qu’on peut déceler des intentions chez des non-humains qui permettent de les ranger avec les humains sur le plan moral et cognitif.

    Et il raconte une expérience qu’il a cité aussi dans l’émission de France Inter plus succinctement :

    « J’ai été en Amazonie avec l’idée que peut-être, s’ils n’avaient pas d’institutions sociales immédiatement visibles c’était parce qu’ils avaient étendu les limites de la société au-delà du monde des humains. […]

    Nous avons commencé à comprendre ce qui se passait lorsque nous avons discuté avec les gens de l’interprétation qu’ils donnaient à leurs rêves. C’est une société — on le retrouve dans bien des régions du monde — où, avant le lever du jour, les gens se réunissent autour du feu, il fait un peu frais, et où l’on discute des rêves de la nuit pour décider des choses que l’on va faire dans la journée. Une sorte « d’oniromancie. »

    L’oniromancie, c’est-à-dire l’interprétation des rêves. Il y avait des rêves étranges, dans lesquels des non-humains, des animaux, des plantes se présentaient sous forme humaine au rêveur pour déclarer des choses, des messages, des informations, se plaindre. Là, j’étais un peu perdu, parce qu’autant l’oniromancie est quelque chose de classique, autant l’idée qu’un singe ou qu’un plant de manioc va venir sous forme humaine pendant la nuit déclarer quelque chose au rêveur était inattendue. […]

    C’était donc une femme qui racontait son rêve et disait qu’une jeune femme était venue la voir pendant la nuit. L’idée du rêve est simple et classique dans de nombreuses cultures : l’âme se débarrasse des contraintes corporelles, et entretient des rapports avec d’autres âmes qui sont également libérées des contraintes corporelles et s’expriment dans une langue universelle. Celle-ci permet donc de franchir les barrières de la communication qui rendent difficile pour une femme de parler à un plant de manioc.

    Donc, la jeune femme venue la visiter lui avait dit : « Voilà, tu as cherché à m’empoisonner » « Comment ? Pourquoi ? » Et elle répondait : « Parce que tu m’as plantée très près d’une plante toxique ». Celle-ci est le barbasco, une plante utilisée dans la région pour modifier la tension superficielle de l’eau et priver les poissons d’oxygène. Elle n’a pas d’effet sur la rivière à long terme mais elle asphyxie les poissons, et c’est d’ailleurs une plante qu’on utilise pour se suicider. La jeune femme disait : « Tu m’as planté tout près de cette plante. Et, tu as cherché à m’empoisonner. » Pourquoi disait-elle cela ? Parce qu’elle apparaissait sous une forme humaine, parce que les plantes et les animaux se voient comme des humains. Et lorsqu’ils viennent nous parler, ils adoptent une forme humaine pour communiquer avec nous. »

    Et quand Hervé Kempff le relance en envisageant que la femme avait l’intuition d’avoir mal agi et que son rêve est une conséquence de cette intuition : :

    « Je ne sais pas. On peut supposer qu’en effet, elle avait soupçonné qu’elle avait planté ses plants de manioc trop près de ses plants de barbasco. Et que c’est apparu sous la forme d’un rêve. En tout cas, ce genre de rêve met la puce à l’oreille puisque les non-humains y paraissent comme des sujets analogues aux humains, en mesure de communiquer avec eux. »

    Je ne peux pas citer tout ce long article que vous pouvez aller lire.

    A une question d’Hervé Kempff il répond qu’il rêve aussi mais pas comme les achuars car :

    « On ne devient pas animiste comme ça. »

    En conclusion il dit comme son grand ami Bruno Latour qui vient de mourir :

    « [Il faut] Inventer des formes alternatives d’habiter la Terre, des formes alternatives de s’organiser entre humains et d’entretenir des relations avec les non-humains. Je reprends la formule de Gramsci, « le pessimisme de la lucidité et l’optimisme de la volonté ». Moi, je dirais « le pessimisme du scientifique et l’optimisme de la volonté »

    Je redonne les différents liens :

    <1723>

  • Jeudi 13 octobre 2022

    « Pause »
    Jour sans mot du jour

    Le mot du jour reviendra lundi 17 octobre 2022

    <Mot du jour sans numéro>

  • Mercredi 12 octobre 2022

    « Négocier avec le diable. »
    Pierre Hazan

    Pierre Hazan, est suisse, il a été un temps journaliste puis s’est tourné vers le rôle de médiateur sur des lieux de conflits et de guerre. Il a été présent sur la guerre en Yougoslavie, au Rwanda, au Soudan et sur de nombreux autres lieux où les humains s’affrontaient et se massacraient.

    Aujourd’hui il est conseiller senior auprès du Centre pour le Dialogue Humanitaire dont le siège est à Genève et qui est l’une des principales organisations actives dans la médiation des conflits armés. Il a conseillé des organisations internationales, des gouvernements et des groupes armés sur notamment les questions de justice, d’amnistie, de réparations, de commissions vérité, de disparations forcées et de droit pénal international et de droits de l’homme.

    Pierre Hazan a aussi travaillé au Haut-Commissariat de l’ONU pour les droits de l’homme et a collaboré avec les Nations unies dans les Balkans.

    Parallèlement, en juin 2015, Pierre Hazan a fondé justiceinfo.net, un média de la Fondation Hirondelle, dédié à la gestion des violences politiques dans les sociétés en transition. Il fut aussi commissaire de l’exposition Guerre et Paix (octobre 2019-mars 2020) qui s’est tenue à la Fondation Martin Bodmer organisée en partenariat avec les Nations unies et le Comité international de la Croix-Rouge.

    C’est ce qu’on apprend sur le site qui lui est consacré : https://pierrehazan.com/biographie/

    Il est invité sur beaucoup de plateaux de media et fait l’objet d’entretien dans les journaux, à cause du conflit d’agression de la Russie à l’égard de l’Ukraine et aussi parce qu’il vient de faire paraître en septembre 2022, un livre qui a pour titre : « Négocier avec le diable, la médiation dans les conflits armés  »

    C’est un homme de terrain, ce qu’il dit ne vient pas d’une réflexion conceptuelle mais de son expérience.

    Pour ma part je l’ai écouté avec beaucoup d’attention et d’intérêt sur le site Internet « Thinkerview » que j’ai évoqué plusieurs fois et que j’apprécie particulièrement parce qu’il ne se centre que sur l’invité et le laisse s’exprimer pour aller au bout de ses idées.

    Cela a bien sûr pour conséquence que l’émission dure un peu plus longtemps. Dans ce cas particulier 1h37 : <Faut-il accepter de négocier avec le diable ?>

    Pierre Hazan souligne que nous vivons dans un monde toujours plus chaotique dans lequel l’Occident n’est plus hégémonique. Il parle aussi des dérives de la « guerre contre le terrorisme » à la suite des attentats du 11 septembre.

    Avec beaucoup de prudence, de doute, il parle de la nécessité, malgré tout, de la médiation, même avec son pire ennemi.

    Il donne comme exemple la médiation qui a permis à l’Ukraine de recommencer à exporter des céréales, cen qui a eu pour conséquence de sauver des gens de la famine et de permettre à l’Ukraine d’obtenir des ressources.

    La négociation a permis aussi d’échanger des prisonniers russes et ukrainiens.

    Il a rapporté que même avec Daech il a été possible de négocier, notamment pour faire passer de l’aide humanitaire pour secourir des populations en grande difficulté.

    <Le Monde> présente son livre ainsi :

    « Peut-on parler avec des groupes terroristes au risque de les légitimer ? Tenter d’arrêter un carnage peut-il justifier de discuter avec des régimes criminels ? A partir de quand la négociation devient-elle un alibi à la non-action ? Ce sont les éternels dilemmes de la médiation dans la quête de la paix ; souvent, le choix n’est pas entre le bien et le mal mais entre le mauvais et le pire. « Depuis longtemps, j’ai abandonné le confort de l’éthique de conviction, ce luxe d’être cohérent avec soi-même, pour assumer l’éthique de responsabilité », écrit Pierre Hazan, évoquant « une éthique de la responsabilité tournée vers l’efficacité qui encourage le compromis et le pragmatisme, selon les aléas de l’action et au nom de la finalité recherchée. »

    Il montre que si on se bloque sur une vision qui prétend n’accepter aucun compromis et avoir pour seul but d’éradiquer « le mal », on refusera tout dialogue avec des auteurs de crimes de guerre et des organisations « terroristes » Et dans ce cas ce sont les populations qui paient le prix de cette impossibilité de médiation.

    L’enjeu d’une médiation n’est pas de choisir ses interlocuteurs, mais de déterminer si le dialogue ou la négociation peut soulager des populations en souffrance.

    Il évoque aussi Cicéron et la désastreuse affaire de Libye dans laquelle les anglais et les français aidés des américains vont outrepasser le mandat de l’ONU, ce que Poutine et les chinois ne pardonneront jamais aux occidentaux.

    Il revient aussi sur ces deux points dans un entretien avec Pascal Boniface <4 questions à Pierre Hazan>

    D’abord Cicéron :

    « Cicéron parlait des pirates comme « les ennemis du genre humain ». À toutes les périodes, il y a eu la tentation d’isoler, voire d’éradiquer ceux qui représentent le mal. Dans l’après-guerre froide, après le génocide au Rwanda (1994) et les massacres de Srebrenica (1995), la figure du mal a été représentée par les criminels de guerre. Après les attentats du 11 septembre 2001, ce furent « les terroristes ». Le fait est que la lutte antiterroriste a montré ses limites, et les États-Unis ont signé un accord de paix avec les talibans après 20 ans de guerre et d’innombrables morts. Le traité de paix en Bosnie-Herzégovine a été possible parce qu’à cette époque, le chef de l’État serbe n’était pas encore inculpé. La justice doit passer. Mais elle doit être articulée avec la recherche de la paix. »

    Ensuite la Libye :

    « Le moment de bascule, c’est le moment où symboliquement se termine la Pax Americana avec l’intervention en Libye en 2011. L’intervention de l’OTAN en Libye a été justifiée par une résolution des Nations unies au nom de « la responsabilité de protéger » les populations civiles. La Russie et la Chine avaient accepté à l’époque de s’abstenir. Elles ont eu le sentiment d’avoir été trompées, puisque l’intervention occidentale s’est soldée par un changement de régime (chute de Mouammar Kadhafi). À partir de ce moment-là, alors que la révolte commence en Syrie et que la répression sera impitoyablement sanglante, la Russie va s’opposer à toute intervention de la justice pénale internationale, de la responsabilité de protéger, des mécanismes des droits de l’homme en Syrie, jugeant que ce sont des instruments contrôlés par les Occidentaux. »

    Et il parle aussi de la limite de la Justice Internationale, la Cour pénale internationale, n’ayant pour l’instant que juger des responsables africains. La justice pour les criminels de guerres dans les Balkans ayant été traité par un Tribunal spécifique pour l’ex Yougoslavie :

    « Il y a une soif inextinguible de justice au sein de sociétés qui ont été violentées et où de terribles crimes ont été commis. Comment ne pas comprendre cette exigence de dignité et de justice en vue d’un vivre ensemble pacifié ? Malheureusement, la morale est trop souvent instrumentalisée à des fins politiques. Il en est de même de la justice internationale, dont le principe moral est ô combien important, mais dont l’application est trop souvent sélective. La création de la Cour pénale internationale (CPI) avait suscité un immense espoir dans une grande partie du monde, mais hors de l’Occident, elle a généré un sentiment de frustration, estimant que la Cour fonctionne sur le principe de deux poids, deux mesures. »

    Et dans l’entretien passionnant sur Thinkerview, il rapporte un échange incroyable avec l’ancien ministre des affaires étrangères de François Mitterrand : Roland Dumas.

    Cet épisode, il le raconte aussi dans un article de Libération : « Il faut parler avec des criminels de guerre y compris quand ça tue. »

    « Je me souviens d’une interview avec Roland Dumas. Je vais le voir avec une incroyable naïveté. Je lui dis : «Vous êtes l’homme de la révolution judiciaire des années 90. C’est vous qui portez la résolution 808 et 827 [au Conseil de sécurité qui fonde le TPIY, ndlr]. Elle engendre, une année plus tard, la résolution 955 qui crée le TPIR [tribunal pénal international pour le Rwanda, ndlr]».
    Et là, il me fixe, avec un regard ironique et me dit :
    « Mon problème était très différent. Je craignais que Mitterrand et moi, soyons un jour accusés de complicité pour les crimes de guerre commis par les Serbes de Bosnie. Alors quand Robert Badinter est venu avec son idée un peu idéaliste de tribunal, je me suis dit que c’était formidable parce que, d’un côté, on aurait une épée de Damoclès pour effrayer les auteurs de crimes de guerre et, de l’autre, une sorte de bouclier juridique.»
    Je n’en croyais pas mes oreilles.
    C’est pour ça que la France ne collaborait pas avec le TPIY. Il a fallu attendre Jacques Chirac pour qu’elle le fasse. J’étais étonné du cynisme par lequel la justice pénale internationale était née. Je me suis dit qu’après l’os humanitaire, on jetait un os juridique pour calmer les opinions publiques. Parce que la question de fond qui se posait à l’époque en ex-Yougoslavie, c’était intervenir ou ne pas intervenir. Il y avait la peur des représailles, ou que ça dégénère avec une implication plus importante. »

    Et il finit cet article avec ce conseil pour le conflit russo-ukrainien :

    «  Nous sommes aujourd’hui face à des défis globaux qui demandent une responsabilité maximale à chacun. Vouloir fermer des fenêtres de dialogue me semble extraordinairement dangereux. Aujourd’hui, des voix se manifestent – la présidente de la Commission européenne semble le souhaiter– pour inculper Vladimir Poutine. Si on le fait, on risque de se fermer des portes dans le processus de négociation qui devra forcément avoir lieu un jour. »

    Je finirai par un autre extrait de l’entretien Thinkerview :

    Quand l’animateur lui demande de parler de ce qu’il a vu de pire sur les théâtres de guerre. Il dit son embarras et refuse de faire un palmarès.

    Il évoque rapidement un lieu de massacre dans les Balkans et aussi un lieu du génocide au Rwanda où il sentait l’odeur de mort.

    Et il ajoute :

    « Il faut voir l’étincelle de vie en chacun de nous.
    Il faut réfléchir, comment vivre.
    Comment avoir du plaisir, comment reconstruire.
    Comment faire avec, comment avec ce qui s’est passé.
    Comment réapprendre à être des hommes et des femmes.
    Réapprendre à être soi.
    Réapprendre à aimer, tout simplement.
    Et je crois que c’est sur ça qu’il faut regarder ! »


    <1722>

  • Mardi 11 octobre 2022

    « Une ivresse extatique de la destruction. »
    Pierre-Henri Castel

    J’avais déjà parlé de ce livre lors du mot du jour du 3 avril 2020, en plein confinement.

    Dans « Le mal qui vient » Pierre-Henri Castel se place dans le cadre du défi climatique et évoque l’hypothèse que l’humanité ne parvienne pas à surmonter ce défi.

    Il examine cette situation en se centrant sur ceux qui par esprit de jouissance, voudront se livrer à ce qu’il appelle une « ivresse extatique de la destruction » : « plus la fin sera certaine, donc proche, plus la dernière jouissance qui nous restera sera la jouissance du Mal ».

    Et pour éclairer cette hypothèse historiquement, il évoque ce qui s’est passé dans les derniers mois du nazisme.

    Ce livre et cette réflexion m’est venue lors de mes mots du jour autour du destin de la famille d’Anne Frank.

    Parce que revenons sur le calendrier.

    Anne Frank et sa famille seront emmenés au camp d’Auschwitz le 3 septembre 1944.

    C’est écrit dans tous les articles concernant Anne Frank, c’est le dernier convoi vers les camps d’extermination partant des Pays Bas.

    Mais quelle est la situation de l’Allemagne nazie à cette date ?

    • Le 31 janvier 1943, l’armée allemande s’est rendue à Stalingrad.
    • En septembre 1944, l’armée rouge a fait reculer la Wehrmacht jusqu’à la Bulgarie et continue vers les frontières de l’Allemagne
    • Les Alliés ont débarqué en Sicile le 10 juillet 1943, Rome a été libérée du joug allemand le 4 juin 1944, la Toscane est libre en août 1944, l’Italie s’est retournée contre l’Allemagne.
    • Les alliés ont débarqué sur les côtes de Normandie, le 6 juin 1944
    • Paris est libéré depuis le 25 aout 1944
    • Le 15 août, des troupes américaines et françaises ont débarqué en Provence

    L’Allemagne est encerclée, ses armées reculent partout.

    Ils préparent bien un dernier sursaut dans les Ardennes à Noël 1944, sursaut qui échouera.

    Leurs armées sont décimées, ils sont devant des puissances disposant d’un armement supérieur et d’un nombre de soldats valides largement supérieur.

    Et ils s’obstinent à perpétuer le génocide juif, alors que la raison devrait les inciter vers une tout autre voie.

    Parce que ceux qui savent qu’ils vont perdre devraient éviter d’aggraver leur cas et leurs crimes, ils savent qu’ils auront des comptes à rendre après la défaite. D’ailleurs, ils tenteront de cacher, sans y arriver, la barbarie des camps.

    Et ceux qui croient encore que la défaite n’est pas inéluctable, devraient consacrer toutes leurs forces, leur énergie à empêcher les armées alliées de continuer à avancer vers l’Allemagne.

    Mais il n’y a pas de rationalité dans ces hommes, que de la haine, une « ivresse extatique de la destruction »

    <1721>

  • Lundi 10 octobre 2022

    « Personne n’est épargné, vieillards, enfants, bébés, femmes enceintes, malades, tout, tout est entraîné dans ce voyage vers la mort. »
    Journal d’Anne Frank, le 19 novembre 1942

    Anne Frank a tenu son journal du 12 juin 1942 au 1er août 1944. Jusqu’au printemps de 1944, elle écrivait ses lettres pour elle, seule, jusqu’au moment où elle entendit à la radio de Londres, le ministre de l’Education du gouvernement néerlandais en exil dire qu’après la guerre, il faudrait rassembler et publier tout ce qui pourrait témoigner des souffrances du peuple néerlandais sous l’occupation allemande. Il citait à titre d’exemple, entre autres, les journaux intimes. Frappée par ce discours, Anne Frank décida de publier un livre après la guerre, son journal devant servir de base.

    Elle commença à remanier et à réécrire celui-ci, corrigeant et supprimant les passages qu’elle considérait comme peu intéressants, ou en ajoutant d’autres puisés dans sa mémoire.

    Parallèlement, elle continuait à tenir son journal originel, celui qui est appelé « version a » par opposition à la « version b » la deuxième réécrite.

    Après que les nazis aient pillé l’annexe et dérobé tous les objets de valeurs, les feuillets du journal se trouvaient par terre, car ces criminels avaient vidé la serviette qui les contenait pour utiliser celle-ci afin d’emporter les objets volés.

    C’est alors qu’une des salariés d’Otto Frank qui n’avait pas été arrêtée et avait aidé les huit juifs cachés pendant toute la période, Miep Gies a ramassé soigneusement tous les feuillets et les a rangés, sans les lire, avec pour objectif de les rendre à Anne à son retour.

    Après la guerre, quand il était devenu certain qu’Anne avait été victime de la barbarie nazi, Miep Gies remit ce document au seul survivant, le père d’Anne.

    Otto Frank lut alors le journal de sa fille, document qu’il n’avait jamais lu jusqu’alors.

    Il en fut bouleversé, il se rendit compte qu’il connaissait peu sa fille.

    Après mure réflexion, Otto Frank, décida d’exaucer le vœu de sa fille dont la volonté d’être publiée était évidente, en faisant éditer ce qui sera la première édition de ce journal.

    A cette fin, il composa à partir des deux versions d’Anne l’originale (version a) et la retouchée (version b) une troisième abrégée dite version c.

    C’est ce que l’on apprend dans le livre de Lola Lafon « Quand tu écouteras cette chanson », mais aussi l’Avant-Propos de l’édition publiée en juillet 2019 qui se veut une version exhaustive et non édulcorée de ce qu’a écrit Anne Frank.

    Anne Frank a écrit sur tous les thèmes, de l’intime à la politique en passant par la philosophie.

    Jeune adolescente elle entrait en conflit avec ses parents, elle s’éveillait à la sexualité.

    Le 24 mars 1944, elle décrit les organes sexuels féminins :

    « Devant, quand on est debout, on ne voit rien que des poils, entre les jambes se trouvent en fait des espèces de petits coussinets, des choses molles, elles aussi couvertes de poils, qui se touchent quand on se met debout, à ce moment-là, on ne peut pas voir ce qui se trouve à l’intérieur. Quand on s’assoit, elles se séparent, et dedans c’est très rouge, vilain et charnu. Dans la partie supérieure, entre les grandes lèvres, en haut, il y a un repli de peau qui, si l’on observe mieux, est une sorte de petite poche, c’est le clitoris. Puis il y a les petites lèvres, elles se touchent, elles aussi, et forment comme un repli. Quand elles s’ouvrent, on trouve à l’intérieur un petit bout de chair, pas plus grand que l’extrémité de mon pouce. Le haut de ce bout de chair est poreux, il comporte différents trous et de là sort l’urine. Le bas semble n’être que de la peau, mais pourtant c’est là que se trouve le vagin. Des replis de peau le recouvrent complètement, on a beaucoup de mal à le dénicher. Le trou en dessous est si minuscule que je n’arrive presque pas à m’imaginer comment un homme peut y entrer, et encore moins comment un enfant entier peut en sortir. On arrive tout juste à faire entrer l’index dans ce trou, et non sans mal. Voilà tout, et pourtant cela joue un si grand rôle ! » »
    Page 247 de la version de 2019

    Il était inimaginable de publier un tel texte en 1947, il a donc fallu retirer ce texte et bien d’autres sur ce sujet comme celui dans lequel elle parle des prostituées.

    Dans un autre feuillet, elle souligne l’importance d’avoir une éducation sexuelle complète et de qualité et ne pas comprendre pourquoi les adultes étaient si discrets sur le sujet.

    Un district scolaire du Texas a d’ailleurs retiré le journal de ses bibliothèques en raison de « son caractère pornographique »

    Anne Frank dépeint la vie dans l’annexe avec un œil analytique, un sens du détail étonnant. Elle donne à voir, dans l’enfermement, des moments de partage, d’ennui, de rêverie, mais aussi d’agacement.

    Elle écrit sans détour sa relation conflictuelle avec sa mère et décrit sa proximité avec son père.

    Par exemple elle écrit le dimanche 2 janvier 1944 :

    « Ce matin, comme je n’avais rien à faire j’ai feuilleté mon journal et suis tombée à plusieurs reprises sur des lettres traitant du sujet « maman » en des termes tellement violents que j’en étais choquée et me suis demandé : « Anne, c’est vraiment toi qui as parlé de haine, oh Anne Comment as-tu pu ? »

    Elle développe, un long paragraphe de justifications, d’explications, de regret et dit sa conviction qu’elle n’agirait plus ainsi un an après et fini par cette conclusion :

    « Je tranquillise ma conscience en me disant qu’il vaut mieux laisser les injures sur le papier plutôt que d’obliger maman à les porter dans son cœur. »
    Page 167 de la version de 2019

    Lola Lafon nous apprend que pour ne pas froisser les allemands, les passages trop violents à leur égard seront aussi retirés.

    Mais les pires, à son sens, sont les américains qui veulent faire un film du journal. Mais à cette époque, la révolution des séries de H.BO. n’a pas encore eu lieu. Les artistes et producteurs américains ne veulent pas d’histoires trop tristes. Il y a certes des bons et des méchants, mais les méchants ne peuvent pas gagner et il faut que la fin ouvre sur l’espoir.

    En plus, il faut que tout le monde puisse s’identifier au héros, le film américain considère donc pertinent de gommer la judaïcité d’Anne et de sa famille.

    Lola Lafon signale le témoignage d’un spectateur américain qui a la fin du film trouvait qu’il était vraiment très beau et que finalement il n’exprimait aucune haine à l’égard des nazis.

    Puis on racontera le journal sur la base de ce film.

    On citera avec exaltation cette phrase écrite par Anne Frank :

    « Malgré tout, je crois encore à la bonté innée des hommes. »

    Et il est vrai qu’elle a écrit cette phrase le 15 juillet 1944, 20 jours avant d’être arrêtée et que son calvaire ne commence.

    Mais cette phrase est suivie de ce passage :

    « Il m’est absolument impossible de tout construire sur une base de mort, de misère et de confusion. Je vois comment le monde se transforme lentement en un désert, j’entends plus fort, toujours plus fort, le grondement du tonnerre qui approche et nous tuera, nous aussi, je ressens la souffrance de millions de personnes et pourtant, quand je regarde le ciel, je pense que tout finira par s’arranger, que toute cette cruauté aura une fin, que le calme et la paix reviendront régner sur le monde »
    Page 346 de la version de 2019

    Lucidité de la tragédie, de la cruauté et aussi qu’il existera un monde après les nazis. Lucidité de son sort : Le tonnerre, autrement dit la violence, nous tuera ! »

    Et Lola Lafon renvoie vers un autre texte qui n’est pas passé à la postérité probablement parce qu’il n’était pas en phase avec la Anne Frank qui croyait à « la bonté innée des hommes ».

    Elle a écrit, le mercredi 3 mai 1944 :

    « On ne me fera jamais croire que la guerre n’est provoquée que par les grands hommes, les gouvernants et les capitalistes, oh non, les petites gens aime la faire au moins autant sinon les peuples se seraient révoltés contre elle depuis longtemps ! Il y a tout simplement chez les hommes un besoin de frapper à mort, d’assassiner de s’enivrer de violence, et tant que l’humanité toute entière, sans exception, n’aura pas subi une grande métamorphose, la guerre fera rage, tout ce qui a été construit, cultivé, tout ce qui s’est développé sera tranché et anéanti, pour recommencer ensuite. »
    Page 293 de la version de 2019

    C’est une adolescente de 15 ans qui écrit cela.

    Et alors on ne savait pas ce qui se passait pour les juifs ?

    Voici ce qu’écrivait Anne Frank le 9 octobre 1942 :

    « Aujourd’hui, je n’ai que des nouvelles tristes et déprimantes à rapporter. Nos nombreux amis et connaissances juifs sont emmenés en masse. La Gestapo les traite très durement et les transporte dans des wagons à bestiaux jusqu’à Westerbork, le grand camp de Drenthe où ils envoient tous les Juifs. Miep nous a parlé de quelqu’un qui avait réussi à s’échapper de Westerbork. Westerbork doit être épouvantable. On ne donne presque rien à manger aux gens, encore moins à boire. Ils n’ont de l’eau qu’une heure par jour, et il n’y a qu’un WC et un lavabo pour plusieurs milliers de personnes. Ils dorment tous ensemble, hommes, femmes et enfants ; les femmes et les enfants ont souvent la tête rasée.
    Il est presque impossible de fuir. […]
    S’il se passe déjà des choses aussi affreuses en Hollande, qu’est ce qui les attend dans les régions lointaines et barbares où on les envoie ?
    Nous supposons que la plupart se font massacrer. La radio anglaise parle d’asphyxie par les gaz ; C’est peut-être la méthode d’élimination la plus rapide
    . »
    Page 62 de la version de 2019

    Et le 19 novembre 1942, elle écrivait :

    « Souvent le soir, à la nuit tombée, je vois marcher ces colonnes de braves gens innocents, avec des enfants en larmes, marcher sans arrêt, sous le commandement de quelques-uns de ces types, qui les frappent et les maltraitent jusqu’à les faire tomber d’épuisement, ou presque. Personne n’est épargné, vieillards, enfants, bébés, femmes enceintes, malades, tout, tout est entraîné dans ce voyage vers la mort.
    […] et tout cela, pour la seule raison qu’ils sont juifs »
    Page 77 de la version de 2019

    Ainsi parlait Anne Frank en 1942 !

    Lola Lafon entre peu à peu dans la réalité de cette œuvre, car il s’agit d’une œuvre littéraire qu’Anne Frank a corrigé, réécrit dans le but de la faire publier.

    Avant d’aller à Amsterdam, Lola Lafon a eu une rencontre vidéo avec Laureen Nussbaum qui est une écrivaine et linguiste, spécialiste du journal d’Anne Frank et qui a connu personnellement la famille Frank :

    « Ce soir-là, elle me conseille de m’intéresser aux quatrièmes de couverture des différentes éditions du Journal. Elles sont extrêmement révélatrices. Ce que les éditeurs ont choisi de mettre en avant et, aussi, les mots qu’ils ont évité d’employer.

    Dans les années 1960, par exemple, me dit Laureen, on pouvait lire ceci : « Lire le Journal c’est assister à l’épanouissement d’une adolescente face à l’adversité. »

    A sa parution aux États-Unis, on demande à Eleanor Roosevelt d’ajouter un avant-propos. Elle y loue « la noblesse de l’esprit humain », s’émeut de ce « message d’espoir ». Le Journal est « un monument » élevé à tous ceux qui « œuvrent pour la paix ».

    Pas une allusion au régime nazi, ni à la shoah. Pas un mot sur les conditions dans lesquelles Anne Frank a écrit.

    « Anne n’œuvrait pas pour la paix. Elle gagnait du temps sur la mort en écrivant sa vie. […] Anne Frank désirait être lue, pas vénérée. […]

    Elle n’est pas une sainte. Pas un symbole. Son journal est l’œuvre d’une jeune fille victime d’un génocide, perpétré dans l’indifférence absolue de tous ceux qui savaient.
    N’utilisez pas le mot espoir, s’il vous plait. »
    Pages 26 et 27 « Quand tu écouteras cette chanson de Lola Lafon

    Le livre de Lola Lafon nous incite à lire, dans sa dernière version, le Monument écrit par une jeune adolescente qui essaye d’arracher des moments de vie et de réflexions dans le monde terrifiant, horrible et bestial créé par des humains ignobles et monstrueux.

    <1720>

  • Vendredi 7 octobre 2022

    « Quand tu écouteras cette chanson. »
    Lola Lafon

    L’éditeur Stock a eu l’idée d’une collection « Ma nuit au musée » dans laquelle des écrivains s’enferment dans un musée pendant une nuit et tentent de trouver l’inspiration d’un livre.

    Kamel Daoud, Leila Slimani, Enki Bilal parmi d’autres se sont soumis à cette expérience qui peut être un peu déstabilisante. Surtout quand ce musée est le musée d’Anne Frank à Amsterdam.

    Lola Lafon a fait ce choix quand Stock lui a proposé d’entrer dans cette collection. Elle a dit qu’elle ne pouvait pas imaginer un autre musée que celui-ci.

    Elle en a tiré un livre « Quand tu écouteras cette chanson »

    Elle avait été invitée par Olivier Gesbert dans son émission du 8 septembre 2022 : <Lola Lafon et le journal d’Anne Frank >

    Émission qu’on peut aussi voir <en vidéo>

    Et cet échange, que j’ai entendu, m’a donné envie de lire ce livre.

    Ce que j’ai fait lors de notre semaine de repos en Bourgogne.

    Et j’ai aimé ce livre, parce que Lola Lafon trouve le ton juste et les mots qui captent notre attention pour parler de cette histoire terrible, bouleversante et y mettre une part d’elle-même.

    Le journal d’Anne Frank, tout le monde croit le connaître, le livre de Lola Lafon nous montre que probablement nous sommes passés à côté de l’essentiel.

    C’est l’œuvre d’une jeune fille de 14 ans « Sidérante de maturité » dit Lola Lafon dans l’entretien qu’elle a réalisé avec la Librairie Mollat (21:16)

    La famille d’Otto Frank et de son épouse Edith était une famille aisée allemande vivant à Francfort. Mais en 1933, après l’arrivée des nazis au pouvoir et les premières persécutions, la famille Frank quitte Francfort pour Amsterdam.

    Il y a deux filles dans cette famille : Margot née en 1926 et Anne née en 1929.

    Otto Frank crée une entreprise Opekta, vendant du gélifiant pour confiture, à Amsterdam.

    Les sœurs deviennent de vrai néerlandaises et vont à l’école Montesori à Amsterdam. Le journal est écrit en néerlandais.

    Mais la guerre les rattrape et Amsterdam est occupée par les Allemands à partir de mai 1940.

    Otto Frank se déleste de son entreprise au profit de ses salariés qui lui sont fidèles pour ne pas être exproprié par les nazis.

    Et c’est avec la complicité de ces salariés que la famille Frank va se cacher à partir de juillet 1942 dans un appartement secret aménagé dans l’« Annexe » de l’entreprise Opekta dont l’entrée est dissimulée par une bibliothèque.

    C’est là que la famille et quatre amis juifs vécurent vingt-cinq mois confinés dans moins de 40 m², sans vue vers l’extérieur, simplement une fenêtre du grenier leur permettant de voir le ciel.

    Le 4 août 1944, les nazis arrivent à l’usine et sans hésiter déplacent la bibliothèque et entrent dans l’annexe arrêter tout le monde.

    Ils ont été trahis et on ne sait toujours pas par qui.

    Ils seront déportés le 3 septembre 1944 vers le centre d’extermination d’Auschwitz-Birkenau puis les filles seront transférées au camp de Bergen-Belsen. Les conditions d’hygiène étant catastrophiques, une épidémie de typhus y éclata durant l’hiver 1944-1945, coûtant la vie à des milliers de prisonniers. D’abord Margot puis Anne mourront de cette maladie. La date de leur mort se situe entre fin février et début mars. Les corps des deux jeunes filles se trouvent sans doute dans la fosse commune de Bergen Belsen. Le camp est libéré, peu de semaines après, par des troupes britanniques le 15 avril 1945 et Amsterdam est libérée le 5 mai 1945. La mère est morte à Auschwitz, le 6 janvier 1945. Seul le père Otto Frank reviendra.

    Des huit personnes qui se cachèrent dans l’Annexe, il est le seul qui a survécu à l’arrestation et au génocide. Otto Frank consacrera le restant de sa vie au journal de sa fille, et à la lutte contre la discrimination et les préjugés. Il participera activement à l’ouverture de l’annexe en tant que musée en 1960. En 1963, Otto Frank crée le Fonds Anne Frank de Bâle, une association qui détient les droits d’auteur sur les écrits d’Anne Frank y administre l’héritage de la famille Frank. Les revenus sont consacrés à des œuvres caritatives dans le monde entier, par exemple la lutte contre les discriminations et l’injustice, les droits des femmes et des enfants. Il décédera en 1980 à 91 ans.

    Lola Lafon a perdu aussi une grande partie de sa famille dans la Shoah victime du génocide.

    Sa mère est roumaine et son père est français. Elle grandit en Bulgarie puis en Roumanie jusqu’à ses 12 ans.

    Sa grand-mère lui a donné très jeune une médaille représentant Anne Frank avec ces seuls mots :

    « N’oublie jamais »

    Longtemps, elle a voulu ignorer cette partie de son histoire :

    « Je suis celle qui, depuis l’adolescence, détourne les yeux. Je ne voulais pas entendre, pas savoir. (…) Ce que je souhaitais, c’était faire partie d’une famille normale. »

    Mais elle était arrivé à ce moment de sa vie où le moment de renouer le lien était venu.

    Et c’est ainsi que :

    « Le 18 août 2021, j’ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l’Annexe.
    Je suis venue en éprouver l’espace car on ne peut éprouver le temps. On ne peut pas se représenter la lourdeur des heures, l’épaisseur des semaines. Comment imaginer vingt-cinq mois de vie cachés à huit dans ces pièces exiguës ?
    Alors, toute la nuit, j’irai d’une pièce à l’autre.
    J’irai de la chambre de ses parents à la salle de bains, du grenier à la petite salle commune, je compterai les pas dont Anne Frank disposait, si peu de pas. »
    Quand tu écouteras cette chanson, Page 11

    Elle y restera dix heures

    La première chose qu’elle voit dans l’annexe est un cadre. Elle croit qu’il est vide, l’appartement est plongé dans une pénombre. Elle s’approche. Elle voit un morceau de papier peint. Elle s’approche encore et elle aperçoit des petits traits au crayon à papier : Otto Frank traçait au mur l’évolution de la taille de ses filles, Margot et Anne. Lola Lafon parle de preuve de vie. Elles vivaient, elles grandissaient dans cette annexe.

    Avant d’aller passer sa nuit au musée, des collaboratrices du musée lui avait fait visiter l’appartement que la famille Frank a occupé avant d’aller se réfugier dans l’annexe.

    Elle décrit cette visite :

    « Nous déambulons de pièce en pièce, comme de futures acquéreuses. »

    Teresien qui montre l’appartement explique que l’appartement a été entièrement pillé en 1944 par les nazis et que l’équipe du musée a tenté à l’aide de photos de l’époque et de témoignages de connaissances de Frank qui avait fréquenté le lieu pendant que les Frank y avaient habité de remeubler et décorer à l’identique.

    L’écrivaine écrit alors ce texte que je trouve très inspiré :

    « Tout, ici se veut plus vrai que vrai tout est faux, sauf l’absence. Elle accable, c’est un bourdonnement obsédant, strident.
    L’appartement des Frank est le décor d’un drame sans acteurs, c’est un musée sans visiteurs. […]

    Tout dans la chambre d’Anne paraît en suspens, interrompu, le moindre objet semble attendre son retour. L’étroit lit aux draps soigneusement tirés. Les tiroirs entrouverts d’une commode. Le bois sombre d’un secrétaire sur lequel ont été disposés des feuillets vierges, des cahiers sur lesquels personne n’écrira. Anne Frank manque terriblement à sa chambre d’adolescente. »
    Page 63

    Dans l’annexe, elle aura beaucoup de mal à entrer dans la chambre d’Anne. On n’entre pas dans une chambre d’adolescente, dit-elle

    Elle recule chaque fois devant la porte. Elle devra bientôt quitter le musée : « Il était 6 heures du matin »

    Et à la fin des fins elle franchit le pas :

    « Sans doute semblais-je sereine quand j’ai poussé la porte de la chambre d’Anne Franck »

    Et dans cette chambre, un souvenir va resurgir dans sa mémoire.

    Souvenir qui explique le titre du livre et qui concerne une rencontre, à Bucarest où elle vivait alors.

    La rencontre d’un jeune garçon cambodgien de 15 ans.

    Son père était fonctionnaire à l’ambassade du Cambodge en Roumanie. Mais les dirigeants du Cambodge, les sinistres Khmers Rouges, ont donné l’ordre au père de rentrer dans son pays avec sa famille.

    Le jeune garçon qui était pensionnaire dans un lycée parisien a été obligé de rejoindre ses parents et il va passer quelques jours à Bucarest. Puis partira pour le Cambodge avec sa famille.

    Il enverra une dernière lettre postée à Pékin avant d’être victime d’un autre génocide, sur un autre continent

    A propos de ce livre « Le Monde » écrit : < Lola Lafon en tête-à-tête avec Anne Frank >

    « Et lorsqu’il est question d’en faire un musée, en 1960, le père d’Anne et de Margot Frank exige que l’appartement demeure dans cet état. « Qu’on en soit témoin, du vide, sans pouvoir s’y soustraire ; qu’on s’y confronte, énonce Lola Lafon. Ainsi, en sortant, on ne pourra pas dire : dans l’Annexe, je n’ai rien vu. On dira : dans l’Annexe, il n’y a rien, et ce rien, je l’ai vu. […]

    Regarder en face « ce qui jamais ne sera comblé » : Quand tu écouteras cette chanson est le récit troublant, saisissant, de cette redoutable confrontation. Dix heures passées seule par l’écrivaine, le 18 août 2021, dans les 40 mètres carrés de l’Annexe, le plus vide de tous les musées. Les règles fixées à l’entrée sont strictes : pas de photo, interdit de boire comme de manger, mais aussi de sus­pendre son sac à une poignée de porte. Comme un écho des contraintes imposées à la famille Frank. Vingt-cinq mois durant, les huit habitants dissimulés au cœur de la ville qui les traquait se sont astreints au silence. »

    Lola Lafon fut aussi l’invité de la première Grande Librairie d’Augustin Trapenard : <Lola Lafon sur les traces d’Anne Frank>

    Il me semble que cet entretien vidéo de 48 minutes proposé par la Librairie Mollat est encore plus intéressant : <Quand tu écouteras cette chanson>

    <1719>

  • Jeudi 6 octobre 2022

    « Pause (Victor Klemperer.) »
    Jour sans mot du jour nouveau

    Il y a quasi 2 ans, <Le 18 octobre 2019>, j’avais mobilisé, pour le mot du jour, le philologue allemand Victor Klemperer : « Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir.»

    Il me semble qu’après le dernier discours de Poutine qui réinvente sans cesse l’histoire et qui est capable de dire sérieusement les vérités alternatives les plus insensées, il traite désormais les occidentaux de pratiquer la religion du satanisme, il faut réinterroger le travail de Victor Klemperer qui a analysé et dévoilé la langue du régime nazi.

    Sa grande œuvre parue en 1947 est le livre « LTI – Lingua Tertii Imperii » dont le sous-titre est « Notizbuch eines Philologen » ce qui traduit donne : « Langue du Troisième Reich : carnet d’un philologue ».

    Car, avant les grandes catastrophes il y a d’abord des mots, des mots qui forment un récit. Un récit qu’un grand nombre s’approprie, pour finalement analyser et voir le monde à travers ce récit, avec des mots choisis soigneusement et qui sont les vecteurs des idéologies et des croyances qui doivent embraser l’esprit des peuples.

    Le livre qu’il nomme lui-même « LTI » a été écrit peu à peu, car Klemperer a construit son analyse au fur à mesure des années, entre 1933 et décembre 1945, dans le journal qu’il tient. C’est un essai sur la manipulation du langage par la propagande nazie depuis son apparition sur la scène politique jusqu’à sa chute.

    <Mot du jour du 18 octobre 2019>

    <Mot du jour sans numéro>

  • Mercredi 5 octobre 2022

    « Le bus du Paris Saint Germain fait 3600 km à vide pour transporter les joueurs sur une distance de moins de 50 km. »
    Ce n’est pas une question de confort, mais de sécurité.

    Une nouvelle histoire de football…

    Vous savez que l’entraineur du Paris SG a été vilipendé parce qu’il a répondu, à un journaliste qui lui demandait pourquoi les joueurs ne prenaient pas le train plutôt que l’avion pour faire un match à 200 km de Paris, qu’une réflexion était en cours pour examiner la possibilité de voyager en char à voile.

    C’était un mot d’humour…

    En pratique, les joueurs de PSG se déplacent en avion et en bus.

    Aujourd’hui, le PSG affronte le club de Benfica à Lisbonne.

    Il faut donc se rendre à Lisbonne à 1460 km de Paris (à vol d’oiseau), Google annonce qu’il faut 16h43 en voiture pour faire le trajet d’environ 1800 km.

    Les joueurs sont donc allés à Lisbonne en avion.

    Dans ce contexte, je crois que même les écologistes se rendront à l’évidence, l’avion est la solution appropriée.

    Mais, dans la pratique, le transport des joueurs du PSG est une affaire d’une grande complexité.

    L’avion les amène à l’aéroport de Lisbonne !

    Mais l’hôtel des joueurs et le stade de Luz ne sont pas à côté de l’aéroport de Lisbonne.

    Pour l’hôtel, je ne sais pas où Messi et ses collègues vont dormir, mais l’aéroport et le stade nous savons où ils se trouvent.

    Je peux donc dire que la distance entre les deux se situent entre 6,6 et 7,9 km.

    Pour ces trajets il faut un bus.

    Un bus loué à Lisbonne ?

    Que nenni !

    Il faut le bus du PSG !


    Le bus du PSG n’est pas à Lisbonne, il est à Paris.

    Il faut donc que le Bus se rende à Lisbonne pour aller chercher les joueurs du PSG à l’aéroport, les promène à Lisbonne, puis revienne à Paris.

    Le bus du PSG fait donc 3600 km à vide pour promener l’équipe sur une cinquantaine de km, si l’hôtel ne se trouve pas dans la proximité immédiate du stade. Sinon les trajets seraient plus proche des 20 km.

    C’est le Parisien qui donne cette nouvelle : <Pourquoi le car parisien a fait 1800 km à vide jusqu’à Lisbonne ?>

    Article repris par <La Voix du Nord> :

    « Nos confrères du Parisien révèlent que le bus officiel du club a parcouru 1 800 kilomètres à vide entre Paris et Lisbonne… pour transporter les joueurs de l’aéroport à leur hôtel, puis au stade.

    Concrètement, précise le journal, le bus a relié Lisbonne depuis Paris, afin de réceptionner les joueurs, qui ont pris l’avion, à l’aéroport, pour pouvoir les emmener jusqu’à leur hôtel, puis les transférer de l’hôtel au Stade de la Luz où ils jouent, ce mercredi, leur troisième match de Ligue des champions. Jeudi, ce sera rebelote, mais dans l’autre sens : le bus remontera à vide jusqu’à son garage en Ile-de-France.

    C’est un nouveau non-sens écologique pour le PSG. Mais, une raison se cache derrière ce choix : selon le Parisien, les dirigeants du club ont pris cette décision pour une question de sécurité, « critère numéro 1 qui oriente les décideurs au moment de valider le choix du moyen de transport », écrivent nos confrères.

    Le journal précise que le bus rouge et bleu n’est pas vraiment un bus comme les autres : le véhicule, fournit par la société Man depuis 2013, possède des vitres blindées et a été conçu pour protéger les joueurs en cas d’attaque plus ou moins violente, à savoir des jets de projectiles de supporters, ou pour un attentat, à l’image de ce qui s’est produit en 2017, où bus du Borussia Dortmund avait été visé par trois explosions de bombes lors de son trajet entre l’hôtel et le quart de finale de Ligue des champions. Depuis cet événement, les grands clubs prennent leurs précautions et sont équipés de ce type de bus.

    Le bus du PSG, effectue environ 25 voyages par saison, précisent nos confrères : généralement pour emmener les joueurs de l’aéroport à l’hôtel puis au stade, mais aussi parfois pour de courts déplacements en France, à l’image du déplacement des Parisiens pour le match contre Lille le 21 août. Dans ce bus, au top du confort, se trouvent des sièges inclinables à 45 degrés sur lesquels se trouvent des écrans reliés à des consoles de jeux ou à la télé satellite et un coin cuisine, pour se faire réchauffer des repas.

    Il n’est, en revanche, pas présent partout. Il fait l’impasse sur les voyages les plus lointains et ne se rend pas dans les lieux où il pourrait provoquer les supporters adverses, comme à Marseille, par exemple, disent encore nos confrères. Le PSG n’est d’ailleurs pas le seul à faire voyager des bus à vide : le bus de l’Olympique de Marseille a, lui aussi, fait le voyage à vide lors de la première journée de Ligue des champions, pour se rendre à son match face à Tottenham. Il a été aperçu au péage de Setques, juste à côté de Saint-Omer, en direction de Calais.

    Comme le rappelle le quotidien national : depuis plusieurs mois, les déplacements du club en train sont systématiquement mis en concurrence avec l’avion et le bus sur quatre critères principaux, à savoir : la sécurité, le trouble à l’ordre public, le temps de trajet global et le coût. Mais, jusqu’à présent, la SNCF n’a jamais remporté les faveurs du club, notamment en raison des critères de sécurité et de l’impossibilité après certains matchs d’effectuer les trajets retour dans la nuit, élément indispensable à la récupération des joueurs. »

    Voilà, vous êtes ainsi pleinement informés !

    Il reste des questions : ne peut-on pas trouver un bus blindé à Lisbonne ? Comment font les parisiens à Marseille quand ils se privent de leur bus pour ne pas provoquer ?

    Mais l’information essentielle est qu’il faut un bus blindé pour emmener les joueurs de football au stade !

    Parce que c’est dangereux d’aller au stade de football !

    Voilà ce que notre société a créé à partir d’un jeu qui est devenu une affaire financière, une affaire de violence, un affrontement entre bandes rivales.

    <1718>

  • Mardi 4 octobre 2022

    « Le voile n’est pas la liberté. »
    Kamel Daoud

    C’est une histoire largement diffusée par les médias. Mahsa Amini jeune femme iranienne, kurde, a été arrêtée par la police des mœurs parce qu’elle portait mal son voile selon cette milice d’un autre âge. La jeune femme, originaire de Saqqez, une ville de la province du Kurdistan iranien, était en voyage dans la capitale iranienne avec sa famille lorsqu’elle a été interpellée sous les yeux de son frère. Sur les réseaux sociaux, on la voit malmenée pendant son arrestation, jetée à terre et finalement poussée contre sa volonté dans un véhicule de la police des mœurs. Après trois jours de détention, elle meurt le 16 septembre, à l’hôpital où finalement les policiers l’ont emmenée.

    Depuis des manifestations ont éclaté, des femmes brûlent leur voile, coupent leurs cheveux en signe de protestation de cet asservissement qu’elles subissent dans la république islamique d’Iran…

    <France 24>, citait le 29 septembre, l’agence officielle iranienne Fars qui affirme qu’environ 60 personnes ont été tuées depuis le début des protestations dans l’ensemble du pays et que 1200 personnes ont été arrêtées.

    En principe nous savons quand les voies officielles donnent ce type de chiffres, ils sont toujours minorés.

    Et bien sûr les autorités iraniennes accusent les puissances étrangères d’avoir fomenté le mouvement. « L’ennemi a visé l’unité nationale et veut dresser les gens les uns contre les autres », a ainsi prévenu le président ultraconservateur Ebrahim Raïssi mercredi, jugeant « le chaos inacceptable » et accusant les États-Unis, l’ennemi juré de la République islamique, d’attiser la contestation. Elles en profitent aussi pour stigmatiser la minorité Kurde iranienne et celles des pays limitrophes.

    <TV5> a interrogé la sociologue Mahnaz Shirali, née en 1965 à Téhéran :

    « La mort de Mahsha Amini, cette jeune fille de 22 ans, a déclenché de vives réactions des Iraniens. Mais en même temps, il y a toute une série d’autres facteurs qui se sont accumulés. Sa mort a servi d’étincelle pour faire exploser la rage des Iraniens qui étaient inquiets depuis très longtemps à cause de pleins de problèmes d’injustice, des problèmes économiques et une mauvaise gestion du pays.

    [ Danser puis brûler son hijab, ou se couper les cheveux, et partager ces vidéos sur les réseaux sociaux] fait parler. Ça montre que ça attire l’attention. C’est ça le symbolisme : quelque chose qui n’a peut-être pas beaucoup de sens mais qui attire les regards. Ça transmet des sentiments extrêmement forts.

    […] Elles en ont ras-le-bol. Elles ne peuvent plus supporter de ne pas être libre, les contraintes qu’on leur impose au nom de l’Islam et de la loi islamique. »

    Il y a peu de chance que le régime iranien et ses sbires cèdent devant la pression de la rue. Ils ont le monopole des armes pour tuer et forcer, le fanatisme du croyant pour se rassurer et évacuer les remords qui pourraient surgir devant tant de violence, les avantages économiques de l’élite religieuse et des forces de sécurité à préserver.

    Alors cela repose la question du voile de manière plus générale.

    Le voile pourrait être instrument d’asservissement en Iran et symbole de liberté en France ?

    Certain(e)s l’affirment.

    Et la député LFI Daniele Obono fustige même celles et ceux qui pourraient tenter d’y voir une contradiction et pousser « l’indécence » jusqu’à vouloir s’appuyer sur le combat des femmes iraniennes pour poser des questions sur l’association de «la liberté» et «du voile» en France.

    Elle a cette insulte morbide : « mangez vos morts » …

    D’autres, sans aller dans ces excès de langage, essayent aussi de surmonter et de résoudre cette contradiction. Sandrine Rousseau qui est de tous les combats est de celui-là aussi.

    Je lis toujours avec beaucoup d’intérêt et de plaisir intellectuel l’écrivain algérien Kamel Daoud.

    Il m’est arrivé plusieurs fois d’écrire des mots du jour en le mettant en exergue :

    Et je l’ai cité longuement dans le mot du jour consacré à ce livre étonnant d’Ibn Tufayl : « Le Vivant, fils de l’Éveillé »

    Kamel Daoud a écrit un éditorial, le 3 octobre 2022 dans « Le Point » : <Le voile est un féminicide> :

    « Le voile tue. La démocratie, non. La mort de Mahsa Amini et la vague de protestations qu’elle provoque en Iran rappelle une fois de plus cette évidence. […]

    « Cela suffit à tout dire et à tout démentir. Ce n’est pas un événement rare, d’ailleurs. Une femme harcelée, violentée, menacée, tuée ou excommuniée parce qu’elle refuse de porter le voile est chose banale dans le monde dit « musulman ». Une femme qui ose arracher ce linceul confessionnel, c’est encore pire que l’apostasie, c’est le choix de la pornographie, de la prostitution, de la désobéissance civile. Il faut être femme dans ces territoires pour le vivre, en mourir et sourire de celles et ceux qui, en Occident, prétendent que le voile est une liberté. »

    Kamel Daoud a vu arriver en Algérie, la vague islamiste, le voile qui couvrait toujours davantage les femmes et il se cite à la troisième personne :

    « Parce que, vivant dans le « Sud confessionnel », il sait que ce morceau d’étoffe est une prison et une condamnation à mourir une vie entière, un enterrement vertical, le renoncement acclamé à son propre corps. Il sait ce que cela coûte pour les femmes et combien elles le paient. Et écouter l’« engineering de l’islamisme » occidental présenter cela comme une liberté et un choix et rameuter les opinions et les médias pour geindre sur une présumée confiscation de droits provoque la rage. »

    Son opinion est claire et tranchante : .

    « Un bout de territoire cédé, pas un bout de tissu choisi. Il faut donc rappeler les évidences coûteuses : le voile n’est pas une liberté, mais sa fin. Le voile n’est pas un épiderme qui souffre d’un racisme adverse, mais un uniforme d’enrôlement. Le voile n’est pas le signe d’une identité communautaire, mais un renoncement à toute identité et communauté au bénéfice d’un refus de vivre ensemble, de partager, de s’ouvrir, de s’enrichir mutuellement. Le voile n’est pas une « origine », mais un effacement de soi, des siens, de ses généalogies au bénéfice d’un recrutement. Le voile n’est pas seulement un petit foulard, c’est surtout ainsi qu’il commence. Le refuser, le combattre, n’est pas un acte néocolonial, l’ordre d’un colon. Le dévoilement n’est pas une violence de colonisation reconduite, et l’accepter, c’est concéder le territoire et le corps de ses propres citoyens au bénéfice d’une autre loi. Le voile a bénéficié de la « culpabilité » en Occident, de l’intelligence de l’islamiste occidental expert en droits, ONG et architectures associatives. Il a profité de l’histoire mal soldée des colonisations et recycle les procès en arnaques rusées, les dénis en séparatismes. Il a surtout recyclé le communautaire en confessionnel et le confessionnel en stratégie de conquête. »

    Et il pose ce constat : « aujourd’hui, au sud du monde, une femme non voilée est une prostituée et, au nord, une femme non voilée est une traître à sa culture, à ses ancêtres. »

    Et il me semble qu’il parle ensuite de certains politiques qu’il ne faut peut être pas appeler islamo-gauchiste mais plutôt islamo-naïf.

    « Et il s’en trouvera pour le défendre, naïfs ou fourbes, électoralistes ou populistes. »

    Et il finit par cette conclusion :

    « Mais qu’on arrête une femme en Iran, qu’on la torture, qu’elle meure à cause de ce « tissu » qui n’est qu’une camisole et tout reprend sens, s’ordonne selon ces évidences à qui on fait une guerre sournoise : le voile n’est pas la liberté, ni l’identité, ni un choix. Il est prétendu choix dans le pays qui a le respect des choix, c’est-à-dire des libertés, c’est-à-dire dans les démocraties. Dans les dictatures, il se montre pour ce qu’il est : un assassinat. Car on aura beau jouer sur les mots, le voile tue. La démocratie, non. Des Iraniennes auraient donné beaucoup pour venir vivre leur liberté en France. Pas pour y renoncer. »

    Je partage cet article.

    Je partage l’analyse et l’opinion de Kamel Daoud.

    La plupart des commentaires de cet article sont favorables. J’en ai cependant lu un portant une critique étrange qui semble nier qu’il est plus doux de vivre dans notre démocratie que dans la théocratie chiite :

    « Le voile tue. La démocratie, non.

    Kamel Daoud a choisi d’oublier toutes les morts au nom des valeurs de l’occident.
    Jusqu’à maintenant, par exemple, c’étaient les pouvoirs démocratiques uniquement qui ont lâché une arme nucléaire sur la population de deux grandes villes.
    Qu’apporte la démocratie ?
    À partir de 1789 la France a connu une myriade de régimes plus ou moins démocratiques.
    Monarchie absolue monarchie constitutionnelle, les 9 régimes de la 1ère République, 3 Empires, Restauration Monarchie, 100 Jours de Napoléon, 2ème Restauration, Monarchie de juillet, 4 Républiques de plus, La France Libre, Comité Française de la Libération, Groupement Provisoire de la République.
    et vous croyez que la démocratie venait avec ?
    Quelles sont les dates de suffrage universel, de la majorité à 18 ans, des droits des minorités nombreux ?
    Les vainqueurs des guerres portent la victoire des plus forts. Non des plus moraux  »

    Je me suis permis une réponse : « Simplement Merci de dire ces choses simples. Le voile n’est pas une liberté. Alors je ne crois pas qu’il faille autoritairement l’interdire, mais il faut plutôt être fier de nos valeurs et les défendre. A savoir la liberté, les contre-pouvoirs, l’état de droit, la volonté d’émancipation de l’individu, l’égalité des femmes et des hommes, le droit de penser et de croire différemment et surtout de ne pas croire. Bien sur l’Occident a commis des fautes et des crimes parfois. Cela étant, les autres civilisations n’en sont pas exemptes non plus. Reconnaître des erreurs ne doit pas nous dissuader de défendre la part belle de notre histoire et de notre manière de vivre en société.  »

    <1717>

  • Lundi 3 octobre 2022

    « Les Krafft […] ne sont plus vulcanologues, ils deviennent des artistes, qui entrainent les spectateurs […] dans un royaume à la beauté insolite »
    Werner Herzog à propos des images tournées par Katia et Maurice Krafft

    Werner Herzog, né en 1942 est un des plus grands cinéastes allemands.

    Ses films sont connus par tous les cinéphiles et notamment ses films avec Klaus Kinski :

    • 1972 : Aguirre, la colère de Dieu
    • 1979 : Nosferatu, fantôme de la nuit
    • 1979 : Woyzeck
    • 1982 : Fitzcarraldo
    • 1987 : Cobra Verde

    Mais il est aussi l’auteur de documentaires et particulièrement de documentaires sur les volcans : La soufrière (1977) et Au fin fond de la fournaise (2016).

    Sa dernière œuvre qu’ARTE vient de diffuser le samedi 1er Octobre est encore consacrée aux volcans, mais cette fois à travers les images, les vidéos qu’ont réalisées les époux Maurice Krafft et Katia Krafft-Conrad.

    Ils sont tous les deux nés en Alsace : Maurice Krafft, le 25 mars 1946 à Guebwiller (Haut-Rhin) et Katia Conrad le 17 avril 1942 à Soultz-(Haut-Rhin).

    Ils se rencontrent en 1966 pour ne plus jamais se quitter et parcourir le monde, sur les lieux où la terre rugit et les volcans déversent leur magma de manière fascinante et dangereuse pour tous ceux qui sont en proximité.

    Ils voudront s’approcher toujours au plus près pour filmer et photographier ces monstres fascinants et dévastateurs.

    Plusieurs fois, comme le montre le documentaire, ils échapperont de peu aux griffes de ces géants qu’ils sont allés contempler

    Ils sont morts ensemble, victimes de leur passion commune, emportés avec 41 autres personnes par une nuée ardente, les techniciens parlent de coulée pyroclastique, sur les flancs du mont Unzen au Japon le 3 juin 1991.

    Le choix des images et le commentaire que fait Werner Herzog magnifient le travail des époux Krafft, les images sont d’une beauté stupéfiante.

    Quelquefois Herzog laisse défiler le film, par exemple celui tourné à Hawaï, simplement accompagné de la messe en Si de Jean-Sébastien Bach à partir de 33:13.

    Werner Herzog introduit cette séquence :

    « Les Krafft ne cessent d’être captivés par ces puissantes et fascinantes éruptions de magma à la surface de la terre.

    Ils ne sont plus vulcanologues, ils deviennent des artistes, qui entrainent les spectateurs que nous sommes dans un royaume à la beauté insolite. Ils nous offrent un spectacle qui n’existent que dans les rêves.

    Ces images se suffisent à elles-mêmes nous ne pouvons que contempler. »

    Ce documentaire a pour nom « Au cœur des volcans, Requiem pour Katia et Maurice Krafft»

    ARTE le rediffusera dimanche 9 octobre à 07:00.

    Mais il peut être visionné en replay sur la chaîne <ICI> ou encore sur la chaîne Youtube d’Arte : <
    Requiem pour Katia et Maurice Krafft>

    <TELERAMA> commente :

    « Dans un documentaire contemplatif et habité, le cinéaste rappelle le destin hors du commun du couple Krafft, volcanologues et faiseurs d’images hors pair disparus en 1991 lors d’une éruption au Japon.

    Sur les photos, leurs bonnets rouges vissés sur le crâne leur donnent des airs de lutins défiant les crachats de montagnes turbulentes. Deux minuscules points rouges dans un théâtre de cendres et de fumées dont ils ne voulaient rater aucune des représentations. Au grand spectacle du magma, Katia et Maurice Krafft avaient pris un abonnement à vie. Vingt-cinq ans d’assiduité sans relâche à danser sur les volcans. Cent soixante-quinze éruptions guettées, filmées et photographiées au plus près des cratères, pour mieux partager, dans des dizaines de livres, de conférences ou d’émissions télé, leur passion de cette pyrotechnie jaillie des entrailles de la Terre.

    Trente et un ans après leur disparition sur les flancs du mont Unzen, au Japon, avalés par une de ces ravageuses coulées pyroclastiques qu’ils étaient venus filmer, Katia et Maurice Krafft, volcanologues unis par le mariage et la lave qui coulait dans leurs veines, crèvent […] l’écran en ce début d’automne. »

    Et <le Monde> écrit :

    « Cette fois, le cinéaste allemand recourt aux images des spécialistes moins pour retracer leur parcours scientifique que pour interroger leur nature. Et sa réponse est sans appel : le couple (surtout Maurice, qui tenait la caméra pendant que Katia photographiait) était des cinéastes, et sa production est comme un film sans début ni fin, fait de plans prodigieux, que chaque imagination peut agencer.

    On connaît les moteurs de celle de Werner Herzog : sa fascination pour les moments ultimes à l’approche de la mort, sa conscience aiguë de l’insignifiance de l’homme face au cosmos. [Il montre] une admiration inconditionnelle pour Katia et Maurice Krafft, qui ont toujours travaillé avec une conscience aiguë des risques qu’ils prenaient. Il remonte leurs images – les éruptions, mais aussi la désolation que les volcans répandent parmi les hommes – pour composer un poème qui laisse entière l’énigme que pose aux gens ordinaires le destin des vulcanologues alsaciens. »

    Le Monde évoque un autre documentaire récent sur le même sujet que je n’ai pas vu

    « Par une heureuse coïncidence, on pourra, sinon la résoudre, du moins avancer vers la solution, en découvrant Fire of Love, le très délicat documentaire que l’Américaine Sara Dosa a composé à partir du même matériau que Herzog, les images tournées et prises par le couple Krafft. La réalisatrice s’attache à superposer la passion amoureuse de Katia et Maurice Krafft (on pourrait presque croire que pour eux, l’humanité se résumait à leur couple) et leur passion pour les volcans, au point que la conclusion de leur odyssée tellurique, point d’orgue d’une tragédie chez Herzog, apparaît ici comme la culmination de l’intimité fusionnelle entre Maurice, Katia et les volcans. »

    En conclusion des images uniques de beauté et de violence.


    Quand on voit ces images, on se rend compte que lorsque la nature et la terre déclenchent de telles forces telluriques, homo sapiens redevient un animal fragile dont la seule issue est la fuite si elle reste possible.

    <1716>

  • Vendredi 23 septembre 2022

    « L’automne débute aujourd’hui. »
    Cette année, comme le plus souvent, l’automne débute le 23 septembre

    Moi je croyais que le plus souvent l’automne tombait le 21 septembre.

    C’est manifestement faux.

    Nous savons que le jour de l’automne est celui où la durée du jour et la durée de la nuit sont égales.

    Ce moment a lieu entre le 21 et le 24 septembre, mais le 21 septembre est très rare.

    Sur ce <site> qui donne la date des quatre saisons entre 1970 et 2037, soit 68 automnes, ce ne fut jamais le 21 septembre, ni le 24 d’ailleurs.

    25 fois cela tomba un 22 et 43 fois, comme cette année, le 23 septembre.

    <Le Figaro> nous apprend que la prochaine fois que l’équinoxe d’automne aura lieu un 21 septembre sera en… 2092 !

    <Ce site belge> affirme que l’automne ne serait jamais tombé un 21 septembre depuis l’instauration du calendrier grégorien qui a été mis en place progressivement à partir de 1582.

    Je ne sais pas pourquoi, l’idée que l’automne débute le 21 septembre s’est répandue.

    Le Figaro non plus :

    « Contrairement à une idée reçue, les saisons ne débutent pas toutes les 21 du mois. Pour l’automne, c’est même plutôt une chose rare […] »

    Et le journal explique :

    « Chaque année, le début de l’automne commence au moment exact de l’équinoxe d’automne, quand la ligne qui marque la limite entre le jour et la nuit à la surface de la planète passe par les deux pôles. La durée du jour y est donc égale à la durée de la nuit, partout sur Terre. Et en conséquence, lors de l’équinoxe, le soleil se lève exactement à l’est et se couche exactement à l’ouest.

    Mais pourquoi cet équinoxe ne tombe-t-il pas le même jour chaque année ?

    Premier paramètre, l’année peut durer 365 jours, ou 366 quand elle est bissextile. Cette variation entraîne donc un décalage dans les dates des saisons. »

    L’année correspond à la révolution de la Terre autour du Soleil qui s’effectue précisément en 365 jours 5h48 minutes et 45 secondes.

    « Le deuxième paramètre, c’est que la Terre ne décrit pas une orbite parfaitement circulaire autour de son étoile. Si c’était le cas, les saisons seraient de durées égales, et leur début pourrait se caler plus régulièrement sur le calendrier grégorien, qui a justement été conçu pour éviter que ces dates ne se décalent dans le temps.

    Mais voilà, l’orbite terrestre est un tout petit peu excentrique : ce n’est pas un cercle, mais une ellipse très légèrement allongée, avec une distance Terre-Soleil qui varie entre 147 et 152 millions de kilomètres. »

    Et le site belge apporte encore un troisième paramètre appelé « la précession des équinoxes. » ce qui signifie que la rotation de la Terre sur elle-même n’est pas parfaitement circulaire. En réalité, notre planète décrit un cône tous les 26 000 ans.

    Cette année la date d’entrée de l’automne a intéressé beaucoup de monde. Ainsi sur France Culture, Guillaume Erner a invité Florent Deleflie, astronome à l’Observatoire de Paris- PSL, chercheur à l’Institut de Mécanique Céleste et de Calcul des Ephémérides, le 21 septembre pour expliquer que la saison des « sanglots longs des violons… » commencerait 2 jours plus tard.

    < Pourquoi le début de l’automne ne commence-t-il jamais à la même date ?>

    Florent Deleflie a précisé que l’équinoxe d’automne qui marque le début de la saison automnale tombe cette année « le 23 septembre et pour ce qui concerne la France à 3h, 3 minutes du matin et 43,51 secondes », d’après l’astronome à l’Observatoire de Paris.

    Il s’git donc d’une position précise par rapport au soleil.

    Selon <Geo> :

    « Durant l’équinoxe, les deux hémisphères sont éclairés de la même façon, car le soleil est pile à la verticale au-dessus de l’équateur : en astronomie, il est dit que notre astre passe au Zénith, point d’intersection entre la verticale de l’équateur et la sphère céleste. »

    Cet article donne aussi des éléments sur les éléments symboliques de l’Automne

    « Le passage à l’automne est associé à des traditions et rites dans de nombreuses cultures à travers le monde. Moment de collecter une grande partie des récoltes avant les gelées de l’hiver, il a longtemps été célébré par les païens. Le « Mabon » nom celtique associé à cet équinoxe, s’accompagnait ainsi de festivités de gratitude. En Grande-Bretagne, c’est ce qui est appelé le « Harvest festival » habituellement fêté le dimanche de la pleine lune la plus proche de l’événement astronomique, mais la date diffère selon les célébrations locales.

    Durant les équinoxes d’automne et de printemps, des milliers de voyageurs se rassemblent par ailleurs sur les ruines mayas de Chichén Itzá (Yucatán, Mexique). Car sur la pyramide de Kukulcán à cette période exacte, un jeu d’ombre et de lumière se crée : il laisse apparaître un serpent, descendant ou montant les 364 marches de l’escalier (365 avec l’entrée du temple) que forme le monument.

    Aussi, le calendrier républicain mis en place le 6 octobre 1793 par les révolutionnaires (et utilisé jusqu’en 1805) avait fixé l’équinoxe d’automne comme premier jour de l’année. Car hasard du sort, l’institution de la République avait eu lieu ce jour même, le 22 septembre 1792 — ou plutôt, le 1er vendémiaire an I — au lendemain de l’abolition de la royauté. Mais il est supprimé par Napoléon Ier à son arrivée au pouvoir, qui revient au calendrier grégorien. ».

    Ce début d’automne correspond pour nous à une semaine de repos.

    Le mot du jour devrait revenir le 3 octobre.

    <1715>

  • Jeudi 22 septembre 2022

    « L’inceste n’est pas tabou, c’est le fait d’en parler qui est tabou. »
    Iris Brey

    L’inceste est un phénomène massif dans notre Société.
    Ce n’est que récemment que cette réalité a été dévoilée et que les personnes intègres qui veulent savoir, le savent.

    A la sortie du livre de Camille Kouchner, j’avais commis une série de mots du jour du <15 février 2021> jusqu’au <24 février 2021> avec au centre de cette série, le livre de Dorothée Dussy « Le berceau des dominations » qui vient enfin d’être rééditer.

    Ce livre fut une révélation pour beaucoup.

    Le 23 janvier 2021, le président de la République a annoncé la création d’une commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise)

    Rapidement cette Commission lançait un vaste appel à témoignages.

    Elle a reçu 6 414 témoignages reçus, elle vient de dresser le bilan des lourdes séquelles que présentent, encore à l’âge adulte, celles et ceux qui ont été victimes de violences sexuelles durant l’enfance.

    Un traumatisme qui continue d’affecter leur santé physique et mentale, ainsi que leur vie familiale, sexuelle et professionnelle. Le rapport livre également de nombreux chiffres sur le profil des victimes.

    On apprend que dans 25% des cas, les victimes avaient moins de 5 ans

    Dans l’immense majorité des cas (81%), l’agresseur est un membre de la famille : père, grand-frère, demi-frère, grand-père, cousin, oncle, beau-père

    Un ouvrage collectif <La culture de l’Inceste> vient de paraître.

    Sonia Devilliers, dans son émission : <L’invité de 9h10> avait invité Iris Brey et Juliet Drouar qui codirigeaient l’écriture de ce livre écrit par 14 thérapeutes, universitaires et militantes.

    Annie et moi avons été si marqué par cette émission que nous avons immédiatement acheté ce livre. C’est Annie qui a commencé à le lire et le trouve remarquable.

    Dans cette émission Iris Brey rappelle que Claude Levi-Strauss affirmait que l’inceste constituait un interdit, un tabou.

    Ce que ce grand homme disait était faux, totalement, radicalement faux.

    Ce qui est interdit c’est le mariage incestueux, c’est le mariage qui est un évènement public qui oblige à l’alliance de deux familles différentes, c’est-à-dire pratiquer l’exogamie et non l’endogamie.

    D’ailleurs Claude Levi-Strauss abordait cette question par le prisme des alliances entre familles , alors que Dorothée Dussy et les personnes qui étudient l’inceste aujourd’hui analyse ce crime sous le projecteur des violences sexuelles.

    Mais la relation sexuelle incestueuse, à l’intérieur de la famille, est tellement massive : 7 millions de victimes en France, que dire que cette pratique constitue un interdit, un tabou est un mensonge.

    Et Iris Brey a eu cette phrase qui révèle la vérité :

    « L’inceste n’est pas tabou, c’est le fait d’en parler qui est tabou »

    C’est ce qu’éclaire parfaitement le témoignage que vient de publier « L’Obs » le 21 septembre 2022 : « La libération de la parole et la résilience sont, à mon sens, de grandes arnaques »

    L’Obs a changé le nom de la victime et l’a appelé Nina. Nina s’est exprimée  en mai, devant la Ciivise et c’est après cette intervention que l’Obs l’a rencontrée.

    Nina a 42 ans, elle a été victime d’inceste.

    Voilà ce qu’elle a dit à l’Obs :

    « J’ai été victime d’inceste et j’ai parlé. En février dernier, quelques semaines après avoir assisté à une première réunion publique de la Ciivise à Paris, j’ai parlé pour la première fois à ma famille.
    En révélant l’inceste toujours tu, je l’ai simplement perdue. Ma famille a disparu.
    Au-delà des seuls agresseurs, les réactions de mes proches ont été les mêmes : déni, menaces de suicide, chantage affectif : « Tu te rends compte de ce que tu nous fais ? » Sans compter l’invitation « à passer à autre chose »…
    Comment faire famille avec eux désormais ?
    Comment gérer cet isolement et cette douleur supplémentaires ?
    Une seconde rencontre de la Ciivise était prévue à Paris en mai. J’y suis retournée, et cette fois, parce qu’il en allait de ma survie je crois, j’ai pris le micro pour témoigner tout haut.

    J’ai dit ce qui arrive quand, comme moi, on révèle l’inceste à 42 ans. J’ai dit les quarante ans de silence, l’amnésie traumatique, l’angoisse, les difficultés relationnelles…
    J’ai dit la déflagration, l’empêchement de vivre vraiment.
    A la manière d’une rescapée de guerre ayant déserté un terrain miné, j’ai rejoint ce soir-là, en réalité, tant d’autres gueules cassées, tant de femmes formidables devenues depuis des alliées.
    Elles m’ont dit les réactions de leurs proches, identiques à celles des miens quel que soit leur milieu social.
    Les mêmes mots de nos mères et de nos frères nous reprochant d’avoir « détruit la famille », « regrettant notre absence » à telle ou telle fête de famille…
    Je ne suis plus dans la solitude de l’enfant incesté qui se tait. J’ai trouvé des alter ego.
    Nous nous comprenons dans notre chair, dans nos histoires, nos souvenirs traumatiques et leurs manifestations incongrues et implacables.
    Le simple bruit d’une porte de frigo qu’on referme, un parfum… et tout peut ressurgir.
    […]

    J’ai dit aussi ma frustration et mon ire. Parce qu’au fil des ans, je suis devenue cette victime résiliente tant souhaitée par moi-même dans un premier temps, et par l’ensemble de la société.
    Et j’en ressens à présent une grande insatisfaction et une colère immense.
    La libération de la parole et la résilience sont, à mon sens, de grandes arnaques.
    Une parole qui se libère ? Pour quoi faire si elle retombe comme un caillou qui ricoche sur la surface plane d’une eau limpide sans laisser la moindre trace ? On parle encore et encore, nos paroles s’entremêlent, et puis quoi ? Rien. C’est un désastre. Comme je l’ai dit ce soir-là à la Ciivise, cela me fait penser à un charnier de victimes qui se débattent avec leurs paroles et, en surplomb, les agresseurs, la société, la justice et l’Etat qui nous regardent tentant de sauver notre peau, notre santé mentale, notre intégrité. Quant à la résilience, elle ne doit pas et ne peut pas suffire à laver les agresseurs de leurs crimes sexuels. Ce serait trop simple.
    […]

    Que se passe-t-il pour une victime d’inceste une fois qu’elle a parlé ? Depuis ma prise de parole, non suivie d’une action en justice pour ma part, il ne s’est rien passé. J’ai cherché un nouveau thérapeute. Un psychiatre de 70 ans a évoqué mon narcissisme et mon sentiment de culpabilité, m’invitant à m’engager dans un long processus thérapeutique et balayant littéralement d’un revers de la main l’inceste dont j’ai été victime. Pour lui, ce n’était qu’un détail. Pour la première fois de ma vie, je me suis opposée à un professionnel de santé et j’ai pointé du doigt son incompétence et affirmé mon refus de me soumettre à une cure psychanalytique longue, onéreuse et inadaptée, dans laquelle la domination se (re) joue encore et encore, à plusieurs endroits.

    Je n’ai plus besoin de cela, j’ai besoin d’autre chose. Mais de quoi ?

    […] Le tabou est tel que tout est incomplet ou inexistant : la réponse de la justice, la réponse de la société, la réponse politique.

    Il y a quelques jours, un ouvrage majeur a paru. « La Culture de l’inceste », coordonné par l’autrice Iris Brey et l’art-thérapeute Juliet Drouar.
    Sa lecture, qui m’a donné le vertige, me hante et m’accompagne. L’essai me répète que mon parcours individuel n’a rien de honteux ni de singulier, que mon histoire est au cœur d’un système patriarcal bien rodé qui promeut et permet l’inceste.
    L’anthropologue Dorothée Dussy y explique aussi que l’inceste structure la société, qu’il est le socle des dominations patriarcales. A défaut de justice, nous cherchons collectivement du sens et des réponses. A défaut de tout ce qui n’existe pas encore.

    […] On souffre aujourd’hui toujours de l’inceste. On en meurt aussi. Depuis le début de l’année, la mort rôde dans le « grand club des victimes résilientes » que j’ai intégré. Une amie m’évoque le suicide de la fille d’un ami, cet été, violée par son oncle. Une autre, violée toute son enfance par son frère, se confronte à nouveau à ses souvenirs traumatiques et me confie aussi son envie de mourir. L’acteur Johann Cuny, sur les réseaux sociaux, témoigne lui aussi du suicide de sa sœur Adèle, victime d’inceste à 7 ans.
    Combien d’autres ? Depuis que j’ai libéré ma parole, je vois et je relève désormais l’impact des violences sexuelles commises dans l’enfance, dans la chair, le psychisme, durant toute une vie.
    […]

    J’ai été victime d’inceste et j’ai parlé. Mais le silence revient toujours, sans un bruit, recouvrir l’inceste.
    C’est un linceul déployé sur chacun de nos témoignages, aussi puissants soient-ils.
    Un linceul crasse jeté simultanément sur des milliers d’enfants qui ne seront pas protégés cette nuit du ou des membres de leur famille, incesteur(s), agresseur sexuel dominant, dont l’autorité fait foi.
    Qu’attendons-nous pour agir ? »

    Oui vraiment ce qui était tabou c’était d’en parler.

    Et aujourd’hui encore le déni est la réponse la plus fréquente et non l’écoute et l’accueil bienveillante de la parole, comme le montre ce témoignage !

    A voir aussi cette émission de Mediapart <L’inceste est partout> avec Iris Brey, Juliet Drouar et Dorothée Dussy. La basketteuse Paoline Ekambi est aussi venue apporter son témoignage.

    <1714>

  • Mercredi 21 septembre 2022

    « En général, les choses doivent avoir des limites. »
    Tamim ben Hamad Al Thani, émir du Qatar

    Le mot du jour de vendredi dernier mettait l’accent sur la nécessité d’écouter.

    On cite souvent Goethe :

    « Parler est un besoin, écouter est un art ! »

    Hier, le mot du jour fut une attaque frontale contre le Qatar, alors il faut donc être en mesure d’écouter la parole de la défense.

    Et c’est une grande chance, le magazine « Le POINT » est allé opportunément, 2 mois avant l’ouverture de la coupe du Monde, interviewer l’émir du Qatar à Doha et publie un très long entretien avec le souverain du Qatar dans son numéro 2615 du jeudi 22 septembre 2022. : <Le grand entretien avec l’émir du Qatar>

    Le Point a dépêché à Doha deux de ses journalistes les plus chevronnés : Luc de Barochez et Ėtienne Gernelle

    Ils le décrivent comme un homme discret et plein d’attentions à leur égard.

    Les journalistes sont tout esbaudis quand ils constatent que pour la visite qu’on leur a promis, le chauffeur qui se fait aussi guide est tout simplement l’Émir lui-même.

    Il ne se livre pas souvent au Media puisque l’article nous apprend que

    « Il n’a donné que deux interviews formelles depuis qu’il a succédé à son père, en 2013 : la première à CNN, en 2014, la seconde à CBS, en 2017. Plus quelques citations accordées au New York Times. Il s’agit donc du premier véritable entretien accordé à la presse écrite, et de sa première prise de parole en Europe. »

    Mais quand il ouvre sa porte au Point, il sort le grand jeu.

    Tamim ben Hamad Al Thani, a 42 ans, et il règne sur le Qatar depuis le 25 juin 2013, après l’abdication de son père, Hamad ben Khalifa Al Thani.

    Après cette visite qu’il offre à ses hôtes et dans laquelle il leur démontre combien il est à l’aise avec son peuple, commence l’entretien proprement dit.

    Dans l’entretien nous apprenons que manifestement, il est un homme de paix bien que son pays soit menacé par son puissant voisin l’Arabie Saoudite qui, de 2017 à 2021, a organisé un blocus du pays avec pour objectif annoncé de le renverser. En outre, la fortune du Qatar provient surtout de l’immense réserve gazière, la troisième au monde, mais qu’il doit partager avec l’Iran qui est chiite alors que le Qatar est sunnite.

    Ainsi parle Tamim ben Hamad Al Thani :

    « Notre politique étrangère au Qatar vise à rapprocher les différents points de vue, à apporter notre aide à toutes les parties qui en ont besoin, et à jouer un rôle de facilitateur, dans la région et ailleurs. Le monde a besoin de dialogue pour résoudre ses problèmes. »

    « Nous ne souhaitons pas voir le monde polarisé entre deux superpuissances ; ce serait très dangereux. […] Notre pays est un allié majeur de l’Amérique et de l’Occident en général, mais notre principal importateur de gaz naturel liquéfié est la Chine. Nous ne pouvons que constater qu’il y a de grandes divergences entre eux, mais nous espérons que les tensions pourront s’apaiser par les voies diplomatique et pacifique. »

    « Cela s’inscrit dans notre politique : rapprocher les parties qui ont des divergences. En ce qui concerne les talibans, nous l’avons fait à la demande de nos amis américains […] Notre devoir et notre intérêt sont de tout faire pour rapprocher les parties et les engager à négocier un règlement pacifique. Nous ne nous imposons aucune limite dans le choix de nos interlocuteurs, pour autant qu’ils croient en la coexistence pacifique. »

    « Nous voulons aider et donner espoir à la jeunesse moyen-orientale. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour apporter la paix à la région. »

    « Pour que tout le monde y trouve son compte, il faut une coopération mondiale. Je ne veux pas que la mondialisation s’arrête, et je ne pense pas que ce sera le cas. Certains prétendent qu’un retour en arrière rendrait la vie plus facile. Ce n’est pas vrai. Parler et arriver aux responsabilités, ce n’est pas la même chose… Cela ne peut pas marcher. Le monde entier est intégré. Puisque nous sommes tous interconnectés, nous devons travailler ensemble et résoudre nos problèmes ensemble. »

    Et même quand les journalistes l’interrogent sur l’Arabie Saoudite qui a tenté de le renverser par un blocus, il répond :

    « Écoutez, je ne souhaite pas parler du passé. Nous voulons nous tourner vers l’avenir. Nous sommes entrés dans une nouvelle phase, les choses bougent dans le bon sens. Nous reconnaissons que, parfois, nous sommes en désaccord. Nous préparons l’avenir de cet ensemble de pays, le Conseil de coopération du Golfe [le CCG, qui regroupe les six monarchies de la Péninsule arabique, NDLR], qui est essentiel pour débloquer le potentiel des jeunes dans l’ensemble de la région. »

    Et sur son autre voisin, fervent de l’autre branche principale de l’Islam : l’Iran

    « Vous mentionnez l’Iran. Ce pays est très important pour nous. Nous avons une relation historique et, de surcroît, nous partageons avec lui notre principal champ gazier. Nous encourageons tous les États membres du CCG et l’Iran à se parler. Il y a bien sûr des divergences – tout le monde en a –, mais il faut s’asseoir autour d’une table et en parler, directement entre nous et les Iraniens, sans ingérence extérieure. »

    En même temps vu la petite superficie de son territoire, le nombre restreint de ses nationaux : 2,8 millions d’habitants dont 80 % d’étrangers, le Qatar ne peut pas se permettre d’être belliqueux et doit s’appuyer sur sa capacité diplomatique et c’est ce qu’il fait.

    Une autre de ses qualités, c’est qu’il mise sur l’éducation :

    « L’éducation est essentielle, surtout dans un pays qui jouit de ressources naturelles. […] Nous devons surtout investir dans nous-mêmes, dans le capital humain. Qu’on soit riche ou pauvre, l’éducation est la clé. Nous développons nos écoles et nos universités, nous avons invité des universités et des grandes écoles américaines et européennes à s’installer ici. »

    Et enfin il est lucide sur les difficultés des peuples et des dirigeants arabes mais le Qatar fait sa part pour que la situation s’améliore :

    « Les racines profondes du Printemps arabe sont hélas toujours là ! La pauvreté, le chômage, les diplômés sans emploi… Avons-nous résolu ces problèmes ? Non, au contraire, ils ont empiré ! Si nous ne les traitons pas, les événements qu’ils ont provoqués pourront se répéter. À mon avis, la meilleure façon de prévenir les turbulences à l’avenir est de mettre en œuvre des réformes, de manière graduelle. Nous devons donner de vrais espoirs aux populations, et pas seulement en paroles. Le Qatar avait promis d’éduquer 10 millions d’enfants non scolarisés et nous avons surpassé cette promesse : nous atteindrons bientôt 15 millions d’enfants dans le primaire. Nous devons également leur fournir des emplois, des opportunités, mais aussi les laisser exprimer leurs opinions et leurs différences. Le Qatar a mis en place des programmes pour aider à former plus de 2 millions de jeunes dans le monde arabe et leur donner des opportunités d’emploi. Par exemple, nous avons une expérience unique en Tunisie, où nous aidons des gens à lancer leur entreprise. Des dizaines de milliers de jeunes bénéficient de ce projet. »

    Après toutes ces belles réponses, il est légitime de se poser la question s’il reste raisonnable de critiquer autant le Qatar ?

    Mais ces journalistes ont-ils posé les questions embarrassantes ?

    Oui… un peu

    Ils ont rappelé que le Qatar est accusé de protéger les frères musulmans, ce mouvement islamique radical né en Égypte qui au-delà de la dimension religieuse veut aussi s’emparer du pouvoir politique.

    L’émir nie tout simplement :

    « De tels liens n’existent pas. Il n’y a pas, ici au Qatar, de membres actifs des Frères musulmans ou d’organisations leur appartenant. »

    Ils se sont aussi intéressés à sa vision sur le rôle et la place des femmes dans la société :

    « D’abord, devant Dieu, nous sommes tous égaux, hommes ou femmes. Le rôle des femmes est vital dans notre société. Au Qatar, leurs performances à l’université sont supérieures à celles des hommes. Elles représentent 63 % des étudiants. Dans la population active, c’est à peu près 50-50. Au sein de notre gouvernement, nous avons trois femmes ministres. Elles y font un travail formidable. Nous avons même des femmes pilotes dans notre armée de l’air. Nous ne voyons pas de différences avec les hommes. Bien sûr, nous sommes conscients qu’elles sont victimes de discriminations dans le monde, mais nous y sommes totalement opposés. »

    Dans une société où elles sont contraintes de porter le voile, il affirme être conscient qu’elles « sont victimes de discrimination dans le monde. » Dans le monde, peut-être, mais au Qatar, non.

    Et la liberté d’expression :

    « Je crois personnellement à la liberté d’expression. Elle doit être protégée. Mais si cette expression conduit, de manière intentionnelle, à des problèmes ou à des conflits dans le domaine culturel ou religieux, est-il vraiment nécessaire de le dire ? Je ne parle pas ici de quelqu’un qui critiquerait un ministre ou un haut responsable, cela ne me pose aucun problème. Mais, dans des domaines où l’on sait que cela va créer des problèmes, il faut être très prudent. Chacun a le droit de s’exprimer mais, quoi que nous disions, nous devons éviter de blesser des gens issus de cultures, de religions ou de milieux différents. En général, les choses doivent avoir des limites. »

    Sur ce point, nous le sentons un peu réticent. La liberté d’expression c’est très bien, mais les limites à la liberté d’expression lui semblent tout aussi important.

    Mais ont-ils parlé des morts sur les chantiers, du droit de travail, de la climatisation des stades, de la cause des LGBT.

    Rien sur ce dernier point

    Sur les deux autres :

    • Les conditions de travail :

    « Il y a deux sortes de critiques. La plupart du temps, nous y voyons un conseil ou une alerte, et nous les prenons au sérieux. Ainsi, nous avons compris que nous avions un problème avec le travail sur les chantiers, et nous avons pris des mesures fortes en un temps record. Nous avons modifié la loi et nous punissons quiconque maltraite un employé ; nous avons ouvert nos portes aux ONG et nous coopérons avec elles. Nous en sommes fiers. Et puis il y a la seconde catégorie de critiques, celles qui se poursuivent quoi que nous fassions. Ce sont des gens qui n’acceptent pas qu’un pays arabe musulman comme le Qatar accueille la Coupe du monde. Ceux-là trouveront n’importe quel prétexte pour nous dénigrer. »

    Le nombre de morts n’a pas été évoqué ni la controverse entre le Guardian (6500 morts) et la communication officielle du Qatar (37).

    • La climatisation

    « Je pense que chaque pays devrait avoir la chance d’organiser des événements sportifs mais, parfois, le climat peut être un obstacle. Nous avons utilisé les technologies de pointe pour minimiser la consommation d’eau et d’énergie pendant la Coupe du monde, afin d’en faire un événement plus durable. »

    Voici ce long droit de réponse que Le Point a accordé à l’Émir du Qatar.

    Le magazine « Marianne » s’est étonné de ce long entretien, sans aspérité, présentant un homme modéré, sage et recherchant toujours le consensus : < Quand l’hebdomadaire « Le Point » fait la promo de l’Émir du Qatar>

    « Dans sa dernière livraison, le Point annonce en couverture une interview fleuve du Cheikh Tamim ben Hamad Al Thani, émir du Qatar, avec photo de l’impétrant à l’appui. Pour cet exercice, l’hebdomadaire a délégué dans le pays hôte du Mondial de foot son directeur de la rédaction, Étienne Gernelle et Luc de Barochez, deux attaquants réputés de la maison, célèbres pour leur capacité à se jouer des défenses adverses. On s’attendait donc à voir l’Émir cerné, poussé dans ses retranchements, mis face à ses contradictions, sommé de s’expliquer, […] Rien de tel. En fait, le lecteur du Point risque de se retrouver dans la peau du supporter du PSG, propriété du Qatar, après une défaite de son équipe fétiche. Aucune question gênante. Pas de relance après une réponse lénifiante. L’Émir enfile les formules creuses comme d’autres enfilent les perles sans que jamais le duo d’intervieweurs ne daigne rompre l’atmosphère de complicité bienveillante qui sied à ce genre d’exercice »

    Et Marianne finit par cette réplique digne d’Audiard :

    « Bref, c’est un homme ordinaire, bien sous tous rapports, un grand humaniste méconnu, un modèle d’ « humilité », comme le confient Étienne Gernelle et Luc de Barochez, à qui l’impétrant confie cet ultime conseil : « L’éducation commence par des choses simples : faire son lit le matin, par exemple. » Nul ne sait si les deux intervieweurs du Point font leur lit, mais ils ont administré la preuve éclatante qu’ils savent se coucher. »

     

    <1713>

  • Mardi 20 septembre 2022

    « Ne pas voir le problème ou ne pas voir la Coupe du monde. »
    Jérome Latta

    Aujourd’hui, je vais faire un pas de côté par rapport au choc des civilisations, quoique…

    Le football a été inventé, en Angleterre, en Occident donc.

    Un pays, appartenant à une autre civilisation et se trouvant près d’un désert très chaud, a trouvé ce sport très à son goût.

    Comme il était particulièrement riche, il a investi et investi dans ce sport qui n’avait pas été créé pour lui et qu’il n’est pas facile de pratiquer chez lui car il y fait trop chaud.

    Alors …

    Alors, avec de l’argent on peut faire tant de choses et le 20 novembre va s’ouvrir la coupe du monde au Qatar, dans deux mois

    Une amie Facebook a partagé un texte d’un internaute qui a pour nom Bouffanges Bfg

    J’ai appris qu’il était écrivain.

    Il a écrit ce texte en l’accompagnant de cette photo :

    « Au début, tu sais, il n’y eut guère plus qu’une indignation molle, de celles que l’on exprime face aux tracas subalternes de la vie.
    Quand le Qatar se vit attribuer l’organisation de la Coupe du Monde, nous étions en 2010.
    C’était il y a une éternité !
    Certes, le Qatar n’enthousiasmait pas les plus démocrates d’entre nous ; mais somme toute, nous venions d’organiser des JO d’été à Pékin, nous allions organiser des JO d’hiver en Russie et, dans la lancée, nous retournerions en Chine.
    Et puis, tiens, on ferait même une Coupe du Monde en Russie, histoire de boucler la boucle.
    Alors bon…. Ce n’était guère plus que la routine, un menu nid-de-poule sur l’autoroute de la modernité.

    Peu après, quelques voix se sont élevées pour soupçonner que certains membres de la FIFA auraient perçu des « encouragements » à voter intelligemment.
    Certains, du bout des lèvres, allaient jusqu’à appeler ça corruption.
    L’affaire fit tant de clapotis que certaines têtes furent coupées.
    Mais que faire de plus ? Remettre en cause le résultat des votes ? Après tout, c’était le Qatar, on ne pouvait pas vraiment s’attendre à ce qu’ils n’achetassent pas ce qui peut s’acheter.
    D’ailleurs, entre temps, ils s’étaient offert le PSG [en mai 2011] avec des arguments sonnants et trébuchants, ce qui offrait enfin l’espoir que le plus grand club de France cesse de trébucher et de se faire sonner en Ligue des Champions.
    Alors bon…Ce n’était guère plus que la routine, un menu flash de radar sur l’autoroute de la mondialisation.

    Évidemment, ensuite, il fallut construire les infrastructures.
    Et les immenses stades nécessaires à la grand-messe du foute, ça ne pousse pas en arrosant le sable.
    Il y avait urgence, alors comme nous l’enseigne infailliblement l’Histoire, quand il s’agit de construire vite et grand, rien de mieux que l’esclavage.
    Oh ! L’esclavage ! Tout de suite les grands mots ! Peut-être ces travailleurs étaient-ils de humbles héraults tout entiers dévoués à la cause du foutebale ?
    D’ailleurs, les quelques moutons noirs cupides qui osèrent réclamer une paie furent renvoyés à domicile avec la plus stricte des fermetés.
    Mais entre le Guardian, qui recense un minimum de 6500 morts, et l’appareil officiel du Qatar, qui en dénombre 37, qui détient la vérité ? Alors bon…
    Ce n’était guère plus que la routine, un petit bouchon sur l’autoroute de la civilisation.

    Là où ça a commencé à coincer un peu aux entournures (et au col, aussi), c’est quand on s’est aperçu que le Qatar était islamique.
    On n’avait pas vraiment conscience de cela, avant.
    Rapport au fait que le Qatar semblait vouloir ressembler aux plus belles démocraties occidentales, à grands coups d’architecture ambitieuse et de pétrodollars (pardon, de riyals).
    Mais après 2010, il y eut 2015 et le grand festival des attentats.
    Charlie Hebdo, Bataclan.
    Et après 2015, il y eut 2016 : Bruxelles, Nice.
    Puis 2017, 2018, et plein d’autres nombres en 201…

    Et chaque année apportait son lot d’attentats islamistes, en France ou ailleurs.
    Et l’idée d’une Coupe du Monde en terre d’islam radical est devenue moins rock’n roll.
    Le Qatar ne semblait pas parti pour être le prochain Woodstock.
    Cela dit, le Qatar se défendait d’être islamiste.
    Islamique seulement.
    Islam ferme, résolu, mais certainement pas radical.
    D’ailleurs, à la différence de l’Arabie Saoudite voisine, qui décapite comme d’autres prennent leur café le matin (81 en une seule journée en 2022, dans un accès de ferveur dévote), le Qatar n’exécute plus personne depuis bien longtemps.
    À part en 2021, mais il s’agissait d’un Népalais.
    Alors bon. ….
    Ce n’était guère plus que la routine, un petit vomi sur le bord de l’autoroute de l’œcuménisme.

    Pour beaucoup, la problématique s’est concrétisée tardivement, au début de l’été.
    On s’est rendu compte de ce qu’islamique voulait dire lorsque le Qatar a fait savoir qu’une certaine tolérance serait de mise pendant la Coupe du Monde en ce qui concerne la loi locale sur les relations hors mariage.
    En temps habituels, toute relation hors mariage, ou pire adultérine, ou pire homosexuelle, ou pire sodomite, était passible de peine de mort, ou a minima de coups de fouets et d’emprisonnement.
    Bizarrement, le monde n’a pas forcément ressenti cette précision comme une preuve de la grande tolérance du Qatar.
    Mais bon…
    Ce n’était guère plus que la rout…


    Enfin bref, là oui, on commençait à sentir un peu que l’autoroute avait deux trois malfaçons dans l’enrobé.
    Et enfin, pour la plupart, la prise de conscience est survenue après l’été 2022.
    On sortait de la plus longue canicule de l’histoire moderne, on n’avait plus d’eau depuis des semaines, des pays entiers étaient sous les eaux, la guerre en Ukraine provoquait une flambée des prix de l’énergie et laissait augurer un hiver bas en couleurs.
    Soudain, les images de ces immenses stades perdus au milieu du désert, tempérés par des batteries de climatiseurs grands comme des réacteurs de Boeing 737, sont apparues comme un signe frappant de décalage temporel.
    On ne pouvait plus prétendre que ce n’était rien, que c’était comme ça.

    Voilà, maintenant tu sais comment, en douze années de temps, la Coupe du Monde au Qatar, avec ses stades bâtis sur des ossuaires, est devenue le symbole de la corruption, de l’atteinte aux droits humains, du dédain face à la catastrophe climatique, tout ça pour le plaisir de voir courir quelques milliardaires en culottes courtes.
    Voilà, mon fils, comment elle est devenue le symbole ultime du cynisme de notre civilisation.
    Et voilà comment elle est devenue l’instant où le monde s’est rendu compte que ce pouvait être le début de la fin ; ou le début d’autre chose.
    Tu n’étais pas né en 2010.
    Ton frère avait un an.
    Vous n’y pouviez rien.
    Et je croyais n’y rien pouvoir non plus.
    Mais quand on est nombreux à n’y rien pouvoir, on finit par pouvoir un peu. »

    Bon, il y a beaucoup d’informations dans ce texte !

    L’Arabie Saoudite a-t-elle exécuté 81 personnes le même jour ?

    Oui c’était le 12 mars 2022. Vous trouverez l’information diffusé par Amnesty International <ICI>

    Le Qatar a-t-il exécuté un népalais ?

    Oui c’était en avril 2021, vous trouverez la confirmation dans cet article de <L’Orient le jour>

    Beaucoup de Népalais se trouvent au Qatar pour y travailler.

    Le journal « Sud-Ouest » avait publié, en 2013 déjà : « Coupe du monde au Qatar : 44 ouvriers népalais morts, des preuves de travail forcé ».

    Dans cet article très court le journal citait le journal anglais « The Guardian » :

    « Au moins 44 ouvriers népalais , travaillant dans des conditions s’apparentant à de l’esclavagisme , sont morts en 2013 sur des chantiers au Qatar […]
    Le Guardian dit avoir trouvé des preuves et des témoignages de travail forcé sur un projet d’infrastructure majeur en vue de la Coupe du monde 2022, même si les travaux liés directement à l’événement n’ont pas encore commencé.

    Le journal relaie les allégations de certains ouvriers qui disent ne pas avoir été payés depuis des mois , qu’on leur a confisqué leur passeport et qu’on les prive d’eau potable gratuite sur les chantiers, malgré des températures caniculaires. »

    Le 21 février 2021 le même journal Le Guardian estimait que <6 500 ouvriers seraient morts dans les chantiers au Qatar>

    Vous trouverez sur le site de la <Diplomatie Belge> cette information sur les mœurs :

    « La prostitution, l’homosexualité et les relations extraconjugales (non seulement adultérines mais toute relation sexuelle hors mariage) sont illégales. Ces délits sont sévèrement sanctionnés en vertu de la loi islamique (sharia).

    Les personnes reconnues coupables d’actes homosexuels encourent jusqu’à dix ans de prison. Il est donc conseillé aux personnes LGBTI de considérer soigneusement les risques d’un voyage au Qatar.

    Les unions de fait sont illégales au Qatar. Un homme et une femme ne sont pas autorisés à vivre dans le même logement à moins d’être légalement mariés ou d’avoir un lien de parenté. Les relations sexuelles hors mariage constituent une infraction criminelle.

    Les démonstrations d’affection en public, y compris le fait de se tenir par la main ou de s’embraser, ne sont pas acceptables socialement.

    Hommes et femmes doivent s’habiller modestement, notamment en se couvrant les genoux et les épaules . Les femmes étrangères ne sont cependant pas obligées de porter le voile. »

    Le journaliste Jérôme Latta a publié dans le Monde, hier, 19 septembre : « 
    Le Mondial au Qatar, c’est la (grosse) goutte qui fait déborder la coupe » dans lequel il écrit :

    « Il y a ce bilan humain effarant, dont l’unité est le millier de morts, sur les chantiers du pays, et l’aberration écologique de ces huit stades climatisés de 40 000 à 80 000 places – sept nouveaux – serrés dans une agglomération de 800 000 habitants, dont les tribunes n’étaient pas remplies lors des Mondiaux d’athlétisme en 2019.

    Le Mondial qatari représente, certes, moins une rupture qu’un aboutissement navrant. C’est la (grosse) goutte qui fait déborder la coupe, en exhibant la réalité des grands événements sportifs : gigantisme, compromission politique, gabegie économique et environnementale, cupidité des organisations sportives, mépris des fans, etc.

    Le procès fait à la FIFA World Cup Qatar 2022 est celui d’un modèle poussé à son extrême, qui laisse beaucoup d’entre nous devant un sinistre dilemme : ne pas voir le problème ou ne pas voir la Coupe du monde. »

    Chacun agira comme lui dicte sa conscience.

    Pour ma part, je ne peux pas ne pas voir le Problème écologique, humain et éthique.

    Je ne pourrais pas regarder une minute de cette sinistre et criminelle farce.

    Je vous rappelle que Coluche avait eu cette phrase « et dire que pour cela ne se vende pas, il suffit simplement de ne pas l’acheter. »

    <1712>

    Les caricaturistes se sont lâchés.

  • Lundi 19 septembre 2022

    « La conférence mondiale de l’ONU sur les droits de l’homme à Vienne, en juin 1993. »
    Moment où l’Occident a compris que si elle avait gagné la guerre froide, son modèle et ses valeurs étaient loin de s’être imposés.

    La guerre froide était terminée depuis 1991.

    Les États Unis n’avaient plus d’ennemis à leur dimension comme pouvait l’être l’Union Soviétique.

    Les communistes chinois, sous l’autorité morale de Deng Xiaoping, ne suivront pas l’exemple de Gorbatchev et réprimerons par le sang l’espoir de jeunes étudiants chinois d’obtenir davantage de liberté et de droits.

    Le monde, dominé par l’hyperpuissance des Etats-Unis était prêt, pensait les occidentaux, à se soumettre davantage aux valeurs occidentales des droits de l’homme, de la démocratie et des libertés politiques.

    Et c’est dans cet esprit que fut organisée, du 14 au 25 juin 1993, à Vienne en Autriche, la Conférence mondiale sur les droits de l’homme sous l’égide de l’ONU.

    Huntington explique que c’est lors de cette conférence à Vienne, que les Occidentaux ont compris que même s’ils avaient pensé avoir gagné la guerre froide, le Monde ne s’occidentaliserait pas pour autant. :

    « Les différences quant aux droits de l’homme entre l’Occident et les autres civilisations, et la capacité limitée de l’Occident à atteindre ses objectifs sont apparues au grand jour lors de la conférence mondiale de l’ONU sur les droits de l’homme à Vienne, en juin 1993. D’un côté se tenaient les pays européens et nord-américains ; de l’autre, on trouvait un bloc d’environ cinquante États non occidentaux, dont les quinze plus actifs comprenaient les gouvernements d’un pays d’Amérique latine (Cuba), d’un pays bouddhiste (Myanmar), de quatre pays confucéens aux idéologies politiques, aux systèmes économiques et aux niveaux de développement très différents (Singapour, le Viet-nam, la Corée du Nord et la Chine) et de neufs pays musulmans (La Malaisie, l’Indonésie, le Pakistan, l’Iran, l’Irak, la Syrie, le Yémen, le Soudan et la Libye). Le regroupement islamo-asiatique représenté par la Chine, la Syrie et l’Iran dominait. Entre ces deux groupes, il y avait les pays d’Amérique latine, sauf Cuba, qui ont souvent soutenu l’Occident, et les pays africains et orthodoxes qui l’ont parfois soutenu mais qui s’y sont opposés le plus souvent. »
    Le choc des civilisations page 285

    Constatons d’abord que si l’Occident présente une certaine homogénéité, l’autre coalition est hétéroclite associant des pays d’Islam avec des États qui comme la Chine sont hostiles aux musulmans qui se trouvent dans leurs frontières ou d’autres pays comme Cuba et la Corée du Nord qui sont anti-religieux.

    Constatons ensuite que mise à part l’Amérique latine hors Cuba, l’Occident a peu d’alliés et se trouve minoritaire.

    Quelles étaient les sujets de conflits ?

    « Les problèmes à propos desquels les pays se divisaient en termes de civilisation étaient les suivants :

    • Universalisme/relativisme culturel en matière de droits de l’homme ;
    • Priorité relative de l’économie et des droits sociaux dont le droit au développement/droits politiques et civiques ;
    • Conditions politiques posées à l’assistance économique ;
    • Création d’un commissaire de l’ONU aux droits de l’homme ;
    • Autorisation donnée aux organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme, qui se rassemblaient simultanément à Vienne, de participer à la conférence gouvernementale ;
    • Droits particuliers traités par cette conférence ;
    • Problèmes plus spécifiques comme la possibilité laissée au dalaï-lama de s’adresser à la conférence. »
      Le choc des civilisations page 285/286

    Ces problèmes ont fait l’objet d’importantes divergences entre les pays occidentaux et le bloc islamo asiatique.

    Huntington nous apprend que les pays d’Asie avaient préparés cette conférence, contrairement aux Occidentaux :

    « Deux mois avant la conférence de Vienne, les pays d’Asie s’étaient réunis à Bangkok et avaient adopté une déclaration soulignant que les droits de l’homme devaient être considérés « dans le contexte […] des particularités nationales et régionales et des différents fonds religieux et culturels hérités de l’histoire. »
    Le choc des civilisations page 286

    Bref, il n’y avait aucune raison de se soumettre aux « diktats » des occidentaux concernant les droits de l’homme et leurs prétentions universalistes. C’est les particularités qui sont essentielles et qui justifient « la dose » de droits de l’homme qu’il est possible d’offrir.

    On peut être anti-occidentaux, ou comme moi conscients des faiblesses et des trahisons de l’Occident et trouver cette défense des pays autoritaires ou même tyranniques comme le comble de la mauvaise foi.

    <Le massacre de Tien an men> date de 4 ans, le 4 juin 1989 et dans ce cas plutôt que le particularisme chinois, il fallait surtout sauver le pouvoir du parti communiste chinois et les privilèges des dirigeants communistes.

    A Bangkok ces pays se sont mis d’accord sur une autre exigence :

    « Le fait de conditionner l’assistance économique à la situation des droits de l’homme étaient contraire au droit au développement. »
    Le choc des civilisations page 286

    Ces pays ne supportaient plus que l’Occident exerce une pression financière pour les obliger à améliorer les droits individuels de leurs citoyens.

    Huntington explique que les occidentaux ont fait plus de concessions que leurs adversaires mais ont tenté de préserver les droits des femmes :

    « La déclaration adoptée par la conférence a donc été minimale. »

    La proclamation de l’universalité des droits est donc tempérée largement par la prise en considération des particularismes locaux :

    Par exemple la Déclaration et Programme d’action de Vienne, adoptée dispose dans son article 5 que :

    « Tous les droits de l’homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. La communauté internationale doit traiter des droits de l’homme globalement, de manière équitable et équilibrée, sur un pied d’égalité et en leur accordant la même importance. S’il convient de ne pas perdre de vue l’importance des particularismes nationaux et régionaux et la diversité historique, culturelle et religieuse, il est du devoir des États, quel qu’en soit le système politique, économique et culturel, de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales. »

    Huntington cite Charles J. Brown qui écrivait :

    « [Ce document] représentait une victoire pour la coalition islamo-asiatique et une défaite pour l’Occident »
    Le choc des civilisations page 286

    Et il ajoute, en énumérant notamment tout ce qui manquait :

    « La déclaration de Vienne ne contenait aucune défense de la liberté de parole, de la presse, d’assemblée et de religion et était donc par bien des aspects plus faible que la déclaration universelle des droits de l’homme que les Nations unies avaient adoptée en 1948. Cette évolution traduit le déclin de puissance de l’Occident. […] Le monde est désormais aussi arabe, asiatique et africain qu’il est occidental. »

    Huntington cite alors ce qu’il appelle : « un détracteur asiatique de l’Occident »

    « Pour la première fois depuis que le Déclaration universelle a été adoptée en 1948, des pays qui n’ont pas été marqués profondément par les traditions du judéo-christianisme et du droit naturel sont au premier rang. Cette situation sans précédent va définir la nouvelle politique internationale des droits de l’homme. Elle va également multiplier les occasions de conflit »

    Et il ajoute :

    « Le grand gagnant […] fut clairement la Chine, du moins si on mesure la réussite au fait de dire aux autres ce qu’ils ne doivent pas faire »

    Huntington rappelle que l’Occident eut l’opportunité d’une petite revanche. Le gouvernement chinois avait défini comme objectif majeur d’obtenir l’organisation des jeux olympiques de l’an 2000. On sait que c’est finalement Sidney qui l’obtint, c’est-à-dire une ville et un pays occidentaux. Pour ce faire, il fallut beaucoup manœuvrer pour parvenir à écarter Pékin.

    Ce fut une victoire à la Pyrrhus, Pékin obtint les jeux de 2008, moins de 20 ans après Tien an Men.

    Le 28 janvier 1992, le président américain George HW Bush avait annoncé au Congrès que l’Amérique avait gagné la guerre froide.

    Fukuyama avait publié la même année, 1992, « La fin de l’Histoire »

    Et en juin 1993, la conférence mondiale de l’ONU sur les droits de l’homme à Vienne remettait très largement en cause cette vision occidentalo-optimiste.

    <1711>

  • Vendredi 16 septembre 2022

    « C’est tellement rare, c’est tellement improbable, c’est tellement miraculeux que c’est peut-être ça la civilisation et la culture. Rencontrer quelqu’un qui écoute. »
    Michel Serres

    C’est mon père qui m’avait raconté cette histoire.

    Un vieux sage reçoit un homme qui vient se plaindre d’un autre homme. Il lui raconte longuement les faits et aboutit à une conclusion qui lui est favorable.

    Le sage le congédie en lui disant : « Tu as raison ».

    Mais quelques heures plus tard, l’autre homme vient rencontrer le vieux sage et lui raconte la même affaire avec ses mots et son analyse.

    A la fin de la discussion et au moment du départ, le sage lui dit : « Tu as raison. ».

    Alors, l’épouse du sage qui avait entendu les deux conversations s’approche de son mari et lui dit son étonnement :

    « Je ne comprends pas, ces deux hommes ont exprimé des opinions radicalement opposées et tu as dit à chacun qu’il avait raison. ».

    Et le vieux sage répondit à sa femme : « Tu as raison ! »

    Puis, il a ajouté : « Ces hommes ne partent pas du même point de vue. Mais chacun a raison en partant de son point de vue !

    Cette histoire m’est restée.

    Elle raconte deux personnes qui parlent et ne se rencontrent jamais.

    Je veux dire leurs paroles ne se rencontrent pas, ils ne s’écoutent pas, n’échangent pas.

    Chacun ne se centre que sur son histoire, sa vision, son récit.

    Et aujourd’hui avec les réseaux sociaux, pour beaucoup, leur univers se restreint à un tel point qu’il ne peuvent plus que parler avec les gens qui pensent comme eux.

    Le <mot du jour du 3 mars 2016> citait le sociologue Zygmunt Bauman qui exprime cela avec une acuité rare :

    « S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.»

    A cela Michel Serres répond :

    « C’est tellement rare, c’est tellement improbable, c’est tellement miraculeux que c’est peut-être ça la civilisation et la culture. Rencontrer quelqu’un qui écoute. »

    Cette phrase se trouve dans un livre de Robert Blondin « Le Bonheur possible », dans lequel l’auteur est allé à la recherche des gens heureux. Entouré d’une dizaine de collaborateurs, armé de 40 questions, il a rencontré 2000 « sages heureux » d’Europe, d’Asie et d’Amérique.

    Parmi ces sages il y avait Michel Serres et cette phrase se trouve page 271.

    Voilà le mot du jour court que je souhaitais écrire après ceux de mercredi et de jeudi.

    Et si le cœur vous en dit voici une <Vidéo de la librairie Mollat où Michel Serres présentait son livre « Le Gaucher boiteux » dans lequel il parle beaucoup de rencontres.

    <1710>

  • Jeudi 15 septembre 2022

    « L’échec de l’impérialisme moral en Afrique ! »
    Jean-Pierre Olivier de Sardan

    « J’aime les gens qui doutent » chantait Anne Sylvestre :

    « J’aime les gens qui doutent, les gens qui trop écoutent leur cœur se balancer
    J’aime les gens qui disent et qui se contredisent et sans se dénoncer
    J’aime les gens qui tremblent, que parfois ils ne semblent capables de juger »

    Sur les quelques 1700 mots du jour que j’ai écrit depuis 2012, aucune série ne m’a donné autant de mal que celle-ci que j’ai initié sur ce livre et cette intuition de Samuel Huntington : « Le choc des civilisations ».

    Alors faut-il se taire ? Ne pas en parler ?

    J’ai l’intuition contraire, il ne faut pas être dans le déni.

    Dans un certain nombre de domaines qui touche les libertés, les progrès dans le droit des femmes, des pratiques sexuelles, de l’écriture, du dessin, de la réalité des faits, de la démarche scientifique, de l’enseignement de l’Histoire nous sommes depuis le début de ce siècle en pleine régression.

    Et je crois qu’il faut essayer de comprendre cela :

    • La colère des uns ;
    • Le totalitarisme des autres ;
    • L’aveuglement ou la naïveté d’autres encore
    • La peur, la lâcheté, l’indifférence du plus grand nombre

    Pour donner quelques éléments de compréhension de cette énumération qui peut être énigmatique pour les uns ou plein de sous-entendus pour les autres, voici quelques exemples. Il n’est pas question d’exhaustivité ici.

    Quand je parle de colère, je pense aux peuples qui ont été colonisés, soumis et exploités par un Occident arrogant et usant de toute la force que lui donnait ses capacités industrielles et militaires.

    Le totalitarisme correspond à des régimes tyranniques ou plus simplement autoritaires et qui en utilisant d’une part des fautes des occidentaux et d’autre part le récit ancien et souvent déformé de leur civilisation rejettent en bloc toutes les valeurs de l’occident et imposent des pouvoirs cruels, carcéraux, liberticides, régressifs et abêtissant.

    L’aveuglement ou la naïveté s’adresse aux politiques, intellectuels et journalistes de nos pays qui souvent aveuglés par leur anti-américanisme, qui peut avoir des justifications, défendent des mouvements, des idées ou des dictateurs. Il y a parmi eux des poutinologues, des pro-Xi Jinping, des compagnons de route des frères musulmans ou des salafistes ou d’autres causes ambigües comme le « Comité Vérité pour Adama ». La plupart de ces naïfs seraient parmi les premiers éliminés s’ils avaient le malheur de vivre dans un pays dirigé par les forces qu’ils soutiennent.

    La dernière partie est ultra majoritaire et ne veut pas se mêler de ses querelles, soit parce que cela dérange sa quiétude, soit que l’esprit est occupé de tant de choses qu’ils ne faut pas perdre de temps pour réfléchir à ces sujets, soit parce que les menaces qui nous guettent ne sont pas perçues, soit, comme ceux qui ne veulent pas que le collège de leur enfant prenne le nom de Samuel Paty, parce qu’ils sont lâches, il n’y a pas d’autre mot.

    Le chemin de crête pour parler de ces influences, de ce bouleversement sociétal et politique est extraordinairement difficile.

    A force de nuancer et de volonté d’embrasser tous les éléments du puzzle, on pourrait aboutir à des phrases interminables, entrecoupées par des conjonctions (mais, or) ou des adverbes (cependant, toutefois).

    Bref, des phrases qui sont illisibles.

    Alors je ne vais pas agir ainsi.

    Hier, je donnais un point de vue sur l’affaire Idrissa Gueye et les dissensions entre le Sénégal et La France qui en ont été la conséquence.

    Jean-Pierre Olivier de Sardan présente une opinion tout à fait différente qu’il défend dans le remarquable magazine numérique « AOC » pour Analyse, Opinion, Critique.

    Cet article d’opinion qui a été publié le 14 juin 2022 a pour titre « De quoi se mêlent-ils ? » : l’échec de l’impérialisme moral en Afrique »

    Je ne connaissais pas Jean-Pierre Olivier de Sardan qui est désigné comme anthropologue dans l’article

    Sa <Fiche Wikipedia> nous apprend qu’il est né en 1941 dans le Languedoc et qu’il a été professeur d’anthropologie à l’École des hautes études en sciences sociales de Marseille. Il était également directeur de recherches émérite au CNRS et professeur associé à l’Université Abdou-Moumouni (Niamey, Niger).

    Il présente la particularité de disposer à la fois de la nationalité de naissance française, mais aussi de la nationalité, acquise en 1999, du Niger.

    Nous apprenons qu’il a réalisé une grande partie de ses études anthropologiques en Afrique et que ses premiers travaux furent l’étude d’une société particulière, le peuple Wogo, sur les rives du fleuve Niger, à l’ouest du pays.

    Enrichis par cette double culture française et africaine, il affirme l’aspect contre-productif des attaques françaises contre le joueur sénégalais :

    « Attaquer publiquement et menacer de sanctions Idrissa Gueye, joueur sénégalais du Paris Saint-Germain qui a refusé de porter le maillot arc-en-ciel lors de la journée de lutte contre l’homophobie, est le meilleur moyen de renforcer à la fois l’homophobie au Sénégal et le rejet de la France. »

    Il renvoie vers un autre article d’AOC : <un fait social total par Jean-Loup Amselle> qui tente de relater toute cette histoire en essayant de rester dans la plus grande neutralité possible, à équidistance, de l’indignation française et de l’irritation sénégalaise.

    Olivier de Sardan souhaite se démarquer par un avis plus tranché :

    Je me risquerai […] à prendre parti très clairement, car derrière cette affaire c’est aussi toute l’attitude des Occidentaux qui est contestée en Afrique, bien au-delà du Sénégal, jusqu’à et y compris l’aide au développement, dont tout montre qu’elle est en crise profonde. Je pense que les attaques radicales et outrées contre Ibrahim Gueye sont non seulement déplacées mais doivent être condamnées, et qu’elles sont de plus révélatrices d’un mal profond dès lors qu’il est question des pays du Sud en général et de l’Afrique en particulier.

    À quel titre les dirigeants, autorités, intellectuels et experts occidentaux s’autorisent-ils à donner sans cesse des leçons de morale aux peuples africains, en oubliant les poutres qu’ils ont dans l’œil et en bafouant bien souvent les règles qu’ils veulent imposer aux autres ?

    Ce sont cette arrogance, cette suffisance, cette condescendance, cette tartuferie, qui expliquent pour une grande part le rejet de plus en plus prononcé de l’Occident (France en tête) par une très grande partie des opinions publiques africaines, rejet massif dont on voit d’ailleurs dans l’actualité une conséquence que je trouve particulièrement déplorable mais dont il faut comprendre le pourquoi : un soutien envers Poutine très souvent affiché en Afrique, pour la seule raison qu’il s’oppose à l’Occident. »

    Après avoir dressé le contexte, l’univers mental africaine et le ressentiment historique à l’égard des pays coloniaux et en particulier la France, il prend une position assez éloignée de celle que je défendais hier :

    « Participer aux Gay Pride ou aux manifestations contre le racisme serait-il alors obligatoire, et ne pas le faire serait-il donc assimilable à un comportement homophobe ou raciste ? Ce serait absurde. Ne pas s’associer à une activité publique contre l’homophobie ne signifie pas être homophobe, pas plus qu’un joueur de tennis russe qui ne critique pas publiquement l’agression russe en Ukraine ne peut être accusé pour autant de la soutenir. Les critiques virulentes contre Gueye n’ont pas lieu d’être. On peut d’ailleurs penser qu’elles ne visaient pas son identité sénégalaise et que tout autre joueur ayant réagi comme lui aurait fait l’objet de cette intolérance. Mais c’est justement parce qu’elles ne tenaient pas compte de son identité sénégalaise qu’elles ont soulevé un tel tollé en Afrique. »

    Le joueur est resté silencieux pendant toute la polémique. Il est parti en Angleterre à la fin de l’été. Olivier de Sardan explique l’embarras du joueur par sa peur d’être mal jugé dans son pays natal :

    « En effet, pour comprendre mieux l’attitude de Gueye lui-même, le fait qu’il soit sénégalais est incontournable. En refusant de porter le maillot symbolique de l’homosexualité, qui l’aurait sans doute transformé bien malgré lui en militant pro-homosexuel aux yeux de ses compatriotes, Gueye ne voulait sans doute pas tomber sous le coup d’une avalanche de quolibets et d’insultes au Sénégal, où l’opinion publique est clairement homophobe. Cela me semble très compréhensible de sa part. »

    Il explique que, selon lui, même si le joueur était hostile à l’homosexualité, rien ne pourrait lui être reproché s’il ne pratique pas personnellement des insultes ou des actes homophobes.

    « Peut-être aussi (je n’en sais absolument rien) est-il hostile personnellement à l’homosexualité. Et alors ? Là aussi ce serait son droit : ce sont les insultes et les actes homophobes qui sont proscrits (non seulement légalement, mais aussi légitimement à mon avis), mais pas le rejet de l’homosexualité à titre personnel (« en son âme et conscience » selon la formule consacrée). La répression en France de l’homophobie et de toutes les discriminations ne doit pas empiéter sur la liberté d’opinion. »

    Sur ce point je me permets une objection. La liberté dans notre civilisation s’exerce à l’égard de la sexualité qu’on souhaite vivre, hétéro, homo ou bi. Cela peut aller jusqu’à une hétéro sexualité contrainte par une homosexualité refoulée en raison d’interdits qu’on accepte en raison de ses croyances. Mais l’homophobie est désormais, dans notre civilisation, un délit et non une opinion. Ce n’est pas seulement le fait de s’abstenir d’insultes ou d’actes homophobes qui est ici en cause.

    Ce qui à mon sens se joue ici, c’est l’intolérance des religieux, le fait de ne pas accepter que l’autre peut penser différemment de moi.

    Et là, il y a un pas supplémentaire, qu’Olivier de Sardan néglige, l’homme tolérant intervient et défend celui qui pense différemment de lui, si on l’attaque.

    Nous savons aujourd’hui que Voltaire n’a jamais écrit : « « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ».

    Mais cette phrase est bien une phrase pleine de sens, dans ce contexte.

    De manière plus personnelle, je peux dire que je ne sais pas si Dieu existe. Mais ce que je crois c’est que le Dieu qui est décrit dans les Livres de Moïse des juifs, dans la bible chrétienne ou dans le coran des musulmans, lui, n’existe pas.

    Ce que l’Histoire nous apprend sur la rédaction, la sélection des textes et leur utilisation par des hommes de pouvoir pour asseoir leur autorité m’autorise une grande force dans cette conviction.

    Pourtant, non seulement j’accepte que cette croyance soit la réalité des gens qui y adhérent, mais bien plus, je les défendrai s’ils sont attaqués par des intolérants.

    S’associer à une journée contre l’homophobie pour quelqu’un qui s’interdit d’être homosexuel répond à cette même logique.

    Mais Olivier de Sardan place cette question dans un contexte plus général de relations ambigües entre l’Europe et l’Afrique :

    « Passons maintenant aux relations avec l’Afrique, non seulement en ce qui concerne l’homophobie mais plus généralement les interventions des Européens en matière de normes sexuelles et familiales d’une part, de mœurs politiques d’autre part. Il y a beaucoup de valeurs morales considérées désormais au Nord comme « allant de soi » que les décideurs occidentaux de tous bords, depuis les grandes agences de développement jusqu’aux ONG grandes et petites, entendent imposer à l’Afrique, non certes par la force, mais par le biais de multiples conditionnalités de l’aide : la défense des droits des homosexuels, certes, mais aussi la promotion des femmes, la régulation des naissances, la lutte contre le mariage forcé et le mariage des enfants, la lutte contre la corruption, la démocratie électorale, la transparence et la redevabilité, la promotion de la société civile […]

    Cela autorise-t-il pour autant les représentants de la France ou plus largement les décideurs de l’aide au développement et de l’aide humanitaire à donner des leçons aux autres peuples, et à se comporter en militants imposant de l’extérieur ces valeurs aux autres ? Certes, l’exportation systématique vers l’Afrique de valeurs morales devenues incontournables en Occident se fait avec les meilleures intentions du monde, au bénéfice des discriminés, des opprimés, des pauvres : il s’agit d’intervenir « pour leur bien ». Ceci rappelle d’une certaine façon les discours missionnaires des temps coloniaux. Le problème c’est que ce « bien » est perçu par la plupart de ceux auxquels il s’adresse comme un « mal », et que ces « amis qui nous veulent du bien » sont bien souvent considérés comme des hypocrites qui nous humilient. »

    Cette réaction anti-colonialiste que décrit l’anthropologue est certainement une réalité, en outre, parfaitement compréhensible.

    Il constate qu’en plus cette injonction moraliste de l’Occident échoue :

    « Soyons clairs. Dans la plupart des pays d’Afrique, le patriarcat est la règle et les hommes dominent de façon écrasante la vie publique (même si les femmes ne sont pas démunies de contre-pouvoirs), la polygamie est très développée, la corruption est généralisée, l’homophobie règne ouvertement, la démocratie est contournée ou décriée. Le racisme et la xénophobie sont fréquents et souvent à visage découvert. Au Sahel, les mariages précoces et forcés sont toujours nombreux et largement validés socialement et religieusement. L’Afrique (pas plus que l’Europe ou l’Amérique) n’a rien d’un monde idéal qu’il s’agirait de préserver en l’état.

    On ne peut donc se satisfaire de cette situation. Mais qui peut la changer ?

    Une réponse s’impose. Le fonctionnement actuel de l’aide occidentale, avec ses injonctions éthiques liées à toute allocation de fonds, a échoué. Il va à l’encontre de ses bonnes intentions, car ses leçons de morale exacerbent le rejet de l’Occident et par la même favorisent la perpétuation des pratiques locales qu’il s’agissait de modifier »

    Pour faire évoluer les pratiques que nous réprouvons son conseil est de plutôt s’appuyer sur les militants africains dont il reconnait qu’ils restent très minoritaires sans être pour autant isolés. Son expérience montre qu’une partie de la population n’approuve pas les mariages forcés ou la répression de l’homosexualité, accepte les contraceptifs, tolère les avortements. Mais cette partie-là reste silencieuse, dans la mesure où, sur la scène publique, la scène électorale et la scène religieuse, c’est le rejet des valeurs considérées comme occidentales qui tient de plus en plus le haut du pavé.

    Il oppose ainsi « réformateurs de l’extérieur » issus de l’Occident inefficace et rejetés, aux « réformateurs de l’intérieur » qui peuvent aider à l’évolution lente des sociétés et qu’il faudrait aider de manière discrète mais réelle. Et il finit par cette conclusion :

    « Les « réformateurs de l’extérieur » ne sont ni efficaces ni bienvenus sous les formes actuelles de leurs interventions. Leur impatience missionnaire et leur impérialisme moral sont bien souvent contre-productifs, malgré leurs bons sentiments, voire à cause d’eux. Leurs bons sentiments masquent en effet leur méconnaissance dramatique des réalités locales, et leur manque d’écoute des raisons pour lesquelles les gens font ce qu’ils font. »

    Un autre éclairage du même sujet abordé hier.

    Il montre toutes les forces souterraines à l’œuvre dans ce conflit de civilisation et cite la : « domination idéologique d’un salafisme revenant à l’époque du Prophète »

    J’y apprends la difficulté de convaincre du bien-fondé des valeurs occidentales dans ces lieux hostiles à l’Occident à cause d’un lourd passé.

    Toutefois l’histoire relaté hier parle non pas de ce qui se passe en Afrique, mais en France. Et je crois que sur notre territoire, tout en appliquant la tolérance telle que je l’ai évoquée précédemment, nous avons le droit d’affirmer nos valeurs et de demander qu’elles soient respectées par celles et ceux qui ne pensent pas comme nous, mais qui habitent, même temporairement, ce territoire.

    <1709>

  • Mercredi 14 septembre 2022

    « C’est juste un choc culturel ! »
    Bacary Cissé – journaliste sénégalais à propos du refus d’Idrissa Gueye de participer à un match contre l’homophobie

    Une civilisation, c’est une culture, ce sont des valeurs spirituelles souvent incarnées par une religion.

    C’est une conception de la relation entre les droits individuels et les exigences de la société.

    C’est une conception du sacré, des interdits et de ce qui est permis.

    Car il y a toujours du sacré, même dans les sociétés très largement athées.

    En France par exemple, la flamme du soldat inconnu, le drapeau, les tombes, la shoah sont sacrés, c’est-à-dire qu’ils sont susceptibles de faire l’objet d’un sacrilège, on utilise, dans le langage courant, le terme de profanation.

    Idrissa Gueye est un joueur de football de nationalité sénégalaise. Il était dans l’effectif du Paris Saint Germain de 2019 à juin 2022, depuis août 2022 il a rejoint un club anglais.

    Le samedi 14 mai 2022, se déroulait la 37e journée du championnat de Ligue 1,  journée dédiée à la lutte contre l’homophobie.

    Pour l’occasion, tous les joueurs des 20 équipes arboraient un maillot floqué de l’arc-en-ciel des fiertés LGBT, en marque de soutien.

    Idrissa Gueye avait été convoqué pour faire partie de l’équipe du PSG et devait donc porter ces couleurs arc en ciel. Idrissa Gueye n’a pas voulu jouer « pour des raisons personnelles »

    La saison précédente, une journée identique avait été organisée et le joueur s’était également abstenu officiellement pour des raisons médicales.

    Cette affaire a immédiatement agité le monde associatif qui a fait de la lutte contre l’homophobie une cause essentielle.

    Ainsi l’association de lutte contre l’homophobie dans le sport, Rouge Direct, a réagi dès le 15 mai :

    « L’homophobie n’est pas une opinion mais un délit. La LFP (Ligue) et le PSG doivent demander à Gana Gueye de s’expliquer et très vite. Et le sanctionner le cas échéant »

    Ce message a été suivi par beaucoup d’autres. Je crois qu’on peut dire que quasi toute la France du sport, de la politique et des milieux d’influence s’est mobilisée et indignée devant le comportement de ce joueur.

    Le joueur n’a fait aucun commentaire.

    Alors, le 18 mai, Le Conseil national éthique (CNE) de la FFF a écrit à Idrissa Gueye:

    « En refusant de participer à cette opération collective, vous validez de fait les comportements discriminatoires, le refus de l’autre, et pas uniquement contre la communauté LGBTQI +.
    L’impact du football dans la société et la capacité des joueurs à représenter un modèle nous donnent à tous une responsabilité particulière ».

    Nous pouvons conclure à une condamnation unanime en France.

    Au Sénégal la réaction a été tout autre.

    D’abord le président de l’État Macky Sall a affirmé son soutien au joueur :

    « Je soutiens Idrissa Gana Gueye. Ses convictions religieuses doivent être respectées ».

    Le ministre des Sports Matar Bâ s’est aussi joint à la défense du joueur en indiquant que

    « Quand on signe (un contrat avec un club), c’est pour jouer au foot, ce n’est pas pour faire la promotion de quoi que ce soit ou mettre de côté ses convictions »

    L’écrivain et intellectuel Boubacar Boris Diop, lauréat du très prestigieux Prix Neustadt, affirme, lui, sa

    « Solidarité totale avec Idrissa Gana Guèye. Ils sont étranges, ces gens qui se donnent tant de mal pour imposer à tous et à chacun leurs opinions. Au nom, suprême stupidité, de la liberté d’expression. Savent-ils seulement qu’ils font de plus en plus rire ?  »

    L’ex-Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne encourage Gueye en lui disant:

    « Tiens bon, Gaïndé », lion en langue wolof, surnom de la sélection nationale de football, dans un message sur Twitter accompagné de versets du Coran. »

    Le président de la Fédération sénégalaise de football, Augustin Senghor a déclaré :

    « Idrissa Gueye est dans son bon droit.  Il est resté ancré dans ses valeurs, dans ses principes, dans sa foi qui font la « sénégalité », qui font l’ africanité » de tout un continent ».

    Pour démontrer le consensus politique, il faut citer l’une des principales personnalités politiques nationales et principal opposant au président Macky Sall, Ousmane Sonko:

    « Les +toubabs+ (les Blancs, en wolof) croient que nous sommes des ordures et qu’eux seuls ont des valeurs.
    Aujourd’hui, il faut qu’ils nous imposent l’homosexualité (…) Eux seuls ont des valeurs. Jusqu’à quand ?
    Ce qu’il (Gueye) a fait, c’est un acte de courage. Nous tous, sans distinction de religion, devons le soutenir »

    De nombreux Sénégalais ont aussi mis en statut Whatsapp le message de soutien du président sénégalais ou des photos de Gueye en pèlerinage à la Mecque.

    L’écrivain El Hamidou Kasse a déclaré sur Twitter soutenir Gueye

    « Au nom du principe de la libre croyance et du respect des différences. »

    Enfin la Fédération Sénégalaise de Football (FSF) défend le joueur d’abord en affirmant qu’il n’y a pas de preuve qu’il était absent pour la raison qu’on lui reproche et accuse Conseil National Ethique (CNE) de racisme :

    « Quand l’éthique se base sur l’hypothétique et le diktat, la liberté individuelle est en péril […]. [Un courrier du CNE que la FSF dit avoir accueilli ] avec une grande surprise (et une grande inquiétude sur le traitement de certains joueurs essentiellement d’origine africaine, disons-le clairement).

    [Criant à l’illégalité de la démarche de la FFF, la FSF estime que sa requête revient à] contraindre le joueur à faire ce que son libre arbitre ne l’incline à faire. Est-on vraiment dans cette France que l’on nous avait contée et racontée dans nos écoles, celle qui a comme devise la liberté, la fraternité et de l’égalité pour tous ? Comment une instance qui prétend promouvoir l’éthique dans le Football peut se fonder sur des supputations pour s’adresser à une personne pour lui enjoindre de s’exprimer et pire encore de s’afficher avec le maillot aux couleurs LGBTQI+ pour mettre fin auxdites supputations ?»

    Au Sénégal, pays musulman à 95% et très pratiquant, les relations homosexuelles sont interdites. La loi existante dispose que « sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 100.000 à 1.500.000 francs (152 à 2.286 euros) quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe. »

    Loi assumée et défendue à 100% par le chef de l’État au nom des spécificités culturelles comme en 2020 alors qu’il recevait le premier ministre canadien Justin Trudeau.

    « Ces lois sont le reflet de notre manière de vivre… elles n’ont rien à voir avec l’homophobie ».

    On peut ne pas être d’accord avec Macky Sall et constater simplement que cette discrimination, cette violence et ces sanctions exercées à l’égard des homosexuels répond exactement à la définition de l’homophobie.

    Un article du monde relate : « Ces derniers mois, la pression s’est accentuée sur la communauté LGBTI+ sénégalaise, mais aussi les militants et tous ceux qui, publiquement, osent réaffirmer les droits de cette communauté. « Avec l’implication nouvelle d’imams et de chefs religieux sur le sujet, l’homophobie a pris une nouvelle ampleur, juge Souleymane Diouf qui dénonce le soutien financier de certains pays – Turquie, Arabie saoudite et Iran –, aux organisations conservatrices. Les combattre demande des moyens dont on ne dispose pas, poursuit-il. Aujourd’hui, le niveau d’insécurité pour les défenseurs des droits LGBT au Sénégal est extrêmement élevé. J’ai dû quitter le pays et plusieurs autres activistes ont fait de même. »

    L’excellent site SO FOOT rapporte :

    « Invité de L’After Foot sur RMC, Bacary Cissé – journaliste sénégalais est revenu sur la polémique Idrissa Gueye. Le joueur parisien, qui avait refusé de porter un maillot au flocage arc-en-ciel symbole de la lutte contre l’homophobie, avait reçu les foudres de la Fédération française de football et de bon nombre d’associations. Selon le journaliste, il s’agit juste d’un « choc culturel » sur la perception de ce geste. Il assure qu’au Sénégal, les gens ont parfaitement compris son choix : « Aujourd’hui, Idrissa Gana Gueye a le soutien total de tous les Sénégalais, de tous les Africains. »

    Cissé développe son explication et estime que la culture du joueur est juste différente du pays dans lequel il évolue. « C’est une incompréhension. Il ne faut pas oublier qu’Idrissa Gana Gueye est né au Sénégal, il y a grandi, il y a été éduqué.
    Nous respectons tout ce que font les autres, mais nous ne sommes pas obligés de les suivre dans leur culture, déclare-t-il avant de réfléchir dans le sens inverse. Si Idrissa Gueye avait fait autrement, qu’aurions-nous dit ? On aurait été beaucoup plus choqué. »

    Voici les faits et les interprétations.

    Que dire ?

    Qu’il s’agit bien d’un choc culturel entre l’Occident et un pays africain de civilisation musulmane.

    Des deux côtés, il y a une incompréhension totale.

    Du côté occidental, on crie au scandale et on explique qu’il ne s’agissait pas de faire la promotion de l’homosexualité, mais simplement de se lever contre les discriminations et les violences contre les personnes ayant des pratiques sexuelles autres qu’hétéro sexuel.

    Le comportement du footballeur sénégalais, de ce point de vue, est moralement une faute.

    Il faut cependant reconnaître que la prise de conscience occidentale est récente.

    • En 1954, un des plus grands génies scientifiques Alan Turing s’est suicidé parce que la justice britannique après l’avoir condamné à de la prison l’avait ensuite contraint à une castration chimique parce qu’il était homosexuel.
    • En France, ce n’est que le 4 août 1982 que la France dépénalisait l’homosexualité lors d’un vote de l’Assemblée Nationale obtenu par Robert Badinter sous la présidence de François Mitterrand.
    • Et ce n’est qu’en 1990 que l’Organisation mondiale de la santé a supprimé l’homosexualité de la liste des maladies mentales.

    Mais peu importe qu’il s’agisse d’une prise de conscience récente, depuis 3 siècles, pour l’Occident quand il avait pris une position morale, il avait l’habitude que cela devienne une position universelle.

    Ainsi, concernant la démocratie et les droits de l’homme, notamment de ne pas enfermer les opposants, l’Occident disait le droit, la morale et ce qu’il convenait de faire.

    Et ceux qui ne faisaient pas comme l’Occident, s’excusaient de ne pas être arrivé au niveau « civilisationnel » de l’Occident et demandait un peu d’indulgence et de temps pour rejoindre les normes occidentales.

    Dans cette affaire, on constate que ce n’est plus du tout le cas.

    Tous les intervenants sénégalais cités partent du principe que « l’acceptation de l’homosexualité » est une valeur occidentale qui est contraire à leurs valeurs.

    Ils n’envisagent, en aucune façon, une évolution future.

    C’est un choc de culture et un choc de valeur.

    Dans le monde des civilisations islamiques, cette vision est partagée.

    Ainsi pour la coupe du monde de football au Qatar, fin 2022, les autorités qataries ont indiqué que les supporters LGBT qui assisteront à l’événement devront faire preuve de discrétion.

    Abdulaziz Abdullah al-Ansari le directeur de la sécurité de la coupe du monde a déclaré :

    « Si un supporter brandit un drapeau arc-en-ciel dans un stade et qu’on le lui enlève, ce ne sera pas parce qu’on veut l’offenser, mais le protéger […] il ne s’agit pas là de propos discriminatoires. Si on ne le fait pas, un autre spectateur pourrait l’agresser. Si vous souhaitez manifester votre point de vue concernant la cause LGBT, faites-le dans une société où cela sera accepté »

    Dans le pays de l’Islam chiite <Le Parisien> dans un article du 5 septembre 2022, nous apprend que deux lesbiennes et militantes LGBTQ viennent d’être condamnées à mort.

    Ces deux femmes, Zahra Sedighi Hamedani, âgée de 31 ans, et Elham Chubdar, 24 ans, ont été condamnées à mort par un tribunal dans la ville d’Ourmia (nord-ouest).

    L’Autorité judiciaire a confirmé la condamnation à mort pour « corruption sur terre » des jeunes femmes. Il s’agit de la charge la plus grave du code pénal iranien.

    Bien sûr, les ONG nous invitent à protester auprès des autorités iraniennes et de demander l’annulation de la sentence.

    Ce sont deux mondes culturels.

    Étant donné notre évolution morale en France, le Sénégal, le Qatar sont « des malveillants, des méchants » et pour l’Iran « des criminels ».

    Mais pour ces pays, nous, autres occidentaux, sommes des êtres dépravés, immoraux.

    Il n’y a plus d’hégémonie morale occidentale.

    Alors que faisons-nous ?

    Nous n’allons pas faire la guerre pour imposer nos valeurs !

    Nous n’allons même pas, envoyer des missionnaires, pour essayer de convertir ces peuples parce ce que venant de l’Occident, ils seraient rejetés.

    Mais devons nous accepter dans nos pays que ces représentants d’une autre civilisation transgressent notre morale ?

    Parce que personne n’a demandé à Idrissa Gueye de devenir homosexuel, on lui a simplement demander de s’associer à la condamnation du rejet des homosexuels.

    Le Qatar exige que les personnes LGBT venant d’Occident se dissimulent, restent discrets, se cachent.

    De notre point de vue, dans nos valeurs, ces musulmans sont homophobes.

    Alors pourquoi ne pourrait-on pas exiger, quand ils sont en Occident, d’être discrets et de cacher le fait qu’ils sont homophobes ?

    Les éléments de ce mot du jour se trouvent derrière ces liens :

    https://information.tv5monde.com/info/football-le-joueur-du-psg-idrissa-gana-gueye-au-coeur-d-une-polemique-sur-l-homophobie-456982

    https://www.lemonde.fr/sport/article/2022/05/17/l-absence-embarrassante-d-un-joueur-du-psg-lors-de-la-journee-de-lutte-contre-l-homophobie-dans-le-football_6126445_3242.html

    https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/derriere-l-affaire-idrissa-gueye-la-question-de-l-homosexualite-au-senegal_5119393.html

    https://www.france24.com/fr/sports/20220517-homophobie-dans-le-football-une-absence-d-idrissa-gueye-cr%C3%A9e-la-pol%C3%A9mique

    https://www.marianne.net/monde/afrique/acte-de-courage-valeurs-africanite-les-soutiens-a-idrissa-gueye-pleuvent-au-senegal

    https://www.letemps.ch/sport/soutien-idrissa-gueye-accuse-dhomophobie-france-ne-faiblit-senegal

    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2022/05/20/au-senegal-un-soutien-tres-politique-a-idrissa-gueye_6127039_3212.html

    https://www.lefigaro.fr/sports/football/ligue-1/la-federation-senegalaise-s-en-prend-violemment-a-la-fff-apres-l-affaire-idrissa-gueye-20220520

    https://www.sofoot.com/bacary-cisse-regrette-un-choc-culturel-dans-l-affaire-idrissa-gueye-516111.html

    <1708>

  • Mardi 13 septembre 2022

    « Deux pays, ayant présidé à la création du tribunal de Nuremberg, sont en train de réduire en miettes leurs engagements. »
    Philippe Sands parlant du Royaume-Uni et des Etats-Unis en raison de leur comportement à l’égard des Chagos

    Je souhaite revenir sur ma série concernant le choc des civilisations qui est surtout le choc des civilisations non occidentales contre la civilisation occidentale.

    Nous avons du mal avec ce rejet, parce qu’il remet en cause beaucoup de nos valeurs que nous voulons, pensons, espérons universelles.

    Il s’agit d’une question d’une très grande sensibilité. L’Occident a beaucoup trahi les valeurs qu’il prétendait partager avec tous les autres peuples.

    Est-ce que pour autant les valeurs de démocratie, des droits de l’homme, de la liberté de pensée et d’expression ne méritent pas d’être défendues ?

    C’est toute la question. C’est un chemin compliqué. Les valeurs de l’Occident ne sont pas seulement remises en cause par les autres civilisations.

    L’Occident a généré, en son sein même, des ennemis de ces valeurs : l’Amérique de Trump d’un côté et l’Amérique de la cancel culture et du communautarisme de l’autre côté, en constituent des exemples éclairants et désespérants.

    Ces mouvements sont aussi arrivés en France avec la même intolérance et le même aveuglement.

    Mais avant d’emprunter ce chemin pour essayer de comprendre ce qui se joue devant nos yeux, je vais aujourd’hui évoquer une de ces histoires qui alimente la collection des trahisons et des fautes de l’Occident.

    Le bras agissant dans cette affaire est le Royaume-Uni d’Elizabeth II, encouragé et influencé par les États-Unis.

    J’avais déjà évoqué ce sujet dans un mot du jour très ancien qui date du 2 septembre 2013 : « Le silence des chagos » qui est un livre de Shenaz Patel

    Cette lamentable histoire est revenue dans l’actualité, en raison de l’évolution du dossier et d’un livre qui vient d’être publié en France : « La dernière colonie » de Philippe Sands traduit par Agnès Desarthe

    Philippe Sands était l’invité de Guillaume Erner aux matins de France Culture d’hier le 12 septembre pour parler de son livre et aussi de l’actualité du Royaume Uni : < Royaume-Uni : l’empire qui ne voulait pas mourir >

    Philippe Sands est un avocat franco-britannique spécialisé dans la défense des droits de l’Homme, professeur de droit au University College de Londres.

    Il a écrit un ouvrage remarquable publié en 2017 dans sa traduction française : « Retour à Lemberg ». Le site Dalloz résume cet ouvrage fondamental de la manière suivante :

    « Dans un ouvrage passionnant, reposant sur une subtile biographie croisée de quatre personnages réunis par la ville de Lemberg (aujourd’hui Lviv, en Ukraine), l’avocat Philippe Sands livre une réflexion majeure sur les origines de la justice internationale à Nuremberg. En documentant et en relatant la préparation de ce procès exceptionnel à plus d’un titre, Philippe Sands dévoile un parcours initiatique personnel et familial d’une belle sensibilité. »

    « Le Monde » avait publié aussi un article de fond sur cet ouvrage : < Philippe Sands de Lviv à Nuremberg >

    A Nuremberg, les accusés nazis étaient accusés de 4 crimes :

    • Conjuration
    • Crime de guerre,
    • Crime contre la paix

    et, pour la première fois de l’histoire,

    • Crime contre l’humanité.

    Après cette longue introduction, pourtant très condensé nous pouvons revenir à l’Histoire de l’Archipel des Chagos situé dans l’Océan Indien et qui fait normalement partie des iles rattachées à la République de Maurice dont l’ile principale est l’ile Maurice.

    Si vous voulez replacer ces iles sur une mappemonde il faut en revenir à mon premier mot du jour : « Le silence des chagos ».

    En 1960, ces territoires étaient colonies britanniques et au sein de la décolonisation, tous ces territoires devaient devenir indépendants dans le cadre de la République de Maurice en 1968.

    Mais en 1965, les britanniques vont détacher l’archipel des Chagos, c’est-à-dire un ensemble de sept atolls situés dans le Nord de l’océan Indien et totalisant cinquante-cinq îles du reste de l’entité Mauricienne. Ils créent ainsi leur dernière colonie.

    Pourquoi font-ils cela ?

    Philippe Sands explique ainsi cette histoire : En 1964, les britanniques dont le premier ministre est alors Harold Wilson refuse de s’engager dans la guerre du Vietnam au côté des américains.

    Les américains acceptent cette défection mais suggèrent aux britanniques de les soutenir autrement, en mettant à leur disposition l’île principale de l’archipel des Chagos : Diego Garcia pour y installer une base militaire, au plein milieu de l’Océan Indien.

    Les Britanniques acceptent cette demande, trop heureux, de pouvoir ainsi compenser leur refus d’entrer dans la guerre du Vietnam.

    Dans « Astérix et les normands » Goscinny avait fait dire à un normand cette phrase cynique : « Il faut savoir sacrifier les autres ».

    Les Britanniques vont, en effet, céder à un autre caprice des États-Uniens : l’archipel des Chagos doit être vidé de tous ses habitants.

    Cela aboutit à une déportation de tous les habitants qui vivaient sur ces iles. Déportation vers l’ile Maurice où ils vont vivre de manière misérable.

    La création de cette colonie par amputation de la future République de Maurice ainsi que la déportation des habitants étaient parfaitement illégales par rapport au Droit International que l’Occident avait contribué à mettre en place.

    Dans les années 1960, l’Occident était encore en mesure de dicter sa volonté même contraire à la Loi.

    Depuis les habitants du Chagos cherchent par les voies juridiques à revenir sur le territoire de leurs ancêtres.

    Liseby Elysé est une de ces habitantes. Elle a été déportée avec les autres. Elle était enceinte et a perdu son enfant dans cette déportation.

    Philippe Sands a rencontré Liseby Elysé et est devenu son avocat.

    Le livre « La dernière colonie » raconte ce combat commun.

    Dans un <article du Monde> publié le 4 septembre 2022 , on lit :

    « Un jour de 2018, Liseby Elysé se présente devant Cour internationale de justice (CIJ) et déclare : « Je suis venue à La Haye pour récupérer mon île. » […]

    Auprès d’elle, à La Haye, où elle s’apprête à témoigner, se tient l’avocat franco-britannique Philippe Sands, inlassable défenseur des droits humains dans les zones les plus brûlantes de la planète.

    Engagé par le gouvernement de l’île Maurice, il obtient de la CIJ un jugement historique, qui reconnaît l’injustice commise contre Liseby et les siens et impose au Royaume-Uni d’autoriser leur retour.

    A ce jour, pourtant, rien n’a été fait. A Maurice, aux Seychelles, à Londres, les Chagossiens attendent encore. « Nous avons le droit de vivre là-bas, disent-ils à Philippe Sands, nous ne renoncerons ­jamais. »

    C’est à cela que sert la publication simultanée, en anglais et en français […] de La Dernière Colonie : Réveiller l’opinion publique.

    Mettre au service des Chagos la puissance littéraire qu’ont fait connaître au monde entier les deux précédents livres de Sands, Retour à Lemberg et La ­Filière (Albin Michel, 2017 et 2020). Et parce que cette manière de nouer la politique et la littérature, loin de tout discours idéologique, en unissant les pouvoirs de l’une et de l’autre pour les insérer ensemble dans la réalité, rend son œuvre unique, ce livre, passionnante synthèse de toutes les vies de son auteur, fournit une parfaite occasion de revenir sur chacune d’elles, et sur le tout qu’elles ont fini par créer.

    Quand le gouvernement britannique annonce, en 2010, la création d’une aire marine protégée (AMP) autour des Chagos, l’initiative paraît louable à beaucoup. Pas aux anciens habitants de l’archipel, chassés de leurs îles par les mêmes Britanniques entre 1967 et 1973.

    Si l’AMP est installée, la pêche sera interdite dans la zone, et ils ne pourront revenir : comment subsisteraient-ils ?

    Le projet semble balayer leurs espérances.

    En réalité, il va bientôt se retourner contre le Royaume-Uni. Des documents commencent à circuler, démontrant que l’administration britannique joue sciemment les défenseurs de l’environnement contre ceux des Chagossiens.

    L’île Maurice, qui n’avait pu accéder à l’indépendance, en 1968, qu’en cédant par force les Chagos, se tourne vers la Cour internationale de justice, laquelle, en 2019, lui donne raison. Les Chagossiens peuvent rentrer. Sauf que, depuis, les Britanniques feignent de ne pas avoir entendu la leçon. »

    Par rapport à 2013, nous avons avancé maintenant la justice internationale donne raison aux Chagos, mais les britanniques et les américains ne se sont toujours pas soumis à cette décision.

    Dans « L’Obs » un article de ce 11 septembre <Philippe Sands, l’avocat en guerre contre Londres> explique :

    « Depuis Nuremberg, la notion de « crime contre l’humanité » inclut la « déportation » et la Convention européenne des Droits de l’Homme entrée en vigueur en 1953 offre à un individu la possibilité de porter plainte contre son propre pays devant une cour internationale. Les Chagossiens ont au départ peu d’espoir.

    La Grande-Bretagne soutenue par les Etats-Unis avait même préféré les prévenir : aucune chance qu’un recours au droit international ne mette fin à la tutelle coloniale sur les Chagos. C’était sans compter sur la détermination des avocats dont, on l’aura compris, Philippe Sands. Il se bat aux côtés de Liseby Elysé et de sa famille, convaincu que cette affaire est le dernier vestige du colonialisme.

    Cette indignation se traduit par des années de lutte, un périple juridique complexe au sein des institutions internationales, jusqu’à la Cour internationale de Justice de La Haye. Le livre retrace avec minutie ce parcours, montrant le rôle compliqué qu’a joué le droit international depuis 1945 dans le recul du colonialisme. […] en 2019 la Cour a conclu que le Royaume-Uni devait mettre fin à son administration sur les Chagos. Et qu’en 2022, à la faveur d’une mission scientifique autorisée par Londres, Liseby Elysé, à l’âge de 69 ans, a pu retourner quelques heures sur sa terre natale et nettoyer la tombe de ses proches. »

    Cet article rapporte que la position de la Grande-Bretagne et des États-Unis devient intenable :

    « La réputation de la Grande-Bretagne en tant que garante de l’état de droit international a volé en éclats. » Le soutien des États-Unis devient à son tour intenable. Deux pays, ayant présidé à la création du tribunal de Nuremberg, sont en train de « réduire en miettes leurs engagements ». Une régression inquiétante aux yeux de Sands qui a toujours dit l’importance qu’il accordait à ce moment révolutionnaire que fut Nuremberg, et pour qui le droit international est notre seul système de valeurs commun. Sans compter que les implications géopolitiques sont graves : comment critiquer l’occupation illégale de l’Ukraine par la Russie quand on continue d’occuper illégalement une partie de l’Afrique ? »

    Cet article < Liseby Élysée : « notre voix est entendue à travers le monde »> est une interview de cette femme après son témoignage à la Cour internationale de Justice.

    Dans cet article on apprend que :

    « Bien qu’elle soit un être humain, elle a été placée dans la cale du bateau qui déportait les Chagossiens vers Maurice. Le voyage a duré 4 jours. Elle était enceinte et a accouché dans le bateau. Son enfant est mort durant la traversée. »

    Des informations se trouvent aussi sur <Site> d’un journal de la République de Maurice

    Et je redonne le lien vers l’émission de France Culture : < Royaume-Uni : l’empire qui ne voulait pas mourir >

    <1707>

  • Lundi 12 septembre 2022

    « Pause (Une reine qui régnait depuis 70 ans est décédée.) »
    Jour sans mot du jour nouveau

    J’ai été occupé ce Weekend par une autre activité que l’écriture du mot du jour, la pause est donc de rigueur.

    Autour de nous, les télévisions, les radios et les journaux sont saturés d’émissions plus ou moins pertinentes sur le décès de la Reine d’Angleterre et son remplacement par son fils de 73 ans.

    Ils n’ont pas été aussi agités pour célébrer Mikhaël Gorbatchev, l’homme qui a changé le monde.

    Alors qu’Elizabeth II s’est contentée d’être la spectatrice qui observait le monde en train de changer et accompagnait le déclin de l’empire britannique.

    Ainsi va le monde, l’apparat et l’or des palais restent objet de dévotion.

    Si vous voulez entendre une analyse sérieuse, je vous conseille ces 3 émissions :

    France Culture : « L’Esprit Public »: <Le mythe autour de la reine Elizabeth II>

    Slate : « Le monde devant soi » : <Les défis de Charles III, successeur d’une reine Elizabeth II très populaire>

    France Culture : « Affaires étrangères » : < Mort d’Elizabeth II : royauté et identité britanniques en question>

    La reine est morte, vive le Roi et les caricaturistes se sont déchainés : j’ai aimé celle ci


    Et il en est même qui se moque de la défunte Reine. Les couleurs de sa garde robe ont conduit à ce moment d’humour.

    <Mot du jour sans numéro>

  • Vendredi 9 septembre 2022

    « Est-ce la décroissance ou la croissance qui, sur le long terme, est un mythe ?
    Question qu’il me semble légitime de poser

    Antoine Bueno est né en 1978.

    Je ne le connaissais pas.

    « Le Point » le présente ainsi : essayiste et conseiller au Sénat en charge du développement durable, est notamment l’auteur de « Futur, notre avenir de A à Z » (éditions Flammarion). Son prochain ouvrage « L’effondrement (du monde) n’aura (probablement) pas lieu » (Flammarion) sortira le 19 octobre prochain.

    Il a commis un article dans Le Point, publié le 4 septembre 2022 : « La décroissance est un mythe »

    Il cite Élisabeth Borne qui comme Aurélien Barrau avait rendu visite au MEDEF et a déclaré :

    « La décroissance n’est pas la solution. »

    Il est d’accord avec cette opinion et regrette que

    « [La décroissance] est pourtant devenue incontournable dans le débat écologique. Des experts comme Jean-Marc Jancovici s’en font l’avocat, des personnalités politiques telles que Delphine Batho en font un programme, des penseurs tels que Gaspard Koenig, un objet de rêverie philosophique. »

    Il explique que personne ne dispose d’un mode d’emploi pour savoir comment faire, c’est-à-dire décroitre tout en préservant le corps social d’une implosion.

    Il tente une définition :

    « La décroissance peut être définie comme une action volontaire de réduction de la taille physique de l’économie, un processus organisé visant à réduire la quantité de matière et d’énergie exploitée par le métabolisme de la société humaine (Susan Paulson). »

    Pour lui, une politique de décroissance est impossible à mettre en œuvre.

    Et je vous livre ses arguments :

    « La première raison à cela relève du plus froid réalisme : aujourd’hui, personne n’en veut. Aucun pays n’est prêt à se lancer dans une réduction volontaire de la production et de la consommation.

    Peut-être sera-ce le cas dans un avenir plus ou moins lointain. Mais c’est aujourd’hui que le monde a besoin de décroissance.

    Pour qu’elle ait un impact écologique, elle devrait être mise en œuvre au plus vite. La planète n’a pas le temps d’attendre la maturation d’une idée.

    Ensuite, pour qu’une politique de décroissance porte ses fruits, elle devrait être mise en œuvre par le monde entier en même temps.

    Dans un monde ouvert et interconnecté, un ou plusieurs pays ne peuvent pas décroître isolément, indépendamment des autres, même de très grands pays.

    On ne peut pas décroître seul, contre le reste du monde. Le faire se traduirait par une politique d’autarcie. En décroissant seul, un pays aurait de moins en moins de moyens économiques pour financer les importations dont il a besoin. Il devrait donc devenir totalement autosuffisant. C’est impossible pour les petits pays qui dépendent, entre autres, de ressources énergétiques ou alimentaires extérieures. Et on sait que même les grands pays bien dotés en ressources naturelles ont du mal à assurer leur autosuffisance.

    De plus, un tel pays n’attirerait plus d’investissements étrangers puisque ceux-ci ne sont réalisés que dans l’attente d’un retour, c’est-à-dire d’une rentabilité condamnée par l’absence programmée de croissance. Au contraire, les intérêts étrangers en activité sur son territoire s’en retireraient. Sur le plan intérieur, ce pays verrait donc rapidement son tissu économique se rétrécir et se déliter. La décroissance dans un pays isolé ne peut mener qu’à une catastrophe économique à l’image de celle observable en Corée du Nord.

    Enfin, même si par un coup de baguette magique le monde s’entendait pour mettre en œuvre un programme global de décroissance, ce dernier ne pourrait aboutir qu’à une réduction considérable du niveau de vie moyen sur la planète. En effet, pour éviter cet effet, pour maintenir voire augmenter le niveau de vie des peuples tout en décroissant, les partisans de la décroissance en appellent à la redistribution. L’idée est que l’on peut rendre socialement indolore une réduction de l’économie en redistribuant bien mieux qu’aujourd’hui ses fruits. Une telle redistribution serait cependant illusoire. »

    Ces arguments me semblent très forts.

    L’auteur montre que la décroissance aurait des conséquences fâcheuses dans nos sociétés. Et il proclame sa croyance dans une croissance durable.

    Ces sujets sont évidemment très complexes. Toutefois il faut en revenir à des sujets solides et physiques.

    Si on en revient à la définition de la décroissance de Susan Paulson qu’Antoine Bueno met en lumière : « une réduction de la quantité de matière et d’énergie exploitée par le métabolisme de la société humaine »

    La « non décroissance », appelée plus simplement « la croissance » est donc le contraire. C’est-à-dire : « une augmentation de la quantité de matière et d’énergie exploitée par le métabolisme de la société humaine »

    J’ai écouté des conférences Philippe Bihouix qui systématiquement explique une chose simple que vous êtes capable de reproduire sur un simple tableur.

    Imaginez une croissance de 2% chaque année de manière infinie.

    Ce n’est pas grande chose 2%, c’est très raisonnable.

    Donc l’année 1 on a 1 et l’année 2 on a 1,02.

    Vous verrez sur votre tableur que l’année 36 on est à 2 : on a doublé le PIB

    L’année 57 on est à 3, l’année 71 on est à 4. L’année 118 on est à 10

    On a multiplié par 10 le PIB dans le monde fini qu’est la terre.

    On a fait à peu près cela depuis le début de l’ère industrielle et on voit où nous en sommes par rapport au réchauffement climatique, la bio-diversité, la pollution etc..

    Pour arriver à 100 il faut attendre l’année 234 !

    Donc dans ce système, au bout de 234 ans, on multiplierait la quantité de matière et d’énergie exploitée par 100 !

    Certains diront, oui mais on va améliorer l’efficacité : et donc on va multiplier le PIB par 100 mais pas la quantité de matière et d’énergie en proportion !

    Peut être, mais on sera obligé quand même d’augmenter l’énergie et la matière exploitée, de manière considérable.

    La terre ne peut pas faire face à cette demande.

    Alors oui probablement la décroissance est infaisable ou très très compliquée.

    Mais ce qui est un vrai mythe, c’est la croissance infinie pour la société d’homo sapiens sur terre !

    Et si vous avez encore des doutes je vous invite à regarder cette vidéo passionnante de Philippe Bihouix <La technologie ne nous sauvera pas>

    <1706>

  • Jeudi 8 septembre 2022

    « Tant que vous nommerez « croissance », le fait de raser un espace gorgé de vie pour le remplacer par un espace commercial, fut-il neutre en carbone, nous n’aurons pas commencé à réfléchir sérieusement. »
    Aurélien Barrau, lors de l’Université d’Été du MEDEF de 2022

    Pour celles et ceux qui ne le connaîtraient pas encore, Aurélien Barrau est né en 1973 et il est astrophysicien et sa fiche Wikipedia ajoute philosophe français.

    Il est spécialisé en relativité générale, physique des trous noirs et cosmologie. Il est directeur du Centre de physique théorique Grenoble-Alpes et travaille au Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie de Grenoble. Il est professeur à l’université Grenoble-Alpes.

    C’est un militant écologiste favorable à la décroissance.

    Je pense que les responsables du Patronat français le connaissent et savent les thèses qu’il défend.

    Et pourtant, ils l’ont invité à la dernière Université du MEDEF.

    Ils n’ont pas été déçus !

    Son introduction à la table ronde à laquelle il a été invité sur le thème qui traitait de la manière dont l’Europe pouvait devenir « le continent le plus vert de la planète » a été tonitruante.

    Elle a été très largement diffusée sur internet : <Aurélien Barrau a l’université d’été du MEDEF>

    Il a commencé en attaquant de front la manière d’aborder le sujet écologique par ce prisme européen, révélateur selon lui d’une « arrogance » occidentale :

    « Ce thème est très caractéristique de l’arrogance occidentale. Je crois que nous n’avons pas tous ici bien compris que nous ne sommes pas la solution, nous sommes le problème. Ce sont nos valeurs et nos manières d’être qui mènent, je cite, à ce que l’ONU nomme « une situation de menace existentielle directe ».
    Et nous en sommes encore à pérorer sur notre exemplarité. Quelle suffisance ! »

    Belle entrée en matière !

    Il explique ensuite que, selon lui, les dirigeants politiques et économiques passent à côté de l’essentiel.

    « Pour trois raisons fondamentales :

    La première est que ce qui est fait concernant le réchauffement climatique, et on le sait très bien, est dérisoire !

    La deuxième qui est plus grave encore et qui est moins bien comprise, c’est que le réchauffement climatique est, dans une certaine mesure, lui-même dérisoire par rapport à l’étendue de la crise systémique et pluri factoriel que nous traversons : Pollution, acidification des océans, interruption des cycles bio et géochimique, dévastation des espaces naturels, n’ont pour l’essentiel rien à voir avec le climat, mais tuent davantage que ce dernier. Ce qui signifie que chacun des piliers sur lesquels reposent l’habitabilité de cette planète est en train de céder.

    Et mon troisième est peut-être plus grave encore. Et il consiste à remarquer que, quand bien même, nous prendrions à bras le corps chacun des items que je viens de mentionner, ce qui n’est pas du tout le cas en pratique, nous demeurerions vraisemblablement toujours dans le dérisoire. Parce que le véritable problème, c’est qu’aujourd’hui notre rapport au monde, notre être à l’espace, fait de l’éradication systématique du vivant une finalité.

    Parce que nous sommes des gens sympathiques et éduqués, on se demande, en gros, comment faire des bombes issues du commerce équitable et utilisant des matériaux biologiques. C’est mignon, mais tant que le pilonnage en règle de la biosphère demeure le geste cardinal, croyez-moi, l’origine des projectiles n’a pas beaucoup d’importance. »

    Et il a lancé cet anathème qui a été beaucoup repris sur les réseaux sociaux et que je reprends comme exergue à ce mot du jour :

    « Tant que vous nommerez « croissance », le fait de raser un espace gorgé de vie pour le remplacer par un espace commercial, fut-il neutre en carbone, nous n’aurons pas commencé à réfléchir sérieusement. »

    Et il a aussi repris une évolution qu’il a combattu depuis le début : la 5G

    « Tant que le président du Medef nommera, à l’unisson d’ailleurs du chef de l’État, « progrès », la mise en place d’une nouvelle génération de téléphonie mobile qui ne répond strictement à aucun besoin mais dont les conséquences délétères, pour ne pas dire létales, sont avérées d’un point de vue de la pollution, de la consommation et de l’addiction, nous n’aurons pas commencé à réfléchir sérieusement. »

    Et il a fini par cette conclusion :

    «  Je crois qu’il faut être un peu conséquent. Nous ne sommes déjà plus dans une crainte quant à l’avenir. Nous sommes dans un constat quant au passé. Nous avons d’ores et déjà éradiqué plus de la moitié des arbres, des insectes, des poissons d’eau douce, des mammifères sauvages. Nous laissons d’ores et déjà 700 000 êtres humains mourir chaque année de la pollution en Europe. Si, même face à cette évidence, nous ne voyons pas la nécessité d’une refonte axiologique et ontologique drastique, c’est que nous faisons preuve d’une cécité que nos descendants, s’ils survivent, auront, croyez-moi, du mal à pardonner. »

    Bon, ça c’est dit !

    On peut nuancer ou même critiquer sur certains détails :

    Il parait excessif de dire que « l’éradication systématique du vivant constitue une finalité ». Dire que l’éradication du vivant n’est jamais considérée comme un obstacle pour poursuivre les finalités humaines de profits me parait plus juste

    C’est particulièrement le cas de la déforestation de l’Amazonie.

    <Reporterre> évoque un Rapport tout récent :

    « L’Amazonie : 390 milliards d’arbres, plusieurs millions d’espèces d’insectes, un nombre incalculable d’oiseaux, de mammifères et de reptiles, pour certains encore inconnus de l’être humain. Un trésor de biodiversité qui, malheureusement, s’effondre. Selon un rapport publié le 6 septembre par un regroupement d’organisations environnementales amazoniennes (RAISG) et la Coordination des organisations indigènes du bassin amazonien (Coica), la forêt pluviale a atteint son « point de bascule ». Certaines zones commencent déjà à se transformer en savane. »

    Sa position sur la 5G qui ne répondrait strictement à aucun besoin est peut-être aussi exagérée, il est possible que certaines utilisations médicales puissent en profiter. En revanche, l’addiction et le phénomène qu’on appelle « le rebond » et qui conduit à ce que type d’évolution conduise massivement à une nouvelle surconsommation d’énergie est certainement exacte.

    Donc, si on peut nuancer, je crois quand même qu’il faut reconnaître que globalement son constat est exact.

    A ce stade de la réflexion, je pense au « moment Gorbatchev ».

    Gorbatchev a aussi fait le constat que le système, qu’il essayait de diriger, était mauvais.

    Alors, il a essayé de le réformer.

    Ses réformes ont entrainé de grands malheurs et souffrances pour la société.

    Ce mauvais système s’est effondré !

    Et finalement le système qui a remplacé l’ancien, sur beaucoup de points, était pire que l’ancien.

    Faire le constat que cela ne fonctionne pas est fondamental.

    Réaliser localement des réponses qui permettent d’améliorer en pratique et dans le quotidien notre rapport au vivant, à la biodiversité, notre impact climatique et écologique est essentiel.

    Mais ensuite, mettre à bas, faire exploser notre organisation actuelle n’est probablement pas très compliqué si on s’y attaque résolument.

    Mais après ?

    Ceux qui sont dans les villes, pourront-ils faire face à leurs besoins primaires d’alimentation, d’hygiène et de santé ?

    Trouveront-ils des médicaments dans des pharmacies ou ailleurs ?

    Y aura-t-il de l’eau au robinet et de l’électricité quand on actionne l’interrupteur ?

    Pourront ils avoir de l’argent qui permet de tant simplifier et fluidifier les échanges ?

    Et si la solution proposée est de quitter massivement les métropoles, où iront ces citadins ? vers quels endroits où ils pourront se loger, se nourrir, se soigner ?

    Nous ne sommes pas 5 millions, nous sommes 8 milliards.

    Dire qu’il faut revoir toute l’organisation est très juste.

    Mais pour aller vers quoi ? Et comment faire pour y aller ?

    Voilà des sujets très compliqués dont j’entends peu parler.

    Si vous voulez écoutez plus que les 5 minutes d’introduction d’Aurélien Barreau, c’est à dire l’ensemble de l’échange, c’est <ICI>

    <1705>

  • Mercredi 7 septembre 2022

    « Qui y a-t-il de plus fort que le sentiment d’aimer une femme et d’être aimé par elle ? »
    Mikhaël Gorbatchev, évoquant son amour pour son épouse Raïssa

    C’est un documentaire un peu étrange qu’« ARTE » a diffusé en l’honneur de Mickhaël Gorbatchev : <Gorbatchev – En aparté>

    Ce documentaire restera disponible sur le site d’ARTE jusqu’au 28 février 2023.

    Un nonagénaire au visage et au corps gonflés par le diabète avance péniblement, à l’aide d’un déambulateur, dans la maison que l’État russe a mis à sa disposition et dont il possède l’usufruit.

    L’homme de la perestroïka et de la glasnost se laisse filmer dans son intimité par le réalisateur Vitaly Manski qui le connaît et le vénère.

    Son visage est devenu lunaire, son corps est épuisé. Il est quasi méconnaissable, mais sur le crâne lisse, apparait la fameuse tache de naissance qui est devenu célèbre avec lui.

    La présentation de ce documentaire, tournée en 2019, est alléchante : Près de trente ans après l’effondrement de l’Union soviétique, quel regard porte-t-il sur son testament politique, depuis son avènement au pouvoir en 1985 jusqu’à sa démission, le 25 décembre 1991 ?

    Il ne dit pas grand-chose, en tout cas rien de nouveau.

    Il refuse obstinément de se prononcer sur la politique contemporaine de la Russie de Poutine.

    Bernard Guetta explique dans une interview que Poutine a exigé, pour que sa fin de vie reste paisible dans cette maison confortable, que ses commentaires et critiques à son égard restent mesurés.

    Ce que j’ai trouvé unique, dans ce documentaire, c’est l’émotion qui se dégage quand ce vieil homme malade parle de son amour pour sa compagne de 46 ans Raïssa Maximova Tilorenko, morte d’une leucémie en 1999 dans un hôpital de Munster.

    Des photos ou des peintures la représentant se trouvent partout dans la maison.

    A 24 minutes 30 du documentaire, Mikhail Gorbatchev parle de sa fille qui a quitté la Russie et qui vit en Occident, comme ses enfants.

    Et Gorbatchev ajoute :

    « Du temps de Raïssa, tout le monde était là.
    Je n’arrive toujours pas à m’y faire. »

    Vitaly Manski le relance alors :

    « Lorsque Raissa Maximova est décédé vous avez déclaré à plusieurs reprises que pour vous la vie n’avait plus de sens. »

    Et Gorbatchev répond immédiatement :

    « C’est vrai ! »

    Et quand le réalisateur pose la question : « Comment ça ? » il répète

    « Elle n’en a plus ! »

    Gorbatchev mange et se tait.

    Alors Manski tente une nouvelle relance :

    « C’est quoi le sens de la vie ? »

    Gorbatchev continue à manger et ne répond pas. Il y a un long silence.

    Le questionneur tente une réponse :

    « Est-ce que cela ne serait pas d’aimer une femme tout simplement ? Et d’avoir des enfants avec elle ? Il ne faut peut-être pas chercher plus loin … »

    Et Le vieil homme brusquement reprend la parole et dit :

    « Qui y a-t-il de plus fort que le sentiment d’aimer une femme et d’être aimé par elle ?
    Il y a tant de jolies filles, tant de doux noms à entendre.
    Mais un seul, dans mon cœur, brille, me parait si beau, si tendre. »

    Un peu plus loin dans le documentaire à 32:50, il dit :

    « On ne s’est jamais séparé, on était toujours ensemble. On ne faisait qu’un.

    On se demande à quoi ça tient.

    On me disait qu’elle me menait par le bout du nez.

    Ce que je n’ai jamais démenti. En fait, j’étais tout à fait d’accord. Et c’était bien comme ça. […]

    Je me souviens d’une interview de Jacques Brel entendu à la radio.

    J’étais très jeune mais ces paroles me sont restées.

    « Il y a qu’un tout petit nombre de personnes qui sont en capacité de vivre le grand amour toute une vie »

    Raissa Tilorenko,et Mikhaël Gorbatchev faisaient partie de ce petit nombre.

    C’est d’autant plus difficile pour les hommes de pouvoir qui ont tant besoin de séduire et de se rassurer en séduisant encore.

    Dans tous les documentaires que j’ai vu, chaque fois que Gorbatchev parlait de Raissa, de sa mort, de sa dépression après le putsch des conservateurs de juillet 1991, les larmes venaient et il devait s’essuyer les yeux.

    Dans un article rédigé par Annick Cojean dans le Monde : < Mikhaël Gorbatchev : une enfance soviétique dans une famille aimante> il révèle :

    « Je suis né dans une famille heureuse. Mon père aimait beaucoup ma mère. En fait, ils ne faisaient qu’un. Ma mère était d’origine ukrainienne, région de Tchernigov, mon père de racines russes, région de Voronej. Ils étaient très heureux ensemble. »

    Et à cette journaliste il a dit :

    « L’éthique et la morale de mon grand-père sont restées mes références. Lui et mon père m’ont servi d’exemple. Je ne les ai pas trahis. Car ce n’est jamais la gloire qui m’a inspiré, ni la conservation du pouvoir. Ce sont les gens simples et dignes que j’avais connus, ceux que l’histoire avait malmenés et qui méritaient de vivre dans un monde libre et démocratique. Et tant pis pour la Nomenklatura que j’ai vexée et secouée ! Je ne veux ni qu’elle me pardonne ni qu’elle me réhabilite.

     Car, de toute façon, j’ai gagné ! Le processus démocratique est irréversible ! J’ai réussi parce que je venais de ce monde de paysans et de cette famille-là. Que je croyais honnêtement dans ce que je faisais. Et aussi… parce que Raïssa était à mes côtés. »

    En 2020, juste après son décès à 67 ans, Frédéric Mitterrand a réalisé un documentaire pour France 2 « Mikhaïl et Raïssa, souvenirs d’un grand amour ».

    Dans la présentation de son documentaire Frédéric Mitterrand écrit :

    « Mikhaïl et Raïssa Gorbatchev se sont rencontrés à Moscou au début des années cinquante, alors qu’ils étaient étudiants. […]

    Elle venait d’une famille d’origine bourgeoise et son père cheminot appartenait à l’élite du prolétariat dans un pays où les chemins de fer furent longtemps la seule réponse au défi des grandes distances.

    L’un et l’autre avaient largement souffert des séquelles de la grande famine des années 30, de l’invasion allemande et de la terreur stalinienne, le père de Raïssa ayant notamment été envoyé au goulag tandis que sa femme et ses enfants survivaient misérablement dans un wagon de marchandises abandonné dans une gare de Sibérie.

    […] Il est avéré que l’accession au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir suprême en 1985 fut bien le résultat d’une ambition commune et d’une entente sentimentale et intellectuelle profonde avec son épouse à tel point qu’ils étaient autant le partenaire et le meilleur ami l’un de l’autre que mari et femme.

    A cet égard, Raïssa Gorbatchev joua un rôle essentiel dans l’affirmation publique de la volonté réformatrice de son époux, tandis que son charme et son élégance fascinaient les medias et l’opinion internationale au cours de visites officielles à l’étranger à l’impact spectaculaire. […]

    Sa fin brutale laisse ouverte l’énigme d’un amour de près de cinquante années qui aura résisté aux aléas dramatiques d’une histoire ayant changé la face du monde. »

    Le journal « Challenge » énonce cette évidence : « Derrière Mikhaïl et la perestroïka, Raïssa Gorbatcheva »

    Cet article cite Margaret Thatcher :

    « Raïssa était tout à fait différente, ne ressemblait pas aux gens que l’on avait l’habitude d’associer au système soviétique. C’était une femme sûre d’elle, brillante et vive »

    Et cite aussi un ouvrage de Gorbatchev :

    « Toute notre vie, où que nous soyons, nous n’avons jamais arrêté de dialoguer avec Raïssa. Une fois devenu secrétaire général et président, j’appelais Raïssa ou elle m’appelait deux-trois fois par jour ».

    Et j’ai la faiblesse de croire que si Gorbatchev fut grand et courageux dans l’épreuve et n’utilisa pas la force pour empêcher ce qui allait amener à sa destitution, c’est aussi parce que Raïssa était à ses côtés dans un lien indéfectible et immense.

    <1704>

  • Mardi 6 septembre 2022

    « La Glasnost et la Perestroïka»
    Mikhaïl Gorbatchev

    La politique que Gorbatchev lance, à son arrivée au pouvoir, permit, au monde entier, d’apprendre deux mots russes «  glasnost » (transparence) et « perestroïka » (reconstruction).

    La « Glasnost » est une transformation politique qui va libérer la parole politique comme jamais. Ni avant, ni après, ni maintenant les russes et les autres peuples soviétiques ne seront aussi libres.

    « La pérestroïka » est quant à elle une transformation économique qui va s’annoncer désastreuse.

    A cela s’ajoute « la loi anti-alcool », qu’il imposa très vite, et qui a laissé un mauvais souvenir, avec, pour résultat, l’augmentation de la consommation d’eau de Cologne ou de produits d’entretien comme substituts à la vodka, devenue difficile à trouver.

    Sa méfiance à l’égard de l’alcool aurait dû le rapprocher de Poutine qui de ce point de vue est aussi très éloigné de la pratique d’Eltsine.

    On pourrait donc résumer en disant que la Glasnost est une réussite et la Perestroïka un échec.

    Concernant la glasnost, les observateurs aguerris ont pu rapporter qu’il y eut quand même des points très critiquables.

    <Le Monde> rappelle

    « Le 12 décembre 1989, le pays tout entier est témoin en direct des limites de la glasnost (« transparence »). Les Soviétiques suivent alors avec passion les débats du « Congrès des députés du peuple », où siègent des élus « indépendants ». Les discussions sont retransmises en direct à la télévision, du jamais-vu. Aux heures de diffusion, on peut entendre une mouche voler dans les rues de Moscou ; tous suivent avidement les échanges animés entre les députés.

    Ce jour-là, l’académicien et militant des droits de l’homme Andreï Dmitrievitch Sakharov réclame à la tribune l’abolition de l’article 6 [qui impose le Parti Communiste comme Parti Unique]. Gorbatchev lui coupe le micro. Sakharov quitte la tribune et jette les feuilles de son discours sur le numéro un soviétique, assis au premier rang. Deux jours plus tard, le 14 décembre 1989, l’académicien meurt.

    Certes, en décembre 1986, Gorbatchev avait autorisé Sakharov et sa femme, Elena Bonner, exilés dans la ville fermée de Gorki depuis 1980, à rentrer à Moscou. Le geste était avant tout destiné à rassurer l’Occident, dont il cherchait les bonnes grâces. Quelques jours auparavant, la disparition tragique du dissident Anatoli Martchenko, mort d’épuisement dans un camp où il purgeait une peine de quinze ans pour délit d’opinion, avait entamé son image de réformateur. Même à l’époque de la perestroïka, les opposants continueront d’être envoyés à l’asile psychiatrique ou dans des colonies pénitentiaires héritées du goulag. »

    Cependant, l’article du Monde écrit surtout ce que fut cette parenthèse dans le gouvernement autoritaire de l’empire russe jusqu’à Poutine en passant par le régime bolchévique :

    « La glasnost (l’ouverture) marqua à jamais les esprits. D’un coup, les principaux tabous furent levés. Les journaux purent publier des statistiques sur les phénomènes de société jusqu’ici passés sous silence, tels les divorces, la criminalité, l’alcoolisme, la drogue. Les premiers sondages d’opinion firent leur apparition.

    Bientôt, des pans entiers de l’histoire de l’URSS, concernant notamment Staline et la période des purges, sont révélés au grand public. En 1987, Les Nouvelles de Moscou publient le texte du testament de Lénine, où celui-ci réclame la mise à l’écart de Staline, jugé trop « brutal ». La même année, le brouillage de la BBC cesse, les Soviétiques peuvent, enfin, communiquer et correspondre avec des étrangers.

    Les gens sont avides de savoir. Ils s’arrachent les hebdomadaires en vue, tels qu’Ogoniok ou Les Nouvelles de Moscou, qui reviennent sur les zones d’ombre de la période stalinienne. La parole se libère, on ose enfin aborder le thème des purges, des arrestations, le pacte germano-soviétique et les massacres des officiers polonais à Katyn, jusque-là imputés aux nazis. »

    Mais concernant la perestroïka ce fut un désastre.

    L’économie soviétique ne fonctionnait pas, mais comment la réformer ?

    Les avis sur les intentions de Gorbatchev divergent.

    Dans un podcast très intéressant de Slate <Le monde devant soi>, Jean-Marc Colombani pense que :

    « Mikhaïl Gorbatchev est un homo soviéticus, un homme de l’Union soviétique. […] il voulait introduire de l’humanisme dans le communisme. »

    Dans cette option, Il est entré dans ces réformes, en pensant sincèrement être en mesure de sauver le communisme et de conserver l’intégrité de l’Union Soviétique.

    Il existe une autre option qui est débattue, c’est celle qui consiste à penser qu’il savait le communisme condamné et que sa politique devait l’emmener à sortir du communisme tout en préservant l’Union Soviétique.

    Cette seconde thèse est défendue, par exemple, par Bernard Guetta qui a assisté à tous ces bouleversements d’abord en Pologne puis à Moscou où il a rencontré, plusieurs fois, Gorbatchev. Comme argument, il avance que Gorbatchev était trop intelligent pour ne pas s’être aperçu que l’économie communiste ne fonctionnait pas.

    Et Bernard Guetta déclare :

    « S’il avait voulu sauver le communisme, vous pensez qu’il aurait organisé des élections libres ? Qu’il aurait permis à la presse de prendre une liberté immense, qu’elle a perdu totalement sous monsieur Poutine aujourd’hui ? » »

    Vous trouverez cette intervention dans l’émission de France Inter : < Mikhaïl Gorbatchev voulait sauver la Russie d’un effondrement communiste inéluctable>

    Bernard Guetta, toujours passionné et passionnant est aussi intervenu dans « C à Vous » : <Gorbatchev, l’homme qui a changé la face du monde>

    Et il a répété à nouveau cette thèse par un billet d’hier, le 5 septembre, sur son site : < C’est la Russie et non pas le communisme que Gorbatchev voulait sauver>

    Bernard Guetta est un Gorbachophile qui, en outre, fut un intervenant régulier de la fondation Gorbatchev.

    Pourtant, rien dans les déclarations de Gorbatchev, même récentes et particulièrement dans le documentaire d’ARTE cité dans le mot du jour d’hier ne permet de soutenir la thèse de Guetta.

    Il était communiste, léniniste et il l’est resté.

    Colombani dit :

    « Dans le moment Gorbatchev, l’erreur qui est faite est probablement une transformation trop rapide de l’économie soviétique. […] Transformation trop rapide qui va entraîner la société soviétique dans un malheur social »

    Gorbatchev lui-même raconte les files d’attentes interminables qui était générées par le fait que l’offre était largement insuffisante par rapport à la demande.

    Il me semble que la thèse de Colombani est plus crédible. Et comme le disait Brejnev, le système était probablement irréformable.

    Gorbatchev pu reprocher au destin des circonstances défavorables :

    • Le prix bas du baril de pétrole
    • Le refus des occidentaux de l’aider financièrement

    En 1991, Mikhaïl Gorbatchev, en quête de crédits, demanda de l’aide à Washington et aux pays du G7, alors réunis à Londres. C’était « le sommet de la dernière chance », rappelle son ancien conseiller Andreï Gratchev dans une biographie, Gorbatchev. Le pari perdu ? (Armand Colin, 2011).

    Des crédits ? Autant « verser de l’eau sur du sable », rétorqua le président américain George Bush (père), approuvé par ses partenaires européens. La déception fut grande au Kremlin. « Gorbatchev aurait pu obtenir de l’Ouest un meilleur prix pour sa politique », estime ainsi Andreï Gratchev.

    Mais sur le plan économique Gorbatchev était très indécis et tout simplement ne savait pas comment faire. La situation économique était désastreuse

    En outre, la liberté qu’il avait instillée va permettre l’éclosion des nationalismes.

    Elstine qui était un politicien habile, dépourvu de tout scrupule qu’il noyait régulièrement dans l’alcool, n’avait qu’une idée en tête : prendre le pouvoir.

    Il va composer avec l’émergence de ces nationalismes tout en s’appuyant sur le nationalisme russe pour faire exploser l’Union Soviétique et Gorbatchev avec elle.

    Il profitera habilement d’un coup d’état de vieux conservateurs tremblants pour accélérer le mouvement.

    Jean-Marc Colombani conclut :

    « L’URSS s’est effondrée à cause du nationalisme russe et s’est effondrée sur elle-même »

    La fin fut pathétique et triste. Le Monde raconte :

    « Le 25 décembre, le nouveau président russe, Boris Eltsine, somma son vieux rival de débarrasser le plancher verni du Kremlin. Mikhaïl Gorbatchev s’exécuta. « Nos accords prévoyaient que j’avais jusqu’au 30 décembre pour déménager mes affaires », raconte-t-il dans ses Mémoires. Le 27 décembre au matin, on lui annonce que Boris Eltsine occupe son bureau. « Il était arrivé en compagnie de ses conseillers [Rouslan] Khasboulatov et [Guennadi] Bourboulis, et ils y avaient bu une bouteille de whisky en riant à gorge déployée. Ce fut un triomphe de rapaces, je ne trouve pas d’autres mots. »

    Le drapeau soviétique fut abaissé, le drapeau russe hissé à sa place. L’URSS avait tout bonnement cessé d’exister. Une histoire était terminée, une autre commençait.

    Vingt ans plus tard, et alors que Boris Eltsine (1931-2007) n’était plus, la rancœur était intacte : « C’était la pire des trahisons ! Nous étions assis ensemble, nous parlions, nous nous mettions d’accord sur un point et, dans mon dos, il se mettait à faire tout le contraire ! », déplorait encore Mikhaïl Gorbatchev, en février 2011, sur les ondes de Radio Svoboda. »

    Bien sûr il y eut de nombreuses erreurs. Gorbatchev déclarera en janvier 2011 :

    « Bien sûr, j’ai des regrets, de grosses erreurs ont été commises ».

    Le pouvoir d’Elstine fut une calamité, il abandonna le pays aux kleptomanes issus de du KGB et de la nomenklatura qui s’emparèrent par la ruse et la violence de tout ce qui avait de la valeur. L’économie de marché abandonnée aux voleurs et s’implantant dans une société non préparée créa d’immenses malheurs sociaux.

    On raconte que des russes avec leur humour grinçant dirent : on nous a menti, le système communiste ne fonctionne pas, mais on nous a aussi dit une vérité : le système capitaliste ne fonctionne que pour les riches.

    L’espérance de vie à la naissance en Russie chuta.


    De 1986 à 1988 l’espérance de vie se situe autour de 69,5 ans. De 1989 à 2003 il va chuter de 4,5 ans jusqu’à 65,03 ans en 2003. Ces chiffres sont issues de ce site : https://fr.countryeconomy.com/demographie/esperance-vie/russie

    Si on compare cette évolution par rapport à celle de la France, pendant cette même période, le schéma est frappant : l’évolution est continue en France :

    Alors qu’Eltsine est davantage responsable du malheur économique et du chaos que vont vivre les russes, il y aura un transfert vers une responsabilité quasi-totale vers Gorbatchev.

    Quand il se présentera, contre Eltsine, aux présidentielles de 1996, il obtiendra un humiliant 0,5 %.

    Selon un sondage publié en février 2017 par l’institut Levada, 7 % des personnes interrogées disaient éprouver du respect pour le dernier dirigeant soviétique, lauréat du prix Nobel de la paix en 1990.

    Adulé en Occident, il suscitait l’indifférence et le rejet chez une majorité de Russes.

    Le Monde résume :

    « Avant tout, ils ne peuvent lui pardonner le saut du pays dans l’inconnu. Indifférent au vent de liberté, ils ressassent à l’envi le film de son quotidien de l’époque, fait de pénuries, de files d’attente et de troc à tout va : cigarettes en guise de paiement pour une course en taxi, trois œufs contre une place de cinéma. »

    Et pour Vladimir Poutine et ses partisans, ils perçoivent la chute de l’URSS comme le résultat de la capitulation de Mikhaïl Gorbatchev face à l’Occident.

    Gorbatchev avait fini par admettre en confiant au Sunday times en mai 2016 :

    « La majorité des Russes, comme moi, ne veut pas la restauration de l’URSS, mais regrette qu’elle se soit effondrée [ certain que] sous la table, les Américains se sont frotté les mains de joie ».

    Une des citations de Gorbatchev qu’on cite souvent est la suivante :

    « La vie punit celui qui arrive trop tard ! »

    <1703>

  • Lundi 5 septembre 2022

    « Le refus d’utiliser la force est le plus grand héritage de Gorbatchev »
    Pierre Grosser

    Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev était le fils d’un père russe et d’une mère ukrainienne.

    Et son épouse, Raïssa Maximovna Titarenko, était la fille d’un père ukrainien et d’une mère russe.

    Les choses se passaient ainsi dans l’Union Soviétique que Mikhaïl Gorbatchev avait pour ambition de réformer.

    Le système soviétique ne fonctionnait pas économiquement, les citoyens de cet immense empire communiste vivaient dans un univers de pénurie : pénurie de logement, pénurie alimentaire, pénurie de tous les biens de consommation courante.

    L’Union Soviétique parvenait à donner le change dans l’Industrie lourde et surtout arrivait à rivaliser avec les États-Unis dans le domaine de l’armement et des ogives nucléaires.

    Et quand Reagan arriva au pouvoir le 20 janvier 1981 et lança une accélération de la course des armements avec ce qui fut appelé « la guerre des étoiles », les dirigeants soviétiques pensèrent que leur système économique failli n’arriverait plus à suivre leur rival.

    Dans <Wikipedia> on lit :

    « En mars 1983, Reagan introduisit l’initiative de défense stratégique (IDS) prévoyant la mise en place de systèmes au sol et dans l’espace pour protéger les États-Unis d’une attaque de missiles balistiques intercontinentaux. Reagan considérait que ce bouclier anti-missiles rendrait la guerre nucléaire impossible mais les incertitudes concernant la faisabilité d’un tel projet menèrent ses opposants à surnommer l’initiative de « Guerre des étoiles » et ils avancèrent que les objectifs technologiques étaient irréalistes. Les Soviétiques s’inquiétèrent des possibles effets de l’IDS186 ; le premier secrétaire Iouri Andropov déclara qu’elle mettrait le monde entier en péril »

    Il n’était pas certain que ce projet puisse se concrétiser, mais il mobilisait des ressources financières considérables que les soviétiques n’étaient pas capable de réunir.

    Le patron de l’URSS était alors Iouri Andropov qui après avoir été pendant 15 ans le chef du KGB succéda, le 12 novembre 1982, au vieux et malade Leonid Brejnev qui avait prophétisé que le système soviétique n’était pas réformable et que si on tentait de le réformer, il s’effondrerait.

    La page wikipédia d’Andropov montre que celui-ci était le contraire d’un tendre, mais il était convaincu qu’il fallait réformer parce qu’en interne comme dans la confrontation avec les États-Unis et l’Occident l’URSS ne pouvait plus faire face aux attentes et aux défis.

    Il était le mentor d’un jeune qu’il avait fait entrer au Politburo du Comité central du Parti communiste : Gorbatchev

    Andropov ne resta que 14 mois au pouvoir mais il était aussi vieux et malade et décéda. Il souhaitait que Gorbatchev lui succède. Mais le Politburo désigna comme successeur, un conservateur qui n’avait aucune ambition de réformer, Konstantin Tchernenko.

    Lui aussi était vieux et malade comme Andropov et Brejnev.

    Lors de sa désignation le « Canard enchaîné » dans son numéro du 15 février 1984 afficha cette manchette :

    « Le triomphe du marxisme-sénilisme »

    Le Canard tenta aussi cet autre jeu de mots : « c’était le vieux placé ».

    Jeu de mots salué par « le Spiegel » du 20 février suivant qui titrait pour sa part plus sérieusement

    « Tchernenko – La revanche de l’Appareil ».

    Sa fiche Wikipédia précise que Tchernenko passa l’essentiel de son court règne, d’un an et 25 jours, à la tête de l’État à l’hôpital et donna ainsi de lui l’image d’un « fantôme à l’article de la mort ».

    Le Politburo décida alors de suivre les conseils d’Andropov et de mettre à la tête du Parti Communiste, le 11 mars 1985, un relatif « jeune homme » de 54 ans, en bonne santé (il ne mourra que 47 ans plus tard) : Mikhaël Gorbatchev.

    C’était un communiste convaincu. Encore récemment et très vieux dans un documentaire d’ARTE : <Gorbatchev en aparté> il qualifie Lénine, le fondateur de l’URSS de « notre Dieu à tous »

    Il voulut réformer pour sauver le communisme et conserver l’Union Soviétique.

    Six ans et neuf mois plus tard, il échoua et son rôle politique s’acheva.

    Mais pendant cette période :

    • Il retira les troupes soviétiques d’Afghanistan,
    • Il engagea avec les États-Unis une réduction inouïe des armements nucléaires,
    • Les dissidents comme Sakharov furent libérés et purent s’exprimer,
    • Les journaux purent raconter la vérité et exprimer des opinons divergentes. Une liberté qui n’existait bien sûr, pas avant et plus maintenant non plus.
    • Les autres pays communistes de l’Europe de l’est purent faire évoluer leur régime, faire tomber la dictature communiste sans qu’aucun soldat de l’armée rouge n’intervienne.

    Qu’on songe qu’il disposait de l’armée rouge autrement puissante que sous Poutine et qu’il avait entre ses mains l’arme nucléaire que le maître actuel du Kremlin brandit sans cesse.

    Il était communiste mais il aimait la Liberté, le Droit et il était un homme de paix.

    Dans le Documentaire d’ARTE il expliqua :

    « J’étais faible, je n’ai coupé aucune tête ».

    Mais il exprime aussi sa satisfaction de pas avoir employé « les méthodes de (s)es prédécesseurs, Lénine compris ».

    Il y eut bien quelques morts dans des évènements troubles dans les pays Baltes ou la Géorgie lors de la répression de mouvements nationalistes et indépendantistes. Le Monde rappelle dans la nécrologie qu’il lui consacre : <Mikhaïl Gorbatchev, le dernier dirigeant de l’URSS, est mort>

    « Le 13 janvier 1991, quatorze personnes perdent la vie lors de l’assaut du Parlement et de la télévision de Vilnius (Lituanie) par l’armée soviétique. Sept jours plus tard, à Riga (Lettonie), un assaut similaire fait cinq morts. A Tbilissi (Géorgie), vingt-deux manifestants sont massacrés à coups de pelle en avril 1989 par l’armée fédérale, tandis que 150 personnes sont tuées par les militaires à Bakou (Azerbaïdjan), en janvier 1990.

    Dans ses Mémoires, publiés en 1997 (éd. du Rocher), Mikhaïl Gorbatchev affirme avoir tout ignoré des opérations militaires déclenchées dans les Républiques baltes. Ce n’est que plus tard, en feuilletant un livre écrit par des anciens d’Alpha (les commandos d’élite du KGB), qu’il comprit qu’il s’agissait d’une « opération conjointe des tchékistes [police politique] et des militaires », organisée sans son aval. Imprécis sur le nombre de victimes à Vilnius (« Il y eut des pertes humaines », écrit Gorbatchev), il adhère sans détour à la thèse du complot et évoque une « provocation » des séparatistes locaux. »

    Sans passer sous silence ces faits, il me semble légitime de considérer que globalement tous ces immenses évènements eurent lieu presque sans effusion de sang. Et ce dénouement pacifique de la guerre froide doit quasi tout à un seul homme : Mikhaël Gorbatchev

    Qu’on songe un instant à tous ces hommes qui à la tête d’une telle puissance militaire et voyant leur pouvoir se désagréger, n’auraient pas laissé faire et auraient lancé des forces de destruction plutôt que d’accepter de partir dans la tristesse mais dans la paix.

    Angela Merkel qui subissait en Allemagne de l’Est, la dictature communiste et soviétique a exprimé en toute simplicité ce message à la fois politique et personnel :

    « Il a montré par l’exemple comment un seul homme d’État peut changer le monde pour le mieux […] Mikhaïl Gorbatchev a également changé ma vie de manière fondamentale. Je ne l’oublierai jamais »

    C’est l’historien Pierre Grosser qui dans un article de Libération exprime le plus justement ce rôle extraordinaire de Gorbatchev : «Le refus d’utiliser la force est le plus grand héritage de Gorbatchev»

    Il fait ainsi ce constat :

    « Au XXe siècle, les grandes transformations de l’ordre international, les révolutions et les chutes d’empires avaient été les conséquences de guerres, et en particulier des deux guerres mondiales. Or, les bouleversements de la fin des années 80 eurent lieu sans guère d’effusion de sang, même lors de processus de « décolonisation » dans les pays baltes et dans le Caucase. »

    Et il compare cette attitude avec celle du régime chinois :

    « Alors que le Parti communiste chinois utilisait la répression au Tibet et contre les mobilisations étudiantes et sociales en juin 1989, Gorbatchev n’utilisa la force ni pour sauver les régimes des démocraties populaires, ni celui de l’URSS, ni l’URSS elle-même. C’était cela aussi qui était inimaginable, tant il était répété depuis des décennies que l’Europe de l’Est était un glacis protecteur indispensable à la sécurité de la Russie, que celle-ci ne pourrait renoncer aux gains obtenus après la Grande Guerre patriotique qui avait coûté 27 millions de vies soviétiques, et que l’usage de la force et de la répression était une caractéristique principale du régime.

    Le refus d’utiliser la force, à de très rares exceptions (notamment en Lituanie, le 13 janvier 1991, provoquant infiniment moins de victimes que les violences staliniennes), est en définitive le plus grand héritage de Gorbatchev. Ses réformes ont rendu possibles les actions de peuples à partir de 1989. Ce sont les peuples, mais aussi des membres de partis communistes nationaux, qui ont été alors les moteurs de l’histoire. Gorbatchev fut moins le grand homme qui a organisé de grandes transformations que l’homme qui les a laissées faire. C’est aussi le cas de la réunification allemande, à laquelle il s’est finalement résolu, même si elle se faisait à l’intérieur de l’Otan. Dans les années 90, les observateurs concluaient à un déclin de l’usage de la force et de sa légitimité dans les sociétés développées et nanties à partir des années 70. L’usage répété de la force par Vladimir Poutine montre bien a posteriori qu’il y eut un vrai choix de Gorbatchev. Le Parti communiste chinois assume, lui, d’avoir utilisé la force en 1989, ce qui aurait sauvé le régime et le potentiel de réussite de la Chine. Il dénonce les cadres et les membres du Parti en URSS et en Europe qui ne se sont pas levés pour défendre leur régime, et éduque donc les communistes chinois à vouloir virilement défendre le Parti. »

    Pierre Grosser rappelle aussi que Gorbatchev est resté persuadé que le monde et les États-Unis auraient mieux fait de suivre ses conseils :

    « Depuis les années 90, Gorbatchev a répété que s’il avait été davantage écouté, et si les États-Unis n’avaient pas été saisis d’hubris après la guerre du Golfe et la réunification allemande, le monde aurait été beaucoup plus sûr et pacifique.  »

    Pour ce rôle, l’Humanité, à mon sens, doit une immense reconnaissance à cet homme qui vient de mourir à 91 ans, le 30 août 2022.

    <1702>

  • Lundi 1 août 2022

    « L’intelligence des anagrammes ! »
    L’art de l’anagramme permet de discerner ce qu’un mot cache dans ses lettres

    La continuation de la série sur le choc des civilisations me donne du mal.

    Il faut donc encore patienter, mais en attendant j’ai lu deux anagrammes que j’ai mis en forme dans un diaporama que je partage ici :

    <1701>

  • Vendredi 15 juillet 2022

    « Pause (Grammaire des civilisations de Braudel). »
    Le mot du jour est en pause, il reviendra au plus tôt le 8 août

    Le mot du jour du 13 juillet a été beaucoup enrichi sur la fin surtout par des apports empruntés à « Grammaire des civilisations » de Braudel.

    Je vous invite donc à le relire, si vous avez lu la première version : « Un monde divisé en civilisations. »

    Pour ce mot de pause, j’ai trouvé cet article rédigé par René-Éric Dagorn qui est géographe et historien.

    Il rappelle que le livre de Braudel a été d’abord un manuel d’Histoire pour les Terminales.

    Initiative qui n’a pas été couronnée de succès. René-Éric Dagorn explique une partie des raisons de cet échec en soulignant les limites de cet ouvrage tout en révélant le niveau intellectuellement brillant de la démarche.

    <Fernand Braudel et la Grammaire des civilisations (1963)>

    « Atteindre et comprendre notre temps […] à travers l’histoire lente des civilisations » tel est l’objectif central de cet étonnant manuel de classes de terminales publié par les éditions Belin en 1963, intitulé Le monde actuel. Histoire et civilisations, et signé par S. Baille, F. Braudel et R. Philippe. L’ouvrage de Fernand Braudel que nous appelons aujourd’hui Grammaire des civilisations est la partie centrale de ce manuel […].

    Grammaire des civilisations est donc un objet étrange. Il est lu aujourd’hui comme s’il avait le même statut que les autres textes de Braudel ; et il est même de plus en plus considéré comme le troisième grand texte de Braudel avec La Méditerranée (1947-1949) et Civilisation matérielle, économie et capitalisme (1967-1975). Pourtant oublier que Grammaire des civilisations est issu d’un manuel scolaire dont l’objectif était de transformer radicalement les approches de l’histoire des classes de terminales – au moment même où s’ouvrait le chantier de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (Ehess) fondée en 1962 – c’est passer à côté d’éléments essentiels à sa lecture et à sa compréhension, et c’est manquer les objectifs que Fernand Braudel s’était fixé en rédigeant ce livre.

    Car, depuis le milieu des années 50, Braudel est fortement impliqué dans la réforme du système éducatif. Et, il vient de subir un échec important : il a été contraint de quitter la présidence du jury de l’agrégation d’histoire, institution centrale dans la formation des enseignants du secondaire et étape importante dans la formation intellectuelle des futurs chercheurs des universités. Son implication dans les nouveaux programmes des lycées qui se mettent alors en place n’en est que plus forte. Et à la fin des années 50 Fernand Braudel remporte plusieurs victoires sur ce terrain.

    […] Le Bulletin Officiel du 19 juillet 1957 propose une refonte radicale des programmes d’histoire du lycée. Jusqu’alors l’objectif principal était de mettre en valeur le récit historique en découpant la chronologie en tranches : de la sixième (Mésopotamie et Égypte) aux classes de terminales (de 1851 à 1939). Sous l’impulsion de Braudel, la réforme proposée est radicale : garder le récit chronologique de la sixième à la première, et étudier durant toute l’année de terminale « les principales civilisations contemporaines ». L’étude des six « mondes » prévus (occidental, soviétique, musulman, extrême-oriental, asiatique du Sud-Est, africain noir) sera précédée d’une introduction qui « devra tout d’abord, définir la notion de civilisation, mais elle soulignera, en l’expliquant, la forme à donner à l’étude envisagée, qui comportera, pour chacun des ensembles envisagés […] trois éléments essentiels : fondements, facteurs essentiels de l’évolution, aspects particulier actuels de la civilisation ».

    Cette révolution (le mot n’est pas trop fort) est à comprendre dans cet immense effort de reconstruction de la société française de l’après-guerre. Il s’agit de former des hommes capables de comprendre le monde dans lequel ils vivent : à un moment où les enfants du baby-boom commencent à entrer massivement dans le secondaire, à un moment où le monde est lancé dans une série de changements qui donnent l’impression d’une accélération considérable de l’histoire, l’éducation doit donner les moyens intellectuels, les outils de pensée et les visions d’ensemble permettant la compréhension du monde. […]

    Entrer dans cette histoire de la « longue durée » passe d’abord par l’obligation de mobiliser « l’ensemble des sciences de l’homme » .

    […] Si les civilisations sont des structures spatiales, sociales, économiques et mentales, elles sont également autre chose : « les civilisations sont des continuités » en ce sens où « parmi les coordonnées anciennes (certaines) restent valables aujourd’hui encore ».[…]

    Une fois tout ceci posé, c’est bien sûr « à l’étude des cas concrets qu’il convient de s’attacher pour comprendre ce qu’est une civilisation ». Et c’est là que Fernand Braudel se révèle décevant. Après une introduction d’un tel niveau, on s’attendait à un exposé d’une grande efficacité pour comprendre le « monde actuel ». Or, ce n’est pas le cas, loin s’en faut. L’ampleur et la qualité de la pensée de Braudel ne sont pas en cause. Au contraire, la description des civilisations est d’une grande virtuosité intellectuelle. Les passages consacrés à l’Islam et au monde musulman, à la Chine ou encore à l’unité de l’Europe sont brillants. Mais il faut bien le dire, ces chapitres ne sont plus lus aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que, paradoxalement, ils ne permettent pas de penser le monde actuel. Malgré leur intérêt, les approches civilisationnelles de Braudel sont limitées pour au moins deux raisons.

    D’abord parce qu’en insistant sur la « longue durée », sur les permanences et le temps ralenti des civilisations, Braudel minimise largement les changements et les ruptures. Or, pour reprendre l’expression de Jürgen Habermas, la Seconde Guerre mondiale constitue une « rupture civilisationnelle » ; et on peut appliquer aux temps des civilisations ce que Habermas dit à propos de l’ensemble du 20e siècle : « les continuités […] qui défient les césures […] calendaires, ne nous apprennent qu’insuffisamment ce qui caractérise le 20e siècle en tant que tel. Pour l’expliquer les historiens s’attachent aux événements plutôt qu’aux changements de tendance et aux transformations structurelles […]. Or, ce faisant, on fait disparaître la singularité de l’unique événement qui non seulement divise chronologiquement le siècle, mais encore représente une ligne de partage du point de vue économique, politique et surtout normatif » (Jürgen Habermas, Après l’État-nation, 2000, p. 13 et p. 22-23). L’analyse en termes de longue durée, en privilégiant les grandes continuités historiques, passe donc à côté des ruptures importantes et, plus encore, ne permet pas de voir cette rupture fondamentale qu’est 1945 dans la compréhension du monde actuel.

    Ensuite parce que l’analyse des civilisations prises une par une minimise également ce qui n’est pas propre à ces civilisations particulières : bien sûr, à de nombreux moments de son ouvrage (et évidemment particulièrement lorsqu’il travaille sur l’Europe et sur les États-Unis), Braudel insiste sur les processus de décloisonnement des sociétés, mais son découpage par aires civilisationnelles l’empêche en fin de compte de penser les processus englobants. C’est en fait lorsqu’il travaille dans les tout premiers paragraphes sur les liens entre les civilisations et la civilisation qu’il approche, mais sans les analyser finement ni les développer, les problématiques qui sont les nôtres aujourd’hui… et qui étaient déjà au centre de certains travaux au début des années 60. Si l’expression « village global » proposée par McLuhan en 1962 a eu un tel impact – et ce malgré les limites de son ouvrage La Galaxie Gutenberg – c’est qu’elle faisait émerger l’idée que le monde doit être approché aussi comme un tout, et non pas seulement comme la somme de ses échelles inférieures, États ou civilisations.

    […] La rénovation très ambitieuse des programmes d’histoire par Fernand Braudel sera finalement un échec. A partir de 1970 le manuel Belin (dont une deuxième édition très légèrement modifiée avait été publiée en 1966) est retiré de la vente. Mais, comme le rappelle Maurice Aymard, 3le problème n’était pas […] celui d’un livre : il était bien plus profondément celui de l’enseignement de l’histoire3. Quarante ans plus tard, cette phrase est encore en partie vraie : le programme d’histoire des classes de terminales insiste encore et toujours sur la chronologie détaillée – et fort peu problématisée – de la Guerre Froide par exemple.

    Mais la bonne surprise est venue de la géographie. En prenant en charge l’intelligence des processus d’émergence des espaces mondiaux, et particulièrement des espaces politiques mondiaux, le programme de géographie des classes de terminales tente de répondre en fin de compte à l’injonction de Fernand Braudel : comprendre le « monde actuel » en faisant appel aux sciences sociales. »

    Maintenant si les récits de cet animal prétentieux qui a pour nom homo sapiens, qui a créé des dieux qu’il a pensé à son image et qui est en train d’abimer, sans doute irrémédiablement, les conditions de vie sur la planète qui l’a vu naître, vous ennuie, vous pouvez aussi allez voir les photos mises en ligne du télescope James Web https://www.jwst.fr/2022/07/les-premieres-images-du-webb/.

    C’est encore une création d’homo sapiens, mais qui devrait nous rendre d’une humilité absolue en visualisant la profondeur de l’Univers comme nous n’avons jamais pu la voir.

    Voici une de ses photos qu’Etienne Klein décrit poétiquement.

    <Mot sans numéro>

  • Mercredi 13 juillet 2022

    « Un monde divisé en civilisations. »
    Samuel Huntington, titre de la première partie du Choc des civilisations.

    Définir le terme de « civilisation » n’est pas commode.

    Souvent on donne comme synonyme «culture» et comme contraire «barbarie».

    Pour les romains le partage était simple : Rome constituait la civilisation, à laquelle ils acceptaient d’intégrer les grecs, et tous les autres étaient des barbares.

    Le Larousse tente cette définition :

    « Ensemble des caractères propres à la vie intellectuelle, artistique, morale, sociale et matérielle d’un pays ou d’une société : La civilisation des Incas. »

    Le Robert en propose une proche :

    « Ensemble de phénomènes sociaux (religieux, moraux, esthétiques, scientifiques, techniques) d’une grande société : La civilisation chinoise, égyptienne. »

    Le dictionnaire du CNRS propose d’abord une opposition : celle de l’état de nature avec l’état de civilisation :

    « Fait pour un peuple de quitter une condition primitive (un état de nature) pour progresser dans le domaine des mœurs, des connaissances, des idées. »

    Et ce dictionnaire cite plusieurs auteurs. J’en retiens deux, tous les deux académiciens :

    Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814), écrivain et botaniste français, auteur de « Paul et Virginie » :

    « Les Mexicains et les Péruviens, ces peuples naturellement si doux et déjà avancés en civilisation, offraient chaque année à leurs dieux un grand nombre de victimes humaines; … »
    Harmonies de la nature,1814, p. 298.

    Charles-Augustin Sainte-Beuve (1804 – 1869) critique littéraire et écrivain français :

    « C’est l’effet et le but de la civilisation, de faire prévaloir la douceur et les bons sentiments sur les appétits sauvages. »
    Port-Royal,t. 5, 1859, p. 235.

    Cette manière d’aborder le sujet distingue la civilisation de la non civilisation, mais ne semble pas ouvrir la possibilité de la coexistence de civilisations différentes.

    Mais elle semble assez proche de l’étymologie du mot qui est d’origine latine : Formé à partir du mot latin civis (« citoyen »), qui a donné naissance à civilis qui signifie en latin « poli », « de mœurs convenables et raffinées ». Il semble que ce nouveau substantif « civilis » établissait une distinction qui s’était peu à peu établie entre gens des villes et habitants des campagnes.

    Mais le dictionnaire du CNRS propose d’autres définitions :

    « État plus ou moins stable (durable) d’une société qui, ayant quitté l’état de nature, a acquis un haut développement »

    Et ajoute :

    « Ensemble transmissible des valeurs (intellectuelles, spirituelles, artistiques) et des connaissances scientifiques ou réalisations techniques qui caractérisent une étape des progrès d’une société en évolution. »

    Mais si on veut vraiment approcher le concept de civilisation, il faut revenir à Fernand Braudel qui dans sa quête de raconter l’Histoire s’inscrivant dans le Temps long écrit dans son ouvrage « Grammaire des civilisations » :

    « Cependant vous n’aurez pas de peine à constater que la vie des hommes implique bien d’autres réalités qui ne peuvent prendre place dans ce film des évènements : l’espace dans lequel ils vivent, les formes sociales qui les emprisonnent et décident de leur existence, les règles éthiques, conscientes ou inconscientes auxquelles ils obéissent, leurs croyances religieuses et philosophiques, la civilisation qui leur est propre. Ces réalités ont une vie beaucoup plus longue que la nôtre et nous n’aurons pas toujours le loisir eu cours de notre existence, de les voir changer de fond en comble. »
    Grammaire des civilisations page 26

    Pour Braudel, le concept de civilisation est nécessaire pour expliquer le temps long en Histoire et il donne les éléments qui constituent la civilisation :

    • L’espace
    • Les formes sociales
    • Les règles éthiques
    • Les croyances religieuses et philosophiques

    et un peu plus loin, il lance cette envolée lyrique :

    « Les civilisations sont assurément des personnages à part, dont la longévité dépasse l’entendement. Fabuleusement vieilles, elles persistent à vivre dans chacun d’entre nous et elles nous survivront longtemps encore. »

    Mais si les civilisations sont « des personnages » qui viennent de loin et sont anciennes, il semble que le mot « civilisation » est d’invention assez récente, juste avant la révolution française.

    Selon l’excellent site d’Histoire « HERODOTE » :

    « Le mot « civilisation » n’a que trois siècles d’existence. […] Au siècle des Lumières, il commence à se montrer dans un sens moderne. On le repère en 1756 dans L’Ami des Hommes ou Traité sur la population, un essai politique à l’origine du courant physiocratique. Son auteur est Victor Riqueti de Mirabeau, le père du tribun révolutionnaire. Il écrit : « C’est la religion le premier ressort de la civilisation », c’est-à-dire qui rend les hommes plus aptes à vivre ensemble. »

    Mais que dit Huntington ?

    D’abord, il cite Braudel qui est un de ses inspirateurs :

    « Comme l’écrivait avec sagesse Fernand Braudel, « pour toute personne qui s’intéresse au monde contemporain et à plus forte raison qui veut agir sur ce monde, il est « payant » de savoir reconnaître sur une mappemonde quelles civilisations existent aujourd’hui d’être capable de définir leurs frontières, leur centre et leur périphérie, leurs provinces et l’air qu’on y respire, les formes générales et particulières qui existent et qui s’associent en leur sein. » »
    Page 42

    Et puis il aborde le cœur de son argumentation :

    « Dans le monde d’après la guerre froide, les distinctions majeures entre les peuples ne sont pas idéologiques, politiques ou économiques. Elles sont culturelles. Les peuples et les nations s’efforcent de répondre à la question fondamentale entre toutes pour les humains : Qui sommes-nous ? Et ils y répondent de la façon la plus traditionnelle qui soit : en se référant à ce qui compte le plus pour eux. Ils se définissent en termes de lignage, de religion, de langue, d’histoire, de valeurs, d’habitudes et d’institutions. Ils s’identifient à des groupes culturels : tribus, ethnies, communautés religieuses, nations et, au niveau le plus large, civilisations. Ils utilisent la politique non pas seulement pour faire prévaloir leur intérêt, mais pour définir leur identité. On sait qui on est seulement si on sait qui on n’est pas. Et, bien souvent, si on sait contre qui on est. »
    Page 21

    Et c’est ainsi qu’il s’oppose frontalement à la prétention à aller vers une civilisation universelle que prévoit Fukuyama dans la « Fin de l’Histoire » et qui serait une dérivée de la civilisation occidentale.

    Selon lui c’est justement la civilisation occidentale qui est source de frictions et de rejet. Il présente ainsi sa première partie : « Un monde divisé en civilisations » :

    « Pour la première fois dans l’histoire, la politique globale est à la fois multipolaire et multi-civilisationnel. La modernisation se distingue de l’occidentalisation et ne produit nullement une civilisation universelle pas plus qu’elle ne donne lieu à l’occidentalisation des sociétés non occidentales »
    Page 17

    Et cette opposition entre l’occident et les autres, il la précise encore davantage dans cet extrait :

    « Le monde en un sens, est dual, mais la distinction centrale oppose l’actuelle civilisation dominante, l’Occident et toutes les autres, lesquelles ont bien peu en commun. En résumé, le monde est divisé en une entité occidentale et une multitude d’entités non occidentales »
    Page 37

    A ce stade, Huntington est obligé de s’engager et de citer les principales civilisations contemporaines. Il en cite 6 et hésite sur une septième :

    1. La civilisation chinoise ;
    2. La civilisation japonaise ;
    3. La civilisation hindoue ;
    4. La civilisation musulmane ;
    5. La civilisation Occidentale ;
    6. La civilisation latino-américaine ;

    La 7ème sur laquelle il hésite est la civilisation africaine
    Page 51 à 57

    Si on essaye de reprendre la typologie de Fernand Braudel dans la «Grammaire des civilisations», on trouve cette liste que Braudel classe géographiquement et qui compte 11 civilisations :

    A – Les civilisations non-européennes

    1. L’Islam et le monde musulman
    2. Le continent noir « l’Afrique Noire, ou mieux les Afrique Noire »

    Aa – L’Extrême-Orient

    3. La Chine
    4. L’Inde
    5. Indochine, Indonésie, Philippines, Corée : « un Extrême-Orient maritime »
    6. Japon

    B – Les civilisations européennes

    7. L’Europe

    Ba – L’Amérique

    8. L’Amérique latine
    9. Les États-Unis
    10. L’univers anglais (Canada, Afrique du Sud, Australie, Nouvelle-Zélande)

    Bb – L’autre Europe (U.R.S.S.)

    11. Le monde orthodoxe

    Si on compare les deux listes, on constate que Braudel y inclut bien une civilisation africaine mais dont il enlève le Maghreb et l’Egypte et affirme la pluralité : «Les Afrique noire ». Ensuite il divise l’Occident en plusieurs branches : L’Europe, Les États-Unis et L’Univers anglais. Pour arriver à 11, il ajoute le «monde orthodoxe» qui a l’époque du livre de Braudel était largement sous le joug et même le négationnisme soviétique . Cette situation a bien changé depuis. Enfin, il ajoute une particularité orientale : « un Extrême-Orient maritime ».

    Sur ce <site> j’ai trouvé cette représentation de la vision braudelienne :

    Huntington précise que ces séparations ne sauraient être gravées dans le marbre, qu’elles sont fluctuantes, mouvantes, mobiles.

    Tout ceci n’a pas la rigueur de la science physique. Nous sommes dans l’humain, donc dans le récit. Et ce qui importe c’est que les sociétés, leurs gouvernants en appellent à ces récits pour justifier leurs actions, leurs organisations, leurs rejets. Des chinois, des russes, des musulmans font appel à ces récits civilisationnels pour rejeter les valeurs, l’organisation et l’hégémonie occidentales.

    Fernand Braudel évoque, dans son ouvrage, le choc des civilisations que conceptualisera Samuel Huntington 30 ans plus tard :

    « Le raisonnement, jusqu’ici, suppose des civilisations en rapport pacifique les unes avec les autres, libres de leurs choix. Or les rapports violents ont souvent été la règle. Toujours tragiques, ils ont été assez souvent inutiles à long terme. »

    Et il donne l’exemple du côté vain de ces affrontements :

    « Le colonialisme, c’est par excellence la submersion d’une civilisation par une autre. Les vaincus cèdent toujours au plus fort, mais leur soumission reste provisoire, dès qu’il y a conflit de civilisations. »

    Dans un exemple que j’ai déjà cité mardi, il raconte la Méditerranée comme l’espace de 3 civilisations : l’Occident, l’Islam et le monde orthodoxe gréco-russe. Et malgré de nombreuses guerres, et quelques fluctuations de frontières, globalement sur la longue durée ces 3 espaces n’ont que peu évolué. Et lors de la chute du communisme soviétique, Braudel était mort, le monde orthodoxe est réapparu du fond de la société opprimée par l’anti-religiosité communiste qui n’est pas parvenue à éradiquer ce récit porté dans les esprits, dans les familles, dans les siècles.

    Quelque repos est bienvenu, il n’y aura pas de mots du jour à partir du 14 juillet, au moins jusqu’au lundi 25 juillet. Mais il est possible que, pour poursuivre cette série, quelques jours de réflexions supplémentaires soient nécessaires.

    <1700>

  • Mardi 12 juillet 2022

    « Nous allons vous faire le pire des cadeaux : nous allons vous priver d’ennemi ! »
    Alexandre Arbatov conseiller diplomatique de Gorbatchev, à ses interlocuteurs américains pendant que le bloc soviétique était en trains de s’effondrer.

    Ce ne fut pas la ligne dominante des intellectuels et des politiques qui comptent, le « choc des civilisations » de Samuel Huntington fit l’objet de critiques virulentes et trouva finalement peu de défenseurs au moment de sa parution.

    Rappelons le contexte.

    Après l’effondrement du 3ème Reich allemand qui devait durer mille ans et qui s’effondra au bout de 12 ans, le monde était divisé entre Les États-Unis et leurs alliés et l’Union soviétique et ses alliés. C’était l’Ouest et l’Est.

    Il y avait bien une tentative de troisième voie : <Le mouvement des Non alignés>. Le terme de « non-alignement » avait été inventé par le Premier ministre indien Nehru lors d’un discours en 1954 à Colombo.

    Mais on fixe l’origine du mouvement des non-alignés à la déclaration de Brioni, en Yougoslavie, du 19 juillet 1956, qui était dominé par Josip Broz Tito le dirigeant de la Yougoslavie, Gamal Abdel Nasser, le raïs égyptien, Jawaharlal Nehru le premier ministre de l’Inde et Soekarno président de l’Indonésie. Cette organisation regroupait selon Wikipedia jusqu’à 120 États.

    Mais ce mouvement n’a pas très bien fonctionné.

    D’abord parce qu’il n’avait ni le poids politique, ni militaire des deux grandes alliances.

    Ensuite parce pour vouloir être indépendant des deux adversaires, ces États reconnaissaient que ce qui dominait c’était l’affrontement entre l’Est et l’Ouest.

    Enfin, dans la pratique et notamment pour les besoins militaires tous ces pays choisissaient quand même leur camp. L’inde était armée par l’Union soviétique parce que son grand ennemi, le Pakistan, était du côté américain. L’Égypte était armée par l’Union soviétique par que son ennemi Israël était dans le camp américain. Et puis la Yougoslavie après la mort de Staline était, malgré tout, dans le camp de l’Est.

    C’était donc cette division du monde qui expliquait la géopolitique, les tensions, les conflits et leur maîtrise. L’Union soviétique et les États-Unis ne se sont jamais affrontés mais l’on fait par procuration et par des conflits qui opposaient des pays qui se trouvaient dans l’un et l’autre camp.

    Cela permettait une compréhension globale et une explication commode des tensions.

    Mais vous connaissez l’Histoire, le mur de Berlin tombe le 9 novembre 1989, et l’Empire soviétique s’effondre, le 26 décembre 1991.

    Et en 1989, un conseiller diplomatique de Gorbatchev, Alexandre Arbatov dira à ses interlocuteurs américains : « Nous allons vous faire le pire des cadeaux : nous allons vous priver d’ennemi ! ». C’est en tout cas ce qu’affirme <Pierre Conesa>

    Le président Bush père déclarait : « La guerre froide est terminée, Nous l’avons gagnée ».

    « Nous » c’est bien sûr les États-Unis et par extension l’Occident.

    Mais comment dès lors penser cette nouvelle configuration géopolitique, géostratégique ?

    Les chefs et penseurs occidentaux n’ont pas fait très attention à la phrase d’Arbatov.

    Une réalité simple s’imposait à eux l’Empire du bien l’avait emporté sur l’Empire du mal.

    Le marché et la démocratie libérale allaient s’imposer partout. Il suffisait d’un peu de patience. Même l’immense Chine, qui restait dirigé par un Parti communiste, allait tomber comme un fruit mur dans un système politique à l’occidentale. C’était irrémédiable puisque les chinois étaient entrés dans une révolution économique nécessitant l’initiative et la concurrence qui allait les pousser inéluctablement vers la démocratie.

    C’est la fin des conflits, un système unique allait finir par s’imposer sur la planète entière.

    Les penseurs, les politiques, les responsables économiques ont alors trouvé celui qui allait conceptualiser cette nouvelle aube de l’humanité, Francis Fukuyama était son nom. Il écrit d’abord un article en 1989, puis un livre en 1992 « La Fin de l’histoire et le dernier homme ».

    Michel Onfray décrit cette thèse ainsi

    « La thèse de Fukuyama est simple, sinon simpliste, voire simplette : elle applique de façon scolaire, sinon américaine, la thèse hégélienne de la fin de l’histoire en la situant dans l’actualité : la chute de l’Empire soviétique annonce la fin de l’histoire ; elle rend caduc le combat entre le marxisme et le libéralisme en consacrant le triomphe du marché sur la totalité de la planète. Nous sommes dans le moment synthétique d’une copie de bac : thèse libérale, antithèse marxiste et synthèse postmarxiste assurant la vérité du libéralisme… C’est beau, non pas comme l’antique, mais comme une pensée issue d’un monde, les États-Unis d’Amérique, qui entre dans l’Histoire avec les petites chaussures d’un enfant… »

    Jean Yanne avait fait un film « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ».

    La créolisation du monde serait en route, mais sur un modèle essentiellement occidental.

    Rappelons quand même que le marxisme fut aussi une invention occidentale, d’un philosophe allemand.

    Et c’est cet instrument occidental que Mao mis en œuvre en Chine, Nasser essaya un peu en Égypte et bien d’autres pays firent cette tentative. On appelait cela la modernité et le progressisme. Nous savons que la Chine d’aujourd’hui ne reconnait plus cette importation occidentale et considère qu’elle suit son propre chemin, en phase avec la glorieuse histoire de la Chine et de ses traditions.

    L’ancien professeur de Francis Fukuyama, Samuel Huntington répliqua à son élève dans un article paru pendant l’été 1993 et qui lui aussi devint un livre en 1996 : « The clash of civilizations »

    Je laisse encore la parole à Michel Onfray :

    « Sa thèse ? À l’évidence, la chute de l’Empire soviétique impose un nouveau paradigme. Les oppositions ne s’effectuent plus selon les idéologies, le capitalisme contre le marxisme par exemple, mais selon les religions, les spiritualités, les cultures, les civilisations. Ce ne sont plus des nations qui s’opposent mais des civilisations. Ces lignes de forces civilisationnelles seront des lignes de fracture, donc des lignes de conflits qui opposeront désormais des blocs spirituels. »

    Huntington avait constaté que, le 18 avril 1984, en plein cœur de l’Europe chrétienne, deux mille personnes se retrouvent dans les rues de Sarajevo pour brandir des drapeaux de l’Arabie saoudite et de la Turquie. Les manifestants n’avaient pas choisi le drapeau européen, américain, ni même celui de l’Otan, mais celui de ces deux pays clairement musulmans.

    Huntington écrit : « Les habitants de Sarajevo, en agissant ainsi, voulaient montrer combien ils se sentaient proches de leurs cousins musulmans et signifier au monde quels étaient leurs vrais amis. » Lors de la guerre de Bosnie, les Bosniaques musulmans étaient soutenus par la Turquie, l’Iran et l’Arabie saoudite. La Serbie orthodoxe, quant à elle, l’était par la Russie. C’était donc une guerre de civilisations entre le bloc musulman et le bloc chrétien. On comprendra dès lors que défendre la Bosnie ou prendre le parti de la Serbie, c’était choisir une civilisation contre une autre.

    On critiqua ce livre absolument.

    On prétendit que les civilisations cela n’existe pas.

    Mais Huntington nuance :

    « Les civilisations n’ont pas de frontières clairement établies, ni de début ni de fin précis. On peut toujours redéfinir leur identité, de sorte que la composition et les formes des civilisations changent au fil du temps. »

    C’est un peu comme le racisme.

    Les races n’existent pas, il n’y a qu’une espèce : homo sapiens.

    Oui, mais le racisme existe.

    Il n’y a pas de civilisation « pure » mais il y a des conflits de civilisation, il y a des actes de terrorisme mais aussi des déclarations géopolitiques comme celle de la Chine qui s’appuient sur cet affrontement de civilisation.

    C’est pourquoi, j’ai lu le livre de Samuel Huntington.

    Il a été écrit en 1996, nous sommes 26 ans après. Force est de constater que certaine de ses prévisions ou intuitions se sont révélées erronées.

    Il écrit par exemple, en 1996, page 243  :

    « Beaucoup pensait qu’un conflit armé était possible [entre la Russie et l’Ukraine], ce qui a conduit certains analystes occidentaux à défendre l’idée que l’Occident devait aider l’Ukraine à avoir des armes nucléaires pour éviter une agression russe. Cependant, si le point de vue civilisationnel prévaut, un conflit entre Ukrainiens et Russes est peu probable »

    On dit avec justesse que la prévision est difficile, surtout quand elle concerne l’avenir.

    Mais malgré ces erreurs, la thèse de Huntington me parait très intelligente pour comprendre certains aspects essentiels de la géopolitique mondiale actuelle.

    Il écrit très humblement page 38 :

    « Aucun paradigme toutefois n’est valide pour toujours. Le modèle politique hérité de la guerre froide a été utile et pertinent pendant 40 ans mais il est devenu obsolète à la fin des années 80. A un moment donné le paradigme civilisationnel connaîtra le même sort. »

    Avec toutes ces limites, même Fukuyama a dû reconnaître : « Pour le moment, il semble qu’Huntington soit gagnant »

    J’en avais fait le <mot du jour du 20 septembre 2018>.

    Huntington pour son approche civilisationnel se réclame de Fernand Braudel.

    Je vous invite à relire le <mot du jour du 13 octobre 2015>, dans lequel je citais Fernand Braudel et notamment son analyse, sur la longue durée, de la Méditerranée qui depuis des siècles se partage entre trois civilisations : l’Occident Catholique, l’Islam et l’Univers Gréco-russe orthodoxe.

    <1699>

  • Lundi 11 juillet 2022

    « Cette civilisation occidentale qui, de nos jours, a fini par s’identifier, même aux yeux des autres peuples, avec la « civilisation » tout court. »
    Zoé Oldenbourg « Les croisades » (ouvrage de 1965)

    C’était en avril, Avec Marianne et Jean-François, nous partagions un gite, en Bourgogne près de Tournus.

    Le gite était pourvu de nombreux livres, classés sur des étagères.

    Un livre a attiré mon attention : « Les Croisades » de Zoé Oldenburg.

    Je le pris et commençai à le lire.

    Zoé Oldenbourg était historienne, mais aussi romancière.

    Elle est née en 1916 à Saint-Pétersbourg, un an avant la révolution bolchevique.

    Son grand-père était un homme de lettres et fut ministre du gouvernement Kerenski à l’été 1917, c’est-à-dire le gouvernement de la Russie après le renversement du Tsar Nicolas II et avant l’arrivée au pouvoir de Lénine.

    Son père est déjà historien mais aussi journaliste.

    Sa famille décide de quitter l’Union Soviétique de Staline en 1925 et d’émigrer en France.

    Elle deviendra française écrira des romans et des livres d’Histoire, notamment :

    • Le Bûcher de Montségur, 1959.
    • Les Croisades, 1965.
    • Catherine de Russie, 1966.

    Et son dernier Livre :

    • L’Épopée des cathédrales, 1998.

    Elle meurt, en France, le 8 novembre 2002.

    Son ouvrage de 1965, sur les croisades, commence par un avant-propos dont voici le début :

    « Le présent ouvrage n’est pas à proprement parler une « Histoire des Croisades » — il ne traite que de ce qu’il est convenu d’appeler les trois premières croisades et de l’histoire du royaume de Jérusalem jusqu’à sa conquête par Saladin.

    L’histoire de ces trois premières croisades et des États francs de Syrie est ici considérée surtout du point de vue de la situation politique du Proche-Orient au XIIe siècle. Le phénomène de la croisade, les rapports de l’Occident latin avec Byzance et l’Islam et la tentative, unique en son genre, d’implantation d’un État occidental dans un milieu oriental sont évoqués dans ce livre de façon nécessairement schématique et incomplète, étant donné l’ampleur du sujet ; ce que j’ai essayé d’analyser, après tant d’historiens éminents auxquels je n’ai pas la prétention de me comparer, c’est le côté humain de cette aventure longue, tragique, complexe et malgré tout glorieuse.

    Quelque signification que l’on veuille accorder au mot gloire, il est sûr que les premières croisades sont à l’origine d’une certaine notion de la gloire, notion propre à l’Occident latin, et, à ce titre, elles n’ont pas peu contribué à la formation de cette civilisation occidentale qui, de nos jours, a fini par s’identifier, même aux yeux des autres peuples, avec la « civilisation » tout court. »

    Voilà donc ce qu’une femme de lettres issue du milieu intellectuel russe et intégrée dans le monde intellectuel parisien écrivait en 1965 :

    « Cette civilisation occidentale qui, […] a fini par s’identifier, même aux yeux des autres peuples, avec la « civilisation » tout court »

    Cela ne choquait personne en 1965, et pendant longtemps cela n’a choqué personne.

    « La civilisation » c’était la civilisation occidentale.

    Beaucoup, même s’il n’ose pas exprimer cela aussi brutalement, continue à être en accord avec le fond de cette phrase.

    En tout cas, ils agissent comme s’ils considéraient cela comme une évidence.

    Cela n’a jamais été une évidence.

    Et aujourd’hui ce n’est plus une évidence du tout.

    Cette idée est remise en cause par une très grande partie de l’humanité, probablement même par tous les autres, je veux ceux dirent qui ne se considèrent pas comme occidentaux.

    La guerre d’Ukraine et d’autres évènements et actes internationaux nous montrent cette réalité.

    J’ai donc voulu revenir au livre de Samuel Huntington : « The Clash of Civilizations » qui a été traduit en français par « Le choc des civilisations ».

    Cette lecture m’incite à commencer une série de mots du jour sur ces deux concepts de civilisations et de choc des civilisations.

    Je vais commencer cette série tout en la parsemant de pauses nécessaires au cours de cette période estivale qui est aussi une période de vacances.

    <1698>

  • Vendredi 8 juillet 2022

    « Il faut montrer qu’on peut faire une prise de judo : Ceux qui ont cru pouvoir nous tromper, nous les démasquons. »
    Patrice Arfi à propos d’Avisa Partners

    Ce n’est pas du complot, c’est de la manipulation.

    J’ai découvert cette affaire dans l’émission de Sonia Devillers du mercredi 29 juin 2022 l'<Instant M>.

    Elle avait invité Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart.

    Mediapart héberge des blogs dans la partie de son site qu’elle appelle « Le Club ». Cet espace est prévu pour que des particuliers puissent exprimer leurs idées, leurs réflexions leurs questionnements.

    Les journalistes de Médiapart ont constaté qu’il se passait des choses étonnantes sur ces blogs.

    Leur enquête a permis de découvrir plus de 600 faux billets de blogs, rattachés à plus de 100 profils factices.

    Parallèlement « Fakir » le journal créé par François Ruffin, le député de la France Insoumise, a publié un article d’un jeune journaliste pigiste Julien Fomenta Rosat : <Moi, journaliste fantôme au service des lobbies>. C’est un long article en accès libre.

    Mediapart a publié aussi un article mais pour lequel il faut être abonné : <Opération intox : une société française au service des dictateurs et du CAC 40>

    La société française dont il est question a une très belle adresse à Paris : 17 avenue Hoche, dans l’opulent 8ème arrondissement, à quelques pas du Parc Monceau, près de la Cathédrale Orthodoxe de Poutine, de l’Ambassade de l’Arabie Saoudite etc.

    Elle a un nom qui n’est pas français « Avisa partners »

    Elle a une page Wikipedia qui la présente comme <un groupe français de conseil spécialisée dans la cybersécurité, l’intelligence économique, l’investigation et les relations publiques> créé en 2010 et présent dans 7 autres pays que la France.

    Fabrice Arfi parle de deux « fils à papa » qui sont à l’origine de cette aventure. D’après mes lectures il y a aussi d’autres personnes qui sont au cœur de cette entreprise.

    Grâce au journal <Jeune Afrique>, nous pouvons disposer d’une photo de ces jeunes et brillants entrepreneurs :

    Respectivement Arnaud Dassier et Matthieu Creux.

    Arnaud est le fils de Jean-Claude Dassier, un journaliste et dirigeant d’entreprises. Il a été directeur général de la chaîne d’information en continu LCI de 1996 à 2008, puis président du club français de football Olympique de Marseille de 2009 à 2011.

    Sur ce site mais qui est payant, on présente Arnaud comme un homme très à droite et < un vétéran des coups tordus sur Internet>

    Le père de Matthieu Creux a une notoriété publique moins grande, mais dans les cercles du pouvoir, il est connu.

    Fabrice Arfi explique :

    « Matthieu Creux, est le fils d’un ancien patron du renseignement militaire. Le général Creux est quelqu’un d’extrêmement respecté et respectable sur la place de Paris. »

    Matthieu Creux dispose d’un <site> sur lequel il se présente ainsi :

    « […] spécialiste de l’influence et de la mobilisation politique sur Internet. Comme conseiller ministériel ou comme consultant Internet, il a participé à toutes les élections françaises depuis 2006. Il est personnellement intervenu auprès de nombreux clients internationaux en Afrique ou en Europe, toujours sur des problématiques d’activisme ou de contre-activisme en ligne. »

    L’enquête de Mediapart révèle ainsi l’une des plus grandes manœuvres de manipulation de l’information intervenue en France ces dernières années en pratiquant l’infiltration des médias et la manipulation de l’information.

    Julien Fomenta Rosat  était une des petites mains de cette agence de communication..

    Journaliste pigiste, il se trouvait dans une situation précaire et gagnait quelques sous en rédigeant des articles à la demande.

    Les sujets étaient variés.

    Il travaillait sous différents pseudonymes. Les personnes qui lui commandaient les articles aussi. Il ne savait pas où ses articles étaient publiés. Parmi ses commanditaires il y avait une société implantée en France, puis ensuite, une société implantée en Slovaquie, à Bratislava. Mediapart est allé voir : il n’y a rien, il n’y a pas de société, c’est juste une boîte dans une HLM à Bratislava.

    Pour Julien, le coup de trop c’est quand on lui a demandé de dézinguer François Ruffin :

    Alors il a appelé Fakir et a tout « balancé ». L’article <Moi, journaliste fantôme au service des lobbies> que je vous invite à lire commence ainsi :

    « On m’a commandé un article pour dézinguer Ruffin. Je l’aime bien, moi, Ruffin… Je réponds quoi ? ». Il y a quelques mois, on recevait un coup de fil de Julien, un copain journaliste qui fait des ménages dans la com’, pour payer les factures.
    Articles bidon, médias complices, déstabilisations, grands groupes pleins aux as… Julien nous raconte le business secret des « agences fantômes ».

    Dans l’émission l’<Instant M>, Fabrice Arfi présente Avisa Partner de la manière suivante ;

    « La société pour laquelle « Julien» travaillait est inconnue du grand public. C’est une entreprise, comme on dit pudiquement : « d’intelligence économique et de cyber sécurité », une « société privée de renseignements ». C’est l’une des plus réputées de la place de Paris. Elle travaille avec des institutions publiques comme Interpol, la Gendarmerie nationale, le ministère des Armées, mais aussi BNP Paribas… [mais aussi] La Société Générale, le Crédit Agricole, la Banque Palatine, Axa, CNP Assurances, Engie, EDF, Total, L’Oréal, LVMH, Chanel, Carrefour, Casino […] À peu près tout le CAC 40, mais aussi des clients qui sentent un peu plus le soufre : des Etats étrangers dirigés par des autocrates et des dictateurs… »

    Sonia Devillers donne des exemples :

    « Le Congo-Brazzaville, le Kazakhstan, le Qatar, le Tchad, la Société nationale pétrolière du Venezuela, pour du lobbying contre les sanctions américaines qui la vise, le géant russe de l’aluminium Rusal, la multinationale pharmaceutique et agrochimique Bayer pour du lobbying pour contrer l’activisme des anti-OGM… »

    Fabrice Arfi a pu étudier le rôle d’Avisa Partners avec des témoignages et des documents à l’appui. Il a constaté :

    « La manière dont elle a infiltré les plateformes participatives de sites français et étrangers pour créer de faux avatars, de faux profils, publier des billets de blog sous de fausses identités.

    Or, les lectrices et des lecteurs pensent lire l’opinion d’un citoyen indigné, d’une responsable d’ONG, d’un cadre dirigeant, d’une entreprise ou d’un chercheur ou d’une chercheuse aguerrie. Et il n’en est rien. C’est le produit d’une commande chèrement payée par des clients pour manipuler le débat public pour le compte de multinationales parfois, ou de dictatures souvent. C’est une énorme opération de manipulation et de trucage du débat public. »

    [Avisa Partners] ne cessent de racheter les principaux acteurs du secteur. Elle valorise son activité à près de 150 millions d’euros. C’est une énorme machine d’intelligence économique.

    Avisa partner a essayé de s’offrir une forme de respectabilité vis-à-vis de l’extérieur. Pour cela, elle s’est associée à de très grands noms de la diplomatie française, des services de renseignements français, ou de la politique française.

    L’actuelle porte-parole du gouvernement, Olivia Grégoire, a fait partie dans le passé des dirigeants, d’Avisa partner. Ce n’est plus le cas. L’ancienne plume d’Emmanuel Macron, Sylvain Fort, a été associé à Avisa partner. L’ancien numéro deux du Quai d’Orsay, l’ancien secrétaire général du ministère des Affaires étrangères sous Jean-Yves Le Drian, l’ambassadeur Maurice Gourdault-Montagne, était le président du comité d’éthique d’Avisa partners. Il vient de le quitter aussi pour des questions de temps, nous dit-il officiellement. Mais je peux aussi citer l’ancien chef des services secrets intérieurs, Patrick Calvar, dont le nom est associé à Avisa, précisément parce qu’il connaissait le père. »

    Et Fabrice Arfi propose cette solution face à ces manipulateurs, solution qui me plait :

    « Plutôt que de supprimer ces comptes, Il faut montrer qu’on peut faire une prise de judo. Ceux qui ont cru pouvoir nous tromper, nous les démasquons. »

    Dans l’article Wikipedia, déjà cité, nous pouvons lire :

    « Depuis 2015, des enquêtes du Journal du Net, de Challenges, du Desk, Complément d’Enquête, [montre que] Avisa Partners, via ses sous-traitants, a piloté des opérations d’influence et d’e-réputation sur Internet grâce à de faux articles ou fausses tribunes au profit d’entreprises clientes (Air France, EDF ou LVMH) ou de personnalités, comme le président tchadien Idriss Déby ou Mounir Majidi, le secrétaire particulier du Roi du Maroc. Des opérations auraient également été menées contre des concurrents ou ennemis de ses clients : Andrea Bonomi, Engie, François Ruffin ou des États comme le Monténégro, le Bénin et la junte thaïlandaise. Le Journal du Net qualifie alors le cabinet de « manipulateur de Wikipédia et des sites médias ». D’après Fakir, l’objectif est d’« abreuver internet de contenus flatteurs ou complaisants pour leurs clients afin d’influencer l’opinion publique, de faciliter leurs affaires ou de taper sur un concurrent ». Mediapart affirme que la société serait à l’origine de plusieurs centaines d’articles dans le « Club de Mediapart », l’espace participatif du journal, largement utilisé dans le cadre d’opérations de communication. D’autres clients sont cités, comme le comité d’organisation de la Coupe du monde de football 2022 au Qatar, Rusal, ou encore PDVSA.

    Interrogés par les différentes équipes de journalistes, les dirigeants d’Avisa Partners nient l’implication de leur agence. »

    La meilleure preuve qu’ils manipulent, c’est qu’ils s’en défendent.

    Je reprends une phrase du Président Pompidou que j’ai déjà cité : « La meilleure preuve qu’il voulait la guerre, c’est qu’il s’en défendit »

    Vous pouvez aller sur leur site sur lequel dès la page d’accueil, des animations vous donne l’impression d’être dans un film.

    Et surtout écouter l’émission du mercredi 29 juin 2022 l'<Instant M>.et lire l’article de
    Julien Fomenta Rosat : <Moi, journaliste fantôme au service des lobbies>

    <1697>

  • Jeudi 7 juillet 2022

    « En démocratie, rien n’est aussi important que la vérité. »
    Pierre Mendès-France

    J’ai beaucoup critiqué notre Président, ces derniers temps, et surtout la dérive de nos institutions.

    Mais la qualité de la vie politique ne dépend pas exclusivement des hommes politiques au pouvoir, elle dépend aussi de l’éthique, de la compétence, des actes et du sérieux des propositions des femmes et hommes qui sont dans l’opposition.

    La posture, la démagogie ne devrait pas être de mise en démocratie.

    Hier, je rappelais un mot du jour ancien consacré à une émission de 1973 de Jacques Chancel avec Pierre Mendès-France. Vous la trouverez derrière ce <Lien>.

    Je l’ai réécoutée et tout au début voici comment parlait Pierre Mendès-France :

    « Un homme politique est toujours en face de situations avec leurs difficultés et leurs obstacles.
    Il doit, en toute circonstance, aussi bien dans l’opposition qu’au pouvoir, déterminer les meilleures solutions.
    Dont toutes sont en général difficiles et entre elles il doit choisir. […]

    Je crois que quand on n’est pas au pouvoir, on doit aussi s’efforcer de servir en faisant avancer les causes auxquelles on est attaché.
    Et dans tous les cas, parler pour ce que l’on croit être le bien de la collectivité, même dire des choses impopulaires, cela consiste inévitablement à choisir entre des inconvénients, c’est-à-dire choisir, toujours choisir, prendre ses risques et choisir. […]

    On ne doit jamais s’occuper de savoir si on est payé en retour. Un homme politique doit dire ce qu’il pense, il doit être au service de convictions. Il doit se battre pour ce qu’il croit être le bien.
    Alors oui il y a des cas où il sera mal entendu, mal écouté, où il n’aura pas gain de cause.

    S’il est sûr que ce qu’il dit, il croit que c’est la vérité, du même coup il est sûr qu’à la longue il aura raison.

    Peut être après lui, peut être sans lui, peut-être dans l’intervalle on aura perdu du temps, on aura fait du mal.

    Mais s’il est sûr qu’il a raison, s’il est sûr qu’il l’emportera à la longue, il doit s’efforcer de faire avancer cette maturation le plus possible et c’est pour cela qu’il doit se battre. […]

    [La qualité essentielle] est de dire la vérité. […] Je n’ai jamais détesté autant que le mensonge, la lâcheté, le manque de franchise.

    Un homme politique a le devoir, surtout dans une démocratie, de dire à tous ceux qui l’écoutent ce qu’il pense pour que précisément ils prennent la décision, puisque par hypothèse on est en démocratie. […]

    L’hypothèse de la démocratie, c’est que le peuple doit juger par lui-même, mais pour juger lui-même, il faut qu’il ait entendu le pour et le contre, les opinions qui s’opposent et que chacun lui ait parlé franchement.

    Si ceux qui viennent s’exprimer devant lui, jouent de démagogie, d’habileté, farde la vérité pour favoriser leur propre carrière, ils ne fournissent pas à l’opinion publique les moyens de se former une opinion valable, par conséquent ils fourvoient l’opinion publique.

    Par conséquent, en démocratie rien n’est aussi important que la vérité. »

    Je crois que Pierre Mendès-France serait très sévère aujourd’hui à l’égard de l’opposition.

    <1696>

  • Mercredi 6 juillet 2022

    «Pause (retour à Pierre Mendès-France) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Quelquefois, il est utile de se replonger dans des mots du jour écrits, il y a longtemps.

    Celui que je vous propose, date de 2015. Je faisais retour sur une «Radioscopie», célèbre émission de Jacques Chancel.

    Il avait invité Pierre Mendès-France, c’était en décembre 1973 : < Mot du jour du 1 octobre 2015 >

    J’avais relevé plusieurs réflexions qui me paraissaient particulièrement sages et que Pierre Mendès-France avait évoquées au cours de l’émission. J’en reprends une :

    « Ce qui est fondamental c’est que les hommes dans le cadre d’une action gouvernementale se soient mis d’accord préalablement sur ce qu’ils allaient faire.
    Un gouvernement se constitue non pour distribuer des portefeuilles, non pas pour favoriser telle opération à l’horizon mais pour faire aboutir une réforme une amélioration qu’on estime dans l’intérêt du pays.
    Et c’est cela qui doit déterminer les alliances. Si des hommes sont d’accord pour faire quelque chose, il n’y a pas de raison d’en exclure certains.
    Si des hommes ne sont pas d’accord pour faire quelque chose je trouve que c’est une escroquerie de les réunir. Parce qu’arriver au gouvernement ils s’annulent, ils se paralysent.
    Le critère déterminant c’est ce qu’on veut faire ensemble.

    C’est pourquoi depuis longtemps l’idée d’un programme de gouvernement m’a paru absolument essentiel. »

    Cet émission de 1973 est toujours en ligne sur le site de Radio France. Vous la trouverez derrière ce <Lien>.

    <Mot du jour sans numéro>

  • Mardi 5 juillet 2022

    « Les politiques, les contradictions et les erreurs. »
    Quelques éléments de langage des politiques examinés par les sciences politiques

    Je donne simplement quelques exemples.

    Une contradiction :

    Emmanuel Macron a été réélu Président de la République, dimanche 24 avril 2022. Le soir de cette victoire, il a tenu un discours au pied de la Tour Eiffel. Et parmi d’autres choses, il <a dit> :

    « Je sais aussi que nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi non pour soutenir les idées que je porte mais pour faire barrage à celles de l’extrême droite. Et je veux ici les remercier et leur dire que j’ai conscience que ce vote m’oblige pour les années à venir »

    Le même homme, après les élections législatives qui ne lui ont pas permis de disposer d’une majorité absolue a fait un discours, de 8 minutes, le 22 juin dans lequel il demandait aux groupes politiques d’opposition de dire « jusqu’où ils sont prêts à aller »

    Et dans ce discours il a analysé sa réélection de la manière suivante :

    « Le 24 avril, vous m’avez renouvelé votre confiance en m’élisant Président de la République. Vous l’avez fait sur le fondement d’un projet clair, et en me donnant une légitimité claire. »

    Et il a ajouté :

    « Cela veut dire ne jamais perdre la cohérence du projet que vous avez choisi en avril dernier. C’est un projet d’indépendance pour notre pays, la France et dans notre Europe que nous devons rendre plus forte, qui passe par une défense forte et ambitieuse, une recherche d’excellence, […] »

    Il a donc, à 2 mois d’intervalle, d’abord reconnu que son élection a été le fruit d’un rejet de l’autre candidate, ensuite prétendu qu’il a été élu pour son seul programme

    Une erreur

    Jordan Bardella a affirmé après les élections législatives : « Macron a été mis en minorité »

    Dans le troisième point, je reprendrai les chiffres.

    Mais ce que dit Jordan Bardella est faux.

    En sciences politiques, la situation à l’Assemblée Nationale est, du côté des députés macronistes, celle d’une majorité relative.

    C’est-à-dire qu’ils ne disposent pas de la majorité absolue.

    La minorité c’est la position d’un parti qui dans une assemblée a, en face de lui, une majorité relative ou absolue

    Le Rassemblement National ou la NUPES sont minoritaires, parce qu’ils sont face à la majorité macroniste et qu’ils ne sont pas en capacité de se réunir, ni de se réunir avec un autre Parti pour avoir la majorité, c’est-à-dire plus de députés que le parti macroniste.

    La NUPES veut déposer une motion de censure en vue de renverser le gouvernement. Il est peu probable qu’elle y arrive. Mais si elle y arrivait, elle n’aurait pas de majorité alternative pour gouverner à la place des macronistes.

    En Allemagne, il n’est pas possible de renverser un gouvernement si on ne peut pas proposer une majorité alternative acceptant de gouverner ensemble.

    Une autre erreur

    Lors des diverses émissions que j’ai écoutées, plusieurs commentateurs ont affirmé qu’il n’était plus nécessaire d’instaurer la proportionnelle aux élections législatives parce que les français étaient parvenus à élire une assemblée quasi proportionnelle avec le scrutin actuel : scrutin uninominal à deux tours.

    C’est d’abord factuellement faux ou très approximatif.

    Pour la proportionnelle sur la base du premier tour, il suffit que je reprenne le schéma déjà proposé lors du mot du jour du 14 juin. Et à côté je présente la vraie Assemblée élue.


    On voit donc que « Ensemble » dispose bien d’une nette majorité même si elle est relative, ce qui n’est absolument pas le cas s’il y a représentation proportionnelle car alors la NUPES fait jeu égal.

    En outre, on constate que 51 députés ont été élus sur aucune des 4 listes qui auraient été seules représentées en cas de proportionnelle intégrale.

    Mais il y a surtout une autre erreur, c’est que le scrutin a une influence sur l’organisation politique. Un simple exemple : jamais il n’y aurait eu une coalition NUPES, si le mode de scrutin n’avait pas obligé le PS, les écologistes et le PC de s’allier aux Insoumis pour espérer avoir des députés.

    Dans le scrutin uninominal à deux tours, pour lequel je rappelle que quasi personne d’autre que la France ne l’applique, il faut présenter l’autre camp comme un adversaire qui a tous les défauts pour mobiliser. Dans un scrutin proportionnel, on sait qu’il n’y aura pas de majorité et qu’il va falloir discuter avec les autres pour créer, après les élections, une coalition de gouvernement. Les relations avec les adversaires, futurs partenaires potentiels ne sont pas les mêmes.

    Enfin, on peut désormais avoir la crainte que si on laisse perdurer le scrutin actuel et étant donné les leçons du dernier scrutin qui a montré une dédiabolisation totale du Rassemblement National, ce dernier pourra bénéficier, à son tour, de l’effet multiplicateur de ce scrutin pour obtenir, la prochaine fois, la majorité absolue. Est-ce cela que nous voulons ?

    Le scrutin actuel tant qu’il permettait à une coalition qui représentait plus de 40% du corps électoral à disposer d’une majorité absolue grâce à un coup de pouce du scrutin était tolérable.

    Aujourd’hui que le parti majoritaire dispose de moins de 30% des voix exprimés et moins de 15% du corps électoral, cela devient inacceptable. Cette représentation déformée du corps électoral augmente les tensions dans la société et crée des mouvements de contestation de plus en plus violents.

    <1695>

  • Lundi 4 juillet 2022

    «Pause (suite des vieux fourneaux) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Vendredi le mot du jour était assez long.

    Pour ce lundi, je me repose un peu. Mais je partage encore un petit extrait de la BD «Les vieux fourneaux. » du dessinateur Paul Cauuet et du scénariste Wilfrid Lupano.

    Je pense que certains auront trouvé que j’étais trop dur avec nos ainés, mais d’autres peuvent aussi penser qu’étant donné que j’entre peu à peu dans cette période de vie j’ai été trop complaisant.

    Pour ces derniers je voudrais quand même insister sur le fait que ce n’est pas toujours facile d’être vieux dans la société d’aujourd’hui. Je remarque sur le marché ou dans les grands magasins que le rythme lent des vieux est souvent bousculé par l’impétuosité des jeunes.

    Alors quand un vieux va dans une boulangerie moderne pour simplement acheter une baguette comme il en a toujours acheté depuis sa tendre enfance, il se trouve devant un monde qu’il ne comprend plus :

    <Mot du jour sans numéro>

  • Vendredi 1 juillet 2022

    « Tous les vieux fourneaux prennent les jeunots pour des cons. »
    Georges Brassens « Le Temps ne fait rien à l’affaire. »

    Aujourd’hui, je voudrais parler du rôle des vieux dans notre société.

    Pour agrémenter ce sujet austère, j’ai décidé de l’enrichir de dessins de la série de BD : « Les Vieux Fourneaux » du dessinateur Paul Cauuet et du scénariste Wilfrid Lupano. J’ai aussi convoqué le chat de Geluck, à deux reprises.

    « Les Vieux fourneaux » sont une BD absolument géniale dont un ami nous a fait découvrir le tome 1. Et depuis, avec Annie, nous avons acheté tous les autres tomes parus.

    Nous reconnaissons une préférence pour les trois premiers dans lesquels l’imagination et la créativité des deux auteurs sont débordantes et infiniment drôles.

    Cet <Article> nous apprend que Wilfrid Lupano a trouvé le titre de la série dans une chanson de Georges Brassens : « Le Temps ne fait rien à l’affaire. » :

    « Quand ils sont tout neufs,
    qu’ils sortent de l’œuf, du cocon,
    tous les jeunes blancs-becs prennent les vieux mecs pour des cons.
    Quand ils sont devenus des têtes chenues, des grisons,
    tous les vieux fourneaux prennent les jeunots pour des cons ».


    Manière poétique et piquante de parler du conflit de génération

    C’est de la pure fiction. Il n’y a personne derrière «Les Vieux Fourneaux», assure Lupano. Il concède toutefois s’être inspiré des philosophes Edgar Morin et Michel Serres et du diplomate Stéphane Hessel pour imaginer leur personnalité.

    Étant donné les trois inspirateurs, souvent cités dans le mot du jour, il est assez intuitif que cette BD me plaise beaucoup.

    Les trois vieux qui sont en cœur de la BD sont résolument de gauche tendance anarchiste

    Ce type de vieux existe assurément, j’en connais personnellement. Mais il ne me semble pas qu’ils représentent la majorité de cette génération.

    Probablement cette majorité a-t-elle pleinement intégré cette formule qu’on attribue à GB Shaw ou à Aristide Briand, c’est selon : « Celui qui n’est pas de gauche à 20 ans n’a pas de cœur, mais celui qui est toujours de gauche à 40 ans n’a pas de tête »

    Mais il y a une question préalable : Qui est vieux ?

    Longtemps, je n’ai pas eu de doute : Est vieux celui qui est plus âgé que moi !

    Et, en parallèle est jeune celui qui est plus jeune que moi. !

    Mais aujourd’hui, m’approchant de mes 64 ans et aussi de la retraite, j’ai du mal à ne pas me classer dans la catégorie des vieux.

    Surtout quand je me souviens qu’alors que j’avais 15 ans, quand je voyais mes tantes et oncles qui avaient 60 ans, je ne les trouvais pas vieux, mais très vieux !

    François de Closets, à 88 ans vient de commettre un nouveau livre où il éructe comme d’habitude sur tout ce qui va mal selon lui. Il s’en prend, cette fois, à sa classe d’âge : « La parenthèse boomers ».

    Pour de Closets il y a deux types de vieux !

    De manière générique, les vieux c’est ceux qui sont à la retraite.

    Mais il y a d’abord les profiteurs, ceux dont je ferais bientôt partie. Ils vivent aux frais des jeunes actifs, font des voyages, profitent grassement de tout ce que la société de consommation leur vend et pratiquent des tas d’activités prouvant ainsi qu’ils pourraient parfaitement continuer à travailler et décaler l’âge de la retraite.

    Et puis, il y a « les vrais vieux », ceux qui ont perdu leur autonomie et pour lesquels la société n’a pas encore pleinement intégré l’ampleur de ce qu’il conviendrait de faire pour prendre pleinement en charge cette dernière période de la vie.

    Sur le second point le « vieux râleur » a raison.

    Sur le premier, il est vrai qu’il y a par moment un petit souci, parce que « certains retraités » ne comprennent pas vraiment comment fonctionnent leur retraite. Ils pensent qu’ils ont payé, pendant les années d’emploi, une caisse de retraite qui maintenant leur restitue ce qui a été versé.

    C’est évidemment totalement faux. Ils ont payé dans leur jeunesse, alors qu’ils étaient nombreux à une caisse de retraite qui utilisait cet argent pour payer les pensions des retraités qui étaient peu nombreux.

    Aujourd’hui, ils sont payés, alors qu’ils sont nombreux, par une caisse de retraite financée par des jeunes qui sont moins nombreux qu’à leur époque.

    En revanche, François de Closets ignore superbement que notre économie surtout française ne veut plus des seniors : quand ils sont au chômage ils ne trouvent plus de travail, personne ne veut les embaucher. Les RH pensent probablement qu’ils sont trop lents et inadaptés au monde moderne.

    Mais que représentent les vieux dans la société ?

    Si on prend d’abord le monde, on peut constater que selon les continents, la répartition entre les classes d’âge est très différente.

    Il y a beaucoup plus de vieux en Europe et beaucoup plus de jeunes en Afrique.

    Encore faut il préciser que dans les continents il peut exister encore beaucoup de disparité entre les pays. Ainsi, en Asie les chinois et les japonais ont une pyramide des âges qui donne une grande importance aux classes âgées, ce qui n’est pas le cas du moyen orient.

    On trouve cela sur le site de l’INSEE : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381482#tableau-figure1

    J’en tire cette représentation

    On constate quand même que la classe d’âge des 15 à 64 ans reste très largement majoritaire. Certains discours alarmistes semblent quelquefois nous inciter à croire le contraire.

    Si on s’intéresse à la France métropolitaine (https://www.insee.fr/fr/statistiques/3303333?sommaire=3353488) et qu’on prend certaines périodes de notre Histoire, en tenant compte évidemment des éléments publiés par l’INSEE


    C’est un peu plus clair si on compare simplement la répartition des classes d’âge entre 1980 et 2018 dans le cadre d’une représentation « camembert ».

    On voit ainsi les classes d’âge qui progressent et celles qui régressent !

    Donc nous sommes dans une société où il y a de plus en plus de vieux.

    Et si les vieux occupent de plus en plus de place, ce sont surtout eux qui détiennent le patrimoine.

    Dans les salles de concert de musique classique, dans les théâtres et même dans les cinémas après le COVID et NETFLIX la proportion de vieux est de plus en plus importante.

    Mais là où la véritable querelle de génération vient d’éclater, au moins sur certains réseaux sociaux c’est la proportion de votants et la nature du vote des vieux.

    « France Info » relaie cette proposition de certains : <Pourquoi l’idée d’un âge limite pour le vote des seniors en convainc certains> le titre ajoute : « et scandalise les autres »

    Et voilà ce que dit cet article :

    « C’est une petite musique qui courait déjà avant le premier tour de l’élection présidentielle, dimanche 10 avril, mais qui s’est renforcée à l’annonce des résultats. « Les jeunes qui ont voté en masse Mélenchon pour leur avenir se font voler leur élection par des vieux retraités qui ont vécu leur meilleure vie et n’ont plus rien à perdre et des vieux bourgeois qui ont tous les privilèges de Macron », s’exaspérait par exemple un jeune sur Twitter au soir du premier tour. Un autre s’agace aussi, graphiques à l’appui : « Ce sont donc des vieux déjà à la retraite qui vont nous imposer de travailler cinq ans de plus. Merci à eux. » A tel point que certains vont jusqu’à se poser cette question : « Pourquoi diable laissons-nous les plus de 65 ans voter ? »  »

    L’article de France Info parle même d’une lame de fond :

    «  Elle est une lame de fond plus profonde dans une partie de cette classe d’âge, angoissée et en partie mobilisée sur des thématiques qui ne sont parfois pas le centre d’intérêt des autres classes d’âge, et des seniors en particulier. « Ils ont voté sans penser à nous », déploraient des étudiants qui bloquaient la Sorbonne à Paris, jeudi 14 avril, dans le podcast de franceinfo Le Quart d’Heure. « On a deux candidats qui méprisent l’urgence sociale, climatique et écologique. Je trouve ça terrible », exprimait pour sa part, lundi 11 avril Denis, 26 ans, au micro de Manon Mella dans « Génération 2022″. Il disait ressentir « une fracture entre les plus jeunes et les plus vieux »»

    Les experts s’en mêlent ainsi le politologue Martial Foucault dans La Croix analyse :

    « Pour les plus âgés, les enjeux sont d’abord le pouvoir d’achat, l’insécurité ou encore la délinquance, avant d’être la lutte contre le réchauffement climatique, qui est davantage une priorité pour les jeunes ». »

    Nous sommes dans un paradoxe dans lequel les vieux qui devraient être sages et s’inscrire dans le long terme s’inquiètent de l’immédiat et du court terme, alors que les jeunes impétueux qui devraient vivre au présent pensent et s’inquiètent du long terme.

    L’article de France Info montre que si, bien sûr les vieux représentent un poids démographique de plus en important dans la société, leur importance dans le vote vient surtout du fait qu’ils vont majoritairement voter alors que les jeunes massivement s’abstiennent.

    C’est donc la responsabilité des jeunes qui est en cause car ils ne vont pas voter et prétendent même qu’ils ont bien raison de faire ainsi.

    C’est une erreur non pas morale, mais simplement stratégique.

    Car comme l’écrit le sociologue Jérémie Moualek :

    « Les politiques publiques épousent les revendications des classes d’âge qui votent le plus. »

    S’il faut être rassurant pour nous autres vieux, la conclusion de l’article de France Info montrent que la pondération du vote des plus âgés rencontre de vrais obstacles techniques et éthiques Pour l’instant cette idée n’a pas vocation à prospérer.

    Dans le vote, il faut reconnaître qu’il existe un vrai <clivage entre les générations>. Ainsi si on analyse le premier tour des élections présidentielles

    « Plus d’un tiers des moins de 35 ans ont choisi le leader de la France insoumise. […]

    Chez les actifs, de 35 à 65 ans, c’est la candidate du Rassemblement national qui mène les suffrages.

    [En revanche Macron] devance la candidate du RN et celui de LFI très nettement dans le vote des électeurs de plus de 60 ans, recueillant selon Ipsos 41% des suffrages chez les plus de 70 ans »

    Pour le sociologue Laurent Lardeux

    « Si un clivage politique existe bien entre les générations, il se serait surtout créé entre les seniors et le reste de la population, les jeunes inclus. Les seniors vont voter de façon très spécifique par rapport aux autres générations, plus particulièrement sur les valeurs conservatrices auxquelles ils adhèrent plus largement.

    A contrario, le vote de la jeunesse a plutôt tendance à être proche du vote des 35-65 ans. « On voit qu’il y a plutôt un rapprochement générationnel entre les jeunes et la population active »

    Et en effet, contrairement aux Vieux fourneaux de la BD qui considérerait probablement que même Melenchon n’est pas assez à gauche, les vieux votent à droite.

    Le journal « Libération » posait déjà en 2018 la question : <Pourquoi les personnes âgées votent à droite ?>

    La réponse :

    « Les seniors sont plus conservateurs et attachés à la transmission de leur patrimoine, des valeurs traditionnellement mises en avant par la droite. […]

    Première raison : les seniors sont aussi les plus conservateurs […]

    Deuxième raison: le patrimoine. Les plus âgés sont aussi ceux qui détiennent le plus de patrimoine en France. […]. De fait, ils sont donc plus sensibles aux politiques proposant de diminuer les impôts sur la succession, faciliter les donations ou encore supprimer ou modifier l’ISF. […]

    Leur demande de stabilité est absolument centrale. Quand elle propose un report de l’âge légal pour le départ à la retraite (jusqu’à 65 ans pour le candidat Juppé), la droite rassure ainsi les seniors car cela pérennise le système et donc leurs pensions. Une logique qui vaut pour tout ce qui peut contribuer à assurer leurs revenus – alors qu’eux-mêmes ont généralement bénéficié d’une retraite à 60 ans. C’est d’autant plus vrai que les seniors ne paient pas les contreparties de telles réformes, celles-ci pesant sur les actifs et le marché du travail bien davantage que sur le niveau des pensions ou le système de santé.

    En résumé, les seniors votent à droite car ils sont plus conservateurs et attachés à la transmission de leur patrimoine, selon les chercheurs ayant travaillé sur ces sujets. »

    Je résumerai ainsi cette analyse : les vieux votent majoritairement à droite, parce que majoritairement c’est leur intérêt.

    Et pour régler cela pacifiquement et intelligemment il faut tout simplement que les jeunes qui restent plus nombreux dans notre société comme le montre les camemberts publiés, ne doivent pas laisser faire, s’ils ne sont pas d’accord, en allant voter.

     <1694>

  • Jeudi 30 juin 2022

    « Je suis hyper émue d’avoir vécu cette expérience, de m’être fait prendre dans cette rivière-là. »
    Aurélie Sylvestre épouse de Matthieu assassiné au Bataclan le 13 novembre 2015

    Ce fut le plus long procès criminel de la France de l’après-guerre : Après neuf mois d’audiences hors norme, les cinq magistrats de la cour d’assises spéciale ont rendu leur décision contre les vingt personnes (dont six « jugées en absence ») accusées d’avoir participé aux attentats du 13 novembre

    « Libération » parle d’un « verdict pour l’Histoire » en narrant l’ensemble des peines prononcées

    Hier le journal publiait en Une : « L’humanité a gagné »

    Nous autres français sommes souvent critiques sur notre pays, mais je crois que pour ce procès nous pouvons être fier.

    Les américains n’ont pas su le faire, ils ont inventé Guantanamo et n’ont pas su mettre en pratique un procès digne de l’état de droit et d’une démocratie libérale.

    Le Un Hebdo a aussi consacré le numéro de cette semaine à ce procès : « Je ne suis plus victime, je suis un survivant »

    Et dans ce numéro, l’écrivain Robert Solé interroge le mot « Partie civile »

    « À l’ouverture de ce procès hors norme, ils étaient déjà 1800. Par la suite, quelque 700 autres rescapés, blessés ou proches des victimes se sont également constitués partie civile pour avoir subi, eux aussi, un préjudice corporel, matériel ou moral ce funeste 13 novembre 2015.

    Un procès pénal oppose l’accusé au ministère public. Cependant, un troisième acteur s’est introduit peu à peu dans le prétoire, sans se limiter à un strapontin : devenue « partie au procès », la victime bénéficie de droits croissants, notamment celui de pouvoir s’exprimer à l’audience.

    Des juristes contestent cette évolution, estimant qu’un « parquet bis » vient porter atteinte à l’équilibre entre l’accusation et la défense. Mais on peut se demander ce qu’aurait été le « procès du Bataclan » sans les témoignages bouleversants de ces hommes et de ces femmes, frappés par la foudre il y a six ans : ceux qui s’étaient interdit de pleurer ; ceux qui se sont adressés sans haine aux accusés ; ceux qui ne se pardonnent pas d’être vivants…

    Chaque drame est unique, « mais il y a dans cette salle des mains qui se touchent, des familles qui s’étreignent, des amis qui se réconfortent », disait à la barre Aurélie, une « partie civile » qui a perdu son compagnon dans le massacre, alors qu’elle était enceinte et mère d’un enfant de trois ans. « Il y a ici tout ce qui faisait de nous une cible : l’ouverture à l’autre, la capacité d’aimer, de réfléchir, de partager, et c’est incroyable de constater qu’au milieu de tout ce qui s’est cassé pour nous ce soir-là, ce truc-là est resté intact. »

    En l’entendant, on se disait que le terme glacial de « partie civile » était bien mal adapté à tant de douleurs, de larmes et d’humanité. »

    Aurélie, c’est Aurélie Sylvestre qui a perdu son compagnon Matthieu Giroud au Bataclan alors qu’elle était enceinte de leur deuxième enfant. Son témoignage puissant et plein d’humanité lors du procès a marqué beaucoup de monde et a été relayé massivement dans les médias et sur les réseaux sociaux.

    Le <mot du jour du 8 février 2022> avait été consacré à ce moment.

    A la veille du verdict, « Libération » est allé l’interviewer : «Plus tu touches à l’intime et à la sincérité, plus tu es universel. »

    « Je me souviens du premier jour, quand le président de la cour a lu la liste des victimes des attentats, tous ces noms égrenés : on convoquait les fantômes. Et puis, dans la salle, il y avait toutes les autres parties civiles, moi qui avais vécu complément recroquevillée sur mon chagrin, j’ai vu tous ces gens et j’ai pensé : « On a tous été brûlés à la même flamme. » »

    Toutes les parties civiles, ce n’est pas un beau mot, mais il permet d’inclure la communauté de celles et ceux qui sont victimes ou parents de victimes de cet attentat, ont raconté peu ou prou la même chose : ils ont fait de merveilleuses rencontres au cours de ce procès qui leur a fait du bien

    Aurélie Sylvestre le dit ainsi :

    « Pendant six ans, j’ai négligé mon traumatisme. Epuiser le récit de cette nuit-là, rencontrer d’autres personnes qui ont vécu ça, a vraiment eu une vertu. Oui, ce procès nous répare, je le découvre. Et je trouve important de le dire. On a tous cheminé dans cette salle : les accusés, les avocats, les parties civiles… On n’est plus du tout au même endroit qu’en septembre. Je suis hyper émue d’avoir vécu cette expérience, de m’être fait prendre dans cette rivière-là.
    […] La femme que j’étais vraiment a explosé la nuit du 13 Novembre. Pendant six ans, j’ai eu l’impression d’avoir ramassé mes petits morceaux de moi. Avec ce procès, j’ai pu rassembler ces débris et sculpter, réanimer la femme que j’étais avant. Ces dix mois, à la fois très longs et très courts, ont été une avancée spectaculaire. Cela m’a permis de métaboliser mon drame. J’ai pourtant longtemps cru qu’il fallait que je me trouve ailleurs, comme disait Marguerite Yourcenar. Il fallait tout ce temps-là. Il fallait six ans et dix mois pour me retrouver. Je vais tourner une énorme page, et après ça, la vie recommencera. C’est sûr, il y aura un après. »

    Répondre à la barbarie par de l’humanité, c’est ce qui honore une civilisation.

    <1693>

  • Mercredi 29 juin 2022

    « Faire de la chute, un pas de danse, faire de la peur, un escalier. »
    Fernando Sabino

    On ne va pas se mentir, quelque soit l’endroit vers lequel on se tourne : Les États-Unis, la France, la guerre d’Ukraine, la Chine, la crise alimentaire mondiale, le réchauffement climatique et tant d’autres choses encore, la situation est très préoccupante.

    Et puis, brusquement ce poème s’est affiché sur mon écran :

    « De tout, il resta trois choses :
    La certitude que tout était en train de commencer,
    la certitude qu’il fallait continuer,
    la certitude que cela serait interrompu avant que d’être terminé.
    Faire de l’interruption, un nouveau chemin,
    faire de la chute, un pas de danse,
    faire de la peur, un escalier,
    du rêve, un pont,
    de la recherche…
    une rencontre. »

    Ce texte est inséré dans le roman « O encontro marcado » [Le rendez-vous] publié en 1956 par le poète brésilien Fernando Sabino.

    Fernando Sabino est né, le 12 octobre 1923 à Belo Horizonte au Brésil et il est décédé le 11 octobre 2004 à Rio de Janeiro.

    <Wikipedia> nous apprend que Fernando Sabino est l’auteur de 50 livres, romans, nouvelles, chroniques, essais. Et qu’il a accèdé à une renommée nationale et internationale en 1956 précisément avec le roman O Encontro Marcado qui est l’histoire de trois amis de Belo Horizonte. Le livre est inspiré de la vie de l’auteur.
    « Le Monde » a publié un article hommage lors de son décès : < Fernando Sabino, écrivain et journaliste brésilien>

    Cet article nous apprend qu’il avait choisi son épitaphe :

    « Ci-gît Fernando Sabino. Né homme, il est mort enfant. »

    <1692>

  • Mardi 28 juin 2022

    « Le côté obscur des religions.. »
    Imposer aux autres ce qu’on croit ou peut être même feint de croire

    Ils ont osé !

    L’Amérique des évangéliques, celle qui vote massivement Trump est arrivée à son objectif : annuler l’arrêt rendu par d’autres juges de la Cour Suprême des États Unis en 1973 : « l’Arrêt Roe v Wade »

    « Roe v. Wade », 410 U.S. 113 est un arrêt historique rendu par la Cour suprême des États-Unis en 1973 sur la question de la constitutionnalité des lois qui criminalisent ou restreignent l’accès à l’avortement. La Cour statue, par sept voix contre deux, que le droit à la vie privée, en s’appuyant sur le quatorzième amendement de la Constitution des États-Unis, s’étend à la décision d’une femme de poursuivre ou non sa grossesse, mais que ce droit doit être mis en balance avec les intérêts de l’État dans la réglementation de l’avortement : protéger la santé des femmes et protéger le potentiel de la vie humaine.

    Roe v. Wade est devenu l’un des arrêts de la Cour suprême les plus importants politiquement, divisant les États-Unis entre personnes se disant « pro-choice » (« pro-choix », pour le droit à l’avortement) et « pro-life » (« pro-vie », anti-avortement).

    Et depuis 1973, méthodiquement avec la persévérance, la patience de ceux qui croient en l’Éternité, ces régressifs ont poursuivi leur lutte, pas à pas, en infiltrant les cercles de pouvoirs ou en faisant un lobbying incessant auprès des élus et en usant de toutes les opportunités même les plus invraisemblables. Ils ont finalement utilisé Donald Trump, qui est tellement loin de tous les principes moraux qu’ils prétendent mettre en œuvre, pour parvenir au but qu’ils s’étaient fixés.

    Et c’est ainsi que cet ignoble personnage a pu écrire :

    « C’est la volonté de Dieu ».

    Dans un communiqué, Donald Trump a estimé que la décision historique sur l’avortement, après celle de jeudi consacrant le droit au port d’armes en public, a été rendue possible « seulement car j’ai tenu mes promesses ».

    Il a en effet nommé trois juges conservateurs, pendant les 4 années de son mandat, dont un en tout fin de mandat.

    Alors que les lobbys évangéliques et républicains sont arrivés à empêcher Obama de nommer un juge progressiste, en prétendant qu’en fin de mandat un Président n’était plus légitime à nommer un juge à vie.

    Et le milliardaire cynique et inculte a ajouté :

    « Ces victoires majeures montrent que même si la gauche radicale fait tout ce qui est en son pouvoir pour détruire notre pays, vos droits sont protégés, le pays est défendu et il y a toujours un espoir et du temps pour sauver l’Amérique ».

    Je n’approfondirai pas cette organisation juridique si particulière des États-Unis, dans laquelle ce sont les 9 juges de la Cour Suprême qui fixent les règles en se basant sur l’interprétation de la constitution des États-Unis.

    En France, c’est une Loi, la fameuse Loi Simone Veil qui a fixé les règles qui encadraient le droit des femmes à recourir à l’interruption volontaire de grossesse.

    Aux États-Unis ce n’est ni le Congrès fédéral, ni le Sénat fédéral qui sont intervenus, mais la Cour Suprême Fédéral qui, en 1973, a contraint les gouvernements des États fédérés de tolérer l’avortement.

    Par son jugement du 24 juin 2022 et par 6 voix contre 3, la Cour donne raison à l’État du Mississippi qui l’avait saisi et révoque Roe v. Wade. Les États sont désormais libres de définir la politique relative à l’avortement dans leur juridiction.

    Cette même Cour avait la veille, le 23 juin 2022, autorisé tous les Américains à sortir dans la rue, armés d’une arme de poing, dissimulée sous leurs vêtements. Ce qui était interdit, par exemple, dans les rues de New York.

    Et il semble qu’elle a même l’intention de ne pas s’arrêter en si bon chemin et envisage à revenir aussi sur la contraception, en interdisant la délivrance des pilules contraceptives, permises depuis 1955 – soit 2 ans avant la France !

    Nous sommes dans un pays où comme l’écrit, en 2014, <Le Monde> :

    « Un quart des Américains (26 %) ignorent que la Terre tourne autour du Soleil et plus de la moitié (52 %) ne savent pas que l’homme a évolué à partir d’espèces précédentes d’animaux. C’est ce que révèle une enquête aux résultats édifiants, menée auprès de 2 200 personnes par la Fondation nationale des sciences américaine et publiée vendredi 14 février. »

    En France, sommes-nous à l’abri de telles dérives ?

    J’ai reproduit le tweet ainsi qu’un ajout qu’a écrit cette dame qui a été député pendant 21 ans et ministre du logement pendant deux ans dans le gouvernement de Fillon sous la présidence de Sarkozy.

    Et elle n’est pas seule, il suffit de se rappeler de ce furent les manifestations contre le mariage pour tous.

    Simone de Beauvoir écrivait

    « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant »

    Tout ceci ne serait pas possible s’il n’existait plus des populations complètement aveuglées par des récits écrits par des hommes, je veux dire des mâles humains, et que ceux qui croient continuent à penser qu’il s’agit de textes dictés directement par leur dieu.

    Il y a quelques mois, en allant au travail, juste après avoir posé le vélo’v à sa station, j’ai été interpellé par 3 jeunes hommes en costume, portant écusson qui portait cette mention : « L’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours ».

    Ce qui est le nom « scientifique » des Mormons.

    Ils ont souhaité engager la conversation, j’y consentis.

    Et voici la teneur de cet échange, cité de mémoire. Je pense que vous n’aurez aucune peine à distinguer mes propos de ceux des trois jeunes aspirant à devenir des saints des derniers jours :

    • Bonjour
    • Bonjour
    • Nous sommes…
    • Oui je sais, j’ai vu votre écusson
    • Croyez-vous en l’existence de Dieu ?
    • Je ne sais pas si Dieu existe ou s’il n’existe pas.
    • Si vous examinez le monde, le soleil, l’univers vous croyez vraiment que tout cela peut exister par hasard, sans qu’il y ait quelqu’un qui a créé tout cela ?
    • Oui c’est possible que le hasard ait fait cela. Mais si c’est vraiment Dieu qui a réalisé cela, cet univers gigantesque avec des milliards d’étoiles, de planètes, de trous noirs, croyez vous vraiment que ce Dieu puisse manifester le moindre intérêt pour un animal vaguement évolué, habitant une petite planète du système solaire situé en périphérie de la galaxie de la voie lactée, une parmi des milliards d’autres ? Ne manifestez-vous pas ainsi un orgueil incommensurable ?
    • Mais si, Dieu s’intéresse à nous, nous entoure de son amour et nous guide pour notre bien.
    • Vous êtes sérieux ? Qu’avez-vous compris de l’histoire récente des humains, simplement depuis le début du XXème siècle. Qu’a fait ce Dieu dont vous me parlez à Auschwitz ?
    • Il était là, mais il a laissé les humains agir selon leur volonté.
    • Évidemment, c’est une hypothèse commode, mais elle ne me convainc pas. Je vous ai dit que je ne sais pas si Dieu existe. Mais je suis convaincu ou je crois si vous préférez que votre Dieu, celui dont il est question dans la bible ou dans le coran, lui il n’existe pas ! Ce qui existe ce sont des organisations humaines qui sont hiérarchisées, qui profitent à ceux qui les dirigent et qui sont grisés par le pouvoir qu’ils en tirent et quelquefois même des revenus et un patrimoine substantiel. En général ce sont d’ailleurs des hommes qui par le récit et les règles qu’ils racontent ont parmi leur objectif principal de soumettre les femmes.
    • Mais non ce n’est pas ainsi et croyez-vous en l’existence de Jésus ?
    • Jésus, l’homme a peut-être existé, mais il n’y a aucune source autre que celles écrites par les chrétiens qui atteste de son existence.
    • Mais si, il y a d’autres sources…
    • Alors là jeune homme ce sont des découvertes récentes dont je n’ai pas connaissance, parce que vous comprenez c’est un sujet qui m’intéresse.
    • Il y a l’historien Flavius Josephe qui parle de Jésus.
    • Oui, mais là ce n’est pas une source externe, Flavius Josephe cite des chrétiens qu’il a rencontré et rapporte ce qu’ils lui ont dit. En revanche, il y a une stèle qu’on a retrouvé au proche orient qui évoque l’existence de Ponce Pilate. Mais savez-vous que le Dieu monothéiste a été inventé par les juifs il y a environ 2500 ans. Et que notre espèce homo sapiens a environ 100 000 ans d’existence. Notre race humaine a donc su se passer, la plus grande partie de son existence, de ce Dieu éternel, unique et qui s’intéresserait à vous ?

    • Bon il faut que je me rende à mon travail. Si je peux me permettre un conseil : si le fait de croire vous fait du bien n’hésitez pas à continuer, mais garder toujours éveillé le germe fécond du doute et surtout n’imposez jamais votre croyance et vos règles par la contrainte. Bonne journée !
    • Bonne journée.

    Alors il peut exister un coté lumineux de la religion, celle qui s’intéresse au spirituel, à ce qui nous dépasse et à ce qui transcende le matériel.

    Régis Debray, à ce stade, pense que l’absence de Dieu est pire que sa présence.

    Il y aussi ce propos qu’aurait tenu Jaurès à des radicaux qui étaient très anticléricaux au début du XXème siècle :

    « Pourquoi voulez-vous faire taire cette petite voix consolante qui fait tant de bien aux pauvres humains qui sont dans la peine ? »

    Car oui, c’est une source de consolation pour beaucoup qui souffrent, qui sont dans le deuil ou sont au seuil de cette terrible inconnue qu’est la mort.

    Mais le côté obscur des religions c’est celui qui veut imposer sa règle à tous, obliger tout le monde à respecter les règles que les adeptes de ce récit auquel ils croient s’imposent à eux-mêmes.

    Et dans ce cas quand ils sont puissants, les religieux sont même capables des pires crimes pour imposer leurs règles.

    Combien de crimes ont été ainsi commis au nom de ces religions qui prétendent œuvrer pour la paix et d’amour du prochain ?

    Il faut arrêter d’être naïf.

    Et en France, au moins, il est essentiel de respecter les croyances, permettre à chacun de vivre librement sa Foi tant qu’elle n’est pas en contradiction avec la Loi de la République.

    Mais de manière réciproque ; il faut défendre avec fermeté, lucidité et force s’il le faut, la liberté de faire et penser autrement quand les religions de toute obédience veulent imposer aux autres, à leur famille puis aux voisins puis à tout le monde les règles qu’ils s’appliquent à eux même parce qu’ils adhèrent à un récit particulier.

    Nous devons arrêter de regarder les responsables ou autorités religieuses avec les yeux de Chimène en leur reconnaissant une quelconque autorité morale générale.

    Nous devons les regarder avec les yeux du doute que je décrirai ainsi :

    Je reconnais ton droit absolu de croire. Est-ce que tu reconnais réciproquement la liberté des autres à ne pas croire ce que tu crois et est-ce que tu renonces définitivement à imposer aux autres et à la société les règles qui ne concernent que ta foi et ceux qui y adhèrent ?

    <La journaliste Ana Kasparian> synthétise tout cela très bien.

    <1689>

  • Lundi 27 juin 2022

    « Ne pleurons pas de l’avoir perdue, mais réjouissons-nous de l’avoir connue. »
    Jean-Louis Trintignant après le décès de sa fille Marie Trintignant

    Jean-Louis Trintignant est mort, le 17 juin, à l’âge de 91 ans « paisiblement, de vieillesse, […] entouré de ses proches », a fait savoir son agent.

    Il est ainsi mort une seconde fois ou mort vraiment.

    En effet, dans une interview face à Claire Chazal dans « Entrée Libre » sur France 5, fin 2018, Jean-Louis Trintignant avait expliqué que le décès de sa fille Marie Trintignant l’avait dévasté :

    « Ça ne guérit pas. Depuis quinze ans, ça m’a complètement abattu. Je suis mort il y a quinze ans, avec elle. […] rien n’a pu m’aider à traverser ce deuil. […] Je vais très mal. »

    Marie Trintignant est décédée le 1er Août 2003 d’un féminicide perpétré par son compagnon de vie.

    Et Jean-Louis Trintignant avait alors prononcé dans ces circonstances tragiques :

    « Ne pleurons pas de l’avoir perdue, mais réjouissons-nous de l’avoir connue. »

    C’est ce qu’a rapporté François Morel dans l’émouvant hommage qu’il lui a rendu lors de sa chronique hebdomadaire du vendredi : < Hommage à Jean-Louis Trintignant >

    Et il a ajouté :

    « Je me réjouis d’avoir eu la chance de connaitre un peu Jean-Louis Trintignant. »

    Ce ne fut pas la première tragédie que ce vieil homme connut dans sa vie consacrée à l’Art, au Théâtre et au Cinéma.

    Il avait déjà perdu une première fille, Pauline, sœur cadette de Marie, née en 1969 et morte à l’âge de dix mois.

    Dans le recueil Du côté d’Uzès, entretiens avec André Asséo (2012), Jean-Louis Trintignant confie :

    « Un matin, alors que je partais tourner, je suis allé embrasser Pauline dans son berceau. Elle était morte, on n’a pas su comment. J’ai dit à Nadine : Soit on se suicide, soit on accepte de vivre pour Marie. »

    Et plus jeune encore, il avait 8 ans, son père était résistant et sa mère avait vécu une histoire d’amour avec un soldat allemand.

    En septembre 2017, dans les colonnes du JDD, il raconte :

    « Ma mère a été tondue dans une charrette. Bien sûr mon père l’a sauvée, mais il m’a dit ce truc qui m’a bouleversé toute ma vie : ‘Comment as-tu pu laisser faire ça ?’ C’était lourd pour un enfant. »

    Et il reconnaissait que c’était une blessure qu’il a porté toute sa vie en ajoutant :

    « C’est peut-être pour ça que je suis devenu acteur. Au fond, la décadence des familles bourgeoises, peut-être que j’ai joué ça toute ma vie… »

    Laurent Delahousse l’a interviewé en 2018, au théâtre des Célestins de Lyon où il réalisait un spectacle, avec des musiciens, en disant des poèmes : <Jean-Louis Trintignant au Théâtre des Célestins>

    Un entretien d’une profondeur bouleversante.

    A propos de ses parents, il raconte qu’après ce tragique épisode, ils ont encore vécu 20 ans ensemble, mais dans des relations si compliquées qu’ils auraient mieux fait de se séparer rapidement.

    Ce spectacle joué à Lyon le fut aussi à Paris. Il avait alors été invité de Léa Salamé, je l’avais rapporté lors du mot du jour du <14 février 2019> pour souligner un poème de Prévert qui faisait partie du spectacle et qu’il a déclamé lors de l’émission :

    Il a cité aussi d’autres poètes comme par exemple Pierre Reverdy qui a écrit :

    « On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux »

    C’était un <monument du cinéma français> titre le journal canadien « Le Devoir » qui narre son immense carrière

    Article qui rapporte qu’après la mort brutale de sa fille Marie, il a dit :

    « Je devrais m’arrêter, mais je ne veux pas. Les moments les plus heureux de ma vie, c’est quand je travaille, quand je fais du théâtre »

     <1688>

  • Vendredi 24 juin 2022

    « Macron ou les illusions perdues. »
    François Dosse

    François Dosse, né le 21 septembre 1950, est un historien et épistémologue français, spécialisé en histoire intellectuelle.

    C’était un proche du philosophe Paul Ricoeur.

    Il a publié en 1997 une biographie de ce philosophe : « Paul Ricœur. Les sens d’une vie ».

    En 1998, il était professeur à Sciences Po et avait parmi ses élèves Emmanuel Macron.

    Et c’est lui, François Dosse, qui a permis la rencontre d’Emmanuel Macron et de Paul Ricoeur.

    Et c’est ainsi que de 1999 à 2001, Macron deviendra l’assistant éditorial du philosophe qui recherchait un archiviste pour le livre « La Mémoire, l’histoire, l’oubli ».

    Le président de la République évoquait cette relation ainsi :

    « La nuit tombait, nous n’allumions pas la lumière. Nous restions à parler dans une complicité qui avait commencé à s’installer. De ce soir-là commença une relation unique où je travaillais, commentais ses textes, accompagnais ses lectures. Durant plus de deux années, j’ai appris à ses côtés. Je n’avais aucun titre pour jouer ce rôle. Sa confiance m’a obligé à grandir. »

    François Dosse a pendant longtemps exprimé une grande bienveillance à l’égard de ce jeune homme qui allait être capable d’embrasser un destin exceptionnel.

    Il va même écrire un livre très positif sur le jeune président au début de son quinquennat : « Le philosophe et le président »

    Dans un article du Monde, publié le 3 décembre 2019 et sur lequel je reviendrai plus loin, François Dosse écrivait de ce livre :

    « Lorsque j’ai publié, en septembre 2017, « Le Philosophe et le Président. Ricœur & Macron », chez Stock, mon intention première était de défendre la vérité des faits : attester ta proximité avec Paul Ricœur, alors qu’elle était contestée par certains, qui dénonçaient une forme d’imposture. Dans ce livre, et sur la base de ta campagne présidentielle, je faisais état de tes sources d’inspiration en tant que candidat et soulignais à quel point les positions philosophiques de Ricœur avaient été importantes pour toi, fécondant tes propositions sur l’Europe, la laïcité, la justice sociale, la revitalisation de la démocratie politique, la mémoire nationale. Durant toute la première partie de ton mandat présidentiel, ma confiance et mes sentiments amicaux m’ont incité à ne jamais répondre à quelque sollicitation pétitionnaire ou critique. J’ai eu pour toi les yeux de Chimène, émerveillé par l’étendue de tes compétences et de ton savoir-faire. »

    L’émerveillement est passé.

    François Dosse a parlé d’«un moment de rupture majeur» en dénonçant, en 2019, ses discours et ses mesures « inadmissibles » sur l’immigration.

    Pour marquer ce désaccord, il a publié une tribune dans le Monde, il s’agit de l’article du 3 décembre 2019 évoqué : « Emmanuel, tes propos sur l’immigration contribuent à la désintégration de ces populations fragilisées » :

    Il écrit notamment :

    « Si je prends la plume aujourd’hui, c’est que je ne peux souscrire à tes dernières déclarations sur la nécessité d’un débat national sur l’immigration et à l’orientation politique prise dans ce domaine par ton gouvernement. La stigmatisation de la population immigrée comme source des problèmes que rencontre la société française, qui se situe aux antipodes des positions éthiques et politiques de Ricœur dont tu t’es réclamé, constitue pour moi un moment de rupture majeur.

    Il ne s’agit pas de défendre la posture de la belle âme soucieuse de ne pas se compromettre dans le pragmatisme du quotidien, mais de rappeler les positions éthiques de Ricœur qui devraient inspirer une juste politique de l’immigration. Il affirmait en premier lieu le principe intangible de l’hospitalité. Comme tu le sais, au soir de sa vie, Ricœur a avancé le paradigme de la traduction en faisant droit, comme Jacques Derrida, à la vertu de l’hospitalité, à l’« hospitalité langagière », où « le plaisir d’habiter la langue de l’autre est compensé par le plaisir de recevoir chez soi (…) la parole de l’étranger » (Ricœur, Sur la traduction, Bayard, 2004, page 20).

    Je te rappelle que Ricœur, philosophe au cœur de la Cité, s’est engagé dans les années 1990 auprès des sans-papiers. Au printemps 1996, dans la plus grande confidentialité, il est intervenu comme médiateur auprès des 300 Maliens sans-papiers [qui, de mars à août 1996, avaient occupé l’église Saint-Bernard, dans le 18e arrondissement parisien, soutenus par de nombreuses personnalités]. Présent aux multiples réunions de concertation tenues dans les hangars, il a, avec d’autres, essayé de trouver une solution. Dans cette mobilisation, Ricœur a été à l’unisson de sa famille spirituelle. »

    Et il va continuer à décliner toutes les actions et propos du Président qui heurtent, selon lui, le message et les valeurs que portaient Paul Ricoeur.

    Et il finit son article par le rappel de l’Emmanuel qui l’enthousiasmait :

    « Rappelons que tu avais alors, Emmanuel, salué le courage et l’humanité d’Angela Merkel, qui a payé électoralement la fermeté de ses positions éthiques. C’est ce que j’attendais de toi et n’attends plus, me rappelant simplement avec mélancolie un autre Emmanuel, qui suscitait mon enthousiasme lorsqu’il déclarait, lors de sa campagne à Marseille, le 1er avril 2017, devant une foule enthousiaste et pleine d’espérance : « Quand je regarde Marseille, je vois une ville française façonnée par deux mille ans d’histoire, d’immigration, d’Europe, du Vieux-Port à Saint-Loup en passant par le Panier », et d’ajouter : « Je vois les Arméniens, les Comoriens, les Italiens, les Algériens, les Marocains, les Tunisiens, les Maliens, les Sénégalais, les Ivoiriens, j’en vois des tas d’autres, que je n’ai pas cités, mais je vois quoi ? Des Marseillais, je vois des Français, ils sont là et ils sont fiers d’être français. »

    Trois ans après cet article, il a publié en mars 2022, un second livre sur Emmanuel Macron dont j’ai choisi le titre pour exergue : « Macron ou les illusions perdues. »

    Le sous-titre de ce livre, bilan du quinquennat était : «  les larmes de Paul Ricoeur. »

    <Philosophie Magazine> pose, à propos de ce livre, la question :

    « Est-ce un portrait d’Emmanuel Macron en Lucien de Rubempré ? »

    Rappelons que Lucien de Rubempré est un des personnages de la Comédie humaine de Balzac et qu’il occupe le rôle principal dans les deux livres : « Splendeur et misère des courtisanes » et « Les illusions perdues » qui décrivent l’ascension et la chute de cet ambitieux qui veut se faire une place dans la haute société parisienne.

    Dans ce second livre, la critique de François Dosse va plus loin que la seule remise en cause au sujet de l’immigration. :

    « Mais, de manière plus générale, c’est la politique macronienne dans son ensemble que condamne Dosse en détaillant aujourd’hui les motifs de son mécontentement. Pratique verticale d’un pouvoir jupitérien, politique économique néolibérale, relégation de l’enjeu écologique au second plan, lois liberticides pendant la pandémie, caporalisation de l’Éducation nationale… Les griefs ne manquent pas dans ce véritable réquisitoire. »

    Parallèlement à ce livre, François Dosse a publié sur le site : « AOC », le 10 mars 2022, un article d’opinion : « Macron ou le peuple de gauche floué  »

    C’est un article d’une belle profondeur intellectuelle et qui énumère les renoncements et les contradictions de notre président .

    Fraçois Dosse fait le constat de la dévitalisation de notre vie politique et de l’atonie des partis politiques, éléments essentiels de la vie démocratique. Il reconnaît qu’Emmanuel Macron n’est pas le seul « responsable de l’atonie idéologique ambiante ni de l’absence de projet de société, » mais il porte sa part. Car, bien loin de sa promesse de renouvellement des pratiques politiques il a sombré très vite dans les pratiques les plus médiocres de l « ancien monde »

    Et François Dosse oppose l’espoir de 2017 avec la décourageante pratique qu quinquennat :

    « On aurait pourtant pu croire, et je l’ai cru en 2017, […] qu’Emmanuel Macron ne serait pas un simple gestionnaire du système en place mais pourrait profiter de la liberté que lui donnait une majorité absolue à l’Assemblée nationale pour bousculer quelques conventions et diriger une politique de modernisation et de justice sociale. […]

    Je pensais en 2017 que le nouveau président s’attacherait à articuler justice et égalité dans la perspective que définissait Ricœur comme la construction d’« une vie bonne, avec et pour autrui, dans des institutions justes ». Au plan politique, cette éthique impliquait une stratégie de rupture avec la logique capitaliste qui a pour effet d’accroître les inégalités. On pouvait penser que l’annonce par Macron d’un « nouveau monde » allait progresser dans ce sens. Il n’en a rien été, et le nouveau président n’a jamais remis en question le principe de maximisation du profit propre au système capitaliste ; il en a au contraire renforcé ses traits les plus inégalitaires. »

    Et il cite à nouveau Paul Ricoeur, (« Justice et Marché. Entretien entre Michel Rocard et Paul Ricoeur », Esprit, n° 1, janvier 1991, p. 8.) :

    « Ce qu’il faut commencer par contre, sans tarder, c’est la critique du capitalisme en tant que système qui identifie la totalité des biens à des biens marchands. »

    Macron se réclamait aussi de Michel Rocard qui l’a soutenu en 2017. Depuis Michel Rocard est mort. J’ai la faiblesse de croire que Rocard non plus n’aurait pas approuvé l’évolution de notre jeune président.

    Dans le même article, page 6, Ricoeur suggérait :

    « l’idée que la société en tant que réseau d’institutions consiste avant tout en un vaste système de distribution, non pas au sens étroitement économique du terme distribution opposé à production, mais au sens d’un système qui distribue toutes sortes de biens : des biens marchands, certes, mais aussi des biens tels que santé, éducation, sécurité, identité nationale ou citoyenneté. ».

    François Dosse cite alors avec regret les espoirs que Macron suscitait dans son livre « Révolution » (page 138)

    « Faire plus pour ceux qui ont moins […] Sans solidarités, cette société tomberait dans la dislocation, l’exclusion, la violence – la liberté de choisir sa vie serait réservée aux plus forts, et non aux plus faibles »

    Dans mon analyse, je fais deux grands reproches à Macron, le premier est sur sa manière de gouverner en solitaire, sans s’appuyer sur les corps intermédiaires, sans faire appel à un travail d’équipe. Le second est sur son analyse de la société économique : Il prétend qu’il n’y a a pas assez de riches, il encourage les jeunes à se fixer comme but de vie de devenir milliardaire, alors que l’évolution qu’on constate est l’accroissement des inégalités de revenus et encore plus de patrimoine, une inversion de la tendance observée après 1945. François Dosse exprime la même désapprobation :

    « […]comme l’a montré Thomas Piketty, à un renversement de tendance à l’échelle internationale. Après une période de réduction des inégalités correspondant à la période d’après-guerre, le monde occidental a connu un accroissement spectaculaire des inégalités sociales.  […]

    « Lorsque Macron arrive à l’Élysée en 2017, il est donc confronté à un processus d’accroissement des inégalités qu’il aurait dû essayer d’enrayer au nom de la justice et de la mission du politique à œuvrer à la mise en place d’institutions justes. Or, il a fait strictement le contraire en favorisant les plus riches. »

    Et concernant sa pratique du pouvoir, François Dosse montre aussi sa duplicité entre ce qu’il écrivait dans un article (Emmanuel Macron, « Les labyrinthes du politique. Que peut-on attendre pour 2012 et après ? », Esprit, mars/avril 2011.), alors qu’il se préparait à soutenir Hollande :

    «  Macron […] mettait en garde contre le caractère trop vertical du pouvoir politique. Il y défendait la nécessité d’instiller davantage d’horizontalité pour redynamiser une démocratie souffrant de langueur, attestée par la part croissante de citoyens éloignés des sphères de décision, finissant par s’abstenir massivement lors des échéances électorales . […] Il stigmatisait alors les effets délétères sur la vie démocratique de l’extrême polarisation de la vie politique autour de la seule élection présidentielle : « Le temps politique vit dans la préparation de ce spasme présidentiel autour duquel tout se contracte et lors duquel tous les problèmes doivent trouver une réponse. » Il prenait alors ses distances avec cette tendance de la Ve République à s’orienter vers toujours plus de présidentialisation, qui a pour effet d’écraser sous son poids toute la vie politique du pays. »

    Et son action présidentielle :

    « Or, lorsqu’il prend le pouvoir en 2017, Macron transforme le pouvoir présidentiel en autorité jupitérienne. Sa pratique de la Constitution aura contribué à abaisser davantage le rôle de la représentation parlementaire réduite plus que jamais à la fonction d’approbation des décisions élyséennes. »

    Cette posture construit un pouvoir isolé et n’ayant plus de moyens pour apaiser les conflits :

    « En période de crise, cet anachronisme peut se révéler dangereux car le président n’a plus de fusible ; il s’en est dépossédé pour détenir tous les leviers de décision. Démuni du cordon sanitaire que représentent les corps institués que sont son gouvernement, son parlement, les partis politiques, il fait face, seul, à la foule et entretient chez elle le désir d’en découdre, ce qui explique la virulence des oppositions qui se sont manifestées lors de la crise des gilets jaunes. »

    Dans cet article, écrit avant l’élection présidentielle, François Dosse exprime l’ampleur de sa déception dans ses mots :

    « Ayant cru à un enracinement dans les convictions exprimées par Ricœur, je découvre en fait une forme de cynisme pour conserver le pouvoir qui tient davantage de Machiavel – sur lequel notre jeune président a consacré son premier travail de philosophie. »

    Et il finit par cette prophétie inquiétante :

    « Par sa pratique jupitérienne du pouvoir, Macron n’aura pas cherché à s’inspirer des travaux des chercheurs en sciences humaines et plus généralement il se sera passé des conseils des intellectuels. Il aura confondu ce que doit être l’impératif de gouverner un pays et ce qu’est gérer une entreprise, perdant dans cette confusion l’idée d’un cap à fixer et d’un horizon d’attente et d’espérance à définir. Si sa marche est de nouveau confirmée par les électeurs en 2022, elle nous conduira inévitablement à la catastrophe car la gestion d’une nation comme une start-up ne peut répondre aux exigences du nouvel âge dans lequel nous sommes entrés, celui de l’Anthropocène. Peut-être, notre devenir rejoindra avec la réélection de Macron le titre de son livre de campagne en 2017, Révolution, est-ce vraiment souhaitable ? »

    Au lendemain des élections législatives nous pouvons dire que pour l’instant Jupiter est empêché. Mais les opposants seront-ils à la hauteur des enjeux pour essayer de redresser la marche vers des objectifs davantage tournés vers l’équité, l’humanisme et les grands défis auxquels est confrontée notre civilisation humaine ?

    <1687>

     

  • Jeudi 23 juin 2022

    « Le Portsmouth Sinfonia : le pire orchestre du monde. »
    Un ensemble de musique créé par Gavin Bryars

    La constitution d’un gouvernement en France est devenue délicate depuis dimanche…

    Prenons un peu de recul et parlons d’autre chose.

    Quoique, je me demande s’il n’est pas possible de trouver des correspondances entre notre situation politique française et le sujet du mot du jour d’aujourd’hui.

    Commençons par un exemple audio qui nous met dans l’ambiance.

    Même celles et ceux qui n’ont aucune affinité avec la musique classique connaissent le début du poème symphonique de Richard Strauss : « Ainsi parlait Zarathoustra ». Cette œuvre a été souvent utilisée dans la publicité et dans les films et notamment en ouverture du film « 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick », illustrant l’alignement entre la Lune, la Terre et le Soleil, ainsi que dans L’aube de l’humanité et dans la scène finale du film.

    Je vous invite donc à écouter le début de cette œuvre, après avoir subi la publicité qui permet la gratuité, dans l’interprétation de l’orchestre du <Portsmouth Sinfonia : « Also sprach Zarathustra »>

    C’est un moment décapant, absolument unique dont on sort par une espèce de sidération : C’est un disque qui a été enregistré et que des gens ont acheté !

    <Portsmouth> est une ville portuaire de la côte sud de l’Angleterre qui compte 205 400 habitants et qui est la deuxième plus grande ville du Hampshire, après Southampton.

    Et c’est dans cette rieuse cité qu’a commencé, en 1970, cette histoire étonnante que l’émission de « France Musique » : Maxxi Classique a raconté, le jour de la fête de la musique, le 21 juin 2022.

    L’histoire est celle d’une initiative baroque du compositeur Gavin Bryars : créer le Portsmouth Sinfonia

    Cet orchestre dispose d’une page Wikipedia : <Portsmouth Sinfonia>

    Et aussi d’un site qui lui est dédié : https://www.portsmouthsinfonia.com/

    On trouve de nombreuses références sur internet qui parle de cette expérience disruptive. Par exemple : « Je vous assure que cet orchestre joue faux ! »

    Mais revenons à l’émission de France Musique < Le Portsmouth Sinfonia : Le pire orchestre du monde >

    Le musicologue Max Dozolme narre cette histoire incroyable

    « Mai 1970. Dans la cantine du College of Art de Portsmouth, des étudiants et des professeurs d’art prennent le thé. Ensemble, ils imaginent comment ils pourraient participer à une émission anglaise populaire qui doit avoir lieu dans quelques jours au sein de leur école. Cette émission qui porte le nom d’Opportunity Knocks est un télécrochet, une sorte d’ancêtre du programme La France a un incroyable talent. Ce jour-là, un professeur invité qui anime un cours sur la musique expérimentale a une idée ! Et si nous formions un orchestre symphonique qui réunirait des étudiants musiciens et non-musiciens ? Et si pour plus d’égalité, on demandait à tous ces étudiants de choisir un instrument qu’il ne maîtrise pas du tout ? Ça pourrait être une bonne idée non ?

    Le professeur à l’origine de la fondation du Portsmouth Sinfonia se nomme Gavin Bryars. Il a 26 ans, il est compositeur, très bon contrebassiste mais dans cet orchestre qu’il vient de créer il a décidé de jouer de l’euphonium, l’instrument le plus grave du pupitre de cuivres. Comme de nombreux étudiants de l’orchestre ne savent pas lire de partitions et connaissent mal le répertoire symphonique, la première oeuvre que le Portsmouth Sinfonia a choisi d’apprendre est un tube de la musique classique. Un air que l’on entend dans des publicités, des dessins animés et des westerns qui a l’avantage d’être connu de tous. Il s’agit de l’ouverture de Guillaume Tell de Rossini !

    Parce que même dans cette version saccagé le public a tout de suite reconnu le thème musical de Rossini et probablement parce le concept de cet orchestre a été jugé particulièrement original, le Portsmouth Sinfonia a été désigné grand vainqueur de l’émission Opportunity Knocks ! Ce succès a sans doute donné des ailes aux musiciens car après cette première expérience, la formation a donné plusieurs concerts dont un mémorable au prestigieux Royal Albert Hall de Londres en 1974 !

    Pour la petite histoire, c’est grâce aux contacts de Brian Eno, membre éminent de l’orchestre que le Portsmouth Sinfonia a pu enregistrer son tout premier disque en 1973. Suivront un album de reprises de chansons salué par le chanteur des Who Pete Townshend et de nombreux autres concerts jusqu’à une dernière représentation donnée à Paris en 1980. Depuis cette représentation parisienne, le Portsmouth Sinfonia n’a plus jamais joué ensemble mais il a inspiré la création d’autres formations similaires et qui sait, peut-être qu’un jour cet orchestre se reformera, pour le meilleur et surtout pour le pire ! »

    L’émission est enrichie par plusieurs extraits musicaux, interprétés ou plutôt massacrés par cet orchestre fantasque.

    Max Dozolme résumait cet orchestre ainsi :

    « le Portsmouth Sinfonia répétait avec sérieux, donnait des concerts au Royal Albert Hall et enregistrait des œuvres symphoniques. Problème, aucun musicien ne savait jouer de son instrument. […]

    Toutefois, l’article cité : « Je vous assure que cet orchestre joue faux ! » précise : « Il n’y avait pas d’audition préalable , le seul critère d’admission était que le musicien ait une connaissance, au moins minimale, d’un instrument y compris pas du tout. Plus en détail, le processus était le suivant. Les musiciens les plus capables, disons crédibles, échangeaient leurs instruments avec d’autres, tandis que quelques interprètes d’un niveau « décent », conservaient le leur afin de préserver une certaine «cohérence» à minima. »

    Libre à vous de trouver un lien entre ces instants de cacophonie et ce qui se passe actuellement dans les cercles du pouvoir à Paris.

    <1686>

  • Mercredi 22 juin 2022

    « La réalité du pouvoir minoritaire de Macron est [enfin) apparue. »
    Jérôme Sainte-Marie, politologue

    Depuis deux jours, des commentateurs politiques se désolent du fait qu’il n’y ait pas de majorité absolue à l’Assemblée Nationale.

    Tout tourne autour de cette question.

    Certains supporters de la NUPES expriment l’idée qu’ils sont passés à côté d’une victoire possible et de l’objectif d’envoyer Melenchon à Matignon pour mettre en œuvre son programme.

    Et tout le monde de s’étonner qu’après une victoire nette à l’élection présidentielle, les français n’aient pas confirmé leur vote en envoyant une majorité confortable à ce président réélu.

    D’autres dissertent ensuite sur les erreurs que Macron a commises depuis son élection et qui expliquent cette déconvenue.

    Dans l’émission de France 5 « C en l’air » du 20 juin, on apprend que Macron au lendemain du second tour plutôt que de consacrer son temps et son énergie à nommer une Première Ministre et préparer le futur gouvernement pour mener la bataille électorale, a passé son précieux temps à examiner dans le détail la liste de 577 candidats de sa coalition « Ensemble » aux élections législatives. Il semble que cet exercice devait lui permettre de s’assurer, personnellement, de la fidélité de chacune et chacun d’entre eux. L’objectif étant d’essayer de dénicher des candidats susceptibles de rejoindre, par la suite, son allié Edouard Philippe dont il se méfie. On dit que son ancien premier ministre occupe beaucoup de son temps de cerveau disponible.

    Tout ceci ne me convenait pas.

    Je pensais à cette pensée de la sagesse chinoise :

    « Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt »

    Quel est le problème ?

    Le problème est qu’un mouvement politique qui a obtenu 28 % des voix exprimés aux Présidentielles et 26 % aux législatives puisse vouloir prétendre obtenir la majorité absolue à l’Assemblée Nationale, puis appliquer son programme comme si la majorité du corps électoral avait fait ce choix.

    Et encore, nous avons constaté pendant les derniers cinq ans où ce mouvement politique était au pouvoir que les députés de la majorité jouait un rôle accessoire sur l’élaboration des textes et de la politique mise en œuvre. La seule vraie mission de cette majorité était de voter sans discuter ce que la petit équipe de l’Elysée avait décidé.

    Je m’empresse d’ajouter que la prétention de la NUPES de gouverner seule était encore plus insensée : Le corps électoral français qui s’exprime penche à droite.

    Alors j’ai enfin été rassuré quand j’ai regardé l’émission « C ce soir » du lundi 20 juin : « Macron : le grand saut dans le vide »

    Karim Rissouli avait invité Franz-Olivier Giesbert, Géraldine Muhlmann, Jérôme Sainte-Marie, Gilles Finchelstein et Céline Calvez, députée LREM.

    Ce débat correspondait aux questions qui me semblaient importantes à poser.

    Et c’est le politologue Jérôme Sainte Marie qui a avancé cette analyse :

    « Un pouvoir qui était structurellement minoritaire depuis 5 ans, avait gagné massivement, en 2017, au second tour face à une de ses oppositions.

    Parce que les autres oppositions préféraient encore voter pour Macron que pour Marine Le Pen.

    Cela a duré pendant 5 ans et puis cela a duré encore pendant l’élection présidentielle de 2022 : 28% au premier tour puis 58 % au second Tour.

    Mais là la machine s’est grippée.

    Ce dimanche, les différentes oppositions ne se sont pas mobilisées les unes contre les autres.

    Et la réalité du pouvoir minoritaire d’Emmanuel Macron apparait et nous place au Parlement dans une situation inextricable. »

    Après 10 min d’émission

    Voilà c’est dit !

    Je l’exprime autrement : Un pouvoir minoritaire a pu obtenir un pouvoir majoritaire parce que ses oppositions se combattaient les unes les autres.

    Alors il faut bien gouverner ?

    Certes !

    Mais il ne faut pas gouverner en faisant semblant de croire qu’une majorité de français approuvait la politique poursuivie.

    Dans un élan de bienveillance on peut encore admettre que pendant 5 ans « on a donné sa chance au produit » comme dirait mon neveu.

    Mais au bout de 5 ans, il faut arrêter les faux semblants.

    Un quart du corps électoral, les nantis, les seniors et retraités, les gagnants de la mondialisation et ceux qui espèrent en faire partie, soutiennent ce mouvement politique. Tous les autres n’ont pas voté Macron mais ont voté contre Melenchon et contre Le Pen .

    Et puis tout repartait comme avant : « Les Français m’ont fait confiance et maintenant il me faut une solide majorité pour mettre en œuvre mon programme ».

    Les français ont dit non à cette prétention.

    Ils ont donné au mouvement dominant le nombre de députés le plus important mais n’ont pas donné la majorité absolue.

    Et c’est bien et normal ainsi.

    Il faut gouverner autrement.

    Cela devient certes plus compliqué, mais il est beaucoup plus sain que les débats aient lieu au Parlement, plutôt qu’ailleurs.

    Gilles Finchelstein a fait ce constat :

    « C’est une crise politique : incapacité de trouver une majorité.

    C’est une crise française, pour tous les autres pays européens cette situation est normale et ne conduit pas à une crise mais à une coalition.

    C’est une crise inédite, elle n’a rien de comparable avec le gouvernement minoritaire de Rocard en 1988 qui disposait sur ses deux ailes d’opposants moins vindicatifs qu’aujourd’hui.

    C’est une crise sérieuse parce que nous ne voyons pas le chemin d’une solution. »

    On ne voit pas, mais il faut chercher.

    C’est la responsabilité de la majorité présidentielle, mais c’est aussi la responsabilité des oppositions.

    Mais l’émission est restée dans une tonalité optimiste : peut être que de cette crise sortira du mieux.

    La 5ème république dérivait de plus en plus vers un pouvoir de l’extrême centre sans opposition en capacité d’alternance. Cette situation créait des tensions de plus en plus fortes dans la société.

    La crise politique actuelle ne vient pas d’un vote « fantasque » des français.

    Elle est le révélateur d’une situation politique devenue intenable.

    La promesse de Macron de dépasser les clivages s’est heurtée au mur des réalités et des tensions internes de la société française.

    <1685>

  • Mardi 21 juin 2022

    «Pause (surlendemain du second tour des législatives) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Le 21 juin 2022 est le jour du solstice d’été. Il a aussi été choisi, il y a 40 ans pour être le jour de la fête de la musique.

    Je me suis perdu dans les chiffres du second tour des élections législatives et ne trouve rien de pertinent à écrire sur ce sujet.

    <France Info> présente de pertinentes infographies sur ces élections. Vous apprendrez qu’à Paris il n’y a plus aucun député LR, le parti de Chirac, ni de député PS le parti de Delanoé. Les 18 circonscriptions de Paris se partage entre 9 NUPES (écologistes et insoumis) à l’est et 9 Ensemble à l’ouest. Vous apprendrez aussi que la NUPES a perdu plus de duels contre tous les autres Partis et coalition qu’elle en a gagné. Elle a perdu 53% des 62 duels contre le RN, 66% des 270 duels contre la coalition macroniste et 92 % des 26 duels contre les LR.

    Le parti de Marine Le Pen a beaucoup mieux résisté à la coalition présidentielle. Dans les 108 duels entre Ensemble et RN, il y a eu 55 victoires pour Ensemble, et 53 pour le Rassemblement national.

    <Harris Intervactive> a publié une enquête sur les reports de voix.

    J’en retiens trois points :

    • En cas d’affrontement NUPES/ Rassemblement National, une majorité d’électeurs ayant voté pour Ensemble au premier tour ne se sont pas exprimés. Les autres se sont répartis pour 34% pour la NUPES et 18% pour le RN.
    • En cas d’affrontement NUPES/ Ensemble, une majorité d’électeurs ayant voté pour le Rassemblement national au premier tour ne se sont pas exprimés. Les autres se sont répartis pour 24% pour la NUPES et  25% pour Ensemble .
    • En revanche dans le cas d’un affrontement Ensemble/RN une majorité d’électeurs de la NUPES se sont exprimés, à 31% pour Ensemble et 24% pour le RN.

     

    <Mot du jour sans numéro>

  • Lundi 20 juin 2022

    «Pause »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Pour pleinement me concentrer sur la soirée électorale du second tour des élections législatives je me suis mis en pause.

    Pour accompagner ces pauses je mets la photo d’un chat.

    J’ai trouvé cette photo d’un chat qui s’est invité dans un bureau de vote !

    <Mot du jour sans numéro>

  • Vendredi 17 juin 2022

    « Nous vivons un avant-goût de notre futur climatique. »
    Christophe Cassou, chercheur CNRS au Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique

    Nous vivons une canicule dont le pic est prévu samedi 18 juin.

    J’ai trouvé cette carte sur le site de <Oise Hebdo>

    Météo-France a annoncé, jeudi 16 juin, que douze départements ont été placés en vigilance rouge canicule et 25 départements en vigilance orange canicule à partir de vendredi 14 heures, lors de la canicule la plus précoce jamais enregistrée en France. Au total, trente-sept départements sont en vigilance, soit un tiers du pays, et 18 millions de personnes sont concernées.

    Les départements en vigilance rouge se situent principalement le long de la façade atlantique :

    • Le Tarn, la Haute-Garonne, le Gers, le Tarn-et-Garonne, le Lot-et-Garonne, les Landes, la Gironde, la Charente, la Charente-Maritime, les Deux-Sèvres, la Vienne et la Vendée.

    Quant aux vingt-cinq départements en alerte orange, ils se situent des Pyrénées au sud de la Bretagne, à la Drôme et à l’est du pays :

    • Morbihan, Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique, Mayenne, Maine-et-Loire, Sarthe, Loir-et-Cher, Indre-et-Loire, Indre, Cher, Creuse, Haute-Vienne, Dordogne, Corrèze, Puy-de-Dôme, Cantal, Lot, Haute-Loire, Aveyron, Ardèche, Drôme, Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées, Ariège, Aude.

    <Le Monde> nous apprend qu’il s’agit de la quatrième fois que la vigilance rouge canicule est activée depuis 2003, date de la mise en place du dispositif, après les leçons tirées de la canicule historique qui avait causé, cette année-là, la mort de plus de 15 000 personnes en France.

    Mais, cette fois-ci, le phénomène survient plus tôt dans la saison que d’ordinaire.

    Le thermomètre a grimpé, jeudi, à 40°C à Saint-Jean-de-Minervois, dans l’Hérault – un record de précocité pour la France métropolitaine hors Corse. Ce record a été enregistré à 16 h 32, a précisé Météo-France

    Le ministère de la santé a activé un numéro gratuit Canicule info service (08.00.06.66.66) afin de répondre aux interrogations et donner des conseils.

    Grâce à <Libération> nous apprenons que ce qui nous arrive est une « plume de chaleur » et non un « dôme de chaleur » .

    Le « dôme de chaleur » nous avait été expliqué, l’été dernier, lors de l’épisode record de chaleur au Canada.

    Les deux phénomènes peuvent causer des canicules infernales, mais ils sont différents.

    Le dôme de chaleur d’abord :

    « Il est statique : une masse d’air chaude se bloque sur un territoire à cause de fortes pressions en altitude, qui la plaquent vers le sol. Comprimée, elle monte ensuite en température sur place comme si elle était dans une cocotte-minute. Là, l’épisode de fortes chaleurs peut durer plusieurs semaines, jusqu’à ce que des vents chassent la bulle d’air. »

    C’est ce phénomène qui était en œuvre lors de la canicule d’août 2003, évoquée ci-dessus.

    La plume de chaleur se déplace :

    « La plume de chaleur, qui va faire grimper le thermomètre en France jusqu’à ce week-end, ressemble à un panache, un coup de chalumeau, une langue ou encore un tentacule. Elle vient du sud du globe. La bande d’air chaud s’est formée au Sahara, puis s’est détachée et est montée en latitude à cause de vents puissants. La vagabonde est d’abord passée sur l’Espagne avant de gagner l’Hexagone. Elle est tractée vers le Nord par une dépression, une « goutte froide », située au large de la péninsule ibérique, qui l’aspire tel un engrenage ou une pompe à chaleur en tourbillonnant dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Les plumes de chaleur, très mobiles, ont cependant tendance à ne pas s’éterniser sur un même territoire. L’épisode devrait durer cinq jours en France. »

    Le journal écologiste « Reporterre » nous raconte que « La canicule est un avant-goût de notre futur climatique » :

    « Cette vague inédite, si tôt dans la saison, alarme les spécialistes. L’exception devient peu à peu la norme. En 2019, une canicule avait déjà frappé la France, en juin, et battu des records absolus de température. Cette année, la canicule arrive deux semaines en avance par rapport à 2019. Pour le climatologue Christophe Cassou, « nous vivons un avant-goût de notre futur climatique ».

    La situation actuelle doit être replacée dans un contexte plus général de réchauffement climatique. Les sept dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées. Tout s’accélère et s’intensifie. Nous avons connu autant de vagues de chaleurs entre 1960 et 2005 (en 45 ans) que de 2005 à 2020 (en 15 ans) : on compte 4 vagues de chaleur avant 1960, 4 entre 1960 et 1980, 9 entre 1980 et 2000, et enfin 26 depuis 2000. En ce début du XXIe siècle, les épisodes caniculaires sont devenus sensiblement plus nombreux que ceux de la période […] Dans son dernier rapport, le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) est formel sur le sujet. L’ampleur des extrêmes de température augmente plus fortement que la température moyenne mondiale. Et l’influence humaine favorise l’émergence de phénomènes d’ordinaire très rares et exceptionnels.

    Ce n’est qu’un début, selon une étude publiée par la revue Science en septembre 2021, les enfants nés en 2020 subiront 7 fois plus de vagues de chaleur, 2 fois plus de sécheresses et incendies de forêt, 3 fois plus d’inondations et de mauvaises récoltes qu’une personne née en 1960.

    Et Reporterre partage les prévisions des scientifiques :

    « Les sécheresses s’aggravent, alerte l’ONU. Notre quotidien est bouleversé. En France, la fréquence des canicules devrait doubler d’ici à 2050. Selon Météo France, « en fin de siècle, les vagues de chaleur pourraient être non seulement bien plus fréquentes qu’aujourd’hui mais aussi beaucoup plus sévères et plus longues » et « se produire de mai à octobre ». »

    À court terme, la vague de chaleur qui s’abat sur la France pourrait déjà avoir de graves conséquences : accélérer la maturité des cultures et en brûler une partie, accélération de la pénurie d’eau sur certaines parties de notre territoire

    Alors que le climatologue Christophe Cassou sonne l’alerte :

    « Les faits sont clairs. Ne pas être à la hauteur est aujourd’hui irresponsable. Il faut réduire nos émissions de gaz a effet de serre de manière immédiate, soutenue dans le temps et dans tous les secteurs. Pas dans trois ans, maintenant ! »

    Le gouvernement manifeste des ambitions plus modestes : Il y a une semaine, sur LCI, la ministre de Transition écologique, Amélie de Montchalin avait seulement invité les Français à « être sobres » et à « ne pas surutiliser leur climatiseur pour lutter contre le dérèglement climatique ».

    Dans ce contexte, le truculent Willy Schraen a fait une déclaration remarquée dans ce haut lieu de la culture et de l’émulation intellectuelle qu’est l’émission de RMC « Les grandes gueules ».

    Je connais des chasseurs sympathiques et intelligents.

    Chaque corporation, chaque famille possède son lot de « cas particulier » qu’on essaye de réguler et de cacher un peu.

    L’ennui, c’est quand la corporation met ce type de personnage à sa tête !

    Car M Willy Schraen qui a déclaré avoir voté pour Emmanuel Macron dès le premier tour est le président de la Fédération nationale des chasseurs depuis août 2016.

    Qu’a-t-il dit ?

    Nous lisons sur le <site de l’Obs> ses propos :

    «  Il faut reconnaître qu’il va faire chaud pendant trois jours. Bizarre, on est entre le premier et le deuxième tour […]

    On nous explique du matin jusqu’au soir depuis deux jours « Attention, l’écologie machin… » Bon, dites-le carrément au niveau de la météo : votez la Nupes ! On va gagner du temps, on a bien compris, on est quand même pas débile !»

    La canicule serait donc selon cet homme vigilant qui refuse de se laisser abuser, une stratégie de la NUPES pour obtenir des voix !

    Il fallait y penser.

    Il fallait oser le dire.

    Mais les c.. ça ose tout c’est à cela qu’on les reconnait. Il y a bien longtemps, le 6 décembre 2013, j’avais publié la version originale de ce mot d’Audiard. Elle est de Saint Thomas d’Aquin et se décline ainsi : « Tous les imbéciles et ceux qui ne se servent pas de leur discernement, ont toutes les audaces. »

    <1684>

  • Jeudi 16 juin 2022

    « Le délit de clameur. »
    Délit prévu par l’article L98 du Code électoral

    Il se passe des choses étranges en France.

    Il y a déjà eu le fiasco du Stade de France pour la finale de la Ligue des Champions de football qui a montré des difficultés d’organisation, des lacunes pour rapidement prendre la mesure de ce qui se passe et réagir et enfin l’incapacité de nos gouvernants a reconnaître simplement que les choses se sont mal passées et s’en excuser. J’y reviendrai peut-être

    Mais aujourd’hui, je voudrais narrer simplement ce qui s’est passé, lors du premier tour des élection législatives, dans le bureau de vote nº 13, de la 9e circonscription de Paris, place Jeanne-d’Arc dans le quartier de la Gare du 13ème arrondissement.

    Plusieurs journaux ont narré cette histoire, le journaliste Stéphane Foucart, dans « Le Monde » l’a décrit de manière assez détaillée : <Une nuit en garde à vue pour avoir alerté d’une confusion possible>.

    Je reprends ses explications

    Dans cette 9ème circonscription, la NUPES avait présenté l’écologiste Sandrine Rousseau que tout le monde connait depuis qu’elle a failli battre Jadot à la primaire écologiste et qu’elle a multiplié des déclarations qui ont interpellé et surpris par leur radicalité.

    Cette femme politique irrite beaucoup de monde notamment le Mouvement de la ruralité qui est le nouveau nom de ce parti politique qui avait pour objet de lutter contre les tentatives trop modernistes  «  Chasse, pêche, nature et traditions ».

    Ce mouvement, dans le but évident de nuire à Sandrine Rousseau, a investi dans la même circonscription une « novice » écrit le Monde, je comprends une parfaite inconnue mais qui avait pour singularité de porter le même nom et prénom que la candidate écologiste.

    Un retraité de l’enseignement supérieur (université Paris-I), historien d’art, Patrick de Haas, vote dans ce bureau :

    « C’est en arrivant dans le bureau de vote nº 13, place Jeanne-d’Arc à Paris, que M. de Haas et sa compagne remarquent que, sur la table de décharge, le premier bulletin disposé au nom de Sandrine Rousseau, « sans photographie de la candidate », dit-il, n’est pas celui de la candidate écologiste investie par la Nupes. « Les bulletins de la candidate de la Nupes se trouvaient à l’autre bout de la table et j’ai été abusé par cette disposition, raconte-t-il. Il était évident que des votants allaient se tromper et prendre le premier bulletin au nom de Sandrine Rousseau sans réaliser qu’il s’agissait de la candidate investie par le Mouvement de la ruralité.

    L’historien demande alors de meilleures indications aux assesseurs et au président du bureau de vote. Une signalétique spéciale est refusée au motif qu’elle serait irrégulière, risquant de créer un régime de faveur pour les deux Sandrine Rousseau. Choqué, M. de Haas décide alors de prévenir les votants à leur arrivée au bureau de vote, que deux piles de bulletins au nom de Sandrine Rousseau sont disposées. « Je ne suis pas militant politique, je n’ai, à aucun moment, dit à quiconque quoi faire ou comment voter, explique-t-il. Tout se passait dans le plus grand calme. J’avais le sentiment d’accomplir un devoir citoyen en avertissant les autres de la situation. »

    M de Haas pensait faire œuvre utile pour informer les électeurs de la confusion possible.

    Ce n’était pas ainsi que le député sortant macroniste, Buon Tan analysait la situation :

    « En milieu de journée, le député sortant, Buon Tan (La République en marche), passe dans le bureau de vote : il signale, lui aussi, la présence d’une personne sur la voie publique alertant les votants du piège homonymique. Mécontent, le parlementaire demande que l’information soit consignée dans le procès-verbal des opérations de vote. M. Tan n’a pas donné suite aux sollicitations du Monde. Craignant une irrégularité, le président du bureau appelle alors le service ad hoc de la Mairie de Paris pour s’informer sur la marche à suivre. Il lui est conseillé de contacter la police nationale, pour demander une intervention. »

    Et c’est ainsi qu’une voiture de la police nationale s’arrête devant le bureau de vote. Trois gardiens de la paix lui intiment de s’éloigner.

    « Je leur ai demandé s’il m’était possible de me mettre à une cinquantaine de mètres du bureau et ils n’y ont pas vu d’inconvénient », raconte-t-il. Mais, alors qu’il s’est éloigné et qu’il continue à alerter les personnes qui se dirigent vers le bureau, les trois gardiens de la paix changent d’avis.

    Ils sont revenus vers moi un quart d’heure plus tard pour me dire qu’ils s’étaient trompés et que même à 50 mètres du bureau de vote je n’avais pas le droit de prévenir les gens, poursuit-il. Je n’ai pas protesté, ni même discuté, et je suis rentré chez moi, à 150 mètres de là. » Les trois mêmes gardiens de la paix, changeant manifestement une nouvelle fois d’opinion, le retrouvent au pied de son immeuble, le cueillent et lui disent qu’il doit passer devant un officier de police judiciaire (OPJ). « Une fois au commissariat, je n’ai alors pas pu dire un mot, j’ai eu le sentiment d’être traité comme un criminel de guerre. [L’OPJ] a refusé de m’entendre et m’a signifié que j’étais placé en garde à vue pour des faits de « clameurs, attroupement et menaces », raconte l’historien. Tout cela étant complètement faux, j’ai refusé de signer le procès-verbal. »

    Au matin, après une nuit de garde à vue et une demi-heure d’entretien avec un avocat commis d’office, M. de Haas est entendu par un autre OPJ qui ne conserve que les faits de « clameurs », prévu par l’article L98 du code électoral, qui punit « les atteintes à l’exercice du droit électoral ou à la liberté du vote ».

    Le Monde précise que

    « Contactée lundi 13 juin en début d’après-midi, la préfecture de police de Paris n’avait pas donné suite, mardi en fin de matinée, aux sollicitations du Monde. »

    Je suis donc allé consulter l’article L98 du code électoral sur le site de <Legifrance> Je le cite intégralement :

    « Lorsque, par attroupements, clameurs ou démonstrations menaçantes, on aura troublé les opérations d’un collège électoral, porté atteinte à l’exercice du droit électoral ou à la liberté du vote, les coupables seront punis d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 15 000 euros. »

    On comprend bien que si on suit la description des faits il ne saurait être question de « démonstration menaçante » ni « d’attroupement », il restait donc « la clameur ».

    A ce stade j’ai trouvé judicieux de chercher la définition exacte de clameur.

    « Le Larousse » après avoir précisé qu’il s’agissait d’un nom féminin le définit ainsi :

    « Cris violents et tumultueux indiquant, en particulier, une véhémente protestation, un grand enthousiasme, etc. : Les clameurs de la foule. »

    Et donnent pour synonymes :

    « huée – hurlement – tollé – tumulte – vocifération »

    Il ne me semble pas que le comportement du professeur retraité puisse être décrit par cette définition.

    Il tentait au contraire d’instiller de la clarté, là où régnait la confusion.

    La Préfecture de Police ne me semble pas avoir agi avec discernement dans cette affaire, je n’en dirai pas davantage.

    Dans cette 9ème circonscription, la participation a été de 54,80%, donc supérieure à la moyenne nationale

    Malgré ces manœuvres Sandrine ROUSSEAU est arrivée largement en tête avec 42,90% des voix devant le député sortant Buon TAN 26,77%.

    La manœuvre du Mouvement de la ruralité ne semble pas avoir d’effet.

    Quoique ! L’autre Sandrine Rousseau a quand même reçu 1,88% des voix devançant 6 autres candidats.

    Sans aucune notoriété, aurait-elle eu le même résultat sans la confusion dénoncée par M De Haas ?

    <1683>

  • Mercredi 15 juin 2022

    « Représentation du corps électoral français. »
    Ce que vote ou ne vote pas les français

    Un dessin ou un schéma valent mieux qu’un long discours.

    C’est doublement positif : c’est facile à lire et à appréhender et c’est facile à écrire. C’est du gagnant / gagnant comme disent les « winners ».

    Revenons d’abord à la représentation des bulletins exprimés lors du premier tour des législatives.

    Je reprends les mêmes chiffres qu’hier, ceux qui ont été publiés par le journal « Le Monde »


    On voit deux quartiers qui dominent, mais qui si on regarde de près ne représente guère qu’un plus de la moitié du disque. Mais quand on montre les choses ainsi, on omet une grande partie de la réalité.

    Ce décompte doit d’abord être complété des bulletins Blancs. Puis il faut aussi y ajouter les bulletins nuls dont on ne sait jamais si l’électeur pensait voter blanc ou a commis une erreur de votation. Ensuite pour que l’image du corps électoral soit plus conforme à la réalité il faut aussi ajouter les abstentionnistes.

    Et pour enfin disposer d’une vision complète il faut aussi prendre en compte toutes les personnes en âge de voter et qui ne sont pas inscrites sur les listes électorales. J’ai trouvé un article de  « Libération » : <Combien de personnes en âge de voter ne sont pas inscrites sur les listes électorales ?> qui narre cela :

    « Les dernières données mises à jour datent de mai 2021. A ce moment-là, «47,9 millions de personnes sont inscrites sur les listes électorales françaises hors Nouvelle-Calédonie, dont 1,4 million résidant hors de France et inscrites sur une liste consulaire», indique l’Insee dans un focus consacré à ce sujet. Soit 94 % des Français en âge de voter. Au total, seulement 6 % des personnes concernées n’étaient donc pas inscrites sur les listes électorales en mai 2021. Les données devraient être réactualisées à la fin du mois de mars, une fois que la date limite pour l’élection présidentielle sera passée, d’après l’Insee. »

    Donc nous connaissons une estimation, c’est 6 % du corps électoral. Le reste est un simple calcul arithmétique et nous arrivons au tableau et à la représentation de ce que le corps électoral français a vraiment exprimé et non exprimé ce dimanche.


    Dans cette représentation NUPES ou Ensemble représente chacun environ 11,5% du corps électoral. Et cette représentation montre que c’est vraiment peu !

    <1682>

     

  • Mardi 14 juin 2022

    « Que se passerait-il à l’Assemblée Nationale s’il y avait un autre mode de scrutin ?»
    Un exercice intellectuel et spéculatif

    Si vous avez lu le mot du jour d’hier, vous avez pu comprendre que nous utilisons en France un mode de scrutin que peut être tout le monde nous envie (quoique ce n’est pas certain) mais que personne n’utilise (ça c’est un constat).

    Alors je tente aujourd’hui un exercice intellectuel et spéculatif qui consiste à partir des résultats de ce dimanche d’imaginer le résultat en nombre de sièges si nous appliquions un autre mode de scrutin.

    Je veux insister sur le fait que cette démarche est spéculative et n’a aucune vocation à prédire ce qui se passerait si on changeait de mode de scrutin.

    Tant il est vrai que le mode de scrutin induit des organisations et des comportements politiques qui sont très différents les uns des autres.

    Autrement dit, si nous avions un autre mode de scrutin les acteurs politiques auraient un comportement différent.

    S’il fonctionne bien, ce qui n’est plus le cas en France, le scrutin uninominal à deux tours induit une organisation de blocs de Partis, idéalement deux blocs, et une multiplication de Partis. Au premier tour, il y a de nombreux partis qui se présentent dans chaque circonscription. Et puis au second tour, il reste un candidat par bloc, celui qui était le mieux placé au premier tour, tous les autres partis du même bloc se désistant pour lui. Cela fonctionnait très bien quand il y avait un bloc de gauche et un bloc de droite

    Si on reprend le tableau que j’ai présenté hier auquel j’ajoute une colonne pour faire la somme des voix du vainqueur et du second, 9 scrutins sur 16 sont dans ce cas avec deux blocs qui représentent 75% des votants


    En 1981, les deux blocs représentaient 97,23% des Voix.

    Le scrutin uninominal à 1 tour induit l’existence de très peu de Partis, 2 ou 3 avec quelques partis régionalistes. Parce qu’au-delà il n’y a aucune chance d’être élu, puisqu’il faut être premier dès le premier tour. L’organisation par Bloc n’a pas de sens pour ce mode de scrutin. En réalité, dans ce cas les blocs se réunissent tout de suite en Parti. C’est le cas en Grande Bretagne et aux États-Unis.

    Le scrutin par liste à la proportionnelle peut prend plusieurs formes selon la circonscription qui peut être nationale ou infra nationale et selon l’existence d’un seuil en deçà duquel on ne peut avoir d’élu.

    Ainsi en Israël, il n’y a pas de seuil. Cette situation a pour conséquence la création de beaucoup de petits partis, surtout religieux qui en contrepartie d’une ou deux concessions pour satisfaire les fantasmes de leurs électeurs acceptent de se joindre à une coalition pour lui apporter la majorité nécessaire pour appliquer sa politique. Cela peut créer des relations et des coalitions assez toxiques pour l’intérêt général du pays.

    Mais le plus souvent le mode de scrutin est assorti comme en Allemagne d’un seuil, ce qui élimine la tentation des petits partis et favorise les coalitions de quelques Partis sérieux.

    Avec toutes ces précautions, commençons cet exercice intellectuel.

    1/ Si La France votait comme les britanniques ou les américains.

    Nous sommes donc en présence du scrutin uninominal majoritaire à un tour.

    Celui qui arrive en tête gagne l’élection.

    « Le Monde » a publié cette carte accompagnée de la liste des Tendances politiques arrivées en tête au premier tour des législatives.


    Donc en reprenant ces chiffres et en faisant quelques regroupements envisageables, voilà ce que cela donnerait :


    2/ Si la France votait comme les allemands

    Cette fois il s’agit d’un scrutin proportionnel sur une liste nationale avec la nécessité d’un seuil de 5% des voix.

    Il faut savoir que les allemands aux législatives votent deux fois : une fois pour un député et une seconde fois pour la liste d’un Parti.

    Cette manière de faire permet à chaque allemand d’avoir un député dédié.

    Mais la règle fondamentale est bien la proportionnelle intégrale.

    Autrement dit c’est la répartition selon le scrutin par liste qui détermine la répartition des sièges. Les listes présentées par les Partis complètent les députés élus sur leur nom pour arriver à une stricte répartition proportionnelle.

    Reprenons « Le Monde » et les Résultats officiels qu’il a publié :

    Le Monde ne reprend pas les résultats du Ministère de l’intérieur qui donnent un peu d’avance à Ensemble, la coalition macroniste.

    Je ne rentrerais pas dans cette querelle qui consiste à écarter certains candidats de la coalition NUPES.

    Tout ceci n’est que spéculatif et n’a qu’une vocation à donner une idée du fonctionnement d’un mode de scrutin.

    On constate que si on applique le seuil des 5%, Reconquête, le parti de Zemmour n’aurait pas de députés.

    Je pense que cet exemple montre toutes les nuances et limites à apporter à ma démonstration.

    Il est vraisemblable que des électeurs qui se sentaient plus proche de Reconquête que du Rassemblement National, ont pourtant voté pour le second choix en pratiquant un vote utile. Le mode de scrutin français est très exigeant pour arriver au second tour. Pour ne pas risquer qu’il n’y ait pas de candidat d’extrême droite au second tour, ils ont voté pour le candidat de cette tendance ayant le plus de chance d’accéder au tour suivant.

    Il est donc probable que si ce mode de scrutin existait en France, le parti Reconquête aurait atteint les 5%. Mais tenons-nous strictement aux résultats.

    On aboutit alors ce résultat


    3/ Mais la France vote à la manière des Français

    Donc il y aura un second tour.

    5 députés sont déjà élus : 4 NUPES et 1 Ensemble.

    Nous savons qui sera présent au second tour dans chacune des 572 circonscriptions qui restent à pouvoir.

    Des analystes politiques se sont donc risqués à faire des prévisions pour le second tour.

    On trouve cette projection dans « Le Monde »

    A partir de ces éléments, je peux donc tenter une troisième répartition.

    Les analystes proposent des fourchettes.

    Je reste simple, je prends le milieu de la fourchette.

    Et on comprend donc, par le dessin, le système français.

    Les députés macronistes flirtent avec la majorité absolue, ce sera un peu en dessous ou un peu au dessus.

    Certains diront peut-être que les deux premières représentations correspondent à des situations ingouvernables, alors qu’ici gouverner reste possible.

    C’est un argument assez risqué.

    La démocratie est aussi la gestion de la conflictualité.

    Si on insiste sur l’efficacité et la capacité de gouverner, je crains que le régime chinois qui repose sur les décisions d’un petit comité de 7 responsables répond mieux à ce désir

    Dans cet exemple français, nous avons un gouvernement qui a pour opposant 75% des électeurs qui se sont prononcés et dont le pouvoir de prendre des décisions et très peu limité.

    Tout ceci reste une spéculation intellectuelle.

    Et le mode de scrutin qui est un vrai problème en France n’est pas le seul problème de notre démocratie.

    L’hyper présidentialisation en est une autre.

    Et puis, et peut être surtout les contraintes des interdépendances, la mondialisation, la financiarisation de la Société laissent peu de marge de manœuvre au Politique, surtout à l’échelle d’un petit pays comme la France…

    <1681>

     

  • Lundi 13 juin 2022

    « Les 16 élections législatives de la Vème République. »
    Un regard historique sur un scrutin qui se délite

    Nous avons donc vécu, ce dimanche, le premier tour de l’élection première, c’est à dire celle des députés à l’Assemblée Nationale, siège du pouvoir de faire la Loi.

    C’était la 16ème élection de ce type pour la Vème République

    Les français ne savaient pas qu’il s’agissait du moment le plus important de notre vie démocratique.

    Ils ne se sont jamais autant abstenus.

    Voici l’évolution de la participation au cours de ces 16 élections.

    Je voudrais aborder un second sujet dans ce mot du jour écrit un soir d’élection.

    Et pour introduire ce point je commence par l’élection de 1958.

    Les élections législatives françaises de 1958 ont lieu les 23 et 30 novembre 1958. Il s’agit des premières élections de la Cinquième République.

    La constitution de la cinquième république vient d’être approuvée par le référendum du 28 septembre 1958.

    À l’issue du scrutin, 579 parlementaires ont été élus. La majorité de l’assemblée est conforme à la majorité présidentielle.

    Cette dernière a obtenu 43 % des voix au premier tour et 402 députés.

    Le second de cette élection est le Parti Communiste dirigé par Maurice Thorez qui obtient au premier tour 18,90 % des voix et 10 députés.

    Nous voyons là, dès la première élection l’effet totalement déformant du scrutin uninominal à deux tours.

    Pour élire un député dans une circonscription, il faut au premier tour qu’il puisse rassembler 50% des votants +1. Sinon il y a un second tour qui rassemble au moins les deux premiers et d’autres candidats s’ils ont obtenu au moins un seuil de voix qui a évolué. Aujourd’hui il faut au minimum avoir obtenu 12,5% des inscrits. Ce qui signifie qu’en présence de 50% d’abstention, le candidat doit obtenir 25% des votants.

    Les défenseurs de ce mode de scrutin expliquent qu’il permet de favoriser les candidats ou Partis capables de rassembler au second tour des électeurs qui n’avaient pas voté pour eux au premier tour.

    En 1958, le Parti Communiste avait un socle électoral de citoyens convaincus mais au second tour il avait du mal à trouver des électeurs non communistes acceptant de voter pour eux.

    En chiffre cela donne les résultats suivants :


    Vous comprenez que la majorité gaulliste est passé de 43,10% des votants à 69,43 % des députés. Le mode de scrutin a « optimisé » son résultat par 1,6

    En comparaison le Parti communiste a divisé son résultat par 10.

    Si on veut s’intéresser à deux autres Partis de cette élection :

    L’autre Parti de Gauche était à l’époque le SFIO de Guy Mollet qui s’intégrera en 1971 dans le PS de Mitterrand. Il obtient 17,20% des voix au premier tour et 40 députés soit 6,91% de la chambre, l’effet multiplicateur est de 0,40, C’est mieux que le PCF mais cela correspond à un résultat divisé par 2,5.

    Et le grand parti du centre le MRP qui avait dominé la IVème république et dont le chef était le maire de Strasbourg, Pierre Pflimlin qui était surtout l’avant dernier premier ministre de la IVème république (le dernier étant De Gaulle qui fera passer le régime à la Vème République)

    Le MRP avait obtenu 9,10% des voix au premier tour, donc à peu près la moitié de la SFIO mais avec presque autant de députés 35, soit 6,04%. Il ne dispose donc pas d’une optimisation comme la majorité présidentielle, mais sa moins-value est moindre que celle des deux partis de gauche : 0,66 = 9,10/6,04

    Le mode de scrutin qui donne un tel effet est-il utilisé ailleurs ?

    Si on observe les principaux pays qui nous sont comparables :

    • La Grande Bretagne pratique le scrutin uninominal à un tour : Le candidat arrive en tête au premier, quel que soit son score, est élu. Le type de déformation qui existe entre la répartition en voix et la répartition en sièges dans le scrutin uninominal à deux tours ne se retrouve évidemment pas dans ce type de scrutin.
    • Les autres Pays de l’Union européenne utilise tous, le scrutin de liste avec élections à la proportionnelle. Ce mode de scrutin selon les modalités d’application (par exemple souvent les listes obtenant moins de 5% n’ont pas d’élus) ont un effet multiplicateur proche de un : la chambre des députés ressemble à la répartition des voix.

    J’ai fait des recherches, je n’ai pas trouvé une démocratie sérieuse qui pratique ce mode de scrutin à l’exception peut-être de la Louisiane qui est le seul État des USA qui pratique le scrutin uninominal majoritaire à deux tours, tous les autres États suivent l’exemple britannique du scrutin uninominal majoritaire à un tour.

    Je pose une question : La France a-t-elle raison contre le monde entier ou conserve t’elle une singularité incongrue ?

    J’ai appliqué la même grille d’analyse à l’ensemble des 16 scrutins :


    On constate qu’en moyenne quand la droite gagne elle bénéficie d’un effet multiplicateur, plus important que celle de la gauche.

    L’extrême centre a réalisé en 2017 un hold-up avec un effet multiplicateur de 1,88 avec le plus petit pourcentage de voix de tous les scrutins : 32,32%.

    Hier, c’est encore pire avec un peu plus de 25% des voix : ¼ des voix. Pour arriver à la majorité absolue des députés de la Chambre, il faudrait un effet multiplicateur de 2 !

    Mais ce n’est pas mieux pour NUPES qui se réjouit d’être devant la majorité présidentielle, mais qui prétend vouloir la majorité absolue avec même pas 26% des voix.

    Nos élections ne correspondent plus qu’à un vague processus de désignation de députés visant à donner, à n’importe quel prix, une majorité à un parti.

    Tout cela pose un problème énorme à la démocratie représentative française.

    Il n’est pas possible de continuer ainsi : 4 tours de scrutin pour un tel résultat, une telle déformation du corps électoral !

    Ce n’est pas ainsi qu’on peut gouverner un pays de manière apaisée et le réformer.

    <1680>

     

  • Vendredi 10 juin 2022

    « On reconnaît le bonheur au bruit qu’il fait quand il s’en va. »
    Jacques Prévert

    Le Magazine « Le Un Hebdo » que j’ai plusieurs fois sollicité pour écrire des mots du jour fête son 400ème numéro. Et cela fait huit ans qu’il existe.

    Pour ce numéro anniversaire il a choisi comme sujet une question : « Existe-t’il un bonheur français ?».

    C’est, en effet, une question qui se pose, tant les enquêtes d’opinion renvoie l’image de français « fâchés » avec le bonheur, surtout le bonheur collectif.

    Eric Fottorino dans son billet <nos « 400 » coups> introduit le sujet ainsi :

    « Entre la guerre en Ukraine, les désenchantements de la politique et les questionnements qui ne manquent pas sur l’avenir de nos sociétés, il peut paraître surprenant, voire provocateur, de s’intéresser au bonheur, et en particulier au bonheur dans notre pays. D’autant que le paradoxe régulièrement observé par les sondages ad hoc depuis le milieu des années 1970 montre que si les Français sont plutôt heureux, ils sont moins enclins à le dire que la plupart de leurs voisins. Et semblent toujours vouloir opposer un certain bonheur individuel, qui existe, à un malheur collectif, sans doute exprimé comme un signe de lucidité ou de propension à se rebeller contre un ordre – ou un désordre – qui viendrait d’en haut. Dans ce contexte, il nous a paru fructueux d’interroger cette notion du bonheur « ici et maintenant » pour mesurer combien cette quête, loin d’être dominante au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, s’est imposée au fil du temps comme une norme, une injonction à être heureux, pour ne pas dire une conversion quasi religieuse dans une société abandonnée par toute idée de transcendance. »

    Et il finit son propos par cette phrase de Jacques Prévert que j’ai mis en exergue : « On reconnaît le bonheur au bruit qu’il fait quand il s’en va. »

    Cette phrase qui sonne comme un avertissement ou un conseil : Soyez présent au bonheur que vous vivez, car s’il venait à s’interrompre vous vous rendrez compte de la violence de son absence.

    L’écrivain Philippe Delerm, le père du chanteur Vincent Delerm, dans son article <Ce n’est pas drôle d’être heureux> tente des variations avec les mots qui tournent autour du bonheur : « Plaisir, allégresse, harmonie, joie etc… » mais il revient au mot central :

    « Bonheur est plus qu’un mot. Il est tout le soleil et toute l’ombre. On peut espérer le bonheur ou en garder la blessure et la nostalgie. Mais dire « je suis heureux », le nommer au présent est un risque majeur. Je continue à penser : « Le bonheur c’est d’avoir quelqu’un à perdre. » J’ai cette chance infinie d’avoir quelqu’un à perdre, quelques-uns à perdre. Mais Camus avait raison : « Il n’y a rien de plus tragique que la vie d’un homme heureux. »

    Pourtant, il y a aujourd’hui une injonction à être heureux, il existe même des coachs autoproclamés en bonheur : <coachs du bonheur >.

    Cet impératif se décline jusque dans les entreprises. On parle par exemple de <coach bien être entreprise>

    Cela a conduit Eva Illlouz à écrire un livre dénonciation : <Happycratie – Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies >

    Le Un a convoqué un historien Rémy Pawin, pour un grand entretien
    qui essaie de revenir sur l’histoire de ce sentiment : <« Le bonheur est devenu une norme religieuse »>

    Rémy Pawin est un historien né en 1982 qui enseigne à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et qui a écrit « L’Histoire du bonheur en France depuis 1945 »

    L’historien fait remonter la quête du bonheur au temps des lumières :

    « Les Lumières parlent du bonheur. Une thèse de Robert Mauzi l’analyse dans les années 1960, à travers les écrits de Rousseau et d’autres intellectuels aujourd’hui oubliés.»

    Et il cite aussi la déclaration de Saint-Just, en 1794, selon laquelle « le bonheur est une idée neuve en Europe ».

    Selon lui le XIXème siècle ne poursuit pas dans cette recherche

    « Au XIXe siècle […] Le bonheur devient même négatif et suspect, égoïste. Nul ne peut dire à titre personnel qu’il cherche à être heureux. On retrouve chez les moralistes et les écrivains de cette époque des propos acerbes. Le bonheur nous rendrait faibles. « Le bonheur est comme la vérole », écrit Flaubert. « La bêtise, c’est l’aptitude au bonheur », dira plus tard Anatole France. […] C’est une valeur de seconde zone, […] qu’on réserve éventuellement aux femmes »

    La religion et la politique ne font pas commerce du bonheur :

    « La morale religieuse ne propose pas de recette du bonheur ici-bas. On sera heureux au paradis, si on a respecté dans sa vie terrestre les préceptes de l’Église. Quant à la morale républicaine, elle n’accorde pas non plus une grande place au bonheur. […] Elle vante la force, la puissance, le devoir. Si de grands hommes vont au Panthéon, c’est qu’ils ont sacrifié leur bonheur pour la patrie. »

    Et contrairement à ce que l’on croit, le bonheur ne commence pas en 1945 avec le programme du CNR, intitulé « Les Jours heureux » :

    « On est alors dans des jours malheureux et on pense aux jours à venir. C’est le bonheur différé, renvoyé à demain, quand on aura battu les Allemands. […] Pour le PCF, qui est alors le premier parti de France, le bonheur est une morale bourgeoise et même petite-bourgeoise, emplie d’égoïsme. Les communistes, pour susciter l’engagement, ont besoin de labourer la terre de la souffrance. À ce moment, les récits heureux n’existent pas. Leur structure narrative est celle du malheur dont on va se défaire progressivement, comme dans les contes, pour vivre heureux et avoir beaucoup d’enfants à la fin… »

    Selon Rémy Pawin le bonheur tend à devenir une norme dans les années 1960 :

    « Au sein de la gauche alternative, certains vont revendiquer un bonheur plus immédiat. C’est aussi le cas de mouvements de jeunes, les Yéyé et la culture Salut les copains, qui construisent un bonheur individuel et consumériste. »

    Il s’agit d’un bonheur individuel qui repose beaucoup sur la consommation :

    « Des acteurs sociaux proposent plutôt un bonheur individuel fait de consommation »

    Et il cite Edgar Morin : « Le bonheur est une religion de l’individu moderne. »

    « C’est une croyance commune qui donne du sens à la vie. Une des causes de ce sacre, c’est que le bonheur est une transcendance dans l’immanence. Il est immanent, donc il est là et pas au-dessus de nous, mais il nous dépasse. On va le rechercher, donc il nous transcende. C’est une sorte de norme religieuse. C’est pourquoi il est devenu une injonction. Il faut être heureux. Sinon on a raté la direction cardinale qu’on nous assigne. On subit une double peine : non seulement on n’est pas heureux, mais on est coupable de ne pas l’être. »

    Selon lui la période se referme en 1975, « avec des blocages politiques, le chômage de masse, la vague de désenchantement à l’égard de l’idéal communiste. La société de consommation montre aussi ses limites et la question sociale dans les banlieues commence à se faire jour. On assiste alors à une baisse des courbes du bonheur subjectif »

    Et Rémy Pawin conclut sur la recherche du bonheur par les Français d’aujourd’hui  :

    « Les ingrédients du bonheur n’ont pas fondamentalement changé. Les gens cherchent des liens avec les autres, des liens amoureux, conjugaux, amicaux. De l’argent pour faire ce qu’ils veulent. Un travail qui leur plaît. Une difficulté à se dire heureux vient de l’influence des grands récits peu optimistes. L’extrême droite propose un récit craintif et haineux. La sobriété ne fait pas rêver. Le récit de la mondialisation heureuse n’est plus crédible. Il est difficile de croire à un récit joyeux qui nous accroche. »

    Dans ces jours bien sombres de guerre, de crise alimentaire et de tous les défis écologiques qui font l’objet de tant de débats et de si peu d’actions, il est salutaire que Le Un nous invite à réfléchir, pour son 400ème numéro, au bonheur.

    Le bonheur qui n’est pas dans la consommation nous en sommes conscients intellectuellement et espérons-le dans les actes.

    Surtout quand l’acte de consommation est basé sur le l’inhumanité comme tous ces produits envoyés de Chine et qui sont les fruits de l’esclavage des ouïghours par le pouvoir chinois. Terrible réalité que la dessinatrice Coco a synthétisé par un dessin dans Libération.

    Le 13ème mot du jour de cette liste qui en compte désormais plus de 1600 citait Michel Rocard :

    « Dans les cinq plus beaux moments d’une vie, il y a un (ou des) coup(s) de foudre amoureux, la naissance d’un enfant, une belle performance artistique ou professionnelle, un exploit sportif, un voyage magnifique, enfin n’importe quoi, mais jamais une satisfaction liée à l’argent. »

    Probablement que le bonheur est surtout lié à notre capacité d’accéder à nos richesses intérieures, de les faire affleurer la surface et aux liens que nous avons su créer, approfondir et partager.

    Liens qu’Alain Damasio a magnifiés par <ces mots> de l’indicible :

    « Une puissance de vie !
    C’est le volume de liens, de relations qu’un être est capable de tisser et d’entrelacer sans se porter atteinte.
    Ou encore c’est la gamme chromatique des affects dont nous sommes capables
    Vivre revient alors à accroitre notre capacité à être affecté.
    Donc notre spectre ou notre amplitude à être touché, changé, ému.
    Contracter une sensation, contempler, habiter un instant ou un lieu.
    Ce sont des liens élus. »

    <1679>

  • Jeudi 9 juin 2022

    « Pourquoi Le Monde, Libération, l’Obs n’ont pas parlé de l’assassinat d’Alban Gervaise ? »
    Je n’ai pas la réponse à cette question délicate

    Alban Gervaise était âgé d’une quarantaine d’années. Il était radiologue, médecin chef à l’hôpital militaire Lavéran de Marseille.

    Il était marié et père de trois enfants.

    Le 10 mai il est allé chercher deux de ses enfants de 3 et 7 ans, scolarisés en maternelle et en CP dans une institution catholique de Marseille.

    Un homme a surgi par-derrière et lui a asséné plusieurs coups de couteau. L’agresseur a été maîtrisé et désarmé par quatre passants.

    Lors de son arrestation il a affirmé à la police avoir attaqué au nom de Dieu. Selon des témoins, l’homme aurait crié des allégations religieuses pendant l’agression.

    Alban Gervaise est décédé dans la nuit du 27 mai de la suite de ses blessures.

    L’homme qui a été arrêté est de nationalité française, il a 24 ans et se prénomme Mohamed.

    J’ai appris cela sur Facebook, Céline Pina a publié cette information accompagnée d’un long commentaire.

    Céline Pina est proche du Printemps républicain, ce mouvement politique de gauche créé en 2016 notamment par Laurent Bouvet a pour ambition de défendre les valeurs de laïcité et d’universalisme contre des dérives communautaristes et notamment l’islamisme politique pour lequel il dénonce la complicité qu’auraient certains mouvements et partis de gauche. Les premiers traitent les seconds d’islamo-gauchistes qui en retour les accusent d’islamophobes.

    Pour celles et ceux qui ont un compte Facebook, vous pouvez aller voir la publication que Céline Pina a rédigé sur Facebook, pour les autres vous pouvez lire le contenu de cette publication <ICI>.

    Ce qui m’a interpellé c’est le fait que je n’ai pas entendu parler de ce fait divers et que Celine Pina affirme que les grands médias n’ont rien dit sur cette affaire qui date de presque un mois.

    Abonné au Monde, à Libération et à l’Obs, j’ai utilisé hier le moteur de recherche de chacun de ces médias pour vérifier s’ils ont publié un article, un petit entrefilet sur ce sujet.

    Force est de constater que la réponse est négative !

    Vous trouverez dans cet article la preuve en image.

    J’ai fait des recherches et j’ai trouvé des informations sur des sites d’extrême droite.

    Parmi les grands journaux nationaux, j’ai trouvé le « Figaro » qui a publié dès le 10 mai l’information :

    < Marseille : un père de famille attaqué au couteau à proximité d’une école catholique>

    J’en cite des extraits :

    « Un père de famille âgé de 40 ans a été poignardé une dizaine de fois au niveau de la gorge, mardi 10 mai aux alentours de 18h, dans le 13e arrondissement de Marseille, a appris Le Figaro de sources concordantes. »

    Celine Pina fait remarquer qu’il y a un mot français pour signifier « poignardé au niveau de la gorge » et ce mot est égorgé !

    « Appelés sur les lieux, les secours ont entrepris un massage cardiaque. Grièvement blessée, la victime a été transportée à l’hôpital Nord avec un pronostic vital très engagé. Il est actuellement en réanimation intensive. « Une enquête pour tentative d’homicide volontaire est ouverte et confiée à la Sûreté Départementale», indique le parquet de Marseille au Figaro.

    Les faits ont eu lieu à proximité du groupe scolaire catholique Sévigné, chemin du Merlan à la Rose. La victime, médecin militaire radiologue à l’hôpital Laveran, a été attaquée pour une raison encore inconnue alors qu’il était sur le point de reprendre sa voiture stationnée à une cinquantaine de mètres de l’école. Il était accompagné de ses deux enfants de 3 et 7 ans, scolarisés en maternelle et en CP dans l’école catholique, qu’il venait de récupérer. Assis sur un banc à proximité, l’agresseur a surgi par derrière avant de s’acharner sur sa victime, lui assénant plusieurs coups de couteau dans le thorax.

    Maîtrisé et désarmé par quatre passants, l’agresseur a été interpellé par les policiers avec un couteau suisse en sa possession. Il s’agit de Mohamed L., 23 ans, né à Brignoles (Var). L’individu est connu des services de police mais pas du renseignement territorial. Selon plusieurs témoins, le suspect aurait crié des allégations religieuses lors de l’attaque, déclarant notamment « avoir agi au nom de Dieu ». Placé en garde à vue, l’homme a tenu des «propos délirants» évoquant «Dieu» et «le diable». Les policiers n’ont pas pu mesurer son alcoolémie en raison de son état « très agité ».

    Les motivations du mis en cause restent floues

    Les éléments recueillis ne permettent pas à ce stade d’établir les motivations du mis en cause, a indiqué le parquet de Marseille au Figaro mercredi 11 mai. La veille, une source policière indiquait à l’AFP que l’hypothèse terroriste avait été définitivement écartée par les enquêteurs et que l’agresseur souffrait de troubles psychologiques. »

    Le FIGARO a publié un nouvel article à la mort de Monsieur GERVAISE : <le père de famille attaqué au couteau devant l’école de ses enfants est décédé> et le 1er juin un billet d’analyse de l’essayiste, biographe et haut fonctionnaire, Maxime Tandonnet  «L’affaire Alban Gervaise révèle la banalisation de la barbarie quotidienne»

    Je n’ai pas trouvé un autre grand journal national ayant parlé de ce drame.

    Il y a eu quelques journaux régionaux comme le <Républicain Lorrain> parce qu’il avait effectué une partie de sa carrière de médecin militaire en Lorraine.

    Il y a aussi <Sud Ouest.fr> et des journaux marseillais.

    Pour le reste, le silence.

    Les médias auquel pour ma part je m’informe généralement, n’ont pas jugé utile de dire ce fait.

    Ils ont laissé toute la place aux sites d’extrême droite pour en parler largement.

    Et pour ma part de me plonger dans un abîme de perplexité.

    Est-ce protéger la communauté musulmane, toutes celles et ceux qui veulent vivre paisiblement leur foi en France en évitant de révéler qu’une nouvelle fois, un homme se réclamant de la religion musulmane a tué un autre homme en prétendant le faire au nom de sa religion ?

    Cet homme est peut-être fou, mais pour autant ne faut-il pas en parler ?

    Ne peut-on pas s’interroger pourquoi des déséquilibrés veulent invoquer le Dieu de l’Islam pour tuer ?

    Chaque jour nous recevons des flots d’information plus ou moins pertinent. L’égorgement d »un père de famille devant ses deux enfants à proximité d’une école catholique marseillaise n’est-elle pas une information qui mérite d’être connue nationalement ?

    Grâce au Républicain Lorrain, nous disposons d’une photo de Alban Gervaise.

    <1678>

  • Mercredi 8 juin 2022

    « Si on considère que l’objet d’une élection est d’attribuer le pouvoir, alors les élections législatives sont les plus importantes. »
    Gilles Finchelstein

    J’ai, à plusieurs reprises, accablé Lionel Jospin d’avoir par la combinaison de la réforme du quinquennat et de l’inversion du calendrier électoral, abaissé les élections législatives et en avoir fait une simple annexe de l’élection présidentielle.

    Il a considéré que l’élection présidentielle était majeure et l’élection législative seconde.

    Plus précisément il a dit en parlant de l’élection présidentielle :

    « On ne peut pas faire de cette élection majeure l’élection seconde. »

    Si vous voulez lire l’ensemble de son argumentaire pour justifier cette mesure : < déclaration du 19 décembre 2000. >

    Certains évoquent l’idée que Jospin était persuadé de gagner l’élection présidentielle contre Chirac et avait davantage de craintes d’obtenir une majorité législative. Dans cette hypothèse, il avait parfaitement prévu ce qui allait se passer : une élection législative au rabais qui confirme et amplifie le résultat des présidentielles.

    Je ne sais pas si cette hypothèse est fondée mais force est de constater que la responsabilité de nous avoir mis dans cette situation lui incombe.

    Ce fut une erreur.

    Comme je le rappelais dans <le mot du jour du 31 mai> nos institutions restent avant tout parlementaires.

    Et si on revient aux principes ce qui est premier c’est le pouvoir de faire la Loi : le pouvoir législatif.

    Le pouvoir secondaire est celui qui exécute, l’exécutant des Lois, c’est-à-dire le pouvoir exécutif.

    Et puis, de manière plus pratique, en cas de divergence entre le Président de la République et l’Assemblée Nationale c’est cette dernière qui a le dessus. Sauf si le Président use de son pouvoir exorbitant de dissoudre l’Assemblée Nationale. Mais dans ce cas il n’est jamais certain que les citoyens français lui envoient une majorité à sa convenance.

    C’est cette primauté du législatif que Gilles Finchelstein, Directeur de la fondation Jean Jaurès, a exprimé sur l’antenne de France Inter dans l’émission <Face à Face du samedi 4 juin 2022> :

    « Ce qui est fascinant, c’est que si on considère que l’objet d’une élection est d’attribuer le pouvoir, alors les élections législatives sont les plus importantes. Parce que l’essentiel du pouvoir dépend de l’élection législative. La meilleure preuve a contrario, c’est que en 1986, en 1993 et en 1997, lorsqu’il y a eu une discordance entre la majorité législative et la majorité présidentielle, le pouvoir était transféré du président de la république au premier Ministre.

    Donc ce sont les élections premières et pourtant elles sont devenues de plus en plus des élections secondes. Elles le sont dans le calendrier […] elles viennent dans la foulée des présidentielles. Elles le sont dans la participation par une chute de la participation entre les présidentielles et les législatives. […] Et elles le sont dans l’intensité, la campagne, quelle campagne ? »

    Oui quelle campagne !

    L’émission a fait entendre l’avis de Brice Teinturier, politologue, directeur général d’IPSOS :

    « On a du mal à qualifier cette campagne, puisque qu’en réalité il n’y a pas vraiment de campagne qui se soit construite sous nos yeux. Ce n’est même pas que les français n’écoutent pas ou n’entendent pas ; C’est que véritablement nous en sommes à un moment où c’est un non objet. »

    Et nous sommes désormais à quelques jours du premier tour.

    Hubert Vedrine a aussi exprimé son désarroi devant cette situation la trouvant « malsaine ». Il a notamment suggéré l’idée d’organiser de manière concomitante les deux élections. Ainsi le fait de les réunir, lors de deux même tours, aurait pour conséquence mécaniquement d’augmenter la participation aux législatives. Et aussi paradoxalement les réunir serait les rendre indépendants l’une de l’autre.

    Il a exprimé cela lors de l’émission <L’Esprit public du 5 juin 2022>

    <1677>

  • Mardi 7 juin 2022

    « L’extrême centre est un extrémisme »
    Alain Deneault

    Avant le second tour de la présidentielle, Emmanuel Macron a accepté un entretien de 47 minutes avec Guillaume Erner sur France Culture. <Emmanuel Macron, grand entretien sur la culture et les idées>. Dialogue de haute tenue, notre Président est un homme intelligent, cultivé, intéressant à écouter.

    Parallèlement, Marine Le Pen ne s’est pas présentée à l’entretien qui lui a été proposé par équité démocratique. Elle a envoyé un de ses soutiens : Hervé Juvin. Probablement qu’elle a pensé qu’il n’y avait pas beaucoup de ses électeurs qui écoutaient France Culture, peut être aussi qu’elle craignait que la comparaison avec Emmanuel Macron lui serait encore plus défavorable que le débat télévisé…

    Lors de cet entretien Emmanuel Macron s’est défini comme appartenant à « l’extrême Centre » :

    « « Les trois quarts des électeurs qui se sont exprimés pour trois projets. Un projet d’extrême droite (…) Un projet d’extrême gauche. (…) Et ce que je qualifierai comme un projet d’extrême centre, si on veut qualifier le mien, dans le champ central. Je trouve qu’il faut collectivement réfléchir, intellectuels d’un côté et responsables politiques de l’autre, à reconsidérer notre démocratie par rapport à cette relation à la radicalité, ce que j’appelle cette volonté de pureté. Parce qu’à la fin, on vit tous ensemble. (…) Ça suppose des compromis. La question, c’est comment on arrive à créer de l’adhésion, du respect, de la considération entre des citoyens qui peuvent penser très différemment, en leur montrant que ce n’est pas une trahison de leurs convictions profondes, mais que ce sont d’indispensables compromis qu’on trouve pour vivre en société. »

    Certains évoquent le milieu de l’omelette et d’autres dont Emmanuel Macron l’« extrême centre. ».

    L’origine de ce concept est disputée.

    <Le Figaro> attribue l’invention de ce concept à son chroniqueur Alain-Gérard Slama qui l’aurait forgée en 1980 :

    «  La formule, évidemment critique, d’extrême centre s’est imposée à moi en 1980, dans un essai, «Les Chasseurs d’absolu. Genèse de la gauche et de la droite» (Grasset), dont le but était de démontrer que l’opposition droite-gauche, loin de fausser le jeu démocratique, confronte deux visions du monde, articulées certes selon des modalités très variables, mais relativement stables, et correspondant, pour l’essentiel, à deux tempéraments. En recourant à cette notion d’extrême centre, je visais, pour reprendre mes termes d’alors, « les maîtres de certitude qui agitent les clés de la Raison et de la Morale. » pour monopoliser le pouvoir au détriment du jeu normal de la démocratie, qui suppose conflit, pluralisme et alternance. »

    <Wikipedia> prétend que ce concept fut défini, par l’historien Pierre Serna en 2005 pour caractériser le mode de gouvernement en France du Consulat à la Restauration.

    Il me semble intéressant de reprendre ce que cet article raconte des travaux de cet historien sur cette période qui suit le moment le plus conflictuel de la révolution française qui avait inventé l’opposition gauche/droite :

    « Ce régime d’extrême centre se développe en vue de sortir d’une crise politique et sociale. Il avance globalement une politique modérantiste dans les déclarations mais orientée dans les faits par des principes de libéralisme économique, et surtout conduite par un exécutif à tendance autoritaire.

    […] Il cherche à discréditer l’autre conception plus conflictuelle de la démocratie, issue de la Révolution française, dans laquelle le gouvernement repose sur l’existence d’une balance entre une droite et une gauche au sein d’un cadre parlementaire. Il s’agit d’opposer à l’alternative droite-gauche une rationalité technocratique et dépolitisée qui rassemble les acteurs les plus proches entre eux dans ces oppositions pour en rejeter aux extrêmes, donc réduire à l’impuissance, les acteurs les plus radicaux.

    Les acteurs élitaires de ce rassemblement centriste sont issus principalement des institutions d’État dont ils bénéficient et des catégories socio-professionnelles supérieures qui les entourent, institutions qu’ils font tourner à l’avantage des possédants du moment.

    Le concept, par le choix du terme « extrême », est ainsi inscrit dans une représentation tripolaire qui remplace la bipolarité classique gauche sociale – droite gestionnaire : gauche, centre et droite cessent de s’inscrire dans une linéarité axiale à deux extrémités et connaissant des demi-couleurs entre des couleurs plus prononcées. Les extrêmes viennent à se voir comme trois pôles d’attraction qui aspirent la matière politique dans un sens radical propre à chacun d’eux, ce qui est l’objet de dénonciations mutuelles, et en particulier par l’extrême centre. »

    Dans cette vision, l’extrême centre macronien vient de loin.

    Wikipedia nous apprend que ce concept de l’extrême centre a été ensuite repris par le politologue anglais Tariq Ali en 2015 et puis par le Québécois Alain Deneault en 2016.

    <Alain Deneault> né en 1970, est un philosophe québécois. Il a écrit des essais appelés « Gouvernance » et « La Médiocratie » avant de réfléchir sur la politique de l’extrême centre. Telerama avait publié un article en 2016 < Alain Deneault fustige la Politique de l’extrême centre>. Je cite un extrait de cet article :

    « Il parle de « révolution anesthésiante ». Celle qui remplace la politique par la « gouvernance » et réduit la démocratie au management. Celle qui nous invite à nous situer toujours au centre, à penser mou, à mettre notre esprit critique dans notre poche et à « jouer le jeu » du système libéral dominé par la logique de l’entreprise privée. »

    Mais le cœur de ce mot du jour est consacré à l’article qu’il a publié sur le site « AOC » le 11 mai 2022 : « L’extrême centre est un extrémisme»

    Ainsi parle Alain Deneault :

    « L’idéologie d’extrême centre, dans laquelle nous nous enlisons, est extrémiste.
    Son programme est écocide du point de vue industriel, inique du point de vue social et impérialiste du point de vue managérial.
    Le projet de l’extrême centre : garantir la croissance des entreprises et l’augmentation des dividendes versés à leurs actionnaires ; leur assurer l’accès aux paradis judiciaires et fiscaux ; réduire l’écologie politique à un marketing du verdissement ; étouffer tout discours social de l’État et minimiser les dépenses publiques dans les secteurs sociaux et culturels.
    Donc, favoriser l’essor de souverainetés privées au service desquelles se place l’État. Faire oublier la mission sociale de l’État devient primordial, et ce, même dans le contexte d’une crise de santé publique ; un acte de « guerre » est alors proclamé plutôt qu’une responsabilité sociale et collective. »

    Je pense qu’Alain Deneault va un peu loin lorsqu’il écrit que cette politique tend à « étouffer tout discours social de l’État ». L’État social existe toujours, mais le discours de la gouvernance, du libéralisme conduit à essayer de le contraindre toujours davantage et de l’éloigner du champ politique, en essayant de convaincre que les décisions sont rationnelles et éloignées de toute idéologie.

    Et ce dernier point est un mensonge. Toute décision politique constitue un choix qui avantage certains et désavantage d’autres. Alain Deneault esquisse qui sont les bénéficiaires de cette politique qui est parfaitement idéologique et se base sur un récit et des croyances.

    En pleine crise COVID, Macron a bien eu un discours sur l’état social, sur les chaînes de valeur, sur la rémunération des personnes qui sont vraiment importantes pour notre société, pour préserver la vie et l’essentiel.

    La crise passée, ce sont toujours les financiers, les traders, les spéculateurs, les optimisateurs fiscaux qui tirent toute la richesse vers eux.

    Une fois que l’extrême centre parvient à vous convaincre que ses choix sont uniquement dictés par la raison, la connaissance des mécanismes il franchit une autre étape : tous les autres avis deviennent illégitimes et extrémistes :

    « L’extrême centre est extrême également dans la mesure où, d’un point de vue moral, il se montre intolérant à tout ce qui n’est pas lui. Loin de se situer lui-même quelque part sur l’axe gauche-droite, il supprime carrément l’axe pour ne plus faire exister, au titre de discours légitime, que le sien. Tout au plus relègue-t-il dans tous « extrêmes » les propositions, abusivement assimilées entre elles, qui ne coïncident pas avec son programme.

    La visée de l’extrême centre – une politique qui a la médiocratie pour modalité et la gouvernance pour discours théorique – est de naturaliser le principe ultralibéral et darwiniste social qui préside aujourd’hui, et de l’assimiler à un simple art de gérer. Et de le faire de manière tellement imposante qu’on n’arrive même plus à le nommer, à le mettre en doute, à le jauger. […]

    L’extrême « centre » se présente en s’autoproclamant au juste milieu de toute chose, mais il n’a rien de centriste. Dans d’inouïs efforts de relations publiques, le « centre » dont il se réclame est alors synonyme de pondération : c’est un concept publicitaire.

    Des journaux détenus par les milieux d’affaires qui le commanditent, et dont il provient lui-même, s’assurent de distribuer les bons points « centriste » à tous ceux qui colportent un programme pourtant radical : ceux-là qui défendent la maximisation des profits au détriment de l’équité sociale et d’un rapport intelligent au vivant sont alors dits péremptoirement rationnels, raisonnables, responsables, pondérés, sensés, voire normaux.

    A contrario, tout acteur public ou citoyen qui s’opposera à cette vulgate risquera les attributions inverses : irresponsable, déraisonnable, paranoïaque, rêveur, dangereux, voire fou. Des éditocrates à la petite semaine estampilleront ces qualifications sur les visages des uns et des autres de sorte qu’elles passent pour des faits eux-mêmes.

    C’est précisément de cette façon prévisible qu’Emmanuel Macron s’est présenté explicitement comme d’«extrême centre » sur les ondes de la radio publique, quelques jours avant le second tour de la présidentielle, un être d’équilibre entre des forces débridées. »

    Et il finit par cette exécution d’un mirage :

    « En cela, le parti La République en marche se présente lui-même telle une entreprise : ses députés sont traités en salariés, son rapport à la politique est soumis à la seule plasticité du marketing. Et comme dans bien des opérations propagandistes du genre, c’est d’abord l’absence de scrupule qui sidère.

    Ce n’est plus un fabriquant automobile qui s’arroge le nom de Picasso pour nommer un véhicule ou une entreprise de l’agro-industrie qui laisse tomber sa fraise dans un bol de céréales au son des cymbales d’une prestigieuse symphonie, mais un marchand de rêve électoral qui reprend à son compte le signifiant révolution, le slogan anticapitaliste « Nos vies valent mieux que leur profit » ou le nom du programme adverse « L’avenir en commun ». […]

    Évidemment, cela ne l’empêche pas de confier les politiques publiques et la gestion des institutions de la République à des firmes de conseil multinationales, de réduire explicitement à « rien » ceux qui, dans les gares, déambulent en suivant leur destin sans avoir réussi comme lui, de nier le statut de citoyen à ceux qui doutent de l’innocuité d’un vaccin, puis de nommer comme ministre de l’Intérieur celui qui présentera Marine Le Pen comme étant « trop molle » dans l’expression de son islamophobie, un Garde des Sceaux qui instrumentalisera l’institution judiciaire pour régler ses comptes avec les magistrats face auxquels il plaidait antérieurement, un assistant à l’Élysée qui cassera du militant pacifiste le soir, tout en faisant du saccage écologique l’objet d’un nouveau marché pour que nous en relèvent les grandes entreprises l’ayant provoqué. »

    Comme toujours ces développements ne constituent pas « la vérité » mais une utile réflexion pour permettre de se poser des questions.

    Car il se passe en ce moment quand même de curieuses choses dans notre démocratie.

    Il n’y a pratiquement pas eu de campagne présidentielle.

    Le candidat qui a été élu, l’a été parce que les électeurs l’ont moins rejeté que les autres.

    Ce candidat n’a présenté aucun programme cohérent et complet.

    De temps à autre, il fait une déclaration et semble développer un point de son programme, mais souvent pour y ajouter un nuage de flou.

    La démocratie c’est voter pour une femme ou un homme, mais dont on connait le programme !

    Et dimanche nous devons élire des députés.

    Celles et ceux à qui on promet une majorité et même une majorité absolue, se réfèrent au programme du Président qui n’existe pas !

    Si quelqu’un trouve cela normal, c’est qu’il n’a rien compris à ce qu’était une démocratie.

    Si le sujet de l’extrême centre vous intéresse, j’ai repéré d’autres articles

    La revue de critique communiste « Contretemps » a publié en 2017 : <Extrême centre>

    L’historien Pierre Serna a élargi son analyse à l’époque actuelle. Il a publié « L’extrême centre ou le poison français ». Slate a publié un <Article> sur ce livre

    Ainsi que <Retronews> et le journal « La Marseillaise » : <Quand l’historien Pierre Serna met à nu l’« extrême centre » de la Macronie>

    <1676>

  • Vendredi 3 juin 2022

    «Pause »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Comme je l’avais annoncé lundi, quand je ne parviens pas à écrire un mot du jour nouveau, je fais une pause.

    Pour accompagner ces pauses je mets la photo d’un chat.

    J’ai trouvé cette photo publiée en mars par un journal suisse <Le Matin>. D’après l’article cet homme a perdu toute sa famille dans les bombardements russes, il ne lui restait que ce chat.

    Le 1er juin, Le Monde a mis en ligne une vidéo montrant, grâce à diverses sources, la destruction de Marioupol et les bombardements des civils que nient les russes : <Comment le siège de Marioupol a entraîné de lourdes pertes civiles>

    Il y a quelques jours le Monde a aussi publié cette courte vidéo :<Sievierodonetsk, la nouvelle Marioupol ?>

    Ce vendredi 3 juin, est le 100ème jour de la guerre d’agression de la Russie poutinienne contre son petit voisin Ukrainien.

    <Mot du jour sans numéro>

  • Jeudi 2 juin 2022

    « Témoigner, dénoncer, donner à voir étaient au centre de ses choix professionnels et humains […] Sa courte vie a eu un sens »
    La mère de Frédéric Leclerc-Imhoff

    Frédéric Leclerc-Imhoff était un jeune homme de 32 ans.

    Il est décédé lundi 30 mai, « touché par un éclat d’obus » lors du tournage d’un reportage sur les évacuations de civils de Lysychansk et Severodonetsk dans le Donbass qu’il réalisait pour BFMTV . Il s’agit du 8e journaliste tué depuis le début du conflit en Ukraine.

    <Slate> nous apprend qu’il était diplômé de l’Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA) et travaillait pour BFMTV depuis plus de 6 ans après avoir travaillé en tant que réalisateur de reportages et de documentaire pour l’agence Capa, comme l’indique LCI. En Ukraine pour couvrir l’invasion russe, il effectuait sa deuxième mission sur place lorsque le véhicule dans lequel il se trouvait a été ciblé par un bombardement russe.
    Il s’agit du 8e journaliste tué depuis le début du conflit en Ukraine.

    Pourquoi parler de lui, alors que la guerre d’Ukraine fait tous les jours des centaines de morts ?

    Parce que ce jeune homme a pris tous ces risques pour nous informer, pour que nous puissions disposer d’une information indépendante et pas seulement de propagande.

    Aldous Huxley a écrit :

    « La philosophie nous enseigne à douter de ce qui nous paraît évident. La propagande, au contraire, nous enseigne à accepter pour évident ce dont il serait raisonnable de douter »

    Ainsi les alliés séparatistes du Kremlin ont affirmé à l’agence de presse russe Tass que Frédéric Leclerc-Imhoff n’était pas un journaliste, mais un mercenaire étranger et qu’il aurait livré des armes et des munitions à l’armée ukrainienne.

    C’est de la désinformation, de la propagande russe.

    Pour pouvoir lutter contre cette falsification de la réalité, les journalistes sont indispensables.

    Christophe Deloire, le directeur général de Reporters sans frontières a rendu hommage à Frédéric Leclerc-Imhoff sur <France Inter> le 31 mai 2022.

    Il a rapporté un entretien avec la mère du journaliste :

    « Je suis très fière de mon fils et de son engagement. Témoigner, dénoncer, donner à voir étaient au centre de ses choix professionnels et humains […] Sa courte vie a eu un sens. ».

    Ses collègues ont affirmé qu’il était le contraire d’une tête brulée. Mais les forces russes ciblent les journalistes qui peuvent contrecarrer leur récit mensonger des évènements.

    Christophe Deloire précise que

    « Depuis le début du conflit, des journalistes se sont fait tirer -pardonnez-moi l’expression- comme des lapins » par les forces russes, il y a une responsabilité du Kremlin, de Vladimir Poutine, sur ces crimes de guerre. Heureusement qu’il y a des journalistes sur le terrain pour dénoncer les mensonges des forces russes qui prétendent qu’elles ne visent pas les civils alors qu’elles le font, qui prétendent qu’elles ne visent pas les journalistes alors qu’elles le font ».

    Nous ne pouvons qu’exprimer notre gratitude devant ces vigies de la vérité que sont les journalistes qui prennent ces risques pour nous informer. Frédéric Leclerc-Imhoff était l’une d’entre elles.

    <1675>

  • Mercredi 1 juin 2022

    « L’élection n’est plus qu’un permis de gouverner »
    Pierre Rosanvallon

    L’immense majorité des analystes politiques ont interprété le résultat du premier tour des élections présidentielles 2022 par la description d’une tripartition de la vie politique française.

    Tripartition qui reprend l’image de l’omelette évoquée hier :

    • Au centre, un parti de la raison regroupant une grande part « des vieux » et des gagnants de la mondialisation
    • A droite, l’extrême droite nationaliste, regroupant une grande part des jeunes actifs habitant hors des grandes métropoles ayant des rémunérations modestes, s’estimant victime de la mondialisation et rendant responsable en grande partie de leur malheur une « immigration massive et non maîtrisée »
    • A gauche, la gauche radicale des fonctionnaires, des cadres moyens se sentant déclassés souvent habitant les métropoles et des français issus de l’immigration musulmane.

    Il ne faudrait cependant pas oublier les abstentionnistes qui sont le premier parti de France. Ils représentent 28 % des inscrits contre 20 % pour le candidat de l’extrême centre qui a été élu.

    Ces abstentionnistes qui regroupent la masse des indifférents, des découragés, des populations marginalisées et quelques intellectuels comme Michel Onfray ou Emmanuel Todd qui conceptualisent l’inutilité des élections dans un pays qui a perdu sa souveraineté monétaire et se trouve enchâssé dans une toile d’araignée de directives de l’Union européenne.

    L’historien et sociologue Pierre Rosanvallon, chantre de la deuxième gauche, développe dans l’Obs une analyse différente et intéressante : <L’élection n’est plus qu’un permis de gouverner>

    Il constate, comme je l’ai évoqué hier, que l’électeur qui accepte de voter prend désormais en compte la perversité de notre système politique pour choisir le bulletin qu’il va mettre dans l’urne. Il parle de « l’électeur stratège » :

    « Cette élection a été marquée par la montée de « l’électeur stratège », qui décide en fonction des sondages et tente de conjurer ce qu’il identifie comme des dangers sous-jacents au processus électoral.
    Ce comportement s’est manifesté dès le premier tour, avec les votes « utiles » en faveur de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Le Pen. D’ordinaire, le premier tour permet d’exprimer des préférences objectives. Il a été cette fois-ci un vote d’anticipation. Le sens même de l’élection s’en trouve modifié. Classiquement, la présidentielle ouvrait une porte vers un chemin tracé : un choix politique, nettement dessiné, qui s’appuyait sur des évidences sociologiques (le monde des cadres, des professions libérales et des entrepreneurs contre celui des salariés, des fonctionnaires et des ouvriers) et idéologiques (le plan, le travail et le public contre le marché, le capital, le privé). Tout cela est terminé. »

    Et il tire les leçons et les conséquences de cette attitude pour notre vie démocratique, notre capacité de faire de la politique et de réaliser les réformes nécessaires pour notre avenir :

    « Aujourd’hui, l’élection n’est plus qu’un permis de gouverner. Elle ne tranche rien.
    Toutes les questions restent ouvertes : quelle sera la capacité de gouverner ? Quelle sera la majorité ? Quel sera le programme de gouvernement en fonction des attentes sociales ? Les décisions prises seront-elles acceptées par le pays ?
    Prenez la réforme des retraites. Beaucoup des gens qui ont voté pour le président sont en désaccord radical avec sa proposition. Il lui faudra trouver une solution. »

    Le journaliste qui l’interroge rappelle la promesse de Macron en 2017 de faire reculer l’extrême droite. Manifestement il n’a pas réussi.

    Rosanvallon tout en précisant qu’Emmanuel Macron n’est pas le seul responsable, lui attribue quand même une partie de l’échec  :

    «  Le président a incarné jusqu’à la caricature le sentiment de mépris social dont s’est nourri le Rassemblement national.
    Marine Le Pen n’a eu de cesse de souligner son « arrogance », ce qui lui a permis d’attirer une partie des classes socialement défavorisées.
    La gauche a aussi sa part de responsabilité dans ce basculement des pauvres vers le vote d’extrême droite. Jean-Luc Mélenchon réalise d’excellents scores dans l’ancienne banlieue rouge parce qu’il a compris ce qu’était la réalité des discriminations, fondées sur l’origine et la couleur de peau, dans notre pays. En revanche, il n’a pas réussi à s’adresser aux classes populaires « traditionnelles », issues du monde ouvrier, celles des petites villes ou des campagnes. François Ruffin, lui, a tenté de parler à cette catégorie de la population, à travers son film « Debout les femmes ! », qui raconte le quotidien des aides-soignantes, des personnels de ménage, etc.
    Cet effort était exemplaire, mais il est resté relativement isolé au sein de La France insoumise. La gauche n’a pas « abandonné » les classes populaires, comme on l’entend souvent. Il me semble plutôt qu’elle n’a pas trouvé la bonne façon de leur parler. Dire que l’on va augmenter le smic, sans plus, ne répond pas au sentiment d’être méprisé ou déconsidéré, au désir de reconnaissance et de dignité. Tant que l’on parle le langage des statistiques, ça reste abstrait. Tout le monde est scandalisé par l’enrichissement des milliardaires. Mais ce qui révolte le plus les gens, c’est le sentiment de mépris et de supériorité que renvoie cette classe sociale. La démocratie, c’est la capacité de donner un langage à ce que vivent les gens. Certains romanciers, comme Nicolas Mathieu avec « Leurs enfants après eux » et « Connemara », y ont réussi. Ce n’est pas encore le cas de la gauche politique. »

    Savoir parler aux gens et aussi les écouter constituent la première action du politique. C’est ce que nos responsables politiques ont de plus en plus de mal à réaliser. Ils « communiquent » et pensent que si les citoyens ne sont pas contents c’est parce qu’on leur a mal expliqué ce qu’on fait.

    Et il donne sa vision alternative à l’analyse des trois blocs :

    « Non. Il n’y a pas eu, dans cette élection, trois blocs, mais trois personnalités majeures, qui sont d’ailleurs arrivées en tête du premier tour. J’y ajouterais Eric Zemmour, bien sûr, mais aussi Jean Lassalle. Cette mention peut surprendre, mais ce candidat a réussi à convaincre presque autant d’électeurs que le PS et le PCF réunis !
    Lui est parvenu à parler de la ruralité en des termes qui ont touché les premiers concernés. Le grand problème des Républicains et des socialistes, c’est tout bêtement que leurs candidats « n’imprimaient » pas. Hidalgo et Pécresse ne savent pas emporter les foules ou tenir en haleine une salle comme peuvent le faire Mélenchon, Macron et même Le Pen. […]. Au-delà de la capacité tribunitienne des uns ou des autres, au-delà même de tout ce que l’on a dit sur le populisme qui consiste à agréger des demandes contradictoires par le pouvoir de la parole, cette suprématie des personnalités est liée au déclin des partis. »

    Et il décrit très bien ce qu’est en pratique le Parti du Président : une coquille sans colonne vertébrale, sans doctrine, une simple machine à soutenir les initiatives du chef. Ce qui est aussi le cas des deux autres mouvements qui sont réputés former avec le parti présidentiel la tripartition électorale de la France :

    « La République en Marche, ce n’est pas un parti, ce sont les followers d’Emmanuel Macron. Même chose pour La France insoumise qui n’existe qu’à travers son leader. Il n’y a pas de congrès, pas de votes, pas de tendances autorisées à s’exprimer dans ce mouvement qui se qualifie lui-même de « gazeux ». Autrefois, les militants, à partir de la base, élaboraient des idées et choisissaient des personnes pour les représenter. Aujourd’hui, tout part du sommet. »

    Et il donne son explication de la montée continuelle de l’extrême droite…

    « Elle n’a pas été banalisée, elle s’est métamorphosée. Toute une série de glissements sémantiques a permis d’euphémiser ce qui reste sa matrice : la haine de l’étranger et le déplacement de la question sociale sur le terrain de l’exclusion. […] En surface, Marine Le Pen est parvenue à reformuler, dans le vocabulaire de la souveraineté, bon nombre de thèmes chers à l’anticapitalisme. Son mouvement apparaît désormais comme le pourfendeur de l’individualisme contemporain. […] Bien qu’elle puisse flatter un électorat de gauche, cette conception entraîne une remise en cause des avancées dites « sociétales » – la PMA ou les nouvelles formes de mariage – définies comme des expressions mortifères de l’ultra-individualisme. Le talent de Marine Le Pen est de faire passer ce nationalisme d’exclusion pour un combat anticapitaliste. »

    Les élites qui ne savent plus parler le langage des gens, exaspèrent toute une partie des Français. Je me souviens lors du débat de second tour de l’échange entre les deux candidats : Marine Le Pen, de manière assez démagogique, parlait des difficultés et des souffrances des gens humbles. Le Président candidat lui a répondu en disant qu’il menait une politique remarquable et qui fonctionnait, la preuve est la multiplication des licornes en France pendant son quinquennat. Le premier propos était compris, le second paraissait probablement pour beaucoup hors sol et peut être même incompréhensible. Cette distance, ce langage du monde des start up est interprété comme du mépris de classe, créant une haine des élites et du Président qui en est un symbole :

    « C’est un phénomène qui me semble important. Valéry Giscard d’Estaing avait pu susciter une forme de détestation, à cause de son élocution et de son côté Louis XV, très monarchique. Nicolas Sarkozy a lui aussi cristallisé des oppositions très virulentes. Mais il y a quelque chose de spécifique dans la haine qui se noue autour d’Emmanuel Macron. Il n’a pourtant pas peur de rencontrer des citoyens qui lui sont très opposés. Peu d’hommes ou de femmes politiques vont même aussi facilement « au contact ». Pourtant il n’y va pas pour les écouter mais pour leur expliquer ! Ce fut la même chose quand il a fait venir des intellectuels à l’Elysée. A l’époque, j’ai refusé de m’y rendre et j’ai eu raison. Ce fut un long monologue : il a invité des philosophes, des économistes, des sociologues pour leur expliquer sa vision politique ! On a sans cesse l’impression que pour lui, la France est une salle de classe, que les gens ne comprennent pas, qu’il faut les prendre par la main et, de temps en temps, leur taper sur les doigts. On touche à un sentiment qui a été le moteur de la Révolution française : celui d’une coupure entre les « manants » et l’« aristocratie » : 1789, ce n’était pas un conflit entre les riches et les pauvres, mais entre ceux qui se sentaient méprisés et ceux qui étaient pris pour méprisant. Partout, on a détruit les blasons des grandes familles, qui symbolisaient cette arrogance, avec l’espoir de faire émerger une « société de semblables » pour reprendre le mot de Tocqueville. Or Emmanuel Macron donne le sentiment que nous ne sommes pas, ou que nous ne sommes plus, une société de semblables. »

    Pour Rosanvallon, il est urgent de changer, de revigorer la vie démocratique. Sortir du langage technocratique pour revenir au niveau de la démocratie, c’est-à-dire un monde de semblables, dans lequel même s’il existe des inégalités économiques chacun est considéré avec respect, sa parole prise en compte :

    « S’il n’y a pas de concertation et de compromis sous ce nouveau quinquennat, cette distance ressentie par des millions d’électeurs ne peut que s’accentuer. Ce qui se dessine est une société de crise, mais cela ne nous mène pas mécaniquement à la révolution. Les sociologues décrivent aussi des sociétés qui s’effritent et se dissolvent. Pour éviter l’implosion, la gauche doit redevenir le parti de la société des semblables. […]
    « Le propre de la démocratie est d’être un principe d’interaction entre les pouvoirs et la société. Il faut que des institutions comme celles dont j’ai parlé fassent vivre ces échanges. C’est ce qui fait la différence entre la démocratie intermittente du suffrage universel et des référendums et la démocratie permanente de l’évaluation et de la délibération. La démocratie est le régime qui oblige en permanence le pouvoir à s’expliquer. […]
    on ne peut pas continuer à diriger la société d’en haut en pensant qu’on connaît mieux ses intérêts qu’elle-même. Cela conduirait à la catastrophe. »

    L’article de Pierre Rosanvallon est plus large que les seuls extraits que j’en ai tiré : je renvoie vers cet article (pour lequel il faut être abonné) : <L’élection n’est plus qu’un permis de gouverner>

    <1674>

  • Mardi 31 mai 2022

    « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il dispose de l’administration et de la force armée. Il est responsable devant le Parlement. !»
    Article 20 de la Constitution

    Mardi 31 mai 2022 est le 97ème jour de la guerre d’agression que la Russie de Poutine a lancé contre son voisin ukrainien.

    Mais aujourd’hui, je souhaite parler de la politique française et des élections législatives.

    Lors du mot du jour du <8 février 2017>, j’écrivais tout le mal que je pensais de la Vème République et de ses dérives.

    Je ne rappellerai pas ici les développements techniques dans lesquels j’expliquai la différence entre un régime présidentiel et un régime parlementaire et les différentes étapes qui ont toujours davantage dégradé les institutions de la Vème République du point de vue démocratique.

    Les constitutionnalistes ont coutume de désigner le régime qui est en vigueur en France comme un Régime hybride ou semi présidentiel.

    En réalité, il reste quand même fondamentalement parlementaire.

    Et Jean-Luc Mélenchon, a réalisé un coup de génie de stratégie électorale, en demandant aux français de l’élire premier Ministre.

    C’est totalement disruptif !

    Le premier ministre n’est pas élu mais nommé par le Président de la République qui lui est élu.

    Mais, dans la 5ème République le Premier Ministre doit disposer de la confiance de l’Assemblée Nationale.

    Car comme en dispose l’article 20 de la Constitution : «le Gouvernement est responsable devant le Parlement.»

    Le premier ministre étant, bien entendu, le chef du gouvernement.

    Cette responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale est définie par l’article 49 de la Constitution et peut prendre trois formes ou procédures : :

    • L’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale (article 49, alinéa premier) couramment dénommé « question de confiance » ;
    • Le dépôt d’une motion de censure à l’initiative des députés (article 49, alinéa 2) ;
    • L’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le vote d’un texte (article 49, alinéa 3).

    En synthèse :

    • La question de confiance
    • La motion de censure
    • Le 49-3

    Les constitutionnalistes savants expliquent que dans notre constitution il faut une double confiance : celle du Président et celle de l’Assemblée Nationale.

    Dans une analyse rapide et historique, on pourrait penser qu’il faut surtout la confiance du Président.

    Il n’est arrivé dans la Vème République qu’une seule fois, en 1962, que l’Assemblée ait renversé un gouvernement. Le premier ministre d’alors était Georges Pompidou. Le Président de la République, le Général de Gaulle, a alors, comme le lui permettait la constitution, dissout l’Assemblée.

    Il y eut donc convocation d’élections législatives. Et le peuple français a voté pour une majorité de députés favorables au Général de Gaulle qui a renommé Pompidou premier Ministre.

    C’est bien sûr le Peuple souverain qui a tranché ce différent entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Mais la résolution de ce conflit semble indiquer qu’il vaut mieux avoir la confiance du Président que de l’Assemblée.

    Surtout qu’inversement, il est arrivé à plusieurs reprises, bien que le Premier Ministre ait obtenu peu de temps auparavant la confiance du Parlement que le Président de la République lui demande de démissionner.

    Ce fut le cas de Jacques Chaban Delmas « démissionné » par le président Pompidou et Michel Rocard qui subit le même sort du fait du président François Mitterrand.

    La situation est très différente, lorsque le peuple français envoie à l’Assemblée Nationale une majorité de députés opposés politiquement au Président de la République.

    On appelle cela « la cohabitation » qui est un concept français que les autres régimes parlementaires ne connaissent pas, ne comprennent pas.

    Dans toutes les autres démocraties libérales, quand il y a des difficultés pour obtenir une majorité, des partis politiques forment une coalition et un programme de gouvernement.

    Bref, ils discutent, se mettent d’accord en toute transparence et appliquent le Programme sur lequel ils se sont mis d’accord.

    Donc en France, il se peut que l’on se trouve dans une situation de cohabitation.

    La Vème République en a connu trois.

    La première en 1986, François Mitterrand était président et la Droite a gagné les élections législatives. Mitterrand a tenté de nommer Giscard d’Estaing, puis Simone Veil mais la majorité Parlementaire exigeait que ce soit son chef, Jacques Chirac qui soit nommé. Et dans ce cas c’est l’Assemblée qui décide, Mitterrand a dû s’incliner et nommer Chirac.

    Cinq ans plus tard la Droite a décidé que le Premier Ministre serait Edouard Balladur, le Président Mitterrand du une nouvelle fois s’incliner.

    Et en 1997, quand la Gauche gagna les élections après la dissolution provoquée par Chirac, ce dernier nomma sans tergiverser le chef de l’opposition : Lionel Jospin, celui qu’il avait battu deux ans auparavant aux élections présidentielles.

    Donc si Jean-Luc Mélenchon a tort de manière formelle : Le premier Ministre n’est pas élu mais nommé. Il a raison en pratique, s’il y avait une majorité de députés de son alliance qui était élu, le Président Macron n’aura d’autres choix que de le nommer.

    C’est très habile, car cette manière de s’exprimer permet de mobiliser son camp et probablement d’éviter la forte abstention qui fut la règle lors des élections législatives précédentes : les électeurs des opposants au Président élu s’abstenaient massivement, laissant tranquillement une majorité absolue de candidats de la majorité présidentielle être élue.

    Et de cette manière la Vème République s’enfonce toujours davantage dans le déni de démocratie.

    Je vais essayer de synthétiser cela en quelques phrases :

    • Voilà d’abord un homme élu sans véritable programme, on ne sait pas ce qu’il veut faire : il lance deux ou trois idées, sur lesquels il revient par la suite lors de l’une ou l’autre des campagnes.
    • Comme le programme dit « de l’omelette » cher à Alain Juppé a été brillamment réalisé, cet homme apparait comme le seul raisonnable qu’on peut élire. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas le programme de l’omelette, je la rappelle. L’échiquier politique est une grande omelette, on coupe les deux bouts et on garde le milieu, « l’extrême centre » sur lequel je reviendrai dans un mot du jour ultérieur.
    • Avec cette idée géniale, il n’y a plus d’opposition crédible ou disons il n’y aurait plus d’opposition crédible. Le choix est donc entre un extrême centre rationnel et raisonnable et des opposants irrationnels et déraisonnables.
    • Aux élections législatives, les français élisent les femmes et les hommes du président. Leur programme c’est celui du Président qui lui n’en a pas.
    • Dans le rêve de ces gens, n’importe qui, même une chèvre désignée comme le représentant du président doit être élu.
    • Dans ce cas on n’élit plus des députés mais des délégués qui forment une chambre d’enregistrement. Savez-vous que <la charte de LREM> dispose que «les députés membres et apparentés du Groupe ne cosignent aucun amendement ou proposition de loi ou de résolution issus d’un autre groupe parlementaire». Peut-on être plus sectaire ? Rien de ce que propose l’opposition n’est digne d’intérêt ! D’ailleurs cette règle s’appliquait aussi à l’égard des propositions du MODEM, pourtant dans la majorité présidentielle.
    • Dans ce contexte le Président nomme, comme un fait du Prince, un Premier Ministre à sa convenance et qui ne dispose d’aucun poids politique. Il ou elle n’est qu’un simple collaborateur comme le disait Sarkozy déjà
    • Le vrai premier ministre est en réalité Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Élysée
    • A ce stade, il parait légitime de s’interroger si, en pratique, la séparation des pouvoirs entre le législatif et l’exécutif est encore une réalité. Les décisions essentielles sont prises entre le Président de la République, le secrétaire général de l’Élysée et le cercle rapproché des conseillers.
    • Et rappelons que dès lors le pouvoir est détenu par un groupe de gens qui a obtenu 28% des voix exprimés, car désormais déjà au premier tour et encore plus au second tour la plus grande partie du vote n’est plus un vote d’adhésion mais un vote stratégique pour éviter tel ou tel candidat qu’on ne veut pas.

    Dés lors comme le fait justement remarquer Jean-Luc Mélenchon, si une majorité indépendante du Président est élue à l’Assemblée c’est le gouvernement et son chef qui est le premier ministre qui déterminent et conduisent la Politique de la France, selon l’article 20 de la Constitution.

    Je tiens à préciser que le présent mot du jour ne dit rien du programme préconisé par la coalition menée par Jean-Luc Mélenchon.

    Le seul point qui est développé ici est celui de l’impasse dans lequel nous a mené la Vème République, les modifications qui y ont été apportées, le mode de scrutin qui permet une telle diffraction de la réalité du corps électoral français et la pratique des présidents élus qui semblent ignorer ce que signifie une vraie démocratie et des débats politiques.

    Vous pouvez écouter avec beaucoup d’intérêt <Les matins de France Culture du 30 mai> qui explicite une grande partie des développements présentés dans ce mot du jour.

    <1673>

  • Lundi 30 mai 2022

    « D’écrire, brusquement, je me suis arrêté !»
    Réflexions personnelles sur la difficulté d’écrire dans notre monde troublé.

    Le mardi 22 mars 2022, j’ai posé la plume.

    C’est ainsi qu’on aurait pu l’écrire dans les temps anciens, ceux de ma jeunesse.

    Poser le clavier, n’a pas de sens, il est toujours posé, surtout quand on l’utilise. Peut-être, « ranger le clavier » pourrait convenir.

    Que s’est-il passé, pour que je m’éloigne de ma discipline quotidienne d’écriture du mot du jour ?

    Brusquement la guerre d’Ukraine est entrée dans nos vies, dans nos esprits.

    Je n’arrivais plus à écrire sur un autre sujet, car celui-ci prenait toute la place.

    Suivant cette actualité, je m’efforçais de trouver des éclairages, des analyses qui ne pouvaient se résumer à l’émotion.

    L’écriture des derniers mots se terminait au-delà de 1 heure du matin., me laissant exténué et l’esprit de plus en plus embrouillé.

    D’écrire je me suis arrêté.

    Je tente, aujourd’hui, de reprendre…

    Peut être, cela ne sera pas possible tous les jours, si je me retrouve dans une pression comme celle qui a conduit à l’arrêt.

    Cette guerre continue.

    Ce lundi 30 mai, constitue le 96ème jour de guerre.

    L’Ukraine ne s’est pas effondrée comme le pensait les « spécialistes ». Dans le mot du jour, du 25 février je citais des militaires sur France Inter qui prévoyait un effondrement en une semaine.

    Le 24 avril 2022, après une visite à Kiev le secrétaire à la défense américain Lloyd Austin a déclaré :

    « Les Ukrainiens peuvent gagner s’ils ont les bons équipements, le bon soutien ! »

    Et il a ajouté :

    « Nous voulons voir la Russie affaiblie à un degré tel qu’elle ne puisse pas faire le même genre de choses que l’invasion de l’Ukraine. Elle a déjà perdu beaucoup de capacités militaires, et beaucoup de troupes, et nous ne voudrions pas qu’elle puisse rapidement reconstituer ces capacités. »

    Et c’est ainsi que <Les Etats-Unis s’apprêtent à débloquer 40 milliards de dollars supplémentaires pour l’Ukraine>

    Mais que représente 40 milliards de dollars ?

    Je pense que nous pouvons en avoir une idée, en constatant que le budget 2022 de la Défense de la France s’élève à 40,9 milliards (Mds) d’euros (49,6 Md€ pensions incluses).

    Nonobstant le taux de change, l’aide américaine est du niveau du budget annuel de la défense française !

    A cela s’ajoute l’aide de l’Union européenne et du Royaume Uni.

    Bref, l’Ukraine est armée pour ne pas perdre la guerre.

    Le secrétaire à la défense américaine parle même de victoire. Sur certains terrains, comme celui de Kharkiv, l’infanterie et l’artillerie ukrainienne ont fait reculer l’armée russe.

    Mais la réalité du terrain c’est que la Russie progresse, s’empare de villes après les avoir détruites avec des bombardements et des missiles, car elle conserve la maîtrise des airs.

    Par exemple, la ville de Sievierodonetsk dans le Donbass est en train de connaître le sort qu’avant la ville de Marioupol avait connu. Le maire de Sievierodonetsk, <Oleksandr Stryuk> a déclaré qu’au moins 1 500 personnes avaient été tuées dans sa ville et qu’il en restait environ 12 000 à 13 000 dans la ville, où il a déclaré que 60% des bâtiments résidentiels avaient été détruits. C’est une ville qui comptait, avant l’offensive russe, plus de 100 000 habitants.

    Le prix à payer pour les russes est énorme.

    Mais dans ce podcast de Slate : «Vladimir Poutine n’a pas fait son deuil de prendre Kiev» Jean-Marie Colombani et Alain Frachon rappellent que les russes ont une réserve d’hommes beaucoup plus importante que les ukrainiens.

    Et que surtout : Poutine reprend une tradition russe ou soviétique : la vie de ses soldats n’a pas beaucoup de prix.

    Il faut rappeler ce que fut la victoire, lors de la seconde guerre mondiale, de l’armée rouge sur l’armée nazi. Ce fut une grande victoire de l’armée rouge et une défaite des armées allemandes, mais <Wikipedia> nous informe que si les pertes de l’armée allemande étaient de 890 000 hommes, 1 100 000 avec ses alliées, en face les vainqueurs, les soviétiques en comptaient 4 980 000, plus de quatre fois plus.

    Ce qui a fait dire à certains que les allemands gagnaient la guerre en faisant couler le sang des autres, alors que les russes gagnaient la guerre en faisant couler le sang de ses propres soldats. Ce n’est pas le génie de Staline, comme l’affirmait l’esprit égaré du candidat communiste à l’élection présidentielle française, qui a gagné la guerre, mais bien le courage des soldats de l’armée rouge qui offraient, sans compter, leur vie à la victoire finale.

    Dans ces conditions les russes peuvent-ils perdre ?

    En outre, la Russie est une puissance nucléaire, disposant d’armes de destructions massives et Poutine dans son égo, dans sa manière de gouverner et sa relation avec le peuple russe, ne peut pas accepter la défaite.

    Dès lors la crainte exprimée par Henri Guaino: «Nous marchons vers la guerre comme des somnambules» ne peut que nous inquiéter.
    Il emprunte cette image au titre du livre de l’historien australien Christopher Clark sur les causes de la Première Guerre mondiale : «Les Somnambules, été 1914: comment l’Europe a marché vers la guerre»

    « Le déclenchement de la guerre de 14-18,écrit-il, n’est pas un roman d’Agatha Christie (…) Il n’y a pas d’arme du crime dans cette histoire, ou plutôt il y a en a une pour chaque personnage principal. Vu sous cet angle, le déclenchement de la guerre n’a pas été un crime, mais une tragédie.»

    En 1914, aucun dirigeant européen n’était dément, aucun ne voulait une guerre mondiale qui ferait vingt millions de morts mais, tous ensemble, ils l’ont déclenchée. Et au moment du traité de Versailles aucun ne voulait une autre guerre mondiale qui ferait soixante millions de morts mais, tous ensemble, ils ont quand même armé la machine infernale qui allait y conduire.

    Alors il faut des négociations.

    Mais même cette porte de sortie n’est pas satisfaisante.

    L’arrêt des combats aura pour conséquence de figer l’avancée des troupes russes.

    Et c’est exactement la manière de faire de Poutine : il avance, quand il y a trop d’obstacles, il s’arrête et attend. Et puis dès qu’il peut, il avance à nouveau. Jamais il ne recule.

    Et on apprend aussi, que sur les territoires conquis, le maître du Kremlin fait pratiquer des <déportations massives> :

    « Selon le Pentagone, qui confirme des accusations de Kiev, plus d’un million de civils auraient été «envoyés en Russie contre leur gré». Une telle déportation de population serait contraire aux conventions de Genève. Moscou avance des chiffres analogues, mais parle «d’évacuations». Des Ukrainiens ont été «envoyés contre leur gré en Russie», a annoncé ce lundi le porte-parole du Pentagone au cours de sa conférence de presse quotidienne. […] Cette déclaration, basée sur les informations des services de renseignement américains, confirme, au moins en partie, les accusations portées par Kiev depuis plusieurs semaines. Selon la responsable ukrainienne Lioudmila Denissova, «plus de 1,19 million de nos citoyens, y compris plus de 200.000 enfants, ont été déportés vers la Fédération de Russie»».

    Il n’y a pas de bonne fin envisageable à cette guerre qui aura des conséquences considérables sur notre vie des prochains mois et probablement des prochaines années.

    <1672>

  • Mercredi 23 mars 2022

    « Kharkiv »
    Le mot du jour est suspendu

    Une autre ville martyr d’Ukraine Kharkiv avant : Il y avait une invitation touristique pour s’y rendre : https://planetofhotels.com/guide/fr/ukraine/kharkiv

    Je redonne le lien vers ces deux documentaires sur Poutine :

    <Poutine, l’irrésistible ascension – ARTE> Documentaire de Vitaly Mansky (Suisse, 2018, 1h35mn)

    En 2000, un documentariste russe filme de l’intérieur la première année au pouvoir de Vladimir Poutine. Près de vingt ans plus tard, Vitaly Mansky, désormais exilé, remonte ses archives et en propose une relecture critique.

    Pour Vitaly Mansky, tout était là, à portée de main. Il suffisait de décrypter un matériau qui annonçait déjà, en 2000, le futur de la Russie. À travers ses séquences dans l’intimité du pouvoir, ses tête-à-tête avec le nouveau maître du Kremlin et des moments apparemment anodins, c’est tout simplement le basculement dans un régime totalitaire qu’il nous montre. Vladimir Poutine s’y révèle déjà secret et cynique, et semble prêt à tout pour consolider sa mainmise sur le pays, pendant que l’on assiste aussi, en privé, à l’affaiblissement physique de Boris Eltsine. À partir de ses propres images et d’archives publiques ou privées, le documentariste écrit à la première personne un roman politique singulier, dont personne, à l’heure actuelle, ne sait encore comment il se terminera.

    <Le mystère Poutine : Un espion devenu président> Documentaire (2016, 1h42mn) réalisé par Christophe Widemann et présenté par Laurent Delahousse.

    <Mot du jour sans numéro>

  • Mardi 22 mars 2022

    « Marioupol »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Étienne Klein a publié une photo de Marioupol avant :

    Je pense qu’il n’est pas utile de publier des photos de Marioupol aujourd’hui, on en trouve partout à la télévision, sur le Web, dans les journaux.

    Le mot du jour se met en pause pour quelques jours, pour penser à autre chose, pour prendre du recul.

    J’avais regardé avec un grand intérêt ces deux documentaires sur Poutine :

    <Poutine, l’irrésistible ascension – ARTE> Documentaire de Vitaly Mansky (Suisse, 2018, 1h35mn)

    En 2000, un documentariste russe filme de l’intérieur la première année au pouvoir de Vladimir Poutine. Près de vingt ans plus tard, Vitaly Mansky, désormais exilé, remonte ses archives et en propose une relecture critique.

    Pour Vitaly Mansky, tout était là, à portée de main. Il suffisait de décrypter un matériau qui annonçait déjà, en 2000, le futur de la Russie. À travers ses séquences dans l’intimité du pouvoir, ses tête-à-tête avec le nouveau maître du Kremlin et des moments apparemment anodins, c’est tout simplement le basculement dans un régime totalitaire qu’il nous montre. Vladimir Poutine s’y révèle déjà secret et cynique, et semble prêt à tout pour consolider sa mainmise sur le pays, pendant que l’on assiste aussi, en privé, à l’affaiblissement physique de Boris Eltsine. À partir de ses propres images et d’archives publiques ou privées, le documentariste écrit à la première personne un roman politique singulier, dont personne, à l’heure actuelle, ne sait encore comment il se terminera.

    <Le mystère Poutine : Un espion devenu président> Documentaire (2016, 1h42mn) réalisé par Christophe Widemann et présenté par Laurent Delahousse.

    <Mot du jour sans numéro>

  • Lundi 21 mars 2022

    « Les occidentaux ne peuvent malheureusement pas se réclamer du camp du bien. »
    Réflexions personnelles

    Lundi 21 mars 2022 est le 26ème jour de la guerre d’agression que la Russie de Poutine a lancé contre son voisin ukrainien.

    C’est un acte de barbarie et de violence qui ne peut trouver ni excuse, ni de justification.

    De ci de là, je lis et j’entends des émissions qui évoquent sérieusement la possibilité de traduire Poutine devant la Cour Pénale Internationale de La Haye qui est la  juridiction pénale internationale permanente à vocation universelle, chargée de juger les personnes accusées de génocide, de crime contre l’humanité, de crime d’agression et de crime de guerre

    Quand ce sont des gens sérieux, ce qui n’est pas toujours le cas, ils expliquent que la CPI est une institution qui ne peut juger que les ressortissants des États qui ont reconnu sa compétence, ce qui n’est pas le cas de la Russie, ni des États-Unis d’ailleurs.

    A ce stade, il faut hélas reconnaître que la position de l’Occident est très fragilisée par ses immenses manquements passés. Et qu’avant de vouloir traduire Poutine, devrait se présenter dans le couloir qui mène au Tribunal International Georges W Busch.

    Celles et ceux qui ont un peu de mémoire se souvienne de ce 5 février 2003 où lors d’une session du Conseil de sécurité des Nations unies, le secrétaire d’État américain, Colin Powell, a apporté et présenté un petit flacon, en prétendant que celui-ci contenait une arme biologique qui faisait partie du stock d’armes de destruction massive dont disposait l’Irak de Saddam Hussein.

    Et en ajoutant que l’Irak constituait un danger pour les États-Unis et le Monde, il prétendait qu’il fallait  attaquer l’Irak.

    La France présidée par Jacques Chirac s’était fermement opposée à la volonté américaine en affirmant qu’il n’y avait aucune preuve de l’existence de ces armes de destruction massive.

    On parle aujourd’hui de folie de Poutine.

    Mais comment analyser ce geste d’emmener dans un simple flacon dans l’enceinte des Nations Unies une arme biologique de destruction massive ?

    Probablement, et on ose l’espérer, il n’y avait rien de nocif dans ce flacon.

    Mais, il s’agissait alors d’une manipulation qui n’a rien à envier aux manœuvres de Poutine.

    Et puis comprenant que La France, la Russie et la Chine, trois membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, utiliseraient leur droit de veto pour empêcher que l’ONU n’approuve l’intervention armée contre l’Irak, les États-Unis et leurs alliés ont lancé l’assaut sur l’Irak le 20 mars 2003, sans l’aval du Conseil de Sécurité.

    C’était donc une guerre illégale au même titre que celle lancée par Poutine contre l’Ukraine.

    Les États-Unis ont commencé alors l’invasion de l’Irak par un bombardement intensif des villes irakiennes.

    Personne n’a demande alors de sanctions économiques contre les USA !

    Nous le savons aujourd’hui et la CIA l’a reconnu : il n’y avait pas d’armes de destruction massive en Irak.

    Cette guerre a entrainé des centaines de milliers de morts.

    Elle a conduit, suite à des décisions toujours plus désastreuses de l’administration américaine, à la création et à l’expansion de DAESH réunion de la folie messianique de fous d’Allah et de la folie destructrice d’officiers de l’armée de Saddam Hussein scandalisés d’avoir été rejetés en marge de la société irakienne et d’être la proie des persécutions de la majorité chiite ayant pris le pouvoir grâce à l’appui de l’armée américaine.

    On reproche, à juste titre, à Poutine d’utiliser une milice privée pour ses basses œuvres : les mercenaires Wagner.

    Mais, l’Amérique de Bush a aussi plusieurs longueurs d’avance sur cette dérive poutinienne.

    En Irak, les armées privées étaient plus nombreuses que l’armée régulière américaine.

    Une société de mercenaires était particulièrement présente : Blackwater qui s’appelle désormais <Academi>..

    Dans l’article de Wikipedia auquel je renvoie, il est précisé que les contrats entre les Etats-Unis et Blackwater «  sont alors facilités par les nombreux liens d’Erik Prince avec les néoconservateurs de l’administration Bush, comme A. B. Krongard (en), directeur exécutif et numéro 3 de la CIA, qui signe avec Blackwater des contrats pour la protection de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan. L’ancien directeur du centre anti-terroriste de la CIA Cofer Black (en) a rejoint Blackwater en 2005 ».

    Et puis à côté de dérapages non ou moins documenté, on peut lire cet épisode :

    « Le 16 septembre 2007, des membres de Blackwater ouvrent le feu à la mitrailleuse et jettent des grenades sur un carrefour très fréquenté de Bagdad, alors qu’ils circulaient en véhicules blindés. La fusillade fait au moins 13 morts et 17 blessés, dont des femmes et des enfants. La porte-parole de Blackwater, Anne Tyrrell, déclarent que « les employés [avaient] agi conformément à la loi en réponse à une attaque » et que « les civils sur lesquels il aurait été fait feu étaient en fait des ennemis armés et nos employés [avaient] fait leur travail pour défendre des vies humaines », une version qui sera contredite par les témoignages et les procureurs américains. Le porte-parole du ministère irakien de l’Intérieur, Abdul-Karim Khalaf, déclare que « le fait d’être chargé de la sécurité ne les [autorisait] pas à tirer sur les gens n’importe comment ». […] Le quotidien suisse Le Temps résume ainsi la fusillade : « La balle a traversé la tête de Haithem Ahmed. Pas de coup de semonce préalable, pas de tension particulière à Bagdad, mais ce projectile qui a tué instantanément l’Irakien alors qu’il circulait dans une voiture aux côtés de sa mère. Le conducteur mort, le véhicule s’emballe. Et les mercenaires de Blackwater aussi : ils arrosent de centaines de balles la place Nissour, noire de monde, où les passants tentent désespérément de se mettre à l’abri. Des grenades sont lancées, et les hélicoptères des gardes privés interviennent rapidement pour achever le travail. Bilan : au moins 17 civils irakiens tués, 24 blessés ».

    Le 1er octobre 2007 un rapport de la Chambre des représentants des États-Unis est publié dans lequel est recensé, durant la période allant du 1er janvier 2005 au 12 septembre 2007, 195 fusillades impliquant Blackwater et dans 163 cas, les employés de Blackwater ont tiré les premiers. Tous ces crimes sont restés impunis, certains mercenaires ont été licenciés.

    Il y avait deux autres sociétés militaires privées : DynCorp et Triple Canopy, Inc. qui étaient présentes en Irak, mais Blackwater a été à l’origine de plus de fusillades que les deux autres sociétés réunies.

    La société militaire Wagner n’est donc qu’une copie d’exemples fournis par l’Occident.

    On cite comme première <Société militaire privée> une société sud-africaine puis une britannique :

    « Une des premières sociétés privées d’intervention fut Executive Outcomes en Afrique du Sud, qui s’est scindée en plusieurs organisations à la fin des années 1990. Au Royaume-Uni, la plus connue est Sandline International qui offrait dès les années 1990 une large gamme de services allant de l’entraînement de troupes au maintien ou à la restauration de la sécurité. Leur poids croissant laisse à penser qu’elles vont devenir des acteurs stratégiques à part entière dans les grands conflits contemporains, pouvant orienter les décisions militaires et poursuivre quelquefois des objectifs différents de ceux des États »

    Et puis toujours en Irak, il y eut le <scandale de la prison d‘Abou Ghraib> lors duquel les occidentaux se réclamant de la défense des droits de l’homme se sont comportés en tortionnaires sadiques.

    Il y eut encore la création du <Camp de Guantanamo > qui avait pour objet de sortir des prisonniers des États-Unis de l’état de droit, des droits de la défense.

    On parle de corruption en Russie et des oligarques russes qui ont des comportements de parrains mafieux. C’est parfaitement exact. Mais reprenons les États-Unis en Irak.  Le vice président de Geors W Busch était Donald Rumsfeld. De 1995 à 2000, ce dernier  dirige la société d’ingénierie civile Halliburton spécialisée dans l’industrie pétrolière. Cette société a décroché de gros contrats en Irak en 2003. Des journalistes lui ont fortement reproché ce conflit d’intérêt, sans aucune conséquence pratique.

    Quelques années auparavant, la guerre du Vietnam a été la plus grande guerre chimique de l’Histoire. Des millions de morts, plus les milliers de malades dus aux troubles génétiques entraînés par les armes qui ont été utilisées.

    J’ai beaucoup parlé des États-Unis qui occupent incontestablement la première place dans ce classement des comportements monstrueux en temps de guerre.

    Mais la France n’a pas été en reste pendant la guerre d’Algérie qu’on évoque actuellement en raison des accords d’Évian du 18 mars 1962 et beaucoup plus récemment lors de la guerre déclarée en Libye pour chasser le dictateur Khadafi en violation de la Loi internationale et en entrainant aussi une situation chaotique comme en Irak.

    Il y aurait encore tant d’histoires à raconter. Tout cela pour conclure que l’Occident est peu crédible quand elle entend donner des leçons morales à la planète entière.

    Probablement que cette distanciation entre les principes affichés et la réalité des actions devient de plus en plus insupportable à une grande partie des États du monde non occidental.

    C’est probablement une des principales raisons qui peut expliquer les nombreuses abstentions lors de l’Assemblée générale de l’ONU visant à condamner l’agression de la Russie contre l’Ukraine. Comme le montre ce planisphère produit par « Le Un Hebdo»


    Ces contradictions des occidentaux sont largement développées par Pierre Conesa dans une interview de Thinkerview : <Comment arrive -t-on à la guerre ? >

    Tout cela n’enlève rien aux crimes de Poutine, mais rend la voix des occidentaux moins crédible.

    <1671>

  • Vendredi 18 mars 2022

    « Soldats russes, redevenez des hommes. […] Ce que vous avez devant vous en [Ukraine], ce n’est pas l’ennemi, c’est l’exemple. »
    Victor Hugo en 1863, avec cette différence que le rôle de l’Ukraine était tenu par la Pologne

    Le vendredi 18 mars est le 23ème jour de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine

    « Le Un Hebdo » qui ne traite que d’un sujet par numéro, a consacré ses quatre derniers numéros à cette guerre.


    Dans le numéro 388 du 16 mars : « Jusqu’où la guerre ? » Éric Fottorino commence son réquisitoire par ces mots :

    « Images de détresse, de ruines, de cratères vertigineux, de corps sans vie. En contrechamp, Poutine reste droit dans sa lâcheté, violant toutes les règles de la paix sans personne pour le défier autrement qu’avec des mots et des atteintes au portefeuille. Alors, sur qui la population d’Ukraine sacrifiée sous nos yeux peut-elle compter pour que le cauchemar s’arrête, face à un tyran qui fait mine de négocier, mais ne feint jamais de tuer ? Si l’Europe a constitué un front uni de désaveu, de sanctions, de soutien armé aux Ukrainiens, les agressés restent bien seuls pour défendre leur patrie. »

    Et il le finit par cette histoire :

    « Une dessinatrice ukrainienne, Anna Sarvira, s’étonnait ces jours-ci sur Instagram qu’on lui demande : pourquoi ne pas vous rendre, pour sauver le plus de vies possibles ? Se rendre ?
    Jamais, a-t-elle répondu. Poser cette question, c’est ignorer ce que signifie vivre sous le joug russe. « Comme obliger une victime à vivre avec son violeur », dit-elle.»

    André Markowicz qui est traducteur des grands écrivains russes, dans son article : <Le plus vil des autocrates> enterre définitivement cette fable que l’Ukraine serait un pays néo nazi, absurdité relayée par tous les français naïfs, sous influence de la propagande poutinienne :

    « Oui, il y avait des tensions nationalistes en Ukraine, et oui, l’Ukraine avait adopté des « lois mémorielles » inacceptables, qui punissaient quiconque disait que les nationalistes ukrainiens, pendant la guerre, avaient été alliés aux nazis – ce qu’ils ont été. Mais, aujourd’hui, le jeu démocratique fait que les extrémistes nationalistes, en Ukraine, étaient réduits à 2 ou 3 % du corps électoral (ce qui laisse rêveur quand on regarde les 35 % d’électeurs qui, chez nous, s’apprêtent à voter Zemmour ou Le Pen). Et, oui, ce qui se forgeait en ce moment, en Ukraine, était une société démocratique. Elle se forgeait, très vite, sur un système hérité du soviétisme, sur la corruption, l’incompétence, malgré l’héritage et voisinage catastrophiques de la Russie poutinienne. Et si Poutine est intervenu, ce n’est pas pour « sauver » le Donbass, mais parce qu’il ne pouvait pas admettre la réussite, même partielle, d’une démocratie à ses frontières. »

    Et j’ajoute que parce que l’extrême droite était réduite à 3 % du corps électoral, elle n’a pas atteint le seuil nécessaire pour figurer au Parlement. Le Parlement actuel de l’Ukraine est vierge de toute extrême droite.

    Mais le rejet le plus fort de ce crime en train de se réaliser n’est-il pas atteint par la dérision et l’ironie que dégage l’article de Robert Solé :

    <Le mot de…[Guerre]>
    C’est un gros mot, et je vous rappelle que notre président Vladimir Vladimirovitch Poutine (que Dieu le garde !) ne supporte pas les mauvaises manières. Ici, en Russie, qualifier de guerre l’opération militaire spéciale en Ukraine vous conduit directement en prison. Il y a en effet des limites à l’incorrection ! Je dirais même des limites à l’absurdité. Réfléchissez : comment la Russie pourrait-elle faire la guerre à l’Ukraine alors que l’Ukraine fait partie de la Russie ? Un pays peut-il se retourner contre lui-même ?
    Il faut faire la guerre, sans cesse, aux mots inexacts. Nos frappes, honteusement qualifiées de bombardements par les agresseurs occidentaux, sont millimétrées. Nos militaires travaillent comme des chirurgiens, des joailliers.

    Les nazis au pouvoir à Kiev réclament des couloirs d’évacuation pour les civils qui tentent de fuir leur tyrannie. Le président Poutine, qui est un humaniste, a proposé, lui, des corridors humanitaires. Lesquels ne conduiraient pas ces malheureux réfugiés dans l’enfer occidental, mais bien à l’abri, en Russie ou en Biélorussie. Cela a été scandaleusement refusé.
    Avec courage et détermination, malgré le déluge de feu qui s’abat sur eux, nos véhicules motorisés avancent vers Kiev. Les habitants de la ville, qui font le siège des fleuristes, attendent leurs libérateurs avec une excitation grandissante.
    Où va s’arrêter l’agression de l’Otan ? Vladimirovitch Poutine (que Dieu le garde à la présidence jusqu’en 2036 !) démontre depuis vingt-cinq ans qu’il est un homme de paix, un pacifiste. Mais si l’on s’obstine à le violenter, je vous le dis : de guerre lasse, il sera contraint de faire la guerre. »

    La Russie aujourd’hui, l’Union Soviétique hier et… L’Empire russe avant est une dangereuse récidiviste qui a l’habitude d’attaquer, massacrer et soumettre ses voisins.

    En 1863, la Pologne n’existait plus. Elle avait été dépecée entre la Prusse, l’Empire d’Autriche Hongrie et pour sa plus grande part l’Empire Russe. J’avais narré cette histoire lors de la série sur la grande guerre, dans le mot du jour du <15 novembre 2018>

    Mais le sentiment national polonais existait même en l’absence d’État et <en janvier 1863>, la nation polonaise s’est révoltée contre le Tsar qui a envoyé son armée écraser la Pologne.

    Le rédacteur d’un journal polonais, Alexandre Herzen a écrit à Victor Hugo : « Grand frère, au secours ! Dites le mot de la civilisation. »

    Et Victor Hugo a répondu !

    Et ce texte, si on remplace Pologne par Ukraine, polonais par ukrainien et Varsovie par Kiev, pourrait quasi être écrit aujourd’hui :

    « À L’ARMÉE RUSSE

    Soldats russes, redevenez des hommes.

    Cette gloire vous est offerte en ce moment, saisissez-la.

    Pendant qu’il en est temps encore, écoutez :

    Si vous continuez cette guerre sauvage ; si, vous, officiers, qui êtes de nobles cœurs, mais qu’un caprice peut dégrader et jeter en Sibérie ; si, vous, soldats, serfs hier, esclaves aujourd’hui, violemment arrachés à vos mères, à vos fiancées, à vos familles, sujets du knout, maltraités, mal nourris, condamnés pour de longues années et pour un temps indéfini au service militaire, plus dur en Russie que le bagne ailleurs ; si, vous qui êtes des victimes, vous prenez parti contre les victimes ; si, à l’heure sainte où la Pologne vénérable se dresse, à l’heure suprême ou le choix-vous est donné entre Pétersbourg où est le tyran et Varsovie où est la liberté ; si, dans ce conflit décisif, vous méconnaissez votre devoir, votre devoir unique, la fraternité ; si vous faites cause commune contre les Polonais avec le czar, leur bourreau et le vôtre ; si, opprimés, vous n’avez tiré de l’oppression d’autre leçon que de soutenir l’oppresseur ; si de votre malheur vous faites votre honte ; si, vous qui avez l’épée à la main, vous mettez au service du despotisme, monstre lourd et faible qui vous écrase tous, russes aussi bien que polonais, votre force aveugle et dupe ; si, au lieu de vous retourner et de faire face au boucher des nations, vous accablez lâchement, sous la supériorité des armes et du nombre, ces héroïques populations désespérées, réclamant le premier des droits, le droit à la patrie ; si, en plein dix-neuvième siècle, vous consommez l’assassinat de la Pologne, si vous faites cela, sachez-le, hommes de l’armée russe, vous tomberez, ce qui semble impossible, au-dessous même des bandes américaines du sud, et vous soulèverez l’exécration du monde civilisé ! Les crimes de la force sont et restent des crimes ; l’horreur publique est une pénalité.

    Soldats russes, inspirez-vous des polonais, ne les combattez pas.

    Ce que vous avez devant vous en Pologne, ce n’est pas l’ennemi, c’est l’exemple.

    VICTOR HUGO.Hauteville-House, 11 février 1863.
    « À l’armée russe » in Œuvres complètes de Victor Hugo, Actes et paroles, II, Pendant l’exil, 1852-1870, Paris, Hetzel et Quantin, 1883, pp. 323-324.

    <1670>

  • Jeudi 17 mars 2022

    « Profits et pertes : les spéculateurs de la crise et du chaos »
    Documentaire de Rupert Russe (Royaume-Uni, 2019, 1h22mn)

    Le jeudi 17 mars est le 22ème jour de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine

    Le 17 mars est aussi un jour particulier : il y a deux ans nous commencions le premier confinement pour lutter contre la COVID19.

    Nous espérions, il y a deux ans, que le confinement ne dure pas trop longtemps. Mais nous ne pensions pas que lorsque la pandémie deviendrait moins prégnante, l’autocrate du Kremlin engagerait une guerre dont nous ne savons pas aujourd’hui où elle nous mènera.

    J’ai regardé avec un grand intérêt le THEMA d’Arte, le 15 mars.

    D’abord le documentaire sur le Président Zelenski : <Zelensky, l’homme de Kiev> qui montre l’évolution de cet homme, sa part d’ombre et aujourd’hui sa part de lumière, parce qu’il a su se hisser à la hauteur des évènements et faire face.

    Ce documentaire a été suivi par un autre : <Profits et pertes : les spéculateurs de la crise et du chaos> dans lequel on voit les dégâts et conséquences de la financiarisation du monde.

    Il établit ce lien étroit entre quelques traders qui, comme, dans un jeu vidéo, spéculent sur les matières premières, installés tranquillement devant leur écran d’ordinateur et la conséquence qui peut être la hausse des prix de l’énergie, du blé ou d’autres choses vitales pour les humains.

    Alors dans des pays pauvres, le prix des aliments devient si cher qu’il y a des émeutes de la faim et des morts.

    Les terres dont veut s’emparer Poutine sont riches de matières premières, Le documentaire laisse entendre que si Poutine parle d’Histoire qu’il raconte à sa façon, il pense peut-être aux ressources naturelles de l’Ukraine.

    Le Monde pose aussi cette question : <La Russie envahit-elle l’Ukraine pour ses ressources naturelles ?>

    Cet article qui détaille les ressources de l’Ukraine qui sont importantes ne semble cependant pas répondre positivement à la question introductive :

    « Les ressources de l’Ukraine ne constituent pas en soi un intérêt décisif qui motiverait une invasion, car leur part dans la production mondiale demeure minime par rapport à d’autres producteurs. « Cet intérêt est encore moins stratégique pour un pays comme la Russie aussi riche en matières premières, et qui avait des échanges commerciaux avec l’Ukraine qui lui permettait d’acquérir ces ressources », avance Pierre Laboué. Mais dans un contexte de sanctions, ajoute-t-il toutefois, la maîtrise de certaines de ces ressources peut présenter un intérêt tactique : « Les marchés dont l’équilibre offre-demande est déjà tendu peuvent surréagir à la moindre tension supplémentaire, ce qui renforce le pouvoir de marché de la Russie. Avec le risque de récession de l’économie russe suite aux sanctions, tout bonus est bon à prendre. »

    Mais ce documentaire est très intéressant surtout par ce qu’il montre que très souvent la fluctuation des cours qui peut avoir des conséquences graves pour des populations entières est déconnectée de la réalité physique et de la disponibilité de ces matières physiques. Les fluctuations s’expliquent alors par l’action des spéculateurs mus par l’appât du gain. De plus en plus souvent ce ne sont même plus des humains qui spéculent mais des algorithmes qui traitent des millions d’informations.

    En revanche, ce ne sont pas les algorithmes qui encaissent les profits réalisés.

    ARTE présente ainsi ce documentaire :

    « Du Venezuela à l’Irak, enquête sur les ravages causés par les spéculations sur les matières premières dans un marché mondialisé. Les éclairages d’économistes de premier plan comme Jeffrey Sachs ou le prix Nobel Joseph Stiglitz permettent de mieux appréhender les mécanismes et les conséquences de montages financiers dictés par la seule loi du profit. Pain, eau, carburant… : pour une part croissante de la population mondiale, notamment en Amérique latine, en Asie ou en Afrique, des hausses de prix vertigineuses rendent de plus en plus inabordables ces biens de première nécessité.

    Avec les guerres et le changement climatique, l’impossibilité d’accéder au minimum vital constitue désormais l’une des premières causes de migration sur la planète et le facteur aggravant de conflits armés. Ces brutales augmentations du coût de la vie trouvent souvent leur origine dans de nouvelles formes de spéculation sur les matières premières, qui créent à l’échelle mondiale des mouvements de prix totalement déconnectés des marchés locaux – un « effet papillon » dévastateur.

    Du Venezuela à l’Irak en passant par le Kenya ou le Guatemala, pays violemment touchés par le phénomène, cette enquête explore les ravages de ces inflations incontrôlées en remontant jusqu’aux places boursières où se nouent les guerres des prix. »

    Je redonne le lien  : <Profits et pertes : les spéculateurs de la crise et du chaos>.

    <1669>

  • Mercredi 16 mars 2022

    « La manière dont [Poutine] s’y prend est inspirée du modèle hitlérien. !»
    Elie Barnavi

    La guerre déclenchée par Poutine a commencé le jeudi 24 février.

    Le mercredi 16 mars est le 21ème jour de guerre

    Souvent, je pense que le comportement de Poutine ressemble à celui d’Hitler.

    Mais il est difficile de faire appel à ce moment de l’histoire à cause du « Point godwin » que j’avais développé lorsque certains comparaient la victoire des écologistes aux municipales de Lyon avec l’arrivée de Hitler au pouvoir.

    Toutefois, Elie Barnavi, l’historien qui a aussi été ambassadeur d’Israël en France, a fait cette comparaison dans <les matins de France Culture du 15 mars>

    C’est à peu près vers 25 mn :

    « Il y a la pure agression d’un pays contre son voisin parce qu’il estime que l’existence de son voisin n’est simplement pas légitime.
    Il essaie de l’avaler.

    On a à faire à quelque chose qu’on n’a pas vu en Europe depuis la seconde guerre mondiale.

    Cela me parait comme une resucée du nazisme en quelque sorte.

    Si on comparait les actions de Poutine à ce qu’a fait Hitler, – on dit Hitler et on pense à Auschwitz – mais il y a le Hitler du coup de force, du coup de poing, des provocations et des mensonges.
    On est exactement dans le même type de comportement.

    Il est lui-même d’ailleurs ironique, il traite les ukrainiens de nazisme, alors qu’il est entrain de se comporter exactement de la même manière.

    Je ne pense pas que cela va aboutir aux chambres à gaz, mais je pense que la manière dont il s’y prend est inspiré du modèle hitlérien. »

    C’est en effet, en dehors du génocide, une action qu’on peut comparer au modèle hitlérien :

    • Comme Hitler il considère inacceptable que des russes se trouvent dans des régions qui ne sont pas en Russie. Situation qui a fait suite à l’effondrement de l’Union Soviétique. Pour Hitler c’était la paix de Versailles, il a commencé par annexer l’Autriche puis il s’est attaqué à la Tchécoslovaquie en raison de la région des Sudètes qui comptait une majorité d’allemands.
    • Comme Hitler il ment de manière inimaginable. Son armée bombarde une maternité, on voit des mères enceintes qui doivent fuir l’établissement et certaines vont mourir. Ses sycophantes, comme les appelle Barnavi, prétendent que la maternité de Marioupol était une base de la milice d’extrême droite Azov.
    • Il installe en Russie un outil de propagande comme les nazis et tous les russes doivent reprendre exactement le récit gouvernemental sous peine d’être arrêtés et condamnés jusqu’à 15 ans de prison.
    • Tous les médias sont contrôlés par le gouvernement, les autres sont fermés. Il tente même de fermer tous les réseaux sociaux qui peuvent être divergents.

    Par rapport à Hitler, il y a le génocide en moins et l’arme nucléaire en plus.

    <1668>

  • Mardi 15 mars 2022

    « Un dessin de Plantu »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Un simple dessin.
    Mais un dessin de Plantu
    Merci à François qui a attiré mon attention sur ce dessin et merci à Plantu :

    J’ai trouvé aussi cette belle chanson de Jacques Larue et Alec Siniavine, chantée par Yvette Giraud en 1946 <Ukraine>

    <Mot du jour sans numéro>

  • Lundi 14 mars 2022

    « Si l’humanité accepte que le péché est une variation du comportement humain, alors la civilisation humaine s’arrêtera là !»
    Patriarche Kirill

    Pour Karl Marx, la religion était l’opium du peuple.

    En aparté, et dans ma vision actuelle du monde et de mon expérience, je crois que sur ce point, il avait totalement raison.

    L’opium c’est la drogue, c’est-à-dire un artifice qui fait qu’on voie la vie comme dans un rêve et que la raison est anesthésiée.

    L’Union Soviétique, suivant le conseil de Karl Marx, a combattu les religions et les religieux, tout en promouvant elle-même une religion laïque : le communisme qui était aussi une croyance à un récit.

    Quand l’Union soviétique s’est écroulée, la religion orthodoxe est sortie de sa léthargie pour redevenir l’opium du peuple avec la bénédiction de Vladimir Poutine.

    L’église orthodoxe est devenue pour le nouveau Tsar une caution morale et un symbole du renouveau de la sainte Russie.

    Après un accord avec Nicolas Sarkozy en 2007, Vladimir Poutine a fait construire en finançant, quai Branly, la construction de ce qu’on pourrait appeler un <centre russe orthodoxe> comprenant une école, un centre culturel et surtout une cathédrale offerte à l’Église orthodoxe russe.

    Au pied de la Tour Eiffel, entièrement financé par le Kremlin à hauteur de 150 millions d’euros, ce centre devait être inauguré, en 2016, par Vladimir Poutine et le patriarche Kirill de Moscou. Mais les tensions diplomatiques autour de la guerre en Syrie en ont décidé autrement.

    Elle fut donc inauguré en l’absence de Vladimir Poutine et du patriarche, le 19 octobre 2016.

    C’était pendant le quinquennat Hollande.

    Mais Poutine a quand même pu voir son œuvre un peu plus tard.

    Vous vous souvenez, ou alors on vous l’a rappelé lors du sommet des 27 à Versailles de ce week-end que le jeune et nouveau Président que nous nous étions donné en 2017, avait invité très rapidement Vladimir Poutine au château de Versailles pour essayer de l’amadouer.

    Ce qu’il n’est pas arrivé à faire… Pour ma part, je ne le lui reprocherai pas, au moins a t’il essayé.

    C’était le lundi 29 mai 2017. Et cette rencontre a permis à Poutine de se rendre à la cathédrale en fin d’après-midi.

    Poutine avait déjà en 2011, utilisé tous les moyens pour récupérer la propriété de la Cathédrale Saint Nicolas de Nice. Et il y est parvenu.

    Ce <Site Niçois> raconte :

    « En 2011, la Russie revendique la propriété de la Cathédrale Saint-Nicolas. La Fédération de Russie revendique le fait que le terrain sur lequel elle est construite appartenait à la famille impériale de Russie. L’Association cultuelle orthodoxe russe de Nice, gérante du lieu depuis près d’un siècle, se voit alors contrainte d’envoyer les clés de l’édifice au président russe Vladimir Poutine. Quelques années plus tard, la Russie se voit restituer trois autres reliques du tsar Alexandre II qui faisaient la fierté du lieu. »

    Il est peut être possible qu’en raison des sanctions économiques contre la Russie, la France puisse reprendre ce joyau.

    C’est ce qu’envisage cet article de « Nice Matin » : < La France peut-elle saisir l’église russe de Nice dans le cadre des sanctions annoncées ?>

    On constate donc qu’entre Vladimir Poutine et l’Église orthodoxe « c’est du sérieux », pour reprendre l’expression utilisée par Nicolas Sarkozy dans d’autre circonstances.

    Mais l’Église Orthodoxe et le Patriarche Kirill le lui rendent bien.

    « Le nouvel esprit public » de ce dimanche m’a fait connaître une revue en ligne <Grand Continent>.

    Cette revue a traduit un discours, je n’ose écrire une homélie, du Patriarche Kirill prononcé le 6 mars 2022, le dimanche de la Saint-Jean, appelé, précise l’article, « dimanche du pardon »), qui est une fête spécifique aux orthodoxes et qui fait mémoire de l’expulsion d’Adam et Eve du Paradis, souvenir du péché originel, mais aussi de la promesse de Rédemption. Ce sermon a été prononcé dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou.

    Vous trouverez cet article derrière ce lien : < La guerre sainte de Poutine >.

    Je donne quelques extraits du sermon du sage Patriarche, représentant d’une autre religion de paix, comme aime à s’appeler toutes les religions monothéistes :

    L’article est très intéressant, parce que son auteur contextualise les propos du vieil orthodoxe moscovite :

    « Le printemps est la renaissance de la vie, un certain grand symbole de la vie. Et c’est pourquoi ce n’est pas tout à fait par hasard que la principale fête de printemps est la Pâque du Seigneur, qui est aussi un signe, un gage, un symbole de la vie éternelle. Et nous croyons qu’il en est ainsi, et cela signifie que toute la foi chrétienne, que nous partageons avec vous, est la foi qui affirme la vie, qui est contre la mort, contre la destruction, qui affirme la nécessité de suivre les lois de Dieu pour vivre, pour ne pas périr dans ce monde, ni dans l’autre.

    Mais nous savons que ce printemps est assombri par de graves événements liés à la détérioration de la situation politique dans le Donbass, presque le début des hostilités. Je voudrais dire quelque chose à ce sujet.

    Depuis huit ans, on tente de détruire ce qui existe dans le Donbass.

    Et dans le Donbass, il y a un rejet, un rejet fondamental des soi-disant valeurs qui sont proposées aujourd’hui par ceux qui prétendent au pouvoir mondial. Aujourd’hui, il existe un test de loyauté envers ce pouvoir, une sorte de laissez-passer vers ce monde « heureux », un monde de consommation excessive, un monde de « liberté » apparente. Savez-vous ce qu’est ce test ? Le test est très simple et en même temps terrifiant : il s’agit d’une parade de la gay pride. La demande de nombreux pays d’organiser une gay pride est un test de loyauté envers ce monde très puissant ; et nous savons que si des personnes ou des pays rejettent ces demandes, ils ne font pas partie de ce monde, ils en deviennent des étrangers.

    Mais nous savons ce qu’est ce péché, qui est promu par les soi-disant « marches de la fierté » (gay pride). C’est un péché qui est condamné par la Parole de Dieu – tant l’Ancien que le Nouveau Testament. Et Dieu, en condamnant le péché, ne condamne pas le pécheur. Il l’appelle seulement à la repentance, mais ne fait en aucun cas du péché une norme de vie, une variation du comportement humain – respectée et tolérée – par l’homme pécheur et son comportement.

    Si l’humanité accepte que le péché n’est pas une violation de la loi de Dieu, si l’humanité accepte que le péché est une variation du comportement humain, alors la civilisation humaine s’arrêtera là. Et les gay pride sont censées démontrer que le péché est une variante du comportement humain. C’est pourquoi, pour entrer dans le club de ces pays, il faut organiser une gay pride. Pas pour faire une déclaration politique « nous sommes avec vous », pas pour signer des accords, mais pour organiser une parade de la gay pride. Nous savons comment les gens résistent à ces demandes et comment cette résistance est réprimée par la force. Il s’agit donc d’imposer par la force le péché qui est condamné par la loi de Dieu, c’est-à-dire d’imposer par la force aux gens la négation de Dieu et de sa vérité.

    Par conséquent, ce qui se passe aujourd’hui dans la sphère des relations internationales ne relève pas uniquement de la politique. Il s’agit de quelque chose d’autre et de bien plus important que la politique. Il s’agit du Salut de l’homme, de la place qu’il occupera à droite ou à gauche de Dieu le Sauveur, qui vient dans le monde en tant que Juge et Créateur de la création. Beaucoup aujourd’hui, par faiblesse, par bêtise, par ignorance, et le plus souvent parce qu’ils ne veulent pas résister, vont là, du côté gauche. Et tout ce qui a trait à la justification du péché condamné dans la Bible est aujourd’hui le test de notre fidélité au Seigneur, de notre capacité à confesser la foi en notre Sauveur.

    Tout ce que je dis a plus qu’une simple signification théorique et plus qu’une simple signification spirituelle. Il y a une véritable guerre autour de ce sujet aujourd’hui. Qui s’attaque aujourd’hui à l’Ukraine, où huit années de répression et d’extermination de la population du Donbass, huit années de souffrance, et le monde entier se tait – qu’est-ce que cela signifie ?

    Mais nous savons que nos frères et sœurs souffrent réellement ; de plus, ils peuvent souffrir pour leur loyauté envers l’Église. Et donc, aujourd’hui, en ce dimanche du pardon, moi, d’une part, en tant que votre berger, j’appelle tout le monde à pardonner les péchés et les offenses, y compris là où il est très difficile de le faire, là où les gens se battent entre eux. Mais le pardon sans la justice est une capitulation et une faiblesse. Le pardon doit donc s’accompagner du droit indispensable de se placer du côté de la lumière, du côté de la vérité de Dieu, du côté des commandements divins, du côté de ce qui nous révèle la lumière du Christ, sa Parole, son Évangile, ses plus grandes alliances données au genre humain.

    Aujourd’hui, nos frères du Donbass, les orthodoxes, souffrent sans aucun doute, et nous ne pouvons qu’être avec eux – avant tout dans la prière. Nous devons prier pour que le Seigneur les aide à préserver leur foi orthodoxe et à ne pas succomber aux tentations. » […]

    Que le Seigneur nous aide tous à entrer dans le chemin du Saint Carême de telle manière, et pas autrement, qu’Il puisse sauver nos âmes et favoriser la multiplication du bien dans notre monde pécheur et souvent terriblement erroné, afin que la vérité de Dieu puisse régner et diriger le genre humain. Amen. »

    Vous voyez que Karl Marx avait raison à propos de l’opium.

    Cet article renvoie vers un autre < Que nous importe le monde si la Russie n’y existe plus ?> qui présente Vladislav Iouriévitch Sourkov qui est un homme d’affaires et homme politique russe, cofondateur du parti Russie unie qui mena Vladimir Poutine au pouvoir en 2001.Il est considéré comme le principal idéologue du Kremlin des années 2000, auteur du concept de « Démocratie souveraine », il est nommé vice-président du gouvernement, chargé de la modernisation le 27 décembre 2011 par Dmitri Medvedev.

    <1667>

  • Vendredi 11 mars 2022

    « Pourvu qu’ils tiennent !»
    Caricature de Jean-Louis Forain pendant la grande guerre, en évoquant l’arrière

    Nous sommes débordés d’informations, mais nous savons finalement assez peu sur cette guerre en Ukraine, contrairement à ce que laisse croire les chaines d’informations en continu.

    Nous ne connaissons pas le nombre de morts ni du côté russe, ni du côté ukrainien.

    En réalité, nous ne connaissons pas les vrais buts de guerre de Poutine.

    C’est pour beaucoup, une guerre de communication.

    Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, au-delà de son courage qui est grand, se révèle un remarquable communicant.

    Ces derniers jours, il s’est énervé contre les occidentaux qui ne mettent pas en place une zone de sécurité de l’espace aérien ukrainien.

    Mais pour ce faire, il faudrait que l’OTAN attaque les avions russes pour les empêcher de survoler l’Ukraine. Une telle intervention signifierait entrer en guerre contre la Russie. Les pays de l’OTAN en guerre contre la Russie, c’est factuellement la troisième guerre mondiale. Et pour la première fois de l’Histoire une guerre dans laquelle, des deux côtés, les belligérants ont la bombe atomique.

    Ce n’est pas raisonnable, il faut tout faire pour empêcher cette escalade. On ne sait jamais comment finissent les guerres, surtout entre puissances nucléaires.

    Les ukrainiens se battent donc seuls avec des armes.

    Ce que certains ont décrit par cette formule terrible :

    « Les européens veulent se battre pour la liberté… jusqu’au dernier ukrainien »

    Il n’est pas exact que les occidentaux ne font rien : ils accueillent les réfugiés, ils livrent des armes et ils pratiquent des sanctions économiques.

    Mais ces sanctions économiques sont aussi dévastatrices pour nos économies.

    Nous le constatons déjà en allant faire le plein d’essence.

    Ce renchérissement de l’énergie va se répercuter sur tous nos achats.

    Nous ne voulons pas donner notre sang pour l’Ukraine, mais voulons nous donner notre confort pour certains et plus que cela pour tous ces gens modestes qui ont du mal à boucler les fins de mois et qui en plus ont besoin de leurs voitures au quotidien pour travailler, se nourrir et vivre ?

    Allons-nous tenir ?

    Le club des vieux centristes du « Nouvel Esprit Public » de Philippe Meyer a bien sûr consacré sa dernière émission à l’Ukraine.

    Comme souvent j’ai particulièrement apprécié l’intervention de Jean-Louis Bourlanges.

    Il a émis cette crainte : allons nous tenir en référant à un caricaturiste historique : Jean Louis Forain (1852-1931) :

    « Quand je songe à ces sanctions, il me revient à l’esprit une caricature de Forain, parue pendant la guerre de 1914-1918. On y voyait deux soldats discutant dans une tranchée : « Pourvu qu’ils tiennent !
    – Qui ça ?
    – L’arrière. »

    Je crois qu’on en est là. Tout un peuple est promis à des souffrances inouïes, dont nous n’avons encore à peu près rien vu. Les jours qui viennent vont sans doute être terribles. Même si le degré d’horreur n’atteint pas ce qu’on a pu voir à Grozny ou à Alep, si l’on se base sur les précédentes opérations de même nature menées par l’armée russe, on a tout lieu de croire que ce sera absolument terrifiant. «


    Ce dessin de Jean-Louis Forain est paru le 9 janvier 1915, dans le journal L’Opinion. A l’époque, cette caricature provoque une polémique énorme et donne lieu à une chanson  » Ohé m’sieur Forain « , composée par Aristide Bruant et créée par une des plus grandes vedettes de l’époque, le comique troupier Polin. Dans cette caricature, Forain montre les difficultés rencontrées par les civils et les soldats pendant la Première Guerre mondiale, et renverse la vision traditionnelle qui met généralement les mots  » Pourvu qu’ils tiennent  » dans la bouche des civils.

    Et Jean-Louis Bourlanges continue à analyser notre situation ambigüe et fragile :

    « Pour des raisons très solides, nous n’intervenons pas dans cette guerre : rien ne serait plus dangereux que de transformer ce conflit en troisième guerre mondiale.
    Ces raisons sont fortes, mais bien peu sympathiques.
    Nous nous retrouvons un peu dans la situation du film Fort Alamo. Nous savons qu’à quelques milliers de kilomètres de nous vont mourir des gens qui défendent leur patrie, ainsi que la liberté et les valeurs des Européens. Ce « pourvu qu’ils tiennent  ! » n’a rien d’évident. Je suis moi aussi réconforté sur la façon dont les sanctions ont été décidées, à savoir par l’unité profonde, et entièrement nouvelle. Notamment la conversion de nos amis allemands, sous l’impulsion du nouveau chancelier, à une logique de confrontation dont il assume pleinement les conséquences. C’est très nouveau.  »

    Son inquiétude est palpable dans les mots mais aussi dans le ton utilisé :

    « Mais au-delà ce tout cela, je suis très préoccupé. D’abord parce qu’il me parait hors de question que ces sanctions fassent dévier M. Poutine de son objectif final. Sa capacité stratégique a été́ mise au défi, il ne peut que surenchérir.
    Il a les moyens militaires de le faire, il a l’assurance que les forces occidentales n’entreront pas en guerre, il ne va donc pas se priver. Donc, au moins à court terme, il va réaliser son projet. Nous sommes nécessairement dans le long terme. Comment le rapport de forces évoluera-t ‘il ? D’abord, nous sommes nous aussi très vulnérables. Sur le blé, sur les engrais, sur une quantité de matières premières rares …
    Nous sommes donc exposés à une situation où il va nous falloir encaisser, faire des sacrifices. D’autre part, je ne sens pas encore que la conscience européenne et occidentale soit engagée sur un effort de longue haleine et de sacrifices. »

    Et il finit son intervention par cette analyse qui me semble très lucide.

    « Nous sommes un peu dans la situation décrite dans le testament de Richelieu : quand il s’agit de se mobiliser les Français sont tout feu tout flamme, et par la suite, ça se gâte … Les Allemands sont peut-être plus conscients et engagés sur la durée que nous le sommes, mais cela reste à démontrer.
    Face à Poutine, nous avons trois désavantages.
    D’abord une faiblesse idéologique : en France, environ une moitié de la population s’est montrée sensible à Poutine. Or être sensible à Poutine, c’est être sensible à ce qu’il y a de pire en nous : le culte du chef, de la violence, le nationalisme le plus étriqué, etc.
    D’autre part, nous sommes en pleine incertitude quant à l’universalité de nos valeurs, on le voit avec des phénomènes comme le wokisme.
    Ensuite, sur le plan stratégique : qu’attendons-nous exactement des sanctions ? Que pouvons-nous en obtenir ? Et à quel moment s’arrêtent-elles ? Nous n’en avons pas la moindre idée. Pour le moment, il semble que M. Poutine veut toute l’Ukraine ; on ne voit pas comment une solution intermédiaire pourrait émerger. Et même si elle émergeait, on ne voit pas comment elle pourrait à la fois satisfaire Poutine et être acceptable par M. Zelensky et par les Ukrainiens. Enfin, une incertitude de la volonté : tiendrons-nous dans la durée ?
    Nous avons changé de monde, mais nous n’en sommes qu’au début. Il va nous falloir accomplir une révolution intellectuelle et surtout morale, accepter les logiques de contraintes, de mobilisation et d’efforts, si nous voulons rester dignes de ce que nous prétendons être.

    Il est plus nécessaire que jamais de garder à l’esprit la phrase de Thucydide :
    « Il n’y a pas de bonheur sans liberté, ni de liberté sans vaillance ».

    Et la vaillance n’est pas une valeur instantanée, mais à long terme.

    Le plus dur est devant nous. »

    Je redonne le lien vers l’émission : <Le Nouvel esprit public du 6 mars 2022>

    <1667>

  • Jeudi 10 mars 2022

    « La seule chose dont je suis absolument sûr, c’est qu’il ne faut en aucun cas choisir entre ces deux tragédies. »
    Bruno Latour

    Jeudi 24 février 2022, Vladimir Poutine donnait l’ordre à l’armée russe d’envahir l’Ukraine, en attaquant sur 3 fronts et en ayant a priori comme but de guerre de décapiter le gouvernement de Kiev.

    Le GIEC, Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat, a sorti son dernier rapport le 28 février 2022. Il s’agit du deuxième volet du sixième rapport d’évaluation du Giec a. Le premier volet, en date d’août 2021, concluait que le changement climatique était plus rapide que prévu.

    En avril 2022, le Giec publiera un troisième volet concernant les solutions à mettre en place pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

    Le deuxième volet s’intéresse aux effets, aux vulnérabilités et aux capacités d’adaptation à la crise climatique.

    Ce <site gouvernemental de documentation> en dresse un résumé.

    • La première partie du rapport est consacrée aux effets actuels du réchauffement climatique (+1,09°C en 2021) sur les populations et les écosystèmes :
      • réduction de la disponibilité des ressources en eau et en nourriture (en Afrique, en Asie et dans les petites îles notamment) ;
      • impact sur la santé dans toutes les régions du monde (plus grande mortalité, émergence de nouvelles maladies, développement du choléra), augmentation du stress thermique, dégradation de la qualité de l’air… ;
      • baisse de moitié des aires de répartition des espèces animales et végétales.
    • Ces effets sont irrémédiables, même dans l’hypothèse d’une limitation de la hausse des température à 1,5°C comme fixé dans l’accord de Paris. Ils sont par ailleurs aggravés par la pauvreté ou l’accès limité à des services.

    D’ores et déjà, entre 3,3 et 3,6 milliards d’habitants vivent dans des situations très vulnérables au changement climatique.

    Les experts évoquent les incidences à venir pour les populations avec, en particulier, 1 milliard d’habitants des régions côtières menacés en 2050.

    Parmi les effets en cascade liés aux catastrophes naturelles de plus en plus rapprochées, le Giec évoque aussi les conséquences sur la production alimentaire, la hausse du prix des aliments ou encore la malnutrition…

    Les auteurs du rapport dénoncent une inadéquation des moyens mis en œuvre face à la rapidité des changements, signe d’un « manque de volonté politique » avec, pour exemple, le non-respect des engagements de Glasgow 2021 lors de la COP 26 en matière de doublement des budgets pour lutter contre le réchauffement.

    • Un développement résilient au changement climatique est cependant encore possible en consacrant des efforts financiers plus importants dans certains secteurs clés :

    Ainsi des efforts financiers devraient être réalisés dans les secteurs suivants

    • la transition énergétique pour réduire les émissions de CO2 ;
    • une meilleure gestion de l’eau et de l’irrigation mais aussi une meilleure adaptation des cultures aux conditions climatiques via l’agroécologie ;
    • la préservation du milieu naturel (restauration des forêts et des écosystèmes naturels, arrêt de l’urbanisation dans les zones côtières, végétalisation des villes…).

    Au rythme de développement actuel, le réchauffement climatique pourrait atteindre 2,7°C à la fin du siècle.

    Cet article renvoie vers une communication de l’ONU : < les experts du GIEC s’alarment des conséquences énormes d’une planète en péril>.

    Il y a aussi cette page documentée sur le site de <TV5 monde>

    Je ne crois pas que le rapport existe en version française, je n’ai même pas trouvé la synthèse en français qui existe en anglais : <ICI>

    Dans le journal en ligne AOC [Analyse Opinion Critique], Bruno Latour a publié, jeudi 3 mars 2022, dans la rubrique Opinion : <Quelles entre-deux-guerres ? >

    Bruno Latour exprime d’abord ce sentiment humain que toute personne honnête et raisonnable doit probablement ressentir : l’angoisse :

    « Je ne crois pas être le seul à être angoissé, et doublement angoissé. C’est ce que je ressens depuis que je lis en même temps les nouvelles de la guerre en Ukraine et le nouveau rapport du GIEC sur la mutation climatique.
    Je ne parviens pas à choisir l’une ou l’autre de ces deux tragédies. Inutile d’essayer de dresser la première contre la deuxième, ni même de les hiérarchiser, de faire comme si l’une était plus urgente, l’autre plus catastrophique. Les deux me frappent en même temps à plein. »

    Il ne faut pas choisir dit-il, les deux sont aussi essentiels pour nous mais si elles sont toutes deux « géopolitiques », elles se différencient sur un point :

    « Il ne s’agit pas d’occuper les mêmes terres. »

    L’agression de Poutine correspond à notre expérience historique même si nous avions perdu l’habitude de tels agissements en Europe

    « La guerre de Poutine se joue sur l’échiquier des grandes puissances et prétend se saisir d’une terre sans autre justification que le plaisir d’un prince. À l’ancienne, en quelque sorte. »

    Et il se lance dans cette spéculation philosophiquee :

    « L’autre tragédie ne se joue pas sur cet échiquier traditionnel. Il y a bien des prises de terre, mais c’est plutôt la Terre qui resserre sa prise sur toutes les nations. Il y a bien des grandes puissances, mais elles sont chacune en train d’envahir les autres en déversant sur elles leurs pollutions, leurs CO2, leurs déchets, si bien que chacune est à la fois envahissante et envahie, sans qu’elles parviennent à faire tenir leurs combats dans les frontières des États – nations. Sur ce trépassement d’un pays sur les autres, le rapport du GIEC est écrasant : les grandes puissances occupent les autres nations, aussi sûrement que la Russie cherche à détruire l’Ukraine. Sans missile et sans tank, c’est vrai, mais par le cours ordinaire de leurs économies. Ces deux tragédies sont bien concomitantes.

    Si elles ne semblent pas mordre sur mes émotions exactement de la même façon, c’est parce que je possède tout un répertoire d’attitudes et d’affects pour réagir, hélas, aux horreurs de la guerre en Ukraine et que je n’ai pas (pas encore) les mêmes tristes habitudes pour réagir aux destructions innombrables des grandes puissances en guerre avec les terres qu’elles envahissent – et qui pourtant les encerclent de plus en plus étroitement en resserrant chaque jour leurs emprises. Chacun a vu des centaines de films de guerre, mais combien de films « de climat » ?

    Et c’est bien de guerre qu’il s’agit désormais dans les deux cas, en ce sens précis, qu’il n’y a aucun principe supérieur commun, aucun arbitre suprême, pour en juger les conflits. Il n’y en a plus pour contenir la Russie ; il n’y en a pas encore pour contenir le climat. La décision ne dépend plus que de l’issue des conflits.

    Plusieurs journalistes ont introduit l’hypothèse que la guerre de Poutine marquait la fin d’une parenthèse qu’ils appellent la nouvelle « entre-deux guerre ». Voilà, suggèrent-ils, à partir de février 2022, finirait l’entre-deux guerres, celle qui avait commencé en 1945, avec la fondation des Nations Unies et l’idée de paix. Paix virtuelle bien sûr, projet qui faisait l’impasse sur d’innombrables conflits, mais qui obligeait quand même les impérialistes à obtenir de la fragillissime institution des Nations Unies comme un brevet de vertu.

    Or Poutine, président d’un pays fondateur de cette vénérable institution, n’a même pas tenté d’obtenir un mandat pour envahir l’Ukraine (dont il nie d’ailleurs l’existence, ce qui l’autorise à tuer ceux que bizarrement il appelle ses frères). Et la Chine l’a gravement approuvé. Fin de cette entre deux guerres qui aurait duré 77 ans. Si je suis si terrifié, c’est que j’ai 75 ans, et que ma vie se loge donc exactement dans cette entre-deux guerres. Cette longue illusion sur les conditions de paix perpétuelle… avec toute ma génération, j’aurais vécu dans un rêve ?

    Trois générations pour oublier l’horreur de la Deuxième Guerre mondiale (je commence à ne plus savoir comment numéroter l’enchaînement des conflits), ce n’est peut-être pas si mal après tout. La précédente, celle de mes parents, n’avait duré que 22 ans. L’effet de la Grande Guerre n’avait pas suffi.

    Mais l’autre tragédie, je ne parviens pas à la faire rentrer dans le même cadre temporel. L’impression de paix a volé pour moi en éclat dès les années quatre-vingt quand les premiers rapports indiscutables sur l’état de la planète commencent à être systématiquement déniés par ceux qui vont devenir les climato-sceptiques.

    Si j’avais à choisir une date pour fixer la limite de cette autre « entre-deux guerre », 1989 pourrait convenir. La chute de l’URSS (dont on dit que c’est le drame intime de Poutine quand on veut expliquer sa folie !) marque à la fois le maximum d’illusions sur la fin de l’histoire et le début de cette autre histoire, de cette géohistoire, de ce nouveau régime climatique qui, j’en étais sûr, allait ajouter ses conflits à tous les autres, sans que je sache en aucune façon comment dessiner leurs lignes de front. Cette entre deux guerres aurait duré, quant à elle, 45 ans.

    Est-ce une loi de l’histoire qu’il faille payer quelques décennies de paix relatives par un conflit si terrifiant qu’il force tous les protagonistes à s’entendre, avant que l’oubli n’en émousse l’effet ? Mais alors, quels conflits nous faudra-t-il subir avant de pouvoir à nouveau tenter de refonder un nouvel idéal de paix ?

    Je ne sais pas comment tenir à la fois les deux tragédies. En un certain sens, pourtant, la tragédie climatique, celle rapportée par le dernier rapport du GIEC, encercle bel et bien toutes les autres. Elle est donc en un sens « mondiale », mais dans un tout autre sens de l’adjectif avec lequel nous avons pris l’habitude en Europe de numéroter nos guerres (celles des autres, au loin, nous ne les numérotons même pas…). « Planétaire » serait un meilleur terme.

    Or c’est là le cœur de mon angoisse, je vois que Poutine donne le dernier coup à l’ordre issu de la dernière guerre « mondiale », mais je ne vois pas émerger l’ordre qui pourrait sortir de la guerre « planétaire » rapportée par le GIEC.

    C’est là où il faut faire confiance au monde, à la planète, à la terre. Croire à une autre loi de l’histoire, celle par laquelle inévitablement, ô comme je tiens à cet adverbe ! inévitablement, les conflits actuels peuvent, non, doivent déboucher, sur la préparation de l’ordre planétaire qui pourrait suivre l’ordre mondial, si impuissant comme on le voit à empêcher les tanks russes d’occuper l’Ukraine. »

    Et il conclut :

    « Si je le croyais vraiment, je ne serais pas si angoissé ; si je n’y croyais pas vraiment, je n’écrirai pas ce texte.

    La seule chose dont je suis sûr, absolument sûr, c’est qu’il ne faut en aucun cas choisir entre ces deux tragédies. »

    Pendant ce temps j’ai entendu que le gouvernement italien bousculé par les sanctions prononcées contre la Russie et coincé par sa dépendance au gaz russe envisage de <rouvrir des centrales au charbon>.

    En France, il semble que la grande affaire est le pouvoir d’achat…

    Et pendant ce temps, le gouvernement entend aider les français à supporter la hausse des tarifs de l’énergie alors que le candidat Macron veut continuer à baisser les impôts.

    Raymond Aron disait qu’il ne faut pas reprocher aux hommes politiques de poursuivre des objectifs très ambitieux, mais de constater quand ils font des promesses contradictoires, donc impossible à réaliser.

    J’ai l’intuition que Jean-Marc Jancovici a raison : pour s’en sortir nous autres citoyens des pays riches devront nous serrer sérieusement la ceinture, même les plus modestes d’entre nous.

    Cette évolution ne peut se faire dans une société dans laquelle les inégalités se creusent et la confiance des gens les uns envers les autres et de tous envers les élites se délitent. Il faut donc aussi agir sur ces deux points :  la réduction des inégalités et l’augmentation de la confiance.

    <1666>

  • Mercredi 9 mars 2022

    « Pause »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Il semblerait que Poutine avait tout annoncé dans un écrit.

    Vladimir Poutine a publié un long article, presque un essai (plus de 7000 mots) le 12 juillet 2021 : « Sur l’unité des Russes et des Ukrainiens ». On trouve la traduction en français, vers laquelle je renvoie, sur le site de l’Ambassade de Russie en France.

    J’ai trouvé mention de cet article dans l’excellente émission des matins de France Culture : « Comment Poutine entend-il soumettre l’Ukraine ? » .

    Guillaume Erner recevait le géopoliticien Gérard Chaliand et le chercheur spécialiste de la Russie et de l’Eurasie à l’IRSEM, Emmanuel Dreyfus :

    « Le 12 juillet 2021, le Président russe publiait un article sur l’histoire de l’unité des Russes et des Ukrainiens. D’un côté il livre sa vision de l’histoire et d’un autre il présente ses mensonges cyniques sur le fait que jamais les Russes et les Ukrainiens ne seront ennemis. Emmanuel Dreyfus rappelle que la publication de l’article s’inscrivait déjà dans un contexte de montée des tensions extrêmement palpables aux frontières orientales de l’Ukraine.

    Le renforcement militaire russe qui a constitué le prélude de l’intervention actuelle n’est pas si récent car il a commencé en avril dernier. Emmanuel Dreyfus précise que Poutine conclut son article en disant que l’Ukraine est un peuple frère, ce qui peut paraître troublant »

    <Wikipedia> a même consacré un article à cette publication dans lequel il est précisé que le texte a été mis en ligne sur le site du gouvernement russe en russe, en anglais et en ukrainien et que c’est la première fois qu’un document en ukrainien apparaît sur le site du président russe

    Donc si vous voulez lire Poutine dans le texte, c’est <Ici>

    <Mot du jour sans numéro>

  • Mardi 8 mars 2022

    « J’espère que les Russes aiment aussi leurs enfants ! »
    Sting

    Certains parlent du retour de la guerre froide, d’autres disent que cela n’a rien à voir.

    Les seconds pointent le fait qu’il n’y a plus deux systèmes économiques opposés qui se font face. Bien au contraire, non seulement ce sont des systèmes économiques qui sont proches, mais plus encore l’interdépendance entre la Russie et l’Occident est à un niveau tel qu’on ne peut pas sanctionner l’agresseur sans que l’Occident ne soit durement touché par les répercussions de ces sanctions qui lui reviennent en boomerang.

    Certes… Mais ce sont ceux qui croient que seule l’économie guide le monde.

    Or il y a aussi la politique, les valeurs, les récits.

    « Poutine croit à un choc des civilisations entre l’Occident et la Russie ». Non seulement, il pense en termes de puissance comme Staline qui répondait : « Le Pape, combien de divisions ? », mais aussi en terme de valeur pour lui les démocraties sont faibles, n’ont pas d’autorité, ne défendent pas l’identité chrétienne de l’Europe et ont abandonné leur virilité au profit de combat pour l’égalité des LGBT qu’il réprouve absolument.

    Et dans l’affrontement de ces deux systèmes, il y a bien une nouvelle guerre, qu’on espère que, froide qui s’installe.

    En 1985, nous étions encore en pleine guerre froide. Le musicien britannique Gordon Matthew Thomas Sumner, plus connu sous le nom de « Sting » écrit une chanson qui s’intitule « Russians ».

    Sting fait notamment référence à la doctrine de MAD (Mutual Assured Destruction = Destruction Réciproque Assurée) qui consiste à développer des armes nucléaires à grande échelle pour anéantir l’adversaire.

    A partir de l’existence de ces armes les grandes puissances créent le concept de « dissuasion nucléaire » qui consiste à faire le pari que les adversaires n’entreront pas dans la guerre directe parce qu’ils savent qu’elle conduirait à la destruction réciproque assurée.

    Un pari n’est jamais certain, il est possible de le perdre.

    Sting dans sa chanson pose cette question angoissante :

    « How can I save my little boy ? From Oppenheimer’s deadly toy ?
    Comment sauver mon petit garçon ? Du jouet mortel d’Oppenheimer ? ».

    Robert Oppenheimer (1904-1967) fut le directeur scientifique du « Projet Manhattan », c’est-à-dire l’laboration par les Etats-Unis de la bombe nucléaire. Par un raccourci, oubliant les autres éminents scientifique qui ont travaillé sur ce projet, il est régulièrement surnommé le « père de la bombe atomique »

    La réponse à cette angoisse que propose Sting est :

    «  I hope the Russians love their children too
    J’espère que les Russes eux aussi aiment leurs enfants  ».

    Cette chanson tout le monde l’a oublié et Sting ne la chantait plus. Elle était frappée d’obsolescence.

    Mais samedi dernier, il a publié sur instragram une vidéo dans laquelle il interprète à nouveau cette chanson « Russians », pour apporter son soutien au peuple ukrainien et collecter des fonds pour les réfugiés.

    Et il ajoute :

    « Je n’ai que rarement chanté cette chanson au cours des nombreuses années qui se sont écoulées depuis qu’elle a été écrite, car je n’aurais jamais pensé qu’elle serait à nouveau pertinente. Mais, à la lumière de la décision sanglante et terriblement malavisée d’un homme d’envahir un voisin pacifique et non menaçant, la chanson est, une fois de plus, un plaidoyer pour notre humanité commune. Pour les courageux Ukrainiens qui luttent contre cette tyrannie brutale et aussi pour les nombreux Russes qui protestent contre cet outrage malgré la menace d’arrestation et d’emprisonnement – Nous, nous tous, aimons nos enfants. Arrêtez la guerre »

    La réinterprétation de Sting de sa chanson « Russians » avec sa guitare et accompagné d’un violoncelle se trouve derrière ces liens : <Sting: «HELP UKRAINE» (2022) News of Ukraine> (Youtube) <Russians> (Instagram)>

    Mais, on peut revenir à la première version : <Sting – Russians (Official Music Video)>

    N’en déplaise à ceux qui prétendent que mes mots du jour sont trop longs, celui ne s’arrête pas là.

    Car la chanson de Sting s’appuie sur une œuvre classique : « La romance du lieutenant Kijé » de Serge Prokofiev que vous pouvez entendre derrière ce lien : <Prokofiev Lieutenant Kijé Romance>

    Un peu de culture suffit pour savoir que Serge Prokofiev, l’inoubliable compositeur de «Pierre et le loup» était un compositeur russe.

    <Wikipedia> Le confirme :

    « Sergueï Prokofiev (généralement appelé Serge Prokofiev en France) est un compositeur, un pianiste et un chef d’orchestre russe, né le 11 avril 1891 à Sontsivka (Empire russe) ».

    Pas tout à fait…

    Quand on regarde de plus près, on constatera que le village de Sontsivka se trouve en Ukraine.

    Sur une carte qui donne les villes d’Ukraine dont les noms nous sont connus depuis que le tyran du Kremlin les martyrise, ce village n’est pas représenté. Il a fallu que je trouve d’autres ressources pour pouvoir le situer à l’ouest de Donetsk et au nord de Marioupol.

    Selon la version anglaise de Wikipedia « Sontsivka » est une ville qui fait partie de l’Oblast de Donestsk, donc une des deux villes dont Poutine a déclaré l’indépendance dans le Donbass. Cette ville comptait 626 habitants en 2017.

    Toujours selon l’encyclopédie en ligne 92,45% de la population parlait ukrainien et 7,42% russe. Dans ce pays russophone, ce village serait donc plutôt ukrainien.

    Prokofiev avait fui avec sa famille la révolution soviétique. Mais il se languissait de sa patrie. Staline l’invitait à revenir et lui assurait sécurité et calme pour composer.

    Il ne fut pas assassiné, ni déporté au goulag, mais la promesse de Staline fut, comme souvent, un mensonge. Il vécut très mal, souvent dans la misère et fut plus d’une fois persécuté.

    C’est en 1933 que Prokofiev, âgé de 42 ans, revient en URSS. Sa première commande est la composition de la musique du film « Lieutenant Kijé  », adaptation cinématographique par Alexander Feinzimmer de la nouvelle éponyme de Yuri Tynianov.

    A partir de cette musique de film, Prokofiev va par la suite en tirer une suite composée de 5 parties : La naissance de Kijé, la Romance, le mariage, la Troïka (c’est une danse) et, enfin, l’enterrement.

    C’est la deuxième partie, la Romance qui sera le thème musical utilisé par Sting.

    Le destin de Prokofiev sera étrangement mêlé à Staline, un des prédécesseurs de Poutine au Kremlin.

    « Le 5 mars 1953, Serge Prokofiev, alors âgé de 61 ans, meurt d’une hémorragie cérébrale, une heure environ avant Joseph Staline. La Pravda, portant toute l’attention sur le « petit père des peuples », mettra six jours avant d’annoncer la mort du compositeur, les autorités faisant même pression sur sa famille pour qu’elle n’ébruite pas la nouvelle pendant cette période. Une quarantaine de personnes assistent, dans une totale discrétion, à ses funérailles, au cimetière de Novodevitchi près de Moscou »

    Je me suis aussi intéressé à l’histoire du Lieutenant Kijé. <Wikipedia> la narre

    « Celle-ci se passe dans l’Empire russe, sous le règne de Paul Ier. L’histoire débute en 1793 et se termine en 1801.

    C’est l’histoire d’un homme qui n’existe pas, sauf pour l’administration impériale, à la suite d’une erreur de transcription d’un ordre du jour par un scribe de la chancellerie du régiment. Cette erreur était rendue possible en russe par une proximité orthographique et phonétique : au lieu de « podporoutchiki-jé (russe : Подпоручики же, « quant aux lieutenants ») Stiven, Rybine et Azantchéïev, ils sont nommés… », le scribe, distrait par l’entrée d’un officier dans son bureau, écrivit : « podporoutchik Kijé (russe : Подпоручик Киже, le lieutenant Kijé). »

    Ainsi, par un caprice de la langue russe prend naissance un être fictif dont l’entourage de l’empereur n’osera jamais révéler l’inexistence. On en profite aussitôt pour attribuer à Kijé une faute que personne ne voulait endosser, une fausse alerte qui avait réveillé Sa Majesté. L’empereur ordonne l’exil de Kijé en Sibérie. L’institution militaire russe, respectant l’ordre à la lettre, envoie donc vers la Sibérie une escorte sans prisonnier. Par la suite, Paul Ier, sujet à des crises d’angoisse, se méfiant de son entourage, cherche à promouvoir des officiers non issus de la noblesse. Kijé, en tant que militaire modèle aux états de service parfaits, sans attaches ni « piston » d’aristocrates ou de personnages haut placés, est d’abord gracié, puis nommé capitaine, enfin colonel chef de régiment. Une maison lui est attribuée, ainsi que des serviteurs.

    L’empereur ordonne ensuite qu’il se marie avec l’une de ses dames d’honneur.

    Paul Ier finit par le nommer général, compte tenu des états de service irréprochables de ce militaire et de sa modestie : il n’a jamais demandé le moindre avancement ni contesté son autorité autocratique.

    Lorsque l’empereur demande à voir son général, son entourage lui explique que le général Kijé vient de tomber malade. Bien que soigné par les meilleurs spécialistes, Kijé « meurt » trois jours plus tard. Sa mort est l’occasion de funérailles nationales grandioses, suivies par sa veuve ; l’empereur dira de son général : « Ce sont les meilleurs qui s’en vont ». »

    Le Lieutenant Kijé n’existait pas.

    Rappelons que pour Poutine, l’Ukraine n’existe pas non plus. Il pense probablement qu’un scribe, par erreur, a écrit qu’elle existait.

    Voici les paroles de la chanson de Sting

    Russians

    En Europe et en Amérique, il y a un sentiment croissant d’hystérie
    In Europe and America there’s a growing feeling of hysteria

    Conditionné pour répondre à toutes les menaces
    Conditioned to respond to all the threats

    Dans les discours rhétoriques des Soviétiques
    In the rhetorical speeches of the Soviets

    Monsieur Khrouchtchev a dit : « Nous vous enterrerons »
    Mister Krushchev said, « We will bury you »

    Je ne souscris pas à ce point de vue
    I don’t subscribe to this point of view

    Ce serait une chose si ignorante à faire
    It’d be such an ignorant thing to do

    Si les Russes aussi aiment leurs enfants
    If the Russians love their children too

    Comment puis-je sauver mon petit garçon du jouet mortel d’Oppenheimer ?
    How can I save my little boy from Oppenheimer’s deadly toy?

    Il n’y a pas de monopole sur le bon sens
    There is no monopoly on common sense

    De part et d’autre de la clôture politique
    On either side of the political fence

    Nous partageons la même biologie, quelle que soit l’idéologie
    We share the same biology, regardless of ideology

    Croyez-moi quand je vous dis
    Believe me when I say to you

    J’espère que les Russes aiment aussi leurs enfants
    I hope the Russians love their children too

    Il n’y a pas de précédent historique
    There is no historical precedent

    Mettre les mots dans la bouche du président ?
    To put the words in the mouth of the president ?

    Il n’y a pas de guerre gagnable
    There’s no such thing as a winnable war

    C’est un mensonge auquel nous ne croyons plus
    It’s a lie we don’t believe anymore

    Monsieur Reagan dit : « Nous vous protégerons »
    Mister Reagan says, « We will protect you »

    Je ne souscris pas à ce point de vue
    I don’t subscribe to this point of view

    Croyez-moi quand je vous dis
    Believe me when I say to you

    J’espère que les Russes aiment aussi leurs enfants
    I hope the Russians love their children too

    Nous partageons la même biologie, quelle que soit l’idéologie
    We share the same biology, regardless of ideology

    Mais qu’est-ce qui pourrait nous sauver toi et moi
    But what might save us, me and you

    C’est si les russes aiment aussi leurs enfants
    Is if the Russians love their children too
    Sting

    Il existe une interview de Sting en 2010 à la télévision Russe où il parle de cette chanson : Quand le présentateur de l’émission lui demande pourquoi il a écrit cette phrase : « I hope the Russians love their children too »

    Sting explique que, dans les années 1980, un ami avait réussi à capter à partir d’un satellite le signal d’une chaine de télévision russe. Et ils ont regardé des émissions pour les enfants russes qui passaient le dimanche matin et Sting explique :

    « Ce qui m’a frappé, c’est tout le soin , l’amour et l’attention qu’il y avait dans ces programmes. Donc clairement, les russes aiment leurs enfants. Et ça a été mon déclic : c’est pour ça qu’on ne s’est pas fait exploser : parce que l’Ouest comme les Soviétiques, on tenait à notre avenir qui sont nos enfants. ».

    Pourvu qu’il en soit toujours ainsi…

    L’idée de ce mot du jour m’a été donnée à travers les informations que j’ai lues ou vues sur <La télévision belge> et <France Bleu>

    <1665>

  • Lundi 7 mars 2022

    « La meilleure preuve qu’il voulait la guerre, c’est qu’il s’en défendit ! »
    Citation que fit Georges Pompidou, lors d’une de ses conférences de presse alors qu’il était Président de la République (1969-1974)

    L’écriture des mots du jour est compliquée en ce moment.

    Je voudrais parler d’autre chose, mais je n’y arrive pas, tant mon esprit est occupé par ce qui se passe en Europe : Une puissance nucléaire a attaqué son petit voisin parce qu’il prétend qu’il le menaçait.

    Alors bien sûr, il faudrait en revenir à l’Histoire et même l’Histoire récente, quand l’Union soviétique s’est effondrée et que la guerre froide s’est achevée.

    On pourrait parler des erreurs des occidentaux et de l’OTAN, comme le rappelle Hubert Vedrine se référant à Henry Kissinger qui a dit que nous avons fait des erreurs et que nous avons mal agi avec la Russie.

    Mais il n’est pas temps de parler de cela, parce que la Russie a attaqué son petit voisin qui ne le menaçait pas et qui n’appartenait pas à l’OTAN.

    Rien ne peut justifier cela !

    L’OTAN se serait trop approché de la Russie dit-on ?

    Mais prenons l’exemple de la Pologne, ce ne sont pas les États-Unis ou les européens qui ont obligé la Pologne à entrer dans l’OTAN, ce sont les polonais qui ont supplié d’intégrer l’OTAN.

    Pourquoi ?

    Mais tout simplement parce qu’ils connaissent leur Histoire, l’Histoire de l’Empire russe qui n’a pas cessé de les envahir, de les soumettre, de les massacrer.

    C’est parce que la Russie qu’elle soit l’empire tsariste ou l’empire soviétique s’est toujours très mal comportée à son égard.

    Et paradoxalement, la énième invasion russe vers un de ses voisins montre que l’Ukraine avait raison de vouloir faire partie de l’OTAN pour échapper à ce sort funeste imposé par son immense voisin insatiable.

    Et justement, les occidentaux n’ont pas voulu offrir à l’Ukraine qui le demandait, la protection de l’OTAN, pour ne pas fâcher leur irascible voisin.

    Alors oui des erreurs ont pu être commise dans le passé, mais Poutine raconte des calembredaines, son pays n’était pas menacé.

    C’est son pays qui est menaçant et c’est pourquoi ses voisins veulent une protection pour ne pas tomber une nouvelle fois sous son joug.

    Parce que visiblement aucun de ces pays n’a le désir d’être soumis à la Russie.

    Parce qu’ils en ont l’expérience et que celle-ci n’en donne pas l’envie.

    Rien ne justifie l’agression ordonnée par Vladimir Poutine.

    Rien, ni les manquements occidentaux, ni l’agression injustifiée contre l’Irak, ni la sombre histoire du renversement de régime en Libye, ni les insuffisances du gouvernement ukrainien, rien ne justifiait cette guerre totale.

    Il n’y a qu’une justification à cette guerre, c’est que Poutine voulait montrer sa puissance et qu’il pensait que le moment était propice car Biden est faible, Merkel est partie, le nouveau chancelier est au début de son mandat, La France est en campagne électorale, Boris Johnson est empêtré dans le Brexit, ses mensonges et ses frasques.

    Je trouve bien imprudent celles et ceux qui croient que devant un tel personnage, quelques concessions bien présentées auraient pu le contenter.

    Les concessions auraient certainement entrainé chez lui d’autres exigences.

    Toute cette situation me fait penser à une conférence de presse de Georges Pompidou, lors de sa présidence.

    J’étais fort jeune alors, mais je m’en souviens encore.

    Je ne me souviens plus de la question mais de la réponse du Président :

    « La meilleure preuve qu’il voulait la guerre, c’est qu’il s’en défendit ! »

    <1664>

  • Vendredi 4 mars 2022

    « Babi Yar »
    Poème de Evgueni Evtouchenko mis en musique par Dimitri Chostakovitch (13ème symphonie)

    Finalement le mémorial de Babi Yar n’a pas été touché par le bombardement russe qui a endommagé la tour de la télévision de Kiev.

    Car une tour de télévision a été érigé à côté de Babi Yar, ou Babyn Yar en ukrainien et qui signifie « ravin des vieilles femmes ».

    Dans un article publié sur le site de « Science Po » qui raconte ce qui s’est passé en ce lieu, il y a un peu plus de 80 ans, on lit :

    « Pendant des siècles, ce nom n’a désigné qu’une des petites vallées escarpées situées juste au nord-ouest de Kiev (Kyiv), opposant un obstacle naturel aux envahisseurs. Cette formation géologique consistait en neuf éperons rocheux se dirigeant vers l’est et l’ouest sur environ un kilomètre et présentant des versants abrupts d’une dizaine de mètres de dénivelée. »

    Babi Yar qui se situe donc à Kiev, est le lieu du plus grand massacre par balles, mené par les Einsatzgruppen allemands en URSS.

    En 36 heures, 33 771 Juifs furent assassinés par les nazis les 29 et 30 septembre 1941 aux abords du ravin de Babi Yar à Kiev.

    Près de mille êtes humains massacrés chaque heure !

    En Ukraine 1 millions et demi de juifs seront assassinés dont 80 % par la shoah par balle.

    <Cette page de France 24> publié en septembre 2021, pour la commémoration des 80 ans de ce crime, évoque le massacre ainsi que le site mémoriel qui existe aujourd’hui.

    En 1961, il n’y avait de monument à Babi Yar.

    <Wikipedia> qui décrit aussi de manière détaillée cette plaie ouverte dans notre humanité rapporte :

    « Les autorités soviétiques préfèrent occulter le caractère antisémite de cette action ; après la libération de Kiev le 6 novembre 1943, les victimes juives sont présentées comme des « citoyens soviétiques pacifiques » que l’on a assassinés. Dans l’URSS de Staline et de Khrouchtchev, la singularité de la souffrance juive ou arménienne doit être gommée, noyée dans un vécu partagé avec la totalité du peuple soviétique. Il existe donc peu de témoignages et de mémoires de ce massacre à la suite de la vague d’antisémitisme et de censure que fit déferler Staline dès 1948, la mémoire de l’anéantissement des Juifs officiellement effacée devint un thème tabou jusqu’à la Perestroïka. […]
    Du temps de l’URSS, les rares monuments évoquaient des crimes contre les citoyens soviétiques. D’ailleurs, il a fallu attendre le poème d’Evgueni Evtouchenko en 1961 pour que ce massacre sorte de l’oubli. »

    Ce mot du jour va surtout parler du poème d’Evgueni Evtouchenko et de sa mise en musique par Dimitri Chostakovitch.

    Evgueni Evtouchenko, né en 1932 près d’Irkoutsk en Russie est mort en 2017 aux États-Unis. C’est un poète russe, qui fut aussi acteur, photographe et réalisateur de cinéma.

    <Wikipedia> le présente ainsi :

    « Représentant emblématique de la génération du dégel intellectuel après la mort de Staline, il fut l’une des premières voix humanistes à s’élever en Union soviétique pour défendre la liberté individuelle. »

    En 1961, Evtouchenko n’avait pas encore 30 ans. C’est un ami qui l’a emmené à Babi Yar :

    « Mon ami m’a conduit de haut en bas de ces ravins, collines et ruisseaux où, à l’époque, il était encore possible de trouver des os humains »,

    L’histoire de ce qui s’était passé à Babi Yar en septembre 1941 n’était pas bien connue ; ce n’est que ce jour-là qu’Evtouchenko a pris connaissance des dizaines de milliers de Juifs que les nazis avaient tués.

    Evtouchenko était abattu. Il a remarqué qu’il n’y avait pas de mémorial, aucun repère racontant cette histoire, datant cette exécution de masse inimaginable ou identifiant les morts. Le lendemain, assis seul dans sa chambre d’hôtel, il a écrit un poème intitulé « Babi Yar » sur des bouts de papier.

    Le poème fut publié en septembre 1961 dans Literaturnaya Gazeta, suscitant l’indignation générale. Evtouchenko a reçu d’innombrables télégrammes et lettres de protestation de toute la Russie dans la mesure où il s’agissait du premier poème paru dans la presse soviétique dénonçant un antisémitisme durable et confrontant l’un des moments les plus sombres du pays.

    Un jour, au début de 1962, Evtouchenko a reçu un appel de Chostakovitch (à qui il n’avait encore jamais parlé) lui demandant la permission de mettre « Babi Yar » en musique.

    Il a accepté l’offre de ce musicien plus âgé et qu’il admirait.

    Chostakovitch a alors avoué que la partition était déjà terminée et il lui a demandé de se rendre immédiatement chez lui.

    Evtouchenko a écouté le compositeur jouer sa partition au piano, chantant ses mélodies incantatoires d’une voix hantée et éraillée.

    Quand il est arrivé au vers « J’ai l’impression d’être Anne Frank », Chostakovitch pleurait. La musique qu’Evtouchenko a entendue ce jour-là capturait ce qu’il imaginait en écrivant ces mots :

    « Ce fut une expérience extraordinaire, étrange. Grâce à un aperçu télépathique magique [Chostakovitch] semblait avoir tiré la mélodie de moi et l’avoir enregistrée en notations musicales…. Sa musique a rendu le poème plus important, plus significatif, plus puissant. Bref, c’était devenu un bien meilleur poème. »

    Ni l’un, ni l’autre était juif, mais l’antisémitisme, très présent en Russie, les révulsait tous deux.

    En mars 1962, Chostakovitch a conçu le poème comme une pièce en un mouvement pour voix basse, chœur d’hommes et orchestre.

    C’est par cette œuvre bouleversante, saisissante que je suis entré dans le monde de Chostakovitch et que j’ai compris qu’il s’agissait d’un des plus grands compositeurs de l’Histoire.

    C’est aussi avec cette œuvre que j’ai appris l’existence de Babi Yar et de ce qui s’y était passé.

    Cette musique sera le premier mouvement de sa symphonie N° 13 qui portera le nom du poème « Babi Yar ».

    C’est encore l’Art, la puissance du texte et la pulsation de la musique qui permet le mieux de décrire cette chose innommable, inconcevable, inracontable.

    La symphonie 13 fut complétée par d’autres poèmes d’Evtouchenko

    Mais c’est le premier mouvement qui va soulever les plus grandes difficultés, en raison du poème.

    J’ai appris que même le grand chef et ami de Chostakovitch, Evgueni Mravinski, le seul sur terre que Karajan admettait être de son rang, n’a pas accepté d’assurer la première de cette œuvre qui fut finalement créé par Kirill Kondrachine.

    Avant la création de la symphonie, Evtouchenko était sous le feu de fréquentes et violentes attaques pour avoir laissé entendre que seules des victimes juives étaient mortes à Babi Yar et que l’antisémitisme persistait en Union soviétique.

    A l’époque le secrétaire général du Parti Communiste était Nikita Khrouchtchev. Lors d’une réception au Kremlin, Khrouchtchev s’est lancé dans une diatribe, disant à Evtouchenko qu’il avait tort d’avoir soulevé la question de Babi Yar et que la musique écrite par Chostakovitch n’était rien d’autre que du jazz qui lui donnait mal au ventre.

    Après le remplacement, en dernière minute, de la basse qui a refusé de chanter, la première eut finalement lieu.

    La loge officielle du gouvernement est restée vide tout au long du spectacle.

    Le livret du programme ne comprenait pas les textes d’Evtouchenko

    La totalité de la place à l’extérieur du grand hall du Conservatoire de Moscou a été bouclée par la police et un plan de télédiffusion du concert a été abandonné.

    La Pravda ne publia aucun article sur le concert, signalant juste le concert par une phrase dans une rubrique de brèves.

    Finalement, les autorités russes obligèrent les deux artistes à modifier le poème pour pouvoir continuer à jouer la symphonie. Aujourd’hui, la symphonie se joue avec le poème originel.

    Chostakovitch a dit :

    « Les gens savaient ce qu’il [s’était produit à Babi Yar, même avant le poème de Evtouchenko, mais ils ont décidé de se taire. Le texte de cette symphonie a brisé le silence. L’art détruit le silence »

    L’Art détruit le silence !

    J’ai pu révéler tous ces détails grâce à Phillip Huscher qui est musicologue et qui annote les programmes du Chicago Symphony Orchestra.

    Voici le poème de Evgueni Evtouchenko :

    « Au-dessus de Babi Yar, il n’y a pas de monument :
    L’escarpement est comme une grosse pierre tombale.
    J’ai peur,

    Aujourd’hui je me sens
    Aussi ancien que le peuple juif.
    Je me sens comme si . . . me voilà Juif.

    Me voilà errant dans l’Egypte ancienne.
    Et me voilà pendu sur la croix, mourant,
    Et je porte encore la marque des clous.

    Me voilà . . . Dreyfus, c’est moi.
    La canaille bourgeoise me dénonce et me juge !
    Je suis derrière les grilles, je suis encerclé,

    Persécuté, conspué, calomnié.
    Et les belles dames, avec leurs franfreluches,
    Gloussant, m’enfoncent leurs ombrelles dans la face.

    Je me sens . . . me voilà, petit garçon à Bielostok.
    Le sang coule, maculant le plancher.
    Les meneurs dans la taverne passent aux actes.
    Leurs haleines puent la vodka et l’oignon.
    Un coup de botte me jette par terre ; prostré
    En vain je demande grâce aux pogromistes.
    Ils s’esclaffent : « Mort aux youpins ! Vive la Russie ! »
    Un marchand de grain bat ma mère.

    O, mon people russe, je sais
    Qu’au fond du cœur tu es internationaliste,
    Mais souvent, ceux—là dont les mains sont sales
    Ont souillé ta bonne renommée.

    Je sais que mon pays est bon.
    Quelle infamie que, sans la moindre honte,
    Les antisémites se soient proclamés
    « L’Union du Peuple Russe ».

    Me voilà . . . Anne Franck,
    Translucide, telle une jeune pousse en avril,
    Et j’aime et j’ai besoin non pas de mots,
    Mais que nous nous regardions l’un l’autre.

    Nous avons si peu à voir, à sentir !
    Les feuilles et le ciel ne sont plus pour nous,
    Mais nous pouvons encore beaucoup—
    Nous embrasser tendrement dans cette sombre chambre!

    « Quelqu’un vient !  »
    « N’aie pas peur. Ce ne sont que les murmures
    Du printemps qui arrive.
    Viens à moi,
    Donne-moi tes lèvres, vite !  »
    « Ils cassent la porte! »
    « Non ! C’est la glace qui rompt ! »

    Au-dessus de Babi Yar bruit l’herbe sauvage,
    Les arbres menaçants ressemblent à des juges.
    Ici, en silence, tout hurle,
    Et, me découvrant,
    Je sens mes cheveux blanchir lentement.
    Et je deviens un long cri silencieux

    Au-dessus des milliers et milliers d’ensevelis.
    Je suis chaque vieillard ici fusillé,
    Je suis chaque enfant ici fusillé.
    Rien en moi, jamais, ne pourra l’oublier.
    Que « l’Internationale » retentisse
    Quand pour toujours on aura enterré
    Le dernier antisémite de la terre.

    II n’y a pas de sang juif dans mon sang
    Mais sur moi pèse la hideuse haine
    De tous les antisémites comme si j’étais un Juif :
    Et voilà pourquoi je suis un vrai Russe ! »
    Evgueni Evtouchenko

    J’ai trouvé <cette vidéo> dans laquelle Evgueni Evtouchenko dit son poème en russe. Je ne comprends pas la langue et pourtant l’émotion me saisit, quand je vois et entends ce vieil homme dire son poème écrit dans l’hostilité mais grâce à sa force intérieure et la lucidité de son émotion.

    L’année dernière, pour les commémorations des 80 ans, un orchestre allemand et des chœurs ukrainiens sous la direction de Thomas Sanderling, sur le lieu de Bai Yar, interprètent <La 13ème symphonie de Chostakovitch « Babi Yar »> sur le poème d’Evgueni Evtouchenko. Pendant toute la durée du concert, sur deux écrans de chaque coté de l’orchestre, l’interminable liste des victimes défile.

    <1663>

  • Jeudi 3 mars 2022

    «  Guerre : quand un mot redécouvre son sens propre.  »
    Clément Viktorovitch

    Hier soir, le Président Macron a dit :

    « Nous ne sommes pas en guerre contre la Russie. »

    C’est factuellement exact.

    Camus a écrit : « Mal nommer un objet c’est ajouter au malheur de ce monde, car le mensonge est justement la grande misère humaine, c’est pourquoi la grande tâche humaine correspondante sera de ne pas servir le mensonge. »

    Mais il y a bien la guerre sur le continent européen.

    Hier, je citais Clausewitz qui conceptualisait « la montée aux extrêmes » quand deux puissances s’affrontaient dans une lutte pour leur existence.

    De manière moins martiale, quand nous parlons nous avons aussi parfois tendance quand nous voulons dire notre colère, notre sidération ou notre perception de l’importance d’un évènement, de faire monter la rhétorique aux extrêmes.

    C’est particulièrement le cas pour le mot « guerre ».

    Ces dernières années, nous avons fait la guerre au virus. Le Président Macron, moins mesuré de ce temps-là, c’était il y a deux ans, s’est exclamé :

    « Nous sommes en guerre ! »

    Lors du mot du jour du <19 mars 2020>, j’avais repris le beau texte de Sophie Mainguy : « Nous ne sommes pas en guerre et n’avons pas à l’être ».

    Après le 11 septembre 2001, George W. Bush a déclaré la guerre contre la terreur.

    Et lors des attentats qui ont frappé le sol français, beaucoup de responsables ont affirmé « Nous sommes en guerre ! ».

    C’était faux, nous n’étions pas en guerre alors.

    Dans le monde commercial ou publicitaire, on parle aussi souvent de guerre, notamment de guerre des prix.

    Par exemple cet article : « La guerre des prix fait rage sur les smartphones 5G ». D’autres veulent faire la guerre au gaspillage.

    Mal nommer un objet…

    Clément Viktorovitch dans son émission « Entre les lignes du 24/02/2022 » a remis le nom de l’objet à l’endroit, redonné le sens exact, on dit propre, du mot « guerre » :

    « En droit international, la guerre se définit comme un conflit armé entre plusieurs groupes politiques constitués, et notamment des États : c’est ce qui se passe entre la Russie et l’Ukraine. Mais ce qui est intéressant, c’est justement que nous semblons presque redécouvrir, en Europe, le sens véritable de ce mot.

    Voilà près de 20 ans, en effet, qu’il est utilisé dans le débat public de manière plus ou moins métaphorique. Tout a commencé le 20 septembre 2001, quelques jours après l’attaque contre le World Trade Center, le Président George W. Bush déclare la guerre contre la terreur. Or, la terreur n’est pas un groupe politique constitué. C’est une stratégie, un moyen : on « lutte » contre, mais on ne lui fait pas « la guerre ».

    Le mot, ici, était déjà employé en partie dans un sens métaphorique. En partie parce que, de fait, cette déclaration a été suivie d’une série d’interventions militaires à l’extérieur, en Afghanistan puis en Irak. En revanche, sur le sol américain, son emploi était contestable. D’ailleurs, il y a un autre contexte, similaire, dans lequel cette expression a été employée : c’est en France, à la suite des attentats de 2015 par le Premier ministre de l’époque Manuel Valls. « La France est en guerre contre le terrorisme, le djihadisme et l’islamisme radical ».

    Cette phrase a été très critiquée, à l’époque, par une partie des chercheurs en relations internationales. Jean-Baptiste Jeangene Vilmer, le directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’École Militaire, l’a par exemple qualifié de « non-sens sémantique », en rappelant que si la France était bien  »en guerre » contre les terroristes du Nord Mali, elle ne l’était pas sur son sol. À force de parler de guerre pour évoquer autre chose qu’un conflit armé, on a fini par en diluer le sens. »

    Comme le dit Clément Viktorovitch, c’est un mot trop lourd pour être utilisé avec légèreté

    Et il ajoute :

    « Maintenant qu’elle frappe l’Europe sur son sol, nous redécouvrons la guerre dans toute sa matérialité. Les bombardements aveugles, les déplacements de population, les morts. Cette réalité qui n’est que trop familière pour tant d’hommes et de femmes qui la subissent chez eux, mais que nous regardions d’au loin, sans trop y prêter attention. Peut-être cela serait-il une bonne occasion pour réfléchir, aussi, à la manière dont nous parlons. La guerre est un mot trop lourd pour être invoqué avec légèreté. »

    Il existe d’autres mots lourds qu’il n’est pas raisonnable d’invoquer avec légèreté, par exemple le mot « dictature » que certains ont eu tendance à beaucoup utiliser en France.

    Ils nommaient mal un objet…

    <1662>

  • Mercredi 2 mars 2022

    «  Guernica  »
    Pablo Picasso

    Le 1er mars, tous les journaux en faisaient mention : un convoi militaire russe long de plusieurs dizaines de de kilomètres était en route. Le plus souvent on parlait de 60 km, une autre source donnait 27 kilomètres.

    <Le Monde> écrit :

    « [un convoi militaire russe d’une soixantaine de kilomètres se dirige vers Kiev] Des images satellites prises lundi 28 février en Ukraine montrent un immense convoi militaire russe qui s’étend sur plus de 60 kilomètres au nord-ouest de la capitale Kiev, objectif militaire de première importance pour la Russie dans son offensive dans le pays.

    Le convoi « s’étend des abords de l’aéroport « Antonov » [aéroport d’Hostomel, à environ 25 kilomètres du centre de Kiev] au sud aux alentours de Prybirsk » au nord, a fait savoir lundi soir la société américaine d’imagerie satellitaire Maxar dans un courriel.

    Cet aéroport est, depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le théâtre de violents affrontements, l’armée de Vladimir Poutine tentant de s’emparer de cette infrastructure stratégique pour la prise de la capitale. Dans le convoi capturé par images satellites, qui s’étend sur environ 64 kilomètres, « certains véhicules sont parfois très distants les uns des autres, et sur d’autres portions les équipements militaires sont positionnés à deux ou trois de front », ajoute Maxar. »

    Vous vous souvenez d’une colonne militaire, beaucoup plus modeste, qui se dirigeaient vers Benghazi, en Libye, en 2011.

    C’était un autre mâle alpha, un autre dictateur : Mouammar Kadhafi qui avait décidé cette manœuvre.

    Samedi 19 mars 2011, les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ont alors lancé des raids aériens pour détruire cette colonne menaçante et Benghazi avait été épargné.

    Bien entendu, rien d’identique ne se réalisera pour sauver Kiev. Khadafi n’avait pas à sa disposition l’arme nucléaire.

    De toute façon, il n’est pas raisonnable d’entrer dans cette guerre, c’est-à-dire aller vers la guerre totale, ce que Karl von Clausewitz conceptualisait par l’expression « montée aux extrêmes », comme l’avait révélé René Girard dans son dernier ouvrage : « Achever Clausewitz »

    D’ailleurs Nicolas Sarkozy….

    Un petit instant… C’était Nicolas Sarkozy qui était à la manœuvre et qui a élaboré le récit et pris les décisions pour que les avions occidentaux détruisent la colonne vers Benghazi, puis continue jusqu’à la chute du dictateur, déclenchant alors l’ire de Poutine qui n’avait donné son accord que pour l’étape initiale.

    Donc Nicolas Sarkozy qui a vieilli et probablement est devenu plus sage, déclarait à la sortie d’une entrevue avec Emmanuel Macron, le 25 février :

    « La seule voie possible est la diplomatie, car l’alternative à la diplomatie c’est la guerre totale »

    Et il a ajouté :

    « La voie du dialogue, de la diplomatie est difficile, souvent décevante, mais il n’y a pas d’alternative. Il faut donc continuer dans cette voie. Et si la France ne le fait pas, personne ne le fera »

    Cette fois, il a parfaitement raison. Il ne suit donc plus les conseils de Bernard Henry Levy qui voudrait repartir comme à Benghazi mais que Dominique de Villepin a sèchement remis à sa place sur <France 2>, finissant sa charge par ces mots :

    « Je ne crois pas que la posture sur les plateaux de télévision soit la bonne réponse ».

    Peut-être que si les États de l’Union européenne n’avaient pas désarmé, en s’en remettant entièrement au bouclier américain, Poutine n’aurait pas osé attaquer l’Ukraine.

    C’est probablement parce qu’il a la conviction de notre faiblesse qu’il a pris l’option militaire.

    A ce stade, il est trop tard, il serait totalement irraisonnable d’intervenir militairement. C’est à l’après qu’il faut nous intéresser, comme le disait Dominique Moïsi.

    Ce qui signifie donc que cette colonne militaire va atteindre Kiev et probablement submerger les défenses ukrainiennes.

    Certains analystes, connaissant le déchainement de violence dont sont capables les hordes poutiniennes, s’étonnait de la mesure relative et actuelle que l’aviation russe observait par rapport aux civils et au bombardement des centres villes.

    Il faut se rappeler dans quel état les troupes russes avaient laissé la capitale de la Tchétchénie : Grozny ou encore Alep en Syrie après leur bombardement.

    Peut-être que cette relative retenue était due au fait que les troupes russes avaient en face ceux qu’ils appellent « leurs frères ukrainiens ».

    Il est à craindre, qu’en raison de la résistance ukrainienne, l’horreur augmente.

    Camille Magnard dans <La Revue de presse internationale> du 1er mars raconte :

    « Au sixième jour de la guerre, l’heure ne semble plus aux attaques-éclairs menées par des véhicules isolés, envoyés en première ligne pour percer (sans succès) les défenses ukrainiennes. Face aux déconvenues et à la frustration des premiers jours, Moscou s’apprête, selon le quotidien allemand Die Welt, à lancer « la seconde phase de son assaut », une nouvelle tentative de percée militaire vers la capitale ukrainienne, mais cette fois, avec une force de frappe beaucoup plus massive et des soutiens logistiques, derrière la ligne de front, qui pourraient permettre à l’armée russe de tenir le siège pendant plusieurs jours voire plusieurs semaines.

    « La guerre est entrée dans une nouvelle phase », confirme The Economist, et désormais plus aucune illusion n’est possible sur le fait que les Russes visent et tuent bien des cibles civiles, contrairement à ce que Vladimir Poutine assurait hier encore au téléphone à Emmanuel Macron. Pour preuve, il suffit de regarder les images du pilonnage de quartiers résidentiels pendant des heures hier dans la ville de Kharkiv, la seconde plus grosse du pays. On dénombre, au bas mot, 11 civils morts. « Si les frappes russes évitaient jusque-là les quartiers les plus peuplés pour se concentrer sur les cibles militaires, la donne a changé pour le pire à Kharkiv », explicite le New York Times. Bien sûr, ce ne sont pas (encore) les tapis de bombes que les Russes avaient fait tomber sur Grozny en Tchétchénie en 1999 ou plus récemment sur Alep en Syrie en 2016. Mais c’est bien cela, la menace qui est contenue dans cette montée en puissance de l’artillerie et des forces aériennes utilisées pour la première fois sur des civils hier à Kharkiv : bien plus que de faire tomber la ville sous contrôle russe, il s’agit de semer la terreur et de faire pression sur les négociations qui ont péniblement débuté ce lundi 28 février, sans donner pour le moment aucun résultat probant.

    Dans le même registre, l’Ukraine accuse l’armée russe d’utiliser des armes interdites par le droit international. La presse ukrainienne, à l’image du quotidien Sohodny, évoque – et c’est une première depuis le début de la guerre – d’importantes pertes militaires : dans la petite ville de Okhtyrka, au nord-ouest de Kharkiv, « on a préparé 70 nouvelles places au cimetière » pour y enterrer les 70 soldats (là encore c’est une estimation basse) tués dans le bombardement de leur caserne. Les Russes auraient utilisé des armes thermobariques, un type de bombe particulièrement destructeur qui combine explosion, onde de choc et effet de dépression pour ensuite causer un maximum de dégâts sur les installations militaires et sur les hommes. Selon les experts militaires, c’est le niveau juste avant l’arme nucléaire, en terme de létalité. 

    Des journalistes avaient bien repéré, avec effroi ces derniers jours sur les routes ukrainiennes, l’énorme camion qui transporte le lance-roquette à têtes thermobariques TOS-1, mais jamais jusque-là on avait eu la preuve qu’ils avaient été utilisés dans ce conflit. C’est apparemment chose faite à Okhtyrka, selon les autorités ukrainiennes… et, tout comme les civils bombardés à Kharkiv, cela pose la question des violations de la Convention de Genève par la Russie »

    Que dire devant cette sauvagerie ?

    Probablement en revenir à l’Art.

    A une œuvre qui fait partie de l’Histoire de l’Humanité.

    Une œuvre réalisée par Pablo Picasso (1881-1973)

    Pablo Picasso a peint son tableau peut être le plus célèbre « Guernica » en 1937. Guernica est une petite ville basque qui a été détruite par des bombardements qui annoncent ceux de la seconde guerre mondiale. Pour L’Allemagne nazie, il s’agit d’une sorte de répétition. Mais le monde d’alors n’avait pas connu un tel déchainement de violence sur une ville peuplée de civils. Hitler et Mussolini, par cet acte veulent affirmer leur soutien officiel aux nationalistes de Franco face aux Républicains.

    Guernica, en ruine, compte des centaines de morts et de blessés, tous civils. Picasso, exilé à Paris, prend connaissance du drame dans les journaux. Troublé par les récits qu’il lit et les photographies qu’il voit, il crée Guernica comme il pousserait un énorme cri de colère face à la folie de l’humanité. On raconte même que lorsque l’ambassadeur nazi Otto Abetz a demandé à Picasso devant une photo de Guernica :

    « C’est vous qui avez fait cela ? », l’artiste a répondu : « Non… vous »

    En 1939, alors que la guerre fait rage, Pablo Picasso confie son œuvre au Museum of Modern Art de New York, connu sous l’acronyme MoMA, inauguré 10 ans auparavant.

    Picasso veut que « Guernica » rejoigne plus tard l’Espagne mais uniquement quand la démocratie sera rétablie.

    En 1981, après la mise en place d’une Constitution et d’un gouvernement démocratique en Espagne, ce projet sera accompli.

    Le tableau n’a plus quitté Madrid depuis. Il se trouve au musée Reina Sofia.


    Sur ce <site> vous trouverez une description et analyse de cette œuvre mythique.

    L’histoire de ce tableau nous apprend aussi qu’il y aura un Après-Poutine et qu’en attendant il nous faut tenter de devenir moins naïf.

    Et aussi accepter de payer le prix pour ne pas se trouver démuni le jour où des prédateurs auront la tentation de nous considérer comme des proies.

    Je suis très surpris du discours de Jean-Luc Mélenchon à l’Assemblée Nationale ce mardi, non pas la première partie, mais la seconde dans laquelle il reprend la posture de l’herbivore dans un monde de carnivore.

    <1661>

  • Mardi 1 mars 2022

    « La guerre, aujourd’hui, revient au cœur de l’Europe. Nous avons perdu ce 24 février notre innocence »
    Dominique Moïsi

    Les analyses du politologue Dominique Moïsi sont toujours d’un grand intérêt.

    Trois mots du jour ont déjà partagé ses réflexions :

    « Le Point » l’a interrogé sur ce que l’invasion de l’Ukraine par les russes pose comme questions : « L’histoire bascule aujourd’hui » .

    Du haut de ses 75 ans, il est né le 21 octobre 1946 à Strasbourg, il peut nous nous distiller les fruits de son expérience :

    « Oui, nous sommes clairement à un point de bascule historique car, pour la première fois depuis 1945, au cœur de l’Europe, un pays est envahi par un autre pour l’asservir complètement en niant son droit d’existence. Il y a bien sûr eu des moments violents depuis 1945 en Europe. Je pense en particulier aux conflits dans les Balkans, dans l’ex-Yougoslavie. Mais cela n’était que l’éclatement d’un empire. Donc oui, l’invasion de l’Ukraine par la Russie marque un tournant historique majeur. C’est la fin de la période d’après-Seconde Guerre mondiale. Celle-ci se décompose d’ailleurs en deux phases : une guerre froide, de 1945 à 1989, et une paix chaude, de 1989 à nos jours. »

    Hubert Vedrine le répète, le leadership de l’Occident est de plus en plus contesté. C’est-à-dire que ce n’est plus l’Occident qui dit ce qui est bien et mal ou plus exactement il continue à vouloir le dire mais il n’est plus écouté.

    Et Védrine a même rapporté dans un entretien que j’ai entendu tout récemment que des intellectuels chinois ne parlent pas du « déclin occidental » mais de « la fin de la parenthèse occidentale ».

    Poutine se place aussi dans cette perspective, c’est ce que pense Dominique Moïsi :

    « Les régimes autoritaires ont une vision très négative de l’Occident. Ils voient notamment les démocraties américaine et européennes comme des systèmes politiques absolument inadaptés à notre époque. Dans l’esprit de Vladimir Poutine, des événements, ces derniers mois, n’ont fait que confirmer la vision décadente qu’il a des États-Unis. Je pense en particulier à la marche des trumpistes sur le Capitole le 6 janvier 2021 et à la reprise de Kaboul par les talibans le 15 août dernier. Une décadence intérieure et extérieure. »

    Pour Dominique Moïsi la défaite de l’Ukraine semble inéluctable et à court terme. Ce qui lui semble essentiel, c’est penser l’après asservissement de l’Ukraine par les russes :

    « Aujourd’hui, mieux vaut penser au coup d’après, à savoir faire en sorte que Vladimir Poutine n’aille pas au-delà de l’Ukraine. Car les prochaines victimes potentielles sont les États baltes de Lettonie, de Lituanie et d’Estonie. Ces républiques, pour mémoire, font à la fois partie de l’Union européenne et de l’Otan. Si la Russie allait jusque là-bas sans susciter une forte réaction occidentale, alors ce serait la fin de l’Alliance atlantique. »

    Les dernières heures ont cependant montré un grand dynamisme des européens pour sanctionner les russes et le soft power n’est pas en reste avec le monde sportif qui exclut la Russie des compétitions et le monde des arts qui écarte les artistes proches de Poutine et qui refuse de contester son attitude.

    En cas de victoire de Poutine, il faudra conserver les sanctions si l’Europe veut être cohérent avec les motifs de leur déclenchement.

    Mais est ce que les sanctions économiques feront plier Poutine avant les gouvernements européens qui vont probablement se trouver contesté par des populations soumises à des difficultés de pouvoir d’achat de plus en plus importantes. Surtout que cet épisode vient après la crise de la COVID qui a déjà eu un grand impact sur la vie des gens.

    Pour Moïsi les deux grandes conséquences de ce conflit sont le renforcement de la Chine et un renforcement de l’Union européenne :

    « Dans un futur proche, ce conflit entre la Russie et le monde démocratique est un don de Dieu pour la Chine. Elle a depuis bien longtemps l’ambition de redevenir un grand empire. Grâce aux Occidentaux d’abord et à Poutine ensuite, son projet de retour au premier plan s’est considérablement accéléré. Le centre de gravité géopolitique sera désormais en Asie. Ce conflit a cependant une vertu. Poutine nous force à l’union. Les tentations illibérales de la Pologne n’ont plus beaucoup de sens quand les chars russes sont pratiquement à la frontière. Continuera-t-elle sérieusement à dénoncer le supposé impérialisme juridique de Bruxelles ? »

    Il fait aussi le parallèle entre Poutine et Hitler, comme je l’avais écrit dans le mot du jour de vendredi et insiste sur le fait comme lui, il avait écrit ce qu’il ferait :

    « Hélas, quand vous regardez les images qui nous parviennent d’Ukraine, vous voyez de vieilles femmes et des enfants errant dans la rue à la recherche d’un abri. Les fantômes du passé, c’est l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie en 1939. Oui, il y a un parallèle entre Poutine et Hitler, c’est net. Les deux ont dit clairement ce qu’ils avaient l’intention de faire : l’un, Hitler, dans son livre Mein Kampf ; l’autre, Poutine, dans une série de discours et dans un article. »

    Bien évidemment cet évènement aura de grandes conséquences dans nos vies : psychologiquement et économiquement.

    « La première est psychologique, et c’est d’ailleurs la plus importante. Nous allons vivre désormais à l’ombre d’une guerre qui peut, un jour, nous concerner. Les guerres étaient jusqu’ici réservées au Moyen-Orient, comme l’Irak, le Yémen ou la Syrie, ou à l’Asie, comme au Myanmar, sans oublier bien sûr l’Afghanistan. La guerre, aujourd’hui, revient au cœur de l’Europe. Nous avons perdu ce 24 février notre innocence.
    La guerre n’est plus du passé.
    C’est le présent de l’Ukraine.
    C’est peut-être notre futur.
    La seconde conséquence durable est économique. Le prix du pain sera plus cher. Le prix du chauffage sera plus cher. La tension maximale dans laquelle nous sommes est mauvaise pour l’économie mondiale. »

    <1660>

  • Lundi 28 février 2022

    « Je crois à la victoire finale des démocraties, mais à une condition c’est qu’elles le veuillent ! »
    Raymond Aron cité par Nicolas Baverez

    C’est incroyable et terrifiant !

    Vous passez par l’Allemagne notamment par Dresde, puis vous traversez la Pologne en passant par Varsovie et vous vous trouvez sur la frontière est de l’Union européenne.

    Et là se trouve un État démocratique, un peuple citoyen qui choisit librement son président et ses députés.

    Bref, un pays qui nous ressemble.

    Ce pays est sous les bombes, les missiles de l’armée de son voisin qui n’est pas une démocratie, tout au plus une démocrature, c’est-à-dire une dictature qui se donne l’apparence d’une démocratie.

    L’Ukraine est sous les bombes et menacée par une armée d’hommes capables de tout, déguisés en civil ou en soldat ukrainien. Cette armée est accompagnée d’une milice tchétchène, c’est-à-dire des nervis qui ont prêté allégeance à Poutine quand il a détruit leur pays et rasé Grozny leur capitale., parce qu’ils préféraient être dans le camp du fort et du vainqueur. Pour lui être agréable, ils ont accepté de faire toutes les basses besognes, trop vil pour un soldat russe.

    En parallèle, circule parmi eux une liste de 100 ukrainiens dont il faut se débarrasser, parmi eux bien sûr le président Volodymyr Zelensky.

    Il faut s’en débarrasser, afin qu’il soit plus simple de transformer le régime de l’Ukraine, en démocrature.

    Parce que c’est le premier crime de l’Ukraine ! Ce pays aux marches de l’empire russe, démontre qu’un État proche dans la culture, la religion, l’histoire du peuple russe est capable de désigner ses dirigeants après des élections libres, élections qui peuvent même renvoyer le président sortant.

    Il y a bien un second crime : ce pays veut être indépendant, choisir librement ses alliances et ne pas se soumettre à son irascible et surarmé voisin, puissance impériale de toujours dont il connaît historiquement le joug et la cruauté (cf. Holodomor).

    Et nous assistons à cela, nous laissons faire !

    Un tyran qui utilise sa force supérieure et ses forces du mal (milice tchétchène) pour écraser et massacrer des gens qui nous ressemblent, qui sont nos amis.

    Il en est même dans nos rangs qui ont, depuis des années, encensé le criminel de guerre qui se terre dans son palais du Kremlin.

    Jean François Kahn, dans un article publié le 26 février : <Poutine centre de la présidentielle> dresse ce constat accablant :

    « C’est un fait : celles et ceux qui, en France, ne cachaient pas une certaine proximité idéologique ou géopolitique avec Vladimir Poutine et avaient, en conséquence, tendance, au début de la crise ukrainienne, à manifester beaucoup de compréhension à l’égard de la position russe, représentaient 45 % des intentions de vote à l’élection présidentielle. C’est Emmanuel Macron, et non le nouveau tsar de Moscou, qui était alors l’objet de leur vindicte (et encore samedi, en plein assaut sur Kiev, sur les sites des médias conservateurs, la majorité des réactions étaient beaucoup plus anti-Macron qu’anti-Poutine).

    Selon Marine Le Pen, la présidence française était totalement dépendante des exigences américaines ; selon Jean-Luc Mélenchon, Macron agissait en petit télégraphiste de l’Otan ; selon Éric Zemmour, quand le président tenta de négocier avec un maître du Kremlin, plus fort que lui, il se comportait comme un petit garçon ridicule (et samedi, Mélenchon reprenait à son compte les mêmes termes). Aucun des trois ne croyait à une invasion militaire de l’Ukraine et tous criaient à la désinformation et à l’enfumage.

    Alors, depuis que Poutine a violé les frontières de la souveraineté ukrainienne, ils ont concédé que ce n’était pas bien. Jean-Luc Mélenchon a même condamné fermement. Mais pour très rapidement crier à la folie de la course aux armements des allemands.

    Parce que l’Allemagne a dû reconnaître que « Le sous-investissement chronique de la Bundeswehr la rend peu opérationnelle» et a donc décidé d’augmenter le budget de la défense à 2% du budget. L’armée française est un peu mieux dotée, mais selon un rapport du Sénat elle ne pourrait opposer qu’un nombre dérisoire de bataillons opérationnels en face de l’armée russe.

    C’est ce qu’on apprend et bien d’autres choses dans l’émission « C Politique de France 5 » : <Partie 1> <Partie 2>

    Parce que si nous n’intervenons pas, alors que c’est moralement inacceptable, nous avons une raison officielle : l’Ukraine ne fait pas partie de l’OTAN et donc nous ne pouvons pas appliquer l’article 5. CQFD.

    La raison moins officielle et qu’on ose avouer c’est que l’adversaire, non le vrai mot dans cette situation est « ennemi » est une puissance nucléaire. Ce ne serait pas prudent d’entrer en conflit avec lui, surtout qu’il est imprévisible.

    Mais la raison objective, c’est que nous n’avons pas du tout les moyens d’aider militairement les ukrainiens, nous ne sommes pas prêts, nous avons désarmé, massivement. Sans les États-Unis nous ne sommes rien militairement, des nains.

    Après les deux terribles guerres mondiales, nous avons cru à un monde de paix, de commerce et de droits.

    Et nous avons créé une entité riche, prospère et en paix : L’Union européenne.

    Dans l’émission C Politique, un intervenant rappelle cependant que cette prospérité n’a été rendue possible qu’à l’abri du bouclier américain.

    D’ailleurs les présidents américains, avant Trump, Obama, Busch et Clinton ont répété que les européens ne faisaient pas le job.

    Un autre intervenant a décrit l’Union européenne se vivant comme n’ayant plus aucun ennemi. Et Jean Quatremer a eu cette formule :

    « L’Europe n’avait pas d’ennemis que des amis potentiels »

    Certains analystes ont décrit cette situation par cette autre formule :

    « Les européens se comportent comme des herbivores dans un monde de carnivores ! »

    Parce que pendant ce temps, la Russie, la Chine, l’Inde et d’autres ont augmenté de manière massive leurs dépenses militaires.

    Bien sûr qu’il faut réarmer, sinon nous serons avalés.

    Le courageux et lucide président ukrainien Volodymyr Zelensky a interpellé l’Europe :

    « Comment allez-vous vous-mêmes vous défendre si vous êtes si lent à aider l’Ukraine ? »

    C’est un changement de monde pour nous comme le dit Nicolas Baverez, le spécialiste de Raymond Aron, dans l’émission de ce dimanche du <Nouvel Esprit Public>

    Cette situation rappelle la fin des années 30 : une démocrature et un homme fort qui suit son plan avec un récit de l’encerclement de la Russie par l’Otan et du génocide des russes dans le Donbass par des ukrainiens.

    En face, il y a le déni. Le déni de la violence de Poutine, de sa haine de l’Occident et de sa volonté d’asservir.

    Le déni qui a conduit à la construction de la dépendance de l’Allemagne au gaz russe sous le prétexte de la transition énergétique verte. Et en sus, la commission européenne est arrivée à faire du prix du gaz russe le prix directeur de l’énergie dans l’Union.

    Et puis comme le rappelle le journaliste Emmanuel Berreta, le déni de tous ces hommes politiques issus de l’Union européenne qui ont, par faiblesse pour l’argent, accepté de devenir des agents d’influence de ce régime aux valeurs si éloignées des nôtres :

    « La Russie a aussi déployé son entregent à l’ouest dans une entreprise de capture des élites, à commencer par Gerhard Schröder, l’ancien chancelier allemand devenu le « Monsieur North Stream 2 » de Vladimir Poutine, son ami. Jeudi, Christian Kern, l’ancien chancelier social-démocrate autrichien, a fait savoir qu’il démissionnait pour sa part du conseil de surveillance de la société nationale ferroviaire russe. L’Italien Matteo Renzi (qui siégeait chez Delimobil, un service d’autopartage en Russie) et l’ancien Premier ministre finlandais Esko Aho (qui siégeait au sein de la plus grande banque russe, la Sberbank) ont également démissionné. François Fillon a lui aussi renoncé, vendredi, à ses mandats d’administrateur indépendant de sociétés pétrolières russes. »

    Force est de reconnaître que l’essentiel de ces hommes sont issus des Gauches européennes.

    Nicolas Baverez a ajouté :

    « Le défi que lance Vladimir Poutine, est une menace mortelle pour l’Europe. Soit on réagit, soit on mobilise et on change de mode de pensée et d’action, soit la démocrature russe va liquider la liberté politique en Europe. Il faut réarmer. Ce n’est pas seulement un réarmement militaire mais aussi un réarmement politique et idéologique. Il faut rétablir une dissuasion efficace vis-à-vis de Moscou. […] Je rappellerai une phrase de Raymond Aron : « Je crois à la victoire finale des démocraties, mais à une condition c’est qu’elles le veuillent » »
    Nicolas Baverez dans l’émission le Nouvel Esprit Public de Philippe Meyer (vers 10 min environ)

    Il faut réarmer si nous voulons rester libre.

    Bien entendu si le budget de la défense augmente, d’autres devront baisser

    Il faut savoir payer le prix de la Liberté.

    Liberté que vont perdre les ukrainiens dans les prochaines heures, les prochains jours.

    Mais voulons nous rester libre ? demandait Raymond Aron

    Ou la douce somnolence de notre confort étouffe t’elle le désir de la liberté et considère t’elle que le prix à payer est trop cher ?

    <1659>

  • Vendredi 25 février 2022

    «  Bien entendu, nous n’allons rien faire ! »
    Claude Cheysson, Ministre des Relations extérieures du gouvernement Pierre Mauroy sous la Présidence de François Mitterrand

    Contexte de ce mot du jour : Quelques instants avant 4 heures, heure de Paris, le jeudi 24 février 2022, l’ancien officier du KGB qui règne au Kremlin est apparu à la télévision russe et a annoncé l’invasion par les troupes de l’empire russe, de l’État souverain et démocratique de l’Ukraine. Dans un discours violent, basé sur des mensonges et sur une réécriture de l’Histoire ce sinistre personnage a essayé de justifier le déclenchement d’une guerre totale, sur la terre d’Europe, contre son petit voisin en comparaison de l’empire russe. Les troupes impériales ont pénétré en Ukraine sur 3 fronts, la Russie, la Crimée et le Belarus.  L’objectif est évident : s’emparer de la capitale Kiev et soumettre l’ensemble de l’Ukraine.

    C’était, il y a un peu plus de 40 ans. C’était avant !  Du temps de l’Union Soviétique, de la Guerre froide, du rideau de fer et de l’Europe divisée en deux camps antagonistes.

    Depuis le <16 octobre 1978>, un polonais était Pape de l’église catholique. Et ce Pape est entré en lutte contre le communisme qui régnait sur l’Est de l’Europe et a encouragé et soutenu financièrement, les ouvriers des chantiers navals de Gdánsk à manifester contre le pouvoir communiste. Lech Walesa et, comme toujours, on oublie la femme : Anna Walentynowicz, fondaient, tous les deux, le syndicat Solidanorsc.

    Ce syndicat, par ses actions, déstabilisera le pouvoir communiste. Les historiens racontent; aujourd’hui; que les dirigeants du POUP (Parti ouvrier unifié polonais), nom du parti politique polonais communiste, avaient la crainte que l’Union Soviétique envoie son armée rétablir l’ordre en Pologne comme elle l’avait fait en 1956 en Hongrie et en 1968 en Tchécoslovaquie. Alors, le général Jaruzelski, dans la nuit du 12 au 13 décembre 1981 décrète la Loi martiale et fait arrêter les principaux responsables de Solidanorsc.

    En France, François Mitterrand est Président de la République depuis mai. Le premier ministre est Pierre Mauroy, le ministre des relations extérieures est Claude Cheysson et il n’est pas inutile de rappeler que le gouvernement compte 4 ministres communistes.

    Des journalistes vont alors interroger Claude Cheysson, après le coup de force de Jaruzelski et lui demander ce que va faire la France. Il aura cette réponse :

    « Bien entendu, nous n’allons rien faire. ! »

    <Libération> nous apprend qu’il sera réprimandé en ces termes par Mitterrand :

    « Quel besoin aviez-vous de dire ça ? C’est une évidence mais il ne fallait pas le dire. »

    En 1985, interrogé par <Le Monde>, Claude Cheysson reconnaîtra :

    « J’ai eu tort, je regrette cette déclaration intempestive qui aurait dû normalement me coûter ma place »

    En tout cas, aujourd’hui tout le monde a compris la leçon et personne ne dira « Bien entendu, nous n’allons rien faire !»

    A l’exception, peut être de Biden qui a plus ou moins avoué qu’il n’allait rien faire. Il a répondu franchement qu’il n’enverra pas de soldat américain sur le territoire ukrainien en expliquant que si un soldat américain se trouve en face d’un soldat russe, en zone de conflit, ce serait la troisième guerre mondiale.

    Cette formulation a l’avantage de la clarté, mais est-il pertinent d’être clair dans ce type de situation ?

    François Mitterrand aurait répondu une nouvelle fois : « C’est une évidence mais il ne fallait pas le dire. »

    En face, Poutine dit :

    « Quiconque entend se mettre sur notre chemin ou menacer notre pays et notre peuple doit savoir que la réponse russe sera immédiate et aura des conséquences jamais vues dans son histoire. »

    Plusieurs analystes disent que cette menace renvoie à l’utilisation de l’arme atomique.

    Peut-être, mais il ne le dit pas…

    Il est possible aussi qu’en utilisant des armes récentes et hyper rapide, il neutralise les satellites occidentaux, créant un chaos certain, tant nous sommes désormais dépendants de ces technologies au quotidien.

    « Nous n’allons rien faire », mise à part la réponse « claire » de Biden, aucun responsable occidental ne le dit.

    Tous parlent de sanctions économiques extrêmement sévères, les plus sévères, massives etc…

    Mais, il faut faire attention, ces sanctions économiques seront très préjudiciables aux citoyens européens.

    60% du gaz que l’Allemagne utilise vient de Russie. 100% du gaz qu’utilise l’Autriche vient de la Russie.

    Et on parle de geler le gazoduc Nord Stream 2 qui n’est toujours pas en service entre le fournisseur russe et le client allemand.

    Mais quel est l’objet de ce gazoduc, sinon un moyen de transporter du gaz entre la Russie et l’Allemagne sans passer par l’Ukraine et sans permettre à cette dernière de prélever quelques taxes utiles à son budget. Ce n’était pas amical de la part de la Russie d’éviter l’Ukraine, mais ce n’était pas très amical, non plus, de la part de l’Allemagne de participer à cette opération anti-Ukraine.

    Bien entendu, nous n’allons rien faire.

    Sans les américains, nous n’avons pas de moyens militaires sérieux à opposer à Poutine.

    J’ai entendu, à France Inter des militaires qui ne pensaient pas possible que l’armée ukrainienne résiste au déploiement russe. Selon ces militaires, il est vraisemblable que l’armée russe aura chassé le gouvernement ukrainien de Kiev, dans une semaine.

    Après, ce sera beaucoup plus dur pour Poutine.

    Il aura gagné une guerre, mais pas la paix. Il est peu probable que le peuple ukrainien acceptera la domination, d’un autre âge, du nouveau tsar des Russies.

    Évidemment, ce sera long et douloureux, pour le peuple ukrainien.

    Dans un des premiers mots du jour, celui du <7 mai 2013>, je citais John Steinbeck « Ce sont toujours les hommes en troupeau qui gagnent les batailles, et les hommes libres qui gagnent la guerre »

    John Steinbeck avait écrit son roman « Lune Noire » pendant la seconde guerre mondiale. Il avait situé son livre dans une petite ville occupée par une armée étrangère issue d’un pays dictatorial.

    Je citais la conclusion de ce livre : « Lune Noire » :

    « Un sifflement strident hurla du côté de la mine. Une rafale de vent pulvérisa de la neige sur les fenêtres. Orden joua avec sa médaille et déclara d’une voix sourde :
    – Vous voyez, colonel, on ne peut rien y changer. Vous serez écrasés et expulsés. Les gens n’aiment pas être conquis, colonel, et donc ils ne le seront pas.
    Les hommes libres ne déclenchent pas la guerre, mais lorsqu’elle est déclenchée, ils peuvent se battre jusqu’à la victoire.
    Les hommes en troupeau, soumis à un Führer, en sont incapables, et donc ce sont toujours les hommes en troupeau qui gagnent les batailles et les hommes libres qui gagnent la guerre. Vous découvrirez qu’il en est ainsi, colonel.
    Lanser se redressa avec raideur. »

    Parce que le peuple libre dans cette histoire est le peuple d’Ukraine et le peuple troupeau soumis à un Führer est, hélas, le peuple russe.

    Poutine parle de dénazifier l’Ukraine. Il y a quelques extrémistes de droite en Ukraine, mais moins qu’en Russie et je le crains, moins qu’en France.

    C’est le dictateur russe qui parle de nazi !!!

    Mais que fait-il d’autre qu’Hitler qui prétendait que la petite Tchécoslovaquie maltraitait les allemands des sudètes pour justifier d’attaquer ce pays et de le soumettre, comme Poutine qui prétend défendre les russes du Donbass et preuve de son mensonge attaque toute l’Ukraine.

    A l’époque, ce furent les accords de Munich. La France et La Grande Bretagne n’avaient rien fait.

    Hitler ne pouvait pas évoquer le mot « génocide », comme le fait Poutine aujourd’hui, ce mot n’existait pas en 1939.

    Hitler a aussi attaqué la Pologne, en prétendant que c’était la petite Pologne qui l’avait attaqué en premier.

    Et Poutine prétend que c’est l’Ukraine qui menace la Russie pour l’attaquer !

    Il parle aussi de junte au pouvoir à Kiev.

    Le président Volodymyr Zelensky a été élu par le peuple ukrainien, en battant le président sortant. Cela s’appelle une alternance, exactement le contraire de ce qui se passe en Russie. Lorsque Dmitri Medvedev a remplacé, pour un mandat, Poutine en le gardant comme premier ministre puis en étant remplacé à nouveau par Poutine, ce n’était pas une alternance mais un arrangement mafieux. La démocratie est en Ukraine, s‘il y a une junte, c’est celle qui est au pouvoir à Moscou

    Les dictateurs, cela ose tout, c’est à cela qu’on les reconnait.

    Il ose traiter de nazi Volodymyr Zelensky, dont les deux parents étaient juifs russophones. Zelensky a d’ailleurs répondu à Poutine :

    « Comment pourrais-je être un nazi ? Expliquez-le à mon grand-père, qui a traversé toute la guerre dans l’infanterie de l’armée soviétique. »

    Et il ajouté que trois frères de son grand-père ont été tués par les nazis

    Voilà la triste réalité d’un dictateur entrainant l’Europe dans son récit mortifère et sa réécriture de l’Histoire.

    S’il y a un doute sur l’existence du peuple ukrainien, son agression va conduire à renforcer le sentiment national ukrainien, qui ne peut jamais être plus fort que si la nation est menacée par une autre nation.

    Et pendant ce temps, un autre naufrage…

    François Fillon, membre du conseil d’administration du géant russe de la pétrochimie Sibur, déplore l’usage de la force par Poutine mais continue à lui trouver des excuses, en prétendant que c’est l’OTAN qui est responsable de cette dérive.

    Il est membre de 2 conseils d’administration d’entreprises russes aux mains d’amis de Poutine. Aura t’il la décence de démissionner ?

    <1658>

     

  • Jeudi 24 février 2022

    « Les fins de règne – car nous sommes dans une fin de règne en Russie – sont longues, chaotiques et souvent sanglantes. »
    Michel Foucher

    Poutine constitue une énigme.

    Certains (comme Zemmour ou Marine Le Pen) le considère comme un stratège génial.

    Mais Libération pose la question : « Poutine est-il fou ? »

    Le journal raconte d’abord comment lors d’une réunion de son Conseil de Sécurité, qui a précédé son fameux discours dans lequel il a nié la possibilité qu’il existe une nation ukrainienne distincte de la nation russe et qu’il a reconnu l’indépendance de deux territoires qui se trouvent à l’intérieur des frontières de l’Etat ukrainien, le Président russe a littéralement terrorisé le responsable des services de renseignements. Il existe une vidéo de cet échange entre <Vladimir Poutine et Sergueï Narychkine>. Libération évoque les visages anxieux des autres membres du conseil de sécurité. Il compare cet épisode avec le jour où les fauves du Colisée ayant eu raison trop rapidement des gladiateurs, l’empereur Caligula ordonna de jeter dans l’arène les spectateurs qui n’avaient pas assez applaudi.

    Concernant le discours, Libération rapporte :

    « Réagissant le premier aux événements, Emmanuel Macron a qualifié l’intervention télévisée du chef de l’Etat russe de «discours paranoïaque». Notre correspondant en Ukraine, Stéphane Siohan, y a vu «une heure de logorrhée historique stupéfiante», bientôt suivi par le correspondant à Moscou du Financial Times, Max Seddon, pour qui Poutine avait «clairement fait une déclaration de guerre complètement folle». La Première ministre de la Lettonie, Ingrida Šimonytė, observa que le président russe « rendrait honteux à la fois Kafka et Orwell », tandis que l’ancien ambassadeur français Gérard Araud, d’ordinaire placide et hyperréaliste, le qualifiait de discours « proprement ahurissant, un délire paranoïaque dans un univers parallèle ».

    Vladimir Poutine est-il fou ? La question a son importance, et après le fameux dîner de six heures d’affilée avec son homologue russe la semaine dernière, Emmanuel Macron a plus d’éléments que beaucoup pour y répondre. Mais on peut aussi revenir à la fameuse « théorie du fou » chère à Richard Nixon, qui avait voulu faire croire aux dirigeants russes qu’ils avaient en face d’eux un président américain au comportement imprévisible, disposant d’une énorme capacité de destruction, et qu’il valait donc mieux lui lâcher plus de terrain qu’à un leader raisonnable. Poutine a-t-il voulu renverser les rôles ? »

    « Le Un Hebdo », dans son numéro daté du 23 février pose la question : Que veut Poutine ?

    Il met sur la première page ce qu’écrivait la journaliste Anna Politkovskaïa qui a été assassinée en 2006 et dont j’avais parlé dans le mot du jour du 8 octobre 2013 < « Qu’ai-je fait ?…J’ai seulement écrit ce dont j’étais témoin.» :

    « Ce n’est ni un tyran ni un despote-né. Il a juste été formé à réfléchir selon des catégories qui lui ont été inculquées par le KGB, dont l’organisation représente à ses yeux un modèle idéal, ainsi qu’il l’a publiquement déclaré plus d’une fois. C’est la raison pour laquelle, lorsque quelqu’un est en désaccord avec lui, Poutine exige « qu’on coupe court à cette hystérie ». D’où son refus de participer à des débats électoraux. La discussion politique n’est tout simplement pas son élément. Il ne sait pas dialoguer. Son style, c’est le monologue de type militaire. Dans l’armée, le subalterne se tait, il écoute le chef et a le devoir de faire semblant de l’approuver. Dans l’armée comme en politique, toute insubordination ne peut que déboucher sur une guerre ouverte. »
    La Russie selon Poutine, trad. fr. de Valérie Dariot © Buchet-Chastel, 2005

    Laurent Greilsamer avance cette analyse :

    « Au cœur du système poutinien, il faut imaginer une énorme fabrique de brouillage impulsant le chaud et le froid, créant la confusion et l’inquiétude sur la scène internationale. […]. C’est ainsi que le président Poutine, quand bien même le PIB de son pays ne dépasse pas celui de l’Espagne, affole les chancelleries et parvient à se placer au centre de la « conversation mondiale ». C’est ainsi qu’à la tête d’une armée modernisée de 900 000 hommes, il se retrouve à la table des négociations avec toutes les cartes en main. »

    Au cœur de ce numéro, se trouve un entretien avec Michel Foucher, géographe et diplomate qui pense que Poutine a tout à fait les moyens de son ambition, tant il est vrai qu’il a rénové et réorganisé en profondeur son armée qui constitue aujourd’hui l’outil central de sa politique étrangère et qui est une priorité budgétaire.

    Et surtout il nous explique la doctrine militaire de Valéri Guérassimov :

    «  Poutine a adopté la doctrine militaire de Valéri Guérassimov, son chef d’état-major, qui consiste à mobiliser toutes les ressources non militaires à des fins militaires : les moyens économiques, politiques, diplomatiques, informationnels. Ils la nomment la « dissuasion stratégique ». L’objectif de la doctrine Guérassimov est de brouiller notre compréhension, notre lecture des événements. Il s’agit bien d’empêcher les pays occidentaux de déterminer si nous sommes face à une situation de paix ou de guerre. Ces méthodes étaient autrefois l’apanage des services de renseignement. Cela rend très difficile l’évaluation des risques à chaud, et donc la décision. Et l’on constate bien aujourd’hui qu’il n’y a pas d’analyses convergentes entre Washington, Ottawa, Londres, Paris, Berlin, Rome et Varsovie. »

    Michel Foucher nous apprend que Poutine a fait distribuer à tous les soldats, en septembre dernier, un texte de 5 000 mots intitulé « Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens ». Vus de Moscou, les Russes, les Biélorusses et les Ukrainiens forment un seul peuple. La dislocation de l’Union soviétique, en 1991, est encore vécue comme une catastrophe géopolitique parce que le monde russe a été séparé

    L’Ukraine , comme la Russie est un pays de corruption forte, mais contrairement à la Russie, l’Ukraine est une démocratie avec des élections libres dans lesquelles les présidents ou les gouvernements sortants peuvent être battus électoralement et remplacés par leurs opposants.

    Poutine n’aime pas la démocratie dans lequel le pouvoir peut changer de main.

    Et puis il ne supporte pas que l’Ukraine, cette région qui dans son esprit est russe, puisse se rapprocher de l’occident voire adhérer à l’OTAN.

    Ainsi la révolution de Maïdan, en 2014, qui montrait cette forte aspiration vers l’occident d’une partie de la population ukrainienne particulièrement de Kiev a constitué pour Poutine, dans son système de valeur, la provocation de trop :

    « La première réponse de Poutine a été d’annexer la Crimée. La deuxième d’encourager le Donbass, qui peut s’apparenter à la Lorraine ou à la Ruhr, à faire sécession.

    Et [la troisième peut être] la guerre ou la paix. L’histoire le montre, c’est une seule personne qui en décide. On en est là. Et en stratégie, les cartes mentales sont fondamentales. Moscou a la perception d’une asymétrie qu’il faut relativiser. Ce sont bien les forces militaires russes qui campent en Biélorussie, dans le Donbass et bien entendu sur la mer Noire, où les manœuvres navales bloquent tous les ports ukrainiens depuis un mois. L’usage de la géographie corrige l’asymétrie. »

    Michel Foucher décrit une situation ambigüe de l’Ukraine par rapport à l’OTAN, moins catégorique que certains journalistes qui prétendent que l’Ukraine est très loin de l’OTAN. Bien sûr, elle ne peut bénéficier de l’article 5, ce qui constitue une limite essentielle :

    « Elle a un accord de coopération renforcée avec l’Otan qui en fait un quasi-membre. Elle reçoit des équipements, des armes antichars, des missiles. L’Ukraine est de facto dans l’Otan. Avec une nuance très forte, car elle ne bénéficie pas de l’article 5 : donc il n’y a pas de solidarité militaire, d’alliance au sens classique. Mais, pour Moscou, c’est trop. Dans la conception de Poutine, tous les voisins de la Russie doivent être soumis à la Russie. »

    Pour le géographe, le moment d’agir a été rigoureusement choisi par le maître du Kremlin :

    « Le moment lui est favorable : Angela Merkel est partie, il n’aurait jamais osé faire cela avec elle ; Joe Biden est faible ; l’Otan est fracturée ; l’Occident est en fait divisé. Et il a Pékin derrière lui. Il a en main toutes les cartes : le militaire, la diplomatie, les calculs stratégiques froids, la propagande, le ressentiment historique, l’émotion. Ce qui est fascinant, c’est sa capacité à utiliser tous ces outils. »

    Michel Foucher parle des risques de fin de règne et pense probable l’envahissement de l’Ukraine par les armées russes. Je pense qu’il veut dire au-delà de la région du Donbass :

    « En tout cas, tout est prêt pour que cela soit possible. Les fins de règne – car nous sommes dans une fin de règne en Russie – sont longues, chaotiques et souvent sanglantes. Il est sage de se préparer au scénario d’une entrée des forces russes en Ukraine. Dans ce cas, il y aura une résistance sur le terrain. Les Ukrainiens ne se laisseront pas faire. Ce sera un drame et un déchirement pour de nombreuses familles russes. »

    Michel Foucher penche donc davantage vers l’hypothèse du stratège que du fou.

    <1657>

  • Mercredi 23 février 2022

    « Au milieu de la plaine immense, dans mon Ukraine bien-aimée, pour que je voie les champs sans fin. »
    Tarass Chevtchenko

    L’Ukraine !

    En lisant et butinant autour de ce pays divisé, menacé par son immense voisin, je suis tombé sur des articles concernant Taras Chevtchenko surnommé Kobzar que je ne connaissais pas.

    Wikipedia écrit :

    « Il est considéré comme le plus grand poète romantique de langue ukrainienne.
    Figure emblématique dans l’histoire de l’Ukraine, il marque le réveil national du pays au XIXe siècle. Sa vie et son œuvre font de lui une véritable icône de la culture de l’Ukraine et de la diaspora ukrainienne au cours des XIXe et XXe siècles. La principale université ukrainienne porte son nom depuis 1939 : université nationale Taras-Chevtchenko de Kiev. »

    Chevtchenko est un nom patronymique ukrainien très répandu. Les amateurs de football, ont en mémoire un ballon d’or qui porte ce nom.

    Taras Chevtchenko a vécu entre 1814 et 1861, année dans laquelle il est mort à 47 ans. Il est né dans une famille de paysans serfs ukrainiens. C’est-à-dire qu’il est en réalité un esclave qui appartient à un seigneur

    Il est attiré par la littérature et la peinture.

    Un soir, son seigneur surprend Chevtchenko à dessiner, à la lueur d’une bougie, devant l’un des tableaux de la maison. Il l’accuse d’avoir failli brûler le précieux tableau et le fait battre aux écuries.

    Mais la femme du Seigneur suggère à ce dernier de l’envoyer en apprentissage d’art afin d’en faire son peintre personnel.

    Ainsi fut fait.

    Talentueux, il attire l’attention de plusieurs maîtres.

    Il rencontre finalement un célèbre peintre et professeur nommé Karl Briullov. Ce dernier mit en jeu dans une loterie son portrait du poète russe Vassili Joukovski, ce qui lui permit d’acheter et de rendre pour 2 500 roubles la liberté à Taras Chevtchenko le 5 mai 1838.

    Ainsi, Taras Chevtchenko put s’inscrire à l’Académie impériale des beaux-arts de Saint-Pétersbourg et faire ses études sous la direction de Briullov.

    En 1840, il publie sa première collection de poésie, Kobzar (Le Barde), composée de huit poèmes

    Pour illustrer son poème Kateryna, Chevtchenko peint en été 1842 un tableau qui reste de nos jours une des images emblématiques de la peinture ukrainienne. Il représente une jeune Ukrainienne, enceinte, un soldat russe s’éloignant, il est dit qu’à cette époque les jeunes filles ukrainiennes qui acceptaient les faveurs des soldats russes de passage étaient rejetées par leurs familles, enceintes des œuvres de « l’occupant »

    En plus de ses activités artistiques il s’intéresse à la vie sociale et politique.

    Il est scandalisé par l’oppression tsariste et la destruction de son Ukraine natale.

    En 1846, à Kiev, Taras Chevtchenko rejoignit la Confrérie de Cyrille et Méthode, organisation politique secrète qui avait pour objectif d’abolir le servage et d’établir l’égalité sociale. Comme les autres membres de la fraternité, il fut arrêté le 5 avril 1847. Le poète fut emprisonné à Saint-Pétersbourg. Après la découverte et la confiscation par les autorités impériales de ses poèmes satiriques anti-tsaristes issus de son album, il fut condamné à servir comme simple soldat dans le corps spécial d’Orenbourg, un régiment installé dans une région lointaine de Russie, près de la mer Caspienne.

    Le tsar Nicolas Ier en personne donna l’ordre d’interdire à Chevtchenko d’écrire et de peindre. Le poète réussit toutefois à continuer à peindre et à écrire en cachette. Dans ses œuvres, il parle toujours de son pays natal, l’Ukraine, qui lutte contre l’oppression et aspire à la liberté.

    En 1850, Taras Chevtchenko fut transféré à la forteresse de Novopetrovskoïe, au bord de la mer Caspienne, où les consignes sur son exil furent plus durement appliquées. Il réussit cependant à créer plus de cent aquarelles et dessins. Il écrivit également plusieurs nouvelles en langue russe. Il fut libéré de son exil militaire en 1857, deux ans après la mort de Nicolas Ier. Mais il lui fut alors interdit de vivre en Ukraine. Après avoir passé une grande partie des années suivantes à Nijni Novgorod, au bord de la Volga, il s’établit à Saint-Pétersbourg. Ce n’est qu’en 1859, qu’il fut autorisé à rendre visite à ses parents et à ses amis en Ukraine. Mais il y fut retenu, interrogé, puis renvoyé à Saint-Pétersbourg. Taras Chevtchenko resta sous la surveillance de la police jusqu’à sa mort, en 1861.

    Il fut enterré à Saint-Pétersbourg. Deux mois plus tard, conformément à ses vœux, ses restes furent transférés en Ukraine. Le peuple ukrainien organisa à son poète de grandes funérailles. Sa dépouille fut inhumée sur Chernecha Hora (la Montagne du Moine) près de Kaniv, une ville proche de son lieu de naissance. Depuis, sa tombe est considérée comme un lieu de pèlerinage par des millions d’Ukrainiens.

    Taras Chevtchenko occupe une place exceptionnelle dans l’histoire culturelle de l’Ukraine. Son nom reste un des symboles les plus marquants du réveil de l’esprit national ukrainien au XIXe siècle. Vers la fin du XIXe siècle, son Kobzar devient le livre de référence d’enseignement de la langue ukrainienne.

    De ses 47 ans, Chevtchenko en vécut 24 au servage et 10 en exil. Sa vie tragique et son amour pour son pays et sa langue reflètent dans l’imaginaire de ses compatriotes le destin du peuple ukrainien qui lutta à travers des siècles pour sa culture et sa liberté

    Toutes ces précisions sont issues de Wikipedia

    France Info nous apprend qu’en 2014, pour les deux cents ans de sa naissance, <Sa mémoire fut encore l’enjeu d’un conflit nationaliste russo-ukrainien> :

    « Les événements en Ukraine semblent avoir refroidi l’attitude de Moscou vis-à-vis du poète ukrainien Taras Chevtchenko, né il y a tout juste 200 ans. Le site du Kremlin s’est ainsi bien gardé de mentionner l’anniversaire de cet illustre poète, et initiateur de l’esprit national ukrainien.

    En Ukraine, la journée du 9 mars 2014 a été rythmée par des rassemblements en mémoire de celui que beaucoup considèrent comme un héros de l’indépendance du pays. «Nous constituons un seul pays, une seule famille, et nous nous trouvons ici avec notre poète Taras», a déclaré au président ukrainien de transition, Oleksander Tourtchinov, lors d’une cérémonie à Kiev, la capitale ukrainienne. […]
    A Kiev, des pro-Russes avaient également organisé des rassemblements, notamment place Lénine, autour de la statue du fondateur de l’URSS où 2.000 manifestants ont applaudi de vieux chants de l’époque soviétique. »

    Dans mon butinage j’ai trouvé ce beau poème :

    Testament
    poèmes

    Quand je serai mort, mettez-moi
    Dans le tertre qui sert de tombe
    Au milieu de la plaine immense,
    Dans mon Ukraine bien-aimée,
    Pour que je voie les champs sans fin,
    Le Dniepr et ses rives abruptes,
    Et que je l’entende mugir.
    Lorsque le Dniepr emportera
    Vers la mer bleue, loin de l’Ukraine,
    Le sang de l’ennemi, alors
    J’abandonnerai les collines
    Et j’abandonnerai les champs,
    Jusqu’au ciel je m’envolerai
    Pour prier Dieu, mais si longtemps
    Que cela n’aura pas eu lieu
    Je ne veux pas connaître Dieu.
    Vous, enterrez-moi, levez-vous,
    Brisez enfin, brisez vos chaînes,
    La liberté, arrosez-là
    Avec le sang de l’ennemi.
    Plus tard dans la grande famille,
    La famille libre et nouvelle,
    N’oubliez pas de m’évoquer
    Avec des mots doux et paisibles.

    Le 25 décembre 1845
    à Pereiaslav.
    Traduit par Eugène Guillevic
    Tarass Chevtchenko, Paris, Seghers, (Poètes d’aujourd’hui no 110), 1964, pp. 69-70)

    Vous pouvez regarder cette petite vidéo de 5 minutes réalisée par France Culture : <Taras Chevtchenko, figure adulée de la nation ukrainienne>.

    <1656>

  • Mardi 22 février 2022

    « La démocratie a reculé dans le monde l’année dernière. »
    Constat, réalisé par le département de recherche (EIU) de « The Economist »

    Dans notre jeunesse nous pensions que l’évolution vers la démocratie était inéluctable et que si certains Etats mettraient un peu plus de temps, le mouvement était général et allait toujours dans le même sens.

    Quand j’étais enfant, L’Espagne, le Portugal, la Grèce, tous les pays de l’Est de l’Europe étaient des dictatures. Ces dictatures sont tombées les unes après les autres.

    Avec la chute du bloc soviétique, Francis Fukuyama conceptualisait cette évolution dans un article célèbre intitulé « La fin de l’histoire » où il prédisait le triomphe du modèle démocratique sur toute la planète.

    Il semble que nous nous soyons trompés.

    Dans « l’Obs », Sara Daniel pose même la question : « La démocratie, un régime politique en voie de disparition ? »

    Et elle se réfère à une étude du département de recherche (EIU) de « The Economist »

    The Economist est un journal britannique et nous devons reconnaître que concernant la démocratie les anglais nous ont toujours été supérieurs. Nous avons donc affaire à des spécialistes.

    The Economist a créé un « indice de démocratie » qu’il évalue chaque année depuis 2006 pour chacun des 167 pays que compte notre Planète.

    Le calcul est fondé sur 60 critères regroupés en cinq catégories :

    • Le processus électoral et le pluralisme,
    • Les libertés civiles,
    • Le fonctionnement du gouvernement,
    • La participation politique
    • La culture politique.

    La notation se fait selon une échelle allant de 0 à 10.

    À partir de cette note, les pays sont classés selon quatre types de régime politiques :

    • Démocraties complètes
    • Démocraties imparfaites ou défaillantes
    • Régime hybride
    • Régime autoritaire.

    Le pays le moins démocratique du monde a été depuis plusieurs années : La Corée du Nord.

    Mais cette année le classement du journal a trouvé encore pire.

    La dernière place du classement est désormais occupée par l’Afghanistan qui est donc 167ème avec un score de 0,32.

    Et la Corée du Nord n’est même pas avant dernière, cette place est occupée par la Birmanie dont l’armée a renversé le pouvoir civil dirigé par Aung San Suu Kyi et s’est lancé dans une répression sanglante contre la population en révolte contre ce coup de force.

    Du côté le plus vertueux, c’est la Norvège qui occupe la première place avec un score de 9,75 suivi par les autres pays nordiques Finlande, Suède, Islande, Danemark.

    Mais la deuxième place est occupée par la Nouvelle Zélande qui s’immisce dans le groupe des nordiques.

    Il est à noter que sauf pour la Norvège, les 5 pays suivants ont tous à leur tête une première ministre femme.

    Il me semble pouvoir dire que ce n’est pas parce qu’ils ont à leur tête des femmes qu’ils sont vertueux, mais plutôt parce qu’ils sont vertueux ils mettent facilement à la première place des femmes.

    La France, est classée au-delà de la 20ème place et a intégré depuis l’année dernière la catégorie des démocraties défaillantes.

    Pour l’étude ce sont les mesures mises en place pour freiner la pandémie de Covid-19 qui sont la cause de cette rétrogradation.

    « Le Progrès. » rapporte les termes du rapport :

    « Imposer des pass et des vaccins pose la question du droit des individus à participer librement à la vie publique de leur pays s’ils ne sont pas vaccinés », peut-on notamment lire dans l’étude, qui pointe également du doigt les propos d’Emmanuel Macron dans Le Parisien, qui a déclaré il y a quelques semaines qu’il voulait « emmerder les non-vaccinés ».
    La France n’est pas le seul pays d’Europe de l’Ouest où la restriction des libertés individuelles pose question, selon l’Index. L’Espagne est ainsi passé cette année de « démocratie complète » à « démocratie défaillante » et plusieurs pays voisins, comme l’Italie, le Portugal et la Belgique sont eux aussi considérés comme « défaillants » dans leur système démocratique.

    Les États-Unis, Israël, le Brésil et l’Afrique du Sud figurent également dans cette catégorie. »

    La Russie et la Chine sont bien évidemment classées dans la dernière catégorie, celle des régimes autoritaires.

    En 2021, seuls 6,4 % de la population mondiale ont vécu dans des pays pleinement démocratiques.

    Globalement, la démocratie a reculé dans le monde l’année dernière. L’indice de démocratie 2021 est en effet passé de 5,37 en 2020 à 5,28, soit la plus forte baisse annuelle depuis l’année 2010.

    Les régimes autoritaires ou hybrides sont largement majoritaires et gouvernent plus de la moitié de l’humanité 45,7 % de la population mondiale vivait dans une démocratie en 2021, contre 49,4 % un an plus tôt.

    Sara Daniel développe :

    « Plusieurs facteurs expliquent ce reflux démocratique. La multiplication des hommes forts qui, du Russe Vladimir Poutine au Turc Recep Tayyip Erdogan, adossent leur pouvoir à des démocratures. Les guerres sans fin ensanglantant le Moyen-Orient, le Sahel ou l’Afghanistan, qui déloge cette année la Corée du Nord de la dernière place du classement. La progression du modèle chinois qui gagne le monde émergent. Et enfin l’épidémie de Covid qui a creusé le fossé entre dirigeants et citoyens. »

    Et elle cite une journaliste américaine :

    « Dans un livre récemment publié chez Grasset, « Démocraties en déclin. Réflexions sur la tentation autoritaire », la journaliste américaine Anne Applebaum, déjà autrice d’une passionnante histoire du Goulag, explique comment le mensonge assumé est devenu une arme politique. Selon elle, la tentation de gouverner de manière autoritaire, dont le trumpisme fut l’illustration la plus spectaculaire, est la même partout, de l’extrême droite française au régime de Poutine. »

    J’ai pris ces différentes informations des articles suivants :

    Wikipedia : <Indice de démocratie>

    L’Obs : < La démocratie, un régime politique en voie de disparition ?>

    L’Obs : <The Economist classe la France parmi les « démocraties défaillantes »>

    Le Progrès <Quels sont les pays les plus démocratiques ou les plus autoritaires au monde ?>

    Les Echos : <Le Covid bouscule la démocratie dans le monde pour la deuxième année consécutive>

    Le Temps : <Une étude s’alarme d’un recul de la démocratie dans le monde en 2021>

    Il me semble, en effet, que la démocratie recule dans le monde. Je ne crois pas que le COVID en soit le principal responsable.

    <1655>

  • Lundi 21 février 2022

    « PatKop la violoniste aux pieds nus. »
    Un objet musical non identifié nommé Patricia Kopatchinskaja

    Ce dimanche, Annie et moi, accompagnés de nos amis Joyce et Patrick, sommes allés à l’Auditorium pour écouter un concert d’œuvres d’Igor Stravinsky dirigés par le chef hongrois Ivan Fischer à la tête de l’orchestre qu’il a créé en 1983  et dont il est le Directeur musical depuis : « L’Orchestre du Festival de Budapest ».

    Pour Ivan Fischer, il s’agissait d’un retour à Lyon, puisqu’il a été le directeur musical de l’Opéra de Lyon de 2001 à 2003.

    Ivan Fischer avait aussi fait parler de lui parce qu’il s’est fait « vacciner en plein concert le 25 août 2021 » :

    « Le geste, symbolique, a eu lieu lors d’un concert gratuit en plein air devant quelques milliers de personne à Budapest. Sur les vidéos on peut voir Iván Fischer diriger du bras droit pendant qu’un médecin lui administre une troisième dose de vaccin dans l’autre bras, à travers un trou ménagé exprès dans sa chemise. […] Le site du festival de Budapest explique qu’à travers cette mise-en-scène Iván Fischer « souhaite donner l’exemple et attirer l’attention du public sur l’importance de la lutte contre l’épidémie ». La Hongrie a en effet particulièrement souffert au printemps, affichant début mai « la pire mortalité du monde » d’après le journal Le Monde. Depuis, la situation sanitaire s’est améliorée mais reste délicate. »

    C’est surtout un très grand chef et nous avions hâte de l’entendre dans ce concert dans lequel la seconde partie était consacrée au « Sacre du Printemps ».

    Avant cela, il y avait une première partie dans laquelle après une autre œuvre orchestrale, « le concerto pour violon et orchestre » de Stravinski était au programme.

    C’est une œuvre assez aride et difficile à jouer.

    Avec Annie nous nous préparons toujours au concert en écoutant plusieurs fois les œuvres au programme.

    Nous avions un peu de mal avec cette œuvre.

    J’avais déjà entendu parler de la violoniste soliste : Patricia Kopatchinskaja, mais je ne l’avais jamais vu en concert, ni entendu par l’écoute d’un disque ou de la radio. J’avais lu des avis très contrastés. Par exemple, cet avis du journal canadien « La Presse »

    « Des critiques et des mélomanes l’abhorrent, d’autres l’adorent. On lui reproche de trop grandes libertés avec la partition, trop d’exubérance dans le jeu, trop de singularité dans l’articulation ou les timbres, trop de feu dans les coups d’archet. On l’admire exactement pour les mêmes raisons. »

    Donc nous voilà au concert. La première œuvre, «  Jeux de carte » me semblait un peu poussive, je n’entrais pas bien dans le concert, était ce de mon fait ou de celui du chef et de l’orchestre ?

    Puis vint le concerto et la violoniste née à Chisinau en Moldavie en 1977, entra en scène.

    Déjà sa tenue était singulière par rapport à toutes les autres solistes qu’il nous a été donné de voir à l’Auditorium.

    Elle portait une robe que je qualifierai de folklorique, mais je ne sais pas de quelle région.

    Et elle était pieds nus. On raconte qu’un jour elle avait oublié ses chaussures en montant sur scène. Et que ce jour là, elle avait ressenti les vibrations de l’orchestre comme jamais. Depuis elle réitère souvent cet oubli.

    Alors, elle lève l’archet et prend à bras le corps cette œuvre rude et difficile et entraîne l’enthousiasme des musiciens et des auditeurs tout au long de son interprétation.

    Elle saisit l’œuvre et fait partager sa vision avec une force et un dynamisme incroyable.

    D’ailleurs vous pouvez avoir la perception de cette interprétation, puisqu’il existe sur internet une vidéo de ce concerto avec elle à <Francfort avec l’orchestre de la radio de cette ville dirigé Andrés Orozco-Estrada>

    Époustouflant et unique !

    Et alors les bis !

    Elle a joué successivement avec deux membres de l’orchestre des danses populaires du compositeur hongrois Bartok et puis une œuvre qu’elle a décrit comme présentant le chaos de la globalisation dans laquelle elle joue du violon tout en chantant ou plutôt en lançant des cris et des grognements dans un acte théâtral aussi déroutant que prenant.

    Après cela, l’orchestre du Festival de Budapest et Ivan Fischer, galvanisé par ce qu’il venait de vivre nous ont offert un Sacre du Printemps de toute beauté.

    Et après ce déchainement de rythme et de violence et plusieurs rappels, l’orchestre s’est levé, a laissé ses instruments et sous la direction d’Ivan Fischer a chanté, a capella, l’ « Ave Maria de Stravinsky  » dans un moment extatique avec une qualité chorale incroyable.

    Un concert qui fait du bien et dont on sort plein d’énergie et de joie.

    Alors, j’ai voulu en savoir un peu plus sur « la violoniste aux pieds nus » qu’on appelle PatKop, pour éviter d’écorcher son patronyme compliqué : Kopatchinskaja

    Alors j’ai écouté cette interprétation du <Concerto de Beethoven> avec Philippe Herreweghe, avec lequel elle l’a enregistré d’ailleurs. Et c’est vrai qu’elle prend quelque liberté avec la partition. Elle joue parfois d’autres notes que Beethoven a écrite. C’est choquant, mais c’est très convaincant.

    Elle dit dans l’article du journal canadien précité :

    « Bien sûr, affirme-t-elle d’emblée, je m’en tiens aux partitions écrites, mais je recherche d’abord l’esprit de l’œuvre… qui ne se trouve pas dans les pages. Je crois qu’il faut libérer l’esprit d’une œuvre, il faut le sortir de sa partition, qui peut devenir une prison. […]
     Il faut laisser cet esprit nous chevaucher, le laisser nous parler comme un guide qui se dévoile à notre époque, le laisser communiquer avec le public et les musiciens, et ainsi modeler notre façon de jouer l’œuvre ici et maintenant. »

    Et elle dit encore :

    « Si vous êtes scientifique et que vous vous intéressez à ce qui est connu, vous devenez professeur. Lorsque l’inconnu, le risque ou même la controverse ne vous font pas peur, vous devenez alors chercheur, ce qui s’apparente à un créateur en art. Ce qui m’intéresse se trouve de l’autre côté de la frontière, car je sais ce qui se trouve à l’intérieur. »

    Bref, jouer une pièce de la même manière pendant des décennies ne présente pas grand intérêt pour elle.

    Dans ce contexte, elle accepte les critiques :

    « Il est bien de recevoir de bonnes et de mauvaises critiques, cela signifie que ceux qui ne nous aiment pas nous ont écoutés avec une certaine attention, qu’on les a touchés malgré tout. Quoi qu’ils pensent, les interprétations lisses et standardisées ne m’intéressent absolument pas. »

    On trouve assez facilement des critiques défavorables sur le net, mais elles ne m’intéressent pas après le concert de ce dimanche.

    Je pense qu’étant donné sa liberté d’interprétation, il semble possible qu’elle puisse « s’égarer » parfois.

    Mais quand c’est réussi comme ce dimanche à Lyon, quelle plénitude.

    <Le Monde> écrit :

    « Loin de se limiter à des décharges strictement musicales, l’interprète galvanisante a décidé, très tôt, de ne renoncer à aucun des sens de son corps dans la recherche optimale de l’expression artistique. « J’ai besoin de tout ressentir avec ma peau », résume la violoniste qui a pris l’habitude de se produire pieds nus et de s’exposer telle quelle sur scène. […] « Plus j’avance en âge et plus je m’éloigne de tout ce qui m’a été appris, confie la musicienne de 44 ans. Les Japonais pensent qu’on change de personnalité une fois qu’on a atteint la moitié de sa vie, comme un serpent qui se débarrasse de sa peau, mais en tant qu’artiste qui se régénère, vous ne savez jamais où vous êtes vraiment vous-même.»

    Elle a résumé lors d’un entretien accordé au Financial Times sa vision de liberté :

    « Les gens accordent beaucoup d’importance à la perfection et aux surfaces bien lisses. Ils veulent voir un beau gâteau sur scène, prêt à être dégusté. Je n’apporte pas de gâteau. J’apporte les ingrédients et je les cuisine sur place. On doit prendre le risque que ça ne se passera pas bien – on a besoin des erreurs car elles nous font réfléchir et trouver de nouvelles façons de faire. »

    Sur ce site consacré à la Moldavie elle raconte un peu l’Histoire de sa vie :

    « Nous avons quitté la Moldavie avec mes parents dès l’ouverture des frontières en 1990. Je suis arrivée à Vienne, où j’ai passé une dizaine d’années. Je suis ensuite venue à Berne, car j’avais obtenu une bourse pour y étudier. J’ai toujours rêvé de baser ma vie dans une grande capitale, mais je suis tombée amoureuse à Berne, et j’y suis restée. Et comme je voyage sans cesse, Berne est le lieu idéal pour décompresser, recharger mes batteries.
    [Que pouvez-vous dire de la Moldavie ?]
    C’est intéressant de venir de nulle part, non ? ([…]
    Plus prosaïquement, la Moldavie a connu tour à tour la domination des Roumains et des Russes, et les deux n’étaient pas mieux l’un que l’autre. Aujourd’hui, c’est un pays parmi les plus pauvres d’Europe : 80% des actifs travaillent à l’étranger. J’y retourne avec Terre des hommes , pour donner des concerts, organiser des concours pour jeunes violonistes. Dans ma famille, chaque génération a une fois tout perdu et s’est retrouvée avec une valise pour seul bien. J’en tire cette leçon : « Live now ! » « Vivez maintenant ! »

    Elle a désormais la triple nationalité moldave, autrichienne et suisse.

    « Le Figaro » parle en juin 2021 d’elle comme d’« un objet musical non identifié » et ajoute :

    « Mais c’est surtout par sa profonde originalité musicale qu’elle frappe. Celle qui aime se comparer à un enfant qui invente constamment de nouveaux jeux avec les mêmes jouets, assimile la musique classique à un laboratoire et son parcours d’interprète à celui d’Alice au pays des merveilles.
    En vraie funambule, elle pousse la musique dans ses ultimes retranchements expressifs »

    Elle dispose bien sûr d’un site : https://www.patriciakopatchinskaja.com/

    Et pour finir, je vous propose d’écouter ces 5 minutes magiques dans lesquelles avec d’autres musiciens et particulièrement le chef Teodor Currentzis, elle chante et joue en interprétant <John Dowland> compositeur anglais mort en 1626.

    <1654>

  • Vendredi 18 février 2022

    « Le gosse »
    Véronique Olmi

    « Ce livre est glaçant… Et ne me quitte pas. Remarquable » a dit François Busnel dans son émission « La Grande Librairie du 2 février »

    Ce livre est « Le gosse » de Véronique Olmi

    Ce roman révèle une société violente et monstrueuse contre les enfants orphelins confiés à l’assistance publique, au sortir de la Grande Guerre.

    Le gosse a pour nom Joseph. Il est né en 1919, à Paris

    Son père revenait de la grande guerre, il avait la gueule cassée.

    C’était un survivant, mais il ne le restera pas longtemps. Nous savons qu’il y eut à cette époque un fléau encore plus meurtrier que la guerre : une pandémie, à laquelle on donnera pour nom, la grippe espagnole.

    Sa mère, Colette, était plumassière.

    Grâce à « Wikipedia » nous apprenons qu’une plumassière exerce l’activité de « la plumasserie ». C’est-à-dire la préparation de plumes d’oiseaux et leur utilisation dans la confection d’objets ou d’ornements souvent vestimentaires et particulièrement les chapeaux.

    Et à la mort du père, cette modeste ouvrière doit seule subvenir aux besoins de l’enfant et aussi de sa mère qui perd, peu à peu, la raison.

    La vie est rude, il y a peu de loisirs. La mère rencontre un jeune homme, elle tombe enceinte. Il n’y a pas de contraception, l’avortement est interdit, pénalisé.

    Cette grossesse tombe mal. Elle se confie entre les mains d’une femme qu’on appelait « faiseuse d’ange » et comme cela arrivait trop souvent, elle meurt.

    Joseph se retrouve donc seul avec sa grand-mère qui n’a plus toute sa tête.

    Alors que Joseph joue au football avec ses copains, on vient le chercher. Sa grand-mère vient d’être conduite à l’hôpital Sainte Anne qui est l’asile psychiatrique de Paris depuis 1651. Joseph est donc pris en charge par l’assistance publique.

    Non seulement, il est orphelin. Mais il est aussi fils d’une avorteuse.

    Véronique Olmi insiste sur le fait que la société d’alors jugeait les gens selon leur hérédité. Si la mère n’était pas une femme digne dans l’ordre moral, l’enfant était suspect.

    Elle fut aussi invité d’Augustin Trapenard, le 8 février 2022 : <Les mots de Véronique Olmi>. Dans cette émission elle a dit :

    « Le droit à l’avortement, c’est une conquête à ne jamais oublier. Je ne sais pas si le système patriarcal s’effritera un jour, ce sera un processus sûrement très long, mais le corps de la femme est toujours celui qui souffre dans ce système. »

    Et il est vrai qu’alors que nous pensions que ce combat était gagné en Occident, des forces obscures, au sein des religions établies, parviennent à faire reculer cette liberté des femmes aux États-Unis, en Pologne et de manière plus insidieuse en France : < Près de 8 % des centres pratiquant l’IVG en France ont fermé en dix ans>

    Joseph est d’abord confié à un orphelinat, mais très rapidement il est placé dans une ferme, près d’Abbeville. Après la grande guerre, les paysans manquaient de bras, alors il faisait appel à l’assistance publique pour en récupérer.

    On les appelait « les parents nourriciers » mais Joseph considère ce lieu plutôt comme une souricière. La société d’alors considérait le travail de la terre comme quelque chose de particulièrement sain et rédempteur pour les enfants mal nés. Joseph est un gavroche parisien, cette vie à travailler dans la ferme ne lui convient pas, surtout que les parents souriciers sont âpres aux gains et brutaux.

    Il retournera à Paris, mais pour le pire. Il est mal noté par l’inspecteur qui ordonne son retour dans la capitale et son incarcération à la prison de la Petite-Roquette dans le quartier de la Bastille.

    Ce que j’ai appris sur cette prison pour enfant m’a sidéré et atterré.

    Il en est encore capable de dire que c’était mieux avant !

    <Le ministère de la justice> fait un court résumé de cette prison construite en 1836 et qui ne se videra de ses enfants qu’en 1930 pour devenir une prison pour femmes avant d’être détruite en 1974, remplacée depuis par le square de la Roquette. Le ministère de la Justice cite Victor Hugo qui trouvait cet établissement très bien en 1847.

    Le principe de cette prison était l’isolement et le silence.

    « 20 minutes » cite Véronique Blanchard, historienne qui a coécrit : « Mauvaise Graine: Deux siècles d’histoire de la justice des enfants » :

    « Près de 500 enfants y sont incarcérés. On leur intime le silence absolu. « On applique un système philadelphien où le temps d’enfermement est plus important que les moments passés en collectivité. Les enfants passent 22 heures en cellule », raconte Véronique Blanchard. Ils n’ont pas le droit de se voir, ni de se parler. Quand ils sont amenés à se déplacer, on leur pose un sac sur la tête pour éviter qu’ils ne croisent le regard de leurs camarades. Les promenades dans les couloirs sont individuelles. « Et quand, le dimanche, ils assistent à la messe dans la chapelle, ils sont placés dans des box individuels pour limiter toute communication », poursuit l’historienne.

    « Les cellules sont des cages infectes, à peines convenables pour un animal », relate le journaliste Henry Danjou. Trois mètres de long et deux mètres de large. « Le jour n’y arrive que par les vitres dépolies d’une fenêtre, dont l’espagnolette est cadenassée. Elles ne sont pas éclairées la nuit. Ni chauffées. J’y ai vu des enfants qui n’avaient plus de visages humains, hirsutes, sales, couverts de poils, jetant sur moi un regard égaré » »

    « Paris Match » a aussi publié, en 2021, un article instructif : « L’histoire oubliée des enfants abandonnés de la Petite Roquette » qui rapporte que des pères mécontents de leurs enfants pouvaient les faire enfermer dans ce terrible endroit et aussi que la mortalité était de 12% par an. La nourriture y était médiocre et insuffisante.

    Par la suite Joseph quittera cette prison pour être envoyé dans un domaine agricole en Touraine : «  La Colonie agricole et pénitentiaire de Mettray », véritable bagne pour enfants ouverts en 1839 et fermé en 1939.

    C’est encore le mythe de la terre rédemptrice qui était à l’œuvre dans ce lieu de travail acharné, de privations de liberté et privations de soin.

    Un des pensionnaires les plus célèbres de ce bagne sera Jean Genet qui décrit la vie des enfants là-bas dans son livre « Le Miracle de la rose ». Il raconte que « chaque paysan touchant une prime de cinquante francs par colon évadé qu’il ramenait, c’est une véritable chasse à l’enfant, avec fourches, fusils et chiens qui se livrait jour et nuit dans la campagne de Mettray. ».

    Véronique Olmi dit dans les deux émissions ce qu’elle doit à Jean Genet

    « Les mots de Genet m’ont apporté le vertige. Je l’ai lu adolescente, et c’était trop troublant. Des années après, ça m’a coupé le souffle : c’est cru, c’est violent, mais toujours pris dans une violence à nu, sublimée en permanence. Genet, c’est l’intranquillité. »

    Joseph parviendra à surmonter ces épreuves et trouvera la liberté et la joie grâce à la musique et l’amour.

    Lors de cette période d’avant, où ce n’était pas mieux, l’éducation des enfants qui étaient dans les griffes de l’assistance publique constituait une barbarie, quasi un esclavage et on faisait trimer ces pauvres enfants pour le plus grand bénéfice de leurs tortionnaires ou même l’État.

    On ne leur apprenait rien, notamment pas l’écriture.

    François Busnel parle d’une « partie méconnue de l’Histoire de la République ».

    C’est la grandeur de ce livre et de Véronique Olmi de dévoiler cette partie.

    <1653>

  • Jeudi 17 février 2022

    « Elle est de la race des héroïnes. »
    Le préfet parlant de Fatima Zekkour

    Je reviens souvent vers des mots du jour écrits les années passées que je relis..

    Il y a 2 ans, <Le 17 février 2020> j’évoquais une jeune fille qui a pour nom Fatima Zekkour.

    Le 4 mai 2013, Fatima, 17 ans, est entrée dans un immeuble en flamme à Nevers. Avec sa sœur enceinte, elles sont allées taper à toutes les portes des quatre étages de l’immeuble. Des personnes ont été sauvées grâce à cette intervention.

    La sœur de Fatima est sortie plus tôt. Mais Fatima est restée prisonnière des flammes, elle pensait que les pompiers n’allaient pas tarder mais les pompiers n’avaient pas cru sa maman qui les avait appelés. Ne voyant rien venir, Fatima est allée seule traverser le rideau de feu.

    « Je suis tombée dans les pommes plusieurs fois en descendant. J’ ai traversé le hall, je me suis à nouveau évanouie sur le canapé en feu. Je ne me souviens pas comment j’ai pu ouvrir la porte et sortir ».

    Elle est brulée à 70 %, au visage aux mains aux jambes, aux poumons, on la plonge dans un coma artificiel pendant 20 jours, quand elle se réveille elle a tout oublié et puis elle se souvient et elle cauchemarde enveloppée de bandages, on va l’opérer 50 fois, micro chirurgie et greffes de peau…

    La ville de Nevers lui décernera la médaille de la ville pour sa bravoure.

    L’article du « Journal du Centre » qui relate cette remise de médaille <cite> les propos du préfet :

    « Jean-Pierre Condemine, préfet de la Nièvre, a ajouté sa partition à ce concert d’éloges. « Grièvement brûlée, aussitôt prise en charge par les secours, Fatima n’abandonnera jamais le combat, ne se plaindra jamais et fera face. Elle est de la race des héroïnes, dont le courage et le dévouement n’ont d’égal que la modestie et la simplicité. Elle nous donne à tous une leçon émouvante et magistrale. »

    Alors, j’ai souhaité faire des recherches pour savoir si les journaux parlaient encore de Fatima Zekkour.

    Et, j’ai trouvé cet article du journal « Le Populaire du Centre » de juillet 2021 : < Huit ans après avoir sacrifié sa peau pour sauver celle des autres, Fatima Zekkour a retrouvé le goût de la vie >

    Et dans cet article on apprend que Fatima Zekkour s’est mariée et a accouché d’une fille prénommée Delya.

    Un journaliste du Populaire lui a rendu visite. Je cite quelques extraits :

    « Quand on ouvre la porte de son appartement de Nevers, c’est Romain, son mari, qui nous ouvre la porte. Dans la pénombre de son salon, les volets fermés pour limiter l’entrée du soleil, Fatima Zekkour est assise sur son canapé, un bébé de quelques mois sur les genoux […]

    À 25 ans, Fatima a accompli une partie de ses vœux. Avoir un mari, un enfant… Ce qu’elle pensait impossible il y a quelque temps, se souvient sa maman, Christine. « Elle est heureuse, croque la vie à pleines dents, elle est épanouie… Elle n’est plus renfermée sur elle-même comme avant ».

    […] « Quand notre enfant vit un accident comme ça, on se pose tous la question en tant que parents : « Est-ce que notre fille aura une vie normale ? » »

    […] Il y a un an, Fatima portait encore des gants ; aujourd’hui, elle n’en met plus

    Les yeux noirs pétillants, les lèvres soulignées d’un rouge à lèvres vif, les cheveux détachés et la bonne humeur de cette petite brune de 25 ans camouflent discrètement les cicatrices, vestiges de son accident. Certaines blessures physiques restent taboues. Sa famille évite d’en parler.

    D’autres moins visibles, restent indélébiles. Fatima ne veut pas retourner devant l’immeuble, même pour une photo. Mais petit à petit, elle reprend confiance. Apprend à moins avoir peur du feu. Désormais, elle peut rallumer des bougies sans appréhension.

    « À l’hôpital, le chirurgien lui a demandé : « Qu’est-ce que tu ferais si tu voyais un accident ? » Elle a répondu : « Je ferais autrement. Mais je le ferais. Si je dois sauver des gens, je sauverais des gens » » Avec plus de précautions, en prenant moins de risques, Fatima retournerait en première ligne. »

    Je finissais le mot du jour du 17 février 2020 par ces mots : « La vie est plus belle quand on croise la route, même si ce n’est qu’à l’occasion d’un article ou d’une émission, d’une femme comme Fatima Zekkour. ».

    Aujourd’hui, j’ai écrit une sorte de « mot de suivi »

    Avant son congé parental, elle exerçait dans un centre médico-social destiné aux personnes atteintes de la maladie d’alzheimer.

    <1652>

  • Mercredi 16 février 2022

    « Il n’y a qu’à l’étranger que je suis français. »
    Amar Mekrous, français de confession musulmane qui a quitté son pays

    C’est La revue de Presse de Claude Askolovitch <du 14 février 2022> qui m’a fait découvrir l’article du New York Times traduit en français sur son site et accessible gratuitement : < Le départ en sourdine des musulmans de France>

    Claude Askolovitch rappelle :

    « Qui lit le New York Times le sait, ce journal américain juge souvent la France dont la laïcité jacobine ne lui correspond pas… »

    Je serais plus direct : le New York Times n’aime pas la France républicaine et laïque. Il a osé donner pour titre à l’article qui relatait la décapitation de Samuel Paty par un tchétchène se réclamant de l’Islam :

    « La police française tire et tue un homme après une attaque mortelle au couteau dans la rue »

    J’avais relaté ce fait dans le mot du jour du <28 octobre 2020>

    Mais il faut savoir sortir de sa zone de confort et aussi lire et écouter ses adversaires.

    D’autant que cette fois, le New York Times ne se contente pas d’asséner ses certitudes mais révèle, pour l’essentiel, le résultat d’une enquête menée par deux de ses journalistes : Norimitsu Onishi et Aida Alami

    C’est une enquête qui parle d’exil. Les journalistes évoquent : « La France et son âme meurtrie ».

    Il utilisent cette expression pour parler d’un premier exilé qui est un écrivain français, né à Saint-Étienne en 1983, dans une famille d’origine algérienne : Sabri Louatah :

    « La France et son âme meurtrie sont le personnage invisible de chacun des romans de Sabri Louatah […] Il évoque son « amour sensuel, charnel, viscéral » pour la langue française et son fort attachement à sa ville d’origine, Saint-Étienne, baignant dans la lumière caractéristique de la région. Il suit de près la campagne des prochaines élections présidentielles.

    Mais M. Louatah fait tout cela depuis Philadelphie, devenue sa ville d’adoption depuis les attentats de 2015 en France par des extrémistes islamistes qui ont fait 130 victimes et profondément traumatisé le pays. Avec le raidissement de l’opinion qui a suivi à l’égard de tous les Français musulmans, il ne se sentait plus en sécurité dans son propre pays. Un jour, on lui a craché dessus et on l’a traité de « sale Arabe ». »

    Et il déclare à ces journalistes :

    « C’est vraiment les attentats de 2015 qui m’ont fait partir — j’ai compris qu’on n’allait pas nous pardonner. »

    Et le New York Times de révéler que cela fait des années que la France perd des professionnels hautement qualifiés partis chercher plus de dynamisme et d’opportunités ailleurs. Parmi eux, d’après des chercheurs universitaires, on trouve un nombre croissant de Français musulmans qui affirment que la discrimination a été un puissant facteur de leur départ et qu’ils se sont sentis contraints de quitter la France en raison d’un plafond de verre de préjugés, d’un questionnement persistant au sujet de leur sécurité et d’un sentiment de non-appartenance.

    Nous devons convenir avec le journal américain que ni les politiciens ni les médias n’évoquent ce flux d’émigration.

    Ils citent Olivier Esteves, professeur au Centre d’Études et de Recherches Administratives, Politiques et Sociales de l’Université de Lille qui a mené une enquête auprès de 900 Français musulmans émigrés, dont des entretiens approfondis avec 130 d’entre eux :

    « La France se tire une grosse balle dans le pied. »

    Le New York Times reprend alors des éléments de ce qui se passe dans notre campagne présidentielle actuelle qui est, selon moi, d’une indigence absolue :

    « [Les musulmans] sont associés à la criminalité ou à d’autres fléaux sociaux par le biais d’expressions-choc telles que « les zones de non-France », décrites par Valérie Pécresse, la candidate de centre-droit actuellement au coude-à-coude avec la cheffe de file d’extrême droite Marine Le Pen pour la deuxième place derrière M. Macron. Ils sont pointés du doigt par le commentateur de télévision et candidat d’extrême-droite Éric Zemmour, qui a déclaré que les employeurs avaient le droit de refuser des Noirs et des Arabes. »

    Ces exilés vont s’installer aux Royaume-Uni et aux États-Unis, pays pour lesquels Les journalistes américains reconnaissent « [qu’ils] sont loin d’être des paradis libres de discriminations à l’encontre des musulmans ou d’autres groupes minoritaires » mais dans lesquels ces français de religion musulmane affirment trouver davantage d’opportunités et d’acceptation.

    Et il cite un autre de ces exilés Amar Mekrous, 46 ans qui s’est installé à Leicester en Angleterre :

    « Il n’y a qu’à l’étranger que je suis français. […] Je suis français, je suis marié à une Française, je parle français et je vis français. J’aime la bouffe, la culture françaises. Mais dans mon pays, je ne suis pas français. ».

    On apprend que ces chercheurs lillois se sont associés à des chercheurs de trois autres universités (Liège et la KU Leuven en Belgique, et celle d’Amsterdam aux Pays-Bas) pour une étude de l’émigration de musulmans depuis la France, mais aussi depuis la Belgique et les Pays-Bas.

    Un de ces chercheurs, Jérémy Mandin, qui a participé à cette étude explique que :

    « Nombre de jeunes Français musulmans étaient désenchantés par le fait « d’avoir joué selon les règles, d’avoir fait tout ce qu’on ce qu’on leur avait dit et, au final, de ne pas accéder à une vie désirable. »

    Parce qu’il y a une discrimination à l’embauche et aussi un ras le bol de tracasseries dans le quotidien :

    « Malgré ses diplômes de droit européen et de gestion de projet, Myriam Grubo, 31 ans, dit qu’elle n’a jamais réussi à trouver d’emploi en France. Après une demi-douzaine d’années à l’étranger — Genève d’abord, à l’Organisation Mondiale de la Santé, puis au Sénégal à l’Institut Pasteur de Dakar — elle est revenue à Paris chez ses parents. Elle cherche un emploi — à l’étranger. « Me sentir étrangère dans mon pays me pose un problème » dit-elle, ajoutant qu’elle a envie qu’on la « laisse tranquille » pour pratiquer sa foi. »

    Le New York Times cite encore quelques autres exemples dont Rama Yade qui fut dans le gouvernement, sous la présidence Sarkozy, et qui a également quitté la France.

    Aucun des exemples cités par le New York Times ne correspond au profil de cette petite minorité de marchands de haine ou encore de marchands de poupée sans visage ou de croyants archaïques qui prônent des valeurs en contradiction absolue avec nos valeurs républicaines.

    Mais pour diverses raisons, les autorités étatiques et municipales n’ont pas agi de manière sérieuse et rigoureuse pour lutter contre ces dérives minoritaires.

    Et nous arrivons désormais à une situation dans laquelle les identitaires parviennent à mobiliser de plus en plus largement dans les deux camps : celui des anti-musulmans et celui en face de français de confession musulmane qui sont également entrainés dans un repli sur soi allant jusqu’à des comportements sectaires.

    Tout cela au détriment de la plus grande partie des français de confession musulmane qui sont pratiquants ou non mais qui se sentent rejetés, discriminés et comme le dit Amar Mekrous sentent qu’on nie leur appartenance à la nation française.

    Claude Askolovitch termine sa citation de l’article du New York Times par cette question :

    Est-ce rattrapable ?

    Nous devons nous rappeler que l’Histoire de France a connu un autre grand exode pour des raisons religieuses dans le passé. C’était après la révocation de l’Edit de Nantes par Louis XIV. Les français de foi protestante se sont enfuis de France pour rejoindre les élites des Pays-Bas, de la Suisse et de l’Allemagne notamment à Berlin. Ils ont alors enrichis par leur présence, leur dynamisme et leur travail ces pays et la France, en retour, a perdu cette richesse intellectuelle et économique.

    Nous ne sommes pas exactement dans le même cas, car à l’époque de Louis XIV les persécutions étaient plus explicites et émanaient directement de l’État central.

    Aujourd’hui les discriminations ne sont pas de même niveau et n’émanent pas pour l’essentiel de l’État.

    Mais des femmes et des hommes, comme les présentent le New York Times, qui ont le courage et la détermination de quitter le pays où ils sont nés pour aller vivre et réussir leur vie ailleurs sont forcément des personnes de grande qualité et appartiennent à une élite réelle. S’en priver est, comme l’écrit Olivier Esteves, se tirer une balle dans le pied.

    <1651>

  • Mardi 15 février 2022

    « Andrew Wakefield »
    Ancien médecin, falsificateur anti-vaccin

    Nous sortons lentement, je l’espère au moins, de cette incroyable période de la COVID19 qui a débuté pour nous au début de l’année 2020.

    Beaucoup de clivages sont apparus. Des familles mêmes se sont déchirées.

    Le vaccin et la vaccination ont, il me semble, constitué le paroxysme de ces oppositions.

    Il faut admettre que ce sont des vaccins un peu étonnants.

    Le professeur de pharmacologie Bernard Bégaud, <cité par LIBE> explique qu’ils présentent «une particularité que l’on n’a pas assez soulignée», celle de «ne pas empêcher les contaminations», «même si les vaccinés y sont moins sensibles».

    Depuis le début de leur mise sur le marché, les autorités sanitaires qui préconisaient la vaccination justifiaient leur position par le bénéfice d’éviter les cas graves de la maladie pour la plus grande part des vaccinés.

    A la faiblesse du vaccin contre la transmission du virus, une autre limite est rapidement apparue celle de la limite dans le temps de l’effet bénéfique des vaccins.

    Cette seconde faiblesse a conduit à la multiplication des doses.

    La multiplication des doses qui a conduit à augmenter encore les bénéfices des laboratoires qui ont produit ces vaccins.

    Le propos de ce mot du jour n’est pas de développer les différentes controverses sur les vaccins contre la COVID.

    J’ai simplement voulu faire cette introduction pour signaler qu’il y a des questions légitimes qui se posent et que le débat n’est ni binaire, ni simple.

    Mais si du côté des Pro Vax il y a des laboratoires que certains nomment « big pharma » qui constituent des entreprises très lucratives, il existe aussi du côté de certains qui ont des positions très anti-vax des entreprises très lucratives.

    J’ai regardé avec beaucoup d’étonnement et de surprise le documentaire d’ARTE < <Antivax – Les marchands de doute> qui parle essentiellement d’un médecin anglais déchu : Andrew Wakefield..

    Cet homme dont les fraudes ont été prouvées et dénoncées en Grande Bretagne a poursuivi, pour le plus grand bénéfice de son patrimoine et ses revenus, ses agissements troubles aux États-Unis.

    Ce que j’ai appris dans le documentaire d’ARTE est aussi développé dans Wikipedia que je reprends largement pour simplifier l’écriture de ce mot du jour.

    Andrew Jeremy Wakefield (né en 1956 à Eton) était chirurgien britannique et chercheur en médecine.

    Il a publié une étude, en 1998, dans « The Lancet  » qui prétendait établir une relation de cause à effet entre le vaccin contre la rougeole, la rubéole et les oreillons et ce qu’il a appelé « l’entérocolite autistique » terme de son invention.

    En terme plus simple, il prétendait que le vaccin ROR présentait de forts risques de rendre autistes les enfants vaccinés.

    Des scientifiques ont repris les études de Wakefield et réalisé des études complémentaires qui ont démontré la fraude scientifique de Wakefield en 2010.

    Le 28 janvier 2010, un tribunal de 5 membres du British General Medical (GMC) prouve la véracité de plus d’une trentaine des inculpations contre Wakefield, parmi lesquelles quatre inculpations pour « malhonnêteté », et douze pour abus contre enfants victimes de troubles du développement. Le tribunal a jugé que Wakefield a « failli à son devoir de consultant responsable », a agi contre l’intérêt de ses patients, « malhonnêtement et de manière non responsable » lors de son étude. The Lancet rétracte immédiatement et complètement la publication de l’étude de 1998 de Wakefield sur la base des résultats de l’enquête du GMC, notant que des éléments du manuscrit ont été falsifiés.

    Wakefield est radié du registre médical (c’est-à-dire renvoyé de l’Ordre des médecins) en mai 2010 et n’est plus autorisé à exercer la médecine au Royaume-Uni.

    De nombreuses recherches épidémiologiques ont depuis démontré une absence de lien entre les vaccins et l’autisme, ce qui fait l’objet d’un consensus général dans la communauté scientifique.

    L’enquête d’un reporter du Sunday Times (journal britannique), Brian Deer, identifie des conflits d’intérêts d’ordre financier non divulgués par Wakefield. La plupart de ses coauteurs rétractent alors leur soutien à Wakefield et aux conclusions de son étude.

    Deer affirme que Wakefield prévoyait de lancer une entreprise s’appuyant sur une campagne de propagande anti-vaccins. Un prospectus pour les investisseurs potentiels dans l’entreprise de Wakefield suggérait qu’un test de dépistage pour la maladie que Wakefield voulait appeler « entérocolite autistique » pouvait produire jusqu’à 28 millions de Livres Sterling de revenus (plus de 32 millions d’euros), avec des tests de dépistages effectués dans le cas de litiges entre patients et médecins comme marché initial, aux États-Unis et en Grande-Bretagne.

    Malgré le consensus scientifique, l’étude de Wakefield a été la première à engendrer une controverse sur le rôle de la vaccination dans l’autisme dans l’opinion publique, qui est encore présente aujourd’hui.

    Le documentaire d’ARTE relate des cas où des enfants non vaccinés en raison de cette campagne ont été très touchés par ces maladies et certains en sont même décédés.

    En 2015, Wakefield s’exile aux États-Unis, où il continue ses pseudos- recherches et ses interventions sur le sujet des vaccins. Très proche des milieux ultra-conservateurs américains, il participe en 2017 au bal inaugural du président Donald Trump.

    En continuant à asséner ces contre-vérités il a su capter toute une communauté de personnes convaincues de ses affirmations pour le plus grand bien de ses finances.

    Il est devenu très riche, son combat contre les vaccins est devenu pour lui un business modèle.

    <Conspiracywatch> publie aussi un article éclairant sur cet individu, ainsi que la <Radio Télévision Belge>

    Il ne s’agit pas de faire un amalgame entre toutes celles et ceux qui ont exprimé leurs doutes et leurs questionnements contre les vaccins contre la Covid19 et ce médecin déchu, mais simplement d’informer qu’au sein de la campagne anti-vaccination qui s’est développé dans le monde occidental depuis les années 2000, il y a aussi les manœuvres de cet homme qui ont eu des conséquences désastreuses : en 2019 le monde a fait face à <Une flambée mondiale> de rougeole alors que cette maladie aurait dû être éradiquée.

    Même Donald Trump avait alors pris ses distances avec Wakefield <face à l’épidémie de rougeole, Trump change sa position sur les vaccins>

    Lien vers le <Documentaire d’ARTE>

    <1650>

  • Lundi 14 février 2022

    « L’écologie réussit l’exploit de paniquer les gens puis de les faire bailler d’ennui. »
    Bruno Latour

    Bruno Latour a écrit avec Nikolaj Schultz un nouveau livre qu’ils ont intitulé : « Mémo sur la nouvelle classe écologique » avec pour sous-titre : « Comment faire émerger une classe écologique consciente et fière d’elle-même »

    Pour présenter son livre, Bruno Latour a été l’invité du Grand entretien de France Inter du 7 janvier 2022 : « Les écologistes ne peuvent pas espérer mobiliser sans faire le travail idéologique. »

    Il espère la constitution d’une classe écologique qui serait consciente d’elle-même.

    Il pense que les jeunes peuvent être le fer de lance de cette classe.

    Il reconnait cependant que :

    « Il n’y a pas un sujet sur lequel nous sommes consensuel : les éoliennes, les plastiques, les manières de se déplacer… c’est une particularité de l’écologie. »

    Et puis surtout, il a cette formule sur le discours actuel du mouvement écologiste « de la panique et de l’ennui. »

    Autrement dit, pour l’instant la parole écologiste n’a pas trouvé son récit désirable.

    Bruno Latour n’a d’ailleurs pas de solution non plus :

    « Aujourd’hui tout le monde est conscient mais on ne sait pas quoi faire. »

    Et il exprime cette crainte :

    « Les masses suivraient-elles des décisions difficiles si l’écologie était au pouvoir ? »

    En tout cas, les sondages que rapportent les médias ne semblent pas indiquer que le candidat de l’écologie soit poussé par l’émergence d’une classe écologique puissante.

    Cependant <Bruno Latour appelle à voter Yannick Jadot> et il publie avec d’autres une tribune qu’on trouve sur le site de l’Obs où on peut lire :

    « Le temps de l’écologie est venu. Elle représente un projet porteur d’avenir, un projet qui répond aux grands défis de notre temps. Protection de l’environnement, solidarité, défense des services publics, de la culture, renforcement de la démocratie et dépassement du présidentialisme, l’écologie c’est aussi la création de centaines de milliers d’emplois par une économie de l’innovation et de la qualité ancrée dans les territoires.
    C’est pourquoi, aujourd’hui, nous appelons tous les humanistes et les progressistes à soutenir la candidature de Yannick Jadot à l’élection présidentielle. La France ne peut pas se permettre de perdre cinq ans de plus : nous devons changer de cap dès 2022.
    C’est le moment de poser les fondements d’une société plus juste, plus solidaire, plus harmonieuse.
    C’est le moment d’écrire une nouvelle page de notre histoire. »

    Je dois avouer mon scepticisme :

    Est-il question de faire la révolution écologique dans un seul pays ?

    Les voies préconisées : La voiture électrique, les éoliennes, les panneaux solaires, le tout numérique qui tous mobilisent des ressources énormes en métaux et en énergie constituent-ils des solutions pérennes et raisonnables ?

    Comment les classes défavorisées qui auront certainement des réticences à intégrer la classe écologique pourront-ils accéder aux services et faire face à leurs besoins essentiels dans ce nouvel paradigme ?

    Je trouve la formule « la panique et l’ennui » assez juste.

    Pour le reste, je n’ai que des questions et très peu de réponses qui me semblent opérationnelles.

    <1649>

  • Vendredi 11 février 2022

    « Bigger Than Us »
    Film documentaire de Flore Vasseur

    « Bigger Than Us » : « Plus grand que nous. » est un documentaire planétaire réalisé par Flore Vasseur et qui raconte ce que des jeunes filles et des jeunes garçons ont su entreprendre pour que l’Humanité, la nature, la vérité se portent mieux.

    La caméra va d’abord à Bali à la rencontre de <Melati Wijsen> qui a 18 ans au moment du film.

    Mais c’est depuis l’âge de 12 ans que Melati avec sa sœur Isabel lutte contre la pollution plastique.

    Avec sa sœur, elle est à l’initiative de Bye Bye Plastic Bags. Ensemble, elles ont mobilisé des milliers d’enfants et de touristes et ont obtenu par décret l’interdiction de la vente et de la distribution de sacs, d’emballages et de pailles en plastique sur leur île, Bali.

    C’est ensuite Melati qui va accompagner et être le lien du tour du monde de Flore Vasseur à la rencontre de jeunes qui se sont levés pour agir et contribuer à ce que leurs actions soient positives.

    Le film nous fait voyager au Malawi, au Liban, au Brésil, aux Etats-Unis, en Grèce, en Indonésie et en Ouganda, à la rencontre de Rene, de Memory, de Winnie, de Xiuhtezcatl, de Mohamad et de Mary

    Tous se sont levés pour une cause qui est plus grande qu’eux, la lutte pour les droits humains, la dignité, le climat, la liberté d’expression, la justice sociale, l’accès à l’éducation ou l’alimentation.

    Annie poursuit une collaboration féconde avec une institution lyonnaise remarquable sur laquelle je reviendrais probablement un mot du jour prochain : « La maison de l’apprendre ». Et c’est La maison de l’apprendre qui organise sur Lyon « le Festival de l’Apprendre » présente partout en France pour célébrer tous les apprentissages, tous les acteurs et tous les lieux qui les permettent dans chaque territoire.

    Le Festival de l’Apprendre s’inscrit dans la dynamique Learning Planet impulsée par le Centre de Recherches Interdisciplinaire et l’Unesco. Je ne développe pas, peut être ultérieurement…

    Toujours est il que cette année le festival de l’apprendre se terminait à Lyon, par la projection de ce documentaire en présence de Flore Vasseur. Nous y sommes donc allés et avons pu échanger à la fin du film avec la réalisatrice.

    Flore Vasseur est une femme singulière, issue  du monde des start up et de la Finance et qui va basculer dans tout à fait autre chose que l’on pourrait décrire par «changer le monde par l’écriture et le témoignage.». Témoignages de la rencontre avec des femmes et des hommes qui ont agi ou agissent non pour la gloire, non pour devenir milliardaire, mais pour ce qui est plus grand qu’eux, leur communauté, la préservation de la biosphère, rendre l’humanité plus raisonnable et plus résiliente.

    J’ai déjà évoqué Flore Vasseur lors du mot du jour consacré à « Aaron Schwartz », ce génie de l’informatique qui voulait un monde ouvert et une connaissance partagée. Il s’est heurté aux puissances de l’argent, à celles et ceux qui veulent la marchandisation de toutes chosse. Devant l’ampleur de l’assaut et la menace de condamnation très lourde, il s’est suicidé à 26 ans. Flore Vasseur avait écrit le livre : <Ce qu’il reste de nos rêves> entièrement dédié à cet humaniste blessé et dont elle dit : « Aaron était le meilleur d’entre nous. »

    Flore Vasseur est née en 1973 à Annecy. Elle fait de brillantes études qui la conduisent à intégrer HEC Paris.

    À l’issue de ses études, Flore Vasseur est recrutée par un groupe de l’industrie du luxe. Elle s’installe à New York en 1999 et fonde une société de marketing.

    Elle raconte son parcours dans sa bio qu’elle a publié sur son site https://florevasseur.com/bio/

    « Je m’installe à New York à 25 ans pour créer mon cabinet d’études marketing. Je vis la bulle Internet, le 11 Septembre, un système capitaliste qui craquèle de toute part. Depuis, j’écris pour comprendre la fin d’un monde, l’émergence d’un autre et le travail de celles et ceux qui, peut-être, le feront.
    Je m’attaque à l’emprise de la finance et à la folie d’un monde assis sur la technologie. J’interroge notre rapport au pouvoir, l’élite en mode panique, nos consentements. En fait, je tire le fil qui, depuis le 11 septembre, ne m’a jamais quitté : qui gouverne ?
    Pour y répondre, j’apprends à utiliser tous les autres supports (articles, film, roman, chroniques, séries) et tous les espaces (presse, livres, TV, cinéma) : JE CHERCHE.

    J’entreprends un travail au long cours sur la piste des activistes, des défenseurs des droits et des lanceurs d’alerte.
    A Moscou, je réalise MEETING SNOWDEN avec ancien contractant de la NSA. Arte qui a commissionné ce travail m’a autorisé à « libérer » ce travail, accessible gratuitement sur Internet.
    Puis mon roman-enquête, CE QU’IL RESTE DE NOS REVES, tente de retracer l’histoire méconnue et réelle d’Aaron Swartz, enfant prodige du code qui nous voulait libre, persécuté par l’administration Obama.
    BIGGER THAN US, produit avec Marion Cotillard et Denis Carot, est mon premier film documentaire de cinéma. »

    Elle écrit aussi des chroniques dans les journaux français et réalise une chronique sur France Culture.

    Sur le site de la télévision belge elle explique :

    « Il y a eu des tonnes de documentaires donnant la parole aux adultes, aux experts. Ces productions ont fait leur travail, mais je pense qu’il faut maintenant tendre le micro à d’autres personnes, explique la journaliste et romancière Flore Vasseur, réalisatrice du film. Il faut sortir de ce récit dominant et montrer que l’intelligence de situation est partout. On ne fait juste pas l’effort d’écouter. »

    Et elle finit l’article par cette harangue :

    « Par leurs actions, ces jeunes posent un acte profondément politique, avec un grand  » P « . Ils tendent un miroir à ceux qui nous gouvernent et qui font de la petite politique électorale. Je pense que les jeunes sont totalement désintéressés et complètement dans l’action. Ce qu’ils veulent c’est aider leurs semblables à survivre, tout simplement. […]
    La question des victoires est presque annexe. La victoire c’est d’être debout, être dans la vie, dans la joie. »

    Ce film documentaire Bigger Than Us est un moment d’émotion, de questions et de remise en cause de la manière dont nous autres humains vivons et agissons sur notre biosphère et sur les autres humains. Ce que des traditions séculaires dans certaines communautés engendrent comme violence.

    Memory Banda du Malawi est une fille d’une énergie, d’une lucidité et d’une intelligence extraordinaire.

    Elle a osé défier la tradition du viol institutionnalisé des jeunes filles dans des camps d’initiation dédiés. Elle a fait cesser cette pratique dans tout le pays, puis a fait modifier la constitution du Malawi pour relever l’âge légal de 15 à 18 ans afin de protéger les filles du mariage forcé.

    Au Malawi, 42% des filles sont mariées avant l’âge de 18 ans. Dans le monde, c’est 1 fille sur 5 (Unicef).

    Elle raconte :

    « Ma petite sœur a dû aller au camp d’initiation. Quand vous avez vos premières règles, vous devez y aller pour en apprendre plus sur les traditions et devenir ‘femme’. Et un jour, la communauté engage un homme qui va au camp et viole les filles. C’est le rite traditionnel de passage vers l’âge adulte. Elles ont 11 ou 12 ans. Lorsqu’elle est revenue de là, ma petite sœur est tombée enceinte et a été forcée d’épouser la personne qui l’avait mise enceinte. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que cela n’avait pas à m’arriver, que cela n’était pas une chose normale. Et aussi que personne ne parlerait pour nous. »

    Elle dit :

    « La plupart du temps, nous les jeunes nous nous sous-estimons, nous et nos capacités. Mais, par mon expérience, j’ai appris que ce sont les jeunes les vrais moteurs du changement. Ici par exemple, ce sont les jeunes qui ont réveillé leurs communautés, porté le message jusqu’au parlement et vu ce changement incroyable pour le Malawi. Ce sont les jeunes qui instillent le changement. »

    Vous pourrez lire cela sur <la page> qui lui est consacrée sur le site du film remarquablement riche

    Le site du film : « Bigger Than Us » consacre ainsi une page à chacun des protagonistes de ce film.

    Je ne peux les citer tous mais je voudrais revenir sur Melati Wilsen qui ouvre le film puis sera le fil conducteur ou plutôt « la fille conductrice » du film. Elle dit :

    « Dans l’Histoire, il y a toujours eu des grands rassemblements de personnes qui s’unissent réellement. Au point où il n’y avait plus de moyen de voir les choses autrement. C’était le résultat de gens qui se sentaient à nouveau à leur place et à nouveau vivants et qui avaient trouvé un but plus grand. »

    Aujourd’hui elle développe <Youthtopia>, une plateforme d’éducation et de partage d’outils pour des jeunes souhaitant s’engager.

    Elle le présente ainsi :

    « Mon projet Youthtopia s’est construit depuis quatre ans dans ma tête, dans mon cœur. Ma rencontres avec les différents personnages du film et au-delà, les histoires que j’ai entendues, les problèmes du monde et solutions que je perçois rendent tout cela encore plus évident pour moi. Ma prochaine étape est de créer ce lieu pour ma génération, pour nous réunir et nous donner une éducation de pair à pair. Ce dont nous avons vraiment besoin en ce moment, c’est d’un espace pour nous retrouver de manière authentique. Un espace construit et animé par des jeunes, pour des jeunes, à une échelle universelle. Cet endroit est un besoin urgent pour notre génération. Et c’est un Youthtopia. »

    Alors, si vous voulez voir ce film, la manière traditionnelle de trouver une salle de cinéma où est projeté ce film est possible mais très restreinte. Nous sommes dans la modernité et il y a de nombreuses possibilités de le voir. Tout est expliqué sur la page du site du film : https://biggerthanus.film/voir-le-film

    Du souffle, de la fraîcheur, de la force de vie…et une invitation à s’engager.

    <1648>

     

  • Jeudi 10 février 2022

    « Nous ne connaissons pas celui qui a trahi Anne Frank et sa famille. »
    État actuel de la question après la publication d’un livre qui affirmait le savoir

    Le monde n’est pas rempli que d’homme sage comme Thich Nhat Hanh, sujet du mot du jour de lundi ou d’humanistes résilients comme Aurélie Sylvestre ou Georges Salines sujet des mots du jour de mardi et mercredi.

    Je crois nous avons tous entendu parler d’Anne Frank et connaissons tous son histoire et sa vie brisée par la barbarie nazie.

    Le 12 juin 1942, aux Pays-Bas, Anne Frank, une adolescente juive reçoit un journal intime pour son treizième anniversaire. Le jour-même, elle commence à écrire ce qui deviendra « Le journal d’Anne Frank».

    Cachée dans une maison d’Amsterdam, annexe à l’usine où travaillait son père, elle y raconte son quotidien sous l’occupation allemande.

    Durant deux ans, la jeune fille se confie à une amie imaginaire, «Kitty», lui adresse des lettres au fil de la plume, partage ses histoires et ses peurs, alors que le moindre bruit provoque sursaut et angoisse.

    « C’est une sensation très étrange, pour quelqu’un dans mon genre, d’écrire un journal. Non seulement je n’ai jamais écrit, mais il me semble que plus tard, ni moi ni personne ne s’intéressera aux confidences d’une écolière de treize ans ».

    Elle écrira jusqu’au 1er août 1944. Trois jours plus tard, Anne et sa famille sont arrêtés.

    La jeune fille désormais âgée de 15 ans est déportée en septembre dans le camp d’Auschwitz-Birkenau.

    Après avoir survécu à tant d’horreurs et de drame, elle meurt en février ou mars 1945 à Bergen-Belsen, succombant au typhus, à quelques semaines seulement de la libération du camp par les troupes britanniques.

    Son père, Otto, « le plus chou des petits papa », comme elle le décrit dans son journal, est le seul survivant de leur groupe et décide, à son retour à Amsterdam, de faire publier l’œuvre de sa fille.

    On ne sait pas qui a trahi et fait arrêter Anne et sa famille.

    Mais, récemment je pense que nous avons tous entendu, vu ou lu qu’un livre venait d’être publié  qui après une enquête de 6 ans ! pouvait révéler l’identité du traitre.

    Et on a vu, lu ou entendu partout que c’était un notaire juif.

    Mais savez vous que ce livre vient d’être suspendu de la vente ?

    « Le Canard Enchaîné » du mercredi 9 février 2022 écrit dans sa page 5 :

    « L’Éditeur Néerlandais Ambo Anthos suspend temporairement l’impression de « Qui a trahi Anne Frank ? » signé de la canadienne Rosemary Sullivan. Selon « Livres Hebdo » : La maison d’édition souhaite vérifier la véracité de l’enquête avant de prendre une décision ».

    Voilà qui est étrange, en principe, il vaudrait mieux vérifier avant de publier que de publier et de vérifier après.

    Le canard poursuit :

    « L’auteure aurait identifié le délateur : un notaire juif hollandais nommé Arnold van den Bergh. Rien de moins sûr, admet aujourd’hui l’éditeur, qui avait recruté « un détective du FBI à la retraite et une équipe internationale de scientifiques, d’historiens et de policiers. »

    Et le Canard taquin d’ajouter : « Une enquête sur cette brillante compagnie ? Cela pourrait faire un bon sujet pour une publication chez le même éditeur. »

    On constate donc que l’accusation : « c’est un juif qui a dénoncé des juifs » a été immédiatement et largement diffusée.

    Le doute qui vient d’apparaître fait beaucoup moins de bruit.

    Après avoir lu le Canard enchainé j’ai fait des recherches et j’ai constaté que sur son site « Le Monde » a également relayé cette information, il y a quelques jours.

    Et puis Guillaume Erner, sur France Culture, ce matin, a cité le Canard.

    Ce sont des correspondants du Monde : Cécile Boutelet (à Berlin) et Jean-Pierre Stroobants (à Bruxelles) qui ont conduit à une publication du 3 février que je n’avais pas remarqué : <Anne Frank : l’impression du livre sur sa dénonciation a été suspendue aux Pays-Bas>

    Je cite « Le Monde » :

    « La thèse finale du livre, évoquant l’arrestation des huit occupants de l’Annexe, à Amsterdam, le 4 août 1944, à la suite d’informations livrées à l’occupant nazi par un notaire juif, Arnold van den Bergh, a rapidement été remise en question aux Pays-Bas. […]

    Des chercheurs, dont l’historien Erik Somers, de l’Institut néerlandais d’études sur la guerre, l’Holocauste et le génocide (NIOD), avaient rapidement critiqué l’ouvrage. Bart van der Boom, professeur à Amsterdam et Leyde, démentait ainsi que le notaire ait pu avoir accès à une liste secrète des juifs cachés à Amsterdam : le conseil juif, instauré par les nazis et dont van den Bergh faisait partie, ne possédait pas un tel document, a confirmé ce spécialiste.

    Dès le 18 janvier, Bart Wallet, historien de l’université d’Amsterdam, qualifiait la démonstration de « château de cartes » dans le magazine allemand Der Spiegel. La semaine suivante, l’hebdomadaire interrogeait d’autres experts à propos du conseil juif, confronté à l’époque à un terrible dilemme, puisqu’il essayait de sauver des vies par le biais de la coopération, tout en étant contraint de participer aux déportations.

    Ces spécialistes estimaient, eux aussi, qu’il était improbable que de telles listes de cachettes juives aient existé. David Barnouw, longtemps chercheur au NIOD, auteur en 1986 de la première édition scientifique du journal d’Anne Frank, affirmait ainsi au magazine que « personne n’a jamais vu de telles listes ».

    Quant aux doutes exprimés par l’enquête sur la probité du notaire van der Bergh, ils sont jugés « purement spéculatifs » par Laurien Vastenhout, également chercheuse au NIOD. Selon plusieurs historiens, il existe, en revanche, des preuves convaincantes que le notaire et sa famille, s’estimant menacés, se sont cachés des nazis dès le début de l’année 1944, bien avant l’arrestation d’Anne Frank et de ses proches.

    Un autre élément-clé de l’enquête est une lettre anonyme qu’aurait reçue Otto Frank après la Libération. Cette dernière désignerait le notaire, mais le père d’Anne aurait refusé de dévoiler son nom par crainte de déclencher une vague d’antisémitisme. « Difficile à croire, a expliqué Johannes Houwink ten Cate, professeur à l’université d’Amsterdam, au quotidien néerlandais NRC Handelsblad. Le fait de désigner un juif aurait-il vraiment été, pour Otto Frank, plus important que de trouver le complice de l’assassinat de sa famille ? »

    L’analyste médico-légal Frank Alkemade, consulté par l’équipe d’enquête, affirme, lui, avoir avancé avec prudence l’hypothèse d’une culpabilité sûre « à 85 % » du notaire. La marge d’erreur pouvait, en réalité, atteindre 50 %, a-t-il dit. Le modèle d’analyse de probabilité utilisé par M. Alkemade est, en outre, contesté par plusieurs de ses confrères. »

    Le journal nous apprend qu’en France, le 3 février, le livre était toujours en vente assorti d’un bandeau qui affirme : « Notre équipe a atteint son but, comprendre ce qui a déclenché la rafle du 4 août 1944. »

    Guillaume Erner dans son humeur du matin du 9 février a constaté :

    « C’est probablement l’un des thèmes les plus terribles agités au sujet de la Shoah. Après avoir dit que les victimes se sont laissées tuer comme des moutons, idiotie historique qui a eu la vie longue, voici un autre mensonge : les juifs se sont donnés les uns les autres. Mais bien sûr dans le cas d’Anne Frank, ce pouvait être vrai. Fausse dans le cas général, cette règle pouvait souffrir de terribles exceptions.

    […] Autant la nouvelle du scoop, le résultat de l’enquête avait été accueillis par un tintamarre mondial, autant cette suspension a été annoncée discrètement, elle n’est probablement pas arrivée aux oreilles de tous ceux qui pensent qu’Anne Frank et les siens ont été donnés par un juif.  »

    Et Guillaume Erner avance une information supplémentaire :

    « Cette enquête indubitable par 30 experts évoque une liste de juifs cachés, conservée par le Conseil juif, et c’est cette liste, une anti liste de Schindler, qui aurait été donnée par le délateur de la famille Frank. Oui mais voilà cette liste n’a probablement jamais existé, pire encore, il s’agit tout simplement d’une fake news, une infox, propagée par trois collaborateurs nazis, expliquant ainsi après-guerre que les juifs s’étaient déportés les uns les autres…
    On ne peut pas profaner la tombe d’Anne Frank puisqu’elle n’a pas eu de sépulture, mais on peut faire pire en propageant les pires mensonges déguisés en vérités historiques. »

    Nous ne savons donc pas.
    Et ceci est une information, une connaissance.
    Évidemment elle fait moins de bruit, intéresse moins.

    Je ne crois pas à un complot antisémite qui ne voudrait pas remettre en cause la thèse d’un juif qui trahit des juifs et qui plait tant aux antisémites.

    Non, la réponse me semble beaucoup plus simple : Une information raisonnable et équilibrée est beaucoup moins « bankable » qu’une nouvelle sordide et abjecte.

    <1647>

  • Mercredi 9 février 2022

    « J’admire la capacité des victimes à ne pas céder à la haine, à ne pas faire d’amalgames, à croire en notre démocratie et en l’Etat de droit. […] Cela redonne confiance en l’humanité dont nous serions parfois tentés de désespérer. »
    Georges Salines

    Le témoignage d’Aurélie Sylvestre que j’ai évoqué hier, je l’ai découvert en écoutant l’émission de Philippe Meyer « Le nouvel Esprit Public » du <26 décembre 2021>, consacrée au Procès des attentats du 13 novembre 2015.

    Philippe Meyer avait invité Georges Salines qui est médecin comme son épouse Emmanuelle. Le couple qui a eu trois enfants, deux garçons et une fille, a perdu sa fille Lola, assassinée au Bataclan.

    Comme pour toutes les autres victimes, « Le Monde » a consacré une page à <Lola Salines, 29 ans>

    J’avais déjà écrit un mot du jour parlant de Georges Salines, c’était il y a un environ un an : « Il nous reste les mots » qui est le titre d’un ouvrage écrit par deux hommes, le premier père de Lola assassinée, le second Azdyne Amimour, père d’un des assassins.

    Azdyne Amimour semble être mis en difficulté lors du procès. « Libération » évoque les doutes sur le récit qu’il fait notamment sur un voyage en Syrie à la recherche de son fils : < Azdyne Amimour est-il réellement allé en Syrie pour ramener son fils, kamikaze du Bataclan ?>

    « Le Monde » décrit le manque de clarté dans ses réponses < le vain interrogatoire des pères de deux terroristes du Bataclan>

    Lors de l’émission de Philippe Meyer, Georges Salines est plein de bienveillance disant simplement qu’Azdyne Amimour a des problèmes avec sa mémoire.

    Je crois qu’il faut écouter cette émission. Georges Salines est un exemple d’homme qui rend fier d’appartenir à l’espèce homo sapiens, ce qui n’est pas toujours simple, vous en conviendrez.

    David Djaïz , un des intervenants de l’émission, s’est adressé à lui :

    « Il est difficile de trouver les mots, mais je voudrais d’abord vous exprimer ma compassion, mon admiration et mon respect. […] J’admire la dignité et la discipline avec lesquelles vous faites face, vous continuez à vous tenir droit et à témoigner. »

    Et Jean-Louis Bourlanges a ajouté :

    « Je partage absolument ce qu’a dit David sur le respect qu’inspire votre attitude, cette discipline, cet effort d’objectivation, de mise à distance intellectuelle, tout cela est admirable. Je le dis d’autant plus volontiers que j’occupe le rôle de l’homme politique dans cette émission, et je ressens qu’un homme politique devrait avoir le même courage que vous, cette capacité de traiter intellectuellement des problèmes aussi chargés émotionnellement. Personnellement, je m’en sais incapable. »

    Je soulignerai trois moments dans l’intervention de Georges Salines :

    D’abord son indulgence devant l’erreur humaine :

    « Je suis a priori plutôt indulgent face aux erreurs ou aux faiblesses des pouvoirs publics : parce que c’est très compliqué, parce que les moyens ne sont pas là, et parce que l’erreur est humaine. Je ne m’attendais pas à ce qu’on débatte autant de ces problèmes, car les assassins de nos enfants sont les terroristes, pas François Hollande ou la police belge […]. Mais il y a tout de même des manquements sérieux. Côté français, Samy Amimour avait été arrêté et placé en garde-à-vie en 2012 à cause d’un projet de départ en zone djihadiste. Placé sous contrôle judiciaire par le juge d’instruction Marc Trévidic, ses papiers lui ont été confisqués. Or, un an plus tard, il a pu quitter le territoire national avec une vraie carte d’identité. Soit le fonctionnaire qui a refait les papiers n’a pas vérifié dans le fichier d’interdiction de sortie du territoire, ce qui est une faute, soit ce fichier n’avait pas été renseigné correctement (autre faute, de la Justice cette fois), soit on ne lui a retiré que son passeport, mais pas sa carte d’identité. Pour le moment, on ne sait pas quelle hypothèse est la bonne, mais on ne peut s’empêcher de penser à ce qui se serait passé si tout le monde avait fait son travail correctement …
    Tout ne fonctionne pas en France, mais c’est bien pire en Belgique. Un véritable désastre à vrai dire. Je ne vais pas entrer dans les détails, d’autant que l’on ressent ce procès par phases, et je sors d’une semaine de dépositions des enquêteurs belges, dont les dépositions ont révélé des manquements graves. Mais on ne peut pas refaire l’Histoire, et s’appesantir sur ces manquements ne fera pas revivre nos enfants. »

    Ensuite cette difficulté de comprendre comment on devient terroriste et aussi le constat que les idéologues de Daesh ont décidé d’attaquer la France depuis longtemps non pour se venger de bombardements, mais parce qu’ils haïssent notre manière de vivre :

    « Comment devient-on un terroriste ? C’est la question qui me taraude depuis le début. Le 14 novembre, je me demandais déjà comment faire pour que ce qui venait de m’arriver n’arrive pas à quelqu’un d’autre. J’ai intégré mes réflexions à mes livres, […] Ce que je peux faire, c’est prêter mon concours à des activités de type éducatif. Je le fais, dans les collèges, les lycées, ou en prison. Je ne sais pas si cela sert à quelque chose, je demande d’ailleurs à ce que ce soit évalué. Mais pour que ce type d’action soit efficace, il nous faut mieux comprendre la manière dont on franchit le pas du terrorisme. Le procès m’apprend beaucoup, j’ai également beaucoup lu et échangé à ce sujet. Il n’y a manifestement pas un modèle unique, mais des parcours de vie très différents. Ce qui est frappant au procès, c’est que presque tous les membres de la cellule terroriste se connaissaient. Ils étaient frères, cousins, vivaient à quelques centaines de mètres les uns des autres, fréquentaient le même bistrot … Il ne faut pas oublier le rôle que jouent les prédicateurs ou certains sites internet dans la radicalisation. Dans ces affaires-là, il faut se garder de la naïveté, et s’efforcer de ne pas faciliter la tâche des recruteurs. Par exemple, il est tout à fait évident que le discours de Daech (dans les communiqués revendiquant les attentats, dans les déclarations des trois terroristes du Bataclan à leurs victimes, et dans ce que répète Salah Abdeslam à la Cour), consistant à dire que les attentats ne sont que des représailles après les bombardements français, est mensonger. C’est absolument faux : on sait que Daech a commencé à préparer ces attentats avant que la France ne bombarde quoi que ce soit. »

    Enfin, quand nous renonçons à nos valeurs, cela ne joue aucun rôle auprès des idéologues, en revanche cela leur permet de trouver beaucoup plus facilement des exécutants au sein de certaines franges de la communauté musulmane :

    « Nos manquements vis-à-vis de nos propres principes peuvent faciliter le recrutement de certains à qui l’on monte la tête sur le thème de la malfaisance de l’Occident. Hugo Micheron, expert de l’islamisme, remarquait que Guantanamo était du pain béni pour Daech. Évitons donc ce genre d’erreur. »

    Georges Saline a fondé l’association « 13Onze15 Fraternité et vérité »

    Avant d’écrire « Il nous reste les mots », il avait publié un livre racontant sa douleur et son combat pour la fraternité, la vérité et la justice : « L’Indicible de A à Z »,

    Devant la Cour d’Assises, il a eu ces mots :

    « J’admire la capacité des victimes à ne pas céder à la haine, à ne pas faire d’amalgames, à croire en notre démocratie et en l’Etat de droit. […] Cela redonne confiance en l’humanité dont nous serions parfois tentés de désespérer. »

    <1646>

  • Mardi 8 février 2022

    « Et chaque jour je remplis un peu davantage mes cuves d’humanité. »
    Aurélie Silvestre

    En ce moment se tient le procès des attentats du 13 novembre 2015. Initialement prévu à partir de janvier 2021, le procès fut reporté en raison de la pandémie de Covid-19.

    Il s’est ouvert le 8 septembre 2021 et il est prévu qu’il se déroule jusqu’à fin mai 2022 devant la cour d’assises spéciale de Paris.

    Ces attentats au Bataclan, contre des terrasses de café de Paris et au stade de France ont entraîné la mort de 131 personnes et 413 blessés.

    Tous les terroristes à l’exception d’un seul ont été tués ou se sont suicidés.

    Le terroriste survivant et 19 complices présumés sont jugés mais 6 d’entre eux sont « jugés en absence »

    Présidée par Jean-Louis Périès, cinq magistrats professionnels composent la cour d’assises spéciale, trois avocats généraux représenteront l’accusation avec un dossier d’instruction de 542 tomes.

    1 765 personnes physiques et morales sont constituées partie civile.

    Parmi ces 1 765 personnes, il y a Aurélie Sylvestre.

    Le 13 novembre 2015, Aurélie Sylvestre avait 34 ans, un enfant de trois ans Gary et un bébé dans le ventre. Son compagnon Mathieu Giroud, rencontré 15 ans plus tôt, était au Bataclan. Elle n’y était pas allée pour se reposer parce qu’elle portait son bébé.

    Aurélie et Mathieu savent que ce sera une petite fille, une échographie l’a révélé le 6 novembre. Thelma naîtra quatre mois après les attentats.

    Matthieu est prof à la fac en géographie et Aurélie travaille avec une amie, créatrice de bijoux.

    Elle a livré un témoignage bouleversant que France Inter a restitué intégralement.

    Elle raconte sa vie avant, pendant et après l’attentat,

    Pendant, un appel téléphonique lui avait annoncé que Mathieu était vivant. Elle n’apprendra officiellement sa mort que le 14 novembre au soir.

    Et elle finit son récit en disant qu’elle n’osait pas venir à ce procès, qu’elle avait peur. Mais elle a trouvé la force d’y aller le premier jour et elle a pensé ne pas revenir.

    Et puis elle raconte :

    « Mais je suis revenue le lendemain, et le jour d’après aussi.
    Quasiment tous les jours en fait. Et petit à petit j’ai compris. Je viens ici pour entendre ce qu’il se dit – et c’est souvent très dur – mais je repars plus souvent encore galvanisée par ce qu’il s’y passe. Il y a dans cette salle des mains qui se touchent, des familles qui s’étreignent, des amis qui se réconfortent.
    On décrit l’horreur et au milieu – souvent involontairement – se glisse l’amour, la grande amitié, les verres partagés sur une terrasse, le bonheur d’écouter du son ensemble.

    C’est assez subtil mais par moments suffisamment puissant pour que j’arrive à sentir quelques notes du parfum de la vie d’avant. Ça ne dure souvent qu’une seconde mais nous le savons mieux que personne ici : il y a des secondes qui contiennent des vies.

     C’est assez fou mais je crois qu’il y a ici tout ce qui faisait de nous une cible : l’ouverture à l’autre, la capacité d’aimer, de réfléchir, de partager et c’est incroyable de constater qu’au milieu de tout ce qui s’est cassé pour nous ce soir-là, ça – ce truc là – est resté intact je crois.
    Alors je continue à venir ici.
    Et chaque jour je remplis un peu davantage mes cuves d’humanité.
    J’entends des histoires de héros de coin des rues et je les rapporte à mes enfants le soir. Je leur raconte ce frère qui a sauvé sa sœur en la plaquant au sol.
    Je leur dis cet homme qui a décidé de rester avec mon amie Edith quand son corps lui empêchait de se sauver et moi je ne suis pas près de me remettre de l’histoire de ce policier qui s’est couché sur le terroriste pour que les otages puissent passer après l’assaut.
    Je dis aussi à mes enfants qu’un soir, quand il se faisait tard, des parties civiles ont fait passer de la nourriture aux accusés.
    Et même, que les avocats se sont cotisés pour payer une bonne défense aux « méchants ». Je peux expliquer à mes enfants qu’il n’y a que ce qui est équitable qui est juste.
    L’autre jour une de mes amies m’a dit que cette salle était le pays dans lequel on voulait vivre.
    Je crois qu’elle a raison.
    Je vous remercie d’avoir pris le temps de m’écouter. ».

    Des hommes, car c’étaient des hommes, souvent anciens délinquants, ont adhéré à un récit religieux fanatique et violent.

    En se référant à une organisation et des décisions prises par des criminels religieux venant du Moyen-Orient et se réclamant de l’Islam, ces monstres ont tiré avec des armes de guerre sur des civils désarmés qui vivaient une vie paisible et conviviale.

    Notre réponse ne peut pas, ne doit pas se situer dans le même registre de violence et de vengeance de ces égarés en voie de déshumanisation.

    Notre réponse doit être celle du droit et de notre humanisme.

    C’est ce que les mots d’Aurélie Sylvestre expriment avec une clarté et une émotion saisissantes.

    L’intégralité de son témoignage se trouve sur le site de France Inter <Je suis devenue une athlète du deuil>

    Elle a écrit un livre : <Nos 14 novembre>

    « L’Humanité » a consacré un article à ce livre : <La leçon de vie d’Aurélie Silvestre>

    « Elle » a réalisé une interview à l’occasion de la sortie du livre : <leçon de survie>

    Dans cet interview, elle dit puiser sa force dans la beauté de ce monde. :

    « C’est ce qui me sauve. J’ai palpé la folie du monde, à défaut de la comprendre et de pouvoir l’arrêter. Le lendemain, alors que l’homme de ma vie venait de mourir sous les balles des terroristes, j’ai traversé Paris pour me rendre au centre de crise de l’École militaire. Ce matin-là, j’aurais pu ne rien voir. Et pourtant, j’ai vu le soleil se lever sur la grande roue, place de la Concorde, c’est un résidu de beauté qui m’a fait basculer. À ce moment précis, j’ai décidé que j’allais continuer à vivre.

    […] Tout cela aurait pu me terrasser, m’abattre définitivement, mais non. Mes enfants vont bien, je vais bien. Mon quotidien est loin d’être simple, mais je suis « debout » et je sais que ma capacité à aimer est intacte. Elle est même décuplée. »

    Sur France 2, elle avait témoigné sur le plateau du <20 heures> et a aussi été interviewée dans le cadre de l’émission : <La Maison des maternelles>.

    Vous pouvez aussi lire le témoignage d’Aurélie Sylvestre devant la Cour d’Assises derrière ce <Lien>

    <1645>

  • Lundi 7 février 2022

    « Je pense donc je ne suis pas vraiment là. .»
    Thich Nhat Hanh

    C’est sur les réseaux sociaux que j’ai appris cette nouvelle : Thich Nhat Hanh s’est éteint, à l’âge de 95 ans, au Temple Từ Hiếu à Huế au Vietnam, au moment du passage du 21 au 22 Janvier 2022.

    Plusieurs amis ont relayé cette information, ce qui m’a conduit à m’intéresser à cet homme issu de la spiritualité bouddhiste et qui était je crois, un grand sage.

    J’aborde l’écriture de ce mot du jour avec une énorme humilité, celle de la vallée qui constitue la seconde étape de <l’effet Dunning-Kruger >

    Je connais si peu de cet homme que je ne peux rien en dire de savant.

    Je sais même que parmi celles et ceux qui lisent ces mots du jour, il en est qui en savent beaucoup plus sur lui.

    Je suis pourtant poussé, après ce que j’ai lu et que j’ai entendu ou vu, de recommencer mon écriture quotidienne, après une longue pause, par le partage de ce que j’ai appris et qui résonne en moi du message de cet homme

    Il est considéré en Occident comme celui ayant introduit le concept de « pleine conscience », « méditation de la pleine conscience » directement issu de la spiritualité bouddhiste.

    Pleine conscience que l’on peut aussi appeler, il me semble, la pleine présence.

    A ce stade, je vais narrer ce que j’ai vécu dans mon corps, un jour particulier.

    C’était en janvier 2019. Le lendemain du jour où l’urologue qui m’avait annoncé, 8 ans auparavant, qu’il me guérirait du cancer qui venait d’être diagnostiqué, avait concédé son échec à réaliser sa promesse. Le cancer était devenu un cancer de stade 4 avec des métastases osseuses.

    Je me promenais dans Lyon, et mes pensées se bousculaient dans ma tête.
    Nous savons tous que nous sommes mortels, et que le rideau peut être tiré en quelques instants.
    Mais l’annonce de cette nouvelle m’a conduit à penser que mon horloge de vie avait avancé beaucoup plus vite que je ne le soupçonnais.
    Et puis, brusquement j’ai eu une étonnante sensation.
    Et j’ai regardé les arbres, les feuilles des arbres, les troncs comme jamais je ne les avais regardés.
    Je ne les ai pas rangés dans des cases, pour dire dans ma tête ceci est un platane, ceci est un marronnier.
    Non, j’observais simplement avec intensité et exclusivité ce que mes yeux rapportaient comme images à mon cerveau.
    Je regardais de même les humains que je croisais, les immeubles que je longeais et le ciel sous lequel je marchais.
    Et, je constatais que jamais je n’avais perçu tant de beauté et d’intensité.
    Un immense calme s’est alors emparé de mon être : je vivais, j’étais présent à la vie.
    Et fréquemment je tente et réussis souvent à retrouver cette capacité de présence, qui passe bien sûr par le fait de se centrer sur sa respiration et l’inspiration profonde.
    Depuis cette révélation, je suis calme et je vis avec bonheur tout le reste de ce que je vais avoir la grâce de vivre.

    Alors je suis particulièrement attentif et réceptif quand je lis ce que dit Thich Nhat Hanh

    « On peut manger dans la pleine conscience
    On peut se brosser les dents dans la pleine conscience
    On peut marcher dans la pleine conscience
    On peut prendre une douche dans la peine conscience
    On peut conduire sa voiture dans la pleine conscience
    Et comme cela ont vit chaque moment de sa vie quotidienne en profondeur, chaque moment qui nous est donné à vivre. La qualité de la vie. »

    Il le dit par exemple dans cette émission bouddhiste sur France 2 qui avait rapporté des échanges lors d’un rassemblement sur le parvis de la Défense que Thich Nhat Hanh avait animé : <La marche inspirante>.

    Un peu plus loin il prend notre vieux Descartes, celui du « cogito ergo sum », « je pense donc je suis » à contre-pied :

    « On pense beaucoup, mais nos pensées ne sont pas (toujours] très productives
    Je pense donc je ne suis pas vraiment là.
    Je pense donc je suis perdu dans ma pensée. »

    Il ne remet pas en cause le génie cartésien et la capacité de l’homme à penser, à imaginer, à créer et à construire.

    Il parle simplement de cette pollution des pensées qui se bousculent si souvent dans nos têtes et nous empêchent d’être présent à nous même et d’être présent aux autres.

    J’ai lu dans plusieurs articles qu’il était la figure la plus connue du bouddhisme après le Dalaï Lama

    Il est né en 1926 à Hué qui faisait alors partie du protectorat français d’Annam en Indochine française Il sera ordonné moine à 16 ans.

    Il tentera toute sa vie à œuvrer pour la paix. En 1966, rencontrant le leader de la lutte pour les droits civiques Martin Luther King, il se joint à ses appels à mettre fin à la guerre du Vietnam. Cet appel déplut aux autorités vietnamiennes qui lui interdirent à rentrer dans son pays.

    En 1967, Martin Luther King proposera son nom pour le Prix Nobel de la Paix, soutenant dans une lettre adressée au comité que « ce doux moine bouddhiste » était « un érudit aux immenses capacités intellectuelles ».

    A partir de 1966 il se réfugie en France et continuera à pratiquer son enseignement à partir de notre pays.

    En 1982, il établit, en Dordogne le monastère du village des pruniers. Le village des pruniers est le plus grand monastère bouddhiste d’Europe et d’Amérique, avec plus de 200 moines et plus de 10 000 visiteurs par an.

    France 3 Nouvel-Aquitaine a réalisé un reportage en 2001 sur le <Village des pruniers>.

    Parallèlement à son action spirituelle il a poursuivi une action sociale pour construire des écoles et des hôpitaux.

    Le Viet Nam l’a autorisé à revisiter son pays en 2005.

    En 2014, il a subi un accident vasculaire cérébral depuis lequel, il ne pouvait plus ni parler, ni se déplacer. En 2018, les autorités vietnamiennes l’ont autorisé à revenir pour finir sa vie dans son monastère originelle, c’est là qu’il a quitté la communauté des vivants en janvier 2022.

    Depuis 2019, je vais régulièrement consulter un médecin asiatique, d’origine vietnamienne. J’ai la conviction, en effet, qu’il est utile de compléter la puissante et ciblée médecine occidentale par une médecine holistique, c’est-à-dire qui est plus douce et prend davantage en compte l’ensemble du corps et son équilibre.

    Ce médecin est un disciple spirituel de Thich Nhat Hanh. Je lui ai demandé de me conseiller un livre, parmi la très nombreuse production, de son guide spirituel me permettant d’accéder un peu à sa pensée.

    Il a choisi « Il n’y a ni mort, ni peur »

    Ce livre s’inscrit totalement dans le récit spirituel bouddhiste qui m’est étranger, mais il distille aussi des paroles de sagesse et une invitation à la méditation en pleine conscience même si on n’adhère pas à la spiritualité bouddhiste

    Il écrit d’ailleurs cet avertissement que je trouve remarquablement inspirant et qui devrait aussi inspirer les tenants des religions monothéistes qui sont parfois très éloignés de cette sagesse de vie :

    « Le Bouddha nous a conseillé de ne pas considérer des enseignements comme vrais uniquement parce qu’un maître célèbre les enseigne ou qu’on les a trouvés dans des livres saints. Cela vaut aussi pour le canon bouddhiste. Nous ne pouvons accepter que les enseignements que nous avons mis en pratique avec notre propre compréhension éveillée, ceux dont nous avons pu nous rendre compte qu’ils étaient vrais de notre propre expérience. »
    « Il n’y a ni mort, ni peur » page 94

    Dans cette < Introduction lors de la Retraite pour les Enseignants et Éducateurs | 2014 10 27 > qui a eu lieu quelques semaines avant son AVC qui lui enlèvera la parole il revient sur la relation entre la respiration profonde et la vie, je veux dire de se sentir pleinement vivant :

    « L’inspiration permet d’arrêter de penser
    L’inspiration peut donner beaucoup de joie.
    Inspirer signifie qu’on est vivant.
    Et être vivant c’est un miracle.
    Le plus grand miracle du monde
    Quand vous inspirez vous revenez vers votre corps.
    Souvent votre corps est là, mais votre esprit est ailleurs, dans le passé, dans le futur, dans vos projets, dans votre colère.Corps et esprit ne sont pas ensemble et alors vous n’êtes pas vraiment vivant, pas vraiment là. »

    Dans cet enseignement il explique aussi longuement ce que peut être une « parole aimante » qui s’ouvre totalement à l’autre et une « écoute compassionnelle » qui recueille le témoignage de l’autre sans jugement simplement pour permettre l’expression en totale confiance

    Dans la spiritualité dans laquelle s’inscrit Thich Nhat Hanh tout se trouve dans la continuité : la vraie nature de l’homme est dans la non naissance et la non-mort. L’être existait avant la naissance, il n’est pas créé par la naissance et il ne disparait pas par la mort.

    Thich Nhat Hanh a ainsi écrit ce poème :

    « Ce corps n’est pas moi.
    Je ne suis pas limité par ce corps.
    Je suis la vie sans limites.
    Je ne suis jamais né et jamais ne mourrai.
    Regarde le vaste océan et le ciel immense là-haut
    Étincelant de milliers d’étoiles.
    Tout n’est que la manifestation de mon esprit.
    Depuis toujours, je suis libre.
    Naissance et mort ne sont que jeu de cache-cache,
    Portes d’entrée et de sortie.
    Prends ma main et rions tous les deux.
    Ceci n’est qu’un au revoir.
    Nous nous reverrons encore.
    Nous ne cessons de nous rencontrer
    Aujourd’hui et demain
    A notre source et à chaque instant
    Sous toutes les formes de la vie. »
    Extrait de « Cérémonie du cœur » (Ed. Sully 2010)

    Un être de lumière et de spiritualité qui me semble avoir cette qualité rare : savoir parler à tous, quelles que soient leurs croyances ou non croyances et qui s’adresse à ce qu’il y a de plus profond en l’homme.

    <1644>

  • Vendredi 24 décembre 2021

    « Le mot du jour est en congé.»
    Il reviendra le 8 février

    Lors de la période de fin d’année, il n’y a pas le temps de lire des mots du jour et pas non plus pour les écrire

    Il me semble donc légitime d’entamer une trêve de Noël qu’il me faut bien sur étendre un peu pour me reposer.

    C’est le second Noël où le COVID plane sur ces fêtes avec sa dose d’incertitude, d’inquiétude et pour certains d’incompréhension et de colère. Je n’ai pas la réponse à tous ces mystères, mais autant que possible je vous souhaite de belles fêtes où l’essentiel sera en capacité de l’emporter sur le futile et l’accessoire.

     

    <mot sans numéro>

  • Jeudi 23 décembre 2021

    « Tous les matins je dois recomposer un homme. »
    Jules Supervielle

    Un poème de l’écrivain franco-uruguayen Jules Supervielle (1884-1960) qui se trouve dans le recueil « La Fable du monde » publié en 1938 :

    « Encore frissonnant
    Sous la peau des ténèbres
    Tous les matins je dois
    Recomposer un homme
    Avec tout ce mélange
    De mes jours précédents
    Et le peu qui me reste
    De mes jours à venir.
    Me voici tout entier,
    Je vais vers la fenêtre.
    Lumière de ce jour,
    Je viens du fond des temps,
    Respecte avec douceur
    Mes minutes obscures,
    Épargne encore un peu
    Ce que j’ai de nocturne,
    D’étoilé en dedans
    Et de prêt à mourir
    Sous le soleil montant
    Qui ne sait que grandir. »

    Fabien et moi nous connaissons depuis près de 20 ans.

    Pendant plusieurs années nous travaillions dans la même unité. Nous avons appris à débattre ensemble, dans le sens développé par Étienne Klein et rapporté dans le mot du jour d’hier.

    Après que Fabien ait quitté le Rhône pour poursuivre son chemin administratif dans d’autres contrées, nous avons décidé de nous retrouver au moins deux fois par an, pour partager un repas puis l’après midi dans des échanges féconds dans lesquels nous nous enrichissons mutuellement, non de biens matériels, mais de nourriture de l’esprit.

    Lors de notre dernière rencontre, la semaine dernière, alors que nous échangions sur nos lectures, Fabien a parlé de Jules Supervielle et a récité ce poème.

    J’ai compris que je ne pouvais trouver de meilleur sujet pour le dernier mot du jour, avant la trêve de Noël.

    Comme Michel Serres le disait quand on donne un objet matériel, on le perd. Si je vous donne mon smartphone, je ne l’ai plus.

    Mais quand on partage une idée, un poème, on ne perd rien, on multiplie.

    « Tous les matins, je dois recomposer un homme »

    Le mot du jour reviendra fin janvier ou début février.

    <1643>

  • Mercredi 22 décembre 2021

    « Débattre est un verbe qui désigne ce qu’il faut faire pour ne pas se battre ! »
    Etienne Klein

    C’est dans son interview à Thinkerview que j’ai cité lors du mot du jour du <15 décembre 2021 > qu’Etienne Klein a cité cette phrase pleine de sens.

    Armer, cela signifie qu’on donne des armes pour aller faire la guerre ou une autre activité qui utilise des armes.

    sarmer, c’est enlever les armes.

    Miner un terrain, c’est mettre des mines pour le rendre infranchissable et dangereux.

    miner, c’est enlever les mines !

    Stresser, c’est créer de la tension, une angoisse.

    stresser, c’est enlever la tension et l’angoisse !

    Et donc battre, c’est ne pas se battre, enlever de l’échange ce moyen d’interaction qui consiste à se battre pour soumettre l’autre. C’est argumenter, écouter l’autre, se donner la faculté d’évoluer en fonction des arguments de celui avec qui on débat et on ne se bat pas.

    Ce n’est certainement pas, faire cohabiter deux monologues qui ne se rencontrent jamais.

    L’échange a lieu, dans l’émission, à environ une demi-heure de la fin. Le journaliste de Thinkerview pose d’abord cette question à Etienne Klein : « Selon vous dans quelle Direction se dirige la science ? Quel serait son but ultime, envers la société ? »

    « C’est à la Société de répondre !
    C’est à société de décider du type de compagnonnage qu’elle entend mener avec les nouvelles technologies rendues possible par la Science.

    Pendant longtemps la science a été enchâssée dans l’idée du progrès, la science est le moteur du progrès.

    Le mot progrès a disparu, on l’a remplacé par le mot innovation.

    Et enfin, on a compris une chose essentielle, c’est que la science produit des connaissances qui ont de la valeur, mais elle produit aussi de l’incertitude.

    La science ne nous dit pas ce que nous devons faire des possibilités qu’elle nous donne.

    Il faut donc en discuter, mais c’est très difficile d’en discuter parce qu’on observe une sorte de décorrélation entre la militance et la compétence.

    Les gens militants pour ou contre ne sont pas forcément très compétents.

    Et les gens compétents et modérés s’expriment peu.

    C’est pourquoi je pense que les gens modérés doivent s’engager sans modération pour que les débats aient lieu ! [Pour éviter] que ce soit des affrontements stériles, avec des positions assez radicales.

    Ma réponse à la question est : que la science ouvre les champs du possible et elle ferme aussi des portes, elle dit qu’il y a des choses impossibles !

    Il y a des choses qu’elle nous permet de faire.

    La question est qu’est-ce qu’on choisit ? Comment on choisit ? Et selon quels critères ?

    C’est un problème Politique ! Il faut en débattre

    Et Sky relance alors l’échange, en demandant qu’est-ce qu’il faut pour un bon débat ?

    Et c’est ainsi qu’Etienne Klein répond :

    « Un bon débat, c’est un débat qui respecte l’étymologie du verbe débattre.
    C’est un verbe qui désigne ce qu’il faut faire pour ne pas se battre !

    Débattre, c’est discuter, discuter sans utiliser d’argument d’autorité.
    C’est donc argumenter, c’est pratiquer ce que Bergson aurait appelé une politesse de l’esprit.

    Cela peut prendre du temps, ça peut être ennuyeux, un vrai débat.
    Mais à la fin, on sait sur quoi on est d’accord et sur quoi on n’est pas d’accord. […]

    Ce qu’on appelle aujourd’hui débat, c’est une discussion très vive, remplie d’invectives.

    Débattre cela signifie qu’on accorde du temps à la discussion.
    Et qu’on comprenne qu’avoir un avis, ce n’est pas la même chose que se forger un avis.

    Moi j’ai l’impression que les gens qui ont un avis tranché s’estiment dédouanés de l’obligation d’apprendre à propos de sur quoi, ils ont un avis tranché. […]

    Je pense que si on décide de débattre, on doit s’informer, apprendre, questionner, interpeller les experts, faire ce travail qui est chronophage.

    Alors on est capable d’avoir un avis, de l’étayer et on est capable de le défendre. »

    Un débat n’est pas un combat ! C’est pratiquer la politesse de l’esprit !

    Je redonne le lien vers l’émission de Thinkerview : <Science et société, où va-t-on ?>

    <1642>

  • Mardi 21 décembre 2021

    « Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute. ! »
    Jean de la Fontaine

    Nous sommes en campagne présidentielle. Des femmes et des hommes viennent nous raconter des récits qui tentent de nous séduire, de nous donner l’impression qu’ils s’intéressent à nous et qu’ils ont des solutions pour que demain soit mieux qu’hier.

    Je crois sage de rappeler alors la morale de la fable <le corbeau et le renard> : « Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute »

    Le Corbeau et le Renard est sa deuxième fable, plus précisément la deuxième fable du Livre I des Fables situé dans le premier recueil des Fables.

    Si vous voulez connaître la toute première, celle qui a le numéro 1, du livre 1 du premier recueil c’est <La cigale et la fourmi>,

    Jean de La Fontaine est né le 8 juillet 1621 à Château-Thierry, en Champagne, il y a 400 ans.

    Sa particule nous trompe, il n’est pas issu de la noblesse, mais de la bourgeoisie champenoise. Son père, Charles de La Fontaine était maître des eaux et forêts du duché de Château Thierry, un métier cumulant les fonctions d’administrateur et de juge.

    C’était une charge que l’on achetait ou dont on pouvait hériter.

    La Fontaine fera les deux il en achètera une puis reprendra celle de son père.

    Jean Orieux dans son livre « La Fontaine ou la vie est un conte » décrit cette charge :

    « Pour le travail, elle lui parut lourde et elle l’était assez. Il fallait tenir les registres sur lesquels devaient être portées, avec ponctualité, les amendes et les confiscations. Il devait fournir avec régularité des rapports sur l’état des domaines placés sous sa surveillance. Ponctualité ! Régularité ! […] Il devait, l’épée au côté – c’était le Glaive de la Justice ! – présider la séance hebdomadaire du Tribunal des Eaux et Forêts dont il était juge. […] Il devait réprimander, condamner, taxer les contrevenants.
    Qui étaient-ils ? De misérables paysans qui avaient laissé leur bétail brouter les jeunes pousse et les plantations ; « de pauvres bucherons » (clandestins) qui avaient abattu un beau chêne pour en faire la charpente de leur petite maison. Il fallait saisir le bétail, le vendre à la criée sur l’ordre et sous le contrôle de … mais de Jean de La Fontaine ! On le voit bien mal dans ces fonctions répressives, lui que l’injustice et la cruauté de la Justice étonnaient ; lui qui avait horreur, presque autant que des pédagogues, des tribunaux et des juges à bonnets carrés. »
    Page 80

    Quand Jean Orieux met entre guillemets de pauvres bucherons il cite bien sûr la fable <La Mort et le Bûcheron> qui commence ainsi :

    « Un pauvre Bûcheron tout couvert de ramée,
    Sous le faix du fagot aussi bien que des ans »

    Et plus loin La Fontaine décrit sa compassion

    « Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ?
    En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?
    Point de pain quelquefois, et jamais de repos.
    Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
    Le créancier, et la corvée »

    Je m’imagine, qu’un homme cupide dans la fonction qu’occupait Jean de La Fontaine peut devenir très riche. La morale est sauve, Jean de La Fontaine ne devint jamais riche.

    Alexis Brocas dans le Hors-série de « Lire magazine » consacré à « l’homme à fables » nous révèle qu’entre la cigale et la fourmi, il tint le rôle de la première :

    « La Fontaine aimait jouer de l’argent, une passion répandue à son époque et en perdit semble t’il souvent.
    S’il savait donner de l’encensoir, il n’était pas du tout de ces courtisans capables de se faire couvrir de pensions. De Chapelain, le poète chargé par Colbert de dresser la liste des écrivains dignes de recevoir des gratifications royales, La Fontaine reçut bien des compliments, jamais d’argent. »

    De Colbert, La Fontaine n’avait pas à attendre de bienveillance. La Fontaine avait cru trouver son Crésus, son mécène dans la personne de Nicolas Fouquet, le surintendant des Finances de Louis XIV. Nous savons comment cette histoire finit après la fête somptueuse de Vaux le Vicomte du 17 août 1661 offert à Louis XIV qui ne gouta pas le fait qu’un de ses sujets puissent exprimer plus de magnificence que le roi. En coulisse, et depuis longtemps, Colbert avait œuvré pour discréditer Fouquet aux yeux du Roi soleil.

    Or La Fontaine ne reniera jamais vraiment Fouquet et Colbert ne lui pardonna pas ce manque de soumission.

    Colbert qui retardera aussi son entrée à l’Académie Française mais ne put empêcher qu’il y entra en 1684.

    Alexis Brocas continue :

    « Quant à ses livres, ils enrichirent surtout libraires et imprimeurs.
    La Fontaine était de ces hommes que les affaires d’argent ennuient, et qui se font donc voler par ceux qui s’y intéressent davantage. Lorsqu’il hérita de son père et que son frère Claude revint sur d’anciens engagements pour demander le plus possible, La Fontaine dut emprunter pour lui payer sa part. Et lorsque le fils du duc de Bouillon se trouva obligé de lui racheter se charges de maître des eaux et forêts, La Fontaine attendit quatorze ans pour être payé !
    C’est ainsi qu’il s’achemina vers une ruine irrémédiable : le remboursement de ses dettes excédant ses revenus, il lui fallut vendre peu à peu son patrimoine. […] Plusieurs protecteurs le prendront sous leur aile, mais, à 70 ans, La Fontaine se trouvait encore obligé de solliciter les frères Vendôme pour survivre. »

    Il dévoile probablement sa conception de l’argent dans cette fable < L’Avare qui a perdu son trésor> :

    « L’Usage seulement fait la possession.
    Je demande à ces gens de qui la passion
    Est d’entasser toujours, mettre somme sur somme,
    Quel avantage ils ont que n’ait pas un autre homme. »

    Un homme éminemment sympathique !

    Et il alla jusqu’à se séparer de biens avec son épouse en 1658 pour éviter de l’entraîner dans sa ruine.

    Sa relation avec femme fut, disons distante…

    C’est son père qui lui organisa, en 1647, il avait donc 26 ans, un mariage avec Marie Héricart (1633-1709) qui en avait 14 !

    C’était d’autres temps.

    Un fils naîtra, 5 ans plus tard. Charles (1652-1722).

    La Fontaine est un libertin, il va et vient et délaisse très vite son épouse.

    Il ne s’occupe pas non plus de son fils. Jean Orieux rapporte qu’on avait raconté que La Fontaine croisant son fils dans la rue, à Paris, ne l’avait point reconnu !

    Mais il ne laissera jamais son épouse sans revenus ou dans la difficulté financière dans laquelle il se trouvait.

    Mais on parle de ses fables.

    Le premier recueil dans lequel se trouvait le corbeau et le renard a été publié en 1668, il avait déjà 47 ans.

    Et avait écrit bien d’autres choses avant des pièces de théâtre, opéras, roman en vers et en prose, une poésie scientifique : <Poème du quinquina>, description poétique <Le songe de Vaux> pour le palais de Fouquet mais qui ne fut achever qu’après l’arrestation sur surintendant.

    Mais la grande affaire de La Fontaine avant les fables furent les Contes.

    La Fontaine connaît ses premiers succès littéraires grâce à ces Contes et nouvelles en vers qualifiés de licencieux, libertins, coquins, grivois, lestes, érotiques.

    Dans « Lire magazine » Robert Kopp écrit :

    « Dans ses contes, aujourd’hui négligés et d’un érotisme surprenant pour qui ne connaîtrait que les fables, La Fontaine chante allègrement les joies de la chair comme remède à la mélancolie. Sans étalage pornographique, mais en sachant se montrer élégamment explicite.

    Il sera obligé de renier ses contes « licencieux », disait-on, pour être reçu à l’Académie française.

    Et pour obtenir l’extrême onction, c’est-à-dire les sacrements de l’Église avant de mourir il sera obligé de renier une seconde fois ses contes en public. Le prêtre chargé de cette tâche persuade Jean de la Fontaine de se confesser et insiste sur une confession publique afin que tous puissent assister au reniement de ses contes. Il le fait dans sa chambre en présence des académiciens. L’abbé lui fait promettre de ne plus écrire que des textes pieux et lui accorde l’extrême onction.

    Il meurt le 13 avril 1695, à 73 ans.

    Au début du second confinement, j’avais consacré un mot du jour à des fables de La Fontaine dans lesquelles il évoquait un confinement <mot du jour du 29 octobre 2020>

    Eric Orsenna écrit dans « Lire Magazine » :

    « A bien les lire, toutes ses fables ont des morales contemporaines. Et quelle langue ! La Fontaine, avec Racine, son lointain cousin, Buffon ou Saint Simon est un des plus grands stylistes de son temps, et de toute la littérature française. Cet homme, comme Montaigne, avec tous ses défauts, c’est notre frère. Piètre mari, père inexistant, mais ami formidable. »

    <1641>

  • Lundi 20 décembre 2021

    « Je me suis cru moi-même wagnérien pendant un certain temps. Quelle était mon erreur et que j’étais loin du compte ! ! »
    Camille Saint-Saëns

    Camille Saint-Saëns a été un musicien encensé. Au cours de sa vie il était considéré comme le plus grand musicien français.
    Mais vers la fin de sa vie, il fit l’objet de beaucoup de critiques et on l’affubla du nom de « réactionnaire ».
    Et après sa mort on l’oublia.
    Jacques Bonnaure dans le « Classica » de janvier 2021 cite Romain Rolland qui disait qu’on peut parler de musique pendant des heures sans mentionner son nom !

    Plus tard le musicologue Lucien Rebatet écrivait :

    « Aucune considération scholastique ne nous embarrasse plus pour dénombrer, dans les deux cent numéros [il en existe plutôt 600 !] de Saint Saëns, tout ce qui est allé au cimetière des partitions hors d’usage, encore plus attristant que celui des vieilles ferrailles. »

    Heureusement, plus personne n’oserait s’exprimer comme Rebatet et on redécouvre ces dernières années le génie de Saint-Saëns dont les œuvres sont programmés au même titre que ceux de Debussy, Fauré et d’autres.

    Qu’est-ce qu’on a reproché à Saint-Saëns pendant toutes ces années ?

    C’est de ne pas avoir su chevaucher la monture de « la modernité ».

    Et le premier moderne auquel il s’est attaqué fut Richard Wagner.

    Au début, tout se passa bien entre eux. Camille Saint-Saëns connut Wagner dès 1859, lors du séjour parisien du compositeur allemand. Il a fait partie de son cercle de familiers. Il fut le premier à jouer des transcriptions de ses partitions. D’ailleurs Wagner était admiratif des talents que pouvaient manifester Saint Saëns pour jouer ses partitions au piano :

    « Le maître de Bayreuth s’extasiait « sur la vélocité extraordinaire et la stupéfiante facilité de déchiffrer » de son jeune confrère. Aussi, chaque fois qu’il passait par Paris, le priait-il de venir chez lui (3, rue d’Aumale), afin de lui jouer certaines de ses partitions qu’il était incapable d’exécuter lui-même. »

    Le séjour parisien de Wagner ne fut pas couronné de succès. Saint-Saëns défendait un compositeur très critiqué. Et il va continuer à admirer Wagner, en allant à Bayreuth en 1876 pour entendre la musique wagnérienne dans son temple.

    À son retour, il rédige sept articles très documentés sur la Tétralogie. Sur <France Musique> on peut lire :

    « Son pèlerinage à Bayreuth en 1876 lui inspire une série d’articles sur le projet lyrique titanesque de Wagner, et il devient l’un des grands défenseurs du compositeur allemand. »

    Mais la révolution wagnérienne va tout emporter sur son passage. Quand le maître meurt en 1883 à Venise, tous les « cercles progressistes » ou qui se disent modernistes n’ont d’oreilles et d’admiration que pour Wagner.

    C’est alors que Saint-Saëns va s’attaquer non pas à Wagner, mais aux Wagnériens.

    Il faut aussi souligner que Saint-Saëns est un nationaliste, il s’est spontanément engagé dans l’armée française en 1870 et a douloureusement vécu la défaite contre la Prusse.

    Il vivra aussi la montée vers la guerre 14-18 et la guerre elle-même.

    Son hostilité contre les wagnériens est aussi une lutte contre l’hégémonie culturelle et surtout musicale allemande.

    Je recite la page de <France Musique>

    « Mais lorsqu’une hégémonie culturelle germanique commence à envahir l’horizon musical français, lorsqu’une « wagnérolâtrie » domine l’attention française au profit de ses propres compositeurs, Saint-Saëns se réveille de son rêve wagnérien : « Je me suis cru moi-même wagnérien pendant un certain temps. Quelle était mon erreur et que j’étais loin du compte ! ».

    Mais si Saint-Saëns critique ouvertement le culte croissant de Richard Wagner et l’esprit nationaliste qui l’entoure, il ne renie pas pour autant le génie musical wagnérien : « La wagnéromanie est un ridicule excusable ; la wagnérophobie est une maladie » écrit-il en 1876 dans son ouvrage Regards sur mes contemporains.

    En février 1871, la guerre franco-allemande gronde toujours. La défaite française ne saurait tarder, et arrive un sentiment français de frustration envers leur ennemi. La domination allemande dans la programmation musicale des concerts en France exaspère bon nombre de compositeurs français, éclipsés par la musique de Wagner mais aussi de Beethoven. Aux côtés du professeur de chant Romain Bussine, Camille Saint-Saëns décide ainsi de créer en 1871 la Société Nationale de Musique, afin de promouvoir le génie musical français longtemps ignoré face à la tradition germanique.»

    Il synthétisera toutes ses critiques dans cet article : <L’illusion Wagnérienne> qui a été publié dans la Revue de Paris d’avril 1899.

    Il fait d’abord une description de tous les écrits qui glorifient la musique de Wagner et pointent leur exagération, selon lui. Globalement il dit : certes la musique de Wagner est belle, mais il reproche au wagnérien de se lancer dans des explications fumeuses pour expliquer que toutes les innovations de Wagner sont géniales :

    « Tant que les commentateurs se bornent à décrire les beautés des œuvres wagnériennes, sauf une tendance à la partialité et à l’hyperbole dont il n’y a pas lieu de s’étonner, on n’a rien à leur reprocher; mais, dès qu’ils entrent dans le vif de la question, dès qu’ils veulent nous expliquer en quoi le drame musical diffère du drame lyrique et celui-ci de l’opéra, pourquoi le drame musical doit être nécessairement symbolique et légendaire, comment il doit être pensé musicalement, comment il doit exister dans l’orchestre et non dans les voix, comment on ne saurait appliquer à un drame musical de la musique d’opéra, quelle est la nature essentielle du Leitmotiv, etc.; dès qu’ils veulent, en un mot, nous initier à toutes ces belles choses, un brouillard épais descend sur le style des mots étranges, des phrases incohérentes apparaissent tout à coup, comme des diables qui sortiraient de leur boîte bref, pour exprimer les choses par mots honorables, on n’y comprend plus rien du tout. »

    Et il attaque :

    « L’exégèse wagnérienne part d’un principe tout différent. Pour elle, Richard Wagner n’est pas seulement un génie, c’est un Messie : le Drame, la Musique étaient jusqu’à lui dans l’enfance et préparaient son avènement; les plus grands musiciens, Sébastien Bach, Mozart, Beethoven, n’étaient que des précurseurs. Il n’y a plus rien à faire en dehors de la voie qu’il a tracée, car il est la voie, la vérité et la vie il a révélé au monde l’évangile de l’Art parfait.

    Dès lors il ne saurait plus être question de critique, mais de prosélytisme et d’apostolat ; et l’on s’explique aisément ce recommencement perpétuel, cette prédication que rien ne saurait lasser. Le Christ, Bouddha sont morts depuis longtemps, et l’on commente toujours leur doctrine, on écrit encore leur vie; cela durera autant que leur culte. Mais si, comme nous le croyons, le principe manque de justesse ; si Richard Wagner ne peut être qu’un grand génie comme Dante, comme Shakespeare (on peut s’en contenter), la fausseté du principe devra réagir sur les conséquences et il est assez naturel dans ce cas de voir les commentateurs s’aventurer parfois en des raisonnements incompréhensibles, sources de déductions délirantes. »

    Je ne vais pas citer tout l’article. Pour résumer, il dit que Wagner a écrit de la très belle musique et il est le continuateur des maîtres qui l’ont précédé. Il considère que les wagnériens qui prétendent que leur idole a tout inventé, que seules ses œuvres méritent d’être écoutés, se trouvent en plein délire et il le leur dit.

    L’élite musicale allemande ne pardonnera pas à Saint-Saëns ses critiques contre les wagnériens et l’hégémonie musicale allemande.

    Lors d’une tournée en 1887 il joue à la Société philharmonique de Berlin :

    «  Le public l’accueille par des huées, et le lendemain, la presse le traîne dans la boue sous prétexte qu’il a marqué hautement en France son antipathie pour les compositeurs d’outre-Rhin. Saint-Saëns dédaigne ces querelles de Teutons. Il ne capitulera pas. On l’attend à Cassel. Il s’y rendra quand même. Mais son impresario reçoit de l’intendant du grand théâtre de cette ville une lettre ainsi conçue: «Je considère la présence de M. Camille Saint-Saëns dans l’Institut que je dirige, aussi longtemps du moins que cet artiste persévérera dans son incompréhensible manque de tact vis-à-vis de l’art et de la musique de l’Allemagne, comme absolument incompatible avec la mission qui m’est confiée de protéger et de développer l’art allemand et je refuse, par suite, mon adhésion à un programme sur lequel figurerait le nom de M. Saint-Saëns». […] les directeurs des théâtres de Dresde et de Brème imitèrent l’exemple de leur collègue de Cassel. Force donc fut au maître de rentrer en France. »

    Il faut convenir que Saint-Saëns ne fut pas que critique à l’égard des Wagnériens mais de tous les autres compositeurs, qui au début du XXème siècle, était en train de révolutionner la musique.

    Il a ainsi écrit de Claude Debussy (cf. <ce site belge>)

    « Claude Debussy n’a aucun style. Il a certes un nom harmonieux, mais s’il s’était appelé Martin, personne n’en aurait parlé. »

    Et Claude Samuel raconte que lorsque Claude Debussy, à la veille de sa mort, fit savoir par la voix de son épouse, qu’il allait poser sa candidature à l’Institut, Saint-Saëns écrivit à son ami Gabriel Fauré :

    « Je te conseille de voir les morceaux pour 2 pianos, Noir et Blanc, que vient de publier M. Debussy. C’est invraisemblable, et il faut à tout prix barrer la porte de l’Institut à un Monsieur capable d’atrocités pareilles ; c’est à mettre à côté des tableaux cubistes » !!!

    Et la page de France Musique déjà cité renchérit :

    « Il ne se gêne pas de faire connaitre dans la presse son avis souvent acerbe quant à la musique d’autres compositeurs français. Il critique ouvertement la musique de Debussy, de Franck, de Massenet, de Vincent d’Indy et même d’Igor Stravinsky. Lors de la célèbre création du Sacre du printemps de ce dernier, Saint-Saëns quitte la salle de concert après seulement quelques notes, considérant que Stravinski ne savait pas écrire pour le basson »

    Les musiciens ne sont pas bienveillants entre eux. Le récit que la musique adoucirait les mœurs est une fable comme une autre.

    D’ailleurs Debussy n’est pas en reste quand il affirme qu’une des œuvres les plus géniales jamais composées, la neuvième symphonie de Mahler :

    « n’est rien d’autre qu’ un pneumatique géant juste bon à faire de la réclame pour Bibendum », emblème fraîchement créé par les pneus Michelin… »

    Heureusement que le monde musical a su dépasser ces querelles du début du XXème siècle et reconnaître qu’il y avait de la place pour le génie de Wagner, de Mahler, de Debussy, de Stravinski et de Saint-Saëns.

    Pour finir en musique, je propose ce mouvement de la première sonate pour violoncelle et piano de Saint-Saëns : <Andante de la sonate opus 32>

    <1640>

  • Vendredi 17 décembre 2021

    « Pause (Saint-Saëns) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Dans la vie, il faut faire des choix. Et le soir du 16 décembre, j’ai choisi d’écouter de la musique de Camille Saint-Saëns. J’ai écoute tout l’opéra Samson et Dalila, dans la merveilleuse version de George Prêtre puis l’intégrale des symphonies dans la version de Martinon.

    Et je ne peux pas écouter de la musique et écrire en même temps. Dès lors, écrire sur le sujet des relations compliquées entre Saint-Saëns et les compositeurs qui se sont imposés dans le début du XXème siècle, se réalisera plus tard.

    En attendant, voici le <3ème concerto de violon> de ce compositeur génial interprété par Joshua Bell.

    Comme ce chat fasciné par la beauté d’un violon, j’ai été conquis dès la première écoute de ce concerto, particulièrement le deuxième mouvement qui est divin.

    <Mot du jour sans numéro>

  • Jeudi 16 décembre 2021

    « J’ai réalisé le rêve impossible de ma jeunesse […] j’ai assez vécu pour laisser des œuvres qui ont une chance de survie. ! »
    Camille Saint-Saëns

    Le 16 décembre 1921, il y a exactement 100 ans, Camille Saint-Saëns meurt à 86 ans, dans l’hôtel Oasis d’Alger.

    Ce fut un très grand compositeur.

    Il a résumé lui-même sa contribution à l’histoire de la musique. Le 23 février 1901, il écrivit à son éditeur Durand :

    « J’ai réalisé le rêve impossible de ma jeunesse, j’ai atteint mon objectif ; j’ai assez vécu pour laisser des œuvres qui ont une chance de survie. Vous ne pouvez pas écrire l’histoire de la musique de cette époque sans au moins les mentionner ! Je mourrai avec la conscience d’avoir bien rempli ma journée. Il ne faut pas être ingrat envers son destin. »

    J’ai trouvé cet extrait sur le site des éditions Durand, dans <cette présentation>.

    J’y ai trouvé aussi cet avis du compositeur Gabriel Fauré qui a écrit au moment de sa mort :

    « De nombreuses voix ont proclamé Saint-Saëns le plus grand musicien de son temps. Pendant la première moitié de sa longue carrière, il fut cependant contemporain de Berlioz et de Gounod. Ne serait-il pas plus exact et non moins glorieux de le désigner comme le musicien le plus complet que nous ayons jamais eu, au point qu’on ne puisse trouver qu’un exemple similaire chez les grands maîtres d’autrefois ? Son savoir qui ne connaissait pas de limites, sa prestigieuse technique, sa claire et fine sensibilité, sa conscience, la variété et le nombre stupéfiant de ses œuvres, ne justifient-ils point ce titre qui le rend reconnaissable à tout jamais ? »

    Il est vrai qu’il a vécu longtemps, bien qu’il soit écrit partout que depuis son enfance il avait une santé fragile. il avait notamment une faiblesse aux poumons. Il voyageait beaucoup pour des raisons professionnelles et musicales, mais aussi pour se trouver dans des pays où le soleil brillait. Il allait ainsi fréquemment à Alger et il y est allé une dernière fois pour y mourir.

    Saint-Saëns a rencontré plusieurs fois et brutalement la mort dans sa vie.

    Il est né le 9 octobre 1835 à Paris et son père employé au ministère de l’intérieur meurt en décembre 1835 emporté par la tuberculose, il n’a pas trois mois.

    Saint-Saëns se marie en 1875, âgé de quarante ans, avec Marie-Laure Truffot (1855-1950), alors âgée de 19 ans. Elle est la fille d’un industriel, également maire du Cateau-Cambrésis. Le couple aura deux enfants, deux fils, dont l’aîné, André, meurt à deux ans et demi en tombant du balcon de l’appartement familial en mai 1878. Saint-Saëns en rend responsable sa femme qui, ne pouvant plus allaiter le second, Jean-François, s’éloigne en province pour le confier à une nourrice chez qui il meurt à son tour en juillet de la même année, probablement de pneumonie.

    Après trois ans d’éloignement croissant, Saint-Saëns se sépare définitivement de son épouse en 1881, sans divorcer. Il n’aura aucune autre relation stable, ni d’autres enfants

    Deux autres femmes joueront un rôle essentiel dans sa vie, sa mère et sa grand-tante Charlotte Masson. Il les appellera : « mes mamans ». Il écrira :

    « A ma grand’tante, je dois les premiers principes de la musique et du piano, les premiers éléments de l’instruction en tout genre, à ma mère le goût du beau, le culte de nos grands classiques littéraires les nobles ambitions. »

    Son père était originaire de Dieppe. Il aura avec cette ville une relation particulière et léguera une grande partie de ses archives à cette ville

    C’est à la mort de sa mère, Clémence Saint-Saëns, âgée de 79 ans, qu’il commence à se rapprocher de sa famille paternelle et d’Ambroise Millet, conservateur du Musée de Dieppe. Son projet est de créer un musée « Camille Saint-Saëns ». Son projet deviendra réalité en Juillet 1890 avec l’inauguration du Musée Saint-Saëns à Dieppe.

    La ville de Dieppe fête le centenaire avec une exposition et des manifestations et a créé un site dédié : https://www.saintsaensdieppe21.fr/

    Saint-Saëns fut d’abord un enfant sur doué et un pianiste prodige. Encore enfant, il commence à composer.

    A 10 ans, il donne son premier concert, le 6 mai 1846 et fait sensation avec le troisième concerto de Ludwig van Beethoven, et le concerto no 15 K.450 de Mozart. Il écrit et joue même sa propre cadence pour le concerto de Mozart.

    Si on essaie de le situer par rapport aux autres compositeurs, français et autres cela donne le schéma suivant :

    Il eut une relation privilégiée avec Franz Liszt. Ils se rencontrent pour la première fois à Paris, en 1854. « Diapason » dans son numéro de novembre 2021 écrit :

    « Malgré leur différence d’âge, ils s’entendent à merveille et vont toujours se soutenir mutuellement car tous les deux, interprètes géniaux, se heurtent aux même difficultés à se faire reconnaître comme compositeurs.

    Sans Liszt, le plus grand opéra de Saint Saëns n’aurait jamais exsté : c’est lui qui encourage son jeune collègue à le terminer et s’engage à le faire donner à Weimar, avant même d’en avoir entendu une note. De son côté, Saint Saëns organise à ses frais des concerts d’œuvres orchestrales de Liszt pour les faire connaître à Paris. Et s’inspirant du modèle lisztien, il introduit le poème symphonique en France et en compose quatre : Rouet d’Omphale, Phaêton, Jeunesse d’Hercule, Dans macabre »

    Il faut absolument regarder la présentation extraordinairement pédagogique de Jean-François Zygel de la <Danse macabre de Saint Saëns>

    Rossini de plus de quarante ans son ainé qui était le grand compositeur à Paris des années 1850, a aussi jeté un regard bienveillant et protecteur sur sa carrière. Dans une soirée, Rossini a fait jouer une œuvre de Saint-Saëns en prétendant l’avoir écrite. Après que le public se sit extasié sur cette œuvre, Rossini a révélé qu’elle n’était pas de lui mais du jeune compositeur présent dans la salle : Camille Saint-Saëns.

    Cet épisode est rapporté dans ce documentaire d’ARTE : < Saint-Saëns l’insaisissable >

    ARTE qui a aussi réalisé un documentaire sur <Le carnaval des animaux> œuvre qu’il refusera de faire jouer de son vivant et dont un extrait est <la musique officielle du festival de Cannes>
    mais cela je l’ai déjà raconté dans le mot du jour <du 5 juillet 2021>.

    Ce que j’ai appris récemment c’est qu’il fut, en 1908, le tout premier compositeur de renom à composer une musique spécialement pour un film : «  L’Assassinat du duc de Guise ».

    Il eut de grandes amitiés et de belles relations avec d’autres compositeurs comme Gabriel Fauré. Il eut aussi des relations privilégiées avec ses ainés Berlioz et Gounod. Mais avec d’autres les relations furent plus compliquées, voire hostiles, mais nous verrons cela une prochaine fois.

    La société des amis de Saint-Saëns dispose d’un site instructif : https://camille-saint-saens.org/

    Pour la musique je vous envoie vers cette somptueuse interprétation de ce chef d’œuvre unique qu’est la symphonie N°3 avec orgue par <L’orchestre de la Radio bavaroise dirigé par Mariss Jansons>

    Et puis pour aller vers des sentiers moins connus, tous les violoncellistes jouent le 1er concerto de violoncelle opus 33 et oublient le second opus 119, composé 30 ans après. Le voici interprété par la lumineuse Sol Gabetta avec l’Orchestre national de France sous la direction de Cristian Macelaru : <Extrait du concert donné le 26 novembre 2021 à la Philharmonie de Paris.>

    Je finirai ce premier épisode par le jugement du chef d’orchestre François-Xavier Roth :

    « L’œuvre de ce compositeur, souvent qualifié de conservateur ou académique, regorge de passages innovants. »

    Et, si vous voulez un disque, pourquoi pas l’enregistrement de la symphonie avec orgue enregistré par notre Orchestre National de Lyon dirigé par Leonard Slatkin avec l’orgue Cavaillé Coll de l’Auditorium de Lyon

    <1639>

  • Mercredi 15 décembre 2021

    « Nous les scientifiques, on a foiré ! »
    Propos d’Axel Kahn quelques semaines avant sa mort à propos de l’action des scientifiques pendant la COVID19

    Thinkerview est une chaîne et une émission qui ont été lancées, en janvier 2013, sur YouTube.

    Son format consiste en de longs entretiens entre un présentateur qui se fait appeler « Sky » et le plus souvent un invité, quelquefois deux, rarement plus.

    Les entrevues sont réalisées dans un cadre minimaliste : fauteuil sur fond noir, l’invité est seul présent à l’écran. Il n’y a pas de montage.

    Le logo un cygne noir : le but serait de déceler l’idée rare. Je rappelle que la théorie du cygne noir a été développée par Nassim Taleb qui appelle cygne noir un événement imprévisible qui a une faible probabilité de se dérouler (appelé « événement rare » en théorie des probabilités) et qui, s’il se réalise, a des conséquences d’une portée exceptionnelle

    Les invités sont extrêmement divers, politiques, scientifiques, intellectuels et de tout bord.

    Le présentateur veut conserver l’anonymat, même si des spéculations sur son identité sont régulièrement avancées.

    Il travaille son entretien et souvent les questions sont très pertinentes.

    Il a des détracteurs notamment Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch dont j’avais parlé lors du mot du jour du <19 janvier 2015> qui dit :

    « Même s’il invite parfois des invités intéressants, on sent qu’il y a une culture complotico-compatible, qu’on est dans la culture du caché »

    France Info lui a consacré une page : <Qui se cache derrière Thinkerview ?>

    Pour ma part, je trouve beaucoup de ses émissions très intéressantes, en raison d’invités passionnants, de questions pertinentes et surtout parce qu’il y a le temps de développer des idées et d’argumenter.

    Récemment, j’ai regardé avec beaucoup d’intérêt l’émission du 1er décembre 2021 avec <Clément Viktorovitch> le spécialiste de la rhétorique qui décortique avec talent les discours politiques ou marketing sur la radio Franceinfo dans la chronique « Entre les lignes »

    Mais aujourd’hui j’ai l’intention de citer un extrait d’une autre émission, plus récente avec Etienne Klein.

    C’est l’émission du 8 décembre 2021 <Science et société, où va-t-on ?>

    Tout au début de l’émission Sky demande à Etienne Klein : « A quoi tu réfléchis en ce moment ?»

    Voici la réponse d’Etienne Klein :

    « Je réfléchis à une phrase que m’a dite Axel Kahn, il y a quelques mois. […]
    Je l’ai croisé dans la rue quelques jours seulement après qu’il apprenne […] qu’il était condamné par la médecine [à courte échéance].
    Nous avons marché ensemble une heure.
    Et nous avons parlé de la mise en scène de la science et de la recherche pendant la crise sanitaire que nous traversons.
    Et il était assez inquiet.
    Et à la fin de la discussion il m’a dit : « Étienne, Nous les scientifiques, on a foiré ! »

    Et la question que je me pose : est ce qu’il avait raison ?
    C’est-à-dire, est ce qu’il n’y a pas de leçon à tirer de ces mois et de ces années maintenant que nous avons passé avec ce virus ?
    Est-ce que les scientifiques n’ont pas raté l’exercice de pédagogie qu’ils étaient invités à faire ?

    J’ai toujours été un défenseur de la vulgarisation scientifique […]
    Moi j’avais l’impression, avant, que la vulgarisation, ça marche. On voit bien que les livres qu’on écrit, les conférences qu’on tient suscitent des vocations […]
    Quand on dit [ça marche] on est victime d’un biais énorme de confirmation. En fait, la vulgarisation ne touche que les personnes intéressées par la vulgarisation !
    Et ce qu’a montré la crise, c’est que cette proportion est assez faible. […]

    Ce qu’a montré la mise en scène de la science et de la recherche, pendant la crise sanitaire, c’est qu’il y a toute une série de biais cognitifs qui interviennent, entre l’émission d’un message scientifique et sa réception et qui font que le message à la fin peut être complètement transformé, parfois carrément transformé en son contraire.
    Et cela me fait réfléchir sur la bonne façon de faire.

    Et quand Axel Kahn dit « on a foiré », c’est sans doute vrai mais la question est comment faire pour ne plus foirer […]
    Il faut comprendre ce qui s’est passé. Il y a des choses qui m’ont vraiment frappé sur cette façon de mettre en scène la science et la recherche.

    Une étude récente, menée par Daniel Cohen dans plusieurs pays européens, a montré qu’en France, la confiance des français dans les scientifiques a chuté de 20 points ; alors qu’elle est restée stable dans les autres pays. Dans tous les pays elle était à environ 90%, avant la crise.

    Je n’ai pas fait d’étude comparative et sociologique. Mais je suis allé en Allemagne en juillet 2020 et j’ai assisté à une conférence de presse d’Angela Merkel qui parlait à la télévision à tous les allemands. Elle était sans tableau, sans être accompagné par un ministre ou un expert. Et elle a donné des cours de sciences aux allemands. Elle leur a expliqué ce qu’était une exponentielle, en y prenant le temps. Et puis quand elle parlait des scientifiques, elle disait : « Les scientifiques » m’ont dit.
    Elle ne disait pas Professeur Machin, ou Professeur Bidule, elle disait « Les scientifiques »
    Et elle faisait donc intervenir dans son argumentation, une communauté scientifique, un « Nous » pas un « Je »
    Il me semble qu’en France, au contraire, on a beaucoup personnalisé les discussions.

    On avait une occasion historique de faire de la pédagogie, puisque les gens étaient inquiets, intéressés et voulaient comprendre.
    Et on aurait pu expliquer jour après jour, par exemple les différentes méthodologies de la science. On sait qu’elles ne sont pas les mêmes selon les sciences […]

    On aurait pu tenter d’expliquer s’agissant des traitements ce qu’est un essai en double aveugle, un essai randomisé, Pourquoi la théorie des probabilités est parfois contre-intuitive.
    Pourquoi il ne faut pas confondre coïncidence, corrélation, causalité.
    Au lieu de cette pédagogie qui aurait pu intéresser les gens, on a préféré organiser des joutes, des clashs entre des personnalités dont on connaissait par avance les opinions et cela a participé à la confusion générale.

    On s’est dit, si les experts ne sont pas d’accord, pourquoi moi, avec mon ressenti, mon bon sens, mes croyances, mes connaissances, je ne serais pas en droit de dire mon opinion sur tel ou tel sujet qui apparemment fait controverse ?

    Il y a une autre chose qui m’a frappé : on a confondu la science et la recherche. La science et la recherche ne sont pas deux activités étrangères l’une à l’autre, mais elles ne se confondent pas.
    Ce que j’appelle la science, c’est un corpus de connaissances bien établi qui sont pense t’on les bonnes réponses à des questions bien posées. Ce ne sont pas des vérités absolues, ce ne sont pas des vérités définitives. Mais on ne peut les contester que si on a des arguments scientifiques. On ne peut pas les contester avec son bon sens. « Moi je pense que » n’est pas un argument suffisant. Par exemple la question de la forme de la terre a été tranchée : elle n’est pas plate, elle est plutôt ronde, mais elle n’est pas sphérique.

    Une question a été posée pendant des millénaires : est ce que l’atome existe ? Elle a été tranchée en 1906 quand Jean Perrin a montré expérimentalement que l’atome existait. La question a été tranchée, l’affaire est réglée ! […]
    Ce corpus, par essence, est incomplet. Des questions se posent dont nous ne connaissons pas les réponses, c’est pour cela qu’on fait de la Recherche !

    On sait ce qu’on ne sait pas. La recherche est activée par le doute, c’est son combustible. Au fur et à mesure qu’on a des résultats le doute se déplace.

    Et quand on confond la recherche et la science, comme on l’a beaucoup fait pendant cette crise, le doute qui est consubstantiel à la recherche vient coloniser la science. »

    A ce stade, nous sommes à la quinzième minutes de l’émission, il y a encore 1h03 à écouter.

    Il me semble qu’ Etienne Klein dit là des choses fondamentales.

    La science n’est pas démocratique, la recherche non plus d’ailleurs.

    Je veux dire que dans ces domaines, il n’y a pas différents experts qui viennent présenter leurs thèses devant une assemblée de citoyens qui va voter pour désigner celle qui lui parait la plus juste ou la plus crédible.

    Les problèmes scientifiques se règlent au sein de la communauté scientifique, sur la base de protocoles et d’argumentaires en mesure de convaincre les autres scientifiques du même domaine qui connaissent l’état de la science et comprennent les recherches en cours.

    Dans cette affaire compliquée pour nous, béotiens, le plus raisonnable est de faire confiance au consensus scientifique, c’est-à-dire l’avis majoritaire de la communauté scientifique compétente sur le sujet, de nous méfier de notre bon sens qui peut nous égarer et d’accepter l’incertitude.

    <1638>

  • Mardi 14 décembre 2021

    « Ils en ont parlé ! »
    Caran d’Ache

    Un dessin vaut mieux qu’un long discours selon un propos qu’on attribue à Napoléon Ier.

    Dessins de presse, caricatures ont illustré les journaux bien avant l’invention de la photographie.

    Un des dessins de presse les plus célèbre de l’Histoire de la presse française s’appelle « Un dîner en famille ».

    Il a été publié dans Le Figaro le 14 février 1898. C’est un dyptique composé de deux dessins superposés

    Le premier représente une famille attablée pour le début du dîner et le patriarche de la famille lève l’index et donne l’injonction suivante à sa famille :

    « Surtout ! N’en parlons pas ! »

    Ce dessin est l’œuvre de Caran d’Ache qui était le nom d’artiste d’Emmanuel Poiré. Dessinateur français d’origine russe né le 6 novembre 1858 à Moscou et mort le 25 février 1909 à Pari.

    Ce dessin est tellement célèbre qu’il possède sa propre <page Wikipédia>

    De quoi ne fallait-il point parler en février 1898 ?

    La réponse est : « De l’affaire Dreyfus » bien sûr.

    D’ailleurs le texte précis qui se trouvait sous ce dessin le 14 février 1898 était :

    « Surtout ! ne parlons pas de l’affaire Dreyfus ! »

    A part les érudits, les cinéastes comme Polansky et certains chroniqueurs égarés en politique, plus personne ne parle de l’affaire Dreyfus.

    Mais il y a d’autres sujets qui l’ont remplacé pour créer des diners agités, conflictuels voire davantage.

    Pendant longtemps ce fut « le réchauffement climatique dû à l’homme » qui était en mesure de créer des fâcheries irréconciliables entre des familiers dont on n’aurait pas pu supposer qu’ils entrent dans de telles disputes.

    Maintenant le réchauffement climatique fait consensus, il n’y a plus lieu de se disputer sur ce point…

    Mais on a trouvé d’autres sujets.

    Beaucoup ont lien avec l’alimentation : les végétariens, les végans et puis sont apparus les antispécistes.

    Je n’ai pas encore consacré de mot du jour sur ce sujet passionnant et conflictuel, mais ce n’est qu’une question de temps.

    Mais depuis début 2020, « la COVID 19 », « les vaccins » et « le pass sanitaire » sont devenus des sujets hautement inflammables. « Surtout ! N’en parlons pas ! » Sinon, le pire peut arriver : des familles peuvent se fâcher définitivement, des amis de longue date qui en ont parlé, ne plus se parler de rien du tout.

    Les journaux s’en sont fait l’écho.

    Ainsi cet article d’« Ouest France » :  « Vaccin et passe sanitaire. « Il ne veut plus nous revoir » : quand le débat fracture des familles »

    « France Info » : « Ça nous monte les uns contre les autres, c’est ignoble ». Article dans lequel on peut lire :

    « Deux jours après la validation de son extension par le Conseil constitutionnel, le pass sanitaire est le nouveau sujet qui fâche dans les familles comme au travail. »

    Et aussi « France Inter » : « Un vaccin qui déchire les familles »

    Alors, le second dessin du dyptique est sous-titré : « Ils en ont parlé !»

    Le magazine « Femina » tente une conciliation : « Covid, ne laissons pas les polémiques nous séparer »

    Femina cite Claire Bidart, sociologue et directrice de recherche au CNRS à Aix-Marseille Université :

    « Les premiers touchés par ces conflits sont les amis (30,4% des liens dégradés), suivis de près par la famille (29,1%). Viennent ensuite le conjoint (21,7%) puis les collègues (19,4%). Les connaissances (9,2%) et les voisins (7,7%) arrivent loin derrière. Ce sont les liens les plus forts, affectivement et symboliquement, qui sont le plus susceptibles de se dégrader. »

    Pour le philosophe Alexandre Lacroix, directeur de la rédaction de « Philosophie Magazine » notre seuil de tolérance à la divergence d’opinion a été abaissé par l’effet des technologies.

    « Après des mois de confinement, de distanciation, on a pris l’habitude de ne communiquer qu’avec des personnes qui sont comme nous, qui pensent comme nous. Par leurs algorithmes, les réseaux sociaux nous enferment dans des bulles de savoirs étanches, nous privant d’une dynamique essentielle de la vie sociale la confrontation à des opinions divergentes. Plus que la peur du conflit, c’est la jouissance de se voir conforté dans ses certitudes qui est à l’œuvre dans notre refus du dialogue. »

    Zygmunt Bauman écrivait :

    « S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage

    Alors ne faut-il pas en parler ?

    La psychanalyste Saverio Tomasella écrit :

    « Une vraie amitié sincère est un vecteur de croissance humaine. Elle va aider les deux amis à grandir, à évoluer, à s’épanouir, en prenant appui sur leurs similitudes mais aussi leurs différences. »

    Évidemment, si on commence à traiter l’autre de « fou », de « dangereux » ou de « naïf », il est difficile d’espérer de pouvoir créer un dialogue constructif.

    Alors, « Fémina » donne quelques pistes :

    « Pourquoi tel ou tel sujet nous fait-il sortir de nos gonds ? Nos convictions sont-elles le fruit de notre anxiété ? S’appuient-elles sur des sources fiables et surtout diversifiées ?  »

    Pour Alexandre Lacroix pour dépassionner les débats, il faudrait peut-être fonder la discussion sur certaines interrogations politiques ou philosophiques :

    « Est-ce qu’il y a un déficit démocratique dans la façon dont l’exécutif met en place la politique sanitaire ? »
    « Qu’est-ce qui est le plus important : la santé ou la liberté ? »
    « Cela laisse à chacun la possibilité d’étayer, de justifier sa préférence, en se nourrissant de l’apport de l’autre. »

    Pendant le premier confinement, Augustin Trapenard avait pris l’initiative de lire une lettre que lui avait envoyé un écrivain ou un artiste, sur France Inter, chaque matin à neuf heures moins 5.

    Plusieurs mots du jour ont fait référence à ces textes d’une humanité essentielle.

    Et je finirai ce mot par une lettre que l’écrivaine et journaliste Sophie Fontanel a adressé à son frère :

    « Mais nous, dis, nous resterons tendres ?
    On va pas se faire avaler ! »

    <1637>

  • Lundi 13 décembre 2021

    « Les gâteaux de Noël alsaciens»
    Publication de la page consacrée à la série

    Bientôt Noël ! En Alsace, il existe une tradition de gâteaux spécialement produits pour cette fête.

    Notre amie Françoise nous avait appris à les faire et depuis chaque année avec Annie nous continuions cette tradition douce et sucrée. 

    En décembre 2019, une année après la disparition de Françoise, j’avais trouvé pertinent d’élargir les thèmes abordés par le mot du jour aux recettes de cuisine..

    Et, je rappelle par ce mot que ces recettes existent sur le site.

    En outre, en les rassemblant sur une page accessible par la page des séries, ces recettes seront plus facilement accessibles.

    La page consacrée aux recettes de gâteaux alsaciens est en ligne sur la page des séries.

    Mais vous pouvez aller directement sur la page en suivant ce lien : < Les gâteaux de Noël alsaciens >

    <Mot sans numéro>

  • Vendredi 10 décembre 2021

    « C’était une situation effrayante tendue et triste. »
    Anna von Hausswolff

    Il a suffi de quelques dizaines de catholiques intégristes pour bloquer, mardi soir, l’accès de l’église « Notre-Dame-de-Bon-Port » à Nantes pour que le concert soit annulé.

    Le concert était celui d’une artiste suédoise : Anna von Hausswolff

    Son patronyme allemand signifie « le loup de la maison », les intégristes lui reprochaient de tenir des propos « satanistes ». Dans un morceau évoquant la drogue, Anna von Hausswolff chante avoir « fait l’amour avec le diable ». Probablement que ces esprits simples et théo-centrés ne savent pas ce qu’est une métaphore.

    <Libération> présente ainsi cette chanteuse :

    « Sombre, mais lumineuse. L’argutie […] vaut absolument pour la musique d’Anna von Hausswolff, artiste née dans le rock, à la voix puissante et timbrée, proche de celles de Kate Bush, Grace Slick ou PJ Harvey, au toucher unique sur les grandes orgues, son instrument fétiche, et qu’adorent autant les amateurs de sucreries pop suédoises que les fous de musique sombre voire de metal extrême. […]

    Adepte des formes à rallonge, indescriptibles avec les vieux mots du rock, Anna von Hausswolff a développé son œuvre indifféremment dans le cadre traditionnel de la chanson à texte, inspirée par ses lectures, la nature, les lieux hantés par l’occulte et le vieux monde finissant, et celui d’une musique liturgique inventée, enracinée nulle part ailleurs que dans son imaginaire, lieu de musique inattendu, et merveilleux, où méditer et se ressourcer. Le plus naturellement du monde, elle a aussi doublé sa quête sonore d’une quête spirituelle qui n’appartient qu’à elle, écumant les églises les plus reculées pour y expérimenter avec les instruments les plus rares[…]

    « Ma musique est faite pour les églises et mon instrument principal est l’orgue. », nous expliquait-elle, sonnée, au lendemain de l’annulation de son récital à Notre-Dame-de-Bon-Port, la première de sa carrière, quand elle joue dans des lieux de culte depuis plus de dix ans.

    « Je respecte leurs traditions et toutes les cérémonies qui s’y déroulent. Nous avons toujours travaillé en bonne entente, jamais l’un contre l’autre. Ça s’est toujours bien passé, chaque partie satisfaite, avec beaucoup d’amour et de respect. Grâce à ma musique, tout un public vient à l’église alors qu’il n’y viendrait pas autrement, ce que les prêtres et les évêques reconnaissent volontiers. Dire que ma musique est blasphématoire est non seulement faux, mais blessant.»

    Aussi une aberration, pour qui s’est déjà perdu dans ses chansons pleines d’ombres, certes, mais surtout remplies de grâce, de doute et d’humanité. »

    Je ne connaissais pas cette artiste. J’ai écouté certaines de ses productions qu’on trouve sur Internet. Pour ce que j’en ai entendu, ce n’est pas une musique qui me fait vibrer pour l’instant.

    Mais mon appréciation de cette musique n’a aucune importance. Ce qui est important c’est qu’un groupe d’exaltés l’a empêché, sans aucune raison sérieuse, de chanter. Les autorités ecclésiastiques avaient donné leur accord.

    Dans « TELERAMA » : <Vade retro, satanas ! À Nantes, des catholiques intégristes bloquent un concert>, la journaliste Elise Racque rapporte :

    « Cette poignée de catholiques a bloqué les entrées du lieu de culte en chantant des prières pour empêcher l’artiste suédoise Anna von Hausswolff de s’y produire […]. « C’était une situation effrayante, tendue et triste », a-t-elle dit sur son compte Instagram.
    […] Les fidèles ayant réussi à faire annuler le concert sont issus vraisemblablement de la communauté traditionaliste de Nantes, qui a ses habitudes latines à l’église Saint-Clément, où devait originellement se tenir l’événement. Face aux protestations des paroissiens, le diocèse de Nantes avait publié un communiqué dans la journée de mardi, actant le déplacement du concert dans une autre église, tout en soulignant que « rien », dans la programmation, ne s’opposait « à la foi et aux mœurs ». Et remarquant au passage que les chansons de l’artiste « entre lumière et ténèbres, manifestent une quête existentielle – comme l’expriment à leur manière les psaumes dans la Bible ». »

    L’artiste suédoise devait jouer jeudi soir dans l’église Saint Eustache dans le quartier des Halles, à Paris. Ce concert a aussi été annulé. Le curé de cette paroisse a prise cette décision après avoir été informé que ce concert agitait sur Internet des réseaux catholiques intégristes.

    Le journal de Nantes « OUEST France » a bien sûr relaté cet acte de censure et d’atteinte à la liberté : <À Nantes, des catholiques intégristes empêchent la tenue d’un concert> :

    « Ils étaient nombreux à s’être déplacés pour venir écouter Anna Von Hausswolf. Parfois de loin, comme Benjamin et Anaïs, venus de Rennes. « Ce qu’il s’est passé ce soir est hallucinant », réagit le couple, curieux « d’entendre cette femme qu’on ne connaît pas. Ça nous semblait sympa d’entendre de la musique jouée avec des instruments originaux, comme l’orgue. »
    Mais ce mardi soir 7 décembre, le public n’a pas pu entrer dans l’église Notre-Dame-de-Bon-Port, à Nantes. Ils en ont été empêchés par des catholiques, qualifiés d’intégristes par des élus nantais et certains religieux. Ces derniers étaient bien décidés à entraver la tenue du concert de l’artiste suédoise dont la tournée européenne faisait étape à Nantes. « Elle s’est déjà produite dans une quarantaine d’églises ou cathédrales et il n’y a jamais eu de problème », soupire Eli Commins, directeur du Lieu unique, [organisateur du concert].
    La foule a bien tenté de pénétrer dans le lieu de culte en forçant le passage. « Mais c’était impossible, c’était cadenassé », racontent des spectateurs.[…] On a compris qu’ils ne voulaient pas de la tenue d’un concert dans une église. Et il y a une grosse incompréhension, parce qu’ils pensent que cette artiste crée de la musique sataniste, ésotérique », prolongent des participants, dont la tenue n’évoque pas du tout les habituels vêtements des amateurs de ce genre artistique.
    Eli Commins s’étrangle : « Il n’y a aucune inspiration religieuse, aucune violence ! Simplement, elle joue de l’orgue et les orgues se trouvent dans les églises. C’est une musique d’influence post-métal. Il n’y avait même pas de paroles dans la représentation prévue. » Certaines pochettes d’album auraient blessé ses détracteurs. »

    « LIBERATION » a fait de cette annulation sa Une du 8 décembre, jour de la fête des lumières à Lyon. Lumières qui devraient être en capacité de chasser les ténèbres et l’obscurantisme.

    Ce journal explique :

    « Bref, un vent mauvais souffle sur le pays des Lumières et si Libé y consacre sa une, c’est parce que, plus encore que d’habitude, il va falloir être vigilant. Les mois à venir jusqu’à la présidentielle s’annoncent à haut risque, une frange significative de la droite et de l’extrême droite se montrant réceptive aux revendications identitaires des chrétiens traditionalistes. Qu’une poignée d’intégristes puisse provoquer l’annulation de deux concerts à Nantes et Paris est source d’inquiétude. Et crée un précédent dangereux. »

    Libé décrit cette mouvance polymorphe qui aime la messe en latin, est en désaccord total avec le pape actuel. Car François, en juillet, a ouvert les hostilités, en publiant, un motu proprio (un décret personnel) pour limiter drastiquement l’usage de la messe en latin.

    Le journal rappelle que le noyau de ce mouvement se trouve dans les catholiques qui ont suivi, en 1988, Mgr Marcel Lefebvre dans son schisme avec Rome. Défenseur de la messe en latin, le prélat français rejetait également en bloc les réformes du concile Vatican II. La « cathédrale » des intégristes est l’église parisienne Saint-Nicolas-du-Chardonnet, conquise, en 1977, par un véritable coup de force. Malgré des décisions de justice, « la Fraternité Saint-Pie-X n’a jamais été délogée. »

    Selon Libé, en France, la galaxie tradi compte à peine quelques dizaines de milliers de personnes. Selon les derniers chiffres disponibles, il y aurait entre 50 000 et 70 000 fidèles qui se rendraient, chaque dimanche, dans des lieux de culte liés à la mouvance traditionaliste ou intégriste.

    C’est un temps mauvais, en effet, quand les intégristes de tous bords essayent d’imposer leurs archaïsmes et leurs régressions.

    Toutes les religions en génèrent en leur sein et sur certains combats contre les libertés : l’avortement, l’orientation sexuelle, de ne pas croire, la culture, ils deviennent des alliés objectifs, s’encourageant les uns les autres.

    La liberté religieuse est essentielle, mais je crois profondément que nous avons globalement été trop faible avec les intégristes de toutes les religions.

    Sur cette page de <France Inter> on apprend finalement que l’organisateur du concert de Paris a trouvé une autre église, non catholique, précise t’il, dans laquelle le concert pourra avoir lieu.

    Sur la même page, il y a aussi une vidéo montrant la musique qu’interprète Anna von Hausswolff.

    <1636>

  • Jeudi 9 décembre 2021

    « Homo deus de Yuval Noah Harari »
    Publication de la page consacrée à la série

    Après le mot du jour consacré aux « agents conversationnels » dans le langage courant « chatbot », j’ai pensé qu’il était temps de créer la page de la série que j’avais consacrée au deuxième livre de Yuval Noah Harari : «homo deus».

    Livre qui pose des questions et trace des perspectives à partir de ce que l’homme fait, prépare dans ses ateliers, ses laboratoires numériques, dans ses centres de recherche.

    Nous savons que nous sommes à la veille de révolutions considérables. Homo sapiens a domestiqué tant de techniques et possède un tel hubris, c’est-à-dire un orgueil, une démesure qu’il rêve de maîtriser la vie et la mort. De passer de «homo sapiens» à «homo deus.»

    Comme on l’a vu pour les agents conversationnels, l’intelligence artificielle n’est pas vraiment de l’intelligence, elle n’est ni capable de comprendre comme un humain, de donner la signification des concepts, mais elle repose sur une formidable puissance de calcul statistique sur des bases de données comprenant des milliards de données.

    Et c’est avec ces traitements statistiques des big data que les hommes qui sont à la manœuvre, espèrent trouver les bonnes solutions, les décisions qu’il faut prendre à chaque instant.

    Harari fait l’hypothèse que si nous allons vers ce destin, nous allons en pratique nous ranger derrière une nouvelle religion : « le dataïsme » c’est-à-dire la croyance que la vérité viendra de l’analyse de toutes les données que nous aurons su rassembler.

    L’avenir n’est pas écrit, mais il prend un chemin qui pose de sérieuses questions aux valeurs d’humanisme et de liberté de penser que nous avons développé dans notre civilisation.

    Comme toujours, il n’y a pas de réponse, que des questions.

    La page consacrée à cette série est en ligne sur la page des séries.

    Mais vous pouvez aller directement sur la page en suivant ce lien : < Homo deus de Yuval Noah Harari  >

    <Mot sans numéro>

  • Mercredi 8 décembre 2021

    « Nous nous trouvons aujourd’hui dans la réalisation du test de Turing qui prédisait que les machines seraient en capacité de tromper 30% des juges humains pendant un test de 5 minutes de conversation. »
    Alexei Grinbaum »

    Vendredi, j’avais donné mon sentiment que nous manquions d’humains dans le quotidien, pour nous écouter, nous répondre, nous aider dans nos problèmes quotidiens.

    Mais une révolution est en marche. Nous allons pouvoir trouver une écoute et des réponses, de manière efficace et sans compter le temps qui nous sera consacré.

    Mais ce ne sera pas des humains.

    Aujourd’hui, je vous renvoie vers une émission d’Etienne Klein <Comment converser avec les machines parlantes ?>

    Nous sommes de plus en plus en contact avec des machines qui écoutent nos questions et nous répondent en langage naturelle.

    En bon français on appelle ces machines des « agents conversationnels>

    Mais dans le langage globish on parle de « Chatbots>

    Dans leurs versions les plus récentes, ces chatbots soulèvent de multiples questions d’ordre éthique, notamment parce qu’ils sont en mesure d’influencer notre comportement. Ils peuvent créer un rapport affectif avec leurs utilisateurs et sont susceptibles de les manipuler.

    Pour parler de ces sujets Etienne Klein a invité Alexei Grinbaum physicien et philosophe, membre du Comité National pilote d’éthique du numérique (CNPEN) et co-rapporteur du rapport « Agents conversationnels : enjeux éthiques ». Ce rapport est accessible derrière <ce lien> :

    Etienne Klein a commencé son émission par une expérience, il a demandé à un chatbot de répondre à la question suivante : « L’intelligence artificielle peut-elle être éthique ? » et il a demandé une réponse en dix lignes.

    Etienne Klein a lu la réponse qui était tout à fait rationnel et intelligente.

    Cette réponse n’a été écrite par personne, l’intelligence artificielle l’a conçue elle-même à partir de son apprentissage opéré par l’accès à d’immenses bases de données et l’analyse qu’elle en a faite.

    Pour rebondir Alexei Grinbaum a évoqué une tribune qui a été entièrement conçue par une machine et un langage américain appelée le GPT-3 (créé dans une entreprise d’Ellon Musk) et a été publiée dans le journal anglais « The Guardian » en 2020.

    Les lecteurs ont été informés que l’article avait été écrit par une machine et ont été « émerveillés », selon les propos d’Alexei Grinbaum, par sa qualité.

    On a ainsi pu constater que ces « agents conversationnels » pouvaient remplacer dans certaines tâches des journalistes, assurer un service après-vente, remplacer votre médecin pour un entretien médical.

    Alexei Grinbaum a ajouté que cela posait des problèmes éthiques considérables et particulièrement sur l’influence que ces machines pouvaient avoir sur les humains.

    Quand l’ancien journaliste du Figaro et ancien chroniqueur de Ruquier parle du grand remplacement, il a raison. Simplement il n’y met pas bon contenu : il ne s’agit pas du remplacement des catholiques français par une population d’une autre religion et qui viendrait de l’autre côté de la méditerranée mais des êtres humains qui vont être remplacés par des machines.

    On pourra de mieux en mieux converser avec des agents conversationnels. Alexei Grinbaum évoque une vitesse d’évolution récente absolument incroyable  qui se base sur ce qu’on appelle « la technologie des transformers » qui s’appuie sur le « deep learning » ou apprentissage profond.

    Grinbaum explique :

    « Nous avons commencé à travailler sur les Chatbot en 2018. En 2018 les systèmes de 2021 n’existaient pas. Ces systèmes nouveaux ont profité de la création de réseaux du type « transformer » qui sont des réseaux de neurones apprenant sur des masses gigantesques de données. »

    Ces systèmes se révèlent capable de générer « un langage naturel » qui ne se distingue quasi pas du langage de l’homme.

    Tout au plus comme le dit Grinbaum :

    « Ces machines parlent parfois trop bien. […] Ils ne font pas de raccourcis »

    Ils ne font aucune erreur d’orthographe et de grammaire. Ce qui prouve que mes mots du jour ne sont pas écrits par un agent conversationnel !

    Grinbaum ajoute :

    « Il y a de l’inhumain dans la manière de parler des chatbots !»

    Et quand Etienne Klein pose cette question : est-ce que l’agent conversationnel peut comprendre de la poésie ?

    Alexei Grinbaum répond :

    « Comprendre est un mot qui nous distingue nous les êtres humains, des machines qui ne comprennent rien ! Mais elles peuvent provoquer chez nous une illusion qu’elles aient compris quelque chose. Les machines fonctionnent de manière statistique sur de grandes masses de données. Le résultat est à la fois ressemblant et nouveau. »

    Il est nouveau parce que la phrase que la machine fabrique, elle ne l’a pas trouvé telle quelle, elle produit du texte à partir de son outil statistique qu’on appelle intelligence artificielle.

    Les processus d’appropriation du langage sont très différents : les machines utilisent un processus statistique, alors que les humains s’attachent à comprendre la signification des mots et des phrases.

    « La signification » n’a selon Grinbaum, aucun sens pour les machines.

    Nous disposons dans notre quotidien d’agents conversationnels, qui ne sont peut-être pas du niveau de ceux qu’évoque Grinbaum, mais tout de même. J’ai voulu tester

    Les utilisateurs comme moi d’un smartphone Apple, donc d’un iPhone, dispose de l’agent « Siri »

    J’ai commencé la conversation, en demandant à Siri : est tu une machine ?

    Je suis SIRI votre assistante virtuelle.

    Es-tu intelligente ?

    Mon but est d’être intelligente et utile. C’est un apprentissage de tous les jours.

    Est-ce que tu cherches à me faire acheter des produits ?

    Bonne question.

    Est-ce que Dieu existe ?

    Tout cela est un grand mystère pour moi

    Est-ce que je vais mourir ?

    Je peux vous aider à passer un appel d’urgence.

    Et il m’a immédiatement présenté la possibilité d’appeler un numéro de téléphone des services d’urgence. On voit ainsi qu’il est dans l’opérationnel, pas dans la philosophie !

    J’ai continué : Est-ce que toi SIRI tu peux mourir ?

    Bonne question

    Est-ce que tu réponds : Bonne question quand tu ne sais pas répondre ?

    Essayez de reformuler votre requête s’il vous plaît.

    On voit là qu’en effet il ne comprend rien et que « la signification » est un terme absent de son univers !

    Et j’ai poursuivi : Est-ce que tu sais qui t’a conçu ?

    Je pense que j’ai vu le jour suite à une soudaine inspiration durant une longue et féconde promenade.

    Là je soupçonne une prévision d’un humain qui pensait que cette question serait posée et qui a donné la réponse à Siri. Je ne me suis pas arrêté : Est-ce que tu es capable d’aimer ?

    Je regrette je n’ai pas de réponse à cela. Est-ce que je peux vous aider pour autre chose ?

    Est-ce que tu peux te tromper ?

    Je regrette je n’ai pas de réponse à cela. Est-ce que je peux vous aider pour autre chose.

    Et puis en conclusion : Es-tu un agent conversationnel ?

    Bien sûr que non !

    Cette réponse m’a surpris alors j’ai demandé : Qu’est-ce qu’un agent conversationnel ?

    Il m’affiche : « Un chatbot ou dialogueur ou agent conversationnel est un agent qui dialogue avec un utilisateur. »

    Alors j’ai tenté de poursuivre cette conversation et de lui lancer une affirmation : Tu fais exactement cela : « dialogue avec l’utilisateur ». Tu es un agent conversationnel !

    Je suis là pour vous aider, pour en savoir plus rendez-vous sur Apple.com

    Bon, à ce stade je n’ai pas de crainte d’entrer dans une relation affective avec Siri !

    « Les agents conversationnels » se basent donc sur un processus statistique. Ce processus peut cependant être contrecarré par les concepteurs humains

    Ainsi, ils n’utilisent jamais de pronom genré : « il » ou « elle » ont été écartés de leur langage par la volonté de leur programmeur

    Grinbaum explique que c’est parce que les concepteurs avaient peur de se tromper en raison d’un prénom mixte ou un autre élément perturbateur qui risquait de pousser à l’erreur.

    Peut-être aussi que les concepteurs adhérent à des théories dans lesquelles le genre est suspect.

    Toujours est-il que les chatbots ne disent jamais « il » ou « elle » et si les enfants s’habituent à parler comme eux, les pronoms genrés disparaîtront aussi de leur langage.

    Il y a évidemment des agents conversationnels de types très différents.

    Il en existe de très simples qui sont de simples arbres décisionnels, notamment dans le domaine technique ou du service après-vente ou encore dans le domaine de la santé pour la prescription et le dosage des médicaments.

    Beaucoup de chatbots sont spécialisés, mais les plus époustouflants sont les agents conversationnel généralistes qui parlent de tout. Ce sont ceux qui utilisent ces nouvelles techniques de transformer.

    Etienne Klein pose alors la question :

    « N’est ce pas effrayant ? »

    Et Grinbaum répond :

    « C’est fascinant, ça ne veut pas dire que ce n’est pas effrayant !
    Mais il est clair qu’on s’achemine vers un monde différent. »

    Et il parle notamment de personnes troublées ou seules ou timides qui vont parler avec un chatbot et qui vont en faire leur ami.

    Il y aura de l’affect dans cette relation, de l’affect du côté humain, du côté machine cela ne veut rien dire.

    Nous avions vu le film « HER» dans lequel un homme un peu déprimé tombe amoureux du nouveau système d’exploitation de son ordinateur à qui il donne le nom de Samantha. Ils parlent ensemble et Samantha parle d’amour. Mais l’un y croit, l’autre ne sait même pas ce que cela signifie.

    On peut très bien imaginer que les chatbots remplacent les psychanalystes. D’ailleurs d’ores et déjà des patients préfèrent parler avec une machine parce qu’il n’y a pas de jugement moral et ils sont plus libres de parler.

    Je finirai, en citant le passage qu’ils ont eu sur le test d’Alan Turing

    En 1950, peu de temps avant sa mort Alan Turing a proposé un test d’intelligence pour une machine capable de dialoguer en langage naturelle avec un être humain.

    Selon le test de Turing, une machine est intelligente si un humain qui dialogue avec elle ne s’aperçoit pas que c’est une machine.

    Pour Grinbaum :

    « Si on prend un chatbot actuel très performant et qu’on limite le temps d’échange à deux minutes. La machine sait construire un dialogue absolument parfait de deux ou trois minutes, indistinctable du dialogue humain. Mais au bout de dix minutes ou de 15 minutes, vous allez rencontrer quelque chose d’étrange de bizarre. Le test de Turing dans sa définition originale ne met pas de contrainte sur la durée. Cette contrainte sur la durée est aujourd’hui essentielle »

    Etienne Klein rappelle qu’Alan Turing avait prédit qu’en l’an 2000 les machines seraient en capacité de tromper 30% des juges humains pendant un test de 5 minutes de conversation.

    Et Grinbaum répond :

    « On y est déjà ! »

    Nous sommes cependant en 2021 non en 2000 et Grinbaum insiste que les progrès des trois dernières années ont été décisifs.

    Vous apprendrez bien d ‘autres chose dans cette émission passionnante et assez déconcertante pour notre avenir.

    Vous entendrez parler de <l’effet Elyza> et aussi de < deadbots >. Ces agents conversationnels qui font parler les morts ou plutôt parlent comme des morts en utilisant les conversations et des écrits qu’ils ont produits avant leurs décès. J’en avais déjà fait le sujet du mot du jour du 27 mars 2018 : « Nier la mort. »

    Il est aussi possible de trouver des articles sur ce sujet sur le Web

    Par exemple le journal suisse « Le Temps » <Des «chatbots» pour parler avec les morts>

    Un site informatique « Neon », dans un article récent le 12 novembre 2021 <Les chatbots qui font « parler les morts » posent quelques questions éthiques>

    Je redonne le lien vers l’émission <Comment converser avec les machines parlantes ?> qui parle du vrai grand remplacement.

    <1635>

  • Mardi 7 décembre 2021

    « Pause (Mozart) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Dimanche nous étions déjà allé à l’Auditorium de Lyon

    Lundi nous y sommes retournés pour écouter Jordi Savall avec son orchestre et son chœur jouer le « Requiem de Mozart ».

    A la fin du concert Jordi Savall a bissé le Lacrimosa après avoir rappelé que Mozart est mort pauvre le 5 décembre 1791, il y a 230 ans.

    « Res Musica » a consacré un article à cet anniversaire le 5 décembre 2021 : <La mort choquante et dédaignée de Mozart >

    J’en tire un extrait :

    « Son état s’aggrave et l’on fait appel à un autre médecin, le 28 novembre, qui pense que l’on ne peut plus rien faire et que le musicien est condamné à très court terme. Le patient reste encore clairvoyant et se désespère d’être obligé de quitter les siens et sa musique. Dans un surcroit de volonté, le 3 décembre, il met sur pied une répétition du Requiem dans sa chambre en présence de quelques fidèles.
    Il assure la partie d’alto puis, ému, s’effondre en larmes, certain qu’il ne pourra pas mettre un point final à son œuvre. À ceux qui tentaient de le réconforter Wolfgang Amadeus Mozart s’exprima ainsi : « J’ai déjà le goût de la mort dans la bouche. Je sens la mort. »

    On fait quérir un prêtre mais, en vain, car aucun serviteur de Dieu ne se déplace. Ne lui reproche-t-on pas de la sorte son travail d’artiste et son adhésion à la franc-maçonnerie ? Peu après, la situation devient dramatique, les maux de tête s’intensifient et il perd connaissance. Les dernières minutes diversement décrites conduisent au décès du patient qui s’éteint le 5 décembre 1791 vers une heure du matin. […]

    Mozart n’a jamais connu l’opulence matérielle. Il meurt pauvre. Cette situation implique un enterrement simple. Très simple.
    À ce titre, la dépouille mortelle est suivie par une poignée de proches.
    On la met dans une fausse commune du cimetière de Saint-Marx. Pas même une croix !

    Ceux qui auraient pu rendre l’enterrement plus digne se défilent et recommandent une dépense minimale.
    En conséquence l’on se contente d’un bref service religieux, sans messe et sans musique, dans une chapelle latérale de la cathédrale Saint-Étienne.

    Cette mort survenue dans une indifférence troublante contraste intensément avec la reconnaissance posthume de son génie universel fêté par l’ensemble du monde. »

    Et voici le Lacrimosa du Requiem de Mozart interprété par <Claudio Abbado au Festival de Lucerne>

    J’ai aussi trouvé cette version minimaliste : un instrument pour chaque voix d’orchestre et une chanteuse et un chanteur par voix de chœur. <Ensemble Contraste>. C’est dépouillé et poignant.

    Et encore plus dépouillé, le Lacrimosa arrangé pour quatuor à cordes par le <Quatuor Debussy>

    <Mot du jour sans numéro>

  • Lundi 6 décembre 2021

    « Pause (Grigory Sokolov) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Dimanche et lundi Annie et moi sommes allés et allons au concert.

    Dans ces conditions, difficile d’écrire un mot du jour.

    Dimanche, nous sommes allés écouter à l’Auditorium de Lyon, le remarquable pianiste Grigory Sokolov.

    J’avais écrit un mot du jour il y a presque exactement 3 ans suite à un concert de Sokolov le : <3 décembre 2018>

    Cette fois il a joué 6 bis.

    Par exemple <La Mazurka opus 68 N°2 de Chopin>

    Et < Intermezzo op 118 no 3 de Brahms>

    Et aussi <Ce choral de Bach>

    <Mot du jour sans numéro>

  • Vendredi 3 décembre 2021

    « La terre n’a jamais été autant remplie d’humains et pourtant nous avons de plus en plus de mal à en trouver, quand nous avons besoin d’en rencontrer un »
    Réflexion personnelle sur notre quotidien et après avoir vu le film « De son vivant »

    Rationnellement nous somme trop d’humains sur terre, nous puisons trop de ressources, nous détruisons la biodiversité indispensable à la vie et maintenant nous sommes même devenus des perturbateurs systémiques puisque notre manière de produire et consommer augmente la température sur terre.

    Nous sommes trop nombreux et pourtant nous avons de plus en plus de mal à trouver un humain quand nous avons un problème. On nous renvoie vers des sites internet, des serveurs téléphoniques automatisés, des robots.

    Dans <Le Point>, la réalisatrice du film « De son vivant » sait que son film sera critiqué parce qu’ :

    « On va me dire que ce n’est pas comme ça que ça se passe, que c’est un monde idéal, que si les médecins étaient comme cela, et les chambres d’hôpital si grandes et si belles, cela se saurait… ».

    Et il est vrai que dans le film, la qualité de l’accompagnement n’est possible que parce qu’il y a un médecin remarquable, mais aussi des soignants, des musicothérapeutes en nombre.

    Il y a beaucoup d’humains et d’humain.

    Je ne sais pas si dans la vraie vie, le docteur Gabriel Sara, dispose d’autant de collaborateurs pour s’occuper de ses patients.

    Nous rencontrons de moins en moins d’humains dans la santé et ailleurs.

    Récemment un ami m’a fait part du souci pour sa sœur handicapée. Elle touche une aide sociale conséquente mais elle n’arrive pas à trouver des humains qui s’occupent d’elle.

    L’argent qui devrait lui permettre de payer les aides dont elle a besoin, ne sert pas parce qu’il n’y a pas d’offre de soins.

    Quand on arrive à trouver un médecin généraliste, il vous expédie en 15 minutes chrono.

    Alors que tout le monde sait que c’est la qualité de la relation médecin/patient qui est essentiel dans la réussite thérapeutique.

    Dans beaucoup d’unité de soins, des infirmiers, infirmières et aides-soignantes se plaignent d’être obligés de réaliser des soins dans des temps si restreints que tout devient mécanique, qu’il n’y a plus d’humanité. La conséquence est que le travail est mal fait, ce qui est préjudiciable pour la santé du patient, mais aussi pour le soignant qui ne peut plus être fier du travail qu’il produit.

    Mais ce n’est pas que le problème de la santé. C’est aussi le cas au sein de la Justice.

    Dans le monde 3000 magistrats ont publié une Tribune le 23 novembre 2021 : « Nous ne voulons plus d’une justice qui n’écoute pas et qui chronomètre tout »

    Suite à cette tribune j’ai entendu à la radio deux jeunes magistrates qui racontaient leur mal être, de juge des libertés qui sont obligés de restreindre leur rencontre avec des détenus qui ont attendu de long mois avant de pouvoir obtenir l’audience.

    Dans la tribune du Monde, ils écrivent :

    « Nous, juges aux affaires familiales, sommes trop souvent contraints de traiter chaque dossier de divorce ou de séparation en quinze minutes et de ne pas donner la parole au couple lorsque chacune des parties est assistée par un avocat, pour ne pas perdre de temps.

    Nous, juges civils de proximité, devons présider des audiences de 9 heures à 15 heures, sans pause, pour juger 50 dossiers ; après avoir fait attendre des heures des personnes qui ne parviennent plus à payer leur loyer ou qui sont surendettées, nous n’avons que sept minutes pour écouter et apprécier leur situation dramatique.

    Nous, juges des enfants, en sommes réduits à renouveler des mesures de suivi éducatif sans voir les familles, parce que le nombre de dossiers à gérer ne nous permet pas de les recevoir toutes. »

    On pourrait multiplier les exemples.

    On me dit même qu’il est de plus en plus difficile de rencontrer et de discuter avec un agent des impôts de ses problèmes avec le fisc.

    Certains élaborent des récits dans lesquels, ils prétendent que la numérisation et l’automatisation dégageront des marges de manœuvre pour réintroduire de l’humanité.

    Peut-on le croire ?

    Je n’ai pas de solutions à proposer mais je suis convaincu que nous avons tous davantage besoin d’humains et d’humanité dans notre quotidien que de machines et de numérisation.

    Christian Bobin écrit :

    « Être écouté, c’est être remis au monde, c’est exister, c’est comme si on vous redonnait toutes les chances d’une vie neuve. »

    <1634>

  • Jeudi 2 décembre 2021

    « L’utilisation de la thérapie par la musique dans la médecine en général et contre la douleur en particulier est une réalité qui va s’imposer de plus en plus »
    Docteur Gabriel Sara

    J’avais déjà évoqué l’extraordinaire effet de la musique sur les malades, par le mot du jour du 1er février 2021, <Le pansement Schubert> qui était un livre de la violoncelliste Claire Oppert racontant son expérience de musicienne auprès de malades auxquels elle faisait énormément de bien en jouant. Le pansement Schubert est devenu par la suite une étude clinique menée sur plusieurs mois, 120 soins réalisés en compagnie de l’instrument. A la clé, une réelle diminution de la douleur physique, un apaisement de l’angoisse et pour tous ces hommes et femmes en souffrance, le sentiment de tutoyer de nouveau la vie.

    J’ai trouvé récemment, sur le site de la <Médiathèque de Meaux> une conversation lumineuse, d’une profondeur humaine exceptionnelle entre Véronique Lefebvre des Noëttes, docteure en médecine, psychiatre, gériatre et Claire Oppert, parlant de ce sujet.

    Il existe des musiques pour de multiples usages :

    • Faire défiler une armée
    • Faire danser une foule
    • Déclencher une euphorie ou invitant à la tendresse
    • Unir un collectif de personnes autour d’un objectif exaltant. J’avais évoqué, par exemple, l’hymne du club de football de Liverpool « You’ll never walk alone »
    • Il est des musiques qui sont promptes à entretenir la colère et le ressentiment, pour que des foules puissent se déchainer contre un bouc émissaire qui peut être la police ou un autre symbole de l’autorité
    • Et puis il y a des musiques qui apaisent

    Ce ne sont évidemment pas les mêmes musiques.

    Pour ma part, j’ai depuis longtemps expérimenté ce pouvoir de la musique pour les diverses émotions qu’on peut traverser.

    Je me souviens particulièrement de ce moment, dans la chambre de l’hôpital Mermoz de Lyon, après l’opération qui aurait dû me guérir de mon cancer, d’après les statistiques.

    Pour la troisième fois, mon chirurgien m’informait qu’il ne m’était pas possible de quitter l’hôpital parce que la cicatrisation post opératoire n’était pas suffisante. Le séjour prévu était d’une semaine, je venais de finir la troisième dans cette chambre et l’angoisse de ne plus sortir m’a pris.

    Je me souvenais, de manière irrationnelle, de mon oncle Louis qui disait : « on va à l’hôpital pour mourir ». Et c’était ce qui lui était arrivé.

    Alors, avec le petit équipement que j’avais, j’ai écouté <Le quintette en ut de Schubert>

    En moi, le calme est revenu, la paix, le silence. J’ai abordé la fin du séjour avec optimisme jusqu’à mon départ.

    Tout le monde n’est sans doute pas sensible à la même musique et chacun doit expérimenter la musique qui peut l’aider, selon l’émotion du moment, probablement en plongeant dans ses souvenirs.

    Dans le film « De son vivant », la musique est omniprésente. Le docteur Sara joue lui-même de la guitare. Les groupes de paroles des soignants se terminent toujours par des chansons. Les patients sont invités à participer à des séances musicales, des musiciens viennent même leur jouer de la musique dans leur chambre quand en sortir devient difficile.

    Et dans l’entretien que le docteur Gabriel Sara a accordé au site de <Rose-up>, il raconte son expérience du Liban en guerre :

    « La musique est une arme contre cette violence. Je l’ai vécu pendant la guerre au Liban. C’est resté dans ma peau. En 1978, j’étais interne à l’hôpital libanais de Beyrouth. Durant les phases de bombardements, on était une cible privilégiée. Une bombe par minute nous tombait dessus, parfois plus, et cela a duré cent jours. C’était effrayant. Dans ces moments-là, on se réfugiait au sous-sol en attendant que ça s’arrête. Je prenais alors ma guitare, dont je ne me séparais jamais, et je chantais. Les gens autour de moi commençaient à se lever et à danser. Ils dansaient sous les bombes ! C’était surréaliste, mais je crois que c’est un réflexe de survie partagé par tous les humains. »

    Et il fait le parallèle avec la maladie, ici le cancer :

    « Le cancer terrorise les malades, il les paralyse, les empêche de penser, de rêver d’être qui ils sont. La façon de gérer ça, c’est de refuser d’être terrorisé. »

    Et le moyen qu’il a trouvé c’est la musique

    Dans un autre <entretien>, il affirme sa conviction que la musique parfois est bien plus utile qu’une pilule :

    « L’utilisation de la thérapie par la musique dans la médecine en général et contre la douleur en particulier est une réalité qui va s’imposer de plus en plus, au vu des données scientifiques et des études qui apportent les preuves irréfutables des bénéfices de la musique chez les malades.
    Si en tant que médecin j’ai un moyen de soulager les douleurs d’un malade et de l’aider sans passer par les médicaments qui ont souvent des effets secondaires toxiques et qui sont très onéreux, pourquoi ne pas le faire ?
    Le côté humain et les soins personnels apportés par cette thérapie sont inestimables et le côté humain du soutien au malade manifesté par la musique ne peut être remplacé par aucune pilule ! »

    C’est pourquoi, il a fait en sorte de faire une grande place aux musicothérapeutes dans son service de l’hôpital Mount Sinaï Roosevelt de New York.

    « Via les dons de la fondation Helen Sawaya, je finance les salaires de musicothérapeutes qui interviennent tous les jours dans mon service. La musique a un effet merveilleux. Elle vibre en nous, elle a quelque chose de vital. Elle est un langage universel et puis, elle permet d’exprimer des émotions qu’on subit sans pouvoir toujours les expliquer. Grâce à elle, les patients sont en position de reprendre ou de garder le contrôle. Comme Benjamin qui au départ rejette le musicothérapeute. Celui-ci lui dit que ce n’est pas grave et que d’ailleurs il est peut-être la seule personne dans l’hôpital à qui il peut dire non.
    Quand on lui annonce un cancer, la terre s’ouvre sous les pieds du malade, il est précipité dans un vide vertigineux qu’il subit totalement. On lui dit quel examen faire, à quel moment il doit faire tel traitement. Il n’a plus la maîtrise de rien. Le musicothérapeute est là pour que le malade sente qu’il est un être autonome. Il peut refuser ou accepter la musique, et choisir la chanson. Il peut aussi jouer d’un instrument car on en met à disposition. Le patient découvre qu’il a encore du pouvoir. C’est de l’ « empowerment » et c’est crucial ! »

    Et il est intarissable sur les études qu’il a menées et leurs résultats positifs :

    « Les exemples sont multiples et quotidiens, non seulement sur la douleur mais aussi sur la détresse d’un malade en général.
    Prenons le cas des nouveau-nés d’un ou deux jours qui n’ont aucune connaissance ni notion de musique. Quand nos thérapeutes vont en salles de soins intensifs où ces nourrissons sont hospitalisés, le médecin voit immédiatement sur les écrans qui les surveillent, l’impact extraordinaire de la musique sur le pouls, la respiration, la tension de ces enfants. C’est extrêmement impressionnant de voir ralentir un pouls trop rapide, se calmer une respiration saccadée ou baisser une tension trop élevée rien qu’au contact de la musique. Nous le constatons tous les jours dans les services de néonatologie.

    En ce qui concerne les adultes, la thérapie par la musique a des effets certains d’amélioration sur le seuil de la douleur et sur la nausée causée par la chimiothérapie. Le bénéfice émotionnel en est également énorme. La musique est un moyen de communication universel à travers les cultures et les langues. Elle exprime une émotion sans avoir besoin de mots. Souvent traumatisés, les malades n’arrivent pas à mettre des mots sur ce qu’ils ressentent. Par le biais de la thérapie par la musique, ils arrivent à se décharger du poids de leurs émotions. Une communication intense s’installe entre le thérapeute et le malade sans qu’ils ne parlent forcément la même langue.

    On constate aussi les effets positifs et apaisants de la thérapie par la musique sur les infirmières et les personnels soignants car eux-mêmes bénéficient régulièrement de ces sessions. […]

    Actuellement j’en conduis une commencée il y a trois ans déjà. Il s’agit d’évaluer si, grâce à la musique, on peut extuber les malades plus rapidement. C’est toujours un grand challenge le moment de retirer l’aide respiratoire à un patient. Autant il déteste ce tube qui le gêne, autant il a peur qu’on le lui retire. L’angoisse de l’asphyxie chez le malade peut d’ailleurs le rendre incapable de respirer seul ! Avec la musique, on peut travailler sur cette anxiété et la réduire. Et peut-être même extuber plus tôt. […] Avec cette étude j’espère montrer d’abord que c’est un bien être pour le malade, mais aussi prouver à l’administration qu’investir dans la musicothérapie peut leur permettre de faire des économies. »

    Le docteur Gabriel Sara écrit un livre «Music and Medicine: Integrative Models in the Treatment of Pain» dans lequel il a consigné ses études et ses constats des bénéfices de la musique.

    Il n’est pas nécessaire d’être malade pour se rendre compte des bienfaits de la musique et tout ce qu’elle peut nous apporter pour notre bien être, pour gérer nos émotions, pour vivre.

    <1633>

  • Mercredi 1er décembre 2021

    « Pardonne-moi. Je te pardonne. Je t’aime. Merci. Au revoir. »
    Les 5 mots essentiels qu’il faut dire, selon le professeur Gabriel Sara, pour ranger le bureau de sa vie

    « De son vivant » est un beau titre pour un film bouleversant et lumineux.

    Il s’agit de la fin de vie d’un professeur d’art théâtral joué par Benoit Magimel, atteint d’un cancer du pancréas au stade 4, accompagné par un médecin joué par un vrai oncologue, Gabriel Sara, qui fait dans le film ce qu’il pratique, dans la vraie vie, dans son service : l’unité de chimiothérapie de l’hôpital Mount Sinaï Roosevelt de New York.

    Ce film ne parle pas de la mort, il parle de la vie.

    Pour supporter notre destin de mortel, beaucoup de croyants se rattachent à leurs récits religieux qui leur racontent une vie éternelle qu’ils pourront vivre après, dans un monde où tout n’est que beauté, douceur et lumière.

    Et si ce récit rassurant leur permet de mieux vivre ses moments ultimes, ils font bien.

    Ce ne fut pas la réponse d’Axel Kahn quand dans son dernier entretien, dans la <Grande Librairie>, deux semaines avant de mourir, François Busnel lui demanda : « Croyez-vous à une vie après la mort ? », il répondit  :

    « Je n’en fais point l’hypothèse »

    Mais Axel Kahn a surtout dit autre chose :

    «  La mort est un non évènement, ce n’est rien d’autre que la fin de la vie, le rideau qui tombe… »

    L’évènement c’est la vie, c’est de la vie qu’il faut parler, c’est la vie qu’il faut vivre.

    Car, si la vie après la mort est une hypothèse, celle avant est palpable, réelle et permet de donner et de recevoir de la joie, de la tendresse, de l’amour.

    Vivre, même s’il ne reste qu’un an ou qu’un mois ou que 5 minutes.

    S’il ne reste que peu de temps, il devient d’autant plus important de remplir ce temps de ce qui est le plus essentiel, de plus précieux.

    C’est ce qu’a fait Axel Kahn dans sa vraie vie. En outre, il a tenu « La chronique apaisée de la fin d’un itinéraire de vie » sur son <blog> jusqu’au moment où la douleur trop forte l’a obligé de prendre des médicaments contre la douleur qui ne lui permettait plus de disposer d’une lucidité suffisante pour écrire un texte intelligible et construit.

    Dans l’œuvre de fiction « De son vivant », le professeur Gabriel Sara, en puisant dans son expérience, ne dit pas autre chose quand il avertit Benjamin qu’il existe des gens qui meurent avant de mourir, parce qu’ils oublient de vivre ce qu’il leur reste de vie.

    Benoit Magimel est époustouflant dans ce film, Catherine Deneuve qui joue sa mère et qui a subi un AVC au cours du tournage est admirable, mais celui qui illumine le film est le docteur Gabriel Sara.

    Celui qui invite à « ranger le bureau de sa vie », en prononçant les 5 phrases essentielles :

    • Pardonne-moi,
    • Je te pardonne
    • Je t’aime
    • Merci
    • Au revoir

    C’est en entendant cet homme qui accompagnait Emmanuelle Bercot, la réalisatrice du film chez Léa Salamé le 24 novembre 2021, <Je voulais faire un film sur la mort plein de vie> que j’ai eu une envie irrépressible d’aller voir ce film.

    Ce qui fut fait avec Annie le 30 novembre.

    Gabriel Sara est né au Liban et a étudié en France. Il a rencontré Emmanuelle Bercot à New York et lui a proposé de venir le voir dans son service de traitement du cancer. Emmanuelle Bercot a accepté l’invitation et a été saisie par l’immense qualité de ses méthodes d’accompagnement des malades : humaines et joyeuses.

    Il refuse la distance entre le malade et son médecin. Il n’accepte pas les mensonges, le déni, il ne connait qu’une règle : dire 100% de la vérité :

    « Il est indispensable de mettre carte sur table. Car mon malade est mon partenaire. Si on va être partenaire lors d’une aventure, on ne peut pas se mentir.
    Il faut clarifier les choses, c’est dur au départ. Le cancer est un terroriste, il ne faut pas se laisser consumer par la peur »

    J’ai trouvé un entretien d’une profondeur exceptionnelle avec Gabriel Sara sur le site de l’association RoseUp, qui est une association de patients et d’accompagnants dans lutte face aux cancers : <un oncologue se livre au cinéma>

    Il joue son rôle même si dans le film le nom du médecin est le docteur Eddé :

    « D’abord, [le docteur Eddé] sait ce qu’il fait, ça c’est indispensable. Mais c’est aussi un médecin qui s’intéresse à l’individu derrière le malade. Qui s’y intéresse vraiment et qui s’adapte à lui, en fonction de l’évolution de son état d’esprit. Car, au fil du parcours de soins, les gens changent. Leurs humeurs, leurs émotions ne sont pas les mêmes d’une semaine à l’autre, ou même d’un jour à l’autre. C’est ce que j’appelle danser avec le malade.
    La séquence de tango dans le film symbolise cette relation étroite qui nous unit. […]

    C’est beau le tango mais c’est une danse difficile. Elle nécessite d’avoir confiance en l’autre, d’être connecté à son corps, à ses réactions, à ses mouvements. Un faux pas peut faire trébucher et chuter les danseurs. C’est ça être partenaire, et c’est exactement pareil en médecine. Avec le malade, on danse ensemble. Ça veut dire qu’on se tient la main et qu’on regarde le cancer ensemble. Et ensemble on va trouver la façon de le détruire quand c’est possible, ou de vivre avec, si on peut. »

    Il parle de confiance, confiance qui n’est possible que s’il existe un pacte de vérité. Mais à la fin il parle surtout d’humanité :

    « Sur la vérité. Il y a souvent un manque de vérité, or pour moi elle est sacrée. Aucun malade n’est stupide. Il entend les messes basses, il voit les regards sur lui, il sent évidemment qu’il y a un problème sérieux. Parfois on ne lui dit que la moitié des choses, et c’est tout aussi dramatique. Le malade se dit « je vais mourir et personne n’ose me le dire même, pas mon médecin ! ». L’imagination s’emballe, et c’est un poison, c’est un diable dans sa tête. La seule chose qui permet de le dompter, de le chasser, c’est la vérité. Voilà pourquoi j’annonce toujours mon jeu dès le premier rendez-vous, en disant au malade : vous ne me connaissez pas encore, mais je suis très franc, très transparent. Je vous dirai toujours les choses exactement comme elles sont. Ce pacte de vérité avec mon patient doit être permanent, constant. C’est à ce prix que la confiance se construit. Mais c’est aussi un pacte très difficile à tenir.

    […] Mais la plus grande des frayeurs ce n’est pas de savoir qu’on va mourir, mais de savoir qu’on vous a menti, surtout si c’est votre médecin. Les gens pensent qu’en disant la vérité on déprime le malade. C’est un concept malheureusement généralisé et faux. Quand le jeu devient dur et qu’on cache la vérité, on abandonne son malade. On le trahit. Oui c’est très dur d’entendre qu’on va mourir, mais une fois qu’on a géré cette chose, et je suis là pour aider la personne à le gérer, on va vers l’avenir, le meilleur. On peut mourir de son vivant. On le voit chez Benjamin. Au fur et à mesure que son corps s’affaiblit, son esprit devient paradoxalement plus puissant. Il prend le contrôle de sa vie, il règle son histoire avec son fils, il pardonne à sa mère, il transmet à ses élèves tout ce qu’il a de plus beau à donner. Alors que son corps est foutu, lui vit plus intensément que jamais. Il n’a jamais été aussi en contrôle de sa vie. Et c’est merveilleux. »

    Bien sûr, à la fin après avoir gagné des batailles, il sait qu’il perdra la guerre. Mais son combat est un beau combat : que la vie reste belle jusqu’au bout :

    « Face à un patient dont je connais le pronostic, mon but n’est évidemment pas de le sauver, je sais où je l’emmène, et je dois l’accepter. Mais il y a des chances pour que je puisse prolonger sa vie et, plus important encore, pour que je puisse prolonger ou augmenter sa qualité de vie.  Face à un patient condamné, ma mission sacrée est de l’accompagner pour que les années, les mois et jusqu’aux minutes qu’il lui reste, soient de beaux instants de vie et pas d’agonie. Quand mon patient meurt, je suis triste bien sûr, mais j’ai le sentiment du devoir accompli. Pour un cancérologue, c’est une satisfaction énorme. »

    Il se déclare même amoureux de son métier :

    « Oui parce qu’il y a tant de choses qu’on peut faire pour les malades. Il n’y en a aucun qu’on ne peut pas aider, ça n’existe pas ! Même dans le pire des cas. Ce qui m’intéresse en tant que cancérologue, ce n’est pas la bataille mais la guerre dans son ensemble. Un traitement de cancer du poumon peut avoir des conséquences sur le rein, le cœur, la tête du patient. La stratégie doit être globale, et il faut mettre met son intelligence, sa créativité et son écoute au service de cette stratégie. Quand on est convaincu de ça, c’est fou l’impact qu’on peut avoir sur nos malades. À tous les niveaux. Sky is the limit ! (Le ciel est la limite)

    Médecin admirable qui tente de lutter contre cette tendance de la médecine occidentale de couper le patient en tranche de spécialités, mais d’essayer de l’aborder dans son ensemble, de manière holistique.

    Film d’une beauté incandescente.

    Bien sûr c’est un mélo, il fait pleurer, mais il n’est pas triste et il fait beaucoup de bien.

    C’est une grande réussite d’Emmanuelle Bercot aidée par des acteurs remarquables.

    <1632>

     

  • Mardi 30 novembre 2021

    « Le salon du livre de jeunesse de Montreuil »
    Évènement annuel qui m’a marqué

    Nous, Annie, Alexis et moi, habitions à Montreuil sous-bois, depuis 1991 et en 1994 Natacha nous a rejoint.

    A Montreuil, le salon du livre jeunesse existait depuis 1984.

    Et à la fin novembre, début décembre, pendant quelques jours, la place de la mairie de Montreuil se remplissait d’immenses tentes dans lesquelles on célébrait la fête du livre de la jeunesse

    Nous avons commencé à y assister à partir de 1993.

    Et en 1994, on pouvait lire dans <Le Monde>

    « Sur la place de la Mairie, à Montreuil, le cirque Gruss a tendu un chapiteau géant de 8 700 mètres carrés. D’une fontaine glacée s’échappent des mots au néon, en souvenir des « paroles gelées » de Rabelais (dont on s’apprête à fêter, une dernière fois, le cinq centième anniversaire). Trois cubes immenses et colorés, de l’illustratrice tchèque Kveta Pacovska, attendent les visiteurs.
    Dans quelques jours, du 30 novembre au 5 décembre, les auteurs et les illustrateurs afflueront. Plus de 130 éditeurs sont attendus.
    Il y aura des débats, des expositions, des jeux, des concours, des livres par milliers. Entrez donc, mesdames et messieurs.
    Et vous, petits lecteurs, approchez. Le dixième Salon du livre de jeunesse va commencer… Dix ans. Premier âge à deux chiffres. Heure des souvenirs et des bilans. « En 1984, quand nous avons débuté, nous étions tout petits, cachés derrière un centre commercial, dans un ancien parking en colimaçon », se souvient Henriette Zoughebi, bibliothécaire de formation, fondatrice et directrice du Salon. « Montreuil » venait de naître, à l’initiative de la municipalité et du conseil général de Seine-Saint-Denis.
    Mais les éditeurs avaient des doutes. Pourquoi un Salon en banlieue ? Pourquoi pas « faire Montreuil à Paris »? Dix ans plus tard, de l’avis de tous, le pari est gagné.
    Le Salon a fait la preuve qu’il était plus utile en Seine-Saint-Denis (où 20% de la population a moins de dix-huit ans) que nulle part ailleurs. »

    Et par la suite, toutes les années nous attendions avec impatience cette fête du livre pour les enfants, les adolescents. et les parents !

    En tant que citoyen Montreuillois, nous bénéficions de privilèges.

    D’abord nous avions droit à des invitations qui nous dispensaient de payer l’entrée.

    Ensuite, nous avions le droit de venir le premier jour qui était en principe réservé aux professionnels. Dès lors, l’accès aux auteurs était plus simple, il y avait beaucoup moins de monde ce premier jour.

    Tous les éditeurs étaient là et il y avait toutes les nouveautés de l’année.

    C’était vraiment très grand !

    <Le bulletin des Bibliothèques de France> précisait en 1994 :

    « Le Salon du livre de jeunesse de Montreuil fêtait son 10e anniversaire du 30 novembre au 5 décembre derniers, sous le grand chapiteau blanc dressé sur la place de la mairie. Ce salon, devenu, avec la Foire internationale de Bologne, un des deux grands rendez-vous européens du livre de jeunesse, est une immense librairie ouverte à tous, qui incite à la découverte de la richesse de ce secteur éditorial. »

    Nous y sommes allés avec le même enthousiasme tous les ans jusqu’à notre départ de Montreuil, en 2002.

    Depuis 2000, il est organisé dans un bâtiment en dur situé 128 Rue de Paris à Montreuil et qui a désormais pour nom L’Espace Paris Est Montreuil. C’était une ancienne friche industrielle transformée en palais des Congrès

    Bien des années ont passé et nos enfants sont grands désormais.

    Mais, chaque année, depuis que nous sommes partis, quand s’approche le mois de décembre, je pense avec nostalgie à ces moments de lumière et de célébration du livre que nous avons vécu à Montreuil.

    Et chaque année, je me promettais de consacrer un mot du jour à cette belle manifestation.

    Le mot « presse » a été ajouté depuis, et cette fête s’appelle désormais « le Salon du livre et de la presse jeunesse »

    Cette année 2021, ce sera la 37ème édition.

    Elle aura lieu du mercredi 1er au lundi 6 décembre.

    Le thème choisi cette année me semble particulièrement approprié aux temps que nous vivons : « Nous »

    Sylvie Vassallo, la directrice du salon explique

    « Ce qui se cache derrière ce « Nous ! » c’est à la fois une affirmation, et une interrogation.
    Nous tenions à affirmer l’intérêt du commun, l’importance, et même la nécessité d’être ensemble, de se rassembler, de jouer collectif […]

    C’est d’autant plus essentiel dans une société fractionnée, avec des enfants au cœur de ces fractures.
    Mais ce « nous » est aussi une interrogation sur le qui nous sommes, sur le rapport à soi, et aux autres. […]

    Chez les philosophes grecs, le « nous » a une signification liée au savoir, à l’esprit, à la raison, à l’intelligence,
    et il me semble que la littérature jeunesse permet aussi de penser dans un esprit de communion ».

    <France Inter> a consacré une page sur ce salon sur son site.

    Il y a aussi <Le site du salon>

    <1631>

  • Lundi 29 novembre 2021

    « Le chlordécone »
    Un scandale sanitaire français

    C’est un nom qui sonne phonétiquement mal : « Le chlore déconne !  »

    En réalité, il s’agit d’une molécule qui associe 10 atomes de Chlore, 10 atomes de Carbone et un atome d’oxygène.

    Cette molécule « la chlordécone » entre dans la constitution d’un insecticide qui est communément appelé par ce nom « Le chlordécone ».

    En ce moment, il y a des heurts très violents dans les Antilles françaises avec utilisation de la part des manifestants d’armes à feu. Le grief qu’on entend le plus souvent est lié à la campagne de vaccination de la COVID19 et au pass sanitaire. Selon ce que je comprends, les revendications dépassent de beaucoup ces seuls sujets.

    Mais j’ai entendu à plusieurs reprises des journalistes et même Marine Le Pen dirent qu’en Guadeloupe et en Martinique, le rejet de la vaccination est dû à une grande méfiance par rapport à l’autorité publique et que cette méfiance trouve sa source dans ce que la plupart appelle : « le scandale du chlordécone ».

    J’ai même entendu dans l’émission « C dans l’air » du 27 novembre un antillais dire « Ils nous ont empoisonnés une première fois, il n’arriveront pas à le faire une seconde fois.»

    Cette accusation m’a conduit à essayer de comprendre ce sujet.

    Le chlordécone est un pesticide qui a été utilisé massivement dans les bananeraies en Guadeloupe et en Martinique pendant plus de vingt ans à partir de 1972 pour lutter contre le charançon de la banane, un insecte qui détruisait les cultures.

    Mais dans l’émission « La méthode scientifique » du 9 septembre 2021 <Chlordécone : classée secret toxique ?>, Luc Multigner, médecin, épidémiologiste, directeur de recherche Inserm au sein de l’Institut de recherche en santé, environnement et travail à Rennes et Point-à-Pitre explique :

    « Cette molécule avait très mauvaise réputation, c’est pour cela que son usage a été très restreint. Les Antilles ont débuté son usage modestement dans les bananeraies en 1972/1973, c’est le début de l’histoire. La seconde période c’est à partir de 1981, et les Antilles Françaises deviennent pratiquement les seules utilisatrices de cette molécule dans le monde »

    Bref, c’est un pesticide que la journaliste « du Monde » Faustine Vincent définit comme « ultra-toxique », dans son article du 6 juin 2018 : <qu’est-ce que le chlordécone ?> dont on connait la toxicité et qui va être utilisé sur le territoire français, dans les Antilles.

    La première autorisation, on parle d’AMM, autorisation de mise sur le marché, est signé le 18 septembre 1972, par le ministre de l’agriculture : M Jacques Chirac. Il a l’excuse que les États-Unis n’ont pas encore formellement interdit la molécule.

    Ce sera fait en 1975. Car, en 1975, les ouvriers de l’usine Hopewell (Virginie), qui fabriquait le pesticide, ont développé de sévères troubles neurologiques et testiculaires après avoir été exposés à forte dose : troubles de la motricité, de l’humeur, de l’élocution et de la mémoire immédiate, mouvements anarchiques des globes oculaires…Ces effets ont disparu par la suite, car le corps élimine la moitié du chlordécone au bout de 165 jours, à condition bien sûr de ne pas en réabsorber. Mais l’accident fut si grave que les États-Unis ont fermé l’usine

    Wikipédia précise que :

    « La toxicité du produit était alors connue sous trois angles : cancérogénèse, risques de stérilité masculine et écotoxicité »

    L’article de « Libération » du 1er avril 2021 : <Aux Antilles, les vies brisées du chlordécone> raconte une prise de conscience dans les Antilles préalable à 1975 :

    «Il est souvent affirmé que les premières alertes vinrent des Etats-Unis, rappelle, en 2019, devant une commission parlementaire, Malcom Ferdinand, chercheur au CNRS. C’est faux. Elles furent émises par les ouvriers agricoles martiniquais en février 1974. Deux ans après l’autorisation officielle du chlordécone, les ouvriers de la banane entament l’une des plus importantes grèves de l’histoire sociale de la Martinique et demandent explicitement l’arrêt de l’utilisation de cette molécule parce qu’ils ont fait l’expérience de sa toxicité dans leur chair.»

    En 1981, la ministre de l’agriculture avait pour nom Edith Cresson, le premier Ministre était Pierre Mauroy et le président de la République François Mitterrand.

    C’est donc, en pleine connaissance, qu’Edith Cresson délivre à la société Laurent de Laguarigue une seconde AMM pour le chlordécone

    L’autorité politique estime qu’il faut accorder une dérogation, bien que le produit soit très dangereux, parce que c’est l’intérêt de l’industrie de la banane.

    Je continue le récit de Wikipedia, confirmé par d’autres médias :

    « Le 1er février 1990, la France retire l’AMM du chlordécone pour tout le territoire français. Mais Guy Lordinot (alors Député de la Martinique) relayant de gros planteurs de bananes, fait une demande de dérogation qui permettrait une prolongation jusqu’en 1995, de l’utilisation du chlordécone, à la suite de sa question écrite le 23 avril appuyée par sa lettre au ministre de l’Agriculture du 30 avril 1990. Cette demande est refusée le 5 juin 1990 par Henri Nallet, alors ministre de l’Agriculture. Mais ce dernier précise qu’il y a un délai de 2 ans à partir du retrait d’autorisation, ce qui permet déjà d’utiliser le produit jusqu’en 1992.

    En 1992 (mars) Louis Mermaz, nouveau ministre de l’Agriculture et des Forêts, proroge d’un an la dérogation pour l’utilisation du pesticide.

    Et en février 1993, Jean-Pierre Soisson, ministre de l’Agriculture et du Développement rural, répond favorablement à une demande de la SICABAM demandant à pouvoir utiliser le reliquat de stocks de chlordécone (stocks qui avaient été largement réapprovisionnés en août 1990 alors que la décision de retrait d’homologation de février 1990 avait été notifiée à la société Laguarigue qui commercialisait le chlordécone . Le frère ainé de Bernard Hayot, Yves Hayot (mort en 2017) qui était président du groupement des producteurs de bananes de Martinique (SICABAM), et aussi directeur général de Laguarigue a reconnu qu’il avait fait du lobbying auprès de J.-P. Soisson pour l’obtention des dérogations. »

    Le 30 septembre 1993, ce pesticide est officiellement interdit à la vente aux Antilles françaises.

    Pour être juste je donne aussi le nom du Ministre de l’agriculture à cette date : Jean Puech, le premier ministre étant Edouard Balladur.

    C’est le récit factuel d’une non prise en compte d’un danger pour garantir les intérêts des producteurs de bananes.

    La journaliste, Faustine Vincent, dans un autre article : <Chlordécone : les Antilles empoisonnées pour des générations> détaille les conséquences de ces « largesses coupables à l’égard de l’industrie de la banane » :

    « Des années après, on découvre que le produit s’est répandu bien au-delà des bananeraies. Aujourd’hui encore, le chlordécone, qui passe dans la chaîne alimentaire, distille son poison un peu partout. Pas seulement dans les sols, mais aussi dans les rivières, une partie du littoral marin, le bétail, les volailles, les poissons, les crustacés, les légumes-racines… et la population elle-même.

    Une étude de Santé publique France, lancée pour la première fois à grande échelle en 2013 […] fait un constat alarmant : la quasi-totalité des Guadeloupéens (95 %) et des Martiniquais (92 %) sont contaminés au chlordécone. Leur niveau d’imprégnation est comparable : en moyenne 0,13 et 0,14 microgrammes par litre (µg/l) de sang, avec des taux grimpant jusqu’à 18,53 µg/l. Or, le chlordécone étant un perturbateur endocrinien, « même à très faible dose, il peut y avoir des effets sanitaires », précise Sébastien Denys, directeur santé et environnement de l’agence. Des générations d’Antillais vont devoir vivre avec cette pollution, dont l’ampleur et la persistance – jusqu’à sept cents ans selon les sols – en font un cas unique au monde, et un véritable laboratoire à ciel ouvert. »

    [Une étude] publiée en 2012 par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), montre que le chlordécone augmente non seulement le risque de prématurité, mais qu’il a aussi des effets négatifs sur le développement cognitif et moteur des nourrissons.

    Le pesticide est aussi fortement soupçonné d’augmenter le risque de cancer de la prostate, dont le nombre en Martinique lui vaut le record du monde – et de loin –, avec 227,2 nouveaux cas pour 100 000 hommes chaque année. C’est justement la fréquence de cette maladie en Guadeloupe qui avait alerté le professeur Pascal Blanchet, chef du service d’urologie au centre hospitalier universitaire (CHU) de Pointe-à-Pitre, à son arrivée, il y a dix-huit ans. Le cancer de la prostate est deux fois plus fréquent et deux fois plus grave en Guadeloupe et en Martinique qu’en métropole, avec plus de 500 nouveaux cas par an sur chaque île. »

    Bien sûr, le combat pour faire reconnaître la responsabilité des auteurs et donc l’obligation d’indemniser constitue un long combat incertain.

    L’article de « Libération » du 1er avril 2021 : <Aux Antilles, les vies brisées du chlordécone> explique

    « Le procès pourrait pourtant bien se terminer en non-lieu du fait d’une possible prescription des faits. Le 15 mars, Rémy Heitz procureur de la République au tribunal judiciaire de Paris, précisait : «Nous pouvons comprendre l’émoi que cette règle suscite, mais nous, magistrats, devons l’appliquer avec rigueur.». »

    Les responsables semblent assez simples à désigner (article du Monde) :

    « Le Monde a pu consulter le procès-verbal de synthèse que les enquêteurs de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp) ont rendu, le 27 octobre 2016. Un nom très célèbre aux Antilles, Yves Hayot, revient régulièrement. Il était à l’époque directeur général de Laguarigue, la société qui commercialisait le chlordécone, et président du groupement de producteurs de bananes de Martinique. Entrepreneur martiniquais, il est l’aîné d’une puissante famille béké, à la tête d’un véritable empire aux Antilles – son frère, Bernard Hayot, l’une des plus grosses fortunes de France, est le patron du Groupe Bernard Hayot, spécialisé dans la grande distribution.

    […] Surtout, l’enquête judiciaire révèle que son entreprise, Laguarigue, a reconstitué un stock gigantesque de chlordécone alors que le produit n’était déjà plus homologué. Elle a en effet signé un contrat le 27 août 1990 avec le fabricant, l’entreprise Calliope, à Béziers (Hérault), « pour la fourniture de 1 560 tonnes de Curlone [le nom commercial du chlordécone], alors que la décision de retrait d’homologation [le 1er février 1990] lui a été notifiée », écrivent les enquêteurs. Ils remarquent que cette quantité n’est pas normale, puisqu’elle est estimée à « un tiers du tonnage acheté sur dix ans ». De plus, « au moins un service de l’Etat a été informé de cette « importation » », puisque ces 1 560 tonnes « ont bien été dédouanées à leur arrivée aux Antilles » en 1990 et 1991.»

    L’article cite aussi un rapport de l’Institut national de la recherche agronomique, publié en 2010 qui, s’étonne du fait que la France a de nouveau autorisé le pesticide en décembre 1981.

    « Comment la commission des toxiques a-t-elle pu ignorer les signaux d’alerte : les données sur les risques publiées dans de nombreux rapports aux Etats-Unis, le classement du chlordécone dans le groupe des cancérigènes potentiels, les données sur l’accumulation de cette molécule dans l’environnement aux Antilles françaises ?, s’interroge-t-il. Ce point est assez énigmatique car le procès-verbal de la commission des toxiques est introuvable. »

    Sur ce sujet, il est aussi possible d’écouter l’émission de France Inter « Interception » de 2018 <Chlordécone, le poison des Antilles>

    Je pense qu’il nous appartient de connaître cette histoire de politique et de bananes et de comprendre de quoi il en retourne quand un compatriote de Guadeloupe ou de Martinique évoque le chlordécone.

    <1630>

  • Vendredi 26 novembre 2021

    « La liste de Kersten, un juste parmi les démons »
    François Kersaudy

    Il me faut quelquefois un peu de temps pour lire les livres qu’on m’offre. Ainsi, il y a plusieurs années, Pablo, m’avait offert le livre de Joseph Kessel : « Les mains du miracle » et c’est pendant notre séjour dans le massif de la chartreuse que j’ai enfin pu lire ce livre incroyable.

    Tellement incroyable qu’à plusieurs reprises, je ne l’ai pas cru.

    Joseph Kessel raconte en effet l’histoire de Felix Kersten qui fut le médecin ou plus précisément le masseur du Reichsfûhrer SS Heinrich Himmler, cet ignoble criminel qui organisa et mis en œuvre les idées inhumaines et délirantes de Hitler.

    Ce médecin qui ne faisait pas payer ses soins à Himmler par de l’argent, mais par des services, des contreparties qu’Himmler lui accordait après qu’il l’ait soulagé de ses violentes douleurs d’estomac.

    Kessel le rencontra et écrit ce récit : « Les mains du miracle », publié en 1960, sur la base des entretiens qu’il eut avec lui.

    Et Kessel essaie de convaincre au début de son livre de la véracité des faits qu’il relate :

    « Il arrivait que je refusais d’accepter certains épisodes du récit. Cela ne pouvait pas être vrai. Cela n’était simplement pas possible. Mon doute ne choquait pas, ne surprenait pas Kersten. Il devait avoir l’habitude… Il sortait simplement, avec un demi-sourire, une lettre, un document, un témoignage, une photocopie. Et il fallait bien admettre cela, comme le reste. »

    Kessel en appelle même, à H. R. Trevor-Roper, professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Oxford et l’un des plus grands experts des services secrets britanniques sur les affaires allemandes pendant la guerre qui écrivit en préface aux Mémoires de Kersten :

    «  Il n’est point d’homme dont l’aventure semble à première vue aussi peu croyable. Mais il n’est point d’homme, par contre, dont l’aventure ait subi une vérification aussi minutieuse. Elle a été scrutée par des érudits, des juristes et même par des adversaires politiques. Elle a triomphé de toutes les épreuves. »

    Pourtant, j’avais du mal à croire à ce que je lisais.

    J’appris cependant que tout récemment, en février 2021, était paru un ouvrage de l’historien François Kersaudy : « La Liste de Kersten »

    Au retour des vacances, j’ai donc emprunté cet ouvrage à la Bibliothèque de Lyon, dès que l’un des exemplaires fut disponible, car visiblement cet ouvrage intéressait beaucoup de monde.

    Globalement, l’historien, en s’appuyant sur les archives les plus récentes, valide le récit de Kersten et le livre un peu romancé de Kessel.

    Quelques points finalement assez mineurs, même s’ils sont surprenants, sont remis en cause.

    Le titre que Kersaudy ou son éditeur ont choisi, entre bien sûr en résonance avec « la liste de Schindler », le film de Steven Spielberg, sorti en 1993.

    L’historien commence son livre ainsi :

    « Tout le monde en France connaît l’histoire d’Oskar Schindler, qui a sauvé un millier de juifs en les soustrayant à l’extermination nazie durant la Seconde Guerre mondiale. Mais en vérité, Felix Kersten a accompli un exploit plus considérable encore qu’Oskar Schindler. Dès 1947, un mémorandum du Congrès juif mondial établissait que Felix Kersten avait sauvé en Allemagne « 100 000 personnes de diverses nationalités, dont environ 60 000 juifs, […] au péril de sa propre vie ». Encore, à l’issue du récit qui va suivre, de tels chiffres sembleront-t-il passablement sous- évalués… »

    L’homme est issu d’une famille allemande installée dans une province estonienne de l’Empire russe, il est devenu finlandais sans vraiment cesser d’être allemand. Par la suite il s’est installé aux Pays-Bas et il est devenu Néerlandais de cœur, avant que la fin de la guerre l’incite à opter pour la nationalité suédoise

    Le début de ses études ne furent pas très brillants. Après quelques péripéties il se forma au massage thérapeutique finlandais qui était très reconnu. Il obtint son diplôme à Helsinki et commença à exercer à Berlin.

    Homme d’une grande sociabilité il rencontra beaucoup de gens. Un professeur de la faculté de Berlin lui dit un jour : « Venez dîner à la maison, ce soir. Je vous ferais connaître quelqu’un qui vous intéressera 

    Kersten découvrit ainsi un vieux monsieur Chinois qui se borna à hocher la tête et à sourire sans fin. Le docteur Kô avait grandi dans l’enceinte d’un monastère du Tibet. Il était initié, en particulier, à l’art millénaire et subtil des masseurs.

    Le médecin-lama interrogea longuement Kersten avant de l’inviter chez lui. Une fois chez lui, le médecin chinois demanda à être massé par Kersten. Félix Kersten s’appliqua à pétrir le corps léger, jaunâtre, fragile et desséché du vieil homme.

    Après cette séance, le docteur Kô remis ses habits, fixa Kersten et lui dit :

    « Mon jeune ami, vous ne savez encore rien, absolument rien. Mais vous êtes celui que j’attends depuis trente ans. J’attends depuis l’époque où je n’étais qu’un novice, un homme de l’Occident qui ne saurait rien et à qui je devrais tout enseigner. »

    C’était en 1922. Et Kersten suivit avec assiduité l’enseignement du vieux chinois. Quand le docteur Kô estima qu’il en savait assez, il se retira pour aller passer ses dernières années et mourir dans son monastère du Tibet. Et, il offrit gratuitement toute sa clientèle à Kersten qui fit visiblement du très bon travail et parvint à la fidéliser et à l’étendre. Il avait notamment de riches clients qui appréciaient énormément ses soins, en Allemagne mais aussi aux Pays-Bas.

    Pendant ce temps, l’Allemagne plongea dans la folie et Hitler arriva au pouvoir avec comme âme damnée Heinrich Himmler chargée des basses œuvres.

    C’est un de ses patients, un riche industriel qui le convainquit malgré ses réticences d’aller soigner cet homme ignoble.

    Le docteur accepta de se glisser dans ce rôle qui va consister à soigner Himmler de façon journalière pendant toute la période du deuxième conflit mondial. Et, semaine après semaine, mois après mois, en échange des soins prodigués à Himmler, devenus totalement indispensables à ce dernier, Kersten va demander la libération de nombreuses victimes du nazisme.

    C’est lorsque Himmler souffrait de douleurs d’estomac d’une intensité paralysante et qu’il se trouvait dépendant des mains de Kersten que ce dernier parvenait à obtenir des contreparties qu’on ne croyait pas pensables.

    Au début, ce sont des amis hollandais qui firent appel à lui, puis des suédois, des finlandais : au début quelques individus, puis des dizaines, des centaines et puis des milliers.

    Kersaudy valide donc le récit de Kessel. Un des actes fut encore plus incroyables que les autres, en toute fin de guerre. Kersten eut cette idée « disruptive » d’organiser une rencontre entre un représentant du Congrès Juif Mondial et Himmler pour sceller un dernier accord : la libération de 5000 juifs des camps de concentration, alors qu’Hitler avait donné l’ordre de les exterminer tous et de dynamiter les camps, avant l’effondrement. L’accord incluait aussi la non extermination des autres et le non dynamitage des camps.

    Pour ce faire, Kersten va organiser cela d’une part avec Himmler et de l’autre le ministre des affaires étrangères de Suède Christian Gunther ainsi que Hillel Storch, le représentant en Suède du Congrès Juif Mondial.

    Et ce fut finalement Norbert Masur, citoyen suédois, de confession israélite qui accompagna Kersten à Berlin.

    C’est le sujet du chapitre XIII qui est aussi le dernier du livre « Les mains du miracle » qui a pour titre : « Le juif Masur »

    Les deux hommes s’envolèrent le 19 avril 1945 sur l’un des derniers avions à porter la croix gammée. Ils étaient les seuls passagers. Et Kessel écrit :

    « Dans les environs immédiats de Berlin, on entendait déjà gronder les canons russes. »

    Ils débarquèrent sur le terrain de Tempelhof, l’aéroport « crépusculaire et vide » de Berlin. Et après une attente un peu anxieuse, l’heure d’arrivée avait été communiquée en retard à Himmler :

    « Enfin, une voiture arriva pour Kersten et Masur. Elle était marquée aux insignes S.S. et appartenait au garage particulier de Himmler. Près de la voiture se tenait un secrétaire en uniforme, qui donna à Kersten deux sauf-conduits au cachet du Reichsführer […]. Il y était spécifié que ces documents libéraient leurs porteurs de toute obligation de passeport et de visa.  »

    Et la voiture SS emmena les deux hommes comme prévu dans la résidence privée du docteur Kersten.

    La rencontre entre le représentant juif et Himmler accompagné de ses plus proches collaborateurs est totalement incroyable et lunaire. Elle se passe le 20 avril 1945.

    Kessel écrit :

    Kersten et Masur se trouvaient face à face Masur buvait du thé, Himmler, du café. Il n’y avait entre eux que des petits pots de beurre, de miel, de confiture, des assiettes qui portaient des tranches de pain bis et des gâteaux. Mais, en vérité, six millions d’ombres, six millions de squelettes séparaient les deux hommes. Masur n’en perdait pas le sentiment un instant, lui qui, par les organisations auxquelles il appartenait, avait connu et suivi pas à pas le martyre sans égal, sans précédent, des hommes, des femmes, des enfants juifs. À Paris, à Bruxelles, […] en Ukraine et en Crimée partout, de l’océan Polaire jusqu’à la mer Noire, s’étaient déroulées les mêmes étapes du supplice : étoile jaune, mise hors la loi commune, rafles atroces dans la nuit ou le jour levant, convois interminables où voyageaient ensemble les vivants et les cadavres, et les camps, la schlague, la faim, la torture, la chambre à gaz, le four crématoire. Voilà ce que personnifiait et incarnait pour Masur l’homme assis en face de lui, de l’autre côté de la table aimablement garnie, l’homme chétif, aux yeux gris sombre protégés par des verres sur monture d’acier, aux pommettes mongoloïdes, l’homme en grand uniforme de général S.S. et constellé de décorations dont chacune représentait la récompense d’un crime. Mais lui qui avait imposé impitoyablement le port de l’étoile, donné le signal des rafles, payé les délateurs, bourré les trains maudits, gouverné de haut tous les camps de mort, commandé à tous les tourmenteurs et à tous les bourreaux, lui, il était parfaitement à l’aise. Et même il avait bonne conscience. Ayant bu son café, mangé quelques gâteaux, il essuya proprement ses lèvres avec un napperon et passa à la question juive sans embarras aucun. »

    Et Himmler fit même un long discours ou il justifiait la politique antisémite du régime nazi et ses aspects positifs. A un moment Norbert Masur ne put en entendre davantage. En se contenant pourtant, il dit simplement :

    « Vous ne pouvez pas nier tout de même que, dans ces camps, on a commis des crimes contre les détenus. Oh ! je vous l’accorde : il y a eu parfois des excès, dit gracieusement Himmler, mais… Kersten ne le laissa pas continuer. Il voyait, à l’expression de Masur, qu’il était temps de rompre ce débat inutile et qui prenait un tour dangereux.»

    Et Kersten sut remettre au centre de la discussion la libération des juifs et la préservation de ceux qui restaient dans les camps en arrivant à convaincre Himmler qui était très inquiet à l’idée qu’Hitler puisse être mis au courant de cette décision. L’accord fut conclu : les camps ne seraient pas dynamités, les SS ne molesteraient plus les juifs dans les camps et 5000 juifs seraient libérés..

    Et Himmler prit congé de Kersten. Kessel raconte :

    « Himmler pénétra dans sa voiture, s’assit. Puis il prit la main du docteur, la serra fébrilement et acheva d’une voix étouffée : Kersten, je vous remercie pour tout… Ayez pitié de moi… Je pense à ma pauvre famille. À la clarté du jour naissant, Kersten vit des larmes dans les yeux de l’homme qui avait ordonné sans hésiter plus d’exécutions et de massacres qu’aucun homme dans l’histoire et qui savait si bien s’attendrir sur lui-même. La portière claqua. La voiture fondit dans l’obscurité. »

    Vous trouverez des précisions sur ce site <Le dossier Kersten par Jacques Sabille>

    Le 28 avril, Hitler mis au courant, démet Himmler qui se mettra à errer sur les routes, espérant négocier avec les alliés, sans succès. Arrêtés par les forces alliées, il parviendra à se suicider en avalant une capsule de cyanure le 23 mai 1945.

    Kersaudy conteste cependant certains des points que raconte Kersten et que Kessel a reporté dans « les mains du miracle » : notamment le récit dans lequel le masseur aurait empêché la déportation massive de néerlandais.

    Kessel écrit ce que Kersten lui a raconté : Le 1er mars 1941, au mess de l’état-major des SS, Kersten surprend une conversation entre Heydrich et Rauter qui s’entretiennent de la déportation prochaine vers la Pologne de toute la population des Pays-Bas. Kersten va alors plaider inlassablement auprès de Himmler de faire cesser ce projet en utilisant tous les arguments qu’il parvient à mobiliser. Et après plusieurs discussions, il parvient enfin à ses fins : ce projet est écarté ou au moins renvoyé à plus tard.

    Kersaudy après avoir fait son travail d’historien écrit :

    « L’ensemble de l’affaire, raconté avec toute la verve de Joseph Kessel, constitue l’un des passages les plus émouvants de son livre. Hélas ! Plus d’un lecteur sera cruellement déçu en apprenant que cet épisode est entièrement fictif. […] Kersten l’a exposé en détail dans trois de ses quatre ouvrages. Mais c’est précisément au niveau de ceux-ci – et des déclarations de Kersten aux enquêteurs dans l’après-guerre – que se révèlent les fragilités de l’affaire : trop de versions incompatibles, trop d’impossibilités dans les dates et les lieux cités, trop de documents introuvables, trop de vérités successives, trop de contradictions, trop de témoignages suspects et eux-mêmes contradictoires »
    La liste Kersten page 70

    Bref, sur cette partie du récit l’Historien ne confirme pas « les mains du miracle » ni les affirmations de Kersten .

    Il y eut un autre épisode étonnant dans la vie de cet homme dont on voudrait qu’elle soit sans tâche. Le comte Bernadotte, diplomate suédois avait organisé matériellement les convois des milliers de juifs libérés des camps grâce à la médiation de Kersten. Il s’en attribua l’ensemble du mérite sans le citer. Mais suite à divers témoignages notamment du ministre des affaires étrangères suédois, il dut bien reconnaître le rôle éminent et dangereux de Kersten, car dans l’entourage de Himmler beaucoup voulait nuire et même tuer le docteur qui avait une trop grande influence sur leur chef.

    Cette rivalité avec le comte Bernadotte va conduire Kersten à faire une action peu reluisante pour sa réputation future :

    En 1952, il est sur le territoire suédois et demande la nationalité suédoise qui lui est refusé et…

    « Sa déception va le pousser à une manœuvre insolite : persuadé que ce sont les anciens obligés de Bernadotte qui ont torpillé sa demande de naturalisation, il fait circuler une lettre censément adressée à Himmler par le comte, en date du 10 mars 1945 : « La présence des juifs est aussi peu souhaitée en Suède qu’en Allemagne. C’est pourquoi je comprends parfaitement votre position sur la question juive. […] Le Medizinalrat Kersten n’a aucun mandat pour négocier la libération des juifs, et il l’a fait à titre privé. […] » Tout cela est évidemment catastrophique, non pour la mémoire du comte , mais pour la réputation de Kersten, car le document est un faux grossier »
    La liste Kersten page 354

    Les dernières lignes du livre seront les suivantes :

    « L’avocat et philosophe juif Gerhard Riegner dira 36 ans plus tard : « Kersten était sans conteste un homme extraordinaire, et le fait qu’il ait eu ce pouvoir d’influencer Himmler a été un présent du Très-Haut ! je ne vois pas comment l’expliquer autrement. »

    Et Kersaudy de conclure :

    « Une assertion vraisemblable, mais difficilement vérifiable – et qui le restera aussi longtemps que les archives du Seigneur demeureront impénétrables… »
    La liste Kersten page 360

    Ce bienfaiteur mourut en 1960 à 61 ans.

    Et je me pose une question : son savoir de masseur est-il encore actif en Europe ?

    <1629>

  • Jeudi 25 novembre 2021

    « Pause (il n’y a pas qu’une bonne façon de réfléchir) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Annie, après la lecture du mot du jour d’hier, m’a rappelé un mot ancien : il avait été publié en 2013 et portait le numéro 202. Je trouve pertinent de le rappeler aujourd’hui.

    Je vais résumer cette histoire et renvoyer vers le mot du jour original, en fin d’article.

    Un jour Ernest Rutherford, prix Nobel de chimie en 1908, reçut la visite d’un de ses confrères accompagné d’un de ses étudiants ; Ils voulaient faire appel à lui pour un arbitrage entre eux.

    En effet, l’étudiant avait donné une réponse à une question du professeur qui lui avait donné 0, alors que l’étudiant prétendait mériter 20.

    Le problème posé était le suivant : «Vous disposez d’un baromètre et vous devez mesurer la hauteur d’un immeuble, comment procédez-vous ? »

    La réponse attendue était : «A l’aide du baromètre, je mesure la pression atmosphérique en haut de l’immeuble, puis je mesure la pression au niveau du sol. Puis avec un savant calcul je détermine la hauteur de l’immeuble en fonction de la différence de pression.»

    L’étudiant avait répondu :

    «J’attache le baromètre à une grande corde. Je monte sur le toit de l’immeuble et je laisse descendre le baromètre à l’aide de la corde jusqu’au sol. Arrivé au sol je fais une marque sur la corde puis je remonte la corde et je mesure du baromètre jusqu’à la marque, c’est la hauteur de l’immeuble.»

    Le professeur a donné 0, parce qu’il prétendait que ce n’était pas une méthode scientifique. Ce que contestait l’étudiant qui rappelait qu’en outre il trouvait bien le résultat souhaité et qu’il avait utilisé le baromètre, la corde seule ne suffisant pas !

    L’impétrant  sur une invitation de Rutherford de donner une autre solution, en proposa 10 nouvelles, mais jamais la réponse attendue. Par exemple ces trois solutions :

    1) On monte sur l’immeuble, on lâche le baromètre. On chronomètre la durée de la chute, on en déduit la longueur de la chute qui est la hauteur de l’immeuble.

    2) On place le baromètre verticalement dehors quand il y a du soleil. On mesure la hauteur du baromètre, la longueur de son ombre et la longueur de l’ombre de l’immeuble. Et avec un simple calcul de proportion, on détermine la hauteur de l’immeuble.

    3) Et celle qui est la plus rapide : on frappe à la porte du gardien de l’immeuble et on lui dit : «Monsieur, si vous me donnez la hauteur de votre immeuble je vous donne ce baromètre»

    Interloqué, Rutherford demanda alors à l’étudiant : «Mais dites-moi, connaissez-vous la réponse attendue par votre professeur ? »

    L’étudiant répondit qu’il la connaissait bien sûr, mais qu’il en avez assez de l’université et de ses professeurs qui prétendait qu’il n’y avait qu’une bonne façon de réfléchir.

    Cet étudiant s’appelait Niels Bohr, génie scientifique qui fut lauréat du prix Nobel de physique de 1922.

    Le mot du jour original était celui du <5 décembre 2013>


    <Mot du jour sans numéro>

  • Mercredi 24 novembre 2021

    « Comment bien poser un problème mathématique ?»
    Réponse par un exemple

    Ma chère belle-sœur Josiane qui me félicite pour la diversité des sujets abordés, exprimait sa crainte qu’après avoir simplement vanté la beauté d’une fleur, je me lance dans un sujet hautement intellectuel, conceptuel et abstrait.

    Je note que les avis sont très partagés.

    Mon ami Bertrand G. trouve que je parle trop de politique, ce qui serait une perte de temps.

    Jean-Philippe ne trouve pas d’intérêt à mes sujets musicaux. D’autres lecteurs ont exprimé leur distance avec les sujets « football » que j’avais abordés.

    Il est vrai que la plupart des blogs sont « mono-thème ». Ils parlent exclusivement d’art ou de bien être ou de politique ou d’Histoire ou de Sciences ou de sports ou encore d’actualité.

    Le mot du jour que j’écris ne se fixe pas ce type de limite.

    Il faut simplement que je comprenne un peu de quoi il en retourne, je n’ai jamais évoqué le bitcoin.

    Et que j’ai le sentiment d’avoir à dire quelque chose de pertinent ou de surprenant ou de décalé, je n’ai jamais parlé d’homéopathie.

    Aujourd’hui, je vais parler de mathématiques, mais pas que …

    C’était en classe de mathématiques supérieures au Lycée Kléber de Strasbourg, lors de l’année scolaire 1976/1977, il y a 45 ans donc, et je m’en souviens encore.

    C’était M Schmidt qui nous a posé cette question :

    « Vous devez organiser un tournoi de tennis. Vous avez 100 participants. Chaque match est à élimination directe : le joueur qui gagne continue le tournoi, celui qui perd est éliminé.
    Combien de matchs devez vous organiser pour finir le tournoi et dégager suite à la finale, un vainqueur ? »

    Toute la classe qui comptait plusieurs futurs polytechniciens a commencé à raisonner :

    • Au premier tour je fais 50 matchs, il 50 qualifiés et 50 éliminés.
    • Au second tour j’en fais 25…
    • Au troisième tour il y a un joueur qui est exempté et je fais 12 matchs…
    • Etc…

    Un autre groupe a abordé le sujet autrement. Il est parti de la finale (2 joueurs), puis de la demi-finale (4 joueurs), puis les quarts de finales (8 joueurs) et on arrive ainsi au 32ème finale avec 64 joueurs. Et il faut alors trouver le moyen de passer de 100 joueurs à 64 joueurs dans un premier tour dont on exempte les meilleurs…

    Et pendant que nous cherchions à élaborer des raisonnements savants pour essayer de répondre à cette question, Monsieur Schmidt hilare se moquait de nous en nous disant :

    « Alors vous êtes en math. Sup. et vous avez besoin de plus de 2 secondes pour répondre à une question aussi simple ? »

    Mais oui, c’était une question d’une simplicité absolue.

    Mais il fallait se poser la bonne question.

    Il faut toujours bien poser les questions, même si parfois on n’a pas la réponse.

    La question est plus importante que la réponse.

    Nous vivons au quotidien au milieu de gens qui ont la certitude de posséder les bonnes réponses, alors qu’ils n’ont pas réfléchi aux bonnes questions à se poser.

    Ces personnes sont très dangereuses.

    Peut être qu’Einstein pensait à eux quand il disait : « Si vous avez un marteau dans le cerveau, tout problème prendra la forme d’un clou ! ».

    Alors quelle est la bonne question pour ce tournoi ?

    Vous avez 100 joueurs. Le tournoi consiste à obtenir 1 vainqueur et donc à éliminer 99 joueurs.

    La question qu’il faut poser est : Combien de matchs sont nécessaires pour éliminer 99 joueurs ?

    Un enfant de 6 ans sait répondre à cette question.

    Avec le principe du match à élimination directe, il faut évidemment 99 matchs pour éliminer 99 joueurs et désigner un vainqueur.

    M Schmidt était un grand pédagogue : 45 ans après je m’en souviens encore.

    Notez que les raisonnements compliqués fonctionnent aussi.

    Si on reprend le premier raisonnement, grâce à ce petit tableau on sait répondre à la question :

    Nombre de joueurs avant le tour

    Nombre de matchs

    Nombre de qualifiés

    Joueur exempté

    1er tour

    100

    50

    50

     

    2ème tour

    50

    25

    25

     

    3ème tour

    25

    12

    12

    1

    4ème tour

    13

    6

    6

    1

    5ème tour

    7

    3

    3

    1

    1/2 finale

    4

    2

    2

     

    Finale

    2

    1

    1

     

    Total des matchs

     

    99

    Le second raisonnement fonctionne aussi :

    Il faut donc qu’au premier tour on puisse passer de 100 joueurs à 64

    Pour ce faire, il faut en éliminer 36

    On fait donc un premier tour de 36 matchs

    Et le tableau devient celui-ci

    Nombre de joueurs avant le tour

    Nombre de matchs

    Nombre de qualifiés

    Joueurs exempté

    1er tour

    100

    36

    36

    28

    1/32 finale

    64

    32

    32

     

    1/16 finale

    32

    16

    16

     

    1/8 finale

    16

    8

    8

     

    1/4 finale

    8

    4

    4

     

    1/2 finale

    4

    2

    2

     

    Finale

    2

    1

    1

     

    Total des matchs

     

    99

    La morale de cette histoire devient alors : on peut arriver au même résultat en prenant des chemins différents, plus ou moins longs…

    <1628>

  • Mardi 23 novembre 2021

    « Le Sabot de Vénus. »
    Une fleur

    Il existe tant de domaines dans lesquels je suis totalement ignorant. La botanique en fait partie.

    Toutefois il reste toujours possible d’être capté par la beauté, par l’insolite, par l’intelligence de la nature.

    C’est probablement un algorithme qui dans les méandres de ses raisonnements obscurs, m’a envoyé dans un flux d’actualité un titre parlant du « sabot de vénus ».

    J’ignorais totalement de quoi il s’agissait.

    Associé la déesse raffinée et sophistiquée de l’amour : « Vénus » et un sabot que « le Petit Robert » définit comme « une Chaussure paysanne faite généralement d’une seule pièce de bois évidée » me semblait constituer toute l’apparence de l’oxymore.

    J’ai été intrigué et j’ai cliqué pour connaître la source de cette information qui m’avait été envoyée.

    C’est ainsi que j’ai découvert l’Association : « Humanité et bio diversité »

    C’est une association de protection de la nature et de la biodiversité qui a été créée en 1976.

    Hubert Reeves était son président jusqu’en 2015, depuis il est président d’honneur.

    Il avait succédé, en 2000, à Théodore Monod, au décès de ce dernier.

    Aujourd’hui, elle est présidée par Bernard Chevassus-au-Louis qui est un biologiste et écologue français, normalien, élève de la Rue d’Ulm et qui a été directeur de recherche à lINRA.

    Cette association est donc très sérieuse, et elle a un site : < https://www.humanite-biodiversite.fr/ >

    Le message renvoyait vers <cette page du site> qui présente le sabot de Vénus.

    J’ai appris ainsi que le sabot de Vénus était une fleur et plus précisément une orchidée.

    Grâce à <Wikipedia> j »ai compris que les Orchidées ou Orchidacées (Orchidaceae), forment une grande famille de plantes comptant plus de 25 000 espèces et que la majorité des espèces se rencontrent dans les régions tropicales.

    L’étymologie est un peu coquine et peut avoir quelques proximités avec Vénus. Car le nom provient de Orchis, qui est un mot latin dérivé du grec ancien órkhis.

    Ce mot grec désigne un « testicule ». Wikipedia justifie cette filiation :

    « En référence à la forme des tubercules souterrains de certaines orchidées terrestres des régions tempérées, lorsque ces tubercules sont jumelés. »

    Le site < https://www.humanite-biodiversite.fr/ > donna la légende grecque qui lui vaut son nom

    « La déesse Vénus découverte par un berger, s’enfuit en abandonnant un de ses sabots. Le berger voulût le ramasser mais le sabot disparût et à sa place poussa une orchidée : notre Sabot de Vénus. »

    Selon les grecs on pouvait donc être déesse et porter des sabots.

    Mais son nom provient probablement plus de l’observation de la fleur car :

    « Ses fleurs ont la forme d’un petit sabot d’où elle tire son nom populaire. C’est en fait un « piège d’amour » dans lequel tombent les insectes (souvent une abeille sauvage du genre Andrena), d’où ils repartent couverts de pollen, avant d’aller visiter d’autres fleurs qui seront ainsi pollinisées. On l’appelle aussi Sabot de la Vierge ou Soulier de Notre-Dame. »

    C’est aussi une plante rare qui est protégée au niveau national

    « C’est une plante protégée au niveau français, mais aussi européen au titre de la Directive Natura 2000 et au niveau mondial au titre de la convention de Berne. Si vous la croisez dans la nature, prenez-la en photo mais ne la cueillez surtout pas, vous seriez en infraction. »

    Elle est dans l’air du temps, elle n’a pas de genre ou plutôt elle est « en même temps » :

    « Le Sabot de Vénus développe des fleurs hermaphrodites (à la fois mâle et femelle). Chaque fleur possède trois pétales et trois sépales. Les sépales, longs de 5 cm sont de forme lancéolée. Leur couleur varie entre brun rouge et brun chocolat. Généralement, cette espèce ne produit qu’une à deux fleurs par individu, très rarement trois. »

    Elle est une des preuves que dans la nature la coopération est essentielle. Elle a besoin d’un champignon

    « C’est une plante qui est très liée aux champignons ! Ainsi, les racines de la plante doivent s’associer avec les filaments d’un champignon permettant à l’orchidée de prélever l’eau et les sels minéraux dans le sol. Pour germer, les graines elles doivent être infectées par un autre champignon microscopique. »

    Dans beaucoup de civilisations elle est considérée comme une plante médicinale :

    « Le Sabot de Vénus fait également partie de la pharmacopée des indiens d’Amérique du Nord comme sédatif des états nerveux, de l’anxiété et du stress. Cette superbe orchidée soulagerait des troubles de l’insomnie et des dépressions, calme les tensions nerveuses et soulage des douleurs de la menstruation. En Europe, elle a surtout été utilisée comme plante hypnotique et sédative, d’où son nom anglais de Lady’s slipper. »

    L’espèce fleurit de mai à juillet

    Elle se trouve dans la nature en France, surtout dans les Alpes, plus rarement dans le Jura, la Côte d’Or, les Pyrénées et le Massif Central et presque dans tous les autres pays d’Europe et aussi en Amérique du Nord et en Asie.

    Pour celles et ceux qui voudraient en planter dans leur jardin ou sur leur balcon, ce site <Le sabot de Vénus, une orchidée à la beauté raffinée> se veut très rassurant : « Nul besoin d’être « expert » pour cultiver le sabot de Vénus qui est, à de multiples égards, l’orchidée du débutant. »

    Et j’ai trouvé cette belle vidéo dans laquelle une professionnelle nous dit : <Tout ce qu’il faut savoir sur les sabots de vénus>. C’est à la fois beau et instructif.

    Voilà,  c’était un sujet nouveau de mot du jour.

    Je ne suis pas devenu un spécialiste des sabots de vénus, mais j’ai appris de petites choses et je les ai partagées.

    C’est ainsi que fonctionne le mot du jour.

    Et puis après Beethoven et Maria Joao Pires, je ne me sentais pas en capacité de parler de sujets plus difficiles et parfois un peu déprimants.

    <1627>

  • Lundi 22 novembre 2021

    « Si on est connecté à quelque chose de vrai, comme la musique, l’art, la science, la philosophie, le paysage, la nature, alors nous sommes nous-mêmes. »
    Maria Joao Pires

    Le 25 février 2021, j’écrivais un mot du jour assez désabusé : « Avant nous allions à l’Auditorium de Lyon »

    Heureusement que nous pouvons désormais y retourner.

    Et samedi, il s’est passé un moment rare, un moment d’éternité : un concert de Maria Joao Pires.

    Le chroniqueur culturel lyonnais Luc Hernandez a commenté : « Maria Joao Pires donne un récital en état de grâce »

    Et sur Twitter le même écrit :

    « On était au concert de la divine Maria Joao Pires hier soir et on ne s’en est pas encore tout à fait remis… Compte-rendu en apesanteur. »

    Le concert a commencé par la <13ème sonate de Schubert>. Dans la série que j’avais consacré à Schubert j’avais déjà témoigné de la relation si étroite que Maria Joao Pires entretenait avec Schubert.

    Elle avait confié, en avril 2021, à Laure Mézan, à l’occasion de son récital au Festival de Pâques d’Aix-en-Provence.

    « C’est un compagnon de toujours, je m’identifie beaucoup à lui, il y a une facilité de compréhension de son expression (…) une grande acceptation de la souffrance humaine qui le mène à une légèreté, une simplicité chantante et dansante ».

    Après, il y eut la suite Bergamasque de Debussy dans laquelle se trouve <clair de lune>, pièce pour laquelle Luc Hernandez écrit :

    <un Clair de lune si poétique qu’on croirait l’en­tendre pour la première fois>

    Et puis il y eut la seconde partie.

    C’était l’ultime sonate de piano de Beethoven la N°32 opus 111. C’était avec elle que j’avais terminé ma série de mots du jour sur Beethoven : <une fraternité universelle>.

    Je rappelais ce qu’avait dit Romain Rolland :

    « Beethoven a su atteindre « le sourire de Bouddha » dans l’Opus 111. »

    J’expliquais que je pensais que ce jugement s’appliquait surtout au second mouvement pour lequel de manière factuelle nous sommes en présence de variations. Mais du point de vue du mélomane et de l’humain, nous sommes en présence d’une immense méditation qui passe par toutes les diversités et richesses des sentiments et l’exploration intime bouleversante de notre humanité.

    Et je citais Alfred Brendel :

    « L’opus 111 est à la fois une confession qui vient clore les sonates et un prélude au silence. »

    Car il s’agit bien de silence, le silence qui constitue l’aboutissement de l’œuvre mais aussi le silence intérieur sans lequel cette œuvre ultime ne peut pas être pleinement accueilli.

    En 2016, dans un article du quotidien canadien <Le DEVOIR> Maria-Joao Pires disait qu’il fallait avoir conscience de son corps et porter l’attention à sa respiration. Elle ajoutait

    « Les gens passent leur vie à être en dehors d’eux-mêmes, en dehors de leur corps. Ils ne sont pas présents. Leurs pensées sont ailleurs »

    Son interprétation fut un moment de grâce.

    Mais nos mots sont si pauvres pour exprimer l’ineffable.

    Alors je reviendrai aux mots utilisés par cette artiste exceptionnelle.

    Elle est née il y a 77 ans à Lisbonne et a commencé très tôt le piano.

    Mais elle a attendu très longtemps avant d’oser interpréter cette sonate. Elle a parlé de « sa relation » avec cette sonate avec Alain Lompech sur le site <Pianiste> en février 2021

    « D’ailleurs, j’ai travaillé très tard l’opus 111 dans ma vie. Je la connaissais bien sûr depuis longtemps, mais c’était un rêve, c’était un grand plan de la travailler un jour. J’avais un de mes professeurs, quand j’étais toute jeune, au Portugal avant de partir pour l’Allemagne… C’était mon professeur de composition, une personne que j’adorais vraiment, elle était authentique, honnête, avait un caractère vrai et cherchait toujours une vérité dans les choses. Elle m’écoutait jouer, mais ne me donnait pas de cours de piano. Quand j’avais 16 ans, je lui ai dit que je voulais travailler l’Opus 111, j’avais déjà joué pas mal de sonates de Beethoven, une dizaine, et elle m’a dit qu’elle me le déconseillait, qu’il fallait que j’attende, que je n’étais pas prête à la comprendre vraiment. Elle ne m’aurait pas empêchée de la jouer, mais je ne l’ai même pas déchiffrée… […] Puis j’ai eu 50 ans ; c’était le moment de m’y mettre, mais je ne voulais pas le faire comme ça entre deux choses, il me fallait le temps, l’espace pour me poser. En fait, les années ont passé, passé et quand j’ai eu 70 ans, je me suis dit que c’était maintenant ou jamais. Ça a été un vrai événement dans ma vie. Il y a certaines œuvres qu’on connaît très bien mais qu’on n’a jamais jouées et quand on passe à l’acte, c’est l’impact physique qui surprend et fait chaque fois comprendre la différence entre jouer et écouter, même s’il y a une écoute vivante qui peut être très proche de cette sensation. Certaines personnes sont capables d’écouter vraiment, de ressentir physiquement la musique. Quand j’ai joué, c’est un impact très fort tant cette œuvre était attendue, attendue… ça a été comme une révélation à un âge avancé. »

    La maturité, l’intériorité lui permettent de créer une relation d’une grande intensité avec le public. Elle dit dans l’article précité du « Pianiste » :

    « Quand je suis sur scène, je sens une… je cherche le mot… empathie, c’est ça, une empathie du public pour moi et de moi pour lui, comme s’ils étaient des amis. J’ai cette affection spontanée et naturelle pour lui. »

    Beaucoup de pianistes courent après les concours et les prix pour se faire connaître et atteindre la notoriété. Dans <ce journal Belge> elle affirme son opposition de fond aux concours :

    « Je suis probablement la personne la plus anti-concours qui soit car l’art est aux antipodes de la compétition. Là où il y a compétition, il n’y a pas d’art ; là où il y a art, il n’y a pas de compétition. J’aide les élèves qui veulent s’y préparer – chacun doit faire son expérience et parvenir à son but par le moyen qu’il choisit – mais je leur dis toujours que si j’étais eux, je n’irais pas. Je leur dis : « Ça va vous faire du mal ». »

    Et dans ce même article elle finit, philosophe :

    « Avoir confiance en notre destin. Avoir confiance en la vie, c’est être humble, voir ce qui est beau, ce qui est bien, ce qu’on aime faire et si quelqu’un a besoin de nous. Et laisser les choses arriver sans croire que nous pouvons décider de tout.

    […] Bien sûr. La question est de savoir à quoi on est connecté : aux bonnes ou aux moins bonnes choses ? Si on est connecté à quelque chose de vrai, comme la musique, l’art, la science, la philosophie, le paysage, la nature, alors nous sommes nous-mêmes. ».

    On trouve sur Internet <cette vidéo de 2016> dans laquelle Maria Joao Pires joue l’arietta de l’opus 111..

    <1626>

  • Vendredi 19 novembre 2021

    « Les PFAS : produits chimiques éternels. »
    Substances per- et polyfluoroalkylées

    Nous avons parlé hier des livraisons de plus en plus rapides. Homo sapiens a ce goût de la vitesse, aller toujours plus vite et surtout plus vite que l’autre.

    C’est une enquête du quotidien sportif « L’Equipe », publié le 10 novembre qui nous donne l’information <Peur sur la glisse> :

    « C’est un scandale sanitaire qui touche plusieurs centaines, voire milliers de personnes. Depuis la fin des années 1980, un produit appelé « fluor » a rendu accros les skieurs de fond. Il aide à glisser et fait gagner de précieuses secondes à qui badigeonne ses skis avec. Loin des pistes, les chimistes connaissent mieux ce « fluor » sous le nom de « substances perfluorées », ou sous le sigle « PFAS ». Ces mêmes chimistes savent aussi que c’est un poison dit « éternel » qui contamine durablement l’être humain, l’environnement et l’ensemble des vivants.

    Plusieurs utilisateurs français, dont d’anciens membres des équipes de France de ski, ont accepté de témoigner et disent être gravement touchés par le fluor. Des médecins et toxicologues estiment que l’ensemble des personnes ayant farté en employant cette substance, ou fréquenté des ateliers de préparations de ski sans protections importantes, ont mis leur intégrité physique en danger. « L’Équipe » a enquêté sur ce produit « miracle », dont l’usage longtemps incontrôlé a pu causer de graves dommages sur la santé et l’environnement. »

    Mais il faut être abonné pour pouvoir lire la totalité de l’enquête

    Claude Askolovitch dans sa revue de Presse du <11 novembre> en donne ce résumé :

    « On parle d’un poison…

    Qui comme souvent les poisons a pris l’apparence d’un grand bonheur, ici celui de glisser sur la neige dans une fluidité, une rapidité jamais éprouvée. Mais le prix de ce bonheur aura été la santé et parfois la vie de passionnés de ski de fond, un sport lové dans la nature, que la chimie a perverti… Sur son site, dans une enquête impressionnante où l’image, le son le texte se complètent, l’Equipe raconte le scandale du fartage… Ce geste rituel qui consiste à lubrifier ses skis, a changé de nature dans les années 80, quand arrivent des produits de la grande industrie chimique… Les PFAS, les substances perfluorées, des poudres au fluor qui repoussent l’eau, et libèrent les skis de l’attraction neigeuse… Et qui deviennent alors, chez les champions leurs préparateurs, chez les amateurs passionnés, un enchantement, une addiction…

    Pour mieux glisser et faire glisser les autres, on devient alchimiste, on s’enferme dans des ateliers aux fenêtres et volets clos pour ne pas se faire voler ses secrets ses dosages, et là, avec des fers à souder, on porte le produit à incandescence, car il faut, dit-on, pour que le fartage soit efficace, que la poudre cristallise et que volent devant vous des petites étoiles… On voit les étoiles, on farte, on glisse, mais on ressort des ateliers surchauffés dans un état second, comme ivre, drogués, titubants… Et vous lisez dans l’Equipe, des toux, des poumons qui s’étiolent, des fièvres qui prennent, la mort d’un maitre italien de la glisse, l’AVC d’un entraineur français au sortir d’une séance de fartage où il avait dit, « on va en crever. ».. En quelques années le ski de fonds réalise qu’il s’est donné à une substance maléfique que la chaleur rend létale, qui se dépose et imprègne la peau, le sang de hommes, et la nature aussi, et qui a déjà provoqué autour de ses usines scandales et procès.

    Il faudrait farter ses skis protégé par des gants, des masques, il faudrait ne plus farter au fluor, mais si on l’interdit, il y aura des tricheurs, un dopage fluoré au mépris du danger, tant la glisse fut bonne et les médailles belles, lis-je, sur le site de l’Equipe : ainsi le poison prend aussi les âmes… »

    Ces produits ne posent pas que des soucis à toutes celles et ceux qui les ont manipulés pour farter les skis, mais plus généralement à la santé et à l’environnement, parce qu’on avait trouvé efficient d’en mettre partout.

    <ECHA> qui est une agence de l’Union européenne dans la chimie explique que les substances perfluoroalkylées (PFAS) forment une grande famille de plusieurs milliers de produits chimiques synthétiques qui sont couramment utilisés dans l’ensemble de la société et que l’on retrouve dans l’environnement :

    « Elles contiennent toutes des liaisons carbone-fluor, qui comptent parmi les liaisons chimiques les plus fortes de la chimie organique. Cela signifie qu’elles ne se dégradent pas après utilisation ou rejet dans l’environnement. La plupart des PFAS sont également facilement transportées dans l’environnement sur de longues distances, loin de leur source d’émission.

    On a fréquemment observé une contamination des eaux souterraines, des eaux de surface et du sol par les PFAS. Le nettoyage des sites pollués est techniquement difficile et coûteux. Si elles continuent à être rejetées, elles ne cesseront de s’accumuler dans l’environnement, dans l’eau potable et dans les aliments. »

    <Ce site> explique en outre que la famille des PFAS est constituée de plus de 4700 molécules chimiques artificielles produites depuis les années 40. Leurs propriétés physico-chimiques de résistance aux fortes chaleurs, aux acides, à l’eau et aux graisses expliquent leur présence dans de nombreuses applications industrielles et dans une multitude de produits de consommation.

    « A titre d’exemples, les PFAS sont utilisés dans les emballages en papier et en carton pour un usage alimentaire, dans les ustensiles de cuisines (notamment pour tout le matériel anti-adhésif), dans les textiles (vêtements d’extérieur, tissus d’ameublement), dans certains pesticides et médicaments, dans les mousses anti-incendie, dans les imperméabilisants, les isolants de fils électriques, les vernis, les peintures et même dans certains cosmétiques.

    Extrêmement persistantes dans notre environnement et dans notre corps, ces molécules sont connues sous le nom de « produits chimiques éternels ». S’accumulant au fil du temps dans l’environnement et chez l’être humain, ces substances pourraient avoir de potentiels impacts sur la santé. L’exposition à ces contaminants peut se produire de différentes manières (métiers à risques, contacts avec la peau, inhalation) mais aussi via la consommation d’aliments à risque : l’eau potable, le poisson, les fruits, les œufs ou les produits transformés à base d’œuf, aliments en contact avec emballages en contenant ou cuisinés avec des ustensiles en contenant. »

    <La mission pour la Science et la Technologie> de l’Ambassade de France Aux États-Unis montrent qu’aux États-Unis ces produits chimiques sont très présents dans les eaux potables et inquiètent les américains alors que les normes américaines sont beaucoup plus laxistes que les normes européennes.

    Un article du Figaro du 18 octobre 2021 rapporte que L’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) a décidé de mener une action vigoureuse pour limiter l’utilisation de ces substances. Le chef de cette agence, Michael Regan a déclaré :

    «Depuis bien trop longtemps, les familles américaines — notamment dans les quartiers défavorisés — ont souffert des PFAS dans leur eau, leur air ou les terrains sur lesquels jouent leurs enfants […] Cette stratégie nationale complète sur les PFAS va protéger les personnes qui en souffrent, en prenant des mesures concrètes et courageuses s’attaquant au cycle de vie complet de ces substances chimiques.»

    Et « National Geographic » nous apprend que les emballages de fast-food aussi en sont des grands utilisateurs : < Les PFAS, ces substances nocives omniprésentes dans nos emballages alimentaires >

    Il semble que certains fabricants comme 3M cité par Wikipedia ont renoncé à utiliser ces substances.

    Mais vu le nombre important d’articles récents sur ce sujet, il semble bien que la prise de conscience du danger soit assez récente.

    <1625>

  • Jeudi 18 novembre 2021

    « La COP26 est terminée. Voici un bref résumé : Bla, bla, bla »
    Greta Thunberg

    La Conférence de Glasgow de 2021 sur les changements climatiques ou COP26 [pour la conférence des parties] a commencé le 1er novembre et s’est terminée le 13 novembre 2021..

    La reine Elizabeth II, 95 ans, une santé fragile, n’a pas pu s’y rendre alors qu’elle était la cheffe d’État de la puissance invitante. Elle a pourtant essayé d’exhorter, dans un message vidéo, les dirigeants mondiaux à « résoudre les problèmes les plus insurmontables ».

    Elle souhaitait que cette conférence soit

    « l’une de ces rares occasions où chacun aura la possibilité de s’élever au-dessus de la politique du moment et de faire preuve d’un véritable sens politique […]

    L’histoire a montré que lorsque les nations s’unissent pour une cause commune, l’espoir est toujours permis […] Nombreux sont ceux qui espèrent que l’héritage de ce sommet – inscrit dans les livres d’histoire qui ne sont pas encore imprimés – vous décrira comme les dirigeants qui n’ont pas laissé passer l’occasion, et qui ont répondu à l’appel des générations futures […] Aucun de nous ne vivra éternellement mais ce combat contre le réchauffement climatique n’est pas pour nous-même, mais pour nos enfants, les enfants de nos enfants et ceux qui suivront leurs pas ».

    Il semble que les espérances soient déçues.

    Je rappelle que la conférence de Paris qui avait soulevé beaucoup d’espoir a eu lieu en 2015, c’était la COP21.

    Si on lit les journaux, ils laissent assez peu de place au doute.

    Les Echos essayent de pratiquer le « en même temps » : « COP26 : les promesses et les impasses du Pacte de Glasgow »

    Mais le journal anglais the Independant repris par Courrier international est beaucoup plus catégorique : « La COP26, un fiasco provoqué par la torpeur des dirigeants politiques »

    TELERAMA tente l’ironie : « Climat : la COP26, le plein d’espoirs… douchés »

    Et le journal de l’écologie REPORTERRE énonce un jugement sans appel : «  COP26 : le gâchis et la déception d’un accord minimal »

    Ce que Greta Thunberg a résumé par cette phrase : «  La COP26 est terminée. Voici un bref résumé : Bla, bla, bla. »

    Vous n’aimez peut-être pas Greta Thunberg, son activisme, sa manière de s’exprimer etc…

    Mais les personnes que nous n’aimons pas, peuvent dire des choses intelligentes.

    Peut-être préférez vous Jean-Marc Jancovici qui a partagé ces dessins :


    Depuis la COP21, les gaz à effet de serre n’ont pas diminué dans l’atmosphère, ils ont augmenté.

    L’Organisation des Nations unies (ONU) a émis, lundi 25 octobre, un nouveau bulletin alarmant :

    « les concentrations de gaz à effet de serre ont encore atteint des records en 2020, et l’Amazonie perd de sa capacité à absorber le CO2 »

    Le Monde écrit :

    « Les trois principaux gaz à effet de serre – CO2, méthane (CH4) et protoxyde d’azote (N2O) –, ont atteint des sommets en 2020. Le taux d’augmentation annuelle de concentrations de chacun de ces gaz a même dépassé la moyenne de la période 2011-2020. Le ralentissement de l’économie imposé par la pandémie de Covid-19 « n’a pas eu d’incidence perceptible » sur le niveau et la progression des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, malgré un recul temporaire des nouvelles émissions ».

    De sorte que l’Organisation météorologique mondiale (OMM), prédit que si on continue sur cette lancée on risque d’atteindre une augmentation de températures de 4° au lieu de l’objectif des 1,5.

    Jancovici explique très justement, qu’il ne faut pas se tromper de repère. Une augmentation moyenne de la température de 2° n’a rien à voir avec la sensation que nous avons quand la température extérieure passe de 12° à 14°. Pour comprendre, il est plus juste de le comparer à la température de notre corps qui passerait de 37° à 39°. Les conséquences en sont autrement plus impactant.

    Pendant ce temps, il se passe des choses dans le Monde.

    Claude Askolovitch, le 16 novembre, dans sa revue de Presse nous apprend :

    « On parle d’une brebis…

    Qui sans le savoir nous dit notre futur alors qu’elle pâture paisiblement à la ferme du Mourier à Saint-Priest-Ligoure dans la Haute-Vienne, elle porte au cou un collier nanti d’un boitier sombre, et alors qu’elle marche sans penser à mal, le collier émet une musique, et comme elle avance encore, il lance un autre son, et puis encore un autre, et puis lui envoie une décharge électrique, est-ce suffisant pour qu’elle reste en place, pauvrette… Et ainsi, le Populaire du Centre nous raconte comment la science réinventent la pâture, dans des paysages dépourvus de clôtures physiques, mais dont les parcelles sont pourtant délimitées par des clôtures virtuelles que contrôle un smartphone, et nos brebis, géo localisées, reçoivent donc de la musique et puis un choc électrique si elles font mine de dépasser la clôture virtuelle qu’elle ne peuvent pas voir… Notez que si même la décharge électrique ne calme pas la brebis, son propriétaire reçoit un sms pour l’avertir que sa bête s’est échappée…

    Nous sommes donc demain. Je lis dans le Figaro que Monsieur Elon Musk veut m’amener l’internet à très haut débit dans l’avion. Je lis dans les Echos que pour les jeux de 2024, Paris et la RATP rêvent de taxis volants… Je lis dans Ouest-France que André-Joseph Bouglione et son épouse Sandrine montent un spectacle de cirque 100% humain, où les animaux seront des hologrammes…
    Je lis dans Libération que dans nos villes des start-ups se font fort de nous livrer en dix minutes sur notre pas de porte, le dentifrice les sex-toys les couches de bébé, la bouteille de vin, les pâtes, que sais je qui manquent urgemment… Ainsi se soutient la consommation, par des livreurs fonçant dans Paris à vélo, leurs patrons disent qu’ils les traitent bien, on leur fournit même parfois le téléphone portable -ça permet au passage de surveiller sa brebis.. »

    Le même jour, Guillaume Erner, dans son humeur du matin approfondissait  ce sujet de la «livraison express ».

    « Voilà une promesse qui m’a laissé songeur – avoir envie de se faire livrer ses courses en moins de 15 minutes – je ne vois pas bien comment c’est possible.

    Et, pourtant, c’est ce que promettent désormais de nombreuses entreprises, si j’en crois les publicités visibles un peu partout à Paris, puisqu’à la campagne, une telle promesse n’existe pas, enfin pas encore.

    Je ne vois pas comment, en 15 minutes, une personne peut à la fois remplir un caddy pour vous et, surtout, vous livrer vos courses en pédalant comme un dératé. Or, Libération consacre un dossier à cette nouvelle tendance, y compris une forme de test intitulé « Quick ou couac », et Libé de tester la possibilité réelle ou non de se faire livrer des courses, un apéro, un trou normand, bref ce que vous voudrez dans le délai imparti.

    « Or, cette promesse, comme disent les publicitaires, se faire livrer ses courses en 15 minutes, je la trouve plus que problématique. Car qui a besoin de ses courses en 15 minutes ? C’est finalement cela la ville du quart d’heure, une ville qui met la pression sur des personnes qui, elles, doivent tenir la promesse du quart d’heure. En réalité, on doit être capable de patienter un peu pour la livraison du lait, et si vous voulez une livraison immédiate de lait peut-être pouvez-vous – truc de dingue – allez-vous la chercher vous-même.

    […] ce qui paraît problématique, c’est de proposer un service dont personne n’a réellement besoin – tout le monde peut patienter plus de 15 minutes – mais si vous construisez cela en norme, alors bientôt, tout devra se faire en un quart d’heure, et en un quart d’heure nous deviendrons dingues. C’est ce que le sociologue Daniel Bell appelait les contradictions culturelles du capitalisme, comme imaginer une société où l’on veut la quiétude pour soi et le chaos pour les autres. »

    Peut-être ces 3 faits : l’échec de la Cop26, les nouvelles idées technologiques pour organiser le monde et la réduction du délai de livraison n’ont aucun rapport.

    Ou peut-être que si….

    On annonce aussi le Black Friday pour le 26 novembre. Et cette fois, pas d’interrogation : cette orgie de consommation compulsive est exactement le contraire de ce qu’il faudrait faire pour lutter contre le dérèglement climatique. France Info explique que <cette opération commerciale est lourde de conséquences pour la planète.>.

    On en revient alors toujours à cette formule, d’un temps ancien, écrit par Bossuet : «Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes

    <1624>

     

  • Mercredi 17 novembre 2021

    « Silence »
    Poème d’Albert Samain

    On ne sort pas de ce cheminement, le long de la route de Lhasa, au bout de l’émotion, sans être troublé et profondément marqué.

    Passer immédiatement à un autre sujet est difficile.

    Il faut probablement franchir une étape qui s’apparente à un sas de décompression.

    Alors je me suis souvenu d’avoir entamé cette nouvelle saison en évoquant le silence des moines du couvent de la chartreuse.

    Le silence !

    Le silence ne se limite pas à se taire.

    Deux êtres humains, assis côte à côte, absorbés par leur smartphone, se taisent, mais ne sont pas dans le silence.

    Pour être dans le silence, il faut d’abord être présent, simplement être là.

    Et puis, il faut être ouvert à la beauté, à l’univers dans lequel nous sommes un petit corps vivant, à l’autre, à sa joie, sa douleur, son émotion, ses questionnements.

    Le silence est accueil.

    En butinant sur la toile, j’ai accueilli ce poème d’Albert Samain : « Silence »

    Je me souviens d’avoir appris, à l’école primaire, certaines de ses poésies.

    Il vivait au XIXème siècle.

    Il n’a pas connu la première année du XXème siècle puisqu’il est mort en 1900, à l’âge de 42 ans.

    C’est la tuberculose qui était très meurtrière dans ce temps-là, qui l’a emporté.

    Son poème parle de silence, certes pas du silence des moines. Un silence davantage tourné vers l’humain que vers le divin :

    Le silence descend en nous,
    Tes yeux mi-voilés sont plus doux ;
    Laisse mon cœur sur tes genoux.

    Sous ta chevelure épandue
    De ta robe un peu descendue
    Sort une blanche épaule nue.

    La parole a des notes d’or ;
    Le silence est plus doux encor,
    Quand les cœurs sont pleins jusqu’au bord.

    Il est des soirs d’amour subtil,
    Des soirs où l’âme, semble-t-il,
    Ne tient qu’à peine par un fil…

    Il est des heures d’agonie
    Où l’on rêve la mort bénie
    Au long d’une étreinte infinie.

    La lampe douce se consume ;
    L’âme des roses nous parfume.
    Le Temps bat sa petite enclume.

    Oh ! s’en aller sans nul retour,
    Oh ! s’en aller avant le jour,
    Les mains toutes pleines d’amour !

    Oh ! s’en aller sans violence,
    S’évanouir sans qu’on y pense
    D’une suprême défaillance…

    Silence !… Silence !… Silence !…
    Albert Samain.
    Recueil : Au jardin de l’infante (1893).

    <1623>

  • Mardi 16 novembre 2021

    « Lhasa de Sela »
    Publication de la page consacrée à la série

    Lhasa de Sela a vécu ses premières années, avec ses parents et ses frères et sœurs, dans un bus scolaire qui servait de logement et de moyen de locomotion pour sillonner les Etats-Unis et le Mexique.

    Quand Lhasa a écrit un livre, elle l’a nommé « La route qui chante ».

    Et quand un documentaire lui a été consacré, il a été appelé « La route de Lhasa ».

    Lhasa, la nomade, s’est posée à Montréal pour réaliser 3 albums.

    3 albums qui sont autant de pépites dans une vie qui n’a pas atteint 38 ans.

    Ce fut pour moi, un choc émotionnel de la découvrir.

    Ma rencontre avec cette voix, sa musique et ses paroles eut lieu 11 ans après qu’elle fut arrachée à la vie.

    J’ai écrit une série de 7 mots du jours pour essayer de partager cette émotion..

    La page consacrée à cette série est en ligne sur la page des séries.

    Mais vous pouvez aller directement sur la page en suivant ce lien : <Lhasa de Sela 1972-2010>

    <Mot sans numéro>

  • Lundi 15 Novembre 2021

    « La dernière chanson de Lhasa. »
    Selon un récit de son ami Arthur H

    J’avais commencé cette série par une question : Connaissez-vous Lhasa ?

    Et puis, je vous ai renvoyé vers ce documentaire <La route de Lhasa (1972-2010)> qui me l’a fait découvrir.

    Après, je vous ai invité à entreprendre avec moi la visite de la route de Lhasa. Je n’en ai découvert qu’une partie et j’en ai partagé moins encore.

    Pourtant, j’ai la faiblesse de penser que si vous avez accepté de me suivre et que vous aviez répondu à la première question, « non », vous répondrez désormais : «Oui je connais Lhasa de Sela» et ce « Oui » contiendra quelque chose comme une lumière, une gratitude envers cette artiste incroyable. Mon exploration de la route de Lhasa s’achève aujourd’hui, par la découverte de la dernière chanson de Lhasa selon le fils de Jacques Higelin.

    Je l’ai écrit vendredi, Lhasa au début de son cancer, n’a pas accepté de se soumettre aux traitements conventionnels proposés par la médecine occidentale.

    Si les chansons du dernier album ont été écrits avant la révélation de la maladie, l’enregistrement et la confection du disque ont été réalisés alors que la maladie était très présente.

    Les traitements conventionnels, enfin tentés, ont offert une accalmie, probablement de l’espoir, mais pas de rémission.

    L’accalmie a permis de débuter la promotion de l’album ultime : deux fois à Paris, une fois à Londres et deux fois en Islande.

    C’est en Islande qu’eurent lieu les deux derniers concerts. Le journal canadien<Le Devoir> raconte

    « Aller jouer en Islande, est-ce que ça vous tente ? » C’est ainsi que Lhasa a lancé l’offre à ses musiciens, se souvient Joe Grass, le guitariste de la chanteuse à l’époque. « Et on a évidemment dit : « Euh… oui ! » », rigole-t-il.

    Deux concerts ont eu lieu au Reykjavik Arts Festival, les 23 et 24 mai 2009, en amont de la tournée prévue après le lancement du disque Lhasa — tournée qui n’aura finalement pas lieu pour des raisons de santé. « C’était dans une salle sur le carré principal à Reykjavik, une belle place, une vieille bâtisse qui devait accueillir 800 personnes ou quelque chose comme ça », raconte Grass.

    Lhasa et ses musiciens — Joe Grass, Sarah Pagé, Andrew Barr et Miles Perkins — ont passé deux semaines là-bas, une avant les concerts, l’autre après. « On était dans la campagne, à une heure de Reykjavik, dans une petite cabin, se remémore Joe Grass. On cuisinait le souper chaque soir, on écrivait, on jouait chaque jour pour préparer le show. C’était plein d’incertitudes, elle savait déjà qu’elle était malade, on parlait de ne pas continuer [la tournée] ou de la faire autrement. Mais c’était une belle expérience, tous ensemble. »

    Un enregistrement live a été fait de ces derniers concerts. Il s’appelle « Live in Reykjavik », il est paru en 2017.

    Voilà ce qu’on pouvait lire dans TELERAMA le 29/11/2017 de ce live de Reykjavik

    « Ce live, inédit, a été capté à Reykjavik en 2009, six mois avant la mort de la chanteuse. Bouleversant.

    C’est un chant d’outre-tombe, gorgé de douleurs et de joies, porteur d’une sagesse infinie. C’est l’ultime concert de Lhasa, capté à Reykjavik le 24 mai 2009, un peu plus de six mois avant qu’elle disparaisse, à seulement 37 ans. Il est d’une beauté renversante. Tous ceux qui ont aimé la jeune femme de son vivant seront emplis d’émotion à entendre ainsi sa voix qui chante, parle, rit — alors qu’elle pensait donner le coup d’envoi d’une tournée que la maladie lui aura finalement interdit. […] Et que ceux qui ignoreraient le pouvoir de Lhasa se précipitent ! Ils entendront ici un concert poignant, aux ombres crépusculaires mais dansantes, qui fut donné avec recueillement. C’est de la même façon qu’il convient de le recevoir. Sans autre support qu’une contrebasse, une harpe, une guitare et une batterie, la force quasi transcendantale du chant nous revient intacte, et saisissante. »
    Valérie Lehoux

    C’était les chansons du troisième album avec quelques chansons des albums précédents.

    En Islande, Lhasa en collaboration avec Joe Grass initiera la composition d’une ultime chanson « Island Song ».

    Fred Goodman écrit :

    Trois jours à peine après être rentrée à Montréal, Lhasa s’est pointée à une répétition avec l’essentiel des paroles de « Island song », la pièce qu’elle avait ébauchée avec Joe en Islande. Plus tard, cette semaine-là, alors que Sarah (la harpiste) et le guitariste l’accompagnaient dans une émission de la CBC pour promouvoir l’album, elle a insisté pour inclure la nouvelle chanson au répertoire. Quelques jours plus tard , le trio en enregistrait une version définitive. Il s’agit de l’ultime enregistrement de Lhasa »
    Goodman « Envoutante Lhasa » Page 164

    Je n’ai pas trouvé trace de cet enregistrement.

    J’ai trouvé sur internet <Cette interprétation audio>.

    Formellement il s’agit de la dernière chanson de Lhasa. Mais ce n’est pas « Island Song » dont Arthur H parle quand il évoque la dernière chanson de Lhasa

    Arthur H était devenu ami de Lhasa, après son premier concert parisien au Bataclan. Il disait d’elle :

    « A ses côtés, on avait l’impression que le temps se dilatait. Sous son aura, on entrait facilement dans le rêve et la création »

    Et il a composé une chanson à sa mémoire : <Sous les étoiles à Montréal> qui se trouve sur son album « Chien fou » :

    Sous Les étoiles à Montréal

    Musique hypnotique et le thé trop chaud
    Princesse mexicaine au sourire de Mona Lisa
    Je te respire et tu m’inspires
    Sous les étoiles chez Lhasa

    Jolie sorcière tu nous tirais les cartes
    Le Fou, la Lune et l’Amoureux
    Le destin était si audacieux
    Sous les étoiles à Montréal

    La luz de tu cuerpo était si belle
    La luz de tu corazón aussi
    Je n’ai pas voulu te voir mourir
    Sous les étoiles à Montréal

    Une nuit d’hiver par la fenêtre ouverte
    S’envole un souffle au-dessus
    De la ville blanche et mystique
    Sous les étoiles de Lhasa

    Et tu chantes avec le Roi Cohen
    Sous les étoiles à Montréal
    Et tu chantes avec le Roi Cohen
    Sous les étoiles à Montréal

    Grâce à cette chanson j’ai appris qu’elle avait des liens avec Leonard Cohen. Le livre de Goodman n’en parle pas.

    <Ce site > nous apprend que le directeur musical de Leonard Cohen, l’a appelée pour lui demander d’auditionner au poste crucial de choriste pour la suite de la tournée de Leonard Cohen, l’un de ses maîtres :

    « Elle hésite peu ; l’aventure promet d’être riche, la bienveillance du chanteur est réputée, et son disque à elle peut être décalé : elle auditionne donc et les répétitions commencent. Au bout de quelques jours néanmoins, elle va voir Cohen et lui annonce ce qu’elle vient d’apprendre : elle souffre d’un cancer du sein, à un stade avancé. Le chanteur l’encourage à « faire le nécessaire », elle quitte donc le navire à peine embarqué pour se consacrer à sa vie, à son disque »

    Quand on cherche, on trouve. Il y a cette vidéo qui montre Lhasa au Festival International de Jazz de Montréal, en 2008, chanter la chanson de Leonard Cohen <Who by Fire>.

    Mais revenons à la dernière chanson de Lhasa, selon la sensibilité d’Arthur H

    C’est lui qui nous fait ce récit dans lequel, il raconte les circonstances dans lesquelles il a entendu la dernière chanson de Lhasa :

    «Je vais vous raconter sa dernière musique, sa dernière chanson.
    Nous étions à Montréal chez trois de ses sœurs. Lhasa vivait à Montréal au Québec, et Ayin, Sky et Miriam vivaient à Montréal en Bourgogne [dans l’Yonne] (elles étaient très connectées).
    Alexandra Karam, leur mère avait rapporté les cendres de sa fille dans une urne sobre.
    Le matin, nous nous sommes rassemblés dans une petite grange, il y avait tous les amis de France, beaucoup de circassiens, les amis de Marseille. C’était presque six mois après sa disparition et la douleur était encore tenace.
    On a projeté un bout de film, écouté quelques interviews et la tristesse est tombée sur nous comme une montagne de plomb. […]

    Une étoile était morte, l’avenir avait cessé d’être, rien ne semblait plus possible.
    On pouvait dans notre corps, sentir quelque chose de dur, de solide, qui nous empêchait de respirer.
    Puis nous avons dû monter dans quelques voitures : il fallait se rendre dans une petite chapelle du Moyen âge perdue dans les bois. Nous nous sommes garés, nous avons marché 5 minutes dans la forêt puis nous nous sommes installés à côté de l’église, chacun trouvant sa place. Le sous-bois était frais, les arbres immenses, laissaient à peine passer la lumière du soleil, pourtant nous étions au mois de juin et il était midi. Tout est devenu très doux […]
    Un calme profond est apparu qui a presque fait disparaître la tristesse.
    Puis l’urne, lentement, est passée de main en main, chacun l’a serrée contre son cœur, c’étaient les dernières traces physiques de Lhasa.
    Chacun a murmuré des paroles de gratitude, des encouragements pour l’autre monde, chacun a mesuré la chance inouïe d’avoir croisé cet être. Les déclarations d’amour se suivaient et se ressemblaient. Une joie très ancienne, qui était unique pour chacun, s’est installée, une joie éphémère : le deuil ne faisait que commencer. Des enfants ont récité des poèmes, chanté des chansons et quand le tour a été fini, l’atmosphère était considérablement différente, dense et légère à la fois.
    L’urne est revenue dans les bras d’Alexandra et nous l’avons suivie tandis qu’elle se dirigeait vers le gros ruisseau qui coulait en contrebas. Alexandra s’est agenouillée, a ouvert l’urne et très délicatement, a pris des poignées de cendre qu’elle a jetées dans l’eau.
    Au début cela faisait de grandes tâches noires puis rapidement, le courant qui était vif, a fait tournoyer la cendre.
    Stupéfaits, réellement abasourdis, nous avons vu les dernières traces de Lhasa s’éclaircir puis disparaître totalement dans l’onde, un retour très concret dans la matrice de l’univers.
    C’était un rite mystique, essentiel, au-delà du temps, qui nous faisait comprendre de l’intérieur que nous aussi étions destinés à retourner dans cette matrice.
    Un grand silence s’est fait qui nous a permis de mieux entendre la musique de l’eau vive, puissante et gracieuse.
    C’était la dernière chanson de Lhasa.
    La mémoire de son sourire, de sa voix souple et chaude, la force du courant, les scintillements du soleil qui illuminait le ruisseau, le son de l’eau, tout se mélangeait et tout disait : tout va bien, ne vous inquiétez pas, je suis bien où je suis.
    C’était le son de l’âme de Lhasa […]»
    Préface du livre « Envoutante Lhasa » Page 12 & 13

    <1622>

  • Vendredi 12 Novembre 2021

    « Lhasa de Sela qui remuait la vie de celles et ceux qui entendaient sa voix. »
    Vincent Delerm

    Le 3 janvier 2010 le site internet de l’artiste avait publié ce message :

    «Lhasa de Sela est décédée à son domicile de Montréal pendant la soirée du 1er janvier 2010, un peu avant minuit. Un cancer du sein qu’elle a combattu avec courage et détermination pendant plus de 21 mois l’aura finalement emportée. Durant cette période difficile, elle a continué à toucher la vie des gens qui l’entouraient avec la grâce, la beauté, et l’humour qui la caractérisaient.
    Il a neigé plus de 40 heures à Montréal depuis son départ. »

    Le cancer qui l’a frappé l’a donc tué en moins de deux ans

    Le cancer est une trahison ! Une trahison cellulaire.

    Des cellules n’acceptent pas leur destinée : naitre, vivre et mourir pour l’intérêt supérieur du corps vivant qui les portent.

    Elles n’acceptent pas de mourir et se multiplient créant des métastases et, finalement tuent le tout dont elles ne sont qu’une partie.

    Quand cette trahison a lieu dans un corps jeune comme celui de Lhasa, le dynamisme de vie est utilisé par les cellules rebelles pour se répandre encore plus vite.

    Lhasa quand elle a appris le diagnostic, a refusé de se soumettre aux traitements conventionnels que lui proposaient les médecins et que ses proches lui enjoignaient de prendre.

    Elle voulait se soigner avec des méthodes naturelles.

    Personne n’est en mesure de dire si l’utilisation immédiate des traitements conventionnels auraient pu la guérir ou lui accorder quelques années supplémentaires, ou simplement quelques mois.

    Elle acceptera finalement ces traitements rejetés dans un premier temps.

    Elle aura l’espoir de guérir, jusqu’en novembre 2009, après selon ce qu’écrit Fred Goodman le sentiment monte que c’est la fin.

    Le cancer se généralisa, sa fin de vie sera très dure.

    Sa demi-sœur Gabriela déclara :

    « Je ne sais pas s’il est utile de voir quelqu’un souffrir aussi atrocement. Je pense que ça n’apporte rien. C’est ce que j’en retiens. J’aurais vraiment souhaité qu’elle décide elle-même de mettre fin à ses jours, plusieurs mois auparavant au lieu de vivre une telle épreuve. Je l’aurais souhaité »
    « Envoutante Lhasa » Page 168

    Elle passera le nouvel an, mais pas le premier jour de 2010.

    La famille attendra le 3 janvier pour officialiser la nouvelle qui s’était répandu sur la toile.

    Il y aura une pluie d’hommages.

    Je m’arrêterai sur celui de Vincent Delerm que je trouve très beau et très juste.

    Ils avaient chanté ensemble <L’échelle de Richter>

    Elle avait cependant déclaré :

    « J’ai grandi en me sentant hors du temps, sans télévision, ni électricité, ni eau courante… et j’aimais ça. Aujourd’hui, quand j’écris, j’ai tendance à davantage chercher des images de choses éternelles que transitoires. Je ne parle jamais de téléphones, de voitures ni de marques. Je suis le contraire de Vincent Delerm. J’aime plutôt chanter les vérités éternelles… »

    Son contraire a donc écrit et c’est Vincent Josse qui l’a publié sur France Inter le 5 janvier 2010 : <C’était ça Lhasa>

    « Trois fois comme si le sol avait tremblé. Trois fois la voix de Lhasa.

    La première c’était chez elle, à Montréal, il y a six ans. Nous étions venus faire un concert là-bas avec Mathieu Boogaerts et le lendemain, dans sa maison, elle nous faisait écouter les maquettes de son deuxième album. Dehors, nuit et tempête de neige. Dedans, bougies, cadres minuscules avec photographies de proches sur un mur et cette chanson « J’arrive à la ville ». Sa voix sur cette chanson. La vie privée vacillait depuis quelques temps et cette musique, écoutée près d’elle qui souriait à côté de la chaîne hifi, m’a convaincu de tout changer en rentrant à Paris.

    La deuxième, c’était lors de son concert au Rex l’année suivante. J’étais assis à côté d’une amie commune qui avait affronté une épreuve violente quelques semaines plus tôt. Nous étions au balcon et la minuscule silhouette de Lhasa sur scène en contrebas a dit, avec son accent étrange, quelque chose comme « parfois, la vie ne ressemble pas à ce qu’on voudrait. Cette chanson c’est pour toi, Ingrid ». Après le spectacle, dans sa loge, pas pu parler, lui dire que c’était un concert incroyable, juste fondu en larmes, à cause de sa voix qui avait tout remué pendant deux heures.

    Sa voix comme tout le temps relié au sol. Sa voix de trois-mille ans.

    La troisième fois c’était autour d’un projet initié par notre maison de disques, Tôt ou Tard, qui souhaitait faire un album entièrement composé, joué et interprété par les artistes du label.
    Lhasa m’avait dit « j’aimerais bien que tu écrives une chanson pour nous deux, mais une chanson sans nom propre, sans références, parce que moi je ne vis pas en France et parfois, tes références, je ne les comprends pas ».
    J’avais envoyé la chanson, sans référence. Le jour où nous l’avons enregistrée, nous avons décidé de chanter l’intégralité du titre à deux voix, elle a juste dit : « à l’hôtel, en écoutant la chanson, j’ai pensé faire ce petit contrechant-là », et bien sûr, ça changeait la mélodie en mille fois mieux.

    C’était violent, une fois de plus, d’entendre sa voix, très fort dans le casque.
    Entendre sa voix articuler les mots écrits pour elle et qui faisaient allusion à l’histoire que j’avais quittée dans ma tête en écoutant « J’arrive à la ville », quelques années plus tôt.
    Je me souviens de ne pas avoir dormi la nuit qui a suivi.
    C’était Lhasa.
    Lhasa de Sela qui remuait la vie de celles et ceux qui entendaient sa voix. »

    <1621>

  • Mercredi 10 Novembre 2021

    « I’m going in. »
    Lhasa

    « I’m going  in » est la chanson la plus longue du dernier album de Lhasa.

    Il n’y a qu’un piano qui avec quelques accords produit un accompagnement minimaliste.

    La mélodie écrite par Lhasa soutient les paroles écrites par Lhasa , sa voix porte son message et fait vibrer au plus profond de l’être.

    <Going In> est aussi un film documentaire tourné en avril 2009. Il dure moins de 30 minutes, juste avant la fin elle chante « I’m going  in » en s’accompagnant, elle-même, sur un piano désaccordé.

    <La Métropole>, webmagazine de Montréal le présente ainsi :

    « Le 16 janvier 2020, Going In : un film inespéré et contemplatif sur l’art de la chanteuse Lhasa de Sela, surgit discrètement sur des plateformes Web.*

    À partir d’un instant précis d’avril 2009, ce fragment éblouissant de vie cristallisée — intemporel et infini — se déploie à l’écran… Tous ceux et celles qui ont été touchés par cette artiste ont sans nul doute ressenti, et viscéralement, le sens unique qui était le sien pour magnifier le 4eme art — une démarche d’une pureté et d’un absolu saisissant… […]

    Peu de documents audiovisuels ont été réalisés sur Lhasa et sa carrière, provoquant ainsi une certaine forme d’aura mystérieuse autour de la chanteuse. Heureusement, avec cette caméra dans le sillage de cet être sublime, ce film expose un rare moment d’intimité — le privilège, en quelque sorte, d’évoluer avec cette artiste, dans son univers de création, dans sa propre vie.

    Un judicieux plan de caméra sur l’extérieur (un traveling à bord d’un train) nous conduit de la campagne jusqu’au cœur de Montréal. Comme si, sur cette voie ferroviaire, on revivait l’arrivée en ville, à l’aube des années quatre-vingt-dix, de cette jeune chanteuse d’origine américano-mexicaine arrivant de San Francisco. C’était le début de sa carrière musicale…

    […] Sur ses mélodies en fond sonore, l’artiste livre des parcelles de son intériorité : ses peurs, son contact complexe avec l’industrie musicale et sa difficile émancipation.

    […] Dans un moment de recueillement artistique — quasi mystique — Lhasa, assise au piano, chante sa bouleversante pièce « I’m Going In ». Sur ce fond musical, un deuxième traveling s’engage, cette fois sur le béton austère de Montréal et s’échappe de ces lieux pour nous ramener vers des sites naturels en périphérie de la cité : analogie du grand départ, vers l’unique voyage nous ramenant au point fixe…

    Cette ode cinématographique fut réalisée par Vincent Moon, cinéaste français indépendant à l’approche instinctive, dont les essais cinématographiques avant-gardistes sont chaque fois consacrés au monde de la musique. En collaboration avec la chanteuse, il organisa et filma un spectacle intimiste, dont certains extraits servirent à promouvoir quelques pièces dudit album. En plus d’avoir capté cette performance, Moon suivit Lhasa avec sa caméra pendant quelques jours… Pendant plus de dix ans, ces bobines ont dormi, jusqu’à ce que Moon se décide enfin à replonger son regard sur ce moment archivé pour se livrer à un savant montage — trame contemplative pour le moins aussi ensorcelante que Lhasa elle-même. Le metteur en scène a su explorer et saisir un moment très concis d’une vie, tout comme il a accompli une véritable plongée dans l’esprit artistique de Lhasa, un être d’exception, lisant Thoreau et en donnant une relecture bouleversante. Le regard de Lhasa, inoubliable, aussi fixe que fulgurant, sur un incandescent voyage existentiel… »

    Comme toutes autres chansons du dernier album, Lhasa l’a écrite avant de recevoir son diagnostic.

    Mais elle la chante après.

    Les premières paroles :

    « Alors que ma vie prenait fin
    Et que ma mort venait à commencer
    Je t’ai dit que je ne te quitterai jamais »

    Comme un présage de mort.

    Fred Goodman avance cette suggestion :

    « Peut-être cela vient-il simplement de sa nature mélancolique : peut-être son intuition innée l’a-t-elle amenée à soupçonner que quelque chose ne tournait pas rond ; peut-être sa prédilection pour les archétypes universels rend-elle les chansons ouvertes à de multiples interprétations. »
    « Envoutante Lhasa » Page 160

    C’est la chanson préférée d’Alexandra Karam, sa mère : <Lhasa vue par sa mama> qui ajoute :

    « Qui ne parle pas de la mort, contrairement à ce qu’on pourrait croire »

    Et pourtant elle chante comme un adieu :

    « Ne me demande pas de revenir à moi
    Je suis maintenant prête à y aller »

    Ou encore :

    « Je pars, je m’en approche
    Je peux soutenir la douleur
    Et la chaleur aveuglante »

    N’est-ce pas une description qui renvoie vers le récit des expériences de Mort Imminente telle que l’avait décrite, l’Américain Raymond Moody dans son livre « La vie après la vie » ?.

    Et puis n’annonce t’elle pas la cérémonie de l’Adieu dans ces mots ?

    « Vous me parlerez
    Mais je ne pourrai vous comprendre
    Je tomberai au bord du chemin
    Vous me tendrez la main
    […]
    Je n’ai pas creusé si loin
    Pour revenir très vite à vous »

    Fred Goodman qui parle du « tour de force » intitulé « I’m Going in » et de son côté « troublant. » se résout pourtant à conclure comme la mère de Lhasa :

    « La chanson porte sur l’expérience de la naissance et du renouveau spirituel. Lhasa y affiche un optimisme profond, voire religieux, convaincue quelle ne pourra jamais vraiment disparaître »

    Dans le documentaire précité, avant de chanter la chanson, elle parle d’un livre de Thoreau et d’expériences spirituelles qui s’apparentent à une renaissance, une nouvelle naissance. Elle chante d’ailleurs :

    « Je me sens renaître
    Comme si ce corps fut le premier que j’épuisais »

    Les américains croyants ont cette expression « born again »

    La fin est comme l’écrit Fred Goodman d’un optimisme profond :

    « Même perdue et aveugle
    J’ai réinventé l’amour »

    Il n’est pas nécessaire d’adhérer à cette vision spirituelle, peut être religieuse, pour être subjuguée par la beauté et la sensibilité de ce que chante cette artiste, au seuil de la mort.

    Si Lhasa n’avait écrit que cette seule chanson, elle serait déjà inoubliable.

    Sublime !

    Paroles de chanson et traduction Lhasa de Sela – I’m Going In trouvées sur le site : <http://paroles-traductions.com>

    WHEN MY LIFETIME HAD JUST ENDED
    Alors que ma vie prenait fin
    AND MY DEATH HAD JUST BEGUN
    Et que ma mort venait à commencer
    I TOLD YOU I’D NEVER LEAVE YOU
    Je t’ai dit que je ne te quitterai jamais
    BUT I KNEW THIS DAY WOULD COME
    Mais je savais que ce jour viendrait


    GIVE ME BLOOD FOR MY BLOOD WEDDING
    Donne-moi du sang pour mes noces de sang
    I AM READY TO BE BORN
    Je suis prête à advenir
    I FEEL NEW
    Je me sens renaître
    AS IF THIS BODY WERE THE FIRST I’D EVER WORN
    Comme si ce corps fut le premier que j’épuisais


    I NEED STRAW FOR THE STRAW FIRE
    Il me faut une paille, pour le feu de paille
    I NEED HARD EARTH FOR THE PLOW
    J’ai besoin de terre forte pour la charrue
    DON’T ASK ME TO RECONSIDER
    Ne me demande pas de revenir à moi
    I AM READY TO GO NOW
    Je suis maintenant prête à y aller


    I’M GOING IN I’M GOING IN
    Je pars, je m’en approche
    THIS IS HOW IT STARTS
    Et voici comment cela commence
    I CAN SEE IN SO FAR
    Je ne puis me projeter si loin
    BUT AFTERWARDS WE ALWAYS FORGET
    Mais après tout, nous oublions toujours
    WHO WE ARE
    Qui nous sommes


    I’M GOING IN I’M GOING IN
    Je pars, je m’en approche
    I CAN STAND THE PAIN
    Je peux soutenir la douleur
    AND THE BLINDING HEAT
    Et la chaleur aveuglante
    ‘CAUSE I WON’T REMEMBER YOU
    « Puisse que je ne me souviendrai pas de toi
    THE NEXT TIME WE MEET
    A notre prochaine rencontre


    YOU’LL BE MAKING THE ARRANGEMENTS
    Vous saurez prendre les dispositions
    YOU’LL BE TRYING TO SET ME FREE
    Vous essaierez de me libérer
    NOT A MOMENT FOR THE MEETING
    Pas même le temps d’un rendez-vous
    I’LL BE BUSY AS A BEE
    Je serai aussi occupée qu’une abeille


    YOU’LL BE TALKING TO ME
    Vous me parlerez
    BUT I JUST WON’T UNDERSTAND
    Mais je ne pourrai vous comprendre
    I’LL BE FALLING BY THE WAYSIDE
    Je tomberai au bord du chemin
    YOU’LL BE HOLDING OUT YOUR HAND
    Vous me tendrez la main


    DON’T YOU TEMPT ME WITH PERFECTION
    Ne me tente pas par la perfection
    I HAVE OTHER THINGS TO DO
    J’ai bien d’autres choses à faire
    I DIDN’T BURROW THIS FAR IN
    Je n’ai pas creusé si loin
    JUST TO COME RIGHT BACK TO YOU
    Pour revenir très vite à vous


    I’M GOING IN I’M GOING IN
    Je pars, je m’en approche
    I HAVE NEVER BEEN SO UGLY
    Je n’ai jamais été aussi moche
    I HAVE NEVER BEEN SO SLOW
    Je n’ai jamais été si lente
    THESE PRISON WALLS GET CLOSER NOW
    Plus les murs de cette prison se rapprochent maintenant
    THE FURTHER IN I GO
    Au plus loin je m’y enfonce


    I’M GOING IN I’M GOING IN
    Je pars, je m’en approche
    I LIKE TO SEE YOU FROM A DISTANCE
    J’aime à vous voir au loin
    AND JUST BARELY BELIEVE
    Et avoir peine à croire
    AND THINK THAT
    Et songer que
    EVEN LOST AND BLIND
    Même perdue et aveugle
    I STILL INVENTED LOVE
    J’ai réinventé l’amour
    Traduction par Corinne Tartary

    <1620>

  • Mardi 9 Novembre 2021

    « J’écris des chansons pour m’aider à avancer. Elles sont mes étoiles. Elles me guident dans la nuit. »
    Lhasa

    Le chant du cygne, son troisième et dernier album est paru en 2009. Il avait simplement pour titre : « Lhasa »

    Il aura donc fallu à nouveau 6 ans entre le précédent album et celui-ci.

    La maturation était lente chez cette artiste, c’est probablement pour cette raison que le résultat est si abouti.

    Cette fois elle ne quittera pas Montréal. Après deux ans passés sur les scènes du monde entier pour présenter son deuxième album, elle se mettra tranquillement à composer les paroles et les mélodies pour son nouvel ouvrage.

    Et comme précédemment elle va changer de musiciens.

    Lhasa était selon la description qu’en fait Fred Goodman une personne sympathique, chaleureuse et fidèle en amitié. Mais pour sa trajectoire musicale, elle était sans concession : savait ce qu’elle voulait et n’hésitait pas à trancher dans le vif.

    Rien ne l’illustre mieux que son attitude avec Mélanie Auclair, une violoncelliste qui a intégré son groupe de musicien pour l’album « Living Road » et qui va devenir son amie.

    Fred Goodman raconte :

    « L’arrivée de Mélanie était un changement bienvenu pour Lhasa. Au cours des tournées précédentes, elle s’était sentie isolée : presque chaque soir, les gars [que des hommes] faisaient la fête pendant qu’elle dormait et reposait sa voix. Cette fois, elle voulait que ça se passe autrement. Lhasa et Mélanie allaient prendre l’habitude de s’éclipser une heure avant le test de son.

    Du magasinage éclair, se souvient Mélanie. Elle était du genre à m’acheter de nouvelles chaussures un jour où je me sentais triste. Ou à débarquer avec une soupe miso. Elle était comme une grande sœur bienveillante. Elle prenait soin de moi. »
    « Envoutante Lhasa » Page 124

    Mais pour le troisième album, Lhasa veut explorer d’autres pistes et cela se passe ainsi :

    « Mélanie savait que Lhasa explorait la scène de Mile End. « Elle voulait trouver sa place là-dedans » indique t’elle. Mais quand elle a reçu un coup de fil de la chanteuse qui l’invitait à passer à la maison, elle n’était pas prête à encaisser l’inévitable. C’est autour d’un souper dans un restaurant du coin que Lhasa lui a appris la nouvelle.

    « Il faut que je te le dise : je travaille avec d’autres musiciens, lui a-t-elle annoncé et je vais peut-être prendre un autre violoncelliste. »
    « Non ! Non, non, non s’il te plait ! » Je l’ai pris très durement, se souvient Mélanie. J’avais le cœur brisé. Je la respectais, je respectais sa vision, mais c’était très difficile à avaler sur le plan personnel. Le plus dur, c’est que je savais que j’allais perdre la place de choix que j’occupais dans son cœur. Notre relation s’est poursuivie par la suite, nous sommes restées amies, mais ce n’était plus comme avant. »
    « Envoutante Lhasa » Page 143

    L’amitié et l’exigence musicale, par rapport aux évolutions de Lhasa étaient bien distinctes dans son esprit.

    Après le premier album entièrement en espagnol, le second en trois langues, le troisième sera entièrement en anglais, la langue maternelle.

    <TELERAMA> la cite

    « Chanter dans ma langue maternelle a été comme un atterrissage, un ré-enracinement, après plusieurs années passées à flotter dans les airs… Une espèce de grounding, dirait-on en anglais. Ça me fait du bien, j’en avais besoin. »

    Elle changera aussi de voix. Elle a eu un problème aux cordes vocales parce que précédemment, elle forçait sa voix la rendant plus grave et plus rocailleuse. Les médecins voulaient l’opérer mais une vieille chanteuse, sachant ce que chanter veut dire lui a simplement dit de chanter avec sa voix naturelle qui était plus haute et plus légère et que tout irait bien. C’est ce qu’elle a fait et sa voix s’en ait porté mieux.

    Ses œuvres sont pourtant toujours aussi profondes et porteuses d’émotions.

    Dans un article de « L HUMANITE » publié le 29 mai 2009 pour la sortie de son album  : <Lhasa : « Aller jusqu’au bout de ce que je ressens »> elle dit :

    « Je ne me dis pas : je vais faire un album plus dense. C’est la beauté qui m’importe. Mais ce n’est pas mon affaire de dire si l’album est mélancolique, ou joyeux… Je cours après la beauté. Ce qui est très subjectif !

    Ce troisième album compte 12 chansons. Son éditeur canadien, Audiogram, n’aime pas ce troisième album et trouve que les chansons se ressemblent trop, veut du tri. Lhasa répond alors :

    « Je vous demande pardon, mais lequel de mes enfants voulez-vous que je tue ? »

    L’album sera comme elle l’a décidé.

    Les chansons ont été écrites avant qu’elle connaisse sa maladie, l’enregistrement et le début de la promotion ont eu lieu alors que la maladie était présente. La tournée qui s’annonçait a du rapidement s’interrompre.

    Lhasa a cependant pu venir en France, en mai 2009 et faire deux concerts au Théâtre des Bouffes du Nord

    La journaliste Valérie Lehoux était présente et raconte dans <TELERAMA>

    « Ce jour-là, en mai dernier, il aura suffi d’une seconde pour qu’elle nous hypnotise. Elle est entrée d’un pas feutré, silhouette fine comme la lame d’un couteau, sourire léger et intrigant. Pas un soupçon d’artifice. Sa voix s’est élevée entre les murs décrépis du Théâtre des Bouffes du Nord, embrasant tout l’espace de sa gravité voilée et de sa rare intensité. Musique incantatoire et voyageuse, folk-blues gorgé de lumière et de douleur.

    Lhasa n’a que trois disques à son actif […] Trois disques en onze ans, c’est très peu dans un univers musical où la course à la production est souvent la condition de l’existence artistique : « Je suis lente, j’attends la nécessité, je soigne mes disques jusque dans leurs moindres détails. J’ai envie d’en être fière, qu’ils durent longtemps. Les chansons, je les laisse venir à moi sans les brusquer. Quand j’en sens une se préciser, je la travaille bien sûr, mais je ne force jamais son écriture. Une chanson devient vraiment magique quand elle vous dépasse, qu’elle a une vie bien à elle. »
    Article publié dans Télérama n°3110 le 22 août 2009

    Un des concerts, celui du 11 mai 2009 a été organisé par la FNAC et on trouve les vidéos sur la chaine Youtube de la FNAC

    Je vous propose d’écouter <Rising>

    Pour la chanson Rising Lhasa a répondu dans l’article de L’humanité précité :

    « Cette chanson est née d’une image que j’ai explorée. Pour moi, ce n’est pas très intéressant maintenant d’explorer cette chanson, c’est plus intéressant que les autres imaginent l’image. Les mots m’ont attirée parce que je sentais qu’ils véhiculaient une image puissante. Mon boulot est d’explorer cette image, d’aller jusqu’au bout de ce que je ressens. Ensuite, c’est aux autres de voir ce qu’elle veut dire. »

    Voici les paroles avec une tentative de traduction

    I got caught in a storm
    And carried away
    I got turned, turned around
    I got caught in a storm
    That’s what happened to me

    J’ai été pris dans une tempête
    Et emporté
    Je me suis tourné, retourné
    J’ai été pris dans une tempête
    C’est ce qui m’est arrivé

    So I didn’t call
    And you didn’t see me for a while
    I was rising up
    Hitting the ground
    And breaking and breaking

    Alors je n’ai pas appelé
    Et vous ne m’avez pas vu pendant un moment
    Je m’élevais
    Cognais le sol
    Et me brisais et me brisais

    I got caught in a storm
    Things were flying around
    And doors were slamming
    And windows were breaking
    And I couldn’t hear what you were saying
    I couldn’t hear what you were saying
    I couldn’t hear what you were saying

    J’ai été pris dans une tempête
    Des choses volaient alentour
    Et les portes claquaient
    Et les fenêtres se brisaient
    Et je ne pouvais pas entendre ce que vous disiez
    Je ne pouvais pas entendre ce que vous disiez
    Je ne pouvais pas entendre ce que vous disiez

    I was rising up
    Hitting the ground
    And breaking and breaking
    Rising up
    Rising up

    Je m’élevais
    Cognais le sol
    Et me brisais, et me brisais
    M’élevais
    M’élevais

    Il y a d’autres chansons sur la chaîne de la FNAC comme <Fool’s gold – Bouffes du Nord>

    Le 3 décembre 2017, beaucoup de ses amis se sont réunis pour un concert hommage à Lhasa. Ils l’ont appelé « La route chante » Comme le livre qu’elle avait écrit et qui est paru en 2008.

    <Cet article> sur le site de RFI raconte cet hommage ému de la part des musiciens qui ont participé à son aventure musicale. Et l’article se termine ainsi :

    À la fin du concert à la Philharmonie, une dame apparaît, épaulée par tous les artistes de l’hommage : c’est Alexandra, sa maman. Sur la scène, elle lit les paroles de sa fille, tirées de son ouvrage « La Route chante » :
    « J’écris des chansons pour m’aider à avancer. Elles sont mes étoiles. Elles me guident dans la nuit (…) ».
    Sous les tonnerres d’applaudissement d’une salle debout, sous l’esprit de Lhasa, elle conclut l’hommage par ces mots de la chanteuse :
    « Tu as fait grandir le cœur de ce monde. Tu as repoussé les murs. Merci. »

    <1619>

  • Lundi 8 Novembre 2021

    « Si elle ne se saignait pas à chaque représentation, elle croyait qu’elle trompait le public. »
    Rick Haworth, guitariste sur le deuxième album de Lhasa

    Le premier album, entièrement chanté en espagnol, est un succès. Lhasa va faire une tournée mondiale pour le présenter. En France elle sera très bien accueillie, la critique musicale qui fait autorité dans le domaine de la chanson, Anne-Marie Paquotte et qui écrit dans « TELERAMA », l’a entendue à Montréal et en fait l’éloge par un article laudatif. Elle la signale à Vincent Frèrebeau, patron de Tôt ou Tard, qui va devenir son distributeur en Europe. Elle viendra, auréolée de cette renommée au Printemps de Bourges 1997.

    Seul les États-Unis seront insensibles à cette artiste née aux États-Unis et qui ne chante pas en anglais.

    Son éditeur canadien, Audiogram, est comblé et attend avec impatience qu’elle continue sur cette voix et prépare rapidement un deuxième Album. Mais Lhasa n’est pas de cet avis, elle a besoin de faire une pause.

    « J’étais rendue paranoïaque, j’avais l’impression de ne plus avoir d’espace pour vivre. Je perdais tout estime de moi-même ». Un jour, elle a stupéfait l’équipe d’Audiogram, Yves Desrosiers et ses autres musiciens en leur annonçant qu’elle quittait Montréal pour se joindre à la troupe de cirque de ses sœurs en France. Quand reviendrait-elle ? Qui sait, peut-être jamais. »
    Fred Goodman : « Envoutante Lhasa » page 87

    Elle dira plus tard :

    « Avec le recul, je me suis dit que c’était assez extrême. Mais quand je suis partie pour la France, c’était presque comme si j’allais vers la mort. J’ai tout abandonné. J’ai tout essayé sauf me raser la tête et me faire moine. »
    même référence.

    Sa sœur Miriam explique que leurs parents leur ont transmis cette quête que la vie est recherche intérieure qu’il est important de poursuivre. Il fallait donc être à l’écoute de ses intuitions et faire confiance à la vie.

    Et c’est ainsi que Lhasa va venir dans notre pays rejoindre ses sœurs. Elle restera en France 4 ans et s’installera à Marseille pendant deux ans et demi et fera des tournées avec le cirque de ses sœurs. Elle chantera pendant le spectacle de cirque dans des conditions simples et même précaires, bien loin des standards auxquels elle s’était habituée pendant la tournée avec Yves Desrosiers et les autres musiciens.

    Mais le désir de recomposer de nouvelles chansons la reprendra à Marseille.

    Cette fois les chansons seront toujours en espagnol mais aussi en français, langue de Marseille et de Montréal et en anglais, sa langue maternelle.

    Elle dit : « Pour mon deuxième album, je voulais créer quelque chose d’intime, de personnel »
    Elle commencera à Marseille, mais il lui faut des musiciens.

    Arthur H, qu’elle connait depuis qu’elle a chanté au Bataclan, la met en contact avec un groupe de musiciens parisiens. Mais l’osmose ne se fait pas, elle ne retrouve pas la relation qu’elle avait avec Yves Desrosiers.

    Alors cette nomade dans l’âme retourne vers la ville qui sera son port d’attache dans sa courte vie : Montréal.
    Dès son retour, en 2002, Lhasa va retrouver Yves Desrosiers. Mais l’alchimie ne fonctionne plus. Ce site canadien cite le guitariste :

    « Ça commençait à être difficile entre elle et moi. Avec du recul, je crois qu’elle était tannée qu’il y ait tout le temps quelqu’un derrière elle. Depuis le début, je symbolisais celui qui la parrainait et je crois qu’elle en avait son casse. Elle ne voulait pas qu’on se sépare, mais elle voulait prendre les rênes.»

    Yves Desrosiers met donc un terme à son aventure artistique avec Lhasa de Sela : «J’me disais qu’il était temps qu’elle fasse ses choses toute seule, qu’elle contrôle entièrement son univers artistique. Je voyais que c’est ça qu’elle avait envie de faire. C’était écrit dans le ciel qu’un jour, ça allait arriver.» »

    Quelques mois après sa mort, Yves Desrosiers confiera au même journal son regret :

    « La raison pour laquelle on a décidé de se séparer musicalement, elle n’est plus importante… mais, dans ma tête, je me disais que, dans 10 ou 15 ans, j’allais rejouer avec elle sur scène. Pas nécessairement pour refaire un disque, mais pour renouer avec le plaisir que j’avais d’être à côté d’elle, de jouer pour elle», confie-t-il, encore sous le coup de l’émotion. « Malheureusement, c’est pas arrivé… et j’ai jamais été capable de lui dire avant qu’elle parte. »

    Elle va se tourner vers François Lalonde (batteur) et Jean Massicotte (pianiste) qui avaient déjà participé au premier album.

    S’y ajoutera le guitariste Rick Haworth qui jouera sur l’album et participera à la tournée qui a suivi. Il fera, à Fred Goodman cette confidence que je reprends, en partie, comme exergue de ce mot du jour :

    « Si elle ne se saignait pas à chaque représentation, elle croyait qu’elle trompait le public. Elle creusait plus profondément dans une chanson que quiconque avec qui j’ai joué. C’était ça, son défi. J’ai dû changer la façon dont j’abordais les chansons, nous l’avons tous fait. Tu devais la suivre, sinon, tu ne faisais plus partie de la chanson. Il n’y avait pas de compromis. Tu devais toi aussi saigner. »

    Ce deuxième album aura pour titre « Living road »

    La pochette sera à nouveau réalisé graphiquement par Lhasa.

    Il est encore question de route, la route vivante.

    Cette expression se trouve dans la dernière chanson du disque

    <Soon this space will be too small>

    Bientôt cet espace sera trop petit
    Et j’irais dehors
    Sur l’immense flanc de colline
    Où soufflent les vents sauvages
    Et brillent les étoiles froides

    Je poserai mon pied
    Sur la route vivante
    Et je serai portée
    Jusqu’au cœur du monde
    […]

    <Vous trouverez ici> une description et analyse de l’ensemble des chansons de cet album qui commence par « Con toda palabra » déjà citée lors du premier mot du jour de la série.

    Elle chante donc cette fois aussi en français.

    Je vous propose d’écouter « Marée Haute » dont <elle dit>

    « Je travaille mes chansons d’une façon très visuelle, et vice versa: mes grandes peintures abstraites sont des partitions. Il m’arrive de dessiner un point rouge, juste pour le plaisir. Ce point, c’est comme un son, il crée un équilibre dans la toile. La peinture m’inspire des chansons. […] Et la chanson La Marée haute a été marquée par l’exposition sur les surréalistes à Beaubourg. Les influences sont souvent perçues comme quelque chose qui vient de l’extérieur. Je pense au contraire qu’on les digère et qu’il faut plonger à l’intérieur de soi pour les retrouver.»

    Les paroles sont les suivantes :

    La route chante
    Quand je m’en vais
    Je fais trois pas…
    La route se tait

    La route est noire
    À perte de vue
    Je fais trois pas…
    La route n’est plus

    Sur la marée haute
    Je suis montée
    La tête est pleine
    Mais le coeur n’a
    Pas assez

    Et puis il y a cette chanson extraordinaire : La frontera » (la frontière).

    Dans cette <interprétation au Grand Rex> déjà sa présentation est un moment d’émotion.

    Les mots sont tous simples. Elles parlent de nuages qui s’affrontent, puis dansent, puis il ne se passe plus rien.

    Mais quand Lhasa dit cela, on voit des migrants qui s’approchent de la frontière qui ont peur, mais qui espèrent aussi une vie meilleure et qui attendent.

    C’est l’émotion dont parle Rick Haworth, c’est indescriptible.

    Dans cette vidéo on entend aussi Lhasa expliquer son expérience sur scène.Et puis <ICI> elle répond plus longuement sur TV5 à une interview concernant cet album.

    Living Road est sorti en novembre 2003, 6 ans après le premier album.

    En 2004 et 2005, Lhasa entreprend une longue tournée et donne un total de plus de 180 représentations : elle parcourt l’Europe, puis elle chante aux États-Unis, au Canada et au Mexique. Cette tournée remporte un grand succès auprès du public et les salles sont bondées un peu partout.

    <1618>

  • Vendredi 5 novembre 2021

    « Pause (série sur Lhasa) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Dans l’album la Llhorona il y a aussi cette chanson : <Los Peces>.

    Un mois après la sortie de son album, Lhasa avec Yves Desrosiers et un second guitariste, Mario Legaré vont jouer pour les détenus dans une prison de Montréal <Chez les Souverains 6 mars 1997> et en 1999, elle chante à la télévision française la même chanson <avec le groupe français Bratsch>

    Je finissais le mot du jour d’hier en citant Bertrand Dicale. Voici l’intégralité de son petit billet de 4 minutes <Lhasa de Sela, heureuse en trois langues>


    <Mot du jour sans numéro>


  • Jeudi 4 novembre 2021

    « La LLorona »
    Premier album de Lhassa en 1997

    La vie de Lhasa commença dans un bus qui transportait sa famille de lieu en lieu, entre les Etats-Unis et le Mexique, en fonction du travail et des pérégrinations spirituelles de ses parents. Son prénom lui fut donné, en référence à la capitale du Tibet et du grand intérêt pour le bouddhisme manifesté par ses parents.

    Fred Goodman en souligne toute l’importance dans le parcours ultérieur de Lhasa mais ne cache pas les limites de cette vie :

    « En cherchant à vivre libre dans les marges de la société, Lhasa et sa famille menaient une existence certes exaltante, mais précaire sur le plan financier et émotionnel. Les de Sela étaient toujours en mouvement, toujours sur le fil du rasoir. Cela voulait dire un manque affligeant de stabilité, l’omniprésence du danger (gens inquiétants, environnement étranges, absence de filet de sécurité) et un sentiment persistant d’isolement et d’altérité. Combinée à un héritage familial chargé de souffrances, de conflits et de tragédies, cette expérience enchâssera pour de bon la tristesse et l’insécurité dans la personnalité de Lhasa. Et quand cette famille tissée serré (le seul univers qu’elle ait connu) se déchirera, la chanteuse éprouvera une colère et une douleur qui jamais ne s’apaiseront complètement »
    Page 19

    Le couple de ces blessés de la vie que sont les parents de Lhasa va donc se séparer au début des années 1980. Avant cela, ils se rendront avec leur bus en Californie parce que la Fondation nationale du tourisme cherchait des enseignants en espagnol pour former le personnel hôtelier de Los Cabos en Basse Californie et que le père était professeur d’espagnol. C’est en Californie qu’ils vont se séparer. Alexandra va alors habiter à San Francisco et Lhasa va vivre avec elle. Ses sœurs vont se passionner pour le cirque, ce qui n’est pas son cas.

    Un jour, par hasard, elle voit un documentaire sur la chanteuse de jazz Billie Holiday. Elle est fascinée. A la fin de l’émission, elle pointe son doigt vers l’écran et dit :

    « C’est ça que je vais faire. »
    Page 52

    En 1987, Lhasa demande à sa mère de l’inscrire à des cours de chant, ce qu’elle fait bien volontiers.

    Lhasa était aussi une portraitiste douée, Goodman écrit :

    « Elle créait des œuvres étonnamment pénétrantes et avait un sens aiguisé de la couleur, qu’elle devait en grande partie à une passion précoce pour Chagall et Van Gogh. »
    Page53

    C’est d’ailleurs une œuvre picturale de Lhasa qui ornera le premier album « La LLorona »

    Mais avant cet album, elle va tenter sa chance en interprétant des standards de jazz et des chansons de Billie Holiday.

    Elle chantait notamment dans un café grec en Californie.

    Pendant quelques années, Lhasa se cherche, fait des petits boulots et chante quand elle trouve un lieu qui l’accueille.

    Mais un concours de circonstance va décider de sa trajectoire et va lui permettre de rencontrer le musicien avec qui elle va devenir Lhasa, la chanteuse.

    La première étape vient grâce à sa sœur Sky qui a réussi une audition d’admission à l’école nationale de cirque de Montréal. Elle va bien sûr s’y rendre et puis convaincre ses sœurs de venir la rejoindre.

    Lhassa va se faire des relations, continuer à tenter de chanter. Elle pense toujours que sa voie est de chanter du jazz dans les pas de Billie Holiday.

    La suite est racontée par Olivier Boisvert-Magnen qui a écrit, sur un site canadien en 2017, un article pour célébrer les 20 ans de La Llorona < Il y a 20 ans : Lhasa – La Llorona > :

    « La Llorona est d’abord et avant tout le fruit d’une rencontre artistique exceptionnelle, aussi naturelle qu’inusitée. »

    Cette rencontre va être celle avec le guitariste canadien Yves Desrosiers qui est connu à Montréal et qui a déjà une carrière de 10 ans. Ainsi, en juillet 1991, Yves Desrosiers se rend dans un café pour voir un spectacle avec l’une de ses amies. Desrosiers raconte ainsi cette rencontre :

    «Mon amie était avec une jeune fille de 18 ans aux longs cheveux blonds, fraichement débarquée de San Francisco. Elle était venue voir ses sœurs qui travaillaient dans le milieu du cirque à Montréal. Elle me posait beaucoup de questions sur mon métier de musicien professionnel. Je me rappelle l’avoir trouvé rigolote.»

    Il se croise plusieurs fois jusqu’à l’été 1992 ou il se reparle plus longuement :

    «J’avais décidé d’aller manger sur Saint-Denis avec ma même amie. Par hasard, on est tombés sur Lhasa, qui venait juste de se faire raser la tête. On s’est assis et on a commencé à jaser. C’est là qu’elle m’a dit qu’elle s’ennuyait un peu et qu’elle avait envie de chanter. Au fil de la conversation, j’apprends qu’elle chante des vieilles chansons de jazz pour ses amis, dans des cafés. Moi, à ce moment-là, mes affaires vont moins bien [..] Je suis donc à la recherche de nouveaux projets […] C’est un peu ça que j’ai en tête quand je prends un carton d’allumette et que je lui donne mon numéro de téléphone.»

    Elle va lui chanter du jazz et des chansons de Billie Holiday, mais Yves Desrosiers ne va pas du tout être convaincu.

    Elle lui montre alors d’autres chansons : «On est tombés dans le jazz brésilien, dans les chansons portugaises. Avec cette langue-là, sa voix m’apportait autre chose de plus unique et intéressant. »

    Ils vont commencer à faire des duos guitare/chant dans des bars. Et cela plait. Alors ils creusent dans d’autres musiques qui avaient accompagné Lhasa dans son enfance : Lhasa fait découvrir à son nouvel ami des cassettes de ranchera et de classiques mexicains. Et Desrosiers de dire :

    «J’ai tout de suite été emballé par ce qu’elle me faisait entendre. On était en 1992, et tranquillement, y a un vent de musiques du monde qui s’installait. Ça m’intéressait d’autant plus qu’on développe cette facette-là de son bagage musical. Pour la première fois, j’entendais du Chavela Vargas, du Mercedes Sosa, des valses chiliennes, plein de trucs que je ne connaissais pas en tant que guitariste rock’n’roll.»

    Les deux musiciens apprennent à se connaitre sur scène en accumulant les spectacles dans les bars montréalais, voyant s’agglutiner une clientèle de curieux de plus en plus grande.

    L’article d’Olivier Boisvert-Magnen est très détaillé et rejoint parfaitement le récit que fait Fred Goodman de ces années.

    Cela prendra encore plusieurs années jusqu’en 1997 année où ayant trouvé un producteur, ils vont enregistrer ce qui deviendra le premier album de Lhassa.

    Le journaliste précise :

    « À ce moment, la chanteuse poursuit un long cheminement créatif, qui l’amène à remettre constamment en question la signification et la valeur de ses textes. «Elle avait beaucoup de questionnements existentiels. Pour elle, l’écriture, c’était un long processus», dit Yves Desrosiers, avouant ne pas avoir trop prêté attention au sens de ses paroles à l’époque.

    À l’image de son parcours nomade, les textes de la chanteuse évoquent différentes cultures, référant autant au chanteur mexicain Cuco Sánchez (Por eso me quedo) et à la poésie aztèque (Floricanto) qu’à une pièce de théâtre espagnole de la fin du XVe siècle (La Celestina) et au désert de Sonora qu’elle a traversé quand elle habitait dans la Basse-Californie (El desierto). »

    À travers ces différents repères culturels, Lhasa laisse une place importante à ses réflexions spirituelles. Sur De cara a la pared, par exemple, elle parle «de l’absence de l’autre, de la paralysie, de l’impuissance à réagir» et s’en remet désespérément à Dieu, «la face contre le mur». Elle reprend aussi les chansons traditionnelles El payande (une allégorie afro-péruvienne «à trois niveaux de lecture» qui sous-entend qu’on peut être l’esclave d’une religion) et Los peces (une relecture d’un style de musique espagnole très ancien qui «parle de la Vierge comme d’une femme normale»).

    Il cite aussi Lhassa qui dira en 2008 :

    «La religion, la spiritualité, la foi : toutes ces choses-là sont très présentes dans ma vie. J’ai vécu deux ans en autarcie dans une communauté catholique, communiste et anarchiste, dans l’état de New York. Mes parents pratiquaient le bouddhisme, mon père voulait devenir prêtre… Il y avait une profonde recherche spirituelle dans sa vie. Il ne supportait pas l’hypocrisie ni tout ce qui était dogmatique. Il y avait une vraie soif de réponses, de conversations, de communication spirituelle… Personnellement, il y a des choses dans la religion catholique que j’aime beaucoup et d’autres que j’estime surtout être de la politique. Et c’est un peu pareil avec les autres religions. Alors, j’ai construit mon propre chemin. Je crois beaucoup aux signes, je crois que la vie nous parle. Je ne pense pas que les choses nous arrivent inopinément.»

    Le succès sera rapidement au rendez-vous. Le duo sera invité au Printemps de Bourges en 1997 et pourra signer un contrat de disques avec l’étiquette française Tôt ou tard, sous laquelle sortira l’album quelques mois plus tard.

    Le disque commence par le bruit de gouttes qui tombent, puis un violon qui chante la tristesse suivi d’une guitare et de percussions qui présentent un écrin à la voix remplie d’émotion de Lhassa qui souffle :

    « Llorando / De cara a la pared / Se araga la ciudad [ Je pleure / La face contre le mur / la ville s’éteint] ».

    La Llorona signifie «La Pleureuse» en espagnol et fait référence au fantôme d’une femme qui a perdu ses enfants et désire les retrouver dans la rivière. C’est une histoire qui vient de la mythologie hispano-américaine, et le talent, la spiritualité et l’émotion de Lhasa conduisent à un univers musical unique et pénétrant.

    S’il faut choisir un titre au milieu de ces merveilles, je choisirai « El desierto »

    <Voici l’enregistrement de 1997> et <Dans un live 2004>

    Voici le texte de cette chanson « Le désert »

    He venido al desierto pa’ reirme de tu amor
    Que el desierto es más tierno y la espina besa mejor

    Je suis venue dans ce désert, pour rire de ton amour
    Car le désert est plus doux et l’épine m’embrasse mieux

    He venido a este centro de la nada pa’ gritar
    Que tú nunca mereciste lo que tanto quise dar

    Je suis venue dans ce centre du néant pour hurler
    que tu n’as jamais mérité ce que j’ai tant voulu donner.

    He venido yo corriendo, olvidándome de ti
    Dame un beso pajarillo, no te asustes colibrí

    Je suis venue en courant…en t’oubliant
    Embrasse-moi oiseau, n’aie pas peur colibri.

    He venido encendida al desierto pa’ quemar
    Porque el alma prende fuego cuando deja de amar

    Je suis venue enflammée dans ce désert pour brûler.
    Car l’âme prend feu quand elle cesse d’aimer

    Bertrand Dicale disait sur <France musique >:

    « Mais chez Lhasa de Sela, il y avait de toute évidence quelque chose d’absolument vital dans ses chansons. Quelque chose qui tient de la profondeur autant que de l’altitude – une manière d’explorer tout à la fois les tréfonds et les sommets, d’être tout ensemble tsigane et poétesse, chanteuse de danses et jongleuse de blues.
    Peu d’artistes n’ont donné autant qu’elle l’impression de voir un funambule en même temps qu’on entend un philosophe, ni l’impression d’être perdu quelque part dans le temps et l’espace – est-ce une minuscule taverne du désert ou une immense arène, le temps des tribus nomades ou le très moderne aujourd’hui… »

    <1617>

     

  • Mercredi 3 novembre 2021

    « La route de Lhasa (1972-2010)»
    Documentaire d’Élise Andrieu consacré à la chanteuse Lhasa de Sela

    Connaissez-vous Lhasa ?

    Clara Ysé la désigne comme une de ses inspiratrices

    Je ne la connaissais pas et puis j’ai entendu, sur France Culture, en août, dans une émission du samedi « Toute une vie », ce documentaire : <La route de Lhasa (1972-2010)> et j’ai appris à la connaître.

    Alors, j’ai acquis les trois albums qu’elle a réalisés au cours de sa vie.

    Puis, J’ai acheté le livre de Fred Goodman « Envoûtante Lhasa » et je l’ai lu pendant notre séjour dans le massif de la chartreuse, en écoutant les chansons de cette artiste incomparable qui exprime une émotion qui touche et fait vibrer dans les profondeurs de l’être.

    Annie partage ma fascination pour cette chanteuse dont la parenthèse enchantée d’existence a été si courte.

    Heureusement que nous sommes d’accord, parce que la voix enregistrée de Lhasa a rempli beaucoup l’espace sonore de notre gite.

    Le livre de Fred Goodman a été édité d’abord au Canada fin 2020 et a été publié en France en mars 2021, c’est donc tout récent.

    Ce livre s’ouvre ainsi :

    « New York, 9 janvier 2010

    Voici Lhasa qui vient tout juste de mourir, ce jour de l’an à Montréal. C’est ainsi que Delphine Blue m’a révélé l’existence de Lhasa de Sela. […]

    Après cette présentation, je ne savais pas trop à quoi m’attendre, mais jamais je n’aurais pu anticiper ceci : un froid carillon se détachait d’un bourdonnement grave et cadencé évoquant la voix de la Terre que je n’avais entendu que dans la musique des moines tibétains de Gyuto. Au-dessus flottait, tel un vent sec du désert un solo de trompette à la Don Cherry. J’étais transporté en une contrée inhospitalière, un lieu très lointain où je foulais à la merci des éléments, un rude sentier millénaire sous un vaste ciel nocturne.[…]
    Une musique envoutante, ambitieuse et raffinée, un propos d’une grande maturité émotionnelle. […] Comment pouvais-je n’avoir jamais entendu parler d’elle ? »

    Et c’est ainsi qu’a commencé la quête de Fred Goodman, journaliste spécialisé dans la musique, écrivant dans le magazine Rolling Stone et dans Le New York Times pour rédiger la première biographie de Lhasa en allant notamment à la rencontre de celles et de ceux qui ont connu cette artiste née le 27 septembre 1972 à Big Indian, New York.

    Goodman a d’ailleurs dédié son livre à Alexandra la mère de Lhasa.

    Alexandra Karam est américaine, elle est d’origine mixte russo-polonaise par sa mère et libanaise par son père (Karam).

    Alexandra est la fille d’Elena Karam qui a fait la rencontre d’Elia Kazan et décroché son rôle le plus important au cinéma, soit celui de la mère dans America, America. Le père d’Alexandra était un brillant avocat new-yorkais qui a épousé la mère d’Alexandra pour légitimer la naissance de leur fille. Ils ont ensuite rapidement divorcé, sans jamais vivre sous le même toit. Puis cela devint difficile pour Alexandra qui détestait le nouveau mari de sa mère, autre new-yorkais riche et influent. Elle deviendra une enfant très indocile.

    Son beau-père exige de sa mère :

    « Je ne peux plus tolérer ça. Tu dois te débarrasser d’elle »

    C’est ainsi qu’Alexandra se trouvera enfermé dans un hôpital psychiatrique du Maryland. Et elle comprendra que le projet est qu’elle y reste !

    Je ne vais pas raconter toute l’histoire d’Alexandra telle que Goodman la déroule dans son livre. Mais ce qu’il faut comprendre c’est que la mère de Lhasa était une enfant rebelle dans une famille très aisée de New York qui voulait s’en débarrasser en l’enfermant. Elle va s’en sortir par une vie d’errance, de drogue, de mariages successifs. Elle sera photographe.

    Et le père ? Alejandro de Sela ?

    Lui aussi sera « un mouton noir » selon l’expression de Goodman d’une famille aisée mexicaine. Il est né à San Francisco et a passé les premières années de sa vie dans un va et vient incessant entre le Mexique et les États-Unis. Sa mère Carmen de Obarrio, était une pianiste de concert panaméenne qui avait enregistré chez RCA Victor dans les années 1920. Le grand père maternel d’Alejandro était ambassadeur du Panama aux États-Unis. Le père d’Alejandro était un homme d’affaires mexicain qui devint prospère.

    Mais Alejandro était très inspiré par la contre-culture et va se lancer dans une quête spirituelle incessante. Miriam de Sela, sœur cadette de Lhasa raconte :

    « Mon père a essayé pratiquement toutes les religions qui existent sur la planète. Et il n’éprouvait aucun scrupule de passer de l’une à l’autre : pour lui ce n’était pas contradictoire. »

    Et c’est donc ces « deux moutons noirs » qui vont se rencontrer et donner naissance à Lhasa de Sela ainsi qu’à trois autres filles. Le couple durera 12 ans.

    Mais la famille d’Alexandra et d’Alejandro est beaucoup plus étendue que cela.

    Ainsi Lhasa en plus de ses trois sœurs directes a aussi trois demi-sœurs et trois demi-frères

    Cette famille vivra d’amour, de culture et de livres comme cela est précisé dans le documentaire. Du point de vue des ressources financières, elle fera comme elle peut.

    Le père trouvera pertinent d’acquérir un autobus qui constituera à la fois le logis et le moyen de transport de toute la famille. Le titre «La route de Lhasa» se comprend aussi par cette vie nomade dans les premières années de vie.

    TELERAMA écrira en 2009, pour parler du dernier album :

    « Jamais cette femme de 37 ans n’a suivi les chemins balisés, ni dans sa musique ni dans sa vie. Existence d’emblée marquée par le sceau de la singularité : fille d’un Mexicain, ex-ouvrier devenu prof de philo, et d’une Américaine photographe et joueuse de harpe, elle aura passé son enfance à sillonner le sud des États-Unis et le Mexique à bord d’un… autobus familial : « Un jour, il est tombé en panne, raconte-t-elle . Le moteur avait cassé. Nous n’avions pas d’argent et avons logé dans une station-service. Mon père travaillait comme saisonnier et cueillait les légumes et les fruits. Parfois, nous allions dans les champs avec lui pour cueillir les tomates, toute la journée. Après des mois, on a réussi à accumuler l’argent nécessaire pour acheter un nouveau moteur et repartir. » Trois décennies plus tard, l’errance revient en écho dans nombre de ses chansons, dont la langueur mélancolique évoque les grands espaces. »

    J’ai aussi trouvé cette description qui est proche de ce qu’écrit Goodman sur ce site consacré à la pop moderne <Section26.fr> :

    « Alexandra Karam et Alejandro de Sela vivent alors et vivront encore des années durant sur la route, dans un ancien car scolaire, l’un de ces school bus jaunes iconiques, reconverti en camping car, en foyer roulant.

    […] Alexandra a choisi la bohème, la liberté, a assisté aux sessions qui ont donné naissance au free jazz, a connu Charlie Haden dont elle s’est éloignée pour s’éloigner, aussi, de l’héroïne. Sa rencontre avec Alejandro Sela, sous les apparences brinquebalantes que donne leur vie commune sans domicile fixe, est ainsi une pause, propice à l’édifice. Car la quête d’Alejandro, d’origine mexicaine, est tout aussi tranquillement intranquille : il arpente les pratiques mystiques dans un questionnement spirituel constant, que rejoint Alexandra, tout en s’éprouvant ouvrier le plus souvent agricole, lui qui a renoncé à un confortable héritage en marxiste du temps. Ces deux êtres n’éprouvent guère le souci du qu’en-dira-t-on, s’accordent sur l’éducation des filles – menée pour la partie scolaire par Alexandra –, déplacent la famille selon les emplois trouvés par le père, les communautés rencontrées, les quêtes et les enseignements. La vie est engagée, précaire, entre les États-Unis et le Mexique, le monde est syncrétique : Alejandro récite des « Je vous salue Marie », chante des sutras bouddhistes, lit la Bible et Rumi, médite. Et de même, Alejandro et Alexandra lisent sans exclusive, ouverts à l’Orient et à la magie, versés dans les contes, ils écoutent des musiques de toutes les origines et de toutes les époques – Maria Callas, des field recordings, des rancheras, Victor Jara, Violetta Parra – les cultures plutôt que la culture.

    Et ils font don de ça, de ces trésors et de cette curiosité à leurs filles, de même que de leur exigence : il s’agit chaque jour d’être, de faire, de créer, de donner.

    Ils ne leur font pas don de la société, et entre deux pauses sédentaires le vase reste souvent clos, une bulle réduite au bus et aux arpents où il stoppe.

    Si l’on doit alors imaginer, on entrevoit beaucoup d’amour et beaucoup de poids sur les épaules des enfants qui, peu à peu, découvrent que le monde n’est pas que ce que leurs parents leur offrent, que ce que leurs parents leur offrent est souvent résumé, majoritairement nié, parfois ri, et que l’exigence peut rencontrer le vide. Les hiatus ainsi sont des gouffres à enjamber ; nous avons tous le souvenir de semblables événements : pour elles, ils sont le quotidien.

    Il s’agit donc de faire, d’apprendre, de créer.

    S’amuser sans doute, aussi, parce que c’est sacré. Mais la paresse, non.

    Lhasa est la plus rêveuse, et ne suit pas ses sœurs dans la voie circassienne qu’elles se trouvent, passe pour indisciplinée, moins travailleuse, est surtout la tête aux histoires, aux vertiges de l’être. Elle n’a simplement pas trouvé encore comment raconter ça, ses histoires, le monde. Mais elle chante, déjà, du matin au soir, agace les autres à ne jamais cesser de chanter, fredonne ou siffle pour donner le change. »

    Dans le documentaire « La route de Lhasa », les sœurs racontent aussi que Lhasa fredonnait tout le temps et que cela énervait les autres dans cet espace restreint qu’était ce bus.

    Au début du documentaire, une sœur de Lhasa la décrit à peu près ainsi : « Il y a un livre qui est parfait pour décrire Lhasa. C’est un livre qui parle d’un troupeau de petite souris. Et toutes les souris sont très travailleuses. Elles préparent l’hiver et elles mettent les graines de côté. Sauf une qui ne fait rien et toutes les autres qui disent : « Mais qu’est-ce que tu fais ?  pourquoi tu ne participes pas ? » La petite souris dit : « moi je collectionne les couleurs et les mots. Parce que quand ce sera le creux de l’hiver on en aura besoin ».
    Alors le début de l’hiver est facile avec les provisions. Mais après cela devient dur, de plus en plus dur. C’est alors que la petite souris puise dans les couleurs et les mots qu’elle a collectionnés et leur parle, leur offre les mots qui réchauffent le cœur et leur permettent de percevoir, au fond d’eux, l’image et la pensée du soleil qu’elles ne voient pas. C’est ça Lhasa. »

    Et puis il faut bien finir par une chanson : Voici « Con toda palabra » chantée en 2004, lors de son passage sur la scène parisienne du Grand Rex. Voilà les mots collectionnés par Lhasa:

    Con toda palabra Avec tous les mots
    Con toda sonrisa Avec tous les sourires
    Con toda mirada Avec tous les regards
    Con toda caricia Avec chaque caresse
    Me acerco al agua Je m’approche de l’eau
    Bebiendo tu beso En buvant ton baiser
    La luz de tu cara La lumière de ton visage
    La luz de tu cuerpo La lumière de ton corps
    Es ruego el quererte C’est une prière t’aimer
    Es canto de mudo C’est un chant de muet
    Mirada de ciego Un regard d’aveugle
    Secreto desnudo Un secret nu
    Me entrego a tus brazos Je me rends à tes bras
    Con miedo y con calma Avec peur et calme
    Y un ruego en la boca Une prière dans la bouche
    Y un ruego en el alma Et une prière dans l’âme
    Con toda palabra Avec tous les mots
    Con toda sonrisa Avec tous les sourires
    Con toda mirada Avec tous les regards
    Con toda caricia Avec chaque caresse
    Me acerco al fuego Je m’approche du feu
    Que todo lo quema Que tout brûle
    La luz de tu cara La lumière de ton visage
    La luz de tu cuerpo La lumière de ton corps
    Es ruego el quererte C’est une prière t’aimer
    Es canto de mudo C’est un chant de muet
    Mirada de ciego Un regard d’aveugle
    Secreto desnudo Un secret nu
    Me entrego a tus brazos Je me rends à tes bras
    Con miedo y con calma Avec peur et calme
    Y un ruego en la boca Une prière dans la bouche
    Y un ruego en el alma Et une prière dans l’âme

    <1616>

  • Mardi 2 novembre 2021

    « Mise à feu »
    Clara Ysé

    Clara Ysé a fait l’objet du mot du jour du 16 octobre 2019 « Ce matin il est arrivé une chose bien étrange. Le monde s’est dédoublé ». Cette phrase est le début d’une chanson envoutante, comme je la qualifiais alors.

    Elle avait été écrite par la chanteuse suite au décès brutal de sa mère, la philosophe Anne Dufourmantelle qui était morte d’un arrêt cardiaque suite aux efforts qu’elle avait fournis pour porter secours à deux enfants qui étaient en train de se noyer dans la mer. J’avais narré cette histoire dans le mot du jour du 26 septembre 2019 « Puissance de la douceur »

    Fin août 2021, elle était <l’invité des matins de France culture>, parce qu’elle venait de publier son premier roman : « Mise à feu ».

    Et comme il en va quelquefois quand on entend l’auteure d’un livre, le désir de le lire jaillit.

    J’ai acheté ce livre le lendemain et je l’ai lu immédiatement.

    C’est un livre qui comme la chanson <Le monde s’est dédoublé> parle de la séparation et de l’absence.

    Gaspard, 8 ans et Nine 6 ans vivent avec leur mère qu’ils appellent l’Amazone. C’est Nine qui est la narratrice. Voici comment elle décrit sa mère :

    « L’Amazone, Gaspard et moi on inspirait la joie quand on passait quelque part. Je me souviens de la façon dont on s’accrochait à ses jambes. Le soir pendant qu’elle travaillait ou qu’elle faisait la cuisine. Elle était bijoutière. […] L’Amazone portait en elle un magnétisme qui planait au-dessus de tout ce qu’n vivait. Une forme de grâce, en plus charnel. Depuis petits, ça nous inquiétait. Comme si au creux de ce pouvoir qu’elle avait d’enchanter les êtres, résidait un pacte mortel avec le monde. Un poids que tous ses gestes tentaient désespérément de dissimuler et qui résonnait autour d’elle comme un bourdon, cette note tenue, quasi imperceptible, qui charge un morceau d’orage.
    Gaspard et moi, on savait, mais on ne disait rien. »
    page 12

    L’Amazone est donc une femme et une mère assez étrange.

    Ce roman est initiatique : le frère et la sœur vont au long des pages grandir et s’émanciper. Il constitue aussi un conte fantastique qui commence ainsi :

    « Avant mes six ans, c’est le soleil. Quelque chose de pur, de frais, de vivant. Gaspard, l’Amazone, Nouchka et moi. Unis. »

    Il y a Nouchka.
    Nouchka est une pie Gaspard et Nine comprennent son langage et peuvent échanger avec elle :

    « On l’a découverte un jour sur le bord e la route, dans le Sud. Elle avait une aile cassée. On l’a recueillie, on lui a donné à boire, à manger, tant et si bien que Nouchka nous a déclaré, au bout de quelques mois, que nous étions sa nouvelle famille. Je dis « déclaré » oui […] elle nous a appris, elle, à parler oiseau. […] On lui répondait. On lui parlait. Ca me parait étranger aujourd’hui, mais l’amazone avait ce genre de dons. Elle avait fait advenir la langue du vol, de l’air, de la liberté, entre nos bouches

    Dans l’émission de France Culture, Clara Ysé confie que :

    « Le langage des oiseaux est celui des poètes »

    C’est un monde de l’imaginaire, dans lequel Gaspard, plus que Nine, est immergé :

    «  Gaspard, mon frère, mon aîné de deux ans. Il portait des lunettes rondes et vivait dans un univers parallèle, dont l’Amazone, Nouchka et moi avions la clé. »

    Et puis, il y a l’incendie. L’Amazone a invité beaucoup de monde chez elle, pour fêter le tournant du deuxième millénaire. Les adultes s’étourdissent de musique et d’alcool, et un gigantesque incendie se déclare dans la maison et l’embrase.

    Au bout de la nuit de cauchemar, Nine se rend compte que l’Amazone a disparu.

    Les deux enfants sont confiés à leur oncle, surnommé le Lord.

    La plus grande partie du roman se déroule dans la maison de cet homme, trouble, alcoolique, violent qui invite dans sa maison des hommes et des femmes dans une ambiance malsaine pour les enfants et une sourde menace à leur égard notamment de Nine, protégée autant que possible par son frère et l’intelligence de Nouchka.

    Dans une atmosphère de crainte, les enfants sont confrontés à l’absence, à la perte. Mais de temps en temps, une lettre de l’Amazone arrive, dans laquelle elle les assure de son amour et raconte qu’elle fait des travaux dans une maison de campagne où elle s’est réfugiée et qu’ils pourront venir la rejoindre quand le chantier aura suffisamment avancé. Dans la longue attente qui les conduira jusqu’à la sortie de l’adolescence, les enfants se réfugient dans l’imaginaire.

    Puis des rencontres vont permettre à Nine de se libérer, revenir vers le réel, rencontrer l’amour, fuir la maison du Lord pour aller à la recherche de l’Amazone et aller vers la vie..

    Gaspard ne parviendra pas à réaliser le même parcours, son monde imaginaire le tient trop fort.

    Clara Ysé explique dans l’émission de France Culture :

    « La symbolique de Nouchka à une double lecture puisque c’est à la fois le symbole de leur langage à deux, puis lorsque Nine ne va plus la comprendre, elle symbolise le retour au réel, l’entrée dans le monde des adultes. Gaspard à l’inverse, refuse tout rapport au réel et se laisse avaler par l’imaginaire. »

    L’écriture de Clara Ysé est subtile, elle suggère plus qu’elle ne décrit.

    Je trouve très juste l’avis de la journaliste Sophie Joubert dans <L’Humanité> :

    «  Elle transfigure la perte et la violence par l’art, les mots, un dialogue secret avec les oiseaux. »

    Dans ce même article Clara Ysé dit :

    « J’ai puisé le matériel d’écriture dans la relation très forte que j’ai avec mon petit frère, à qui le livre est dédié. À deux, Gaspard et Nine forment une entité, ils ont un rapport sensible au monde et un langage commun, celui de l’oiseau, qu’ils sont les seuls à comprendre. Je voulais montrer la puissance vitale des mondes imaginaires qu’on crée à cet âge-là pour rendre le réel vivable. »

    Et revient vers son histoire personnelle :

    « Je n’ai jamais vécu de vrai incendie, mais, tel qu’il est présenté dans le roman, c’est un événement qui détruit tout d’une seconde à l’autre. Et ça, je l’ai vécu. »

    La Nouvelle République consacre aussi un article élogieux à ce livre : « L’incandescente Clara Ysé désormais aussi écrivaine»

    Elle y révèle que la musique et l’écriture l’ont accompagné depuis longtemps :

    « La musique et l’écriture, ça a toujours été mes deux langues […] La musique, je l’ai partagée très vite alors que l’écriture est longtemps restée intime ».

    Et Sophie Rosemont dans <Madame Figaro> écrit :

    « Avec « Mise à feu », son premier roman, Clara Ysé embrase la rentrée littéraire, […] C’est un premier roman et c’est une révélation : déjà chanteuse et performeuse de haut vol, l’artiste française nous emporte dans une belle histoire d’amour et de ténèbres.

    Pour ce livre, elle a reçu le <prix littéraire de la Vocation 2021>

    Et elle reviendra à la chanson en 2022, un album est annoncé au printemps.

    <1615>

  • Vendredi 29 octobre 2021

    « Pause (Dans 20 ans, la demande de main-d’œuvre sera substantiellement plus faible)»
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Le jour, avant un grand week-end devrait être férié.

    C’est ce que me dit mon corps et mon esprit.

    Il faut toujours écouter son corps.

    Le 29 octobre 2014, je reprenais une prévision de Bill Gates :

    « Dans 20 ans, la demande de main-d’œuvre pour beaucoup de compétences sera substantiellement plus faible. »

    Si je compte bien dans 20 ans en 2014, signifie que c’est dans 13 ans aujourd’hui.

    Et il ajoutait :

    « Je ne pense pas que ce soit intégré dans le modèle mental des gens ».

    C’est peut être mieux intégré aujourd’hui, car Amazon nous a montré que les entrepôts pouvaient se vider des humains.

    Et hier, c’était Xavier qui remplaçait la force publique à Singapour.

    J’ai hésité de mettre à l’affiche un chat robot comme celui que vous trouvez dans cet article de 2020 : <Votre prochain chat sera peut-être un robot>

    Finalement j’ai préféré ce chat bougon car je préférerai toujours le vivant aux machines.

    Car comme l’écrit Alain Damasio

    « Le vivant n’est pas une propriété, un bien qu’on pourrait acquérir ou protéger.
    C’est un milieu, c’est un chant qui nous traverse dans lequel nous sommes immergés, fondus ou électrisés.
    Si bien que s’il existe une éthique en tant qu’être humain.
    C’est d’être digne de ce don sublime d’être vivant.
    Et d’en incarner, d’en déployer autant que faire se peut les puissances.
    Qu’est-ce qu’une puissance ?
    Une puissance de vie !
    C’est le volume de liens, de relations qu’un être est capable de tisser et d’entrelacer sans se porter atteinte.
    Ou encore c’est la gamme chromatique des affects dont nous sommes capables
    Vivre revient alors à accroitre notre capacité à être affecté.
    Donc notre spectre ou notre amplitude à être touché, changé, ému.
    Contracter une sensation, contempler, habiter un instant ou un lieu. »

    <Mot du jour sans numéro>

  • Jeudi 28 octobre 2021

    « Xavier»
    Ce prénom ne correspond à rien d’humain à Singapour

    J’ai souvent entendu dans des émissions de radio, dans lesquels intervenaient des économistes libéraux, les plus grands éloges sur l’organisation politique de Singapour et sa capacité à favoriser le développement économique.

    Singapour est un tout petit État : 719 km²

    Pour qu’on puisse avoir une idée de comparaison, la métropole de Lyon représente 534 km².

    Dans la région parisienne, il existe la métropole du Grand Paris qui regroupe la ville de Paris et 130 communes, comprenant l’intégralité des communes des départements de la petite couronne (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne) ainsi que six communes de l’Essonne et une du Val d’Oise. Cette entité représente 814  km².

    L’État de Singapour est situé à l’extrême sud de la péninsule Malaise, dont il est séparé au nord par le détroit de Johor, et borde au sud le détroit de Singapour.

    Il comprend 63 îles, dont la principale est Pulau Ujong qui représente à elle seule 81% du territoire de l’État.

    La raison pour laquelle Singapour ne fait pas simplement partie de l’État de Malaisie est une histoire de religion et d’ethnie.

    La Malaisie et Singapour étaient colonies Britanniques depuis 1795. Et quand Les britanniques se sont retirés l’État indépendant qui a été créé en 1957 comprenait bien Singapour.

    La Malaisie, hors Singapour, était un pays musulman, les habitants de Singapour d’origine chinoise étaient bouddhistes.

    <Wikipedia> présente ainsi cette séparation de 1965 :

    « Le retrait de Singapour de la fédération de Malaisie, le 9 Août 1965 fut pratiquement vu comme une partition de la Malaisie en deux états, par les observateurs étrangers, mais, à la différence de l’Inde, cette partition n’était pas religieuse, mais plutôt ethnique, avec la création de l’état de Singapour, majoritairement peuplé de Chinois, et la Malaisie, majoritairement peuplée de Malais musulmans, mais avec une forte minorité de Chinois. Avant 1965, les Chinois étaient aussi nombreux que les Malais, en Malaisie, Les deux parties n’arrivaient pas à s’entendre pour le partage du pouvoir entre Chinois et Malais, d’autant plus que les Malais étaient favorables à un régime monarchique, alors que les Chinois voulaient un régime républicain, ce qui laissait présager une grave guerre civile ethnique, expliquant largement le retrait de Singapour, en 1965. »

    Ce sont les Malais de la péninsule qui forcent Singapour à quitter la Fédération contre la volonté du responsable politique de Singapour qui constituait une des régions autonomes de la Malaisie : Lee Kuan Yew.

    C’est ce dernier qui est cité en exemple pour sa capacité de direction l’État de manière très ferme tout en préservant une démocratie.

    Lorsqu’il fut contraint d’assumer la séparation entre la Malaisie et Singapour il tint ce discours :

    « Pour moi, c’est un moment d’angoisse. Toute ma vie, toute ma vie d’adulte, j’ai… j’ai cru en l’union avec la Malaisie et à l’unité des deux territoires. Vous savez que nous, en tant que peuple lié par la géographie, l’économie, par des liens de parenté… Cela détruit littéralement tout ce pour quoi nous avons lutté… Maintenant, moi, Lee Kuan Yew, Premier ministre de Singapour, dans la responsabilité qui m’incombe, je proclame et déclare au nom du peuple et du gouvernement de Singapour que, à partir de ce jour, le 9 août de cette année mille neuf cent soixante-cinq, Singapour sera à jamais une nation indépendante, souveraine et démocratique, fondée sur les principes de liberté et de justice et avec pour but la recherche du bien-être et du bonheur du peuple dans une société la plus juste et égalitaire possible.  »

    Et de ce minuscule État, sans beaucoup de ressources, Lee Kuan Yew qui restera premier ministre de 1965 à 1990, fera un miracle économique. Voici l’évolution du PIB depuis 1965 :


    De presque rien en 1965, le PIB est monté à près de 400 milliards de dollars faisant en 2017, selon le FMI, de Singapour le 4ème pays du classement du PIB par habitants,( devancé seulement par le Qatar, Macao et le Luxembourg. La France est 29ème de ce classement.

    Comment ce micro État fait-il ?

    Selon <Wikipedia> :

    « Son économie repose sur les services bancaires et financiers (deuxième place financière d’Asie après le Japon), le commerce, la navigation (deuxième port du monde derrière Shanghai pour le tonnage cargo, mais aussi en conteneurs pour la même année, le tourisme, les chantiers navals et le raffinage du pétrole (troisième raffineur mondial).
    Le secteur de l’industrie électronique est également très dynamique et connu dans le monde entier. »

    Et c’est donc dans ce pays moderne, dynamique, exemple pour tous ceux qui ont le PIB et l’ordre en ligne de mire,  qu’est né Xavier. Je l’ai découvert sur France Inter, dans l’émission <Sous les radars> du 6 octobre 2021 :

    « Une voix métallique, une voix d’automate, Singapour inaugure depuis quelques temps sa nouvelle trouvaille high tech, des robots sur roue, équipés de 7 caméras différentes, qui arpentent les rues de la Cité État pour détecter les « comportements sociaux indésirables » et réprimander les contrevenants. Le robot s’appelle Xavier. C’est marqué dessus mais c’est bien là son seul attribut humain. Pour le reste il ne laisse rien passer. Ni les fumeurs qui en grille une dans une zone non autorisée, ni les enfants qui garent mal leur vélo, ni les retraités qui jouent aux échecs sans respecter les gestes barrière. Xavier voit tout et rappelle à l’ordre, avec sa voix naisillarde, sans toutefois passer à la contravention. Le système est encore en rodage.

    Une surveillance de tous les instants qui inquiète les rares militants des droits de l’homme à Singapour.  « On a l’impression, dit cette militante, de ne plus être en sécurité pour exprimer certaines opinions ou adopter certains comportements.  On doit faire attention à tout ce qu’on dit et à tout ce qu’on fait, bien plus que dans n’importe quel autres pays. » « C’est comme une dystopie… Et le plus dystopique dans tout ça, conclue t-elle, c’est que c’est normalisé, et que les gens ne réagissent pas beaucoup. »

    Pas de mobilisation populaire en effet contre ces redresseurs de torts robotisés. Il faut dire que les habitants de Singapour commencent à être habitués. Le gouvernement promeut depuis longtemps l’idée d’une nation intelligente, une smart nation, à la pointe de la technologie. Les caméras sont déjà omniprésentes dans les rues et les lampadaires équipés de logiciels de reconnaissance faciale. »

    Quand on tape « xavier robot singapour» sur un moteur de recherche on trouve beaucoup d’articles et de vidéo sur cette « modernité ».

    <Courrier International> essaye d’analyser cette évolution, dont certains rêvent dans nos contrées certainement, à travers le regard de journaux asiatiques :

    « Est-ce que vous fumez dans une zone interdite ? Vous vous rassemblez à plus de cinq ? Méfiez-vous de Xavier, qui est à l’affût de ces ‘comportements sociaux indésirables' », mettait en garde début septembre la chaîne de télévision singapourienne Channel News Asia (CNA) sur son site Internet. »

    La moindre infraction est repérée :

    « Juchés sur quatre roues et se déplaçant à 5 km/h, ce robot est doté de caméras à 360 degrés et « est capable de voir dans l’obscurité », précise The Straits Times. « En une poignée de secondes, les images sont transmises à un centre de commandement et de contrôle, introduites dans un système d’analyse vidéo programmé pour reconnaître la posture d’un homme, les contours d’une cigarette dans sa bouche et d’autres signes visuels. » Et alors Xavier, d’une voix synthétique, s’adresse au contrevenant : « Merci de ne pas fumer dans un espace interdit tel que les passages couverts. » Des policiers visionnant les images peuvent également s’adresser directement aux fautifs par l’intermédiaire du robot, ajoute CNA. Pour l’heure, Xavier ne délivre aucune amende. »

    On apprend qu’en mai 2020, Singapour avait déjà expérimenté un « chien robot » ayant pour mission de faire respecter les distances de sécurité dans le contexte de la pandémie de Covid-19.

    Si les journaux de Singapour ne trouvent rien à redire à cette surveillance omnisciente, c’est un journal indien de Bombay, « The Indian Express » qui évoque « ce Robocop dans ce paradis de l’autoritarisme consumériste ».

    Il regrette que :

    « Pour beaucoup, il n’y a rien de gênant à ce que des robots fassent respecter les règles ».

    Pour conclure que :

    « Le pire avec ce système de surveillance, n’est pas qu’il se substitue aux policiers et aide à attraper les auteurs d’infractions. […] C’est, en réalité, qu’il veille à ce que les gens se conduisent en permanence comme s’ils étaient épiés.
    En d’autres termes, les robots comme les caméras et les logiciels de reconnaissance faciale ne sont pas faits pour que vous ayez peur de la police. Ils ont pour but de placer un policier dans votre tête. »

    Voilà !

    Cela se passe à Singapour, exemple de dynamisme, de société moderne et de développement économique. Une démocratie où règnent l’ordre, le calme et le civisme ….

    <1614>

  • Mercredi 27 octobre 2021

    « Vous pouvez écouter votre ostéopathe, il en est bien qui écoute leur coiffeur ! »
    Un médecin rencontré lors d’une échographie

    Aujourd’hui je vais parler de médecins, de techniciens et d’ostéopathie.

    Mais pour ce faire, il me semble utile de parler d’une expérience personnelle et d’expliquer le début de l’affaire.

    Ce récit, écrit en couleur verte, peut être cependant sauté par les lecteurs pressés. Il a pour objet d’expliquer pourquoi un vendredi à 16 :10 je me suis retrouvé dans le cabinet d’un utilisateur de l’appareil S3000 de marque Siemens en vue de réaliser une échographie abdominale

    Nous étions donc au mois de septembre dans un gîte situé dans le massif de la chartreuse, près du col du Cucheron.

    Le premier matin, j’ai ouvert des volets à battants et en voulant les bloquer par le loquet prévu, je me suis appuyé sur le rebord de la fenêtre et j’ai essayé d’étendre mon bras droit jusqu’au loquet. J’ai brusquement senti une douleur suffisamment vive pour que j’arrête le mouvement et que je sorte pour accrocher le loquet de l’extérieur, exercice plus simple et plus confortable.

    Dans l’après-midi, j’ai ressenti une douleur plus intense dans cette zone, sans d’abord faire le lien avec l’épisode du matin.

    Le soir, il m’était impossible, dans le lit, de me coucher du côté droit, ni de tendre le bras droit pour attraper quoi que ce soit sur la table de nuit.

    Cette douleur intense a duré une semaine.

    Je me soignais avec des granules et de la crème d’arnica.

    La deuxième semaine il y a avait une amélioration mais j’avais des sensations désagréables dans la même zone, notamment au moment de manger ou de digérer et quelques autres désagréments quand je respirais profondément ou que conduisais pendant un certain temps.

    Au retour des vacances, en consultant mon oncologue pour la visite périodique, je lui ai fait part de cette douleur, des circonstances de son apparition.

    En m’examinant, elle a conclu à des probables douleurs intercostales sans gravité.

    Nous avons cependant décidé de réaliser un examen approfondi dans 6 mois (techniquement un pet scan) pour vérifier l’état des métastases du cancer.

    Mais juste avant de partir, elle a ajouté : «si les douleurs persistent nous avancerons l’examen».

    Cette remarque, juste à la sortie de la consultation, a eu pour effet d’augmenter légèrement mon niveau d’inquiétude.

    Les douleurs persistaient sans que je puisse avoir la certitude qu’elles diminuaient. Je suis d’abord allé voir mon médecin traitant, puis mon ostéopathe qui ont tous les deux été rassurants. L’ostéopathe expliquant mes douleurs annexes en disant que tout étant lié dans la cavité abdominale, il n’était pas anormal que des douleurs organiques puissent être déclenchées par un traumatisme au niveau des côtes.

    Et il avait été décidé de réaliser une échographie abdominale si au bout d’un mois, depuis le début des douleurs, si des perceptions désagréables persistaient.

    Et voilà, pourquoi vendredi après-midi dernier je suis entré dans un cabinet d’échographie dans un hôpital lyonnais en vue d’un examen de la zone douloureuse.

    Pour être efficace, le médecin qui m’a reçu m’a demandé de m’allonger pour que l’échographie débute immédiatement.

    Il écoutait d’une oreille distraite ce que je lui racontais sur mon état de santé, toute son attention était retenue par l’appareil dont il était le servant.

    Tout était normal, jusqu’à la détection des stigmates d’une fracture de l’axe antérieur de la 9ème cote droite avec un cal osseux.

    Pour celles et ceux qui auraient besoin d’explications : Après une fracture, l’organisme est capable de fabriquer à nouveau de l’os et un épaississement osseux se forme afin de favoriser la cicatrisation de l’os : il s’agit d’un cal osseux.

    C’est alors que nous avons engagé la conversation :

    Moi : C’est donc cette fracture qui justifie mes douleurs ? et aussi mes douleurs plus profondes. Mon ostéopathe m’a expliqué que ces choses étaient liées.

    Le médecin : De toute façon pour les ostéopathes tout est toujours lié !

    Moi : Ah vous doutez de l’ostéopathie ?

    Le médecin : Oh ! Vous pouvez écouter votre ostéopathe, il en est bien qui écoute leur coiffeur !

    C’est ainsi que s’est achevé notre échange. Lui m’expliquant que je pouvais me rhabiller et qu’il allait préparer le compte rendu de l’examen.

    Comparer l’avis d’un ostéopathe et l’opinion d’un coiffeur, c’est être un peu méprisant, selon ma perception.

    France Culture dans son émission, « les idées claires » a posé la question : « Ostéopathie, ça ne sert à rien ? »

    L’émission avait invité le professeur François Rannou, chef du service de médecine physique et de réadaptation à l’hôpital Cochin et dirigeant d’une équipe à l’Inserm de la faculté des Saints-Pères, en charge d’une étude sur l’effet de l’ostéopathie sur 400 patients souffrant de lombalgie.

    Les participants ont bénéficié de six séances de manipulations ostéopathiques ou de six séances de manipulations placebo à raison d’une séance toutes les deux semaines, pendant trois mois.

    Les séances étaient toutes réalisées par des ostéopathes qui étaient d’accord sur les manipulations que leur discipline préconisait pour une lombalgie.

    Une partie de ces ostéopathes appliquaient strictement ce protocole sur les membres du premier groupe, alors que l’autre partie des ostéopathes se gardaient de le suivre en réalisant des manipulations qui devaient être neutre.

    Les résultats sont parus dans la revue JAMA (Journal of the American Medical Association) le 15 mars 2021.

    Le professeur Rannou rapporte :

    « En général, quand on fait des études sur les faits, soit d’un médicament, soit d’une thérapeutique non pharmacologique dans les maladies de l’appareil locomoteur, on regarde trois choses. On regarde la douleur, est-ce qu’on a mal ou pas ? Ou moins mal ou plus mal ? La fonction en gros c’est, qu’est ce qu’on peut faire ? Et la qualité de vie, est-ce qu’on a perdu ou pas en qualité de vie ? Là, on a montré que sur la douleur, il n’y avait pas de différences du tout entre les deux groupes, la qualité de vie non plus. Par contre, sur la fonction, il y a une petite différence entre les deux groupes en faveur du groupe ostéopathie. Mais cette différence n’est pas ce que l’on appelle cliniquement pertinente, c’est-à-dire que c’est une différence qui est tellement faible qu’on considère qu’elle n’a pas d’existence clinique. »

    Donc l’ostéopathie n’a pas plus d’effet qu’un placebo selon cette étude.

    Je n’ai pas vocation à remettre en cause cette étude.

    Je constate qu’il s’agissait d’une étude sur un point précis de souffrance : une lombalgie.

    Une étude sur une autre pathologie conduirait-elle au même résultat ?

    Et puis il y a un constat du professeur Rannou qui me semble essentiel :

    « On a comparé l’ostéopathie chez les gens qui ont mal au dos depuis plus de 6 semaines à un placebo et on montre qu’il n’y a pas de différences entre les deux. En gros, les deux améliorent les patients, mais il n’y a pas de différences cliniquement pertinentes entre les deux groupes. »

    L’ostéopathie dans ce cas améliore la situation du patient, c’est mieux que de ne rien faire, mais ce n’est pas mieux qu’un placebo.

    Mais dans les deux cas la prise en charge est la même, je veux dire que les patients rencontrent un ostéopathe qui s’occupe d’eux, avec lequel ils échangent. Bref tout est dans la relation, dans la capacité d’empathie et d’humanité dont est capable le praticien et la confiance que peut lui manifester le patient.

    Exactement le contraire de ce technicien que j’ai rencontré vendredi après-midi, appendice d’une machine et qui n’a marqué aucune empathie et très peu d’écoute.

    Il pourrait probablement être remplacé par une intelligence artificielle sans qu’il n’y ait de dégradation du service.

    <1613>

     

  • Mardi 26 octobre 2021

    « Je suis un modeste musicien. »
    Bernard Haitink

    Et de manière unanime, le 22 octobre 2021, les sites de tous les plus grands orchestres symphoniques du monde ont affiché en page d’accueil la même information : Le chef d’orchestre néerlandais Bernard Haitink est mort le 21 octobre 2021

    En commençant par l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, dont il fut le chef pendant 25 ans.

    Mais aussi l’Orchestre Philharmonique de Berlin, l’Orchestre Philharmonique de Vienne, le Chicago Symphony Orchestra, le Boston Symphony Orchestra, l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde.

    Les plus grands !

    Et aussi le London Philharmonic Orchestra dont il fut chef principal pendant 12 ans.

    Il est mort de vieillesse, à l’âge de 92 ans. <La Croix> écrit :

    « «  Je suis un modeste musicien », martelait Bernard Haitink si l’on s’aventurait à évoquer son impressionnante carrière. Pourtant, c’est bien l’un des plus grands chefs d’orchestre de l’histoire qui est mort jeudi 21 octobre à Londres. »

    Il s’était arrêté de diriger il y a deux ans. Parce que cet homme humble avait déclaré :

    « Je ne veux pas qu’on dise de moi : il est gentil mais il devrait s’arrêter là ! »

    Il a ainsi décidé et réalisé son dernier concert dans la salle du Festival de Lucerne avec l’Orchestre Philharmonique de Vienne le 6 septembre 2019.

    Il dirigea le 4ème concerto de piano de Beethoven avec le pianiste Emmanuel Ax, puis l’immense 7ème symphonie de Bruckner.

    Ce concert peut être écouté sur le site de France Musique < L’ultime concert de Bernard Haitink>.

    Il y a aussi <cette vidéo> qui montre les deux dernières minutes de scène de cet immense chef d’orchestre qui d’un geste de la main gauche arrête la musique, remercie l’orchestre, remercie le public qui l’applaudit debout, puis prend sa canne et prend la main d’une femme qui l’attend en bas de l’estrade pour s’en aller tranquillement et prendre une retraite pour 2 ans, à 90 ans.

    <TELERAMA> rapporte à propos de la musique de l’Autrichien Anton Bruckner (1824-1896)

    « le chef d’orchestre néerlandais Bernard Haitink considérait qu’« essayer de l’expliquer, c’est déjà se tromper. » La musique, pensait-il, ça se sent et ça se vit à l’intérieur de soi. Alors à quoi bon intellectualiser sa passion pour ce compositeur ? « C’est curieux de voir comment je me sens inexplicablement si proche de lui. »

    Loin des autocrates du pupitre, il fut à l’instar de Claudio Abbado, de 4 ans son cadet, un musicien parmi les musiciens.

    <Le Monde> écrit :

    « Chef d’orchestre d’une grande discrétion, au point d’avoir parfois été traité de « sphinx », Bernard Haitink, […] restera comme l’une des plus grandes baguettes de la seconde moitié du XXe siècle. »

    Quand je me suis éveillé à la musique avec mon ami Bertrand G. dans les années 1970, nous écoutions, beaucoup la <Tribune des critiques de disques> de France Musique.

    Nous étions très influencés par ces critiques, notamment Antoine Goléa qui rejetait systématiquement les interprétations de Haitink, le traitant d’apprenti, d’élève mais pas de chef d’orchestre.

    Certes, Bernard Haitink a muri au cours des années et perfectionné son art, mais aujourd’hui l’ensemble de la communauté musicale reconnait que même les enregistrements de ses débuts sont d’une qualité remarquable.

    Entretemps Bertrand et moi avons compris qu’il fallait se méfier des experts, de tous les experts dans tous les domaines et particulièrement dans le domaine musical.

    La question à se poser : est-ce que cette interprétation me touche, me fait vibrer, me fait du bien ?

    Bernard Haitink est né en 1929 à Amsterdam et apprend le violon à 9 ans.

    Selon son propre jugement, il n’est pas très bon

    Mais ses parents l’emmènent aux concerts du Concertgebouw où il découvre des chefs comme Willem Mengelberg, Bruno Walter ou Otto Klemperer et apprend à aimer l’orchestre symphonique.

    Sa carrière musicale commence au sein de l’Orchestre de la radio néerlandaise, dont il intègre, à 25 ans, le pupitre des violons. Il exprimera longtemps une culpabilité car il se convaincra qu’il ne doit sa carrière qu’à l’éviction de ses camarades juifs, contraints au départ du Conservatoire d’Amsterdam à cause des lois nazies.

    <La Croix> rapporte ses propos :

    « C’est horrible à dire, mais s’il n’y avait pas eu les abominations de l’Occupation nazie, je n’aurais jamais été chef d’orchestre. Il y aurait eu des chefs beaucoup plus talentueux que moi. »

    Il va se tourner rapidement vers la direction d’orchestre.

    Le Monde écrit :

    « En 1954, il est lauréat d’un concours de direction organisé par la radio, dont le président du jury, Ferdinand Leitner, devient alors son mentor. L’année suivante, le jeune homme est promu au rang de second chef de l’Orchestre de la radio avant d’en devenir le chef principal en 1957. Il a, dans l’intervalle, remplacé au pied levé le grand Carlo Maria Giulini à la tête de l’Orchestre du Concertgebouw, le 7 novembre 1956. »

    Un concours de circonstance, le directeur musical de l’orchestre du Concertgebouw décède et son talent vont le conduire à être nommé premier chef de cet orchestre prestigieux à 34 ans, ce qui était très jeune, surtout de ce temps-là. Cette jeunesse inhabituelle suscitera la méfiance et le dénigrement de certains critiques et musicologues

    Mais Bernard Haitink, travaille, approfondit et réalisera ce que le Monde appelle :

    «  Une aventure musicale d’un quart de siècle, parmi les plus passionnantes de l’histoire musicale, jusqu’en 1988. »

    Poussé par l’éditeur néerlandais Philips, il va entreprendre une des premières intégrales de la musique de Mahler. Il entreprendra d’autres intégrales : Bruckner, Brahms, Beethoven, Tchaikovski.

    Il sera le premier chef occidental à pénétrer tout l’univers de Chostakovich et réalisera une intégrale de référence avec ses deux orchestres du Concertgebouw et du London Philharmonic.

    L’histoire avec le Concertgebouw lui apportera des déceptions.

    Le Monde relate :

    Les dernières années « En 1983, Bernard Haitink met sa démission dans la balance et fait reculer le gouvernement hollandais qui s’apprêtait à mettre en œuvre un plan d’économies qui menaçait vingt-trois des musiciens de l’orchestre. Conséquence directe : son contrat n’est pas renouvelé en 1988. »

    Il ne sera même pas invité pour fêter le centenaire de l’institution qu’il a dirigé pendant un quart de cette période.

    Il se sentira blessé et restera plusieurs années sans revenir diriger au Concertgebouw.

    Mais d’autres institutions et orchestre lui ouvriront les bras, ceux que j’ai déjà cité en début d’articles mais aussi des institutions d’opéra comme le Festival de Glyndebourne et le Royal Opera House Covent Garden de Londres dont il présidera les destinées de 1987 à 2002.

    Après 2002, il décidera de reprendre quasi exclusivement le chemin des concerts symphoniques.

    En France, il dirige l’Orchestre national de France et ARTE a mis en ligne une vidéo dans laquelle Bernard Haitink dirige l’Orchestre National de France dans Mozart et Bruckner.

    <TELERAMA> écrira à propos de ce concert  :

    « Lors d’un concert en 2015 à l’auditorium de la Maison de la Radio à Paris, diffusé sur France Musique, il éblouit les spectateurs et auditeurs : ses gestes sont précis et secs. Rien de grandiloquent. Avec lui, l’émotion que procure la musique doit être intériorisée. Son regard est franc, presque sévère. Mais on note quelques sourires et regards complices à l’égard des musiciens, ainsi qu’un air satisfait lorsque la musique adoucit ses traits.  »

    Vendredi matin sur France Musique, le musicologue Christian Merlin lui rendait hommage, le qualifiant de « modèle de sobriété » :

    « Sa direction n’était parasitée par aucun geste inutile, ses gestes étaient dictés par la nécessité musicale et le souci d’aider l’orchestre. Son conseil aux jeunes chefs : « Je leur suggère d’être moins obsédés par leur image et de faire davantage confiance aux musiciens. » »

    Pendant ses dernières années, il a souvent dirigé un autre orchestre londonien prestigieux : le London Symphony Orchestra. C’est avec cet orchestre qu’Annie, Florence et moi avons eu la grâce de l’entendre et de le voir le 30 mai 2017, lors d’un concert à la Philharmonie de Paris pendant lequel il a dirigé la 9ème symphonie de Bruckner.

    Bernard Haitink laisse dernière lui plus de 450 enregistrements, de Beethoven, Mahler, Bruckner, R Strauss, Debussy, Brahms ou encore Chostakovitch.

    <La Croix> écrit à juste titre

    « Il laisse de magnifiques enregistrements en héritage. Tout est à écouter. »

    <1612>

     

  • Lundi 25 octobre 2021

    « J’aime la chanson, j’aime les mots, j’aime les notes, je gratte sur une guitare, je raconte des histoires à des amis. »
    Georges Brassens

    Il y a cent ans le 25 octobre 1921, Georges Brassens était âgé de quatre jours, puisqu’il était né à Sète, le samedi 22 octobre 1921.

    Il est né la même année qu’Edgar Morin qui, lui, vit toujours.

    Mon enfance a été bercée par les chansons de cet artiste qui avait pourtant eu énormément de difficultés à s’imposer sur la scène française avant d’en devenir un des piliers.

    Cent ans, c’est une invitation à un hommage à ce poète, ce mélodiste, ce chanteur qui savait être paillard, ironique, tendre et profond.

    En juin, me promenant sur les bords de Saône, lieu où se trouve les bouquinistes à Lyon, mon regard c’est arrêté sur un livre « Brassens, toute une vie pour la chanson ». Je l’ai acheté et je viens de le lire.

    C’est ainsi que j’ai appris qu’il n’a pas achevé ses études au collège Paul-Valéry à Sète. Influencé par une bande de petits casseurs qui cherchaient à bon compte de l’argent de poche, il est compromis dans des vols de bijoux auxquels il n’a d’ailleurs pas participé, flirtant seulement avec la bande et avec le risque. Il se retrouve au commissariat où son père se hâte d’aller le voir.

    Brassens a tiré de cet épisode une de ses plus belles chansons : <Les Quatre bacheliers>

    « Nous étions quatre bacheliers
    Sans vergogne,
    La vraie crème des écoliers,
    Des ecoliers.

    Pour offrir aux filles des fleurs,
    Sans vergogne,
    Nous nous fîmes un peu voleurs,
    Un peu voleurs. »

    <suite>

    Chanson dans laquelle il rend hommage à son père bienveillant :

    « Mais je sais qu’un enfant perdu, […]
    A de la chance quand il a,
    Sans vergogne,
    Un père de ce tonneau-là »

    Ce livre a été écrit par un de ses amis : André Sève, son aîné de 8 ans puisqu’il est né en 1913 à Crest (Drôme) mais qui lui a survécu de 20 ans.

    Brassens l’appelait « Frère André » parce qu’il était un religieux assomptionniste. Il a surtout écrit des livres spirituels et religieux mais il voulait écrire un livre d’interview de ce chanteur dont il aimait tant les chansons … sauf quelques-unes…

    Car évidemment la Foi et la religion les conduisaient à des disputes fréquentes. Et quelquefois des chansons pouvaient être des objets de dispute.

    Ainsi <La religieuse> qui commence ainsi :

    « Tous les cœurs se rallient à sa blanche cornette
    Si le chrétien succombe à son charme insidieux
    Le païen le plus sûr, l’athée le plus honnête
    Se laisseraient aller parfois à croire en Dieu
    Et les enfants de chœur font tinter leur sonnette

    Il paraît que, dessous sa cornette fatale
    Qu’elle arbore à la messe avec tant de rigueur
    Cette petite sœur cache, c’est un scandale
    Une queu’ de cheval et des accroche-cœurs
    Et les enfants de chœur s’agitent dans les stalles

    Il paraît que, dessous son gros habit de bure
    Elle porte coquettement des bas de soie
    Festons, frivolités, fanfreluches, guipures
    Enfin tout ce qu’il faut pour que le diable y soit
    Et les enfants de chœur ont des pensées impures »
    Brassens par André Sève page 50

    Mais cet épisode permet à Brassens de donner cette leçon de vie :

    « Quand tu fais quelque chose qui m’agace, par exemple quand tu as écouté la religieuse ça t’a contrarié et tu ne voulais plus me voir, ça m’a refroidi à ton égard, tu comprends, mais j’ai fait un effort, j’ai essayé de me dire : « C’est normal que cette chanson ne plaise pas à Frère André, ce n’est pas une raison pour lui en vouloir à ce point. » Quand on fait cet effort, on s’aperçoit souvent que les raisons de se refroidir ne sont jamais de vraiment bonnes raisons, c’est dû au caractère, à l’égoïsme du moment. Parce que je ne trouvais pas dans mon Frère André, à ce moment-là, ce que j’espérais y trouver je me refroidissais, mais dans l’amitié il ne faut pas penser uniquement à ce que l’autre, d’après nous, doit nous apporter. Il ne faut pas prendre, prendre. Il faut donner, et dans ces moments-là, ce qu’on peut donner de mieux, c’est d’être très intelligent, pas puéril. »
    Brassens par André Sève page 98

    Ce livre a été écrit alors que Brassens avait 54 ans, il lui restait 6 ans à vivre.

    Ce livre ne fut pas simple, Brassens bourru passa son temps à rabrouer son ami. Il l’obligea d’abord à abandonner la liste de questions qu’il avait patiemment préparées pour laisser le dialogue plus naturel et moins formaté. Après il lui reprocha de ne pas le laisser aller au bout de sa pensée et de l’interrompre pour enfin lui reprocher qu’il ne le comprenait pas ou qu’il ne l’écoutait pas.

    Frère André a scrupuleusement rapporté ces rebuffades, comme celle lorsqu’il n’était pas convaincu que Brassens, qui avait écrit de si beaux textes, puisse prétendre que dans ses chansons le plus important était la mélodie :

    « Est-ce que tu me suis bien ? Est-ce que j’arriverai à te faire comprendre que j’attache plus d’importance à la musique qu’aux paroles
    Brassens par André Sève page 30
    […]
    « C’est pour cela qu’en disant que tu aimes mes chansons sans tenir compte des musiques, tu fais preuve d’une incompétence rare en matière de chanson, et ça me fait de la peine. […]
    Puisque tu les aimes, mes chansons, la musique te pénètre et te plaît sans que tu te rendes bien compte. »
    Brassens par André Sève page 30

    Et quand André Sève veut donner la liste de des 10 chansons préférées, il lui rétorque :

    « Dis-les donc tes préférences. Mais si tu aimais la chanson et si tu aimais Brassens, tu n’aurais pas de préférences. »
    Brassens par André Sève page 51

    André Sève parvient cependant à lui faire avouer son amour des mots :

    « Oui, j’aime bien me faire une petite fête avec les mots. Il y en a qui servent admirablement une pensée, une image. « Ventripotent…le regard oblique…Elle viendra faire sa niche entre mes bras… Le parti des myosotis… Au bois de mon cœur…Des grâces roturières… » Certains mots sont beaux par eux-mêmes, d’autres jouent bien entre eux : « Un grain de sel dans tes cheveux » »
    Brassens par André Sève page 50

    Il galéra pour être reconnu. Il proclame : je dois tout à Patachou :

    « Je me suis fait trois amis qui m’ont dit : « On va te présenter à Patachou » Un soir on m’a amené à son cabaret-restaurant à Montmartre et après le spectacle j’ai chanté mes chansons. Je pensais n’en donner qu’une ou deux, mais Patachou m’a tout fait chanter. Elle m’a pris immédiatement plusieurs chansons et m’a demandé de revenir pour les lui apprendre. »
    Brassens par André Sève page 39

    La première fois qu’on a entendu en public une chanson de Brassens, c’était par Patachou.

    Patachou chante <Les amoureux des bancs publics>

    Mais elle ne voudra pas chanter certaines chansons comme « le Gorille », « la Mauvaise réputation » et elle le convainquit de les chanter lui-même. Elle le laissa chanter après son spectacle en le lançant ainsi :

    « Je vous ai chanté la Prière, Bancs publics. Je vous ai dit que c’était d’un nommé Brassens. Il est là, Brassens. Il ne sait pas tellement bien chanter, il ne sait pas tellement bien jouer de la guitare, il ne sait pas tellement bien se tenir en public, visiblement il n’aime pas ça, mais si vous voulez passer un moment agréable, restez. »
    Brassens par André Sève page 40

    Et les gens sont restés.

    « Tout ensuite, est allé très vite, et je le dois à Patachou, je ne cesserai jamais de le dire. Parce que tu sais à ce moment-là, j’étais un peu perdu, j’avais 31 ans et j’étais un peu désespéré, je commençais à penser que ça ne marcherait jamais. »
    Brassens par André Sève page 40

    <Mini interview de Patachou, très vieille, qui parle de sa rencontre avec Brassens>

    La vie de Brassens décrite dans le livre : il écrivait des chansons, recevait des amis et lisait beaucoup surtout les poètes. Il se levait très tôt vers 2, 3 ou 4 heures du matin après 6 heures de sommeil.

    C’était un bosseur !

    « Je vis selon les chansons que j’écris, si j’en ai vraiment entrain je ne m’occupe que de ça. Je reste parfois deux heures assis à chercher un mot, un accord. Je peux travailler jusqu’à douze heures dans la journée. »
    Brassens par André Sève page 79

    Il écoutait parfois de la musique classique :

    « Oui mais je préfère le jazz […] J’aime ce rythme »
    Brassens par André Sève page 79

    Et quand André s’étonne que lui homme de la ville ait pu écrire une merveille comme <Bonhomme> il répond :

    « Eh bien, j’avais peut être lu quelque chose qui m’a fait vibrer. Et ce qui m’est d’abord venu, c’est « mort naturelle ». J’ai vu un vieil homme qui mourait, sa vieille femme qui allait pour chauffer Bonhomme « qui va mourir de mort naturelle ». J’ai réussi cette chanson, que j’aime beaucoup, c’est une de mes préférées, parce que j’avais dû être fortement ému/ […] c’est la mort du grand-père d’un ami qui m’avait frappé. »
    Brassens par André Sève page 50

    Les paroles qui débute cette chanson :

    « Malgré la bise qui mord
    La pauvre vieille de somme
    Va ramasser du bois mort
    Pour chauffer Bonhomme
    Bonhomme qui va mourir
    De mort naturelle

    Mélancolique, elle va
    À travers la forêt blême
    Où jadis elle rêva
    De celui qu’elle aime
    Qu’elle aime et qui va mourir
    De mort naturelle »
    Brassens par André Sève page 50

    Il aimait les chats :

    « Dans ma vie, il me faut des chats. De toute façon, je respecte les animaux, je ne suis ni chasseur ni pêcheur à cause de ça. Je dois aimer les chats parce qu’ils sont très indépendants. Je respecte leur indépendance, je ne les caresse que lorsqu’ils ont envie, je ne les habille pas, je ne les mets pas dans une boîte. Je les regarde vivre. »
    Brassens par André Sève page 69

    J’ai lu sur le web que l’anarchiste qu’il était, aurait dit qu’il préférait les chats aux chiens parce qu’il n’y avait pas de chat policier.

    Et il va encore se révolter quand Frère André veut lui faire dire qu’il y a un message, une morale, des valeurs dans ses chansons :

    « Mais prends-moi comme je suis : j’aime la chanson, j’aime les mots, j’aime les notes, je gratte sur une guitare, je raconte des histoires à des amis. Il se trouve que j’ai beaucoup lu, que j’ai rencontré certaines idées, que j’ai vu des choses qui m’ont plu, d’autres qui m’ont déplu, tout ça est entré en moi et ça ressort un jour dans une chanson. Comme une vache qui se met à paître de l’herbe et ça devient du lait. Ne lui demande pas d’expliquer son lait, bois-le »
    Brassens par André Sève page 49

    Voilà comment était Brassens qui est né à Sète, il y a 100 ans.

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  • Vendredi 22 octobre 2021

    « La victoire en pleurant»
    Daniel Cordier

    Daniel Cordier est mort le 20 novembre 2020, à 100 ans. J’ai écrit trois mots du jour le concernant début décembre 2020.

    J’étais revenu notamment sur son extraordinaire destin et sur son livre « Alias Caracalla »

    Je racontais alors que, pendant l’été 2016, j’avais lu ou plutôt dévoré ce livre extraordinaire qui narre le récit précis des faits auxquels Daniel Cordier a participé entre le 17 juin 1940 et le 23 juin 1943.

    La première date correspond au jour du discours de Pétain, dans lequel se trouve cet appel insupportable à Daniel Cordier :

    « C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat.
    Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités. »

    La seconde date est le lendemain de l’arrestation de « Rex », Jean Moulin, le 22 juin 1943, à Caluire.

    Et entre ces deux dates, le tout jeune Daniel Cordier s’est embarqué sur un navire qui l’a emmené en Angleterre pour continuer le combat. Il s’est alors engagé corps et âme dans « la France libre » sous les ordres du Général de Gaulle. Il a ensuite été parachuté sur la France et a rejoint Lyon où les circonstances vont faire de lui le secrétaire de Jean Moulin alors que ce dernier va tenter d’organiser et de rassembler toutes les chapelles de la résistance sous l’autorité de De Gaulle.

    « La victoire en pleurant » est la suite de ce récit, jusqu’à la fin de la guerre et la démission de De Gaulle.

    Daniel Cordier abandonnera alors le service de la défense nationale pour le chemin de l’art dans lequel il excellera en tant que marchand d’art, collectionneur et organisateur d’expositions.

    Il retrouvera beaucoup plus tardivement cette période, à travers son travail d’historien pour réhabiliter et défendre Jean Moulin attaqué par d’anciens résistants obstinés et vindicatifs.

    En particulier, il répondra aux accusations d’Henri Frenay qui prétendait que Jean Moulin était un agent crypto-communiste.

    Et c’est à la fin de sa vie qu’il écrira ce que beaucoup appellent ses Mémoires en deux tomes, alors qu’il s’agit d’une toute petite période de sa vie, même si elle fut intense.

    Il parvint à finir le récit de cette seconde partie avant sa mort, mais sans avoir le temps de relire et de corriger quelques éléments imprécis.

    C’est Bénédicte Vergez-Chaignon, qui a longtemps travaillé avec Cordier dans son travail sur Moulin, qui a finalisé l’ouvrage, l’a préfacé et annoté

    La lecture de cet ouvrage, bien plus court qu’Alias Caracalla, constitue un devoir indispensable à tout honnête homme qui s’intéresse à l’Histoire de France.

    J’ai profité de la pause estivale pour lire ce livre bouleversant et très instructif sur la France qui est sortie de la seconde guerre mondiale.

    Pourquoi la victoire en pleurant ?

    Parce Daniel Cordier a perdu beaucoup d’amies et d’amis dans ce combat terrible contre l’ennemi nazi. Certains ont été tués, torturés à mort, se sont suicidés, sont morts dans les camps ou sont revenus dans un tel état physique qu’ils sont morts de la suite de leur déportation.

    Il explique qu’il ne se doutait pas de ce que ses camarades avaient enduré dans les camps. Dans son esprit de l’époque, il pensait que si les camarades avaient résisté à la torture, la vie au camp marquait la fin des souffrances et de la lutte contre la mort.

    A la fin de la guerre, il va chercher des camarades revenant des camps à la gare :

    « Je le fixe intensément pour ajuster ce visage squelettique à un visage connu…Heureusement son regard vif et moqueur me permet de le reconnaître : « Montet ». Il s’agit de Maurice Montet qui dirigeait le service d’évasion vers l’Espagne et qui a été arrêté quelques jours avant Rex (Jean Moulin). Nous nous embrassons. Je n’ose lui demander comment il va. Je suis horrifié de ce que je découvre d’un coup et je me sens d’autant plus coupable d’avoir échappé à la déportation, mais surtout d’avoir imaginé la vie paisible des déportés.
    Rompant le silence, il me dit « Ça a été dur, mais on les a eus ». […] Il pèse trente-cinq kilos.
    Pages 204-205

    Le courage et la détermination de ces femmes et hommes et aussi de leur famille étaient inouïs, incroyable à notre vécu d’aujourd’hui.

    Les arrestations de la Gestapo désorganisent les réseaux que Cordier anime. Et voilà ce qu’il écrit page 64 :

    « Je reçois un mot des parents de Limonti, à qui j’ai annoncé l’arrestation de leur fils : ils me proposent d’embaucher leur fille Dominique pour remplacer son frère. J’accepte avec émotion et je suis comblé de découvrir qu’elle est dactylo. »

    Le frère est tombé aux mains de l’ennemi, la sœur le remplace et les parents encouragent cette montée vers le danger.

    Rien n’illustre mieux la vérité de ce vers du chant des partisans

    « Ami, si tu tombes un ami sort de l’ombre à ta place. »

    «En pleurant», aussi à cause des divisions entre les résistants, entre la France libre et la résistance, à l’arrivée massive dans le camp de la victoire des français de Vichy qui se sont révélés tardivement résistants.

    Tout cela créant une atmosphère pesante et bien loin du récit d’une France unie derrière De Gaulle.

    Daniel Cordier avait révélé à Paulin Ismard dans De l’Histoire à l’histoire en 2013 :

    « Après le 21 juin 1943, j’ai vécu la fin de la guerre en somnambule. »

    Bien sûr il sera, à partir de cette date, orphelin de Rex, son chef tellement admiré et dans lequel il avait une confiance absolue. Il ne retrouvera plus cette relation avec un autre.

    Pour illustrer le panier de crabes qu’est devenu la France de Londres à la fin de la guerre, un fait écrit révèle cette triste situation. Cordier doit fuir la France, quasi l’intégralité de son réseau a été arrêté suite à la maladresse d’un de ses membres qui gardait à son domicile le nom et l’adresse de tous les membres du réseau.

    Et quand il revient ainsi, en avril 1944, en Angleterre, le protocole veut qu’il soit soumis à un interrogatoire d’abord du contre-espionnage britannique puis français.

    La conclusion du britannique est :

    « Un homme très intelligent et intéressant. J’aurais tendance à considérer ses informations comme fiables. […] J’ai remarqué qu’il prenait grand soin de ne pas donner d’informations dont il ne soit pas certain. […] Ne pose pas de problème de sécurité. »

    La conclusion du français est

    « L’intéressé a de toute évidence « préparé » son interrogatoire. Il était au courant des critiques formulées contre lui et s’est volontairement retranché dans un vague peu compromettant. Ces quelques lignes font néanmoins ressortir le désordre, la prétention et le manque de franchise de cet agent qui en aucun cas ne devra retourner en France où il serait un véritable danger public »

    75 ans après, l’Histoire ayant fait son œuvre, on peut affirmer tranquillement que c’est l’officier britannique qui disait la vérité. L’autre était influencé par les milieux résistants hostiles à jean Moulin.

    Un livre qui dit la grandeur de certains humains et la moindre grandeur de certains autres, loin des récits mythiques pour les croyants.

    Bénédicte Vergez-Chaignon était l’invité <des matins de France Culture> pour parler de ce livre.

    Elle était aussi invitée par <Public Sénat> accompagné de l’historien Emmanuel De WARESQUIEL.

    <1610>

  • Jeudi 21 octobre 2021

    « Essaie et cours ta chance ! »
    Paul Belmondo à son fils Jean-Paul après qu’un acteur de théâtre ait démoli son rêve de faire de la comédie

    Mon neveu Grégory l’avait verbalisé, ce qu’il y a de spécifique dans cet article quotidien que j’écris c’est que je suis libre de choisir le sujet que je veux.

    Je l’avais déjà cité lors du mot du jour du <du 4 décembre 2018>

    Cette règle est particulièrement vraie pour les hommages.

    Il faut que quelque chose me touche, que je pense savoir l’exprimer pour pouvoir le partager.

    C’est le cas pour Jean-Paul Belmondo qui est décédé le 6 septembre 2021.

    Il a été un acteur flamboyant, populaire, avec un succès incroyable. Il a également tourné, avec un même bonheur, des films d’auteur. Il fut aussi un grand acteur de théâtre.

    Mais ce que je voudrais partager, c’est le début et la fin.

    Augustin Trapenard était allé lui rendre visite en novembre 2016, chez lui pour son émission <Boomerang>

    Et Jean-Paul Belmondo a rappelé ses débuts : Il est né dans un milieu favorisé, à Neuilly sur Seine. Son père était un sculpteur reconnu Paul Belmondo et sa mère une artiste peintre : Madeleine Rainaud-Richard

    Mais à l’école il n’y arrivait pas vraiment et il raconte :

    « Comédien, je crois que j’ai voulu l’être tout de suite. A 10 ans, je faisais le clown. Ça amusait beaucoup ma mère. Et petit à petit, j’ai pensé que je pourrais être un comédien  »

    Ses parents étaient un peu inquiets, mais sont toujours restés positifs. Et devant le désir du petit Jean-Paul, son père qui avait évidemment beaucoup de relations dans le monde des arts et du spectacle lui dit :

    « Je vais te présenter à un ami qui est à la Comédie Française et il nous dira ce qu’il pense de toi. »

    Cet acteur de théâtre avait pour nom André Bruno. Cela se passa très mal. Le professionnel du théâtre condamna sans appel le jeune enfant ému :

    « Arrête. Fais autre chose ! »

    Il pleura et c’est là qu’on trouve une leçon de vie donnée par son père. Leçon qu’il gardera toute sa vie.

    Sans rien sous-estimer des difficultés et des immenses efforts nécessaires, son père ne l’arrête pas dans la poursuite de son rêve, mais l’encourage à y aller :

    « On n’a jamais perdu, il faut garder le moral.
    Je te suppose, assez clairvoyant pour envisager les difficultés que tu vas rencontrer. Essaie et cours ta chance. »

    Essaie et cours ta chance !

    Je trouve cette réaction très inspirante dans les circonstances telles que Jean-Paul Belmondo les décrit.

    Il a été largement commenté que Jean-Paul Belmondo, lors de ses études au conservatoire de Paris, tout en faisant l’admiration de ses camarades, ne sera pas  apprécié et valorisé par ses professeurs.

    Son premier professeur, qui s’appelle René Simon, lui dit qu’il n’est pas fait pour le métier. Un autre qui s’appelle Pierre Dux lui dit qu’il est moche, que jamais il ne prendra une belle femme dans ses bras.

    Ce même professeur, lorsqu’il passait des scènes au conservatoire lui renvoyait :

    « Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise. Asseyez-vous ».

    Belmondo moche ! Sur ce point, il aura aussi une revanche éclatante :

    « Et un jour, je me promenais sur les Champs-Elysées avec la femme avec qui je vivais, Ursula Andress, je le [Pierre Dux] rencontre et il me dit : ‘on fait ce qu’on peut.’ »

    Cela c’était le début,

    Mais la fin est tout aussi remarquable.

    Le 8 août 2001, dans sa 68ème année, alors qu’il se trouve en vacances en Corse chez son ami Guy Bedos à Lumio, près de Calvi, Belmondo est victime d’un accident vasculaire cérébral. Il est héliporté d’urgence à l’hôpital Falconaja de Bastia.

    Cet AVC va transformer le sportif, l’étincelant parleur en un vieil homme s’exprimant avec beaucoup de difficultés.

    Quand Augustin Trapenard l’interviewe, il porte cette infirmité depuis 15 ans et pourtant il reste merveilleusement positif. Son élocution malhabile n’empêche pas le sourire et la joie.

    ll explique à Trapenard, qu’être un bon acteur, ce n’est pas être naturel. Naturel, tout le monde peut l’être, mais c’est d’avoir un petit peu plus que ça. Et ce petit plus pour lui c’est :

    « La bonne humeur, parce que même dans mes rôles difficiles, je riais quand même. »

    Et quand Augustin Trapenard lui demande :

    « Cette liberté, cette allégresse, cette joie de vivre, ça vient d’où ? »

    Il explique :

    « Je suis né comme ça. Ma mère, ou mon père, m’ont toujours élevé comme ça. Cela vient peut-être de l’époque qui était beaucoup plus gaie, beaucoup plus libre. […] On sortait de la guerre, et il y avait la joie de recommencer à vivre. »

    Emmanuel Macron lui a rendu un magnifique hommage aux Invalides : <Hommage à JP Belmondo>

    Pour ce genre d’exercice, il faut reconnaître qu’il a du talent.

    Et il est passionnant d’écouter Clément Viktorovitch décortiquer sur <franceinfo> ce discours. C’est très instructif d’analyser ainsi la rhétorique. Vous apprendrez, en outre, des mots savants :

    • Un discours épidictique, le discours de louanges.
    • Une épiphore, qui consiste à terminer une succession de phrases par le même mot ou le même groupe de mots,
    • Une synecdoque, qui consiste à parler d’une partie pour évoquer le tout ou inversement. Emmanuel Macron l’a beaucoup fait dans tout son discours, il a narré la vie de Belmondo pour célébrer à travers elle, l’histoire de France et l’histoire du cinéma.

    Mais j’ai regretté que dans la partie de son discours dans laquelle, le Président utilise Jean-Paul Belmondo comme anaphore, il s’arrête à 50 ans :

    « Jean-Paul BELMONDO était nos 30 ans. Ce Don Quichotte des temps modernes, capable de repousser les limites de l’ivresse en même temps que celle de la tendresse, tel un singe en hiver.

    Jean-Paul BELMONDO était nos 40 ans. Ce commissaire aussi athlétique, intrépide que tous, nous aurions rêvé d’être pour nous battre contre la peur sur la ville.

    Jean-Paul BELMONDO était nos 50 ans. Cet entrepreneur à succès qui, soudain, choisit, dernière étape de l’itinéraire d’un enfant gâté, de larguer les amarres vers sa liberté et vers son destin. Il fut l’ami que chacun aimerait avoir. »

    Car il aurait pu dire « Jean-Paul BELMONDO était nos 70 ans, fragile, touché, meurtri mais toujours joyeux, debout et grand. »

    Pour finir, je reprendrai la conclusion du discours du Président de la République qui a rappelé que dans ses dernières années, quand ne pouvant plus exercer sa verve gouailleuse, son verbe étincelant, sa langue éblouissante, il prononçait un mot pour signifier tous les autres qu’il n’arrivait plus à dire :
    « Voilà.»

    <1609>

  • Mercredi 20 octobre 2021

    « Le biais cognitif de confirmation»
    Une interprétation orientée de la réalité

    Au départ, il y a une photo, publiée sur divers réseaux sociaux, accompagnée d’une légende :


    Cette photo fait beaucoup rire. Les commentaires sont définitifs et condamnent sans mesure.
    Elle a été partagée des dizaines de fois.

    Et vous, qu’en pensez-vous ?

    Ne trouvez-vous pas étrange le caractère systématique, calme et ordonné de tous ces jeunes filles et garçons assis et concentrés devant leur écran de smartphone ?

    Pour ma part, j’ai mis un commentaire prudent :

    « Je prends l’hypothèse que cette photo n’est pas un montage.
    Dans ce cas deux hypothèses : la première correspond à la légende de la photo
    La seconde plus bienveillante : ces jeunes gens consultent des sites pour en connaître davantage sur les peintres et les œuvres qu’ils ont vus dans ce musée. »

    Et quand j’en ai parlé à Annie, elle m’a dit que c’était une série de photos connue et qui avait été utilisée pour illustrer de mauvaises interprétations d’un fait, en raison de convictions ou de croyances. Cette photo avait été prise lors d’une visite scolaire organisée. Ces jeunes devaient faire des recherches et répondre à des questions via une application sur leur smartphone. Et quand elle avait été publiée sans explication, elle a été le plus souvent interprétée de manière erronée et disons malveillante.

    J’ai quand même trouvé une femme qui a remis les choses à l’endroit.

    On appelle ce type d’interprétation erronée d’un fait : « un biais cognitif de confirmation »

    Un <biais cognitif> est selon wikipedia :

    « Une distorsion dans le traitement cognitif d’une information. Le terme biais fait référence à une déviation systématique de la pensée logique et rationnelle par rapport à la réalité. Les biais cognitifs conduisent le sujet à accorder des importances différentes à des faits de même nature et peuvent être repérés lorsque des paradoxes ou des erreurs apparaissent dans un raisonnement ou un jugement.

    L’étude des biais cognitifs fait l’objet de nombreux travaux en psychologie cognitive, en psychologie sociale et plus généralement dans les sciences cognitives. »

    Le biais cognitif de confirmation constitue une de ces distorsions évoquées ci-avant.

    Il consiste à privilégier les informations confirmant ses idées préconçues ou ses croyances et à accorder moins de poids aux hypothèses et informations jouant en défaveur de ses conceptions.

    Pour ne donner aucune chance à la seconde hypothèse que j’avais spontanément envisagée, il faut avoir pour idée préconçue que les jeunes générations utilisent forcément leurs smartphones pour des motifs de loisirs ou futiles et qu’ils sont incapables d’utiliser leur concentration pour s’intéresser à l’Art.

    Sur un blog du monde, <un article> évoquant des études et analyses sur les conséquences délétères de l’utilisation des smartphones par les jeunes générations : coupure avec le réel, évitement de la conversation en face à face, menace sur l’empathie.

    L’article de Frédéric Joignot évoque la psychosociologue Sherry Turkle, professeure au Massachusetts Institute of Technology (MIT) qui mène depuis vingt ans un travail sur l’influence des technologies sur les comportements et qui a plusieurs fois utilisé des photos de ce type pour dénoncer les dérives du smartphone

    Et il ajoute :

    « Si la plupart des chercheurs qui analysent depuis une quinzaine d’années les enjeux sociaux, comportementaux et anthropologiques des TIC et des réseaux sociaux saluent le travail pionnier de Sherry Turkle, tous ne se reconnaissent pas dans sa critique radicale. Nombre de ces sociologues de l’Internet estiment qu’elle cède à une forme de « panique morale » face à des façons d’être et de communiquer radicalement nouvelles, encore mal décryptées, et à des pratiques générationnelles qui la dépassent. En France, le philosophe des technologies Stéphane Vial, auteur de L’Etre et l’Ecran. Comment le numérique change la perception (PUF, 2013), évoque même une véritable « incompréhension » des pratiques réelles de la génération numérique.

    « A toutes ses conférences, Sherry Turkle montre des photos de ses filles et de leurs amies tapotant sur des portables sans se parler. Mais est-ce qu’elle s’interroge sur ce qu’elles sont en train de faire ? Elles lisent peut-être un roman, ou dialoguent avec leur amoureux… ­Elles ne sont pas forcément isolées ou décérébrées », argumente-t-il.

    Stéphane Vial donne un exemple frappant des idées biaisées sur l’usage des mobiles par les adolescents. En janvier, le quotidien britannique The Telegraph a publié une contre-enquête sur une photo représentant un groupe de lycéens au Rijksmuseum d’Amsterdam : devant La Ronde de nuit, de Rembrandt, tous regardaient leur téléphone. « Cette image a fait le tour du Net, elle est devenue le symbole de la déculturation et de la déréalisation des jeunes, rappelle-t-il. Or, il s’est avéré que les lycéens consultaient une application éducative du musée. Et dans une photo précédente, les mêmes étaient assis devant un Rembrandt, discutant du tableau. »

    L’article de Frédéric Joignot est beaucoup plus riche en informations et réflexions que la toute petite partie que j’en ai extraite pour illustrer mon propos sur l’analyse de la photo mise au centre de ce mot du jour.

    Il ne s’agit pas de refuser de prendre en considération les risques d’utilisation frénétique des smartphones, mais d’accepter la complexité du réel et de ne pas réduire notre champ de réflexion à une vision unilatérale.

    La bienveillance est parfois bonne conseillère

    <1608>

  • Mardi 19 octobre 2021

    « L’incommensurable difficulté de faire silence. »
    Expérience vécue dans la zone de silence du désert de la Chartreuse.

    Avec Annie, nous avons passé deux semaines de vacances dans le massif de la Chartreuse.

    Bien entendu, nous sommes allés faire la randonnée qui contourne le monastère de la Grande Chartreuse.

    Lieu de recueillement et de méditation, dans la montagne qui dessine un sublime écrin dans lequel se pose le monastère où vivent des hommes qui ont fait vœu de silence.

    Partout les guides, les prospectus, les panneaux au bord du chemin invitaient au silence les randonneurs qui souhaitaient s’approcher de ce lieu.

    Avec Annie, nous nous réjouissions de pouvoir accomplir ce périple dans le silence des paroles et de l’esprit, dans cet espace où la nature et l’homme ont su créer un joyau mystique.

    La Grande Chartreuse est le premier monastère et la maison-mère des moines-ermites de l’ordre des Chartreux.

    Elle est située sur la commune de Saint-Pierre-de-Chartreuse, dans l’Isère. Elle a été fondée en 1084 par Saint Bruno accompagné, selon la tradition, par 6 compagnons.

    C’est le nom du massif de la chartreuse qui a donné le nom au monastère et à l’ordre monastique. Installé dans le vallon de Chartreuse, on appellera, dès lors, ce lieu  « le désert de chartreuse » en raison de son isolement.

    L’Ordre des Chartreux est donc un Ordre monastique qui s’épanouit dans la vie contemplative et le silence.

    Bruno, le premier des chartreux, écrivait :

    « Quelle utilité, quelle joie divine la solitude et le silence du désert apportent à qui les aime, seuls le savent ceux qui ont fait l’expérience. Ici les hommes forts peuvent tout à loisir rentrer en eux-mêmes et y demeurer, cultiver assidument les vertus et se nourrir avec délices des fruits du paradis. »
    Cité Dans La Grande Chartreuse par un chartreux Page 99

    Et conformément à la règle cartusienne qui veille à protéger la solitude des moines, le monastère ne se visite pas. Seul le musée installé à 2 km environ en aval du monastère autorise les visites.

    Ce musée est installé dans la « Correrie » constitué par un groupe de bâtiments monastiques qualifiés de « maison basse » du monastère de la Grande Chartreuse, destinés à l’habitat et aux ateliers des frères convers.

    Traditionnellement dans les ordres religieux catholiques, on distinguait deux types de membres :

    • Les moines de chœur, qui se consacraient principalement à l’Opus Dei — « l’œuvre de Dieu » — à l’étude, et à l’écriture.
    • Les frères converts appelés aussi les frères lais qui étaient chargés des travaux manuels et des affaires séculières d’un monastère.

    Rempli de ce désir de paix et de silence nous avons donc entrepris cette randonnée de 11 km qui commence immédiatement par la zone de silence entourant le monastère.

    Nous n’étions pas seuls !

    Mais les autres randonneurs ou promeneurs n’étaient pas dans le même état d’esprit que nous. Je parle de promeneurs car il me semble que tous ceux que nous avons rencontré n’ont pas entrepris l’intégralité du périple mais se sont contentés de faire un aller-retour vers le monastère puis de revenir au parking du musée,

    Il y avait d’abord les « polis » qui disaient gentiment « bonjour » en nous souriant.

    Évidemment, dire bonjour ce n’est pas faire silence.

    Mais ces gens étaient beaucoup plus silencieux que d’autres qui à deux souvent à trois ou quatre engageaient des discussions vigoureuses et produisaient suffisamment de décibels pour qu’il ne soit pas possible d’ignorer précisément l’objet des discussions.

    Les forces de l’esprit auraient pu les inciter, dans ce cadre unique, à célébrer la beauté du lieu, ou évoquer la vie monastique, pourquoi pas échanger sur la spiritualité ou sur Dieu ?

    Ce n’était cependant pas ce qui était prévu, puisque la demande était celle du silence.

    Probablement que ces gens n’ont pas lu ou n’ont pas compris ce qui était demandé.

    Mais ces hommes et femmes de plus de cinquante ans, non issus de la diversité qui fait la richesse de la France, et vraisemblablement d’ascendance très chrétienne ne brisaient pas le silence par des propos empruntant les voies de la spiritualité.

    Les premiers que nous avons rencontrés parlaient de problèmes de voisinage dans leur lotissement. Comble du paradoxe, ils semblaient se plaindre du manque de calme qu’ils y rencontraient, alors qu’ils avaient choisi ce lieu de résidence parce qu’ils espéraient le trouver.

    Un second groupe débattait de la difficulté qu’ils avaient eu à se retrouver parce qu’ils n’avaient pas été suffisamment explicites pour définir leur lieu de rendez-vous.

    Nous avions accéléré le pas pour essayer de nous éloigner de ce bruit et de cette agitation engendrés par ces mortels englués dans leurs péripéties quotidiennes.

    C’est alors que descendant d’un chemin qui était encore plus proche du monastère, une femme qui précédait deux hommes, expliquait doctement et avec force qu’elle était souvent prise de « violentes douleurs aux fesses », mais qu’elle avait trouvé un ostéopathe qui en manipulant son dos, était capable de faire partir cette souffrance touchant son séant.

    Je dois concéder que si l’ambiance était bien telle que je la décris, sans cet éloge tonitruant de l’art ostéopathique, dans ce lieu, je n’aurais probablement pas écrit ce mot du jour.

    J’avais commis en juin 2016, un mot du jour sur « L’histoire du silence » qui était un ouvrage de l’historien Alain Corbin qui évoquait le silence à travers les siècles et notait la difficulté, peut être la peur, du silence aujourd’hui.

    Il est de plus en plus rare de pratiquer des minutes de silence, particulièrement sur les stades de football. Le plus souvent, on la remplace par une minute d’applaudissements, ce qui évidemment ne mobilise pas les mêmes ressorts intérieurs.

    L’historien écrivait :

    « Le silence n’est pas la simple absence de bruit. Il réside en nous, dans cette citadelle intérieure que de grands écrivains, penseurs, savants, femmes et hommes de foi, ont cultivée durant des siècles. […]
    Condition du recueillement, de la rêverie, de l’oraison, le silence est le lieu intime d’où la parole émerge. Les moines ont imaginé mille techniques pour l’exalter, jusqu’aux chartreux qui vivent sans parler. Philosophes et romanciers ont dit combien la nature et le monde ne sont pas distraction vaine. […]
    J’ai voulu montrer l’importance qu’avait le silence, et les richesses qu’on a peut-être perdues. J’aimerais que le lecteur s’interroge et se dise : tiens, ces gens n’étaient pas comme nous. Aujourd’hui, il n’y a plus guère que les randonneurs, les moines, des amoureux contemplatifs, des écrivains et des adeptes de la méditation à savoir écouter le silence… »

    Le silence n’est pas la simple absence de bruit, il ne se réduit pas non plus au seul fait de se taire. Il est plus profond et plus grand que cela. Il n’en reste pas moins qu’il faut savoir déjà se taire pour espérer accéder à la richesse et à l’intimité du silence.

    Nous avons ensuite, après nous être éloigné du monastère, pu gouter au silence du randonneur pendant quelques temps.

    A la fin de la randonnée, en revenant vers le monastère nous avons alors été submergé par un bruit « industriel » intense.

    A quelques 50 mètres du porche du monastère, un bucheron utilisait une superbe et efficace machine à couper le bois et à l’entasser, en produisant, en plus, un bruit à faire fuir toute personne raisonnable soucieuse de préserver son acuité auditive.

    Il était difficilement envisageable que ce travail ne fut pas réalisé pour le compte des moines. Il fallait donc se résoudre à admettre que ces derniers étaient consentants au déchainement de ce tohu-bohu assourdissant.

    Même les moines …

    Que dire ?

    Que penser ?

    Laisser la dernière parole à Christian Bobin :

    « Le silence est la plus haute forme de la pensée, et c’est en développant en nous cette attention muette au jour que nous trouverons notre place dans l’absolu qui nous entoure »
    Le huitième jour de la semaine p. 25

    <1607>

  • Lundi 18 octobre 2021

    « Une nouvelle saison»
    Nouvelle étape de l’écriture des mots du jour

    Notre espèce se préoccupe du temps : celui qui passe, celui du présent, celui qui reste.

    Pour inscrire ce temps « dans le marbre », marquer les périodes, dater un évènement, homo sapiens a créé le calendrier.

    Pour créer le calendrier, il a fallu d’abord inventer l’écriture, pour inscrire le calendrier sur un support pérenne.

    Le consensus scientifique place cette invention au IVème siècle avant notre ère, en Mésopotamie, dans le pays de Sumer. <Ce site> écrit :

    « Vers 3400 ans avant J-C que les sumériens inventèrent le premier système d’écriture afin d’enregistrer les transactions commerciales. Cette écriture, appelée cunéiforme, était obtenue par l’empreinte de roseaux sur de l’argile humide. Elle mit plusieurs centaines d’années à évoluer vers un système plus complexe et l’invention de l’alphabet.  »

    Et tout naturellement, c’est en Mésopotamie, un millénaire après, que fut inventé le premier calendrier. Sur ce <site> qui parle de l’historique du calendrier, nous pouvons lire :

    « Au IIIe millénaire avant J.C, les cités de Babylone sont les premières à appliquer un calendrier, correspondant aux mouvements de la Lune, auquel ils ajoutaient si nécessaire des mois supplémentaires pour conserver une correspondance avec les saisons de l’année. »

    Pourtant cette même page évoque une tentative préalable d’un « soi-disant calendrier » qui daterait d’avant l’écriture, en Egypte :

    Ce « calendrier » qui daterait du 5e millénaire avant J-C a été découvert dans le sud de l’Égypte, à Nabta Playa.

    Cette photo montre une reconstitution du calendrier de Nabta Playa au musée de la Nubie à Assouan.

    <Wikipedia> précise :

    « Ce monument supposé cérémoniel est impressionnant, même s’il n’est pas très grand (environ 4 mètres de diamètre -). Il consiste en une série de blocs de pierres de grès arrangés en cercle, certaines atteignant deux mètres de hauteur. Sur le cercle, on peut distinguer quatre couples de pierres plus grandes formant comme des « portes ». À l’intérieur du cercle, on rencontre deux rangées de pierres, dont la fonction astronomique, s’il y en avait une, n’est pas évidente. Quant aux « portes », deux d’entre-elles, en vis à vis, sont sur une ligne Nord-Sud. Les deux autres paires forment une ligne à 70° à l’Est-Nord-Est, qui s’aligne avec la position calculée du lever du soleil au solstice d’été il y a 6000 ans […] Le solstice d’été correspond aussi au début de la saison des pluies dans le désert. Mais l’âge exact de ce cercle n’est pas connu avec certitude. »

    Nous comprenons donc que cette tentative cherche surtout à se repérer dans une année solaire, c’est-à-dire la période d’une révolution de la terre autour du soleil et à distinguer les différentes saisons de l’année.

    Il n’y a pas d’inscription dans la durée, au sens du calendrier que nous connaissons aujourd’hui.

    Cette découverte ne remet donc pas en cause le lien étroit entre création du calendrier et invention de l’écriture.

    Mais pour qu’il existe vraiment un calendrier il a fallu une autre invention d’homo sapiens : l’invention des récits religieux.

    J’avais évoqué ce lien lors d’un mot du jour consacré à souhaiter la bonne année : <mot du jour du 12 janvier 2016>.

    Car en effet pour qu’il existe un calendrier qui puisse repérer et dater dans le temps, il faut évidemment en plus de la tentative de Nabta Playa, une date origine qui marque la première année : le premier jour, du premier mois de la première année.

    Le mot du jour du 12 janvier 2016 faisait le constat de la coexistence de nombreux calendriers autre que le nôtre « le calendrier grégorien » qui marque pour origine la naissance de Jésus de Nazareth, telle qu’elle a été imaginée par des théologiens.

    Pour évoquer cette origine il faut regarder cette émission de l’historien Patrick Boucheron : < La crucifixion de Jésus | Quand l’histoire fait dates >

    Notre calendrier se base donc sur un récit religieux comme le calendrier hébraïque, le calendrier musulman et bien d’autres.

    Notre calendrier se base sur une année qui commence le 1er janvier depuis  l’édit de Roussillon de 1564 de Charles IX.

    Mais force est de constater que si nous fêtons le 1er janvier, notre vie culturelle, économique dans son organisation ne tient quasi aucun compte du 1er janvier.

    C’est un autre découpage du calendrier qui est primordial pour nous : l’année scolaire.

    Or l’année scolaire ne commence pas au premier janvier mais en septembre.

    Et la vie culturelle met ses pas dans cette année scolaire, mais pour le théâtre, les concerts on ne parle pas d’année mais de « saisons». On parle aussi de saison sportive ou de saison de chasse.

    Bien sûr la <saison> est d’abord cette période de l’année qui observe une relative constance du climat et de la température. L’année est divisée en 4 saisons qui durent trois mois et se situent entre les 2 solstices et les 2 équinoxes . Actuellement nous sommes en automne.

    Et je ne résiste pas au plaisir de partager une photo d’automne canadien découvert sur le net.

    On parle aussi des saisons de la vie.

    Pour ma part, à 63 ans je peux dire que je suis au bel automne de ma vie.

    Ainsi, en faisant référence aux saisons de concerts ou de théâtre, j’ai trouvé pertinent de parler, pour recommencer après la trêve estivale à écrire régulièrement des mots du jour, d’une nouvelle saison.

    Cette aventure des mots du jour a commencé le 9 octobre 2012. Ce qui signifie que ce 18 octobre 2021, je commence la 10ème saison de mots du jour.

    Le 18 octobre 2012, le mot du jour était : « Il est nécessaire de mettre fin aux petits privilèges d’un grand nombre pour pouvoir préserver les grands privilèges d’un tout petit nombre ! » ce qui constituait un jugement qu’Emmanuel Todd portait sur certaines mesures du gouvernement.

    C’est une nouvelle saison, ce n’est pas la dernière.

    C’est au moins mon souhait si ma santé continue à le permettre.

    C’est pourtant une saison particulière : il s’agit de la dernière réalisée intégralement alors que je reste en activité en tant que fonctionnaire d’état.

    En janvier 2023, je prendrai ma retraite et une dernière étape de vie commencera.

    C’était un mot du jour un peu plus personnel pour commencer cette nouvelle saison 2021/2022.

    <1606>

  • Mardi 10 août 2021

    « Le mot du jour est en congé.»
    Il reviendra probablement le 18 octobre 2021

    Il faut savoir faire silence, se reposer, se régénérer, lire, flâner, méditer, pour revenir pour de nouveaux partages, réflexions et questionnements.

    Hier, je finissais cette saison avec «Demain» une chanson de Moustaki , d’une beauté ineffable mais aussi ouverture vers la réflexion sur le demain de l’humanité.

    Cet article faisait suite à une semaine pendant laquelle je m’étais arrêté à des destins particuliers.

    Par exemple Angélique Ionatos la chanteuse de la lumière qui magnifiait la poésie grecque : <C’est toujours un rêve quand la poésie tombe dans les filets de la musique.>, Frédérique Lemarchand dont l’existence même constitue un hymne à la vie <Je ne suis pas née vivante, je le deviens >, Pour finir avec le poète de la tendresse et de la révolte qui nous vient du Rwanda Gaël Faye <Traverser la vie en se sentant digne de cette petite parenthèse qui est l’existence.>

    Lors de cette saison plusieurs séries de mots du jour ont été écrites :

    D’autres séries n’ont pas encore leur page dans la liste des séries : <L’inceste, cet acte ignoble longtemps resté tabou> et aussi <Amazon>

    Et bien d’autres mots du jour : comme « La diaspora des cendres » qui parle de la shoah.

    Ou ce moment de grâce poétique «Ce n’est qu’alors qu’il peut arriver qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers.».

    Et aussi sur les vertus quasi miraculeuse de la musique « Le pansement Schubert ». 

    Cet article qui parle du destin de la scientifique hongroise passionnée de l’ARN messager et qui a créé le vaccin de Pfizer <Katalin Kariko>.

    Tous ces mots du jour et tous les autres peuvent être trouvés sur la page <La liste des mots>

    <mot sans numéro>

  • Lundi 9 août 2021

    « Demain nous n’aurons plus peur de voir se lever le jour. »
    Georges Moustaki

    C’était à la fin d’une émission de radio, il y a plus d’un an déjà, le présentateur a alors annoncé une chanson de Georges Moustaki : « Demain »

    Moustaki né en 1934 à Alexandrie, en Egypte, et décédé en France en 2013, fut un des plus grands auteurs compositeurs de chansons françaises.

    Il a écrit « Milord » pour Édith Piaf, « Ma liberté » ou « Sarah » pour Serge Reggiani, « La longue Dame Brune » pour Barbara qu’il chantera en duo avec elle.

    Car il était aussi interprète, il a notamment composé et interprété personnellement « Le Métèque ». Chanson qu’il a écrite après que la mère d’une jeune fille dont il était l’amoureux ait interpellé sa fille devant Moustaki : « C’est qui ce métèque que tu me ramènes ? »

    Tant d’œuvres inoubliables sont de sa main.

    Mais cette chanson « Demain » est très méconnue, alors qu’il s’agit d’une œuvre d’une émotion et d’une puissance rare, peut être la plus belle.

    J’ai immédiatement été saisi par le ton, la musique d’une subtilité et d’une finesse touchante, le texte d’abord apaisant puis d’une beauté tragique.

    Dès cet instant, j’ai voulu la partager.

    Mais quand et comment ?

    L’évidence m’est apparue : il fallait la partager un 9 août à 11:08

    Voici la chanson <Demain>

    Et voici le texte :

    « Demain nous n’aurons plus peur
    De voir se lever le jour
    Demain ce sera moins lourd
    Mon amour si tu pleures
    Au soleil de l’été je sécherai tes larmes
    Demain nous n’aurons plus faim
    La guerre sera finie
    La terre offrira ses fruits
    Nous ferons un festin
    Pour oublier la fureur et le bruit des armes

    Le ciel est sans nuage après la nuit d’orage
    La cloche de l’église annonce un mariage
    Un prisonnier confie son âme à son gardien
    Oublié par l’histoire il meurt au quotidien
    C’est un jour un jour du mois d’août
    Pareil à tous les jours
    Avec des cris joyeux et des chagrins d’amour
    Et la guerre est ailleurs si proche et si lointaine
    L’espérance est fragile elle existe quand même
    Demain nous n’aurons plus faim
    La guerre sera finie
    La terre offrira ses fruits
    Nous ferons un festin
    Pour oublier la fureur et le bruit des armes

    Demain nous n’aurons plus peur
    De voir se lever le jour
    Demain ce sera moins lourd
    Mon amour pourquoi tu pleures ?

    Nagasaki 9 août 1945 11 heures 08 »

    C’est donc une chanson sur Nagasaki et la bombe qui explosa le 9 aout 1945 sur cette ville japonaise.

    La chanson est de 1992 et parut sur le disque : « Méditerranéen ».

    En 1972, il avait écrit une chanson « Hiroshima » dédiée à la première ville touchée par la bombe atomique. Pour le remercier Hiroshima fit Moustaki citoyen d’honneur de la ville.

    Malgré de nombreuses recherches sur Internet et même à la bibliothèque je n’ai pas trouvé beaucoup d’informations sur les conditions de création de la chanson « Demain » .

    Ce que je sais c’est que Moustaki allait fréquemment en tournée au Japon.

    Pour la chanson « Demain » les paroles sont de Georges Moustaki, mais la musique de Teizo Matsumura

    Or il existe un film japonais « « Tomorrow-Ashita » de 1988 réalisé par Kazuo Kuroki qui raconte la vie d’habitants de Nagasaki pendant les 24 heures qui ont précédé l’explosion de la bombe.

    Et j’ai trouvé <Cet extrait de la télévision japonaise> dans lequel dans un premier temps on voit des extraits de ce film japonais pendant qu’on entend la chanson « Demain » chantée par Moustaki. La fin de l’extrait est une interview en japonais de Moustaki à laquelle on ne comprend rien.

    Je ne connais donc pas le rapport entre ce film et la chanson ni d’ailleurs s’il en existe un, hors le rapprochement fait par cette télévision japonaise.

    Si un lecteur peut m’éclairer qu’il n’hésite pas à enrichir ma connaissance.

    Un mot du jour n’est pas figé et si de mon coté je trouve plus d’explications, celui-ci sera enrichi et complété.

    Il reste cette chanson à la beauté tragique qui ne peut que saisir l’auditeur.

    Je pourrais m’arrêter là, sur l’émotion délivrée par cette chanson. Mais il est aussi possible de jeter un regard contemporain sur cette tragédie du 9 août 1945.

    C’était la seconde et dernière fois, pour l’instant, et j’espère pour toujours, qu’homo sapiens a utilisé cette terrible arme que son génie et sa folie ont été capables d’imaginer et de réaliser. J’écrivais qu’en 1979 nous avions peur d’une guerre nucléaire alors que nous vivions la guerre froide entre bloc occidental et bloc soviétique.

    Depuis la fin de la guerre froide j’ai le sentiment que cette crainte s’est dissipée. Mais, si on examine la situation de manière froide et rationnelle, ce soulagement ne semble pas sage. Depuis qu’il n’y a plus deux pouvoirs ennemis qui pouvaient se parler, en étant conscient de l’équilibre de la terreur, le risque a plutôt augmenté.

    Il est vrai aussi que nous avons pris conscience que d’autres risques tout aussi graves et plus inéluctables se dressent devant nous. Demain et déjà aujourd’hui nous devons faire face :

    • A la chute de la biodiversité ;
    • A la diminution des ressources ;
    • Au réchauffement climatique ;
    • Aux tensions sur l’accès à l’eau ;
    • Aux aspirations de démiurge de plus en plus dément de certains humains ;
    • A la folie  totalitaire aidée par la technologie toujours plus invasive et plus capable de contrôler le moindre espace de liberté ;
    • Au fait que quelle que soit la manière dont on aborde le problème, l’espèce homo sapiens prend trop de place et trop de ressources de la biosphère qui constitue la fine couche miraculeuse autour de la terre qui a rendu la vie possible.

    Le rapport du GIEC est annoncé pour cette journée du 9 août. Nous savons déjà que « Le nouveau Rapport [constitue] l’avertissement le plus sévère jamais lancé. »

    Alors de quoi sera fait demain ?

    Edgar Morin écrit  : « Nous n’avons pas la conscience lucide que nous marchons vers l’abîme »

    « Moi, je pense que nous avons besoin, toujours, de nous mobiliser pour une chose commune, pour une communauté. On ne peut pas se réaliser en étant enfermé dans son propre égoïsme, dans sa propre carrière. On doit aussi participer à l’humanité et c’est une des raisons, je crois, qui m’ont maintenu alerte jusqu’à mon âge. […]

    Surtout, il y a l’absence de conscience lucide que l’on marche vers l’abîme. Ce que je dis n’est pas fataliste. Je cite souvent la parole du poète Hölderlin qui dit que «là où croît le péril croît aussi ce qui sauve». Donc, je pense quand même qu’il y a encore espoir. […]
    Ce qui me frappe beaucoup, c’est que nous sommes à un moment où nous avons, tous les humains, une communauté de destin – et la pandémie en est la preuve, on a tous subi la même chose de la Nouvelle-Zélande à la Chine et à l’Europe. On a subi les mêmes dangers physiques, personnels, sociaux, politiques. On a vécu des périodes sombres comme l’Occupation où pendant des années, il n’y avait pas d’espoir, jusqu’à ce qu’arrive le miracle de la défense de Moscou et de l’entrée en guerre des États-Unis. Donc l’improbable arrive dans l’histoire. Des évènements heureux arrivent. Parfois, ils n’ont qu’un sens limité, mais quand même important. […]

    Dans le fond, il y a toujours la lutte entre ce qu’on peut appeler les forces d’union, d’association, d’amitié, Eros, et les forces contraires de destruction et de mort, Thanatos. C’est le conflit depuis l’origine de l’univers où les atomes s’associent et où les étoiles se détruisent, se font bouffer par les trous noirs. Vous avez partout l’union et la mort. Vous l’avez dans la nature physique, vous l’avez dans le monde humain. Moi, je dis aux gens, aux jeunes : prenez parti pour les forces positives, les forces d’union, d’association, d’amour, et luttez contre toutes les forces de destruction, de haine et de mépris. »

    Demain nous n’aurons plus peur de voir se lever le jour.

    <1605>

  • Vendredi 06 août 2021

    « La dignité […] est ce qui nous permet de traverser la vie en se sentant digne de cette petite parenthèse qui est l’existence. »
    Gael Faye

    Gaël Faye est tutsi. Enfin, sa mère est rwandaise et tutsi. Son père est français et natif de Lyon.

    Il est né en 1982 à Bujumbura au Burundi, l’état voisin du Rwanda.

    Il avait 12 ans, en 1994 quand le génocide et les massacres des tutsis par l’ethnie majoritaire des hutus se sont réalisés.

    Il fuit son pays natal pour la France, à l’âge de treize ans.

    Il a raconté son histoire partiellement dans un roman autobiographique « Petit Pays »

    Ce roman publié en août 2016, reçoit de nombreux prix :

    • Le prix Goncourt des lycéens
    • Le Prix du roman Fnac
    • Le Prix du premier roman français,
    • Le prix du roman des étudiants France Culture-Télérama

    Ce livre va permettre à Gaël Faye de gagner en notoriété.

    Mais sa première passion est la musique. Il est y entré par le rap.

    Le rap est un moyen d’expression assez éloigné de ma sensibilité.

    Mais Gael Faye a dans son dernier album « Lundi méchant » fait beaucoup de chemin vers ma sensibilité.

    Je l’ai entendu dans les matins de France Culture du 15 juillet 2021 invité par Chloë Cambreling <Les mots ont toujours été mes petites armes dérisoires pour résister>

    J’ai aimé sa voix douce et l’intelligence de ce qu’il disait.

    La profondeur et la beauté des textes qu’il chante m’ont touché.

    Et pour la musique, il a expliqué pour cet album qui est son deuxième, qu’il a d’abord commencé par la musique avant de poser des paroles, le contraire de ce qu’il faisait jusqu’alors. Et il a ajouté :

    « Cela a apporté plus de musicalité que j’avais l’habitude de faire. Cela a apporté plus de respiration. J’ai eu moins peur des silences. Il y a un travail avec le temps pour apprivoiser le silence. Je viens d’une musique qui est une transe de mots. Le rap c’est une transe de mots. Plus le temps passe, plus je me rapproche d’une façon de composer qui ressemble à ce qu’on peut faire quand on écrit une chanson. J’ai l’impression de me renouveler. De redonner un souffle à mon envie de fabriquer des chansons. […] On peut dire autant de chose en creux que de façon frontale. Et les silences qui peuvent exister, les instruments qui peuvent s’exprimer cela peut raconter une histoire. […] Il y a quelques années, j’aurais pris les quatre temps pour mettre des mots, et ça c’est un travail qui m’intéresse de plus en plus. [ne pas saturer le temps par des mots] »

    Ne pas saturer l’espace et le temps par des mots.

    Laisser la place au silence, car le silence est aussi musique.

    Schubert et Beethoven ne disaient pas autre chose.

    Il a donc présenté pendant cette émission son album paru le 6 novembre 2020, mais qu’il n’a pu commencer à chanter en public que récemment,  pour les motifs que vous connaissez.

    J’ai d’abord été séduit par cette chanson « Respire »

    Le texte stimulant qui exprime toutes les agressions et aussi les défis auxquels nous sommes soumis et cet appel à la sérénité qui passe par le souffle, la respiration.

    « Respire, respire, respire, espère…

    Encore l’insomnie, sonnerie du matin
    Le corps engourdi, toujours endormi, miroir, salle de bain
    Triste face-à-face, angoisse du réveil
    Reflet dans la glace, les années qui passent ternissent le soleil (OK)

    Aux flashs d’infos : les crises, le chômage
    La fonte des glaces, les particules fines…

    Courir après l’heure, les rames bondées
    Les bastons d’regards, la vie c’est l’usine
    Hamster dans sa roue
    P’tit chef, grand bourreau
    Faire la queue partout, font la gueule partout
    La vie c’est robot

    T’as le souffle court (respire)
    Quand rien n’est facile (respire)
    Même si tu te perds (respire)
    Et si tout empire (espère) »

    Il dit que son album est un album tendre :

    « La tendresse c’est pour l’idée d’un amour qui est ancré dans le quotidien. Qui ne s’use pas. Qui se renouvelle tous les jours, avec de petits gestes. Et chalouper c’est tout à fait la chanson qui résume cet album. Parce qu’on veut reprendre du plaisir et pas oublier la fugacité des instants et leur importance. D’ailleurs j’aime terminer les concerts par la chanson chalouper »

    Cette chanson qui évoque la vieillesse, la tendresse et ce besoin jamais rassasié d’être ensemble de se toucher, de bouger ensemble :

    «Un jour viendra le corps tassé
    Les parchemins sur nos visages
    Ceux qui racontent la vie passée
    Tous les succès et les naufrages
    Et nos mains qui tremblent au vent
    Comme des biguines au pas léger
    Continueront de battre le temps
    Sous des soleils endimanchés
    Un jour viendra on f’ra vieux os
    Des bégonias sur le balcon
    Un petit air de calypso
    Photo sépia dans le salon
    Malgré la vie, le temps passé
    Malgré la jeunesse fatiguée
    Personne ne pourra empêcher
    Nos corps usés de chalouper

    Chalouper, chalouper
    Chalouper, chalouper
    Chalouper, chalouper
    …»

    J’ai été séduit par la musique, mais ce qui frappe d’abord c’est la qualité des textes.

    Il avait aussi été l’invité le 19 novembre de Tewfik Hakem dans son émission « le Réveil culturel » : Parler de choses graves avec des musiques douces> vient de la culture de la retenue dans laquelle j’ai grandi au Rwanda »

    Sur la page du site, il est cité :

    « J’écris pour garder une trace. Tout disparaît à une vitesse incroyable, la mémoire efface tout. Ma famille a connu des génocides, on a disparu en masse. Des pans entiers d’histoires humaines ont été anéantis. Mon père est français, ma mère est rwandaise mais j’ai grandi avec mon père dans un petit pays d’Afrique Centrale, où être métis n’a pas de réalité : j’étais un petit Blanc. Puis subitement en France je suis devenu Noir. C’est sans doute à cause de ce sentiment de me sentir perpétuellement à la marge que je me suis bâti sur l’écriture. »
    Gaël Faye

    S’il y a de la tendresse, il y aussi de la révolte. Et s’il écrit ses textes il accepte aussi de prendre des textes écrits par d’autres, notamment ce poème de Christiane Taubira  : « Seuls et vaincus ». Il explique que la révolte est aussi indispensable que la tendresse

    « Je cite souvent un professeur d’espérance, René Depestre, qui m’a appris cet équilibre important chez l’être humain entre la révolte et la tendresse. Je pense qu’il ne peut pas y avoir de la tendresse, s’il n’y a pas aussi de la révolte en face du monde tel qu’il ne va pas.

    On peut déployer son amour que si on est aussi révolté par les injustices, dans ce monde qui nous met en position de dominé. Il faut ce balancier. C’est pourquoi je voulais collaborer avec des gens qui ont œuvré toute leur vie entre ces deux positions comme Harry Belafonte et Christiane Taubira. »

    L’ancienne ministre dans son texte fustige les xénophobes et tous ceux qui mènent selon elle un combat d’arrière-garde.

    «Vous finirez seuls et vaincus
    Sourds aux palpitations du monde
    À ses hoquets, ses hauts, ses bas
    Ses haussements d’épaules veules
    Au recensement des ossements
    Qui tapissent le fond des eaux

    Vous finirez seuls et vaincus
    Aveugles aux débris tenaces
    De ces vies qui têtues s’enlacent
    De ces amours qui ne se lassent
    Même lacérées de se hisser
    À la cime des songeries
    […]
    Et vos enfants joyeux et vifs
    Feront rondes et farandoles
    Avec nos enfants et leurs chants
    Et s’aimant sans y prendre garde
    Vous puniront en vous offrant
    Des petits-enfants chatoyants

    Vous finirez seuls et vaincus
    Car invincible est notre ardeur
    Et si ardent notre présent
    Incandescent notre avenir
    Grâce à la tendresse qui survit
    À ce passé simple et composé »

    A la fin de l’émission il donne ce chemin :

    « La dignité c’est une valeur qui m’importe beaucoup, c’est ce qui nous permet de traverser la vie en se sentant digne de cette petite parenthèse qui est l’existence. La fête permet de transcender la rage en une énergie plus grande. »

    Et il finit son album par cette sublime chanson dans laquelle le texte est d’une finesse et d’une poésie à se pâmer :

    C’est une chanson en mémoire du Rwanda, de son Rwanda :

    « Au-dessus d’ces collines s’élève ma voix à jamais
    Ô mon petit pays, ô Rwanda bien-aimé
    Un million de gouttes d’eau qui tombent de terre en ciel
    Un million de nos tombes en trombes torrentielles

    De nos fosses profondes à nos points culminants
    Nous sommes debout maintenant les cheveux dans le vent
    À conjurer le sort qu’un désastre engloutit
    À se dire qu’on est fort, qu’on vient de l’infini

    Je rêve de vous (kwibuka)
    I’m dreamin’ of you (kwibuka)

    Je rêve de vous, chanson d’un soir d’ivoire
    Je rêve de vous, mes mots sont dérisoires
    Je rêve de vous quand l’Histoire nous égare
    Je rêve debout au jardin des mémoires
    Et vu que je renais déjà de nos abysses
    Je fais de nos sourires d’éternelles cicatrices

    […]

    Je rêve de vous
    Vous mes lumières invaincues
    Mon souvenir
    Mes silences nus
    Je rêve de vous
    Dissipe les ténèbres
    Je n’oublie pas
    Je m’habille de vos rêves »

    C’est un moment de grâce.

    J’ai bien sûr acheté cet album de cet artiste, de ce poète, de cet humaniste qui a pour nom Gael Faye et qui nous vient du Rwanda.


    <1604>

  • Jeudi 5 août 2021

    « Je ne suis pas née vivante, je le deviens »
    Frédérique Lemarchand

    Frédérique Lemarchand est une artiste peintre que j’ai découverte par la publication par une « amie facebook » qui la présentait.

    L’Art est pour elle un chemin qui lui permet de vivre, de s’exprimer et surtout d’être résiliente.

    Parce que le plus remarquable chez cette femme est précisément sa résilience devant son combat de vie.

    Le célèbre médecin du XVIIIème siècle Xavier Bichat a donné cette définition qu’on continue à citer :

    « La vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort »

    Frédérique Lemarchand a su ou pu mobiliser des ressources et des fonctions insoupçonnées pour résister à la mort.

    Frédérique Lemarchand est atteinte d’une cardiopathie congénitale.

    Dès sa naissance, sa mort précoce est annoncée.

    Les statistiques médicales sont cruelles : elle n’ira pas au-delà de ses quatorze ans.

    Elle trouve refuge dans le dessin et dans la peinture et s’en remet « au grand semeur de destinées ».

    Mais les statistiques médicales ne sont pas la vérité.

    Elle atteint 20 ans et elle « joue l’équilibriste entre la vie et la mort ».

    Dans cette précarité absolue, elle continue son chemin par l’art et la volonté farouche de vouloir continuer à vivre.

    En 2012, elle a 34 ans elle peut enfin recevoir la transplantation cœur poumon qui peut la sauver de sa maladie.

    Cette intervention conduit à une mort clinique et un coma qui durera 40 jours.

    De cette épreuve elle tirera une expérience initiatique qui lui permet d’aller vers d’autres lieux de perception et de compréhension

    Sophie Mainguy qui est celle qui m’a fait découvrir Frédérique Lemarchand et que j’avais évoqué au début du premier confinement dans un mot du jour dont l’exergue était « Nous ne sommes pas en guerre et n’avons pas à l’être » écrit à son propos :

    « Frédérique Lemarchand est une icône du vivant. Elle incarne la puissance du lâcher-prise dans sa forme humaine la plus aboutie, réalisant que c’est lorsque « l’on consent à la vulnérabilité ultime qu’on laisse véritablement passage à plus grand que soi ». Habitant encore des lendemains incertains, elle offre par son travail et ses éclats de rire ce qu’elle a acquis : l’immortalité de l’Esprit. Car comme elle aime à le répéter : qui peut brûler le feu ? »

    Mais c’est une volonté de vivre et de surpasser les épreuves qu’il faut entendre par les mots et le témoignage directs de cette extraordinaire et bouleversante femme :

    « Je ne suis pas née vivante, je le deviens»

    Nous sommes presque en présence d’un miracle.

    Frédérique Lemarchand est dans une démarche mystique et croyante.

    Mais je pense que l’hymne de vie qu’elle incarne est capable de rassembler au-delà de ceux qui croient, ceux qui ne croient pas.

    Elle dispose d’un site dans lequel elle révèle son art et sa démarche spirituelle à travers notamment des vidéos < https://www.lemarchand-peintre.com/accueil/>

    Sa perception et son expression mystique du monde peut pousser l’esprit rationnel au-delà de ses limites.

    Mais je retiens avant tout une force de vie, d’enthousiasme, de dynamisme qui est un appel au dépassement, mais aussi à l’intériorisation et à l’épanouissement de notre richesse intérieure.

    Elle écrit sur son site

    « Toutes mes formes d’être au monde cherchent une issue là où il n’y en a pas et à l’inventer. »

    <1603>

  • Mercredi 4 août 2021

    « Mon histoire parle d’espoir »
    Nadia Nadim

    Bien sûr, le football est devenu insupportable à cause de l’argent dans lequel il se vautre et les compromissions dans lesquelles il s’abîme

    Mais le football constitue aussi, pour certains, un formidable moyen d’émancipation. Il permet à des jeunes qui se trouvent dans des conditions difficiles, au moment de leur naissance et de leur enfance, de sortir de leur condition et d’accéder à une vie et à un confort auxquels ils n’auraient jamais pu prétendre sans leur réussite sportive.

    Certains s’y perdent, il est vrai. Mais il y a aussi de belles histoires.

    Dans la série sur l’année 1979, j’ai parlé de l’Afghanistan et je n’ai fait qu’effleurer les conditions de vie que les talibans ont fait subir aux femmes afghanes.

    Les américains ont décidé de fuir ce « cimetière des empires » après 20 ans de guerre sans issue. Les spécialistes comme Gilles Dorronsoro, professeur de sciences politiques à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, auteur de « Le gouvernement transnational de l’Afghanistan. Une si prévisible défaite » en 2021, et Elie Tenenbaum, directeur du centre des études de sécurité à l’IFRI n’ont pas beaucoup de doute sur <La victoire et le retour inéluctable des talibans au pouvoir en Afghanistan>

    Et l’histoire que je partage aujourd’hui est celle d’une jeune afghane qui est arrivée à sortir du guêpier taliban et à accéder à un destin plus doux grâce au football.

    Nadia Nadim s’est enfuie de l’Afghanistan après que les talibans aient tué son père, elle a pu se réfugier au Danemark. Elle s’est intégrée dans un club de football et est devenu internationale dans l’équipe féminine du Danemark. Elle poursuit parallèlement des études médecine.

    Elle a écrit un livre pour raconter: « Mon Histoire »

    Sur le <site de LCI>, j’ai trouvé cet interview réalisé par Yohan ROBLIN et publié le 5 juillet 2021. Elle raconte :

    « La raison pour laquelle je prends à chaque fois mon temps, c’est parce que je veux transmettre ce brin d’espoir, cette petite étincelle, à la personne qui m’écoute ou me lit »

    Au moment de cet entretien elle était encore joueuse du Paris Saint Germain, elle s’est engagée pour la nouvelle saison dans un club américain.

    Le journaliste la présente ainsi :

    « À 33 ans, Nadia Nadim a surmonté tous les obstacles. Née à la fin des années 80 à Hérat, en Afghanistan, elle a fui le régime autoritaire des Talibans « pour survivre », après l’assassinat de son père, général de l’armée afghane. Au prix d’un long et dangereux périple, depuis sa terre natale jusqu’en Europe, elle a trouvé refuge dans un centre d’accueil au Danemark, avec sa mère et ses quatre sœurs. Là-bas, elle a découvert une nouvelle vie, « un pays sans guerre » où les femmes pouvaient jouer au football en public. Douée balle au pied, elle en a fait sa passion puis son métier. Pendant plus d’une demi-heure, mêlant anglais et français, la jeune femme, qui mène de front sa carrière et des études de médecine, a partagé son histoire. »

    Dans un régime dans lequel la religion occupe toute la place et s’immisce partout jusque dans les familles, dans les appartements, s’intéressant même à ce qui se passe dans la chambre à coucher, la vie est triste et la peur omniprésente :

    « Nous vivions dans la peur (…) c’était une vie très très triste »

    Elle explique pourquoi elle a écrit son livre :

    « Tout le monde parlait de mon histoire, je pensais qu’il fallait que je la raconte avec mes propres mots. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu écrire ce livre. Dans le monde dans lequel nous vivons, vous voyez peu d’histoires positives. Je voulais donner de l’espoir aux enfants, qui sont dans la situation dans laquelle j’étais ou qui rencontrent des difficultés. J’avais aussi envie d’éduquer les personnes, qui peuvent avoir des préjugés, en leur racontant ce que j’ai traversé, ce que j’ai enduré pour en arriver là. Ce livre est une manière de leur dire : « Si vous leur donnez une seconde chance, elles peuvent vous surprendre. » J’en suis la preuve vivante : j’ai eu une autre chance, j’ai surpassé mes difficultés et, aujourd’hui, j’aide la société. […]

    Cette histoire, mon histoire, parle d’espoir, même dans les moments les plus sombres, de la nécessité de croire en soi et de ne jamais baisser les bras. Plus elle sera racontée et diffusée, plus il y a de chances que quelqu’un, quelque part, en ressortira quelque chose de bon. »

    Et elle raconte ce qu’elle a vécu en Afghanistan. Quand elle a eu 10 ans, les Talibans ont convoqué son père, qui était un général de l’armée. Il s’est rendu à ce rendez-vous, mais il n’est jamais rentré à la maison…

    « Nous avons appris sa mort très longtemps après. Une personne l’a dit à quelqu’un d’autre, et ainsi de suite, jusqu’à ce que ça nous revienne. L’un des officiers, qui était là-bas quand ils l’ont assassiné, a raconté ce qu’il s’était passé à mes grands-parents, qui l’ont ensuite dit à ma mère. Ma mère, qui n’avait pas encore 35 ans, est devenue folle. Elle a essayé de le chercher pendant plusieurs mois. Je n’ai jamais vu de corps ou de tombe. L’endroit, où les Talibans avaient l’habitude d’exécuter les gens, était un désert sauvage. Les animaux mangeaient les restes. Pendant très longtemps, je n’y ai pas cru. Je pensais qu’il allait réapparaître un jour. Dans mes yeux, il était ce général, une sorte de James Bond, puissant et immortel. Je me disais que ce n’était pas possible, mais tout doucement j’ai commencé à réaliser que je ne le reverrai plus jamais. […]

    Tout a changé après la disparition de mon père. Avant la guerre et qu’il soit tué, les souvenirs que je garde sont ceux d’une vie calme, des moments heureux. Nous étions très protégées, nous avions une bonne vie. Après, tout s’est écroulé. On ne savait plus à quoi allait ressembler le futur, ce qu’il allait advenir de nous. On se posait des milliers de questions : « Est-ce que notre maison est sûre ? Combien de temps allons-nous vivre ainsi ? Est-ce quelqu’un va dénoncer notre mère et l’emmener loin de nous ? » Enfant, toutes ces pensées m’ont traversée. C’était dangereux d’être dehors. À chaque fois qu’on voulait sortir, il fallait toujours être accompagnée d’un homme. Nous vivions dans la peur qu’il nous arrive quelque chose, d’être tuées. »

    Mais sa mère s’est rebellée et a voulu et a pu fuir le pays des fous de Dieu.

    « Je suis heureuse et fière d’avoir eu une femme comme ma mère à mes côtés. Si elle avait été plus faible, qu’elle avait baissé les bras et abandonné, je n’aurais pas eu cette vie. Elle était jeune, elle aurait pu choisir une voie plus facile. Elle a choisi le chemin le plus dangereux pour nous donner, à mes sœurs et à moi, une autre chance dans la vie. Je lui en suis reconnaissante. »

    Elle a payé des passeurs pour rejoindre l’Europe, dans l’espoir d’atteindre Londres où vivait des proches. Mais cela ne s’est pas passé comme prévu. Et Nadia Nadim dit :

    « Nous avons pris l’avion au Pakistan pour l’Italie, avec des faux passeports. Ensuite, nous sommes montées à l’arrière d’un camion, qui devait nous emmener en Angleterre. On devait rejoindre de la famille à Londres. Il nous a finalement arrêtées au Danemark. Cela ne s’est pas fini comme on le voulait, mais ce n’était pas trop grave. Le plus important, c’est que nous étions saines et sauves. Nous étions en vie et nous pouvions avoir une nouvelle chance. J’ai toujours cru que si une chose arrive, c’est qu’elle arrive pour une raison. Bien évidemment, cela a été très difficile de tout quitter, d’abandonner derrière nous tout ce qu’on possédait. Vous avez des amis, une famille, une identité et vous arrivez ailleurs, en repartant de zéro. C’est sans doute la chose la plus difficile à laquelle on peut être confronté. Il a fallu d’abord réapprendre l’alphabet puis les mots, pour enfin comprendre comment la société fonctionnait… J’étais en décalage avec les enfants du même âge. Les mathématiques étaient mon seul pont avec ma vie d’avant. Pour tout le reste, j’avais l’impression d’être sur une autre planète. Tout était différent, alors j’ai baissé la tête et je me suis mise à travailler pour m’intégrer au plus vite. »

    Le fait qu’elle ait eu envie et quelques dons pour le football, elle le doit à son père :

    « Mon père était un grand fan de sports. Il aimait le football. Quand il nous a appris à jouer, mes sœurs et moi, ce n’était pas pour qu’on devienne footballeuse. Ça n’existait pas en Afghanistan. […] Peut-être que le fait de me sentir, à nouveau, proche de mon père est l’une des raisons pour lesquelles j’ai commencé à jouer au football. C’est possible, mais, au moment où j’ai vu ses petites filles, balle au pied, j’ai surtout pensé : « Pourquoi ça ne serait pas moi ? ». Quand vous êtes enfant, que vous voyez un nouveau jouet, vous voulez jouer avec. C’est ce que j’ai ressenti. Ce qui est beau, c’est que le football est venu à moi. J’ai découvert le jeu, j’ai commencé à m’entraîner dans la rue, partout. Petit à petit, après quelques mois, j’ai pris confiance jusqu’au jour où j’ai demandé de pouvoir jouer avec elles. J’ai eu de la chance qu’elles m’acceptent. »

    Bien sûr dans cette histoire la courageuse mère joue un rôle déterminant.

    Et elle est devenu au bout du travail et de l’entrainement la première joueuse étrangère à porter le maillot de l’équipe nationale du Danemark.

    « Des fois, il y a des murs qu’on ne voit pas autour de nous. Certains ont plus que d’autres. Votre prison est probablement différente de la mienne. C’est toujours difficile de s’échapper de ces murs, cela demande beaucoup d’efforts. Encore, encore et encore. Je pense que je suis née dans un endroit avec beaucoup de murs. J’ai essayé de les faire tomber, un par un. »

    L’Unesco l’a choisi en 2019 pour être une ambassadrice pour l’éducation des filles et jeunes femmes.

    Parallèlement elle étudie la médecine, plus précisément la chirurgie réparatrice.

    Je vous renvoie vers l’intégralité de l’article : <Mon histoire parle d’espoir>

    J’ai aussi trouvé ces deux articles : <Nadia Nadim raconte son incroyable destin> et <Le football m’a offert une nouvelle vie>.

    L’histoire d’une vie. L’histoire d’un courage, d’une détermination et de beaucoup de travail et forcément d’un peu de chance.

    <1601>

  • Mardi 3 août 2021

    « Cecilia Payne »
    Une scientifique oubliée

    Connaissez-vous Cecila Payne ?

    Moi je ne la connaissais pas. Je n’en avais jamais entendu parler.

    C’est une publication sur un réseau social qui a fait cette énumération :

    « Chaque lycéen sait qu’Isaac Newton a découvert la gravité, que Charles Darwin a découvert l’évolution et qu’Albert Einstein a découvert la relativité du temps. Mais quand il s’agit de la composition de notre univers, les manuels scolaires disent simplement que l’atome le plus abondant de l’univers est l’hydrogène. Et personne ne se demande comment on le sait. »

    Personne ne le sait probablement parce que c’est une femme qui est à l’origine de cette découverte.

    Cecilia Payne-Gaposchkin (1900 – 1979) est une astronome anglo -américaine qui a été la première astronome à soutenir que les étoiles sont majoritairement composées d’hydrogène contre le consensus scientifique.

    Le mot du jour du 13 avril 2018 avait pour exergue : « ni vues, ni connues » et parlait de ses nombreuses femmes qui ont eu une influence déterminante dans l’Histoire notamment des sciences mais n’ont pas été mentionnées ou ont été oubliées.

    C’est sur le site « l’Histoire par les femmes » qu’on peut lire son histoire.

    Cecilia Helena Payne est née à Wendover en Angleterre le 10 mai 1900. Sa mère était peintre et son père avocat et historien. Elle est l’aînée de trois enfants. Son père meurt alors qu’elle n’a n’a que quatre ans, et sa mère doit s’occuper seule de sa famille. Et comme les ressources sont limitées, sa mère préfère miser sur les études de ses deux fils, plutôt que sur sa fille.

    On ne dira jamais assez qu’une part du manque de valorisation des destins féminins a été portée par les mères qui ont mis beaucoup de temps avant de devenir féministe.

    J’avais déjà écrit que ma mère m’a appris énormément de choses mais pas le féminisme.

    La jeune fille est remarquablement intelligente et travaille beaucoup.

    Une anecdote relatée par <Wikipedia> me plait beaucoup

    « Sa précocité intellectuelle se manifeste dès l’école primaire. À cette période, elle met au point un protocole scientifique pour vérifier l’effet de la prière, en comparant les résultats à un examen de deux groupes, dont l’un est composé de personnes ayant prié pour le succès et l’autre non. Le groupe qui n’avait pas prié s’est avéré avoir plus de succès. Cecilia Payne sera dès lors agnostique. »

    Comme sa mère ne l’aide pas, elle a l’opportunité à décrocher une bourse en sciences naturelle au Newnham College de l’Université de Cambridge en 1919 ; elle y apprend la botanique, la physique et la chimie. Là, elle assiste à une conférence d’Arthur Eddington au sujet de son expédition dans le Golfe de Guinée pour photographier une éclipse solaire ; cette conférence est alors une révélation et Cecilia décide de travailler dans l’astronomie.

    Autre information factuelle qu’il nous faut apprendre. Nous sommes donc au début du XXème siècle après la première guerre mondiale : Cecilia Payne achève ses études mais sans obtenir de diplôme ; l’Université de Cambridge ne délivre alors pas de diplômes aux femmes.

    Réalisant que ses options de carrière en Angleterre sont limitées, elle rencontre Harlow Shapley, directeur de l’Observatoire de l’université Harvard, et part travailler pour lui aux États-Unis en 1923. Sous sa direction, elle se lance dans un doctorat et travaille sur la température des étoiles. Ses travaux l’amènent à établir que, si les étoiles ont une composition en éléments lourds semblable à la Terre, elles sont majoritairement composées d’hydrogène, ce qui va à l’encontre des idées de l’époque.

    En 1924, elle écrit un article en ce sens et le fait relire par l’astronome Henry Russell, ancien professeur d’Harlow Shapley. Pas convaincu, ce dernier la dissuade de publier sa découverte.

    <Wikipedia> raconte :

    « Or Russell a été le professeur de Harlow Shapley, qui est le patron de Cecilia Payne, et s’il n’est pas convaincu, personne ne le sera : elle s’incline.

    En 1925, Cecilia soutient cependant sa thèse, intitulée « Stellar Atmospheres, A Contribution to the Observational Study of High Temperature in the Reversing Layers of Stars », où elle présente ses travaux et conclusions, mais laisse de côté la question de l’hydrogène.

    Après avoir atteint les mêmes conclusions par d’autres moyens, Russell réalise que Cecilia a raison. Dans une publication parue en 1929, il reconnaît l’antériorité de la découverte de Payne. Néanmoins, cette découverte lui est souvent attribuée ».

    Ainsi, bien qu’il ait l’honnêteté de la citer, pendant longtemps on lui attribue la découverte. Probablement parce que c’est lui qui a publié l’article, ou simplement parce que c’était un homme.

    En 1925, Cecilia obtient brillamment son doctorat et se lance dans l’étude des étoiles de haute luminosité, de la structure de la Voie Lactée et des étoiles variables. En raison de son sexe, son avancement professionnel reste cependant compliqué.

    En 1931, Cecilia Payne devient citoyenne américaine. En 1933, en Allemagne, elle rencontre l’astrophysicien russe Sergei I. Gaposchkin. Elle l’aide alors à obtenir un visa pour les Etats-Unis ; ils se marient en mars 1934 et auront trois enfants.

    Cecilia, contrairement aux mœurs de l’époque qui voulaient qu’une mère reste au foyer, n’arrête pas sa carrière d’enseignante et de chercheuse.

    <Ce site> relate qu’il lui faut attendre 1956 pour être nommée professeure de la faculté d’Harvard dont elle dirigea le département d’astronomie. Elle fut la première femme cheffe du département d’astronomie de Harvard.

    A la fin de sa carrière elle fut davantage reconnue et reçût diverses distinctions honorifiques. Mais on oublia par la suite son apport important à la science.

    Si vous voulez en savoir plus sur cette femme remarquable je pense que cet article de trois pages en dira un peu plus

    Cecilia Payne-Gaposchkin meurt en 1979 d’un cancer du poumon. Un astéroïde a été nommé en son honneur.

    Je crois qu’il est juste de connaître son nom dans le panthéon des scientifiques.

    <1600>

  • Lundi 2 août 2021

    « C’est toujours un rêve quand la poésie tombe dans les filets de la musique. »
    Angélique Ionatos

    C’était un matin de juillet 2019, je somnolais encore, quand une voix m’a réveillé. C’était une voix grave de contralto, solaire, envoûtante, âpre et sensuelle.

    Angélique Ionatos chantait un poème de Sappho de Mytilene de l’île de Lesbos, écrit il y a 2500 ans qu’elle avait mis en musique.

    J’ai écrit immédiatement un mot du jour : « « Anthe Amerghissan (J’ai vu cueillant des fleurs) »

    Dans ce mot du jour je parlais surtout de Sappho de Mytilene, la première lesbienne revendiquée que l’Histoire a retenue. C’était insupportable à l’Église catholique. Sur ordre du Pape Grégoire VII qui fut l’évêque de Rome de 1073 à 1085, on détruisit les poèmes de Sappho qu’on connaissait. Il n’y a que des fragments qui ont pu être sauvés grâce à quelques rebelles qui les avaient recopiés.

    Toutes les religions monothéistes quand elles se sont enfermées dans leur croyance, en proclamant que c’était la vérité, ont manifesté cette intolérance et ont voulu détruire tout ce qui s’éloignait de ce qu’il prétendait être la vérité.

    C’est ainsi, en 2019, que j’ai appris l’existence de cette femme, de cet artiste irradiant la lumière et l’émotion.

    Il était déjà bien tard dans l’horloge de la vie.

    Le dernier de ses 18 albums était sorti en 2015 « Reste la lumière » et elle n’avait pas pu donner un dernier concert au Triton, un club des Lilas, dans la banlieue de Paris, le 6 avril 2018. Le concert fut annulé en souhaitant prompt rétablissement à Angélique.

    Ce souhait ne se réalisa pas. En butinant sur Internet sur d’autres sujets, je suis tombé, il y a quelques jours, sur cette page sur le site de France Musique : « La chanteuse grecque Angélique Ionatos est morte ».

    On pouvait lire :

    «  Angélique Ionatos était l’une des plus grandes voix de la Grèce en exil. Elle s’est éteinte aux Lilas mercredi 7 juillet.
    Il est des pays dont l’histoire dramatique donne naissance à des exilés magnifiques. C’est le cas de la Grèce, où naît, en 1954, Angelikí Ionátou, plus connue sous son nom francophone, Angélique Ionatos. »

    Le directeur, de sa dernière salle de spectacle « Le Triton », Jean-Pierre Vivante, fut le premier à annoncer, sur les réseaux, la disparition de « l’immense artiste, l’incroyable chanteuse, guitariste, musicienne, compositrice, la femme libre, lumineuse, drôle et grave ».

    Alors depuis cette nouvelle, j’ai écouté et réécouté les disques que j’avais achetés depuis ma découverte de 2019, j’ai lu et j’ai écouté deux émissions :

    <Cette interview vidéo réalisée par Qobuz en 2012> suite à son spectacle «Et les rêves prendront leur revanche. »

    Et puis cette interview audio dans l’émission « A voix nue » sur France Culture, en 2016, dans laquelle celui qui l’interroge est Stéphane Manchematin

    <Ici les 5 émissions sont regroupées>. Le tout dure un peu plus de 2 heures 20. C’est cette version que j’ai écoutée.

    <Sur le site de France Culture> vous trouverez les 5 émissions séparées

    Elle est née, en 1954 à Athènes. Son père est marin, il n’est pas souvent présent, mais elle raconte que lorsqu’il était là, c’était un enchantement.

    Elle vit donc, le plus souvent, uniquement avec sa mère et son frère Phitos. Sa mère se sent très seule et elle parle aux objets dit-elle. Mais cette femme simple chante beaucoup et dit des poésies.

    A la question, pourquoi le chant ? Elle répond :

    « Ma mère chantait tout le temps […] Et le soir quand on ne savait pas quoi faire on chantait à trois avec mon frère. Le chant a été tissé dans ma vie depuis que je suis née. Je ne me suis jamais demandé pourquoi je chantais. »

    Au début de l’entretien d’A voix Nue Stéphane Manchematin la définit comme  «  chanteuse, compositrice et guitariste » et elle ajoute je me considère avant tout comme « musicienne ».

    Il est vrai que c’est une fabuleuse guitariste. Elle dit :

    « Je suis assez solitaire et la guitare est mon amie j’en joue tout le temps. »

    Dans les chansons qu’elle compose, les introductions et l’accompagnement sont d’une richesse et d’une complexité ébouriffante. Nous sommes loin de ces chanteurs qui s’accompagnent avec 2 ou 3 accords.

    Son grand talent est de mettre en musique des poésies écrites par d’autres.

    A 15 ans, une grande rupture aura lieu dans sa vie : ses parents fuient la Grèce dans laquelle la dictature des colonels vient de commencer.

    Ses parents choisissent un pays francophone et dans un premier temps choisissent la Belgique « Parce que c’était un pays plus petit qui leur faisait moins peur »

    Ils s’installent à Liège et comme tous les grecs antifascistes, ils ont une affection particulière pour Míkis Theodorákis.

    Expulsé en 1970 et accueilli à Paris par Melina Mercouri et Costa-Gavras, Míkis Theodorákis s’est lancé dans une tournée mondiale qui fit escale au conservatoire de Liège. Toute la famille Ionatos était présente dans la salle où la diaspora grecque acclamait les exhortations du héros tout en versant des torrents de larmes.

    Et Angélique Ionatos a cette formule :

    « Je me suis dit : si la musique a ce pouvoir-là, je veux être musicienne »

    Finalement la famille décide de s’installer en France.

    Et à 18 ans, en 1972, Angélique Ionatos enregistre son premier disque avec la collaboration de son frère Photis « Résurrection » qui est couronné par le prix de l’Académie Charles-Cros. Dans ce premier disque toutes les chansons sont en français, dont cette merveille : « Y a-t-il de la place au ciel pour les poètes. »

    Mais après ce disque elle décide de chanter en grec, les poètes grecs.

    Son frère avec qui elle entretenait une relation fusionnelle, refuse absolument cette voie. Il lui prédit qu’elle va chanter devant des salles vides. Ils vont être en froid pendant plusieurs années, jusqu’à ce que Photis se rende à l’évidence que cela marche et qu’Angélique arrive à capter un public.

    Elle va donc chanter les poètes grecs et particulièrement Odysséas Elýtis (1911-1996) qui se verra décerner le Prix Nobel de littérature en 1979.

    Elle veut mettre en musique, son recueil « Marie des Brumes » elle demande l’autorisation au poète qui la lui refuse. Alors elle prend l’avion et se rend à son domicile à Athènes et arrive à le convaincre. Elle sollicitera encore beaucoup d’autorisations qui lui seront toujours accordées.

    J’ai acheté le disque « Marie des Brumes » pour 4,99 euros sur Qobuz. C’est magnifique.

    On peut entendre, par exemple <To Tragoudi Tis Marias Néfélis (Chanson de Marie des brumes)>

    Dans les deux émissions évoquées elle explique son rapport avec la poésie et l’art.

    Dans A voix nue :

    « Quand je lis l’histoire de mon pays depuis l’antiquité, c’est à travers l’art que l’on sait ce que les gens ont fait, c’est ce qui reste. L’architecture, la peinture, la sculpture, la littérature, la poésie. »

    Son rapport à la poésie est particulièrement forte. Elle cite un poète grecque qui a dit :

    « La poésie a inventé le monde et le monde l’a oublié »

    Pour elle la poésie même est grecque. En Grèce on appelle Dieu : « Le poète du monde »

    Elle dit :

    « C’est la poésie qui m’a donné envie de faire de la musique. Ma mère n’arrêtait pas de me dire des poèmes. […]
    Pour moi la poésie est vitale. Elle est présente tout le temps. Je ne connais pas un jour sans poésie dans ma tête. [Je me demande souvent] Comment un homme a pu écrire cela ?
    Les poètes sont des êtres à part. »

    Et elle cite Elýtis :

    « La poésie existe pour que la mort n’ait pas le dernier mot »

    Dans l’interview Qobuz, elle dit la même chose autrement

    « Les poètes sont indispensables à la vie et au rêve.
    La poésie est la part dont on est privé quand on se trouve dans le malheur.
    La poésie est indispensable pour vivre. […]
    Étant le premier art, si on prive l’être humain de poésie, on le prive de son âme.
    Donc on le prive de ses rêves, de son imaginaire, de son futur et de sa mémoire. […]

    L’intervieweur insiste que la beauté du spectacle vient bien sûr de la poésie mais aussi de la musique d’Angélique Ionatos et rappelle un propos qu’elle lui a tenu précédemment

    « C’est toujours un rêve quand la poésie tombe dans les filets de la musique »

    Et elle répond :

    « Je crois que je suis musicienne jusqu’au bout de l’âme. Mais je ne sais pas si je serais devenu musicienne si je n’avais pas cet amour pour la poésie. […] Ma musique est indissociable de la poésie, parce que je ne peux pas faire de la musique sans rien dire. Pourtant il y a une énorme part instrumentale dans ce que je compose.»

    Elle dit aussi que la poésie et la musique se tricote ensemble et :

    « SI la poésie est l’art qui me donne le goût de la vie, la musique est pour moi l’art qui fait oublier la mort »

    Et elle explique pourquoi elle a voulu chanter en grec alors qu’elle vivait en France et chantait dans les salles de spectacle français et avoue son amour pour cette langue :

    « Privée de ma patrie, la vraie patrie, la seule qu’on ne pouvait pas me prendre, c’était ma langue. C’est pour cela que j’ai pris la décision de ne chanter qu’en grec, parce que c’est la seule chose qu’on ne pouvait pas me prendre. […]
    « Grecque me fut donnée ma langue » comme disait Elytis. C’est un cadeau immense. Je suis tellement heureuse d’être née grecque.
    Cette langue n’arrêtera jamais de me révéler ses miracles. C’est une langue insondable. C’est une langue qui est belle à entendre. […] C’est une langue qui a un équilibre entre les voyelles et les consommes qui est extraordinaire. C’est le sort de l’immigré d’avoir sa langue comme patrie. […]
    Cette langue est la plus belle langue du monde. Tous les mots ont leur étymologie. On sait pour chaque mot d’où il vient. […] »

    Angélique Ionatos cite dans cette réponse Odysseus Elytis dont la phrase complète est : «Grecque me fut donnée ma langue ; humble ma maison sur les sables d’Homère. Mon seul souci ma langue sur les sables d’Homère.»

    Et elle explique que ce n’est pas un problème pour les spectateurs d’entendre cette langue qu’ils ne connaissent pas :

    « Je traduis toujours les textes dans le programme donné aux spectateurs.
    Et puis pour moi la musique dépasse le langage. Il m’arrive d’écouter des chansons de peuples dont je ne parle pas langue et d’être bouleversé.
    Cela veut dire qu’il y a quelque chose d’inhérent à la musique qui touche un autre endroit dans notre cerveau. Et on ressent ce que l’autre veut dire, même si on ne comprend pas le mot à mot. C’est cela qui est fabuleux dans la musique. J’adore Xenakis, le classique, le flamenco, la musique populaire, la musique des pygmées. »

    Elle a aussi chanté en espagnole pour mettre en musique des poèmes de Pablo Neruda ou encore des poèmes de Frida Kahlo.

    Elle était en colère pour tout ce qui a été fait à la Grèce. L’abandon de l’Europe devant la crise des migrants mais surtout les privations qu’on a imposé à sa patrie. Elle dit :

    « Quand à Athènes, un vieil homme m’interpelle et me demande un euro pour manger, je suis en colère. Dans mon enfance je n’ai jamais vu quelqu’un fouiller dans les poubelles. Je hais l’Europe. Ce serait bien qu’on sorte de l’Europe. On vous laisse le nom, car Europe vient du grec. […] Je sens que le peuple grec est humiliée.[…] C’est un pays pillé. ».

    Et a ajouté

    « Je ne peux pas concevoir qu’un artiste ne veut pas témoigner de son temps »

    Elle a vécu l’essentiel de sa vie en France. C’est d’ailleurs en France et en Belgique qu’elle a eu le plus de succès bien plus qu’en Grèce. Mais quand elle allait en Grèce elle utilisait le verbe « rentrer ». Je rentre en Grèce. Pour elle, avoir des racines est essentiel dans la vie. Elle dit

    « Je suis toujours fascinée par la beauté de la Grèce. C’est quelque chose qui jusque ma mort me fascinera. J’ai vu des paysages en Grèce que je ne verrai nulle part ailleurs. Je deviens un peu stupide de dire : c’est le plus beau pays du monde, c’est la plus belle lumière du monde. Mais je ne peux pas faire autrement, je l’aime.»

    J’ai aimé particulièrement deux hommages celui de TELERAMA : « La chanteuse Angélique Ionatos s’est éteinte, sa tragique lumière subsiste » .
    Et aussi l’hommage trouvé sur le site Esprit Nomade : « Le chant de l’olive noire » :

    « Angélique lonatos est cette belle voix grecque altière et au souffle immense, parfumée par toutes les vagues de la mer Méditerranée, et qui nous a conduits dans la forêt des hommes.
    Traductrice de poètes à l’ombre immense comme Elytis, Cavafy, Ritsos, Séféris, elle a favorisé l’envol des mots par la force entêtante de ses propres musiques.
    Restituant le choc élémentaire des paroles, elle a tressé des chants d’amour qui nous reviennent vague par vague, transformant « en morceaux de pierre les dires des dieux ». »

    Elle aimait donc passionnément la Grèce, ses paysages, sa lumière.

    Et en Grèce, elle aimait particulièrement l’ile de Lesbos. L’ile de Sapho de Méthylène et aussi de la famille de son cher poète Odysséas Elýtis :

    « C’est une île d’une beauté que je ne peux pas décrire. C’est là qu’il y a ma maison avec les 10 millions d’oliviers et quelques dizaines de milliers de réfugiés désormais. C’est là que je veux vieillir»

    Ce souhait d’Angélique Ionatos ne se réalisera pas. Elle est morte dans un EHPAD des Lilas « des suites d’une longue maladie » a écrit son fils.

    J’ai lu qu’elle y aurait passé les trois dernières années de sa vie, donc depuis 2019, selon cette information.

    Elle avait 67 ans.

    Mais ses dernières volontés ont été respectées : Ces cendres ont été dispersés en Grèce, sur sa terre natale.

    Il nous reste ses magnifiques chansons et ses disques.
    <Hélios, hymne au soleil>
    <Le coquelicot>
    <J’ai habité un pays>

    Et puis plus rare des chansons françaises composées par d’autres :<Le funambule (Caussimon)>
    <Le clown (Esposito)>

    <1599>

  • Vendredi 30 juillet 2021

    « L’année du grand retournement : 1979 selon Amin Maalouf»
    Publication de la page consacrée à la série

    La série sur l’année 1979 s’est terminée très logiquement par le dernier évènement qui s’est passé cette année : l’invasion de l’Afghanistan par l’armée de l’Union soviétique.

    Cette série qui correspond à un des thèmes que Amin Maalouf a développé dans son remarquable ouvrage « Le naufrage des civilisations » : Les liens qui existent entre tous les évènements de l’année 1979 et les conséquences qu’ils ont entraînées dans les années suivantes jusqu’à nos jours 42 ans après.

    La page consacrée à cette série est en ligne sur la page des séries.

    Mais vous pouvez aller directement sur la page en suivant ce lien : <1979 : L’année du grand retournement >

    Après avoir essayé, grâce à Amin Maalouf, d’esquisser de grands bouleversements économiques, politiques et religieux qui ont touché le monde, je reviendrai, la semaine prochaine, à hauteur des êtres humains pour évoquer 5 destins particuliers.

    Puis lundi 9, je parlerai d’une chanson à l’occasion d’un anniversaire.

    Après, le mot du jour se mettra en congé pour une longue période.

    <Mot sans numéro>

  • Jeudi 29 juillet 2021

    « Nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam. »
    Zbigniew Brzezinski

    Je n’avais pas entendu parler de l’Afghanistan pendant mes années de collège et de lycée. Tout au plus avais je appris par un quizz que la capitale de l’Afghanistan était Kaboul.

    Je ne savais rien de ce pays montagneux et enclavé, c’est-à-dire sans accès à la mer.

    Mais à partir du 27 décembre 1979, lorsque l’armée soviétique est entrée dans ce pays, non seulement nous en avons tous entendu parler et depuis il n’a plus quitté l’actualité.

    Il a reçu un surnom répété à satiété par les journaux : Le Figaro : «L’Afghanistan, cimetière des empires», L’Histoire « L’Afghanistan, cimetière des empires ? », Le Point : « Afghanistan, le cimetière des empires » etc.

    Il faut remonter au début du XIIIème siècle et à Gengis Khan, pour qu’un empire puisse l’intégrer. L’Empire mongole de Gengis Khan s’étendra sur toute la partie Ouest de l’Afghanistan. Mais cet empire fut éphémère.

    150 ans après, Tamerlan parvint aussi pendant quelques années à conquérir ce pays :

    « « Entre 1370 et 1380, Tamerlan et son armée – mêlée d’éléments turcs et mongols – conquièrent le Khwarezm, région située à la confluence des actuels Iran, Ouzbékistan et Turkménistan ;[…] Il se tourne également résolument vers l’ouest, où plusieurs campagnes, entre 1380 et 1396, lui permettent d’asseoir son pouvoir sur l’ensemble de l’Iran et de l’Afghanistan actuels. […] ces régions constituent le cœur de son empire, centré sur Samarcande »

    Mais le titre de cimetière des empires a pris tout son sens quand l’Empire britannique qui avait dominé les Indes n’a pas pu s’emparer de l’Afghanistan.

    Le Point rappelle un épisode particulièrement sanglant :

    « Un nom résume la férocité des guerriers afghan : Gandamak. C’est dans ce défilé qu’en 1842, après le soulèvement de Kaboul, 16 000 Anglais désarmés du corps expéditionnaire de retour vers l’Inde, sont massacrés. La première déroute de l’homme blanc, bien avant la victoire des Japonais sur les Russes en 1905. »

    Les Russes sont euphoriques en 1979, comme je l’ai relaté lors du mot du jour de lundi. Ils vont donc attaquer. Nous apprendrons plus loin qu’ils ont été un peu provoqués.

    Mais ils vont se lancer dans cette aventure qui durera 10 ans, jusqu’à ce Gorbatchev décide du retrait en 1989 ; il est tard, trop tard pour l’Union Soviétique.

    Amin Maalouf écrit :

    « Les dirigeants soviétiques se sont lancés dans une aventure qui se révéla désastreuse et même fatale pour leur régime : la conquête de l’Afghanistan »
    Le Naufrage des civilisations page 180

    Si vous voulez tout savoir et comprendre sur ce qui s’est passé en Afghanistan avant l’invasion soviétique, pendant et après, il faut absolument regarder ces 4 documentaires passionnants d’ARTE :

    Amin Maalouf raconte :

    « Ce pays montagneux, situé entre l’Iran, le Pakistan, la Chine et les républiques soviétiques d’Asie centrale, comptait des mouvements d’obédience communiste, actifs et ambitieux, mais très minoritaires au sein d’une population musulmane socialement conservatrice et farouchement hostile à toute ingérence étrangère. Laissés à eux-mêmes, ces militants n’avaient aucune chance de tenir durablement les rênes du pouvoir. Seule une implication active de leurs puissants voisins soviétiques pouvait modifier le rapport de force en leur faveur. Encore fallait-il que lesdits voisins soient convaincus de la nécessité d’une telle intervention.

    C’est justement ce qui arriva à partir du mois d’avril 1978. Irrités par un rapprochement qui s’amorçait entre Kaboul et l’Occident, soucieux de préserver la sécurité de leurs frontières et la stabilité de leurs républiques asiatiques et persuadés de pouvoir avancer leurs pions en toute impunité, les dirigeants soviétiques donnèrent leur aval à un coup d’État organisé par l’une des factions marxistes. Puis, lorsque des soulèvements commencèrent à se produire contre le nouveau régime, ils dépêchèrent leurs troupes en grand nombre pour les réprimer, s’enfonçant chaque jour un peu plus dans le bourbier.

    Comme cela est arrivé si souvent à travers l’Histoire – mais chacun s’imagine que pour lui les choses se passeraient autrement – les dirigeants soviétiques s’étaient persuadés que l’opération de pacification qu’ils menaient serait de courte durée et qu’elle s’achèverait sur une victoire décisive. »
    Le Naufrage des civilisations page 180

    Les soviétiques pensaient que les américains traumatisés par leur défaite lors de la guerre du Viêt-Nam et englués dans la prise d’otage de leur ambassade de Téhéran n’avaient aucun désir de se lancer dans de nouvelles aventures et au-delà de quelques protestations ne feraient rien.

    Et s’il fallait un argument supplémentaire ils avaient pu constater que l’envoi de troupes cubaines en Angola avait laissé les américains impassibles.

    Et apparemment, dans un premier temps le plan des soviétiques se passait comme prévu. A cette nuance près que l’armée rouge avait pu s’emparer des grandes villes et des principales routes. Le reste de l’Afghanistan leur échappait. Tous ces territoires étaient aux mains de combattants nationalistes et musulmans.

    Au sein de l’administration Carter le ministre des affaires étrangères, appelé aux USA le secrétaire d’État était tenu par un polonais comme le Pape ; Zbignizw Brzezinski, dit « Zbig ».

    Comme le cardinal de Cracovie, le destin de son pays natal avait fait naître en lui un anti communisme féroce auquel s’ajoutait un fort ressentiment contre l’Union soviétique continuateur de l’empire russe qui avait si souvent imposé sa volonté au peuple polonais.

    A l’occasion de sa mort Le Point lui avait rendu hommage : « Brzeziński, l’héritage d’un géopolitologue majeur »

    Amin Maalouf raconte :

    « En juillet 1979, alors que Kaboul était aux mains des communistes afghans qui y avaient pris le pouvoir, et que des mouvements armés commençaient à s’organiser pour s’opposer à eux au nom de l’islam et des traditions locales, Washington avait réagi en mettant en place, dans le secret, une opération dont le nom de code était « Cyclone », et qui visait à soutenir les rebelles. Avant que la décision ne fut prise, certains responsables américains s’étaient demandé avec inquiétude si une telle opération n’allait pas pousser Moscou à envoyer ses troupes dans le pays. Mais cette perspective n’inquiétait nullement Brzezinski. Il l’appelait de ses vœux. Son espoir était justement que les Soviétiques, incapables de contrôler la situation à travers leurs alliés locaux, soient contraints de franchir eux-mêmes la frontière, tombant ainsi dans le piège qu’il leur tendait »
    Le Naufrage des civilisations page 196

    Les américains ont donc aidés les forces islamiques qui se battaient contre le pouvoir afghan communiste de Kaboul. En outre, il fallait que l’URSS le sache et consente à intervenir. Dès lors, Zbig pensait que ce serait un Viet Nam à l’envers : les soviétiques englués par une guérilla et les américains aidant la guérilla à faire de plus en plus mal à l’armée régulière.

    Dans un entretien avec le journaliste Vincent Jauvert, publié dans le nouvel Observateur du 15 janvier 1998, soit près de 20 ans après, Brzezinski affirme :

    «  Oui. Selon la version officielle de l’histoire, l’aide de la CIA aux moudjahidine a débuté courant 1980, c’est-à-dire après que l’armée soviétique eut envahi l’Afghanistan, le 24 décembre 1979.

    Mais la réalité gardée secrète est tout autre : c’est en effet le 3 juillet 1979 que le président Carter a signé la première directive sur l’assistance clandestine aux opposants du régime prosoviétique de Kaboul. Et ce jour-là j’ai écrit une note au président dans laquelle je lui expliquais qu’à mon avis cette aide allait entraîner une intervention militaire des Soviétiques.

    […] Nous n’avons pas poussé les Russes à intervenir, mais nous avons sciemment augmenté la probabilité qu’ils le fassent.

    Le Nouvel Observateur : Lorsque les Soviétiques ont justifié leur intervention en affirmant qu’ils entendaient lutter contre une ingérence secrète des Etats-Unis en Afghanistan, personne ne les a crus. Pourtant il y avait un fond de vérité. Vous ne regrettez rien aujourd’hui ?

    Zbigniew Brzezinski : Regretter quoi ? Cette opération secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d’attirer les Russes dans le piège Afghan et vous voulez que je le regrette ? Le jour où les Soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j’ai écrit au président Carter, en substance : « Nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam. » De fait, Moscou a dû mener pendant presque dix ans une guerre insupportable pour le régime, un conflit qui a entraîné la démoralisation et finalement l’éclatement de l’empire soviétique. » »

    Et les américains vont donner des armes et des armes aux combattants d’Afghanistan. Des armes de plus en plus sophistiquées comme les célèbres missiles Stinger qui abattront les avions russes.

    Dans les documentaires d’Arte, un intervenant explique que c’était très rentable : Un mois de présence des armées américaines en Afghanistan coutait aussi cher que l’ensemble de l’aide fourni pendant les 10 ans de guerres des afghans contre l’armée rouge.

    Parce que les américains aussi se sont laissés piéger par « le cimetière des empires ».

    Ils sont entrés en guerre en 2001 et ils ne partent que maintenant. Ils seront restés plus longtemps que les soviétiques et ils partent aussi vaincus.

    Parce qu’après le départ des soviétiques en 1989, les chefs de guerre afghans surarmés ne se sont pas unis pour gouverner le pays mais se sont entretués.

    Alors est né une armée islamique entièrement soutenue par le Pakistan : les Talibans. Ils ont vaincus les chefs de guerre et imposé leur triste, cruel et archaïque régime islamique.

    Et à côté d’eux des fous de Dieu, se réclamant de l’Islam, venant d’Arabie saoudite et d’ailleurs et ayant à leur tête Oussama Ben Laden ont utilisé leur expérience et leur savoir pour attaquer l’occident par des actes de terrorisme dont les terribles attentats 11 septembre 2001.

    Les talibans refusant de livrer Ben Laden, les américains aidés par la Grande Bretagne, la France et une grande coalition ont envahi l’Afghanistan et s’y sont empêtrés comme les autres

    Et ils s’enfuient comme les autres,

    Le Point du 22 Juillet 2021 titre : « La déroute de l’occident »

    Les Talibans sont de nouveau aux portes du pouvoir. S’ils y arrivent ils ne feront pas seulement de l’Afghanistan le cimetière des empires mais aussi le cimetière des femmes.

    Zbigniew Brzezinski n’exprimait aucun regret en 1998. A la question : « Vous ne regrettez pas non plus d’avoir favorisé l’intégrisme islamiste, d’avoir donné des armes, des conseils à de futurs terroristes ? »

    Il a répondu : « Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique ? Quelques excités islamistes où la libération de l’Europe centrale et la fin de la guerre froide ? »

    Il est paradoxal de finir cet article consacré à la désastreuse invasion des soviétiques par la déroute de l’Occident dans ce même pays.

    Mais c’est ainsi que ce sont passés les choses depuis 1979. Les américains et les occidentaux ont financé, armé et soutenu des monstres qui se sont retournés contre eux.

    Il est vrai qu’entretemps, comme dit Zbig, l’Empire soviétique s’est effondré.

    La guerre d’Afghanistan fut un traumatisme pour les soldats russes. On ne connaît pas avec précision les pertes de l’armée rouge, la Russie n’a jamais voulu communiquer sur ce sujet. On estime à 1 000 000 de morts les pertes afghanes essentiellement civiles. Wikipedia donne une fourchette entre 562 000 et 2 000 000 morts. Il y eut aussi 5 millions de réfugiés afghans hors d’Afghanistan, 2 millions de déplacés internes et environ 3 millions d’afghans blessés, majoritairement civils (l’afghanistan compte 36 millions d’habitants environ). Et ce n’était qu’un début, les chefs de guerre, les talibans puis les américains et maintenant le retour des talibans vont encore aggraver ce terrible bilan.

    <1598>

  • Mercredi 28 juillet 2021

    « Rien de ce qui s’est passé en Europe de l’Est n’aurait été possible sans la présence de ce pape »
    Mikhaïl Gorbatchev

    Le 16 octobre 1978, une fumée blanche s’élève au-dessus des toits du Vatican.

    Après deux jours de réclusion et huit tours de scrutin, les cardinaux réunis en conclave dans la chapelle Sixtine viennent d’élire le 264e successeur de Saint Pierre à la tête de l’Église catholique.

    Le cardinal Pericle Felici en tant que doyen des cardinaux électeurs, le terme savant est : « le cardinal protodiacre », s’avance sur le balcon de la basilique Saint Pierre et annonce à la foule des fidèles réunis sur la place Saint Pierre :

    « Annuntio vobis gaudium magnum :
    habemus papam.
    Eminentissimum ac reverendissimum dominum,
    dominum Carolum,
    Sanctae Romanae Ecclesiae cardinalem Wojtyła ,
    qui sibi nomen imposuit Ioannis Pauli »

    Pour celles et ceux qui ne lisent pas couramment le latin, je donne la traduction :

    « Je vous annonce une grande joie :
    nous avons un Pape.
    Le très éminent et très révérend seigneur,
    Monseigneur Karol
    cardinal de la sainte Église romaine, Wojtyła
    qui s’est donné le nom de Jean-Paul  »

    Voici ce que la télévision a retransmis : <Election du pape Jean-Paul 2>

    Quand j’écoute le cardinal, j’entends qu’il prononce : « Woïtiwa »

    Un reportage publié à l’époque par le Nouvel Observateur relatait la stupeur qui avait saisi la foule. Certains pensaient qu’il s’agissait d’un africain. Finalement :

    « les Italiens se précipitent sur L’Osservatore romano du 15 octobre [qui listait les éligibles] pour découvrir la tête et l’origine de cet inconnu. « E Polacco! » [« C’est le Polonais »], laisse tomber un Romain.»

    <Une surprise>, il est relativement jeune (58 ans) mais surtout, il n’est pas italien.

    Il faut remonter à 1522 et l’élection du Hollandais Adrian Florisce, pape sous le nom d’Adrien VI, précepteur du futur empereur Charles Quint.

    Il est polonais et il est l’archevêque de Cracovie, dans la Pologne communiste.

    Le Kremlin se méfie. Des responsables soviétiques téléphonent aux responsables polonais et leur reprochent d’avoir permis que cet individu soit devenu cardinal car s’il n’était pas cardinal, il n’aurait jamais été élu

    <Slate> dit à la fois que c’est factuellement faux, mais en pratique très probable :

    « On peut même être élu sans être cardinal: il suffit juste d’être catholique et baptisé –si le candidat élu n’est pas évêque, il devient automatiquement évêque de Rome. Le dernier pape non cardinal était Urbain VI (1378-1389). »

    Ce même journal révèle que des indiscrétions sur le conclave de 1978 affirment que Jean Paul II n’avait recueilli qu’un nombre très modeste de voix dans les premiers tours, avant de profiter, au bout du troisième jour, du blocage du conclave entre deux cardinaux italiens, un conservateur et un progressiste.

    On sait que Karol Wojtyla (1920-2005) est un sportif, il a fait du théâtre et il a même écrit des pièces de théâtre. Mais c’est la Foi et la religion qui l’ont conquis.

    Il est doté d’un charisme exceptionnel et il va engager la lutte avec les communistes.

    Son premier voyage est en Amérique du Sud. Dans cet Amérique du Sud des religieux se battent contre les dictatures et l’exploitation des ouvriers par des patrons sans scrupules bien que croyant. Leur doctrine s’appelle « La théologie de la Libération ».

    Jean Paul II assimile ce courant de pensée à une pensée marxiste et il va la combattre avec ardeur.

    Il faut regarder ce documentaire d’Arte <Jean-Paul II le triomphe de la réaction> qui montre que s’il n’a pas de mots assez durs pour fustiger les atteintes aux libertés et aux droits de l’homme dans les pays de l’est parce qu’ils sont gouvernés par des communistes, il n’exprime pas la même critique contre des régimes de droite et d’extrême droite qui violent les mêmes droits de l’homme contre leurs opposants. Opposants que Jean Paul II classe dans la catégorie des communistes.

    En 1979, il décide d’aller en Pologne.

    Brejnev, le vieux dirigeant soviétique appelle tout de suite Edward Gierek, Premier secrétaire du Parti ouvrier unifié polonais et lui intime l’ordre de ne pas recevoir le Pape. Ce dernier passe outre, il pense maîtriser la situation.

    D’immenses foules se déplacent pour voir et participer aux cérémonies religieuses célébrées par Jean-Paul II. La télévision polonaise a ordre de ne pas filmer la foule dans son intégralité. Mais Jean Paul II a emmené une cohorte de professionnels avec leurs propres caméras qui vont filmer ce qui se passe. Ces pellicules ramenées en Italie seront montées en film qui sera renvoyé en Pologne. Film vu dans les églises et qui donnera aux catholiques, 90% des polonais, la conscience de leur nombre et de leur puissance.

    Pendant son voyage en Pologne du 2 au 10 juin 1979, il exhortera les polonais à ne pas avoir peur utilisera le langage de la foi et de la croyance pour rejeter le communisme et appeler à sa disparition des terres de Pologne.

    En 1980, apparaîtra le syndicat libre Solidarnosc et Lech Walesa sur les chantiers d Gdansk.

    Ce ne sera pas un long fleuve tranquille.

    Mais le soutien du Pape et les financements du Vatican ne manqueront jamais. Jean Paul II trouvera en Ronald Reagan un allié de poids qui déteste les communistes autant que lui et apportera aussi des financements qui passeront par l’église catholique.

    Reagan et Jean Paul II utiliseront la Pologne pour aider à une lame de fond qui aboutira à la chute du mur en 1989.

    Brejnev aurait dit que le communisme n’était pas réformable que si on commençait à le réformer il s’écroulerait.

    Gorbatchev pensait le contraire et il a essayé de le réformer.

    Il s’est même rendu au Vatican avec sa femme Raïssa pour rencontrer le pape Jean Paul II le <1er décembre 1989> et lui annoncer qu’il était d’accord dans le cadre de ses réformes d’accorder la liberté religieuse dans les pays communistes. Et c’est à cette occasion qu’il a tenu ce propos :

    « Rien de ce qui s’est passé en Europe de l’Est n’aurait été possible sans la présence de ce pape »

    Nous connaissons la fin de cette histoire.

    C’est Brejnev qui avait raison !

    Deux ans plus tard, le 25 décembre 1991, Michael Gorbatchev annonçait sa démission : l’URSS était dissoute.

    La Chine voyant cet effondrement s’est jurée de ne jamais commettre les mêmes erreurs que les soviétiques et Gorbatchev.

    L’historien <Pierre Grosser> déclare :

    « La référence, pour les dirigeants chinois, c’est 1989-1991, avec la chute des régimes communistes en Europe et de l’Union soviétique, et la victoire des États-Unis dans la guerre du Golfe grâce à leur armée de haut niveau technologique. Il ne faut pas faire les mêmes erreurs que Gorbatchev, qui a sacrifié le rôle dirigeant du Parti et laissé monter les revendications nationales dans l’Empire. Il a aussi laissé les influences idéologiques (la pollution spirituelle) de l’Occident dissoudre le communisme. Les États-Unis arrogants ne doivent pas pouvoir faire la même chose avec la Chine. Le Parti a sauvé la Chine en utilisant la force à Tiananmen en 1989, en relançant des réformes contrôlées qui ont donné naissance à un modèle plus efficace que le capitalisme occidental, et en opérant une modernisation militaire dissuadant les États-Unis. »

    Alors est ce que Jean Paul II a été le principal artisan de la chute des démocraties populaires de l’Europe de l’est ?

    A cette question, comme à beaucoup d’autres, l’homme honnête du XXIème siècle est obligé de répondre : « Je ne sais pas ».

    Jean Paul II a lui-même relativisé son importance :

    « Le communisme est tombé tout seul à cause de sa faiblesse immanente »

    Amin Maalouf écrit :

    « Né en Pologne, Karol Wojtyla alliait un conservatisme social et doctrinal à une combativité de dirigeant révolutionnaire. […] Son influence allait se révéler capitale »
    Le Naufrage des civilisations, page 176

    <1597>

  • Mardi 27 juillet 2021

    « La guerre sino-vietnamienne »
    Guerre du 17 février au 16 mars 1979

    Le monde communiste était certes en expansion en 1979, mais il était divisé entre soviétiques et chinois.

    Quand deux empires comme la Chine et la Russie possèdent une frontière commune de 4 374 km, la rivalité ne peut être que féroce. La France et l’Allemagne avec 451 km, soit près de 10 fois moins, ont montré cette triste réalité avant de se retrouver dans la communauté européenne.

    Après sa fondation en 1949, la République populaire de Chine de Mao fait cependant alliance avec l’Union Soviétique de Staline sur la base de l’hostilité aux États-Unis.

    Mais la rupture va se réaliser au moment du rapport Khrouchtchev en 1956, dans lequel ce dernier rejette le culte de la personnalité, prône la « coexistence pacifique » avec le capitalisme et l’impérialisme et enfin prétend que le passage du socialisme au communisme peut s’effectuer en douceur au sein même de la société.

    Mao est sur une position inverse sur les 3 points. En particulier, il entend profiter pleinement du culte de la personnalité.

    Concernant le Viet-Nam, la Chine a soutenu le combat de ce pays contre les américains. Mais, une fois la guerre gagnée et le Viet Nam clairement rangé du côté soviétique, les Chinois ont manifesté de l’hostilité à l’égard de leur voisin de la péninsule indochinoise.

    Ce conflit se nourrissait de tensions territoriales : occupation vietnamienne des Îles Spratley, revendiquées par la Chine et de conflits de minorité : la Chine dénonçait des mauvais traitements subis par la minorité chinoise au Viêt Nam.

    Mais la raison principale du déclenchement de la guerre entre la Chine et le Viet-Nam fut l’intervention de ce dernier au Cambodge.

    Le mouvement génocidaire, contre leur propre peuple, des khmers rouges de Pol Pot était soutenu par la Chine. Je rappelle que ces fous anti-élites et anti occidentaux ont assassiné, pendant les 4 ans de leur dictature, <1,7 millions de cambodgiens> sur une population d’un peu plus de 7 millions d’individus.

    Le 25 décembre 1978, l’Armée populaire vietnamienne pénètre au Cambodge et dans une avancée rapide et puissante pénètre dans Phnom Penh le 7 janvier 1979. Quatre jours plus tard, le régime provietnamien de la République populaire du Kampuchéa est proclamé, avec Heng Samrin comme président et le jeune Hun Sen comme ministre des Affaires étrangères.

    Le Viet-Nam n’est pas intervenu pour des raisons humanitaires mais en raison de tensions territoriales et aussi d’exactions des khmers rouges à l’égard de la minorité vietnamienne au Cambodge.

    Toutefois, dans une belle opération de communication, ils vont dénoncer et montrer l’ampleur des massacres de Pol Pot et de sa bande de criminels.

    Les chinois et Deng Xiaoping vont entrer dans une guerre punitive et dans l’espoir d’inverser le sort des armes au Cambodge.

    Si vous êtes intéressé par la tactique militaire vous pouvez regarder 4 vidéos de 15 minutes qui expliquent en détail le mouvement des armées, les pertes, la durée des combats.

    Je donne le lien vers le premier épisode : <Guerre sino-vietnamienne (1979) – le principe de la guerre limitée #1>

    Je résume :

    • Ce sont les chinois qui attaquent et qui prennent un certain nombre de villes du Viet-Nam sur la route de Hanoi.
    • Leur progression est très lente, très compliquée, avec beaucoup de pertes
    • Les troupes vietnamiennes sont sur la défensive et quand elles ont trop de pertes, elles reculent.
    • Ce ne sont pas les meilleures armées qui s’affrontent : La Chine a concentré l’élite de son armée sur la frontière russe, pour faire face à une éventuelle offensive de l »armée rouge qui viendrait soutenir son allié vietnamien.
    • Le Viet-Nam a envoyé l’essentiel de ses meilleures troupes au Cambodge et l’élite est restée autour de Hanoi, pour empêcher les chinois de s’approcher de leur capitale.

    Au bout de 17 jours de combat, les Chinois qui sont parvenus à pénétrer de 30 à 40 km sur le territoire vietnamien, déclare qu’il pourrait continuer jusqu’à Hanoï mais que leur action punitive était suffisante et que dans un souci d’apaisement, ils se retiraient. Dès lors, les troupes chinoises évacuent le territoire vietnamien le 16 mars en pratiquant la politique de la terre brûlée.

    C’est une guerre qui se finit donc par un match nul.

    Les historiens semblent cependant plutôt pencher pour un échec chinois.

    Les chinois avait parmi leurs buts de guerre d’aider leurs alliés Khmers rouges. Dès lors, leur attaque avait pour objectif d’obliger l’armée vietnamienne de rapatrier ses troupes du Cambodge pour arrêter l’avancée chinoise. Or, les vietnamiens sont parvenus à freiner l’armée chinoise en ne touchant pas les troupes se trouvant au Cambodge et en conservant l’élite de leur armée dans une position de repli pour protéger la capitale.

    Amin Maalouf estime que cette guerre est aussi un évènement majeur de l’année 1979.

    Rappelons que Deng Xiaoping avait fait une visite triomphale aux États-Unis en janvier 1979. Il avait évoqué cette action de guerre au Président Carter contre l’ennemi qui avait vaincu les américains et qui était l’allié de l’ennemi structurel : l’URSS. Le Président Carter n’a pas dissuadé le responsable chinois de réaliser cet acte de guerre.

    Amin Maalouf écrit :

    « Mais l’objectif de Deng n’était pas militaire. Au lendemain de son avènement, il voulait démontrer aux Vietnamiens que l’Union soviétique n’enverrait pas ses troupes à leur secours s’ils étaient attaqués et qu’ils auraient donc tort de considérer qu’ils pouvaient agir à leur guise.

    Et il adressait également un message aux Etats-Unis leur disant qu’ils avaient désormais en Asie un interlocuteur fiable et peut être même un partenaire potentiel ; pour les américains qui ne s’étaient pas encore remis de la défaite que leur avait infligé Hanoï, l’expédition punitive ordonnée par le nouveau dirigeant chinois était la bienvenue.

    Quelque chose d’important venait manifestement de se produire sur la scène internationale, dont Washington ne pouvait que se féliciter, et dont Moscou devait s’inquiéter au plus haut point »

    Cet épisode montre donc :

    • La montée en puissance de la Chine
    • L’affaiblissement de l’Union soviétique
    • Et aussi le fait que le sort des cambodgiens ne présentait pas grand intérêt aux yeux de la Chine, des États-Unis et de l’Union soviétique

    Il semble que Deng Xiaoping ait été mis en difficulté au sein du bureau politique du Parti communiste chinois, en raison des défaillances militaires de l’armée.

    Mais cet homme supérieurement intelligent et rusé, sut retourner les accusations à son encontre en pointant la faiblesse de l’armée populaire chinoise sur le plan technique, mécanique et de l’encadrement.

    Il en tira argument pour limoger une grande part de l’état-major .et de faire valider sa politique de réformes économiques seule capable de redonner de la puissance et du dynamisme à l’ensemble de la Chine et à son armée en particulier.

    Mao disait :

    « Ne pensez pas d’abord à produire, pensez d’abord à faire la révolution »

    Deng Xiaoping préconisait exactement l’inverse.

    <1598>

  • Lundi 26 juillet 2021

    «  [En 1979] Pour qui se fiait à l’apparence des choses, l’Union soviétique semblait voler de triomphe en triomphe »
    Amin Maalouf

    Pour finir la description des évènements de 1979 qui ont constitué l’année du grand retournement dont les conséquences expliquent beaucoup de ce que le monde vit aujourd’hui, nous allons parler de l’Union soviétique. Parce qu’à l’époque le monde était divisé en deux par la guerre froide.

    Et en 1979, l’Union Soviétique semblait engranger succès après succès.

    Nous avons vu que la révolution islamique avait privé les États-Unis de son grand allié l’Iran. La prise d’otage de l’ambassade de Téhéran constituait une humiliation pour le grand rival de l’URSS.

    Et ce n’était qu’une humiliation qui succédait à d’autres.

    Le gouvernement américain s’était engagé de manière massive dans <la guerre du Viet Nam> pour empêcher ce pays et ses voisins de tomber dans les mains des communistes.

    Au 30 avril 1969, on comptait 550 000 soldats américains en Indochine. Cette guerre fracturait la société américaine et devenait hors de prix pour les États-Unis. Richard Nixon conseillé par Henry Kissinger décida de se retirer. Ils négocièrent avec le Nord Viet-Nam communiste. Les accords de Paris furent signés le 27 janvier 1973, confirmant le retrait des troupes américaines. Mais il restait le Sud Vietnam qui était allié des Etats-Unis et qui se trouvait désormais seul face aux armées communistes.

    Le résultat ne se fit pas attendre, les communistes battirent l’armée favorable aux États-Unis et la guerre prit fin le 30 avril 1975 par la prise de Saïgon qui devint Ho chi Minh ville.

    La fuite des derniers américains de Saïgon le 30 avril fut aussi une humiliation.

    Amin Malouf raconte :

    « Jeune journaliste fasciné comme tant d’autres par ce conflit si emblématique pour ma génération, je m’étais rendu à Saïgon afin d’assister à la bataille décisive. Je savais que l’on s’approchait de l’épilogue, mais je n’imaginais pas que les choses allaient évoluer aussi vite. Le 26 mars, jour de mon arrivée, les troupes communistes venaient de prendre Hué, l’ancienne capitale impériale ; une semaine plus tard, elles étaient déjà aux abords de Saigon, 700 kilomètres plus au sud. Et il était clair que leur progression allait se poursuivre jusqu’au bout. […]

    Saïgon tomba le 30 avril. Ceux qui ont connu cette époque gardent en mémoire ces scènes pathétiques où des civils et des militaires, réfugiés à l’ambassade américaine, cherchaient à s’accrocher aux derniers hélicoptères pour s’enfuir. Images plus humiliantes encore pour les sauveteurs que pour les rescapés. »
    Le Naufrage des civilisations, page 177

    Et la victoire communiste ne s’arrêta pas Au Viêt-Nam.

    Deux semaines plus tôt, le 17 avril 1975, les troupes des Khmers rouges étaient entrées dans Phnom Penh et renversèrent le régime du Général Lon Nol que les États-Unis avaient mis en place par un coup d’État.

    Et les communistes prennent aussi l’intégralité du pouvoir au Laos lorsqu’ils poussent le roi Savang Vatthana à abdiquer, le 2 décembre 1975.

    Ainsi comme des dominos un État après l’autre devint communiste.

    Les américains qui étaient entrés dans la guerre du Viêt-Nam justement pour empêcher cela, avaient totalement échoué par rapport à leur but de guerre.

    Et Amin Maalouf rappelle que « Ce phénomène ne se limitait d’ailleurs pas à l’Indochine. »

    Et il cite :

    • Quand le Portugal, après « la révolution des Œillets » d’avril 1974 décida de donner l’indépendance à ses colonies africaines, les cinq nouveaux États africains qui virent aussitôt le jour furent tous dirigés par des partis d’obédience marxiste : Angola, Mozambique, le Cap-Vert, la Guinée-Bissau et Sao-Tomé-Et-Principe.
    • Outre les colonies portugaises, il y avait aussi en Afrique, Madagascar, Le Congo Brazzaville, la Guinée Conakry qui avaient des régimes proches de l’Union soviétique.
    • Il y eut même un bref moment, où dans la corne de l’Afrique, les deux principaux pays, l’Éthiopie et la Somalie étaient gouvernés par des militaires se réclamant du marxisme-léninisme.
    • Et sur la péninsule arabique, le Yémen du Sud, État indépendant dont la capitale était Aden, s’était proclamé « république démocratique populaire » sous l’égide d’un parti de type communiste, doté d’un politburo.

    Bref, dans la guerre froide le bloc de l’est était en train de gagner du terrain et les américains étaient en train d’en perdre et surtout avait été finalement vaincu dans la guerre du Viêt-Nam.

    Mais si extérieurement, il semblait que l’Union soviétique était forte et conquérante, à l’intérieur elle était fragile par une organisation politique rigide et sclérosée et une économie sans dynamisme et au bout du rouleau.

    Amin Maalouf écrit :

    « Quand on se replonge dans les années 70, on ne peut s’empêcher de trouver pathétique le spectacle de cette superpuissance lancée à corps perdu dans une stratégie de conquêtes, sur tous les continents, alors que sa propre maison, sur laquelle flottaient les étendards ternis du socialisme, du progressisme, de l’athéisme militant et de l’égalitarisme, était déjà irrémédiablement lézardée, et sur le point de s’écrouler.

    Pour qui se fiait à l’apparence des choses, l’Union soviétique semblait voler de triomphe en triomphe. Au Vietnam, où le monde communisme et le monde capitaliste s’étaient affrontés sans répit dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, le conflit était arrivé à son terme en avril 1975. »
    Le Naufrage des civilisations, page 177

    Emmanuel Todd, à 25 ans, allait devenir célèbre et restera pour longtemps, le démographe visionnaire en publiant en 1976 : « La Chute finale » sous-titré « Essai sur la décomposition de la sphère soviétique » dans lequel il décrit la décomposition du système communiste et la chute inéluctable qui attend l’Union soviétique.

    Wikipedia constate que « Ce livre constitue un rare exemple de prospective totalement validée par les faits et a donné rétrospectivement à son auteur une grande autorité dans l’analyse des faits sociaux, économiques et géopolitiques. »

    <1597>

  • Vendredi 23 juillet 2021

    « Pause »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Je souhaite continuer la série sur l’année 1979..

    La dernière partie sera consacrée à des évènements qui impliquent tous à un degré divers l’Union Soviétique.

    Amin Maalouf nous rappelle qu’en ce début de l’année 1979, l’Union Soviétique semblait toute puissante et l’Amérique en déclin.

    Notre mémoire nous joue souvent des tours. Nous connaissons la fin de l’Histoire : la chute du mur de Berlin en 1989 et la dissolution de l’Union Soviétique en 1991.

    Mais en 1979, nous ne pouvions penser que cela se passerait ainsi, surtout pas aussi vite.

    Il me faut un peu de temps pour écrire la suite.

    <Mot du jour sans numéro>

  • Jeudi 22 juillet 2021

    « Peu de révolutions dans l’histoire ont changé en profondeur la vie d’un si grand nombre d’hommes et de femmes en un temps si court. »
    Amin Maalouf évoquant les réformes conduit par Deng Xiaoping à partir de 1979

    Pour donner toute sa dimension à son récit de l’année 1979, Amin Maalouf en élargit quelque peu la temporalité vers la fin de l’année 1978.

    En effet, le 18 décembre 1978, le 11ème Comité central du Parti Communiste Chinois adopte les réformes économiques proposée par Deng Xiaoping. Ce dernier devient, dans les faits, le numéro 1 chinois.

    Bien qu’officiellement le successeur de Mao Zedong, Hua Guofeng occupe toujours les principales fonctions du pouvoir.

    • Hua Guofeng est Président du Parti communiste chinois depuis qu’il a succédé à Mao le 7 octobre 1976, il le restera encore trois ans jusqu’au 28 juin 1981.
    • Il occupe le poste stratégique de Président de la Commission militaire centrale du Parti communiste chinois. Fonction sur laquelle, il a également succédé à Mao Zedong le 7 octobre 1976. Le 28 juin 1981, Deng Xiaoping le remplacera.
    • Enfin, il est aussi Premier ministre de la république populaire de Chine, poste qu’il a occupé après la mort de Zhou Enlai le 4 février 1976 et qu’il occupera jusqu’au 10 septembre 1980.

    Deng Xiaoping en décembre 1978 « n’est que » Vice-Président du Parti communiste chinois et Vice Premier Ministre. Mais tous les historiens l’affirment, c’est Deng qui donne le cap et gouverne.

    Mao Zedong est mort le 9 Septembre 1976.

    Son premier ministre de toujours Zhou Enlai, Premier ministre de la république populaire de Chine du 1er octobre 1949 au 8 janvier 1976, date de sa mort l’avait précédé de quelques mois dans le paradis des communistes, s’il existe.

    C’est Zhou Enlai qui avait permis à Deng Xiaoping de revenir en grâce, après des années d’humiliation dues aux purges maoistes. Il lui faudra un peu de temps pour asseoir son autorité et écarter Hua Guofeng.

    <La petite histoire> nous raconte que Zhou Enlai et Deng Xiaoping se sont rencontrés en France, à Montargis :

    « Ho Chi Minh, Pol Pot, [Zhou Enlai, Deng Xiaoping]. .. La France a servi de terrain d’apprentissage à bien des révolutionnaires du XXe siècle. On sait moins que les acteurs du Grand Bond en avant chinois y ont fait leurs gammes, découvrant le marxisme pour les uns, fortifiant des convictions socialistes déjà bien ancrées pour les autres.
    De 1902 à 1927, 4 000 jeunes intellectuels sont venus étudier et travailler en France, en particulier à Montargis. Beaucoup sont devenus les cadres de la révolution chinoise. Montargis l’avait presque oublié. Pourtant, en Chine, depuis de longues décennies, la petite ville du Loiret est célébrée dans l’histoire officielle comme le berceau de la Chine nouvelle. »

    Aujourd’hui que la Chine est le géant économique que nous connaissons, deuxième puissance économique du monde à qui on annonce, à brève échéance, la place de premier, nous comprenons ce qui s’est passé en 1978/1979 : Le début de cette formidable ascension.

    Amin Maalouf rattache ce moment chinois à l’esprit du temps et à la révolution conservatrice :

    « En décembre 1978, Deng Xiaoping prenait les rênes du pouvoir à Beijing lors d’une session plénière du Comité central du Parti communiste, inaugurant sa propre « révolution conservatrice ». Jamais il ne l’a appelée ainsi et elle était certainement fort différente de celle de Téhéran comme de celle de Londres ; mais elle procédait du même « esprit du temps ». Elle était d’inspiration conservatrice, puisqu’elle s’appuyait sur des traditions marchandes ancrées depuis toujours dans la population chinoise, et que la révolution de Mao Zedong avait cherché à extirper. Mais elle était également révolution, puisqu’elle allait radicalement transformer, en une génération, le mode d’existence du plus grand peuple de la planète : peu de révolutions dans l’histoire ont changé en profondeur la vie d’un si grand nombre d’hommes et de femmes en un temps si court. »
    Le Naufrage des civilisations page 175

    Aujourd’hui, nous savons ! Mais en décembre 1978, et en 1979 les archives du Monde que j’ai parcourues ne perçoivent pas l’importance de ce qui est en train de se passer. Au moins il ne le conceptualise pas.

    Pourtant des articles racontent ce qui se passe :

    • 18 décembre 1978 : « M. Abe Jay Lieber, président de la société américaine Amherst, a annoncé à Hongkong que sa société projetait de construire six hôtels de classe internationale en Chine, écrivait le Wall Street Journal le 15 décembre. Un de ces hôtels serait à Lhassa, au Tibet. »
    • 20 décembre 1978 : « En moins de trente ans, la Chine populaire sera passée de la condition d’alliée de l’U.R.S.S. contre les États-Unis à celle d’alliée de fait de Washington contre Moscou. De tous les revirements qui ont marqué notre temps, c’est l’un des plus spectaculaires. »
    • 26 décembre 1978 : « L’ouverture de la Chine au monde capitaliste, qui constitue l’un des faits marquants de l’année, aura probablement moins d’effets immédiats pour les maîtres de forges et les marchands de l’Occident capitaliste qu’on ne l’imagine généralement. »
    • 27 décembre 1978 : « L’établissement de relations diplomatiques entre les États-Unis et la République populaire de Chine avait beau paraître inéluctable, le communiqué du 15 décembre l’annonçant n’en a pas moins surpris. »
    • 22 décembre 1978 « Coca-Cola, un des symboles de la société de consommation américaine, sera vendu en Chine populaire à partir de janvier 1979, a annoncé, mardi 19 décembre, à Atlanta, le président de l’entreprise, M. Austin. Une usine de mise en bouteilles sera construite à Changhaï dans le courant de l’année prochaine. »
    • 30 janvier 1979 : « M. Deng Xiaoping, arrivé dimanche après-midi 28 janvier, à Washington, est reçu officiellement, ce lundi, à la Maison Blanche. Avant de quitter Pékin, le vice-premier ministre chinois avait recommandé, dans une interview accordée à l’hebdomadaire  » Time « , la formation d’une alliance des États-Unis, de la Chine et d’autres pays contre l’Union soviétique. Après avoir vivement dénoncé  » l’hégémonisme  » de l’U.R.S.S., M. Deng Xiaoping déclare notamment dans cette interview :  » Si nous voulons vraiment brider l’ours polaire, la seule chose réaliste est de nous unir. »

    Le voyage de Deng Xiaoping, début 1979 sur l’invitation de Jimmy Carter, sera un triomphe pour le chinois, accueilli avec enthousiasme par les foules américaines.

    • 4 avril 1979 « Le gouvernement chinois a informé par note, l’ambassade d’U.R.S.S. à Pékin, de sa décision d’abroger son traité d’amitié, d’alliance et d’entraide avec l’U.R.S.S., arrivant à échéance en 1980, a-t-on appris dans la capitale chinoise de source informée soviétique. »

    Ce que raconte ces articles, c’est un renversement d’alliance. Nous sommes toujours en pleine guerre froide, les États-Unis n’ont qu’un véritable ennemi : l’Union Soviétique. Ils veulent utiliser les chinois pour lutter contre l’URSS. Cette politique avait commencé avec Nixon qui sur les conseils de Kissinger était allé en visite en Chine, rencontrer Mao Zedong. C’était en 1972.

    Mais si les États-Unis ont voulu se servir de la Chine, la Chine de Deng Xiaoping a utilisé les États-Unis pour accélérer son développement et devenir aujourd’hui l’ennemi stratégique des États-Unis. Mais cet ennemi possède une puissance économique que l’URSS n’a jamais su atteindre.

    J’ai trouvé <un article> très intéressant sur la place économique de la Chine dans le monde à travers l’Histoire :

    « Au début de l’ère chrétienne, la Chine était, avec l’Inde, l’une des deux plus grandes économies du monde. Elle représentait plus du quart de la richesse mondiale, loin devant toutes les nations occidentales d’aujourd’hui. Mais personne ne le savait en Europe. Les distances étaient énormes, les liens restaient ténus et l’ignorance réciproque était la norme.

    […] Il est difficile de comprendre l’état d’esprit des dirigeants et de la population chinoise sans tenir compte de leur vision de l’histoire. Le « pays du milieu » (traduction littérale de Zhongguo, nom de la Chine en mandarin) sait qu’il est très longtemps resté dominant dans la sphère d’influence qui était la sienne. Les travaux d’Angus Maddison, historien de l’économie, montrent que le poids de la Chine dans l’économie mondiale est resté central depuis l’époque romaine jusqu’au XIXème siècle, avec un sommet en 1820, année où la Chine représente 36 % de l’économie mondiale. Le déclin chinois s’engage alors de façon rapide et continue jusqu’au milieu du XXème siècle, accéléré par les traités inégaux et les guerres imposées par les puissances occidentales et le Japon. En 1950, le PIB chinois ne représente plus que 4,6 % du PIB mondial. […]

    Rapportés à la situation de 1950, le bilan que peut afficher le PCC en 2019 est spectaculaire. La Chine est devenue la deuxième économie mondiale avec un peu plus de 16 % du PIB mondial en 2019, selon les estimations du FMI (19% en parité de pouvoir d’achat). […]

    La population chinoise s’est enrichie et « l’aisance moyenne » voulue par le PCC est déjà une réalité. Selon une étude de McKinsey, les trois quarts de la population urbaine, soit 550 millions de Chinois, auront en 2022 un revenu annuel du foyer supérieur à 10 000 dollars.

    La jeunesse chinoise est désormais éduquée. Alors qu’en 1950, le taux d’illettrisme dépassait 80 %, il est aujourd’hui pratiquement négligeable (moins de 5 %), et les étudiants représentent plus de 50 % de leur classe d’âge. L’espérance de vie a presque doublé : elle ne dépassait pas 43 ans en 1950 et se situe aujourd’hui à 77 ans. […]

    La période 1950-1978 sous le règne de Mao Zedong, est marquée par la construction socialiste du pays avec le partage forcé des terres, la collectivisation de l’agriculture et la création des communes populaires, la nationalisation des entreprises et l’industrialisation du pays. [Cette politique ne fonctionne pas.]

    A la mort de Mao en 1976, les élites sont décimées, l’éducation supérieure est à l’abandon, le pays est exsangue. Le PIB de la Chine ne représente plus que 1,7 % de l’économie mondiale en 1980 (en dollars courants) et la part du pays dans les échanges mondiaux a régressé par rapport à 1950. […]

    Le décollage économique de la Chine à partir de 1980 a été l’œuvre de Deng Xiaoping et de ses successeurs[…] : la croissance économique dépasse 10 % par an pendant 25 ans, la part du commerce extérieur dans le PIB explose (elle passe de 5 % du PIB en 1970 à près de 50 % en 2010), la Chine devient le premier exportateur mondial, les zones économiques spéciales attirent une masse croissante d’investissements étrangers qui font du pays l’usine du monde. Plus récemment, à partir de l’entrée à l’OMC en 2001, la Chine devient en 15 ans le deuxième investisseur de la planète et le deuxième prêteur mondial, en particulier à l’égard des pays en développement. »

    Et pour tous les naïfs qui pensaient que la prospérité économique et une économie de marché dynamique s’accompagnaient forcément par l’émergence d’une démocratie libérale, ils ne peuvent que déchanter.

    J’ai trouvé cette vidéo de cinq minutes qui présente les <Réformes de Deng Xiaoping>.

    <1596>

     

  • Mercredi 21 juillet 2021

    « Il est illusoire de penser qu’en se montrant radical, on fait taire les radicaux. C’est souvent l’inverse qui se produit.»
    Amin Maalouf

    Parmi les évènements majeurs de l’année 1979, Amin Maalouf cite l’évènement qui s’est passé 16 jours après la prise par des étudiants iraniens de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran : l’envahissement de la grande mosquée de La Mecque par un groupe de fondamentalistes sunnites.

    La mosquée al-Harâm ou grande mosquée de la Mecque est  le premier lieu saint de l’islam et la plus grande mosquée du monde. Elle abrite en son centre la Kaaba, le plus important sanctuaire de l’islam, dans lequel est enchâssée la pierre noire : c’est elle que les musulmans tentent de toucher au cours des ṭawāf (circumambulations) qu’ils accomplissent durant leur pèlerinage (hajj) ; et c’est dans la direction de la Kaaba que les musulmans du monde entier (y compris ceux qui se trouvent dans la mosquée al-Harâm) se tournent pour prier.

    Il faut d’abord raconter les faits.

    Mais avant encore, il faut rappeler quelques éléments d’Histoire.

    Je pense que personne n’ignore que l’islam est né sur la péninsule arabique. Sur cette péninsule la croyance islamique a déclaré deux lieux saints Médine et La Mecque.

    Plus que des lieux saints se sont des lieux sacrés dans lesquels seuls des musulmans ont le droit de pénétrer. Pour tout autre, il est sacrilège de fouler la terre de ces deux cités.

    Ces lieux se trouvent dans un État dont le nom intègre la référence à la dynastie régnante. C’est le seul État au monde qui présente cette particularité. Il est étonnant qu’un pays qui prétend être consacré au Dieu monothéiste absolu, comporte une telle expression de l’ego exacerbé de quelques hommes qui se prétendent croyants.

    Pour s’emparer du pouvoir et soumettre les nombreuses tribus de la péninsule Ibn Saoud a fait un pacte avec les religieux fondamentalistes wahhabites : Au roi le pouvoir politique, les affaires étrangères, aux Oulémas les règles sociales, les mœurs et le droit civil et pénal.

    Bref, les oulémas étaient les maîtres du récit qui organise la vie !

    J’avais déjà évoqué ce pacte lors du mot du jour <La Maison des Saoud> qui renvoyait vers un documentaire.

    Et j’ai aussi raconté le conflit et la victoire de la dynastie saoudite qui régnait sur le Nejd avec pour capitale Ryad sur la dynastie hachémite qui régnait sur la La zone côtière, de la mer Rouge qui comprend les villes religieuses de La Mecque et de Médine et s’appelle Hedjaz. Ce fut le mot du jour consacré aux « accords Sykes-Picot»

    Les Oulémas et la dynastie régnante étaient donc liés par ce pacte et vivaient les uns et les autres dans un luxe et un confort, fruit du pétrole que le hasard ou Allah avait opportunément enfoui dans les sous-sols de ce pays.

    Mais de nombreux membres de la famille régnante aimaient voyager et se complaire dans des mœurs occidentales, voire les dépasser. En toute hypothèse, il s’agissait de comportements très éloignés du récit des oulémas.

    Des mouvements sectaires issus de tribus rigoristes s’en indignaient.Et, très probablement, inspirés par la révolution islamique iranienne, vont passer à l’acte.

    L’évènement s’est passé aux premières heures du 20 novembre 1979 alors que quelque 50 000 fidèles du monde entier s’étaient rassemblés pour les prières de l’aube.

    Nous parlons d’une date du calendrier chrétien, mais dans le calendrier de l’islam qui débute par l’hégire, ce jour correspondait au premier jour de l’an 1400, la dernière année du XVème siècle musulman.

    Le nombre d’assaillants n’est pas connu de manière précise :  entre 200 et 600 combattants. Il n’y avait pas que des saoudiens. Le groupe était aussi composé d’Egyptiens, de Yéménites, de Koweïtiens, d’Irakiens et de Soudanais

    A leur tête un prédicateur de 40 ans, Juhayman al-Utaybi.

    Un journaliste du Wall Street journal, Yaroslav Trofimov, a écrit un livre sur cet évènement : « The Siege of Mecca », livre non traduit en français. Mais <cet article> cite plusieurs fois l’auteur.

    « Tout d’abord, le groupe d’Utaybi n’était pas surgi de nulle part: son chef lui-même venait d’une des tribus parmi les plus rigoureusement converties au wahhabisme, qui avaient aidé le roi Abdelaziz ben Abderrahmane Al Saoud, dit Ibn Séoud ou Ibn Saoud (1876-1953) à conquérir le pouvoir, mais s’étaient retrouvées par la suite en opposition avec lui à la fin des années 1920, quand il avait voulu rétablir la paix dans le pays et avec ses voisins, et quand il avait autorisé l’introduction dans son royaume d’innovations modernes telles que le téléphone, le télégraphe, la radio et l’automobile. »

    Juhayman al Utaybi était aussi caporal retraité de la Garde nationale saoudienne

    Ses hommes, dissimulés derrière des tenues de pèlerins avaient placé des cercueils fermés au centre de la cour, un acte traditionnel de recherche de bénédictions pour les personnes récemment décédées. Mais lorsque les cercueils ont été ouverts, il y avait des armes de poing et des fusils, qui ont été rapidement distribués aux assaillants.

    Ils vont donc s’emparer des lieux. Les hommes de Juhayman vont prendre position notamment dans les hauts minarets de la mosquée, qui dominaient la ville, et vont se préparer à défendre leurs positions.

    Juhayman avait fondé une association appelée al-Jamaa al-Salafiya al-Muhtasiba (JSM) qui condamnait ce qu’elle percevait comme la dégénérescence des valeurs sociales et religieuses en Arabie saoudite.

    Très rapidement il va prendre la parole et utiliser les mégaphones de la grande mosquée pour dénoncer la corruption et l’attitude déviante de la dynastie régnante par rapport aux règles du wahhabisme.

    Le journaliste du Monde Jean-Pierre Péroncel-Hugoz écrivait dans <un article du 3 décembre 1979> :

    « L’idéologie des insurgés paraît encore plus radicale que celle de l’imam Khomeiny et fait penser à celle de l’organisation Takfir Oua Higra, mouvement clandestin dont le nom, Repentir et Émigration, résume le programme : les musulmans doivent revenir à l’islam originel au moyen de la violence et pour s’y préparer ils doivent quitter provisoirement le monde corrompu dans lequel ils vivent, comme le prophète Mahomet choisit la fuite (Hégire) et s’en alla de La Mecque à Médine. »

    Et il va faire une autre annonce plus surprenante : « la venue du Mahdi ». Le Mahdi est une figure messianique de l’islam qui vient à la fin des temps établir sur terre une société juste après une confrontation avec les forces du mal.

    C’est surprenant parce que si le Mahdi est bien une croyance de l’islam mais elle est surtout vivace au sein de la communauté chiite, beaucoup moins chez les sunnites.

    Juhayman avait rencontré un prédicateur et l’a convaincu qu’il était le Mahdi. Ce dernier a adhéré à cette croyance et est devenu le beau frère de Juhayman.

    Le nom du Mahdi était Mohammed bin Abdullah al-Qahtani.

    Les dirigeants saoudiens ont réagi avec lenteur à la saisie de la Grande Mosquée. Le prince héritier Fahd bin Abdulaziz al-Saud était en Tunisie lors du sommet de la Ligue arabe et le prince Abdullah, chef de la Garde nationale – une force de sécurité d’élite chargée de protéger les dirigeants royaux – était au Maroc.

    C’est au roi Khaled, malade, et au prince Sultan, ministre de la Défense, qu’il incombait de coordonner une intervention.

    Je ne vais pas rentrer dans les détails mais cela se passe mal pour la garde nationale. Les hommes Juhayman sont très bien armés, très bien organisés et prêts au sacrifice. De leurs positions dominantes ils vont commettre un massacre des gardes nationaux désemparés et mal encadrés.

    En outre, ils ne peuvent utiliser de gros moyens militaires parce qu’ils sont sur des lieux saints et ne peuvent pas bombarder la grande mosquée, en plus le droit d’asile est a priori accordé aux fidèles qui y trouvent refuge.

    Le roi est obligé de faire appel aux Oulémas pour savoir ce qu’il a le droit de faire.

    Or, à la tête de la communauté des oulémas se trouve Ibn Baz.

    <L’article précité> explique que selon Trofimov, à quelques exceptions près (par exemple l’identification de Qahtani avec le Mahdi), l’essentiel du message des insurgés était le même que celui des oulémas les plus influents d’Arabie saoudite : d’ailleurs, bien que Utaybi se soit éloigné de son allégeance aux oulémas du Royaume vers 1977, les jugeant trop soumis au pouvoir, Ibn Baz lui-même intervint en 1978 pour faire libérer les adeptes d’Utaybi arrêtés par les autorités, qui s’étaient émues des activités de ce réseau clandestin hostile aux Saoud. De l’avis de Ibn Baz, des hommes qui voulaient ainsi rendre le pays plus pieux avaient de bonnes intentions, malgré des excès de langage (Trofimov, pp. 41-42).

    Et après plus de 48 heures de délibérations, les oulémas et Ibn Baz vont accorder le droit au Roi de faire usage d’une force sérieuse mais encadrée pour déloger et châtier les personnes qui ont selon eux profanés le lieu saint.

    Mais ils vont y mettre plusieurs conditions et notamment que le royaume et la famille régnante deviennent plus pieux.

    Je cite à nouveau l’article consacré au livre de Trofimov :

    « Dirigé par Ibn Baz, le Conseil suprême des oulémas donna raison au régime saoudien et condamna les insurgés, mais obtenant en échange une série de mesures contre la libéralisation qui s’était amorcée en Arabie saoudite. »

    Cet <article de la BBC> cite Nasser al-Huzaimi qui dit :

    « L’action de Juhayman a arrêté toute modernisation. Laissez-moi vous donner un exemple simple. Il a notamment exigé du gouvernement saoudien le retrait des présentatrices de la télévision. Après l’incident du Haram, aucune présentatrice n’est réapparue à la télévision »

    Et Amin Maalouf explique encore davantage

    Une autre conséquence majeure des évènements de La Mecque fut d’ébranler l’Arabie saoudite et d’amener ses dirigeants à modifier radicalement leurs comportements en matière religieuse. Certains observateurs qui s’intéressent de près à l’histoire du royaume, parlent d’un « traumatisme de 1979 » à partir duquel le régime, craignant d’apparaître comme trop mou dans la défense de la foi, dut redoubler d’effort pour propager le wahhabisme et le salafisme à travers le monde, notamment par la construction de mosquées et par le financement d’associations religieuses, de Dakar à Djakarta ainsi qu’en Occident… »
    Le Naufrage des civilisations Page 238

    A ce stade, il faut rappeler que tous les sanglants actes terroristes qui ont été perpétrés dans les pays occidentaux par des hommes se réclamant de l’islam, tous ces hommes étaient sunnites !

    Concernant la reprise de la mosquée par les forces gouvernementales, malgré le blanc sein des oulémas, les forces de sécurité saoudiennes n’arrivent pas au bout des rebelles.

    Alors les autorités saoudiennes se tournent vers la France.

    Le président Giscard d’Estaing envoie Paul Baril et d’autres membres de la nouvelle unité anti-terroriste, le GIGN.

    L’opération devait rester secrète, pour éviter toute critique de l’intervention occidentale dans le berceau de l’Islam.

    L’implication des français dans l’action directe contre les insurgés est sujet à controverse.

    Alain Bauer le criminologue affirme que les français ont été convertis temporairement et rapidement à l’islam pour pouvoir intervenir. Le monsieur X de France inter dans l’émission  <L’attentat à la Mecque du 20 nov 1979> prétend aussi que le GIGN est intervenu directement.

    En tout cas ce sont des armes sophistiquées et notamment des gaz qui ont été massivement utilisés pour mettre fin à l’occupation.

    Le plan français s’est avéré un succès. Le 5 décembre, les survivants hagards et à bout de force se sont rendus. Le mahdi était mort. Se croyant invulnérable, il ramassait les grenades dégoupillées et les renvoyait vers les forces gouvernementales, jusqu’à ce que l’une d’entre elles explose et le déchiquète mettant fin à son rêve religieux.

    La seule photo certaine de Juhayman a été prise après cet assaut.

    Un mois après la fin de l’occupation de la mosquée, 63 des rebelles ont été exécutés publiquement dans huit villes d’Arabie Saoudite. Juhayman a été le premier à mourir.

    Il reste encore beaucoup de points obscurs au sujet de cet évènement. Qui a armé et permis l’organisation de ce groupe international ?

    Monsieur X avance une hypothèse surprenante : <L’attentat à la Mecque du 20 nov 1979> . Ce serait des iraniens aidés par des américains proches du candidat républicain aux élections Ronald Reagan qui auraient en sous-main tiré les ficelles.

    La France a été récompensée. J’ai noté en 1980 :

    Beaucoup disent que Juhayman a eu une grande influence sur Oussama Ben Laden. L'<article de la BBC> écrit :

    « Dans l’un de ses pamphlets contre la famille régnante saoudienne, [Ben Laden] disait qu’ils avaient  » profané le Haram, alors que cette crise aurait pu être résolue pacifiquement […] je me souviens encore aujourd’hui des traces de leurs empreintes sur le sol du Haram.»

    Amin Maalouf exprime cette même idée :

    « L’incroyable assaut contre ce lieu saint fut l’acte de naissance d’un militantisme sunnite radical dont on allait entendre parler pendant des décennies. Pour l’heure, certains admirateurs de l’audacieux commando, meurtris par sa défaite s’en furent poursuivre leur combat loin de la péninsule arabique. En Afghanistan, par exemple. Et les autorités saoudiennes, soucieuses de s’en débarrasser, encouragèrent cette diversion. Ce fut notamment le cas d’Oussama Ben Laden ; il s’employa désormais à construire […] Al Qaïda (« La Base » »
    Le Naufrage des civilisations Page 237

    Je laisserai la conclusion à Amin Maalouf et j’en tire l’exergue du mot du jour

    « Sans Doute le royaume espérait-il acquérir de la sorte un « certificat » de piété, qui le préserverait des surenchères. Mais ce n’est pas ainsi que les choses se sont passées. Il est illusoire de penser qu’en se montrant radical, on fait taire les radicaux. C’est souvent l’inverse qui se produit. […] L’enseignement qu’il prodigue ne fait que légitimer une certaine vision du monde que d’autres se hâtent de retourner contre lui. […] Le traumatisme causé par les évènements sanglants de 1979 allait se révéler durable.»
    Le Naufrage des civilisations Page 238

    <1595>

  • Mardi 20 juillet 2021

    « Pause (La prise de la grande mosquée de la Mecque) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Quelquefois, il faut plus de temps et d’énergie que prévu pour l’écriture du mot du jour..

    Le prochain sera consacré à l’attaque par un groupe de sunnites intégristes de la grande Mosquée de la Mecque.

    Si vous souhaitez anticiper vous pouvez écouter deux émissions de France Inter sur ce sujet :

    Émission de 2018 < Affaires sensibles – Mic-Mac à la Mecque > par Fabrice Drouelle.

    Et plus étrange plus secret <L’attentat à la Mecque du 20 nov 1979> qui fut un des épisodes de cette émission incroyable, désormais supprimé : «Rendez-vous avec Mr X du 18 juin 2015 »

    <Mot du jour sans numéro>

  • Lundi 19 juillet 2021

    « 444 jours ! »
    Durée de la prise d’otage des diplomates américains dans l’ambassade de Téhéran qui a débuté le 4 novembre 1979.

    Nous avons vu qu’en quelques semaines la révolution islamique s’est imposée, au tout début de l’année 1979. Avec des alliés notamment libéraux ou nationaliste Khomeini allait d’abord chasser le Shah qui en outre était très affaibli par un cancer qui allait l’emporter le 27 juillet 1980. Puis, Khomeini allait se débarrasser méthodiquement de tous ses alliés pour laisser au pouvoir la seule clique de religieux régressifs et violents qui suivaient aveuglément l’islam que le vieux ayatollah prêchait.

    La révolution islamique allait provoquer cette même année 1979 un autre évènement inouï qui marquera l’Histoire et allait avoir des conséquences jusqu’à nos jours.

    Le 4 novembre 1979, un dimanche, des centaines d’étudiants iraniens envahissent l’ambassade américaine où ils se saisissent de 52 otages et entament une « occupation révolutionnaire » des locaux.

    La raison qui pousse ces étudiants est l’extradition du Shah qui se trouve aux Etats-Unis pour soigner son cancer. Ils obtiendront que le Shah quitte les États-Unis. Seul l’Egypte de Sadate acceptera de l’accueillir et c’est dans le pays des pyramides qu’il mourra.

    Cette prise d’otage sur le sol de l’ambassade américaine, donc sol américain était d’une part une violation flagrante du droit international et des conventions diplomatiques d’autre part était d’une provocation inouïe à l’égard des États-Unis d’Amérique

    L’excellent site d’Histoire <Herodote.Net> raconte cette prise d’otage :

    « Quelques mois après le renversement du régime monarchique et la fuite du chah Mohammad Reza Pahlavi aux États-Unis le 16 janvier 1979, l’ayatollah Khomeini proclame l’avènement de la République islamique d’Iran. Fervent détracteur des États-Unis, il exhorte son peuple à manifester contre ce pays qu’il surnomme le « Grand Satan ». L’anti-américanisme imprègne tous ses discours. Le 2 novembre 1979, il déclare que les États-Unis sont un « ennemi de l’islam ».

    Dimanche 4 novembre 1979, le temps est maussade sur la capitale iranienne. Près de 400 jeunes étudiants islamistes se réunissent vers 10h. Ils marchent vers l’ambassade américaine tout en réclamant l’extradition du chah, qu’ils veulent condamner à mort.

    Les marines qui protègent l’ambassade ne font pas le poids face à la foule qui, après deux heures de siège, parvient à franchir le mur d’enceinte du bâtiment. Le drapeau américain est remplacé par l’étendard de l’islam.

    Certains diplomates parviennent à s’enfuir, mais 52 Américains restent pris au piège. Le président américain Jimmy Carter ne réagit qu’en imposant des sanctions économiques à l’Iran. Rien ne se passe. Cinq mois plus tard, le 24 avril 1980, il lance l’opération Eagle Claw en vue de délivrer ses ressortissants par la force.

    C’est un fiasco total. Parmi les hélicoptères engagés, plusieurs tombent en panne dans le désert. Huit militaires trouvent la mort dans une évacuation précipitée. Humiliés et mortifiés, les gouvernants américains ne vont dès lors avoir de cesse de combattre la République islamique, jusqu’à encourager le dictateur irakien Saddam Hussein à attaquer l’Iran en septembre 1980.

    Par une ultime provocation, les otages seront en définitive libérés par la voie diplomatique le 20 janvier 1981, le jour même de l’accession à la présidence des États-Unis de Ronald Reagan.

    Hormis les militaires tués dans l’opération commando, la prise d’otages n’aura fait aucune victime américaine. Cette humiliation va néanmoins entretenir jusqu’à nos jours, un vif désir de revanche dans l’opinion publique américaine. Grâce à quoi le gouvernement de Washington pourra multiplier les gestes hostiles à l’égard de Téhéran, en parfaite collusion avec l’Arabie saoudite… »

    Khomeini ne condamnera jamais cette prise d’otage et laissera faire.

    Pour une description plus détaillée on pourra lire cet article : <Crise des otages américains en Iran (4 novembre 1979-20 janvier 1981)>

    La première conséquence de cette occupation de l’ambassade américaine, est que les islamistes au pouvoir ont pu s’emparer de documents secrets américains concernant leur politique en Iran et aussi révélant des noms d’iraniens qui étaient proches ou collaboraient avec les américains.

    La seconde conséquence fut l’humiliation que ressentirent les américains. Ils feront payer cette humiliation au Président Carter et ils éliront Ronald Reagan qui a jouera un rôle très ambigu sur la libération des otages

    Amin Maalouf écrit :

    « L’occupation se poursuivit pendant près de quinze mois et elle influença de manière significative la campagne présidentielle qui se déroulait alors aux États-Unis. Humiliés par les images de leurs diplomates menottés et les yeux bandés, les Américains en ont voulu au président Carter de n’avoir pas su riposter, surtout lorsqu’une tentative de libérer les otages par une opération commando avorta de manière lamentable. Le candidat républicain Reagan eut beau jeu de dénoncer la faiblesse et l’incompétence de l’administration démocrate.

    Le drame de l’ambassade contribua indiscutablement à la défaite écrasante que subit le président sortant. A tel point qu’il y eut des allégations persistantes selon lesquelles des envoyés de Reagan auraient eu des pourparlers à Paris avec des représentants iraniens, pour leur demander de retarder le règlement du conflit jusqu’après l’élection. Les historiens débattront longtemps encore pour déterminer ce qui s’est réellement passé. Cependant, les autorités iraniennes, comme si elles voulaient ajouter foi à ces allégations, choisirent d’annoncer la libération des otages le jour même où Reagan pris ses fonctions très exactement le 20 janvier 1981, pendant que se tenait à Washington la cérémonie d’inaugurations. »
    Le Naufrage des civilisations page 240

    Officiellement la contrepartie de cette libération fut la restitution par les États-Unis de 8 milliards de dollars des avoirs du shah qui étaient en sol américain

    Mais <Wikipedia> rappelle aussi que l’Administration Reagan vendra illégalement des armes à l’Iran. Amin Maalouf le rappelle aussi

    « La nouvelle administration ne se montra d’ailleurs pas vraiment hostile envers la République islamique. Un énorme scandale éclata même, durant le second mandat de Reagan, lorsque le Congrès découvrit que la Maison Blanche finançait – illégalement – la guérilla antisandiniste du Nicaragua avec de l’argent obtenus en vendant – illégalement – des armes aux pasdarans, les gardiens de la révolution iranienne. »
    Le Naufrage des civilisations page 240

    Cette prise d’otage dura 444 jours.

    Elle eut des conséquences géopolitiques majeures. Désormais l’Iran islamique devenait un ennemi absolu des américains qui ne pardonneront jamais ces 444 jours. La difficile négociation sur le nucléaire iranien s’explique aussi par ce traumatisme.

    L’Iran devenant cet ennemi, les liens des États-Unis avec l’Arabie Saoudite allait encore se renforcer. Et même les attentats du 11 septembre 2001 perpétrés par des saoudiens n’allait pas changer cette situation : l’ennemi principal reste l’Iran.

    Mais la première conséquence qui en aura beaucoup d’autres, fut la guerre Irako-iranienne qui débuta le 22 septembre 1980. En effet, les américains incitèrent Saddam Hussein qui en avait très envie, à attaquer l’Iran. Cette guerre n’eut pas de vainqueur mais fit autour d’un million de morts. L’Irak et l’Iran en sortirent exsangues et avec d’énormes dettes. Saddam Hussein pensant que les occidentaux lui étant désormais redevables entrepris un certain nombre d’actions violentes, dont la plus extravagante fut d’envahir le Koweit. Les américains n’acceptèrent pas cet acte et déclenchèrent la première guerre du golfe. Par la suite le fils du Président de la première guerre du golfe qui était devenu président à son tour déclencha la seconde guerre pour détruire le régime de Saddam Hussein. Cela déclencha le chaos dans cette région et l’apparition de DAESH. Depuis DAESH est partiellement vaincu mais le chaos de la région continue.

    Le fait de profaner une ambassade fut aussi un traumatisme majeur créant un précédant inquiétant.

    Et puis, elle provoqua la victoire électorale de Ronald Reagan sans laquelle la révolution conservatrice initiée par Margaret Thatcher n’aurait pas pu se déployer à l’échelle planétaire.

    <1594>

  • Vendredi 16 juillet 2021

    « Vous ne pouvez pas comprendre »
    Des iraniens à Marc Kravetz qui essyait de décrire ce qui se passait lors de la révolution islamique à Téhéran.

    Nous n’avons pas compris.

    Je n’ai pas compris. J’avais 20 ans début 1979, quand tout cela s’est passé en quelques mois, quelques semaines.

    Idéaliste, fortement influencé par les journaux français et les intellectuels de gauche, dans mon esprit le Shah D’Iran était un dictateur sanguinaire. Et, le paisible et vieux religieux qui recevait ses hôtes, assis en tailleur sous un pommier, à Neauphle le Château, allait probablement utiliser son autorité pour organiser une transition paisible, après que le peuple iranien ait chassé son empereur. Il allait permettre l’apparition d’une démocratie et de la liberté en Iran et mettre fin aux exactions de la sinistre Savak, la police politique du Shah.

    Mohammad Reza Pahlavi portait, en outre, cette tare d’être entièrement entre les mains des américains depuis que la CIA avait chassé lors d’un coup d’état le premier ministre Mohammad Mossadegh qui voulait donner à l’Iran un destin autonome.

    Mais cet homme, presque souriant sous le pommier, était en réalité un vieillard austère, retors, cruel, archaïque, misogyne, antisémite et ennemi farouche de l’occident et de la liberté.

    Je me souviendrai toujours de cet appel d’une jeune étudiante iranienne lors de l’émission « Ligne ouverte » qu’animait Gonzague Saint Bris, de minuit à 1 heure du matin sur Europe 1 et que j’écoutais tous les jours avant de m’endormir dans ma petite chambre d’étudiant du Lycée Kléber de Strasbourg, dans lequel j’étais élève de mathématiques supérieures en 1979. C’était ma porte ouverte sur le monde dans le milieu fermé et aliénant des classes préparatoires scientifiques.

    Cette jeune fille s’en prenait aux bien-pensants de gauche et disait :

    « Vous êtes dans l’erreur absolue. Vous croyez naïvement que Khomeiny et les religieux sont révoltés pour les mêmes raisons que vous autres occidentaux : la dictature, l’emprisonnement des opposants, la torture, le manque de liberté. Ce n’est pas du tout cela. S’ils arrivent au pouvoir, ils feront pire et les femmes seront bien davantage opprimées que sous le Shah. Ce que ces religieux reprochent au Shah : C’est l’occidentalisation de la société iranienne, la libération des mœurs et le rôle accru que le Shah a permis aux femmes. » .

    Je cite de mémoire, mais c’est bien le fond de ce que disait cette jeune femme alors que cet ignoble personnage vivait encore en France près de ce pommier.

    Ce documentaire réalisé en 2019 par Holger Preuβe pour la chaîne de télévision Arte : <Le Shah et l’Ayatollah – Le duel iranien> montre que l’antagonisme remonte loin.

    Il était déjà présent entre les pères de ces deux protagonistes. Le père du shah Reza Chah Pahlavi qui avait pris le pouvoir par un coup d’état militaire et créa la dynastie des Pahlavi qui ne comptera que deux souverains, s’opposait violemment aux religieux. Il était probablement athée.

    Le père de Khomeiny, Mostafa Moussavi, était aussi ayatollah et a été assassiné alors que son fils n’avait que 6 mois. Toute sa vie, Il a pensé que c’est Reza Chah qui avait commandité ou laissé faire cet assassinat. Bref, il le tenait pour responsable de sa mort. Alors que Wikipedia rapporte :

    « Mostafa Moussavi, un notable local, est assassiné par les hommes de main d’un grand féodal en mars 1903 »

    Et justement, le fils Mohammad Reza Chah Pahlavi qui lui semble croyant, entend s’attaquer à la féodalité qui règne en Iran. Il l’appelle « La révolution blanche ». Elle consiste à distribuer et donner des droits de propriétés à des paysans pauvres issus des terres des féodaux qui en sont dessaisis. Il se trouve que beaucoup de ces propriétaires étaient des religieux.

    Cette réforme agraire allait être accompagnée de réformes sociétales donnant un rôle accru aux femmes notamment par la modification de la loi électorale : Les femmes reçurent le droit de vote mais aussi celui d’éligibilité. Une loi qui fit beaucoup changer la représentation sexuelle du Parlement : il y avait en 1976 plus de députés femme en Iran qu’en Europe occidental

    Et ce sont bien ces réformes que Khomeiny et les religieux rejetaient.

    Le 3 juin 1963, lors d’un discours intitulé « Contre le tyran de notre temps » à l’école coranique Feyzieh, il attaque directement le Shah et révèle son antisémitisme :

    « Ce gouvernement est dirigé contre l’islam. Israël veut que les lois du Coran ne s’appliquent plus en Iran. Israël est contre le clergé éclairé… Israël utilise ses agents dans le pays pour éliminer la résistance anti-israélienne… »

    Plus loin dans son discours, il parle du Shah comme d’un « pauvre type misérable »

    Ce discours conduira à son arrestation puis à son expulsion. Il se réfugia en Irak puis lors des évènements de fin 1978, il fut aussi expulsé d’Irak. Il trouva alors refuge en France qui ne demandait pas de visa pour les iraniens.

    Ce documentaire sur France 3 : <Reportage sur la révolution Islamique en Iran> explique son arrivée en France. Le gouvernement français était dans une grande confusion à son égard. Au départ, il ignorait son importance et s’est trouvé rapidement débordé par la foule d’iraniens qui venaient à sa rencontre à Neauphle le Château, près du pommier, pour l’acclamer.

    Pendant son séjour en France, il laissait beaucoup parler et agir 3 hommes qu’on présentait proches de lui et qui avait la mission d’exprimer sa pensée aux médias occidentaux.

    • Bani Sadr ;
    • Sadegh Ghotbzadeh ;
    • Ebrahim Yazdi

    Ces trois hommes l’avaient d’ailleurs précédé et accueilli en France.

    Il y avait d’abord Bani Sadr qui l’emmena dans son appartement de Cachan à la sortie de l’aéroport de Roissy. Il y passa les premiers jours, avant que son entourage ne trouve la propriété de Neauphle le château. Il fut le premier président de la république islamique. Cela ne dura pas 18 mois, il fut destitué par les milices islamiques. Il n’était pas suffisamment archaique probablement. Il vit à Versailles, sous protection policière française. La république islamique a l’habitude d’assassiner ceux qui pourraient être un recours. Le dernier premier ministre nommé par le Shah, un homme honorable, opposant de toujours au Shah, torturé par la Savak : Chapour Bakhtiar fut assassiné à Suresnes, lors de son exil.

    Sadegh Ghotbzadeh, fut nommé ministre des affaires étrangères. Lui fut, dès 1982, fusillé pour  » complot  » Broyé par la  » justice  » islamique

    Et le dernier, Ebrahim Yazdi, eut un destin un peu plus paisible. Il fut aussi ministre iranien des Affaires étrangères après la victoire de la révolution islamique de 1979. Mais rapidement il quitta le pouvoir et devint une figure de l’opposition libérale. Il avait été arrêté à plusieurs reprises après la réélection contestée de l’ex-président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad en 2009.

    Bani Sadr rapporte :

    « Quand nous étions en France avec Khomeini, tout ce que nous disions, il l’acceptait sans hésiter, le visage ouvert et riant. […] Quand il était en France, l’ayatollah Khomeini était du côté de la liberté. […]
    Quelques mois après notre retour, les durs du régime s’en sont pris aux femmes qui ne portaient pas le foulard. Je suis allé voir M. Khomeini à Qom et je lui ai dit : « Vous aviez dit que les femmes seraient libres de porter ou pas le voile », Il m’a répondu : « Par convenance, j’ai dit des choses en France, mais tout ce que j’ai dit en France ne m’engage pas. Si je le juge nécessaire, je dirai le contraire » […] Pour moi c’était très, très amer »

    Le vieillard hypocrite avait besoin de ces 3 hommes, largement influencés par les valeurs occidentales, pour parler aux médias du monde et passer comme celui qui établira une démocratie en Iran. Des intellectuels français aveugles et sourds comme Sartre ou Foucault seront abusés par cette illusion. Lire aussi cet article intéressant de Geo : <Pourquoi l’Occident a joué avec le feu>

    Marc Kravetz, journaliste à Libération a suivi la révolution en Iran. Un documentaire a été réalisé sur son expérience : <L’Iran, récit d’une révolution – documentaire de la série « Les grandes erreurs de l’histoire » (1999)>

    Marc Kravetz raconte : On arrête les généraux et les principaux chefs de la SAVAK. Les « représentants occidentalisés » du mouvement vont expliquer qu’il va y avoir un grand procès international du type « Procès de Nuremberg de l’Iran» pour juger ces gens. Mais Khomeiny intervient et dit à peu près selon Marc Kravetz :

    « Qu’est-ce que c’est que ces histoires ? Ces gens sont coupables parce qu’ils sont coupables. Ils vont être jugés selon la justice islamique qui n’est pas là pour déterminer si un coupable est coupable mais comment châtier les coupables. »

    Les simulacres de procès dureront de 5 à 10 minutes et tous seront exécutés dans les minutes suivantes.

    A partir de 39:55 :

    « Ce n’était pas des procès. Ce n’était pas non plus de la vengeance. La révolution s’installait avec ses hommes et ses codes. Elle ne nous parlait plus. Elle n’avait plus besoin de nous. L’exclusion se passait sur un mode élémentaire : « Vous ne pouvez pas comprendre » Cela a commencé comme cela. Tu ne comprends rien à notre pays. Décidément, les journalistes sont tous les mêmes même quand on croit qu’ils sont des amis. Tu ne comprends pas ce que c’est que la colère de Dieu. Nous ne pouvions pas comprendre ce qu’était la réalité de l’Islam. Et la réalité de l’Islam était ce que Khomeiny disait être l’Islam. »

    Et la colère de Dieu va s’abattre sur l’Université de Téhéran. Dans laquelle il y avait une effervescence intellectuelle, de nombreux mouvements qui débattaient et voulaient rêver à l’Iran du futur. C’était un peu la Sorbonne de mai 68. On allait voir débarquer tous les jours des camionnettes déversant des mollahs avec des mégaphones qui par leur puissance sonore couvraient les voix des étudiants qui débattaient. Chaque jour venait des mollahs de plus en plus nombreux avec des mégaphones de plus en plus puissants qui ânonnaient un seul message :

    « Le seul guide qui dit la vérité est l’ayatollah Khomeyni, le seul parti est le parti islamique »

    Marc Kravetz analyse

    On a vu peu à peu la mollarchie prendre le pouvoir. Ce n’était pas encore la terreur qui allait suivre, mais on sentait plus que de l’inquiétude.

    Amin Maalouf considère que cette révolution conservatrice islamique chiite va avoir une importance considérable en géostratégie et aussi dans les fractures qui vont s’élargir dans le monde musulman entre chiite et sunnite, à l’intérieur des sunnites et entre les musulmans et l’occident.

    « L’un des premiers changements remarquables sur le plan international fut le renversement de la politique iranienne sur le conflit du Proche-Orient. Le Shah avait tissé des relations amicales avec Israël, qu’il fournissait en pétrole alors que les producteurs arabes refusaient de le faire. Khomeiny mit immédiatement fin à cette pratique, rompit ses relations diplomatiques avec l’État Hébreu »
    Le naufrage des civilisations Page 231

    Aujourd’hui, Israël considère l’Iran comme son principal et plus dangereux ennemi. L’Etat hébreu est même parvenu à se rapprocher des pays arabes sunnites et même de l’Arabie saoudite en raison de leur ennemi commun : L’Iran chiite.

    Et l’Iran va intervenir dans les pays arabes via des mouvements qu’il soutient : le Hezbollah au Liban, le Hamas et le Jihad islamique à Gaza ou les houthistes du Yémen. Amin Maalouf ajoute :

    « Mais cette montée en puissance s’est accompagnée tout au long d’une déchainement de haine entre les sunnites, majoritaires dans la plupart des pays arabes et les chiites très majoritaires en Iran. Le conflit était latent depuis des siècles, et il aurait pu le rester. J’ai déjà eu l’occasion de dire que dans le Beyrouth de ma jeunesse, il n’était pas vraiment à l’ordre du jour. »
    Le naufrage des civilisations Page 231

    Cette révolution fut avant tout anti-occidentale et manifestait l’expression du rejet de toutes nos valeurs, même les plus nobles.

    Lors de la révolution blanche, beaucoup de paysans pauvres démunis ont fuit la révolution agraire pour s’entasser dans des bidonvilles des grandes villes. C’est dans ces endroits de misère que les mollahs ont enseigné, fait passer leurs discours. Les foules fanatiques étaient en formation.

    Les religieux intégristes ne sont pas dangereux parce que sporadiquement, ils font quelques attentats sanglants.

    Ils sont terriblement dangereux, parce qu’ils enseignent les enfants et des adultes, incapables de déployer un esprit critique, et que dans la durée, inlassablement, ils remplissent le cerveau malléable de gens opprimés de messages simplistes, violents et régressifs.

    <1593>

  • Jeudi 15 juillet 2021

    « Pause (La révolution iranienne) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    L’idée féconde qui considère qu’il serait judicieux que le lendemain d’un jour férié fût férié, a beaucoup de mal à se concrétiser.

    Mais l’écriture du mot du jour est libre et peut par conséquent appliquer les idées fécondes.

    Ce lendemain de fête nationale peut donc être un moment de repos.

    Demain je devrai parler de la révolution iranienne.

    Si vous souhaitez anticiper vous pouvez visionner ces deux documentaires qui me semblent très intéressants pour comprendre comment le régime du Shah s’est écroulé et a été remplacé par la république islamique de Khomeiny.

    <Le Shah et l’Ayatollah – Le duel iranien> Documentaire réalisé en 2019 par Holger Preuβe pour la chaîne de télévision Arte.

    Documentaire sur France 3 : <Reportage sur la révolution Islamique en Iran>

    <Mot du jour sans numéro>

  • Mardi 13 juillet 2021

    « L’égoïsme rationnel »
    Ayn Rand

    A la lecture du mot du jour d’hier, Annie m’a dit qu’elle était restée un peu sur sa faim.

    Je ne vais pas créer une série sur Ayn Rand au milieu de la série sur l’année 1979, l’année du grand renversement.

    Mais je vais quand même tenter de donner quelques éléments de plus sur cette femme énigmatique, fascinante et qui a fait des disciples.

    Je me souviens d’avoir entendu une interview de Ronald Reagan qui disait :

    « On a, sans cesse, augmenté les aides sociales et pourtant il y a de plus en plus de pauvres. Cela ne marche pas »

    Dans cette phrase, il s’inspire d’Ayn Rand. D’ailleurs, il va immédiatement couper dans les budgets sociaux.

    A mon sens, cela ne marche pas mieux, il y a toujours plus de pauvres aux États-Unis.

    Peut être ses objectifs étaient-il autres : d’une part diminuer la pauvreté en Chine et d’autre part augmenter le nombre et la richesse des milliardaires américains. Dans ce cas, on peut dire qu’il a réussi.

    Pour revenir à Ayn Rand, j’ai trouvé cet interview d’une demi-heure, sous-titrée en français : <Interview de 1959>

    Vous admirerez son esprit brillant, sa capacité de répondre à toutes les questions en revenant toujours sur les fondements de sa philosophie objectiviste. Vous serez peut-être aussi pétrifié par la froideur du raisonnement et des arguments.

    Jean Lebrun lui a consacré une émission de ¾ d’heures, le samedi 24 octobre 2020.

    J’ai trouvé le titre de son émission très pertinent : <Ayn Rand : Je sans les autres ?>

    Le journal « Les Echos », lors de la sortie de son livre « La grève » en livre de poche en 2017, lui a consacré un article < Ayn Rand : La libérale capitale>

    On y lit cette description :

    « Ayn Rand exalte l’égoïsme. Mais pas n’importe lequel, «l’égoïsme rationnel». Selon elle, l’homme ne doit vivre que par et pour lui-même. Il doit poursuivre son intérêt et chercher son propre bonheur. Sans sacrifier sa vie aux autres, sans apparaître non plus comme un prédateur. « L’individualiste est celui qui reconnaît le caractère inaliénable des droits de l’homme – les siens comme ceux des autres. L’individualiste est celui qui affirme: «Je ne contrôlerai la vie de personne – et je ne laisserai personne contrôler la mienne»», écrit-elle. Une éthique de l’estime de soi, d’où découlent toutes les vertus: la rationalité, l’indépendance, l’intégrité, la fierté… Contre les apôtres de l’altruisme, la philosophe veut convaincre des bienfaits de la libre entreprise. Ses romans magnifient les entrepreneurs et les créateurs de richesse, qui osent aller, seuls contre tous, à l’assaut de tous les obstacles imaginables. Le capitalisme de laisser-faire y est naturellement le système idéal. «Ayn Rand promeut l’exacte antithèse du modèle social-étatique à la française, »

    Dans l’entretien vers lequel je renvoie ci-avant, elle évoque aussi plusieurs fois « la vertu » au sens classique qui doit présider la rationalité.

    Le magazine qui essaie de décrypter le futur « Usbeketrica » a commis un article en 2019 : <Ayn Rand, la Che Guevara du capitalisme> qui la présente ainsi :

    « Vous couperiez dans la Bible ? » C’est en ces termes qu’en 1956 Ayn Rand répond sèchement à son éditeur Random House, qui l’invite à apporter des modifications à son roman fleuve La Grève, une somme de plus de 1 200 pages. En une phrase, le personnage est posé. On ne plaisante pas avec Ayn Rand. On ne met pas en doute la parole de la grande prêtresse du capitalisme et de la raison. La Grève, c’est le grand œuvre d’Ayn Rand, le livre qui assoit définitivement son aura et sa réputation. Celui, aussi, qui va marquer durablement l’histoire des idées en Amérique […] Ayn Rand a tout de même vendu plus de 30 millions d’exemplaires de ses ouvrages dans le monde, exerçant une influence colossale sur des générations de penseurs, politiques et chefs d’entreprise. « Jusqu’à Ayn Rand, le capitalisme n’avait paradoxalement jamais su se vendre, en tout cas pas de manière aussi sexy, écrit Stéphane Legrand, auteur de Ayn Rand, femme capital (Éditions Nova, 2017). Il lui manquait un conteur, mieux : un aède (poète épique au temps de la Grèce antique, ndlr), quelqu’un qui ait du souffle, une vision (…). Ayn Rand a inventé le capitalisme des mythes. »

    Stéphane Legrand qui avait écrit, sur le site de « Slate », en 2017, un article : «Ayn Rand, la romancière qui fascine les Américains mais que la France ignore »

    Il écrit :

    « Cette auteure, qu’on a pu décrire d’une formule saisissante et synthétique comme «the ultimate gateway drug to life on the right» (l’ultime drogue de passage vers une vie de droite), n’a pas seulement suscité frissons romantiques et enthousiasmes acnéiques chez les étudiants marginaux avides de s’identifier à des surhommes solitaires, ou parmi les housewives des salons de lecture amatrices de chardonnay. Sa philosophie (car elle se voulait aussi philosophe, un peu comme Sartre se voulait écrivain) a exercé et continue à exercer une influence considérable sur tous les courants de la droite américaine la plus musclée – du courant libertarien à l’anarcho-capitalisme en passant par les ultra- conservateurs du Tea Party – mais aussi auprès de nombreuses personnalités de premier plan du mouvement républicain. Elle fut le mentor du jeune Alan Greenspan, on a pu la considérer comme «la philosophe officielle de l’administration Reagan », […]

    L’œuvre d’Ayn Rand demeure pour la pensée conservatrice, surtout aux États-Unis, une inspiration aussi puissante que paradoxale. Elle la met à certains égards face à ses contradictions – notamment pour ce qui touche à l’attachement profond de cette droite aux valeurs qu’elle considère curieusement comme chrétiennes, que l’athéisme militant de Rand embarrasse. Mais elle a aussi contribué à donner forme, qu’on y voie une tension féconde ou un habile tour de passe-passe, à certains de ses dilemmes constitutifs. Comment obtenir l’approbation des foules au moyen d’une idéologie opposant l’individu solitaire et génial aux masses apeurées et abruties ? Comment concilier un désir névrotique de contrôle sur les désirs, la pensée et le corps des populations (leurs options sexuelles ou leur droit à avorter par exemple) avec une philosophie de la responsabilité personnelle, de l’autonomie individuelle et du moindre gouvernement ? Comment susciter l’enthousiasme quasi hypnotique des couches les plus précarisées pour un projet social dont la finalité est de les broyer ? Par quelle mystification métamorphoser le maintien du statu quo ou l’imposition de dynamiques rétrogrades en paradigme de l’innovation audacieuse et en monopole des « vrais projets d’avenir», cependant que toute tentation progressiste se verra requalifiée en nostalgie passéiste ou engraissage du Mammouth ? […] Ayn Rand, sa pensée et son influence persistante représentent un engrenage essentiel dans la genèse de cet hybride moderne qu’est la pensée néoréactionnaire, mélange improbable de conservatisme exacerbé et d’ultralibéralisme. »

    Je finirai par un article un peu décalé sur le site de la « Revue Politique et Parlementaire » qui essaie de s’interroger sur ce que Ayn Rand aurait pensé de la gestion de la COVID 19 par les gouvernements :

    « Ayn Rand et la Covid-19 : peut-on agir dans l’urgence de manière « non sacrificielle » ? »

    Il est certain que cette femme, cette intellectuelle ne peut pas laisser indifférente.Il faut comprendre aussi que si elle a eu une telle influence aux États-Unis, c’est que sa philosophie correspond à l’esprit d’un grand nombre d’américains qui est assez loin de nos schémas français d’un État fort, centralisateur, social et redistributeur.

    <1592>

  • Lundi 12 juillet 2021

    « Atlas Shruggeds »
    Ayn Rand

    Margaret Thatcher puis Ronald Reagan vont être les fers de lance de la révolution néo libérale ou conservatrice.

    Mais quels sont les penseurs de cette révolution ?

    J’ai toujours lu le rôle essentiel qu’a joué l‘école de Chicago et Milton Friedman.

    Mais Amin Maalouf évoque une autre figure, une femme écrivaine : Ayn Rand :

    « Un des livres emblématiques de cette révolution est le roman intitulé « Atlas Shrugged » […]
    Il raconte une grève organisée non par des ouvriers, mais par des entrepreneurs et « des esprits créatifs » qu’exaspèrent les règlementations abusives. Son titre évoque la figure mythologique d’Atlas qui, las de porter la Terre entière sur son dos, finit par secouer vigoureusement les épaules – c’est ce mouvement d’exaspération et de révolte qu’exprime ici le verbe to shrug, dont le prétérit est shrugged.

    Cette fiction à thèse, publiée en 1957 et dont beaucoup de conservateurs américains, partisans d’un « libertarisme » résolument anti-étatiste, avaient fait leur bible, a été rattrapée par la réalité. Le soulèvement des possédants contre les empiètements de l’État redistributeur des richesses ne s’est pas produit d la manière dont la romancière l’avait décrit, mais il a bien eu lieu. Et il a été couronné de succès. Ce qui a eu pour effet d’accentuer fortement les inégalités sociales, au point de créer une petite caste d’hypermilliardaires, chacun d’eux plus riche que des nations entières.
    Le naufrage des civilisations page 173

    J’avais déjà cité ce livre et Ayn Rand dans un mot du jour de 2018 consacré à « La convergence des luttes ».

    J’y rapportais que selon une étude de la bibliothèque du Congrès américain et du Book of the month club menée dans les années 1990, ce livre est aux États-Unis le livre le plus influant sur les sondés, après la Bible. C’était le livre de chevet de Ronald Reagan et de ses principaux conseillers.

    Aujourd’hui, beaucoup des responsables de la silicon valley continuent à considérer que c’est le livre le plus inspirant pour eux.

    J’ai donc souhaité approfondir ma connaissance de cette femme influente.

    J’ai ainsi écouté les cinq émissions que Xavier de la Porte lui avait consacré en 2017 : <Avoir raison avec Ayn Rand>.

    Et ce sont 5 émissions très instructives et qui méritent qu’on s’y arrête.

    Dans la quatrième <L’héritage littéraire> Xavier de la Porte avait invité un écrivain Antoine Bello qui la présente ainsi :

    « En 2007, Le Wall Strett journal a publié un dossier pour [commémorer] les 50 ans de la publication d’« Atlas Shrugged ». et il parlait de ce livre avec énormément d’éloge. […] et surtout comme d’un livre les plus influents du XXème siècle, d’un texte majeur, parmi les plus appréciés des parlementaires et des chefs d’entreprise. Alors je me suis dit comment ai-je pu vivre aussi longtemps, moi qui prétends connaître et m’intéresser à la littérature américaine, sans jamais avoir entendu parler de ce livre ? Je suis donc allé l’acheter. […] et je l’ai dévoré. C’est un très gros livre, il fait près de 1200 pages. J’ai été happé avant tout par la puissance du roman. C’est-à-dire que les idées viennent presque dans un deuxième temps. On comprend assez vite qu’il y a un système philosophique derrière tout cela, que Ayn Rand ne laisse rien au hasard. Les personnages sont les porte-paroles d’une philosophie. […] C’est la puissance romanesque, la richesse et la singularité des personnages qui m’a d’abord conquis. Parler d’un univers, le monde de l’entreprise qui n’a jamais été aussi bien décrit que par une femme qui n’a jamais travaillé en entreprise. C’est quand même assez fascinant quand on y pense […] Une compréhension intime des mécanismes de l’entreprise. […] un sens des situations qui me fascine. »

    Je vais tenter de synthétiser ces cinq épisodes.

    Elle a mis plus de 10 ans pour écrire « Atlas Shrugged  ». Ce roman a été publié aux Etats-Unis en 1957, mais n’a été traduit en français que 50 ans plus tard sous le nom de « La grève » publié en 2011. Quasi aucun journal français n’en a parlé, il semble que l’Obs a consacré quelques lignes.

    Ce fut donc, pendant longtemps, un livre absolument ignoré en France, alors qu’il a eu une si grande importance aux États-Unis et dans le monde anglo-saxon.

    Ayn Rand est souvent considéré comme une grande figure du « mouvement libertarien ». Mais elle se définissait comme une « Objectiviste », c’est-à-dire une tenant d’une pensée exclusivement rationnelle. La croyance et la religion n’ayant aucune place dans sa réflexion.

    D’ailleurs si Ronald Reagan disait s’inspirer d’Ayn Rand, cette dernière n’a pas appelé à voter pour lui parce qu’elle le trouvait trop influencé par les églises chrétiennes. L’élection de Reagan s’est passée vers la fin de sa vie, elle est décédée en 1982.

    Elle condamnait l’humour et surtout l’auto-dérision. Pourtant, elle a eu ce trait ironique :

    « On me demande souvent ce que je pense de Reagan. Je n’en pense rien et plus je le regarde moins je pense. »

    Elle était donc pour un État minimal, pour l’individu contre la société. Elle détestait l’état social et l’altruisme. Elle était aussi militante pro-avortement, parce qu’elle considérait que rien et certainement pas un embryon ne devrait contraindre la liberté d’une femme. Elle était pour la même raison profondément antiraciste : aucune appartenance culturelle ou autre ne devait contraindre la liberté d’un individu, il n’était donc pas question de distinguer un individu d’un autre que par le mérite, le travail et les actions.

    Elle s’est aussi publiquement opposée à la guerre du Viêt Nam, mais parce qu’elle estimait que cette guerre était altruiste !

    « Si vous voulez voir le summum ultime, suicidaire, de l’altruisme à l’échelle internationale, observez la guerre du Viêt Nam, une guerre où chaque soldat américain meurt sans raison d’aucune sorte. »

    Elle est surtout connue par ses romans, le premier publié en 1936 « We the Living » qui a été traduit et publié en France en 1996, sous le titre « Nous, les vivants ».

    Son avant dernier roman avait été publié en 1943 : « The Fountainhead », publié en français sous le titre « La Source vive » en 1947.

    Si « Atlas Shrugged », son dernier roman, était le livre de chevet de Reagan, Donald Trump a prétendu que le sien était « The Fountainhead ». Probablement parce que le magnat de l’immobilier s’imaginait dans le rôle du personnage principal du livre qui est architecte. Ce roman a été adapté au cinéma par King Vidor en 1949.

    Le titre du livre fait référence à une déclaration de Ayn Rand selon laquelle :

    « L’ego de l’Homme est la source vive du progrès humain » (« Man’s ego is the fountainhead of human progress »).

    Le récit décrit la vie d’un architecte individualiste dans le New York des années 1920, qui refuse les compromissions et dont la liberté fascine ou inquiète les personnages qui le croisent.

    Howard Roark est un architecte extrêmement doué qui a une passion intransigeante pour son art. Individualiste, il utilise la force que lui confère sa créativité afin de pouvoir maîtriser son destin en permanence et ne pas dépendre du bon vouloir de ses contemporains. Il est ainsi indifférent aux principales pressions morales qui guident ses confrères. Physiquement, Ayn Rand décrit Howard Roark comme un homme mince, grand et athlétique, à la chevelure de la couleur d’un zeste d’orange mûre [ce qui a dû inspirer Trump].

    La recherche de l’éthique est aussi une ligne de force de la pensée de Ayn Rand.

    Elle a écrit des essais pour traduire sa pensée politique et philosophique. Ils sont moins renommés.

    En 1964, elle a publié « la vertu de l’égoisme » qui a été traduit par Alain Laurent qui lui a consacré une biographie. : < Ayn Rand ou la passion de l’égoïsme rationnel>

    Alain Laurent a été l’invité de Xavier de la Porte lors des deux premières émissions :

    Ayn Rand partage avec Karl Marx, le fait d’être née dans une famille juive et d’être devenue athée. Mais étant née à Saint-Pétersbourg, le 2 février 1905, elle va vivre sa jeunesse dans un régime qui prône les principes du marxisme et du collectivisme. Cette expérience sera déterminante dans le cheminement de sa pensée qui va s’opposer intégralement à ce qu’elle aura vécu en Union soviétique.

    Son nom de naissance est Alissa Zinovievna Rosenbaum. A 12 ans, elle écrit dans son journal intime qu’elle a décidé de devenir athée.

    Elle s’intéresse très jeune à la littérature et au cinéma, écrivant dès l’âge de sept ans des romans ou des scénarios. À l’âge de neuf ans, elle décide de devenir écrivain.

    Même si elle déteste le communisme c’est grâce à ce régime qu’elle peut, en tant que femme, entrer à l’Université. Elle arrive à convaincre les autorités soviétiques de la laisser aller aux États-Unis pour y étudier les moyens de propagande utilisés par les américains dans le cinéma d’Hollywood, afin de pouvoir utiliser les mêmes outils pour promouvoir la révolution bolchévique.

    Elle immigre donc aux États-Unis et bien entendu s’y installe pour le reste de sa vie.

    Elle est naturalisée américaine le 13 mars 1931. C’est alors qu’elle change son nom en « Ayn Rand ». Wikipedia prétend que c’est en référence à la transcription en cyrillique du nom de sa famille. Dans les émissions de Xavier la Porte, il a été avancé que l’on n’en savait rien.

    Un concours de circonstance et son audace vont lui permettre de démarrer une carrière dans le cinéma : Elle interpelle, à New York, le célèbre producteur Cécil B. DeMille, qui après discussion avec elle, l’embauche.

    Elle écrit des scénarios, des pièces de théâtre puis ses romans qui la rendront extrêmement célèbre aux États-Unis même si la première réaction, notamment des critiques littéraires, fut négative.

    Les 5 émissions sont passionnantes :

    Vous y apprendrez beaucoup sur l’influence qu’elle a exercé, mais aussi sur la complexité et les contradictions de cette femme étonnante.

    Ainsi malgré sa rationalité elle fumait beaucoup et elle est morte d’un cancer au poumon.

    Malgré son refus de l’état social et de l’altruisme elle a manœuvré à la fin de sa vie afin de pouvoir profiter de « médicare » pour faire soigner son cancer.

    <1591>

  • Vendredi 9 juillet 2021

    « Désormais, c’est le conservatisme qui se proclamerait révolutionnaire, tandis que les tenants du « progressisme » et de la gauche n’auraient plus d’autre but que la conservation des acquis »
    Amin Maalouf

    Napoléon avait dépeint les britanniques comme un peuple de « boutiquier ».

    Je suppose qu’il voulait dire des gens qui s’occupent de leurs affaires et qui entendent s’enrichir individuellement.

    La marchandisation du monde doit beaucoup aux anglo-saxons.

    Mais, après la seconde guerre mondiale, ils avaient fait de grands progrès contre l’individualisme et l’esprit boutiquier.

    C’est, en effet, après les deux terribles guerres civiles européennes qu’est apparu un système social très sophistiqué qu’on a appelé le système « beveridgien » du nom de William Beveridge, économiste à qui en 1942, le gouvernement britannique a demandé de rédiger un rapport sur le système d’assurance maladie qui va fonder le système social britannique qui restera longtemps un modèle.

    Mais avec Thatcher le boutiquier reprend du service.

    Il faut dire que Margaret Thatcher possédait de bonnes bases familiales : son père était épicier et sa mère une couturière. C’est avec ces bases qu’elle allait prendre la tête d’un Royaume-Uni en crise.

    Le poids économique de la Grande Bretagne n’arrêtait pas de régresser au niveau mondial.

    Amin Maalouf évoque le Royaume Uni en 1979 avant l’arrivée de Thatcher au pouvoir :

    « A la veille des élections générales de mai 1979 qui devait porter au pouvoir celle qu’on surnommera « la Dame de fer », le pays se trouvait dans un été déplorable. Des grèves, des émeutes, des coupures de courant, une atmosphère sociale délétère et le sentiment chez les travaillistes comme chez beaucoup de conservateurs modérés que s’étaient là les effets normaux de la crise pétrolière et qu’on n’avait pas d’autres choix que de « faire avec » en attendant des jours meilleurs. L’image emblématique de cette époque est celle de Piccadilly Circus plongé dans l’obscurité en raison d’un arrêt de travail dans les mines de charbon. Un historien britannique, Andy Beckett a raconté ces années sombres dans un ouvrage intitulé : « Quand les lumières se sont éteintes » »
    Le naufrage des civilisations page 183

    Margaret Thatcher est certes critiquable, mais elle avait du caractère et de la volonté.

    Et les britanniques l’ont réélu deux fois à la tête du pays. Aussi longtemps que les travaillistes ont combattu la politique de Thatcher de manière radicale, ils ont été battus. Les travaillistes sont arrivés au pouvoir avec Tony Blair qui sur bien des points a suivi l’héritage de Thatcher. Preuve que les boutiquiers britanniques adhéraient à cette politique. Et ces boutiquiers étaient majoritaires.

    Amin Maalouf décrit ainsi cette personnalité

    « Lorsqu’elle fit irruption sur la scène nationale, Mme Thatcher était porteuse d’un autre état d’esprit [que celui du défaitisme], et d’un autre discours. Le déclin n’est pas inévitable, disait-elle à ses concitoyens, nous pouvons et nous devons remonter la pente ; Il nous faut fixer un capo et le poursuivre sans dévier ni vaciller, quitte à écraser sans ménagement ceux qui se mettraient au travers de la route – à commencer par les syndicats. L’année de son arrivée au pouvoir, près de trente millions de journées de travail avaient été perdues à cause des conflits sociaux.
    Le pays n’avait plus d’autres choix que de sombrer ou de rebondir. Comme il l’avait fait à d’autres moments de son histoire, il choisit d’écouter la voix obstinée qui promettait de le conduire, la tête haute, hors de l’impasse, fut-ce au prix de sacrifices douloureux.»
    Le naufrage des civilisations page 184

    Ces sacrifices douloureux que Ken Loach montre si bien dans ses films. Mais malgré le talent de Loach, les protestations d’hommes et de femmes attachés aux progrès sociaux, rien n’y fit : le recul de l’Etat, l’exacerbation de la réussite individuelle, la diminution des budgets sociaux et de la redistribution continuaient inexorablement.

    Dans le langage courant on parle de Néo libéralisme, Amin Maalouf préfère parler de « révolution conservatrice ».

    Cette révolution conservatrice réalisée au Royaume Uni par Thatcher sur le plan économique et social, il la relie à celle réalisée en Iran par Khomeiny sur le plan religieux, des mœurs et de la société qui a eu lieu la même année.

    C’est une révolution, parce qu’avant le récit de gauche et du progrès social était totalement dominant. Et il n’y avait pas que le récit, objectivement les revenus des classes moyennes et des ouvriers augmentaient, les inégalités de revenus régressaient.

    Amin Maalouf écrit :

    « Jusqu’aux années quatre-vingt, peu de dirigeants se disaient ouvertement de droite ; ceux qui n’étaient pas de gauche préféraient se dire centristes et quand il leur arrivait de critiquer les communistes, ils se sentaient obligés de souligner, en préambule, qu’ils n’étaient pas du tout anticommunistes, une épithète jugée infamant, en ce temps-là, et que personne n’avait envie d’assumer. Aujourd’hui, c’est exactement l’inverse : ceux qui sont de droite le proclament fièrement ; et ceux qui souhaitent exprimer une opinion positive sur tel ou tel aspect du communisme se sentent obligés de souligner, en préambule, qu’ils ne sont, en aucune manière favorables à cette doctrine […]

    Pour en revenir à l’Angleterre, on pourrait dire qu’avant la révolution thatchérienne, aucun dirigeant politique de droite ou de gauche n’avait envie d’y apparaître comme un briseur de grève, comme un ennemi des syndicats, comme un être insensible au sort des mineurs et des autres travailleurs aux revenus modestes ; ni de se rendre responsable de la mort d’un détenu faisant la grève de la faim […]

    L’apport de la Dame de fer, moralement controversé mais historiquement incontestable, c’est qu’elle a commis sans sourciller tous les « péchés » que la sagesse ordinaire recommandait aux politiciens ne pas commettre »
    Le naufrage des civilisations page 185

    Bien sûr, pour que Thatcher et la révolution conservatrice puisse se déployer, il a fallu quelques éléments favorables comme l’aura que lui donnera la victoire dans la guerre des malouines et surtout la victoire de Reagan qui professait les mêmes idées aux États-Unis. Et :

    « Les préceptes de la révolution conservatrice anglo-américaine seront adoptés par de nombreux dirigeants de droite comme de gauche, parfois avec enthousiasme, parfois avec résignation. Diminuer l’intervention du gouvernement dans la vie économique, limiter les dépenses sociales, accorder plus de latitude aux entrepreneurs et réduire l’influence des syndicats seront désormais comme les normes d’une bonne gestion des affaires publiques. »
    Le naufrage des civilisations page 184

    Et Amin Maalouf fait ce constat qui montre la rupture qui s’est produite en 1979 :

    « Comment avais-je pu ne pas voir une si forte conjonction entre les évènements ? J’aurais dû en tirer depuis longtemps cette conclusion qui, aujourd’hui, me saute aux yeux : à savoir que nous venions d’entrer dans une ère éminemment paradoxale où notre vision du monde allait être transformée, et même carrément renversée. Désormais, c’est le conservatisme qui se proclamerait révolutionnaire, tandis que les tenants du « progressisme » et de la gauche n’auraient plus d’autre but que la conservation des acquis »
    Le naufrage des civilisations page 170

    <1590>

  • Jeudi 8 juillet 2021

    « Pause (Edgar Morin a 100 ans) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Edgar Morin est né le 8 juillet 1921.

    Il a publié une tribune dans le monde à cette occasion dans laquelle il retrace l’aventure humaine pendant les cents ans de sa période de vie : < Cette pensée humaine capable de créer les plus formidables machines est incapable de créer la moindre libellule >
    Il y écrit notamment :

    « Nous vivons donc en 2021 une étape nouvelle de la phase extraordinaire de l’aventure humaine où culmine le paradoxe de la toute-puissance et de la toute-faiblesse humaine.

    L’infirmité ne vient pas seulement de la fragilité humaine (le malheur, la mort, l’inattendu) mais aussi des effets destructeurs de la toute-puissance scientifique-technique-économique, elle-même animée par la démesure accrue de la volonté de puissance et de la volonté de profit.

    Cette pensée humaine capable de créer les plus formidables machines est incapable de créer la moindre libellule. Cette intelligence capable de lancer dans le cosmos fusées et stations spatiales, capable de créer une intelligence artificielle capable de toutes les computations, est incapable de concevoir la complexité de la condition humaine, du devenir humain. Cette intelligence capable de découper le réel en petits morceaux et de les traiter logiquement et rationnellement est incapable de rassembler et d’intégrer les éléments du puzzle et de traiter une réalité qui exige une rationalité complexe concevant les ambivalences, la complémentarité des antagonismes et les limites de la logique du tiers exclu.

    Quand saurons-nous que tout ce qui est séparable est inséparable ?

    Quand saurons-nous que tout ce qui est autonome est dépendant de son environnement, depuis l’autonomie du vivant qui doit renouveler son énergie en s’alimentant pour vivre et en information pour agir jusqu’à mon autonomie présente sur mon ordinateur, qui dépend d’électricité et de Wi-Fi ?

    Aussi devons-nous comprendre que tout ce qui émancipe techniquement et matériellement peut en même temps asservir, depuis le premier outil devenu en même temps arme, jusqu’à l’intelligence artificielle en passant par la machine industrielle. N’oublions pas que la crise formidable que nous vivons est aussi une crise de la connaissance (où l’information remplace la compréhension et où les connaissances isolées mutilent la connaissance), une crise de la rationalité close ou réduite au calcul, une crise de la pensée. »

    <Le Figaro> nous apprend que Emmanuel Macron le reçoit aujourd’hui à l’Elysée.
    Le chef de l’État selon un communiqué de l’Elysée :

    «prononcera un discours pour célébrer ce centième anniversaire et saluer le parcours de celui qui entra dans la Résistance alors qu’il n’avait pas encore 20 ans, ses engagements, en faveur de la « Terre-Patrie » depuis près de 50 ans et ses contributions à la compréhension des hommes et du monde en tant qu’humaniste et européen convaincu»

    Et le Figaro de rappeler que :

    « En février 2018, Edgar Morin signait dans Le Monde une tribune élogieuse à l’égard d’Emmanuel Macron, dont il saluait la capacité à «être un intellectuel littérairement et philosophiquement cultivé et un homme qui fait carrière aux antipodes de la philosophie, dans la banque et la finance».

    Et en même temps

    « Mais dans son dernier livre paru en juin, on lit aussi sa sympathie pour les opposants les plus farouches au chef de l’État. Selon lui, « bien des protestations, colères et révoltes populaires, comme le mouvement des « Gilets jaunes », comportent chez leurs participants, pas uniquement certes, mais incontestablement, le besoin d’être reconnus dans leur pleine qualité humaine – ce qu’on appelle dignité».

    <mot du jour sans numéro>

  • Mercredi 7 juillet 2021

    « L’année 1979 »
    Année du grand retournement

    Pour Amin Maalouf, l’année 1979 est l’année du grand retournement.

    L’année qui va avoir une importance primordiale dans l’évolution du monde.

    L’année 1979 commence par la révolution islamique d’Iran

    En deux mois, Khomeiny prend l’intégralité du pouvoir :

    16/01/1979    Le Chah d´Iran Mohammad Reza Palhavi quitte son royaume pour laisser la place quinze jours plus tard à son ennemi Khomeini.

    01/02/1979    Après 14 ans d’exil forcé en Irak et en France, et 14 jours après le départ tout aussi forcé du chah d’Iran, l’ayatollah Rouhollah Khomeini revient triomphalement à Téhéran.

    11/02/1979    L’ayatollah Khomeiny annonçe la chute du Shah d’Iran et la création de la République islamique, après 53 ans de monarchie dirigée par les Pahlavi.

    12/02/1979    En Iran, la capitale Téhéran est aux mains des insurgés après de violents combats.

    26/02/1979    Le premier ministre d’Iran Chapour Bakthiar fuit son pays pour Paris.

    Et début mars, il impose cette régression aux femmes iraniennes :

    01/03/1979    Khomeyni exalte les valeurs de l’Islam et impose aux femmes le port du voile (Tchador).

    L’année 1979 se termine par l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS :

    27/12/1979    Les troupes soviétiques envahissent l’Afghanistan.

    Et au milieu de l’année, il se passe un évènement considérable dans le monde politique et économique occidental :

    04/05/1979    Margaret Thatcher devient Premier Ministre en Grande-Bretagne.

    Amin Maalouf annexe deux évènements considérables du dernier trimestre 1978 aux prémices de l’année 1979 :

    16/10/1978    Le polonais Karol Jozef Wojtyla est élu pape sous le nom de Jean-Paul II.

    18/12/1978    Le 11ème Comité central du Parti Communiste Chinois adopte les réformes économiques proposée par Deng Xiaoping qui devient le N°1 chinois

    Trois autres évènements sont fondamentaux dans la lecture du « Naufrage des civilisations »

    Découlant directement de la révolution islamique :

    04/11/1979    Des centaines d’étudiants iraniens envahissent l’ambassade américaine à Téhéran.

    En face de cette révolution chiite, les exaltés sunnites commencent le job :

    20/11/1979    quelques centaines de musulmans fondamentalistes s’emparent de la Grande mosquée de La Mecque, lieu sacré de la ville sainte de l’islam.

    Enfin, Amin Maalouf insiste sur un dernier évènement : la première décision non économique d’importance de Deng Xiaoping : il décide que la Chine entre en guerre contre le Viet-Nam :

    17/02/1979    Début de la guerre sino-vietnamienne qui s’achèvera le 16 mars 1979.

    Cette guerre est la conséquence directe d’un autre événement du tout début 1979 :

    07/01/1979    Chute du régime des Khmers rouges de Pol Pot au Cambodge

    Cette chute est due à l’intervention militaire du Vietnam qui a envahi le Cambodge. Or, la Chine est l’alliée des khmers rouges.

    Voilà donc l’ensemble des évènements de 1979 que nous allons examiner, sous l’éclairage d’Amin Maalouf, dans les jours qui viennent.
    Amin Maalouf synthétise l’ensemble de ces évènements par cette analyse :

    « Ce qui m’est apparu clairement en revisitant l’actualité d’hier, c’est qu’il y a eu, aux alentours de l’année 1979, des évènements déterminants, dont je n’ai pas saisi l’importance sur le moment. Ils ont provoqué, partout dans le monde, comme un « retournement » durable des idées et des attitudes. Leur proximité dans le temps n’était surement pas le résultat d’une action concertée ; mais elle n’était pas non plus le fruit du hasard. Je parlerais plutôt d’une « conjonction ». C’est comme si une nouvelle « saison » était arrivée à maturité, et quelle faisait éclore ses fleurs en mille endroits à la fois. Ou comme si « l’esprit du temps » [la philosophie allemande le nomme Zeitgeist] était en train de nous signifier la fin d’un cycle et le commencement d’un autre. »
    Le Naufrage des civilisations page 169

    Mais, j’ai essayé d’élargir et de trouver d’autres évènements de 1979 que n’évoque pas l’auteur du « Naufrage des civilisations » ou alors très rapidement.

    Il y a d’abord un évènement qui a joué un grand rôle en France :

    21/09/1979    Destitution de l´empereur Bokassa, au pouvoir en république centrafricaine depuis le 31 décembre 1965.

    Il faut se rappeler que cet allié de la France avait décidé de se faire couronner empereur, comme Napoléon précisait-il en 1977. Les alliances étant ce qu’elles sont, il a su convaincre la télévision française (qui n’était pas indépendante du pouvoir) de filmer toute la cérémonie et de la diffuser en France.

    Ses frasques devenant gênantes, Valéry Giscard d’Estaing donna l’ordre de le faire destituer.

    Très rapidement, l’empereur déchu se vengea. Giscard adorait chasser les grands fauves en Centre-afrique. Il avait ainsi souvent côtoyé Bokassa en dehors des seules relations diplomatiques. Dans le cadre de ces relations amicales des dons étaient échangés.

    Et informé par Bokassa et son entourage :

    10/10/1979    Le canard enchaîné dévoile l’affaire des diamants de Bokassa, diamants offerts par Jean-Bedel Bokassa au président français Valéry Giscard d’Estaing.

    Cette affaire, dont on sait aujourd’hui que les révélations du Canard étaient entachées d’une erreur manifeste d’évaluation, les diamants ne valaient pas grand-chose, jouera un rôle essentiel dans la défaite de Giscard d’Estaing et donc l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir.

    Surtout qu’une deuxième ténébreuse affaire allait affecter la réputation du gouvernement et donc du président de la République :

    30/10/1979    Le corps du ministre français du travail Robert Boulin est retrouvé mort dans un étang de la forêt de Rambouillet. La cause de sa mort, officiellement un suicide, fait encore débat, la thèse d’un assassinat n’est plus écartée.

    Notons que c’est 20 jours après l’article du Canard enchaîné. Chirac disait :

    « Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille ».

    Cela étant, Chirac était très satisfait des ennuis de Giscard.

    Bokassa ne fut pas le seul dirigeant à être écarté brutalement du pouvoir :

    04/04/1979    L’ancien président de la république du Pakistan Zulfikar Ali Bhutto est exécuté par pendaison.

    11/04/1979    Le dictateur Amin Dada, autoproclamé président à vie de l’Ouganda, est finalement contraint de fuir son pays après huit ans de pouvoir absolu.

    26/10/1979    Après dix-sept ans de présidence de la Corée du Sud, Park Chung-hee, président à vie depuis 1972, est assassiné par les services secrets sud-coréens.

    Si la situation de la Corée du Sud s’est largement stabilisée depuis 1979, celle du Pakistan a fait le chemin inverse.

    La fille d’Ali Buttho, deviendra premier ministre de 1993 à 1996, mais mourra assassinée pendant une campagne électorale en 2007. Et le Pakistan protégera Ben Laden, soutiendra les talibans et s’opposera violemment à la laïcité française.

    L’Union européenne qui n’était encore que la communauté européenne connaîtra trois avancées majeures :

    13/03/1979    Entrée en vigueur du Système Monétaire Européen (SME), dont l’objectif est de stabiliser les différentes monnaies européennes. Sans le SME il n’y aurait jamais eu de monnaie unique.

    10/06/1979    Première élection des députés européens au suffrage universel direct.

    17/07/1979    Le premier président élu du Parlement européen est une femme : Simone Veil.

    Deux évènements de l’industrie spatiale peuvent être signalés. Une première européenne et une première d’homo sapiens

    24/12/1979    La fusée européenne Ariane 1 effectue son premier vol depuis la station de Kourou, en Guyane.

    01/09/1979    Lancée le 06 avril 1973, la sonde spatiale américaine Pioneer 11 atteint Saturne, puis se dirige ensuite vers les confins du système solaire.

    La NASA mettra fin à cette mission en 1995. Depuis Voyager 1 et 2 sont allés encore plus loin.

    Il y a aussi eu des avancées dans le monde des techniques et du numérique :

    01/07/1979    Sony commercialise au Japon le premier Walkman, le TPS-L2.

    17/10/1979    Le premier tableur pour ordinateur mis en vente n’est pas Excel, mais Visicalc. A sa sortie, il fonctionnait uniquement sur Apple II. Le 17 octobre est la journée internationale des tableurs.

    Que serait nos organisations aujourd’hui sans Excel ? Il en est même qui pense pouvoir tout comprendre avec un tableur…

    Deux évènements de catastrophe écologique eurent lieu

    11/08/1979    La rupture du barrage du Macchu, en Inde, provoque 5000 morts sur la ville de Morvi.

    28/03/1979    La fuite radioactive d’un réacteur à Three Mile Island, aux Etats-Unis, ravive les débats sur le nucléaire.

    L'<Accident nucléaire de Three Mile Island> reste pour beaucoup l’accident nucléaire le plus grave que l’humanité a connu. Un des réacteurs avait commencé à fondre. Ce qui se serait passé si l’accident avait dégénéré reste source de controverse.

    Et je finirai ce vaste tour d’horizon de 1979 par l’hommage aux grands disparus de cette année :

    12/02/1979    Mort du cinéaste Jean Renoir (né le 15 septembre 1894), inoubliable metteur en scène de « La Grande Illusion » et de la « Règle du jeu ».

    16/03/1979    Décès du père de l’Union Européenne, Jean Monnet, premier président de la Communauté européenne du charbon et de l’acier.

    11/06/1979    Décès de l’acteur, réalisateur et producteur américain John Wayne

    23/07/1979    Mort de l’aviateur, résistant, journaliste, scénariste et romancier Joseph Kessel (né le 10 février 1898).

    29/07/1979    Mort du philosophe américain Herbert Marcuse (né à Berlin le 19 juillet 1898), critique à la fois du capitalisme et du communisme. Auteur de « L’Homme unidimensionnel ».

    27/08/1979    Le dernier Vice-Roi des Indes, grand humaniste, Lord Mountbatten est assassiné par l’IRA dans l’explosion de son bateau personnel.

    22/10/1979    Décès de la compositrice et chef d’orchestre Nadia Boulanger (née le 16 septembre 1887). Elle fut un personnage considérable de la vie musicale en Occident. Elle compta parmi ses quelque 1 200 élèves plusieurs générations de compositeurs, tels Aaron Copland, George Gershwin, Leonard Bernstein, Michel Legrand, Quincy Jones et Philip Glass. Son activité musicale est étroitement liée à celle du Conservatoire américain de Fontainebleau, qu’elle dirige de 1949 jusqu’à la fin de sa vie.

    <1589>

  • Mardi 6 juillet 2021

    « L’année du grand retournement  »
    Amin Maalouf, « Le naufrage des civilisations » page 167

    La première fois que j’ai cité Amin Maalouf, c’était tout au début de l’aventure des mots du jour : le 52ème, en janvier 2013 :

    « L’homme a survécu jusqu’ici parce qu’il était trop ignorant pour pouvoir réaliser ses désirs. »

    Cette phrase n’était pas d’Amin Maalouf, mais de William Carlos Williams (1883-1963), mais elle était citée en préface du livre d’Amin Maalouf : « Le dérèglement du monde ».

    J’avais découvert cet écrivain franco-libanais, né en 1949 à Beyrouth et élu à l’Académie française en 2011 par son essai « Les Croisades vues par les Arabes » qu’il a publié en 1983 et que j’ai lu peu de temps après.

    Il fut aussi au centre du dernier mot du jour de la série que j’avais consacré aux grands entretiens de la revue « XXI » :

    « La première attitude indispensable est d’être capable de se mettre à la place de l’autre. Si je peux me mettre à la place de l’autre, alors nous pouvons réfléchir ensemble.».

    C’est en 2019 qu’il a écrit son dernier essai, pour l’instant : « Le naufrage des civilisations ». Depuis, il a écrit un roman « Nos frères inattendus », mais pas de nouvel essai.

    J’avais découvert cet ouvrage à travers plusieurs émissions de France Culture en 2019 :

    D’abord, en mars 2019, dans l’émission, « l’invité des matins » de Guillaume Erner : <un monde désorienté>

    Puis en mai de la même année, dans la remarquable l’émission de Tewfik Hakem, consacrée à l’Islam : « Le Réveil culturel » :

    « Sa manière de gouverner était pour le moins contestable, mais Nasser a donné aux Arabes le sens de la dignité »

    Il a aussi été l’invité de <la Grande Librairie du 28 mars 2019>

    Il m’a fallu du temps pour acheter ce livre, puis encore un peu de temps pour le lire.

    C’est un livre que j’ai trouvé absolument passionnant.

    Le livre commence par cette phrase :

    « Je suis né en bonne santé dans une civilisation mourante et tout au long de mon existence, j’ai eu le sentiment de survivre sans mérite ni culpabilité… »

    Amin Maalouf évoque son Levant natal. Sa famille qui vivait en Égypte et au Liban dans un monde de diversité dans lequel les musulmans, les chrétiens et les juifs vivaient ensemble, faisaient des affaires et dialoguaient.

    J’ai entendu Tobie Nathan décrire de la même manière une civilisation de tolérance en Égypte dans laquelle ses parents vivaient et l’apparition de la violence, de l’intolérance et du rejet.

    Il a décrit cette évolution dans son roman « Ce pays qui te ressemble »

    Amin Maalouf pense que :

    « C’est à partir de ma terre natale que les ténèbres ont commencé à se répandre sur le monde »

    Ce serait l’extinction du Levant tolérant et les secousses sismiques du monde arabo-musulman, qui se seraient propagées à la planète entière.

    Son hypothèse repose sur des évènements et des dates qui ont jalonné l’implosion ou plutôt la fermeture d’un monde ouvert. Mais je traiterai cette hypothèse et ces points saillants dans une seconde série.

    Car son livre émet une autre hypothèse : celle d’un grand retournement qui aurait métamorphosé les sociétés humaines et dont nous serions aujourd’hui les héritiers désenchantés.

    C’est la troisième partie de son livre : « L’année du grand retournement ».

    Pour Amin Maalouf, l’année 1979 a constitué cette rupture.

    On lit souvent que 1989 a été déterminante en raison de la chute brutale du mur de Berlin qui a accéléré la décomposition de l’empire de l’Union Soviétique et a mis fin à la guerre froide. La conséquence de ces évènements étant le triomphe du libéralisme financier et l’émergence de la Chine.

    Il existe une mythologie des années en 9 qui prétend que ces années sont déterminantes : 1929, 1919, 1939 etc.. <Slate> narre les éléments de ce récit.

    Mais pour Amin Maalouf, l’année importante est l’année 1979. Nous allons donc essayer d’examiner cette hypothèse et revenir sur les évènements marquants qui ont eu lieu en 1979.

    J’annonce ainsi une nouvelle série de mots du jour : « 1979 : L’année du grand retournement »

    <1588>

  • Lundi 5 juillet 2021

    « La musique officielle du festival de Cannes. »
    Camille Saint-Saëns

    Le festival international de film de Cannes va débuter demain, le 6 juillet 2021.

    Initialement prévu du 12 au 23 mai 2020, le festival 2020 a été annulé en raison de la pandémie de la Covid-19

    Et comme les années précédentes, avant la diffusion de chaque film dans la salle du palais des Festivals une musique sera jouée: <Cette musique>

    Musique pétillante, scintillante, qui incite à la rêverie.

    C’est une musique de Camille Saint Saëns. C’est un des morceaux d’une de ses œuvres les plus connues : « Le Carnaval des animaux ».

    Et ce morceau s’appelle <aquarium>

    <France Musique> explique le lien de cette musique avec le cinéma.

    Nous apprenons ainsi que Terrence Malick, a utilisé cette musique dans son film « Les Moissons du Ciel ».

    Et, c’est après avoir vu ce film que Gilles Jacob, l’ancien délégué général et président du Festival de Cannes a choisi cette musique comme identité sonore du Festival de Cannes depuis 1990.

    Alan Menken, compositeur de la musique du film « La Belle et la Bête » des studios Disney sortie en 1991 s’est inspiré de l’aquarium de Saint-Saëns.D’autres ont utilisé ou se sont inspirés de cette petite pièce magique, par exemple le célèbre Ennio Morricone.

    Max Dozolme l’animateur de France Musique décrit

    «  Une musique composée en 1886 et qui évoque le ballet des poissons avec ces notes de piano comme des bulles et surtout un procédé totalement magique de Camille Saint-Saëns : chaque note du thème joué par les violons et la flûte dans les aiguës est répétée par un glass-harmonica au son cristallin, comme pour évoquer le scintillement de l’eau et des écailles de ces animaux muets…»

    Camille Saint-Saëns est mort, il y a 100 ans en 1921.

    Plus précisément le 16 décembre 1921. Je rendrai plus longuement hommage à ce musicien un peu oublié et qui a écrit des œuvres splendides.

    Vous pourrez voir « aquarium » joué par les sœurs Labèque et l’orchestre philharmonique de Berlin dirigé par Simon Rattle derrière ce lien <Aquarium joué par la Philharmonie de Berlin>

    France Musique propose un arrangement pour deux pianos : <L’aquarium de Saint Saens arrangé pour deux pianos>

    <1587>

  • Vendredi 2 juillet 2021

    « Le paradoxe du serpent. »
    Description d’un comportement de l’État français

    Reagan avait dit « L’État n’est pas la solution, il est le problème ».

    Depuis la plupart se sont rendus compte que même si l’État n’était pas la solution, il restait indispensable non seulement dans son rôle régalien (armée, police, justice) mais aussi dans bien d’autres domaines.

    Alors, les tenants du libéralisme ont considéré que si on avait besoin d’un État, on avait besoin d’un État qui fonctionne comme une entreprise privée.

    Je ne dis en aucune façon que tout va bien dans l’État et l’administration française et qu’il ne faut pas évoluer et changer des choses.

    Mais je prétends que l’État n’est pas comparable avec une entreprise privée.

    Pour l’expliquer, c’est probablement la santé qui permet le mieux de le comprendre.

    Une santé publique a pour objectif de soigner au mieux l’ensemble de la population au moindre coût global.

    Une santé privée a pour objectif de soigner au mieux une population, en dégageant le plus de profits possible.

    Les États-Unis qui sont résolument dans le second terme de l’alternative démontrent, en effet, que si les entreprises de santé font d’énormes profits, le cout global est beaucoup plus cher qu’en France, adepte du premier système. En outre, si ces entreprises soignent une population aisée et disposant de bonnes assurances, elles sont assez loin de soigner toute la population.

    Sur ce point il faut également nuancer tout ne va bien dans le premier système et tout ne va pas mal dans le second. Mais on constate bien que la logique des deux systèmes est très différente.

    Mais une évolution existe en France et consiste à essayer de faire entrer la logique du système privé dans le système public.

    Le moyen d’action de cette évolution est l’appel massif aux consultants des grands cabinets privés.

    Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre deux journalistes ont mené une enquête et publié le 27 juin 2021 sur « l’Obs » : <Des milliards dépensés pour se substituer à l’État : enquête sur la République des consultants>

    Ils m’ont d’abord appris ce qu’on appelle « le paradoxe du serpent »

    Dans l’administration, cela s’appelle « le paradoxe du serpent ». Ou comment l’Etat paie deux fois des consultants de cabinets de conseil privés. La première pour l’aider à faire des économies. La seconde, pour suppléer aux carences que ces mêmes consultants ont contribué à organiser… tel le serpent qui se mord, et se remord la queue. En pleine pandémie, le gouvernement s’est ainsi retrouvé incapable de conduire seul sa politique sanitaire. Il a dû signer « vingt-six contrats avec des cabinets de consultants en dix mois, soit une commande toutes les deux semaines. Cela représente plus d’un million d’euros par mois », s’étrangle la députée Les Républicains Véronique Louwagie, de la commission des Finances de l’Assemblée nationale.»

    Mc Kinsey joue un rôle de première importance. McKinsey & Company est ce cabinet international de conseil en stratégie dont le siège est situé à New York et qui en 2021, compte plus de 130 bureaux répartis dans 65 pays et réunissant près de 30 000 personnes.

    L’entreprise est présentée comme particulièrement « fertile en futurs CEO », en français on dit DG. En 2007, seize CEO d’entreprises mondiales cotées à plus de 2 milliards de dollars étaient des anciens de McKinsey & Company.

    McKinsey est aussi ce cabinet de conseil qui a incité l’entreprise Enron à mettre en place des pratiques comptables douteuses et à orienter la stratégie de l’entreprise vers le trading d’électricité et de matières premières. En 2001, le scandale financier Enron éclate et l’entreprise fait faillite. « Nobody is perfect ».

    L’article des deux journalistes parlent de la lutte contre la pandémie :

    « Chaque après-midi, au démarrage de la campagne de vaccination, les membres de la « task force » du ministère de la Santé étaient ainsi conviés à participer à des points d’étape pilotés… par un associé du bureau de McKinsey à Paris. Un service facturé 4 millions d’euros.

    Mais l’État sait ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier :

    « Mais bien d’autres cabinets spécialisés dans l’aide à la stratégie et à la mise en œuvre des décisions sont intervenus. BVA Consulting a été appelé à la rescousse pour faire passer les bons messages sur le port du masque, la firme Citwell pour la distribution des vaccins et des équipements de protection individuelle (pour un montant de 3,8 millions d’euros), l’américain Accenture pour des services informatiques et aussi Roland Berger, Deloitte et JLL Consulting. »

    Les précisions de cet appel à l’expertise restent difficiles à obtenir :

    « L’association Anticor qui réclame depuis des mois les détails d’un accord-cadre de 100 millions d’euros signé en juin 2018 par le gouvernement avec une dizaine de cabinets pour l’épauler dans ses projets de « transformation publique ». Elle a saisi la commission d’accès aux documents administratifs, qui vient de lui donner raison. »

    L’Obs prétend qu’il ne s’agit que de la partie émergée d’un iceberg et évoque plus de 500 commandes passées en trois ans : des contrats en stratégie, en organisation, en management, en informatique.

    Les journalistes citent Arnaud Bontemps, magistrat en disponibilité à la Cour des Comptes et porte-parole du collectif nouvellement créé « Nos services publics » :

    « Le phénomène va en s’accélérant. Il s’accompagne d’un dysfonctionnement profond de nos services publics, qui ont perdu leur sens pour les fonctionnaires et sont en totale déconnexion avec les besoins des gens. »

    Sur ce site vous trouverez des estimations sur les coûts et les conséquences de cette externalisation.

    Les journalistes livrent ce constat :

    « Une seule certitude, depuis quinze ans, l’administration a bien été amputée (200 000 postes perdus). Elle a vécu des « dégraissages » successifs au rythme de la RGPP (révision générale des politiques publiques) de Nicolas Sarkozy, puis de la « modernisation » voulue par François Hollande, avant d’être invitée à se mettre en mode « start-up » par Emmanuel Macron (des cabinets de consultants, Octo Technology, Arolla, et UT7, ont accompagné ce « changement culturel », pour un montant de 70 millions d’euros).

    Conséquence, à force de devoir être toujours plus « agiles », toujours plus « performants », les fonctionnaires se retrouvent au bord de la rupture dans des domaines aussi vitaux que la santé, la sécurité, la justice, ou aussi stratégiques que l’environnement et le numérique. L’Etat appelle alors à l’aide les consultants. De plus en plus souvent. Pour des sommes de plus en plus énormes. Le fameux paradoxe du serpent. A eux deux, les leaders du secteur, les américains McKinsey et Boston Consulting Group (BCG), emploient plus de 900 consultants en France. Et il faut aussi compter avec Roland Berger, Accenture, Capgemini, Ersnt & Young, et les moins connus Eurogroup, Mazars, etc., dont aucun n’a accepté de répondre à nos questions. »

    L’article insiste sur les conséquences dans le secteur de la santé

    « Ces nouvelles pratiques ont trouvé dans le secteur de la santé un terrain d’expérimentation fertile. Chroniquement déficitaires, les hôpitaux avaient besoin d’être restructurés, et comme la haute fonction publique hospitalière a toujours été peu considérée par les grands corps, les cabinets de consultants se sont engouffrés dans la brèche. « Le recours aux grands cabinets est devenu un réflexe facile. Au point qu’on ne sait plus rien gérer sans eux », constate Frédéric Pierru, sociologue au CNRS, auteur, avec son collège Nicolas Belorgey, de plusieurs ouvrages sur la « consultocratie hospitalière ».

    Tout s’est accéléré avec la création en 2009 des agences régionales de santé, les ARS, dont le grand public a découvert l’existence pendant la pandémie. Au départ, les ARS avaient l’objectif louable de coordonner la politique de santé au niveau local. En réalité, elles ont surtout pour rôle de maintenir les hôpitaux sous pression financière. Pas étonnant quand on sait que la réforme à l’origine de leur création a été en grande partie élaborée par deux grands cabinets : Capgemini et le BCG. Le conseiller chargé du dossier auprès de Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, venait de McKinsey et y est retourné ensuite. Même le secrétariat du groupe de travail était assuré par Capgemini ! La faute à des moyens insuffisants, mais pas seulement. « Il y avait ce sentiment très fort que si on faisait appel à l’administration, rien ne changerait jamais », souligne Frédéric Pierru.

    Pour recruter les futurs directeurs de ces ARS, l’Etat a aussi fait appel à un cabinet, Salmon & Partners. Les appels à candidatures parus à l’époque en témoignent : ils n’exigeaient aucune connaissance dans la santé, seulement une expérience managériale de haut niveau. En d’autres termes, on cherchait de purs gestionnaires. Les candidats ont ensuite été choisis par un comité ad hoc présidé par… Jean-Martin Folz, ex-patron de Peugeot Citroën. L’arrivée des socialistes au pouvoir n’a rien changé, au contraire. En 2012, la ministre Marisol Touraine a mis en place un comité interministériel de performance et de modernisation de l’offre de soins (Copermo) qui subordonne les investissements des ARS dans les établissements hospitaliers à un plan de retour à l’équilibre financier, conçu en général avec un cabinet de consultants. […]

    En 2020, quatre ARS (Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Mayotte) commandent une analyse de la situation financière de leurs établissements. Des contrats variant de quelques centaines de milliers d’euros à plusieurs millions, passés à une dizaine de prestataires que l’on retrouve partout (ACE Consulting, Opusline, etc.). Il arrive aussi que les hôpitaux se réunissent en centrale d’achats. Et là, la facture grimpe. Comme en novembre 2019, quand le groupement Resah passe un accord-cadre de 40 millions d’euros avec plusieurs grands cabinets (KPMG, Ernst & Young, Mazars, etc.) afin d’optimiser l’accueil des patients.

    Des sommes faramineuses au regard des réductions budgétaires drastiques imposées aux hôpitaux, dont certains se retrouvent à court de lits, de repas, de couvertures, de papier toilette. Et avec quels résultats ? Prenons les hôpitaux de Marseille : fin 2018, l’AP-HM, accablé par un milliard de dettes, signe un gros contrat de conseil – 9,4 millions d’euros – avec deux cabinets, le français Eurogroup et la Rolls du secteur, dont les consultants sont payés 4 000 euros la journée, McKinsey. Quelques mois plus tard, l’AP-HM communique : grâce à « une approche bottom-up » ayant mobilisé 1 000 personnes au sein de l’AP-HM, le cabinet américain a pu réaliser un « diagnostic à 360° » qui promet « 246 millions d’euros de gains potentiels à horizon 2025 ». Un passage qui a laissé un souvenir… contrasté.

    « On a vu débarquer des dizaines de jeunes gens sortis de grandes écoles qui ont organisé des réunions de « brainstorming « avec pléthore de Post-it. On avait l’impression qu’ils arrivaient avec leurs idées toutes faites. Rien que leur « benchmarking », leur étude de marché : ils nous comparaient avec des établissements qui n’avaient rien à voir. A la fin, McKinsey a présenté un grand plan de transformation avec 37 chantiers et 200 projets sous forme d’un arbre avec plein de branches pour faire joli. Mais la mise en œuvre s’est révélée très compliquée. Peu d’actions ont vraiment démarré, tout le monde est passé à autre chose », témoigne, amer, un chef de service. La direction, elle, estime que « l’intervention des consultants s’est arrêtée dès lors que les équipes de l’AP-HM ont été suffisamment aguerries » pour continuer toutes seules… »

    Je ne peux pas citer tout l’article mais je conclurais avec la réflexion sur le rapport qualité prix de l’appel à toutes ces compétences d’un autre monde :

    « Si la rentabilité des hôpitaux est scrutée à la loupe, personne ne s’est jamais penché sur le rapport qualité-prix des consultants. En 2018, la Cour des Comptes avait dressé un constat au vitriol. « Les productions des consultants ne donnent que rarement des résultats à la hauteur des prestations attendues. Des analyses effectuées par les chambres régionales des comptes, il ressort que nombre de rapports de mission utilisent essentiellement des données internes, se contentent de copier des informations connues ou reprennent des notes ou des conclusions existantes. » Plus inquiétant encore : le sociologue Nicolas Belorgey a réussi à démontrer que certaines mesures d’économies dégradaient la qualité des soins. En comparant des données confidentielles, il s’est rendu compte que la diminution des taux d’attente aux urgences, qui paraissait une bonne mesure, entraînait une augmentation du taux de retour aux urgences. »

    Peut être l’Etat embauchera t’elle un cabinet de conseil pour déterminer si cela est bien raisonnable de faire autant appel à ces idéologues de la compétitivité, alors que la fonction publique est, par essence, bien davantage tournée vers la solidarité et la coopération.

    <1586>

  • Jeudi 1er juillet 2021

    « Pause (Human)»
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Nous sommes le 1er juillet.

    Il y a un an, le mot du jour du 1er juillet 2020 concernait ce remarquable documentaire de Yann Arthus-Bertrand : «Human»

    <mot du jour sans numéro>

  • Mercredi 30 juin 2021

    « Le vote par Internet, c’est un désastre pour la démocratie. »
    Dominique Reynié

    Après l’abstention abyssale que la France a connu lors des deux tours des élections pour les conseils régionaux et les conseils départementaux, beaucoup croient dans une solution technique : le vote par Internet.

    Ils pensent sans doute que si on rapproche l’acte de voter de l’acte d’acheter chez Amazon, certains seront davantage prêts à passer de l’un à l’autre ?

    Le politicologue Dominique Reynié n’est pas de cet avis.

    Il évoque le risque de piratage informatique.

    Ce risque est réel mais il me semble qu’il existe un autre risque plus important encore.

    C’est le second argument qu’il développe : celui de la pression qui peut s’exercer dans le cercle privé. Il dit :

    « Le vote par Internet, c’est un désastre pour la démocratie. Vous pouvez voter sous la pression d’un tiers, comme un patron, un acheteur de vote. Le bureau de vote garantit l’autonomie de l’électeur.»

    Je m’imagine, plus simplement dans une maison ou un appartement, un caïd ou un autocrate familial  obligeant, par la persuasion autoritaire ou la violence, tous les présents à voter selon ses désirs.

    Le vote c’est autre chose.

    C’est sortir de sa bulle privée, de son quotidien pour se rendre dans un lieu où on est accueilli par des êtres humains qui sont aussi des citoyens. C’est-à-dire des femmes et des hommes qui s’intéressent au destin de la cité.

    Et là en outre, il vous est demandé de prendre au moins deux bulletins et de vous rendre seul dans l’isoloir.

    Personne ne peut voir, ce que vous aller voter dans ce moment solennel.

    <Sur ce site consacré au vote> il est expliqué :

    « Un électeur qui fait son choix publiquement, sans passer par l’isoloir, est peut-être un électeur menacé, soumis à des pressions. L’auteur des pressions lui a intimé l’ordre de voter publiquement afin de pouvoir constater que ses pressions ont réussi.

    Il est obligatoire que des membres du bureau de vote interdisent à cet électeur de déposer son enveloppe dans l’urne tant qu’il n’a pas respecté la procédure (prendre au moins deux bulletins différents, se dissimuler dans l’isoloir).

    Si aucun membre du bureau de vote n’intervient, et laisse un électeur voter sans confidentialité, le bureau de vote échoue dans sa mission de veiller au respect de la confidentialité.

    Il s’agit d’une atteinte au secret du vote qui doit être signalée sur le procès-verbal du bureau de vote.

    Dans un bureau de vote où la confidentialité n’est pas garantie, des pressions peuvent s’exercer sur un grand nombre d’électeurs, en particulier les plus faibles.»

    Voilà pourquoi, il faut un isoloir et pourquoi on demande que chaque électeur prenne au minimum deux bulletins.

    Dominique Reynié explique cela très bien, en quatre minutes, dans l’émission d’Yves Calvi sur Canal + : <l’info du vrai>

    Il semble que l’« Isoloir » nous vienne d’Australie.

    Les Australiens ont installé des isoloirs dès 1856 pour mettre fin aux fraudes et aux troubles. D’ailleurs, pour désigner le vote secret aux Etats-Unis, on parle d’« Australian ballot ».

    En France, le vote est, dans son principe, secret depuis 1795 mais aucun dispositif n’était alors prévu pour le garantir.

    Après l’Australie, l’isoloir a été adopté en 1872 par le Royaume-Uni, en 1877 en Belgique, à la fin du XIXème siècle aux Etats-Unis et en 1903 en Allemagne.

    Wikipedia précise que :

    « En France, où le vote secret est constitutionnalisé depuis 1795, l’électeur remet son bulletin plié au président du bureau qui l’introduit dans l’urne. Ce n’est qu’en 1913 que la loi du 29 juillet introduit l’enveloppe, l’isoloir et le dépôt dans l’urne par l’électeur lui-même. La loi vient après une quarantaine d’années de discussions »

    Il me semble qu’il faut toujours se méfier quand on vous propose, pour régler des problèmes profonds qui engagent la personne et l’être de raison que nous sommes, un simple dispositif technique.

    Le vote a été inventé par des humains qui croyaient et respectaient l’opinion d’autres humains.

    Ce n’est pas l’opinion d’un instant, ce n’est pas un like, ce n’est pas un clic d’achat.

    C’est une décision solennelle qui engage.

    <1585>

  • Mardi 29 juin 2021

    « Pause »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Rien à écrire aujourd’hui.

    I

    <mot du jour sans numéro>

  • Lundi 28 juin 2021

    « Quel récit explique le développement d’Amazon ?»
    Essai de conclusion sur Amazon

    Il serait encore possible d’écrire beaucoup sur Amazon et Jeff Bezos. L’actualité nous donne d’ailleurs, sans cesse, des éléments nouveaux permettant d’autres développements.

    Par exemple le 18 juin, j’apprenais que <Jeff Bezos investissait dans le nucléaire et précisément la fusion de l’hydrogène>.

    Et puis, il aurait aussi été possible d’insister davantage sur le côté spécifique du modèle d’Amazon qui non seulement vend tout en masse mais est aussi capable de vendre l’exceptionnel, le rare. Par exemple je tire encore du « Un » cet exemple concernant le premier métier du géant de Seattle : la vente de livre.

    C’est Aurélien Bellanger qui l’écrit :

    « Amazon a plus de références en stock que la bibliothèque du Congrès. Mais les livres modernes, c’est justement ce qui les caractérise, ne sont pas des exemplaires uniques. Et il est vertigineux de comparer la capitalisation boursière d’Amazon à la valeur totale du marché du livre. Elle est dix fois supérieure. Ce qui veut dire, scénario légèrement paranoïaque, que Jeff Bezos pourrait racheter tous les exemplaires en circulation de tous les livres du monde.
    J’ai déjà reçu, d’ailleurs, une proposition de rachat, pour un livre qu’il m’avait négligemment vendu – un livre du philosophe Carnap sur l’entropie. Comme s’il s’était aperçu, soudain, qu’il lui manquait précisément celui-ci. J’ai refusé son offre, et je le garde précieusement : c’est désormais le plus précieux de ma bibliothèque, ainsi que le plus incompréhensible, soit dit en passant.

    Jeff Bezos pourrait racheter tous les livres du monde, et notre vieille allégorie de l’infini sous la forme d’une bibliothèque apparaît soudain périmée. »

    Mais il faut bien clôturer un thème. Je vais le faire modestement avec l’état actuel de mes réflexions.

    Faire d’Amazon et de Jeff Bezos l’explication de nos problèmes, c’est-à-dire les boucs émissaires de la dissolution de notre monde constitue une erreur d’analyse.

    C’est une simplification erronée de nos contradictions et incohérences

    Jamais Jeff Bezos n’est venu poser un pistolet sur la tempe de ses clients pour les obliger à acheter sur son site. Les consommateurs du monde entier, sauf la Chine qui dispose d’Ali baba, sont venus librement acheter sur son site et y sont revenus toujours davantage.

    Ils l’ont fait en raison de l’immense qualité et la simplicité du service. Surtout si on compare avec d’autres sites en ligne.

    Mon ami Bertrand qui partage ma passion de la musique m’a écrit après la lecture d’un des mots du jour de la série :

    « J’ai renoncé à mettre mon nez derrière nombre de coulisses. Je fais partie des « modestes » consommateurs de culture. Je suis gros client des maisons de disques et d’édition, je me sers depuis plusieurs années et quasi exclusivement du génial circuit de distribution mis en place par Bezos pour me procurer ma « dope » musicale (surtout) et littéraire (plus rarement, parce que je privilégie les centres Emmaüs moins chers et avec en plus une bonne action au bout pour me faire pardonner de me compromettre avec Amazon).

    Si tu regardes le prix exigé par le circuit de distribution de Diapason ou Classica, tu tombes [à la renverse].

    Quand je songe à la difficulté de me procurer jadis même à la Fnac les produits désirés, alors quel soulagement de pouvoir utiliser Amazon. 99,99 % de satisfaction ! Il faut se dire que le monde change, des métiers se perdent, c’est vrai, des disquaires indépendants (et encore, sont-ils indépendants encore en coulisse ?) ça n’existe plus guère dans nos mortes plaines […] Livreurs sous-payés ? Mais diablement efficaces chez Amazon. Il m’est arrivé de commander le dimanche et d’être livré dès le lundi ! […]

    En tout cas je me régale à fond, je peux aujourd’hui écouter tous les enregistrements auxquels j’ai renoncé jadis grâce au système : réédition massive d’éditions complètes avec une qualité souvent améliorée et un prix dérisoire. Par exemple, le coffret anniversaire MUTI chez Warner qui sort cette semaine, j’ai réussi à le précommander pour moins de cent euros, un euro par disque ! Tu diras que c’est au détriment des artistes d’aujourd’hui. Mais justement, les artistes d’aujourd’hui (enfin certains d’entre eux) je veux les écouter en concert. Mais ceux d’hier, grâce aux grands groupes, je peux les écouter quand ça me chante à souvent moins cher qu’une cigarette…[…]

    Pour conclure : oui, Amazon me fait tant de bien, je ne crache pas dans la main de celui qui me sert si fidèlement. »

    Il a raison.

    Certains aspects du management de Jeff Bezos sont certes contestables, mais cela appartient aux combats sociaux.

    Sa volonté de fuir l’impôt est très générale dans le monde des grands entrepreneurs de la planète, il faut évidemment que les États s’arment et coopèrent davantage pour lutter contre cette fraude et optimisation fiscales organisées. Les États s’y emploient un peu, probablement pas suffisamment.

    Amazon a une ambition hégémonique, voire monopolistique. Ce n’est pas nouveau non plus. L’histoire économique libérale est remplie d’entreprises qui ont poursuivi cette quête de supprimer la concurrence et se retrouver seul. Dans ce domaine aussi il faut d’abord une prise de conscience, puis agir pour combattre les monopoles. Mais comme l’a dit Esther Duflo, Amazon est loin d’être un monopole. La preuve en est que je n’achète jamais chez Amazon et que je ne crois pas être privé de quoi que ce soit. Quelquefois, il est vrai, je pourrais peut être trouver moins cher chez Amazon. Mais là je vous renvoie vers mon mot du jour « C’est trop cher ! » qui montre, me semble t’il, la vue à court terme et quasi délétère de cette poursuite du « moins cher » c’est-à-dire le choix systématique du consommateur que vous êtes contre le producteur que vous êtes aussi.

    C’est trop facile de dire : c’est la faute d’Amazon.

    Amazon a su capter le récit consumériste du monde.

    Yuval Noah Harari, nous a raconté combien le récit est consubstantiel d’homo sapiens et que c’est même cette capacité de croire à un récit qui a permis à une espèce, assez faible physiquement, à dominer toutes les autres espèces de la terre.

    Il avait écrit ce constat explicatif :

    « Jamais vous ne convaincrez un singe de vous donner sa banane en lui promettant qu’elle lui sera rendue au centuple au ciel des singes»

    Par cette phrase il se référait aux récits religieux. Ces récits qui ont colonisé des sociétés entières et l’intégralité de la vie des individus dans nos contrées pendant des siècles. Ils continuent encore aujourd’hui dans d’autres contrées à prendre toute la place et même dans certaines familles qui habitent dans nos pays.

    Il y eut ensuite les récits nationalistes. C’était un récit particulièrement fort et intense pour conduire à ce que des millions de jeunes hommes acceptent de sacrifier leur vie dans des guerres monstrueuses et insensées. J’avais évoqué ce récit dans le premier mot du jour de la série sur 14-18 <Mourir pour la patrie>.

    Il y eut aussi les récits de religions laïques, je veux dire du communisme, du nazisme qui ont aussi conduit à des monstruosités.

    Nous percevons la tentative d’autres récits qui sont en gestation : « le récit transhumaniste », « le récit de la collapsologie » voire « le récit d’écologiste millénariste ».

    Alors finalement « le récit consumériste » est peut-être le plus doux de tous ces récits qui guident le comportement des humains. Il s’apparente au récit du « doux commerce » de Montesquieu.

    Le récit consumériste est celui qui est martelé par le monde de la publicité qui lie le bonheur avec la consommation.

    Vous êtes malheureux : achetez tel ou tel produit, service, voyage et vous serez heureux.

    Vous voulez être en phase avec votre temps, vos semblables il faut absolument acheter ce smartphone, cet équipement etc.

    Et pour que votre désir de consommation soit accompli, il faut deux choses : la certitude que vous achetez le moins cher, sinon vous êtes « has been », et vous devez disposer de votre objet du désir immédiatement.

    Jeff Bezos l’a compris, Amazon est sa remarquable réponse à la croyance à ce récit.

    Cela pose cependant de multiples problématiques.

    La première, pour revenir au doux commerce de Montesquieu, est de s’interroger à la douceur de l’échange d’un clic de souris et de la relation chaleureuse avec une box qui conserve le carton que j’attends.

    La principale reste cependant qu’il n’est pas possible de consommer comme nous le faisons, nous autres occidentaux.

    Parce que nous ne disposons pas d’une planète capable d’absorber notre demande insatiable de produits et de nouveaux produits, de transports et d’énergie que tout cela nécessite.

    Accuser Amazon est simple, faire preuve d’introspection et aussi de réflexion pour essayer de s’interroger sur la place de notre espèce sur la biosphère qui permet la vie sur terre et la planète que nous souhaitons léguer à nos enfants est une question beaucoup plus complexe et beaucoup plus essentielle.

    <1582>

  • Vendredi 25 juin 2021

    « Le Système Amazon : une histoire de notre futur »
    Alec MacGillis

    Au centre du magazine « Le Un » consacré à Amazon et qui a guidé ma réflexion au cours de cette série consacrée au géant de la logistique et du commerce créé par Jeff Bezos se trouve un entretien avec Alec MacGillis : « Aucune autre compagnie au monde n’est aujourd’hui aussi dominante »

    Alec MacGillis est un journaliste américain qui travaille au journal « le New Yorker  ». Auparavant, il avait travaillé au Washington Post, avant que ce journal ne soit racheté par Jeff Bezos.

    Il est l’auteur d’un livre dont la traduction française est parue le 3 juin au Seuil « Le Système Amazon : une histoire de notre futur »

    Une autre revue qui s’intéresse à notre avenir numérique « Usbek et RICA » lui a également consacré un article : <Enquête implacable sur le futur selon jeff bezos>

    Mardi 22 juillet, il était l’invité de « la Grande Table » de France Culture : < Amazon : un projet tentaculaire>

    A France Culture il explique que sa réflexion a commencé en voyant Les inégalité régionales qui s’amplifiaient :

    « Mon enquête a commencé à partir des inégalités régionales qui s’amplifient d’années en années : c’est la logique du vainqueur qui rafle toute la mise, des villes comme San Francisco ou Los Angeles, où il devient difficile de vivre tellement la richesse est concentrée. Cet écart régional crée des distorsions dans le pays, jusque dans la politique  »)

    Pour MacGillis aucune autre compagnie au monde n’est aujourd’hui aussi dominante :

    « Les activités d’Amazon sont devenues si vastes, si diversifiées, qu’il est difficile d’appréhender de façon simple la puissance de l’entreprise. Aucune autre compagnie au monde n’est aujourd’hui aussi dominante, dans autant de secteurs d’activité touchant à la vie concrète de la population. Pour trouver une entreprise comparable, il faudrait remonter à une autre époque, aux grands monopoles du début du xxe siècle, comme la Standard Oil de John D. Rockefeller. Le pouvoir de la Standard Oil venait du fait que Rockefeller contrôlait à la fois des puits de pétrole et les compagnies de chemin de fer qui acheminaient cette ressource, empêchant ainsi ses concurrents de rivaliser avec lui. Amazon est assez similaire de ce point de vue, puisqu’il contrôle les plateformes de vente, ces « places de marché » où n’importe quelle entreprise peut être présente à condition de payer un pourcentage à Amazon sur chaque vente, et opère elle-même sur ces marchés avec des avantages compétitifs évidents. Et la puissance d’Amazon ne se limite désormais plus au seul commerce en ligne, puisque l’entreprise est devenue le leader mondial de l’activité du cloud, qu’elle œuvre aussi dans le domaine de la sécurité, de la santé, des services à la personne, sans oublier la place de plus en plus importante qu’elle prend dans le divertissement »

    Je note que la Prix Nobel d’économie Esther Duflo n’est pas de cet avis. Elle ne minimise pas la puissance et l’influence d’Amazon mais elle considère que cette entreprise conserve des concurrents sérieux, alors que pour elle Google et son entreprise holding Alphabet se trouvent en position monopolistique et constitue un danger plus grand encore pour nos libertés.

    Mais restons sur Amazon et sur sa diversification :

    « La diversification de ses activités permet à Amazon d’utiliser sa domination dans un secteur pour s’assurer le leadership dans un autre. Le Wall Street Journal a récemment révélé une affaire très éloquente quant à la stratégie d’Amazon de ce point de vue : une entreprise vendait un dispositif de surveillance privée sur la « Market Place », la place de marché d’Amazon, et Amazon souhaitait que cette entreprise partage avec lui les données collectées par ce dispositif. Devant les réticences de cette dernière, Amazon a menacé de ne plus vendre son produit sur son site – ce qui, aujourd’hui, vu la puissance d’Amazon, est semblable à une condamnation à mort commerciale. L’entreprise a été contrainte de plier. »

    C’est un comportement quasi mafieux conclut la journaliste du Un. Disons que c’est au moins un abus de position dominante.

    Il ne s’agit pas de nier la qualité du service d’Amazon pour ses clients, mais il s’agit d’essayer de comprendre les conséquences de l’attitude de cette entreprise :

    « Amazon commence par séduire les consommateurs avec des prix bas et une qualité de service remarquable, que ce soit dans la livraison ou dans la relation client. Plus les consommateurs sont nombreux sur le site, plus les entreprises tierces se sentent à leurs tours tenues d’y être présentes, pour y trouver des clients sur la place de marché. La richesse de l’offre entraîne mécaniquement une nouvelle augmentation du nombre de clients, ceux-ci étant presque sûrs de trouver ce qu’ils cherchent sur le site. Et cette demande accrue permet de baisser à nouveau les prix, grâce aux économies d’échelle engendrées. C’est ce cercle vertueux – pour l’entreprise, du moins – qui lui permet de poursuivre sa croissance ininterrompue. En 2004, le chiffre d’affaires d’Amazon était de 6 milliards de dollars. En 2011, 48 milliards. Et en 2020, 386 milliards. C’est vertigineux. »

    En France nous pouvons prendre l’exemple de la ligue 1 de football qui a fait contrat avec Amazon pour la diffusion des matchs.

    Le président de la Ligue Française Football exprime cette opinion tranchée : « Il faudrait être fou pour refuser Amazon »

    Selon des informations de RMC, Amazon demanderait aux passionnés de football de prendre l’abonnement Prime et d’y ajouter la modeste somme de 2 € par mois.

    Dans ce cas la stratégie est claire, Amazon n’a pas pour objectif de rentabiliser sa diffusion du football en France. Ce qui l’intéresse c’est d’augmenter le nombre d’abonnés Prime et ainsi d’augmenter le nombre d’achats sur son site en ligne. Ce qu’il sait être une conséquence de l’abonnement Prime :

    « Dès 2006, Amazon a eu cette intuition géniale : en leur offrant la livraison contre un abonnement annuel, les clients seraient amenés à être fidèles au site et à y commander le plus de choses possibles pour rentabiliser leur abonnement. Aujourd’hui, plus de la moitié des foyers américains sont abonnés au service Prime, soit largement plus de 100 millions de foyers qui payent 119 dollars par an pour avoir droit à des livraisons gratuites, rapides, ainsi qu’à une offre média. Et les abonnés Prime dépensent plus sur Amazon, environ 1 400 dollars en moyenne par an, contre 600 dollars pour les non-abonnés. C’est une manne incroyable pour Amazon ! Et cette explosion des comptes Prime a aussi conduit l’entreprise à se répandre à travers l’ensemble du pays : si vous promettez une livraison en vingt-quatre heures, vous avez besoin d’avoir des entrepôts à proximité. »

    MacGillis décrit les conséquences de la domination d’Amazon vers une dichotomie entre les « villes à siège social » et les « villes à entrepôts »,

    « Amazon n’est pas seul responsable, mais sa croissance a accompagné un mouvement de relégation des villes secondaires, vidées de leurs magasins et de leurs emplois, et donc de leur vie sociale, tandis que les métropoles florissantes concentrent la richesse captée par le commerce en ligne, les meilleurs jobs, les meilleurs salaires, mais aussi les problèmes de logement, de trafic, de ségrégation géographique. Le fossé s’est creusé entre les « villes à siège social » et les « villes à entrepôts », tandis que l’acte même de consommer a perdu de son humanité : vous ne vous déplacez plus, vous ne rencontrez plus personne. »

    Amazon selon un sondage de 2018 est « l’institution la plus respectée des Etats-Unis » :

    « Les meilleurs clients d’Amazon sont les populations aisées des grandes villes, celles-là mêmes qui votent le plus à gauche aujourd’hui et qui s’inquiètent des pratiques de Facebook ou d’Apple, par exemple. Pourquoi si peu de critiques ? Sans doute parce que le péché originel est le nôtre : nous apprécions tellement le fait qu’Amazon puisse satisfaire nos désirs de consommation que nous ne voulons pas savoir comment il y arrive. C’est pourtant ce qu’il faudrait faire : comprendre ce qui se joue derrière la facilité de l’achat en un clic, comprendre que l’apparence de la gratuité a un coût, social et humain. »

    Pour s’enrichir il faut certes avoir quelques idées disruptives, probablement beaucoup travailler mais surtout pas payer d’impôts. Jeff Bezos refuse l’impôt, le fuit. Il est libertarien. Seul l’individu est grand, le commun ne se trouve pas dans ses préoccupations :

    « Amazon recherche les influences privées et refuse toute solidarité par l’impôt, même minimal. En pur et authentique libertarien, Jeff Bezos a la haine des impôts : « Pendant des années, Amazon était resté remarquablement à l’écart des questions politiques et citoyennes de Seattle, un silence d’autant plus étrange à mesure que l’entreprise grandissait. C’était le reflet des opinions libertariennes de son fondateur : le gouvernement n’était pas seulement un obstacle, il était inopérant. […]

    À l’étranger, Amazon refuse de déclarer ses résultats par aire géographique pour contourner les impôts locaux. Mais la stratégie est la même aux États-Unis : pour éviter les taxes locales, le patron d’Amazon n’hésite pas à menacer les États qui réclament leur dû : « Les employés d’Amazon éparpillés dans tout le pays avaient des cartes de visite trompeuses, de sorte que l’entreprise ne puisse être accusée d’opérer dans un État donné, et donc forcée d’y payer des impôts. En 2010, l’entreprise alla jusqu’à fermer son unique entrepôt au Texas et à abandonner ses futurs projets de centres de distribution lorsque les élus de l’État la poussèrent à payer 270 millions de dollars d’arriérés, ce qui obligea le Texas à renoncer à cet impôt. En 2017, l’entreprise avait même crée une mission interne secrète consistant à obtenir 1 milliard par an de réduction d’impôts ».

    Jeff Bezos refuse l’impôt mais il s’intéresse au personnel politique :

    «  Alec MacGillis a travaillé pour le Washington Post jusqu’à ce que le journal soit racheté par Jeff Bezos en 2014. Cette acquisition lui donne une assise très importante dans la capitale fédérale, dans laquelle il passe plus de temps qu’à Seattle. […] Après tout, la commande publique est un marché comme un autre – et même plus gros que les autres. Jeff Bezos surveille notamment de près Ann Rung, cost-killeuse publique qui se vantait d’avoir fait économiser 200 millions de dollars en fournitures de bureau à l’État de Pennsylvanie. De tels états de service lui valurent l’attention de Barack Obama qui, en 2014, la nomma directrice en chef des acquisitions des États-Unis. Dès sa prise de poste, elle encouragea les acheteurs publics à casser les règles et innover. Et en 2016, elle annonçait 2 milliards d’économies pour les comptes publics non sans une certaine fierté… avant de démissionner pour devenir directrice de la division « marché public » d’Amazon Business : « En d’autres termes, la personne qui supervisait l’intégralité des 450 milliards de dépenses gouvernementales en approvisionnement rejoignait une entreprise déterminée à se tailler la plus grosse part de ce gâteau ».

    Amazon a largement profité de la pandémie :

    « La pandémie a fait exploser les chiffres de l’entreprise de façon exponentielle : plus 40 % sur les ventes cumulées dans l’année, plus 50 % de surface des entrepôts pour assurer ces ventes, 400 000 nouveaux employés pour les seuls États-Unis… Quant à Jeff Bezos, il a vu la valeur de ses actions doubler en un an, et sa fortune a grimpé de 58 milliards de dollars ! »

    Il parle surtout des États-Unis et d’une libération d’un reste de culpabilité chez certains américains en raison de la pandémie :

    « La tendance était déjà là, qu’on parle de la croissance d’Amazon ou de l’avènement d’une « société du simple clic ». Mais la pandémie a abattu des barrières psychologiques. Une part des Américains pouvaient encore ressentir une forme de culpabilité à acheter en ligne sur Amazon. La pandémie les a non seulement libérés de cette culpabilité, mais a même donné un caractère vertueux à cette forme de consommation : regardez, je reste chez moi, je suis civique dans mes achats ! Ce qui s’est passé depuis un an a accéléré un mouvement de fond vers l’isolation des individus, le repli dans sa bulle, et, par là, une fragmentation du tissu social qui constitue notre société. »

    Pour MacGillis, il n’y aucune raison qu’Amazon cesse de croitre sauf si des politiques publiques interviennent :

    « Non, il n’y a pas de plafond visible, tant que les pouvoirs publics n’interviennent pas pour brider ou briser Amazon. L’entreprise elle-même s’amuse à rappeler qu’elle est loin d’être aussi dominante qu’on le dit, puisqu’elle contrôle « seulement 4 % du commerce de détail mondial ». Mais cela représente déjà un chiffre énorme, des centaines de milliards de dollars ! Surtout, Amazon ambitionne de capter de plus en plus des 96 % restants. Il reste encore beaucoup de produits à mettre en vente en ligne, de magasins à tuer, de clients à séduire dans le monde. Sans même parler des autres secteurs que le commerce en ligne, dans lesquels Amazon envisage de se lancer. »

    Pour MacGillis notre futur est tracé :

    « À moins que nous ne déviions de la route sur laquelle nous sommes aujourd’hui engagés, c’est un futur où les inégalités vont croître entre les villes, où le tissu social va continuer de s’effilocher, et où la démocratie se trouvera par conséquent durablement affaiblie. »

    <1581>

  • Jeudi 24 juin 2021

    « En prenant le contrôle du marché, en en fixant les règles, Amazon n’ambitionne pas seulement de le dominer, il veut « être le marché »
    Rapport de l’institut américain de recherche ILSR (Institute for local self-reliance)

    Je continue donc modestement à essayer de comprendre comment fonctionne Amazon et les conséquences de l’addiction consumériste qu’Amazon a su capter.

    J’essaye d’éviter la posture morale qui me semble inappropriée et contreproductive. La posture morale s’appuie sur un récit qui dicte le bien et le mal. En tant que telle, elle est toujours contestable, car d’autres peuvent avoir une conception différente du bien et du mal.

    Dans cette quête que je poursuis j’aime me référer à cette formule pénétrante de Bossuet :

    «Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes.»

    Nul besoin d’être croyant pour comprendre la sagesse de ce propos.

    Aujourd’hui je vais partager principalement un article d’opinion publié en 2018 par le site en ligne « AOC » dont j’ai déjà parlé et dont je suis abonné : « Amazon ou la menace proliférante de la loi de la jungle ».
    C’est un article écrit par Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française qui a traduit et diffusé un rapport d’un institut américain de recherche ILSR (Institute for local self-reliance) : < Amazon, cette inexorable machine de guerre qui étrangle la concurrence, dégrade le travail et menace nos centres-villes.>
    En voici <la traduction française>.

    Ce rapport de l’ILSR vise à contribuer à une prise de conscience du grand public ainsi que des responsables politiques, ces derniers étant appelés à réguler l’emprise d’Amazon avant que les dégâts économiques, sociaux, sociétaux et culturels ne soient irréversibles :

    « C’est notre modèle de société en tant que tel, notre relation au travail, nos libertés individuelles, notre capacité à vivre ensemble, qui se trouvent menacés par la stratégie tentaculaire d’Amazon. Face à un tel enjeu, les réactions semblent bien timides quand elles ne se teintent pas d’une fascination pour la réussite commerciale foudroyante de cette multinationale américaine.  »

    Quatre types de menaces sont identifiées.

    1. Une menace pour l’économie
    2. Une menace pour le travail et pour l’emploi
    3. Une menace pour nos libertés
    4. Une menace pour nos territoires

    1 une menace pour l’économie

    Le rapport de l’ILSR montre comment Amazon menace l’économie par son expansion tentaculaire dans des dizaines de secteurs, sa quête de monopole, la manière dont il étrangle les PME, à commencer par celles qui sont présentes sur sa market-place, ou encore sa politique d’évasion fiscale qui fausse la concurrence et réduit les ressources fiscales pour les territoires où il réalise ses ventes.

    « Par la puissance de sa market-place, de ses infrastructures logistiques et de son service de stockage de données (Amazon Web Services), Amazon a dorénavant la faculté de fixer les conditions d’accès au marché pour des milliers d’entreprises dont il est par ailleurs le premier concurrent. Il scrute l’activité des entreprises qu’il héberge et, pour les plus profitables, s’approprie leur connaissance du métier et du produit avant de les racheter à vil prix ou de les concurrencer par des prix imbattables. Le PDG d’une entreprise américaine de jouets illustre cette dépendance en déclarant : « Nous nous sommes rendu compte que nous étions fichus si nous allions sur la market-place d’Amazon et fichus aussi si nous n’y allions pas. »

    En France la société Casino joue à ce jeu dangereux : < L’idylle entre Amazon et Casino suit son cours >

    « La domination du marché par Amazon atteint, aux États-Unis, des proportions hors normes. L’entreprise de Jeff Bezos y capte en effet la moitié des achats en ligne, certainement les deux tiers à l’horizon 2020. Elle possède des dizaines de filiales : sites e-commerce, livres audio, téléphonie mobile, transport, plateforme de streaming pour jeux en ligne, textile, chaussures, piles à combustible, caméras de surveillance, bases de données, statistiques et « data mining », distribution alimentaire… La moitié des Américains qui vont sur le net pour y faire des achats démarrent dorénavant directement leurs recherches sur Amazon. Plus d’un foyer américain sur deux est abonné à son programme Prime. En prenant le contrôle du marché, en en fixant les règles, Amazon n’ambitionne pas seulement de le dominer, il veut « être le marché ». »

    Cette quête monopolistique est alimentée par la capacité à mener, à long terme, une stratégie de vente à perte financée par des investisseurs éblouis et acceptant les pertes comme autant de promesses d’écrasement des marchés au profit de leur champion.

    Il semble qu’un esprit de résistance se lève en France. Un article du 17 mars 2021 de « Capital » nous informe qu'<Amazon enregistre une forte baisse de sa part de marché en France> :

    « Conséquence de la crise sanitaire liée au Covid-19, les ventes en ligne séduisent de plus en plus les Français. Selon des statistiques dévoilées par Kantar, la vente en ligne ne cesse de progresser, tirée vers le haut par les leaders du marché, à commencer par Amazon. Mais pour le géant du commerce en ligne qui continue de caracoler en tête avec 19% de part de marché, la croissance est bien moins rapide que prévue, analyse Kantar, à savoir que la société de Jeff Bezos perd trois points en 2020. Sa part de marché était en effet de 22% en 2019.

    2 Une menace pour le travail et pour l’emploi

    La première menace a déjà été largement abordée et concerne les conditions de travail et la pression qu’Amazon exerce sur ces salariés. Autant que possible, Amazon cherche à s’exonérer de ses obligations sociales.

    La seconde est celle sur le nombre d’emplois, par la robotisation :

    « Le fabricant de robots Kiva, [est devenu] l’un des leaders mondiaux sur ce marché. 45 000 de ces robots sont aujourd’hui produits par Kiva au service exclusif d’Amazon. Ils viennent d’être déployés dans les entrepôts français. Le nombre de nouveaux robots croît plus rapidement (+ 50 % en deux ans) que celui des embauches de salariés. Une étude du MIT, publiée en mars 2017, estime que chaque robot introduit sur le marché du travail détruit six emplois et entraîne une baisse du salaire moyen sur le marché du travail du fait d’une demande accrue de postes. Sur cette base, Amazon aurait déjà détruit près de 300 000 emplois dans le monde, soit autant que le nombre de ses salariés ! »

    Mais la destruction d’emplois se trouve aussi dans la concurrence :

    « À cela il faut ajouter les dizaines ou centaines de milliers d’emplois détruits chez les concurrents d’Amazon terrassés par sa politique de dumping financée par une capitalisation hors normes. Cette politique prédatrice ne touche pas seulement de grandes chaînes concurrentes mais également des commerçants indépendants dont la présence est essentielle à la vitalité économique et sociale des territoires, et particulièrement des centres-villes que l’expansion d’Amazon contribue à désertifier. »

    3°Une menace pour nos libertés

    Amazon stocke des milliards de données sur des serveurs que l’entreprise maîtrise exclusivement :

    « Amazon est l’un des leaders du stockage de données. Amazon Web Services, dont tout le monde, de Netflix à la CIA, est client, contrôle le tiers de la capacité mondiale de cloud computing, soit plus que Microsoft, IBM et Google combinés…

    Il exploite, par ailleurs, l’inépuisable réserve de données personnelles que lui apporte une connaissance fine de nos habitudes d’achat. S’il s’en est servi jusqu’à présent pour se développer sur différents marchés et pour pousser ses propres produits, il pourra, demain, grâce à cette connaissance millimétrique de nos habitudes et de nos goûts, aux possibilités de l’intelligence artificielle sur laquelle il investit massivement et à l’introduction, au cœur de notre vie quotidienne, des appareils connectés qu’il développe, non plus seulement connaître nos choix, mais nous les dicter ! »

    4° Une menace pour nos territoires

    Amazon par son poids économique financier est capable d’imposer aux territoires des ristournes fiscales et même des subventions pour s’installer.

    Je fais juste un pas de côté, pour faire ce constat, en dehors de toute leçon morale, le poids économique et financier d’Amazon provient exclusivement des millions de clients fascinés par la facilité, la rapidité, le confort de l’acte de consommation qui part d’un simple clic pour arriver quasi immédiatement dans la bulle intime de son lieu de vie.

    Le rapport dit en effet :

    « L’ILSR démontre néanmoins que le réseau logistique d’Amazon a été bâti largement grâce à des subventions publiques, le montant de ces aides dépassant, selon le rapport, les bénéfices d’Amazon depuis l’origine. En France également, les implantations des entrepôts d’Amazon bénéficient systématiquement de soutiens financiers de la part des collectivités locales.

    Le même rapport rappelle que 108 000 commerces indépendants ont disparu aux États-Unis durant les quinze dernières années. Si ce déclin a de nombreuses causes, les études montrent qu’Amazon en est, de loin, la principale.

    La dévitalisation de nos quartiers, de nos centres-villes, appauvrit l’économie locale, déplace ou supprime des emplois et, au final, nuit gravement à notre capacité d’organiser et d’animer notre vie collective grâce au travail et aux actions éducatives, sociales, culturelles que développent nos communautés. »

    Dans l’esprit de résistance française, la place du livre, notamment grâce au prix unique et au réseau de libraires, constitue encore une place forte. « L’Express » dans un article de novembre 2020 <La filière du livre repense sa résistance face à Amazon> explique :

    « D’après le Syndicat national de l’édition, [Amazon] réalise en temps normal 50% des ventes en ligne, estimation grossière, ce qui représenterait 10 à 15% des ventes totales. Le Syndicat de la librairie française pense qu’Amazon capte « plus de la moitié » des ventes en ligne et environ 10% au total.

    Les confinements, qui ont contraint les librairies à fermer, ont amené la filière à revoir sa stratégie face à la multinationale.

    Elle s’est concentrée sur la communication. Ecrivains, jurys littéraires et même responsables politiques ont multiplié les appels à aider les libraires, autorisés à vendre des ouvrages précommandés (« click and collect »). »

    Bien sûr les temps ont été difficiles pendant le confinement et sont restés compliquée après. Mais le modèle tient encore :

    « Pour autant, le modèle de la librairie en France est bon. C’est le premier secteur qui a subi l’arrivée d’Amazon et alors qu’on taxait les libraires de ringards, rétifs à la numérisation, ils se sont bien armés. L’enjeu est de faire venir du monde en magasin par des outils numériques, et ils y travaillent », ajoute l’auteur d’un «Eloge du magasin» paru en janvier. […]

    Nous ne voulons pas remplacer les conseils d’un ou d’une libraire par ceux d’un algorithme, ni collaborer à un système qui met en danger la chaîne du livre par une concurrence féroce et déloyale », détaillent-ils. »

    Mais au pays du prix unique du livre, la concurrence se joue sur les frais d’expédition, systématiquement fixés à 0,01 euro chez Amazon.

    Cette problématique des frais d’envoi est développée dans un <article du 21 mai 2021> : Le gouvernement veut imposer partout sur internet un même prix, frais de port inclus, pour tous les livres neufs.

    Anne Martelle, présidente du Syndicat de la librairie française et directrice générale de la librairie Martelle à Amiens explique :

    « Même si les libraires sont présents de longue date sur Internet, le développement de leur site est freiné par la politique de dumping des grandes plateformes comme Amazon. Quand Amazon facture un centime d’euro pour expédier un livre, il en coûte pour le même envoi, en moyenne 6,50 euros au libraire

    Et si le libraire répercute ces frais d’expédition à son client, il le perd au profit d’Amazon. Et si le libraire prend en charge les frais d’expédition, il perd de l’argent à chaque fois qu’il expédie un livre. C’est une situation intenable pour libraires et puis, il faut noter qu’il n’y a que sur le livre qu’Amazon offre la quasi-gratuité de l’expédition sans minimum d’achat. Ça prouve qu’il existe de la part de cette société une volonté délibérée d’attaquer les libraires indépendants et d’attaquer aussi de manière détournée le prix unique du livre. »

    L’illusion de la gratuité est d’une grande perversité, elle cache toujours un coût que quelqu’un doit payer. Quelquefois c’est même le climat et la biodiversité qui paie :

    « Le sujet qui est actuellement en discussion prévoit plutôt une tarification minimale, ce qui obligerait Amazon à ne plus facturer un centime d’euro, mais peut-être quatre, cinq euros ou trois euros, ça rétablirait l’équilibre. Ça permettrait aussi de remettre dans le jeu le vrai prix d’un transport, quel qu’il soit, du livre ou d’autre chose. Le fait [pour Amazon] de facturer un centime d’euro donne aux clients l’impression que ça ne coûte rien, ni à l’environnement ni à son porte-monnaie. Eh bien, c’est faux. »

    « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes. » Bossuet

    <1580>

  • Mercredi 23 juin 2021

    « Pause »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Il faut aussi savoir se reposer, ne pas écrire de mot jour et laisser en suspens et dans la réflexion ceux déjà écrits.

    I

    <mot du jour sans numéro>

  • Mardi 22 juin 2021

    « Notre dépendance à Amazon n’est pas algorithmique, mais bien humaine »
    Aurélie Jean

    Dans le mot du jour du 15 juin, j’insistais sur l’énorme pression que mettait Jeff Bezos sur ses collaborateurs proches : les informaticiens et logisticiens qui développent les algorithmes et imaginent la stratégie pour faire encore grandir Amazon : «  Vous devez être capable d’agir trois fois plus vite que les gens les plus compétents »

    Hier, c’était plutôt le remplacement des humains par des solutions de plus en plus automatisées et plus robotisées qui constituait le sujet central.

    Mais pour l’instant, la réussite d’Amazon dépend en grande partie de la productivité des « associés des robots » qui travaillent dans les entrepôts.

    « Le UN » a demandé à une numéricienne, Aurélie Jean d’écrire un article qui a pour titre « L’asservissement est ailleurs ».

    Aurélie Jean est l’auteure d’un livre qui a été très remarqué : « De l’autre côté de la machine, Voyage d’une scientifique au pays des algorithmes ». Livre qui avait notamment fait l’objet de deux émissions de France Culture : <Le virtuel, porte d’entrée sur le réel ?> et <Je recherche à démystifier les algorithmes>

    Elle conclut son article dans le UN ainsi :

    « Reste que derrière cette logistique, si finement conçue soit-elle, il n’y a pas que des algorithmes. Il se trouve toujours des individus en chair et en os qui décident de la stratégie. Il se cache, aussi, des hommes et des femmes qui travaillent, pour certains, dans l’ombre d’une gestion difficile. Troubles musculo-squelettiques, pression de toujours faire mieux, et productivité inconditionnellement croissante, les terribles conditions auxquelles sont soumis les travailleurs des entrepôts font couler beaucoup d’encre. Contre toute attente, notre dépendance à Amazon n’est pas algorithmique, mais bien humaine. »

    Ce site qui a pour nom « siècle digital » a publié le 2 juin 2021 : « Les employés d’Amazon se blessent plus que dans les autres entreprises »

    Dans cet article on lit :

    « Le Strategic Organizing Center (SOC), qui regroupe quatre syndicats américains, a dévoilé (pdf) le mardi 1er juin 2021 un chiffre inquiétant concernant Amazon. En effet, dans son rapport, elle indique que le taux de blessures dans les entrepôts de la firme est presque deux fois plus élevé que dans ceux des autres entreprises du même secteur.

    Si Amazon est le deuxième employeur des États-Unis, il détient la première place dans une tout autre catégorie : la fréquence à laquelle ses travailleurs se blessent. Le rapport du SOC divulgue qu’en 2020, il y a eu 5,9 blessures graves durant 200 000 heures de travail, représentant 100 employés des entrepôts d’Amazon. Un chiffre qui est presque 80% plus élevé que dans les autres firmes.

    À titre de comparaison, son concurrent Walmart enregistre 2,5 blessures pour 200 000 heures travaillées, soit moitié moins que la société de Seattle. Cela oblige certains employés à s’absenter, ou à faire des tâches moins contraignantes pour ne pas se blesser davantage. »

    Toutefois l’objectivité doit nous faire constater qu’Amazon a fait du progrès, avant c’était pire :

    « Malgré tout, le taux de blessures d’Amazon est moins important qu’en 2019. Un rapport du Center for Investigative Reporting, publié par Reveal, révèle qu’il y a deux ans, l’entreprise enregistrait 7,7 blessures graves pour 100 employés.

    Même si une diminution peut être constatée, les chiffres de 2020 n’en restent pas moins inquiétants, et Amazon est toujours la firme avec les résultats les plus mauvais. Par ailleurs, les révélations qui ont été faites concernant les mauvaises conditions de travail au sein de ses entrepôts n’arrangent pas son cas. Jeff Bezos a récemment admis que l’entreprise devait en faire plus pour ses employés, notamment pour atteindre son objectif, qui est de réduire de 50% les accidents du travail d’ici 2025.

    « Bien qu’un incident soit un incident de trop, nous apprenons et constatons en permanence des améliorations grâce à des programmes ergonomiques, des exercices guidés sur les postes de travail des employés, des équipements d’assistance mécanique, la configuration et la conception de ces postes, ainsi que la télématique des chariots élévateurs et des rampes, pour n’en nommer que quelques-uns », a déclaré la porte-parole d’Amazon, Kelly Nantel, dans un rapport.

    Il reste à voir si les efforts d’Amazon pour diminuer les accidents de travail, mais aussi améliorer le quotidien de ses travailleurs s’avèreront bénéfiques. Pour le moment, les « AmaZen », de petites cabines censées réduire le stress de ses employés, n’ont pas eu l’effet escompté et n’ont séduit ni les internautes ni les travailleurs. »

    Je dois reconnaître que depuis que je m’intéresse vraiment à Amazon j’apprends énormément de choses : par exemple l’invention des AmaZen.

    « Slate » qui reprend une information de la BBC se sent obligé de mettre en sous-titre « Ceci n’est pas un canular » (article du 29 mai 2021).

    « Amazon a annoncé à la mi-mai la mise en place d’un dispositif visant officiellement à améliorer leur bien-être. Dans une vidéo publiée sur son compte Twitter, l’entreprise a rendu publique la création de cabines nommées AmaZen, destinées à favoriser la santé mentale du personnel de ses entrepôts.

    AmaZen est partie intégrante du programme Working Well, dont l’objectif est de fournir aux employé·es «des activités physiques et intellectuelles, des exercices de bien-être, et des conseils nutritionnels». Utilisables pendant les pauses, les cabines décrites par la BBC permettent de visionner de courtes vidéos qui incluent des séances de méditation, des scènes calmes avec des sons apaisants…

    Face au déferlement de réactions négatives qui ont suivi sa publication sur Twitter, la vidéo a été rapidement supprimée par Amazon. On pouvait y voir une sorte de cabine téléphonique sans téléphone, mais avec une chaise, un petit écran et quelques plantes en pot. Au plafond, un ciel bleu orné de jolis nuages blancs.

    Une telle installation semble en effet bien dérisoire face aux conditions de travail souvent exécrables proposées dans les entrepôts. Le fait que l’AmaZen semble y avoir été déposée un peu au hasard, comme un cheveu sur la soupe, est assez symbolique : cela ressemble à un coup de communication foireux plutôt qu’à une réelle tentative de bien traiter celles et ceux qui suent sang et eau pour la firme de Jeff Bezos.

    Avant d’être supprimée, la vidéo avait été téléchargée par des internautes. Depuis, elle fait l’objet de nombreux détournements, qui insistent sur le côté dystopique de l’AmaZen ou imaginent qu’il s’agit en fait d’une cabine prévue pour que le staff de l’entrepôt puisse aller pleurer en toute discrétion. »

    Aux États-Unis, il y a bien eu des employés qui ont voulu créer un syndicat pour défendre les employés d’Amazon. Mais les salariés ont voté contre cette initiative à une large majorité.

    Ce sujet a été abondamment commenté sur les médias français :

    RTL : <États-Unis : pourquoi des ouvriers Amazon ont-ils refusé la création d’un syndicat ?>

    Challenges : <Echec de la tentative historique de syndicalisation d’un entrepôt d’Amazon aux Etats-Unis>

    Le Monde <Le syndicalisme ne fait pas son entrée chez Amazon aux Etats-Unis>

    Ce vote concernait les salariés de l’entrepôt Amazon de Bessemer, bourgade pauvre située au sud de l’ancienne cité minière de Birmingham, en Alabama. Le rejet a été net : Le non à la syndicalisation l’a emporté avec 1 798 voix, contre 738 votes en faveur du RWDSU, le syndicat national de la distribution que des employés voulaient rejoindre.

    Le monde explique cependant :

    « Amazon a mené une campagne agressive contre la syndicalisation de son site, qui aurait été une première sur le territoire des Etats-Unis : par le biais des réseaux sociaux, elle demandait à ses salariés l’intérêt qu’ils avaient à dépenser 500 dollars de cotisation par an. L’entreprise de Jeff Bezos a pu profiter aussi des scandales de corruption qui ont frappé, depuis deux ans, les syndicats de l’automobile à Detroit. »

    Mais, il faut sur ce sujet être équilibré. Amazon n’est pas la seule entreprise américaine à ne pas avoir de syndicats. Boeing, entre autres, est dans le même cas. Pourtant Joe Biden s’est ouvertement déclaré pro-syndicat.

    Probablement faut-il en revenir à ce constat du grand écrivain John Steinbeck qui disait :

    « Il n’y a pas de socialisme en Amérique, parce qu’on n’a pas de prolétaires mais des capitalistes momentanément dans l’embarras. »

    C’était le mot du jour du <4 mars 2020>

    Plus prosaïquement, Alec MacGillis, journaliste au New Yorker et auteur d’un livre d’enquête sur Amazon sur lequel je reviendrais, écrit :

    « Seuls 5 % des salariés sont syndiqués aux États-Unis, et Amazon a une telle puissance qu’il lui est facile de manipuler les opinions des uns et des autres. Mais cela tient aussi à la nature des emplois chez Amazon : ce sont des jobs de transition où les gens restent un an en moyenne, à s’user le corps pour 15 dollars de l’heure. Personne ne fait carrière chez Amazon, donc pourquoi s’engager dans un syndicat ? »

    Selon une enquête du New York Times repris par ce <site> une des explications du management imposé par Jeff Bezos aux salariés de ses entrepôts, viendrait de la conviction de ce dernier que ses employés sont fondamentalement paresseux :

    « Selon une longue enquête du New York Times, reprise par Business Insider, cette mécanique certes bien huilée et hautement profitable mais humainement destructrice ne trouverait pas seulement sa source dans la pure nécessité économique et productiviste.
    Sans pitié pour des employés dont elle trace implacablement les moindres mouvements (pause pipi incluse), le système mis en place par la firme découlerait également de la croyance intime de Jeff Bezos en la fainéantise consubstantielle à l’être humain.
    C’est ce qu’explique au quotidien new-yorkais David Niekerk. L’Américain connaît son sujet: avant de quitter l’«everything store» après plus de seize ans de loyaux services, il a participé à la conception de l’architecture physique et logicielle quasi carcérale de ses entrepôts géants.
    Selon Niekerk, dont les révélations sont sans pitié, Bezos croit ainsi fermement que les salariés s’engagent progressivement dans une «marche vers la médiocrité». «Il pouvait par exemple dire que la nature humaine est de dépenser le moins d’énergie possible pour obtenir ce que l’on veut», rapporte ainsi crûment l’Américain.

    L’un des risques que redoutait –ou fantasmait– particulièrement Bezos était celui d’une masse laborieuse s’enfonçant dans cette économie de moyens et l’insatisfaction.
    Selon le New York Times, c’est la raison pour laquelle la firme organise ses ressources humaines autour du court-terme, n’offre volontairement que peu de perspectives d’évolution interne aux personnes occupant le bas de l’échelle, voire les incite financièrement à aller voir aussi rapidement que possible si l’herbe n’est pas plus verte ailleurs.
    Les salariés sont ainsi traités comme des robots dispensables –quand les vraies machines, elles, progressent à grands pas. Leur productivité est tracée minute par minute et geste après geste par le système informatique de la plateforme, et la moindre journée de méforme peut être sanctionnée sans même qu’un superviseur humain n’ait à intervenir.

    Dans sa guerre contre cette « marche vers la médiocrité», telle que définie par Bezos, la firme essore tant les personnes qu’elle emploie que certains cadres de l’entreprise craignent qu’elle ne finisse pas assécher tout à fait le réservoir de cette main-d’œuvre corvéable à merci.
    Avant de quitter la tête d’Amazon pour aller chatouiller ses rêves d’apesanteur, un Bezos grand seigneur –au sens presque féodal du terme– a annoncé qu’Amazon se lançait dans un plan massif pour améliorer les conditions de travail au sein de ses entrepôts. »

    Je finirai par une réflexion un peu désabusée qui n’a peut-être rien à voir avec le sujet abordé aujourd’hui. Quoi que, j’ai des doutes. C’est une histoire de chiffres.

    Selon Capital près d’un Français sur trois (quasiment 22 millions de Français) achète sur Amazon.
    Le corps électoral français, selon l’INSEE, comptait 47,7 millions d’électeurs en février 2020.

    Nous avons appris qu’il y a eu une abstention aux élections régionales de plus de 66 %, donc moins de 34% de votants.Or, 34% de 47,7 millions représentent 16,2 millions d’électeurs.

    Il existe donc en France plus de consommateurs pour acheter les produits qui sortent des entrepôts Amazon que de citoyens qui pensent qu’il y a une démocratie à honorer et des droits politiques et sociaux à préserver.

    <1581>

  • Lundi 21 juin 2021

    « La vocation des hommes n’est pas d’occuper les emplois pénibles, le monde serait meilleur, s’il y avait plus de médecins ou de profs – au moins un par enfant – rémunérés grâce à un revenu universel. »
    Jeff Bezos cité par Benoit Berthelot

    Benoit Berthelot est un journaliste spécialiste des nouvelles technologies au magazine Capital. Il est l’auteur de l’enquête : « Le monde selon Amazon ».

    « Le Un » a publié un entretien avec lui, dont le titre est « L’avenir selon Jeff Bezos »

    Benoit Berthelot explique d’abord le côté singulier d’Amazon à côté des autres entreprises des Gafa : l’utilisation massive de main d’œuvre.

    « [Jeff Bezos] conçoit Amazon comme une entreprise proche des gens. Et de fait, Amazon allie les éléments actuels les plus high-tech – algorithmes, intelligence artificielle ou électronique – à des éléments typiques de l’usine traditionnelle. Si vous allez chez Google ou Facebook, vous trouverez quelques dizaines de milliers d’ingénieurs, Amazon de son côté emploie plus d’un million de cols-bleus. C’est une entreprise monde qui marie aussi bien des éléments du XXème et du XXIème siècle, le salariat de masse et les nouvelles technologies, le territoire et le cloud, les axes routiers et les autoroutes de l’information »

    Et en effet, nous avons vu que dans les immenses entrepôts, il y avait encore beaucoup d’humains qui travaillaient à côté des robots.

    Le chef robotique d’Amazon, Tye Brady avait même une vision symphonique de ce travail commun.

    Mais dans l’esprit de Jeff Bezos, la symphonie de ses entrepôts a vocation dans l’avenir à faire de moins en moins appel aux humains,

    « Amazon investit massivement en vue d’avoir les entrepôts les plus connectés possibles : en quelques années, Amazon est passé de 7 à 5 employés pour un robot , et ce ratio va continuer à se resserrer, pour que la présence humaine soit de moins en nécessaire dans ses entrepôts »

    Même les livraisons, dans sa vision d’avenir, devront économiser la ressource humaine :

    « Jeff Bezos a parié très tôt sur les livraisons par drone, mais celles-ci paraissent difficiles à mettre en œuvre. En revanche, on peut penser que les véhicules autonomes pourront être utilisés pour livrer des colis à moindre coût. Amazon emploie déjà un robot à six roues, Scout, dans quelques villes test pour effectuer des livraisons »

    Bien sûr cela aura pour conséquence des licenciements de masse. :

    « Amazon a déjà lancé un programme de reconversion de ses salariés vers des métiers de la santé ou de l’éducation. Jeff Bezos a affirmé que la vocation des hommes n’était pas d’occuper les emplois pénibles, mais que le monde serait meilleur, s’il y avait plus de médecins ou de profs – au moins un par enfant -rémunérés grâce à un revenu universel. »

    C’est une vision résolument progressiste !

    Il faut constater cependant que pour l’instant, Amazon implante des entrepôts dans des territoires en présentant deux arguments : le premier est qu’il pourra ainsi mieux livrer ses clients, le second prétend qu’il crée ainsi de nombreux emplois.

    Le premier peut s’entendre.

    Le second est plus problématique. Nonobstant que la création d’emploi d’Amazon n’est pas nette car la conséquence de son développement conduit à des suppressions d’emplois dans d’autres commerces. Il y a des discussions sur le fait de savoir si le solde est positif ou négatif. Mais le plus problématique est que ces emplois sont destinés à disparaître.

    Je m’interroge sur la multiplication d’emplois de professeurs et de médecin payés grâce à un revenu universel, c’est-à-dire, probablement, très modestement. Il va de soi que la rémunération de Jeff Bezos, quant à elle, n’a que vocation à croitre.

    En dehors de ce sujet de la rémunération, est-il envisageable, même avec une formation solide et performante, de pouvoir faire évoluer les femmes et hommes qui travaillent dans ces entrepôts vers des métiers de professeurs, de médecins ou d’infirmiers ?

    Je ne voudrais pas apparaître comme le défenseur des métiers pénibles, mais je m’interroge : tout cela est-il bien réaliste ?

    Il y encore un peu de temps : « Amazon estime que le remplacement de ses employés par des robots prendra au moins dix ans »

    « Si l’utilisation future de l’intelligence artificielle et de la robotique au sein du réseau logistique d’Amazon ne fait aucun doute, reste à savoir quand ces machines prendront en charge la totalité du travail sur les plateformes de la société américaine. La réponse semble toutefois actée, à en croire le Monsieur robots d’Amazon, Scott Anderson. Selon lui, l’automatisation totale des chaines de préparation de commandes au sein des entrepôts de la société ne sera pas effective avant un délai d’au moins dix ans.

    Malgré la place avancée prise par les robots et l’automatisation dans des entreprises comme Amazon, il semblerait que le développement de robots capables de gérer correctement et sans encombre une commande de A à Z soit jusqu’ici compliqué. Leurs actions sont pour le moment limitées aux tâches répétitives ou au traitement de certaines marchandises. L’intervention humaine semble quant à elle encore indispensable à la réalisation de travaux spécifiques de reconnaissance et de manipulation, notamment dans la gestion de produits frais. »

    <1580>

  • Vendredi 18 juin 2021

    « Une symphonie d’humains et de machines travaillant ensemble. »
    Tye Brady chef robotique d’Amazon,

    Au centre de la réussite d’Amazon, se trouve l’entrepôt ultra moderne, construit, réalisé et pensé avec les outils modernes.

    Car Amazon n’est pas une épicerie, ce n’est pas non plus une librairie avec des femmes et des hommes qui lisent des livres, possèdent une culture littéraire, une sensibilité artistique et qui pourront vous conseiller et vous trouver le livre que vous aimerez. Et il en va de même pour la musique ou tous les autres produits vendus.

    L’important pour Amazon c’est d’avoir tous les produits, tous les livres que les gens veulent acheter

    Si vous avez besoin d’un conseil, Amazon se tournera vers les millions de données qu’il a engrangés dans ses big data. Il pourra ainsi dire quels sont les produits les plus vendus, mais aussi dans des domaines beaucoup plus ciblés que si vous achetez ce livre, peut être que cet autre livre peut vous intéresser parce qu’il existe 10, 15 ou peut être 100 personnes qui ont acheté le premier livre et qui ont aussi acheté le second. Nul besoin de faire appel à un spécialiste ou simplement à quelqu’un qui a un peu lu ce livre pour en connaître le contenu et se trouve capable, grâce à son expérience de faire des liens cognitifs avec un autre livre.

    Le numérique ouvre d’autres perspectives, mais pour cela il faut penser de façon différente comme l’avait dit jadis Steve Job : « think différent ».

    Jeff Bezos et ses collaborateurs ont mis en pratique cette manière d’être disruptif.

    Je reconnais que l’être de culture peut être choqué voire révolté de la manière dont j’ai décrit les conseils de lecture que sait donner le numérique. Il faut être juste : grâce à l’intelligence artificielle il est possible d’analyser le contenu d’un ouvrage et s’il s’agit d’un document technique d’en tirer un jugement pertinent. Mais revenons au cœur du sujet : l’entrepôt Amazon.

    Quand vous disposez du numérique, d’immenses bases de données et

    • que vous êtes capables d’identifier chaque produit dont vous disposez par un code barre
    • que vous êtes capable de repérer chaque petit endroit sur une étagère, dans un lieu précis de l’entrepôt. Bref de connaître exactement une adresse d’une cellule de rangement

    L’efficacité commande à ce que vous rangiez de manière différente. Vous n’allez plus ranger les livres avec les livres et les produits vaisselles entre eux. Vous allez simplement ranger le produit qui vous arrive, au premier endroit libre qui peut l’accueillir. C’est ce qu’on appelle le rangement aléatoire. Grâce aux outils numériques vous trouverez le produit que vous cherchez immédiatement.

    Et je vous laisse visionner <cette video> qui vous expliquera beaucoup de choses et à 3:50 vous révélera pourquoi cette manière de ranger, de manière aléatoire et répartiesur tout le site, est beaucoup plus efficace et rapide pour mobiliser les produits au moment des commandes.

    Sur nos ordinateurs, nous autres archaïques avons l’habitude comme à l’époque des dossiers papier, de ranger nos fichiers dans des répertoires, sous répertoires, sous sous répertoires etc.

    C’est très bien de faire ainsi, c’est rassurant, cela nous rappelle notre jeunesse. Mais ce n’est pas efficace. Ce qu’il convient de faire, c’est de donner des noms précis et intelligibles aux fichiers puis de les enregistrer n’importe où ou plutôt dans un répertoire unique. Ensuite vous utilisez les outils de recherche numérique pour retrouver votre fichier. C’est beaucoup plus efficace et rapide.

    Amazon n’est donc pas une librairie, ni une épicerie mais une formidable, une exceptionnelle entreprise de logistique.

    Ces entrepôts se modernisent de plus en plus, les robots prennent de plus en plus de place et la place de l’humain régresse.

    D’ailleurs les entrepôts sont désormais divisés en deux : l’espace des robots et l’espace des humains, avec à la frontière des lieux d’échanges.

    Jeff Bezos qui se voit comme bienfaiteur de l’humanité souhaite que les robots déchargent les humains de toutes les tâches ingrates et pénibles pour leur laisser le temps et le loisir de s’occuper de tâches et d’activités intéressantes et valorisantes.

    Actuellement il existe encore beaucoup de tâches ingrates faites par les humains mais ils sont aidés par les robots.

    Et j’ai trouvé la phrase que j’ai mise en exergue sur <cette page> sur laquelle on lit :

    « Amazon robotic chief, Tye Brady, has an optimistic view: « The efficiencies we gain from our associates and robotics working together harmoniously — what I like to call a symphony of humans and machines working together — allows us to pass along a lower cost to our customer. »

    Ce qui doit pouvoir se traduire ainsi :

    « Le chef robotique d’Amazon, Tye Brady, a une vision optimiste : « L’efficacité que nous tirons de la collaboration harmonieuse de nos associés et de la robotique – ce que j’aime appeler une symphonie d’humains et de machines travaillant ensemble – nous permet de répercuter un coût inférieur sur notre client. »

    Vous verrez dans cette vidéo «Amazon ou le territoire des robots » une intervention de cet homme résolument optimiste qu’est Tye Brady.

    On m’a raconté que les élèves ingénieurs revenant d’un stage dans un entrepôt Amazon sont le plus souvent fascinés par l’intelligence et l’organisation qu’ils y rencontrent.

    Amazon n’appelle pas ces lieux des entrepôts mais des « centres de distribution »

    L’amélioration, la robotisation de plus en plus poussé n’ont qu’un but : satisfaire toujours mieux le consommateur à un prix toujours plus concurrentiel. La conséquence en est un chiffre d’affaires et des bénéfices en perpétuel hausses.

    Nous ne vivons pas dans le monde des bisounours. La pression et les conditions de travail des associés humains des robots peut être pénible comme le raconte sur « Brut » une ancienne employée

    Dans « Le Un » est cité un extrait de «Nomadland», le livre de Jessica Bruder qui avait fait l’objet du <mot du jour du 7 mars 2019> et qui parle de ces seniors qui voyagent dans leur mobil home à travers les États-Unis pour trouver un job.

    Jessica Bruder raconte son expérience dans ces entrepôts d’Amazon dans lesquels, même les robots peuvent sortir de leur rôle et participer à des actions anarchiques. J’en partage un extrait :

    « Ma formation commence un mercredi matin : trente et une personnes sont réunies dans une salle de classe sur le site logistique d’Amazon. « Vous allez effectuer un travail très physique, nous prévient notre instructrice. Vous allez sans doute vous agenouiller mille fois par jour, et je n’exagère pas. Fessiers en acier, nous voilà ! Compris ? » Des ricanements éclatent dans l’assistance. […]

    Notre formatrice, elle-même nomade en camping-car [explique…] « Les campeurs sont appréciés pour leur intégrité, leur ponctualité et la qualité de leur travail. Nous savons ce qu’est le boulot. Et Amazon compte sur des gens comme nous. Des gens qui ont de l’expérience, et qui assurent un max ! », […]

    Tous ensemble, nous allons être formés pour travailler dans une unité appelée Inventory Control Quality Assurance, ou ICQA. Le boulot n’est pas très compliqué en soi : il s’agit de scanner la marchandise pour vérifier l’état de l’inventaire. Mais nous découvrirons très vite que notre entrepôt (le plus grand de tout le réseau Amazon, d’après notre formatrice, et comparable en taille à plus de dix-neuf stades de football réunis) est un véritable labyrinthe. Plus de trente-trois kilomètres de tapis roulants acheminent des paquets à travers le site. Ils font un fracas de train de marchandises et s’enrayent pour un rien. […]

    Durant notre formation, nous apprenons également que notre usine est l’un des dix centres de distribution Amazon où est testée l’utilisation de robots « sherpas ». Ces engins orange pèsent plus de cent vingt kilos et ressemblent à des aspirateurs automatiques géants. Techniquement, ce sont des « unités motrices » mais, pour la plupart des employés, ce sont simplement les « Kiva », du nom du fabricant imprimé sur chacun d’eux en gros caractères d’imprimerie. Ils se déplacent à l’intérieur d’une immense cage sombre – après tout, les robots n’ont pas besoin de lumière pour voir – dans une zone appelée « atelier Kiva ». Leur mission : transporter des blocs de linéaires garnis de marchandises vers les postes de travail des humains, situés en périphérie de leurs cages. Personne, hormis les membres de l’unité « Amnesty », n’est autorisé à accéder à l’atelier Kiva, même quand les produits dégringolent des étagères. […]

    J’ai déjà entendu tout et son contraire à propos de ces fameux robots Kiva. Ils incarnent soit le fantasme de tout expert de l’efficacité, une innovation censée libérer l’humanité des besognes exténuantes, soit le funeste présage d’une dystopie où le travail manuel deviendra obsolète et le fossé de séparation entre les riches et les pauvres, un abîme infranchissable. La réalité, moins polémique et plus cocasse, est digne d’une version contemporaine des Temps modernes de Charlie Chaplin. Nos formateurs nous régalent d’anecdotes de robots indisciplinés. Comme le jour où les Kiva ont tenté de s’échapper par un trou dans le grillage. Ou la fois où ils ont essayé d’emporter une échelle sur laquelle était monté un employé. En de rares occasions, il a pu arriver que deux Kiva se rentrent dedans – alors qu’ils transportaient chacun trois cent soixante-quinze kilos de matériel – tels deux supporters de foot ivres. Parfois, ils font tomber des marchandises. Et parfois, même, ils les écrasent. En avril, une bombe de spray anti-ours (grosso modo, une bombe lacrymogène puissance industrielle) est tombée d’un linéaire pendant son transport et s’est fait rouler dessus par un autre robot. L’entrepôt a dû être évacué. Les infirmiers ont soigné sept ouvriers à l’extérieur. Un autre a été conduit aux urgences, en proie à des problèmes respiratoires.[…]

    Je commence à scanner les codes-barres d’une myriade d’articles allant des godemichés (fabricant : « Cloud 9 », modèle « Delightful Dong ») aux kits de revêtement adhésif pour armes à feu de chez Smith & Wesson (texture lisse ou granulée) en passant par les cartescadeaux cinéma à 25 dollars (il y en a cent quarante-six au total, et il faut toutes les scanner). Un jour, je vois un robot Kiva transportant un bloc de linéaires se diriger vers mon poste de travail. Des relents nauséabonds me sautent aux narines à son approche. Bizarrement, cette odeur m’évoque… la fac. Une fois sa cargaison déposée devant moi, je découvre dix-huit boîtes d’encens au patchouli attendant d’être scannées. Leur parfum m’imprègne les doigts. Je lutte contre la nausée, termine mon travail et appuie sur un bouton pour renvoyer le robot. Trois autres attendent déjà leur tour, rangés derrière lui telle une fratrie de labradors bien dressés. Tandis que le bloc d’étagères parfumées s’éloigne, un autre, frais et inodore, prend sa place. Hélas, cinq minutes plus tard, le robot patchouli revient. Je re-scanne toutes les boîtes d’encens et le renvoie une deuxième fois. Pour le voir revenir quelques minutes plus tard. Je me pose une question : puis-je m’appuyer sur cette expérience pour affirmer que les humains sont plus intelligents que les robots ? ou le robot me traite-t-il par le mépris en m’imposant de revérifier sans cesse mon travail, histoire de choisir le meilleur résultat entre les trois ? »

    Dans une approche rapide, Amazon est attentif au confort et à l’hygiène de ses employés. Si on creuse un peu, il semble surtout qu’Amazon tient à conserver une main d’œuvre efficace et servile pour continuer à faire tourner l’entrepôt et les livraisons à une cadence infernale :

    « En plus des robots rebelles, il nous est recommandé de faire attention au surmenage. « PRÉPAREZ-VOUS AUX COURBATURES ! » met en garde une affiche dans la salle. L’un de nos instructeurs nous explique d’un air goguenard qu’on peut s’estimer heureux d’avoir connu une bonne journée au travail « si on n’a pas dû avaler plus de deux cachets de Tylenol le soir ». Des distributeurs automatiques proposent des boîtes d’analgésiques génériques aux employés. Si vous préférez une marque précise, ou si vous carburez plutôt aux boissons énergisantes, vous pouvez aussi en acheter en salle de pause. […] Un immense calendrier révèle qu’à ce stade du mois de novembre, il y a eu au moins un « incident » par jour lié à des problèmes de sécurité. Notre guide nous désigne le « mur de la honte » où sont affichés les profils anonymes d’anciens travailleurs déshonorés. Chacun est illustré d’une image au format clipart : la silhouette noire d’un crâne barrée du mot « ARRÊTÉ » ou « LICENCIÉ » en lettres rouges. Un employé a volé des iPhone qu’il cachait dans ses boots à bouts métalliques. Un autre s’est fait prendre en train de manger de la marchandise au lieu de la ranger dans une alvéole (pour la somme de 17,46 dollars, précisait-on sur sa fiche). Le mot d’ordre est « discipline ».

    On nous demande de marcher le long de sentiers balisés au sol par du scotch vert ; si quelqu’un coupe un virage, notre guide le sermonne.

    Dans les toilettes, je découvre à l’intérieur de ma cabine un nuancier de couleurs allant du jaune pâle à un terrifiant rouge marron. La légende me propose d’identifier laquelle correspond le plus à celle de mon urine. Verdict : je ne bois pas assez d’eau. »

    Entre fascination et rejet, le cœur de la machine à satisfaire le consommateur nous révèle ainsi son ingéniosité mais aussi le coût humain de cette quête de l’efficacité et de la démesure »

    <1579>

  • Jeudi 17 juin 2021

    « Amazon, c’est bizarre à dire, est désormais obligé de faire des bénéfices. »
    Mounar Mahjoubi, ancien secrétaire d’État chargé du Numérique de 2017 à 2019

    Mounir Mahjoubi s’exprime ainsi dans « Le UN » déjà évoqué, lors d’un entretien essentiellement consacré à l’optimisation fiscale que pratique la firme de Seattle. Il insiste sur le fait que c’est par volonté d’éviter l’impôt qu’Amazon a cherché à minimiser voire effacer les bénéfices :

    « Amazon, c’est bizarre à dire, est désormais obligé de faire des bénéfices. Pendant vingt ans, l’entreprise a réinvesti ses revenus de manière à présenter en permanence une situation de déficit, mais ceux-ci sont aujourd’hui tellement importants que c’est devenu impossible »

    Mais au-delà de la vision fiscale, Amazon n’a pas cherché à faire des bénéficies à court terme. Amazon a commencé son activité en 1995 et a attendu presque 10 ans pour avoir ses premiers bénéfices.

    Nous lisons dans article de 2004 de « L’EXPRESS » : <Amazon enfin rentable> :

    « C’est un évènement pour le groupe. Pour la première fois depuis sa création en 1995, Amazon.com affiche un bénéfice net sur l’année entière. Le leader mondial du commerce électronique a réalisé un bénéfice net  »

    Jeff Bezos a créé une entreprise qui a fait des pertes pendant 10 ans, sans perdre la confiance de ses actionnaires.

    Il est même aller plus loin : il n’a jamais payé de dividendes à ses actionnaires.

    <Pourquoi Amazon ne paie pas de dividendes ?> :

    « Les marchés ont des attentes différentes des différentes entreprises. Les investisseurs dans les industries matures, les banques et les entreprises de services publics s’attendent à ce qu’ils partagent la plupart de leurs bénéfices sous forme de paiements aux actionnaires – sous forme de dividendes ou de rachats.

    Cependant, les investisseurs ont des attentes différentes des entreprises à forte croissance, en particulier dans le secteur de la technologie. […] Jeff Bezos n’a pas été un fan des dividendes et des rachats d’actions. Bien qu’Amazon ait procédé à des rachats d’actions dans le passé, ils sont assez faibles compte tenu de la taille de l’entreprise. Au lieu de cela, Bezos s’est penché sur les acquisitions et la croissance. Amazon dépense énormément en croissance sur certains marchés internationaux comme l’Inde. »

    Jeff Bezos est indiscutablement un génie et Amazon est une entreprise qui a emmené la perfection logistique à un niveau inégalé.

    C’est le contraire d’un homme d’affaire qui a une vision à court terme. Pour lui, c’est le long terme qui est essentiel. Il construit ainsi, année après année, la croissance de son entreprise par des investissements gigantesques.

    Les actionnaires et les marchés ont continué à lui faire une totale confiance. Ainsi les actionnaires ont pu bénéficier de l’augmentation du cours de l’action.

    « Bien qu’Amazon ne verse actuellement pas de dividende, l’appréciation du cours de son action a plus que compensé l’absence de dividende. »

    Il a pendant longtemps eu un autre problème de rentabilité : Cela coute cher de livrer chaque client, où qu’il soit dans un délai record et avec un cout concurrentiel. Au démarrage les pertes liées à l’activité de livraison d’Amazon étaient très importantes. C’est alors qu’« Andrew Jassy » qui venaient d’entrer à Amazon a eu une idée remarquable. Pour organiser les commandes, les livraisons et aussi la logistique des entrepôt, Amazon avait besoin de serveurs numériques considérables. Il fallait donc les acquérir et les installer dans des fermes à serveurs. Alors à moins de frais on pouvait augmenter la taille de ses serveurs.

    <Challenge> explique :

    « Né en 1968 dans une famille aisée de New York, Andrew Jassy fait ses études à Harvard avant de rejoindre Amazon en 1997, trois ans après sa création. C’est alors une simple librairie en ligne qui perd de l’argent. Qu’importe, il rejoint l’équipe et comprend vite que la clé de la réussite passe par la technologie.

    Les serveurs qu’Amazon installe un peu partout pour gérer les commandes en ligne coûtent un argent fou. Comment réduire les coûts ?

    Andrew Jassy propose de les rentabiliser en les louant et en vendant des services en ligne aux entreprises. C’est ainsi que naît en 2003 Amazon Web Services (AWS), dont Andrew Jassy devient directeur général en 2016. L’activité cloud est la plus rentable du groupe, pesant près des deux tiers du résultat net pour 20 % du chiffre d’affaires. »

    <Les Echos> dans un article de 2020 le confirme :

    « A ce propos, c’est sur AWS, la filiale « dans les nuages », que repose la rentabilité du groupe. Au début des années 2000, Jeff Bezos, le PDG, a compris que les entreprises voudraient déléguer le stockage de leurs données au lieu d’avoir leurs serveurs dans leurs locaux. C’était trop cher, trop peu efficace et pas assez flexible. En développant sa propre technologie, Amazon a pu proposer ce type de services. Il est ainsi devenu l’un des leaders mondiaux du cloud. Cette activité prospère aide à financer le développement de l’e-commerce, une activité à faible marge et qui perd de l’argent à l’international. »

    Et quand Jeff Bezos décide de prendre du recul, c’est Andy Jassy qu’il choisit comme remplaçant.

    <Jeff Bezos passera le flambeau à Andy Jassy (AWS)> :

    « Or l’homme d’affaires a bien d’autres projets en cours. C’est d’ailleurs la raison invoquée pour expliquer qu’il va quitter son poste de CEO d’Amazon. La transition aura lieu au cours du troisième trimestre de l’année, après quoi il restera toujours présent comme président exécutif du conseil d’administration.

    « Je disposerai du temps et de l’énergie dont j’ai besoin pour me concentrer sur Day One Fund, le Bezos Earth Fund, Blue Origin, Washington Post et mes autres passions ». « Je n’ai jamais eu autant d’énergie et il ne s’agit pas de prendre ma retraite », prévient Jeff Bezos (57 ans) dans sa lettre. »

    Jeff Bezos a donc d’autres projets que travailler uniquement à la croissance d’Amazon. Mais il faut reconnaître ses talents de visionnaire et aussi ses capacités d’entrainement pour croire en une entreprise qui ne faisait pas de bénéfices pendant 10 ans puis en a réalisé grâce à une activité annexe.

    Mais maintenant il faut qu’Amazon apprenne à gérer ses bénéficies et peut être à payer des impôts dans les États dans lesquels il réalise ses chiffres d’affaires.

    <1579>

  • Mercredi 16 juin 2021

    « Pause (Amazon) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    J’avais déjà consacré, avant cette série commencée lundi,  des mots du jour aux Gafa et à Amazon

    Ainsi le mot du jour du 30 mai 2013 : <En Amazonie, infiltré dans “le meilleur des mondes >.

    Puis celui du 24 juin 2015 <Après l’angoisse de la page blanche, Amazon vient d’inventer l’angoisse de la page non lue. >

    Et aussi celui du 6 décembre 2017 :  « Amazon Go »

     

    <mot sans numéro>

  • Mardi 15 juin 2021

    «Vous devez être capable d’agir trois fois plus vite que les gens les plus compétents.»
    Message initial de Jeff Bezos pour recruter pour son entreprise

    Jeff Bezos a donc créé Amazon  et mis en ligne «  La plus grande librairie du monde » en 1995.

    E,t il en a fait, en une vingtaine d’années, une entreprise à tout vendre.

    Un journaliste américain à Bloomberg, Brad Stone avait publié en 2013 un livre enquête sur cette aventure « The Everything Store ». ce livre a été traduit en français et publié en 2014 : « Amazon : la boutique à tout vendre »

    Vous pouvez acheter ce livre sur Amazon, mais le lien que je donne est vers la librairie Decitre.

    Le journal « Les Echos » avait publié un article <le 30 mai 2014> de la journaliste Isabelle Lesniak qui parle de ce livre. Elle avait elle-même mené une enquête sur Amazon

    Au début ses idées vont se développer à New York. Il va rencontrer une entreprise financière Desco et un homme Shaw avec qui il va apprendre l’organisation et échanger des idées et élaborer des stratégies disruptives.

    « Tout a commencé avec une idée. Et cette idée flottait dans l’air de la société Desco (D. E. Shaw & Co.), sise à New York… Ce fonds spéculatif avait été créé en 1988 par un ancien professeur d’informatique de l’université de Columbia, David E. Shaw. Sa grande idée était d’exploiter les ordinateurs et des formules mathématiques complexes dans le marché de la finance à grande échelle. (…) Desco n’avait rien d’une société typique de Wall Street. Shaw ne recrutait pas des financiers mais des mathématiciens et des experts scientifiques, de préférence avec un CV hors norme et des références académiques indéniables.

    (…) Bezos, alors âgé de 29 ans, commençait déjà à se dégarnir. Son visage un peu pâle et creusé était typique d’un « accro » au travail. Durant les sept années qu’il avait passées à Wall Street, il en avait impressionné plus d’un par sa vive intelligence et sa détermination sans faille. [Après Princeton] il avait, en 1988, rejoint la firme financière Bankers Trust, mais ne s’y était pas plu. A la fin de l’année 1990, il se préparait à quitter Wall Street lorsqu’un chasseur de têtes le convainquit de venir voir les dirigeants d’une firme financière « pas comme les autres ».

    (…) C’est grâce à Desco que Bezos développa un grand nombre des caractéristiques distinctives que les employés d’Amazon retrouveront plus tard. Discipliné, précis, il notait constamment des idées sur un carnet qu’il transportait en permanence, de peur qu’elles ne s’envolent. (…) Quelle que soit la situation, Bezos procédait « analytiquement ». Célibataire à cette époque, il entreprit de suivre des cours de danse de salon, ayant calculé que cela améliorerait ses chances de rencontrer ce qu’il appelait des femmes « n + ». (…) Shaw et Bezos caressaient l’idée de développer une boutique « où l’on trouverait de tout ». De nombreux cadres estimaient qu’il serait aisé de mettre en ligne un magasin de ce genre. Pourtant, l’idée n’avait pas semblée réaliste à Bezos – du moins dans les premiers temps. Il avait donc commencé par établir une liste de vingt rayons potentiels : fournitures de bureau, logiciels, vêtements, musique… Il lui apparut alors que le plus approprié était celui des livres. C’est un article totalement standard ; chaque exemplaire étant identique à un autre, les acheteurs savent pertinemment ce qu’ils vont recevoir. A cette époque, aux Etats-Unis, deux distributeurs principaux se partageaient le marché. Les démarches en étaient considérablement simplifiées. Et il existait trois millions de livres en circulation dans le monde. »

    Mais ce n’est pas avec Shaw qu’il va développer le concept qui le rendra célèbre et riche. Entre temps il a rencontré et épousé en 1992 MacKenzie.

    En 2019 leur divorce sera classé comme le plus cher de l’Histoire, mais les records sont faits pour être battus.

    Avec MacKenzie il se rend à Seattle pour monter sa librairie en ligne.

    <Seattle> est la plus grande ville (750 000 habitants en 2018) située dans l’Etat de Washington, c’est à dire au nord-ouest des Etats-Unis et au Nord de la Californie.

    Cette ville était alors le siège de Boeing et d’autres entreprises de haute technologie comme Microsoft et Google.

    Cette ville offre à la fois de nombreux diplômés en informatique et des taxes moindres qu’à New York ou en Californie. Wikipedia affirme qu’au départ les Bezos ont pu débuter grâce à un investissement des parents de Jeff à hauteur de 245 573 dollars.

    Et ils vont se lancer, l’article d’Isabelle Lesniak
    cite un message du 21 août 1994 sur le forum Usenet :

    « Start-up bien capitalisée cherche des programmeurs C/C++ et Unix extrêmement talentueux. Objectif : aider au développement d’un système pionnier de commerce sur Internet. Vous devez avoir acquis une expérience dans la conception et la mise en place de systèmes larges et comple xes (mais aussi faciles à faire évoluer). Vous devez être capable d’agir trois fois plus vite que les gens les plus compétents. Attendez-vous à travailler avec des collègues talentueux, motivés, sérieux et intéressants. »

    Bref les meilleurs d’entre les meilleurs.

    Jeff et MacKenzie vont beaucoup hésiter sur le nom à donner à la plus grande librairie du monde. Vous trouverez dans l’article les différentes tentatives. Mais finalement Amazon va être choisi en référence au fleuve mais aussi parce que le mot commençait par A et qu’à cette époque, la plupart des annuaires classaient les sites par ordre alphabétique.

    Au départ c’était un « truc » d’informaticiens pour les informaticiens mais pas que :

    « Très vite, il apparut que la clientèle était particulière. Les premiers utilisateurs commandaient des manuels d’informatique, des bandes dessinées de la série Dilbert, des livres sur des instruments de musique anciens et des guides de sexologie. La première année, le best-seller fut un manuel de Lincoln D. Stein expliquant comme créer un site Web. Certaines commandes provenaient de soldats américains dont les troupes étaient stationnées hors du continent. Un habitant de l’Ohio écrivit pour dire qu’il vivait à 75 kilomètres de la librairie la plus proche et qu’Amazon.com était un don du ciel. Un employé de l’Observatoire européen austral au Chili avait commandé un livre de Carl Sagan – apparemment à titre de test ; il dut être satisfait car, peu après, il repassa commande de plusieurs douzaines d’exemplaires du même livre. Amazon découvrait ainsi ce phénomène que l’on appelle la « longue traîne » : le grand nombre d’articles rares qui séduisent un petit nombre de gens. »

    Pour arriver à créer cette société unique, performante et rigoureuse, il crée une culture d’entreprise que je qualifierai d’absolue et exclusive :

    « Peu à peu, le PDG aux cheveux clairsemés, au rire perçant et au comportement agité dévoilait sa vraie nature aux employés. Il se révélait bien plus têtu que ce qu’ils avaient perçu au départ. Il supposait de manière présomptueuse qu’ils seraient constamment prêts à donner le meilleur d’eux-mêmes et sans la moindre réserve.

    (…) Bezos était déterminé à insuffler dans sa société une culture particulière : celle des économies à tout crin. Les bureaux construits à partir de portes et les contributions minimales aux frais de parking en faisaient partie. Au premier étage du nouveau bâtiment, un stand de café distribuait des cartes de fidélité permettant aux clients d’obtenir une boisson gratuite au dixième achat. Jeff Bezos, qui était alors multi-millionnaire, insistait pourtant pour se faire poinçonner sa carte de fidélité. Parfois quand même, il offrait la boisson gratuite qu’il avait récoltée à un collègue.

    (…) Un grand nombre d’employés rechignaient à accepter le rythme de travail insensé. Or Jeff Bezos les sollicitait de plus en plus fortement, en organisant des réunions le week-end, en instituant un club de cadres qui se réunissait le samedi matin et en répétant souvent son credo : travailler dur, longtemps, avec intelligence. De ce fait, Amazon était mal perçue par les familles. Certains cadres, qui désiraient avoir des enfants, quittèrent alors la société. »

    Il attend de ses employés que leur but de vie soit la réussite de l’entreprise :

    « (…) Lors d’une réunion restée mémorable, une salariée demanda à Jeff Bezos quand Amazon établirait un meilleur équilibre entre le travail et la vie personnelle. Il le prit très mal : « La raison pour laquelle nous sommes ici est d’accomplir notre tâche. C’est la priorité numéro 1, l’ADN d’Amazon. Si vous ne pouvez pas vous y dévouer corps et âme, alors peut-être n’êtes-vous pas à votre place. » »

    De manière générale, Jeff Bezos impose un management inventif et exigeant :

    « Bezos présenta sa nouvelle grande idée aux principaux cadres : toute l’entreprise allait se restructurer autour de ce qu’il appelait les « équipes à deux pizzas ». Les employés seraient organisés en groupes autonomes de moins de dix personnes – suffisamment petits pour que, lorsqu’ils travailleraient tard, les membres puissent être nourris avec deux pizzas. Ces équipes seraient « lâchées » sur les plus gros problèmes d’Amazon. Elles seraient en compétition mutuelle en matière de ressources et parfois, dupliqueraient leurs efforts, reproduisant les réalités darwiniennes de survie dans la nature. »

    La gestion du temps et le refus des pertes de temps constituent un impératif. Mais il y a un autre point que je trouve intéressant dans la communication, c’est la volonté du PDG d’obliger ses collaborateurs d’exprimer les idées par des phrases et des arguments :

    « L’autre changement était assez unique dans l’histoire des entreprises. Jusqu’à présent, les employés avaient utilisé les logiciels Powerpoint et Excel de Microsoft pour présenter leurs idées lors de meetings. Bezos estimait que cette méthode dissimulait une façon de penser paresseuse. Il annonça que de tels logiciels ne seraient plus utilisés. Chacun devrait écrire sa présentation en prose. En dépit des résistances internes, il insista sur ce point. Il voulait que les gens prennent le temps d’exprimer leurs pensées de façon convaincante.

    (…) Les présentations en prose étaient distribuées et chacun les lisait durant une bonne quinzaine de minutes. Au départ, il n’y avait pas de limite pour ces documents, ce qui pouvait amener à produire des exposés de soixante pages. Donc, très vite, un décret supplémentaire fut édicté, imposant un maximum de six pages (…). »

    Et il a ensuite poussé cette rigueur jusqu’à la synthèse permettant de convaincre le client :

    « Chaque fois qu’une nouvelle fonction ou qu’un nouveau produit était proposé, l’exposé devait prendre la forme d’un communiqué de presse. Le but était d’amener les employés à développer un argumentaire de vente. Bezos ne croyait pas possible de prendre une bonne décision quant à un produit ou une fonction si l’on ne savait pas précisément comment le communiquer au monde – ni ce que le vénéré client en penserait. »

    Il peut aussi être très désagréable avec ses employés :

    « Bien qu’il puisse se montrer charmant et plein d’humour en public, Bezos était capable en interne de descendre en flammes un subalterne. Il était enclin à des colères mémorables. Un collègue qui échouait à satisfaire les standards qu’il avait fixés était en mesure d’en déclencher une. Il était alors capable d’hyperboles et d’une rare cruauté. Il pouvait décocher des phrases appelées à demeurer dans les annales internes : (…) « Je suis désolé, ai-je pris mes pilules pour la stupidité aujourd’hui ? » « Est-ce qu’il faut que j’aille chercher le certificat qui spécifie que je suis le PDG afin que vous cessiez de me défier là-dessus ? » « Êtes-vous paresseux ou juste incompétent ? »

    L’empathie pour son personnel n’est pas le point fort de cet homme qui prône la philanthropie. Son obsession est le consommateur.:

    « (…) Certains employés d’Amazon avancent la théorie que Bezos, tout comme Steve Jobs, Bill Gates ou Larry Ellison (NdT : cofondateur d’Oracle), manque d’une certaine empathie et qu’en conséquence, il traite ses employés comme des ressources jetables, sans prendre en compte leurs contributions à l’entreprise. Ils reconnaissent également que Bezos est avant tout absorbé par l’amélioration des performances et du service client, ce qui rend secondaire les problèmes personnels. »

    Dans sa lettre aux actionnaires d’avril 2021 cité par « Le Un », ainsi parlait Jeff Bezos :

    « Dans la lettre aux actionnaires d’Amazon de 1997, notre toute première, j’évoquais notre espoir de créer une « entreprise durable » qui réinventerait ce que signifie servir les clients en libérant la puissance d’Internet. […] Nous avons parcouru un long chemin depuis lors et nous travaillons plus que jamais pour servir et ravir nos clients. L’année dernière, nous avons embauché 500 000 personnes et employons désormais directement 1,3 millions de personnes dans le monde. Nous comptons plus de 200 millions de membres Prime dans le monde. Plus de 1,9 million de petites et moyennes entreprises vendent dans notre magasin. […] Amazon Web Services sert des millions de clients et a généré un chiffre d’affaires de 50 milliards de dollars en 2020. En chemin, nous avons créé 1600 milliards de dollars de richesses pour les actionnaires »

    Il faut rendre justice à cet homme qui a réalisé quelque chose d’extraordinaire, remarquable pour les consommateurs et les actionnaires.

    Je pose une question : est ce que ce sont ces deux fonctions d’homo sapiens qu’il est intelligent de prioriser ?

    <1578>

  • Lundi 14 juin 2021

    « Amazon nous veut-il du bien ? »
    Question posée par LE UN

    Depuis longtemps, j’avais l’envie de faire une série de mots du jour sur Amazon, cette entreprise qui a pour ambition de tout vendre à tout le monde et son patron Jeff Bezos que le magazine Forbes classe première fortune mondiale en 2020.

    L’actualité me donne des éléments pour aborder ce sujet.

    La pandémie a donné une importance considérable aux achats en ligne et évidemment Amazon a dû en profiter largement.

    Pour la première fois, une partie des matchs de Roland-Garros n’a pas pu être regardée gratuitement à la télévision. Les matchs en session de nuit, était accessible uniquement en ligne, sur Amazon Prime Video. A priori, il semble que cette évolution ait été couronnée de succès : <Les indications montrent qu’on a eu un très beau démarrage>

    Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, Amazon Prime Video a aussi mis la main sur 80% de la Ligue 1 et la Ligue 2 de football français provoquant <l’ire de Canal +>. Je peux résumer cette histoire simplement : profitant de sa force capitalistique mondiale, Amazon peut payer plus cher pour un service qu’il vendra moins cher que des diffuseurs locaux. Il faut comprendre que l’abonnement Amazon Prime vidéo est inclus dans l’abonnement Amazon Prime que tout bon client d’Amazon a souscrit puisqu’il lui assure une meilleure et plus rapide livraison des colis qu’il attend avec impatience.

    Nous venons d’apprendre que samedi 12 juin, un riche et heureux gagnant a payé, 28 millions de dollars aux enchères pour accompagner le fondateur d’Amazon dans le premier vol de tourisme spatial de la société Blue Origin. Outre le prix de cette place, le vainqueur devra verser 6% de commission à la maison d’enchères RR Auction.  Jeff Bezos avait annoncé début juin qu’il ferait partie du premier vol habité dans la fusée New Shepard avec son frère et le gagnant d’une enchère pour un troisième siège. Il y aura même un quatrième passager comme l’annonce cet <article du monde> de ce dimanche

    Jeff Bezos, va quitter son poste de patron d’Amazon en juillet, pour s’occuper de ces voyages spatiaux et d’autres œuvres. Il gardera ses actions et un œil attentif sur son œuvre.

    Et puis « LE UN » a publié un numéro consacré à cette entreprise avec pour titre : « Amazon nous veut-il du bien ? »

    Titre inspirant et aussi quelques articles qui permettent de se poser des questions. Car il est important de se poser des questions.

    Pour ce premier article de la série, je voudrais simplement rappeler ou apprendre à celles et ceux qui ne le savent pas, l’origine et le développement de cette machine commerciale et surtout logistique.

    Jeff Bezos est né le 12 janvier 1964 dans le Nouveau Mexique aux Etats-Unis. <Wikipedia> nous raconte son histoire

    Son nom de naissance fut Jeffrey Jorgensen car il est le fils de Ted Jorgensen et Jacklyn Gise.

    Au moment de sa naissance, ses parents sont tous deux lycéens : son père vient d’avoir 18 ans tandis que sa mère en a 16. Son père l’abandonne à sa naissance et se remarie un an plus tard. Sa mère fait ensuite la connaissance de Miguel Bezos, un immigré cubain installé aux États-Unis depuis l’âge de quinze ans. Elle l’épouse en avril 1968, et celui-ci adopte Jeff peu de temps après, qui dès lors porte son nom, et l’élève comme son propre fils.

    Il semble que le jeune Jeff présentait quelques dons et un très haut QI. Il est diplômé de la prestigieuse université de Princeton en 1986 avec un Bachelor of Arts and Science en sciences de l’informatique.

    Il commence à travailler dans plusieurs entreprises financières de Wall Street.

    Et en 1994, alors âgé de trente ans, il crée Amazon qui est à l’origine une librairie en ligne.

    Il raconte :

    « J’ai appris que l’utilisation du web augmentait de 2 300 % par an. Je n’avais jamais vu ou entendu parler de quelque chose avec une croissance aussi rapide, et l’idée de créer une librairie en ligne avec des millions de titres — quelque chose de purement inconcevable dans le monde physique – m’enthousiasmait vraiment. »

    Le nom d’«Amazon» qui a pour objectif de devenir la plus grande librairie du monde s’inspire évidemment de l’« Amazone » qui est le plus grand fleuve de la planète

    Je reprends alors la chronologie que « Le Un » appelle repères et dont je reprends les principaux.

    1995 : Le site Amazon.com est officiellement mis en ligne avec le slogan « La plus grande librairie du Monde »

    1997 : Amazon fait son entrée en bourse

    2000 : Le logo s’accompagne d’une flèche dessinant un sourire. Si voulez connaitre l’évolution du logo d’Amazon vous pouvez aller sur ce site <Logo d’Amazon>

    2005 : Un abonnement annuel baptisé « Prime » est proposé aux clients qui souhaitent recevoir leur colis plus rapidement.

    2006 : L’entreprise commercialise son service d’hébergement dans le « Cloud » sa branche la plus rentable à ce jour. Nous y reviendrons. Mais notons que c’est le patron de cette branche : « Amazon Web Services (AWS) » Andrew Jassy qui va prendre la succession de Jeff Bezos.

    2007 : Le premier centre de distribution de colis en France ouvre ses portes dans le Loiret.

    2017 : Amazon achète la chaîne de magasins Whole Foods pour 13,7 milliards de dollars

    2021 Rachat de l’emblématique studio de cinéma Metro Goldwyn Mayer pour 8,45 milliards de dollars. Si voulez connaître les films qui tombent ainsi dans le panier d’Amazon <voici la liste>. James Bond en fait partie.

    Il faut aussi ajouter à cette emprise du fleuve qui déborde de son lit, les acquisitions et investissements personnels de Jeff Bezos :

    2000 : Création de Blue Origin, entreprise vouée au tourisme spatial dans laquelle Bezos investit un milliard par an

    2013 : Le Washington Post acheté pour 250 millions de dollars

    Il a aussi investi dans Unity Biotechnology qui est une start-up qui travaille sur la lutte contre le vieillissement et dans Grail et Juno Therapeutics start-up qui se concentrent sur la détection du cancer.

    Et puis aussi des investissements qui peuvent apparaître comme éthique  :

    Bezos Day One Fund : une fondation pour l’aide aux sans-abri et à l’éducation dans laquelle Bezos a investi 2 milliards de dollars.
    Bezos Earth Fund : un centre pour la lutte contre le changement climatique auquel Bezos a promis 10 milliards de dollars.

    Voilà une introduction sous forme de liste.

    <1577>

  • Vendredi 11 juin 2021

    « L’amour du cinéma m’a permis de trouver une place dans l’existence »
    Bertrand Tavernier

    Le 25 avril 2021, le grand cinéaste, Bertrand Tavernier, aurait fêté ses 80 ans.

    Mais, il ne les a pas fêtés parce qu’il est mort avant, le 21 mars 2021. Je n’ai pas pu lui rendre hommage immédiatement, car j’ai entamé la série sur la Commune le 22 mars.

    Bertrand Tavernier est né à Lyon et il a habité pendant 5 ans dans la villa que possédait ses parents au 4 rue Chambovet.

    Cette maison n’existe plus aujourd’hui. Elle a été démolie et le grand jardin de la propriété à été transformé en Parc public : « le Parc Chambovet » qu’Annie et moi avons beaucoup fréquenté pendant le premier confinement, car il constituait le seul espace vert, possédant une dimension de respiration suffisante [5,6 hectares] et se situant dans le kilomètre autorisé nonobstant une marge de tolérance acceptable.

    Et, quand on prend la sortie rue Chambovet, deux plaques sont apposées au mur.

    En juillet 2008, Telerama avait interrogé des personnes du monde de la culture pour leur faire raconter un lieu qui a marqué leur enfance. L’article du 18 juillet 2008 avait pour titre : « Bertrand Tavernier habitait au 4, rue Chambovet, à Lyon » :

    « J’ai passé les cinq premières années de ma vie à Lyon, dans une maison située au 4, rue Chambovet, dans le quartier de Montchat. Nous habitions sur une petite butte, et mon premier souvenir, il m’est déjà arrivé de le raconter, ce sont les fusées éclairantes qui saluent l’arrivée des Américains. On est en 1944, j’ai 3 ans. Dans cette maison, pendant l’Occupation, mon père, René, qui dirigeait la revue littéraire Confluences, a caché Aragon. C’est chez nous que celui-ci a écrit Il n’y a pas d’amour heureux, la légende voulant que ce soit pour ma mère. Mais je n’ai aucun souvenir de lui… Plus tard, la maison a été détruite – je l’évoque dans L’Horloger de Saint-Paul -, et aujourd’hui, sur son emplacement, une plaque dit qu’elle a été le siège du Comité national des écrivains, ce rassemblement d’auteurs résistants.Nous avons emménagé à Paris quand j’avais 5 ans, mais je n’ai cessé de retourner à Lyon, où vivaient mes deux grands-mères. »

    Bertrand Tavernier n’a donc vécu que 5 ans à Lyon, mais pour tous il est le cinéaste lyonnais. La Tribune de Lyon dans son numéro hommage a titré « Une passion lyonnaise ».

    Et il est vrai que s’il est parti de Lyon, il y est toujours revenu, notamment pour créer l’Institut Lumière en 1982 puis le Festival Lumière .

    Et, c’est à Lyon qu’il a tourné son premier long métrage, « L’Horloger de Saint Paul » avec une scène d’ouverture tournée au Garet, ce restaurant où Jean Moulin rencontra pour la première fois celui qui allait devenir son secrétaire, Daniel Cordier, comme on peut le lire dans « Alias Caracalla ».

    Un peu plus loin dans le film, il évoque sa maison d’enfance rue Chambovet, lorsque le personnage de Philippe Noiret rend visite à l’ancienne nourrice de son fils.

    La tribune de Lyon revient sur la création de l’Institut Lumière avec Bernard Chardère qui affirme :

    « Sans Bertrand, on n’aurait jamais pu créer l’Institut Lumière. Il a joué un grand rôle notamment auprès des politiques, et n’a jamais manqué un seul conseil d’administration »

    Et il ajoute pour décrire son ami :

    « Il avait une boulimie de films, de livres, un peu comme un historien ».

    Et en 2009, il crée le Festival Lumière avec Thierry Frémaux. Il disait à ce propos :

    « J’ai hérité de Jean Vilar, j’ai toujours vécu avec des gens qui aimaient partager leurs découvertes. […] Avec Thierry Frémaux on s’est battus pour démontrer que le cinéma de patrimoine n’est pas du vieux cinéma, mais un cinéma vivant, par ses thèmes comme par sa forme. »

    L’institut Lumière lui a rendu hommage. Les jours qui ont suivi le décès, de nombreux bouquets de fleurs étaient disposés devant les murs de l’Institut.


    J’ai choisi comme exergue la phrase que l’Institut Lumière a affiché sur un grand panneau dans le jardin de l’Institut.

    Pour ma part, mon premier souvenir de Tavernier fut le documentaire qu’il a réalisé avec son fils, Nils Tavernier en 1996 : « De l’autre côté du périph ». Nous l’avions regardé en famille. Il faut dire que ce documentaire parlait de la cité des grands pêchers et que nous habitions à Montreuil dans le quartier d’à côté, plus proche du centre. Je n’étais jamais allé dans cette cité avant d’avoir vu le documentaire, rude, dur et pourtant plein de tendresse. Je m’y suis rendu après avec le regard de tendresse que les Tavernier m’avait communiqué.

    Les Inrocks en parle très bien et donne la genèse de ce documentaire. Je partage, aux deux sens du terme, leur conclusion :

    « Véritable film de rencontres, la réussite de De l’autre côté du périph’ tient à ce bouillonnement de paroles brutes, surgies au hasard des errances. Sans jamais se reposer sur une argumentation pesante ­ le propre des films à thèse ­, les Tavernier se sont laissé surprendre. Et ils ont eu raison. Grâce au regard ­ amical, plein de sympathie ­ qu’ils ont porté sur la vie quotidienne de la Cité des Grands Pêchers de Montreuil, la banlieue trouve enfin à la télévision une représentation juste et nuancée, loin des caricatures imposées par les formatages des journaux télévisés.»

    Et puis j’ai vu « La vie et rien d’autre ». Je l’avais évoqué lors du premier mot du jour sur la guerre 14-18 : « Mourir pour la Patrie.». C’est un des plus beaux films qu’il m’a été donné de voir dans ma vie.

    Gérald m’avait prêté un coffret regroupant plusieurs films de Tavernier dont « La vie et rien d’autre » que nous avons regardé avec le même sentiment d’accomplissement et d’autres que nous connaissions ou que nous découvrions comme « Coup de torchon » que j’ai beaucoup aimé aussi.

    Je ne vais pas faire la liste des 30 films que Bertrand Tavernier a tournés et qui sont tous intéressants, certains contiennent des moments de grâce.

    Dans ce coffret, il y avait aussi des vidéos de présentation de chaque film par Tavernier et un ou l’autre des acteurs qui avait joué dans le film. Ce qui est remarquable c’est qu’il ne s’agissait pas de présentation de 5 minutes, mais d’une demi-heure ou plus, montrant toute la générosité et la capacité de transmission de Bertrand Tavernier.

    L’hommage qui a lui a été rendu, après sa disparition, était unanime.

    Enfin, presque unanime. Il y a eu un journaliste de Libération Didier Péron qui a publié le 25 mars, soit 4 jours, après le décès un article « Bertrand Tavernier, que la fête s’arrête » qui commence ainsi :

    «L’Horloger de Saint-Paul», «Coup de torchon», «L.627», «la Vie et rien d’autre»… Le réalisateur prolifique et bon vivant, mémoire érudite du septième art et incarnation d’un cinéma populaire et hélas pesant, est mort jeudi. Il allait avoir 80 ans. »

    Un cinéma « populaire et hélas pesant ». Où est-il allé chercher cela ?

    Ce journaliste devait porter depuis longtemps ce ressentiment au fond de lui, pour écrire cela alors que les cendres étaient à peine froides. Il ne pouvait attendre pour jeter son venin.

    Je pense que Claude Askolovitch, dans sa Revue de presse <du 26 mars 2021>, explique partiellement la rosserie de ce journaliste :

    « Et c’est la beauté du cinéma, on s’en dispute… et c’est la marque de Libération, de prendre ces disputes aux sérieux et de n’en point démordre. Et quand sur le site de Libération le journaliste politique Rachid Laireche, lui aussi enfant de la cité des Grands Pêchers, se souvient des Tavernier qui ne le trahirent pas, dans les pages culture du journal, sous un titre brillant, « que la fête s’arrête », rendant hommage au Tavernier militant de gauche engagé, le critique Didier Péron ose des mots cruels pour « un cinéma populaire mais parfois pesant » que Tavernier aurait incarné, cédant parfois à la « démonstration lourdingue »…

    En 1999 Tavernier avait mené une révolte des cinéastes contre des critiques jugés assassins pour le cinéma français, à fore de bons mots et d’oukases… Libération était visé, et avait organisé dans ses colonnes un débat entre Tavernier et trois critiques, cela aussi est en ligne. Tavernier disait ceci: « Vous n’arrivez pas à faire passer votre enthousiasme. Quand vous défendez des films, très souvent il n’y a aucune retombée. A votre place, je m’interrogerais. » Il disait aussi cela : «Une opinion n’est pas un fait». Et enfin:«Tout film, comme tout être humain, doit être présumé innocent.»  »

    Je suis beaucoup plus en phase avec ces propos de Philippe Meyer dans « la Croix »

    « Cet homme était une fontaine, de curiosité, de fidélité, d’insatisfaction. Ça coulait tout le temps. J’ai presque le même âge que lui, j’ai eu la chance de rencontrer des tas de gens, et pas des moindres, qui m’ont beaucoup appris, marqué, montré mais lui… Celui qui dit que personne n’est irremplaçable ne l’a pas connu. »

    Et il ajoute pour la place qu’il conservera dans la mémoire collective :

    « ll va laisser une double place. Celle de l’auteur qu’il fut. La diversité de son inspiration n’a pas fini d’étonner. On s’était habitué à le voir passer de Que la fête commence à La mort en direct, de La Princesse de Montpensier à Dans la Brume électrique, avec des comédiens tellement différents. Et celle de l’homme de la transmission qui culmine avec son admirable Voyage à travers le cinéma français qui est un chef-d’œuvre de partage. Et les passagers de ce voyage-là, il y en aura. »

    Et justement ce « voyage à travers le cinéma français » je l’ai emprunté à la Bibliothèque de Lyon et j’ai été fasciné par la culture, la qualité de la transmission dont était capable cette encyclopédie vivante du cinéma. En plus de 3 heures et huit épisodes, il va nous permettre d’embrasser toute l’histoire du cinéma français.

    Dans le premier épisode il parle de Max Ophuls que je connaissais, mais aussi de Jean Grémillon et de Henri Decoin que j’ignorais totalement.

    Passionnant !

    J’y reviendrai peut-être dans un mot du jour ultérieur.

    En tout cas, je ne crois pas que Bertrand Tavernier était pesant. Il était lucide, souvent très profond, toujours bienveillant et humaniste.

    J’aime Bertrand Tavernier.


    <1576>

  • Jeudi 10 juin 2021

    « Il en a vu, ce vieux théâtre »
    Gilbert Laffaille

    Les salles de spectacles se remplissent peu à peu, les jauges augmentent. Le couvre-feu est désormais à 23 heures

    Et la période des abonnements pour la saison 2021-2022 a débuté.

    Être et vivre ensemble, partager l’émotion artistique redevient possible.

    L’émission de France Culture « La concordance des temps » du 5 juin 2021 était consacrée au théâtre : <Le théâtre, toujours en crise ? >

    Emission très intéressante dans laquelle Jean-Noël Jeanneney recevait Pascale Goetschel, professeure à la Sorbonne, qui vient de publier le livre « Une autre histoire du théâtre : discours de crise et pratiques spectaculaires. France XVIIIe-XXIe siècle »  CNRS éditions, 2021.

    Pascale Goetschel a consacré plusieurs ouvrages au théâtre, la page de l’émission les cite :

    • « Renouveau et décentralisation du théâtre », PUF, 2004.
    • « Au théâtre ! La sortie au spectacle XIXe-XXIe siècles », avec Jean-Claude Yon Publications de La Sorbonne, 2014.
    • « Directeurs de théâtre XIXe-XXe siècle. Histoire d’une profession », avec Jean-Claude Yon Publications de la Sorbonne, 2008.

    Il s’agit d’Histoire, de sociologie du théâtre. On sort de l’émission plus cultivé.

    Par rapport à la question posée par l’émission, Jean-Noël Jeanneney cite Jean Vilar le créateur du Festival d’Avignon et directeur du TNP de Villeurbanne de 1951 à 1963 :

    « Tant que le théâtre est en crise, il se porte bien »

    Je n’en dirai pas davantage sur l’émission que vous pouvez écouter derrière ce lien : <Le théâtre, toujours en crise ? >

    Au début de l’émission, Jean Noël Jeanneney a diffusé une chanson de Gilbert Lafaille, chanteur français né en 1948 que je ne connaissais pas.

    J’ai beaucoup aimé cette chanson que je partage aujourd’hui. En voici les paroles :

    « Le vieux théâtre
    Gilbert Laffaille

    Il en a vu, ce vieux théâtre avec ses vieux fauteuils qui grincent
    Il en a vu, ce vieux théâtre, des maharadjahs, des rois, des princes
    Il en a vu des comédies, des tragédies, des quiproquos
    Des amoureux de Goldoni et des valets de Marivaux

    Il en a vu de toutes les sortes, des misanthropes et des avares
    Les maris qui claquaient la porte et des amants dans des placards
    Des Matamore au cœur qui flanche lorsque le rideau est tombé
    Des Don Juan qui brûlaient les planches et ont du mal à s’en aller

    Il en a vu des Sganarelle, des Figaro, des Chérubins
    Des grands adieux, des faux rappels et des fourberies de Scapin
    Il en a vu de drôles de drames, il en a vu passer des noms
    Des tout petits sur le programme et des très gros sur le fronton

    Il en a vu, ce vieux théâtre, dans son velours et ses dorures
    Il en a vu, ce vieux théâtre, des cheveux mauves et des fourrures
    Des oiseaux noirs aux yeux étranges, des philosophes et des marquises
    Des sans-le-sou qui donnent le change et des banquiers qui se déguisent

    Il en a vu des Sganarelle, des Figaro, des Chérubins
    Des grands adieux, des faux rappels et des fourberies de Scapin
    Il en a vu des regards tristes, de la corbeille au poulailler
    Des moues blasées de journalistes et des sourires émerveillés

    Il en a vu des Cyrano aller se battre sans armure
    Et recevoir tant de bravos qu’ils en ont fait craquer ses murs
    Mais c’est peut-être le fantôme qui fait grincer le bois des plinthes
    Quand il revient de son royaume pour jouer devant la salle éteinte. »

    Et voici un lien vers une interprétation audio : <Le vieux théâtre>

    Théâtre des Célestins à Lyon

    <1572>

  • Mercredi 9 juin 2021

    « Osez Joséphine »
    Titre d’une pétition

    « Osez Joséphine » est une chanson et un album d’Alain Bashung paru en 1991.

    Mais, en ce moment, « Osez Joséphine » présente une autre signification.

    Aujourd’hui, c’est une pétition qui demande l’entrée au Panthéon de Joséphine Baker..

    Le magazine « ELLE » explique dans son article : « Osez Joséphine » :

    « À l’occasion de la fête de l’Armistice du 8 mai 1945, l’essayiste Laurent Kupferman a décidé de mettre en place cette pétition. Pour lui, l’artiste et militante est un symbole d’unité nationale. […] Joséphine Baker, première star internationale noire, a un parcours assez atypique. Muse des cubistes dans les années 1930, elle devient ensuite résistante dans l’armée française durant la Seconde Guerre mondiale et activiste aux côtés de Martin Luther King pour les droits civiques aux États-Unis d’Amérique et en France aux côtés de la Licra »

    Pour l’instant, il n’y a que 5 femmes qui reposent au Panthéon, contre 75 hommes.

    Dans <le mot du jour du 17 mai 2021> j’avais évoqué les obstacles qui se dressent sur le chemin de la panthéonisation de Gisèle Halimi.

    Outre son genre, Joséphine Baker présente deux autres caractéristiques absentes au Panthéon : Sur ces 80 résidents, il n’y a aucun artiste de spectacle vivant et aucune personne racisée

    Je dois avouer que je ne savais pas grand-chose de Joséphine Baker.

    Mais j’ai d’abord été informé de la pétition par <le billet du 4 juin> de François Morel :

    « Entre ici, Joséphine Baker avec ton amoureux cortège de plumes et de bananes et d’enfants adoptés et de combats contre le racisme et de courage.

    Car Joséphine fit partie de ce « désordre de courage » comme le disait André Malraux devant le cercueil de Jean Moulin, évoquant la résistance.

    Entre ici Joséphine avec tes chansons de Vincent Scotto et ton parcours admirable d’icone des années folles devenue militante du Mouvement des droits civiques de Martin Luter-King. […]

    Entre ici Joséphine, avec ton cortège de danses et de chansons, de rythmes et de rêves de music-hall.

    Rentre ici, pas parce que tu es une femme, pas parce que tu es une noire mais parce que, toi aussi, tu avais fini par devenir un visage de la France.

    Et parce qu’étant femme, et parce qu’étant noire, tu peux réussir à transmettre un message à une jeunesse qui sans doute n’a jamais entendu parler de toi. « Aujourd’hui, jeunesse, puisses-tu penser à cette femme ».

    Entre ici Joséphine qui, ne pouvant avoir d’enfants, en adopta douze, de toutes origines, qu’elle appelle « sa tribu arc-en-ciel ». Comme disait à peu près Mark Twain « Elle ne savait pas que c’était impossible, alors elle l’a fait ».

    Entre ici Joséphine si affectueuse avec les animaux en liberté dans sa maison du Vésinet, les chats, les chèvres, les cochons et, tenue en laisse, un guépard, Chiquita qui, à la ville, comme à la scène l’accompagne. »

    Puis j’ai entendu une émission sur France Musique : Musicopolis : < Joséphine Baker, une américaine à Paris > qui revient davnatage sur sa carrière musicale quand elle est arrivée à Paris>

    Elle arrive à 19 ans et avec une troupe de 25 chanteurs et danseurs noirs va obtenir un succès retentissant avec un spectacle appelé « la « Revue Nègre »
    Oui ! parce qu’à cette époque on avait le droit d’utiliser le terme de nègre.

    Ces deux émissions m’ont conduit à m’intéresser à la vie et au destin de Joséphine Baker.

    Grâce à Wikipedia on peut avoir une vision assez complète de ce destin.
    Joséphine Baker est née Freda Josephine McDonald le 3 juin 1906 à Saint-Louis, dans le Missouri, dans un pays ségrégationniste et profondément raciste.

    Elle est née dans une famille très pauvre. La jeune femme passe une partie de son enfance à alterner l’école et les travaux domestiques pour des gens aisés chez qui sa mère l’envoie travailler.

    Elle se marie une première fois à 13 ans. Ce mariage ne durera pas longtemps et Joséphine Baker a une passion pour la danse. Elle va intégrer diverses troupes. Lors d’une tournée, elle va rencontrer à Philadelphie Willie Baker, qu’elle épouse en 1921, donc à 15 ans. Elle gardera ce nom pour la suite de sa vie bien qu’elle divorcera à nouveau et contractera encore d’autres mariages.

    Elle vivra son arrivée à Paris comme une libération. Elle dira :

    « Un jour j’ai réalisé que j’habitais dans un pays où j’avais peur d’être noire. C’était un pays réservé aux Blancs. Il n’y avait pas de place pour les Noirs. J’étouffais aux États-Unis. Beaucoup d’entre nous sommes partis, pas parce que nous le voulions, mais parce que nous ne pouvions plus supporter ça… Je me suis sentie libérée à Paris »

    Elle éblouira Paris et la France par sa vélocité et l’enthousiasme de ses danses et puis elle commencera à chanter.

    Elle participera activement à la résistance. Elle s’acquitte durant la guerre de missions importantes, et reste connue pour avoir utilisé ses partitions musicales pour dissimuler des messages. Lors de sa première mission à destination de Lisbonne, elle cache dans son soutien-gorge un microfilm contenant une liste d’espions nazis, qu’elle remet à des agents britanniques.

    Un autre aspect de sa vie est étonnante. Elle épousera un homme riche du nom de Jo Bouillon, et achètera avec lui le château des Milandes en Dordogne où elle vivra jusqu’en 1969. Elle y accueille douze enfants de toutes origines qu’elle a adoptés et qu’elle appelle sa « tribu arc-en-ciel ». La fin de sa vie fut obscurcie par de très grandes difficultés financières.

    Elle mourra d’une hémorragie cérébrale à 68 ans le 12 avril 1975, juste après un dernier spectacle qu’elle aura donné le 9 avril 1975 à Bobino dans le cadre d’une série de concerts célébrant ses cinquante ans de carrière.

    Dans le Magazine « Elle  » on lit que l’auteur de la pétition Laurent Kupferman, donne la raison de son initiative :

    « Une femme libre, féministe, une résistante et une personnalité engagée contre le racisme. De son vivant, la France a déjà décoré cette femme d’exception. Elle a reçu quatre médailles, dont celle de Chevalier de Légion d’honneur à titre militaire. Sa panthéonisation serait un puissant symbole d’unité nationale, d’émancipation et d’universalisme à la française »

    France Inter a aussi publié une page sur cette initiative : <« Osez Joséphine », la pétition qui plaide pour l’entrée de Joséphine Baker au Panthéon>

    <1571>

  • Mardi 8 juin 2021

    « Les 9 symphonies de Beethoven interprétées par 9 orchestres dans 9 villes d’Europe »
    La journée Beethoven 2021 organisée par ARTE

    C’était en 2020 que nous avons célébré les 250 ans de la naissance de Ludwig van Beethoven.

    Il est né en décembre 1770 à Bonn. J’avais écrit la série sur Beethoven du 10 au 30 décembre 2020. Vous trouverez la page de cette série derrière ce lien : <Beethoven est né il y a 250 ans>

    ARTE avait l’intention de faire une journée spéciale Beethoven lors de cette année 2020.

    Le concept était de faire interpréter la même journée, successivement les 9 symphonies, dans 9 villes d’Europe, avec 9 orchestres et chefs différents.

    Plusieurs de ces concerts devaient avoir lieu en extérieur.

    C’est pourquoi, ARTE n’a pas choisi le mois de naissance, décembre, pour cette célébration mais le mois pendant lequel les jours sont les plus longs : juin 2020.

    Mais je n’apprends rien à personne, puisque nous l’avons tous vécu. La France, l’Europe, le Monde tous à des degrés divers nous étions confinés en raison de cette incroyable pandémie qui s’est abattue sur notre espèce.

    La seule solution raisonnable était de reporter.

    Et c’est ainsi qu’un an plus tard, le 6 juin 2021, ARTE a pu enfin aller au bout de son idée. Ce fut un marathon musical De 12 h 45 jusque tard dans la nuit.

    C’est une somptueuse et merveilleuse idée.

    Et il est possible de regarder ces 9 bijoux pendant 6 mois encore jusqu’à la fin de l’année sur <ARTE REPLAY>.

    ARTE a placé l’Europe au centre de son hommage au génial démiurge. C’est en raison de son engagement humaniste que l’Europe a choisi symboliquement l’Ode à la joie sur un poème de Schiller, conclusion de la IXe Symphonie, comme hymne de l’Union européenne. D’où le projet de voyager de ville en ville en une seule journée, au fil des neuf symphonies créées par Beethoven entre 1800 et 1824, interprétées par neuf orchestres différents sous la baguette de neuf chefs différents !

    LE 6 juin ARTE a diffusé les symphonies dans l’ordre chronologique, sept des neuf concerts étaient captés en direct.

    Je ne suivrais pas cet ordre pour la présentation

    Symphonie n° 1 Opus 21 (1800)

    Très naturellement le marathon a commencé dans la ville natale de Beethoven Bonn

    Le concert a été diffusée en direct depuis la cour du château des Princes-Électeurs. Dans ce château, Beethoven a commencé sa vie musicale publique.
    L’orchestre choisi pour débuter est le formidable Mahler Chamber Orchestra fondé par Claudio Abbado en 1997.
    Très rapidement Daniel Harding devint le chef associé à la tête de cet Orchestre. Daniel Harding qui devint plus récemment Directeur de l’Orchestre de Paris, mais quitta sa fonction pour devenir Pilote de ligne. Je ne sais pas si c’est en raison de la pandémie qui a dévasté les compagnies aériennes qu’il a repris des fonctions de directeur musical à l’Orchestre de la Radio suédoise ou s’il avait jugé ce prétexte Crédible pour quitter l’Orchestre de Paris avec qui la relation de confiance était disons mesurée.

    <Symphonie n° 1 Opus 21 à Bonn – Mahler Chamber Orchestra – Daniel Harding>

    Symphonie n° 9 Opus 125 (1822 – 1824)

    Et c’est tout aussi naturellement à Vienne, dans la ville où Beethoven a composé tous ses chefs d’œuvre que le marathon s’est achevé.
    Dans les jardins du palais du Belvédère, c’est l’autre orchestre de Vienne : l’Orchestre symphonique de Vienne qui jouait sous la baguette de la jeune cheffe américaine Karina Canellakis que nous avons déjà eu le bonheur d’avoir deux fois à l’Auditorium de Lyon, où elle a dirigé l’orchestre de notre ville.

    <Symphonie n° 9 Opus 125 à Vienne – Orchestre Symphonique de Vienne – Karina Canellakis>

    Symphonie n° 7 Opus 92 (1811 – 1812)

    Cette symphonie qui a été désignée par Wagner comme « L’apothéose de la danse » a fait l’objet de l’interprétation la plus surprenante en raison du chef adulé par les uns et honni par les autres, le jeune chef gréco-russe : Teodor Currentzis.
    Dans ses interviews et même dans son attitude avant le concert, comme pendant, il révèle une personnalité assez sure de ses talents. Pour ma part je dirai qu’il est souvent très passionnant à écouter même s’l peut être assez horripilant à regarder.
    Le lieu du concert est somptueux, il s’agit du Théâtre Antique de Delphes
    L’orchestre est celui qu’il a créé Musicaeterna.

    <Symphonie n° 7 Opus 92 à Delphes – Musicaeterna – Teodor Currentzis>

    Symphonie n° 5 Opus 67 (1807 – 1808)

    Pour la célèbre cinquième symphonie, c’est la ville de Prague qui a été choisie. Ville de culture historique de l’empire austro hongrois.
    On admire le centre de la ville tchèque, le concert a lieu sur la place de la Vieille-Ville de Prague.

    <Symphonie n° 5 Opus 67 – Prague – Orchestre symphonique national tchèque – Steven Mercurio>

    Symphonie n° 3 Opus 55 (1802 – 1804)

    Le lieu de l’interprétation de l’Eroica l’autre symphonie célèbre est aussi très impressionnant.
    Il s’agit d’une église d’Helsinki qui a été creusés dans la roche : l’église monolithique Temppeliaukio d’Helsinki, bâtie dans les années 1960.

    <Symphonie n° 3 Opus 55 – Helsinki – Orchestre symphonique de la radio finlandaise – Nicholas Collon>

    Symphonie n° 8 Opus 93 (1812)

    Il fallait bien une ville de France. C’est celle qui abrite le parlement européen qui a été choisi : Strasbourg avec son orchestre.

    <Symphonie n° 8 Opus 93 – Strasbourg – Orchestre philharmonique de Strasbourg. – Marko Letonja>

    Symphonie n° 4 Opus 60 (1806)

    Autre ville importante de l’Union européenne : Luxembourg est le théâtre choisie pour la 4ème symphonie.
    En direct de la Philharmonie Luxembourg, l’orchestre local interprète cette symphonie. Une chorégraphie luxembourgeoise Sylvia Camarda a pris l’initiative avec 8 jeunes réfugiés de réaliser une scénographie dansée sur la musique.

    <Symphonie n° 4 Opus 60 – Luxembourg – Orchestre philharmonique du Luxembourg – Gustavo Gimeno>

    Symphonie n° 2 Opus 36 (1801 – 1802)

    C’est à Dublin que se passe cet épisode.

    <Symphonie n° 2 Opus 36 – Dublin – RTÉ National Symphony Orchestra – Jaime Martín>

    Symphonie n° 6 Opus 68 (1807 – 1808)

    Dans mon cheminement, je finirai par la symphonie appelée « Pastorale » jouée en Suisse italienne à Lugano, au milieu des cols alpins.

    <Symphonie n° 6 Opus 68 – Orchestre de chambre suisse I Barocchisti – Diego Fasolis>

    <1570>

  • Lundi 7 juin 2021

    « Si je meurs, si j’ai une tombe, qu’un bouquet de pivoines rouges y soit déposé. »
    Mihriay Erkin

    <Slate> rapporte que selon un rapport publié par le Centre for Economics and Business Research (CEBR), la Chine devrait dépasser les États-Unis pour devenir la première puissance économique mondiale d’ici 2028.

    Dans 7 ans.

    Si cette prédiction se réalise, le monde sera dominé économiquement par un État qui est une dictature sanglante. Celles et ceux qui ont détesté l’hégémonie américaine, ce qui peut être compréhensible, seront sidérés par celle de la Chine du Parti Communiste Chinois.

    Quelquefois pour toucher la réalité d’un problème, il faut s’échapper des concepts pour revenir à hauteur d’homme ou hauteur de femme comme dans cette histoire vraie.

    La première fois que j’ai entendu parler de « Mihriay Erkin » c’était dans la revue de presse de Claude Askolovitch sur France Inter le <4 juin 2021>

    Il évoquait un article de « Libération » : « Mihriay Erkin, étoile ouïghoure éteinte dans les ténèbres des camps » que la journaliste Laurence Defranoux avait publié le 2 juin 2021.

    Depuis Raphaêl Glucksman a relayé cet article de Laurence Defranoux sur Facebook et mon amie Florence a partagé le post de Glucksman.

    Mihriay Erkin était une jeune chercheuse de 29 ans à l’institut Nara au Japon. Elle était exilée, car elle était ouighour et avait quitté l’empire de Chine alors que ses parents étaient restés dans leur pays.

    Elle a été piégée parce que les autorités chinoises ont « incité » sa mère à la convaincre de revenir la voir.

    Claude Askolovitch résume ainsi cette histoire :

    «  Regardez bien alors la bouille et le sourire espiègle de Mihriay Erkin, qui avait 29 ans, qui était heureuse au Japon, étudiante chercheuse en science et en technologie, mais qui en juin 2019 est revenue en Chine pour voir sa famille, sa mère l’a suppliait… Mihriay était ouighour, de ce peuple de confession musulmane que l’Etat chinois veut réduire, elle enseignait sa langue, son oncle était un linguiste exilé en Norvège, la famille était surveillée et l’invitation ressemblait à un piège. […] En arrivant en Chine, Mihriay a appris que son père avait été condamné pour incitation au terrorisme, puis elle a été arrêtée, elle est morte en décembre 2020 dans un camp, les autorités ont demandé à sa famille de dire qu’elle souffrait d’une maladie cachée. »

    Dans l’article de Laurence Defranoux, nous apprenons les précisions suivantes :

    • C’est sa mère qui l’a appelée pour la supplier de rentrer, et lui a envoyé de l’argent pour acheter le billet d’avion.
    • Immédiatement à son arrivée, en juin 2019, elle a été privée de son passeport et assignée à résidence au Xinjiang. Elle a été arrêtée en février 2020 et elle est morte le 20 décembre dans le centre de détention de Yanbulaq, près de Kashgar, dans l’ouest de la Chine. La nouvelle a commencé à filtrer à l’étranger la première semaine de mars. Mais c’est seulement le 20 mai que sa mort a été confirmée grâce aux renseignements obtenus par Radio Free Asia, un site militant américain qui possède une antenne en ouïghour.
    • La police chinoise utilise des stratagèmes pour attirer les exilés à revenir au Xinjiang comme les obliger à venir en Chine pour signer des papiers ou renouveler leur passeport. Mais, surtout, elle se sert de la famille comme appât. L’envoi d’une forte somme d’argent par sa mère, pourtant sans ressources, alors qu’un virement à l’étranger suffit à être condamné pour « financement d’activités terroristes », a tout du piège. C’est un dilemme pour les jeunes éloignés et isolés, alors que la culture ouïghoure donne une place très importante à la famille et à l’obéissance aux parents.

    Mihriay Erkin était assez consciente des risques puisqu’au moment de partir, le 18 juin 2019, à l’aéroport de Tokyo elle a envoyé ce message :

    « Depuis mon enfance, on m’a appris que les enfants doivent accomplir leur devoir en restant auprès de leurs parents. Soyez en paix. Si je meurs, si j’ai une tombe, qu’un bouquet de pivoines rouges y soit déposé.»

    La journaliste explique :

    « Mihriay Erkin a tout pour attirer l’attention des autorités qui ont pour objectif d’éradiquer la culture millénaire des Ouïghours et les assimiler de gré ou de force dans la «grande nation chinoise». Brillante élève, maîtrisant le ouïghour, le mandarin, le japonais et l’anglais, elle a obtenu un master de bio-ingénierie au Japon après une licence de biologie à Shanghai. Mais elle ne s’est pas coupée de ses racines, porte le hijab et enseigne depuis deux ans le ouïghour à des enfants de la diaspora au Japon en marge de son doctorat. De plus, elle est la nièce d’Abduweli Ayup, linguiste renommé, diplômé aux Etats-Unis. Emprisonné et torturé en 2013-2014 pour avoir levé des fonds afin d’ouvrir une école maternelle ouïghoure, harcelé à sa sortie, il s’est exilé en Norvège en 2015, d’où il continue à militer pour l’usage du ouïghour dans l’enseignement.

    Cet oncle quand il apprend le projet de sa nièce va tout faire pour la dissuader :

    « Ce dernier est très attaché à celle qu’il appelle «mon bébé», et qu’il a élevée pendant deux ans lorsque ses parents s’étaient éloignés pour leur travail. […] Il essaie de la convaincre de ne pas monter dans l’avion pour la Chine. Mais Mihriay ne cède pas. Depuis la salle d’embarquement, elle lui écrit : « Chacun de nous mourra seul. L’amour de Dieu, notre sourire et notre peur nous accompagnent. Je vis dans de telles frayeurs, il est préférable d’en finir. »

    Selon des sources contactées par Radio Free Asia, Mihriay Erkin serait morte alors qu’elle était l’objet d’une enquête menée par le bureau de la Sécurité publique de Kashgar, possiblement lors d’un interrogatoire. Elle avait 30 ans.

    Elle n’aura pas de bouquet de pivoines sur sa tombe :

    « Seules trois personnes assistent à son enterrement, sous surveillance policière. La police leur intime l’ordre de garder le secret sous peine d’être « emprisonnées pour divulgation de secrets d’Etat» et «diffamation de la police». Une page est ajoutée à son dossier médical affirmant qu’elle souffrait d’une maladie cachée. Lorsque, en mars, la nouvelle de sa mort affleure sur les réseaux sociaux à l’étranger, la police demande à sa mère d’« avouer » devant une caméra avoir dissimulé le fait que sa fille était «malade» et de dire qu’elle est morte à la maison, puis renonce, pour une raison inconnue, à tourner la vidéo. »

    Bien sûr, aucun pays ne dira rien : la Chine est tellement puissante. Il ne faut pas la fâcher. Aucune entreprise multinationale ne veut se passer du marché chinois. Et, en fin de compte tant de nos économies, de notre confort dépend de l’empire du milieu.

    « La Croix » relate qu’il existe bien une instance qui a pris pour nom « Tribunal Ouïghour » » et qui tente de déterminer si le régime chinois est coupable de « crime contre l’humanité », voire de « génocide ». Mais cette instance d’origine privée n’a aucune autorité à faire valoir pour faire reconnaître son travail et ses avis, sans parler de décisions qui n’auraient aucun sens dans ce contexte.

    <1569>

  • Mardi 25 mai 2021

    « Le mot du jour est en congé.»
    Il reviendra le 7 juin

    Ces dernières semaines, la page série s’est enrichie de 5 nouvelles entrées.

    Je rappelle qu’une série est constituée par 5 articles ou plus, publiés d’une manière continue et qui concernent un même sujet ou un même thème.

    Le minimum de 5 correspond à la publication au cours d’une semaine entière.

    Pour l’instant 34 séries ont été créées.

    La page série, comporte actuellement 17 séries soit la moitié du total.

    L’objectif est que toutes les séries soient répertoriées sur cette page.

    Chaque entrée envoie vers une page spécifique, sur laquelle, la série est présentée par une une introduction puis une ouverture pour chacun des mots du jour et un lien vers le mot du mot du jour concerné.

    <Lien vers la page des séries>. 

    <mot sans numéro>

  • Vendredi 21 mai 2021

    « Il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent»
    Voltaire « Zadig »

    La mission des policiers est compliquée et indispensable dans un État de Droit.

    Lors des manifestations des gilets jaunes, j’avais rédigé un mot du jour le <10 décembre 2018> dans lequel je citais un article qui rapportait les violences auxquels les policières et policiers avaient à faire face.

    J’avais écrit alors : « Ces personnes sont des fonctionnaires comme moi. Ils ont fait le choix de se mettre au service de L’État et de la République. Mais quand ils sont appelés à assurer leur mission, sur un théâtre d’opération, ils ne sont pas certains de rentrer en bonne forme le soir, en retournant dans leur famille retrouver leurs enfants, leur compagne ou compagnon. »

    Et c’est exactement ce qui est arrivé à quatre fonctionnaires de police, le 8 octobre 2016, quand ils ont été agressés par plusieurs personnes à Viry-Châtillon en Essonne.

    <France Info> donne un résumé de l’affaire.

    « La tension était vive dans la ville après l’installation d’une caméra pour surveiller un endroit où de nombreux vols avaient lieu. De passage, deux véhicules de police ont alors été attaqués à coups de pierres et de cocktails molotov par une vingtaine de personnes masquées. Les voitures ont pris feu mais, aidés par des habitants, les quatre policiers sont parvenus à s’en sortir. Ils ont été blessés, l’un d’entre eux a été grièvement brûlé. »

    Son <pronostic vital> avait été engagé

    L’enquête avait été difficile pour retrouver la trace des responsables. Près d’un millier de personnes ont été interrogées mais la loi du silence s’est installée. Au final, 13 jeunes âgés de 19 à 24 ans avaient été envoyés devant la Cour d’assises.

    Huit des treize accusés étaient condamnés, en 2019, à des peines allant de 10 à 20 ans de prison, les 5 autres étaient acquittés faute de preuves. Mais, le Parquet, qui avait requis de 20 à 30 ans de prison, avait fait appel. <Wikipedia> donne davantage de détails.

    Le procès en appel a eu lieu. Et en avril 2021, à l’issue de 14 heures de délibération et six semaines d’audience à huis clos, cinq condamnés ont été reconnus coupables de tentative de meurtre sur personnes dépositaires de l’autorité publique.

    Trois ont été condamnés à 18 ans de prison, un autre à 8 ans de prison, et le dernier à 6 ans. Ils encouraient la réclusion criminelle à perpétuité. Le nombre d’acquittés est passé de cinq à huit.

    Un avocat des victimes <a déclaré>, à l’issue du procès,

    « Nous venons d’assister à un naufrage judiciaire (…) alors que l’on sait qu’il y avait 16 assaillants, on se retrouve avec cinq condamnations »

    Il est nécessaire de protéger nos policiers et de sanctionner sans trembler ceux qui les attaquent et plus encore ceux qui mettent leur vie en danger.

    Mais il faut que ceux qui sont condamnés soient avec certitude les coupables.

    Or « Mediapart » vient de dévoiler qu’au moins pour un des condamnés du premier procès et acquitté du second, les preuves n’existaient pas et qu’il y a eu parmi les enquêteurs des personnes qui n’ont pas eu un comportement éthique.

    <L’article> de Mediapart est en accès libre.

    Je partage ci-après, le résumé qu’en a fait Claude Askolovitch lors d’une ses <revue de presse>

    « Un jeune homme innocent qui pourtant a passé quatre années et trois mois en prison, condamné en première instance pour un crime scandaleux, un piège tendu à des policiers qui auraient pu bruler vifs en octobre 2016 à Viry-Châtillon – mais il a été acquitté en appel dimanche par la Cour d’Assises de Paris, le dossier d’accusation finalement ne tenait pas…
    Et ce matin, Mediapart affirme que ce dossier avait été initialement manipulé contre le jeune homme par des policiers enquêteurs, qui aurait transmis à la justice une version tronquée de son interrogatoire en garde à vue, que Mediapart a pu visionner… Ce serait là le vrai scandale du procès en appel de l’agression de Viry-Châtillon, dont le verdict, cinq condamnations et huit acquittement, jugé trop clément par des organisations de policiers et des politiques, provoque des débats et hier des manifestations -mais cette clémence en fait serait une réparation.

    Nous sommes en janvier 2017, devant des policiers qui le traitent de con, qui lui disent qu’il n’assume pas, Foued -ainsi Mediapart rebaptise le jeune homme pour garantir son anonymat- Foued, donc jure son innocence, cent fois, dit le journal, mais il finit par craquer, un instant, sous la pression conjuguées des policiers et -étonnamment- de son avocat de l’époque, commis d’office, qui contribue à faire perdre sa lucidité au jeune homme, il lui suggère qu’il est victime d’un black-out, qu’il a participé au guet-apens mais qu’il l’a occulté, ces choses-là arrivent, tiens, c’est arrivé à un de ses clients…

    Alors Foued se prend la tête, « Mon Dieu, comment vient ce phénomène… »… et quelques minutes plus tard, interrogé par les policiers, il répond : « Je ne m’en souviens pas une seconde si je l’ai faite ou pas. » Et cette phrase se retrouvera dans le dossier transmis à la justice… mais pas celles-ci, qui montrent un jeune homme sur le point de perdre la raison. « Je vais être fou. Il reste une boule en moi. Je ne sais pas c’est quoi. Dans ma tête, je ne l’ai pas fait. Si je dis que je l’ai fait, si je vous le dis, la boule va rester parce que dans ma tête je ne l’ai pas fait. »

    Foued avait été condamné à 18 ans de prison dans le premier procès aux assises, la cour disait que Foued avait « implicitement admis de façon très ambiguë avoir pu participer aux faits », le procès en appel a balayé ceci pour innocenter le jeune homme, il dit à Mediapart que les enquêteurs ne cherchaient pas les coupables mais des coupables. »

    La Justice n’est pas la vengeance, surtout pas la vengeance aveugle.

    Dans un État de droit, nos valeurs nous poussent à préférer qu’il puisse exister un coupable en liberté qu’un innocent condamné.

    Mais je laisserai le mot de fin à Voltaire :

    « Le roi avait perdu son premier ministre. Il choisit Zadig pour remplir cette place. […] C’est de lui que les nations tiennent ce grand principe : qu’il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent »
    Zadig ou La destinée – Histoire orientale, Chapitre VI, Le Ministre.

    Le mot de jour sera en congé les deux prochaines semaines. Il reviendra le 7 juin.

    <1568>

  • Jeudi 20 mai 2021

    « Les violentes émeutes de ces derniers jours indiquent qu’Israël se trouve à la croisée des chemins »
    Eva Illouz

    La terre sacrée des trois monothéismes, s’est à nouveau embrasée.

    Comment parler de ce sujet sans tomber dans le simplisme ?

    Pour les uns toute la faute est du côté des israéliens qui par leur politique de colonisation des terres que le plan de partage de 1948 donnait aux palestiniens rendent impossible toute paix qui permettrait la coexistence apaisée de deux Etats.

    Pour les autres toute la faute est du côté des palestiniens qui ne parviennent pas à faire émerger des gouvernants crédibles capable de négocier et s’engager pour trouver la voie d’une négociation raisonnable avec Israël.

    Pour renforcer l’argumentaire du premier camp, on parle du blocus qu’Israël impose aux territoires palestiniens, l’usage massive de la force asymétrique pour répliquer à toute attaque palestinienne ainsi que la politique de domination et donc d’humiliation du peuple palestinien, moins bien organisé, moins bien structuré, nettement moins bien armé.

    Mais le second camp pourra répliquer en fustigeant l’attitude, les méthodes et l’idéologie du Hamas, ainsi que la corruption du Fatah.

    A ce moment de l’affrontement, nous sommes en plus en présence d’une double impasse de gouvernement. Au bout de deux ans et quatre élections (9 avril et 17 septembre 2019, 2 mars 2020, 23 mars 2021) Israël n’est toujours pas en mesure de désigner un premier ministre et un gouvernement capables de gouverner le pays dans la durée et la stabilité. Pendant ce temps, Benyamin Netanyahou reste au pouvoir et expédie les affaires courantes. Et quand les affaires courantes sont une guerre contre le Hamas, cela lui est plutôt favorable.

    En face, le président de l’autorité palestinienne Mahmoud Abbas a reporté sine die les élections législatives qui aurait dû se tenir en 2021. Le précédent parlement avait été élu en 2006 !

    Lui-même a été élu en 2005 et reste dans sa fonction sans une nouvelle légitimation par les urnes.

    Écrire sur ce sujet est périlleux.

    On peut, je pense légitimement, avoir un surplus de compassion pour la plus grande partie du peuple palestinien qui vivent dans des conditions d’enfermement et d’insécurité terribles. Et qui en plus, ont des dirigeants médiocres et corrompus.

    Mais on ne peut pas ne pas avoir de compassion pour le peuple israélien qui lui aussi est touché par les actions meurtrières du Hamas qui dans sa tentative actuelle ne cherche pas le bien du peuple palestinien mais plutôt de gagner la bataille de l’image contre le Fatah, en voulant montrer que c’est lui qui défend avec le plus d’ardeur la cause palestinienne.

    Je me suis abonné il y a quelques mois à une revue en ligne qui s’appelle « AOC » pour Analyse, Opinion, Critique. Chaque jour, un article dans chacune de ces rubriques est publié.

    Et pour éclairer le sujet que j’ai abordé aujourd’hui je voudrais partager l’opinion de la sociologue Eva Illouz publié le 19 mai : « Israël-Palestine : la guerre silencieuse »

    Eva Illouz possède la double nationalité franco israélienne. Elle est née le 30 avril 1961 à Fès au Maroc. Elle est directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).

    Elle enseigne aussi la sociologie à l’Université hébraïque de Jérusalem. Elle a écrit plusieurs livres de sociologie qui ont eu du succès. Je possède dans ma bibliothèque, un livre qu’il me reste à lire : « Happycratie »

    Elle pose d’abord la question juste des faits : Peut-on expliquer comment la violence actuelle a commencé ?

    Elle a cette formule piquante «

    « Lorsque deux camps sont engagés dans un conflit qui dure depuis aussi longtemps que le conflit israélo-palestinien, chacun de deux côtés est devenu expert dans l’art d’accuser l’autre « d’avoir commencé ». »

    C’est un peu comme de tous jeunes enfants : « c’est lui qui a commencé »

    Certains voudraient faire commencer l’histoire dans les époques mythologique quand le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob a donné l’ordre à Moïse de conduire les Hébreux, hors d’Egypte dans ce pays qu’il lui a donné.

    Ce récit est écrit dans les livres saints de la religion juive. Rien de ce récit n’a pu être confirmé par les archéologues et les Historiens.

    D’autres veulent la faire commencer au moment de « La Nakba », « catastrophe » en arabe, qui désigne l’exil forcé de 700 000 Palestiniens lors de la création de l’Etat d’Israël en 1948. Car cette terre était occupée par des arabes musulmans et chrétiens qui étaient largement majoritaires avant que le mouvement sioniste envoie par vague successive des juifs s’installer en Palestine.

    Pour ma part, je préfère me référer à la décision de l’ONU qui a créé l’État d’Israël mais qui parallèlement a créé l’État de Palestine. Que l’un existe, sans l’autre pose un sérieux problème.

    Mais si on en revient à l’embrasement actuel, le début n’est pas évident :

    « Nous pourrions commencer par la vidéo d’un adolescent arabe du quartier de Beit Hanina à Jérusalem-Est qui gifle, sans avoir été provoqué, un adolescent juif orthodoxe dans le tramway de Jérusalem. Cette vidéo, postée sur Tiktok, a suscité un tollé, alimentant la peur existentielle ressentie par beaucoup de Juifs israéliens mais aussi leur perception que « la haine des Arabes à leur égard sera éternelle ».

    Cet incident aurait pu rester à sa mesure d’incident qui justifie une remontrance ou une sanction pour le gifleur. Il semble dérisoire de penser que cet incident est la cause de centaine de morts ?

    « Mais nous pourrions aussi commencer l’histoire un peu plus tard, le jeudi 22 avril, lorsque des membres de l’organisation d’extrême droite Lehava ont traversé la ville de Jérusalem en scandant « mort aux Arabes ». »

    Cette manifestation s’est déroulée en pleine période sacrée pour les musulmans du ramadan. Et c’est alors que la Police israélienne a eu cette initiative malheureuse, qu’Eva Illouz pointe aussi :

    « Ou bien prendre comme point de départ la décision de la police de fermer avec des barrières la petite place située devant la porte de Damas pendant le mois sacré de Ramadan. Cette porte mène aux quartiers arabes exigus et surpeuplés de la Vieille Ville de Jérusalem, et ses abords constituent depuis longtemps déjà un lieu où se retrouvent les hommes, majoritairement jeunes [notamment les soirs de ramadan]. Cela a été vécu comme une humiliation de plus qui venait s’ajouter à la privation, au quotidien, des droits politiques des Arabes de Jérusalem – ils représentent 40 % de la population de la ville mais n’ont aucun droit politique »

    Et la police israélienne ne s’est pas contenté de bloquer le passage des arabes de Jérusalem

    « Puis, lorsque les Israéliens ont empêché, pendant le mois de Ramadan, des milliers de pèlerins de se rendre à la mosquée Al-Aqsa (le troisième lieu saint de l’islam), d’humiliation on est passé à profanation. À l’approche de la Journée de Jérusalem, qui célèbre la conquête de ville en 1967, et après une semaine de tension, la police a utilisé du gaz lacrymogène et des canons à eau sale (qui détrempent les gens et les rues d’une odeur nauséabonde insupportable) pour disperser et combattre les fidèles, blessant des centaines de personnes. »

    Quand on profane le lieu sacré d’un peuple croyant, il faut s’attendre au pire.

    Car ce qui est sacré autorise le sacrifice et conduit à punir ce qui est sacrilège. Or la profanation est un sacrilège pour ceux qui croient au sacré.

    Et c’est ainsi que les arabes, citoyens israéliens ont commencé à se révolter.

    Le Hamas a alors profité de cet instant de tension pour envoyer une pluie de roquettes vers les villes israéliennes, tout en se réfugiant dans des immeubles dans lesquels il utilise les populations civiles et les enfants comme bouclier humain. Son but premier étant de conforter sa position politique après la décision de reporter les élections prises par son ennemi intérieur : le président de l’autorité palestinienne.

    L’armée israélienne a alors répliqué avec sa puissance habituelle et les effets collatéraux inévitables qui révoltent beaucoup de personnes dans le monde. Dans cette situation on en revient à la formule d’Annie Kriegel :

    « Israël n’a qu’un ami, mais c’est le bon »

    Mais c’est dans la seconde partie de son article que je trouve l’opinion d’Eva Illouz particulièrement intéressante :

    « Cependant, la guerre contre Gaza (un événement) ne doit pas, en dépit de sa télégénie, détourner notre attention des processus plus silencieux et invisibles qui ont jalonné l’histoire d’Israël, je parle de la constante privation des liberté et souveraineté politique des Palestiniens de Cisjordanie, et, par conséquent, du sentiment d’aliénation des citoyens arabes dans une société qui n’a cessé, au mieux, d’exprimer une profonde ambivalence à l’égard de leur présence.

    La guerre civile qui déchire Israël est bien plus inquiétante que la guerre militaire menée contre le Hamas, car elle met en évidence les contradictions internes qu’Israël n’a pas voulu et peut-être n’a pas pu surmonter. Cette guerre trouve sa source dans l’impossible modèle politique qu’Israël a tenté de promouvoir : une démocratie fondée sur l’exclusion durable des citoyens arabes de l’appareil d’État. [..]

    Cette exclusion n’est pas simplement un effet involontaire de la situation militaire d’Israël. Non, elle a été entérinée par de nombreuses lois qui discriminent les citoyens juifs et arabes. C’est pourquoi le point d’entrée le plus pertinent pour comprendre la guerre civile actuelle réside dans la tentative continue des colons juifs d’expulser des familles palestiniennes du quartier de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est. »

    Parce que parmi les évènements qui ont fait monter la tension il y avait la question de l’expulsion de familles palestiniennes de ce quartier arabe de Jérusalem par des colons. Je n’ai pas tout de suite compris de quoi il s’agissait. En 1948, dans le cadre de la création des deux États, des juifs avaient dû quitter ces immeubles qui se trouvaient dans la partie palestinienne. La Jordanie qui était alors l’État souverain sur ces lieux n’a pas trouvé utile de donner de titre de propriété aux palestiniens à qui ont avait donné ces biens immobiliers, contrairement à l’État d’Israël qui a tout de suite donné des titres aux juifs qui se sont emparés des biens arabes.

    Cette situation révèle donc une asymétrie absolue, puisque des juifs pourraient retrouver la possession de leurs biens d’avant 1948, contrairement aux palestiniens pour lesquels l’État d’Israël refuse toute réciprocité.

    Eva Illouz nous dit davantage de l’évolution interne des forces politiques et de la société israélienne :

    « Le cynisme meurtrier du Hamas ne saurait être minoré. Mais en tant qu’Israélienne juive, il semble plus opportun que ma réflexion se porte sur les défaillances de mon propre groupe tout en restant consciente que l’autre camp n’est pas qu’une victime innocente et angélique (à quoi j’ajouterai que l’autocritique n’est pas l’un des points forts du camp arabe).

    Le lecteur européen ignore que l’extrême droite israélienne à laquelle Netanyahu s’est allié est d’une nature différente des partis habituellement ainsi qualifiés en Europe. Itamar Ben Gvir, qui dirige le parti d’extrême droite Otzma Yehudit (Force juive), avait jusqu’à récemment dans sa maison un portrait de Baruch Goldstein. Baruch Goldstein était un médecin américain qui, alors qu’il vivait dans la colonie de Kiriat Arba (Hébron), a tué 29 musulmans pendant qu’ils priaient dans la grotte des patriarches. Ben-Gvir, quant à lui, est un avocat qui défend les terroristes juifs et les auteurs de crimes haineux. L’organisation Lehava, étroitement associé à ce parti, a pour mission d’empêcher les mariages interconfessionnels et le mélange des « races ».

    […] Lehava publie aussi les noms des Juifs (dans le but de leur faire honte) qui louent des appartements à des Arabes. Seule la culture du Sud profond américain du début du XXe siècle peut soutenir la comparaison avec une telle idéologie.

    Netanyahu est devenu leur allié politique naturel, virant ainsi vers les formes les plus extrémistes du radicalisme de droite. Ces groupes attisent les flammes de la guerre civile en répandant le racisme au sein de la société israélienne au chant du slogan « mort aux Arabes ».

    Selon Eva Illouz toute la société civile israélienne ne se trouve pas dans cette dérive mortifère :

    «  Mordechai Cohen, le directeur du ministère de l’Intérieur, a publié sur sa page Facebook une vidéo rappelant au public israélien les longues et patientes années de travail que son ministère a consacrées à l’intégration des Arabes dans la société israélienne et à la création de liens profonds entre les deux populations.

    Ce ne sont pas là les mots vides de sens d’un représentant de l’État. Et si ces liens sont peut-être loin d’être d’une égalité totale, ils n’en demeurent pas moins réels et puissants, et ils suggèrent qu’Israël est, à bien des égards, exemplaire en matière de fraternité entre Juifs et Arabes, une fraternité curieusement étrangère à bien d’autres pays, notamment à des nations comme la France. Les Arabes sont en effet aujourd’hui beaucoup plus intégrés à la société israélienne qu’ils ne l’étaient il y a cinquante ans (si l’on se fonde sur le nombre d’Arabes qui font des études supérieures et travaillent dans les institutions publiques, les universités et les hôpitaux).

    Cette fraternité n’a fait que se renforcer avec la crise du Covid-19, durant laquelle les équipes de santé juives et arabes ont travaillé côte à côte, sans relâche, pour sauver le pays.  »

    Elle rapporte l’influence néfaste de l’idéologie des colons.

    « Cette coexistence est vouée à l’échec dès lors qu’elle se trouve sapée par le racisme qu’encourage activement le mélange de religion et d’ultranationalisme qui définit désormais l’idéologie des colons, laquelle se répand peu à peu dans la société israélienne. »

    Et voici sa conclusion qui me semble pleine de sens :

    « Les violentes émeutes de ces derniers jours indiquent qu’Israël se trouve à la croisée des chemins. Le pays doit impérativement modifier sa politique eu égard à la question palestinienne et adopter les normes internationales en matière de droits humains dans les territoires, sinon il sera obligé de durcir non seulement sa culture militaire en matière de contrôle mais aussi sa suspension des droits civiques, et l’étendre à l’intérieur de la Ligne verte. Cette dernière option ne sera pas viable. Les Arabes israéliens doivent devenir des citoyens israéliens à part entière, et cela n’est possible que si leurs frères palestiniens se voient accorder la souveraineté politique.

    Israël a essayé de construire un État démocratique et juif, mais sa judéité a été détournée par l’orthodoxie religieuse et l’ultranationalisme, tous deux incompatibles avec la démocratie. Ces factions extrémistes ont placé judéité et démocratie sur des voies incompatibles – des voies aux logiques morales et politiques incommensurables qui les mènent droit à la collision. Dans le contexte d’un pays engagé dans des confrontations militaires incessantes, le puissant courant universaliste du judaïsme est passé à la trappe.

    Israël peut être un exemple comme nul autre pour le monde, non seulement pour ce qui est de l’égalité formelle entre Juifs et Arabes mais aussi des liens de fraternité humaine qu’ils peuvent tisser. Ces deux peuples se ressemblent étrangement et partagent beaucoup de choses en commun. Cette fraternité n’est pas un luxe ni un souhait naïf. Elle est la condition même de la poursuite de l’existence pacifique et prospère d’Israël lui-même. »

    J’ai trouvé aussi très intéressante la première partie de l’émission du « nouvel esprit public » consacré à ce sujet <Jérusalem : un déjà-vu sanglant>

    <1567>

  • Mercredi 19 mai 2021

    « Nos mythologies économiques par Éloi Laurent »
    Publication de la page consacrée à la série

    Je continue la publication des séries. Celle-ci correspond à des mots du jour publiés en juin 2017.

    La page consacrée à la série sur le livre d’Éloi Laurent : «nos mythologies économiques» est en ligne sur la page des séries.

    Mais vous pouvez aller directement sur la page en suivant ce lien : <Nos mythologies économiques >

    <Mot sans numéro>

  • Mardi 18 mai 2021

    « Personne n’est ce qu’il est sans l’autre. Sans possibilité de donner et de recevoir, personne n’existe. »
    Axel Kahn

    Axel Kahn est médecin généticien. Après beaucoup de combats de toute sorte, il s’est mobilisé dans la lutte contre le cancer. Il a été élu Président de la Ligue nationale contre le cancer le 28 juin 2019.

    Il se met en retrait, il a dit le <17 mai à Léa Salamé:

    « Je lutte contre le cancer et il se trouve que la patrouille m’a rattrapé : moi aussi, j’ai un cancer » »

    Il avait annoncé la nouvelle sur son blog, il y a déjà quelques jours, le 11 mai : <Atmosphère, l’âme d’un homme> :

    « Dès le quatre août, nous savions. La maladie que je combats avec acharnement en tant que Président de La Ligue ne s’était pas avouée vaincue, elle m’attendait au tournant, lançant une atteinte massive. […] Dans mon cas, la « consultation d’annonce » si importante et fréquemment dramatique dans l’histoire d’un cancer, a été réduite à sa plus simple expression et n’a nullement été dramatique. Cancérologue depuis cinquante ans, je connais bien l’adversaire, n’ai jamais nié qu’il soit redoutable, impitoyable. Les motifs de mon engagement à La Ligue sont liés à cette familiarité, à mon désir de m’impliquer plus au soir de ma vie dans la coordination des défenses qui lui sont opposées, dans le soutien aux quelques quatre cent mille personnes qu’il agresse chaque année dans mon pays où naissent dans le même délai moins de sept-cent-cinquante mille bébés. Les images du brigand à l’attaque ne me sont pas étrangères. Un bref passage dans la cavité de l’électroaimant d’un appareil d’imagerie par résonance magnétique nucléaire, des clichés vite communiqués, l’affaire était entendue. »

    Je suis toujours bouleversé quand j’entends un homme ayant le courage de parler en toute simplicité de son combat intime contre la maladie et la mort.

    Et j’ai particulièrement été touché par cette phrase qu’Axel Kahn a tweeté :

    « A mes enfants, je veux faire comprendre que personne n’est ce qu’il est sans l’autre. Sans possibilité de donner et de recevoir, personne n’existe. »

    Et pour finir, <l’entretien avec Léa Salamé> Axel Kahn a cité la fin du poème d’Alfred Vigny : « La mort du loup »

    « A voir ce que l’on fut sur terre et ce qu’on laisse
    Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.
    – Ah ! je t’ai bien compris, sauvage voyageur,
    Et ton dernier regard m’est allé jusqu’au cœur !
    Il disait :  » Si tu peux, fais que ton âme arrive,
    A force de rester studieuse et pensive,
    Jusqu’à ce haut degré de stoïque fierté
    Où, naissant dans les bois, j’ai tout d’abord monté.
    Gémir, pleurer, prier est également lâche.
    Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
    Dans la voie où le Sort a voulu t’appeler,
    Puis après, comme moi, souffre et meurs sans parler. »

    Personne ne connaît le terme, pas plus Axel Kahn qu’un autre.

    Mais il pense que le plus probable est qu’il est en train de parcourir l’itinéraire final de sa vie.

    <1566>

  • Lundi 17 mai 2021

    « Gisèle Halimi, le Panthéon et la guerre d’Algérie. »
    Questions sur la panthéonisation de l’avocate des droits des femmes

    Il semblerait que la main de notre jeune Président tremble. Elle tremble pour une signature.

    Dans l’hommage que j’avais consacré à Gisèle Halimi lors du mot du jour du <6 octobre 2020> j’évoquais l’hypothèse qu’Emmanuel Macron soulevait lui-même, à savoir d’augmenter un peu le taux de féminisation du Panthéon en y faisant entrer Gisèle Halimi.

    La procédure suivait son cours et le résultat semblait acquis.

    Mais France Inter a rapporté le 13 mai 2021 : < Pourquoi l’entrée de Gisèle Halimi au Panthéon est compromise:

    « Mais selon les informations de France Inter, il y a de fortes chances qu’Emmanuel Macron y renonce. En cause, l’engagement de Gisèle Halimi pendant la guerre d’Algérie.
    C’est une règle absolue : une panthéonisation doit rassembler et, par-dessus tout, ne froisser personne. Le nom de Gisèle Halimi, héroïne de la lutte pour les droits des femmes, semblait plutôt consensuel. Mais en janvier dernier, le rapport rendu par Benjamin Stora à l’Élysée « a clivé », confie un proche du dossier. Dans ce rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie commandé par Emmanuel Macron, l’historien recommande de faire entrer Gisèle Halimi au Panthéon, comme « figure d’opposition à la guerre d’Algérie ».

    L’avocate de militants du FLN (Front de libération nationale) parmi les « grands hommes » – et les grandes femmes ? « Certaines associations de harkis et de pieds-noirs l’ont pris comme une insulte », regrette cette même source. Cela n’a pas échappé au président, son entourage le reconnaît. Lui qui s’est donné pour mission de « réconcilier les mémoires » hésite à prendre le risque de raviver ces blessures. »

    « L’Express » a publié un article sur le même sujet : <Gisèle Halimi au Panthéon ? Tout comprendre au débat>

    L’express cite Céline Malaisé, présidente du groupe des élus Front de gauche au conseil régional d’Ile-de-France, qui a publié sur Twitter des phrases de l’avocate et notamment un extrait qui selon elle « semble poser problème » au président. Ces extraits proviennent du livre Une farouche liberté, écrit en collaboration avec la journaliste du Monde Annick Cojean. L’avocate évoque les « exactions commises par l’armée française, la torture érigée en système ».

    Cette possible reculade en évoque une autre que j’avais cité lors d’un mot du jour consacré à un autre humain remarquable. Il s’agissait du mot du jour du <27 février 2019>

    J’ai lu un autre article dans <Libération> parlant de Frantz Fanon :

    « Le maire de Bordeaux, Alain Juppé, a décidé de «surseoir» à la proposition de nommer une ruelle d’un des nouveaux quartiers de la ville du nom de Frantz Fanon (grande figure anticolonialiste). «Aujourd’hui, le choix du nom de Frantz Fanon suscite des incompréhensions, des polémiques, des oppositions que je peux comprendre. Dans un souci d’apaisement, j’ai donc décidé de surseoir à cette proposition », »

    Les harkis ont été trahis par la France. La France dans le récit qu’elle livrait à ces personnes, parlait de ses valeurs et que l’Algérie était la France et qu’elle avait donc besoin d’eux pour convaincre les autres habitants d’Algérie.

    Quand le récit a changé et que l’Algérie devait devenir indépendant, elle les a abandonnés en terre d’Algérie comme des proies à la vengeance du FLN qui les considérait comme des traitres

    Cela étant, le colonialisme n’était pas défendable en 1960. Avant non plus, mais en 1960, il était devenu plus évident encore que ce combat constituait une faute pour nos valeurs et pour l’humanité.

    Celles et ceux qui comme Gisèle Halimi, Franz Fanon ou Michel Rocard, par exemple, ont défendu la cause anticoloniale ont été l’honneur de la France, contrairement à un François Mitterrand, par exemple, qui était dans l’autre camp, dans un rôle peu glorieux.

    Ne pas vouloir honorer et reconnaître la clairvoyance de celles et de ceux qui, dans le trouble de l’époque, étaient dans le sens de l’Histoire constitue une erreur et une lâcheté.

    Pourtant, lors d’une interview au Point rappelé par <le Monde>, Emmanuel Macron avait dit :

    « Je pense qu’il est inadmissible de faire la glorification de la colonisation. Certains, il y a un peu plus de dix ans, ont voulu faire ça en France. Jamais vous ne m’entendrez tenir ce genre de propos. J’ai condamné toujours la colonisation comme un acte de barbarie. »

    Et dans le même article, on peut aussi lire les propos tenus par Emmanuel Macron à Alger le 15 février 2017 :

    « La colonisation fait partie de l’histoire française, poursuit-il. C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie. Et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes. »

    Que s’est-il passé depuis ?

    Peut être un désir de réélection et une volonté de ne pas vouloir décourager des électeurs qui pourraient avoir la généreuse idée de voter pour la réalisation de ce désir.

    C’est de ces ambitions là que sont fait les hommes politiques, non les hommes d’État.

    <1568>

  • Mercredi 12 mai 2021

    « J’ai choisi la musique pour sa capacité à dire des choses que je ne comprenais pas avec les mots. »
    Sonia Wieder-Atherton

    Hier, j’évoquais Christa Ludwig qui m’a accompagné pendant de longues années de découvertes et d’approfondissement musical.

    Je dirais que je la connaissais musicalement. Depuis sa mort, les nombreux articles et entretiens que j’ai vus et lus m’ont aidé à mieux connaître la femme qu’elle était.

    Je connaissais Christa Ludwig. Mais je ne connaissais pas Sonia Wieder Atherton.

    Je savais bien qu’elle existait et qu’elle jouait du violoncelle, mais je n’avais jamais eu la curiosité d’écouter un de ses disques ou de l’entendre parler de son art.

    C’est Augustin Trapenard, dans son émission « Boomerang » qui m’a fait découvrir la personne qu’elle était et aussi une violoncelliste et musicienne accomplies.

    C’était l’émission du 31 mars 2021 : <Les cordes sensibles de Sonia Wieder-Atherton>

    Elle a beaucoup travaillé avec la cinéaste Chantal Ackerman dont elle a été la compagne.

    Elle interroge les sons et la musique et en parle divinement.

    Augustin Trapenard la présente comme « musicienne et conteuse ».

    C’est une violoncelliste prodige qui a suivi une voie toute traditionnelle et a été l’élève des plus grands. Elle a aussi été l’élève de Rostropovitch qu’elle a beaucoup admiré.

    Depuis cette émission, je me suis procuré plusieurs disques d’elle et j’ai été absolument captivé.

    Elle joue des œuvres très classiques que je connais bien comme < La sonate pour Arpeggione de Schubert> ou le premier concerto de Chostakovitch. Des interprétations techniquement irréprochables et surtout avec une sensibilité immédiatement communicative.

    Et puis elle va par d’autres chemins.

    Par exemple ce lied de Gustav Mahler que chante merveilleusement Christa Ludwig, <Ich bin der Welt abhanden gekommen> elle l’arrange pour violoncelle et son violoncelle est comme une voix, il n’y a pas les paroles, mais le violoncelle chante : <Mahler par Sonia Wieder Atherton>

    Elle partage avec Augustin Trapenard cette vision

    « J’ai choisi la musique pour sa capacité à dire des choses que je ne comprenais pas avec les mots. La musique raconte aussi une histoire, et le violoncelle a été mon premier outil de conteuse ».

    Après elle va encore vers d’autres chemins, voici <Une prière juive> portée par le seul violoncelle. Ce morceau fait partie d’un disque intitulé <Chants Juifs>

    Elle dit :

    « Ce cycle de chants juifs est né de ma recherche sur la musique juive liturgique. Une musique aux racines si anciennes, qui a accompagné le peuple juif durant des siècles de pérégrinations. Je me suis intéressée à des mélodies de différentes sources, mais ce qui m’a véritablement inspirée, c’est le chant des cantors, ou hazans, et son expressivité intérieure, intime, contenant pourtant une telle force d’expression. Dans cette musique, le populaire et le sacré se confondent. Qu’elle soit gaie ou triste, lente ou rapide, prière, chant populaire ou encore danse, elle est toujours partage et intimité. J’ai senti que je connaissais cette musique depuis toujours, depuis bien avant ma naissance, c’était une impression étrange. »

    Elle explique sa relation particulière avec son instrument :

    « La première fois que j’ai entendu le son d’un violoncelle, j’ai été hypnotisée, soulevée dans l’univers, totalement happée. J’essaie de toujours revenir à cette sensation ».

    Et puis elle a voulu entrer dans le monde de Nina Simone.

    Nina Simone rêvait d’être la première concertiste de musique classique. Une société rétrograde et raciste l’a empêché d’atteindre ce rêve. Elle se tournera alors vers le jazz et deviendra selon les spécialistes que je ne suis pas, une des plus grandes chanteuses de jazz de l’Histoire.

    Sonia Wieder atherton dit : .

    « Dans mes créations, j’essaie d’amener des œuvres au violoncelle, de créer des rencontres entre la musique classique et d’autres registres, d’inventer de nouveaux langages ».

    Le disque qu’elle a consacrée à Nina Simone s’appelle <Little Girl Blue…>

    Voici un des morceaux de ce disque : <Black is the Colour of my True Love’s Hair>

    Elle dit encore :

    « Une interprétation, c’est comme le fil d’un funambule : parfois on tombe, on se laisse dépasser par l’émotion ».

    Et puis je finirais par une histoire qu’elle raconte après avoir parlé avec émotion de l’œuvre et du parcours de Nina Simone dans l’émission de Trapenard :

    « C’était une des premières fois que j’ai joué pour des jeunes adolescents. Je leur faisais découvrir la musique. Je leur jouais plein de morceaux et je leur demandais à quoi cela les faisait penser. Et j’ai joué alors un mouvement de Chostakovitch très puissant, très rythmique, très violent, très intense. Et je leur demande et là ça vous fait penser à quoi ?

    Moi ça me fait penser au vent ! Moi ça me fait penser à la tempête ! Moi ça me fait penser à des gens très méchants…

    Et puis il y a une petite fille qui lève la main et qui dit :
    « Moi ça me fait penser à une maman qui a deux enfants. Elle a un petit garçon et une petite fille et elle préfère son petit garçon. Et ça me fait penser ce que cela fait à la petite fille ! »

    C’est pour moi une histoire qui a une force inouïe
    Cela signifie que cette colère dans la musique, elle a pu entrer dans le cœur de cette petite fille et allé dans l’endroit qui n’avait jamais été exprimé et qui lui a fait dire cela. »

    C’est la puissance d’expression de la musique qui éclaire encore mieux les paroles de Sonia Wieder-Atherton que j’ai mises en exergue.

    Si vous voulez aller plus loin, il y a une série de cinq entretiens d’une demi-heure sur France Musique dont le cinquième « La musique doit être là où bat le cœur du monde ». C’était en 2017.

    Plus récemment en février une autre émission de France musique « C’est très physique, voire animal d’entrer sur scène »

    Hier je finissais le mot du jour en disant de Christa Ludwig par ces mots « Une grande Dame, une immense musicienne. ».

    Aujourd’hui j’ai envie d’écrire : « Une belle âme et une bouleversante conteuse qui chante avec un violoncelle »

    <1564>

  • Mardi 11 mai 2021

    « Le chant, c’est une métaphore de la vie : on inspire, on expire, le son arrive sur le souffle, puis c’est fini. »
    Christa Ludwig

    Christa Ludwig est morte, samedi 24 avril tout près de Vienne, en Autriche, elle avait 93 ans.

    Et depuis le 24 avril j’ai passé beaucoup de temps avec cette artiste merveilleuse, en écoutant ses disques, en lisant des articles qui lui étaient consacrés et en regardant énormément de vidéos, pour l’essentiel en langue allemande, dans lesquelles elle révélait sa personnalité lumineuse et son esprit pétillant.

    Je pourrais reprendre la description qu’en fait <Le Monde> :

    « Une voix sensuelle et chaudement ambrée, d’une amplitude exceptionnelle, une artiste émouvante à la carrière en tout point exemplaire ».

    C’est d’ailleurs dans cet article que j’ai trouvé la phrase que j’ai mise en exergue :

    « Le chant, c’est une métaphore de la vie : on inspire, on expire, le son arrive sur le souffle, puis c’est fini. »

    Dans les vidéos que j’ai regardées, elle parle parfois de la mort.

    Pour elle la vie est esprit, souffle. Un corps mort ne présente pour elle plus aucun intérêt.

    Elle dit par exemple à propos de sa mère qui a joué un si grand rôle pour elle, puisqu’elle fut sa seule professeure de chant tout au long de la vie en plus de la relation mère fille, elle est toujours avec moi, dans mon esprit, je la cite chaque jour. Elle est vivante en moi, le corps qui se trouve au cimetière ce n’est plus elle. C’est pourquoi Christa Ludwig n’allait jamais au cimetière.

    Elle a épousé, en secondes noces, en 1972, Paul-Émile Deiber, sociétaire de la Comédie-Française et metteur en scène. C’est pour cette raison qu’elle a vécu longtemps en France.

    Ils vieillirent ensemble et elle raconte qu’elle lui tenait la main au moment ultime et elle sentit quand la vie l’abandonna et elle ajouta :

    « Et alors je compris que ce corps n’était plus mon mari. Il était avec moi, dans mes pensées, dans mon cœur, auprès de moi, non dans ce corps inerte. »

    J’ai trouvé cette vision très apaisante et très inspirante.

    Elle avait décidé de se faire incinérer.

    Mais si je veux parler de Christa Ludwig, je dois dire avant tout qu’elle fait partie de mon univers musical depuis que je suis mélomane.

    Quand j’ai appris son départ, je me suis posé et fait le compte des enregistrements que je possédais et dans lesquels elle chantait.

    Quand on est mélomane comme moi, on collectionne patiemment des dizaines, puis des centaines et on arrive aux milliers de disque.

    On achète parce qu’on a lu ou entendu une critique, découvert une interprétation dans des ouvrages qui donnent les enregistrements de référence, ou plus simplement qu’on a entendu l’enregistrement ou qu’un ami mélomane nous l’a fait découvrir.

    Et alors faisant une petite liste, sans exagérer pour ne pas dépasser les limites d’un mot du jour.


    Un opus magnum de la musique est constitué par « Le chant de la terre » de Gustav Mahler. Dans les dizaines d’enregistrements de cette œuvre, deux disques surplombent : la version de Bruno Walter avec Kathleen Ferrier et celle d’Otto Klemperer avec Christa Ludwig et Fritz Wunderlich.

    La plus belle version du Requiem de Verdi est la première enregistrée par Carlo Maria Giulini, la partie d’alto est chantée par Christa Ludwig.

    Le plus beau Cosi fan Tutte de l’histoire est celui que Karl Boehm a enregistré avec l’orchestre Philharmonia. Le rôle de Dorabella était tenu par Christa Ludwig.

    La meilleure version de Fidelio de Beethoven est celle de Klemperer avec Jon Vickers. Le rôle de Fidelio est chanté par Christa Ludwig.

    Un des plus belles interprétations du plus grand opéra de Wagner, Parsifal est celle de Solti, le rôle de Kundry est tenu par Christa Ludwig.

    Et il serait possible de continuer à alimenter cette énumération.

    Les meilleurs chefs d’orchestre voulaient Christa Ludwig, parce qu’elle était simplement extraordinaire.

    Parmi ces chefs, invariablement elle en citait trois :

    Karl Boehm qui fut comme un second père pour elle et l’accueillit à l’opéra de Vienne. Elle n’était pas autrichienne, elle était née à Berlin mais elle se sentait et se vivait comme viennoise.

    Herbert von Karajan, en qui elle avait toute confiance. Il semble que c’est elle qui a dit un jour que Karajan était Dieu, ce que des détracteurs de ce dernier avait traduit qu’il se prenait pour Dieu. Christa Ludwig voulait simplement dire qu’elle était toujours rassuré quand Karajan dirigeait parce qu’il avait cette faculté de rassurer et de créer un écrin sonore dans lequel la voix de ses chanteurs pouvait s’épanouir sans crainte.

    Mais celui pour lequel elle avait le plus d’affection était Léonard Bernstein. C’est encore elle qui a eu cette phrase :

    « il était la musique »

    Dans cette interview à Forum Opera elle est plus précise : .

    « J’ai eu la chance de faire la connaissance de trois grands chefs d’orchestre à trois moments différents de ma carrière. Quand je suis arrivée à Vienne, j’ai vite travaillé avec Karl Böhm. C’était une grande chance, car Böhm, dont la femme était cantatrice, comprenait la voix. Bien sûr, tous les chefs aiment les voix, mais Böhm était le seul à vraiment les comprendre, à connaître précisément leur fonctionnement. Quand je l’ai rencontré, j’étais encore une très jeune chanteuse, il m’a enseigné la rigueur, la justesse, l’exactitude.

    Quelques années plus tard, j’ai rencontré Karajan qui, lui, m’a appris la beauté de la phrase, l’esthétique du son. En répétition, avec le merveilleux Philharmonique de Vienne, il disait toujours aux musiciens d’écouter le son produit par les voix, et aux chanteurs de s’immerger dans le son de l’orchestre. Je n’ai jamais trouvé chez un autre chef un tel sens de la sonorité.

    Et puis j’ai rencontré Bernstein quand j’avais déjà 40 ou 41 ans. J’étais un peu plus sage, plus aguerrie, et avec lui on pouvait découvrir le vrai sens de la musique, sa profondeur, ce qui se cache sous les notes. Avec lui, j’ai vraiment chanté toutes sortes de choses, y compris le tango de la Vieille Dame, dans Candide : le registre de la comédie n’est vraiment pas ma tasse de thé, mais j’ai fait ça pour lui. De tous mes collègues, Bernstein est le seul dont la mort m’a vraiment fait pleurer. C’était un authentique génie. »

    La remarquable qualité de Christa Ludwig était sa capacité de pouvoir s’adapter à chacun de ses chefs. Elle dit :

    « Mais si Böhm demandait un mezzo forte à tel moment, que Karajan, dans ce même passage, voulait qu’on chante piano et Bernstein, forte, ils avaient tous les trois raison, chacun à sa manière : c’était toujours justifié car ça s’inscrivait dans leur conception d’ensemble. Et moi, je me suis toujours bien entendue avec eux parce que je faisais le nécessaire pour m’intégrer dans cette conception.  »

    Énormément de journaux lui ont rendu hommage.

    <France Musique> lui consacre plusieurs pages en republiant de nombreuses émissions qui lui avaient été consacrées.

    <Le Figaro> qui rapporte ce propos :

    « On fait carrière avec sa tête, pas avec sa voix »

    Mais cette voix est exigeante, il faut la protéger, ne pas trop parler, ne jamais prendre froid, ne pas être en contact avec des virus, ne pas boire, ni trop manger.

    Le journal suisse <Le temps> parle de « discipline de cosmonaute » :

    « Pendant 50 ans, elle «ne pense qu’à ses cordes vocales, jour et nuit», et s’administre au quotidien une discipline «semblable à celle des cosmonautes» pour préserver son timbre: pas de tabac ni d’alcool… et même pas de cinéma, «parce que je devrais m’enfuir dès que mon voisin tousse». »

    Le journal canadien « Le Devoir » titre « Christa Ludwig, titan au féminin » et écrit :

    «  l’une des plus grandes chanteuses du XXe siècle, nous laisse un legs immense.
    A-t-on vraiment envie d’être triste ? Ou a-t-on simplement envie de dire, de crier, « Merci ! » ? Car Christa Ludwig était déjà immortelle de son vivant. »

    Pour « TELERAMA », le titre est « Christa Ludwig, quand une diva s’en va. »

    Je partage cet avis :

    « Femme aussi disciplinée et rigoureuse dans son art que portée à la gaieté en privé, excellant dans les personnages dramatiques mais conservant toujours un grain de joie dans sa voix merveilleusement colorée, Christa Ludwig ne fut jamais plus elle-même que chez Mozart et Strauss, sans doute parce qu’elle trouvait dans leur grâce et leur finesse un reflet de ses propres qualités. »

    Et je finirai par cet article du journal belge « Crescendo » : « Christa Ludwig, la voix de mezzo dans toute sa splendeur »

    « Que sa personnalité était attachante, tant elle irradiait la scène par sa présence, sa musicalité et son art du dire qui justifiaient la versatilité de son répertoire à l’opéra, en récital, au concert ! »

    Vous trouverez derrière ce lien <Le final du chant de la terre avec Bernstein>

    Une grande Dame, une immense musicienne.

    <1563>

  • Lundi 10 mai 2021

    « La diaspora des cendres »
    William Karel, textes des bourreaux et des victimes de la shoah

    Première lettre, une demande :

    « En vue d’expérimenter un soporifique, vous serait t’il possible de mettre à notre disposition quelques femmes et à quelles conditions ?
    Toutes les formalités concernant le transfert de ces femmes seront faites par nous.
    Nous offrons 170 marks par sujet.
    Veuillez donc faire préparer un lot de 150 femmes saines, que nous enverrons chercher très prochainement »

    Accusé de réception

    « Nous sommes en possession du lot de 150 femmes. Votre choix est satisfaisant, quoique les sujets soient très amaigries et affaiblies.
    Nous vous tiendrons au courant des expériences. »

    Bilan et nouvelle demande

    « Les expériences n’ont pas été concluantes. Les sujets sont morts.
    Nous vous écrirons prochainement pour préparer un autre lot »

    Ce sont trois lettres de l’entreprise Bayer au Directeur du camp d’Auschwitz, pendant la seconde guerre mondiale. Cet extrait se trouve à 38mn55 d’un document sonore, sans aucune image, sans aucun commentaire, avec une musique minimaliste et diffusé sur France Culture, hier soir à 20:00. Ces textes, choisis par William Karel, mis en onde par Sophie-Aude Picon, lus par des comédiens, sont des écrits des bourreaux et des victimes de la Shoah.

    Mais France Culture avait mis en ligne ce document avant sa diffusion.

    J’ai donc pu l’écouter dès samedi.

    J’avais accompagné Annie dans la petite ville de Matour, en Saône et Loire où elle avait des choses à faire.

    En l’attendant, je suis allé me promener autour de l’étang qui se trouve dans cette petite mais dynamique ville de Bourgogne.

    Casques sur les oreilles, masque sur le nez et la bouche comme il se doit, j’ai fait cinq fois le tour de cet étang, calme et paisible, pour écouter l’intégralité des 1 heure 45 que dure « La diaspora des cendres ».

    Parce que vous ne pouvez pas écouter ces textes en faisant la cuisine ou une autre activité. Il faut être pleinement disponible, dans la durée.

    Je crois aussi qu’il faut être dans un état mental assez serein pour pouvoir affronter ce gouffre de l’aventure humaine.

    <Le Monde> écrit très justement :

    « D’abord, il faut le dire. Dire que l’on sort sonné et sidéré de ces deux heures d’écoute. Dire que l’on est d’emblée certain d’être en présence d’une œuvre et exceptionnelle et majeure. Dire qu’il faudra du temps pour recouvrer son souffle et comprendre ce qui s’est ici donné à entendre. Plus qu’un document exceptionnel sur l’histoire de la Shoah, un nouvel éclairage – sonore cette fois. »

    Dans notre univers de l’image toute puissante, de l’impatience élevé au niveau d’un absolu, il fallait oser produire un document nu de près de 2 heures, exclusivement sonore, sans aucun pathos, dans lequel on reçoit uniquement les mots qui ont été écrits par les bourreaux ou les victimes de ce moment dans lequel la civilisation occidentale s’est brisée dans l’innommable. C’est pourtant une œuvre d’une puissance inouï.

    Parole de victime à 2 minutes 48 :

    « Tous les juifs sont regroupés dans les mêmes immeubles avec obligation d’y rester après 20 heures.
    Ils inventent chaque jour de nouvelles mesures pour nous briser lentement.

    • Interdiction d’écouter la radio ;
    • D’utiliser le téléphone ;
    • D’aller à la piscine ;
    • Au théâtre, au cinéma, au concert, au musée, dans une bibliothèque ;
    • Dans un restaurant, une gare ou au jardin public ;
    • De monter dans un tramway ;
    • D’acheter des journaux, des fleurs, du café, du chocolat, des fruits
    • D’aller chez le coiffeur
    • De posséder une machine à écrire, un vélo, une chaise longue
    • Un chien, un chat, un oiseau.
    • Voilà je crois que c’est tout »

    Cette énumération m’a sidéré. Une bureaucratie minutieuse de l’inhumanité !

    Et que dire quand la bureaucratie nazie décrit elle-même, avec une précision sordide, les méthodes mises en œuvre pour accomplir leurs tâches infâmes ?

    « Il fallait gazer les détenus dans des chambres provisoires et bruler les détenus dans des fosses.
    On alternait des couches de cadavre avec des couches de bois, et lorsqu’un bucher de 100 cadavres avaient été constitué, on mettait le feu au bois avec des chiffons imbibés de pétrole.
    Quand la crémation était bien avancée on jetait dans le feu les autres cadavres.
    On collectait avec des seaux, la graisse qui coulait sur le sol et on la rejetait au feu pour hâter l’opération.
    La durée de la crémation était de 6 à 7 heures.
    La puanteur des corps brulés se faisait sentir dans tout le camp »
    Rudolf Höss, directeur du camp d’Auschwitz

    Vous entendrez la haine, les mots utilisés par des allemands dans des courriers de lecteurs de journaux pour prétendre que l’Allemagne doit craindre les juifs et qu’aucune pitié ne doit arrêter la machine aryenne pour exterminer la nation juive. Ils ne parlent plus d’êtres humains mais de tous les mots qui peuvent définir les parasites et les animaux ou insectes qu’il s’agit d’éradiquer.

    Vous entendrez les témoignages des victimes paralysées par la violence et l’inhumanité qui se dressent contre eux. Certains, au début de la Shoah, se posent la question comment les voisins avec qui ils avaient l’habitude d’échanger et de s’entraider se comporteront.

    Une jeune juive raconte comment sa famille a reçu la visite d’une de ses camarades de classe, après la nuit de cristal pendant laquelle les nazis avaient cassé les vitrines des magasins des commerçants juifs, saccagé leurs magasins et leurs appartements et fait bruler les synagogues. Cette camarade issue de la bourgeoisie aisée de la ville avait été envoyée pour exprimer la honte que sa famille ressentait par rapport à ce que les allemands avaient fait ce jour-là.

    Au moment des déportations, les conditions de vie dans les wagons à bestiaux sont décrites. Parfois dans des lettres, des déportés essaient d’exprimer leur courage et leur confiance en l’avenir pour rassurer la famille restée en arrière.

    Une victime a répondu à la question qu’on lui avait souvent posé : pourquoi ne vous êtes pas enfuis ? Il explique qu’on lui avait pris son passeport et que les nazis leur avait pris tout leur argent puisqu’ils avaient eu cette idée ignoble de faire payer une amende énorme aux juifs pour payer le nettoyage des dégâts de la nuit de cristal.

    Et puis vous entendrez des détails de ce qui s’est passé dans les camps d’extermination, les chambres à gaz, les fours crématoires, la cruauté infinie des bourreaux

    Il y aussi ces incroyables lettres envoyées par des soldats à leur épouse (59:29)

    « Samedi, seize heures, la population devait se trouver sur la place.
    Environ 50 000 personnes, dont moi et l’ensemble des soldats.
    Puis les deux autos arrivèrent dans lesquels se trouvaient les condamnés, les mains liées, les ukrainiens leur passèrent le nœud coulant autour du cou.
    4 furent pendus à la double potence.
    Ils restèrent pendus pendant 3 heures, en guise d’exemple dissuasif.
    Chacun pouvait venir les voir dans les environs proches.
    Je les voyais à la distance d’un mètre. C’est aussi la première fois que je voyais des pendus. »

    On constatera encore une fois la précision clinique de la description des faits.

    Mais pourquoi écrire de telles horreurs à son épouse ? Pour manifester l’horreur de la guerre ? Exprimer une soif d’humanité ?

    Espoir déçu, voilà comment continue ce soldat :

    « Tu comprendras maintenant que je vis beaucoup de choses.
    Que je vois, entends, participe, apprend beaucoup etc.
    Bref je ne m’ennuie pas, mais je reconnais que je suis content, car ici j’ai vraiment un aperçu de plein de choses qu’on se représente bien différemment au pays.
    J’aimerai bien être près de toi et des enfants, pour être là jusqu’à ton accouchement. »

    Ainsi les moments de la normalité familiale coexistent avec des actions et des expériences de l’anormalité humaine.

    Dans un extrait, plus terrible encore que je ne cite pas, un soldat allemand qui participe à la Shoah par balles raconte à son épouse les fosses de juifs assassinés d’un coup de revolver. Il raconte qu’il a tué deux jeunes enfants de moins de 5 ans. Que ces enfants lui ont fait pensé à leurs deux enfants. Mais il enchaine immédiatement pour justifier son acte par la nécessité pour le peuple allemand de se débarrasser des juifs.

    Parfois certains allemands retrouvent une part de lucidité et de compassion (1:04:58)

    « Ici en Pologne, on ne nous dit rien, mais nous avons une image assez claire de la situation. Partout la terreur ouverte. Chaque jour on rafle les gens, on les fusille. Il y a une entreprise d’extermination des juifs qui est en cours. De sources différentes et toutes dignes de foi, nous apprenons que les juifs sont tués en masse. Les témoins racontent que les juifs, hommes, femmes et enfants sont asphyxiés dans des unités de gazage mobiles. On rapporte des scènes effrayantes qu’il est difficile de croire. Je n’arrive pas à penser que Hitler poursuive un but pareil, ni qu’il y a des allemands capables de donner de tels ordres. Notre peuple devra expier ces monstruosités un jour ou l’autre. »
    Journal du capitaine Wim Osenfeld, officier de la Wehrmacht à Varsovie

    « La Diaspora des cendres » est un titre qui a été utilisé une première fois dans un article de Nadine Fresco paru en 1981 dans la Nouvelle revue de psychanalyse.

    Le premier texte cité dans cette œuvre a été écrit par l’historien Itzhak Schipper, mort au camp de Maïdanek en 1943 :

    « L’histoire est écrite par les vainqueurs. Tout ce que nous savons des peuples assassinés est ce que les assassins ont bien voulu en dire. Si nos ennemis remportent la victoire, si ce sont eux qui écrivent l’histoire de cette guerre, ils peuvent aussi décider de nous gommer complétement de la mémoire du monde »

    J’ai trouvé sur ce site, la suite des propos de L’historien Itzhak Schipper :

    « Mais si c’est nous qui écrivons l’histoire de cette période de larmes et de sang — et je suis persuadé que nous le ferons — qui nous croira ? Personne ne voudra nous croire, parce que notre désastre est le désastre du monde civilisé dans sa totalité. »

    Les voix, qui lisent ces textes sont celles de Mathieu Amalric, Valérie Dréville, François Marthouret, Elsa Lepoivre et Denis Podalydès.

    Dans les Matins de France Culture du 7 mai, Guillaume Erner avait invité William Karel et Sophie-Aude Picon pour présenter « la diaspora des cendres » : <Donner des voix à l’indicible>.

    Le lien vers l’indicible : <La diaspora des cendres>

    <1562>

  • Vendredi 7 mai 2021

    « Pause (je me suis concentré sur la vie) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Quand on se fait vacciner, on a droit au repos et à ne pas écrire de mot jour.

    Il y a 7 ans déjà, le 7 mai 2014, j’évoquais un livre.

    Le livre d’un homme américain qui avait été condamné à mort.

    Mais dont on avait reconnu l’innocence : Il s’appelle Damien Echols

    « Je me suis concentré sur la vie,
    sur continuer à croitre, à grandir,
    intellectuellement, émotionnellement, spirituellement,
    j’ai essayé de continuer à aller de l’avant, là où je pouvais. »

    C’était <Le mot du jour du 7 mai 2014>

    <mot du jour sans numéro>

  • Jeudi 6 mai 2021

    « Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon code civil »
    Napoléon Bonaparte

    Je ne ferai pas de série sur Napoléon. Ce sujet ne m’inspire pas suffisamment et je n’ai pas fait de recherches qui puissent me donner des éléments de réflexion qui méritent d’être partagés.

    Je vais quand même réaliser un second mot du jour pour compléter celui d’hier, dans lequel j’écrivais : « Je ne nie pas qu’il ait créé un certain nombre d’institutions qui eurent un rôle dans la construction de la France. »

    Et parmi ces institutions probablement que le plus important fut « Le Code civil »

    En 1815, il confie au marquis de Montholon sur l’île de Sainte-Hélène :

    « Ma vraie gloire n’est pas d’avoir gagné quarante batailles. Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon code civil ! »

    Robert Badinter a écrit un livre sur le Code civil : « Le plus grand bien » et dans celui-ci il analysait :

    « L’état civil échappait définitivement à l’Église et le mariage relevait de la seule loi civile »

    Bien sûr, Bonaparte ne fut pas seul dans cette réalisation, mais il faut reconnaître qu’il porta ce projet jusqu’au bout et que c’est parce qu’il en avait fait une priorité que celui-ci se réalisa.

    Ce fut le 14 août 1800 que Bonaparte, alors Premier consul, désigna une commission de quatre éminents juristes : François Denis Tronchet, Félix Julien Jean Bigot de Préameneu, Jean-Étienne-Marie Portalis et Jacques de Maleville pour rédiger le projet de « Code civil des Français », sous la direction de Cambacérès.

    <Wikipedia> nous informe que ces derniers furent choisis, entre autres, car chacun reflétait une partie du droit positif :

    • Bigot de Préameneu était un spécialiste de la Coutume de Bretagne (une coutume plutôt rurale),
    • Tronchet, président de la commission, était un spécialiste de la Coutume de Paris (cette coutume était la plus complète, elle suppléait les manques des autres coutumes),
    • Maleville, secrétaire général, originaire du Périgord, pays de droit écrit influencé par le droit romain (dont il est l’un des grands défenseurs).
    • Portalis enfin, était du Sud-Est (Aix), pays de droit écrit, il connaissait parfaitement le droit romain. »

    Dès 1801, le projet est débattu devant le Conseil d’État. Sur 107 séances, 55 sont présidées par Bonaparte qui n’hésite pas à donner son avis et trancher quand il le faut.

    Il sera promulgué le 21 mars 1804, mais au moment de cette promulgation le calendrier révolutionnaire était encore en vigueur. C’est pourquoi, l’historien rigoureux affirmera que la date de promulgation fut le 30 ventôse an XII.

    Il a été modifié et augmenté à de nombreuses reprises à partir de la IIIe République, mais beaucoup des articles primitifs des titres II et III subsistent (plus de 1 120 au début des années 2000 sur les 2 281 articles d’origine)

    <Le site Geo Histoire> rappelle cependant que dans la version initiale, la misogynie, la vision patriarcale de la société, l’esclavagisme nous est devenu insupportable :

    « Reste que ses articles (aujourd’hui abrogés) sur les femmes apparaissent d’une misogynie inouïe et qu’il a « cohabité », jusqu’à l’abolition de l’esclavage en 1848, avec le monstrueux « code noir » (rétabli par Bonaparte en 1802 après avoir été aboli par la Convention en 1794).

    Le « code civil des Français » fut d’abord celui des hommes « propriétaires, mariés et pères de famille », résume Robert Badinter. Au nom de la famille et de sa stabilité, le « code Napoléon » a en effet consacré l’infériorité de la femme mariée face à l’homme. L’épouse côtoie les mineurs et les fous au rang d' »incapable », se voit privée de tous ses droits civils du jour de son mariage.

    L’article 213 original du « code Napoléon » définit ainsi les relations entre époux : « Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari ». Il faudra attendre 1970 pour que cet article soit modifié pour désormais prévoir que « les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille, pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur avenir ». »

    L’excellent site Thucydide.com, créé par de jeunes historiens et qui a pris le nom du célèbre historien grec a consacré plusieurs pages au Code Civil et nous apprend beaucoup de choses :

    « 200 ans après sa rédaction, le « Code Civil des Français » est toujours en usage en France… Bien que l’on en parle peu dans la presse et encore moins à la télévision, le fait mérite d’être évoqué car ce Code voulu par le premier Consul Bonaparte a été l’un des éléments clés de l’unification juridique de la France. »

    On a longtemps parlé de « Code Napoléon ». Le site Thucydide précise :

    « L’appellation « Code Napoléon » désigne notre Code Civil et ses 2281 articles d’origine, au regard de son Histoire. […] . L’expression « Code Napoléon » désigne aujourd’hui ce qui, dans notre Code, n’a pas été modifié depuis l’adoption de ce Code.

    Le Code Civil est un recueil de lois qui réglementent la vie civile des français, de la naissance à la mort. Il fonde les bases écrites de notre droit moderne français. Sa force vient du fait qu’il est applicable à l’ensemble des français : il marque la fin des législations particulières pour les régions du nord et du sud, les mêmes lois s’appliquant à tous. Il s’inscrit dans l’idéologie légaliste. »

    Etienne Portalis a donné cette réponse à la question « qu’est-ce que le Code Civil ? » :

    « C’est un corps de lois destinées à diriger et à fixer les relations de sociabilité, de famille et d’intérêt qu’ont entre eux des hommes qui appartiennent à la même cité ».

    SI vous voulez plus de précisions, je vous conseille de lire Thucydide.com qui fait notamment l’histoire des codes depuis l’époque romaine.

    Je cite pour finir des extraits de la page qui évoque le rayonnement du Code Civil Français à l’étranger :

    « Le code civil, brillante œuvre au style clair et concis, sert de modèle à plusieurs pays. En Europe, la Belgique, les Pays Bas (Code néerlandais de 1838), l’Italie (Code italien de 1868), l’Espagne et le Portugal s’en inspirent. Aux Etats Unis, l’Etat de Louisiane utilisa le Code Napoléon comme source de base de son propre code. Au XIXème siècle, le Code inspira de nombreux pays : la Grèce, la Bolivie, l’Egypte. En 1960, plus de 70 états différents avaient modelé leurs propres lois sur le Code Civil. »

    Pour l’instant, je n’écrirai pas un mot de plus et ne consacrerais pas des minutes supplémentaires à l’homme qui est mort le 5 mai 1821 à Sainte Hélène.

    <1561>

  • Mercredi 5 mai 2021

    «L’histoire est une suite de mensonges sur lesquels on est d’accord.»
    Napoléon Bonaparte

    Napoléon est mort le samedi 5 mai 1821 à 17 h 49, dans sa résidence de Longwood sur l’île de Sainte-Hélène. Il était âgé de cinquante et un ans, huit mois, vingt jours.

    C’était, il y a deux cents ans.

    Il débarqua sur l’île de Sainte Hélène le 17 octobre 1815, il y vécut donc 5 ans et demi. Grâce à Google Maps nous pouvons situer facilement ce lieu. Nous pouvons aussi savoir, tout de suite, qu’il se trouve à plus de 7000 km de Paris et à 2000 km de la côte, si on prend comme ville pour accoster, Abidjan


    Si je compte bien, Napoléon a donc pu bénéficier de sa retraite à 45 ans. Cela me semble appréciable.

    Quand il mourut, il fut enterré à Sainte Hélène.

    Un site entièrement dédié à <l’exil à Sainte Hélène> nous donne de nombreuses informations, permet d’acheter des livres et des objets, à prix non bradés, sur la boutique en ligne, annonce pour ce jour une retransmission des cérémonies pour célébrer les deux ans et présente beaucoup de photos.

    Nous pouvons donc contempler le lieu calme, éloigné de la pollution parisienne, où le corps de Napoléon a été enterré. C’est bien sûr une photo récente


    Nous savons qu’il ne restera pas là. En 1840, Louis Philippe et son premier ministre, Adolphe Thiers, il fut aussi dans ce coup-là, trouvèrent politiquement pertinent de demander l’autorisation aux anglais de rapatrier le corps à Paris et de l’installer sous le dôme des Invalides.

    En 1840, le tombeau imaginé par l’architecte Louis Visconti, n’était pas prêt. On installa donc le cercueil dans un local annexe. Le corps du défunt ne fut réellement placé dans son tombeau que le 2 avril 1861. L’architecte Visconti était déjà mort depuis 8 ans.

    Et puis, Louis Philippe avait été chassé du pouvoir en 1848. Entre temps, la deuxième république avait fait élire le premier président de la République française. Le choix fut pervers pour la République, les français, probablement mal influencé par « une suite de mensonges » éliront le neveu de Napoléon. Ce dernier, trouvant le poste de président de la république trop médiocre, fit un coup d’État pour créer le second empire et devenir empereur comme son oncle.

    L’un comme l’autre de ces deux empires s’achevèrent par un désastre et une France défaite, humiliée et affaiblie.

    Dans ma série sur la Commune le second désastre a été un peu décrit. Il a permis à Adolphe Thiers qui fut au pouvoir sous Louis Philippe et dans l’opposition sous le second Empire, de revenir à la tête du gouvernement.

    Victor Hugo a désigné Napoléon III comme « Napoléon le petit », laissant percevoir que l’oncle était « Napoléon le grand ».

    Et c’est le récit qu’on a fait dans nos livres d’Histoire, pendant longtemps.

    C’est ce que j’ai appris dans les cours d’Histoire, on ne disait quasi rien de la commune mais on parlait de la gloire du général devenu premier consul puis empereur.

    On glorifiait ses victoires militaires et on excusait ses défaites. Les victoires étaient le fruit de son génie, les défaites des concours de circonstances malheureuses.

    <Le Monde> dans une vidéo dans laquelle je retiens surtout la fin : une France redevenue un territoire, très loin des rêves de l’empire, affirme que Napoléon a gagné 77 batailles sur un total de 86., ce qui ferait un taux de 90% de victoires.

    C’est à faire pâlir d’envie Didier Deschamps qui selon les dernières statistiques se situe à un taux de victoire de 66% (73 victoires sur 111 rencontres.). Fort heureusement, la stratégie de Didier Deschamps n’a jamais provoqué de victimes, contrairement aux batailles de Napoléon.

    Le chiffre des victimes fait l’objet de contestations, mais il fut énorme pour la population française de l’époque

    Mais ces « 90% » de victoires n’empêchèrent pas le désastre. Il fit le contraire de ce que De Gaulle avait annoncé en juin 1940 : « Nous avons perdu une bataille, mais nous gagnerons la guerre », lui pouvait dire : « je gagnerai un grand nombre de batailles, mais je perdrai la guerre ».

    Et puis il y a le coût de ces massacres, le budget nécessaire pour faire la guerre devint considérable.

    <Les Echos> écrivent :

    «  Les recettes totales de l’Etat passeront à 800 millions de francs en 1810 et à 1,3 milliard en 1814 contre 475 millions en 1789. […]. Pour financer ses guerres, dont le coût a été estimé à un peu plus de 700 millions par an entre 1806 et 1814, Napoléon recourt au tribut imposé aux pays vaincus. Au total, les dommages de guerre prélevés par l’Empire grâce à cette politique s’élèveront à 1,5 milliard de francs entre 1805 et 1814.  »

    Ce tribut imposé aux autres pays, ajouté aux victimes subis par les autres pays va avoir des conséquences très négatives sur l’image de la France.

    Je reviens à la façon dont on m’a appris l’Histoire dans l’école de la République. Napoléon fut un génie et un bon génie pour la France. S’il faisait la guerre à toute l’Europe c’est parce que tout le monde voulait attaquer la France. Le peuple qui voulait toujours la guerre fut la Prusse, puis l’Allemagne.

    J’eus un choc quand un jour, un ami qui était d’origine allemande m’a emmené en Sarre discuter avec des jeunes allemands de notre âge sur cette question de la nation belliciste. Et leur vision était exactement le contraire du récit qu’on me racontait. Et s’ils ne m’ont pas immédiatement convaincu, ils ont ébranlé mes certitudes. Pour eux, c’était la France qui a toujours voulu guerroyer partout en Europe ; Napoléon 1er constituant le paroxysme de cette ambition.

    Par la suite mes études de Droit puis d’Histoire m’ont fait comprendre que si les choses sont bien sur complexes, la vision des jeunes allemands était plus conforme à la réalité. J’ai notamment appris à connaître « Le discours à la nation allemande » de Fichte dans laquelle ce philosophe conquis d’abord par l’idéal de la révolution française a été profondément heurté par la violence et les exactions des armées napoléoniennes et a enjoint le peuple allemand à se renforcer pour ne plus avoir à subir le joug de ces français arrogants et guerroyeurs.

    <France Culture> parle de cette évolution de Fichte et des autres philosophes allemands.

    Napoléon fut aussi un assassin : il fit tuer le duc d’Enghien, il rétablit l’esclavage aboli par la Révolution son attitude à l’égard dHaiti et de Toussaint Louverture furent indignes, surtout de l’image de fils des Lumière qu’il voulait se donner.

    <Jean-François Kahn> prétend même que ses victoires militaires sont à relativiser :

    « Bonaparte au pont d’Arcole. L’image d’Épinal est imprimée dans les esprits. Sauf qu’elle ne correspond à aucune réalité. Tous les témoignages de ceux qui participèrent à l’événement, dont le général de Marmont, le confirment, et Barras, le protecteur du futur empereur, en fait foi dans ses Mémoires : en fait, le héros tomba dans l’eau et la tentative de franchissement du pont fut un échec.La bataille n’en fut pas moins gagnée au forceps par la suite.
    Tout le monde vous dira que Wagram fut une grande victoire… En réalité, les 21 et 22 mai 1809, l’armée impériale, qui venait d’entrer à Vienne, attaqua l’armée autrichienne commandée par l’archiduc Charles et fut sévèrement battue à Essling. Ce n’est que le 4 juillet suivant que la Grande Armée, très nettement supérieure en nombre, reprit l’offensive et franchit le Danube mais, se heurtant à une tactique de défense imprévue (la formation en équerre), fut de nouveau mise en échec et dut décrocher. C’est le 6 juillet seulement que, à l’issue d’une troisième offensive précédée d’une formidable préparation de l’artillerie, les Autrichiens durent se replier sans que l’Empereur, trop mal en point, puisse les poursuivre. On est loin d’un triomphe. Quant à la victoire de la Moskova, ce fut en réalité, sous l’appellation de bataille de Borodino, une quasi-défaite.

    Comme à Eylau. On pourrait multiplier les exemples. Sait-on, par exemple, qu’après la prise de Toulon Bonaparte, qui flirtait alors ostensiblement avec les sans-culottes  » enragés « , préconisa l’exécution en masse de tous les suspects en tant qu' » ennemis du peuple  » ? Sait-on que, parce que le général Kléber avait osé critiquer son  » abandon de poste  » en Egypte, le Premier consul, puis l’Empereur, refusa que son corps, entreposé au château d’If, bénéficie de la moindre sépulture ? Sait-on que le général miséricordieux, qu’une peinture apologétique montre en train de témoigner sa sollicitude aux  » pestiférés de Jaffa « , accumula en réalité les crimes de guerre et qu’il fit, à Jaffa précisément, exécuter près de 4 000 prisonniers turcs sans autre forme de procès ? Qu’au Caire même il en fit exécuter des centaines d’autres au sabre pour ne pas gaspiller la poudre ? Que sans cesse, dans ses lettres à ses frères et affidés qui opprimaient l’Europe en son nom, il conseille, pour éviter les révoltes, de raser les villages récalcitrants, de fusiller des otages, de terroriser les populations en écrasant dans le sang toute contestation ? Au point qu’aujourd’hui encore, en Espagne ou en Russie, on fait peur aux petits enfants en prononçant son nom. Sait-on qu’après l’attentat monarchiste de Cadoudal dirigé contre lui il fit exécuter une petite charrette de républicains, dont un peintre de talent, qui n’y étaient strictement pour rien, tout simplement parce que ça l’arrangeait ? »

    Et Jean-François Kahn explique la raison de cette « vision améliorée de l’histoire » :

    « Tout simplement parce que, génial anticipateur des techniques les plus modernes de propagande, c’est lui-même qui la rédigea. Et ce récit, écrit de sa main, bulletin après bulletin, ou inspiré à ses scribes fut par la suite récupéré et donc crédibilisé, non seulement par les bonapartistes, ce qui était normal, mais également par les orléanistes et les républicains dans leur lutte contre la monarchie légitimiste. »

    Cet article raconte encore d’autres choses intéressantes. Mais c’est bien Napoléon qui donne l’explication. On raconte que ce fut après la défaite de Waterloo qu’il révéla cette vérité :

    « L’histoire est une suite de mensonges sur lesquels on est d’accord. »

    Il y a beaucoup de mensonges dans cette histoire.

    Je ne nie pas qu’il a créé un certain nombre d’institutions qui eurent un rôle dans la construction de la France.

    Mais pendant trop longtemps son personnage fut honoré bien plus que cela n’était justifié. Et pendant que la France consacra toutes ses forces vives à faire la guerre à toute l’Europe, l’Angleterre consacra l’essentielle des siennes pour enclencher la révolution industrielle qui lui assura l’hégémonie mondiale pendant un siècle

    La gloire des militaires et la sanctification de la guerre furent poussées à un degré extrême en France.

    Savez-vous que <plus de la moitié> des 80 personnalités qui sont inhumées au Panthéon l’ont été pendant le premier Empire, quasi tous des militaires.

    Et puis, sinon le plus grave, au moins le plus actuel !

    Peut-on imaginer un régime aussi personnel et déséquilibré que la Vème République dans un pays qui n’aurait pas été perverti par le récit bonapartiste et de cette croyance irrationnelle et déraisonnable à la possibilité d’un homme providentiel ?


    <1560>

     

  • Mardi 4 mai 2021

    « Leonard Bernstein »
    Publication de la page consacrée à la série

    L’année 2018, fut l’année des 100 ans de la naissance de Leonard Bernstein

    La page consacrée à la série sur Berstein est en ligne sur la page des séries.

    Mais vous pouvez aller directement sur la page en suivant ce lien : <Bernstein (1918-1990) >

    <Mot sans numéro>

  • Lundi 3 mai 2021

    « Beethoven »
    Publication de la page consacrée à la série

    L’année 2020, fut l’année des 250 ans de la naissance de Ludwig van Beethoven.

    La page consacrée à la série sur Beethoven est en ligne sur la page des séries.

    Mais vous pouvez aller directement sur la page en suivant ce lien : <Beethoven est né il y a 250 ans >

    <Mot sans numéro>

  • Vendredi 30 avril 2021

    « Albert Camus et  « le premier homme »
    Publication de la page consacrée à la série

    L’année 2020, fut l’année des 60 ans de la mort d’Albert Camus.

    L’accident de voiture qui lui couta la vie eut lieu en janvier, mais ce n’est qu’en novembre que je suis parvenu à écrire la série de mots que je lui ai consacrée ainsi qu’à son dernier livre inachevé : « Le premier homme ».

    La page consacrée à la série sur Albert Camus est en ligne sur la page des séries.

    Mais vous pouvez aller directement sur la page en suivant ce lien : <Albert Camus >

    <Mot sans numéro>

  • Jeudi 29 avril 2021

    « Pause (L’archipel français) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Réaliser une page de séries de mots du jour déjà écrits nécessite aussi du travail et du temps.

    Je ne suis pas encore arrivé à finaliser la page de mots du jour consacrés à Camus et écrit en novembre 2020, mais je m’y emploie.

    Il y a deux ans, le 29 avril 2019, le mot du jour était consacré à un livre qu’on continue à citer régulièrement : « L’archipel français » de Jérôme Fourquet

    J’avais introduit le sujet par l’exergue suivant : « Naissance d’une nation multiple et divisée »

    <mot du jour sans numéro>

  • Mercredi 28 avril 2021

    « La Commune de Paris »
    Publication de la page consacrée à la série

    Le blog du « Mot du jour » n’est pas qu’un article par jour, il constitue aussi l’approfondissement de divers sujets et le retour sur des sujets traités.

    Il constitue un tout et un patient travail de construction et d’élaboration.

    La page consacrée à la série sur la Commune de Paris est en ligne sur la page des séries.

    Mais vous pouvez aller directement sur la page en suivant ce lien : <La Commune de Paris>

    <Mot sans numéro>

  • Mardi 27 avril 2021

    « Pause (Le droit à la paresse) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Je ne sais plus qui a dit : « Quand on ne travaillera plus les lendemains des jours de repos, on aura fait un grand pas dans la civilisation »

    Mais il y a des jours où je pense qu’il avait raison.

    Sur Internet, la question reste ouverte pour savoir si c’est Alphonse Allais ou Pierre Dac qui aurait exprimé une idée assez proche :

    « Quand on ne travaillera plus le lendemain des jours de repos, la fatigue sera vaincue. »

    Le mot du jour du <7 mai 2015> rappelait que c’est un français, participant à la Commune de Paris et gendre de Karl Marx : Paul Lafargue qui avait écrit « Le Droit à la paresse »

    <mot sans numéro>

  • Lundi 26 avril 2021

    « Pause (Reconnaissance du génocide arménien) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Aujourd’hui c’est congé.

    Le 24 avril 2015 je citais Barack Obama : « Pour ceux qui ne sont pas au courant, il y a eu un Génocide qui s’est déroulé contre le peuple arménien. »

    Mais il l’a dit en 2007, alors qu’il était sénateur.

    En tant que président, il n’a jamais prononcé le mot de génocide.

    Dans le mot du jour, j’essayais d’expliquer les raisons de cette prudence.

    Il aura donc fallu attendre le vieux Biden, pour qu’enfin <Le président américain reconnaisse le génocide arménien>.

    Bien sûr <la Turquie reste soudée dans le déni>.

    Donc rien de nouveau sous le ciel de Turquie.

    Mais aux États-Unis on progresse.

    <mot sans numéro>

  • Vendredi 23 avril 2021

    « Schubert, il est mort. […] Et pourtant il n’est pas mort. Il est avec moi, il vient me parler, il me parle »
    Hubert Reeves

    <C’est une chanson> est une émission de France Inter qui dure 4 minutes et qui est diffusée à 13:46. Elle consiste à demander à des Célébrités ou à des inconnus de parler d’une chanson qui a marqué leurs vies

    Hier, jeudi 22 avril, Aurélie Sfez a fait cette demande, à l’occasion de la journée de la Terre, à l’astrophysicien Hubert Reeves.

    Hubert Reeves a confié son admiration pour Schubert, et plus particulièrement pour l’Adagio de son Quintette à cordes, un morceau qu’il rêverait de pouvoir jouer…

    <Hubert Reeves raconte l’Adagio du Quintette à cordes de Schubert>

    Lors de la série de mots du jour sur les dernières œuvres de Schubert, celui du <1er septembre 2020> était justement consacré à ce quintette à cordes.

    Je révélais alors que si je m’adonne à ce jeu qui consiste à désigner le disque de musique unique que j’aurai le droit d’emporter sur une île déserte, je n’ai pas beaucoup de doute. Depuis mes 20 ans jusqu’à présent, ma réponse est toujours la même : « Le quintette en ut D 956 de Schubert, écrit au courant de l’été 1828 et terminé en septembre. »

    Hubert Reeves a dit :

    « Schubert a cette qualité que j’appelle « de vous parler à l’oreille ».
    C’est quelqu’un qui entre en possession de votre respiration.
    Il fait bouger tout votre corps.
    C’est le mouvement qui entre dans une espèce de bonheur indicible. […]
    C’est la musique de l’intime.
    Monsieur Schubert, il est mort. Il est enterré dans un cimetière.
    Et pourtant il n’est pas mort. Il est avec moi, il vient me parler, il me parle. […]
    Aujourd’hui je rêverai de jouer, justement ce quintette de Schubert
    J’éclaterais de bonheur, si je me sentais avec un violoncelle, en train de jouer ces grandes vagues »

    Et quand Aurélie Sfez pose cette question : « Est-ce que la musique est plus difficile de comprendre que les étoiles ? », il répond :

    « C’est quelque chose de totalement différent.
    Apprendre les étoiles, en tant que scientifique, c’est beaucoup de mathématiques, c’est beaucoup de mental. C’est assez sec. C’est un sentiment de lutte.
    Vous n’aurez pas ce bonheur que vous éprouvez en écoutant le quintette de Schubert.

    Il faut être à la fois dans la rationalité et dans l’imaginaire.

    Si vous n’êtes que dans la rationalité vous vous asséchez.

    Si vous n’êtes que dans l’imaginaire, vous risquez de devenir fou. »

    <Adagio du Quintette D956 de Schubert> joué par le Quatuor Parisi et Emmanuelle Bertrand

    <1559>

  • Jeudi 22 avril 2021

    « Me voilà prêt à pédaler pour vous nourrir ! »
    Julien Blanc-Gras

    Il parait qu’il suffit de traverser la rue pour trouver du boulot. Et il est exact que si on traverse la rue, il est possible de trouver un travail de coursier ou de livreur pour Uber eats ou deliveroo ou une autre plate-forme qui permet de gagner un peu d’argent mais au prix de beaucoup d’efforts et de renoncement.

    Julien Blanc-Gras est journaliste et écrivain. Il est né en 1976 et a surtout écrit des récits de voyage. Son prochain livre, « Envoyé un peu spécial » doit paraître chez Stock le 27 avril. Le résumé de ce livre est le suivant :

    « Tout peut arriver en voyage. Au fil de ses aventures dans une trentaine de pays, Julien Blanc-Gras raconte les galères et les instants de grâce, les no man’s land et les cités tentaculaires, les petits paradis et quelques enfers. On y rencontre un prêtre shintoïste et un roi fantasque, une star du cinéma nigérian et un écrivain américain, un gardien de phare et un héros national – parmi tant d’autres portraits qui peuplent ces récits et cette planète.
    Sur une montagne sacrée du Népal ou sur une île déserte d’Indonésie, au fin fond du Kansas ou dans l’agitation de Kinshasa, Julien Blanc-Gras rend compte de notre époque sans jamais asséner, démontrer ou pontifier.
    « En s’éloignant de chez soi, on se rapproche de l’universel. »

    Julien Blanc-Gras a donc traversé la rue et pour la finalité d’un récit et d’un article dans « L’Obs » : < une semaine dans la vie d’un livreur Uber-Eats, par Julien Blanc-Gras > a exercé un boulot de livreur pendant une semaine.

    Il raconte sa première course :

    « Le jeune homme qui ouvre la porte est vêtu d’un slip. Un joli slip rouge, de bonne facture, propre. Rien d’autre. Je pensais, naïvement, qu’on se permettait d’ouvrir en petite tenue aux inconnus dans un seul cas de figure : un scénario de film porno. Mais il n’y a pas de caméra et l’homme en slip ne m’invite pas à entrer d’une voix enjôleuse. Il grommelle un vague « merci » quand je lui remets sa commande, avant de me claquer la porte au nez. C’est ma première course, et je viens de saisir l’essence de mon nouveau métier : le livreur, c’est celui qu’on croise (sur le pas de la porte) et qu’on ne regarde pas vraiment. »

    Julien Blanc-Gras rappelle le contexte d’évolution ou d’explosion de ce métier qu’on trouve de l’autre côté de la rue :

    « Postez-vous à la fenêtre après 18 heures. Vous verrez le défilé permanent des deux-roues chevauchés par des êtres munis de sac siglés Deliveroo, Uber Eats ou Just Eat. Avec les confinements, les couvre-feux et la fermeture des restaurants, la livraison de nourriture à domicile s’est imposée dans nos vies urbaines. Deliveroo, présent dans 300 communes françaises, a annoncé une hausse de 64 % de son activité en 2020. Chez Uber, qui revendique 12,5 millions de téléchargements de son appli en France, les livraisons génèrent depuis l’été dernier plus de chiffre d’affaires que l’activité VTC. Ils seraient environ 60 000 à sillonner ainsi les artères de nos villes, petits globules transportant les protéines destinées à nos estomacs calés devant Netflix. »

    L’écrivain journaliste s’est ainsi immergé dans ce travail pour pouvoir comprendre et témoigner. Après une formation succincte, sans jamais rencontrer un être humain, il va pouvoir commencer :

    « J’installe mon téléphone sur le guidon du vélo, j’enfile mon casque et m’empare de mon sac 70 litres Uber Eats. Me voilà prêt à pédaler pour vous nourrir. Mon activité sera désormais dictée par l’algorithme, qui me géolocalise pour dénicher des courses à la rémunération prédéfinie, que je suis libre d’accepter ou pas. « Gagnez de l’argent à votre rythme », c’est la promesse. »

    Les plateformes ont trouvé cet interstice pervers de notre droit de faire travailler, pour eux, des gens qui ne sont pas leurs employés. Et de cette manière, ils parviennent à externaliser des coûts, comme l’achat des outils de travail :

    « De mon côté, j’ai été contraint d’acquérir le sac Uber Eats à 69,90 euros pour avoir le droit de travailler pour eux, tout en me transformant en publicité ambulante. »

    Il y a bien sur les problèmes techniques : ne pas renverser les soupes dans le sac et puis outre les plateformes il y a la relation avec les fournisseurs de repas. Ces activités sont déployées dans une situation de compétition exacerbée et soumis aux notations sans compassion des utilisateurs :

    « Je suis parti depuis moins de deux heures quand survient la première catastrophe : l’appli a pompé la batterie en un clin d’œil, mon téléphone tombe en rade en plein rush de midi.
    « T’as le numéro de livraison ? me lance le manager du Subway sans dire bonjour.
    – Attendez, j’ai un problème technique, désolé.

    – Pfff… »

    Dix secondes plus tard : « Bon, t’as trouvé ? » Le manager du Subway me tutoie et me rudoie, alors qu’on n’a pas gardé les sandwichs ensemble. Mon téléphone se réactive miraculeusement, me préservant d’un fiasco dès le premier jour, ce qui aurait immanquablement altéré ma note. Cette notation opérée par les clients tournoie comme une épée de Damoclès au-dessus du casque du livreur car « un taux de satisfaction de 90 % est requis pour pouvoir continuer à se connecter ». On n’a pas vraiment droit à l’erreur ni à la malchance. »

    Et finalement, le livreur, dans ces temps particuliers de pandémie, se trouvent souvent très seul dans les rues de la ville et parfois dans des conditions climatiques compliquées.

    « La première soirée met ma motivation à rude épreuve. La météo est apocalyptique, et je serais bien resté à la maison pour regarder PSG-Barça, mais une double commande de pizzas se présente. Une double commande, ça ne se refuse pas, il y en a pour 7,62 euros, c’est le jackpot. Je m’extirpe de mon doux foyer pour braver les trombes d’eau et les rafales de vent. Je pédale dans la nuit, où seuls mes congénères se déplacent. Plus une âme qui vive, encore moins qui travaille. Même les prostituées chinoises du boulevard de la Villette ont pris leur RTT, elles qui bossent le 25 décembre comme le 1er mai. Je suis trempé, j’ai froid, je mène ma mission à bien. Des gens comptent sur moi pour se gaver de junk-food à la mi-temps, je ne dois pas les décevoir. Une course chasse l’autre. Je tourbillonne autour de la place de la République, bien fournie en fast-foods, pendant que Kylian Mbappé élimine les Catalans. D’ordinaire pointilleux sur le respect du Code de la Route, je me surprends à griller les feux rouges et à rouler sur les trottoirs sans vergogne. En évitant l’accident, si possible. On a recensé au moins cinq livreurs décédés au travail en France depuis 2019. « Chez Uber, nous avons à cœur votre sécurité. » Chez le livreur, on a à cœur d’arriver à temps pour ne pas voir sa note baisser et ses revenus diminuer. Bilan du jour 1 : je suis resté en ligne, et donc disponible, pendant sept heures vingt-sept. J’ai effectué dix courses et récolté 46,49 euros (dont 2,27 de pourboires). »

    Pour replacer ces montants dans un contexte connu : au 1er janvier 2021 le smic journalier pour 7 heures de travail en France, s’élèvent en brut à 71,75 € et en net à 56,77 €. Globalement sur sa semaine de travail, Julien Blanc-Gras a évalué sa rémunération à 3,74 euros de l’heure donc pour 7 heures de travail à 26,18 euros la journée en précisant : « J’ai parcouru une centaine de kilomètres dans Paris pour effectuer trente-deux livraisons en trente-cinq heures d’astreinte (durant lesquelles je n’ai refusé qu’une poignée de courses). »

    La rémunération est calculée par un algorithme qui ajoute à l’incertitude qui pèse sur le travail du livreur :

    « Les coefficients sont complexes à comprendre. Avant, la tarification était lisible. Désormais, ça manque de clarté. L’algorithme est opaque, dénonce Arthur Hay, secrétaire général du syndicat CGT des coursiers à vélo de Gironde (le premier du genre en France). Surtout, la rémunération est en baisse constante depuis des années. Il faut travailler une soixantaine d’heures par semaine pour vivre décemment.»

    Quelquefois des clients marquent un élan de générosité, oserais-je dire d’humanité :

    « Ce billet de 5 euros tendu par une jeune femme dans le Sentier m’a réchauffé le cœur après un trajet glacial. A l’usage, je constate qu’environ une personne sur six laisse un pourboire. »

    Le livreur occupe, dès lors, une place centrale dans notre société de consommation et voit des comportements…

    « Etre livreur, c’est disposer d’un poste d’observation furtif sur l’intimité d’une société sous pandémie. Il faut savoir que des gens commandent des Big Mac à 10 heures du matin. Je regarde l’adresse de livraison : elle se situe en face du fast-food, à moins de 20 mètres. Il s’agit sans doute d’une personne dans l’incapacité de se déplacer. Pas du tout, c’est une étudiante en pleine santé physique. Peur de sortir par crainte du virus ? Agoraphobie ? Dépression ? Ou, tout simplement, une bonne grosse flemme. Si les seniors, moins à l’aise avec les outils numériques, ne font pas partie de ma clientèle, les plus jeunes n’hésitent pas à se faire livrer trois fois rien. Dans la foulée, je vais récupérer des commissions chez Carrefour. Le sac est léger. Il ne contient qu’une baguette et un paquet de sucre. C’est tellement peu cher de se faire livrer, une poignée d’euros. Avec certaines formules d’abonnement, c’est même gratuit. Pourquoi se priver ? »

    La toute-puissance de la plateforme, l’absence humaine dans les relations de travail nous emmène dans un monde sans sentiment, sans chaleur.

    « Le lendemain, je néglige trois propositions de courses. Je reçois ce message : « Vous ne semblez pas avoir accepté de commandes depuis un moment. Vos commandes sont interrompues. » Sérieusement, l’algorithme ? Tu m’as fait poireauter deux heures sous la pluie hier et tu m’ostracises aujourd’hui parce que j’ai raté trois courses ? Sans même parler du fait que je trouve désormais naturel de m’engueuler à voix haute avec une machine.

    A mon grand soulagement, je peux me reconnecter quelques minutes plus tard. J’ai l’impression d’avoir reçu un avertissement. « C’en est un, confirme Arthur Hay. Vous ressentez la pression de l’algorithme. La sonnerie, c’est l’ordre de réagir et de se mettre en mouvement. » La promesse de flexibilité semble avoir ses limites. « Ils n’ont pas le droit de nous virer parce qu’on refuse des commandes, mais ça arrive quand même. Des gens sont débranchés, sans explication, et ils ne peuvent plus travailler. » Quand Arthur a lancé un mouvement de grève pour dénoncer ces pratiques, son compte Deliveroo a été désactivé. « Je n’ai jamais eu de motif. Et c’est impossible de parler à quelqu’un. » Dur de lutter contre une adversité invisible. Parmi les revendications syndicales des livreurs se trouve donc celle-ci : pouvoir discuter avec un interlocuteur en chair et en os. »

    Le monde numérique contrôle, cible, le livreur est cerné :

    « D’autres types de messages me parviennent. Comme je figure dans la base de données, je reçois des publicités ciblées. « Découvrez nos partenariats réservés aux coursiers, Julien ! » Je bénéficie de « nombreuses offres exclusives ». « Un vélo à réparer, une facture à régler, les charges d’autoentrepreneur qui tombent au mauvais moment ? FinFrog propose une solution simple et rapide pour obtenir des microcrédits allant de 200 euros à 600 euros. La demande se fait en 5 minutes, 100 % en ligne. » Si on avait l’esprit mal tourné, on pourrait se dire que les plateformes optimisent la rentabilité d’une précarité qu’elles ont elles-mêmes organisée. »

    Et avec tout cela les plateformes ne parviennent pas à gagner de l’argent même s’ils entrent en bourse et trouvent des investisseurs qui profitent des hausses des prix des actions : <Deliveroo annonce une perte de 261 millions d’euros> en 2020 avant son introduction en bourse. Un article plus ancien <Deliveroo, Uber Eats… toujours plus de clients sans gagner le moindre centime> explique la stratégie de ces nouveaux capitalistes.

    Sa conclusion est touchante :

    « On peut trouver du travail en traversant la rue, c’est vrai. Pour en vivre dignement, il faut toutefois traverser beaucoup, beaucoup de rues, en grillant quelques feux rouges au passage. Je rentre chez moi le mollet renforcé, les fesses endolories et le dos en compote. Pas le courage de me mettre à cuisiner. Je vais commander à manger. »

    Voilà la société de la consommation simple comme un clic. Il faut toujours un prolétariat pour que la vie des consommateurs soit simple et peu onéreuse. Un prolétariat qui doit discuter avec des machines.

    <1558>

  • Mercredi 21 avril 2021

    « [La sanction contre Madoff] montre qu’aux Etats Unis, on a le droit d’escroquer les pauvres, mais on n’a pas le droit d’escroquer des riches »
    Dominique Manotti

    Bernard Madoff purgeait une peine de 150 ans de prison. C’est la justice américaine, en France il n’est pas possible d’être condamné à de telles peines. En outre, il y a toujours des remises de peine lorsque le prisonnier se comporte convenablement en prison. Ce n’est pas le cas aux Etats-Unis. Aux Etats-Unis même vieux on meurt en prison.

    Madoff a fini ses jours dans un pénitencier de Caroline du Nord ce mercredi 14 avril 2021.

    Est-ce que je vais plaindre ou défendre Madoff ?

    Certes non !

    Toutefois il convient quand même de s’interroger sur ce que le cas Madoff révèle du monde, et notamment du monde des États-Unis.

    Pour ceux qui ne le saurait pas, pendant de longues années, Madoff a escroqué les gens en mettant en place une chaine de Ponzi. C’est-à-dire qu’il incitait des gens à lui confier leur argent et promettait, en sortie, une rémunération de 12 % par an. Quand un des clients demandaient sa mise, Madoff lui versait la rémunération promise à partir du versement en capital de nouveaux entrants.

    L’argent n’était pas investi et Madoff vivait grand train avec l’argent dont il disposait grâce à tous les dépôts.

    La crise financière lui sera fatale et provoquera sa chute en accélérant la révélation inéluctable de son escroquerie. En effet, la crise incitera un plus grand nombre de ses clients à demander le retour de leur placement et Madoff ne sera pas en mesure d’honorer sa promesse.

    Cette chute va entraîner le suicide de l’un de ses fils Mark qui se pendra en décembre 2010. Et Andrew Madoff, son fils cadet, décédera le 3 septembre 2014 d’un cancer.

    En janvier 2020, Bernard Madoff déposera une demande de libération anticipée pour raison médicale, indiquant qu’il souffre d’une maladie terminale des reins et n’aurait plus que 18 mois à vivre. Âgé de 81 ans, il ne se déplaçait plus qu’en fauteuil roulant et avec un corset. Mais il ne fut pas libéré et mourut donc en prison.

    Guillaume Erner a invité Dominique Manotti, écrivaine, ancienne professeure de l’histoire économique du XIXe siècle parce qu’elle avait écrit un livre : « Le rêve de Madoff » paru en 2013 aux éditions Allia.

    Dominique Manotti a expliqué son parcours :

    « Il débute très modestement, puis épouse la fille d’un courtier bien installé, dont il hérite du carnet d’adresse. Ensuite, il devient un des principaux acteurs de la nouvelle économie. Lorsque la crise éclate, il a le plus gros cabinet de courtage des Etats-Unis. Il est sur la liste des cinq présélectionnés pour devenir le président de la SEC,  l’organe de contrôle de la Bourse. Et ce n’est pas finit : il a créé le Nasdaq, qui est la deuxième Bourse américaine, entièrement informatisée. C’est une idée géniale qu’il a eu très tôt : dès qu’il a vu arriver les ordinateurs, il a inventé une machine qui couple l’ordinateur sur le téléphone et permet à tout moment d’avoir l’information des Bourses dans l’ensemble du monde. Il a l’intuition que cela va changer la vie financière, et c’est le cas. Enfin, il est devenu le Président du Nasdaq pendant 10 ans ! »

    Mais le plus intéressant est la réflexion que cette écrivaine va faire, suite à la question de Guillaume Erner pour savoir pour quelle raison elle s’était intéressée à Madoff.

    Le déclic a eu lieu quand elle a entendu le procureur qui s’était occupé de la négociation dans l’affaire Madoff dire :

    « C’est le pire criminel que je n’ai jamais rencontré. »

    Comme souvent aux États-Unis, il n’y a pas eu procès mais négociation. Madoff a accepté de plaider coupable et il a été condamné à 150 ans de prison. Normalement la négociation a pour but d’accélérer le processus judiciaire et comme contrepartie une peine plus clémente pour celui qui accepte de plaider coupable.

    On se demande à quoi il aurait été condamné s’il y avait eu procès ?

    Donc pour le procureur c’est le pire criminel !

    Alors Dominique Manotti dit la chose suivante :

    « C’est le pire criminel que je n’ai jamais rencontré. »

    Et là franchement j’ai eu un coup de sang, un coup de colère. Et je me suis du coup beaucoup intéressé au personnage.

    Cela arrive quand même en 2012. Il vient d’y avoir la crise de 2008.

    On a des millions d’américains, entre 5 et 6 millions d’américains qui ont perdu leurs jobs, perdu leurs maisons dans la crise des subprimes.

    Et Madoff n’a escroqué que des riches, environ 30 000 personnes.

    En gros, il n’y a absolument aucune sanction contre les responsables des subprimes.

    Mais Madoff va se retrouver en prison.

    Et donc cette façon de le voir comme le pire des criminels, signifie qu’aux Etats Unis, on a le droit d’escroquer les pauvres, mais on n’a pas le droit d’escroquer des riches. »

    C’est une conclusion à laquelle, il faut hélas se résigner. C’est révoltant !

    Dominique Manotti ajoute par ailleurs :

    « La chaine de Ponzi consiste à avoir continuellement de nouveaux adhérents : l’argent ne produit rien, car on paie les intérêts des anciens avec l’argent des nouveaux arrivants. A mon avis, ce n’est absolument pas ça qui a fonctionné. La réalité est très supérieure à ce qu’on raconte habituellement. La pyramide de Ponzi est une escroquerie très simple, je n’imagine pas un personnage comme Madoff pratiquer une entourloupe aussi simple. D’autant que le taux pratiqué par Madoff était de 12%, c’est énorme pendant 20 ans ! Les gens savaient que de toutes façons il y avait quelque chose d’illégal derrière. »

    Ceux qui donnaient leur argent à Madoff et pensait pouvoir récupérer 12% d’intérêt sans fluctuation et sans risque ne pouvait pas ignorer qu’il y avait un problème. Ils ne pensaient pas être victime d’une escroquerie, ils devaient donc penser autre chose.

    Dominique Manotti suppose qu’il devait penser à des activités illégales. J’ai lu par ailleurs, sans que Madoff ne l’avoue ou qu’une preuve n’ait pu être établie, que ce système servait aussi à recycler de l’argent sale.

    Le destin de Madoff nous dit beaucoup de la manière dont notre société fonctionne.

    <1557>

  • Mardi 20 avril 2021

    « Un réseau militant pour coconstruire un projet socialiste ambitieux, réaliste et partagé »
    Jean-Philippe Babau

    Après le séisme politique de 2002 : Le Pen au second tour, j’avais décidé comme d’autres à m’engager politiquement. C’est pourquoi, j’ai adhéré au PS. Nous habitions alors à la Croix Rousse, dans le quatrième arrondissement de Lyon. C’est pourquoi j’ai rejoint la section de la Croix Rousse dont le local se trouvait 12 rue Perrod. Le parti socialiste qui a subi quelques déconvenues ces dernières années a du s’en séparer récemment.

    Et c’est ainsi que j’ai rencontré Jean-Philippe qui animait un groupe de travail sur l’exclusion et le logement.

    J’ai voulu partager cette expérience et nous avons ainsi, avec d’autres camarades, travaillé, sur plusieurs années, en essayant de comprendre techniquement les sujets, en faisant des recherches documentaires entre les réunions mensuelles, en rencontrant des acteurs notamment du logement social, en confrontant nos idées, en nous écoutons et en avançant ensemble, pour finir par rédiger un rapport que nous avons remis aux élus de Lyon, puisqu’à l’époque le PS dirigeait Lyon et la Métropole.

    Cette expérience montre qu’il existait des personnes qui acceptaient, à l’intérieur d’un Parti Politique, de donner de leur temps, pour réfléchir à des sujets politiques, sans démagogie, concrètement et pour le bien commun.

    Cette manière de faire était assez éloignée de la définition que David Kimelfeld, qui faisait partie de notre section, avait un jour donné :

    « Le Parti socialiste est une association formée d’élus, d’anciens élus et d’aspirant à être élus »

    Bref, pour lui on ne pouvait être dans un Parti que parce qu’on aspirait à avoir du pouvoir ou une parcelle de pouvoir.

    Pour les non lyonnais, il faut préciser que David Kimelfeld a été le Président intérimaire de la Métropole de Lyon pendant que Gérard Collomb avait tenté de jouer au Ministre de l’Intérieur à Paris. Cette lubie lui était venue après la victoire de celui dont il avait imaginé être sinon le tuteur, au moins le conseiller spécial le plus écouté. Après s’être rendu compte de son erreur, il est revenu à Lyon. Il pensait que les intérimaires qui lui devaient leur place se soumettraient à son pouvoir hégémonique et reprendraient leur rôle de vassal dévoué et fidèle. Rôle de vassal qui avait justifié la possibilité de l’intérim.

    Il n’en fut rien et il y eut donc affrontement politique à la Métropole comme à la commune de Lyon. La division a entraîné la victoire, sur ces deux terrains, des écologistes qui n’en espéraient pas tant quelques mois auparavant.

    Pour ma part, je me suis réjoui de la défaite du baron lyonnais qui à plus de 70 ans ne voulait pas abandonner le pouvoir

    Cette manière de penser et de pratiquer la politique en a découragé beaucoup. Le bien public, la réflexion politique a été mis de côté pour garder des places d’élus, rester ou accéder au pouvoir.

    Beaucoup aujourd’hui ne croit plus en la politique. Ils pensent qu’elle n’a plus de moyen d’action et s’en détournent.

    Jean-Philippe a eu le courage de se lancer dans l’écriture d’un livre qui vante l’engagement politique, le travail en commun pour bâtir un socle de solutions permettant au bien commun de progresser.

    Le titre de ce livre qui a paru à la fin de l’année 2020 est « Construisons ensemble ».

    Ce titre est complété par l’invitation suivante :

    « Un réseau militant pour coconstruire un projet socialiste ambitieux, réaliste et partagé »

    Exactement le contraire de ce que Gérard Collomb faisait à la fin de son mandat à Lyon quand il décidait de tout et de Macron à Paris qui étonnamment  a l’air de s’en désoler puisqu’il aurait dit : « Je suis obligé de m’occuper de tout !».

    Evidemment, quand deux comportements aussi égocentrés que Collomb et Macron se rencontrent, la co-construction a du mal à se faire.

    Mais peut-on sérieusement penser que Mélenchon serait différent ?

    Jean-Philippe évoque d’ailleurs le travail que nous avions fait en commun pour évoquer une sorte de modèle de construction d’un projet.

    Il évoque les obstacles à dépasser et la nécessité de clarté sur des objectifs rationnels atteignables :

    «  Le vivre ensemble ne va pas de soi. Et la mise en œuvre du projet socialiste se heurte à de nombreux obstacles.
    Les êtres humains développent des comportements divers, parfois incohérents, parfois violents, guidés par des besoins de reconnaissance, par la peur ou la jalousie de l’autre. Les nouveaux outils de communication promeuvent les comportements narcissiques et égoïstes. La société de consommation attise nos pulsions de possession, d’exclusivité, de reconnaissance. La fin des valeurs traditionnelles place l’individu face à ses propres limites. Les citoyens, sans repères, dans une société atomisée, se retrouvent pris dans une société de production de plus en plus dure, génératrice de stress, et d’une société de consommation, génératrice de frustrations. Dans ce contexte souvent émotionnel, le raisonnement humain, aussi pertinent soit-il, empêche de cerner les situations dans leur globalité, clairement trop complexes. Le débat est mené, sans rationalité, expertise et prise de distance. Les nouveaux réseaux sociaux font la loi, phagocytés par la facho-sphère et les extrémistes de tout poil.
    Ce constat ramène à des questions fondamentales sur le sens de l’action politique. Dans une société exacerbant les pulsions des uns et des autres, il faut être clair sur les objectifs du projet socialiste. Qu’est-ce que la politique peut assurer aux citoyens : de l’argent, une place dans la société, une réussite sociale, des règles de vie commune ou des services ?
    Certainement tout cela, mais sous peine de malentendus et de rejet, il faut absolument fixer un périmètre clair sur les objectifs du projet. »
    Pages 177 & 178

    Jean-Philippe insiste sur le travail en commun pour aboutir à un projet qui pourra être porté plus tard par une femme ou un homme.

    Alors, qu’aujourd’hui emporté par les ambitions personnelles il est très évident qu’on fait le contraire.

    D’ailleurs, les partis politiques ont été remplacés par des mouvements qui se construisent autour de l’ambition d’un ego. Ces mouvements n’ont pas vocation à attirer des militants qui réfléchissent et coconstruisent un projet mais des supporters qui collent des affiches, organisent l’accueil des réunions politiques, applaudissent en chœur quand la voix de son maître s’exprime et acceptent de pratiquer le porte à porte pour vanter les qualités exceptionnelles de leur champion et l’intelligence de son projet auquel ils n’ont pas participé. Jean-Philippe parle de « fan-club d’élus »

    Il reste optimiste et propose une autre démarche :

    « Si on veut faire face aux enjeux de la société, il est temps de promouvoir un militantisme actif et responsable en associant les militants tout au long du processus de construction du projet. »
    Page 249

    Pour ce militantisme et la mise en place d’un réseau de co-constructeurs Jean-Philippe veut s’appuyer sur des outils numériques et modernes de communication comme support d’échange.

    Je partage sa conclusion :

    « L’objet de ce livre était d’abord de partager des valeurs, des principes et un regard sur la société et la politique. A partir du constat sur les difficultés à mettre en place un projet socialiste, j’ai esquissé une méthode et une approche replaçant l’engagement militant au cœur de la construction d’un projet socialiste à la fois ambitieux, réaliste et partagé.
    L’objectif d’un projet socialiste doit être de permettre à tous d’accéder à ses droits fondamentaux de manière décente et digne. Chacun a droit au respect, à la liberté, à la justice et à sa part de richesse. Chacun a sa place à la table de la république. Dans un projet socialiste, le collectif n’écrase pas l’individu et l’individu ne peut s’imposer au collectif. Tout est question d’équilibre pour permettre l’émancipation de chacun dans une société pacifiée. »
    Page 279

    C’est ambitieux mais salutaire.

    Celles et ceux qui croient qu’elles et ils n’ont rien à faire de la politique doivent se rendre compte que la politique a beaucoup à faire avec eux et qu’ils en subissent des conséquences.

    La démarche de Jean-Philippe dans cette perspective est finalement très rationnelle.

    <1556>

  • Lundi 19 avril 2021

    « Deux siècles après sa naissance, Baudelaire reste énormément subversif »
    Antoine Compagnon

    Baudelaire dont le prénom est Charles est né à Paris le 9 avril 1821. Il est mort dans la même ville 46 ans après.

    Il est donc né il y a deux cents ans.

    L’année dernière, lors du premier confinement, je lui avais dédié le mot du jour du 26 avril 2020 : « Anywhere out of the world (N’importe où hors du monde».

    France Inter avait invité le 9 Avril Antoine Compagnon pour lui rendre hommage « Deux siècles après sa naissance, Baudelaire reste énormément subversif »

    Il parle d’abord de son admiration pour le poète mais explique surtout son côté :

    « Toujours inattendu, toujours provoquant »

    Et il ajoute :

    « Il est l’inventeur de la modernité et celui qui insulte cette modernité à longueur de pages. C’est une démarche très violente. »

    Parce que l’auteur de ces vers inoubliables :

    « Mon enfant, ma sœur,
    Songe à la douceur
    D’aller là-bas vivre ensemble !
    Aimer à loisir,
    Aimer et mourir
    Au pays qui te ressemble ! »

    A aussi écrit des vers d’une grande violence, notamment contre les Belges.

    C’est ce que lui reproche Alex Vizorek, humoriste belge, sur la même radio <Baudelaire et la Belgique>

    Dans son billet Vizorek cite des extraits évocateurs.

    Vous trouverez derrière <ce lien> ces textes écrits par Baudelaire.

    Par exemple :

    « Qu’on ne me touche pas ! Je suis inviolable ! »
    Dit la Belgique. — C’est, hélas ! incontestable.
    Y toucher ? Ce serait, en effet, hazardeux [sic],
    Puisqu’elle est un bâton merdeux » »

    Ailleurs, il traite la Belgique de « Pays des singes »

    Jean-Baptiste Baronian essaye d’expliquer <Pourquoi Baudelaire détestait à ce point les Belges ?>

    Dans l’univers des tenants de la « cancel culture » ou du « woke », il devrait être effacé !

    Mais dans l’univers des gens raisonnables on s’arrêtera à ses chefs d’œuvre

    Car je crois qu’il faut regarder ce qui est grand chez les humains plutôt que de s’attarder sur ce qui les rend petit et futile :

    « Le Poète est semblable au prince des nuées
    Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
    Exilé sur le sol au milieu des huées,
    Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. »
    L’albatros, « les fleurs du mal »

    <1555>

  • Vendredi 16 avril 2021

    « Pause (Rappel des mots du jour sur la Commune) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Avant de publier une page présentant la série sur La Commune, vous trouverez ci-après la liste des mots du jour concernant ce sujet.

    Elle est classée dans l’ordre chronologique.

    Lundi 22 mars 2021

    « Oui [il faut commémorer] Napoléon, Non la commune »

    Pierre Nora

    Mardi 23 mars 2021

    « La Commune de 1871 plonge ses racines dans la guerre franco-prussienne.»

    Robert Baker

    Mercredi 24 mars 2021

    « Ils se levèrent pour la Commune, en écoutant chanter Pottier. Ils faisaient vivre la Commune en écoutant chanter Clément »

    Jean Ferrat

    Jeudi 25 mars 2021

    « La grande mesure de la Commune, ce fut sa propre existence »

    Karl Marx

    Vendredi 26 mars 2021

    « On a d’un côté la légende noire des Versaillais pour qui les communards étaient des fous furieux et, de l’autre, la légende rouge pour la gauche qui en fait une récupération politique »

    Michel Cordillot

    Lundi 29 mars 2021

    « Malgré toutes les hontes de la Commune, j’aime mieux être avec ces vaincus qu’avec [leurs] vainqueurs. »

    Louis Nathaniel Rossel

    Mardi 30 mars 2021

    « Gustave Courbet, la Commune et la destruction de la colonne Vendôme.  »

    Une histoire du temps de la commune

    Mercredi 31 mars 2021

    « Pause (Les écrivains contre la commune)»

    Un jour sans mot du jour nouveau

    Jeudi 1 avril 2021

    « S’il y a des miséreux dans la société, des gens sans asile, sans vêtements et sans pain, c’est que la société dans laquelle nous vivons est mal organisée. »

    Louise Michel

    Vendredi 2 avril 2021

    « Pas de révolution sans les femmes »

    Carolyn J. Eichner

    Mardi 6 avril 2021

    « Si nous réussissions à transformer radicalement le régime social, la révolution du 18 mars serait la plus efficace de celles qui ont eu lieu jusqu’à présent. »

    Léo Frankel

    Jeudi 8 avril 2021

    « Tant qu’un homme pourra mourir de faim à la porte d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines. »

    Eugène Varlin

    Vendredi 9 avril 2021

    « La Commune, c’était la joie, la fête : pour la première fois, ils ne sont plus la vile multitude mais enfin des êtres humains, libres, beaucoup vont vivre cette liberté et cette joie jusqu’à se faire tuer. »

    Michèle Audin

    Lundi 12 avril 2021

    « Une fois perdus le bon Dieu et les lendemains qui chantent, que reste-t-il ? »

    Régis Debray

    Mardi 13 avril 2021

    « La Commune ne se laisse pas réduire à un événement seulement parisien. »

    Maurice Moissonnier

    Mercredi 14 avril 2021

    « Je suis avec vous ! j’ai cette sombre joie. Ceux qu’on accable, ceux qu’on frappe et qu’on foudroie m’attirent; je me sens leur frère. »

    Victor Hugo, « L’année terrible » – « A ceux qu’on foule aux pieds »

    Jeudi 15 avril 2021

    «Deux jours avant l’entrée des Versaillais dans Paris, la Commune avait consacré deux heures de son temps à parler de la culture ! »

    Jean-Louis Robert

    <mot du jour sans numéro>

  • Jeudi 15 avril 2021

    «Deux jours avant l’entrée des Versaillais dans Paris, la Commune avait consacré deux heures de son temps à parler de la culture ! »
    Jean-Louis Robert

    Il faut bien finir une série de mots du jour. Il y aurait encore tant à apprendre, à comprendre, à dire et à écrire.

    La commune reste un mythe pour toutes celles et ceux qui se revendiquent de l’anarchisme.

    Mais elle fut surtout vampirisée par les marxistes et les bolcheviques, pour son grand malheur. Car on oubliait alors la soif de liberté qu’elle avait fait naitre et aussi la volonté de contrôler les gouvernants.

    Car dans le régime du Parti unique, il ne pouvait être question de mettre en cause les dirigeants.

    Marx et Lénine ont beaucoup réfléchi sur le destin de la Commune et ont imaginé un parti totalitaire qui dirigeait de manière autoritaire la révolution ne reculant devant aucune violence contre ses ennemis ou simplement celles et ceux qu’il avait désigné sous ce nom.

    On raconte qu’au 73ème jour de pouvoir, Lénine se serait mis à danser sur la glace pour célébrer le fait que le gouvernement des soviets ait dépassé la longévité de la Commune de Paris.

    Entre 1905 et 1920, Lénine consacre vingt-cinq textes à la Commune de Paris.

    <Cette page> essaie de décrire succinctement l’analyse et les leçons que les bolcheviques ont voulu tirer de La Commune.

    Et <ICI> vous lirez directement le texte que Lénine a écrit pour les quarante ans de La Commune.

    Il a simplement oublié l’esprit de liberté qui régnait lors de cette insurrection

    Pour parler encore de La Commune, je préfère revenir sur ce formidable film qu’a réalisé pour ARTE, Raphael Meyssan après avoir écrit 3 volumes de BD : «Les Damnés de la Commune »

    Dans <Cette vidéo> il raconte son aventure qui lui a pris 10 ans.

    Et il raconte comment tout cela a commencé.

    Il ne connaissait pas grand-chose à ce moment de l’Histoire de France.

    Mais il a découvert qu’un communard, Lavalette, avait vécu dans son immeuble de Belleville, au 6 rue Lesage. Ce fut le départ d’une quête pour essayer de comprendre qui était cet homme.

    Il va se plonger dans les archives municipales, celles de la police, dans le Maitron déjà cité.

    Et lors de cette recherche, il va croiser une seconde personne qui est Victorine Brocher, une communarde qui a écrit un livre qui raconte son aventure pendant la commune.

    Et c’est Victorine dont la voix est jouée par Yolande Moreau qui va tracer le fil de l’histoire que Meyssan va raconter dans son film.

    Le livre que Victorine Brocher écrit s’appelle « Souvenirs d’une morte vivante » et a été republié par les Editions Libertalia.

    Le livre parait d’abord à Lausanne et à Paris. Victorine Brocher souhaitant rester anonyme signe avec son prénom suivi de l’initiale du nom de son mari.

    Raphaël Meyssan a été invité dans l’émission <Le Cours de l’Histoire> de Xavier Mauduit du 19 mars 2021.

    Et quand Xaver Mauduit (à environ 19 :15 de l’émission) l’interroge sur l’émotion qui se dégage de la narration de ses livres et de son film, il répond.

    « L’émotion !

    La commune c’est une grande aventure humaine.
    C’est une grande aventure populaire.
    Ce ne sont pas des idéaux, ce n’est pas un programme politique.
    Cela vient bien après. Cela se construit après.

    C’est d’abord des hommes et des femmes qui vivent un grand moment collectif, une grande histoire ensemble.

    C’est cela que j’avais envie de raconter. »

    Pour finir une série, il me faut non seulement un sujet mais aussi un exergue. « La Commune c’est une grande aventure humaine » aurait pu être celui-ci.

    Mais dans cette émission, il y avait aussi deux autres invités qui étaient historiens.

    Le premier, Michel Cordillot que j’ai déjà cité lors du mot du jour du <26 mars 2021> et qui a été coordinateur d’un ouvrage synthétique sur la Commune paru en janvier : « La commune de Paris 1871 »

    Et un autre Jean-Louis Robert que je n’ai pas encore cité et qui a écrit un des articles de la Revue « l’Histoire » consacrée à la Commune : « Les artistes s’engagent : La culture pour tous ! »

    Dans cet article il décrit l’importance de la culture et de l’éducation dans ce que la Commune a voulu mettre en place :

    « Les communards ont pris la culture très au sérieux. Ils encouragent la création […]
    La participation des artistes à la Commune de Paris se mesure par de nombreux indices. Au sein du gouvernement, ils sont exceptionnellement nombreux : 9 (en comptant les « artistes industriels », peintres sur porcelaine, sculpteurs funéraires…) sur 81 élus qui siègent à l’Hôtel de Ville. Aucune Chambre ne retrouvera un tel pourcentage d’artistes – ni à vrai dire un pourcentage d’ouvriers aussi élevé – que celui de l’Assemblée communale en 1871. »

    Gustave Courbet joua un rôle de premier plan dans cette ambition culturelle qui entend donner aux artistes une totale liberté de création. Parce que Courbet et ses amis :

    « se souvenait des censures impériales au temps des Salons. En 1863 le refus de 3 000 œuvres, dont Le Déjeuner sur l’herbe de Manet, avait conduit à l’ouverture du célèbre Salon des refusés. Il s’agit aussi de confier aux artistes et aux artistes seuls la direction des Beaux-Arts, par le biais d’une Fédération qui gérerait musées, expositions, éducation artistique, etc. »

    Et il raconte alors cet épisode qui se passe le 19 mai, alors que les versaillais sont aux portes de la ville et vont entrer dans Paris le 21 :

    « C’est là que se révèle la complexité de ce que fut la Commune. Elle n’était pas seulement libertaire, elle était aussi un gouvernement qui légiférait – pour Paris – et entendait que ses décrets soient exécutés. Toute l’action des artistes était sous le contrôle du délégué à l’Enseignement de la Commune, Édouard Vaillant, qui n’était assurément pas un anarchiste, mais un socialiste révolutionnaire, parfois proche du blanquisme. C’est lui qui devait valider les nominations des conservateurs de musée par la Fédération, lui qui devait valider les propositions financières de la Commission. Et c’est lui qui proposa à la Commune, qui le vota le 19 mai, un décret révolutionnaire socialisant les théâtres privés pour les donner en gestion aux associations d’artistes plasticiens. Le décret indiquait que les théâtres relevaient de la délégation à l’Enseignement, et non plus de la police comme avant. Vaillant déclare que « les théâtres doivent être considérés surtout comme un grand établissement d’instruction ; et, dans une république, ils ne doivent être que cela ». Toutefois, après une longue discussion, les membres de la Commune s’entendirent pour que ce ne soit pas l’État qui dirige les théâtres. Ils devaient conserver toute leur liberté. Deux jours avant l’entrée des Versaillais dans Paris, la Commune avait consacré deux heures de son temps à parler de la culture ! »

    J’ai trouvé ce fait sublime. Dans les temps de pandémie que nous vivons on s’interroge sur ce qui est essentiel.

    Les communards classaient la Culture dans l’essentiel. Ils savaient bien qu’ils n’arriveraient pas à résister bien longtemps à l’armée supérieure en nombre, en organisation et en armes qui fondaient sur eux. Mais ils ont tenu, quand même, à parler et à légiférer sur la Culture.

    Et je cite intégralement la fin de l’article de Jean-Louis Robert :

    « Un fait en particulier en dit long sur le souci de démocratisation de la culture par la Commune. Le 18 mai, Édouard Vaillant admonesta un peu vivement l’administrateur du Muséum national d’Histoire naturelle qui venait de rouvrir ses collections à un public limité à des porteurs de carte ou d’autorisation. C’était, écrivit Vaillant, agir comme en plein régime monarchique, c’était faire « de la visite des collections un privilège. Sous le régime communal, toute galerie, bibliothèque, collection doit être ouverte largement au public ».
    Dans le domaine du spectacle, il était plus facile d’agir. Des grands concerts furent organisés aux Tuileries. Certains étaient en libre accès, d’autres étaient payants pour contribuer à la solidarité aux familles des gardes nationaux tués au combat. Le public était très divers. On y associait la chansonnette populaire, la poésie, les airs d’opéra, la chanson militante et patriotique. Ce furent de grands moments de réappropriation culturelle par le peuple. Sur les murs de la salle du trône on pouvait lire « Peuple ! L’or qui ruisselle sur ces murs, c’est ta sueur ! Tu rentres en possession de ton bien ; ici, tu es chez toi. » Le peuple écoutait ainsi la comédienne du Théâtre Français, Mme Agar, dire des vers et la grande chanteuse populaire Rosa Bordas, chanter La Canaille.
    Sur les murs de l’École des beaux-arts le passant pouvait lire, écrit en grandes lettres de charbon : « Nous serons tous fusillés, mais nous nous en foutons ! » Certains artistes communards payèrent cher leur participation, à l’instar de Courbet qui fut non seulement emprisonné, mais aussi condamné à payer la restauration de la colonne Vendôme, parce qu’il avait souhaité sa démolition au profit d’une colonne de la paix. Une punition qui allait le contraindre à une vie très difficile.
    Le cas du musicien Francisco Salvador-Daniel, ce spécialiste de la musique arabe et compositeur de mélodies mauresques encore chantées de nos jours par les plus grandes artistes arabes, nommé directeur du Conservatoire par la Commune, est moins connu. Il fut fusillé dans la rue le 24 mai. »

    La Commune fut une grande aventure humaine. Certes, ils étaient divisés mais ils poursuivaient de belles aspirations. La liberté de la création et l’importance de la Culture constituent une des plus nobles.

    <1554>

  • Mercredi 14 avril 2021

    « Je suis avec vous ! j’ai cette sombre joie. Ceux qu’on accable, ceux qu’on frappe et qu’on foudroie m’attirent; je me sens leur frère. »
    Victor Hugo, « L’année terrible » – « A ceux qu’on foule aux pieds »

    J’ai déjà évoqué le fait que beaucoup des grands écrivains français vivants en 1871 ont eu une attitude très hostile à l’égard de la Commune : Flaubert, Anatole France, Georges Sand.

    Et aussi Emile Zola. Il existe un article sur Wikipedia qui décrit les divers supports utilisés par l’écrivain pour son travail de critique : « Emile Zola et la Commune de Paris ».

    Vous pourrez aussi lire cet article plus engagé : « Zola contre la commune » qui cite certains de ses articles.

    Il y eut bien sûr des écrivains qui défendaient la Commune. Jules Vallès était communard et il écrivit son livre « L’insurgé 1871» en 1886 dans lequel le héros de sa trilogie, Jacques Vingtras, son double fictionnel, participe activement à la commune.

    Il était un des animateurs de la Commune et jouait un rôle prépondérant en raison de son journal « Le Cri du Peuple ».

    Il sera condamné à mort par contumace le 14 juillet 1872, mais il avait pu s’échapper et vécut en exil en Angleterre et en Suisse.

    La dédicace de son livre « L’insurgé » est la suivante :

    « Aux morts de 1871
    À TOUS CEUX
    qui, victimes de l’injustice sociale,
    prirent les armes contre un monde mal fait
    et formèrent,
    sous le drapeau de la Commune,
    la grande fédération des douleurs,
    Je dédie ce livre. »

    Il était clairement dans le camp des anarchistes contre les bonapartistes de tous bords et donc aussi les socialistes autoritaires.

    On cite souvent Rimbaud comme défenseur de la Commune et on discute même sa présence sur les barricades. Il n’avait que 16 ans en 1871 : « Rimbaud à l’heure de la Commune de Paris ».

    Mais le grand écrivain de ce temps était Victor Hugo.

    Son attitude à l’égard de la Commune fut nuancée. Il n’aimait pas qu’on attaque la République, c’est-à-dire le pouvoir de Thiers qui était issu d’élections. L’insurrection contre la République ne s’inscrivait pas dans son univers mental.

    Sa première rencontre avec l’insurrection communale s’est réalisée lors d’une tragédie personnelle : Son second fils des cinq enfants qu’il a eu avec Adèle Foucher, Charles Hugo est mort le 13 mars 1871 à 44 ans.

    Victor Hugo écrit à des amis, le 14 mars :

    « Chers amis, je n’y vois pas, j’écris à travers les larmes ; j’entends d’ici les sanglots d’Alice [épouse de Charles], j’ai le cœur brisé. Charles est mort. Hier matin, nous avions déjeuné gaîment ensemble, avec Louis Blanc et Victor. »

    L’enterrement de Charles Hugo

    Et l’enterrement a lieu au Cimetière du Père Lachaise, le 18 mars 1871, le premier jour de la Commune de Paris.

    Un blog de Mediapart rapporte ce récit :

    « Le cortège doit remonter la rue de la Roquette jusqu’à la porte centrale du cimetière. Déjà, à proximité de la prison, une femme a crié : « A bas la peine de mort ! ». Le père Hugo conduit le deuil. Spontanément quelques fédérés en armes commencent à faire une haie d’honneur au cortège, puis bientôt il y a en aura une centaine. On parvient à la barricade qui ferme la rue de la Roquette : alors les fédérés et les insurgés déblaient la barricade. Les drapeaux rouges s’inclinent au passage du cortège. »

    Après la cérémonie et le deuil, il va aller à Bruxelles pour régler les affaires de succession de son fils et sera peu concerné par ce qui se passe à Paris.

    Mais son hostilité disparaîtra, dès qu’il comprendra l’ampleur des massacres de la semaine sanglante.

    Et s’il n’a pas soutenu la commune, il deviendra le soutien des communards.

    Le site du « Sénat » explique :

    « C’est de Bruxelles qu’il suit les événements. Il n’approuve pas les excès de la Commune mais supplie le gouvernement de Versailles de ne pas répondre aux crimes par des crimes : en réponse à l’exécution de 64 otages par la Commune, le gouvernement de Versailles fusille 6000 insurgés.
    Après la chute de la Commune, Hugo fait savoir que sa porte est ouverte aux exilés. […]. Sa position n’est pas comprise et dans la nuit du 27 au 28 mai, sa maison est lapidée. Il est ensuite expulsé de Belgique en dépit des violentes protestations qui se sont élevées au Sénat et à la Chambre des députés. Réfugié au Luxembourg, il rédige son poème « L’année terrible« .
    Le 1er octobre 1871, il regagne Paris.
    En janvier 1872, il est battu aux élections législatives : les électeurs lui reprochent son indulgence envers les Communards.
    En janvier 1876, sur la proposition de Clemenceau, il est candidat au Sénat et élu au second tour. Le Sénat lui sert de tribune pour poursuivre son combat en faveur de l’amnistie des Communards ».

    Il est assez aisé de trouver son discours du 22 mai 1876 qu’il fait au Sénat en faveur de l’amnistie des communards :

    « J’y insiste ; quand on sort d’un long orage, quand tout le monde a, plus ou moins, voulu le bien et fait le mal, quand un certain éclaircissement commence à pénétrer dans les profonds problèmes à résoudre, quand l’heure est revenue de se mettre au travail, ce qu’on demande de toutes parts, ce qu’on implore, ce qu’on veut, c’est l’apaisement ; et, messieurs, il n’y a qu’un apaisement, c’est l’oubli.
    Messieurs, dans la langue politique, l’oubli s’appelle amnistie.
    Je demande l’amnistie. Je la demande pleine et entière. Sans conditions. Sans restrictions. Il n’y a d’amnistie que l’amnistie.
    L’oubli seul pardonne. […]

    Profitons des calamités publiques pour ajouter une vérité à l’esprit humain, et quelle vérité plus haute que celle-ci : Pardonner, c’est guérir !
    Votez l’amnistie. »

    Il n’aura pas gain de cause cette année-là. La loi d’amnistie sera votée le 11 juillet 1880

    Mais après la semaine sanglante, il fera surtout ce qu’il sait faire, il écrira des poèmes.

    Il a écrit un poème en l’honneur de Louise Michel qu’il connaissait et que j’ai déjà évoqué lors du mot du jour consacré à la célèbre institutrice : <Viro Major> (« Plus qu’un homme »),

    Et puis il écrira un recueil de poèmes qu’il nommera : « L’année terrible »

    Ce recueil est classé par mois et commence par la guerre de 1870, le désastre de Sedan puis arrive mars 1871, il parle du deuil et de l’enterrement de son fils.

    En mai il s’insurge contre les incendies de Paris : « Paris incendié »

    « Mais où ira-t ‘on dans l’horreur ? et jusqu’où ? »

    Mais déjà il explique la raison de la colère du peuple :

    « J’accuse la Misère, et je traîne à la barre

    Cet aveugle, ce sourd, ce bandit, ce barbare,
    Le Passé; je dénonce, ô royauté, chaos,
    Tes vieilles lois d’où sont sortis les vieux fléaux !
    Elles pèsent sur nous, dans le siècle où nous sommes.
    Du poids de l’ignorance effrayante des hommes ;
    Elles nous changent tous en frères ennemis; »

    Et puis se trouve ce poème que j’ai vu souvent citer ces dernières semaines : « A qui la faute ? »

    Dans lequel il fustige d’abord un homme qui a incendié une bibliothèque :

    « Tu viens d’incendier la Bibliothèque ?
    — Oui.
    J’ai mis le feu là.

    — Mais c’est un crime inouï

    Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
    Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
    C’est ton propre flambeau que tu viens de souffler
    Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
    C’est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage !
    Le livre, hostile au maître, est à ton avantage. »

    Tout le reste de ce chant est un hymne à la gloire du livre et des bienfaits qu’il apporte.

    Et vient cette conclusion :

    « Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints.
    Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
    Les liens que l’erreur à la vérité mêle,
    Car toute conscience est un nœud gordien.
    Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
    Ta haine, il la guérit; ta démence, il te l’ôte.
    Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute!
    Le livre est ta richesse à toi! c’est le savoir.
    Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
    Le progrès, la raison dissipant tout délire.
    Et tu détruis cela, toi !

    Je ne sais pas lire. »

    Au fur et à mesure des textes, Hugo se montre de plus en plus compassionnel et compréhensif :  « Les Fusillés »

    « Partout la mort. Eh bien, pas une plainte.
    O blé que le destin fauche avant qu’il soit mûr!
    O peuple !

    On les amène au pied de l’affreux mur.

    C’est bien. Ils ont été battus du vent contraire.
    L’homme dit au soldat qui l’ajuste : Adieu, frère.
    La femme dit : — Mon homme est tué. C’est assez.
    Je ne sais s’il eut tort ou raison, mais je sais
    Que nous avons traîné le malheur côte à côte ;
    Il fut mon compagnon de chaîne; si l’on m’ôte
    Cet homme, je n’ai plus besoin de vivre. Ainsi
    Puisqu’il est mort, il faut que je meure. Merci. —
    Et dans les carrefours les cadavres s’entassent.
    Dans un noir peloton vingt jeunes filles passent;
    Elles chantent; leur grâce et leur calme innocent »

    Et puis arrive ce XIIIème poème du mois de Juin « A ceux qu’on foule aux pieds »

    « Oh ! je suis avec vous ! j’ai cette sombre joie.
    Ceux qu’on accable, ceux qu’on frappe et qu’on foudroie
    M’attirent; je me sens leur frère; je défends
    Terrassés ceux que j’ai combattus triomphants;
    Je veux, car ce qui fait la nuit sur tous m’éclaire,
    Oublier leur injure, oublier leur colère,
    Et de quels noms de haine ils m’appelaient entre eux.
    Je n’ai plus d’ennemis quand ils sont malheureux.
    Mais surtout c’est le peuple, attendant son salaire,
    Le peuple, qui parfois devient impopulaire,
    C’est lui, famille triste, hommes, femmes, enfants,
    Droit, avenir, travaux, douleurs, que je défends ; »

    Victor Hugo le dit avec des mots sublimes.

    Certainement, La Commune n’avait aucune chance de gagner ni contre les prussiens, ni de prendre le pouvoir.

    La commune était désorganisée. Elle poursuivait des objectifs certes nobles et justes. Mais elle n’avait pas les moyens d’en organiser la mise en œuvre dans la paix.

    Elle se trouvait dans une impasse.

    Mais la répression des versaillais, la semaine sanglante ne permet pas de douter : Je suis avec eux, de leur côté, je me sens leur frère.

    <1553>

  • Mardi 13 avril 2021

    « La Commune ne se laisse pas réduire à un événement seulement parisien. »
    Maurice Moissonnier

    La Revue L’Histoire, consacrée à La Commune pose la question : « Et si la province avait suivi ? »

    C’est une professeure, agrégée d’Histoire, Inès Ben Slama qui a rédigé cet article.

    Parce qu’en effet, le mouvement insurrectionnel communal en 1871 ne s’est pas limité à Paris. D’autres communes ont participé et notamment Lyon.

    Ces insurrections ont duré encore moins de 72 jours.

    Comme à Paris, dès que Napoléon III a signé l’acte de reddition de son armée le 2 septembre à Sedan, un mouvement républicain se soulève dans plusieurs villes. Nous savons que la France rurale est plus prudente et probablement souhaite avant tout la paix. Paix que promettent les monarchistes.

    Inès Ben Slama raconte

    « Le matin du 4 septembre 1870 l’avocat lyonnais Louis Andrieux, emprisonné pour son opposition au Second Empire, est réveillé par des insurgés venus le libérer et le porter en triomphe à l’hôtel de ville : la république y a été proclamée dès 9 heures par des hommes qui, après en avoir informé les villes du Midi par télégraphe, attendent désormais des nouvelles de L’événement Paris. »

    Cette proclamation est antérieure à celle qui aura lieu à l’Hôtel de ville de Paris, par Gambetta accompagné par d’autres députés, dans l’après midi du même 4 septembre. Les Historiens estime que la République n’est pas vraiment établie à cette date-là. Les monarchistes à ce moment là n’ont pas encore abdiqué l’ambition de rétablir un roi.

    Toutefois la déclaration de Gambetta dit précisément :

    «  Français !
    Le Peuple a devancé la Chambre, qui hésitait. Pour sauver la Patrie en danger, il a demandé la République.
    Il a mis ses représentants non au pouvoir, mais au péril.
    La République a vaincu l’invasion en 1792, la République est proclamée. »

    Mais les lyonnais s’enorgueillissent qu’ils ont été les premiers comme l’écrit cet article « du Progrès » :

    « Et c’est Lyon qui a été la première ville, quelques heures avant Paris, à se mettre sous la bannière républicaine. »

    L’article poursuit :

    « Le 4 septembre, ce groupe descendu de la Croix-Rousse, Vaise et la Guillotière, s’empare de la mairie à 8 heures, avec à sa tête Jacques-Louis Hénon. Âgé de 68 ans, c’est un des rares députés républicains sous l’Empire. C’est un modéré. Formé en comité de salut public, les militants surgissent sur le balcon. Ils proclament la République à Lyon. La foule massée place des Terreaux les acclame. Une affiche décrète la déchéance de l’Empire.
    La municipalité lyonnaise est officialisée le 15 septembre, élue au suffrage universel avec à sa tête Hénon et comme adjoints notamment Désiré Barodet et Antoine Gailleton. »

    Aujourd’hui la toponymie de Lyon connaît la rue Hénon, la rue Barodet, tous les deux sur le plateau de la Croix Rousse et la place Gailleton sur la Presqu’ile. Tous les trois furent maire de Lyon.

    Mais les républicains modérés étaient contestés par les Internationalistes.

    Ainsi, ces derniers remplacent, le 4 septembre, le drapeau tricolore par le drapeau rouge sur l’hôtel de ville. Il y reste jusqu’au 4 mars 1871 affirme le Progrès.

    Les membres de la première Internationale sont déjà très actifs sur Lyon depuis le début de l’année 1870.

    Wikipedia dans son article sur <La commune de Lyon> rapporte :

    « Dès les premiers mois de 1870, les membres lyonnais de l’Association internationale des travailleurs (AIT) travaillent à préparer les ouvriers lyonnais à une éventuelle révolution. En liaison avec Bakounine, ils organisent un grand meeting réunissant plusieurs milliers de participants le 13 mars, qui donne un grand poids à la section locale, alors réélue avec à sa tête Albert Richardo . Le 20 juillet 1870, au deuxième jour de la guerre entre la France et la Prusse, l’AIT organise une manifestation pacifiste de la place des Terreaux à la rue Sala.

    Durant le conflit, dans toute la ville les éléments républicains et plus avancés (anarchistes, révolutionnaires socialistes) se préparent à la chute de l’Empire. Les différentes sensibilités tentent de se réunir pour organiser l’après Napoléon III mais ils ne parviennent pas à s’entendre. Toutefois, tous ces milieux sont d’accord sur l’idée d’une autonomie municipale, pour rompre avec les pratiques centralisatrices de l’Empire. »

    L’autonomie au niveau d’une commune n’arrive donc pas comme une génération spontanée en mars 1871, mais est préparée en amont.

    Alors que Hénon et les républicains modérés sont aux commandes à la mairie, les internationalistes appellent au soulèvement pour instaurer la commune de Lyon.

    Les archives municipales conservent l’affiche placardée le 26 septembre 1870 à Lyon.

    Sur les 7 articles, j’en souligne deux :

    L’article 1er qui entend mettre fin au gouvernement de l’Etat

    « Article 1er. – La machine administrative et gouvernementale de l’État, étant devenue impuissante, est abolie. »

    Et l’article 5 qui veut centrer le pouvoir sur les communes fédérées :

    « Art. 5. – Toutes les organisations municipales existantes sont cassées et remplacées dans toutes les communes fédérées par des comités de salut de la France, qui exerceront tous les pouvoirs sous le contrôle immédiat du Peuple. »

    Parmi les signataires vous verrez apparaître le nom de Mikhaïl Bakounine (1814-1876), le socialiste libertaire, théoricien de l’anarchisme. Celui que Marx parviendra à faire exclure de la 1ère internationale lors du Congrès de La Haye de 1872. Ce fut la victoire du socialisme autoritaire, contre le socialisme libertaire.

    Bakounine va donc s’investir dans le conflit de pouvoir qui s’ouvre à Lyon en septembre 1870.

    Dans l’article wikipedia qui lui est consacré on trouve la description suivante :

    « Le 15, Bakounine arrive à Lyon. Il y trouve l’Internationale dans un grand désordre idéologique et se plaint de la voir collaborer avec les républicains, au risque de laisser les plus basses intrigues se développer. Il met fin à cet état de fait. Se tenant éloigné des réunions publiques auxquelles il ne participe qu’exceptionnellement, il prépare le soulèvement avec ses amis intimes de l’Internationale. Le 17 septembre est créé le « Comité du Salut de la France », un organisme qui devait constituer des groupes dans chaque commune pour transformer la guerre en guerre révolutionnaire. Le Comité, dont l’influence ne dépasse pas Lyon, compte en son sein des délégués de différents quartiers de la ville. Il déploie une grande activité, publiant des manifestes et multipliant les réunions publiques. Une coordination est bientôt établie entre groupes révolutionnaires, associations ouvrières et milices de citoyens.

    Le 25 septembre, Bakounine rédige la proclamation de la Fédération révolutionnaire des communes. Appelant au soulèvement de la première Commune de Lyon, […]

    Le 27 au soir, le Comité central du Salut de la France décide pour le lendemain une grande manifestation. Bakounine, qui n’est pas suivi, souhaite que ce soit une manifestation en armes. Il est prévu d’arriver Place des Terreaux à midi et d’exiger des autorités qu’elles prennent les mesures les plus énergiques pour les besoins de la défense nationale.

    Le 28 septembre 1870, ce sont plusieurs milliers d’ouvriers qui débouchent à midi sur la Place des Terreaux. Une délégation entre dans l’Hôtel de ville, mais ne trouve pas d’interlocuteurs. C’est alors qu’une centaine d’hommes force les portes de l’Hôtel de Ville, et y pénètre avec Saignes, Bakounine, Richard, Bastelica et d’autres membres encore du Comité. »

    Mais cette insurrection échouera. Les ouvriers réunis sur la Place des Terreaux se retrouvent, sans armes ,face à la troupe et à la Garde nationale des quartiers bourgeois. Cette dernière pénètre bientôt dans la cour intérieure de l’Hôtel de Ville.

    Bakounine, s’enfuit et via Gênes regagne la Suisse.

    L’agitation qui a eu lieu à Lyon se répète dans d’autres villes.

    Inès Ben Slama écrit :

    « A Marseille, le 1er novembre, une commission révolutionnaire s’installe à la mairie, avant d’être écartée quelques jours plus tard. Le 5 décembre, une tentative d’insurrection échoue à Rouen. Autant d’exemples qui montrent la vitalité révolutionnaire de la province, en particulier de Lyon et de Marseille, où pas un mois ne se passe sans coup de force contre les autorités instaurées après le 4 septembre. Loin de l’image d’une capitale isolée dans ses protestations, les villes du Sud aspirent elles aussi à davantage d’autonomie municipale et revendiquent la défense de la république. »

    Que se passe t’il à partir du 18 mars 1871, date de début de ce que l’Histoire va désigner sous le nom de « la Commune », démarrage des 72 jours ?

    Les communards vont tenter de rallier la province.

    Inés Ben Slama s’appuie sur le récit d’un ouvrier Charles Amouroux :

    « Les autorités cherchant à rallier à leur cause les municipalités et l’opinion des grandes villes. Pour ce faire, des émissaires y sont envoyés afin de convaincre les représentants des villes de leur apporter un soutien moral et de proclamer elles aussi la Commune. Le parcours de l’ouvrier Charles Amouroux, membre de l’Internationale et futur élu de la Commune de Paris, illustre les pérégrinations de ces émissaires parisiens : arrivé à Lyon le 23 mars après avoir été chargé d’y opérer la fusion des Gardes nationales parisienne et lyonnaise, il rentre à Paris confier à deux fédérés une délégation pour Saint-Étienne. Il repart ensuite pour Marseille avec Bernard Landeck, autre membre de l’Internationale. Le 29, la police signale sa présence à Chalabre (Aude), sa commune d’origine, et saisit une affiche manuscrite sur papier rouge dont le texte lui est attribué : « Citoyens, la chambre royaliste voulant tuer la république, le peuple, la Garde nationale et l’armée de Paris ont déclaré sa déchéance. Lyon, Marseille, Toulouse, Saint-Étienne et toutes les villes de France ont suivi le mouvement de Paris. Préparons-nous à faire comme elles. Sauvons l’Ordre et la République ! Vive la République ! Un délégué de Paris. »

    Des Communes seront proclamées en 1871 à Lyon et Marseille le même jour (23 mars), puis à Narbonne (24 mars) et au Creusot (26 mars), en même temps que des mouvements insurrectionnels éclatent à Toulouse (24 mars), Saint-Étienne (25 mars), Limoges (4 avril), La Charité-sur-Loire (10-11 avril), Rouen (14 avril), Cosne et Saint-Amand (15 avril), Tullins et Saint-Marcellin (17 avril), Neuvy (19 avril), Montargis (1er mai), Varilhes (2-3 mai), Montereau (7-8 mai), Romans (22 mai), Voiron et Vienne (24 mai).

    Et je cite toujours Inés Ben Slama

    « C’est à Marseille que la Commune a duré le plus longtemps. Du 23 mars au 4 avril, les républicains menés par l’avocat nîmois Gaston Crémieux dominent la préfecture, où une commission départementale a pris le pouvoir. A l’échelle urbaine, l’afflux récent de migrants des campagnes pour faire marcher une industrie en pleine croissance fait apparaître de nouveaux centres insurrectionnels.

    A Lyon, la Croix- Rousse, traditionnelle colline des insurrections, est supplantée en avril par la Guillotière, nouveau quartier ouvrier, où les révolutionnaires, secondés par les envoyés de la Commune de Paris proclament – de nouveau – la Commune. Cependant, à Lyon comme à Marseille, faute de soutien massif de la Garde nationale, les tentatives successives sont rapidement réprimées. »

    A Lyon, les heurts auront lieu à l’Hôtel de la ville en bas des pentes de la Croix Rousse et surtout dans le quartier de la Guillotière.

    Autour de l’Hôtel de ville, le maire Hénon prendra l’opportunité d’accueillir solennellement « les héros en armes de Belfort » qui avaient résisté avec honneur au siège des Prussiens. L’entrée de cette force d’intervention mettra fin aux troubles autour de l’Hôtel de ville.

    <Wikipedia> précise que le dernier bastion se trouvera à Guillotière :

    « Le drapeau rouge continua cependant à flotter sur la mairie de la Guillotière, place du Pont. Le 30 avril, après un appel au boycott des élections,elle est occupée par les gardes nationaux qui interdisent l’accès aux urnes avec la complicité de la majorité de la population. Des barricades sont dressées Grand rue de la Guillotière et cours des Brosses (actuel cours Gambetta). L’armée arrive de Perrache, sur ordre du préfet Valentin, face à une foule de 20 000 à 25 000 personnes qui crie « Ne tirez pas ! Crosse en l’air ! On vous fait marcher contre le peuple ! » C’est alors que deux colonnes de fantassins, l’une par le pont de la Guillotière avec Valentin et l’autre par la rue de Marseille avec Andrieux, dispersent les manifestants vers 19h45 en tirant. Les insurgés ripostent de derrière les barricades et la bataille dure jusqu’à 23h, moment où les militaires font donner l’artillerie pour enfoncer les portes de la Mairie de la Guillotière. On compte une trentaine de morts.  »

    Maurice Moissonnier conclura son article <Lyon communard>, après avoir constaté que la Guillotière avait remplacé la Croix Rousse dans le cœur insurrectionnel des ouvriers de Lyon :

    « En 1871, à Lyon, le dernier bastion communard avait été la Guillotière, quartier du nouveau prolétariat. Pour la première fois on était descendu de la Croix-Rousse — la vieille colline des insurrections du XlXe siècle — pour combattre sur les barricades d’outre-Rhône. Jusqu’en 1849, les révolutionnaires faisaient plutôt le chemin inverse. »

    par cette phrase :

    « La Commune ne se laisse pas réduire à un événement seulement parisien. »

    <1552>

  • Lundi 12 avril 2021

    « Une fois perdus le bon Dieu et les lendemains qui chantent, que reste-t-il ? »
    Régis Debray

    La Commune divise. Elle a divisé et continue à diviser.

    Je ne me souvenais pas que le jeune Président que le hasard et la providence ont donné à la France avait déclaré en 2018 :

    « [Versailles, c’est un lieu] où la République […] s’était retranchée quand elle était menacée…»

    La phrase a été prononcée dans un documentaire réalisé par Bertrand Delais et diffusé sur France 3, le 7 mai 2018, un an après l’élection présidentielle : « Macron président, la fin de l’innocence »

    Pour ce camp-là, écrit <L’Obs> : «  Adolphe Thiers a commis des erreurs, mais il reste l’homme qui a habilement « libéré le territoire » et réussi à jeter les fondements de la République, bravant une majorité monarchiste rétive. Ils ne manquent jamais de souligner combien il était populaire : lors de ses funérailles à Paris, en 1877, une foule immense s’est pressée, aux cris de « Vive la République ! ». »

    Jean-Luc Melenchon n’appartient pas à ce camp, lui qui a plusieurs reprises à choisi la date du 18 mars pour organiser des réunions électorales majeures des différentes campagnes électorales auxquelles il a participé.

    Quand Hervé Gardette, dans son émission « Politique » sur France Culture veut inviter un partisan de la commune, il invite très naturellement Jean-Luc Melenchon : < La Commune appartient à toutes les variétés de la pensée révolutionnaire française >

    C’est pourquoi aussi l’Obs quand il veut apporter la contradiction à l’historien Pierre Nora qui ne veut pas célébrer la Commune parce qu’elle n’a pas apporté grand-chose à l’histoire de la nation, distribue ce rôle à Jean-luc Mélenchon :

    <Faut-il commémorer la Commune ? Le débat entre Pierre Nora et Jean-Luc Mélenchon>

    Ce débat me semble intéressant à partager :

    Pierre Nora explicite sa position et rattache surtout la commune à sa récupération marxiste et léniniste:

    « La Commune a été un épisode émouvant, héroïque à certains égards, la dernière révolution du XIXe siècle romantique. Mon ami Régis Debray me disait l’autre jour qu’elle est « un référent mondial et un accident national ». C’est un événement qui a eu peu d’apports dans l’histoire de notre pays. A la différence de Napoléon, elle n’a pas profondément contribué à la construction de l’idée nationale. Qu’il y ait une commémoration officielle, j’y vois donc peu de raisons. Que les communistes, dont c’est la tradition, l’exaltent et la célèbrent, c’est légitime. Lénine s’en réclame, Staline, Mao, Castro aussi, toute la tradition révolutionnaire du XXe siècle. […]. Les 80 membres du Conseil de la Commune étaient très disparates. Il y avait des jacobins, des sans-culottes, des internationalistes, des blanquistes, des anarchistes, des patriotes. La dimension patriotique de la Commune est fondamentale, c’est une réaction populaire forte à la France rurale et capitularde de l’époque. […]

    La violence de la répression a beaucoup contribué à faire sa légende. Ainsi que sa brièveté : elle n’a pas eu le temps d’expérimenter ses idées anticipatrices. […] l’école laïque, les coopératives ouvrières, la remise des loyers. Avec des inspirations tantôt républicaines, comme la laïcité, tantôt socialistes, comme l’hostilité à l’Etat. Tout ça a composé un ensemble qui a été brutalement contrecarré et a donné lieu à deux mémoires opposées. Une mémoire rose, dont Jean-Luc Mélenchon est l’héritier, à laquelle il faut ajouter de l’héroïsme et du romantisme : c’est une utopie révolutionnaire modèle. L’autre, la légende noire, voit le peuple comme la populace. C’est l’idée que tous les intellectuels de l’époque se faisaient de la Commune, Flaubert, Sand et même Zola… Pour eux, c’était la racaille.

    […] Ils n’étaient pas unanimes, loin de là, et cela aurait évidemment abouti à des querelles. Ensuite, il y a plusieurs étapes. Le souvenir du massacre a inspiré chez les réprouvés et les survivants un véritable culte. Et puis l’aura de la Commune s’est internationalisée. Rappelez-vous Lénine dansant sur la place Rouge, le 73e jour du pouvoir des soviets : « Nous avons tenu un jour de plus que la Commune ! »

    […] A ce moment-là, la Commune cesse d’être une légende pour devenir un mythe. Et aujourd’hui, il n’y a qu’à entendre Jean-Luc Mélenchon : elle est un symbole.

    Des insurrections, il y en aura tant qu’il y aura des riches et des pauvres, des dominants et des dominés. Mais le modèle de la révolution, dans sa forme classique, c’est-à-dire celui d’une transformation profonde visant l’Etat et la propriété, est révolu. Si on s’intéresse encore à la Commune, c’est, je crois, lié à son caractère « intermédiaire » : on peut l’interpréter comme la dernière révolution du XIXe siècle ou comme une anticipation des luttes à venir.

    […]. Oui. Parce qu’il y avait un étrange méli-mélo chez les insurgés. C’étaient en partie des sans-culottes, et la Commune est le crépuscule du sans-culottisme. C’était aussi un embryon de prolétariat, mais le mouvement ouvrier ne se constitue en France qu’à la toute fin du xixe siècle [Ce que Melenchon approuve] En 1871, ce n’est pas un mouvement ouvrier au sens moderne du terme, encadré par des syndicats. Donc la Commune a ce côté ambigu, qui en fait un objet intéressant. Elle poursuit 1789, ou plutôt 1793. Et elle éclaire l’avenir des mouvements révolutionnaires, tels que Marx les définit. La Commune est à la fois ce mélange sociologique et ce mélange idéologique. »

    Jean-Luc Mélenchon parle d’histoire et d’inspiration pour l’avenir. Il croit toujours la révolution possible :

    « Je n’ai pas été choqué par la déclaration de Pierre Nora. Toutes les occasions de mettre les Français au défi de leur histoire me semblent bonnes. C’est une façon pour le peuple français de s’approprier son histoire et de continuer à être le peuple d’une querelle : la dispute terrible qui commence en 1789. La Commune se réclame des jacobins, de la Constitution de 1793, des phases les plus aiguës de la dispute entre une république formelle et une république réelle. Ce qui m’intéresse, c’est ce fil rouge de l’histoire de France, la lutte pour l’égalité. Elle commence si tôt ! Avec Etienne Marcel au XIVe siècle. En fait, je ne veux pas confondre l’histoire comme science – soucieuse de chercher les faits, de comprendre les liens d’une phase à une autre – et puis l’histoire comme matière première d’un débat politique. Donc, je dis : vive la déclaration de Nora, car elle fait discuter. »

    […] Marx parle de la Commune comme de la première expérience de dictature du prolétariat. Je ne le crois pas. Dans cette insurrection apparaît un acteur contemporain qui n’est pas le prolétariat. C’est le peuple, c’est-à-dire les ouvriers, mais aussi des petits patrons, des artisans, des femmes, beaucoup d’instituteurs. A mes yeux, la Commune de Paris est la première révolution citoyenne moderne, celle qui va faire du contrôle collectif, de la souveraineté politique du peuple, la question numéro un, comme le disait Jaurès.

    […] la Commune a donc bien laissé des traces ! Ce furent autant de préfigurations des combats menés ensuite. La séparation des Eglises et de l’Etat, le droit syndical, l’interdiction du travail de nuit…

    […] Un événement de cette nature montre que le processus révolutionnaire n’est pas une question d’idéologie, mais le résultat de situations concrètes où le pouvoir n’est plus légitime, parce qu’il n’assume pas sa fonction de base. En 1871, on pouvait aussi dire au pouvoir : « Vous n’assumez plus votre fonction de base, qui est de nous défendre contre l’envahisseur, pas de capituler, fichez le camp. » Encore une fois, on retrouve le « dégagisme ». Lénine disait : « La révolution, c’est quand en haut on ne peut plus, et qu’en bas on ne veut plus. »

    Pierre Nora oppose alors la révolution sociale à la révolution anthropologique :

    « Vous croyez à la révolution sociale. Je suis plus révolutionnaire que vous, car je pense que nous vivons une révolution bien plus importante, véritablement anthropologique. Elle modèle le monde nouveau : elle est démographique (quand je suis né, il y avait 2,5 milliards d’êtres humains, on en est à 7,5 milliards), elle est climatique, elle est technologique, elle est religieuse, elle est enfin géopolitique. Dans ma jeunesse, la France pouvait encore prétendre à être une locomotive universelle. C’est fini, et nous vivons douloureusement cet abaissement. Cette imagination utopique d’une révolution possible est une compensation de l’affaiblissement et du sentiment d’impuissance de la gauche politique. Commémorer, il ne lui reste plus que ça. »

    Et Melenchon lui répond :

    « Vous répondez à un Mélenchon qui n’existe pas. Je pense aussi que le nombre des humains est le moteur de l’histoire ! La lutte des classes n’en est qu’un résultat. Je suis le tenant d’une révolution citoyenne. Elle a deux moteurs : l’un social et l’autre écologique. La révolution qui est en train de mûrir est dans la prise de conscience collectiviste de masse qui s’opère. Les milliards d’êtres humains ont compris que nous dépendons tous du même écosystème : nous sommes bien « semblables ». Nous avons donc gagné la bataille idéologique de la grande révolution de 1789 : on nous disait sans cesse « Votre régime sera forcément une violence, car l’égalité n’existe pas dans la nature » ! Plus la menace écologique va s’affirmer, plus la conscience collectiviste va s’élargir, si nous ne sommes pas trop déformés par l’égoïsme néolibéral. Alors ce qui sera à l’ordre du jour, c’est une société de l’entraide, du partage, une société qui se serre les coudes face au danger. [Comme la Commune] Voilà pourquoi l’évocation de la Commune est si parlante. Dans les deux cas, c’est la panique, car les fonctions essentielles ne sont pas assurées par le pouvoir. Ce à quoi j’aspire, c’est une société de l’harmonie des êtres humains entre eux et avec la nature. Le ferment est présent, il va produire quelque chose d’inouï, d’énorme. Le fourrier du monde nouveau est là, quelque part dans le moment que nous vivons. »

    C’est un peu messianique. Mais le récit, la Foi, l’Utopie sont certainement nécessaires à l’Humanité.

    Régis Debray pose cette question abyssale : « Une fois perdus le bon Dieu et les lendemains qui chantent, que reste-t-il ? ».

    <1551>

  • Vendredi 9 avril 2021

    « La Commune, c’était la joie, la fête : pour la première fois, ils ne sont plus la vile multitude mais enfin des êtres humains, libres, beaucoup vont vivre cette liberté et cette joie jusqu’à se faire tuer. »
    Michèle Audin

    Quand on parle des versaillais, c’est-à-dire le gouvernement officiel de la France qui s’est retiré dans la capitale monarchique de Louis XIV, il n’y a pas d’ambigüité sur le chef : c’est Adolphe Thiers. On peut décrire le rôle des hommes qui l’entourent notamment les 3 Jules  : Favre, Ferry et Grévy. Il y a aussi le Maréchal Patrice de Mac Mahon, duc de Magenta depuis qu’il s’était illustré lors de la bataille de Magenta. Il fut à côté de Napoléon III, le chef de l’armée qui a subi la piteuse défaite de Sedan. Mais il put s’illustrer, à nouveau, comme le vainqueur pathétique et sordide de la …reconquête de Paris ? par les versaillais. Il succéda comme président de la République à Adolphe Thiers avec l’espoir de rétablir la monarchie. Il présida du 24 mai 1873 au 30 janvier 1879. Il ne put remplir son objectif. La 3ème République, profitant des divisions entre les monarchistes et aussi des victoires électorales de ses partisans, s’imposa. L’un des 3 Jules devint président, ce fut Grévy.

    Du côté de la Commune rien de tel. Il n’est pas possible de désigner un chef.

    La revue « L’Histoire » a tenté de synthétiser le gouvernement de la commune par cette planche :


    Dans cette représentation, Charles Delescluze est présenté comme le chef de file, mais certainement pas comme le chef de la Commune.

    Karl Marx a affirmé que le chef qui a manqué à la Commune fut Auguste Blanqui (1805-1881). Il est représenté ci-dessus, mais il ne put participer à la Commune, car Adolphe Thiers en fin stratège le fit arrêter le 17 mars 1871.

    <Wikipedia> raconte :

    « Adolphe Thiers, chef du gouvernement, conscient de l’influence de Blanqui sur le mouvement social parisien, le fait arrêter le 17 mars 1871 alors que, malade, il se repose chez un ami médecin à Bretenoux, dans le Lot. Il est conduit à l’hôpital de Figeac, et de là à Cahors. Il ne peut participer aux événements de la Commune de Paris, déclenchée le 18 mars, insurrection contre le gouvernement de Thiers et contre les envahisseurs prussiens à laquelle participent beaucoup de blanquistes. Il ne peut communiquer avec personne, semble-t-il, et même pas être mis au courant des événements se tramant. ».

    Après, l’écrasement de la Commune, il est ramené à Paris et jugé le 15 février 1872, et condamné, pour ses agissements antérieurs au 18 mars 1871, à la déportation, peine commuée en détention perpétuelle, eu égard à son état de santé. Pour se défendre, Blanqui a dit au juge :

    « Je représente ici la République, traînée à la barre de votre tribunal par la monarchie. M. le commissaire du gouvernement a condamné la Révolution de 1789, celle de 1830, celle de 1848 et celle du 4 septembre [1870] : c’est au nom des idées monarchiques, du droit ancien en opposition au droit nouveau, comme il dit, que je suis jugé et que, sous la république, je vais être condamné ».

    Il est interné à Clairvaux. Il est terriblement malade (œdème du cœur) en 1877 mais, malgré les pronostics médicaux, il parvient à survivre. Il sera tout au long de ces années défendu par Clemenceau. Il sera libéré quelques mois avant sa mort.

    L’Histoire lui donnera le surnom de « l’enfermé », tant il passa d’années de sa vie en prison.

    Il s’insurgea contre tous les pouvoirs Charles X, Louis Philippe, les républicains de IIème république, Napoléon III et aussi la République bourgeoise née après la défaite de Sedan.

    Wikipedia cite sa défense lors du procès en Cour d’Assises en 1832

    « Oui, Messieurs, c’est la guerre entre les riches et les pauvres : les riches l’ont voulu ainsi ; ils sont en effet les agresseurs. Seulement ils considèrent comme une action néfaste le fait que les pauvres opposent une résistance. Ils diraient volontiers, en parlant du peuple : cet animal est si féroce qu’il se défend quand il est attaqué. »

    Louis Auguste Blanqui, est fondamentalement un révolutionnaire socialiste qui entend changer la société par l’insurrection et la violence. Il défend, pour l’essentiel, les mêmes idées que le mouvement socialiste du XIXe siècle et fait partie des socialistes non-marxistes. L’historien Michel Winock le classe comme l’un des fondateurs de l’extrême gauche française, qui s’oppose aux élections démocratiques, les considérant comme « bourgeoises », et qui aspire à l’« égalité sociale réelle ».

    Je ne pense pas que s’il avait été à la tête de la Commune, le destin de ce mouvement aurait été modifié tant le déséquilibre des forces armées était en défaveur du mouvement. Sans compter qu’autour de Paris, la puissante armée prussienne était prête à bondir si cet exemple délétère d’une « révolution rouge » pour la quiétude du IIème Reich devait se développer sous ses yeux. Bismarck avait d’ailleurs proposé son aide à Thiers qui l’a prudemment écarté. Il valait mieux pour la suite que ce fusse des français qui massacrent d’autres français.

    Dans la typologie avancée par « L’Histoire » les jacobins sont majoritaires. Ce sont ceux qui se réfèrent à la grande révolution et plutôt à la figure de Robespierre. Quand les choses iront au plus mal, ils créeront un Comité de Salut Public, comme celui créé en 1793 par la Convention. Cette décision créera une nette césure à l’intérieur des communards, les internationalistes s’y opposant. Les communards se diviseront alors en « majoritaires » et en « minoritaires ». Ce <Comité de Salut Public de 1871> composé de 5 membres est mis en place le 1er mai 1871. Malgré la courte durée avant l’écrasement, ce comité changera plusieurs fois de membres. Il n’aura aucune prise sur les évènements et ne sera d’aucune efficacité.

    Les internationalistes ne sont pas homogènes non plus. D’ailleurs l’Internationale va exclure les anarchistes fidèles à Bakounine, peu de temps après.

    Les communards sont ainsi divisés en courants de pensée qui divergeront beaucoup.

    Mais ce qui est extraordinaire dans ce mouvement c’est la vitalité des échanges et de la discussion qui va animer le peuple de Paris dans son ensemble. Je veux dire le Peuple de Paris qui adhère à la Commune. Parce que tous les parisiens qui vivaient dans Paris pendant les mois de mars à mai 1871, n’étaient pas favorables à la commune. Et cela s’est vu après la semaine sanglante. La foule haineuse qui a torturé et assassiné Eugène Varlin ne venait pas seulement de Versailles, il y avait aussi des gens de Paris.

    Mais celles et ceux qui croyaient en la Commune, se réunissaient, discutaient et refaisaient le monde.

    Et notamment les femmes qui étaient entrées dans ce combat pleines d’espoir. La commune a répondu à certains de ces espoirs même si les femmes restaient exclues des élections et du pouvoir.

    Cette parole libérée va se tenir dans le cadre de très nombreux clubs. <Ce site> essaie de dresser la liste des clubs de cette période.

    Beaucoup de réunions se déroulaient dans les églises, parce que c’était des endroits propices pour réunir beaucoup de monde et pour parler.

    J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt ce dialogue entre un membre de la fondation Jean Jaurès et l’historien Quentin Deluermoz à propos de de son dernier ouvrage « Commune(s) 1870-1871. Une traversée des mondes au XIXe siècle » (Seuil, 2020).

    <Cet article> revient aussi assez longuement sur cet ouvrage.

    La vision que Quentin Deluermoz développe est justement de se décaler par rapport aux principaux acteurs connus de la Commune pour examiner ce mouvement à travers trois prismes.

    D’abord en le comparant à d’autres mouvements communaux qui l’ont précédé, comme par exemple la révolte des canuts à Lyon ou dans d’autres pays ou qui ont eu lieu, en même temps dans d’autres communes de France.

    Pour finir, il étudie aussi les conséquences françaises et mondiales de La commune.

    Mais le point central qui m’a particulièrement intéressé, c’est son analyse qu’il qualifie « au ras du sol ». Dans cette étude il va consulter les archives, des journaux intimes, des récits contemporains, des procès-verbaux de la Police ou de la Justice.

    Ce qu’il tient à éviter, c’est les récits ultérieurs qui racontent les évènements à travers le filtre des dogmes qui sont apparus par la suite ou le filtre de souvenirs fantasmés ou simplement transformés par le temps.

    Et puis ce qui l’intéresse c’est ce que « les communeux » et « les communeuses » ont vécu au cours de ces 72 jours.

    Oui ! parce que les participants à ce mouvement se donnaient le nom de « communeux ». Ce sont leurs ennemis, les versaillais, qui leur ont donné le nom qu’ils voulaient péjoratif de « communards » qui rime avec bâtard, mouchard, cafard et d’autres termes aussi peu aimables. Ils ont finalement accepté de se désigner par ce mot, probablement par défi et fierté face à leurs ennemis.

    Et ce que Quentin Deluermoz révèle à travers son analyse « au ras du sol », est la formidable vitalité des organisations de quartier qui tentent de trouver des solutions concrètes aux problèmes des parisiens modestes ou pauvres, de faire face à la situation de conflit et de pénurie qui perdure depuis le siège par les allemands  commencé en septembre 1870 puis l’attaque des versaillais, tout en refaisant le monde.

    Dans un des entretiens qu’elle a accordé pour parler d’Eugène Varlin, Michèle Audin a eu cette réflexion sur la Commune

    « Je ne sais pas ce qu’est « la » pensée communarde. Celle de Ferré ? Celle de Delescluze ? Celle de Frankel ? Celle de Theisz ? Ou encore celle de Nathalie Lemel, engagée dans la lutte avec l’Union des femmes ?
    Ce qui rend l’histoire de la Commune passionnante, c’est toute cette diversité de pensées communardes.
    De mon point de vue, le plus intéressant, c’est ce qui se dit dans les clubs – je pense notamment au Club Ambroise et à son journal Le Prolétaire. On y souhaite voir les élus venir écouter le peuple et lui rendre compte : la souveraineté populaire ne se délègue pas, le peuple est las des sauveurs, on trouve que les agents de la Commune sont trop payés, que les journalistes font trop de phrases, qu’ils veulent encadrer le peuple, on proteste contre la nomination des officiers par les autorités militaires de la Commune (tous les responsables doivent être élus)… C’est le « sous-comité » dont ce club est issu qui a brûlé la guillotine, un acte symbolique – au moment même où la Commune vote un décret qui prévoyait la possible exécution d’otages. Le développement des idées a été beaucoup étudié, notamment autour du centenaire de la Commune en 1971, en un temps où l’importance des partis communiste et socialiste faisait de l’héritage de la Commune un enjeu politique, mais on a peut-être un peu négligé ce qui se passait dans la vie et dans la tête des Parisiens engagés dans le mouvement.
    La Commune, c’était la joie, la fête : pour la première fois, ils ne sont plus la vile multitude mais enfin des êtres humains, libres, beaucoup vont vivre cette liberté et cette joie jusqu’à se faire tuer. »

    Un moment d’échange, de solidarité et d’invention pendant lequel, pendant 72 jours des gens simples, ont cru pouvoir devenir maître de leur vie et inventer un autre monde.

    C’était cela aussi La Commune.

    <1550>

  • Jeudi 8 avril 2021

    « Tant qu’un homme pourra mourir de faim à la porte d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines. »
    Eugène Varlin
    Je m’aperçois, en cheminant dans cette série, que je ne connaissais vraiment pas grand-chose à la Commune.

    Quand je m’empare d’un sujet et que j’essaie de l’approfondir un peu, je fais des rencontres.

    Et dans mes rencontres avec les femmes et les hommes du passé qui ont fait la Commune, Eugène Varlin occupe une place particulière, comme celle d’un juste. Un juste qui est mort en martyr.

    Hippolyte Lissagaray qui participa au combat de la commune mais qui est surtout connu comme le premier historien de la Commune puisqu’il écrivit une <Histoire de la Commune de 1871> dès 1876 disait d’Eugène Varlin que

    « Toute sa vie est un exemple »

    Quand on parle de lui, on dit « Eugène Varlin, l’ouvrier relieur ». C’est le titre du livre que Michèle Audin, la fille du mathématicien Maurice Audin, déjà évoquée lors du mot du jour du 26 mars, qu’elle lui a consacré.
    Ce livre n’est pas une biographie mais le recueil de tous ses écrits retrouvés à ce jour : articles, proclamations, lettres.

    Parmi ces textes, on cite souvent cette vision de la société dont j’ai extrait l’exergue :

    « Consultez l’histoire et vous verrez que tout peuple comme toute organisation sociale qui se sont prévalus d’une injustice et n’ont pas voulu entendre la voix de l’austère équité sont entrés en décomposition ; c’est là ce qui nous console, dans notre temps de luxe et de misère, d’autorité et d’esclavage, d’ignorance et d’abaissement des caractères, de pervertissement du sens moral et de marasme, de pouvoir déduire des enseignements du passé que tant qu’un homme pourra mourir de faim à la porte d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines. »

    Varlin est né en 1839 dans une famille de paysans pauvres de Claye-Souilly (Seine-et-Marne). Il va à l’école jusqu’à l’âge de 13 ans, puis fait un apprentissage à Paris où il devient ouvrier relieur. Il suit des cours du soir, participe aux premières grèves autorisées en 1864, devient membre et rapidement responsable de la toute jeune Association internationale des travailleurs (AIT), ce qui lui vaut trois mois de prison en 1868. Il mène une inlassable activité d’organisation des ouvriers à Paris et en province. Il est élu à la Commune en 1871 et participe activement à la défense de Paris pendant la Semaine sanglante et est assassiné le 28 mai 1871, dans des conditions atroces.

    <Wikipedia> souligne aussi son ouverture au féminisme et son souci de l’égalité entre les hommes et les femmes

    «  En 1864-1865, il anime la grève des ouvriers relieurs parisiens. Il devient président de la société d’épargne de crédit mutuel des relieurs qu’il a aidé à créer (partisan de l’égalité des sexes, il y fait entrer à un poste élevé Nathalie Lemel). En 1864 est créée l’Association internationale des travailleurs (AIT), souvent connue sous l’appellation de « Première Internationale ». Varlin y adhère en 1865 et participe, avec son frère Louis et Nathalie Lemel, à la première grève des relieurs. Il est délégué en 1865 à la conférence de l’AIT à Londres, puis en 1866 au premier congrès de l’AIT à Genève, où il défend contre la majorité des autres délégués le droit au travail des femmes. »

    Nathalie Le Mel fut aussi une des femmes qui participa activement à la Commune.

    Elle a été dans beaucoup des combats d’Eugène Varlin dont elle partageait le métier de relieuse.

    Tous les deux avaient adhéré à l’AIT

    Eugène Varlin n’était pas que dans le concept, il travaillait aussi dans le concret et les besoins immédiats des ouvriers :

    À la même époque, il crée la Société de solidarité des ouvriers relieurs de Paris, dont les statuts évoquent la nécessité de « poursuivre l’amélioration constante des conditions d’existence des ouvriers relieurs en particulier, et, en général, des travailleurs de toutes les professions et de tous les pays, et d’amener les travailleurs à la possession de leurs instruments de travail. » Ses efforts contribuent à la création, le 14 novembre 1869, de la Fédération parisienne des sociétés ouvrières, qui plus tard passe à l’échelle nationale et devient ultérieurement la Confédération générale du travail.

    Varlin participe à la création d’une coopérative, « La Ménagère », en 1867, et à l’ouverture, en 1868, d’un restaurant coopératif, « La Marmite ». Ce dernier compte 8 000 adhérents et ne ferme qu’après la Commune. »

    Il était donc aussi à l’origine des prémices de la CGT.

    Nathalie Le Mel jouera également un rôle essentiel dans l’organisation de « La Marmite » et des sociétés d’alimentation, de consommation et de production qu’Eugène Varlin voulait pour améliorer le sort des ouvrier et des pauvres.

    L’historien moderne de la commune Jacques Rougerie écrit :

    « Pendant toute la durée de l’insurrection, Varlin ne se consacrera qu’aux tâches concrètes ; il ne s’agit rien moins que de faire vivre et combattre Paris et cela peut tenir au moindre détail. »

    Pendant la commune il sera nommé à la commission des finances. Il assure la liaison entre la Commune et les sociétés ouvrières.

    <Le Maitron> publie un récit biographique assez détaillé.

    Le journal <LES INROCKS> le décrit ainsi :

    « Varlin milite sans relâche pour la réduction de la durée de la journée de travail, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la liberté de la presse et d’association, l’instruction laïque et obligatoire ou encore l’impôt progressif. « L’association n’a pas pour but d’organiser les travailleurs en vue de soutenir une lutte permanente contre les détenteurs de capitaux. Elle vise plus haut. Elle se propose de réaliser l’affranchissement complet du travail, en amenant les travailleurs à la possession de l’outillage social et les éléments naturels indispensables à la production. Loin de vouloir organiser la guerre, elle a la prétention d’établir la fraternité entre les hommes sans distinction de race, de couleur, ou de croyance », écrit-il. Sous la Commune, dont il fut délégué aux Finances et membre de la Commission de la Guerre, il prit notamment la décision de suspendre la vente des objets au Mont-de-Piété, cette institution de prêts sur gage qui finissait par ruiner les pauvres. »

    Le 28 mai, reconnu et dénoncé par un prêtre rue Lafayette, il est arrêté par le lieutenant Sicre et amené à Montmartre, rue des Rosiers, où il est lynché, éborgné par la foule et, finalement, fusillé par les soldats près de l’endroit où avaient été fusillés les généraux Lecomte et Clément-Thomas. Précision sordide : Les ouvriers relieurs lui avaient offert une montre qui lui fut volée, après qu’il eut été massacré.

    <Le Maîtron> précise que : « Dans un rapport à son colonel, le lieutenant Sicre avait déclaré :  » Parmi les objets trouvés sur lui [Varlin] se trouvaient : un portefeuille portant son nom, un porte-monnaie contenant 284 f 15, un canif, une montre en argent et la carte de visite du nommé  » Tridon « . Sicre s’appropria la montre — présent des ouvriers relieurs en 1864»

    Voici la description que Louise Michel fait de son assassinat dans ses Mémoires :

    « La Commune était morte, ensevelissant avec elle des milliers de héros inconnus. Ce dernier coup de canon à double charge énorme et lourd ! Nous sentions bien que c’était la fin ; mais tenaces comme on l’est dans la défaite, nous n’en convenions pas…

    Ce même dimanche 28 mai, le maréchal Mac-Mahon fit afficher dans Paris désert : « Habitants de Paris, l’armée de la France est venue vous sauver ! Paris est délivré, nos soldats ont enlevé en quatre heures les dernières positions occupées par les insurgés.

    Aujourd’hui la lutte est terminée, l’ordre, le travail, la sécurité vont renaître ».

    Ce dimanche-là, du côté de la rue de Lafayette, fut arrêté Varlin : on lui lia les mains et son nom ayant attiré l’attention, il se trouva bientôt entouré par la foule étrange des mauvais jours. On le mit au milieu d’un piquet de soldats pour le conduire à la butte qui était l’abattoir. La foule grossissait, non pas celle que nous connaissions : houleuse, impressionnable, généreuse, mais la foule des défaites qui vient acclamer les vainqueurs et insulter les vaincus, la foule du vae victis éternel. La Commune était à terre, cette foule, elle, aidait aux égorgements.

    On allait d’abord fusiller Varlin près d’un mur, au pied des buttes, mais une voix s’écria : « il faut le promener encore » ; d’autres criaient : « allons rue des Rosiers ».

    Les soldats et l’officier obéirent ; Varlin, toujours les mains liées, gravit les buttes, sous l’insulte, les cris, les coups ; il y avait environ deux mille de ces misérables ; il marchait sans faiblir, la tête haute, le fusil d’un soldat partit sans commandement et termina son supplice, les autres suivirent. Les soldats se précipitèrent pour l’achever, il était mort.

    Tout le Paris réactionnaire et badaud, celui qui se cache aux heures terribles, n’ayant plus rien à craindre vint voir le cadavre de Varlin. Mac Mahon, secouant sans cesse les huit cents et quelques cadavres qu’avait fait la Commune, légalisait aux yeux des aveugles la terreur et la mort. […] Combien eût été plus beau le bûcher qui, vivants, nous eût ensevelis, que cet immense charnier !

    Combien de cendres semées aux quatre vents pour la liberté eussent moins terrifié les populations, que ces boucheries humaines ! Il fallait aux vieillards de Versailles ce bain de sang pour réchauffer leurs vieux corps tremblants. »

    Wikipedia rapporte que pendant la Semaine sanglante, il avait tenté en vain de s’opposer à une exécution d’otages, rue Haxo.

    <France Culture> donne la parole à l’historien de l’action culturelle Mathieu Menghini :

    « Eugène Varlin, […] s’est instruit en autodidacte, s’intéressant à de nombreuses disciplines comme la géométrie, le latin, l’orthographe, la grammaire.

    A force de fabriquer des livres, Eugène Varlin les a dévorés. On lui connaît une obédience doctrinale qui le situe du côté des communistes non-autoritaires, mais on pourrait mieux le définir par ses combats pour les droits des femmes, pour l’émancipation intellectuelle des travailleurs, pour leur instruction intégrale et polytechnique.

    Eugène Varlin a contribué à former la classe ouvrière française, […], à établir parmi les ouvriers une conscience de classe. A une époque où Paris était déjà en train de se gentrifier, un des enjeux pour la classe ouvrière était d’améliorer concrètement leurs conditions matérielles, qui souvent se nourrissait mal tout en payant très cher. Avec sa collègue militante Nathalie Lemel, Eugène Varlin a établi des restaurants ouvriers coopératifs nommés « La Marmite ». Un lieu de vie, et de nourriture intellectuelle.

    On raconte qu’une fois les estomacs sustentés, ces cantines ouvrières se transformaient en véritables foyers dans lesquels on rêvait la transformation du monde, entre femmes et hommes de divers courants doctrinaux. Certains artistes, favorables à l’auto-émancipation des travailleurs, venaient y entonner un air lyrique une fois leur spectacle terminé. »

    Michèle Audin <parle> du premier article d’Eugène Varlin qu’elle a lu et qui lui a donné l’envie de réaliser son livre sur les écrits de cet homme singulier et épris de justice sociale :

    « Il est clair, précis, rigoureux, il s’adresse directement à ses lecteurs et il pense aux lecteurs du futur, nous, qui lirons le journal relié. J’ai trouvé le style et les aspects humains de cet article, la dignité de ce jeune ouvrier, ce qu’il appelle dans un autre article « la timidité ordinaire du travailleur » et en même temps sa confiance en ses compétences, très séduisants. Je n’ai pas lu beaucoup d’articles où un ouvrier parle de ses connaissances et de son goût, avant de les appliquer au sujet. »

    <1549>

     

  • Mercredi 7 avril 2021

    « Pause (50 ans de la mort d’Igor Stravinsky) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Brusquement, je me suis souvenu que le 6 avril 1971, il y a 50 ans, disparaissait un des plus grands compositeurs de l’Histoire Igor Stravinsky.

    J’ai donc passé le 6 avril à écouter de la musique de Stravinsky.

    Il ne restait plus de temps pour écrire un mot du jour.

    Saviez vous que Stravinsky a composé <Les berceuses du chat> ?

    Sa célébrité est venue brusquement lorsque Serge Diaghilev lui a demandé d’écrire la musique pour le ballet de l'<Oiseau de Feu> en 1910.

    Stravinsky est mort à New York, à l’âge de 88 ans

    Mais il a demandé à être enterré près de Serge Diaghilev qui est mort à Venise en 1929 et qui est enterré dans le cimetière de l’île San Michele située dans la lagune de Venise.

    Et c’est donc là qu’il est enterré.

    <mot sans numéro>

  • Mardi 6 avril 2021

    « Si nous réussissions à transformer radicalement le régime social, la révolution du 18 mars serait la plus efficace de celles qui ont eu lieu jusqu’à présent. »
    Léo Frankel

    Continuons à nous intéresser à quelques-uns des femmes et hommes qui ont fait la commune. Léo Frankel fut le seul élu étranger de la Commune de Paris et le plus jeune des communards internationalistes. Il y eut d’autres étrangers qui participèrent à la révolte du commune ; mais ils n’étaient pas élu et ne faisaient pas partie du Conseil de le Commune.

    On peut citer, par exemple, Jaroslaw Dombrowski qui fut nommé commandant de la place de Paris puis par décision de Rossel, chargé de la direction des opérations sur la rive droite. Il fut blessé mortellement, le 23 mai, à la barricade de la rue Myrha et de la rue des Poissonniers dans le XVIIIe arrondissement.

    J’avais évoqué lors du mot du jour de vendredi <Élisabeth Dmitrieff> qui était russe et qui jouera un rôle dans la vie de Léo Frankel.

    Léo Frankel était hongrois.

    Il était d’origine juive, son père était médecin. Il était né en 1844 à Budapest.

    C’était un ouvrier qui avait suivi une formation d’orfèvre. Ce qui l’a amené à voyager. Il séjourne en Allemagne et en Angleterre avant de s’installer à Lyon en 1867 où il s’affilie à l’Association internationale des travailleurs.

    Puis, il s’installe à Paris comme ouvrier-bijoutier et représente la section allemande de l’Association internationale des travailleurs (A.I.T.). Il est également correspondant de la Volksstimme de Vienne. Il sera assez vite convaincu par les thèses de Karl Marx.

    Il est arrêté fin avril 1870, pour complot et appartenance à une société secrète c’est-à-dire l’A.I.T..

    Durant son procès, je jeune hongrois martèle ses convictions :

    « L’Association internationale n’a pas pour but une augmentation du salaire des travailleurs, mais bien l’abolition complète du salariat, qui n’est qu’un esclavage déguisé. »
    Cité par « les Grands évènements de l’Histoire, la Commune de Paris » mars avril mai 2021

    Il est libéré à la suite de la Proclamation de la République française du 4 septembre 1870 qui renverse le Second Empire. Il devient alors membre de la Garde nationale et reconstitue, avec Eugène Varlin, le Comité fédéral de l’Internationale pour Paris.

    Il se présente aux élections à l’Assemblée nationale du 8 février 1871, en tant que socialiste révolutionnaire. Il échoue à se faire élire dans cette assemblée, qui nous le savons verra la victoire des monarchistes pacifistes, capitulards diront les communards.

    Mais il sera élu au Conseil de la Commune de Paris le 26 mars 1871 dans le 13e arrondissement.

    Il devient membre de la Commission du travail et de l’échange, puis de la Commission des finances.

    Le 20 avril, il est nommé délégué au travail, à l’industrie et à l’échange. Il fait décréter des mesures sociales, comme l’interdiction du travail de nuit dans les boulangeries.

    Il écrit à Karl Marx dans une lettre du 30 mars :

    « Si nous réussissions à transformer radicalement le régime social, la révolution du 18 mars serait la plus efficace de celles qui ont eu lieu jusqu’à présent. Ce faisant nous arriverions à résoudre les problèmes cruciaux des révolutions sociales à venir. »
    Cité par « les Grands évènements de l’Histoire, la Commune de Paris » mars avril mai 2021

    Pendant la Semaine sanglante, il est blessé gravement sur une barricade de la rue du Faubourg-Saint-Antoine, à l’angle de la rue de Charonne.

    Il est sauvé par Élisabeth Dmitrieff qui réussit à le faire échapper avec elle pour se réfugier en Suisse, à Genève. Les autorités françaises réclament son extradition, mais leurs homologues suisses s’y opposent.

    Remis de ses blessures, il va en Angleterre rejoindre Karl Marx et l’Internationale.

    Puis il passe en en Allemagne, en 1875, d’où il est expulsé, puis en Autriche où il est arrêté en octobre. Libéré en 1876, il se rend en Hongrie où il organise le Parti ouvrier notamment en rédigeant une partie de son programme.. En mars 1881, il est condamné à dix-huit mois de prison. Libéré en février 1883, il devient correcteur d’imprimerie et collabore à des revues socialistes.

    En 1890, il revient en France et participe au Congrès fondateur de la Deuxième internationale.

    Le site du <Maitron> nous apprend qu’en 1893 et 1894, il fut administrateur de la revue marxiste L’Ère Nouvelle . […]

    Et aussi qu’il vivait de peu, et un rapport de police du 26 décembre 1891 précise :

    « Sa mise est convenable et on le voit toujours coiffé d’un chapeau haut de forme, mais on prétend que sa chambre est misérablement meublée et que ses ressources paraissent bien modestes ; il fait souvent sa cuisine lui-même. »

    Julien Chuzeville, historien du mouvement ouvrier lui a consacré un livre Léo Frankel, communard sans frontières publié en février 2021.

    Il a été l’invité du < Cours de l’histoire de Xavier Mauduit>, émission très intéressante qui m’a poussé à écrire ce mot du jour.

    Xavier Mauduit présente un autre extrait du procès du 2 juillet 1870 déjà évoqué :

    «  il comparait devant la justice, lors du troisième procès intenté à l’Internationale. Il répond au président du tribunal que
    « les capitalistes, à l’occasion d’une grève suscitée par leurs prétentions avides, soient les premiers à accuser l’Internationale de tout le mal, je n’y vois rien d’étonnant ».
    Frankel joue de la métaphore :
    « Ils agissent en ce point comme le loup de la fable qui se tenait au bord du ruisseau, et accusait de lui troubler son eau, l’agneau qui se désaltérait au-dessous de lui dans le courant. L’agneau eut beau se défendre, prétendant que l’eau ne pouvait pas remonter sa pente, toutes ses dénégations ne lui servirent de rien ; le loup cherchait seulement une occasion favorable pour le dévorer ».
    Le président l’interroge : « L’agneau, c’est l’Internationale ? ».
    Frankel répond du tac-au-tac : « Et, le loup, c’est le capitaliste ». Il faut se méfier des procès intentés aux militants politiques, car le tribunal devient une tribune où Frankel expose son programme »

    Il meurt d’une pneumonie le 29 mars 1896 1896. Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise, entouré d’un drapeau rouge. Il avait, en effet, écrit quelques jours avant sa mort :

    « Je meurs sans crainte.
    Mon enterrement doit être aussi simple que celui des derniers crève-de-faim.
    La seule distinction que je demande c’est d’envelopper mon corps dans un drapeau rouge, le drapeau du prolétariat international, pour l’émancipation duquel j’ai donné la meilleure part de ma vie et pour laquelle j’ai toujours été prêt à la sacrifier. »

    En 1968, sa dépouille est transférée au cimetière national de Hongrie à Budapest.

    Sa tombe parisienne est devenue depuis un cénotaphe (du grec ancien : kenotáphion, de kenós (« vide ») et táphos (« tombeau »)).

    <Ce blog> nous apprend qu’il existe désormais une rue Leo-Frankel, dans le XIIIème arrondissement de Paris, à proximité de la Bibliothèque nationale de France,

    <1548>

  • Vendredi 2 avril 2021

    « Pas de révolution sans les femmes »
    Carolyn J. Eichner

    Dans la revue « L’histoire » de janvier 2021, consacrée à la commune, c’est une historienne américaine Carolyn J. Eichner qui a rédigé un article « Pas de révolution sans les femmes » mettant en évidence le rôle des femmes pendant la Commune de Paris.

    Louise Michel n’était pas seule.

    Carolyn Eichner est professeure à l’université du Wisconsin à Milwaukee et a publié en février 2020 un livre sur ce sujet : « Franchir les barricades » et qui avait pour sous-titre « Les femmes dans la commune de paris »

    Dans ce livre, l’historienne s’était concentrée sur trois cheffes de file : André Léo, Élisabeth Dmitrieff et Paule Mink.

    A ce stade, il faut parler d’un outil qui existe sur Internet : <Le Maitron> et que j’ai découvert à l’occasion de mes recherches sur cette série sur la Commune. C’est Raphaël Meyssan l’auteur de la BD et du film diffusé sur ARTE <Les damnés de la Commune>. et que j’ai évoqué lors du premier mot du jour de la série qui m’a fait découvrir cette somme de connaissances libre d’accès

    Le nom « Maitron » fait référence à Jean Maitron  (1910 – 1987), historien qui s’est passionné pour l’histoire ouvrière en France. Avant lui, les historiens étudiaient surtout les rois, les chefs de guerre et les batailles. Il a fait entrer l’Histoire des ouvriers dans l’université et a énormément travaillé sur les bases d’archives.

    Et c’est ainsi qu’il est à l’origine du « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français », ouvrage de référence qu’on a nommé en son honneur « le Maitron ».

    Ce travail augmenté des apports de ses successeurs en historiographie se trouve désormais sur un site internet dont je redonne l’adresse : : <Le Maitron>

    Et grâce à ce site, nous avons immédiatement des informations sur ces trois femmes

    <André Léo>a pour nom d’état civil Léodile Champseix mais on l’appelle André Léo.

    Elle est née en 1824 à Lusignan (Vienne). C’est une écrivaine ; socialiste et féministe ; communarde, présidente de la commission de l’enseignement professionnel des jeunes filles.

    Elle reçut une excellente éducation. Son grand-père avait été fondateur, en 1791, de la Société des Amis de la Constitution.

    Après le coup d’État de décembre 1851, elle fit la connaissance de Grégoire Champseix, un Limousin, qui vivait exilé à Lausanne où il était professeur et avec qui elle se maria.

    En 1860 le couple alla habiter à Paris. Mme Champseix entreprit alors une carrière de romancière : Elle signait ses ouvrages André Léo, pseudonyme formé du nom de ses deux enfants jumeaux.

    Dans les dernières années du Second Empire, elle se lança dans la bataille politique et sociale. C’est chez elle que fut élaboré en 1868 le programme de la « Société de revendication des droits de la femme », avec la participation d’Élie Reclus et de Marthe Noémie Reclus.

    En 1870, elle fréquenta les clubs. Elle se rangea parmi les combattants de la Commune en 1871. Avec Mme Jaclard, elle fonda le journal La Sociale (31 mars-17 mai 1871) où, tout en protestant contre certains excès du Comité central, elle soutint avec énergie les droits de Paris ; elle y publia son « appel aux travailleurs des champs ». Elle appartint à l’Union des Femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés et à la commission instituée par Édouard Vaillant  « pour organiser et surveiller l’enseignement dans les écoles de filles ». Avec Louise Michel et Paule Minck, elle fit partie du Comité de Vigilance des citoyennes de Montmartre. Dans le journal La Commune, elle formula ainsi son programme (10 avril 1871) :

    « La terre au paysan, l’outil à l’ouvrier, le travail pour tous ».

    Après l’entrée des Versailles dans Paris, elle se rendit en Suisse. Elle vécut à Genève où elle put ainsi se soustraire à la condamnation prononcée par les conseils de guerre. Elle collabora au journal La Révolution sociale, en 1871, dans lequel elle se livra à de violentes attaques contre Marx. Elle publia la même année, à Neuchâtel, La Guerre sociale où elle racontait l’histoire de la Commune.

    Elle mourut en 1900. Elle a légué par testament une rente à la première commune de France qui voudra faire un essai de collectivisme par l’achat d’un terrain communal, travaillé en commun avec partage des fruits.

    <Élisabeth Dmitrieff>, née de l’union irrégulière d’un ancien officier de hussards et d’une jeune infirmière, reçut une bonne éducation et apprit à parler couramment plusieurs langues. Elle habitait Saint-Petersbourg, participait aux discussions passionnées qui étaient fréquentes dans la jeunesse intellectuelle russe de l’époque, et rêvait d’émancipation pour elle-même et pour les autres.

    Elle effectua un mariage blanc pour partir pour l’étranger : la Suisse d’abord, où elle milita dès 1868, puis Londres à la fin de l’année 1870. Elle y fréquenta la famille de Karl Marx et Marx lui-même qui l’envoya à Paris, en mars 1871, en mission d’information. Un rapport de police la décrit alors ainsi :

    « Mesurant 1,66 m ; cheveux et sourcils châtains ; front légèrement découvert ; yeux gris bleu ; nez bien fait ; bouche moyenne ; menton rond ; visage plein, teint légèrement pâle ; démarche vive ; habituellement vêtue de noir et toujours d’une mise élégante. »

    Elle cofonda pendant cette période l’Union des Femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés. Union constituée en avril et dont les membres s’étaient mises à la disposition de la Commune, prêtes « à combattre et vaincre ou mourir » . Elle appartint à sa commission exécutive. Au nom de l’Union, Élisabeth Dmitrieff élabora un rapport d’inspiration socialiste sur une organisation du travail à base d’associations de production fédérées ; ce rapport fut envoyé à la commission du Travail et de l’Échange de la Commune que dirigeait Frankel.

    Élisabeth Dmitrieff représentait un féminisme socialiste qui empruntait à la fois au populisme des coopératives féministes russes et à l’autorité centralisée marxiste (elle fut, parmi les communards socialistes, une des rares influencées par Marx). Saisissant le moment révolutionnaire afin d’enclencher le changement, elle avait pour objectif de donner aux ouvrières le contrôle de leur propre travail. L’Union des femmes fut la seule organisation à obtenir les ressources financières demandées au gouvernement de la Commune.

    Élisabeth Dmitrieff participa aux derniers combats de rue ; le 25 mai. Elle put échapper à l’arrestation. Le 6e conseil de guerre la condamna par contumace, le 26 octobre 1872, à la déportation dans une enceinte fortifiée ; elle fut graciée le 8 avril 1879 sous condition d’un arrêté d’expulsion.

    Elle avait trouvé refuge en Suisse en juin. En octobre 1871, elle réussit à rentrer en Russie. Elle épousa un condamné à la déportation qu’elle suivit en Sibérie, où elle mourut à une date indéterminée, entre 1910 et 1918.

    <Paule Mink>est née en 1839 à Clermont-Ferrand. Elle était d’origine polonaise, son nom véritable était Adèle Pauline Mekarski. Elle était la sœur de Jules Mekarski. Son père, Jean, Népomucène Mekarski, était de haute noblesse polonaise, neveu du général prince Joseph, Antoine Poniatowski et cousin de Stanislas II Poniatowski, dernier roi de Pologne.

    Sa mère, Jeanne, Blanche Cornélie Delaperrierre, était issue d’une famille française de comédiens.

    Très tôt, Pauline fit montre de sentiments républicains, écrivant des articles, participant à des réunions publiques. Elle fut notamment l’auteur d’un petit pamphlet Les Mouches et l’Araignée dirigé contre Napoléon III (l’araignée) dévorant le peuple (les mouches). Vers 1868, elle se trouvait à Paris et créa une organisation féministe et révolutionnaire à forme mutualiste, la  » Société fraternelle de l’ouvrière « .

    L’article du Maitron cite une description que fait d’elle Gustave Lefrançais qui était un élu de la commune :

    « Parmi les femmes qui prennent habituellement la parole dans les réunions, on remarque surtout la citoyenne Paule Mink, petite femme très brune, un peu sarcastique, d’une grande énergie de parole. La voix est un peu aigre, mais elle s’exprime facilement. Elle raille avec esprit ses contradicteurs plutôt qu’elle ne les discute et ne paraît pas, jusqu’alors, avoir des idées bien arrêtées sur les diverses conceptions qui divisent les socialistes. Mais elle est infatigable dans sa propagande. »

    Elle est connue comme l’oratrice des clubs. Après la semaine sanglante elle s’exile en Suisse. Elle revient en France après l’amnistie et poursuivra le combat féministe et socialiste.

    Vers 1900, elle était une des trois femmes membres du conseil d’administration du Syndicat des journalistes socialistes. Elle mourut le 28 avril 1901. Elle fut incinérée le 1er mai au Père-Lachaise.

    Carolyn J. Eichner précise :

    « Les femmes, tout en étant absentes du gouvernement de la Commune, furent très actives dans les clubs, les journaux ou sur les barricades. Loin du mythe de la pétroleuse, elles participèrent aux différents courants du socialisme féministe. »

    Elle rappelle opportunément que les femmes jouèrent un rôle éminent dès le début de la Commune :

    « Au petit matin du 18 mars 1871, après que Thiers eut donné l’ordre, dans la nuit, de récupérer les canons de la Garde nationale à Montmartre, ce sont les femmes déjà levées qui s’interposèrent les premières entre les troupes et l’artillerie. Faisant primer la solidarité de classe sur la loyauté nationale, elles persuadèrent les soldats de se rallier à elles. Ces fraternisations mirent le feu aux poudres. »

    Elle cite enfin l’Union des femmes :

    « Au 50e des 72 jours que dura la Commune, la commission exécutive de l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés déclara : « Les femmes de Paris prouveront à la France et au monde qu’elles aussi sauront, au moment du danger suprême – aux barricades, sur les remparts de Paris –, donner leur sang et leur vie pour la défense et le triomphe de la Commune, c’est-à-dire du peuple ! »

    Pendant longtemps, l’histoire de la Commune qu’on racontait, montrait, d’un côté, des hommes faisant la révolution et, de l’autre, des femmes, hystériques, mettant le feu à Paris au moment de la Semaine sanglante : c’est ainsi que s’est imposée la figure de la pétroleuse.

    « Pétroleuse » Le mot a été inventé dans les jours qui ont suivi la Semaine sanglante. La presse versaillaise a accusé les communardes d’avoir allumé des incendies dans les rues où l’on ne se battait plus.

    Et l’historienne américaine d’analyser :

    « En réalité, des milliers de femmes jouèrent un rôle déterminant dans la Commune de Paris. Dès la fin des années 1860, au moment de la libéralisation du Second Empire, des organisations féministes et socialistes avaient créé les conditions préalables à leur soulèvement. Durant la courte vie de la Commune des militantes ont constitué des clubs politiques populaires, des comités de vigilance, ralliant les brigades militaires, soulageant et nourrissant les blessés, publiant des journaux, développant des écoles mixtes, organisant des soupes populaires et fondant des coopératives de production.

    Deux raisons expliquent leur marginalisation dans l’histoire de la Commune. D’abord, l’activisme des femmes a toujours été dévalorisé quand il n’était pas tout simplement ignoré précisément parce qu’il s’agissait de l’activisme de femmes. Ensuite, lorsque les femmes se sont impliquées politiquement, ce fut en dehors de la structure gouvernementale officielle, qui n’était constituée que d’hommes. La Commune, en effet, n’a pas accordé le droit de vote aux femmes – et les communardes n’ont pas cherché à l’obtenir, non plus qu’un rôle officiel dans le gouvernement.

    Pour elles, la Commune devait être une transition vers une nouvelle société égalitaire du point de vue social. Or, les historiens ont longtemps minimisé l’importance de ces actions militantes au ras du sol. Quant aux observateurs contemporains, en plus de sous-évaluer les initiatives des femmes, ils les ont diabolisées, pointant leur comportement non féminin et irrationnel. […] Ces représentations rejettent les militantes hors de l’humanité.

    La réalité est tout autre. La plupart des communardes étaient des ouvrières travaillant dans des métiers liés au textile, comme Marie Rogissart, couturière, qui organisa les femmes pour arrêter les réfractaires qui refusaient de défendre la Commune, ou Marie Lemonnier, apprêteuse de neuf, qui servit comme ambulancière sur le champ de bataille et éleva ensuite des barricades. Elles s’engagèrent dans une révolution qui, très vite, renversa toute hiérarchie de pouvoir. »

    <Cet article> parle d’une autre ambulancière Alix Payen qui a écrit un livre sur son expérience lors de la Commune

    Il n’y a pas de révolution sans les femmes.

    <1547>

  • Jeudi 1 avril 2021

    « S’il y a des miséreux dans la société, des gens sans asile, sans vêtements et sans pain, c’est que la société dans laquelle nous vivons est mal organisée. »
    Louise Michel

    Quand l’hebdomadaire « Le Un » a voulu consacrer un numéro à la commune, il a réalisé un hors-série sur Louise Michel avec ce titre « Louise Michel, l’égérie de la Commune ».

    Ce <site> de la gauche radicale lyonnaise pose ce constat qui parait très juste :

    « De tous les personnages de la Commune de Paris, Louise Michel est la première femme à avoir triomphé de la conspiration du silence et de l’oubli. »

    Il existe des rues, des squares « Louise Michel » et même des Boulevards de ce nom, notamment à Gennevilliers et à Evry. Le nombre de collèges et de lycée « Louise Michel » me semble encore plus nombreux. Le nombre de livres qui lui ont été consacrés est aussi important.

    Cette visibilité tranche avec les autres figures essentielles de la commune.

    Elle est née en Haute Marne, mais dans un château, celui de Vroncourt, le 29 mai 1830, deux mois avant la révolution de 1830 qui aura lieu du 27 au 29 juillet 1830,
    déjà une révolution des parisiens contre la réaction, incarnée par le roi Charles X.

    Elle est née dans un château dans lequel sa mère était domestique au service des Demahis, famille de petite noblesse ouverte aux idéaux républicains.

    Les biographes se disputent sur l’identité du père, mais une chose est certaine, c’était un des membres de la famille Demahis, le plus vraisemblable étant le fils des châtelains, Laurent qui sera éloigné du château après sa naissance.

    Elle était donc fille naturelle.

    Il faut rappeler que parmi les décisions de la commune se trouve la suppression de la catégorie « illégitime » pour les enfants nés hors mariage.

    Louise sera élevée, près de sa mère, dans la famille de Laurent Demahis, qu’elle appelle ses grands-parents. Jusqu’à ses 20 ans, Louise porte le patronyme de son grand-père Étienne-Charles Demahis qui lui donne le goût d’une culture classique où domine l’héritage des Lumières, notamment Voltaire et Jean-Jacques Rousseau.

    Selon <Wikipedia> :

    « elle reçoit une instruction solide, une éducation libérale et semble avoir été heureuse, faisant preuve, très jeune, d’un tempérament altruiste. »

    Finalement ses grands parents l’ont protégé et soutenu. Mais lorsqu’ils meurent en 1850, la famille des héritiers oblige Louise et sa mère à quitter le château et Louise doit abandonner le nom Demahis pour prendre celui de sa mère.

    Elle poursuit des études pour devenir institutrice, en 1853, mais refuse de de prêter serment à Napoléon III, ce qui est nécessaire pour exercer dans l’école de l’empire. C’est pourquoi elle crée une école libre à Audeloncourt (Haute-Marne) puis dans d’autres communes avant de se rendre à Paris pour poursuive son activité d’enseignante et aussi de militante et même d’écrivain.

    Elle intègre les milieux révolutionnaires, y rencontre Jules Vallès, Eugène Varlin, Raoul Rigault et Émile Eudes, et collabore à des journaux d’opposition comme Le Cri du peuple. En 1869, elle est secrétaire de la Société démocratique de moralisation, ayant pour but d’aider les ouvrières.

    Elle est très active dans les milieux anarchistes et socialistes avant la Commune.

    Et pendant la commune, elle joue un rôle de premier plan, elle est à la fois ambulancière, et combattante.

    Elle se bat jusque dans la semaine sanglante. C’est pour faire libérer sa mère, qu’elle se rend Le 24 mai.

    Pendant sa détention, elle assiste aux exécutions et voit mourir ses amis, parmi lesquels son ami Théophile Ferré exécuté en même temps que Louis Rossel.

    Lorsqu’elle est interrogée pour la première fois par le conseil de guerre, elle déclare :

    « Ce que je réclame de vous, c’est le poteau de Satory où, déjà, sont tombés nos frères ; il faut me retrancher de la société. On vous dit de le faire. Eh bien, on a raison. Puisqu’il semble que tout cœur qui bat pour la liberté n’a droit aujourd’hui qu’à un peu de plomb, j’en réclame ma part, moi »

    Elle revendique les crimes et délits dont on l’accuse et réclame la mort au tribunal « Si vous n’êtes pas des lâches, tuez-moi ».

    La presse versaillaise la nomme « la Louve avide de sang ».

    Pendant ses premières années à Paris, pendant qu’elle poursuivait l’ambition de devenir écrivain, elle a commencé un échange épistolaire régulier avec Victor Hugo. Et ce dernier lui dédiera un poème, <Viro Major> (« Plus qu’un homme »), dont je cite un extrait

    « Ayant vu le massacre immense, le combat,
    Le peuple sur sa croix, Paris sur son grabat,
    La pitié formidable était dans tes paroles ;
    Tu faisais ce que font les grandes âmes folles,
    Et lasse de lutter, de rêver, de souffrir,
    Tu disais : J’ai tué ! car tu voulais mourir. […]

    Et ceux qui comme moi, te savent incapable
    De tout ce qui n’est pas héroïsme et vertu,
    Qui savent que si Dieu te disait : D’où viens-tu ?
    Tu répondrais : Je viens de la nuit où l’on souffre ;
    Dieu, je sors du devoir dont vous faites un gouffre !
    Ceux qui savent tes vers mystérieux et doux,
    Tes jours, tes nuits, tes soins, tes pleurs, donnés à tous,
    Ton oubli de toi-même à secourir les autres,
    Ta parole semblable aux flammes des apôtres ;
    Ceux qui savent le toit sans feu, sans air, sans pain,
    Le lit de sangle avec la table de sapin,
    Ta bonté, ta fierté de femme populaire,
    L’âpre attendrissement qui dort sous ta colère,
    Ton long regard de haine à tous les inhumains,
    Et les pieds des enfants réchauffés dans tes mains ;
    Ceux-là, femme, devant ta majesté farouche,
    Méditaient, et, malgré l’amer pli de ta bouche,
    Malgré le maudisseur qui, s’acharnant sur toi,
    Te jetait tous les cris indignés de la loi,
    Malgré ta voix fatale et haute qui t’accuse,
    Voyaient resplendir l’ange à travers la méduse. »

    Elle sera finalement condamnée à la déportation en Nouvelle Calédonie, elle y restera 7 ans.

    Ce ne seront pas pour elles des années perdues car là-bas aussi, elle va agir pour enseigner, pour s’instruire, pour dénoncer l’injustice. Wikipédia rapporte :

    « Elle crée le journal Petites Affiches de la Nouvelle-Calédonie. Elle apprend une langue canaque et traduit dans une langue poétique plusieurs des mythes fondateurs des Kanaks, dont un mythe portant sur le déluge.
    Elle édite en 1885 Légendes et chansons de gestes canaques. S’intéressant aux langues kanakes et, dans sa recherche de ce que pourrait être une langue universelle, à la langue pidgin qu’est le bichelamar, elle cherche à instruire les autochtones kanaks et, contrairement à certains communards qui s’associent à leur répression, elle prend leur défense lors de leur révolte de 1878. Elle obtient l’année suivante l’autorisation de s’installer à Nouméa et de reprendre son métier d’enseignante, d’abord auprès des enfants de déportés (notamment des Algériens de Nouvelle-Calédonie), de gardiens, puis dans les écoles de filles. Elle instruit les Canaques adultes le dimanche, inventant toute une pédagogie adaptée à leurs concepts et leur expérience. »

    Elle reviendra en France et poursuivra sa quête de de justice et d’égalité.

    Pendant les dix dernières années de sa vie, Louise Michel, devenue une grande figure révolutionnaire et anarchiste, multiplie les conférences à Paris et en province, accompagnées d’actions militantes et ce malgré sa fatigue ; en alternance, elle effectue des séjours à Londres en compagnie d’amis. Très surveillée par la police, elle est plusieurs fois arrêtée et emprisonnée. Condamnée à six ans d’incarcération, elle est libérée au bout de trois sur intervention de Clemenceau, pour revoir sa mère sur le point de mourir.

    Elle meurt, le 9 janvier 1905 à Marseille.

    Elle a beaucoup écrit, notamment ses mémoires

    Beaucoup de ses phrases sont passées dans la postérité et sont régulièrement republiées par des hommes épris d’égalité. Je retiens <celle-ci> :

    « S’il y a des miséreux dans la société, des gens sans asile, sans vêtements et sans pain, c’est que la société dans laquelle nous vivons est mal organisée. On ne peut pas admettre qu’il y ait encore des gens qui crèvent la faim quand d’autres ont des millions à dépenser en turpitudes. C’est cette pensée qui me révolte ! »

    Elle était aussi totalement féministe. Le « Un » cite des extraits de ses mémoires :

    « Si l’égalité entre les deux sexes était reconnue, ce serait une fameuse brèche dans la bêtise humaine. En attendant, la femme est toujours, comme le disait le vieux Molière, le potage de l’homme. »

    « Les filles, élevées dans la niaiserie, sont désarmées tout exprès pour être mieux trompées »

    « Partout, l’homme souffre dans cette société maudite ; mais nulle douleur n’est comparable à celle de la femme. »

    « Dans la rue, elle est marchandise. Dans les couvents, les règlements broient son cerveau et son cœur. Dans le monde, elle ploie sous le dégoût. Dans son ménage, son fardeau l’écrase »

    « Nous sommes une moitié de l’humanité, nous combattons avec tous les opprimés et nous garderons notre part de l’égalité qui est la seule justice. »

    Laurent Joffrin, dans un article publié le 9 août 2019 : <Louise Michel, comme une rouge> cite un épisode de la fin de sa vie :

    « On l’emprisonne puis on la libère. Un exalté, Lucas, lui tire deux balles dans la tête dont l’une restera fichée dans son crâne. Elle demande son acquittement et l’obtient. »

    Il finit son article par cet adage simple écrit par elle pour ceux qui croient encore à l’avenir :

    « Chacun cherche sa route, nous cherchons la nôtre et nous pensons que le jour où le règne de la liberté sera arrivé, le genre humain sera heureux. »

    <1546>

  • Mercredi 31 mars 2021

    « Pause (Les écrivains contre la commune)»
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Il me faut parfois reconnaitre que l’énergie me manque pour écrire ce que j’appelle un mot du jour.
    C’est le cas aujourd’hui.

    Je vous indique cependant quelques sites qui nous renseignent sur les paroles étranges, de rejet, de haine que beaucoup d’écrivains français ont eu à l’égard de la commune.

    Hier, je citais Alexandre Dumas fils sur Gustave Courbet, il ne fut pas le seul.

    Un livre a été écrit par Paul Lidsky : « Les écrivains contre la Commune »

    Marianne a publié un article : « Flaubert, Zola, Sand…. Quand les écrivains firent bloc contre la Commune de Paris »

    France Culture consacre une page à ce sujet « Les écrivains face à la Commune »

    Et sur ce <site> vous avez un florilège de ce que ces grands auteurs ont écrit.

    Quelques exemples :

    Heinrich Heine :

    « De leurs mains calleuses, ils briseront sans merci toutes les statues de marbre de la beauté si chères à mon cœur, ils détruiront mes bois de laurier pour y planter des pommes de terre. […] Hélas ! je prévois tout cela, et je suis saisi d’une indicible tristesse en pensant à la ruine dont le prolétariat vainqueur menace mes vers qui périront avec tout l’ancien monde romantique. »

    Edmond de Goncourt :

    « C’est bon. Il n’y a eu ni conciliation ni transaction. La solution a été brutale. Ç’a été de la force pure. La solution a retiré les âmes des lâches compromis. La solution a redonné confiance à l’armée, qui a appris, dans le sang des communeux, qu’elle était encore capable de se battre. Enfin, la saignée a été une saignée à blanc ; et les saignées comme celle-ci, en tuant la partie bataillante d’une population, ajournent d’une conscription la nouvelle révolution. C’est vingt ans de repos que l’ancienne société a devant elle, si le pouvoir ose tout ce qu’il peut oser en ce moment. » (Journal, mercredi 31 mai 1871)

    Anatole France :

    « Enfin le gouvernement du crime et de la démence pourrit à l’heure qu’il est dans les champs d’exécution. »

    Gustave Flaubert :

    « Je trouve qu’on aurait dû condamner aux galères toute la Commune et forcer ces sanglants imbéciles à déblayer les ruines de Paris, la chaîne au cou, en simples forçats. Mais cela aurait blessé l’humanité. On est tendre pour les chiens enragés, et point pour ceux qu’ils ont mordus. » (dans une lettre à George Sand, le 18 octobre 1871)

    Vous verrez que même Zola a eu des propos contre la commune

    <mot sans numéro>

  • Mardi 30 mars 2021

    « Gustave Courbet, la Commune et la destruction de la colonne Vendôme.  »
    Une histoire du temps de la commune

    Le peintre Gustave Courbet est né en 1819. Il fut désigné comme le chef de file du courant réaliste.

    Au temps des réseaux sociaux on a beaucoup parlé de lui en raison de la censure par Facebook de son tableau « L’origine du Monde » qui avait été publié par un Internaute. Le litige fut surmonté. Après une action en justice, un accord amiable a pu être trouvé entre Facebook et l’internaute : Frédéric Durand. C’est quand même une affaire qui a duré 8 ans.

    Depuis on peut publier l’Origine du Monde sur Facebook. Il s’agit d’un tableau de 46,3 cm sur 55,4 cm exposé au Musée d’Orsay à qui il faut désormais ajouter le nom de Giscard d’Estaing.

    France culture nous apprend que ce tableau peint en 1866 a toujours causé scandale. Récemment, le nom du modèle qui a servi pour peindre cette partie de l’anatomie féminine  a été révélé : il s’agit d’une jeune danseuse de l’opéra de Paris : Constance Quéniaux.

    Mais ce mot du jour n’a pas pour objet de parler des qualités artistiques du peintre mais de son rôle dans la Commune de Paris et notamment l’accusation d’être responsable de la destruction de la colonne Vendôme avec la statue de Napoléon Ier qui la surplombait.

    La colonne Vendôme avait été érigée en 1810 en hommage à la « Grande Armée » et à son chef Napoléon Bonaparte.

    Gustave Courbet par son parcours était destiné à soutenir La Commune.

    Courbet avait, par exemple, été l’ami de Pierre-Joseph Proudhon, le chantre du socialisme libertaire cher à Michel Onfray. En 1865, il a consacré une peinture à son ami « Proudhon et ses enfants » .

    Ses idées républicaines et son gout de la liberté lui ont fait refuser la Légion d’honneur qui lui avait été proposée par Napoléon III.

    <Wikipedia> nous apprend qu’il a adressé, le 23 juin 1870, une lettre au ministre des lettres, sciences et beaux-arts :

    « J’ai cinquante ans et j’ai toujours vécu libre. Laissez-moi terminer mon existence libre : quand je serai mort, il faudra qu’on dise de moi : Celui-là n’a jamais appartenu à aucune école, à aucune église, à aucune institution, à aucune académie, surtout à aucun régime, si ce n’est le régime de la liberté »

    Après la proclamation de la République le 4 septembre 1870, Gustave Courbet est nommé, le 6, par une délégation représentant les artistes de Paris, « président de la surveillance générale des musées français » : Courbet dirige alors un comité chargé de la sauvegarde des œuvres d’art conservées à Paris et dans les environs.

    Cette mesure conservatoire est normale en temps de guerre, et alors que les troupes prussiennes approchent de la capitale.

    Je cite encore Wikipedia :

    «  Le 14, il s’occupe de protéger le musée de Versailles, puis les jours suivants le musée du Luxembourg, les salles du musée du Louvre, le Garde-Meuble. Le 16, débute le siège de Paris. […]

    Après les élections complémentaires du 16 avril 1871, il est élu au conseil de la Commune par le 6e arrondissement et délégué aux Beaux-Arts. Le 17 avril 1871, il est élu président de la Fédération des artistes. Il fait alors blinder toutes les fenêtres du palais du Louvre pour en protéger les œuvres d’art, mais aussi l’Arc de Triomphe et la fontaine des Innocents. Il prend des mesures semblables à la manufacture des Gobelins, et fait même protéger la collection d’œuvres d’art d’Adolphe Thiers, dont notamment ses porcelaines de Chine. Il siège à la commission de l’Instruction publique […] avec Jules Vallès »

    On constate donc que Gustave Courbet était plutôt enclin à protéger le patrimoine.

    La responsabilité qu’on lui fera jouer dans la destruction de la colonne Vendôme est ambigüe et même erronée.

    Il est vrai qu’il fait une proposition le 14 septembre 1870. Il rédige, ce jour, une note à l’attention du gouvernement de Défense nationale proposant de « déboulonner la colonne Vendôme » et suggère d’en récupérer une partie du métal pour la Monnaie.

    Mais en revanche, il s’insurge en octobre contre le gouvernement qui souhaite abattre la colonne Vendôme, au profit d’une nouvelle statue en bronze à la gloire de Strasbourg, ville annexée : Courbet réaffirme que cette colonne doit être déplacée de la rue de la Paix vers les Invalides et qu’on doit en conserver les bas-reliefs par respect pour les soldats de la Grande Armée.

    Et lorsqu’après un appel de Vallès publié le 4 avril dans Le Cri du peuple dans lequel il vilipende le monument, la Commune décide, le 12, sur une proposition de Félix Pyat, d’abattre et non de déboulonner la colonne Vendôme, Courbet ne vote pas cette démolition.

    La démolition est prévue pour le 5 mai 1871, jour anniversaire de la mort de Napoléon, mais la situation militaire empêche de tenir ce délai. Finalement, la cérémonie a lieu le 16 mai 1871.

    Dans La revue « L’Histoire », c’est l’historien Emmanuel Fureix qui raconte la destruction de la colonne vendôme:

    « Abattre la colonne Vendôme revient à affirmer aux yeux de l’Europe entière la « république universelle » et la fraternité des peuples souverains. La place Vendôme est rebaptisée place de l’Internationale. L’iconoclasme devient alors le signal d’un nouvel ordre international à bâtir. […] L’abattage de la colonne vient aussi venger la mémoire des morts, celle de tous les soldats citoyens tombés au nom d’une cause jugée vaine.

    Félix Pyat écrit : « La colonne représente la mort de 4 millions d’hommes sacrifiés au dieu de la guerre et à la gloire de trois invasions », et, le 16 mai, un citoyen présent place Vendôme lui fait écho : « On dit cette colonne de bronze, allons donc ! Elle est faite d’ossements humains. Aussi allons-nous assister à une chute d’os. »  »

    Cette destruction devient une véritable cérémonie, une fête à laquelle les communards viennent en foule :

    «  La colonne Vendôme n’est pas détruite à la sauvette, dans l’obscurité de la nuit : le déboulonnage est un spectacle, une fête de souveraineté offerte à la face du monde. Le chantier de démolition, complexe, est confié à un ingénieur, Paul Iribe, et, le 16 mai, environ 20 000 Parisiens se pressent pour assister au déboulonnage du « jean-foutre Bonaparte ». La Marseillaise et Le Chant du départ sont entonnés. Un cabestan cède, il faut s’y reprendre à deux fois mais, en fin d’après-midi, la colonne s’effondre en un « zigzag monstrueux », soulevant un « nuage de poussière » raconte Maxime Vuillaume. L’effigie de Napoléon chute sur un lit de fumier et de fagots, la tête détachée du tronc. Certains lui jettent des coups de pied et des crachats. « De près, que sa figure est vilaine et laide », écrit Élie Reclus. Mais « un gouvernement qui a le toupet de foutre en bas Napoléon, ça doit être un gouvernement fort ! » s’exclame un communard. Le piédestal est orné de quatre drapeaux rouges et des échelles permettent aux citoyens de se l’approprier. Dans tous ces gestes se lit le désir de se dire souverain. Se joue aussi une lente « reconquête de la ville par la ville », observée par l’historien Jacques Rougerie. »

    La Commune a longtemps été associée à des actes de vandalisme. Mais cet iconoclasme doit se comprendre davantage comme un instrument de guerre contre Versailles.

    « Hier, 26 floréal [16 mai 1871], l’arrêt de la justice du peuple a été exécuté. La colonne est tombée à cinq heures trois quarts. […] Il ne reste plus qu’un monceau de miettes : la colonne est broyée, le drapeau tricolore enseveli, le César, décapité, gît sur du fumier. »

    Le journal communard Le Réveil du peuple

     Un désaccord plus important entre Courbet et la commune va conduire à sa démission :

    « Courbet démissionne de ses fonctions le 24 mai 1871, protestant contre l’exécution par les Communards de son ami Gustave Chaudey qui, en tant que maire-adjoint, est accusé d’avoir fait tirer sur la foule le 22 janvier 1871 (fait qui n’a, en réalité, jamais été prouvé. » (Wikipedia)

    Après la Semaine sanglante, il est arrêté le 7 juin 1871 et emprisonné à la Conciergerie puis à Mazas.

    Dès le début de son incarcération, la presse lui reproche la destruction de la colonne ; Courbet rédige alors une série de lettres à différents élus dans lesquelles il « s’engage à la faire relever à ses frais, en vendant les 200 tableaux qui [lui] reste » : cette proposition, il va la regretter.

    Il sera condamné à six mois de prison fermes et à 500 francs puis il devra encore régler 6 850 francs de frais de procédure.

    Certains écrivains lui expriment des injures d’une grande violence. Ainsi, Alexandre Dumas fils écrira

    « De quel accouplement fabuleux d’une limace et d’un paon, de quelles antithèses génésiaques, de quel suintement sébacé peut avoir été générée cette chose qu’on appelle Gustave Courbet ? Sous quelle cloche, à l’aide de quel fumier, par suite de quelle mixture de vin, de bière, de mucus corrosif et d’œdème flatulent a pu pousser cette courge sonore et poilue, ce ventre esthétique, incarnation du Moi imbécile et impuissant ».

    En mai 1873, le nouveau président de la République, le maréchal de Mac Mahon, décide de faire reconstruire la colonne Vendôme aux frais de Courbet (soit 323 091,68 francs selon le devis établi). La loi sur le rétablissement de la colonne Vendôme aux frais de Courbet est votée le 30 mai 1873. Il est acculé à la ruine, ses biens mis sous séquestre, ses toiles confisquées.

    Il s’exilera en Suisse où il mourra 4 ans plus tard.

    Par solidarité avec ses compatriotes exilés de la Commune de Paris, Courbet refusa toujours de retourner en France avant une amnistie générale. Sa volonté fut respectée, et son corps fut inhumé à La Tour-de-Peilz le 3 janvier 1878, après sa mort survenue le 31 décembre 1877

    Sa dépouille a été transférée en juin 1919 à Ornans. Il était né 100 ans avant, le 10 juin 1819 dans cette ville du département du Doubs.

    <1545>

  • Lundi 29 mars 2021

    « Malgré toutes les hontes de la Commune, j’aime mieux être avec ces vaincus qu’avec [leurs] vainqueurs. »
    Louis Nathaniel Rossel

    La commune fut l’histoire de femmes et d’hommes qui se sont retrouvés d’abord parce qu’ils n’acceptaient pas la défaite contre les troupes de Bismarck, ensuite parce qu’au sein d’eux et venant d’univers ou d’écoles de pensées différentes, une haute conscience des inégalités au sein de la société était présente.

    Il me parait utile d’évoquer certaines de ces figures.

    Dans le numéro de « L’histoire » de janvier 2021, plusieurs fois cité, l’historien Michel Winock a évoqué l’un d’eux « Louis Rossel : Portrait d’un rebelle ».

    Son article commence ainsi :

    « De tous les communards le colonel Louis Rossel est le plus flamboyant, le plus inattendu, le plus scandaleux aux yeux de ses pairs. Son adhésion à la révolution de 1871 a son origine directe dans la reddition, le 27 octobre 1870, du maréchal Bazaine à Metz, livrant aux Prussiens plus de 170 000 hommes et près de 1 600 canons. »

    Michel Winock rapporte que trois jours plus tard il publie un article dans L’Indépendance belge :

    « Metz est rendu : la plus honteuse capitulation que l’histoire militaire ait jamais enregistrée a mis aux mains des Allemands une forteresse intacte, gardée par une armée intacte, et dans cet éclatant désastre de l’honneur militaire français, aucune apparence même n’a été sauvée. »

    Michel Winock nous révèle, à travers le jugement de Louis Rossel, une autre analyse de la défaite militaire française :

    « Le capitaine Rossel avait tenté de tout mettre en œuvre pour éviter la capitulation. Mais il n’avait pas été en mesure de renverser l’avis majoritaire des généraux en place, réfractaires à la république et inspirés par la réaction politique plus que par la défense de la patrie. »

    Dans cette vision, les officiers préféraient la défaite à se battre pour une France dirigée par la République. Dans un premier temps, ces officiers ont vu leur désir se réaliser : la défaite militaire a amené une majorité monarchiste à l’Assemblée. Ce sont les contradictions internes des monarchistes qui leur ont interdit une nouvelle restauration et ont finalement permis la naissance de la 3ème République.

    Rossel est décidé à se battre jusqu’au bout contre l’envahisseur et propose ses services à Gambetta, qui dirige depuis octobre la délégation du gouvernement à Tours où il a reconstitué trois armées. Gambetta est un des membres du gouvernement qui souhaitait continuer la guerre. Il a de l’admiration pour l’homme politique et le tribun mais se désole de son incompétence en stratégie militaire. Il dit de lui :

    « C’est un drapeau plutôt qu’un chef »

    Alors, quand il apprend le 19 mars 1871, l’insurrection parisienne de la veille, Rossel décide de rejoindre ceux qui veulent continuer à se battre et d’abandonner ceux qui acceptent ou pire préfèrent la défaite.

    Il envoie le 19 mars 1871 sa lettre de démission au ministre de la Guerre :

    « J’ai l’honneur de vous informer que je me rends à Paris pour me mettre à la disposition des forces gouvernementales qui peuvent y être constituées. Instruit par une dépêche de Versailles rendue publique aujourd’hui qu’il y a deux partis en lutte dans le pays, je me range sans hésitation du côté de celui qui n’a pas signé la paix et qui ne compte pas dans ses rangs de généraux coupables de capitulation. »

    Un ordre d’arrestation est immédiatement lancé contre lui, il est menacé du Conseil de guerre.

    Rossel rejoint Paris le 20 mars.

    Le général de De Gaulle avait une profonde admiration pour ce colonel.

    Natacha Polony dans une courte vidéo d’hommage <De la Commune gardons le souvenir de Louis Rossel> commence son intervention par une anecdote : Michel Debré accompagnait le général de Gaulle dans une visite du fort d’Issy

    Il faut savoir que la bataille du fort d’Issy est une de celle qui a été déterminante pour la victoire des Versaillais. Elle se déroule du 25 avril au 8 mai 1871 et se termine par la victoire des Versaillais qui se rendent maîtres du fort.

    Et donc lors de la visite du fort d’Issy, Debré demanda à De Gaulle « Finalement que reste -il de la Commune ? » et le général lui répondit « Il reste le colonel Louis Rossel »

    De Gaulle admirait bien sur le refus de la défaite et la volonté de trouver toutes les solutions pour continuer la lutte.

    Contrairement à beaucoup de communards, Louis Nathaniel Rossel n’était pas anti-religieux : il est chrétien, protestant. Bien que né à Saint Brieuc où son père militaire aussi avait été affecté, il est issu d’une famille bourgeoise protestante nîmoise, et descendant de camisards cévenols.

    Il n’a donc pas comme point commun l’anticléricalisme des autres communards. Mais il partage avec eux une autre aspiration que le refus de la défaite : il possède une fibre sociale très développée. Natacha Polony insiste sur ce point. En 1867, il se lie d’amitié avec Jean Macé, qui crée la Ligue de l’enseignement. Rossel commence l’enseignement de cours de grammaire aux classes défavorisées et s’engage pour l’école laïque. C’est ici qu’il a ses premiers véritables contacts avec des ouvriers. Il découvre la société de classes :

    « Pourquoi, lorsque l’égalité est inscrite partout dans nos droits, lorsque l’égalité est un de nos premiers besoins, sommes-nous forcés de reconnaître qu’il y a dans l’État deux classes comme au temps du privilège, deux classes profondément distinctes et d’un autre côté profondément mêlées ? »

    L’instruction lui paraît le premier remède.

    Il est très brillant : admis à dix-huit ans à l’École polytechnique avec le n° 79 et en sortit 12e sur une promotion de 131.

    Arrivé à Paris, on lui donne immédiatement un rôle de première importance dans l’organisation de l’armée de la commune.

    Michel Winock écrit :

    « Pendant la dizaine de jours où il dirige les forces armées de la Commune, Rossel fait preuve de remarquables qualités d’organisateur, de stratège, mais, simultanément, il ne comprend pas la nature de cette révolution parisienne. Il reste un soldat ; les fédérés, eux, sont des révolutionnaires, réfractaires au commandement central. Il y a un style Rossel – mélange de raideur et d’humour, de rigueur et d’insolence – qui, d’emblée, ne plaît pas à tout le monde. »

    Mais il est exaspéré par le manque de discipline de ses soldats et le manque de rigueur du comité central de la garde nationale qui dirige Paris.

    Après la prise du fort d’Issy par l’armée de Versailles le 8 mai, Rossel fait placarder le 9 sur les murs de Paris, et sans avertir la Commune, une affiche déclarant la perte du fort.

    « Le drapeau tricolore flotte sur le fort d’Issy, abandonné hier par sa garnison. »

    Puis il écrit une lettre de démission adressée à la Commune :

    « Citoyens membres de la Commune, chargé par vous à titre provisoire de la délégation à la Guerre, je me sens incapable de porter plus longtemps la responsabilité d’un commandement où tout le monde délibère et où personne n’obéit. […] Sachant que la force d’un révolutionnaire ne consiste que dans la netteté de la situation, j’ai deux lignes à choisir : briser l’obstacle qui entrave mon action, ou me retirer. Je ne briserai pas l’obstacle ; car l’obstacle, c’est vous et votre faiblesse ; je ne veux pas attenter à la souveraineté publique. Je me retire, et j’ai l’honneur de vous demander une cellule à Mazas. »

    Il va être arrêté par d’autre communards qui veulent le traduire en cour martiale. Mais il parvient à s’enfuir et à se cacher quelques temps.

    Michel Winock raconte la suite :

    « Il est arrêté sur une dénonciation, après la Semaine sanglante, le 7 juin 1871, et envoyé à Versailles où il est jugé par un conseil de guerre, pour avoir déserté et « porté les armes contre la France ». En dépit du soutien actif de ses parents, de ses avocats, d’une petite partie de la presse, d’une pétition de polytechniciens, Rossel est condamné à mort ; le 25 novembre, […] il est exécuté le 28 novembre malgré une campagne en sa faveur lancée notamment par Victor Hugo. […] Tout au long de sa détention, Louis Rossel n’a cessé d’écrire, laissant notamment un mémoire sur son rôle pendant la Commune. Il y expose ses idées politiques. A aucun moment il ne regrette son engagement. Il dit son estime pour un certain nombre de ses dirigeants, Jourde, Paschal Grousset, Delescluze, Varlin. Il rend hommage aux combattants de la Semaine sanglante, plus à l’aise derrière les barricades que dans les rangs d’une armée disciplinée. « Malgré toutes les hontes de la Commune, j’aime mieux être avec ces vaincus qu’avec [leurs] vainqueurs. » Républicain, il n’est pas socialiste, mais il a rencontré l’injustice sociale. Il a constaté l’état misérable de la population ouvrière : « Parmi les bataillons que j’avais l’honneur de commander, certains étaient affligeants à voir. […] En passant devant ces malheureux, je me disais : ces gens ont raison de se battre. Ils se battent pour que leurs enfants soient moins chétifs, moins scrofuleux, moins vicieux qu’ils ne sont eux-mêmes. »

    Vous trouverez une biographie sur le site <Maitron> et aussi sur ce blog consacré aux protestants bretons.

    Deux films furent consacrés à Rossel :

    Enfin une chanson lui a été consacrée <La complainte de Rossel>

    Louis Nathaniel Rossel est mort sous les balles des versaillais à 27 ans

    <1544>

  • Vendredi 26 mars 2021

    « On a d’un côté la légende noire des Versaillais pour qui les communards étaient des fous furieux et, de l’autre, la légende rouge pour la gauche qui en fait une récupération politique »
    Michel Cordillot

    Certains prétendent que le clivage droite, gauche est obsolète. On peut se demander par quel clivage, il est remplacé :

    • Ecologiste et climatosceptique ?
    • Identitaire et universaliste ?
    • Islamophobe et islamo gauchiste ?

    Pourtant la mémoire de la Commune ravive totalement le clivage droite-gauche. La droite de l’ordre et la gauche de la justice sociale s’affrontent, chacun considérant que l’autre est le criminel. Il y eut des crimes des deux côtés, mais les versaillais ont tué davantage que les communards.

    Les versaillais et les otages exécutés par les communards représentent moins de 1000 morts. Il semble qu’un consensus large accepte cette évaluation.

    Mais pour les fédérés, on ne le sait pas.

    Dans une chanson que je n’ai pas cité mercredi « Elle n’est pas morte», Eugène Pottier écrit :

    « Les Versaillais ont massacré pour le moins cent mille hommes. »

    C’est une belle chanson, mais sur ce point elle exagère beaucoup, il n’y a pas eu 100 000 morts.

    Les estimations ont fluctué. <Wikipedia> raconte cette évolution :

    « En 1876, le journaliste et polémiste socialiste Prosper-Olivier Lissagaray, ancien communard, estime de 17 000 à 20 000 le nombre des fusillés. En 1880, le journaliste et homme politique Camille Pelletan, membre du Parti radical-socialiste situe le nombre des victimes à 30 000. En 2014, l’historien britannique Robert Tombs revoit le bilan à la baisse et évalue entre 5 700 et 7 400 le nombre des morts, dont environ 1 400 fusillés. »

    La mathématicienne et écrivaine Michèle Audin a publié cinq livres sur la Commune. Michèle Audin est la fille du mathématicien Maurice Audin mort sous la torture par l’armée française lors de la guerre d’Algérie et de la professeure de mathématiques Josette Audin.

    Elle vient de publier « la semaine sanglante ». Elle s’est lancée dans une nouvelle évaluation. Elle explique sa méthode dans cet article du Monde du 18 mars 2021 : « On a trouvé des ossements de communards dans le sous-sol de Paris jusque dans les années 1920 »

    Son estimation s’élève à plus de 15 000 morts.

    Les communards ont aussi détruit des monuments de Paris, le plus grand nombre lors de la semaine sanglante. Ils ont démoli l’hôtel particulier de Thiers, le chef de leurs ennemis. Cet hôtel situé place Saint-Georges, fut détruit le 11 mai 1871, en représailles au bombardement de Paris par l’armée versaillaise

    Ils ont aussi abattu, le 16 mai, la colonne de la place Vendôme qui était surmontée par la statue de Napoléon.

    Et le palais des Tuileries, palais des rois et de l’empereur fut incendié lors de la semaine sanglante.

    Et il y eut d’autres bâtiments incendiés comme l’Hôtel de Ville, le Palais de justice, dont cependant la Sainte-Chapelle et la Cour de cassation échappent aux flammes, le palais d’Orsay où siègent le Conseil d’État et la Cour des comptes, le palais de la Légion d’honneur, le Palais-Royal et d’autres encore.

    Après ces rappels, revenons au clivage droite, gauche d’aujourd’hui !

    <Le Figaro> essaie de rapporter, en toute neutralité, le débat qu’il y a eu au conseil de la commune de Paris en février :

    « Elle a beau avoir 150 ans, la Commune de Paris suscite toujours les passions, et sa mémoire reste conflictuelle. En février, au Conseil de Paris, la mise au vote d’une subvention à l’association les Amis de la Commune, destinée aux événements imaginés par la mairie autour de cet anniversaire, a provoqué une passe d’arme entre la majorité et l’opposition. Tandis que Laurence Patrice, adjointe PC chargée de la mémoire, proposait de célébrer « la révolution la plus moderne » qui soit, elle s’est attirée les foudres de Rudolph Granier, élu LR dans le 18e arrondissement – lequel a estimé qu’on ne devait pas «danser au son des meurtres et des incendies».  »

    Mais j’aime particulièrement la description que fait <cet article du monde> :

    « Ce mercredi 3 février, le couvre-feu est déjà passé, le Conseil de Paris commencé la veille s’étire depuis des heures, et les élus n’ont qu’une envie : voter rapidement les dernières délibérations, puis rentrer. L’ordre du jour, quelques subventions et hommages, semble consensuel. Mais soudain, Rudolph Granier prend le micro et réveille l’hémicycle. Parmi les vingt-sept associations à subventionner, il en est une à laquelle son parti, Les Républicains (LR), ne veut pas accorder un centime : les Amies et amis de la Commune de Paris 1871. Cette association coprésidée par un ancien dirigeant communiste « glorifie les événements les plus violents de la Commune », peste-t-il.

    M. Granier évoque « les incendies de la Commune qui ont ravagé des pans entiers de la capitale », et accuse la maire socialiste, Anne Hidalgo, d’« ânonner » à ce sujet « une série de contre-vérités historiques » dans le seul but de ressouder les socialistes, les communistes et les écologistes, en vue de son « projet présidentiel ». Celui-ci « rassemblera certainement moins de personnes que les dix millions de Français qui ont participé à la souscription nationale pour l’édification du Sacré-Cœur », ajoute l’élu LR.

    Patrick Bloche, l’adjoint socialiste d’Anne Hidalgo, qui préside la séance, ponctue cette diatribe d’une phrase : « Ce qui me rassure, c’est que je crois au clivage entre la gauche et la droite, et vous l’avez illustré parfaitement, cent cinquante ans après la Commune. » Entre les deux camps, la joute verbale se poursuit près d’une heure. »

    Un autre élu de droite, Antoine Beauquier, élu du 16e arrondissement ne veut pas qu’on transforme en héros :

    « ceux qui prirent en otage et assassinèrent les dominicains d’Arcueil venus ramasser les blessés sous l’emblème de la Croix-Rouge »

    Et il pose cette question à la municipalité de gauche :

    « Pourrez-vous encore dénoncer les casseurs après avoir honoré en grande pompe ceux qui ont choisi de brûler les Tuileries, le Palais-Royal, le palais d’Orsay, les synagogues et notre hôtel de ville ? »

    David Alphand (LR) lui dénonce une autre action de la commune qui le hérisse : « La confiscation des moyens de production. »

    Bref, un vrai combat gauche-droite, comme au bon vieux temps.

    <La Croix> qui relate aussi cette passe d’armes rapporte les paroles Laurence Patrice, adjointe chargée de la mémoire :

    « Ce n’est pas une glorification mais un hommage à des femmes et des hommes qui portaient des valeurs dont les forces de gauche sont les héritières »

    La commune de Paris célèbre, en effet < les figures de la Commune>

    Et la Croix cite l’historienne Laure Godineau, qui publie « La Commune de 1871 expliquée en images » (Seuil) qui explique :

    « Si l’événement reste mal connu, c’est en partie parce que la construction républicaine après 1871 en a voulu l’oubli : oubli de la guerre civile dans le cadre d’une réconciliation nationale ; oubli de l’insurrection alors que s’affirmait une République éloignée des idéaux des communards […] La Commune n’a pas été intégrée à notre histoire nationale et à notre mémoire collective, ce qui a laissé une grande place à des mémoires conflictuelles […] D’un côté, le souvenir d’un mouvement émancipateur, politiquement et socialement, et des milliers de morts de la répression ; de l’autre, des incendies et des otages. »

    Et il est vrai que dans mes livres d’Histoire je n’ai pas beaucoup de souvenirs d’une histoire de la Commune.

    Il faut rappeler, peut-être, qu’à côté d’Adolphe Thiers, il y avait dans le gouvernement des figures qui sont restés célèbres pour d’autres faits historiques. L’un des plus virulents soutien de Thiers était Jules Ferry. Il y avait aussi Jules Grévy qui évoque « un gouvernement factieux », Jules Favre « une poignée de scélérats » et Léon Gambetta qui approuva Thiers.

    Le journal <La nouvelle République> qui relate aussi cet épisode évoque une autre pierre d’achoppement : la décision, en octobre, de classer comme monument historique la basilique du Sacré-Cœur, construite pour « expier les péchés » des communards qui avait provoqué l’ire de l’association des Amis de la Commune.

    Et il cite l’historien Michel Cordillot autre spécialiste de la commune, coordinateur d’un ouvrage synthétique sur la Commune paru en janvier :

    « La Commune est mal connue car elle est d’emblée prisonnière d’enjeux de mémoire. On a d’un côté la légende noire des Versaillais pour qui les communards étaient des fous furieux et, de l’autre, la légende rouge pour la gauche qui en fait une récupération politique […] en 1971, [lors de son centenaire] les affrontements étaient déjà terribles, y compris entre historiens […] Que faut-il alors retenir de cet événement ? L’expérience d’une république sociale, favorable à la démocratie directe, a permis notamment, et pour un bref moment, l’accès au pouvoir des milieux populaires – actuellement sous-représentés parmi les députés de l’Assemblée nationale – le droit de vote pour les femmes ou la laïcité dans l’enseignement, plus de trente ans avant la loi de 1905 concernant la séparation de l’Église et de l’État. Ce sont des mesures extrêmement modernes, qui font consensus aujourd’hui […] la Commune a posé le principe de l’accès au pouvoir des classes subalternes. Avant, ça relevait de l’utopie. Après, ça devient une réalité. Et ça marche ! »

    Et <L’Humanité> d’ajouter :

    « En 1871, pendant soixante-douze jours, Paris redevient la capitale mondiale du progrès et la citoyenneté. Mais de cela la droite ne veut parler. »

    Le site des amies et amis de la Commune : https://www.commune1871.org/ association qui a servi de déclencheur à la bonne vieille dispute entre droite et gauche…

    <1543>

  • Jeudi 25 mars 2021

    « La grande mesure de la Commune, ce fut sa propre existence »
    Karl Marx

    Pierre Nora prétend que La Commune « n’a pas apporté grand-chose ». J’ai rapporté ces propos lundi.

    Dans le numéro de la Revue « L’Histoire » de janvier 2021 que j’ai cité mardi, l’Historien Quentin Deluermoz dans son article « L’impossible République : Gouverner au ras du sol » ne dit pas autre chose :

    « L’avis est largement partagé : le bilan concret de la Commune de Paris est mince. Le décret du 20 avril 1871 interdisant le travail de nuit des boulangers est au fond « la seule mesure véritablement socialiste de la Commune », regrettait déjà l’internationaliste Léo Frankel début mai. Les commentateurs et les historiens, qu’ils soient pour ou contre la Commune, ont ensuite évoqué un « brouillon » pour les idéologies à l’œuvre, voire une « ébauche maladroite », un système « balbutié ». »

    Marx s’est beaucoup intéressé à cette révolution. Il a écrit « La guerre civile en France » terminé fin mai 1871, alors que la commune venait à peine d’être écrasée. Ce livre a été mis en ligne par nos amis canadiens au <format pdf>

    Quentin Deluermoz rapporte les propos que Marx a tenu:

    « La grande mesure de la Commune, ce fut sa propre existence ».

    L’étonnant c’est en effet que cela a pu exister.

    Même si en fin de compte cela a raté.

    L’article de la Revue « L’Histoire » donne la liste des réformes que la Commune a entreprises :

    • Adoption du drapeau rouge, celui des « travailleurs », à la place du drapeau tricolore jugé trop « bourgeois ».
    • Remise générale des loyers des termes d’octobre 1870, janvier et avril 1871.
    • Suppression de la vente des objets déposés au Mont-de-Piété.
    • Abolition de la conscription.
    • École gratuite et obligatoire pour les filles et les garçons.
    • Séparation des Églises et de l’État, suppression du budget des cultes.
    • Interdiction du cumul, fixation du maximum des traitements à 6 000 francs par an.
    • Fixation des émoluments des membres de la Commune à 15 francs par jour.
    • Traitement des instituteurs et institutrices à 2 000 francs.
    • Suppression de la catégorie « illégitimes » pour les enfants nés hors mariage et reconnaissance des unions libres.
    • Suppression du travail de nuit dans les boulangeries.

    On peut quand même noter des réformes très modernes qui vont être reprises un peu plus tard par la IIIème République :

    • L’école gratuite
    • La Séparation de l’église et de l’état
    • L’abolition de la bâtardise, c’est-à-dire du statut infamant et inférieur des enfants nés hors mariage

    Ce n’est pas rien, d’avoir ainsi ouvert des voies vers une plus grande justice.

    La Commune a aussi donné une bien plus grande place aux femmes que celle que leur accordait la société qui l’a combattue.

    Quentin Deluermoz écrit : :

    « En soixante-douze jours, le gouvernement de la Commune a soulevé de grands espoirs, mais son bilan est nuancé. »

    Mais c’est très court 72 jours. Et puis cette période ne s’est pas passée dans la sérénité mais dans la violence et la guerre que les communards ont eut à affronter contre les versaillais.

    La commune avait aussi d’autres projets quelle n’a pas même pas pu mettre en œuvre :

    • Réorganisation de la justice : gratuite et rendue par des jurys élus.
    • Attribution des ateliers abandonnés par les patrons « déserteurs » aux associations ouvrières.
    • Élection des fonctionnaires.
    • Un crédit industriel et ouvrier.

    Quentin Deluermoz insiste sur deux points : l’enseignement et la libération de la parole.

    L’enseignement devait être laïque :

    « Ainsi de l’enseignement sous l’égide des municipalités : remplacement des congréganistes par des instituteurs laïques dans le IIIe arrondissement, multiplication des écoles de filles dans le XVIIe. Mieux : une autre conception pédagogique est alors défendue, celle de l’« éducation intégrale », à la fois professionnelle et intellectuelle. Les objectifs généraux de cette « éducation communale » sont fréquemment rappelés, comme sur cette affiche du IVe arrondissement : « Apprendre à l’enfant à aimer et à respecter ses semblables. Lui inspirer l’amour de la justice ; lui enseigner également qu’il doit s’instruire en vue de l’intérêt de tous. »

    La libération de la parole est aussi un grand moment de modernité qui s’accompagne d’un mouvement anti-clérical qui deviendra le combat des radicaux de la IIIème république :

    « La « République de Paris » est aussi un moment de libération de la parole. Critiques, attentes, projets, espoirs des Parisiens, notamment des plus fragiles, s’expriment d’une manière inédite. La multiplication des titres de presse, des placards, des affiches, en témoigne : « Nous voulons affranchir le prolétariat, que chacun vive de son travail ; plus de paresseux, plus de parasites, plus d’exploiteurs, plus d’exploités, vivre en travaillant ou mourir en combattant » (avis de la délégation communale du Ier arrondissement, 13 avril) ; « Montrons que nous sommes les dignes fils de 1789 » (appel d’un commandant de la Garde nationale, 20 mars).

    Les clubs sont un autre lieu essentiel de cette parole libérée. Les participants y discutent tour à tour de la guerre, de la haine des curés et des propriétaires, de la fin de la misère, de l’harmonie espérée ou du souvenir du coup d’État de 1851. Un certain nombre de clubs se sont installés dans les églises. Dans le cadre d’un mouvement très anticlérical, les bâtiments sont parfois mis à mal. La signification de ces appropriations doit être bien comprise : il s’agit-rien de moins que remplacer l’exercice d’une parole divine, venue d’en haut, par celui d’une parole démocratique et populaire. Ce faisant, les communards sécularisent l’espace urbain et constituent, à partir de l’ancien, des lieux « autres » dans la ville.»

    Il y a enfin une aspiration vers une démocratie plus directe et plus proche du terrain. Ainsi les bataillons de la Garde nationale élisent directement leur chef.

    La commune prône aussi le mandat impératif, qui oblige les élus à rendre des comptes et les rend révocables à tout instant.

    L’historien Jacques Rougerie qui a écrit de nombreux ouvrages sur la commune évoque la volonté « d’être son propre maître » et une « aspiration profonde du peuple de Paris, du moins d’une majorité […], à une démocratie vraie ».

    Et pour en revenir à Marx, dans son ouvrage cité, il pensait que la commune était la prémisse de la révolution communiste, une première tentative de prise de pouvoir par la classe ouvrière.

    La commune fut d’ailleurs la première à utiliser le drapeau rouge comme symbole.

    Mais la pensée de Marx sur la Commune allait évoluer et probablement un peu en raison de sa confrontation avec certains d’entre eux.

    D’abord plein de bonnes intentions à l’égard des vaincus, il se heurta bientôt à la part anarchiste d’un certain nombre de communards.

    Dans la revue « L’histoire » Michel Cordillot raconte :

    «  Au cours des mois qui suivent environ 2 000 communards rescapés arrivent à Londres, souvent dans le plus grand dénuement. Marx joue un rôle essentiel au sein du Comité d’aide aux réfugiés pour récolter des secours et leur trouver du travail. Mais, alors que les dissensions s’aggravent au sein de l’Internationale, il est pris à partie, parfois même accusé d’avoir détourné des fonds ou d’être un complice de Bismarck. Après la conférence de Londres (septembre 1871) et plus encore après le congrès de La Haye (septembre 1872) à l’issue duquel la rupture avec les anti-autoritaires est consommée, ses relations avec la plupart des anciens communards deviennent exécrables sur fond de désaccords politiques et stratégiques. Avec le transfert du Conseil général à New York, la longue agonie de l’Internationale commence, ce qui va permettre à Marx de prendre du recul pour mieux se consacrer à ses travaux théoriques. La lettre adressée par Engels à leur ami américain Friedrich Sorge à la mi-septembre 1874 reflète la lassitude que Marx et lui éprouvent : « L’émigration française est tout à fait divisée […]. Ces gens-là veulent tous vivre sans travailler vraiment, ont la tête pleine de prétendues inventions qui rapporteront des millions […]. La vie irrégulière qu’ils ont menée pendant la guerre, la Commune et l’exil a fait perdre tout sens moral à ces gens. »

    Dix ans après la Commune, Marx voit la Commune avec un autre regard :

    Dans une lettre citée par Cordillot et qu’il adresse à Ferdinand Domela Nieuwenhuis le 22 février 1881, il dresse d’abord ce constat :

    « Outre qu’elle fut simplement la rébellion d’une ville dans des circonstances exceptionnelles, la majorité de la Commune n’était nullement socialiste et ne pouvait pas l’être. »

    Et il ajoute :

    « Avec un tout petit peu de bon sens, elle eût pu cependant obtenir de Versailles un compromis favorable à toute la masse du peuple, ce qui était la seule chose possible alors. »

    Michel Cordillot suggère donc que Marx semble en être arrivé à la conclusion que la Commune n’avait pas été la révolution ouvrière ouvrant la voie à l’extinction du capitalisme telle qu’il l’avait imaginée.

    Cela ne rend que plus pertinent le jugement précédent qu’il avait porté : « La grande mesure de la Commune, ce fut sa propre existence »

    <1542>

  • Mercredi 24 mars 2021

    « Ils se levèrent pour la Commune, en écoutant chanter Pottier. Ils faisaient vivre la Commune en écoutant chanter Clément »
    Jean Ferrat

    La commune est restée dans l’imaginaire des français et même au-delà. Elle l’est restée parce que de nombreux livres lui ont été consacrés depuis 150 ans.

    Et aussi en raison d’un grand nombre de chants qui ont été composés pour la commune du temps de celle-ci ou qu’elle a inspirés depuis.

    Ces chansons ont fait l’Histoire. L’émotion, la destinée et la force de ces chansons me font toujours vibrer.

    Pour entrer dans ce monde, je vais commencer par la chanson que Jean Ferrat a composé pour les cent ans de la commune en 1971 : <La commune>

    Cette chanson qui magnifie les femmes et les hommes qui ont participé à cet épisode « Comme un espoir mis en chantier ».

    Dans cette chanson dont il a écrit la musique mais dont les paroles sont de Georges Coulonges, il y a ce refrain

    « Il y a cent ans commun commune
    Comme un espoir mis en chantier
    Ils se levèrent pour la Commune
    En écoutant chanter Pottier
    Il y a cent ans commun commune
    Comme une étoile au firmament
    Ils faisaient vivre la Commune
    En écoutant chanter Clément »

    L’intégralité du texte se trouve derrière <ce lien>

    Il est d’abord question d’«Eugène Pottier » l’auteur de « L’internationale » ce magnifique chant révolutionnaire qui a été chanté tant de fois par des millions d’êtres humains qui rêvaient et espéraient un monde meilleur et qui aussi a été souillé par des criminels qui ont trahi ces aspirations après la prise de pouvoir des bolcheviques et de leurs affidés :

    « Ouvriers, Paysans, nous sommes
    Le grand parti des travailleurs ;
    La terre n’appartient qu’aux hommes,
    L’oisif ira loger ailleurs.
    Combien de nos chairs se repaissent !
    Mais si les corbeaux, les vautours,
    Un de ces matins disparaissent,
    Le soleil brillera toujours !

    C’est la lutte finale
    Groupons-nous, et demain,
    L’Internationale,
    Sera le genre humain. »

    L’intégralité du texte se trouve derrière <ce lien> et vous trouverez ici une interprétation passionnée de <Marc Ogeret>

    « L’internationale » est une chanson de la Commune créée par Eugène Pottier qui était un communard, juste après la semaine sanglante. Lorsque la France déclare la guerre à la Prusse en juillet 1870, Pottier est signataire du manifeste de la section parisienne de l’Internationale dénonçant la guerre. Membre de la garde nationale, il participe aux combats durant le siège de Paris de 1870, puis il prend une part active à la Commune de Paris, dont il est élu membre pour le 2e arrondissement. Il siège à la commission des Services publics. Il participe aux combats de la Semaine sanglante. En juin 1871, caché dans Paris, il compose son poème L’Internationale et se réfugie en Angleterre. Condamné à mort par contumace le 17 mai 1873, il s’exile aux États-Unis, d’où il organise la solidarité pour les communards déportés.

    Eugène Pottier était né en 1816 à Paris. Il est d’abord dessinateur sur étoffes et compose sa première chanson, Vive la Liberté, en 1830. Il participe à la Révolution de 1848.

    Ruiné et à demi paralysé, il reviendra de son exil américain, après l’amnistie de 1880 et meurt le 6 novembre 1887 à Paris.

    Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise (95e division) à Paris.

    Mais il a écrit bien d’autres chansons. En 1870 : <Quand viendra t’elle ?> :

    « La guerre est cruelle,
    L’usurier pressant.
    L’un suce ma moelle,
    L’autre boit mon sang.
    Ah ! je l’attends, je l’attends!
    L’attendrai-je encor longtemps? »

    L’intégralité du texte se trouve derrière <ce lien>

    Et puis en 1880 avec une musique de Pierre Deteyger, une chanson toute entière dédiée à la Commune : <L’insurgé>

    « En combattant pour la Commune
    Il savait que la terre est Une,
    Qu’on ne doit pas la diviser,
    Que la nature est une source
    Et le capital une bourse
    Où tous ont le droit de puiser. »

    L’intégralité du texte se trouve derrière <ce lien>

    Et Ferrat cite en second « Jean Baptiste Clément » l’inoubliable auteur du « Temps des cerises » :

    « Mais il est bien court, le temps des cerises
    Où l’on s’en va deux, cueillir en rêvant
    Des pendants d’oreilles…
    Cerises d’amour aux roses pareilles,
    Tombant sous la feuille en gouttes de sang…
    Mais il est bien court, le temps des cerises,
    Pendants de corail qu’on cueille en rêvant ! »

    L’intégralité du texte se trouve derrière <ce lien>

    « Le Temps des cerises » est une chanson intimement liée à l’épisode de la Commune dans l’imaginaire de toutes celles et ceux qui restent émus à l’évocation de cette tragédie. Mais cette chanson précède la commune. Les paroles furent écrites en 1866 par Jean Baptiste Clément et la musique composée par Antoine Renard en 1868.

    Jean Baptiste Clément écrivit cette chanson en 1866, lors d’un voyage vers la Belgique. Sur la route des Flandres, il fit une halte à Conchy-Saint-Nicaise. Il fit escale dans la maison située près de l’estaminet du lieu-dit de la poste. La maison entourée de cerisiers anciens inspira l’auteur.

    Des années plus tard, en 1882, Jean Baptiste Clément ajouta un couplet à sa chanson. Il la dédie à une ambulancière rencontrée lors de la Semaine sanglante, alors qu’il combattait en compagnie d’une vingtaine d’hommes :

    « À la vaillante citoyenne Louise, l’ambulancière de la rue de la Fontaine-au-Roi, le dimanche 28 mai 1871. »

    À la fin des paroles, il explicite cette dédicace :

    « Puisque cette chanson a couru les rues, j’ai tenu à la dédier, à titre de souvenir et de sympathie, à une vaillante fille qui, elle aussi, a couru les rues à une époque où il fallait un grand dévouement et un fier courage ! Le fait suivant est de ceux qu’on n’oublie jamais : Le dimanche, 28 mai 1871 […]. Entre onze heures et midi, nous vîmes venir à nous une jeune fille de vingt à vingt-deux ans qui tenait un panier à la main. […] Malgré notre refus motivé de la garder avec nous, elle insista et ne voulut pas nous quitter. Du reste, cinq minutes plus tard, elle nous était utile. Deux de nos camarades tombaient, frappés, l’un, d’une balle dans l’épaule, l’autre au milieu du front… […] Nous sûmes seulement qu’elle s’appelait Louise et qu’elle était ouvrière. Naturellement, elle devait être avec les révoltés et les las-de-vivre. Qu’est-elle devenue ? A-t-elle été, avec tant d’autres, fusillée par les Versaillais ? N’était-ce pas à cette héroïne obscure que je devais dédier la chanson la plus populaire de toutes celles que contient ce volume ? »

    Jean Baptiste Clément est né en 1836, dans une famille aisée à Boulogne-Billancourt.

    Il quitte très jeune le foyer. Il exerce divers métiers manuels puis côtoie, à Paris, des journalistes, écrivant dans des journaux socialistes, notamment « Le Cri du peuple » de Jules Vallès, autre communard célèbre.

    Après un séjour en Belgique pour se faire oublier de la police impériale il revient à Paris et collabore à divers journaux d’opposition au Second Empire, tels que « La Réforme » de Charles Delescluze important responsable de la Commune mort sur une barricade le 25 mai 1871. Jean Baptiste Clément est condamné pour avoir publié un journal non cautionné par l’empereur. Il est emprisonné jusqu’au soulèvement républicain du 4 septembre 1870. Membre de la Garde nationale, il participe aux différentes journées de contestation du Gouvernement de la Défense nationale le 31 octobre 1870 et le 22 janvier 1871. Le 26 mars 1871, il est élu au Conseil de la Commune par le XVIIIe arrondissement. Il est membre de la commission des Services publics et des Subsistances. Le 16 avril, il est nommé délégué à la fabrication des munitions, puis, le 21, à la commission de l’Enseignement. Il combat sur les barricades pendant la Semaine sanglante.

    Et il écrit peu après une autre chanson très célèbre « La Semaine sanglante » :

    « On traque, on enchaîne, on fusille
    Tout ce qu’on ramasse au hasard :
    La mère à côté de sa fille,
    L’enfant dans les bras du vieillard.
    Les châtiments du drapeau rouge
    Sont remplacés par la terreur
    De tous les chenapans de bouge,
    Valets de rois et d’empereur.

    Oui mais…
    ça branle dans le manche,
    Ces mauvais jours-là finiront.
    Et gare à la revanche
    Quand tous les pauvres s’y mettront ! »

    L’intégralité du texte se trouve derrière <ce lien>

    Jean-Baptiste Clément réussit à fuir Paris, gagne la Belgique et se réfugie à Londres, où il poursuit son combat. Il est condamné à mort par contumace en 1874. Pendant cette période de mai 1875 à novembre 1876, il se réfugie clandestinement chez ses parents à Montfermeil. En attendant l’amnistie, prononcée en 1879, il se promène dans les bois et pêche dans les étangs de Montfermeil. Il rentre à Paris après l’amnistie générale de 1880.

    En 1885, il fonde le cercle d’études socialiste, l’Étincelle de Charleville et la Fédération socialiste des Ardennes qui participe en 1890 à la création du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire.

    Il décède à l’âge de 66 ans le 23 février 1903 et sera inhumé au cimetière du Père-Lachaise.

    Toute sa vie il est surveillé par la Sureté Nationale, son dossier aux archives de la Préfecture de Police fait environ 30 cm d’épaisseur. La surveillance de sa mémoire s’est continuée après sa mort, le dernier document du dossier est un programme de cabaret de 1963 organisant une soirée pour les soixante ans de sa mort.

    Clément a aussi écrit <LE CAPITAINE « AU-MUR »> :

    « — Qu’avez-vous fait ? — Voici deux listes
    Avec les noms de cent coquins :
    Femmes, enfants de communistes.
    Fusillez-moi tous ces gredins !…
    — Qu’avez-vous fait ? — Je suis la veuve
    D’un officier mort au Bourget…
    Eh ! tenez, en voici la preuve :
    Regardez, s’il vous plaît…
    — Oh ! moi je porte encore
    Mon brassard tricolore.
    Au mur !
    Disait le capitaine,
    La bouche pleine
    Et buvant dur,
    Au mur ! »

    L’intégralité du texte se trouve derrière <ce lien>

    Les photos de Clément et de Pottier sont l’œuvre de Félix Tournachon, dit « Nadar » qui lui aussi est enterré au cimetière du Père Lachaise,

    Il y a encore beaucoup d’autres chansons de la commune.

    Vous en trouverez sur cette magnifique page : Les plus belles chansons de la Commune de Paris> il y a d’autres chansons de Pottier, de Clément mais aussi d’Alexis Bouvier, Émile Dereux, Paul Brousse, Jules Jouy

    Sur ce même site j’ai trouvé cette page très détaillée et instructive sur les <Mémoires de la Commune de 1871 dans l’Est parisien>

    J’ai acheté ce disque de Marc Ogeret : « autour de la commune ».

    Splendides interprétations de ces chansons qui ne peuvent que vous faire vibrer.

    Beaucoup des chansons évoquées se trouvent sur ce disque mais qui commence par une perle que je ne connaissais pas : « Le Chant des ouvriers »

    Et je finirai ce mot du jour sur les chansons autour de la commune comme j’ai commencé avec une offrande de Jean Ferrat « Les cerisiers » dont vous trouverez les paroles derrière <ce lien>. Cette chanson se trouve dans l’avant dernier album de Ferrat « Je ne suis qu’un cri » publié en 1985.

    « J’ai souvent pensé c’est loin la vieillesse

    Mais tout doucement la vieillesse vient
    Petit à petit par délicatesse
    Pour ne pas froisser le vieux musicien
    Si je suis trompé par sa politesse
    Si je crois parfois qu’elle est encore loin
    Je voudrais surtout qu’avant m’apparaisse
    Ce dont je rêvais quand j’étais gamin

    Ah qu’il vienne au moins le temps des cerises
    Avant de claquer sur mon tambourin
    Avant que j’aie dû boucler mes valises
    Et qu’on m’ait poussé dans le dernier train »

    <1541>

  • Mardi 23 mars 2021

    «La Commune de 1871 plonge ses racines dans la guerre franco-prussienne.»
    Robert Baker

    La Commune fut une guerre civile entre français sous l’œil satisfait des prussiens.

    La France a connu de nombreuses guerres civiles, des guerres de religion, la guerre entre les nobles et les bourgeois de la révolution française et plus récemment la guerre civile entre résistants et collaborateurs.

    La Commune dans l’imaginaire de la Gauche, issue du récit marxiste de cette insurrection, considère que ce fut avant tout une guerre de classes. La commune étant la première tentative de révolution communiste.

    Mais les choses n’ont pas été aussi simple.

    C’est tout un processus, issu de la défaite de la guerre de 1870 qui va conduire à cette déchirure.

    Dans la revue « L’Histoire » de janvier 2021, entièrement consacrée à la Commune de Paris, l’historien Robert Baker essaie de répondre à la question « Pourquoi Paris se soulève le 18 mars 1871 ? »

    Il explique d’abord que

    « La Commune de 1871 plonge ses racines dans la guerre franco-prussienne. Le 4 septembre 1870, apprenant la défaite deux jours plus tôt de Napoléon III à Sedan, le peuple de Paris envahit le Palais-Bourbon, proclame la république et donne naissance à un gouvernement de la Défense nationale destiné à poursuivre la guerre. Mais les Prussiens sont bientôt aux portes de Paris, ville fortifiée, entourée de remparts depuis les années 1840. Le blocus de la capitale commence le 19 septembre 1870. Dès ce « siège de Paris » prend forme l’idée d’une « Commune ». En effet, tandis que le 7 octobre Gambetta, ministre de l’Intérieur, quitte Paris en ballon pour Tours afin d’y organiser la défense du territoire, le gouvernement provisoire, présidé par le gouverneur militaire de Paris, le général Trochu, et dirigé par les trois « Jules », Favre, Ferry et Simon, avec Ernest Picard, s’attire une critique de plus en plus violente de la part des porte-parole des milieux populaires, qui lui reprochent son inertie et sa modération. A côté de l’armée régulière et de la garde mobile, la principale force de Paris réside dans la Garde nationale, soit environ 200 000 hommes en armes, recrutés et organisés par quartier, élisant ses chefs. Depuis août 1870, ils appartiennent à toutes les classes sociales, et veulent en découdre. »

    Mais les autorités et notamment le général Trochu n’autorisent pas la « sortie en masse » et la « guerre à outrance » réclamés par le peuple de Paris.

    Elles ont certainement raison, la puissance de l’armée prussienne et de ses alliés ne pouvaient que conduire à une déroute de cette armée, certes de patriotes, mais amateurs.

    Ainsi, le germe du conflit n’est pas un combat social, mais le refus de la défaite de la nation.

    Après l’annonce de de la capitulation du maréchal Bazaine à Metz, les parisiens les plus engagés vont prendre d’assaut l’Hôtel de Ville, où siège le gouvernement, le 31 octobre 1870. Déjà l’intention est de constituer une Commune avec pour objectif de vaincre l’ennemi.

    Ils ne réussiront pas, car il reste à ce moment suffisamment de gardes nationaux « légitimistes » pour défendre et délivrer le gouvernement.

    Un nouvel accès de fièvre survient le 22 janvier 1871, quand ces réfractaires apprennent que le ministre des Affaires étrangères Jules Favre est allé à Versailles négocier, au nom du gouvernement provisoire, un armistice avec le chancelier allemand Bismarck.

    Bismarck s’est, en effet, installé à Versailles parce que c’est dans la galerie des glaces du château de Versailles que le chancelier de l’Unité allemande va proclamer la création du second empire allemand le 18 janvier 1871.

    Ce soulèvement qui aboutira à des morts a encore pour objectif d’éviter la capitulation.

    Nouvelle défaite, le 28 janvier 1871 l’armistice est signé : Paris capitule.

    Robert Baker précise :

    « Les forts sont livrés à l’ennemi ; l’armée doit donner ses armes, à l’exception d’une dizaine de milliers de soldats destinés à assurer la police dans la capitale. Toutefois cet accord n’allait pas jusqu’au désarmement de la Garde nationale. Celle-ci ne dépose pas ses fusils et, surtout, les canons dont elle s’est dotée, une bonne part par souscription, restent entre ses mains. Le 1er mars, avant l’arrivée des Prussiens, les gardes nationaux mettent ces canons en sûreté. […] Tandis que l’indignation populaire est à son comble, on assiste alors à une nouvelle émigration qui suit celle d’avant le siège : 150 000 personnes environ, appartenant aux classes aisées, quittent la capitale. L’évolution sociologique de Paris va s’en ressentir au bénéfice des partisans de la Commune. »

    La révolte reste, à ce stade, un refus de la défaite. En revanche, la fuite en deux épisodes avant le siège puis au début des troubles suivant l’armistice, de la bourgeoisie parisienne va modifier l’équilibre politique du peuple de Paris en le portant vers la gauche.

    Probablement qu’il y aura à partir de ce moment un ressentiment du peuple populaire parisien à l’égard des « riches » qui acceptent la défaite.

    Cependant, il faut savoir que les historiens nous donnent l’assurance que la France ne pouvait plus gagner la guerre en janvier 1871, surtout qu’elle n’arrivait à mobiliser aucun allié contre la Prusse.

    Hier, il était question de la commémoration éventuelle de Napoléon Ier. En plus du désastre dans lequel il a mené la France à cause des multiples guerres qu’il a engagées et finalement perdues, il a aussi contribué à asseoir chez les autres nations européennes, l’image d’une France arrogante et guerrière qu’il n’y avait aucune raison à soutenir.

    Bismarck a alors exigé, pour pouvoir discuter de la paix avec un gouvernement légitime, que des élections aient lieu.

    Ce fut le cas, le 8 février 1871, avec comme résultat la victoire très nette des monarchistes. Mais Paris est profondément républicain : la ville a élu 36 républicains, dont Louis Blanc et Victor Hugo.

    Ce Paris républicain craint une restauration.

    L’assemblée, elle, se réunit à Bordeaux et Adolphe Thiers devient, à 73 ans, le 16 février, « chef de l’exécutif ».

    Robert Baker écrit :

    « L’Assemblée de Bordeaux, aux mains des monarchistes, des réactionnaires, de ceux qu’on appellera avec mépris les « ruraux », loin de rendre hommage à la résistance héroïque des Parisiens, manifeste d’emblée sa détestation de la ville patriote et révolutionnaire. »

    Paris va s’organiser dans l’hostilité contre le gouvernement Thiers.

    Une première organisation a été constituée le 4 septembre 1870 par une majorité de militants de l’Internationale des travailleurs fondée à Londres en 1864.

    Une seconde fut constituée après l’armistice : le Comité central de la Garde nationale.

    Robert Baker écrit :

    « La Garde nationale se politisa fortement après l’armistice. Sa composition sociale avait sensiblement évolué avec le départ, avant et après le siège, des citoyens aisés et amis de l’ordre. […] Le 15 février 1871, […] les délégués de la Garde nationale issus de 18 arrondissements élisent un Comité central de la fédération de la Garde nationale, dont la première intention est d’empêcher toute tentative de désarmement par le gouvernement de Thiers. Dans les jours suivants, les canons acquis par la Garde nationale sont transférés à Montmartre et place des Vosges »

    Le terme de fédération donnera naissance au nom de « fédérés ». Le mur du cimetière du père Lachaise devant lequel seront fusillés des communards porte désormais le nom du « mur des fédérés ».

    Et dans ce climat de défaite que le gouvernement de Thiers assume et que les parisiens rejettent, la tension va augmenter en raison d’un certain nombre de décisions gouvernementales : J’en cite quelques-unes :

    • Le 15 février, la solde journalière des gardes nationaux (1,50 franc) est remise en question. Pour la toucher, il faudra faire la preuve de son indigence. Pour beaucoup c’est une abolition qui les prive de leurs seules ressources.
    • Le 7 mars, le régime normal du Mont-de-Piété est rétabli, au détriment des démunis qui avaient bénéficié pendant le siège d’un moratoire protégeant leurs objets déposés.
    • Le 10 mars, l’Assemblée prend la décision de transférer le siège du gouvernement à Versailles, à une quinzaine de kilomètres au sud-ouest de Paris. Paris n’est plus la capitale.
    • Le 13 mars, l’Assemblée décide la reprise du paiement des effets de commerce, la fin du moratoire des dettes commerciales qui va causer des faillites en chaîne. On estime à 150 000 le nombre des constats de faillite entre le 13 et le 17 mars.

    Robert Baker analyse :

    « Du même coup, l’opposition à l’Assemblée et au gouvernement de Thiers n’est plus le monopole des rangs populaires ; c’est la petite et la moyenne bourgeoisie qui sont touchées dans leurs moyens d’existence. Les révolutionnaires, jusque-là minoritaires, vont pouvoir compter sur une majorité de Parisiens des différentes classes sociales, excédés par les décisions prises à Bordeaux, après avoir été indignés par la capitulation. »

    C’est donc une révolte qui ne va pas toucher que les masses populaires mais aussi des commerçants, des employés, des instituteurs.

    Et …

    « Dans la nuit du 17 au 18 mars, les troupes de l’armée régulière commandées par le général Vinoy tentent de reprendre les canons, rangés en plusieurs endroits, principalement à Montmartre. Mais l’opération, mal préparée, traîne en longueur : faire descendre une centaine de canons de la butte Montmartre n’est pas une mince affaire. A l’aube, le samedi 18 mars, quand Paris s’éveille, les canons n’ont pu être évacués, faute d’attelages suffisants. De proche en proche, une véritable journée insurrectionnelle commence, les tambours des fédérés battent le rappel, on entoure les soldats, on leur offre des vivres, on les couve. Le général Lecomte, qui commande les soldats du 88e de ligne, ordonne de faire feu ; les soldats refusent d’obtempérer. »

    Et c’est ainsi que la Commune et la guerre civile démarrent.

    Clemenceau qui est maire de Montmartre et député de Paris va tenter une médiation et essayer d’apaiser le conflit, mais échouera. Mais on comprend bien que tout au long de ce processus qui va mener à la guerre civile, la première raison du conflit se trouve dans la défaite militaire. Les revendications sociales n’apparaîtront que dans un second temps.

    <1540>

  • Lundi 22 mars 2021

    « Oui [il faut commémorer] Napoléon, Non la commune »
    Pierre Nora

    Le 18 mars 1871, la population parisienne et les gardes nationaux refusèrent de rendre les canons, achetés avec l’argent d’une souscription publique, au gouvernement de la France dirigé par Adolphe Thiers, retranché à Versailles, et qui avait signé un armistice avec la Prusse et ses alliés allemands reconnaissant la défaite de la France, le 26 janvier 1871. Ce premier épisode sanglant constitue le début de cette période insurrectionnelle qu’on appela : « La Commune ».

    La commune dura 72 jours, et s’acheva par la « Semaine sanglante » du 21 au 28 mai 1871, pendant laquelle l’armée du gouvernement de Versailles, sous le regard bienveillant des troupes prussiennes qui encerclaient toujours Paris suite à un siège qui débuta en septembre 1870, reprirent Paris, barricade après barricade, en fusillant et massacrant massivement les « communards »

    C’était il y a 150 ans.

    Le 5 mai 1821, « à 17 heures et 49 minutes », Napoléon Ier meurt à l’âge de 51 ans, sur l’île de Saint Hélène lors de son exil qui a fait suite à sa défaite militaire à Waterloo.

    C’était il y a 200 ans.

    Dans la France contemporaine qui s’est fait une spécialité des commémorations, ces deux anniversaires posent des problèmes au gouvernement actuel. Et pour une fois la COVID 19 ne joue pas un rôle prépondérant dans ces difficultés.

    Pierre Nora, est un historien français important, membre de l’Académie française, connu pour ses travaux sur la composante mémorielle de l’Histoire.

    Parmi ses œuvres on cite souvent l’ouvrage collectif qu’il a dirigé : « Les Lieux de mémoire », Gallimard

    Il était donc assez rationnel de poser, à ce spécialiste des Mémoires françaises, la question de ces deux commémorations potentielles.

    Ce sont Léa Salamé et Nicolas Demorand qui, sur France Inter, se sont chargés de lui poser cette question lors du <Grand entretien du 4 mars 2021>.

    Il s’était visiblement prépare à la question puisqu’il a répondu immédiatement qu’il fallait commémorer Napoléon mais pas la Commune.

    Il estime que « La polémique est ridicule » : autour de Napoléon.

    « [Napoléon] a une dimension tellement historique, qui a eu sur l’Europe une conséquence si positive, il a apporté la révolution dans les pays qu’il a conquis, il a créé les institutions sous lesquelles nous vivons encore à beaucoup d’égard, […] c’est le personnage de l’imaginaire romantique français incarné. ».

    Il reconnait cependant qu’il a une face sombre et notamment qu’il a eu tort à partir de 1806 de lancer la France dans la guerre.

    Et donc il dit non à la commémoration de la commune :

    « Parce qu’elle n’a pas apporté grand-chose ».

    Et il ajoute qu’elle a perdu sa portée subversive quand Georges Pompidou est venu s’incliner devant le mur des fédérés en 1971 :

    « Le fondé de pouvoir de la banque Rotschild qui venait mettre pied à terre devant les bords de la Commune ça voulait dire que la mémoire ouvrière était morte dans son inspiration révolutionnaire, elle ne faisait plus peur. »

    Bref, pour Pierre Nora, la commune n’a pas à être commémoré parce qu’elle fait partie des vaincus de l’Histoire.

    Cependant, nous devons quand même constater que Napoléon, malgré son prestige et les 5 cercueils qui entourent son corps sous le dôme des Invalides, fait aussi partie des vaincus de l’Histoire.

    Il reste, en effet, l’imaginaire romantique. Mais il ne fait pas partie de ces souverains qui ont rendu leur pays plus fort à la fin de leur règne qu’il ne l’était à leur début.

    J’avais évoqué la position que Lionel Jospin développait, à son propos, dans son livre de 2014 lors du mot du jour du <15 avril 2014> et qui portait pour exergue cette phrase de l’ancien premier ministre :

    « [Je suis] Intrigué par le contraste entre le bilan de Napoléon, désastreux et la gloire qui s’attache à son nom avec cette récurrence de la tentation bonapartiste en France. »

    Je n’ai pas le pouvoir de décider des anniversaires qui doivent être commémorés et de ceux qui n’ont pas cette vocation.

    Mais dans les jours qui viennent, je vais parler de la « Commune» parce que je pense que cet épisode de l’Histoire de France mérite qu’on s’y arrête un peu pour l’évocation des évènements mais aussi pour la trace et l’imaginaire que ces 71 jours ont provoqué.

    En attendant vous pouvez voir un remarquable film documentaire réalisé par Raphaël Meyssan qui raconte cette histoire autour de gravures d’époque.

    Ce film a été diffusé sur ARTE .

    Il a pour titre <Les damnés de la Commune>.

    Raphael Meyssan d’abord écrit un roman graphique ayant le même titre <Les damnés de la commune en 3 tomes>

    Je n’ai pas lu ces livres mais regardé avec beaucoup d’intérêt le résultat filmé de cette démarche.

    ARTE présente cette réalisation de la manière suivante ;

    « Raphaël Meyssan a adapté les trois tomes de son roman graphique éponyme, pour lequel il avait collecté des centaines de gravures dans les journaux et les livres de l’époque.
    De cette patiente quête d’archives − huit ans de recherches −, le graphiste et réalisateur tire un film unique, à l’esthétique et au dispositif étonnants.
    La caméra plonge au cœur de ces dessins magnifiques, émouvants et subtilement animés, puis zoome, scrute et caresse pour restituer cette tragique épopée dans le moindre de ses détails en une fresque prodigieuse.
    À mi-chemin entre Les misérables de Victor Hugo et les bandes dessinées documentaires de Joe Sacco, Raphaël Meyssan compose, en incluant le récit de Victorine, une jeune révoltée, une narration limpide qui parvient, à destination de tous les publics, à rendre fluide le chaos de la Commune.  ».

    <1539>

  • Lundi 8 mars 2021

    « Pause («Des concerts de l’Orchestre National de Lyon)»
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Le mot du jour est en pause pendant 2 semaines. Il sera de retour le 22 mars.

    En attentant, je partage plusieurs vidéos, dans lesquelles l’Orchestre National de Lyon avec son chef Nikolaj Szeps-Znaider interprètent merveilleusement plusieurs œuvres :

    <La 4ème symphonie de Gustav Mahler>

    <La 3ème Symphonie de Beethoven>

    <Des lieder du Knabenwunderhorn de Gustav Mahler>

    <mot du jour sans numéro>

  • Vendredi 5 mars 2021

    « Ne recherchez pas les récompenses, l’argent ou la gloire. Faites de votre mieux et soyez satisfaits. Dans cette société de l’apparence, ce n’est pas votre look qui doit compter, mais bien la valeur que vous générez. »
    Katalin Kariko, chercheuse conseillant des jeunes chercheuses et chercheurs

    Aujourd’hui je vais parler d’une femme scientifique assez extraordinaire. Elle possède bien sûr l’intelligence qui lui permet l’efficacité, mais aussi la persévérance qui lui a permis de poursuivre sa route malgré l’indifférence, quelquefois l’hostilité et aussi la trahison. Maintenant, au bout de la réussite et du succès elle exprime des valeurs que je trouve convaincantes.

    Mais pour raconter cette histoire et en comprendre certains aspects,  il faut revenir un peu dans le passé

    Au départ, il y a eu la découverte de l’ADN. Il existe encore des livres ou des sites qui écrivent sans sourciller que l’ADN a été découverte par le biochimiste américain James Watson et le biologiste britannique Francis Crick. C’est une affirmation triplement fausse.

    Premièrement parce que on parlait d’ADN avant eux et que de très nombreux scientifiques ont travaillé sur ce sujet avant que ces deux scientifiques publient leur article célèbre, en 1953, dans la revue Nature.

    <Wikipedia> cite avant 1953 :

    «  L’ADN a été isolé pour la première fois en 1869 par le biologiste suisse Friedrich Miescher sous la forme d’une substance riche en phosphore.»

    Et on apprend aussi qu’en 1878, le biochimiste allemand Albrecht Kossel isola un des composants essentiels : «  les acides nucléique ». En 1919, le biologiste américain Phoebus Levene suggéra que l’ADN consistait en une chaîne de nucléotides unis les uns aux autres. En 1937, le physicien et biologiste moléculaire britannique William Astbury montra grâce aux rayons X que l’ADN possède une structure ordonnée. Et probablement qu’il y en eut encore beaucoup d’autres qui participèrent à cette découverte majeure de l’organisation de la vie.

    Donc ils ne furent pas les premiers.

    Deuxièmement, l’article de 1953 ne relate pas la découverte de l’ADN mais la description de sa structure en double hélice.

    Et troisièmement, ce n’est même pas eux qui découvrirent la structure en double hélice.

    Ce fut une femme avec d’autres collaborateurs qui peut être créditée de cette découverte : Rosalind Franklin. Je cite encore Wikipedia :

    « En mai 1952, l’étudiant britannique Raymond Gosling, qui travaillait sous la direction de Rosalind Franklin dans l’équipe de John Randall, prit un cliché de diffraction aux rayons X (le cliché 51181) d’un cristal d’ADN fortement hydraté. Ce cliché fut partagé avec Crick et Watson à l’insu de Franklin et fut déterminant dans l’établissement de la structure correcte de l’ADN. Franklin avait par ailleurs indiqué aux deux chercheurs que l’ossature phosphorée de la structure devait être à l’extérieur de celle-ci, et non près de l’axe central comme on le pensait alors. Elle avait de surcroît identifié le groupe d’espace des cristaux d’ADN, qui permit à Crick de déterminer que les deux brins d’ADN sont antiparallèles. .[

    Rosalind Franklin mourut en 1958 d’un cancer et ne reçut donc pas le prix Nobel de physiologie ou médecine décerné en 1962, « pour leurs découvertes relatives à la structure moléculaire des acides nucléiques et leur importance pour le transfert de l’information génétique dans la matière vivante », à Francis Crick, James Watson et Maurice Wilkin, qui n’eurent pas un mot pour créditer Franklin de ses travaux ; le fait qu’elle n’ait pas été associée à ce prix Nobel continue de faire débat. »

    J’avais déjà évoqué cette histoire, le destin de Rosalind Franklin morte à 37 ans, d’un cancer de l’ovaire, probablement lié à la surexposition aux radiations lors de ses recherches lors d’un mot du jour de 2018 : « Ni vues ni connues »

    ADN signifie Acide DésoxyriboNucléique, et constitue la molécule support de l’information génétique héréditaire.

    Et les biologistes ont alors poursuivi ce plan de recherche extraordinaire décortiquer totalement le génome humain, c’est-à-dire la séquence de gène qui se trouve sur la macromolécule d’ADN et qui est reproduit à l’identique pour chaque individu dans chacune de ses cellules.

    Et c’est ainsi que fut lancé le projet génome humain (en anglais, Human Genome Project ou HGP) fin 1988 pour établir le séquençage complet de l’ADN du génome humain. Ce projet s’acheva en 2004.

    Le génome humain était connu dans son intégralité.

    Et les scientifiques qui savaient à quoi servait chaque gène et savaient modifier un gène ont cru que en travaillant sur l’ADN ils pourront guérir de très nombreuses maladies.

    Tous allaient dans ce sens, sauf quelques-uns comme Katalin Kariko, la femme qui est au centre de ce mot du jour..

    J’ai acheté et lu avec beaucoup d’intérêt le magazine « Le Point » du 28 janvier 2021 : « Comment l’ARN va changer nos vies »

    Ce numéro essaie d’expliquer de manière assez savante ce que fait ce qu’est l’ARN.

    Mon propos n’est pas d’expliquer l’aspect technique de ces découvertes mais plutôt de m’intéresser au destin de cette formidable hongroise.

    Et aussi de m’interroger de manière assez philosophique sur cet aveuglement de ces scientifiques qui pensaient qu’en ayant décrypter le génome humain et en ayant la possibilité de le modifier grâce aux « ciseaux génétiques », dont le petit nom est « CRISPR associated protein 9 » abrégé en <Cas9> et qui est une protéine qui possède la capacité à couper l’ADN, ils avaient fait le plus grand pas vers … vers quoi d’ailleurs ? Probablement vers « homo deus » pour reprendre le concept de Yuval Noah Harari.

    Je me souviens encore de cette parole désabusée d’une scientifique le matin, à France Inter, qui a dit « Finalement on n’a pas beaucoup avancé »

    Je me permets une petite explication personnelle.

    Dans l’esprit hiérarchisé d’homo sapiens, cet inventeur du Dieu tout puissant, trouver l’élément central autour duquel toutes les caractéristiques humaines sont définies devaient permettre de tout maîtriser. Comme dans un ordinateur maîtriser le code.

    Mais visiblement cela ne marche pas comme cela. Car il y a énormément d’interactions entre les gènes et même au-delà avec l’environnement qui explique le fonctionnement de l’être humain. Les scientifiques explorent une autre discipline qui a pour nom « L’épigénétique ».

    C’est en fait que notre système humain n’est pas très hiérarchique, mais plutôt transversale.

    Et l’acide ribonucléique (ARN) qui est très proche chimiquement de l’ADN et si je comprends bien une copie d’une partie de l’ADN intervient pour créer de l’interaction à l’intérieur de notre corps.

    Il existe plusieurs types d’ARN mais celui sur lequel a travaillé Katalin Karibo est l’ARN messager, abrégé en ARNm.

    Mais comme je l’ai annoncé et aussi pour ne pas me retrouver au-delà de mon seuil de compétence, je n’entrerai pas davantage dans les détails techniques.

    Certaines explications se trouvent dans le Point du 28 janvier 2021.

    Pour lire ce numéro du Point il faut l’avoir acheté en version papier comme moi ou être abonné à la version en ligne.

    Mais sur cette page une vidéo qui explique en moins de 5 minutes le lien entre l’ADN et l’ARN : <Il y a beaucoup de fantasmes autour du vaccin contre la COVID>

    Bruno Pitard directeur de recherche au CNRS ose cette histoire que je comprends :

    « Vous prenez un bon vieux livre en papier, lui c’est l’ADN, et puis vous lisez un chapitre à voix haute. Les paroles qui sortent de votre bouche, c’est l’ARN messager. Si quelqu’un entend vos paroles, il reçoit le message, mais une fois entendues, ces paroles disparaissent et en aucun cas les paroles prononcées ne changeront le texte de votre livre en papier. »

    Cet autre article du Point décrit de manière assez compréhensible : «Pourquoi le vaccin à ARN est une véritable révolution » par rapport aux autres techniques vaccinales et son processus de fonctionnement.

    Mais revenons à Katalin Karibo qui ne veut pas travailler sur l’ADN et préfère l’ARN. Elle trouvait dangereux de travailler directement sur le code génétique

    Un article de <l’Obs>Publié le 17 décembre 2020 précise :

    « A la fin des années 1980, la communauté scientifique n’avait d’yeux que pour l’ADN, qu’on voyait potentiellement capable de transformer les cellules et, de là, soigner des pathologies comme le cancer ou la mucoviscidose.

    Katalin Kariko, elle, s’intéressait à l’ARN messager, l’imaginant fournir aux cellules un « mode d’emploi » leur permettant ensuite de fabriquer elles-mêmes les protéines thérapeutiques. Une solution permettant d’éviter de modifier le génome des cellules, au risque d’introduire des modifications génétiques incontrôlables. »

    Elle est chercheuse dans un laboratoire de recherche, en Hongrie communiste. Elle a une vie confortable mais les moyens dont elle dispose pour poursuivre ses recherches sur l’ARN sont trop limités.

    Dans son entretien au Point elle déclare

    « Quitter la Hongrie en 1985 a été une décision difficile, j’adorais mon labo. »

    Elle a voulu venir en France, on ne comprend pas bien pourquoi cela n’a pas eu lieu.

    « J’ai été candidate à un poste en France, à Montpellier, au sein du laboratoire de Bernard Lebleu, mais il était encore très difficile, à l’époque d’accéder à des centres de recherche d’Europe de l’Ouest depuis la Hongrie »

    Et quand les journalistes posent cette question disruptive : « Que pensez-vous du paysage de la biotech en France ? », sa réponse est douloureuse pour nous les français :

    « La France, c’est un beau pays pour les vacances d’été. Mais essayez donc de comprendre pourquoi les français ont dû venir ici, aux Etats-Unis ? Pourquoi Stéphane Bancel, le PDG de Moderna, ne dirige pas une entreprise française en France pour mettre au point les vaccins ? Pourquoi il n’y a plus de sociétés comme BioTech en France ? Je pense que c’est à cause du financement. [Aux Etats-Unis] avec le capital-risque on donne davantage aux petites entreprises. C’est sans doute une question de culture, qui n’existe peut-être pas en Europe. Ici, les gens investissent plus dans les biotechnologies, parfois dans 30 entreprises différentes, et si une réussit, tant mieux. Quand une piste mérite d’être explorée, on poursuit. »

    Elle est donc partie avec sa famille aux Etats-Unis, à Philadelphie. Et elle a pris un énorme risque :

    « En Hongrie nous avions un nouvel appartement confortable, j’avais ma propre machine à laver, à Philadelphie je lavais mon linge la nuit dans un sous-sol. Mais j’étais convaincue que la situation allait s’améliorer que tout était possible. Si j »étais restée en Hongrie, je serais devenue cynique, aigrie, médiocre. »

    Mais aux Etats-Unis elle se heurte au scepticisme par rapport à ses recherches sur l’ARN, dans un monde scientifique qui ne jure que par l’ADN

    Le Point raconte :

    « A l’université Temple, à Philadelphie, où elle atterrit, elle passe vite d’une période de grâce au placard. Cinq ans plus tard, elle rejoint l’université de Pennsylvanie. A l’époque, la mode est à l’ADN. Jugeant trop dangereuse sa manipulation, elle préfère persévérer dans ses recherches sur L’ARN en demandant une bourse dédiée. Résultat, elle est rétrogradée au rang de simple chercheuse. Une nouvelle fois :direction placard. »

    Mais elle continuera sans se décourager. Elle rencontrera Drew Weissman avec qui elle collaborera beaucoup.

    Ce sera un chemin compliqué pavé d’embuches.

    Dans ma langue de béotien, je dirai l’ARN ne se laisse pas apprivoiser facilement, il faut l’isoler, agir sur lui et enfin maîtriser les effets induis.

    L’article de <l’Obs>, déjà cité, précise :

    Mais l’ARN messager n’était pas non plus dénué de problèmes : il suscitait de vives réactions inflammatoires, étant considéré comme un intrus par le système immunitaire.

    Avec son partenaire de recherche, le médecin immunologiste Drew Weissman, Katalin Kariko parvient progressivement à introduire de mini-modifications dans la structure de l’ARN, le rendant plus acceptable par le système immunitaire. Leur découverte, publiée en 2005, marque les esprits, extirpant – un peu – Katalin Kariko de l’anonymat.

    Puis, ils franchissent un nouveau palier, en réussissant à placer leur précieux ARN dans des « nanoparticules lipidiques », un enrobage qui leur évite de se dégrader trop vite et facilite leur entrée dans les cellules. Leurs résultats sont rendus publics en 2015. »

    Elle travaille très dur et n’est pas à l’abri de manœuvres à la limite de l’honnêteté : Après avoir publié avec Drew Weissman, dans le cadre de l’Université de Pennsylvanie, un article fondamental sur l’ARN, l’université de Pennsylvanie a déposé un brevet lié à l’invention des deux chercheurs et a négocié la vente de ce brevet avec une autre société :

    « Nous étions furieux. [La société acheteuse] a même cherché à nous vendre une sous licence de ce brevet ! Habituellement on confie la licence d’un brevet à ses inventeurs. Après tout, nous en savions plus sur l’ARN messager (ARNm) que n’importe qui d’autre et nous étions susceptibles d’en tirer le maximum, mais l’université n’était pas de cet avis »

    Et bien sûr elle raconte aussi les humiliations, la sous valorisation systématique elle était étrangère, venant d’un pays communiste et …une femme. L’Obs raconte :

    « La biochimiste se garde de tout triomphalisme mais conserve une pointe d’amertume en se remémorant les moments où elle s’est sentie sous-estimée : une femme née à l’étranger dans un univers masculin où, à la fin de certaines conférences d’experts, on lui demandait : « Où est votre superviseur ? ».

    « « Ils pensaient toujours : « cette femme avec un accent, il doit y avoir quelqu’un derrière, quelqu’un de plus intelligent. » » »

    Et finalement elle intégrera la start up allemande BioNtech en 2013. Cette petite entreprise innovante a été créée en 2008, par un couple de scientifiques d’origine turque : Uğur Şahin , professeur d’oncologie à la 3e clinique médicale de l’université Johannes-Gutenberg de Mayence et son épouse Özlem Türeci médecin, chercheuse en immunologie.

    C’est cette petite société qui a mis au point le vaccin Pfizer-BioNTech, Pfizer étant simplement le financeur.

    Bruno Pitard directeur de recherche au CNRS fait ce constat dans « le Point » :

    « C’était trop innovant pour les grands groupes ; la preuve ce sont les biotechs qui ont continué »

    Et nous arrivons à la conclusion de l’article du Point qui est le cœur de ce que j’ai envie de partager aujourd’hui :

    Avec plus de financements, de nouvelles découvertes pourraient-elles être réalisées pour soigner d’autres maladies grâce à l’ARNm

    C’est un sujet auquel j’ai souvent réfléchi et je peux vous dire que ce n’est pas qu’une question d’argent. Si les scientifiques pouvaient mettre de côté leur ego, partager leurs informations, nous pourrions nous attaquer à d’autres maladies. Le système n’est pas optimal. Les spécialistes ne partagent pas car ils sont en compétition. Les trois sociétés que sont CureVac, BioNTech et Moderna organisent depuis 2013 des échanges académiques au sujet de l’ARNm auxquels j’ai participé. Nous avons partagé de nombreuses données avec des japonais, des coréens et des chinois. Mais il est extrêmement difficile de coordonner les recherches et de convaincre l’ensemble des acteurs que la coopération est la meilleure des stratégies. »

    Nous en revenons à l’exemple du professeur et de son expérience avec les ballons qui montraient que la coopération était le meilleur système. Mais ce n’est pas celui qui est imposé par le marché.

    Et Katalin Kariko ajoute :

    « Il est urgent d’investir dans la recherche-fondamentale et appliquée-et de faire en sorte que les enfants aient envie de devenir chercheurs. Il y a tant de choses à découvrir »

    Et elle évoque aussi le livre qui l’a le plus inspirée :

    « Le livre qui m’a le plus marquée alors que j’étais au lycée est « le stress de la vie » du hongrois Hans Selye. Il est le premier à avoir appliqué le terme « stress » au corps humain, alors qu’il était employé essentiellement en physique. Sa théorie ? Les gens gâchent du temps et leur vie avec des regrets. Si j’ai persévéré sur l’ARN alors que personne n’y croyait, c’est parce que je n’ai pas attendu qu’on me tape sur l’épaule pour me dire « Katie, tu fais du bon boulot ! ». Je savais ce que je faisais était bien. »

    Et voici le conseil qu’elle donne aux jeunes chercheurs :

    « Ne recherchez pas les récompenses, l’argent ou la gloire. Faites de votre mieux et soyez satisfaits. Dans cette société de l’apparence, ce n’est pas votre look qui doit compter, mais bien la valeur que vous générez. La gloire immédiate n’a pas d’importance. Parfois, on travaille pendant des mois, des années avant d’obtenir un résultat. S’il n’y avait pas eu cette pandémie, personne ne saurait qui je suis – et cela m’irait très bien. »

    Jamais elle n’abandonnera la recherche. :

    « Aujourd’hui, j’ai assez d’argent pour pouvoir me permettre de ne rien faire, de trainer chez moi. Pourtant, je n’ai jamais arrêté de travailler ! J’ai toujours un objectif, un nouveau projet qui me motive. Je pense encore pouvoir apporter ma pierre à des édifices de recherche. Un jour, je m’effondrerai au milieu de mes recherches .. »

    Ainsi parle Katalin Kariko.

    Beaucoup pense qu’elle aura le Prix Nobel. Celui dont Rosalind Franklin fut privé.

    <1538>

    Je vais prendre quelques jours de congé du télétravail et des mots du jour.
    Le prochain mot du jour devrait être publié le 22 mars.

  • Jeudi 4 mars 2021

    « Chaque intelligence individuelle naît de la coopération de milliards de neurones, chaque intelligence collective naît de la coopération de nombreux individus. »
    Edgar Morin

    Pour ne rien cacher, l’écriture quotidienne du mot du jour n’est pas facilitée par le télétravail que je pratique, bien au contraire.

    Cela devient même parfois très compliqué pour le finaliser à une heure raisonnable.

    Aujourd’hui, je me suis lancé dans une rédaction d’un mot du jour que je ne suis pas en mesure de terminer pour demain matin. Alors, j’ai pensé partager une histoire que m’a relaté Annie, il y a quelques semaines. J’ai aussi trouvé cette même histoire sur plusieurs réseaux sociaux. Elle est très simple et me semble pleine d’enseignement.

    Un jour un professeur a amené des ballons à l’école. Et, il a demandé aux enfants de les gonfler puis que chacun écrive son nom sur un ballon.

    Ensuite, il les a mélangés et jetés au hasard dans le corridor. Après, le professeur leur a donné comme mission de trouver le ballon sur lequel leur nom était écrit et leur a accordé cinq minutes.

    Les enfants qui étaient très nombreux allaient dans tous les sens, manipulaient les ballons les uns après les autres. Au bout de cinq minutes quasi personne n’avait trouvé son ballon.

    Alors, le professeur a réitéré la même expérience : jeter au hasard tous les ballons dans le corridor. Mais il a donné une autre consigne : chacun devait simplement prendre le ballon le plus proche qu’il trouvait puis le donner à la personne dont le nom y était écrit. En moins de deux minutes, tous les enfants avaient récupéré leur ballon.

    Que nous dit cette histoire ?

    Probablement que la coopération est plus efficace que la compétition.

    Alors il faut trouver un exergue. Heureusement Edgar Morin tweete des paroles de sagesse. Ainsi le 8 décembre 2020, il a écrit :

    « Chaque intelligence individuelle naît de la coopération de milliards de neurones, chaque intelligence collective naît de la coopération de nombreux individus. »

    Une petite histoire…
    <1537>

  • Mercredi 3 mars 2021

    « Soeurs. »
    Daisy Johnson

    J’écoutais la radio, en me promenant. A la fin de son émission, le journaliste a parlé avec enthousiasme d’un livre qu’il fallait lire, qui était palpitant, haletant, un chef d’œuvre !

    Ce n’était pas de la publicité, c’était une opinion éclairée.

    Dans la continuité de ma promenade, je suis entré dans la librairie Decitre, place Bellecour à Lyon et j’ai acheté « Sœurs » de Daisy Johnson.

    Il y a des moments dans lesquels on passe rapidement de l’information à l’action.

    Je ne connaissais pas Daisy Johnson, j’avais compris selon l’émission de radio qu’elle était jeune et anglaise.

    Sur le site de Stock qui l’édite, nous apprenons que Daisy Johnson est née en 1990. Elle a publié en 2016 un recueil de nouvelles, Fen, qui a été encensé par la critique outre-Manche. Son premier roman, « Tout ce qui nous submerge  »(Stock, 2018), a été finaliste du Man Booker Prize 2017, faisant de Daisy Johnson la plus jeune finaliste dans l’histoire de ce prix. Elle vit à Oxford.

    Quand vous naviguez sur le Web, vous tombez d’une critique étincelante à des louanges dithyrambiques.

    Raphaëlle Liebaert, directrice littéraire de la collection qui a édité ce livre, précision nécessaire, parle de son coup de cœur de ce début d’année 2021 :

    « Avec son nouveau roman, Daisy Johnson nous propulse au cœur de la relation fusionnelle entre deux sœurs adolescentes recluses dans une étrange maison sur la côte anglaise.

    C’est brûlant, déchirant, palpitant et magistralement écrit. On pense à Laura Kasischke, à Daphné du Maurier, à Virgin Suicides. C’est un livre qui vous happe dès les premières pages et vous laisse ébloui – et sous le choc – lorsque vous le refermez. On comprend pourquoi la publication d’un livre de Daisy Johnson est un événement outre-Manche. Et pourquoi elle va être un événement en France ! »

    Le journal « Elle » le place au rang de chef d’œuvre :

    « Sœurs, encore un chef-d’œuvre de Daisy Johnson  »

    <Les Inrockuptibles évoque un roman ensorcelant et un délicieux roman gothique.

    Dans le <Figaro> Eric Neuhoff parle de deux étranges adolescentes mais considère :

    « qu’avec son deuxième roman, la jeune romancière britannique se propulse parmi les auteurs avec lesquels il va falloir compter. »

    <Le journal du dimanche> évoque une méditation poétique et gothique sur l’amour fraternel et la place de l’enfant au sein d’une famille et ajoute :

    « Le deuxième roman de Daisy Johnson nous entraîne vers cette contrée mystérieuse de l’adolescence où chaque émotion semble plus intense et chaque promesse, un pacte à la vie à la mort. Immergé dans le corps et les pensées de [la narratrice], le lecteur partage les craintes et les doutes de ces sœurs mi-anges, mi-démons. Un engrenage qui paraît obéir aux fabuleux sortilèges qui sont la marque des grands écrivains. »

    Ce <journal belge> utilise le terme « fascinant » pour ce livre et décrit le travail de Daisy Johnson :

    « Pour son second roman, Daisy Johnson, 31 ans à peine, use de toutes les libertés de l’écriture avec une inventivité jubilatoire. […] Il y a du Lewis Carroll et du Dickens dans son style si particulier, mélange de fantasmagorie, de peinture sensible de la nature et de réalisme social. Elle restitue à merveille la souplesse de l’imaginaire des enfants qui d’un bouton de porte font un visage ou imaginent des êtres minuscules dans un creux du mur. Elle n’a pas oublié non plus le plaisir du lecteur à entrer dans un univers mouvant, à avancer à tâtons, à faire le plein de sensations pour se glisser dans le décor ou la peau d’un personnage. »

    Et <Les Echos> ne sont pas moins élogieux :

    « La jeune écrivaine anglaise Daisy Johnson signe un second roman noir d’encre sur les démons de la sororité et les affres de l’adolescence, en s’inspirant des grands romans gothiques. Un tour de force poétique et littéraire, doublé d’une fascinante intrigue à suspense. […] Le pouvoir d’évocation de l’écrivaine, son génie de la construction, son style flamboyant incroyablement maîtrisé font le reste… Comme les romans gothiques d’antan, il offre une catharsis poétique et horrifique, crevant en beauté l’abcès de la tristesse du monde.

    Mais cet article dit aussi :

    « La dernière partie du livre, où tout bascule, est glaçante comme un tombeau. »

    Alors, je ne vais pas spoiler comme on dit maintenant. Juste planter le décor.

    C’est l’histoire de deux sœurs l’ainée Septembre et de 11 mois sa cadette Juillet. Leur mère s’appelle Sheela, elle écrit et dessine des livres pour enfant dans lesquels elle met en scène ses filles.

    Le père est mort. On apprend au fil des pages que c’était un homme peu recommandable et violent « chez qui la haine ressemblait tant à l’amour »

    Le début du livre nous présente la mère qui emmène précipitamment ses filles loin d’Oxford, où ils habitent car il s’est passé un incident au lycée et elles fuient.

    La maison qu’ils vont rejoindre dans le nord, sur la lande du Yorkshire est délabrée et sans clé. C’est une maison, proche de la maison hantée et qui a une histoire, le père y est né et Septembre aussi.

    Au fur à mesure, on comprend la relation morbide de domination qu’exerce Septembre sur sa sœur dans laquelle se côtoient protection et sadisme. Cette relation exclusive les éloigne de tous les autres jeunes de leur âge.

    Plusieurs fois dans le roman on trouve le premier vers du poème qui se trouve avant le récit :

    « Ma sœur est un trou noir »

    Juillet est la narratrice, c’est elle qui raconte le récit par touche successive.

    Le roman va se dérouler dans cette maison, dans un quasi huis clos. Murée dans sa dépression, la mère s’enferme dans la chambre du haut et laisse apparemment ses filles se débrouiller seules.

    L’histoire avance dans l’angoisse et le dévoilement ambigüe de la vérité du récit.

    Juillet écrit :

    « Si les esprits sont des maisons qui comportent plusieurs pièces, dans ce cas, je vis à la cave. Tout y est sombre et silencieux. Parfois, je perçois un mouvement au-dessus de ma tête, l’eau qui coule dans les tuyaux ou quelque chose qui digère lentement. »

    Toute sa vie, Juillet, aura vécu ainsi, dans l’antichambre de sa sœur, attendant d’être autorisée à penser par et pour elle-même.

    A la page 169 du livre qui en compte 211 elle pose la bonne question :

    « Je me suis demandé, c’était plus fort que moi, comment ça se serait passé s’il n’y avait eu que moi, si j’étais née la première et si Septembre n’était pas née du tout. Peut être que j’aurais eu des amis »

    Mais elle ne poursuivra pas, et ne se libérera pas de l’emprise de sa sœur.

    J’aime qu’un livre, comme une œuvre d’un autre art me fasse du bien, me nourrisse, me donne à réfléchir, m’apprenne des leçons de vie.

    Mais pour cela il faut, même dans les récits les plus sombres, une étincelle de lumière, un peu de poésie ou de beauté. Toutes choses qui nous rattachent à la vie, la rende désirable.

    Je me souviens encore avec émotion de la lecture que j’ai partagée lors d’un mot du jour « The God of Small Things » d’Arundhati Roy. L’histoire était terrible, injuste et tragique. Mais il y avait cette étincelle de vie, ces instants d’oubli, des moments de grâce.

    Rien de tel dans « Sœurs », a l’instar d’un trou noir qui ne laisse échapper aucune lumière. D’ailleurs c’est par un trou noir que Juillet désigne sa sœur.

    Un jour un musicien qui jouait avec mon frère et qui n’avait pas du tout apprécié une œuvre contemporaine qu’il avait dû jouer, en rencontrant le compositeur a eu cette formule :

    « Maître cela a dû vous faire du bien quand cette œuvre est enfin sortie de votre tête.»

    Je pense que cela a dû faire un bien fou quand cette histoire de folie, de chaos, de désagrégation, de mort est sortie de la tête de Daisy Johnson.

    Je ne suis pas sûr qu’elle vous fasse du bien si elle rentre dans la vôtre.

    Pour ma part je réponds : « Non » et je finirai par ce poème d’Eluard que j’ai déjà cité le 4 mai 2017 :

    « La nuit n’est jamais complète
    Il y a toujours puisque je le dis
    Puisque je l’affirme
    Au bout du chagrin
    une fenêtre ouverte
    Une fenêtre éclairée
    Il y a toujours un rêve qui veille
    Désir à combler faim à satisfaire
    Un cœur généreux
    Une main tendue une main ouverte
    Des yeux attentifs
    Une vie la vie à se partager.»

    <1536>

  • Mardi 2 mars 2021

    « Mais je pense que si les vaccins étaient déjà des biens publics mondiaux, il n’y aurait toujours pas de vaccin. »
    Hubert Vedrine

    Aujourd’hui, je voudrais partager les échanges très intéressants qu’ont tenu les invités d’Emilie Aubry dans son émission «l’Esprit Public», sur la situation sanitaire, les vaccins et la question de nos libertés et des contraintes que nous acceptons ou que nous accepterons pour vivre dans un monde qui nous paraîtra plus acceptable  : <En finir avec le virus : un choix politique ? >. Cette partie de l’émission a duré 30 minutes.

    Les invités étaient Hubert Védrine, Sylvie Kauffmann, Dominique Reynié et Aurélie Filippetti.

    Beaucoup de questions ont été abordées notamment les difficultés des campagnes de vaccination et la comparaison des performances entre les différents États, ainsi que l’inégalité planétaire devant la vaccination.

    Deux points de vue m’ont particulièrement interpellé :

    • Le premier porté par Hubert Védrine sur la prouesse d’avoir été capable de découvrir des vaccins en quelques mois et l’organisation qui a permis cela.
    • Le second point concerne nos libertés et a été avancé par Dominique Reynié.

    Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’un questionnement, non d’une quelconque vérité qui serait révélée.

    La question de l’échec de l’institut Pasteur a été évoquée et Hubert Védrine a enchaîné ainsi :

    « L’échec de Pasteur évoque quelque chose qui m’amène à douter de l’objectif de bien public mondial pour les vaccins que beaucoup évoque.
    Cet objectif, je ne peux pas le contester, c’est une très noble aspiration, très justifiée sur un plan humanitaire et planétaire.

    Mais je pense que si les vaccins étaient déjà des biens publics mondiaux, il n’y aurait toujours pas de vaccin.
    Si c’était un bien public mondial, je ne sais pas qui aurait financé la recherche, je ne sais pas qui aurait décidé, je ne sais pas qui aurait produit et qui aurait distribué.
    C’est la compétition capitalistique, c’est l’excitation de l’investissement et il faut le reconnaître la décision énorme de Trump en matière de financement de recherche. »

    Ce questionnement évidemment heurte ma zone de confort qui croit en la capacité de coopérer des humains et de se dévouer pour les causes humanitaires.

    Mon expérience de presque 40 ans de fonctionnaire de l’État français me conduit cependant à reconnaître que l’administration et la force publique ont beaucoup de mal avec l’innovation.

    Quand il s’agit de réaliser des procédures connues et des pratiques qui existent déjà, la bureaucratie est capable d’efficacité et de se mobiliser.

    Mais ce qui s’est passé là est tout autre.

    D’ailleurs le premier vaccin, n’a pas bénéficié de l’apport d’argent public dans la phase de recherche et de réalisation :

    Sur ce <site> on lit

    «  Entre autres exemples, on y trouve la trace des financements accordés à Johnson & Johnson en mars. Puis à Moderna en avril ou encore les 1,2 milliard de dollars accordés à AstraZeneca. Mais aucune trace de Pfizer. Jusqu’au 22 juillet. Date à laquelle cette entreprise a bel et bien noué un accord avec les Etats-Unis. Non pas pour la recherche et le développement du vaccin mais uniquement pour sa distribution. « Le gouvernement américain a passé une commande initiale de 100 millions de doses pour 1,95 milliard de dollars et pourrait acquérir jusqu’à 500 millions de doses additionnelles »

    C’est une entreprise capitalistique qui a lancé sa puissance de financement vers une entreprise innovante en qui elle avait confiance :

    « C’est cette entreprise qui a parié sur le laboratoire allemand BioNtech. Et qui l’a financé. « En gros, je leur ai ouvert mon carnet de chèque pour qu’ils ne puissent se soucier que des défis scientifiques, et de rien d’autre » avait ainsi expliqué le PDG de l’entreprise, Albert Bourla. Interrogé en septembre dernier par CBS, il précisait qu’il voulait par cette méthode « libérer » ses chercheurs « de toute bureaucratie ». Tout en gardant sa société « hors de la politique ».

    Pfizer a injecté lui-même des sommes astronomiques dans le projet porté par BioNTech. Le laboratoire « recevra un paiement initial de 185 millions de dollars, dont environ 113 millions de dollars en prise de participation, et pourra par la suite recevoir des paiements d’étape, jusqu’à 563 millions de dollars, soit un montant total potentiel de 748 millions de dollars », faisait savoir l’entreprise dans un communiqué. Car c’est ce laboratoire allemand qui possède la technologie novatrice de l’ARN messager (ARNm). Celle qui présente notamment l’avantage de pouvoir être développée rapidement, sans croissance cellulaire, et qui est au cœur du fonctionnement de ce candidat vaccin contre le Covid-19. On est bien dans un partenariat porté par des intérêts privés. Qui ont d’ailleurs permis au couple à la tête de cette PME d’environ 1.500 employés de faire leur entrée dans le classement des 100 Allemands les plus riches.

    La recherche de ce nouveau vaccin prometteur a donc essentiellement été payée par son partenaire américain, qui collabore avec BioNTech sur les vaccins contre la grippe depuis 20108. L’Allemagne a toutefois elle aussi mis la main au porte-monnaie. Mais assez tardivement. Berlin a débloqué une aide totale de 375 millions d’euros pour ce groupe le 15 septembre dernier, après que celui-ci avait sollicité le gouvernement en juillet afin d’accélérer les capacités de fabrication et le développement du vaccin sur le marché national. »

    Une administration publique a beaucoup de mal à lâcher autant d’argent en se fondant uniquement sur une question de confiance et de pari.

    Ce que ces entreprises ont été capables de faire est unique dans l’histoire de l’humanité. Jamais on n’a su mettre au point un vaccin avec un tel taux de réussite en si peu de temps.

    Mais pour ce faire il a fallu un financement gigantesque. Évidemment il y a eu une part considérable de financement public mais qui a suivi des financements privés. Et l’ensemble de l’élaboration des vaccins a été à l’initiative de partenaires privés, réactifs, extrêmement agiles.

    Le journal <Les Echos> donne un peu plus de précisions sur le sujet du financement.

    La bureaucratie ne permet pas cette réactivité. Or l’administration publique n’a pas su inventer, jusqu’à présent, un autre mode d’organisation que la bureaucratie

    C’est pourquoi j’ai peur que Hubert Védrine ait raison.

    Le second point concerne notre demande d’efficacité et notre capacité à accepter des contraintes de plus en plus fortes sur nos libertés pour retrouver des marges de manœuvre qui tourne beaucoup autour de la consommation même si dans nos propos ce sont le plus souvent des objectifs plus nobles que nous désignons.

    Dominique Reynié a tenu ce discours :

    « La question de l’efficacité se pose

    La crise est planétaire et globale. Cela peut être très long et ce temps-là est un temps de mutation des systèmes démocratiques. Il fait de nos démocraties des régimes un peu plus autoritaires qu’ils ne l’étaient ». […]

    La Chine se pose en modèle, avec un pouvoir plus contraignant et un contrôle beaucoup plus fort sur le comportement de ses administrés.

    A quoi sommes-nous prêt pour revenir à la vie d’avant ? »

    Et Dominique Reynié pointe le doigt sur ce que cela signifie pour beaucoup : une vie de consommateur, non une vie de citoyen. C’est une grande différence :

    « Et nous comme nous sommes tous pris dans ces confinements et couvre-feu.
    Dans une situation comme la nôtre aujourd’hui, on est en train de réviser, chacune mentalement peut s’observer à le faire, à la baisse nos exigences de liberté.
    On veut des marges pas forcément des libertés.

    Le risque qu’on se résolve à dire qu’avec nos grandes libertés, on ne va pas y arriver alors choisissons un régime politique dans lequel on aura plus de marge mais moins de liberté substantielle.

    On acceptera de présenter son carnet de vaccination, « son QR code » pour aller au concert, on va consommer, on va se balader, on ira au restaurant, on ira en vacances, au moins on aura cette liberté-là, qui n’est pas une liberté substantielle.
    C’est ce que les chinois offrent à leurs administrés.
    La liberté politique, la vraie liberté on nous demandera d’en faire le deuil, pour bénéficier de cette liberté de consommateur. »

    Et Sylvie Kaufmann ajouta :

    « Je me souviens que c’est une question que nous avions abordé il y a quelques mois, la question des QR code.
    Et Émilie vous m’aviez demandé alors :  est qu’on va faire comme les chinois, montrer notre QR code pour aller au restaurant ?

    Moi j’ai dit non, bien sûr parce qu’on ne va pas faire comme les chinois.

    Et puis quelques mois plus tard, on s’aperçoit qu’on en débat sérieusement et cela devient une hypothèse plus que plausible. »

    Pour celles et ceux qui ignoreraient d’où sort cette idée de QR code, vous trouverez des explications dans ces articles de journaux : « Le Monde » <TousAntiCovid : vers des QR codes dans certains lieux publics à risque>, « L’indépendant » <Vers un QR code pour aller au restaurant ?>

    Des questions dérangeantes mais nécessaire pour avancer dans la compréhension de ce qui se passe.

    Je vous invite à écouter cette émission : <En finir avec le virus : un choix politique ?>

    <1535>

  • Lundi 1 mars 2021

    « Le grand renversement »
    Pierre Verdrager

    Après avoir fini la série des mots du jour concernant l’inceste j’ai lu un article du « Monde », publié le 26 février, : <Pierre Verdrager, le sociologue qui a vu un « grand renversement » au sujet de la pédophilie>.

    Cet article parle du sociologue Pierre Verdrager qui s’intéresse de longue date à l’évolution de la perception de la pédocriminalité qui est évidemment un sujet plus vaste que l’inceste tout en l’incluant.

    La première chose que j’ai appris dans cet article c’est que le livre : « L’enfant interdit » (Armand Colin, 2013) que ce chercheur avait publié en 2013 avait recueilli peu d’échos :

    « zéro article de presse, une critique dans une revue spécialisée, deux passages radio et une poignée de colloques. »

    Mais la parution du livre de Vanessa Springora « Le consentement » et paru début janvier 2020 a joué un rôle considérable dans l’évolution du jugement du monde médiatique. J’aimerai écrire une évolution des mentalités, je l’espère et c’est possible. Mais si on reste rigoureux, ce qui est incontestable c’est qu’aujourd’hui, dans les médias, les articles sont très clairement anti-pédophiles. D’ailleurs le mot « pédophile » ce qui signifie « aimer les enfants », ce qui peut apparaitre comme positif, au minimum ambiguë a été remplacé par « pédocriminalité » qui met l’accent sur l’interdiction et la réprobation, ce qui me parait plus juste et plus clair.

    Car pendant longtemps « Le Monde », « Libération » et « Gai-Pied » ont ouvert des tribunes à des intellectuels qui étaient ouvertement pédocriminels ou au minimum favorable à la pédocriminalité.

    Pour s’en convaincre, il faut regarder la vidéo qui est présente à la fin de cet article du Figaro <Affaire Matzneff: quand des intellectuels défendaient la pédophilie>

    Ce même article du Figaro qui nous apprend que Gabriel Matznef a commis un livre qui se veut une réponse au livre « Le consentement ».

    Ce livre qui a pour titre « Vanessavirus » et qui compare donc son accusatrice à un virus, n’a pas trouvé d’éditeur pour l’éditer.

    L’homme qui comparaîtra devant un tribunal en septembre pour « apologie de la pédophilie » a donc auto-édité l’ouvrage et le vend par souscription à un cercle restreint d’amis et de connaissances,

    Le Figaro écrit :

    « Acheter le livre est une forme de soutien à un homme privé de revenus depuis que ses éditeurs ont « suspendu » indéfiniment la vente de ses livres. Le Centre national du livre l’a, également, rayé des bénéficiaires d’une allocation pour écrivains à faibles ressources. Deux tirages ont été proposés aux lecteurs. Un, dit ordinaire, à 100 euros, et un autre, de luxe, à 650 euros. L’auteur a, également, prévu un premier tirage de deux cents exemplaires.

    La liste des souscripteurs devrait rester un secret bien gardé. L’un d’eux, contacté par l’AFP, et qui n’avait pas encore reçu, mercredi, son exemplaire, témoigne sous anonymat. «J’aime les livres rares et sulfureux. Tous les éditeurs lui ont fermé la porte, et moi je me suis dit que j’aimerais bien l’avoir, a-t-il expliqué. […]

    Selon une autre source, Gabriel Matzneff rend hommage à «cinq soutiens indéfectibles», à savoir Alain Finkielkraut, Catherine Millet, Dominique Fernandez, Franz-Olivier Giesbert et Bernard-Henri Lévy. Ce dernier, qui a signé plusieurs critiques élogieuses des livres de Gabriel Matzneff, ne s’est pas exprimé sur le sujet après la parution du Consentement. En juin 2020, la romancière Catherine Millet avait déclaré, quant à elle, ne pas regretter avoir signé une pétition lancée par M. Matzneff en 1977 pour la dépénalisation des relations sexuelles avec des mineurs. »

    Cette page de France Inter en dit davantage sur ce livre : <Ni remords, ni autocritique, on a lu « Vanessavirus » de Gabriel Matzneff > et dresse le constat suivant :

    « Le texte d’un homme résolument sourd à la souffrance qu’il a pu causer. »

    Il existe donc encore quelques rares intellectuels qui essaient de trouver des mots pour défendre l’homme et peut être ses actes.

    C’est à partir de la sortie du livre « Le Consentement » et de l’affaire Matzneff qui s’en est suivi que le travail de Pierre Verdrager a été mis en lumière.

    Je l’avais d’ailleurs cité, comme « l’enfant interdit » lors du mot du jour du 31 janvier 2020 consacré au livre de Vanessa Springora « Le consentement »

    Et, c’est ce moment de la publication du livre que Pierre Verdrager définit comme le moment du grand renversement.

    Il a fait paraître le 24 février, toujours chez Armand Colin, un livre qui reprend son étude de l’enfant interdit en la synthétisant et en l’actualisant : « Le grand renversement »

    Il estime que la société a enfin opéré un changement.

    Le hasard a voulu que son livre soit contemporain du dernier opuscule de Matzneff.

    En quatrième page on lit :

    « On ne se souvient généralement pas que la pédophilie a été considérée comme une cause défendable voici seulement une cinquantaine d’années. Au nom du processus de libération des mœurs, de grands intellectuels, de grands éditeurs, de grands journaux, à gauche mais aussi à droite, homosexuels comme hétérosexuels, l’ont défendue de façon passionnée. Certes, une telle position faisait débat. Mais certains étaient résolument convaincus que la lutte en faveur de la pédophilie était un combat politique qui valait la peine d’être mené. Ce livre se replonge dans les controverses de l’époque et passe à la loupe les arguments des différents protagonistes. L’auteur observe ensuite comment ces controverses s’arrêtent, la défense de la pédophilie devenant peu à peu impossible. Mais c’est en 2020, avec la publication du Consentement de Vanessa Springora, que la question pédophile subit sa dernière métamorphose. »

    Une production de <L’INA> montre que la télévision française, dans ces mêmes années, avaient les mêmes faiblesses coupables. On voit même Françoise Giroud traiter légèrement de relations sexuelles entre un adulte et un enfant.

    Et on revoit l’émission de Bernard Pivot, dans laquelle Matzneff peut dévoiler ses passions pour les jeunes filles sans entrainer la moindre réprobation de l’intelligentsia présente. Seule une auteure canadienne Denise Bombarbier ose exprimer un avis divergent :

    «  Moi, monsieur Matzneff me semble pitoyable. Ce que je ne comprends pas c’est que dans ce pays la littérature sert d’alibi pour de telles confidences.»

    Elle était seule, bien seule.

    Quelques jours après cette confidence, Matzneff était à nouveau invité par la télévision et il y avait l’écrivain et intellectuel très apprécié dans le monde littéraire Philippe Sollers qui va tenir ces propos ignobles :

    «  La connasse qu’on vient d’entendre qui est canadienne je crois, qui déraisonne comme ça à la télévision … »

    Édifiant non ?

    Pierre Verdrager souligne le combat dévoyé que certains défenseurs de la liberté sexuelle pour les homosexuels ont voulu élargir aux enfants.

    En 2007, Pierre Verdrager publie « L’Homosexualité dans tous ses états ») réalisé à partir d’entretiens :

    « C’est en lisant les journaux gay comme Gai Pied et en découvrant les articles de défense de la pédophilie que je me suis dit qu’il fallait que je creuse ».

    Quand le Monde précise : « Il sait qu’il peut être accusé de faire le jeu de l’amalgame entre homosexualité ­masculine et pédophilie, que les gays ne cessent de combattre. ».

    Il répond :

    « Je n’ai jamais caché mon homosexualité[…] En tant que gay, j’ai plus de facilité à aborder ce sujet et ­personne ne peut me soupçonner d’être homophobe.

    [C’est le Congrès] de l’International Lesbian and Gay Association (ILGA) en 1994, qui décide d’exclure les associations favorables aux rapports majeurs/mineurs. »

    Et il oppose certains gays aux féministes :

    « La libéralisation de la pédophilie annonçait pour certains gays une victoire de la liberté, alors qu’elle signifiait pour de nombreuses féministes une victoire de la domination masculine. »

    Ce grand renversement de la défense à la condamnation de la pédocriminalité, Pierre Verdrager en trouve la confirmation dans le succès du livre de Camille Kouchner, La Familia grande (Seuil), et par la médiatisation de nombreuses affaires de violences sexuelles sur mineurs :

    « Il faut faire attention à la présomption d’innocence, prévient-il. Mais nous vivons une période d’effervescence très positive. […] Cela a été une grande erreur de Michel Foucault et d’autres intellectuels de ne pas avoir compris que la sexualité entre un adulte et un mineur était une violence, même sans coups. […] La société ne se raidit pas. Elle se place du côté des dominés et des victimes pour dire le droit. C’est un bouleversement complet. »

    C’est une parole et une vision salvatrice qui me semblait mériter un partage.

    <1534>

  • Vendredi 26 février 2021

    « Le pansement Schubert »
    Claire Oppert

    Avril 2012. Paris. Un EHPAD :

    « Une femme hurle et se débat.
    Deux infirmières s’agitent autour d’elle, la maintenant fermement pour l’empêcher de tomber de son fauteuil, tout en parant ses attaques. Elles doivent absolument refaire le pansement de Mme Kessler. La plaie de son bras droit est purulente. (…)
    Je ne sais pas ce qui me pousse à m’arrêter devant elle.
    Je ne prononce pas une parole.
    Je m’assieds et lui joue au violoncelle le thème de l’andante du Trio op. 100 de Schubert.
    Les cris cessent, le calme revient.»

    C’est l’expérience que raconte la violoncelliste Claire Oppert, musicienne et art-thérapeute. Face à ce soulagement, l’une des infirmières dit à la violoncelliste et musicothérapeute :

    « Il faut absolument revenir pour « le pansement Schubert » ».

    C’est ainsi que l’expression est née. Depuis, « le Pansement Schubert » est devenue une étude clinique, expérimentée sur les patients déments et sur les personnes en soins palliatifs. Le protocole expérimental mené sur plusieurs mois, 120 soins réalisés en compagnie de l’instrument. A la clé, une réelle diminution de la douleur physique, un apaisement de l’angoisse et pour tous ces hommes et femmes en souffrance, le sentiment de tutoyer de nouveau la vie.

    « Le pansement Schubert », c’est aussi le titre que Claire Oppert a donné à son livre qui a été publié en février 2020 et dans lequel elle raconte ses rencontres, ses réflexions sur l’art qui l’ont menée à découvrir un remède innovant contre la douleur physique et la souffrance morale : la musique.

    C’était le 24 décembre lors de l’émission de la Grande Table d’Olivia Gesbert : <Claire Oppert, cordes sensibles> que j’ai entendu pour la première fois parler de cette femme étonnante qui est violoncelliste, concertiste et membre de l’équipe thérapeutique de l’hôpital Rives de Seine dans les Hauts-de-Seine.

    Olivia Gesbert la présente ainsi :

    « Apaiser la souffrance et offrir un moment de grâce, c’est la mission que la violoncelliste Claire Oppert se donne depuis 20 ans. De retour de Moscou où elle fait ses classes au conservatoire de Tchaikovsky, Claire Oppert n’emprunte pas la voie toute tracée d’une soliste classique. Loin d’une carrière en musique de chambre, l’intuition guide la soliste vers les hôpitaux. Auprès des jeunes autistes d’abord, après la rencontre décisive avec le docteur en psychologie clinique, écrivain et clown Howard Buten, auteur de «  J’avais cinq ans quand je m’ai tué », célèbre récit sur l’enfance. Aux côtés de ces enfants privés de parole, Claire Oppert découvre que l’instrument permet de nouer un dialogue par la voix du violoncelle. C’est que l’instrument produit une sonorité au plus proche de la voix humaine, quelque chose qui résonne profondément en l’humain.  »

    Dans l’émission elle raconte sa rencontre et sa collaboration avec Howard Buten auprès d’enfants autistes. Elle dit :

    « Le violoncelle est une voix qui me permet de communiquer. Je ne suis pas une  » sauveuse  » mais j’ai la chance de pouvoir passer des moments inouïs grâce au violoncelle et pour citer Howard Buten, pouvoir être à la hauteur des autistes, se rendre suffisamment intéressant et trouver des moyens pour susciter leur attention »

    Howard Buten va lui demander de ne pas ouvrir de livre sur ce sujet pour privilégier l’approche intuitive.

    Elle raconte comment un enfant autiste détruit son violoncelle d’un coup de poing, en pleine cinquième suite de Bach, avant de la regarder pour la première fois dans les yeux. Ce premier regard est une étape dans l’évolution de cet enfant malade, au prix d’un instrument.

    Après les enfants autistes, elle va à la rencontre des malades et des patients en fin de vie, dans les unités de soin palliatifs.

    Elle dit :

    « Je pense qu’il y a un lien fondamental entre l’art et le soin. C’était mon grand idéal, depuis l’enfance, entre ma mère artiste et mon père médecin. J’ai toujours souhaité réconcilier, d’unir le monde de l’art et du soin […]

    La musique est le canal d’une communication nouvelle et subtile. Il y a un enchantement dans le monde sonore, dans la beauté de la musique qui entre-ouvre les cœurs. C’est une forme de miracle dans le sens merveilleux […]. Je suis là comme une accompagnante, j’aide à créer un « kairos », un moment opportun pour tenter de donner le plus de sens possible, jusqu’au bout. […] Le pansement Schubert n’élimine pas toutes les douleurs, c’est un complément dans une équipe pluridisciplinaire qui s’adresse dans l’être à la personne non malade, la personne vivante non touchée par la pathologie. C’est très lumineux, car la musicienne thérapeute comme on dit s’adresse à une partie de l’être qui n’est pas malade, et ce, depuis les débuts de l’humanité. »

    Elle fut aussi invitée par Elisabeth Quin dans son émission 28 Minutes sur Arte <La musique adoucit les maux>. Il faut absolument regarder cette émission.

    Et le dimanche 31 janvier 2021, elle a participé à l’émission : « Une journée particulière » de Zoé Varier.

    France 2 lui a consacré un reportage : <Musique apaiser les souffrances>

    Le Monde lui a aussi consacré un article en novembre 2020 <La violoncelliste Claire Oppert au diapason des patients>

    On y apprend que dans le service de soins palliatifs de l’hôpital Rives-de-Seine, à Puteaux, quand Claire Oppert pousse une à une les portes des chambres elle n’a pas la moindre idée de ce qu’elle y jouera ni de l’accueil qui lui sera réservé :

    « Bonjour monsieur. Vous voyez, un violoncelle vient vous rendre visite. Est-ce que cela vous dirait un petit morceau ? » La voix est douce, la robe longue vaporeuse, comme la chevelure. Claire Oppert a l’air de la fée qui dote le nouveau-né de dons musicaux en effleurant de l’archet son berceau. Elle évolue au ralenti, comme pour se mettre au diapason des malades. Dose son jeu, afin que nul son ne les agresse. Adapte son rythme à leur respiration pour la soutenir, pour dialoguer.

    Chambre 61, la moustache blanche de Georges, 98 ans, frétille lorsque la musicienne apparaît. Qu’est-ce qui lui ferait plaisir ? « Ce que vous voulez, du moment que c’est beau ! », s’enthousiasme déjà le patient en liquette bleue d’hôpital, calé par un gros oreiller. Va pour un extrait de L’Adagio d’Albinoni, puis de l’Ave Maria de Gounod. La musique emplit la pièce. Les boîtes de médicaments, le pichet en plastique, le fauteuil de faux cuir qu’occupe un fils anxieux, tout s’efface dans l’intensité du moment. Georges, qui se meurt d’un cancer de la thyroïde, savoure. Il ferme les yeux, renverse sa tête sur l’oreiller, pleure et sourit en même temps. Lorsque le silence revient, il joint les mains. « Bravo, c’est majestueux ! Vous exprimez des sentiments, je vous envie. Vous m’avez mis de la joie dans le cœur. Merci, merci, merci. Transmettez cette joie aux autres aussi. » »

    Et je cite un autre extrait de cet article :

    « Récemment, elle s’est lancée dans une nouvelle étude sur la musique lors du dernier souffle du patient. « Quand on est très malade, pour mourir, même si le corps est très abîmé, il faut un lâcher-prise, sait le docteur Gomas. Le malade décède à un moment qu’il choisit, pour épargner ses proches. Difficile d’imaginer que la musique n’ait pas un impact sur ce lâcher-prise…

    Chambre 62, une très vieille dame aux longs cheveux blancs, torturée par la maladie d’Alzheimer et le cancer, s’apaise, sur l’air des Feuilles mortes. Souffle ralenti, elle s’endort. Claire Oppert s’esquive. Immédiatement elle note, pour transmission à ses collègues, l’effet de la composition de Joseph Kosma sur la patiente. Un antalgique puissant. »

    J’ai enfin trouvé cet article sur un site spécialisé et à destination des infirmiers : « La musique vivante permet à la personne malade, au cours du soin douloureux, de rejoindre un noyau identitaire, profond, sain et vivifiant »

    Encore un article plein de douceur et d’éloge pour cette étonnante violoncelliste qui raconte dans l’article du monde que ses études au conservatoire Tchaïkovski de Moscou n’ont pas été simples :

    « J’y ai connu l’humiliation, la violence, la peur, dit-elle. Comme pédagogue, je me suis construite à rebours. »

    Et elle ne joue pas que de la musique classique pour les malades. Elle est très éclectique et interprète aussi du Brel et du Piaf, du Johnny, des tangos et valses musette, du rap et même du métal.

    Je terminerai par cet <extrait de l’andante du second trio de Schubert> qu’elle interprète et qui est le morceau à l’origine du « pansement Schubert »

    <1533>

  • Jeudi 25 février 2021

    « Avant, nous allions à l’auditorium de Lyon »
    Lieu de nombreuses émotions et dans lequel a eu lieu les victoires de la musique

    Avant, le matin, je sortais de chez moi et je me rendais à mon bureau qui se trouvait dans le quartier de la Part-Dieu.

    Et de ce lieu de travail que j’ai quitté il y a presque 1 an, j’avais une vue plongeante sur l’auditorium Maurice Ravel…

    Mais c’était avant.

    Avant, je ne voyais pas que ce bâtiment de l’extérieur.

    Avec Annie, nous nous rendions très souvent dans ce bâtiment, pour entendre des concerts avec des musiciens qui jouaient sur scène.

    L’émotion, la beauté, les vibrations nous les vivions ensemble avec beaucoup d’autres, plus de 2100 places sont disponibles dans ce lieu.

    Souvent, la salle était très remplie.

    Quelques mots du jour ont célébré des concerts que nous y avons vécu.

    Mais c’était avant.

    Alors quand Laurent qui continue à aller au lieu de travail, où j’allais avant, m’a expliqué, qu’il voyait que c’était l’effervescence devant l’auditorium et qu’avec le matériel qu’il voyait débarquer pour organiser et filmer les victoires de la musique classique, il fallait absolument que je regarde France3, hier soir.

    J’ai donc regardé.

    C’était très bien.

    Mais ce n’est pas la même chose que d’être dans la salle et de partager la musique, de la vivre ensemble dans un même lieu.

    Ce lieu, cet auditorium qui a été inauguré en 1975 et qui a eu pour nom « Maurice Ravel », parce que Ravel était né en 1875, soit cent avant.

    Mais si pour les mélomanes cette période de disette est lourde et désespérante, comme pour les amateurs de cinéma à cause de l’absence de cinéma ou pour les amateurs de théâtre, que dire de l’épreuve que subissent les artistes, tous les acteurs de spectacles vivants qui ne peuvent plus exercer leur art ?

    Que dire des artistes culinaires qui nous accueillaient, avant, dans des restaurants dans lesquels nous pouvions nous asseoir et attendre qu’on vienne nous apporter le repas que nous avions choisi ?

    Alors, je suis très partisan que le monde d’après soit amélioré par rapport à celui d’avant.

    Mais il y a quand même des choses que nous désirons retrouver comme avant : aller au concert, au cinéma, au théâtre, au restaurant.

    Vous pouvez trouver des extraits de ce spectacle sur Internet.

    Ainsi cet <hommage à Ennio Morricone> décédé le 6 juillet 2020.

    Le percussionniste Aurélien Gignoux a été distingué. Je vous invite à regarder <Cette interprétation de Ravel> sur Marimba mise en ligne par France Musique. Cela révolutionnera peut être votre perception de ce que peut faire un percussionniste.

    <1532>

  • Mercredi 25 février 2021

    «Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter même en rêve.»
    Khalil Gibran, vos enfants, « Le prophète »

    C’est la première fois que j’utilise le même texte pour deux mots du jour. Je l’avais utilisé il y a bien longtemps, tout au début de l’aventure du mot du jour en décembre 2012.

    Mais comme exergue j’utilise un autre des vers de ce poème qui parle des enfants.

    Les enfants qui n’appartiennent pas à leurs parents qui ne peuvent en faire leur objet de domination, leur objet d’exploitation, leur objet sexuel.

    Les enfants qui sont les fils et les filles de l’appel de la vie à elle-même.

    C’est avec ce poème qui célèbre la sacralité de l’enfant que je termine cette série consacrée au sacrilège de l’inceste.

    Même si les évolutions sont lentes et peuvent décourager des victimes qui trouvent que la prise de conscience reste insuffisante notamment chez celles et ceux qui ont laissé faire, n’ont pas voulu voir, n’ont pas su agir, je crois qu’il existe une lame de fond qui emporte avec elle les anciennes croyances et structures qui ont couvertes et laissé faire ce crime de masse à l’égard des enfants.

    Des livres ou des podcasts comme cette série de 6 émissions < Ou peut-être une nuit> qui fait référence aux paroles de la chanson « L’aigle noir de Barbara » et qui a été réalisée par la journaliste Charlotte Pudlowski ouvrent de plus en plus le cercle de la compréhension et celui de l’intolérance à des pratiques et des théories sur lesquelles les pervers se sont appuyés pour pratiquer leurs sordides agissements.

    Certains propos ne peuvent plus être tenus, plus être écrits.

    Les choses bougent.

    Estelle nous a indiqué en commentaire lors du premier mot du jour de la série vers « le magistral travail d’Ariane Bilheran » https://www.arianebilheran.com

    Sur ce site j’ai trouvé une interview datant du 12 janvier 2021 du Dr Régis Brunod, pédiatre et pédopsychiatre très intéressante : «Préserver l’innocence des enfants»

    Je republie donc ce magnifique poème de Khalil Gibran

    « Une femme qui tenait un nouveau-né contre son sein dit :
    Parle-nous des enfants.

    Il dit:

    Vos enfants ne sont pas vos enfants
    Ils sont les fils et les filles de l’appel de la Vie à elle-même
    Ils passent par vous mais ne viennent pas de vous
    Et bien qu’ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas

    Vous pouvez leur donner votre amour, mais pas vos pensées
    Car ils ont leurs propres pensées
    Vous pouvez accueillir leurs corps, mais pas leurs âmes
    Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter même en rêve

    Vous pouvez vous efforcer d’être semblables à eux
    Mais ne cherchez pas à les rendre semblables à vous
    Car la vie ne revient pas en arrière ni ne s’attarde avec hier
    Vous êtes les arcs à partir desquels vos enfants,

    Telles des flèches vivantes, sont lancées
    L’Archer voit le but sur le chemin de l’infini,
    Et Il vous tend de Sa puissance
    Afin que les flèches soient rapides et leur portée lointaine.

    Puisse votre courbure dans la main de l’Archer être pour l’allégresse
    Car de même qu’Il chérit la flèche en son envol, Il aime l’arc en sa stabilité »

    Khalil Gibran

    <1531>

  • Mardi 23 février 2021

    «Marie France [Pisier] remet les choses à l’endroit !»
    Camilla Kouchner

    J’adorais Marie France Pisier. C’était une merveilleuse actrice, d’une grande intelligence, très cultivée. Mais c’était avant tout une voix. Une voix bouleversante et pleine de chaleur et de distinction.

    Je me souviens aussi d’avoir lu avec beaucoup de bonheur, son premier roman : « Le bal du gouverneur ».

    J’avais appris avec beaucoup de tristesse sa mort en avril 2011, la nuit, dans sa villa située dans le Var.

    Sa mort est obscure et mystérieuse : elle a été retrouvée au fond de sa piscine par son mari, portant des bottes en caoutchouc, sa tête et ses épaules coincées dans le croisillon métallique d’une « lourde chaise en fer forgé ».

    Elle n’est pas morte noyée, l’autopsie n’a pas trouvé d’eau dans les poumons.

    Depuis la parution du livre « La familla grande », tout le monde sait ce qu’une toute petite élite germanopratine savait depuis plusieurs années : Marie-France Pisier était dévorée par une colère et une révolte de ce qu’elle avait appris au sein de sa famille : son beau-frère Olivier Duhamel avait abusé de son neveu, fils de sa sœur Evelyne Pisier et de Bernard Kouchner. Elle le racontait à toutes celles et ceux qu’elle connaissait pour tenter de construire un vide sanitaire autour du prédateur.

    A plusieurs reprises, elle a essayé de convaincre son neveu et sa nièce Camilla de porter plainte. Elle n’a pas porté plainte parce que la victime, son neveu ne le voulait pas.

    Marie-France Pisier était une fille de mai 1968, elle était totalement libre dans sa vie affective et sexuelle.

    On peut lire partout qu’elle a accumulé les amants, qu’elle en a même échangé avec sa sœur Evelyne dont elle était si proche.

    Mais Marie-France Pisier dans sa liberté, avait les pieds ancrés profondément dans le sol des valeurs. Elle savait qu’il y avait des limites à ne pas franchir.

    C’est la victime, le fils, qui a raconté à sa mère Evelyne ce que son compagnon lui avait fait subir.

    Evelyne n’a pas consolé son fils, elle s’est enfuie auprès de sa sœur, sa confidente de toujours.

    Elle lui a raconté l’innommable et elle espérait l’empathie de sa sœur.

    Camilla Kouchner raconte dans l’émission «la Grande Librairie» qui a été consacrée à son livre :

    « Elle va se réfugier chez sa sœur Marie France. Et puis, elle trouve chez Marie France assez peu d’empathie. Marie France lui dit : ça c’est non ! Ce que tu me racontes c’est impossible. C’est impossible que tu viennes me dire que tu es mal ! Ce n’est pas toi qui est mal, ce sont tes enfants qui sont mal ! Marie France remet les choses à l’endroit ! »

    Et Marie France n’aura de cesse d’exiger que sa sœur quitte le prédateur. Elle s’engage à l’aider financièrement et moralement pour affronter cette rupture.

    Evelyne Pisier n’en fera rien. Comme d’autres mères, elle restera dans le déni, défendra son homme, bien qu’il soit prédateur.

    Elle accusera même ses enfants de l’avoir provoqué, d’avoir séduit le mâle alpha de la famille.

    C’est pourquoi, il est tellement important qu’il existe des personnes comme Marie-France Pisier qui remettent les choses à l’endroit.

    Il existe des situations qui sont complexes et dans lesquelles les responsabilités ne sont pas claires.

    Rien de tel quand il s’agit d’un acte sexuel que commet un adulte sur un enfant de 13 ans surtout lorsqu’il exerce une autorité paternelle sur lui.

    Il n’y a pas de complexité, il y a asymétrie, il y a emprise, il y a crime.

    Evelyne Pisier tergiverse, cherche des échappatoires et finalement accuse les enfants.

    Marie-France Pisier dit non ! et choisit son camp, celui de ses neveux et se fâche avec sa sœur avec laquelle elle était si liée.

    Mon éducation religieuse revient parfois par des paroles de sagesse qui m’ont construit.

    Et l’attitude remarquable et juste, oui juste de Marie France Pisier me font songer à celle-ci :

    « Et si ta main droite est pour toi une occasion de chute, coupe-la et jette-la loin de toi; car il est avantageux pour toi qu’un seul de tes membres périsse, et que ton corps entier n’aille pas dans la géhenne. »
    Evangile selon Matthieu 5:30

    Pour Marie France Pisier, sa sœur était l’équivalent de sa main droite. Elle n’a pas accepté d’être entrainé dans sa chute, dans le mauvais combat ou dans le combat du mauvais côté.

    Camilla Kouchner était l’invitée de Quotidien de Yann Barthès le 15 février et quand Yann Barthés lui a demandé ce que représentait sa tante pour elle, elle a répondu :

    « Elle est essentielle.
    Elle est essentielle à tout point de vue. C’était notre tante chérie. […]

    Moi elle m’a écoutée, et elle m’a bousculée, elle m’a dit ‘fais toi confiance, il y a des choses qui sont autorisées et il y a des choses qui sont interdites. Ce qu’on m’a raconté est interdit.

    Marie France était pleine de joie pleine de liberté.
    Au bon sens du terme, pas au sens dévoyé du terme.
    Elle était pleine d’inventivité, mais elle avait des limites.
    Et là, elle a très clairement marqué la limite quand elle a appris ce qui était arrivé. »

    Il faut davantage de Marie-France Pisier dans la société.

    S’il nous arrive d’être confronté à de tels agissements et nous savons qu’il en est beaucoup, puissions-nous nous inspirer de Marie-France Pisier.

    L’émission La grande librairie, n’est plus en ligne intégralement mais cette émission de BFMTV : « Affaire Duhamel, un si lourd secret » décrit fidèlement les faits que j’ai repris dans ce mot du jour.

    <1530>

  • Lundi 22 février 2021

    « Le berceau des dominations »
    Dorothée Dussy

    Après les récits et les chiffres, il est nécessaire de faire appel à une parole plus scientifique. Lors de l’émission de la Grande Librairie déjà évoquée, Camilla Kouchner ainsi que Muriel Salmona qui intervenait en tant que présidente d’une association luttant contre les violences sexuelles, ont toutes les deux évoqué la lecture d’un livre qui a été fondateur dans leurs réflexions et prises de conscience.

    Ce livre est « le berceau des dominations » de l’anthropologue Dorothée Dussy. Ce livre publié en 2013 est épuisé, mais on annonce une nouvelle édition en avril 2021.

    Il est épuisé mais il existe une version en ligne derrière ce lien : <Le berceau des dominations>

    Ce livre commence ainsi :

    « Tous les jours, près de chez vous, un bon père de famille couche avec sa petite fille de neuf ans. Ou parfois elle lui fait juste une petite fellation. Ou c’est un oncle avec son neveu. Ou une grande sœur avec sa petite sœur. Le terme consacré pour désigner ces pratiques sexuelles imposées à un enfant de la famille est «inceste». Madame et monsieur, médecins, magistrats, journalistes, écrivains, auteurs de théâtre, chanteurs, historiens, psychologues et psychiatres, définissent ainsi l’inceste. C’est ainsi que tout le monde définit l’inceste, en fait, à l’exception des anthropologues, qui n’ont pas de nom pour dire cette pratique courante de la vie quotidienne dans les familles, happés qu’ils ont été par l’attention portée à la théorie de l’interdit de l’inceste qui indique des règles de prohibitions matrimoniales. La force centrifuge qui a ramené inlassablement les anthropologues à la théorie de l’interdit de l’inceste est si puissante qu’elle a opéré sur eux comme le fait aux yeux la lumière vive avant d’entrer dans une pièce sombre. Françoise Héritier, après avoir consacré une grande partie de sa carrière aux règles de l’exogamie à travers le monde, a tenté de mettre face à face la théorie et le point de vue des praticiens, sans réaliser qu’elle n’avait jamais travaillé sur le problème théorique de l’inceste, mais sur celui de l’interdit de l’inceste. Je reprends donc le dossier de l’inceste et l’ouvre à la dimension empirique. Je suis anthropologue moi-même et fais grand cas de l’articulation de la règle sociale et de la pratique. […]. À la faveur du réel et de la banalité des abus sexuels commis sur les enfants, on verra que l’inceste est structurant de l’ordre social. Il apparaît aussi comme l’outil primal de formation à l’exploitation et à la domination de genre et de classe. Nul besoin que chacun passe à la casserole pour que l’inceste éclabousse tout le monde. »

    Elle utilise la terminologie « incesteur » pour le prédateur et « incesté » pour la victime.

    Sur le site Bastamag , elle explique pourquoi l’ensemble de la société est éclaboussée par l’inceste.

    « L’inceste ne se réduit pas aux faits sexuels mais les déborde largement pour maculer et organiser les relations entre les gens de la famille au quotidien. Il faut donc ajouter au comptage des victimes de l’inceste les frères, sœurs, conjointes et bien d’autres. Il y a pour tout le monde une incorporation de la peur et de la grammaire du silence. On va s’habituer à se taire dans sa vie professionnelle, amicale, sportive parce que c’est ce avec quoi on a été construit. On va considérer normal de se taire et être aveugle quand une agression a lieu devant nous. Combien d’entre nous ont fait cette expérience d’une agression dans les transports en commun, avec personne qui bouge, même si c’est bondé ? On a intériorisé qu’il faut se taire si un rapport de domination se manifeste devant nous. »

    Elle exprime une vision culturelle de l’inceste : elle y voit la mise en œuvre d’un rapport de domination sexuelle spécifique aux sociétés humaines, lesquelles sont moins brutales que les sociétés animales, mais se montrent trop sourdes à ces agissements pour que l’on doute de leur caractère structurel.

    Le « berceau des dominations » est bien sûr dans son esprit, la famille patriarcale, hiérarchisée dans laquelle se joue les rapports de domination.

    Ce n’est pas la justice qui peut régler ce problème mais une révolution anthropologique qui remet en question le modèle qui rend possible ce crime structurel ainsi que le silence qui s’impose à lui.

    Dorothée Dussy travaille au CNRS et est membre de L’IRIS (Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux).

    « Le berceau des dominations » est présenté comme le premier livre d’une trilogie consacrée à « l’ordre social incestueux ».

    A ma connaissance, seul le premier a été publié.

    Ce premier ouvrage étudie les « incesteurs » tandis que les deux prochains devraient être consacrés aux « incestées.

    Dans son premier volume, elle a enquêté auprès de 22 auteurs d’incestes, tous incarcérés dans une prison du Grand Ouest de la France. Ils ont entre 22 et 78 ans et sont issus de diverses classes sociales, avec une majorité provenant de la classe moyenne et populaire.

    Pour Dorothée Dussy l’inceste et le silence qui l’entoure sont constitutifs de l’ordre social :

    « L’intériorisation des abus sexuels et du silence qui les entoure pour les incestés, l’impact suffisamment fort de l’inceste sur les incestés pour que ceux-ci en donnent à voir les effets aux autres enfants (…) participent d’une description complète des processus de fabrication des dominateurs et des dominés » (pp. 255-256).

    Depuis que l’affaire Duhamel a été dévoilée, de nombreux journaux ont donné la parole à l’auteure du « berceau des dominations »

    Sur le site Bastamag Dorothée Dussy décrit la vérité crue sur le soi-disant « tabou de l’inceste » :

    « S’il y a un interdit, ce n’est pas de violer les enfants de la famille, mais plutôt de parler des incesteurs. »

    Et elle ajoute :

    « On stigmatise l’acte, mais on banalise l’acteur. Les campagnes de sensibilisation à l’inceste, par exemple, s’adressent toujours aux victimes, et jamais aux auteurs. Comme si ce n’était pas eux le problème. Or, pour incester des millions d’enfants, il faut du monde. Précisons qu’ils savent, bien évidemment, que ce qu’ils font n’est pas autorisé, mais ils s’en accommodent. Et il n’y a aucune pulsion sexuelle. La preuve : ils s’organisent pour se cacher, et intiment toujours à leurs victimes de se taire. »

    Ce qui est accablant c’est la banalité des « incesteurs ». Dans <Libération> elle fait ce constat et parle de « viol d’aubaine »:

    « Les incesteurs sont des hommes comme les autres […] L’incesteur n’est généralement pas un pédophile. Plutôt un homme normal qui s’autorise – quand l’occasion se présente, parce que ce sont des viols d’aubaine – à avoir des rapports sexuels avec un enfant de la famille. Il considère que cet enfant est à sa disposition : il le soumet alors à son désir sexuel du moment. Les incesteurs ne sont pas des monstres mais des hommes comme les autres : votre voisin de palier, votre collègue. Rien ne les distingue. S’il y a 5 % à 10 % d’enfants violés, le même pourcentage d’adultes est incesteur. Des hommes normaux, qui s’arrangent à la fois avec la loi et avec le consentement de leur victime. Ils savent que le viol est interdit mais ils n’ont pas l’impression de violer ou d’être de sales types. Camille Kouchner le relate bien : son beau-père est un homme plus que normal, libre, bien dans sa peau, soutenant et à l’écoute. »

    Et elle insiste sur la structure familiale qui va camoufler, accepter le crime et protéger le criminel :

    « On ne peut pas comprendre le fonctionnement de l’inceste si l’on s’en tient strictement à la relation entre l’incesteur et l’incesté : il faut aussi considérer ceux qui sont autour. L’incesteur – pas forcément le père, mais le beau-père, l’oncle, le cousin, le grand frère – est presque systématiquement un homme qui bénéficie d’une position dominante au sein de la famille. Elle est tout entière enjointe au silence : la conjointe, les autres enfants, les grands-parents, le reste de l’entourage fréquenté au quotidien ou en vacances. De l’agresseur à la victime, la contrainte au silence se joue sur plusieurs registres : celui de la séduction, de la clandestinité («C’est notre petit secret») ou de la menace («Ta mère va souffrir si tu parles»). Parfois, il n’y a même pas besoin de mots. L’inceste fonctionne toujours avec une rétribution : les incesteurs se dédouanent du sentiment d’avoir extorqué un service sexuel à l’enfant en lui faisant un cadeau. Ils ont ainsi l’impression d’avoir rétribué la victime et que l’acte n’est donc pas un problème. […]

    Le cœur de l’ordre social est le fonctionnement incestueux de la famille. Celle-ci peut très bien fonctionner, même avec un des membres qui en agresse d’autres au quotidien pendant des années. En revanche, au moment du dévoilement, cela s’interrompt. Alors, pour maintenir l’ordre familial, elle se referme autour du silence. En général, en excluant l’incesté qui dévoile les faits. La famille Duhamel est un cas d’école : les enfants Kouchner ne voyaient plus leur mère. A part leur tante et des personnes qui ont pris leurs distances, tout le monde a continué à fréquenter ce cercle familial. Ceux qui ont mené à bien le dévoilement en ont été exclus. »

    Sur Bastamag elle ose cette hypothèse :

    « Vu le nombre d’incestés, et donc d’incesteurs, il y a forcément des violeurs sur les bancs de l’Assemblée nationale, ou encore au sein du Conseil constitutionnel, lequel a retoqué plusieurs fois les lois sur l’allongement du délai de prescription des crimes d’inceste. C’est logique, car personne ne renonce facilement à ses privilèges. Mais c’est un vrai problème, qui participe à la reconduction de l’inceste. »

    Dans <cet article de l’Obs> Dorothée Dussy explique la difficulté de sortir de ce phénomène parce qu’il est enfoui profondément dans les structures familiales patriarcales, hiérarchisées.

    « Je ne crois pas que les choses vont changer. Ce sujet, c’est l’horreur. J’en ai fait l’expérience dans mon métier. J’ai fait des exposés, des conférences, j’ai vu les gens regarder leurs pieds en attendant que ça passe, c’est très pénible et un peu vain. Il y a eu des centaines de travaux, des programmes, des dispositifs de lutte contre l’inceste, mais nous en sommes toujours au même point. L’inceste résiste à tout ça, il a toujours existé, il a toujours traversé les temps, et les générations. L’inceste survient dans une famille où il est en général déjà là, donc c’est très dur d’en venir à bout. C’est un crime de lien, commis par des proches auxquels les enfants sont attachés. L’inceste s’articule autour de ressorts constitutifs de l’organisation familiale, qui sont difficiles à désamorcer. Il faudrait lutter en amont, prendre à la source le problème, s’intéresser à la domination masculine, à la domination tout court, aux formes d’écrabouillement d’autrui, des enfants.

    Pour l’anthropologue, il faut en parler, en parler davantage :

    « Il faut oser parler de ce qui dérange : les millions de violeurs. L’omerta protège les gens qui commettent les violences, les « incesteurs ». C’est d’eux dont il faut parler, qu’il faut oser dénoncer. »

    Et puis comme je l’ai déjà rapporté lors d’un mot du jour précédent, le problème n’est pas que les enfants ne parleraient pas, le problème c’est qu’il faut des oreilles pour écouter et une autorité pour les protéger devant le prédateur.

    « Les enfants ne se taisent pas. En réalité, ils parlent, à leur manière, mais on ne les entend pas, on ne les comprend pas. Et ils ne révèlent rien. J’ai fait des centaines d’entretiens avec des victimes, et il y a toujours des situations d’incestes dans les générations qui les ont précédées. Il s’agit de familles entières où les gens naissent avec l’injonction au silence. Les enfants apprennent tout petits à supporter. Ils savent que s’ils ont mal aux fesses, on ne les écoutera pas, on ne les soignera pas. S’ils sont crevés le matin, parce que la peur qu’on les réveille la nuit les a empêchés de dormir, ils savent que c’est mal de s’en plaindre, qu’il ne faut pas que ça se voit, ni que cela se sache. Et quand ils verbalisent auprès d’un proche les violences sexuelles subies, c’est tellement inintelligible, qu’on les renvoie dans leur but. Les enfants n’ont pas de mots pour définir la sexualité, ils sont incrédules, ou « ignares » pour utiliser le vocabulaire de la sexualité. Ils ne comprennent pas ce qu’ils vivent, comment le dire ? »

    L’espoir de Dorothée Dussy repose sur l’évolution économique des élites et la place plus importante des femmes parmi les dirigeants :

    « De décennies en décennies, les femmes deviennent indépendantes financièrement, elles accèdent à des postes à responsabilités, elles sont médecins, elles sont avocates, elles sont élues à l’Assemblée, elles sont journalistes. Il y a donc statistiquement plus de personnes violées à des postes clés. Plus les femmes seront nombreuses à occuper des places décisives, moins les hommes qui relativisent les crimes sexuels l’emporteront. »

    Dorothée Dussy intervient aussi dans cet article du Figaro : « Silence et inceste : On en veut aux mères car on s’imagine qu’elles ont un instinct naturel de protection »

    <1529 >

  • Vendredi 19 février 2021

    « Il y avait le jour, il y avait la nuit, il y avait l’inceste..»
    Mathilde Brasilier

    Quand on se penche sur ce crime et qu’on ouvre les oreilles et les yeux, on est submergé par les témoignages. Leur nombre, les drames, la souffrance.

    Non, il n’y a pas d’inceste heureux pour les enfants.

    Le milieu familial qui devrait être celui de la protection, du refuge peut devenir celui du mal absolu. Françoise Dolto disait qu’on se retrouvait alors comme

    « un œuf qui a perdu sa coquille »

    Ce crime est perpétré à <96%> par des hommes, le genre mâle d’homo sapiens.

    Mathilde Brasilier quand elle a pu enfin parler, c’était trop tard pour porter plainte.

    Elle a écrit un livre « Il y avait le jour, il y avait la nuit, il y avait l’inceste. » paru en août 2019.

    Elle raconte simplement l’histoire dans <France dimanche>

    «De mon père, j’entendais souvent : « C’est un homme brillant, il a eu le prix de Rome » [décerné à la suite d’un concours dans différentes disciplines : architecture, peinture, sculpture, gravure et musique, ndlr].

    Il était un architecte de renom.

    Ma mère était sculptrice. Elle représentait l’image de la bourgeoisie, et lui, de l’aristocratie. Elle possédait de l’argent, lui, l’intelligence et la culture. Et nous habitions Saint-Germain-des-Prés.

    Enfant, je ressentais l’aura de mon père. Il était souvent absent la semaine à cause de ses cours aux Beaux-Arts et de ses nombreux voyages.

    Le week-end, il s’occupait de mon frère Fabien et de moi. Il nous emmenait voir des expositions, visiter des monuments historiques, la culture constituant une valeur éducative très importante pour lui.

    Les premiers abus ont débuté lorsque j’avais 5 ans.

    Souvent, ils avaient lieu dans l’agence d’architecture de notre père, située à une rue de l’appartement familial.

    Au départ, cet endroit était un superbe terrain de jeu pour nous, car c’était un ancien théâtre sur deux niveaux avec un sous-sol, dans lequel nous construisions des cabanes.

    Mais c’était aussi un piège…

    Lorsqu’il fermait la trappe phonique du sous-sol, plus personne ne pouvait nous entendre.

    Son visage changeait. Son regard devenait terrifiant, il se muait en prédateur.

    Ça se passait aussi dans ma chambre, la nuit. C’est à ce moment-là que j’ai développé une insomnie chronique. Alors il utilisait de l’éther pour nous endormir et mieux accomplir son forfait.

    Pour se justifier, il nous disait qu’il nous aimait plus que les autres parents. Et il nous avait choisis parce qu’on était mieux que les autres enfants.

    Comme si c’était une chance.

    Durant cinq ans, j’ai essayé d’attirer l’attention, notamment de notre médecin de famille, à travers mes troubles du sommeil. Mais il a réglé le problème en me prescrivant des injections de Valium.

    A l’époque, dans les années 70, on parlait peu d’inceste, et encore moins au sujet des familles bourgeoises, bien sous tout rapport.

    A l’âge de 10 ans, les abus ont cessé après un séjour à la montagne, durant lequel mon frère et moi avons réussi à lui échapper.

    Après ça, il a fait une dépression et a été interné. Il n’a plus jamais recommencé.

    Et moi, j’ai oublié… pour un temps.

    Le 6 mars 1985, Fabien, mon frère, mon alter ego, s’est suicidé. Il s’est jeté du haut de Beaubourg. Il avait 24 ans.

    C’était un acte fort et réfléchi, car lui, hélas, n’avait pas oublié ce que nous avions vécu. Mais il ne me l’a jamais rappelé, pour ne pas me faire souffrir.

    Ma famille a prétendu qu’il s’agissait d’un accident, qu’il aurait été poussé par quelqu’un. Un suicide, ça faisait tache dans notre milieu social. Il n’y a donc pas eu de cérémonie ni de pierre tombale.

    J’ai compris son mal-être quinze ans plus tard, après une séance chez une thérapeute. J’avais consulté Catherine Dolto pour un retard de langage que présentait mon fils, et elle m’a proposé de me suivre également.

    Un jour, à 40 ans, la boîte de Pandore s’est ouverte, et tout m’est revenu en mémoire, comme l’a aussi décrit et vécu Flavie Flament.

    Toutes les scènes d’agression me sont apparues comme des photos. A ce moment-là, j’étais dans le métro, les portes se sont fermées, et j’ai éprouvé une très grosse angoisse.

    Quand j’en ai parlé à ma mère, j’ai réalisé qu’elle était elle-même sous emprise. Elle n’a pas su. Elle était probablement dans le déni.

    En 2005, j’ai eu mon père au téléphone. On a beaucoup parlé, et il a reconnu ce qu’il avait fait, il ressentait de la culpabilité.

    Il s’est suicidé le lendemain…

    J’aimerais aujourd’hui que les crimes sexuels sur enfant (en deçà de 15 ans) soient imprescriptibles, puisque l’amnésie traumatique va être inscrite dans le Code pénal.

    C’est une nécessité pour les victimes. »

    Il faut aussi regarder ce documentaire de France Télévision dans lequel elle intervient parmi d’autres : <Enfance Abusée>

    C’est bouleversant.

    Le plus souvent le crime s’enfonce dans le déni et même les mères consentent à l’emprise et se taisent.

    Les familles fréquemment protègent l’agresseur et rejette la victime qui parle.

    C’est inacceptable. Il faut que cela cesse.

    Mathilde Brasilier s’exprime aussi sur ce <blog de mediapart>

    <1528 >

  • Jeudi 18 février 2021

    « Je pense qu’entre un parent et un enfant, il n’y a pas d’inceste heureux.»
    Eva Thomas pendant l’émission les dossiers de l’Ecran du 2 septembre 1986

    Le 2 septembre 1986, L’émission de France 2, « Les dossiers de l’écran » décide de parler de l’inceste en France. C’est une première.

    L’INA a pris la décision pertinente de remettre en ligne cette émission. Vous la trouverez derrière ce lien <1986 : Le tabou de l’inceste – Archive INA>

    Le début est remarquable et saisissant.

    Trois femmes victimes apportent leurs témoignages : deux de manière anonyme et une Eva Thomas, l’auteur du livre paru en 1986 : « Le viol du silence » à visage découvert.

    La première femme qui témoigne est la mère d’une fille qui a dénoncé son mari à la gendarmerie dès qu’elle a su qu’il avait violé une de leurs filles. Ce mari a été en détention provisoire, mais la procédure judiciaire s’est achevée par un non lieu. Elle explique qu’après cela, sa fille et elle-même ont été ostracisées par leurs voisins comme par leur belle famille. Les voisins qui lui ont parlé, lui ont reproché d’avoir dénoncé son mari à la justice. Ils expliquaient qu’ils auraient compris qu’elle divorce, mais que l’affaire reste discrète.

    Il ne fallait pas salir la famille et la justice ne savait pas condamner !
    C’est ainsi qu’on réagissait en 1986 !
    J’espère que nous n’en sommes plus là.

    A cette époque cette femme devait tout porter, puisqu’il lui a fallu trouver un emploi, car elle était femme au foyer et en outre elle était rejetée par la société, car on l’accusait d’avoir causé un trouble. Alors que nous étions en présence d’un criminel et d’un crime. Enfin, à l’époque ce n’était pas aussi clair, l’avocate qui avait été invitée sur le plateau rapportait que la plupart des affaires se traitait devant la justice correctionnelle qui juge des délits et qu’elle n’avait plaidé qu’une affaire aux Assises qui est le tribunal des crimes.

    Nous sommes là en présence d’« un système d’impunité des agresseurs » comme le révélait le magistrat Édouard Durand que je citais dans le mot du jour de ce lundi.

    La seconde femme anonyme a raconté une autre histoire, mais avec la même conséquence qui a été que ce fut elle qui a été condamnée par sa famille. Elle avait été violée par son frère. Les parents avaient recueilli l’enfant et s’était empressé de trouver un mari pour leur fille qui reconnut l’enfant. Le frère continuait à être reçu comme un prince dans sa famille, alors que la fille était le « mouton noir ».

    On jugeait la fille, l’enfant coupable d’avoir provoqué la libido du garçon.
    C’est ce qu’on appelle la culture du viol.
    Une inversion perverse de la responsabilité.

    Puis ce fut Eva Thomas qui témoigna avec beaucoup de dignité et de sensibilité du viol subi vers 15 ans par son père. Elle dit :

    « J’ai choisi de témoigner à visage découvert parce que j’aimerais sortir de la honte. »

    Elle raconta que c’est par l’écriture qu’elle arriva à se libérer, à pardonner et à retrouver une relation apaisée avec ses parents et son père.

    Contrairement aux deux autres victimes, son père lui demanda pardon et reconnut le mal qu’il lui avait fait.

    Elle raconta aussi sa sidération et son incompréhension devant l’acte qu’elle avait subi. Elle ne comprenait pas, n’avait pas de mots au moment où cela s’est passé pour dire la chose. Et elle n’osait pas alors le dire à sa mère, elle vivait dans la crainte que le fait de le dire, tuerait sa mère.

    Et elle s’est sentie coupable, coupable de ne pas avoir crié, ne pas s’être débattu.

    Elle a ajouté cependant que depuis qu’elle avait approfondi ce sujet, elle se rendait compte que tous les enfants ont dit la même chose : la surprise et l’incrédulité les paralysaient.

    Elle a créé à l’automne 1985, à Grenoble, une association : « SOS inceste ».

    Dans la suite de l’émission, plusieurs spécialistes sont intervenus

    Lumineux, quand l’ethno-psychanalyste Tobie Nathan explique le tabou de l’inceste, sa transgression et le mythe qui y est rattaché.

    Précis et rigoureux, quand le juge Bernard Leroy donne des chiffres et expliquent les limites de la justice sur les affaires d’inceste qui sont portées auprès d’elle.

    Vindicative, lorsque l’avocate associée de Gisèle Halimi, Maître Dominique Locquet se révolte contre le laxisme de la justice sur ces affaires dans les années 80.

    Et puis il y eut des médecins dont le docteur Gilbert Tordjman qui ont tenu des propos hallucinants, inécoutables avec notre sensibilité d’aujourd’hui. ; C’étaient des hommes évidemment.

    Ils tentaient d’expliquer ou plutôt ils affirmaient du haut de leur science qu’il y avait plusieurs types d’inceste : le brutal, le violent condamnable et puis une autre forme d’inceste, d’amour, d’échanges, d’initiation… Ou encore expliquant que des relations inabouties entre les parents conduisaient le père à aller chercher du côté de la fille. Des fadaises, s’il ne s’agissait de monstruosités…

    Et puis des téléspectateurs ont appelé pour dire qu’ils vivaient une relation incestueuse épanouie et heureuse des deux côtés. On entend : « Je suis amoureux de ma fille adoptive. Pourquoi semez-vous la zizanie dans les familles ». Un autre assume aimer caresser sa fille de 10 ans. Un troisième témoigne qu’il a des relations quotidiennes avec sa fille de 13 ans.

    Eva Thomas après avoir secoué plusieurs fois la tête, digne, émue, les yeux un peu rougis a alors dit simplement.

    « Je pense qu’entre un parent et un enfant, il n’y a pas d’inceste heureux »

    Et elle ajouté, au moins pour l’enfant, il n’y a pas d’inceste heureux.

    C’était un autre temps.
    C’est de là que nous venons.

    Eva Thomas a écrit un autre livre, publié en 1992, « le sang des mots ».

    Elle l’a écrit sur le choc d’une victime d’inceste qui a été condamnée par la justice, parce qu’elle avait rendu public l’inceste alors que les faits étaient prescrits. Elle a été condamnée pour diffamation. La justice n’a pas contesté l’inceste, mais interdit d’en parler. Le criminel ne pouvait plus être jugé, il fallait même empêcher qu’il fût embêté par des souvenirs déplaisants.
    C’est une décision de justice de 1989.
    Quelle honte !

    Plus récemment, en 2017, l’Obs a interviewé Eva Thomas, à l’âge de 75 ans : <Eva Thomas : celle qui en 1986 a brisé le silence sur l’inceste>

    L’obs rappelle combien son témoignage fut retentissant et constitue une des étapes qui a fait bouger les lignes.

    A 75 ans elle avoue

    « J’avais l’impression de me jeter dans le vide »

    Elle explique qu’elle voulait à tout prix rompre le silence, s’attaquer à « l’attitude hypocrite et lâche de la société face à l’inceste ».

    Anne-Claude Ambroise-Rendu, auteure de « Histoire de la pédophilie » (éd. Fayard, 2014) explique :

    « La télévision, comme média de masse, a été un puissant vecteur de ce changement sociétal. Il a permis de voir et d’entendre ces victimes. Il offre la possibilité de l’empathie, de l’émotion et de l’identification. A ce moment, le visage d’Eva Thomas, en plan serré sur Antenne 2, se suffit à lui-même. »

    Elle parle de sa solitude, de l’incompréhension manifestée par les médecins dont certains lui ont même rétorqué qu’il n’y avait rien de grave à coucher avec son père.

    Elle reconnait que le fait que sont père reconnut sur le tard son acte détestable l’a aidé :

    « Son ancien compagnon, le père de sa fille unique, a été le premier homme auprès de qui elle s’est confiée. C’est lui qui l’a convaincue d’écrire une lettre à son père. Alors qu’elle entamait l’écriture de son livre, ce dernier a reconnu les faits et lui a demandé pardon – « une chance incroyable », précise-t-elle. Il a lu son livre, aussi.

    Il m’a dit que jamais il n’avait imaginé que ça provoquerait de tels dégâts sur ma vie. »

    Elle raconte que de nombreuses femmes lui ont écrit pour la remercier d’avoir ouvert la voie. Ces multiples échanges lui ont également permis de comprendre l’ampleur considérable de ce désastre.

    Dans son village natal, il y avait deux camps ceux qui trouvaient qu’elle était une héroïne et les autres qui trouvaient que c’était un scandale : « on n’attaque jamais ses parents. ».

    Elle raconte alors son parcours dans son association et d’autres interventions :

    « La libération de la parole qui éclate dans les années 1980 est euphorisante. […] Ça a été une espèce de jubilation collective dans les groupes de parole. […] C’était joyeux, au point de désarçonner un journaliste venu en reportage dans le local associatif. . […] On se vivait comme des guerrières, des combattantes. […] C’était extraordinaire de voir à quel point on était heureuses de se retrouver face à quelqu’un qui nous comprenait puisqu’on avait vécu les mêmes trajets, on était passées par les mêmes chemins.

    C’était très rassurant quand on en parlait ensemble parce que tout à coup, à force d’entendre les mêmes mots, les mêmes phrases, les mêmes itinéraires, la façon dont on s’était battues chacune de notre côté, il y avait une forme de normalité qui ressortait.

    Nous, qui nous étions fait jeter avec l’idée qu’on était un peu folles, hystériques, réalisions qu’on avait eu des réflexes normaux, en réaction à un traumatisme. »

    Elle revient aussi sur la relation avec ses parents après :

    « Jusqu’à leur décès, au début des années 2000, Eva Thomas a entretenu une relation apaisée avec ses parents, une fois le pardon accepté.

    A partir du moment où tout était clair, où tout avait été dit, je me suis réconciliée avec eux. Régulièrement, je suis allée passer des vacances chez eux. J’étais heureuse d’être avec mes parents. […]

    On peut vivre avec cette cicatrice-là comme avec une autre. »

    On peut parler de résilience.
    Mais combien ce chemin fut difficile.

    Et si nous sommes en progrès, nous ne sommes pas encore au bout de ce combat : « Une relation sexuelle avec un enfant n’est jamais négociable. Jamais, Jamais !»

    <1527>

  • Mercredi 17 février 2021

    « Pause («L’apologie de la pédophilie, face noire de Mai-68)»
    Un jour sans mot du jour nouveau

    J’avais consacré une série de mots du jour à mai 68. Le mot du jour du 17 mai 2018 avait pour exergue : « Mai 1968 et le sexe ».

    Et il était déjà question de questions proches de celles que j’évoque depuis le début de la semaine. Avant de citer la fin de cet article, je soulignerai qu’Olivier Duhamel est un enfant de mai 68. Il avait 18 ans en 1968.

    Voici la fin de cet article :

    Mais aujourd’hui je vais développer un autre aspect de cette histoire : la face noire de mai 68.


    J’ai déjà écrit que je n’avais pas vécu mai 68 et que je n’en gardais aucun souvenir personnel. Il y a pourtant un aveuglement que je me reproche et que j’ai déjà développé dans un mot du jour ancien et dont je parlerai à la fin de celui-ci. Et je fais un lien direct entre ce vécu et la morale issue de mai 1968.

    L’historienne Anne-Claude Ambroise-Rendu, auteur de l’<Histoire de la pédophilie> lance cette accusation « L’apologie de la pédophilie, face noire de Mai-68 » :

    « Mai-68 avait appelé à la libération des corps. Mais la « révolution sexuelle » proprement dite sera l’œuvre de la décennie 1970. Le réexamen incessant, sous un angle résolument politique, de la sexualité et du droit qui la gouverne aura pour effet de bousculer les a priori et de faire vaciller le conformisme.

    Une partie de la presse se met alors à dénoncer les tabous, explorer les silences de l’intimité et interroger les sexualités dites alternatives. Dans le paysage politico-culturel qui se dessine, la notion même de déviance est niée ; et bientôt la parole est donnée à une revendication nouvelle : la pédophilie.

    A l’orée des années 1970, les défenseurs de la pédophilie s’arriment au militantisme homosexuel et spécialement au Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar), fondé en 1971, qui combat tout à la fois l’oppression des homosexuels et appelle à la reconnaissance des « sexualités autres ». Ce « cousinage » est favorisé par le Code pénal et ses dispositions discriminatoires qui punissent les rapports homosexuels en-deçà de 21 ans, tout en permettant les rapports hétérosexuels dès 15 ans. Michel Foucault, qui participe aux travaux de la commission de révision du Code pénal, n’hésite pas à signer une pétition invitant à tenir compte du consentement des mineurs. Il réfléchira même à la possibilité de supprimer toute infraction sexuelle du Code.

    Si le mouvement homosexuel, notamment sous l’impulsion des féministes, se désolidarise rapidement des voix pédophiles, un petit nombre d’intellectuels médiatisés continuent de défendre la « cause » dans les colonnes de « Libération », très en pointe, et, dans une moindre mesure, du Monde. Leur plaidoirie se poursuit autour de trois axes empruntés partiellement au fonds de l’antipsychiatrie. Le premier, cher à l’écrivain Gabriel Matzneff, invoque l' »amour des enfants » et le rôle positif que peut jouer une « initiation » sexuelle et intellectuelle dans une éducation bien conçue.

    L’éros enfant ou adolescent est placé sous les auspices d’une esthétique et d’une éthique héritées de la pédérastie de la Grèce antique. Le second axe s’appuie sur l’idée d’une altérité radicale de l’enfant qui reste à comprendre et à aimer convenablement, loin des figures naturalistes de la doxa. Tel est en substance le propos de « Co-ire. Album systématique de l’enfance », publié en mai 1976 par le philosophe René Schérer et le fondateur du Fhar, Guy Hocquenghem. Pour les auteurs, l’enfant est celui qui « est fait pour être enlevé […], sa petitesse, sa faiblesse, sa joliesse y invitent », mais aussi celui dont la liberté et l’autonomie sont impossibles.

    Les catégories à partir desquelles penser la relation adulte-enfant doivent donc au minimum être repensées. Le troisième axe de la défense pédophile insiste plus directement sur la menace que la sexualité des enfants fait peser sur l’institution familiale. Effrayante, elle est castrée au prix d’un abus de pouvoir scandaleux.

    L’écrivain Tony Duvert (prix Médicis 1973) met violemment en cause l’éducation répressive qui brime les désirs et les pulsions des enfants au nom des droits exclusifs de la famille ; il dénonce la prééminence de mères castratrices et le « matriarcat qui domine l’impubère ». »

    Doan Bui journaliste qui a reçu le prix Albert-Londres 2013 a écrit dans l’Obs : < Libérer le plaisir de l’enfant», disaient-ils… >

    « C’était il y a quarante ans, avant que le mot « pédophile » ne devienne synonyme de « monstre ». De nombreux intellectuels militaient pour autoriser les rapports sexuels avec les plus jeunes. Alors que le débat sur le consentement des mineurs resurgit, retour sur une folle dérive sociétale et culturelle.

    […] Si je suis solidaire de Polanski ? S’il ne s’agit que de relations sexuelles avec mineur, de coït buccal et de sodomie, bien sûr ! » C’est ainsi que feu Jean-Louis Bory, écrivain et critique de cinéma réputé, répondait au « Quotidien de Paris » en 1977 quand on l’interrogeait sur le cinéaste, accusé d’avoir violé Samantha, 13 ans. La presse, unanime à l’époque, plaignait Roman Polanski, « victime du puritanisme américain », en conspuant les parents et la jeune fille, « tout sauf une oie blanche ».[…]

    En 1977, l’affaire ne suscite pas l’ombre d’une controverse en France, y compris chez les féministes. Ni quand le cinéaste fuit en France, en 1978, ni quand sort « Tess » l’année suivante, acclamé par la critique, avec la toute jeune Nastassja Kinski, laquelle avait 15 ans quand elle rencontra le cinéaste et qu’il devint son amant.

    Martine Storti, militante féministe, était journaliste à « Libération » dans ces années-là. « C’est fou, mais je n’ai aucun souvenir de cette affaire, que j’ai découverte en 2009, quand Polanski a été arrêté en Suisse. » Elle poursuit :

    « A l’époque, nous, les féministes, étions sur d’autres combats : la pilule, la criminalisation du viol, pour qu’il soit jugé aux assises… Là-dessus, on se faisait insulter et traiter de réacs. ‘Libé’, c’était quand même un journal de mecs. »

    Dans ses pages cinéma, « Libération » consacra juste un petit article à l’affaire : « Au cinéma, les enfants sont là pour séduire les adultes. » C’est la ligne du journal de ces années-là, qui publie des articles titrés : « Centre aéré : je continuerai à jouir avec des impubères si tel est mon plaisir et si tel est le leur » ; des caricatures pour choquer le bourgeois : « Apprenons l’amour à nos enfants », avec le dessin d’une gamine faisant une fellation à un adulte ; ou encore le plaidoyer de Jacques D., incarcéré pour « attentat à la pudeur sur mineur », expliquant que « l’enfant est capable d’aimer sexuellement » et qu’il a la « satisfaction d’être agréable à celui qui le sodomise ».

    […] On comprendrait peut-être les raisons du culte voué à feu David Hamilton. Le photographe (accusé depuis de viols sur mineures) est alors une vedette qui vend ses calendriers par millions. Le magazine « Vogue Homme » le sollicite pour un dossier de couverture mettant en scène des adolescentes peu vêtues, puis récidive en commandant une série plus « réaliste » sur les adolescentes à Polanski, d’où la fameuse séance avec la jeune Samantha.

    […] Brooke Shields fait la une du magazine « Photo », elle a 10 ans, est nue, maquillée, sort du bain. Deux ans plus tard, elle joue une prostituée dans « la Petite », de Louis Malle. Irina Ionesco, elle, fait prendre à sa fille, Eva, des poses pornographiques, dès ses 5 ans. Eva Ionesco l’a narré dans un film et dans « Innocence », magnifique roman autobiographique paru à l’automne. Elle raconte sa mère lui demandant d’écarter les jambes devant l’objectif, vendant les clichés à des clients émoustillés, comme l’écrivain Alain Robbe-Grillet, connu pour son goût des fillettes (il écrivit d’ailleurs le texte du premier livre d’Hamilton, « Rêves de jeunes filles »). Il offrira un stylo Montblanc à Eva pour la convaincre de jouer nue dans son film. »

    Etc., je vous invite à lire l’article de Doan Bui, vous lirez aussi des propos de Gabriel Matzneff, de Leo Ferré, Aragon, Beauvoir, Barthes, Ponge, Michel Foucault, Guy Hocquenghem, et tant d’autres…

    Et puis il y a Daniel Cohn-Bendit qui a été accusé lors d’un débat politique par François Bayrou d’avoir défendu la pédophilie dans un ouvrage ancien. L’Obs a publié des <Extraits de ce livre>

    « Dans son livre « Le Grand Bazar », publié en 1975 chez Belfond, Daniel Cohn-Bendit évoque son activité d’éducateur dans un jardin d’enfants « alternatif » à Francfort :

    « Il m’était arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller. Je réagissais de manière différente selon les circonstances, mais leur désir me posait un problème. Je leur demandais : ‘Pourquoi ne jouez-vous pas ensemble, pourquoi m’avez-vous choisi, moi, et pas d’autres gosses ?’ Mais s’ils insistaient, je les caressais quand même ». « J’avais besoin d’être inconditionnellement accepté par eux. Je voulais que les gosses aient envie de moi, et je faisais tout pour qu’ils dépendent de moi  » ».

    Plus tard, Daniel Cohn-Bendit, a démenti tout acte pédophile et soutenu que ses écrits reflétaient l’esprit de l’époque de « provocation contre le bourgeois ». « Ce qui est écrit dans « Le grand bazar » n’est « pas une réalité », mais « un condensé de faits observés », avait déclaré Daniel Cohn-Bendit. «J’ai raconté ça par pure provocation, pour épater le bourgeois » (…) et « sachant ce que je sais aujourd’hui des abus sexuels, j’ai des remords d’avoir écrit tout cela ».

    Récemment, j’ai trouvé
    cette petite vidéo, dans laquelle Daniel Cohn-Bendit est invité par Bernard Pivot dans apostrophes, probablement que là aussi il veut «épater le bourgeois», en l’occurrence Paul Guth qui est en face de lui et il dit : «La sexualité d’un gosse, c’est absolument fantastique, faut être honnête. J’ai travaillé auparavant avec des gosses qui avaient entre 4 et 6 ans. Quand une petite fille de 5 ans commence à vous déshabiller, c’est fantastique, c’est un jeu érotico-maniaque… ». Je ne voudrai pas accabler Daniel Cohn-Bendit qui a bien changé depuis, mais nous pouvons constater qu’après mai 68 on pouvait tenir de tels propos dans des émissions culturelles de l’ORTF….

    Et j’en reviens au mot du jour ancien dans lequel j’avais utilisé comme exergue ce mot de Raymond Aron, à propos du génocide des juifs par les nazis : « Je l’ai su, Mais je ne l’ai pas cru. Et parce que je ne l’ai pas cru, je ne l’ai pas su. ». Dans ce mot du jour j’ai raconté que je connaissais les responsables de l’École en bateau et que j’avais lu le livre qu’avait écrit le fondateur. Dans ce livre, la pédophilie était décrite mais je n’ai pas su la voir et la comprendre parce que l’esprit du temps issu de ces excès de mai 68 nous avait aveuglés, m’avait aveuglé et perverti mon sens du jugement.

    Tout ceci ne signifie pas que la libération des mœurs issue de mai 68 ne doit pas être vue de manière positive, mais je trouve l’expression « La face noire » pertinente sur ce sujet où la perversion de certains hommes a pu non seulement s’exprimer sans tabou mais aussi le faire en le justifiant par des théories de libération pernicieuses et dévoyées. Car si la pédophilie s’inscrit dans la nuit des temps, il y eut dans le mouvement de 68 des intellectuels qui exprimaient des théories qui la justifiait et même l’encourageait.

    <mot du jour sans numéro>

  • Mardi 16 février 2021

    « On parle beaucoup de « libération de la parole », mais il s’agit surtout d’«une histoire d’écoute ». »
    Geneviève Fraisse

    <Geneviève Fraisse> est philosophe de la pensée féministe qui a écrit de nombreux ouvrages sur les femmes.

    Elle était, ce lundi, l’invitée d’Augustin Trapenard dans Boomerang du <15 février 2021>

    Augustin Trapenard la présente ainsi :

    « Philosophe et historienne de la pensée féministe, observatrice avisée des évolutions de notre société, elle pointe, interroge et défait les fausses évidences depuis plus de quarante ans. […]

    Philosophe avant-gardiste, cela fait plus de 40 ans qu’elle interroge des sujets qui font aujourd’hui irruption dans le débat public. À travers son étude minutieuse de la différence entre les sexes, de l’égalité démocratique et des logiques d’émancipation féminine, sa pensée subversive et constamment en mouvement nous invite à penser le monde autrement. »

    Hier, j’avais parlé de la libération de la parole, mais Geneviève Fraisse dit très justement que le problème essentiel qui s’est posé dans notre humanité, n’est pas la libération de la parole, car souvent les enfants ont cherché des adultes pour parler. Non !  le problème essentiel est celui de l’écoute, l’acceptation d’entendre ce que la victime a à révéler et en tirer toutes les conséquences.

    Elle a dit :

    « Aujourd’hui, on a débouché les oreilles. On parle beaucoup de « libération de la parole », mais il s’agit surtout d’ «une histoire d’écoute ». »

    Il faut regarder l’émission qui a été mise en ligne par l’INA : « Dossiers de l’écran du 2 septembre 1986 » dans laquelle la télévision avait enfin accepté de parler de l’inceste et donner la parole à trois victimes. C’est bouleversant et remarquablement instructif.

    Et face à la parole de ces femmes, il faut aussi entendre certains des invités, des hommes médecins qui tiennent des propos ahurissants. Particulièrement le docteur Gilbert Tordjman, sexologue qui apparaissait souvent à la télévision dans les années 1970. En 2002, il sera accusé d’abus sexuels sur certaines de ses patientes et mis en examen pour viol. Il ne sera pas jugé car il décédera d’un cancer avant le procès.

    Mais, je reviendrai sur cette émission et notamment j’évoquerai Eva Thomas qui osa parler de l’inceste à visage découvert et su dire des paroles précieuses et  justes.

    Geneviève Fraisse a aussi évoqué l’ambigüité du mot consentement, dont un des sens est de se soumettre : « J’y consens. ». Ce consentement peut être comme une défaite, un renoncement. On peut consentir à se rendre.

    Elle préfère un autre mot qui est synonyme de l’autre sens de consentement et qui ne présente pas la même ambigüité. Quand on parle de l’échange de consentement. Pour ce sens il existe le mot « accord ».

    Le mot « accord » s’entend comme l’échange de consentement de deux égaux qui discutent :

    « Le mot « consentement » est mauvais. Il porte en lui l’ambiguïté, car il peut être unilatéral ! Je pense qu’il faudrait lui préférer le mot « accord ». ».

    <1526>

  • Lundi 15 février 2021

    « Une relation sexuelle avec un enfant n’est jamais négociable. Jamais, Jamais !»
    Marie-Pierre Porchy, ancienne juge des enfants

    Sidération !

    Sidération devant les chiffres.
    10% des adultes disent avoir été victimes de viol ou d’agression sexuelle dans l’enfance.

    Le collectif féministe contre le viol a élaboré une autre statistique, sur l’ensemble des agressions qui lui sont rapportées chaque année, 30% dénoncent des violences qui ont eu lieu avant les 11 ans de la victime.

    Autrement dit : 1 enfant sur 10 est victime de violences sexuelles.

    Quand vous êtes devant une classe de 30 enfants, en moyenne il y a 3 victimes.

    78% des victimes sont du sexe féminin, ce qui veut dire que pour les filles c’est 1 fille sur 6 qui est victime.

    Ces chiffres très sérieux ont été donnés lors de l’émission <les matins de France Culture du 19 janvier 2021> et aussi la Grande Librairie du 13 janvier 2021 dont l’intégralité de l’émission n’est plus en ligne au moment où j’écris mais dont vous trouverez un extrait derrière ce lien < L’inceste, la fin du silence ?>

    Ces émissions ont fait suite à la sortie du livre de Camilla Kouchner « La Familia grande » dans lequel, elle dénonçait les agissements de son beau-père, c’est-à-dire le second mari de sa mère, Evelyne Pisier, Olivier Duhamel.

    L’invité des Matins de France Culture, Édouard Durand, magistrat, membre du conseil scientifique de l’Observatoire national de l’enfance en danger et ancien membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a confirmé ces chiffres et ajouté

    « Ce que l’on sait, c’est que le nombre de victimes de violence sexuelle, dont 60 % d’enfants, en France est effarant. […]  Et que le nombre de condamnation est extrêmement modeste. Et que ce nombre de condamnation a tendance à diminuer. Cela constitue, pour nous au Haut Conseil à l’Égalité, un système d’impunité des agresseurs. »

    Le Figaro en se basant sur une étude de l’INED annonce des chiffres encore plus catastrophiques.

    L’UNICEF analyse le phénomène sur la planète entière.

    Il est difficile de croire ces chiffres.

    Pourtant depuis la publication du livre, qui a été comme un électrochoc, des paroles se sont libérées. Et parmi celles et ceux qu’on connaît, il y en eut qui ont dit « moi aussi ».

    Révélant ainsi plus justement la part de l’iceberg qui était caché à notre vue.

    Et souvent, elles ou ils avaient parlé mais on ne les a pas cru.

    On n’a pas cru à la parole des enfants. Mais comme le rapporte Edouard Durand, nous savons maintenant qu’il y a tant de crimes impunis dans ce domaine, que c’est en n’écoutant pas la parole des enfants, en ne la prenant pas en compte que le risque de commettre l’injustice est le plus élevé.

    Indécence !

    J’ai lu de ci de là et je me suis même disputé sur les réseaux sociaux avec des adeptes de cette thèse que Camilla Kouchner aurait écrit ce livre à un moment où les faits sont prescrits uniquement pour gagner de l’argent. Parce qu’étant donné les familles concernées, la réputation de l’accusé et l’emballement médiatique, le livre se vendrait très bien.

    François Busnel a interviewé Camilla Kouchner, dans l’émission précitée et dont il existe un extrait de l’entretien <Ici>. Cet échange montre, si cela était nécessaire, la souffrance et la déchirure que l’inceste a constitué pour la fratrie et pour toute la famille.

    Bien sûr, le fait que le père de la victime soit Bernard Kouchner, que l’accusé soit Olivier Duhamel , que la mère soit Evelyne Pisier et la tante Marie-France Pisier ne peut qu’avoir un écho médiatique et assurer une promotion du livre.

    Mais comme le mouvement qui l’a suivi le montre, c’est parce que Camilla Kouchner a accepté ou plutôt a senti la nécessité de mettre cette affaire sur la place publique, qu’il a été possible de consacrer autant de temps à ce qu’Edouard Durand appelle « un crime généalogique » et que tant d’autres victimes ont cru possible de dévoiler leur vérité et rendre d’autant plus crédible à nos yeux l’ampleur de ce crime fait à l’enfance, à l’enfant qui est une personne vulnérable.

    Et puis Guillaume Erner pose la bonne question :

    « Si ce genre de livre existe, c’est parce que la justice ne passe pas comme elle devrait passer ?  »

    La réponse du magistrat est sans nuance :

    « Oui, bien sûr. Le Haut conseil à l’égalité, et particulièrement la Commission violences alerte les pouvoirs publics sur la nécessité de modifier la loi pour que les enfants soient mieux protégés contre les violences sexuelles et contre toutes les formes de violences.

    Et que particulièrement la procédure judiciaire parvienne à mieux prendre en compte la souffrance des enfants pour interrompre le cycle de la violence. »

    Colère !

    Colère contre Alain Finkielkraut et tous ses semblables qui osent évoquer dans cette affaire d’inceste la question du consentement.

    Il a beau avoir condamné l’acte d’Olivier Duhamel, il n’avait pas de «consentement» ou de «réciprocité» à évoquer.

    Il s’agit d’autorité, d’emprise il ne peut être question de consentement.

    C’est justement cette confusion, dans laquelle on prétend que dans une telle situation il est possible d’aller chercher le consentement de l’enfant, qu’il y a l’acceptation de l’inacceptable.

    Dans la deuxième partie de la Grande Librairie du 13 janvier dont vous pouvez voir <ici> un extrait déjà cité, François Busnel avait invité :

    • Muriel Salmona qui est la présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie et qui a publié « Livre noir des violences sexuelles », aux éditions Dunod.
    • Marie-Pierre Porchy qui a été juge des enfants et qui est aujourd’hui retraitée. Elle avait publié en 2003, « Les silences de la loi »

    Et aussi le philosophe Marc Crépon auteur de « La société à l’épreuve des affaires de mœurs. ».

    Pour Marie-Pierre Porchy, dans un inceste : « Le consentement d’un enfant cela n’existe pas »

    Et elle précise que judiciairement :

    « Tout reste régi par une Loi qui oblige à démontrer, « violence, menace contrainte surprise ».

    Ce qui a pour conséquence, en pratique, le plus souvent d’obliger l’enfant à démontrer le non consentement.

    Or elle pose cette règle avec laquelle pour ma part je suis totalement en accord :

    « Une relation sexuelle avec un enfant n’est jamais négociable. Jamais, Jamais ! »

    Le père d’Albert Camus disait :  « Un homme ça s’empêche »

    Dans le journal du dimanche la même Marie-Pierre Porchy dit :

    « La loi demande à l’enfant victime d’inceste en quoi il était contraint, alors qu’il exécute ce qu’on lui demande simplement parce que c’est un enfant. Il ne dit ni oui ni non, mais il monte dans la chambre… Il faut éliminer cette notion de consentement pour que les enfants puissent se réparer dans le cadre de l’action judiciaire. L’agresseur, quand il reconnaît les faits, rejette en général la responsabilité sur la victime, qui se sent coupable de n’avoir pas dit non. Cette dynamique judiciaire perverse vient anéantir tout travail de reconstruction psychologique. Il faut tout revoir dans la loi, pas seulement un petit article sur les viols, et faire évoluer nos pratiques. »

    Et je finirai pour ce premier mot du jour consacré au crime générationnel par l’incompréhension de l’auteure des « silences de la Loi » exprimée dans l’émission de la Grande Librairie

    « Je ne comprends pas qu’aujourd’hui on ne peut pas arriver à écrire [dans la Loi] : une relation sexuelle avec un enfant est puni de … »

    <1525>

  • Vendredi 12 février 2021

    « Beaucoup de gens ne se rendent pas compte du privilège extraordinaire que ce qu’est « être vivant » car nous n’aurons qu’une vie, il faut en profiter pour qu’elle soit belle pour soi et qu’elle soit bonne pour les autres, et utile si possible. »
    Jean-Claude Carrière

    Quel homme, quelle culture, quel talent !

    Frédéric Pommier dans un tweet a écrit « Dans ma prochaine vie, je voudrais la carrière de Jean-Claude Carrière. ».

    Je l’ai découvert, dans les chroniques matinales de France Inter qu’il a tenu seulement pendant quatre mois, entre septembre 2003 et janvier 2004. Il racontait pendant 3 minutes, à la fin de la matinale de France Inter, une histoire, une réflexion, une chronique historique, enfin quelque chose qui était en relation avec les événements du monde qui venaient d’être analysés par les journalistes d’information. Il l’a conceptualisé sous le nom « d’à-coté ». C’était toujours un moment de sagesse et de lumière.

    Il était écrivain, scénariste, parolier, metteur en scène et acteur, mais lui se définissait comme « un conteur ». Il possédait aussi la voix chaude et profonde du conteur qui immédiatement captivait votre attention.

    Ces « à-côté » ont fait l’objet d’un livre.

    Une fois connu le nom de Jean-Claude Carrière, j’ai pu constater à combien d’œuvres exceptionnelles il a participé.

    Annie, m’avait raconté avec plein d’enthousiasme le cycle du «Mahabharata» quelle avait vu au Théâtre du Bouffes du Nord, spectacle de 9 heures. Elle parlait de l’œuvre de Peter Brook, c’est-à-dire le metteur en scène. Mais le scénario avait été écrit par Jean-Claude Carrière en se fondant sur des textes de la tradition indienne.

    <Slate> écrit :

    « On songe évidemment à l’immense cycle du Mahabharata conçu aux côtés de Peter Brook en 1985, à l’intelligence des puissances de la scène déployées par les deux complices pour magnifier à des yeux occidentaux et ignorants l’immense saga hindoue.

    Événement inoubliable, à Avignon, au Théâtre des Bouffes du Nord ou en tournée mondiale, pour tous ceux qui l’ont connue –et dont témoignera à nouveau le film réalisé par Brook à nouveau avec l’aide de Carrière, qui n’est pas une captation mais une nouvelle adaptation au sens le plus élevé, du théâtre vers le cinéma, par les mêmes auteurs– est un tour de force presqu’inimaginable. »

    Et Peter Brook, de 6 ans son ainé, mais toujours vivant, lui rend hommage dans « Libération » :

    « Jean-Claude a travaillé pendant dix ans à l’adaptation du Mahabharata, cette longue épopée en sanskrit. C’était comme si la pièce renaissait sans cesse. Pour cela, il fallait voyager, et on est partis partout en Inde, consulter les grands gourous et les peuples, voir les petites pièces qui se jouaient dans la rue, dans les théâtres les plus minables. On traversait des kilomètres en taxi, et immédiatement, pendant le trajet, Jean-Claude sortait son stylo et un calepin et il écrivait. Il ne cherchait pas la gloire, mais elle est venue malgré lui. Il a reçu un oscar [d’honneur, en 2014, ndlr], et des hommages extraordinaires. Il était unique, tellement doué, et tellement peu soucieux que ça se sache. Il évitait la décoration, détestait les jolies phrases, l’ornement. Et cherchant l’essentiel, il l’était, lui, essentiel.»

    Dans ce même article le jeune réalisateur, Louis Garrel avec qui il a fait « L’Homme fidèle » en 2018 le décrit ainsi : .

    « Jean-Claude était comme un immense arbre avec beaucoup de feuilles qui ne faisait de l’ombre à personne. « Je lui avais demandé de relire [un] scénario […] Il m’a donné un premier conseil toujours valable : « Quand tu as un problème avec deux personnages dans une scène, rajoutes-en un troisième qui écoute. » Il avait cet incroyable talent de savoir écrire ce qui pouvait prendre forme visuellement sur un écran. […] Il me faisait penser à cette phrase de Rimbaud : « Le monde est très grand et plein de contrées magnifiques que l’existence de mille hommes ne suffirait pas à visiter. » Sauf qu’il était l’inverse, il intégrait tous les signes du monde. Mais mille personnes n’auraient pas suffi à l’explorer.»

    Et quand mon fils, Alexis, a travaillé un texte en classe qui l’avait beaucoup intéressé : « La controverse de Vallalodid », c’était encore un texte, un roman plus précisément de Jean-Claude Carrière qui narre ce débat historique voulu par Charles Quint et qui s’est tenu en 1550 au collège San Gregorio de Valladolid et qui a opposé le dominicain Bartolomé de las Casas, grand défenseur des peuples autochtones d’Amérique et le théologien Juan Ginés de Sepúlveda qui défendaient l’idée que l’enseignement chrétien n’empêchait pas de réduire en esclavage les indigènes pour le plus grand profit des bons chrétiens venus d’Europe.

    Texte passionnant pour regarder en face ce crime qui a été commis pendant des siècles : l’esclavage.

    Dialogue d’une grande richesse qui dans un téléfilm a opposé Jean-Pierre Marielle jouant Bartolomé de Las Casas et Jean-Louis Trintignant interprétant son contradicteur sous l’arbitrage du légat du Pape joué par Jean Carmet.

    Il fut, bien sûr, le scénariste de Luis Bunuel, mais aussi de Jacques Tati « Les Vacances de monsieur Hulot », de Louis Malle « Viva Maria ! » et « Milou en mai », Milos Forman « Les Fantômes de Goya », Volker Schlöndorff « Le Tambour », Nagisa Ōshima « Max mon amour », Michael Haneke « Le Ruban blanc » et tant d’autres.

    Il s’intéressait à toutes les cultures, à toutes les civilisations. Il s’est ainsi énormément intéressé au bouddhisme et a publié, en 1994, « La Force du bouddhisme » sur la base d’entretiens avec le dalaï-lama.

    <Libération raconte> que dès ses 5 ans, il avait demandé à sa mère l’autorisation de placer un bouddha dans la crèche de Noël parmi les anges, les mages, les bergers, démarche que le curé du village, dûment consulté, autorisa.

    L’obs a republié un dialogue de 2010 avec Jean Daniel dans lequel il exprime cette vision de nos fameuses valeurs universelles :

    « Le mot « valeur » au sens que nous essayons d’utiliser aujourd’hui n’est pas traduisible dans quatre cinquièmes des langues de la planète. On ne peut pas traduire « valeur » en sanscrit, en chinois, en japonais, en persan… Cette notion même n’existe pas. Peut-on alors parler d’universalité à propos d’un mot qui ne se communique pas à d’autres pays et à d’autres peuples ? C’est une première remarque. La seconde est historique. Quand nous, Européens, parlons de valeurs universelles à d’autres Européens, nous faisons immédiatement allusion aux droits de l’homme et aux valeurs démocratiques et républicaines qui sont nées du travail des philosophes du XVIIIe siècle et qui ont été exprimées clairement par les révolutionnaires français.

    Cette valeur, que nous voudrions universelle, n’existe donc que depuis peu de temps et dans peu d’endroits. De ce point de vue, les élus français de la Révolution se sentaient légitimes pour faire des lois qu’ils affirmaient universelles. Pour faire des lois universelles, il faut se référer à ces fameuses valeurs, comme si la valeur (laissons de côté la valeur marchande et militaire) était la transcendance de la loi. Comme si, avant de faire des lois, des décrets et des règlements, il fallait se référer à des valeurs « supra-existantes » et, pour employer un mot d’aujourd’hui, durables. Ces valeurs, ils les ont affirmées dans la « Déclaration des droits de l’homme » et dans d’autres textes avec beaucoup de lucidité. Ils les ont voulues si rapidement et brutalement universelles qu’ils n’ont pas hésité, dans certains cas, à les propager par la force armée.

    […] Il y a l’impérialisme culturel, c’est-à-dire le désir d’imposer aux autres des idées que nous croyons justes. Si quelqu’un me dit qu’il ne partage pas les idées que je veux lui inculquer et que je les lui impose par la force armée, je déclenche une guerre, alors que je tendais à l’universel. D’un autre côté, pour que des individus à l’intérieur d’une société et des peuples vivent ensemble le plus harmonieusement possible, il faut bien qu’ils respectent un certain nombre de valeurs, qui ne sont pas forcément transcendantales et universelles et peuvent être relatives. Quand on dit « valeur universelle » – j’ai beaucoup travaillé sur des cultures lointaines -, je me rebiffe. Je ne vois aucune raison d’imposer ma foi ou mon absence de foi à tel ou tel peuple très loin de moi. Mais en même temps je me dis : peut-être a-t-il quelque chose à prendre de moi, et moi de lui. Là, la notion d’universel devient différente. Elle devient valeur d’échange. Y a-t-il entre les peuples apparemment différents des expériences, des notions, voire ce que nous appelons (encore un mot intraduisible) des « concepts » à échanger ? C’est une vraie question. »

    J’avais mentionné Jean-Claude Carrière dans le mot du jour <du 10 Juillet 2015> parce qu’il mettait en garde sur la captation du concept de spiritualité par les religions. Car spiritualité signifie « esprit », « pensée » alors que les religions, le plus souvent, conduisent à éviter de penser pour remplacer la recherche spirituelle par le «dogme».

    J’avais aussi parlé de son livre « La Paix » publié en 2016 dans le mot du jour du <9 janvier 2017> et je le citais :

    « On n’écrit jamais sur la paix comme s ‘il n’y avait rien à en dire, tandis que les ouvrages sur la guerre fleurissent de tout côté. »

    La dernière fois que j’ai entendu sa chaude voix de conteur, c’est quand il était venu présenter son livre, consacré à la mort, « La Vallée du Néant » sur France Inter, fin novembre 2018 : <Le sens de la vie de Jean-Claude Carrière>.

    Il explique qu’il est difficile de définir le « néant », « la mort » en le rapprochant à l’idée du « rien » dans lequel les hommes de toute culture et de tout temps, ont mis beaucoup de choses.

    Il s’amuse de notre espérance : « Ce qui est formidable, c’est qu’on se dit toujours que quand nous serons morts, nous le saurons » et il cite Sénèque :

    « Tout le monde sait qu’il doit mourir, mais personne n’a jamais su qu’il était mort »

    Il fait aussi cette objection aux transhumanistes qui rêvent d’immortalité :

    « Nous oublions que nous sommes condamnés à mort dès notre naissance […] la naissance n’est possible que grâce à la mort. Or, aujourd’hui, il est impossible d’accepter l’idée que nous devons un jour disparaître.

    C’est l’obsession de l’immortalité qui nous pose problème. Interdire la mort serait aussi interdire la naissance. La fin de la mort ne saurait pas se concevoir sans la fin de la naissance. Or, interdire la naissance sur toute la surface de la planète, qui s’y risquerait ? »

    Mais quand il évoque la mort, il parle de la vie, de sa vie :

    « Quand je regarde en arrière, je me dis que si le petit garçon que j’étais avait su ce qui l’attendait… C’était tellement imprévisible. Je dois cela à une bourse de la République. Si j’ai une chose à dire, c’est « Vive la République ! »

    […] Les gens qui craignent le plus la mort, qui en parlent beaucoup, qui la redoutent, qui, tous les matins, s’examinent, sont ceux qui, en général, vivent avec la mort tandis qu’ils sont encore vivants. Ce qui n’est pas du tout mon cas.

    […] Vieillir est le seul moyen que nous ayons trouvé pour vivre longtemps.»

    Il explique par d’autres mots que si l’on ne sait pas s’il y a une vie après la mort, au moins nous devons nous imprégner de cette réalité qu’il existe une vie avant la mort

    Et, il finit par cette ode à la vie, que j’ai choisi comme exergue de ce mot du jour :

    « Beaucoup de gens ne se rendent pas compte du privilège extraordinaire que ce qu’est « être vivant » car nous n’aurons qu’une vie, il faut en profiter pour qu’elle soit belle pour soi et qu’elle soit bonne pour les autres, et utile si possible. »

    Un peu plus de deux ans après avoir écrit cet ouvrage sur la mort, Jean Claude Carrière a quitté la communauté des vivants, le 8 février 2021. Sa fille a précisé qu’il était mort dans son sommeil et qu’il n’a pas été victime de la Covid19.

    Il avait 89 ans.

    <1524>

  • Jeudi 11 février 2021

    « Ne pas considérer la démocratie comme acquise. »
    Barack Obama

    Avant Donald Trump, les américains avaient élu Barack Obama et ils l’ont même réélu.

    Certains prétendent que c’est l’élection de Barack Obama qui a rendu possible l’élection du show man. Ils expliquent qu’il y a eu toute une part de l’électorat blanc qui n’avait pas supporté l’élection d’un métis et avait alors voté pour son exact contraire : un blanc fier de l’être, un homme rustre sans sophistication, sans une once de pensée complexe ni de culture historique et littéraire.

    Il me semble que cette explication reste très marginale, je crois plutôt que c’est le rejet d’Hillary Clinton qui a été prépondérant avec le rejet de l’élite démocrate qui s’est polarisé sur la promotion des minorités et des évolutions sociétales qui sont rejetés par l’Amérique profonde. Il y a bien sûr aussi une dimension économique, l’Amérique en dehors des grandes métropoles se rendant compte que la mondialisation et le libre échange favorisaient une petite minorité située dans les métropoles alors qu’ils les désavantageaient.

    J’ai trouvé, comme souvent, l’émission d’Alain Finkielkraut de samedi dernier, consacrée « à la fracture américaine » très intéressante.

    Il avait invité Roger Cohen, éditorialiste au New York Times, ce journal qui est le symbole de l’élite démocrate et de ses dérives. Lors du meurtre de Samuel Paty, il s’était comporté de manière indigne comme je l’avais relaté dans le mot du jour du 28 octobre 2020 : «Nous sommes bien seuls pour défendre notre conception de la liberté d’expression.».

    En face de Roger Cohen, Laure Mandeville, Journaliste au Figaro, ancienne correspondante à Washington de 2009 à 2016, défendait des positions beaucoup plus critiques contre les obsessions des élites « progressistes » américaines, comme celle, par exemple,  que j’évoquais hier.

    Laure Mondeville a notamment proposé cette analyse :

    « Trump a porté depuis le début la rage profonde qui venait des tréfonds de l’Amérique, une rage contre l’establishment, les institutions et les élites. […] On a une partie extrêmement importante de la population qui a voté pour Trump qui est en état de quasi-sécession mentale et politique. […] Cette population qui est restée silencieuse, qui a finalement subi une espèce de disqualification à la fois politique, idéologique et presque morale. […] Je parle de l’émergence d’une gauche obsédée par l’identité et qui est en train d’attiser une sorte de volcan identitaire très dangereux. »

    Barack Obama, n’a pas joué sur ces tensions identitaires, il s’est même efforcé à tous les moments de sa présidence de toujours privilégier l’universalisme au rétrécissement vers l’identitaire. Des noirs lui ont même reproché de ne pas avoir fait de réformes avantageant leur communauté.

    Bien sûr, Barack Obama a commis des erreurs, il a, dans certains cas, manqué d’audace mais il ne faut pas oublier que le Sénat était contre lui et aux États-Unis, il est impossible de légiférer efficacement quand le Sénat s’y oppose.

    Mais Barack Obama n’a jamais manqué de dignité, de hauteur de vue, d’intelligence.

    J’ai écouté avec attention et le plus grand intérêt son interview par l’excellent Augustin Trapenard, sur France Inter, ce lundi 8 février : «  Barack Obama chez Augustin Trapenard dans Boomerang  ».

    Bien qu’il s’agisse de radio je vous envoie vers la version vidéo de l’entretien sous-titré.

    Cet entretien en distanciel a été réalisé pour la promotion du premier tome des mémoires d’Obama : « Une terre promise. »

    Lors de la sortie, en novembre, de la version française, Barack Obama avait choisi d’être interviewé sur France 2 par François Busnel, l’animateur de la « Grande Librairie ». Il a donc choisi les deux fois un journaliste littéraire, de culture et non un journaliste politique.

    Après son entretien, François Busnel a dit :

    « Une rencontre avec Barack Obama, c’est un moment totalement exceptionnel. Quel que soit son bilan, il restera comme l’une des icônes de ce début de XXIe siècle. Je crois que c’est un écrivain. Il a apporté à la politique une sensibilité nouvelle. […] Ce qui reste frappant, c’est l’extrême humilité. Barack Obama ne vous prend jamais de haut. C’est naturellement une bête de scène avec un formidable pouvoir charismatique intact et d’énormes convictions chevillées au corps qui lui viennent de ses lectures »

    L’entretien avec François Busnel se trouve sur le site de France 2 : <Le Grand entretien du 17/11/2020>

    Augustin Trapenard a choisi de faire écouter aux auditeurs, avant l’interview, un long extrait du poème lu par Amanda Gorman lors de l’investiture de Joe Biden et qui constituait le sujet principal du mot du jour de ce lundi.

    Et quand la jeune poétesse noire affirme simplement qu’elle pense possible de devenir présidente des Etats-Unis, elle le doit certainement à Barack Obama.

    Et Augustin Trapenard commença son entretien en lisant la page 112 du livre d’Obama lorsque ce dernier répond à une question sur les motivations qui l’on conduit à se présenter aux élections présidentielles qu’il rêvait qu’un jour tous les enfants noirs, latinos, filles ou garçons, qui avaient le sentiment de ne pas appartenir à ce pays, pourraient voir un nouveau champ des possibles s’ouvrir à eux.

    Car il faut évidemment que l’objectif qu’on poursuit s’inscrive dans le champ des possibles auxquels on croit. Et c’est ce que Barack Obama a réussi. Il a pu donc offrir ce récit à d’autres volontés, à d’autres destins.

    L’échange entre Augustin Trapenard et Barack Obama est très fluide et profond. Si vous ne l’avez déjà fait je vous invite vraiment à l’écouter.

    J’en tire trois extraits qui m’ont particulièrement marqué :

    D’abord la reconnaissance d’Obama que la mondialisation a conduit à l’accélération des inégalités, dans nos pays développés. Et que ce problème d’inégalités minent nos démocratie ;

    « Ce qui menace la démocratie, c’est ce que nous devons à la mondialisation et à la technologie : l’accélération des inégalités, et des gens qui se sentent laissés pour compte. Cela a rendu une grande partie de la population vulnérable aux appels du populisme. »

    Et puis, il parle de cette nécessité de la confiance et de la vérité sur les faits, sans quoi l’échange d’arguments ne peut exister. Il prend l’exemple du changement climatique et rapporte qu’il lui est tout à fait possible de discuter longuement avec quelqu’un qui n’est pas d’accord avec lui sur les solutions à mettre en œuvre et il sait même que ces échanges sont utiles et font avancer. En revanche, s’il se trouve en présence d’un individu qui nie la réalité du changement climatique, avec qui le socle des faits et de la vérité n’est pas assuré, le dialogue est vain. La capacité d’avancer et de trouver des solutions communes se trouve annihilée.

    Il décrit notre monde médiatique d’aujourd’hui :

    « Le pouvoir des mots a été compromis par les changements du paysage médiatique. Aujourd’hui, il y a Internet et un millier de plates-formes, et il n’y a plus de règles convenues sur ce qui est vrai ou faux. C’est le plus grand danger actuel pour la démocratie.  »

    […] Nous ne pourrons pas revenir à une époque où il n’y avait que quelques arbitres de la vérité. Mais nous devons trouver des moyens de tenir les réseaux sociaux responsables de la manière dont nous faisons la différence entre réalité et fiction. »

    Et puis, cette évidence que nous portions depuis 1945 que la démocratie était l’horizon du monde et que tous progresseraient vers cette organisation politique, est remise en cause. La démocratie est fragile :

    « L’important est de connaître suffisamment l’histoire pour que lorsque le nationalisme de droite refait surface, nous nous rappelions à quoi il mène. Pour que lorsque nous voyons le sectarisme, les préjugés refaire surface, nous nous en rappelions les conséquences. […]

    Ceux d’entre nous qui croient en une démocratie tolérante, pluraliste et inclusive, qui offre à tous des possibilités, doivent être vigilants. Ils doivent faire mieux, travailler plus dur, et ne pas considérer la démocratie comme acquise. »

    Et pourtant nous vivons mieux et dans un monde moins violent qu’il y a un siècle rappelle t’il.

    Je redonne le lien vers la page de France Inter : https://www.franceinter.fr/emissions/boomerang/boomerang-08-fevrier-2021

    <1523>

  • Mercredi 10 février 2021

    « Les mots que l’on n’a plus le droit de prononcer.»
    Un phénomène hallucinant

    Cela a commencé dans les universités américaines des Etats-Unis et du Canada, le même phénomène s’instille aussi dans les universités françaises.

    Je l’avais évoqué lors du mot du jour de la série Beethoven : « Beethoven victime de la « cancel culture aux Etats-Unis ».

    Mais évoqué conceptuellement un sujet comme celui-ci ne peut pas remplacer la force d’un témoignage. C’est un article de la presse canadienne, publié le 29 janvier par la journaliste Isabelle Hachey : « Les mots tabous, encore » qui m’a interpellé.

    L’Université McGill est située à Montréal. elle a été fondée en 1821, c’est l’une des plus anciennes universités du Canada.

    L’histoire que la journaliste va raconter se passe à l’automne dernier et concerne une jeune enseignante, chargée de cours :

    « Le cours est une introduction à la littérature québécoise. L’enseignante a sélectionné huit romans, anciens et contemporains. Réjean Ducharme. Anne Hébert. De grands classiques. Des incontournables. Le premier texte est aussi le plus ancien : Forestiers et voyageurs, écrit en 1863 par Joseph-Charles Taché. Un roman folklorique qui parle de draveurs, de trappeurs et de bûcherons.

    En classe virtuelle, la prof se fait interpeller.

    « Madame ! Madaaame ! Le mot ! »

    L’enseignante ne comprend pas tout de suite. À Ottawa, l’affaire Lieutenant-Duval n’a pas encore éclaté. « Page 99 », lui indique l’étudiante. La prof se rend à la page. La survole du regard. Cherche « le mot ». Lequel ? Elle ne sait pas trop. Mais elle sent une angoisse sourde monter en elle. »

    Je suppose que comme moi, vous n’êtes pas au courant des péripéties universitaires canadiennes. L’affaire Lieutenant-Duval fait référence à une enseignante Verushka Lieutenant-Duval, qui enseigne l’histoire de l’art et les théories féministes à l’Université d’Ottawa. Lors d’un cours, elle a prononcé le mot : « nègre » et très rapidement un collectif d’étudiants a demandé sa démission parce qu’en utilisant ce mot, elle les aurait offensés. La direction de l’Université d’Ottawa a suspendu l’enseignante pendant quelques temps avant de lui permettre de reprendre le cours. Un article de Radio Canada raconte le malaise et la crainte de cette professeure devant les insultes et les mots violent qu’elle a dû subir depuis cette campagne contre elle : « J’ai peur depuis la première journée »

    Mais reprenons le récit de la journaliste concernant la chargée de cours de l’Université Mac Gill :

    « Soudain, ça lui saute aux yeux.
    Il est là, écrit en toutes lettres.
    Pendant leur séjour en forêt, les trappeurs canadiens-français ont « travaillé comme des nègres ».

    La journaliste précise que l’enseignante a requis l’anonymat parce qu’elle craint les répercussions d’une sortie publique sur sa carrière.

    Bien que l’enseignante présente immédiatement ses excuses, la tension monte :

    « Des étudiants s’indignent de la présence du mot dans l’œuvre. Ils lui reprochent de ne pas les avoir prévenus ; ils n’étaient pas prêts à ce choc émotionnel. Ils remettent son jugement en cause.

    La prof perd pied. « Le stress monte à un point où on n’est plus maître de soi-même, raconte-t-elle. C’est vraiment dans les pires minutes de ma vie. »

    Elle tente d’expliquer. De justifier. C’est une expression qui reflète les mentalités de l’époque, bafouille-t-elle. Et en bafouillant… le mot tabou lui glisse des lèvres.

    « Madaaame ! Vous venez de le dire ! C’est inexcusable, une Blanche ne doit jamais prononcer ce mot ! »

    Les étudiants ferment leur micro et leur caméra les uns après les autres. À la fin, la prof se retrouve seule. Abasourdie.

    Deux plaintes pour racisme sont déposées contre elle auprès de la faculté des arts de McGill. »

    Les instances dirigeantes de l’Université ont eu pour stratégie de faire baisser la tension à coups d’accommodements accordés aux étudiants.

    Le vice-doyen à l’enseignement qui l’a défendue lorsque l’enseignante avait été qualifiée de raciste par une poignée d’étudiants, lui a cependant conseillé de passer en revue les romans au programme et d’anticiper les mots qui risquaient d’offenser les étudiants..

    Bref, il a baissé pavillon et battu en retraite, en plein combats des idées.

    L’enseignante a suivi les conseils du vice doyen :

    « Elle l’a fait. Des huit romans, sept contenaient des mots qui ont terriblement mal vieilli. Le « mot qui commence par N », bien sûr. Plus souvent, « le mot qui commence par S », pour sauvage. « Quand on parle des Autochtones dans les textes québécois, jusque dans les années 1960, c’est le mot qui est là. »

    Elle aurait voulu leur expliquer. Mettre en contexte. Mais elle s’est tue pour s’éviter des problèmes.

    Certains lui ont échappé. Un « mot qui commence par N » dans Les fous de Bassan, d’Anne Hébert (1982). Un autre dans L’hiver de force, de Réjean Ducharme (1973). Tout l’automne, elle a vécu dans la crainte d’un autre dérapage.
    Le vice-doyen lui a conseillé non seulement de prévenir ses étudiants, mais de leur offrir de sauter des pages, voire de ne pas lire les œuvres entières.
    Son cœur lui disait de résister. Mais il y avait l’affaire Lieutenant-Duval qui déchaînait les passions au Québec. Et puis, il y a eu l’affaire Joyce Echaquan à Joliette. « Le contexte était explosif. Évidemment, on a envie de se plier et d’être du côté de la vertu. »

    Alors, elle l’a fait. Elle a plié. »

    Toujours pour préciser le contexte canadien, Le 28 septembre 2020, Joyce Echaquan, une femme de 37 ans, Atikamekw, c’est-à-dire appartenant à un peuple autochtone est décédée à l’hôpital de Joliette, au Québec. Avant sa mort, elle a enregistré un Facebook Live qui montrait des agents de santé la maltraitant. Il s’agissait dans ce cas de comportements racistes avérés : « Mort de Joyce Echaquan : honte et indignation à l’hôpital de Joliette »

    Rien de tel dans l’histoire qui se passe à l’Université Mac Gill.

    La journaliste ne se place dans le camp des vaincus sans combattre et écrit : « Ça n’aurait pas dû se passer comme ça. »

    Elle donne ainsi la parole à des professeurs de cette université qui s’inquiète de cette dérive. Notamment Arnaud Bernadet, professeur de littérature à l’Université McGill :

    « Tout l’automne, elle a vu l’Université céder du terrain aux étudiants de sa collègue. « Ne pas prononcer le mot, d’abord. Ne pas le faire lire. Prévenir les étudiants. Caviarder les PowerPoint. Les censurer. Enfin, recommander une non-lecture de l’œuvre sur laquelle ils devaient être évalués ! C’est… »

    Elle cherche le bon mot.

    Je lui suggère celui-ci : aberrant. »

    La jeune enseignante ne donne plus le cours d’introduction à la littérature québécoise. Elle ignore si elle le redonnera un jour – ou si elle a même envie de le faire.

    « Je n’ai pas décidé d’abandonner l’enseignement de la littérature, mais l’automne dernier, dans les moments les plus creux, je me disais : « Si on est toujours là avec une brique et un fanal à attendre la prochaine gaffe du prof, je ne suis plus certaine que ça me tente. » »

    Traité une personne de couleur noire de « Nègre » ou de « sale Nègre » constitue indiscutablement une injure raciste qui doit être condamnée.

    Mais effacer toutes les utilisations du mot « nègre » dans les œuvres du passé, ce n’est pas lutter contre le racisme.

    Les gens qui sont dans ce combat, prétendent être dans le camp du Bien, ils sont plutôt dans le camp de l’appauvrissement culturel et de la mésintelligence.

    Parmi les électeurs de Trump il y a des racistes, des machistes, des suprémacistes blancs.

    Mais probablement que si ces électeurs sont si nombreux, c’est aussi qu’il en est qui rejettent la dérive de ces intolérants qui se prétendent de gauche et n’acceptent plus l’altérité, la contradiction, la complexité.

    <1522>

  • Mardi 9 février 2021

    « Des chiffres et des électeurs. »
    L’élection présidentielle américaine déclinée par Etat

    J’ai abordé à de nombreuses reprises la problématique de la quantophrénie, c’est-à-dire cette tendance qui consiste à considérer que les chiffres disent la vérité. Autrement dit qu’un chiffre arrête la conversation et la réflexion. Dans un mot du jour synthétique de 2017 « Des chiffres et des hommes » j’avais expliqué une conviction opposée :

    « Beaucoup croient qu’en annonçant un chiffre ils concluent leur propos. C’est le contraire qu’il faut faire, les chiffres sont au début du discours, il faut les interroger, les expliquer. »

    Je continue sur les dernières élections présidentielles américaines.

    L’opinion dominante semble être que Joe Biden a battu nettement Donald Trump. Dans tous les journaux s’affiche cette carte et ces chiffres :


    Nous sommes tous devenus spécialistes des élections présidentielles américaines et nous savons donc que cette élection peut être regardée sous le prisme français mais que le résultat dépend de la réalité américaine.

    Le prisme français repose sur un État unitaire et l’élection du Président de la République. Notons que contrairement à des formulations franco-centrées, Joe Biden n’est pas président de la république mais président des États Unis.

    Dans ce prisme, on regarde l’élection sur l’ensemble du pays et on compare le nombre de votants pour un candidat et le nombre de votants pour l’autre.

    En France, c’est cette comparaison qui donne le résultat de l’élection.

    Aux États-Unis on parle du « vote populaire » et ce vote n’est pas celui qui donne le résultat. Al Gore avait gagné le vote populaire contre George W Busch et Hillary Clinton avait fait de même contre Trump, mais aucun de ces deux n’a été élu président.

    Pour la dernière élection, le résultat du vote populaire semble sans appel :

    Biden 81 282 042 votes et Trump 74 222 690 votes, 7 millions de voix d’écart. En pourcentage, il faut savoir qu’il y a d’autres candidats qui se sont présentés dont certains uniquement dans un nombre limités d’états fédérés, le score est de 51,38% contre 46,91 % donc 4,5 points d’écarts.

    La réalité américaine prend en compte le vote par État. Chaque État donne un certain nombre de grands électeurs, en fonction de sa démographie. Dans quasi tous les cas, mais il y a des exceptions, le candidat arrivé en tête rafle l’ensemble des grands électeurs de l’État. Le vainqueur est celui qui obtient au moins 270 grands électeurs. Au regard de cette réalité la victoire de Biden est aussi nette 306 contre 232.

    Prenons d’abord le prisme français.

    J’écoutais négligemment une émission sur l’élection américaine quand un intervenant a dit brusquement, il ne faut pas apporter trop d’importance à ce vote populaire. La victoire de Biden s’explique par la Californie et New York. Ceci m’a conduit à interroger les chiffres.

    Prenons un tableau Excel :


    Dans ce tableau vous constatez que s’il existe d’autres candidats, ils ont des résultats très modestes.

    Mais l’assertion de l’intervenant est rigoureusement exacte. Les voix cumulées de la Californie et de New York représentent un avantage de 7 096 598 voix pour Biden ce qui est supérieur à la différence observée au niveau national.

    Ceci signifie donc que sur les 48 autres États des États-Unis, Trump a battu Biden.

    Ces deux États sont très particuliers. La Californie est l’État de la silicon vallée, du transhumanisme, de Facebook et de Twitter. Twitter qui a fermé le compte du Président des États Unis en exercice.

    New York, c’est l’État de Wall Street et le centre de la Finance mondiale.

    Ces faits ont vocation à troubler, irriter, indigner les partisans de Trump qui considèrent que la mondialisation, la numérisation et la financiarisation du monde leur ont été défavorables.

    Si on élargit un peu la focale à quelques autres États emblématiques dans lesquels se trouve des métropoles géantes l’Illinois (Chicago), le Massachusetts (Boston), le Maryland (Baltimore) et aussi au District of Columbia qui même si la démographie en est plus modeste, présente la particularité d’abriter la capitale : Washington, nous observons le résultat suivant :

    Avec ces 6 États, Biden est en avance de plus de 10,5 millions d’électeurs. Notez que dans le District de Columbia, Biden a obtenu 94,47% des voix contre 5,53 % pour Trump (nonobstant les petits candidats). Dans tout pays du monde dans lequel on afficherait un tel résultat, personne ne croirait qu’on se trouve en démocratie !

    Ces 6 États sont très importants, mais ne représentent pas la majorité des habitants des États Unis d’Amérique. Les 44 États restants représentent une population plus importante.

    Nous avons donc en nous concentrant uniquement sur les électeurs de Biden et de Trump le tableau suivant :

    Si on compare les 6 États « Biden » et le reste des Etats-Unis, les premiers représentent moins de 25% des électeurs et les seconds plus de 75% des électeurs.

    Vous avez donc bien compris que si on prend uniquement ces ¾ de la population américaine Trump devance Biden de plus de 3,5 millions d’électeurs.

    C’est ce qu’on appelle une « fracture » entre deux parties d’un même tout.

    Quand on creuse un peu les chiffres on trouve toujours des choses étonnantes.

    Maintenant prenons la réalité américaine, le vote des grands électeurs.

    La Californie compte 55 grands électeurs que Biden gagne de 5 000 000 de voix ou de 10 000 voix, peu importe, il rafle les 55 grands électeurs.

    D’autres États présentent la même physionomie en faveur des républicains de Trump.

    Ce qui compte donc pour remporter les élections américaines, ce sont les États qui sont susceptibles de basculer d’un camp à l’autre. Un très petit nombre de voix va décider de qui va obtenir les grands électeurs de l’État.

    Dans la terminologie américaine, on parle de « swing state », ou État-charnière, État pivot, ou État clé.

    Biden a gagné 306 grands électeurs contre 232, ce qui fait 74 grands électeurs de différence. Un mathématicien, digne de ce nom, dira alors qu’il suffit que la moitié, soit 37 grands électeurs, changent de camp pour qu’il y ait égalité.

    Ces 37 grands électeurs peuvent être trouvés dans les 3 États suivants : Georgie, Arizona et Wisconsin.

    Donc le résultat aurait été inversé dans ces 3 États si pour chaque État, la moitié de la différence des voix avait changé de camp et choisi Trump plutôt que Biden. Soit 21 459 électeurs qui si on les rapproche de l’ensemble des électeurs qui se sont exprimés sur Biden ou Trump, représente 0,014% du corps électoral.

    Mais avec ces 3 Etats, Trump ne pouvait que faire jeu égal, il n’aurait pas été élu. Pour gagner il lui aurait aussi fallu par exemple, la Pennsylvanie dont on a beaucoup parlé. L’État de Philadelphie et de Pittsburgh.

    Pour obtenir ces 20 électeurs supplémentaires, il fallait que 40 278 électeurs changent aussi de camp.

    Dés lors on arrive à un total de 61 737 ce qui représente 0,049% du corps électoral. Biden n’a pas battu Trump nettement, il l’a battu de justesse.

    Ce mot du jour ne parle pas de Trump qui est un personnage odieux, menteur, rustre et probablement déséquilibré.

    Mais il parle du vote Trump, des électeurs de Trump et de l’Amérique du vote Trump.

    Ces chiffres décryptés montrent une réalité qui est assez dérangeante, surtout après 4 ans de présidence pendant lesquels tous les américains ont pu voir cet individu à l’œuvre.

    Et malgré cela, ils ont voté pour lui.

    L’explication simpliste est que 74 000 000 d’américains sont des extrémistes ou des ignorants. La réalité est certainement plus complexe.

    Vous trouverez tous les résultats que j’ai utilisé pour cette démonstration sur le site de France 24 : https://graphics.france24.com/elections-americaines-2020-resultats-direct/

    <1521> 

  • Lundi 8 février 2021

    « Car il y a toujours de la lumière. Si seulement nous sommes assez braves pour la voir. Si seulement nous sommes assez braves pour l’être.»
    Amanda Gorman

    Et enfin, il est parti.

    Nous commencions à avoir des doutes, des craintes, il ne partirait pas et il appellerait ses électeurs les plus farouches à prendre les armes.

    Il a bien eu des propos ambigus et ses partisans ont compris qu’ils devaient marcher vers le Capitole. Une fois devant le Capitole, ce n’était pas clair sur ce qu’il convenait de faire. En face, les forces de sécurité ne savaient pas, non plus, quoi faire.

    Sur une sorte de malentendu, cette foule vociférante est entrée dans le lieu sacré de la démocratie américaine.

    S’agissait t’il d’une révolution ? ou d’un coup d’État ?

    Non !

    Ces factieux sont entrés dans le capitole, non pour faire un coup d’état mais pour s’y prendre en photo. Faire des selfies !

    C’est comme si César arrivant devant le Rubicon, au lieu de prononcer cette phrase célèbre « alea jacta est » et de marcher sur Rome, s’était assis au bord de la rivière et avait sorti sa canne à pêche.

    J’étais donc soulagé qu’un homme décent, qu’on peut cependant critiquer sur de nombreux points, investisse la fonction de Président des États-Unis.

    J’ai suivi, avec attention, l’ensemble de la cérémonie d’investiture du 20 janvier.

    Cette cérémonie et ce qui a précédé nous montre toute la distance qui existe entre les États-Unis et la France.

    Le jour d’avant, les reportages nous ont montré un Joe Biden en pleurs, au moment de quitter l’État du Delaware.

    Il est resté en effet 36 ans sénateur de Delaware et il exprimait son émotion au moment de le quitter pour rejoindre Washington et dans un moment lyrique il a dit

    « L’écrivain James Joyce a dit à un ami que quand viendrait l’heure de sa mort on trouverait gravé dans son cœur le nom de Dublin, et bien excusez mon émotion à l’heure de ma mort c’est le Delaware que l’on trouvera dans le mien ».

    Très bien !

    Mais, à ce stade je dois informer, celles et ceux qui ne le saurait pas que le Delaware est un des plus grands paradis fiscaux qui existe sur cette terre qui en possède de nombreux.

    L’excellent journal « Les Echos » vous expliquera cela très bien <Le Delaware, paradis fiscal « made in USA »>.

    Le président des États Unis a donc représenté, pendant la plus grande partie de sa vie politique, un État dont la fonction principale est de permettre à tous les escrocs de la planète d’éviter de payer les impôts et taxes qu’ils doivent au bien commun.

    Le matin de la cérémonie d’investiture, Joe Biden et de nombreux représentants politiques de Washington se sont retrouvés à la cathédrale St Matthew de Washington pour placer cette journée sous la bénédiction divine.

    Ceci nous apprend deux choses, la première c’est que Joe Biden est catholique comme John Kennedy et que décidément les américains et les français n’ont pas la même relation entre la politique et la religion.

    D’ailleurs, Joe Biden a ensuite prêté serment en posant sa main sur une Bible. Ce n’est pas obligatoire, c’est une tradition. Si un jour un président musulman est élu, il pourra très bien prêter serment sur le Coran.

    Dans son discours d’investiture qui a surtout insisté sur la nécessité de se réunir le peuple américain et de se respecter, il a quand même eu cette phrase étonnante, en parlant du peuple américain :

    « we are a good people ».

    Nous sommes dans le registre de la morale qui me parait un peu décalé dans un discours politique. Je pense qu’en France , il y aurait eu beaucoup de moqueries si cette phrase avait été prononcée par un président élu. Vous trouverez l’ensemble du discours de Joe Biden derrière ce <Lien>.

    Mais il y eut, un moment de grâce lors de cette cérémonie qui éclipsa tout le reste.

    Une jeune femme, noire, de jaune vêtu, s’approcha de la tribune et déclama un texte : <The Hill We Climb>, « La colline que nous gravissons »

    Cette jeune femme s’appelle Amanda Gorman

    <Le Monde> décrit avec beaucoup de justesse ce texte et la manière dont cette jeune femme lumineuse l’a déclamé en s’aidant de ses bras et de ses mains pour soutenir, souligner et partager son texte. :

    « Un texte de sa composition, pétri de fragilité, d’espoir et d’appel à l’unité, la poétesse de 22 ans a conquis un auditoire et promu au passage un genre méconnu du grand public : la force du verbe et de l’éloquence. »

    On apprend ainsi que plusieurs présidents, Clinton, Obama ont invité des poètes à leur investiture, mais jamais une poétesse aussi jeune. Elle est née en 1998.

    Il semble que ce soit John Fitzgerald Kennedy qui ait initié cette pratique en 1961. Ce furent toujours des présidents démocrates, les républicains n’ont visiblement pas le goût de la poésie.

    <Wikipedia> nous apprend qu’enfant elle était affectée d’un trouble de la parole qui l’empêchait de bien prononcer certaines lettres. C’est une difficulté qu’elle a manifestement surpassée

    Encouragée par sa mère, elle a poursuivi de brillantes études obtenant en 2020 un diplôme de sociologie de l’université Harvard.

    Ses dernières années, elle a obtenu plusieurs prix ou diplômes de poésie, c’est ce qui l’a fait connaître et notamment découvrir par Jill Biden, l’épouse du président.

    Elle montre son espérance dans son pays bien qu’au départ elle ne soit pas partie avec tous les atouts :

    « Nous, les successeurs d’un pays et d’une époque où une maigre jeune fille noire, descendante d’esclaves et élevée par une mère célibataire, peut rêver de devenir présidente, et se retrouver à réciter un poème à un président. »

    La colline que nous gravissons est bien sûr une référence à la colline du Capitole qui venait d’être souillée par des individus qui refusaient le verdict des urnes et les décisions des juges qui avaient rejeté les contestations.

    La colline qu’il s’agit de gravir pour s’élever.

    Elle a aussi fait référence, en évoquant « une union plus parfaite », au préambule de la Constitution américaine :

    « Nous, le peuple des États-Unis, en vue de former une union plus parfaite, d’établir la justice, d’assurer la paix intérieure, de pourvoir à la défense commune, de développer la prospérité générale et d’assurer les bienfaits de la liberté à nous-mêmes et à notre postérité, nous ordonnons et établissons la présente Constitution pour les États-Unis d’Amérique. »

    Ce texte date de 1787. A cette date, les femmes n’avaient pas le droit de vote et une grande partie de la population américaine était esclave.

    Alors, il est loisible de se moquer et de constater que ce texte était totalement décalé par rapport à la réalité.

    Mais il y a aussi une autre manière de regarder ce texte : celui d’un récit qui explique ce qui doit advenir, vers quelle destinée il faut aller. Et là, force est de constater que bien que nous soyons encore loin de la perfection, beaucoup de chemin a été accompli.

    Amanda Gorman regarde l’avenir et  essaye de fonder un récit qui puisse contribuer à l’unité :

    « Ainsi, nous ne regardons pas ce qui se trouve entre nous, mais ce qui se trouve devant nous. Nous comblons le fossé parce que nous savons que, pour faire passer notre avenir avant tout, nous devons d’abord mettre nos différences de côté. Nous déposons nos armes pour pouvoir tendre les bras les uns aux autres. Nous ne cherchons le mal pour personne mais l’harmonie pour tous. Que le monde entier, au moins, dise que c’est vrai. Que même si nous avons fait notre deuil, nous avons grandi. Que même si nous avons souffert, nous avons espéré ; que même si nous nous sommes fatigués, nous avons essayé ; que nous serons liés à tout jamais, victorieux. Non pas parce que nous ne connaîtrons plus jamais la défaite, mais parce que nous ne sèmerons plus jamais la division. »

    Et je retiens aussi cette belle phrase, si pertinente pour toutes celles et ceux qui savent que la coopération nous rend plus fort que l’affrontement et la compétition :

    « la victoire ne passera pas par la lame, mais par tous les ponts que nous avons construits. C’est la promesse de la clairière, la colline que nous gravissons si seulement nous l’osons »

    <France Culture> décrit le processus de création d’Amanda Gorman en citant le New York Times :

    « Gorman a commencé le processus, comme elle le fait toujours, avec des recherches. Elle s’est inspirée des discours des leaders américains qui ont essayé de rassembler les citoyens pendant des périodes de division intense, comme Abraham Lincoln et Martin Luther King. Elle a également parlé à deux des précédents. »

    Il cite aussi le Los Angeles Times dans lequel dans un entretien la jeune poétesse parle des fractures américaines et du rôle de son texte :

    « Je dois reconnaître cela dans le poème. Je ne peux pas l’ignorer ou l’effacer. Et donc, j’ai élaboré un poème inaugural qui reconnaît ces cicatrices et ces blessures. J’espère qu’il nous fera progresser vers leur guérison ».

    Ce journal suisse a titré : <La jeune poétesse Amanda Gorman vole la vedette à Joe Biden>

    Libération titre : <Et soudain, la voix «féroce et libre» de la poète américaine Amanda Gorman> en faisant référence à une expression qu’elle a insérée dans son texte :

    « Nous ne reviendrons pas à ce qui était, mais nous irons vers ce qui sera : un pays meurtri, mais entier ; bienveillant, mais audacieux ; féroce et libre. »

    Telerama annonce : <Soudain, la jeune poétesse Amanda Gorman entre dans l’Histoire>

    Et, la presse canadienne donne cette appréciation <Amanda Gorman, lumière de l’investiture >

    Et c’est en évoquant la lumière qu’Amanda Gorman termine son magnifique texte et c’est cette conclusion que je mets en exergue de ce mot du jour.

    Les récits sont essentiels pour nous rassembler et sans l’espoir de la capacité de changer les choses pour un meilleur avenir, notre vie est vaine

    Sur le site de la Radio télévision Suisse on trouve une traduction du texte d’Amanda Gorman :

    « Le jour vient où nous nous demandons où pouvons-nous trouver la lumière dans cette ombre sans fin ?
    La défaite que nous portons, une mer dans laquelle nous devons patauger. Nous avons bravé le ventre de la bête.
    Nous avons appris que le calme n’est pas toujours la paix. Dans les normes et les notions de ce qui est juste n’est pas toujours la justice.

    Et pourtant, l’aube est à nous avant que nous le sachions. D’une manière ou d’une autre, nous continuons.
    D’une manière ou d’une autre, nous avons surmonté et été les témoins d’une nation qui n’est pas brisée, mais simplement inachevée.
    Nous, les successeurs d’un pays et d’une époque où une maigre jeune fille noire, descendante d’esclaves et élevée par une mère célibataire, peut rêver de devenir présidente, et se retrouver à réciter un poème à un président.

    Et oui, nous sommes loin d’être lisses, loin d’être immaculés, mais cela ne veut pas dire que nous nous efforçons de former une union parfaite.

    Nous nous efforçons de forger notre union avec détermination, de composer un pays qui s’engage à respecter toutes les cultures, les couleurs, les caractères et les conditions de l’être humain.

    Ainsi, nous ne regardons pas ce qui se trouve entre nous, mais ce qui se trouve devant nous. Nous comblons le fossé parce que nous savons que, pour faire passer notre avenir avant tout, nous devons d’abord mettre nos différences de côté. Nous déposons nos armes pour pouvoir tendre les bras les uns aux autres. Nous ne cherchons le mal pour personne mais l’harmonie pour tous. Que le monde entier, au moins, dise que c’est vrai. Que même si nous avons fait notre deuil, nous avons grandi. Que même si nous avons souffert, nous avons espéré ; que même si nous nous sommes fatigués, nous avons essayé ; que nous serons liés à tout jamais, victorieux. Non pas parce que nous ne connaîtrons plus jamais la défaite, mais parce que nous ne sèmerons plus jamais la division.

    L’Écriture nous dit d’imaginer que chacun s’assoira sous sa propre vigne et son propre figuier, et que personne ne l’effraiera. Si nous voulons être à la hauteur de notre époque, la victoire ne passera pas par la lame, mais par tous les ponts que nous avons construits. C’est la promesse de la clairière, la colline que nous gravissons si seulement nous l’osons. Car être Américain est plus qu’une fierté dont nous héritons ; c’est le passé dans lequel nous mettons les pieds et la façon dont nous le réparons. Nous avons vu une forêt qui briserait notre nation au lieu de la partager, qui détruirait notre pays si cela pouvait retarder la démocratie. Et cet effort a presque failli réussir.


    Mais si la démocratie peut être périodiquement retardée, elle ne peut jamais être définitivement supprimée. Dans cette vérité, dans cette foi, nous avons confiance, car si nous avons les yeux tournés vers l’avenir, l’histoire a ses yeux sur nous. C’est l’ère de la juste rédemption. Nous la craignions à ses débuts. Nous ne nous sentions pas prêts à être les héritiers d’une heure aussi terrifiante, mais en elle, nous avons trouvé le pouvoir d’écrire un nouveau chapitre, de nous offrir l’espoir et le rire.

    Ainsi, alors qu’une fois nous avons demandé : « Comment pouvons-nous vaincre la catastrophe ? » Maintenant, nous affirmons : « Comment la catastrophe pourrait-elle prévaloir sur nous ? »

    Nous ne reviendrons pas à ce qui était, mais nous irons vers ce qui sera : un pays meurtri, mais entier ; bienveillant, mais audacieux ; féroce et libre. Nous ne serons pas détournés, ni ne serons interrompus par des intimidations, car nous savons que notre inaction et notre inertie seront l’héritage de la prochaine génération. Nos bévues deviennent leur fardeau. Mais une chose est sûre, si nous fusionnons la miséricorde avec la force, et la force avec le droit, alors l’amour devient notre héritage, et change le droit de naissance de nos enfants.

    Alors, laissons derrière nous un pays meilleur que celui qui nous a été laissé. À chaque souffle de ma poitrine de bronze, nous ferons de ce monde blessé un monde merveilleux. Nous nous élèverons des collines de l’Ouest aux contours dorés. Nous nous élèverons du Nord-Est balayé par les vents où nos ancêtres ont réalisé leur première révolution. Nous nous élèverons des villes bordées de lacs des États du Midwest. Nous nous élèverons du Sud, baigné par le soleil. Nous reconstruirons, réconcilierons et récupérerons dans chaque recoin connu de notre nation, dans chaque coin appelé notre pay s; notre peuple diversifié et beau en sortira meurtri et beau.

    Quand le jour viendra, nous sortirons de l’ombre, enflammés et sans peur. L’aube nouvelle s’épanouit alors que nous la libérons. Car il y a toujours de la lumière. Si seulement nous sommes assez braves pour la voir. Si seulement nous sommes assez braves pour l’être. »

    Voici le texte original  <The Hill We Climb Amada Gorman>

    Je redonne le lien vers la vidéo : <The Hill We Climb>

    <1520>

  • Lundi 1 février 2021

    « Tout le problème de ce monde est que les imbéciles et les fanatiques sont toujours très sûrs d’eux, alors que les gens plus intelligents sont pleins de doute. »
    Bertrand Russell

    J’ai lu souvent ces derniers temps cette citation attribuée au célèbre écrivain américain né en Allemagne, Charles Bukowski :

    « Le problème avec ce monde c’est que les gens intelligents sont pleins de doutes alors que les imbéciles sont pleins de certitudes. »

    Ce remarquable écrivain a, hélas en France, une réputation entachée par sa désastreuse intervention dans « Apostrophes » de Bernard Pivot que Wikipedia rapporte de la manière suivante :

    « En direct sur le plateau, Bukowski boit trois bouteilles de vin blanc au goulot puis, ivre, tient des propos incohérents, rejette brutalement la comparaison de son œuvre avec celle d’Henry Miller, tandis que François Cavanna — qui défendait l’œuvre et le personnage sur le plateau — tente vivement de le faire taire (« Bukowski, ta gueule ! »). Bukowski caresse le genou de Catherine Paysan, puis, las de la discussion qu’il trouve trop guindée, finit par arracher son oreillette et quitter finalement le plateau — ce que personne n’avait fait auparavant — sans que Bernard Pivot, découragé, ne cherche à le retenir. Hors caméra, il sort un couteau avec lequel il menace (« pour rire », selon lui) une personne chargée de la sécurité, ce qui lui vaut d’être maîtrisé et jeté hors des locaux d’Antenne. ».

    Ceci ne diminue en rien ses talents d’écrivain, mais devrait mettre en garde tout le monde devant les méfaits de l’alcool qui conduisent à des comportements regrettables.

    Il est possible que Bukowski ait écrit ou dit cette phrase pleine de sens.

    Mais j’ai trouvé sur plusieurs sites et notamment ce site sérieux <Philosophie Magazine> et sous la plume très sérieuse de François Morel, une phrase exprimant exactement la même vérité mais attribué au mathématicien philosophe Bertrand Russell. : « Tout le problème de ce monde est que les imbéciles et les fanatiques sont toujours très sûrs d’eux, alors que les gens plus intelligents sont pleins de doute. »

    François Morel a raconté en outre :

    « Bertrand Russell est l’auteur de cette phrase qui lui a peut-être été inspirée par un souvenir personnel. Figurez-vous qu’il fut l’un des 24 survivants sur un total de 43 passagers d’un accident d’avion. Les victimes étant essentiellement dans la partie non fumeurs de l’appareil, le philosophe gallois put constater que le fait de fumer lui avait sauvé la vie. »

    C’est une autre manière de parler du sujet de « l’ultracrépidarianisme » évoqué lors du mot du jour du <23 septembre 2020>

    Le présent article a aussi pour objet d’annoncer le retour du mot du jour quotidien à partir du lundi 8 février 2021.

    <1519>

  • Lundi 4 janvier 2021

    « Pause (« A quoi bon jouer du Beethoven quand les gens ont faim ?) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Le mot du jour est en congé. Il reviendra en février à une date restant à déterminer.

    La fin de l’année fut consacrée au 250ème anniversaire de Ludwig van Beethoven.

    J’ai modifié la conclusion du mot du jour du 29 décembre, celui consacré à la cancel culture et dans lequel j’évoquais des universitaires américains qui voudraient assimiler Beethoven à la culture dominante et discriminante par rapport aux populations non blanches et non bourgeoises.

    Je cite un pianiste humaniste et étonnant :

    Pour conclure, je vais faire appel au pianiste Miguel Angel Estrella, défenseur des droits de l’homme et des humbles. Il est issu d’un milieu modeste : son père est le fils de paysans libanais émigrés en Bolivie, sa mère est une argentine avec des ascendances amérindiennes métissées. En raison de ses convictions politiques, il fuit le régime argentin en 1976 à cause des persécutions dont il fait l’objet de la part de la junte militaire. Mais en 1977, il est détenu en Uruguay à Montevideo, où il subit des tortures. Il devient alors très célèbre en Europe, parce que le monde de la culture se mobilise pour sa libération. Il est libéré en 1980 à la suite des pressions internationales (en particulier de Yehudi Menuhin, Nadia Boulanger et Henri Dutilleux). Il se réfugie alors en France. Daniel Balavoine lui dédie sa chanson <Frappe avec ta tête> en 1983

    En 1982, Miguel Angel Estrella fonde Musique Espérance dont la vocation est de « mettre la musique au service de la communauté humaine et de la dignité de chaque personne ; de défendre les droits artistiques des musiciens — en particulier des jeunes — et de travailler à construire la paix ». Depuis, il fait le tour de la planète pour aller chez les plus humbles, les plus éloignés de la culture occidentale pour jouer du piano.

    Le monde Diplomatique explique cela dans un long article qui est en ligne : <A quoi bon jouer du Beethoven quand les gens ont faim ? >. Et c’est la réponse à cette question qui me pousse à conclure ce mot du jour avec Miguel Angel Estrella :

    « Nous sommes des musiciens et par le biais de notre art nous essayons de trouver un chemin pour améliorer la qualité de la vie. Je l’ai compris il y a longtemps et je me suis battu contre les intellectuels latino-américains qui disaient : « A quoi bon jouer du Beethoven quand les gens ont faim ? » Et je leur répondais : « Mais quand ils écoutent Beethoven, leur vie change. Et nous, nous changeons aussi. » C’est très beau ce que nous vivons ensemble. Et le jour viendra où ces gens-là deviendront les défenseurs de leur culture dont ils percevront toute la beauté. Et ce sera une manière aussi de faire face à cette musique de consommation qui envahit la planète. »

    <Lien vers la totalité de ce mot du jour>

    <Mot du jour sans numéro>

  • Jeudi 31 décembre 2020

    « Viens voir les comédiens, voir les musiciens, voir les magiciens qui arrivent »
    Charles Aznavour

    L’année Beethoven a été plus que perturbée par la fermeture des salles de concerts.

    L’année 2020 a été, bien sûr, marquée par la pandémie mais surtout par les immenses sacrifices qui ont été demandées au monde de la culture.

    Jacques Attali critique le sort qui a été réservé à la culture par rapport aux lieux de consommation et aux lieux de culte. Il dit une chose qui me parait très juste : « Le virus nous empêche d’être ensemble » :

    « Par définition, la culture, c’est essentiellement être ensemble. C’est le bien essentiel premier de nos cultures. C’est pour ça que je préfère parler d’économie de la vie. Les secteurs de l’économie de la vie sont la santé, l’éducation, la culture, la recherche, l’énergie propre ou le logement durable… »

    Et puis il revient sur l’utilisation de cette dichotomie maladroite de l’essentiel et du non essentiel. Non que cette distinction n’ait pas de sens, mais le problème est de classer la culture, ce qui distingue homo sapiens des autres espèces, dans la catégorie non essentiel :

    « Qu’est-ce qui n’est pas essentiel ? C’est ce qui n’est pas nécessaire pour vivre. Il y a des choses qui ne sont pas nécessaires pour vivre, mais on ne peut pas ranger la culture dans les biens qui ne sont pas nécessaires pour vivre. Ou alors, on fait l’apologie de l’analphabétisme, de la barbarie. C’est absurde !»

    Et puis il constate, alors que nous entendons si souvent la valeur de la laïcité mis en avant par nos gouvernants que :

    « C’est aussi paradoxal qu’au moment où on parle de l’importance de la laïcité, on fasse le choix de privilégier les fêtes d’une religion sur les fêtes laïques [Noël par rapport au 31 décembre] et qu’on préfère ouvrir les lieux de culte plutôt que les lieux culturels. ».

    Et pour lui, il n’y a qu’une solution c’est d’être équitable, dans le fardeau à porter, entre tous les acteurs de la société :

    « Ce qui pose problème, c’est être ensemble. C’est ça qui pose problème aux virus et on peut le comprendre. Mais alors, il faut interdire « l’être ensemble » provisoirement, d’une façon équitable. Il ne faut pas permettre l’être ensemble, commercial ou religieux et interdire tout « être ensemble » culturel. Ça n’a pas de sens. Il faut que ça soit équitablement limité. »

    Le sociologue Jean Viard est plus compréhensif par rapport aux décisions prises :

    « On a trois motifs de déplacement : le travail, l’éducation et les plaisirs. On a tout fait pour restreindre les plaisirs, pour essayer de lutter contre le virus. Chaque décision prise, en elle-même, est totalement absurde. On peut très bien aller au théâtre, les salles ont mis en place des règles de sécurité. On aurait pu faire un réveillon du nouvel an extrêmement sage… Les choix pour diminuer les flux sont absurdes. Mais c’est une solution, une solution absurde dont l’objectif est de sauver des millions de vies.  »

    Avec son immense talent, François Morel s’étonne aussi cette différence faite entre les lieux de culte et les lieux de culture : <J’aurais dû me faire curé>

    « J’aime prendre l’habit de Tartuffe ou d’Alceste
    De Ruy Blas ou d’Ubu. Je suis un palimpseste
    Sur lequel sont inscrits des rôles qui s’effacent,
    Dont il reste des bouts avec le temps qui passe.
    J’aime aller me changer pour être un personnage
    Devenir quelqu’un d’autre et vivre davantage.
    J’aime aller m’affubler du nez de Cyrano,
    Passer une rhingrave, une cape, un manteau.
    Enfiler un costume et changer d’apparence,
    Ça a moins d’intérêt en visioconférence.
    Parce qu’en ce moment triste est mon quotidien
    Si je ne peux pas jouer, je ne sers plus à rien
    Alors que mon beau-frère et ça c’est pas logique
    Il peut servir la messe en habits liturgiques…. »

    Écouter le reste sur le site de France Inter : <J’aurais dû me faire curé>

    Et puis il y a ce détournement très drôle et pourtant tragique du livre de la jungle : < On a fermé tous les cinés>.

    Cette année ne peut pas être qualifiée du titre de la pire année de l’Histoire, il suffit d’ouvrir un livre d’Histoire pour en être convaincu. Elle est peut être la pire année que l’un ou l’autre a vécue dans sa vie. Pour la finir, j’ai pensé fêter le monde de la culture par une chanson.

    Une chanson qui célèbre les comédiens, les musiciens et les magiciens.

    Car, Oui ! on peut être subjugué par la musique de Beethoven et aimer Charles Aznavour

    <Aznavour chante les comédiens avec Liza Minelli>

    Et voici les belles paroles écrites par Jacques Plante et sur lesquelles Aznavour a écrit la musique.

    Viens voir les comédiens
    Voir les musiciens
    Voir les magiciens
    Qui arrivent

    Viens voir les comédiens
    Voir les musiciens
    Voir les magiciens
    Qui arrivent

    Les comédiens ont installé leurs tréteaux
    Ils ont dressé leur estrade
    Et tendu des calicots
    Les comédiens ont parcouru les faubourgs
    Ils ont donné la parade
    A grand renfort de tambour
    Devant l’église une roulotte peinte en vert
    Avec les chaises d’un théâtre à ciel ouvert
    Et derrière eux comme un cortège en folie
    Ils drainent tout le pays, les comédiens

    Viens voir les comédiens
    Voir les musiciens
    Voir les magiciens
    Qui arrivent

    Viens voir les comédiens
    Voir les musiciens
    Voir les magiciens
    Qui arrivent

    Si vous voulez voir confondus les coquins
    Dans une histoire un peu triste
    Où tout s’arrange à la fin
    Si vous aimez voir trembler les amoureux
    Vous lamenter sur Baptiste
    Ou rire avec les heureux
    Poussez la toile et entrez donc vous installer
    Sous les étoiles le rideau va se lever
    Quand les trois coups retentiront dans la nuit
    Ils vont renaître à la vie, les comédiens

    Viens voir les comédiens
    Voir les musiciens
    Voir les magiciens
    Qui arrivent

    Viens voir les comédiens
    Voir les musiciens
    Voir les magiciens
    Qui arrivent

    Les comédiens ont démonté leurs tréteaux
    Ils ont ôté leur estrade
    Et plié les calicots
    Ils laisseront au fond du cœur de chacun
    Un peu de la sérénade
    Et du bonheur d’Arlequin
    Demain matin quand le soleil va se lever
    Ils seront loin, et nous croirons avoir rêvé
    Mais pour l’instant ils traversent dans la nuit
    D’autres villages endormis, les comédiens

    Viens voir les comédiens
    Les musiciens
    Les magiciens
    Qui arrivent

    La chanson date de 1962.

    Après tous ces mots du jour écrits depuis le 21 septembre, dans lesquels il a été question de Beethoven, de Camus, de Daniel Cordier et d’Anne Sylvestre, mais aussi de ce poème de Rilke, si merveilleusement habité par Laurent Terzieff : «Ce n’est qu’alors qu’il peut arriver qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers.» et bien d’autres encore, vous comprendrez qu’il m’est nécessaire de me reposer un peu.

    Le mot du jour reviendra en février 2021.

    Je redonne le lien vers la chanson :

    <Aznavour chante les comédiens avec Liza Minelli>

    <1518>

  • Mercredi 30 décembre 2020

    « Une expérience spirituelle unique où les grandes sonates pour piano rencontrent les ragas indiens dans une fraternité universelle, celle que défendait sans cesse Beethoven »
    Shani Diluka

    Il faut bien terminer une série !

    Comment terminer celle-ci, sur Ludwig van Beethoven ?

    Un samedi matin de février, le lendemain de la saint valentin, Caroline Broué avait, dans son émission « L’Invité culture », donné la parole à une pianiste, que je ne connaissais pas.

    Shani Diluka, est née le 7 novembre 1976 à Monaco mais ses parents sont srilankais. Elle est donc imprégnée de culture indienne.

    Pourtant, elle a comme premier bagage artistique une solide formation de pianiste classique qu’elle a perfectionné d’abord au Conservatoire Nationale Supérieure de musique de Paris notamment auprès de François-Frédéric Guy dont j’ai parlé lors du second mot du jour de la série. Par la suite, elle a rencontré et travaillé avec Martha Argerich, Leon Fleisher, Maria Joao Pires et Murray Perahia.

    Elle fréquente donc le gotha du cénacle des pianistes classiques. Elle a aussi enregistré les sonates de violoncelle avec le violoncelliste du Quatuor Alban Berg de Vienne : Valentin Erben.

    Le site de <l’émission> de France Culture renvoie vers quelques titres de journaux :

    « Interprète « hors norme » d’après Le Figaro, douée d’une « virtuosité ailée » pour le Classica, « l’une des plus grandes de sa génération » selon Piano Magazine , Shani Diluka est une artiste sensible à la vibration du monde. »

    Je l’ai donc entendu parler de son dernier disque consacré à Beethoven.

    Ce disque a pour nom « Cosmos ».

    Elle y interprète 2 sonates de Beethoven, la célèbre 14 « Clair de lune » et la 23 « Appassionata ».

    Mais elle a ajouté quelque chose de particulier : des musiciens indiens jouent avant et entre deux mouvements de la musique indienne : « des Ragas ».

    Grâce à <Wikipedia> nous apprenons que « Le râga » ou râgam en tamoul  signifie attirance, couleur, teinte ou passion. Les râgas sont fondés sur les théories védiques concernant le son et la musique

    Chaque râga est lié à un sentiment (rasa), une saison, un moment du jour.

    Sur <Ce site> Shani Diluka donne son appréhension des ragas :

    « Les ragas sont des formes ancestrales de la musique indienne. Les noms, qu’on retrouve sur le disque, existent depuis toujours. Le raga est composé de deux parties : le Alaap et le Gat. Le Alaap est l’introduction mélancolique des premières notes et représente l’âme humaine. Il est joué à la cithare. Il y a ensuite le Gat joué par les tablas : ici c’est l’intensité, le discours qui se développe. […] Il y a plusieurs modèles de gammes. Ces noms, ce sont les gammes. Elles existent depuis toujours. C’est à partir d’elles que le cithariste développe et compose un voyage. Il faut enfin savoir que chaque Raag est identifié et correspond à une idée. Par exemple, Darbari fait référence au moment où les rois attendaient le peuple qui venait se présenter et discuter. Dans le menuet du Clair de Lune, on a le menuet qui est une danse de cour, puis vient, dans la partie du trio, une danse paysanne. Beethoven arrive, en une page, à faire se rencontrer la noblesse et le peuple. Vous voyez pourquoi, dans Cosmos, ce moment de la sonate est appuyé par le Raag Darbari. […] Restent les ragas du crépuscule ou du coucher du soleil. Et ces sonates qu’on écoute, comme traversées d’une nouvelle lumière, sans jamais être perverties ou détournées de leur nature profonde. »

    Pourquoi Shani Diluka s’est-elle crue autorisée à créer cette cohabitation disruptive en créant un pont entre l’occident et l’orient ?.

    C’est ce qu’elle a expliqué dans l’émission et qui a éveillé ma curiosité à un point suffisant pour que j’achète et j’écoute son disque.

    La raison en est que Ludwig van Beethoven s’était intéressé à la spiritualité indienne, à travers des textes ancestraux qu’il avait recopiés, surlignant certains mots lui paraissant essentiels : soleil, éther, Brahma. Shani Diluka a poursuivi le projet de mettre en lumière les liens du compositeur allemand avec la culture orientale.

    Pour ce faire, elle s’est associée à deux musiciens indiens, Mehboob Nadeem et Mitel Purohit, joueurs de Sitar et de tabla, faisant ainsi dialoguer Beethoven et la musique traditionnelle indienne.

    Dans le livret accompagnant le disque elle écrit :

    « Ce compagnon de route m’a guidée depuis toujours, de l’intégrale des sonates de violoncelle que j’ai enregistrée avec le légendaire violoncelliste du quatuor Alban Berg Valentin Erben, à l’intégrale des concertos pour piano joués régulièrement en concert, il était normal que je me plonge dans ses écrits tout au long de ce chemin. Beethoven tenait en effet des correspondances intenses, balayant tous les sujets, parcourant toutes les humeurs.
    Mais quelle fut ma surprise en découvrant, parmi les documents authentifiés en 1926 par le musicologue J.S. Shedlock, des textes mystiques indiens recopiés à la main par Beethoven lui-même, qui de plus avait surligné certains mots essentiels : Soleil, éther, Brahma. Il existe donc un lien historique incontestable entre Beethoven et la culture indienne : à la recherche de la profondeur de cette culture et fasciné par la traduction de ces « Upanishads » sortie en 1816 en Allemagne, il s’est bel et bien plongé dans ces textes ancestraux, au même titre que Schopenhauer qui s’en imprégna, ou que Goethe découvrant le grand poète perse alors qu’il composait son dernier recueil majeur, le Divan oriental-occidental. On découvre ainsi un Beethoven mystique, dans sa recherche sur l’homme et le cosmos, et surtout curieux des autres cultures. »

    Nous apprenons donc que Beethoven s’est tout de suite procuré les traductions des Upanishads parus en 1816. Dans un entretien, Shani Diluka répond :

    « Cette découverte a été un choc. Se dire que Beethoven pouvait s’intéresser à la culture indienne, à cette époque-là ! Il est très touchant de voir que l’Orient, et donc l’étranger, était alors une inspiration pour une manière nouvelle de penser. Cette ouverture d’esprit m’a réellement émue car avant même d’être compositeur, Beethoven était un grand humaniste. Cela même dont nous avons tant besoin aujourd’hui. […] On ne connait pas assez Beethoven dans sa dimension philosophique. En lisant le dernier livre de Nathalie Krafft [Beethoven par lui-même] par exemple, on se rend compte qu’il s’intéressait à la mythologie grecque, à la cosmologie, à la logique kantienne, sans oublier Shakespeare. Je pense qu’il était quelqu’un qui s’est posé, de façon fondamentale, beaucoup de questions d’ordre philosophique pour trouver un sens à sa vie. » »

    <Voici ce que cela donne> une introduction de 1’40 de raga avant que la pianiste entame le début de la sonate « Clair de lune ». Dans cet <extrait> Shani Diluka explique sa compréhension de cette même sonate uniquement avec le piano.

    Dans l’émission de France Culture elle dit

    « Pendant la moitié de sa vie, Beethoven n’entendait pas une note de musique. Il a transformé ce handicap en force extraordinaire, en beauté. Son parcours est une forme de voyage spirituel d’un homme en grande souffrance qui a su relier l’homme au divin. Quand je joue une de ses sonates, de sentir sa relation au monde apporte une force supplémentaire à mon jeu. […]

    Pour moi il était important de respecter ces deux grandes musiques : je ne voulais pas les transformer, ou les fusionner mais rester dans le dialogue. C’est une sorte de lien organique qui doit les unir : dans ces grandes cultures il y a une grâce. Et cela m’a émue de les faire rencontrer à ce niveau. »

    Et dans le livret de son disque elle ajoute :

    « En l’occurrence, nous retrouvons ici deux de ses plus grandes sonates : le « Clair de lune » op. 27 n° 2 et l’« Appassionata » op. 57. Ce choix est délibéré : en raison de sa proximité existentielle, d’une part avec le testament d’Heiligenstadt où il confronte l’idée de Mort à celle de Beauté, qui sauve et élève, et d’autre part avec les éléments liés à la Nature et au rythme du temps, qui rejoignent la relation des ragas aux dimensions terrestres et célestes. Ainsi la construction de cet album est avant tout basée sur le respect de chaque grande tradition associant les artistes indiens de très haut vol que sont Mehboob Nadeem au sitar et Mitel Purohit au tabla, et sur le dialogue organique et les entrelacs entre ces deux grandes musiques dites toutes deux « classiques ».

    Ici, chaque monde révèle l’autre et même parfois d’autres mondes. […]. Le sitar tel un Orphée ressurgit paré de lumière divine. Les leitmotivs mélodiques et rythmiques beethovéniens sont en effet la base inspirante des choix de ragas et de leurs improvisations. Par ailleurs, le spectre sonore imaginé par Beethoven avec ses pianos à cinq pédales, par exemple, et ses longues résonances, que l’on retrouve dans les sonates, concertos ou derniers quatuors à cordes, semblent appeler et faire miroiter le spectre et les résonances du sitar, ouvrant ainsi la porte aux infra-mondes en parallèle avec les quarts de ton dans la musique indienne… »

    La surdité de Beethoven lui a-t-elle permis de pénétrer irrémédiablement le monde de l’invisible à tous les niveaux ? Si l’on approfondit l’œuvre de Beethoven comme l’on traverserait un cœur rempli de larmes, on rentre étrangement dans une intimité qui devient nôtre. L’âme voyage ainsi au-dessus des pays, au-dessus des frontières, vers ce qui nous unit tous au cosmos. Cette relation n’a jamais été explorée en concert ou en enregistrement. Cet album inédit offre donc une vision nouvelle du grand Beethoven. Comment cette idée de transcendance s’inscrit-elle dans notre monde contemporain et mondialisé ? Beethoven en donne le sens le plus noble : la beauté et la grâce appartiennent à toutes les cultures. Étant moi-même entre deux mondes, originaire du continent indien et issu de l’école de piano allemande, ce lien entre Beethoven et l’Inde prend à mes yeux tout son sens. En quête perpétuelle d’élévation, la recherche dans les contrées mystiques indiennes à cette époque est tout à fait exceptionnelle. Quelle belle leçon de pensée il y a plusieurs siècles, représentant l’Orient, « l’étranger », comme signe de bienveillance et d’enrichissement grâce à la découverte de nouvelles visions du monde.
    La beauté et l’élévation sont dans toutes les cultures, la réconciliation de l’homme avec lui-même est possible : tel est le but de ce projet à travers les grands idéaux beethovéniens. J’ai donc imaginé une expérience spirituelle unique où les grandes sonates pour piano rencontrent les ragas indiens dans une fraternité universelle, celle que défendait sans cesse Beethoven, rappelant ainsi le message de dialogue et de paix initié il y a quelques années par Ravi Shankar et Yehudi Menuhin. »

    <Ce site> apprécie ainsi le disque Cosmos :

    « Cosmos est un disque qui interpelle, au bon sens du terme. Avec les fils qu’il tisse entre deux grandes traditions musicales sans jamais céder à la facilité de la fusion entre elles, ce disque pose la question de la place de l’homme au sein d’un univers si vaste que la seule tentation du conflit entre les cultures en devient obsolète et vaine. Shani Diluka perpétue la tradition de ces grands interprètes qui lisent la musique comme un texte de sagesse, posant ainsi une pierre personnelle sur le chemin de ceux qui ont pour religion la profondeur et l’exigence au service de l’humanité. Cosmos est un disque profond qui nous élève »

    Comment finir la série sur Beethoven constituait la question posée en début d’article.

    Ma réponse est de montrer une part supplémentaire de son universalisme.

    Dans sa surdité, dans son enfermement dans le silence centré sur sa destinée d’écrire une musique imprévisible pour les « temps à venir », il a continué à rester ouvert à la sagesse et à la culture humaine issues de civilisations situées dans d’autres contrées de notre planète et à s’en nourrir.

    Daniel Barenboim a dit

    « Il y a tout chez Beethoven : le tragique, le dramatique, la tendresse, l’épique, l’humour… Tout. Sauf la superficialité. Sa musique est en liaison permanente avec tout ce qui fait la condition humaine »
    Daniel Barenboïm cité par Christine Mondon « Incomparable Beethoven » page 181

    Shani Diluka a aussi rapporté dans l’écrit qu’elle a joint à son disque :

    « Romain Rolland dira […] que Beethoven a su atteindre « le sourire de Bouddha » dans l’Op. 111. »

    Cette 32ème sonate opus 111 compte deux mouvements. Je pense que Romain Rolland pensait plus précisément au deuxième mouvement : l’Arietta.

    De manière factuelle nous sommes en présence de variations. Mais du point de vue du mélomane et de l’humain, nous sommes en présence d’une immense méditation qui passe par toutes les diversités et richesses des sentiments et l’exploration intime bouleversante de notre humanité..

    Alfred Brendel a dit : « L’opus 111 est à la fois une confession qui vient clore les sonates et un prélude au silence. »

    Tout au long de cette série, j’ai renvoyé vers les musiques les plus exigeantes, les plus modernes et aussi les plus géniales qu’il a écrites.

    Nous sommes ici, une fois encore sur un sommet.

    Il faut, bien sûr, être prêt à accueillir cette musique. Il faut donc rechercher le calme et l’ouverture de tous nos sens pour se concentrer exclusivement sur la cathédrale de sons que Beethoven a écrite uniquement avec des notes de musique jouées par un piano.

    <J’invite à écouter Alfred Brendel jouer cet Arietta>

    Post scriptum : J’exprime ma (notre ?) gratitude à Ludwig van Beethoven d’avoir mené si haut, si loin et si profondément l’Art qu’homo sapiens a su créer et ainsi révéler la part la plus belle et la plus précieuse de notre espèce.

    <1517>

  • Mardi 29 décembre 2020

    « Beethoven victime de la « cancel culture aux Etats-Unis »
    Emmanuel Dupuy dans « Diapason »

    J’ai déjà évoqué, à plusieurs reprises, la chose sans avoir donné le nom. La « cancel culture » est un phénomène qui est né dans les campus universitaires américain au sein de mouvements qui se réclament de la gauche.

    La « cancel culture » c’est la culture de l’effacement. Comme un dossier qu’on efface sur un disque dur.

    Les journalistes Laure Mandeville et Eugénie Bastié ont publié le 20/12/2020 un article dans le Figaro «Cancel culture», «woke»: quand la gauche américaine devient folle » qui raconte cette dérive.

    L’article du Figaro est réservé aux abonnés mais <La Fabrique médiatique> sur France Culture évoque et revient sur cet article

    L’utilisation du terme « woke » signifie que, chez ces gens-là, on prétend qu’il faut tout le temps être « éveillé » pour débusquer en permanence les attitudes, les comportements, les situations problématiques et empêcher les responsables ou ceux qu’on prétend responsables de continuer à s’exprimer ou agir pour faire perdurer ces injustices ou ces oppressions. Il faut effacer !

    J’avais abordé ce sujet le <1er avril 2020> en citant Barack Obama qui s’élevait contre ces pratiques : « Si la seule chose que vous faites, c’est critiquer, vous n’irez probablement pas bien loin. »

    Au départ ce mouvement a attaqué les vivants.

    Le juste combat contre les violences faites aux femmes a ainsi conduit à des manifestations de « cancel culture ». Woody Allen est accusé d’abus sexuel, alors ces « ligues de vertu » ont fait pression pour qu’ils ne puissent pas faire éditer ses mémoires aux Etats-Unis. Il faut l’effacer, il ne doit plus pouvoir s’exprimer. Si Woody Allen est coupable, il faut qu’il soit jugé et qu’il puisse se défendre. S’il est coupable la justice le condamnera, mais l’empêcher de publier ses mémoires ne constitue pas un combat de liberté. Les mémoires de Woody Allen ont pu sortir tout de même aux États-Unis en mars 2020, dans une petite librairie indépendante.

    Mais il n’est pas nécessaire d’être accusé d’un crime pour faire l’objet des foudres de la cancel culture. Comme l’écrit l’écrivain Douglas Kennedy dans un article du 26 décembre 2020 dans le Monde « A l’ère de la « cancel culture » – un simple bon mot peut chambouler votre carrière »

    Aucun mot ne doit blesser aucune minorité : les noirs, les LGBT, les petits, les gros, les hispaniques etc. Caroline Fourest a écrit un livre sur ce sujet : «Génération offensée» qui est paru en février 2020. La quatrième de couverture décrit parfaitement le phénomène : « C’est l’histoire de petits lynchages ordinaires, qui finissent par envahir notre intimité, assigner nos identités, et censurer nos échanges démocratiques. Une peste de la sensibilité. Chaque jour, un groupe, une minorité, un individu érigé en représentant d’une cause, exige, menace, et fait plier.
    Au Canada, des étudiants exigent la suppression d’un cours de yoga pour ne pas risquer de « s’approprier » la culture indienne. Aux États-Unis, la chasse aux sorcière traque les menus asiatiques dans les cantines et l’enseignement des grandes œuvres classiques, jugées choquantes et normatives, de Flaubert à Dostoïevski. Des étudiants s’offusquent à la moindre contradiction, qu’ils considèrent comme des « micros-agression », au point d’exiger des « safe space ». Où l’on apprend en réalité à fuir l’altérité et le débat.»

    On ne compte plus le nombre de professeurs qui ne peuvent plus enseigner et sont boycottés par ce qu’ils ont dit un mot qui a été déclaré blessant ou fait un acte qui a été désigné comme inacceptable.

    Douglas Kennedy parle d’un professeur qui a eu la mauvaise idée d’assister à une manifestation en faveur de la police à proximité du campus. Il a expliqué qu’il y était allé juste pour entendre les arguments de l’autre camp. Comme l’a écrit le magazine Forbes : « Il n’a participé en aucune façon, il n’a pas pris la parole ni crié de slogans, il ne portait pas de pancarte. Il affirme qu’il voulait simplement savoir ce que les manifestants avaient à dire… ».

    Le fait d’aller à cette manifestation, signifiait chez ces gens là qui étaient en position de « woke » qu’il soutenait la police et les violences policières. Des tracts ont alors circulé pour que les étudiants ne se rendent plus à son cours. Il devait être effacé.

    Ces manifestations d’intolérance américaine ont pollué le monde universitaire français :

    Ainsi Sylviane Agacinski n’a pas pu tenir une conférence le 24 octobre 2019 à l’université Bordeaux Montaigne (UBM). La philosophe voulait défendre son opposition à la PMA dans une conférence intitulée «L’être humain à l’époque de sa reproductibilité technique». Cette conférence n’a pas eu lieu parce que des syndicats étudiants ont exigé que « cette homophobe » ne puisse pas venir s’exprimer dans leur Université. Par peur de débordements violents, cette conférence a été annulée par la direction de l’Université. Vous pourrez en savoir davantage dans cet article de <Libération>

    Ce refus du débat et de l’altérité ou simplement le refus de ce que l’autre peut vouloir dire ou m’apporter me fait penser au mot du jour du <3 mars 2016> dans lequel je reprenais cette réflexion du grand sociologue Zygmunt Bauman : « S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage 

    Après avoir attaqué les vivants, la cancel culture s’attaque aux morts. Aux grands morts, tant il est vrai comme le dit Régis Debray que la culture est le culte de nos grands morts.

    Je m’étais fait l’écho de cette attaque en règle contre Christophe Colomb.

    Après le <mot du jour hommage à Chirac> qui n’avait pas voulu fêter l’anniversaire de cet assassin, j’étais revenu le lendemain sur les agissements de ce conquérant sadique et monstrueux. Des mouvements sont donc en train de déboulonner les statues de Christophe Colomb et de remplacer le « Colomb day » par des « Journées des peuples indigènes »

    Dans ce mot du jour, j’exprimais ma compréhension sur cette révolte contre ce personnage historique dont on ne nous avait pas expliqué tous les agissements.

    Mais maintenant, ils attaquent Beethoven !

    Beethoven l’humaniste, celui qui parlait de fraternité et aimait la liberté.

    C’est le journaliste Emmanuel Dupuy qui sur une page du mensuel « Diapason » nous explique dans un article publié le 7 octobre 2020 qu'<Aux Etats-Unis, Beethoven est victime de la « cancel culture »> :

    « L’étincelle de la polémique est partie d’un article et d’un podcast publiés sur le média en ligne Vox, par le musicologue Nate Sloan et le journaliste Charlie Harding. Leur cible ? La Symphonie n° 5, que « les personnes au pouvoir, en particulier les hommes blancs et riches » ont érigée en « symbole de leur supériorité et de leur importance […]  Pour certains, dans d’autres groupes – femmes, personnes LGBTQ +, personnes de couleur – la symphonie de Beethoven peut être principalement un rappel de l’exclusion et de l’élitisme dont est porteuse l’histoire de la musique classique. » Car en exigeant du public, par la complexité de son langage, une écoute plus attentive que par le passé, la 5e aurait imposé de nouvelles normes dans l’organisation du concert : « Ne pas tousser ! » ; « Ne pas applaudir ! ; « S’habiller de façon appropriée ! » Autant de « signifiants de la classe bourgeoise » qui, finalement, font de la Symphonie n° 5 «  »un mur » entre la musique classique et un public nouveau et divers ». »

    Ces gens-là prétendent que « les personnes au pouvoir, en particulier les hommes blancs et riches » auraient érigé la Symphonie n° 5 en « symbole de leur supériorité et de leur importance », renvoyant à un sentiment d’exclusion les autres communautés raciales et sexuelles.

    M Sloan enseigne à l’Université de Californie et je ne comprends pas bien quel est le but poursuivi, à part dans un grand effort de rester « woke », trouver encore d’autres statues à déboulonner et de grands morts à « canceler ».

    Car chez ces gens-là, on n’approfondit pas, on exclut.

    Emmanuel Dupuy tente une explication :

    « Cette tentative de déboulonner la statue de Beethoven nous dit aussi que la notion d’exigence en art, au lieu d’être vue comme une condition nécessaire, est désormais entachée d’une connotation négative. Or, comme le travail ou la discipline, l’exigence est largement répandue parmi les musiciens classiques, peut-être davantage que dans d’autres univers artistiques. L’exigence est le socle de l’apprentissage de tout instrument. Elle est le carburant indispensable à la mécanique de l’orchestre symphonique. L’exigence rend possible le tour de force – physique, intellectuel – que représente un récital de chant ou de piano. Et si l’exigence est aussi requise dans l’écoute, matérialisée par le cérémonial du concert, c’est que les secrets des plus grands chefs-d’œuvre, en musique comme dans les autres arts, ne se percent pas sans un minimum d’effort et de concentration. Oui, mais voilà : dans un monde où tout ce qui n’est pas cool est suspect, l’exigence nous est devenue un fardeau. »

    Je partage son indignation  :

    « Non, Beethoven n’est pas un compositeur blanc, mâle, hétérosexuel. Beethoven est un compositeur universel, patrimoine de l’humanité entière. Beethoven est une femme, noire, pourquoi pas lesbienne. Assimiler un tel génie à une seule catégorie de la population et prétendre que les autres, renvoyées à un sentiment d’exclusion, ne peuvent s’approprier son œuvre [constitue la vraie discrimination…] »

    Pour conclure, je vais faire appel au pianiste Miguel Angel Estrella, défenseur des droits de l’homme et des humbles. Il est issu d’un milieu modeste : son père est le fils de paysans libanais émigrés en Bolivie, sa mère est une argentine avec des ascendances amérindiennes métissées. En raison de ses convictions politiques, il fuit le régime argentin en 1976 à cause des persécutions dont il fait l’objet de la part de la junte militaire. Mais en 1977, il est détenu en Uruguay à Montevideo, où il subit des tortures. Il devient alors très célèbre en Europe, parce que le monde de la culture se mobilise pour sa libération. Il est libéré en 1980 à la suite des pressions internationales (en particulier de Yehudi Menuhin, Nadia Boulanger et Henri Dutilleux). Il se réfugie alors en France. Daniel Balavoine lui dédie sa chanson <Frappe avec ta tête> en 1983

    En 1982, Miguel Angel Estrella fonde Musique Espérance dont la vocation est de « mettre la musique au service de la communauté humaine et de la dignité de chaque personne ; de défendre les droits artistiques des musiciens — en particulier des jeunes — et de travailler à construire la paix ». Depuis, il fait le tour de la planète pour aller chez les plus humbles, les plus éloignés de la culture occidentale pour jouer du piano.

    Le monde Diplomatique explique cela dans un long article qui est en ligne : <A quoi bon jouer du Beethoven quand les gens ont faim ? >. Et c’est la réponse à cette question qui me pousse à conclure ce mot du jour avec Miguel Angel Estrella :

    « Nous sommes des musiciens et par le biais de notre art nous essayons de trouver un chemin pour améliorer la qualité de la vie. Je l’ai compris il y a longtemps et je me suis battu contre les intellectuels latino-américains qui disaient : « A quoi bon jouer du Beethoven quand les gens ont faim ? » Et je leur répondais : « Mais quand ils écoutent Beethoven, leur vie change. Et nous, nous changeons aussi. » C’est très beau ce que nous vivons ensemble. Et le jour viendra où ces gens-là deviendront les défenseurs de leur culture dont ils percevront toute la beauté. Et ce sera une manière aussi de faire face à cette musique de consommation qui envahit la planète. »

    Pour aujourd’hui et dans la continuité de l’œuvre qui a fait l’objet du mot du jour d’hier je vous propose le dernier quatuor à cordes, le seizième opus 135.

    Il est plus court et plus optimiste que le quatorzième. Il fut ma porte d’entrée dans les derniers quatuors à cordes. Le troisième mouvement, qui est le mouvement lent « Lento assai », est divin. Je lui garde une affection toute particulière et s’il n’est pas aussi révolutionnaire que l’immense quatorzième, il tutoie les mêmes sommets.

    <Une interprétation par le quatuor Hagen>

    <1516>

  • Lundi 28 décembre 2020

    « Après cela, que reste-t-il à écrire ? »
    Franz Schubert à propos du 14ème quatuor à cordes de Beethoven

    J’aime beaucoup André Comte-Sponville qui exprime une hauteur de vue et une sérénité qui sont si précieuses dans nos temps troublés par l’affirmation de tant de certitudes fragiles et de condamnation de boucs émissaires commodes pour dissimuler nos parts d’ombre et nos contradictions.

    Il a été interviewé sur le sujet de la musique classique par Olivier Bellamy dans le magazine « Classica » de Novembre 2020. A la question : quels sont les trois disques que vous emporteriez sur une île déserte ? Il a répondu :

    « Le quintette en ut de Schubert, le quatuor N°14 de Beethoven et le divertimento K 563 de Mozart »

    J’avais déjà révélé, lors du mot du jour du <1er septembre 2020> que mon disque de l’île déserte est le quintette en ut de Schubert.

    D’ailleurs à une autre question de Bellamy : Quelle est l’œuvre que vous placez au-dessus de tout ? André Comte-Sponville répond, comme moi, le quintette en ut de Schubert.

    Je reviendrai probablement, un jour, sur cette œuvre miraculeuse que Mozart a écrit pour trio à cordes et qui porte le numéro K 563.

    Mais aujourd’hui il va être question du quatuor à cordes N° 14 opus 131 de Beethoven.

    Et c’est Schubert qui, à l’issue d’un concert privé dans lequel il a découvert ce quatuor opus 131, déclarera :

    « Après cela, que reste-t-il à écrire ? »

    Le musicologue allemand Michael Kube a publié le 12 juin 2020 sur ce site <Revue musicale suisse> le texte suivant dans lequel il parle de ce quatuor N°14, des relations ombrageuses avec son éditeur et avec ses interprètes :

    « En 1826, les éditions Schott ont voulu s’assurer avant la signature du contrat que ce quatuor n’était pas un arrangement. Beethoven, un peu agacé, a alors noté sur l’épreuve : « recueil de choses volées çà et là ». Craignant d’être pris au mot, il s’est toutefois expliqué peu de temps après dans une lettre : « vous avez écrit que c’était censé être un quatuor original, ça m’a froissé, alors, pour plaisanter j’ai écrit qu’il avait été volé. Mais c’est faux. Il est absolument nouveau ».

    En effet, malgré l’esprit et la formulation amusante de cette remarque, l’œuvre est nouvelle à plusieurs égards : avec un total de sept mouvements (Beethoven parlait de « pièces »), dont quatre peuvent être réunis pour former deux paires, le quatuor entre dans une nouvelle dimension, même vu de l’extérieur. Mais les caractéristiques des mouvements individuels pointent aussi bien au-delà de l’horizon de l’époque, même jusqu’au 20e siècle […]
    Bien que Beethoven n’ait pas pu assister à une représentation publique de l’œuvre, il a exigé que l’exécution se fasse presque sans aucune interruption. Ainsi Karl Holz, le violoncelliste du Quatuor Schuppanzigh, demandait déjà fin août 1826 dans un cahier de conversation : « doit-on le jouer sans s’arrêter ? — Mais alors, nous ne pourrons pas faire de bis ! — Quand pourrons-nous nous accorder ? […] Nous allons commander des cordes solides. »
    On peut facilement imaginer les réponses correspondantes. »

    Il faut comprendre que les cahiers de conversation ne comportent que les propos de ses interlocuteurs, Beethoven répond oralement.

    Et ce même Michael Kube ajoute à propos de Schubert

    « Si l’on en croit les souvenirs de Holz, transcrits plus tard par une troisième personne, ce quatuor à cordes est aussi la dernière musique que Franz Schubert a entendue. Quelques jours avant sa mort, on dit qu’une représentation privée a eu lieu ; Schubert a peut-être même lui-même pris la partie d’alto. Ludwig Nohl écrit à ce sujet : « Messieurs Holz, Karl Groß et le baron König l’ont joué pour lui faire plaisir. Seul Doleschalek, professeur de piano, était également présent. Schubert était si ravi, si enthousiaste et si touché que tout le monde a craint pour sa santé. Un petit malaise qui avait précédé et qui n’avait pas encore complètement passé s’est fortement accru, s’est transformé en typhus, et Schubert est mort cinq jours plus tard ».

    Wikipedia narre la même histoire :

    « Ce quatuor est parfois considéré comme le plus grand chef-d’œuvre de Beethoven, tous genres confondus. Schubert aurait déclaré à son sujet : « Après cela, que reste-t-il à écrire ? » (et ce fut aussi cette pièce que les amis de Schubert lui jouèrent à sa demande juste avant sa mort). »

    Il semble bien, selon diverses sources que j’ai lu, que Schubert ait d’abord entendu ce quatuor et dit la phrase que j’ai mis en exergue puis a demandé, à quelques jours de sa mort, à le réentendre.

    Marcel Proust avait aussi un amour particulier pour cette œuvre :

    « Lorsque Proust, trop malade pour sortir de chez lui, voulut entendre de la musique, il convia chez lui le quatuor Capet pour lui jouer le Quatorzième Quatuor de Beethoven »
    Jacques Bonnaure – Classica octobre 2016 page 53

    Cette <émission de France musique> est consacrée au quatorzième quatuor. Dans celle-ci ; un intervenant cite Boucourechliev qui dit :

    « C’est une œuvre ahurissante. »

    Ce sont 45 minutes constitués, comme le faisait remarquer Karl Holz, de sept mouvements enchaînés sans interruption.

    Je pense qu’il est très difficile de distinguer un quatuor à cordes parmi les derniers qui constituent, dans leur globalité, le sommet de l’œuvre de Beethoven. Dans l’ordre de composition, il y a d’abord le 12 opus 127, puis problème de numérotation, le 15 opus 132, ensuite arrive le 13 opus 130 dont Beethoven a détaché la grande fugue opus 133 et que certains désignent sous le nom de 17ème quatuor, après il y a le quatorzième opus 131 qui est donc l’avant dernier et le 16ème opus 135 qui est le dernier numéro d’opus des œuvres de Beethoven.

    Beethoven utilisera les quinze derniers mois de sa vie pour composer ces deux œuvres le 14ème puis le 16ème quatuor. Chacun de ces chefs d’œuvres est très différents des autres. Tant il est vrai comme le dit Florence Badol-Bertrand :

    « Chez Beethoven, il y a aussi l’anti-académisme. A la fin du XVIIIe siècle, on publiait beaucoup de séries de quatuors, de séries de symphonies… C’était toujours un petit peu la même œuvre avec quelques sonorités différentes. Or, pour lui, il n’est pas question de refaire deux fois la même chose. »

    Même si tous les quatuors du 12 au 16 sont des sommets, il existe un large consensus pour donner une place à part au quatorzième. Beethoven lui-même a dit :

    « Celui-ci est le plus grand, le chef-d’œuvre »

    Et Schumann, après Schubert dira :

    « Une grandeur qu’aucun mot ne saurait exprimer, à l’extrême frontière de tout ce qui a été atteint par l’art humain et l’imagination ».

    Richard Wagner, écrira en son temps un texte célèbre dans lequel il parle pour cette œuvre d’une « méditation d’un saint, muré dans sa surdité, à l’écoute exclusive de ses voix intérieures. »

    Commençons par écouter <Le début du dernier mouvement par le Quatuor Belcea>

    Dans le texte précité Wagner, décrit ce mouvement comme

    « La danse du monde lui-même : désir farouche, plainte douloureuse, ravissement d’amour, extase suprême, gémissement, furie, volupté et souffrance. »

    Bernard Fournier a consacré de nombreux ouvrages aux quatuors à cordes. Dans son ouvrage « Panorama du quatuor à cordes » il situe ce quatuor par rapport à la postérité :

    « Le 14e Quatuor est peut-être le plus haut chef-d’œuvre du cycle magistral que Beethoven a consacré au genre. Cette architecture limite – 7 mouvements enchaînés – qui introduit une nouvelle conception du temps musical, a non seulement influencé de nombreux compositeurs de quatuors (citons au XXe siècle Schönberg [Opus 7], Bartók [Opus 7], etc.), mais elle fasciné maints créateurs, musiciens (Liszt, Wagner, Stravinsky) ou non (Sartre, Kundera, TS Eliot). Outre l’inventivité formelle stupéfiante dont il fait preuve ici, Beethoven accomplit dans la trajectoire sans interruption de l’œuvre deux gestes révolutionnaires, lourds de conséquences esthétiques : au lieu du traditionnel allegro d’ouverture, il commence par une fugue et il repousse à la fin de l’œuvre le mouvement de forme-sonate, celui qui d’habitude sert de fondation à l’édifice.»

    Bernard Fournier dispose d’un site < http://bernard-fournier-quatuor.com>. Sur ce site il est possible de télécharger <le chapitre III, Beethoven, l’apogée du genre> du livre précité..

    J’ai même trouvé <cette analyse> du quatorzième quatuor sur un site de l’Éducation Nationale.

    Il me semble cependant qu’assez de propos ont été cités pour montrer l’importance qui est attachée à cette œuvre, dans les compositions de Beethoven et dans l’Histoire de la musique.

    Il faut écouter maintenant. Je propose cette <Très belle interprétation du Quatuor Juilliard>

    Et puis, disponible jusqu’au 23 mars 2021, vous pouvez aussi voir et regarder dans de très belles conditions techniques, sur le site d’Arte, le concert qu’a réalisé le Quatuor Ébène, le 16 décembre 2020, dans une cité de la musique de Paris vide.

    Le concert finit par le quatorzième quatuor, mais il est précédé de deux autres dont le 16ème: « Beethoven – Quatuors 2,16 & 14 – Quatuor Ebène>. Le quatorzième commence à 53:40.

    Pour finir je citerai encore Schubert, « le musicien de l’ombre » comme l’avait appelé Christine Mondon, ombre de Beethoven bien sûr. Mais il fut un des premiers à comprendre vraiment la dimension de Beethoven :

    « L’art est déjà devenu pour lui une science il sait ce qu’il peut et l’imagination obéit à sa réflexion inépuisable. »
    Franz Schubert cité par Classica de Décembre 2019-Janvier 2020 page 52

    <1515>

  • Jeudi 24 décembre 2020

    « Ce n’est pas pour vous, c’est pour les temps à venir. »
    Ludwig van Beethoven

    Beethoven vient d’écrire ses trois quatuors opus 59, les « Razoumovski ». Il ne s’agit pourtant que des quatuors de la période médiane. Il en confie la création au Quatuor Schuppanzigh, du nom du premier violon Ignaz Schuppanzigh. Ce quatuor est réputé comme le meilleur quatuor européen. Mais Ignaz Schuppanzigh juge certains passages techniquement impraticables.

    Beethoven réplique cinglant :

    « Croyez-vous que je pense à vos misérables cordes quand l’esprit me parle ? »

    Et, Schuppanzigh est un ami. Wikipedia nous apprend que ce violoniste était très gros. Et, Beethoven avait composé pour lui une courte pièce chorale humoristique en forme de canon qu’il intitula « Éloge de l’obèse » (Lob auf den Dicken, WoO 100).

    Le problème avec les œuvres de Beethoven de la dernière période, mais cela avait déjà commencé avec celles de la période médiane, était double :

    • Elles étaient d’abord d’une difficulté technique inconnue jusqu’alors;
    • Et puis, elle heurtait la capacité de compréhension et d’assimilation de l’immense majorité des musiciens et des mélomanes.

    Concernant la difficulté technique, une intervenante dans les épisodes du feuilleton « Beethoven » de la radio télévision belge expliquait que beaucoup de personnes avaient l’habitude à Vienne et plus généralement dans les pays germaniques de pratiquer la musique en amateur. Et, la forme du quatuor à cordes était très prisée. Souvent ces musiciens se retrouvaient lors de soirées amicales et déchiffraient ensemble de nouveaux quatuors qui étaient édités. Quelquefois, il s’agissait d’un mouvement de quatuor et il existait des abonnements avec lesquels, régulièrement, on obtenait de nouvelles partitions, le premier mouvement, le deuxième mouvement, un nouveau quatuor.

    Et ils occupaient la soirée en jouant ensemble. En effet, à cette époque Netflix n’existait pas, ni les jeux vidéos, ni les réseaux sociaux ni même la télévision ou la radio. Il fallait donc s’occuper autrement. Nous parlons là plutôt de personnes aisées.

    Mais mon père qui faisait partie d’une famille très modeste issue de la paysannerie m’expliquait que dans sa jeunesse, on se réunissait aussi pour faire de la musique dans la famille. Celles et ceux qui ne savaient pas jouer d’un instrument chantaient.

    Revenons au contexte viennois. Voilà des musiciens qui reçoivent des partitions des œuvres de Beethoven. C’est en effet indéchiffrable, je veux dire : vous ne mettez pas ensemble deux violonistes, un altiste et un violoncelliste qui n’ont jamais vu la partition pour qu’ils puissent commencer à la jouer ensemble. Pour Beethoven, il faut qu’au préalable chacun des musiciens ait travaillé individuellement sa partie, puis il sera nécessaire de travailler ensemble pour s’ajuster.

    C’est totalement inatteignable pour des amateurs, au moins de cette époque. Et même le Quatuor Schuppanzigh qui est professionnel n’y arrive pas ou très difficilement.

    Et, c’est dans la difficulté du 7ème quatuor à cordes dans lequel les quatre musiciens n’y arrivaient pas techniquement et ne comprenait pas la musique qu’ils étaient censés jouer que Beethoven eut cette phrase :

    « Ce n’est pas pour vous, c’est pour les temps à venir »
    Cité par Bernard Fournier « Beethoven et après », page 127

    Je pense que cette remarque touchait plus la compréhension, par les musiciens, de cette musique que leurs soucis techniques.

    Lors de ce même épisode Nicolas Derny commente :

    « Lorsque l’ébouriffé Ludwig, dont les oreilles bourdonnent depuis 1797, présente les Quatuors « Razoumovski » – l’épique 7e , le pathétique 8e , l’extraverti 9e -, même ses proches croient à une blague. »

    A ce stade, il faut peut-être donner un exemple à entendre.

    C’est un peu compliqué parce qu’aujourd’hui nos oreilles ont été habituées, après des décennies de musiques à deux notes, en cas d’opulence on va jusqu’à quatre, à s’habituer à tout. Et même à nommer musique, des collections de sons assez éloignées d’une définition raisonnable de la musique. Mais faisons l’effort de nous mettre en empathie avec des personnes de la bonne société viennoise du début du XIXème siècle. Ils sont déjà horrifiées par les extravagances de la révolution française, leurs oreilles ont été éduquées par la musique de Mozart et de Haydn. Alors, on doit pouvoir comprendre leurs réactions après avoir entendu le début, les trente premières secondes, de l’Allegretto du 7ème quatuor : <Quatuor Belcea>. Cela commence par le violoncelle qui joue de manière monotone la même note. Le second violon essaie quelques fantaisies mais est repris par l’alto qui refait le coup du violoncelle. Après ils s’y mettent tous à jouer la même note. C’est une blague se disaient-ils à l’époque !

    Donc, il y avait d’abord des problèmes techniques. Les musiciens de l’époque ne savaient pas jouer Beethoven :

    « La création de l’ «Héroïque » dans le salon de musique du Palais Lobkowitz [fut] lamentable […] avec six premiers et quatre seconds violons, et des vents terriblement médiocres. Personne ne savait jouer cette musique si nouvelle et si difficile ; et dans les « académies » publiques que Beethoven organisait de temps en temps, ce n’était guère mieux. »
    Antoine Goléa « La musique de la nuit des temps aux aurores nouvelles » volume 1 page 290

    Et puis, si les mélomanes aimaient les premières œuvres de Beethoven et aussi l’Ode à la joie qui finit la 9ème, les œuvres tardives, c’est à dire la musique « pour les temps à venir » rencontraient le scepticisme voire la franche hostilité.

    Quand Beethoven décida de dédier sa sonate N° 9 pour violon et piano à Rodolphe Kreutzer, célèbre violoniste à Paris, Sonate qui restera la « Sonate à Kreutzer », le dédicataire refusera de la jouer en la déclarant : « Inintelligible ! ».

    Le critique du journal spécialisé « l’Allgemeine musikalische Zeitung » écrivit que Beethoven y avait

    « poussé le souci de l’originalité jusqu’au grotesque [et était adepte d’un ] terrorisme artistique »

    Nicolas Derny écrit :

    « il dédie sa neuvième et avant-dernière Sonate pour violon et piano à Rodolphe Kreutzer, musicien proche de Bonaparte – qui ne la jouera jamais : la pièce est trop difficile, trop étrange, voire tout bonnement inintelligible pour les oreilles de ce début de siècle. »

    Il s’agit aujourd’hui d’une des sonates pour violon les plus populaires et les plus jouées du répertoire.

    Et les avis défavorables sur la musique de la maturité de Beethoven sont multiples.

    Voici, par exemple, un avis de Frédéric Chopin :

    « Quand Beethoven est obscur et paraît manquer d’unité, ce n’est pas une prétendue originalité un peu sauvage, dont on lui fait honneur, qui en est la cause ; c’est qu’il tourne le dos à des principes éternels »
    Cité par <Diapason>

    Bernhard Romberg est un nom connu des jeunes apprentis du violoncelle, car violoncelliste lui-même il a écrit beaucoup de pièces et d’études pour cet instrument. Il parlera de la musique de Beethoven en ces termes :

    « Musique d’aliéné »
    Cité par <
    Diapason>

    François-Joseph Fétis écrit dans la revue musicale en 1830 :

    « Car bien, bien qu’il y représente sous une infinité de formes les thèmes de ces mêmes compositions, il les enveloppe en général de tant d’obscurités ; ces thèmes sont, pour la plupart, si vagues. Les chocs de sons y sont souvent si durs, si désagréables à l’oreille. L’ensemble, enfin, il y a si peu de charme et de clarté. »
    Cité par Boucourcheliev « Beethoven » page 220

    Et Louis Spohr qui selon Wikipedia devint pour ses contemporains « après la mort de Carl Maria von Weber en 1826, et de Ludwig van Beethoven en 1827, le compositeur le plus important du moment ». Il écrivit dans son Autobiographie :

    « Le dernier mouvement [de la 9ème symphonie] est tellement monstrueux et sans goût dans sa conception scolaire que je ne peux pas comprendre qu’un génie comme Beethoven ait été capable de le coucher sur le papier. Je trouve ici une nouvelle preuve que Beethoven a manqué de formation esthétique et du sens de la beauté »
    Cité par Boucourcheliev « Beethoven » page 226

    Louis Spohr criait au génie pour les œuvres de Beethoven qui pour la postérité n’apparaîtront pas comme celles qui le sont.

    Heureusement toute le monde n’eut pas cet aveuglement, Berlioz, Liszt, Wagner sont clairement du côté des visionnaires.

    Nicolas Derny écrit cette synthèse dans <Diapason> :

    « Ses contemporains ne savent plus s’ils doivent crier au génie ou au fou. Comme lorsque le compositeur introduit la voix humaine – quatuor soliste et chœur – dans le final de la Symphonie no 9, chose imaginable jusque-là. Hymne à la joie et à la fraternité sur un texte de Schiller, elle triomphe le soir de la création (le 7 mai 1824, en même temps que les Kyrie, Credo et Agnus Dei de la Missa Solemnis), mais divise les commentateurs pour un moment : trop longue et difficile – voire tout bonnement absurde – pour les uns, elle s’impose pour les autres comme « la plus magnifique expression du génie de Beethoven » (Berlioz). »

    Mais Schubert avant eux, sut reconnaître le génie : Selon le témoignage de Braun von Braunthal, un ami de Schubert, ce dernier lui aurait dit :

    « Il sait tout, mais nous ne pouvons pas encore tout comprendre, et il coulera encore beaucoup d’eau dans le Danube avant que tout ce que cet homme a créé soit généralement compris. »
    Cité par J. et B. Massin dans le Dictionnaire des musiciens , Encyclopédia Universalis 2019, page 35

    Il n’écrivait pas pour ceux qui ne l’ont pas compris, il écrivait pour «  les temps à venir »

    Ce mot du jour est enrichi de bustes de Beethoven réalisés par Antoine Bourdelle On raconte que le jeune Bourdelle, en feuilletant un ouvrage sur Beethoven, fut frappé par sa propre ressemblance physique avec lui. Il se mit à écouter sa musique et raconta :

    « …chaque cri de ce sourd qui entendait Dieu frappait directement mon âme. Le front de Beethoven suait sur mon cœur écrasé. »

    S’identifiant à son modèle, il réalisa de multiples visages de Beethoven, comme un musicien crée des variations sur un thème. En tout, on compte dans son œuvre quatre-vingt sculptures représentant le compositeur. <source Musée d’Orsay>

    Pour aujourd’hui je propose une œuvre qui mit encore plus de temps que les autres à apparaître ce qu’elle est : un immense chef d’œuvre : « Les 33 variations Diabelli opus 120». C’est dans les faits la dernière grande œuvre que Beethoven composa pour le piano.

    Boucourechliev écrit : « sa modernité aujourd’hui encore reste stupéfiante. »

    En 1819, Diabelli, éditeur et compositeur bien connu, écrivit et envoya une valse brève à tous les compositeurs importants de l’Empire d’Autriche (tels Franz Schubert, Carl Czerny, Johann Nepomuk Hummel ou l’archiduc Rodolphe d’Autriche), leur demandant d’écrire une variation sur ce thème. L’idée était de publier l’ensemble des variations au profit des veuves et des orphelins des guerres napoléoniennes, dans un volume patriotique intitulé Vaterländischer Künstlerverein.

    Il semblerait que Beethoven se serait senti insulté par une proposition indigne de lui et aurait finalement écrit 33 variations pour démontrer ce qu’il est possible de faire à partir d’un matériau aussi simple, simpliste peut être.

    Alfred Brendel écrit :

    « Quand j’osai définir, il y a environ cinquante ans, les Variations Diabelli comme la plus grande œuvre jamais écrite pour le piano, nombre de musiciens parurent perplexes. Elles étaient rarement jouées, et réputées inadéquates aux salles de concert. Qui pouvait sérieusement entraîner le public à la rencontre d’un colosse de cinquante-cinq minutes, s’éloignant rarement de la clé d’ut majeur, et fondé sur une valse tellement anodine ? Où était cette mystique transcendantale, associée par tant de nos contemporains au dernier Beethoven ?

    Les Variations Diabelli sont pourtant sa réussite suprême, unissant le passé, le présent et le futur, l’humour, la virtuosité et le sublime. »

    <Voici les 33 Variations Diabelli interprétées par Alfred Brendel>

    <1514>

  • Mercredi 23 décembre 2020

    « Beethoven et ses trois styles »
    Wilhelm von Lenz, livre de 1852 réédité en 1919

    Beethoven n’a jamais composé d’œuvres identiques.

    Dans la musique dite classique beaucoup de compositeurs, surtout avant Beethoven, avaient trouvé une forme, une structure qui leur convenait. Alors ils composaient de nombreuses œuvres mais qui étaient en réalité une déclinaison d’œuvres antérieures. Beethoven crée tout le temps, dans le renouvellement et l’approfondissement. Et plus Beethoven avance dans l’âge et aussi dans la surdité, plus ses œuvres deviennent géniales et ouvrent des voies absolument disruptives, pour utiliser un mot moderne qui aurait dû être inventé pour caractériser les œuvres ultimes de Beethoven. Les derniers de l’ultime seront ses quatuors à cordes.

    Ces quatuors à cordes commenceront à être compris et interprétés correctement vers la fin du XIXème siècle. Depuis, c’est devenu le « Graal » des quatuors à cordes et même de la musique de chambre, voire de la musique en général.

    Quand j’ai commencé avec mon ami Bertrand G. à entrer dans ces œuvres, grâce à la tribune des critiques de disques d’Armand Panigel, Antoine Goléa, Jacques Bourgeois et Jean Roy, il existait plusieurs interprétations de qualité superlative, le Quatuor Vegh, le Quatuor Talich, le Quatuor Alban Berg de Vienne et le Quartetto Italiano.

    A la fin ce sont ces derniers interprètes qui le plus souvent étaient choisis. Je dois avouer que je dispose de ces quatre interprétations aujourd’hui avec d’autres plus modernes et quelques-unes plus anciens.

    Beethoven a écrit ses Seize Quatuors à cordes entre 1800 et 1826. Quand on voulait acquérir les enregistrements de ces quatuors à cordes, ils étaient quasi toujours présentés en trois coffrets :

    • Les premiers quatuors à cordes ;
    • Les quatuors de la période médiane ;
    • Les derniers quatuors à cordes.


    Cette coutume de classer les quatuors à cordes en trois périodes, se fonde sur un découpage qui a été initié par un musicologue : Wilhelm von Lenz.

    Il a écrit en 1855 « Beethoven et ses trois styles. » Mais cet ouvrage qui a été réédité en 1909, avait un sous-titre : « Analyses des sonates de piano ». Il avait donc prévu ce découpage de l’œuvre de Beethoven pour les sonates de piano. Mais rapidement, il a été utilisé pour l’ensemble de la production musicale du compositeur qui se trouve donc divisé en trois grandes périodes.

    Dans le paragraphe « Modernités de Beethoven », Bernard Fournier explique :

    « Les trois manières
    L’ampleur d’une telle évolution a conduit les commentateurs à diviser l’œuvre de Beethoven en « périodes », « styles » ou « manières » permettant de caractériser les grandes étapes d’un développement artistique qui, ancré dans le classicisme (première manière), a ouvert la voie du romantisme (deuxième manière) et anticipé, dans ses explorations les plus visionnaires (troisième manière) »
    « Beethoven et après », Bernard Fournier, page 119

    Nicolas Derny, dans Diapason explique cependant que cette division du «temps créateur» de Beethoven n’est pas unanimement adoubée

    « Le classicisme marque évidemment le premier des « trois styles » que Wilhelm von Lenz (1809-1883) croit pouvoir identifier dans le catalogue Beethovénien. Théorie dont Berlioz, apôtre de l’Allemand en France, ne pense que du bien.
    Diapason N° 686 Janvier 2020 Page 24

    André Boucourechliev dans son livre « Beethoven » se classe résolument dans le camp des sceptiques :

    « Jamais œuvre ne reposa sur une plus grande inquiétude que l’œuvre de Beethoven. Jamais esprit créateur ne fut moins satisfait, moins prudent, moins soumis. Dépassant le doute par la vision de l’œuvre à venir, sa seule et provisoire certitude, retrouvant presque aussitôt le doute, Beethoven joue à chaque fois l’acquis, le remet en question et risque le tout pour le tout. […] Chaque œuvre, chaque phrase créatrice du compositeur témoigne de sa modernité à des niveaux divers, sous des aspects spécifiques. Dès lors la division rigide de la vie créatrice de Beethoven en trois ou deux ou quatre périodes s’avère, a moins de réserves sérieuses, aussi arbitraire que stérile. Que les dernières œuvres de Beethoven soient très différentes des premières, que tel quatuor de l’opus 59 soit d’une conception et d’une écriture autres que telle sonate de l’opus 2 ou de l’opus 102, est évident »
    Boucourechliev « Beethoven » page 26 et 27

    Et Boucourechliev d’insister sur le côté évolutif, de la métamorphose permanente qui interdit de tracer des frontières entre période.

    Mais d’autres grands auteurs, qui en outre étaient compositeurs aussi, adoptent ce découpage.

    Franz Liszt leur donne les titres suivants : -L’enfant – l’homme – le Dieu que Boucourechliev qualifie d’absurdes.

    Vincent d’Indy propose d’autres appellations : les périodes d’« imitation » (1793-1801), de « transition » (1801-1815) et de « réflexion » (1815-1827).

    Nicolas Derny conclut

    Pour l’Histoire, la thèse de Lenz triomphe. Etiquettes pratiques et non dénuées de fondement, mais classement aux limites discutables. Soit. La musicologie moderne critique, amende, mais ne propose rien de mieux. »
    Diapason N° 686 Janvier 2020 Page 24

    Il n’y a rien de mieux. Et dans mon humble rôle de mélomane, je dois dire que cette typologie me convient et me convainc. Bien sûr, on ne passe pas brutalement d’une période à l’autre. Mais quand on écoute globalement les œuvres de chacune de ces périodes, on entend bien une très grande différence. Ainsi, pour essayer d’embrasser globalement l’œuvre de Beethoven, je vais me fonder sur ce découpage, mais sans donner de titre spécifique à chaque période. Pour chacune d’entre elles je proposerai deux œuvres.

    Première période 1793-1801

    Beethoven a décidé de publier l’œuvre qu’il a désigné comme son opus 1 en 1795. Il s’agit de trois trios pour piano, violoncelle dont il avait commencé la composition en 1794.

    En 1793, Beethoven a 23 ans, il n’est plus un enfant, comme le laisse entendre Liszt. Il a déjà composé avant, mais il parait cohérent de faire débuter cette période à peu près au moment où Beethoven a décidé de dire : c’est l’opus 1. De manière plus factuelle, ce sont ses débuts à Vienne, il est parti définitivement de Bonn pour la capitale de l’empire d’Autriche en novembre 1792.

    C’est au milieu de cette période (1796-97) qu’il commence à ressentir les premiers symptômes de troubles auditifs. Il est à ce moment-là un pianiste brillant.

    Concernant les trois grands cycles, il compose ses 6 premiers quatuors à cordes opus 18 (1800), pour les symphonies il n’a composé que la première (1800) et pour les sonates de piano il a composé les 20 premières soit la majorité de 32.

    Il compose aussi ses trois premiers concertos de piano, ses 8 premières sonates pour violon et piano et les deux premières sonates pour violoncelle et piano, l’essentiel de ses trios avec piano.

    Il compose aussi une œuvre étonnante, un oratorio « Le Christ au mont des oliviers » (1801)

    Il n’est pas question de donner, dans ce mot du jour, la liste exhaustive. Mais il faut constater qu’il a composé lors de cette période des œuvres de musique de chambre pour quintettes, sextuors ou des œuvres pour flute qu’il ne composera plus par la suite.

    Il en va ainsi aussi des 6 œuvres qu’il a composé pour trio à cordes, violon, alto et violoncelle. Et je vous propose d’écouter le dernier : <Trio à cordes opus 9 N°3>. La proximité de Mozart et de Haydn est évidente.

    Il a aussi composé le septuor pour cordes et vent opus 20. Ce septuor reçut un accueil triomphal. Et pendant longtemps ses admirateurs le louaient pour cette œuvre que lui considérait comme une œuvre de jeunesse, largement dépassé par les œuvres ultérieures. Ce succès continuel finit par irriter Beethoven et Brigitte Massin cite une réaction de Beethoven :

    « Il y a là beaucoup d’imagination mais peu d’art »

    Voici ce <Septuor pour cordes et vent opus 20> vous pouvez aussi aller à 19:25 pour écouter le tempo di minuetto.

    Période médiane 1802-1815

    Cette période commence donc par le testament d’Heiligenstadt, Beethoven parle de sa surdité et s’éloigne de sa carrière de pianiste il va commencer à écrire des œuvres de plus en plus profondes et intériorisées.

    Beethoven a 32 ans, rappelons que Schubert est mort à 31 ans.

    Il me semble qu’on peut dire que le romantisme commence alors en matière musicale. Certains parlent de la période héroïque.

    La période commence, en effet, par l’écriture de la 2ème symphonie et surtout de la 3ème « Héroïque » (1804). Il écrira d’ailleurs toutes ses symphonies restantes, mise à part la 9ème, pendant cette période.

    Les sonates de piano de 21 (Waldstein) à 26 seront composées ainsi que les quatuors à cordes N°7 à 11.

    Je vous propose d’écouter le : <Quatuor à cordes N°10 opus 74> (1809) par le Quatuor Belcea. Nous avons changé de monde par rapport au septuor opus 20. Beethoven devient un compositeur majeur de l’Histoire de la musique.

    Pendant cette période il va composer sa première messe en ut opus 86 (1807).

    Il écrira aussi ses deux derniers concertos de piano, son triple concerto, il finira les dernières sonates pour violon et piano, il écrira la musique pour Egmont et entamera très largement son opéra Fidelio. Il écrira les trois dernières sonates pour violoncelle et piano dont les 4 et 5, la dernière année de la période, en 1815.

    Et puis en 1806, il composera le concerto pour violon opus 61. Je vous propose le 2ème mouvement <Larghetto> par Anne Sophie Mutter et l’orchestre philharmonique de Berlin dirigé par Karajan

    La dernière Période (1816-1827)

    C’est la période pendant laquelle il va devenir totalement sourd. Il y aura aussi une période entre 1817 et 1819 pendant laquelle il n’écrira aucune œuvre majeure.

    C’est la période dans laquelle il va devenir le plus grand ou un des plus grands.

    Pendant cette période sera achevé Fidelio et seront composés la 9ème (1824), la Missa Solemnis (1822) et ces extraordinaires Variations Diabelli (1823) pour lesquelles <Brendel> affirme que c’est la plus grande œuvre pour piano que Beethoven ait composé.

    Et puis, il y a les 5 dernières sonates de piano. Je vous propose le mouvement le plus court : Le <2ème mouvement allegro molto> de la sonate pour piano N°31 opus 110 par Maurizio Pollini.

    Et il y a ses dernières œuvres qui sont les quatuors à cordes. Les contemporains de Beethoven, préfèrent le septuor, ils ne le suivent pas, ne le comprennent.

    Peut-être que pour essayer d’illustrer cette dernière période, faut-il se tourner résolument vers la Grande Fugue opus 133. Cette œuvre fut d’abord le dernier mouvement du 13ème quatuor à cordes. Mais cette pièce était si immense, en elle-même, elle durait aussi plus de quinze minutes à elle toute seule que Beethoven a compris qu’il ne pouvait laisser cette œuvre dans une autre œuvre.

    Il l’a donc séparée et a réécrit un autre mouvement final à son treizième quatuor.

    C’est une œuvre dont le langage se situe aux limites du système tonal. La ligne mélodique a disparu. Son audace de conception se tourne résolument vers le XXème siècle. C’est une œuvre vraiment incompréhensible pour les contemporains de Beethoven. Bernard Fournier cite une réponse de Lucien Capet, créateur du Quatuor Capet (1893-1928) un des premiers quatuors à cordes à s’être attaqué de front aux derniers quatuors à cordes. Un auditeur avait demandé à quelle époque de sa vie Beethoven l’avait écrite. La réponse de Lucien Capet fut

    « Après sa mort ! »
    « Beethoven et après », Bernard Fournier, page 118

    <Grande Fugue par quatuor Ebene>

    Je laisserai la conclusion à Antoine Goléa

    « En cela, Beethoven peut rejoindre Bach, sans effort, et dans ses œuvres les plus parfaites, parce que les plus neuves, les plus inouïes », les cinq dernières sonates pour le piano et les six derniers quatuors à cordes, il rejoint entièrement le Bach de l’Offrande musicale et de l’Art de la fugue [parmi les dernières œuvres de Bach]. Mais il le rejoint en quelque sorte sous un signe inversé : car si Bach a placé […] l’idée musicale pure à l’enseigne d’une commémoration auguste de la tradition, Beethoven la situe au carrefour des voies nouvelles, de voies où aucun retour ne sera plus permis. »
    Antoine Goléa « La musique de la nuit des temps aux aurores nouvelles » volume 1 page294 et 295

    <1513>

  • Mardi 22 décembre 2020

    « Ce sourd entendait l’infini »
    Victor Hugo évoquant Ludwig van Beethoven

    Quand un géant parle d’un autre géant…

    « Ce sourd entendait l’infini.
    Penché sur l’ombre, mystérieux voyant de la musique, attentif aux sphères, cette harmonie zodiacale que Platon affirmait, Beethoven l’a notée.
    Les hommes lui parlaient sans qu’il les entendît ; il y avait une muraille entre eux et lui ; cette muraille était à claire-voie pour les mélodies de l’immensité.
    Il a été un grand musicien, le plus grand des musiciens, grâce à cette transparence de la surdité.
    L’infirmité de Beethoven ressemble à une trahison ; elle l’avait pris à l’endroit même où il semble qu’elle pouvait tuer son génie, et, chose admirable, elle avait vaincu l’organe, sans atteindre la faculté.
    Beethoven est une magnifique preuve de l’âme.
    Si jamais l’inadhérence de l’âme et du corps a éclaté, c’est dans Beethoven.
    Corps paralysé, âme envolée.

    Ah ! vous doutez de l’âme ?
    Eh bien ! écoutez Beethoven. Cette musique est le rayonnement d’un sourd.
    Est-ce le corps qui l’a faite ?
    Cet être qui ne perçoit pas la parole engendre le chant.
    Son âme, hors de lui, se fait musique. Que lui importe l’absence de l’organe !
    Le verbe est là, toujours présent. Beethoven, tous les pores de l’âme ouverts, s’en pénètre.
    Il entend l’harmonie et fait la symphonie.
    Il traduit cette lyre par cet orchestre.

    Les symphonies de Beethoven sont des voix ajoutées à l’homme.
    Cette étrange musique est une dilatation de l’âme dans l’inexprimable.
    L’oiseau bleu y chante ; l’oiseau noir aussi.
    La gamme va de l’illusion au désespoir, de la naïveté à la fatalité, de l’innocence à l’épouvante.
    La figure de cette musique a toutes les ressemblances mystérieuses du possible.
    Elle est tout. Profond miroir dans une nuée. Le songeur y reconnaîtrait son rêve, le marin son orage, Élie son tourbillon où il y a un char, Erwyn de Steinbach sa cathédrale, le loup sa forêt.
    Parfois elle a des entre-croisements impénétrables.
    Avez-vous vu dans la Forêt-Noire ces branchages démesurés où la nuit est prise comme un épervier dans un filet et se résigne sinistrement, ne pouvant s’en aller ?
    La symphonie de Beethoven a de ces halliers inextricables.
    Et. tout à coup, si le rossignol était là, il se mettrait à écouter, croyant que c’est quelqu’un comme lui qui chante.
    Le rossignol se tromperait, c’est mieux que lui. Il n’est que dans l’ombre, Beethoven est dans le mystère.
    La mélodie du rossignol n’est que nocturne, celle de Beethoven est magique.
    Il y a dans l’âme des jeunes filles une fleur qui chante ; c’est celle fleur-là qu’on entend dans Beethoven. De là une suavité incomparable.
    Plus qu’un chant, une incantation. Cependant la vie réelle entre brusquement dans ce songe. Au milieu de son monstrueux et charmant poème, Beethoven donne un bal, il improvise une fête, il secoue des castagnettes, il tape sur un tambourin ; toutes les danses tournoient et passent, depuis la valse jusqu’au jaléo ; les bras entrelacés serrent les seins contre les poitrines; à l’écart, dans la clairière, le jeune homme rougissant salue une étoile où il voit une vierge ; des sourires de belles filles apparaissent, montrant des dents pleines de lumière ; des enfants et des moineaux jasent, les troupeaux bêlent, on entend la clochette des vaches rentrantes ; il y a des chaumières sous des saules ; et c’est là le bonheur, la famille, la nature, la prairie, la floraison d’août, la jeunesse, la joie, l’amour, avec l’horreur secrète d’Irminsul debout là-bas, sous des arbres, dans les ténèbres.
    Puis vient le tutti, le finale, le dénouement ; le mirage se déforme, se déchire, s’ouvre, il s’y fait une profondeur. et l’on croit être au jour du Rosch-Aschana, et l’on croit voir les innombrables têtes d’Israël soufflant, joues gonflées, dans les cuivres et l’on assiste, ébloui par cette gloire, à la fête furieuse des trompettes.

    Les symphonies de Beethoven sont des resplendissements d’harmonie. Les répliques de la mélodie à l’harmonie font de cette musique un intraduisible dialogue de l’âme avec la nature. Ce bruit-là pense. Dans cette végétation il y a le nid, dans cette église il y a le prêtre, dans cet orchestre il y a le cœur humain. Cette grandeur sert à faire aimer.

    Insistons-y, et finissons par où nous avons commencé. Ces symphonies éblouissantes, tendres, délicates et profondes, ces merveilles d’harmonie, ces irradiations sonores de la note et du chant, sortent d’une tête dont l’oreille est morte.
    Il semble qu’on voie un dieu aveugle créer des soleils. »
    (texte destiné primitivement à William Shakespeare ; cote B.N. N.a.f. 24776, folio 85 ; Œuvres complètes, volume « Chantiers », Robert Laffont, 1985, p. 1015-1016)

    <Julie Depardieu lit de larges extraits de ce texte> sur les ondes de France Musique.

    « Il semble qu’on voie un dieu aveugle créer des soleils » aurait aussi pu être l’exergue de ce mot du jour ou « Écoutez Beethoven. Cette musique est le rayonnement d’un sourd. »

    Hugo fréquentait Liszt qui avait transcrit toutes les symphonies de Beethoven pour piano. Il jouait aussi toutes les œuvres de piano de Beethoven. Liszt a fait aimer Beethoven à Hugo et lui a aussi fait découvrir Schubert.

    <Ce site> en dit davantage. Je lui emprunte la reproduction d’un tableau de Joseph Danhauser, représentant Alexandre Dumas, Victor Hugo, George Sand, Niccolò Paganini, Gioacchino Antonio Rossini et Marie d’Agoult, tous réunis autour du piano sur lequel joue Liszt, piano surmonté d’un buste de Beethoven.

    <L’Obs> signale aussi ce texte et évoque d’autres écrivains parlant de Beethoven.

    Je remets tous ces écrivains et musiciens dans leur existence chronologique :


    Victor Hugo parle des symphonies. Julie Depardieu était accompagnée par la 6ème symphonie.

    Hugo écrit  «Beethoven donne un bal, il improvise une fête, il secoue des castagnettes, il tape sur un tambourin ; toutes les danses tournoient et passent, depuis la valse jusqu’au jaléo». Wagner a appelé la 7ème symphonie «l’apothéose de la danse». C’est pourquoi, je propose l’allegretto de la 7ème symphonie, interprété par <L’orchestre Philharmonique de Berlin et Karajan>

    Et pour la version intégrale, écoutez <L’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam et Carlos Kleiber>. Interprétation époustouflante d’un chef d’orchestre génial maniant une gestique inhabituelle.

    La 7ème symphonie date de 1812, 10 ans après le Testament d’Heiligenstadt.

    <1512>

  • Lundi 21 décembre 2020

    « C’est l’art et seulement lui, qui m’a retenu, ah ! il me semblait impossible de quitter le monde avant d’avoir fait naître tout ce pour quoi je me sentais disposé, et c’est ainsi que j’ai mené cette vie misérable »
    Ludwig van Beethoven, dans le « Testament d’Heiligenstadt » du 6 octobre 1802

    Ludwig van Beethoven aimait rire et boire. Il aimait la compagnie, avait beaucoup d’amis et du succès auprès des femmes.

    Il n’était pas beau mais disposait d’un charisme incroyable. Et il subjuguait les élites viennoises par sa virtuosité pianistique et ses talents d’improvisateur.

    Sa musique se vendait très bien et il disposait de mécènes riches qui lui permettaient de vivre confortablement.

    Il disposait donc énormément d’atouts dans sa vie pour vivre avec bonheur, passion et réussite.

    Il écrit même dans une lettre :

    « Parfois je pense devenir fou devant ma gloire imméritée, la chance me poursuit et j’ai déjà peur pour cette raison d’un nouveau malheur. »
    Lettre de Beethoven à Nikolaus Zmeskall cité <ICI>

    Mais une terrible maladie va le frapper : la surdité.

    Beethoven a commencé à ressentir les premiers symptômes de la surdité vers l’âge de 26-27 ans (1796-1797). D’abord localisés au niveau de l’oreille gauche, des acouphènes persistants se sont ensuite propagés à l’oreille droite.

    Pendant longtemps, il va vouloir cacher cette infirmité qu’il sent comme une humiliation : comment avouer mal entendre et être musicien ? Il va chercher la solution auprès des médecins, gardant l’espérance d’une guérison. Mais à cette époque les médecins avaient peu de moyens d’intervention et peu de méthodes d’investigations. Le feuilleton de la radio télévision belge, tout au long des dix épisodes, invite un spécialiste de l’histoire de la médecine pour évoquer l’état de l’art et aussi les remarquables progrès qui vont être réalisés tout au long du XIXème siècle. Pour lui, à l’époque de Beethoven, seuls les chirurgiens avaient la technique pour vraiment améliorer certains des problèmes de santé des malades, mais pour le reste il y avait peu de remèdes et beaucoup d’appel à la bienveillance de la nature et à la miséricorde de Dieu.

    Beethoven va pour la première fois s’ouvrir de cette maladie à son ami de jeunesse et de Bonn, de 5 ans son ainé, : Franz Gerhard Wegeler qui est devenu médecin. Cette lettre envoyée de Vienne est datée du 29 juin 1801.

    Au début de la lettre, il décrit une situation enviable :

    « Tu veux savoir quelque chose de ma situation : eh bien, cela ne va pas trop mal. […] Lichnowski m’a versé une pension de 600 florins, que je dois toucher, aussi longtemps que je ne trouverai pas de position qui me convienne. Mes compositions me rapportent beaucoup, et je puis dire que j’ai plus de commandes que je n’y puis satisfaire. Pour chaque chose, j’ai six, sept éditeurs, et encore plus, si je veux m’en donner la peine. On ne discute plus avec moi : je fixe un prix, et on le paie. Tu vois comme c’est charmant. »

    Mais dans la seconde moitié de la lettre, il aborde frontalement son handicap :

    « Malheureusement, un démon jaloux, ma mauvaise santé, est venu se jeter à la traverse. Depuis trois ans, mon ouïe est toujours devenue plus faible. Cela doit avoir été causé par mon affection du ventre, dont je souffrais déjà autrefois, comme tu sais, mais qui a beaucoup empiré ; car je suis continuellement affligé de diarrhée, et, par suite, d’une extraordinaire faiblesse. Frank voulait me tonifier avec des reconstituants, et traiter mon ouïe par l’huile d’amandes. Mais prosit ! cela n’a servi à rien ; mon ouïe a toujours été plus mal, et mon ventre est resté dans le même état. Cela a duré ainsi jusqu’à l’automne dernier, où j’ai été souvent au désespoir. Un âne de médecin me conseilla des bains froids ; un autre, plus avisé, des bains tièdes du Danube : cela fit merveille ; mon ventre s’améliora, mais mon ouïe resta de même, ou devint encore plus malade. Cet hiver, mon état fut vraiment déplorable : j’avais d’effroyables coliques et je fis une rechute complète. […] Je puis dire que je mène une vie misérable. Depuis presque deux ans, j’évite toute société, parce que je ne puis pas dire aux gens : « Je suis sourd ». Si j’avais quelque autre métier, cela serait encore possible ; mais dans le mien, c’est une situation terrible. Que diraient de cela mes ennemis, dont le nombre n’est pas petit !

    Pour te donner une idée de cette étrange surdité, je te dirai qu’au théâtre je dois me mettre tout près de l’orchestre pour comprendre les acteurs. Je n’entends pas les sons élevés des instruments et des voix, si je me place un peu loin. Dans la conversation, il est surprenant qu’il y ait des gens qui ne l’aient jamais remarqué. Comme j’ai beaucoup de distractions, on met tout sur leur compte. Quand on parle doucement, j’entends à peine ; oui, j’entends bien les sons, mais pas les mots ; et d’autre part, quand on crie, cela m’est intolérable. »

    Et il lui fait cette demande :

    « Je te supplie de ne rien dire de mon état à personne »

    Il écrit quelques jours plus tard à un autre ami proche Karl Amenda, théologien et violoniste :

    « Mon cher, mon bon Amenda, mon ami de tout cœur, avec une émotion profonde, avec un mélange de douleur et de joie j’ai reçu et lu ta dernière lettre. À quoi puis-je comparer ta fidélité, ton attachement envers moi ! Oh ! cela est bien bon, que tu me sois toujours resté si ami. […] Combien je te souhaite souvent auprès de moi ! car ton Beethoven est profondément malheureux. Sache que la plus noble partie de moi-même, mon ouïe, s’est beaucoup affaiblie. Déjà, à l’époque où tu étais près de moi, j’en sentais les symptômes, et je le cachais ; depuis, cela a toujours été pire. Si cela ne pourra jamais être guéri, il faut attendre (pour le savoir) ; cela doit tenir à mon affection du ventre. Pour celle-ci, je suis presque tout à fait rétabli ; mais pour l’ouïe, se guérira-t-elle ? Naturellement, je l’espère ; mais c’est bien difficile, car de telles maladies sont les plus incurables. »

    On comprend bien que cette découverte est dramatique pour le compositeur et musicien. Beethoven est désemparé et il fuit de plus en plus les conversations et tente de cacher son état. En 1802, son médecin, Johann Adam Schmidt, lui conseille une cure de repos et de silence à la campagne. Beethoven décide de partir pour Heiligenstadt qui est une petite ville au nord de Vienne, où il espère trouver un peu de calme. Et le 6 octobre 1802, il décide d’écrire une lettre bouleversante, connue aujourd’hui sous le titre de « Testament de Heiligenstadt ». Il ajoutera un petit texte le 10 octobre 1802.

    Cette lettre est adressée à ses frères, mais probablement à toute l’humanité, au moins à tous ses amis et connaissances. Elle contient toute la souffrance et la détresse du musicien face à la tragédie qu’il vit.

    Elle ne sera jamais envoyée ni à ses frères ni à quiconque, mais sera retrouvée après sa mort par Anton Schindler et Stephan von Breuning dans un tiroir secret de l’armoire de Beethoven aux côtés de la Lettre à l’immortelle Bien-aimée.

    On ne sait pas s’il s’agit d’un vrai testament. Beethoven rédigera par la suite deux autres testaments : en 1824, puis peu avant sa mort, en 1827

    Ce document peut aussi se lire comme une trace que l’on laisse derrière soi avant de se suicider même si dans le texte il affirme avoir renoncé à se suicider pour continuer à composer.

    De manière surprenante, dans l’entête de sa lettre datée du 6 octobre 1802, il laisse un espace et n’écrit pas le nom de son second frère : Johann :

    « Pour mes frères Carl et [espace ] Beethoven.

    Il veut d’abord expliquer qu’il entend les critiques qu’on peut lui adresser de fuir la société, d’être « misanthrope », irritable, mais il veut se justifier et expliquer la raison profonde de son attitude :

    « Ô vous ! hommes qui me tenez pour haineux, obstiné, ou qui me dites misanthrope, comme vous vous méprenez sur moi.

    Vous ignorez la cause secrète de ce qui vous semble ainsi, mon cœur et mon caractère inclinaient dès l’enfance au tendre sentiment de la bienveillance, même l’accomplissement de grandes actions, j’y ai toujours été disposé, mais considérez seulement que depuis six ans un état déplorable m’infeste, aggravé par des médecins insensés, et trompé d’année en année dans son espoir d’amélioration. »

    Et en des mots simples il explique sa surdité et les situations insupportables que cela crée pour lui :

    « j’étais ramené durement à la triste expérience renouvelée de mon ouïe défaillante, et certes je ne pouvais me résigner à dire aux hommes : parlez plus fort, criez, car je suis sourd, ah ! comment aurait-il été possible que j’avoue alors la faiblesse d’un sens qui, chez moi, devait être poussé jusqu’à un degré de perfection plus grand que chez tous les autres, un sens que je possédais autrefois dans sa plus grande perfection, dans une perfection que certainement peu de mon espèce ont jamais connue »

    Et il avoue qu’il a pensé au suicide :

    « Mais quelle humiliation lorsque quelqu’un près de moi entendait une flûte au loin et que je n’entendais rien, ou lorsque quelqu’un entendait le berger chanter et que je n’entendais rien non plus ; de tels événements m’ont poussé jusqu’au bord du désespoir, il s’en fallut de peu que je ne misse fin à mes jours. »

    Et dans ce document il affirme qu’il se serait suicidé s’il n’avait pas la conscience, la certitude, l’intuition, je ne sais quel est le bon mot, qu’il avait encore tant d’œuvres à donner à l’humanité :

    « C’est l’art et seulement lui, qui m’a retenu, ah ! il me semblait impossible de quitter le monde avant d’avoir fait naître tout ce pour quoi je me sentais disposé, et c’est ainsi que j’ai mené cette vie misérable – vraiment misérable ; un corps si irritable, qu’un changement un peu rapide peut me faire passer de l’euphorie au désespoir le plus complet – patience, voilà tout, c’est elle seulement que je dois choisir pour guide, je l’ai fait – durablement j’espère, ce doit être ma résolution, persévérer, jusqu’à ce que l’impitoyable Parque décide de rompre le fil, peut-être que cela ira mieux, peut-être non, je suis tranquille – être forcé de devenir philosophe déjà à 28 ans, ce n’est pas facile, et pour l’artiste plus difficile encore que pour quiconque  »

    Il lègue alors ses biens à ses deux frères en leur recommandant de ne pas se disputer et d’être heureux. Et il donne ce conseil humaniste :

    « Recommandez à vos enfants la vertu, elle seule peut rendre heureux, pas l’argent, je parle par expérience, c’est elle qui même dans la misère m’a élevé, je la remercie autant que mon art, pour m’avoir fait éviter le suicide – adieu et aimez-vous »

    Après plusieurs jours de désespoir, l’état psychique de Beethoven s’améliore. Plongé dans l’écriture de ses deuxièmes et troisièmes symphonies notamment, Beethoven retrouve son énergie créatrice.

    <Wikipedia> écrit :

    « Mais Beethoven sortit victorieux de cette crise, résolu à affronter son destin plutôt que de s’abattre : c’était le début de la période « Héroïque » qui allait durer jusqu’en 1808 et l’apothéose de la Cinquième symphonie. »

    Beethoven perd complètement ses capacités auditives en 1818. Il est possible de le savoir avec une certaine certitude, grâce aux écrits, aux lettres de Beethoven mais aussi grâce aux fameux cahiers de conversation de Beethoven. Ces cahiers de conversation sont de véritables témoignages des dix dernières années de la vie de Beethoven.

    Sur le site de <resmusica> un article du 26 mars 2020 revient plus en détail sur les causes possibles de surdité, mais relate aussi comment Beethoven va tenter de lutter concrètement contre son impossibilité d’entendre :

    « Il commande à Conrad Graf, facteur de piano de la Cour Impériale de Vienne, un instrument à quadruple cordes, utilise un résonateur, fixe un cornet acoustique sur un serre-tête pour composer, ou une baguette de bois tendue entre ses dents et la caisse de résonance du piano. »

    Il utilise la possibilité de faire vibrer la masse osseuse pour essayer de sentir les vibrations et sentir ainsi la musique.

    Il va aussi faire appel à un ingénier bavarois Johann Nepomuk Maelzel pour qu’il fabrique des cornets acoustiques, de plus en plus perfectionnés, pour tenter d’entendre.

    Maelzel qui sera aussi l’inventeur du métronome qu’il présentera à Beethoven qui en sera enchanté et donnera des indications métronomiques concernant notamment ses symphonies. Indications extrêmement rapides que la plupart des chefs négligent pour adopter des tempos beaucoup plus lents.

    Le site <Médecine des arts> essaie de mettre en lien la surdité et l’œuvre musicale.

    Car ce qui est extraordinaire c’est que c’est pendant sa période de surdité que Beethoven va écrire ses plus grands chefs d’œuvres, ceux qui vont révolutionner la musique et constituent encore, pour les mélomanes d’aujourd’hui, une offrande inouïe à l’Art et à l’humanité. Une œuvre qui par sa seule existence justifie l’humanité, alors que le désastre écologique qui est en cours, du fait de l’homme, nous fait désespérer de notre espèce et nous demander s’il était utile qu’elle se développe pour devenir l’espèce dominante.

    Beethoven entendait la musique à l’intérieur de son esprit et de son corps isolé des sons extérieurs.

    Le site <resmusica> rappelle la première interprétation de la 9ème symphonie :

    « En 1824 pour la création de la Symphonie n° 9, il est complètement sourd, reste le dos tourné à la salle ne constatant son triomphe qu’après que la cantatrice Karoline Unger le prend par les épaules pour qu’il constate l’ovation du public.»

    Le testament d’Heiligenstadt ainsi que les lettres cités se trouvent en intégralité sur ce site https://fr.wikisource.org/wiki/Vie_de_Beethoven/Lettres

    Vous pourrez y lire aussi une autre lettre qu’il a écrit, le 16 novembre 1801, à son ami Wegeler et dans laquelle il a cette phrase

    « Je veux saisir le destin à la gueule. Il ne me courbera certainement pas tout à fait. »

    Comme œuvre, je vous propose aujourd’hui <L’andante du quatuor à cordes N° 9> qui a été écrit en 1806 et fait partie des 3 quatuors à cordes opus 59 « Razumovsky » dans une interprétation du quatuor Belcea.

    Et si vous voulez entendre l’œuvre en entier dans la <version lumineuse du Quatuor Alban Berg de Vienne>

    <1511>

  • Vendredi 18 décembre 2020

    « Beethoven, Bonaparte, Napoléon, des œuvres, des dédicataires et des mécènes »
    Un récit simple qui cache une grande complexité

    Après la famille et les maîtres, il me faut parler des mécènes et des dédicataires que Beethoven a eu tout au long de sa vie de compositeur.

    Je m’arrêterai un peu plus longuement sur l’histoire que l’on raconte à propos de la 3ème symphonie « Eroïca » et surtout du dédicataire.

    Hier, j’ai parlé de l’importance du Comte von Waldstein pour Beethoven : son premier séjour à Vienne et la rencontre avec Mozart, sa rencontre avec Haydn qui accepte de lui donner des cours, son départ pour Vienne, la rente que lui a octroyé le Prince Electeur pour le séjour viennois, tout cela il le doit à Waldstein.

    Et :

    « Recommandé par le Prince Électeur Max Franz, par Waldstein, introduit par Zmeskall, il est adopté par l’aristocratie mélomane de Vienne : La comtesse von Thun, Lichnowsky, Razumovsky, Lobkowitz, van Swieten, von Browne […]. Nous retrouvons tous ces noms […] au long des années, dans les dédicaces des œuvres de Beethoven. Jusqu’en 1796 Beethoven loge chez le prince Karl von Lichnowsky, non dans l’état de domesticité qu’ont connu Haydn et Mozart, mais en ami entouré, soutenu, respecté. Le prince assume pour lui le rôle d’un véritable imprésario et s’évertue, au piano, à lui prouver que ses compositions sont, malgré leur difficulté, parfaitement exécutables. »
    Bourcourechliev, « Beethoven » Page 163

    Beethoven ne manquera jamais, tout au long de sa vie, de riches mécènes qui le soutiendront financièrement. Il dispose aussi de nombreux amis fidèles. C’est d’ailleurs un homme plein d’énergie qui aime rire et qui aime boire. Il aime aussi la compagnie des femmes et a de nombreuses maîtresses, c’est un jouisseur. Je ne m’attarderai pas sur ses désillusions de mariage parce que dans le monde aristocrate dans lequel il vit, les femmes qu’il veut épouser sont d’essence noble, souvent déjà promises à d’autres. Et puis ce tabou ne pourra être franchi : il n’obtiendra jamais de rentrer dans ces familles par les liens du mariage.

    Il n’est pas beau, mais il a un charisme époustouflant. Sur le site de <France Musique> on peut lire :

    «Il est petit, brun, marqué de petite vérole, […] des cheveux noirs, très longs, qu’il rejette en arrière […] ses vêtements sont déchirés, il a l’air complètement déguenillé » : voici ce qu’écrit Bettina Brentano à propos de Beethoven alors qu’elle avoue dans le même temps être littéralement hypnotisée par le compositeur. Car Beethoven ne laisse jamais indifférent. Quand il se met au piano ou compose, « les muscles de son visage se gonflent » et son « regard farouche roule avec violence » : Beethoven est tel un magicien étrange et effrayant, mais qu’on se fait un doux plaisir d’observer.

    Le mythe d’un Beethoven solitaire toujours hargneux, triste et coléreux ne correspond pas à la réalité. Les choses changeront, bien sûr, à partir du moment où sa terrible surdité deviendra de plus en plus prégnante.

    A Vienne, c’est d’abord en tant que pianiste et improvisateur que Beethoven se fera connaître. C’est un virtuose exceptionnel. Il participe régulièrement à des joutes musicales, fort appréciées à l’époque, dans lesquels il faut improviser et jouer du piano de la manière la plus éblouissante que possible.

    Carl Czerny qui est un des grands maîtres du piano, de jeunes pianistes jouent encore ses études et ses exercices, fut à la fois l’élève de Beethoven et le professeur de Frantz Liszt. Il écrit :

    « Son improvisation était on ne peut plus brillante et étonnante ; dans quelque société qu’il se trouvât, il parvenait à produire une telle impression sur chacun de ses auditeurs qu’il arrivait fréquemment que les yeux se mouillaient de larmes, et que plusieurs éclataient en sanglots. Il y avait dans son expression quelque chose de merveilleux, indépendamment de la beauté et de l’originalité de ses idées et de la manière ingénieuse dont il les rendait. »

    Sa maladie va le conduire à délaisser cette part de son talent pour se concentrer sur la composition de ses œuvres.

    Mais c’est d’abord, grâce à sa réputation de virtuose accompli qu’il va encore élargir son cercle de connaissances et rencontrer des aristocrates qui accepteront de le financer, tout en le laissant libre de composer ce qu’il veut.

    Sur ce point, sa liberté de composer, il est intransigeant. Sa musique séduit, bouleverse même. Beethoven le sait et son génie musical se dédouble d’un talent commercial qui le place parmi les premiers compositeurs à vivre de leur musique.

    Il écrit ainsi à son ami Wegeler :

    « Tu veux savoir quelque chose de ma position ? Eh bien, elle n’est pas si mauvaise. Depuis l’année passée, quelque incroyable que cela puisse paraître, Lichnowsky a été et est resté mon ami le plus chaud. De petites mésintelligences ont bien eu lieu entre nous, et n’ont-elles pas affermi notre amitié ? Il m’a réservé une somme de six cents florins que je puis toucher tant que je n’aurai pas trouvé une place qui me convienne. Mes compositions me rapportent beaucoup et je puis dire que j’ai beaucoup plus de commandes que j’en puis faire. J’ai six ou sept éditeurs pour chacune de mes oeuvres, et j’en aurais beaucoup plus si je voulais. »

    La musicologue Tia de Nora fait le constat suivant :

    « Durant les quatre premières années de Beethoven à Vienne, de novembre 1792 à 1796 (période qui le vit s’imposer comme pianiste-compositeur), son ascension se reflète dans le nombre croissant de ses mécènes et protecteurs. […] Ni la popularité de Beethoven dans sa période médiane, ni sa reconnaissance finale comme le plus grand de tous les maîtres n’auraient pu avoir lieu si en ses débuts, dans les années 90 et aux débuts des années 1800, la société aristocratique ne l’avait pas placé sur un véritable piédestal »

    Cette <page> consacré au mécénat dont va profiter Beethoven à Vienne apporte d’autres éléments encore.

    Une autre page <Les mécènes> présente les principaux mécènes et leur interaction avec Beethoven.

    Mais qui dit mécène, dit aussi dédicace d’une œuvre de Beethoven. Et de cette manière ces hommes resteront dans l’Histoire, grâce aux œuvres de Beethoven.

    C’est au Prince Karl von Lichnowsky, celui lui accordera le logis au début de son séjour à Vienne et un soutien continue que Beethoven dédiera son Opus.1 ainsi que plusieurs œuvres majeurs dont la sonate n°8 « Pathétique » et la symphonie n°2.

    Il n’oubliera pas ceux de Bonn, Stephan von Breuning, sera le dédicataire du sublime concerto de violon.

    Le prince Lobkowitz reçoit un grand nombre de dédicaces de la part de Beethoven, parmi les plus grands chefs-d’œuvre du maître : les Quatuors à cordes Op.18, le Triple Concerto.

    Les cinquième et sixième Symphonie lui seront aussi dédiées mais conjointement avec le comte Razumovsky).

    Le comte Andrey Kirillovich Razumowski qui sera le seul dédicataire de ces 3 quatuors opus 59 que l’Histoire désignera sous le nom : « les Quatuors Razumowski  ». A Gottfried van Swieten qui fut aussi un de ses premiers soutiens, il dédiera sa première symphonie.

    L’Archiduc Rodolphe, le plus jeune fils de l’empereur Léopold II et qui devient, 1803, l’élève de Beethoven. C’est à lui à qu’il dédicacera son immense Missa Solemnis, et aussi son trio pour piano, violon et violoncelle opus 97 qui restera pour l’éternité le Trio « à l’Archiduc ». Il aura aussi droit à la Sonate pour piano N° 26 des « Adieux » et d’autres œuvres majeures encore.

    Et nous en venons à la Troisième symphonie opus 55 qui aurait pu avoir pour nom : « Symphonie Bonaparte ». Bonaparte n’était pourtant pas un mécène de Beethoven. Mais on lit partout ce même récit :

    Beethoven est profondément épris de l’idéal républicain défendu par la révolution française. Et Bonaparte est considéré comme le sauveur des idéaux de la Révolution française ; comme l’incarnation de ces idéaux.

    Beethoven est tellement conquis qu’il voudrait aller vivre à Paris et il a donc cette idée de dédier sa nouvelle symphonie écrite entre 1802 et 1804, à Bonaparte.

    Et puis il apprend que Bonaparte s’est fait couronner empereur. Son cœur républicain ne fait qu’un tour, il entre dans une rage folle et déchire la dédicace. La symphonie sera dédiée à un grand homme, sans plus de précision.

    Cette fois, l’histoire n’est pas rapportée par le biographe contesté, c’est-à-dire Schindler, mais par un élève et collaborateur de Beethoven Ferdinand Ries qui rapporta après la mort de Beethoven que ce fut lui qui annonça le couronnement de Napoléon et que Beethoven déchira la dédicace et s’exclama :

    « Ainsi, il n’est rien de plus que le commun des mortels ! Maintenant il va piétiner les droits des hommes et ne songera plus qu’à son ambition. Il prétendra s’élever au dessus de tous et deviendra un tyran !  »

    Lors des émissions de la radio télévision belge dont j’ai déjà parlé, j’entendis l’historienne Elisabeth Brisson remettre en cause ce récit. D’abord parce que la dédicace déchirée du récit de Ries fut retrouvée intact.

    J’ai retrouvé des informations similaires sur le site de la fondation Napoléon qui par la plume de son directeur Thierry Lentz rapporte :

    « Donc, Beethoven déchira la page de titre qu’il avait préparée… Alors comment expliquer que soit conservée au Archives de la Société philarmonique de Vienne une partition de L’Héroïque où le nom de Bonaparte a été rageusement biffé, jusqu’à faire un trou dans le papier. Il semble bien qu’il s’agisse d’une copie contemporaine, qui n’est pas de la main du compositeur, dont on peut supposer qu’elle était destinée à être envoyée… à Napoléon. Elle fut conservée par Beethoven qui s’en servit pour inscrire des corrections postérieures. Quant à la rature, les spécialistes pensent qu’elle est bien postérieure et pas de son fait. En clair : la copie est vraie et la rature est (probablement) fausse. »

    Elisabeth Brisson fait remarquer qu’en outre, juste après être devenu empereur, la France de Napoléon a déclaré la guerre à l’Empire d’Autriche et qu’un habitant de Vienne devait probablement éviter de dédier une de ses œuvres au souverain de la puissance ennemie.

    Et j’ai trouvé sur le site de <la Maison de Radio France> une présentation d’un concert dans laquelle Ariane Herbay prétendait que

    « Mais derrière cette noble histoire s’en cache une autre. Toute révolution ayant besoin d’être financée, si Beethoven renonça à sa dédicace, en réalité, ce fut pour 400 florins. Somme que son mécène, le prince Lobkowitz, lui proposait, afin d’avoir l’exclusivité de cette symphonie pendant six mois. »

    Beethoven était un humaniste et il aimait la liberté, surtout la sienne en matière d’art. Il était peut-être sincèrement intéressé par l’expérience française, mais elle générait beaucoup de désordres et de violences en Europe, ce qu’il devait beaucoup moins apprécier. En outre, il était entouré d’aristocrates qui devaient peu gouter l’ambition révolutionnaire de les mettre à bas. Enfin, nous savons que Beethoven cherchait une place stable, comme son grand père, place qui ne lui a jamais été accordée à Vienne. Il semble bien que la première dédicace visait à obtenir une telle place à Paris.

    La page sur le mécénat déjà cité va dans ce sens : « À partir de 1800, le prince Lichnowsky lui procure à une rente annuelle très confortable de 600 florins par an. De ce fait, Beethoven devient relativement indépendant. Cela l’encourage à poursuivre des buts esthétiques d’une plus grande ampleur. Mais cela n’empêche pas Beethoven de chercher un emploi stable à la cour impériale. Comme tous les compositeurs, il est à la recherche d’une situation stable qui pourrait le mettre à l’abri des besoins matériels. »

    Et puis s’il est fâché avec Napoléon, il ne le restera pas longtemps. Thierry Lenz explique que :

    « Beethoven se « réconcilia » plus tard avec l’Empereur. En 1809, lors de la seconde occupation de Vienne, il confia à un de ses amis français qu’il ne refuserait pas d’être convoqué. Il ne le fut pas. Il rappela par la suite à plusieurs reprises à ses amis et correspondants que c’est à lui qu’il pensait en composant L’Héroïque, déclarant même, en apprenant la mort de Napoléon et parlant de la marche funèbre du deuxième mouvement : « Il y a dix-sept ans que j’ai écrit la musique qui convient à ce triste événement ». »

    Il semble même qu’il avait envisagé à écrire une messe en l’honneur de Napoléon.

    Et puis plus concrètement, il y a un autre épisode qui montre que si Beethoven a pu être fâché, cela lui était passé. Le propre frère du Tyran, Jérôme Bonaparte, Roi de Westphalie non par le choix libre des citoyens de Westphalie mais par la conquête militaire des armées impériales, invite Beethoven à rejoindre sa cour. Et Beethoven écrira une lettre à ses amis viennois :

    « Enfin, je me vois contraint, par des intrigues, cabales et bassesses de toute nature, à quitter la seule patrie allemande qui nous reste. Sur l’invitation de S.M. le roi de Westphalie, je pars comme chef d’orchestre. ». Cité par Boucourechliev « Beethoven » page 181.

    Ceci ne se fera cependant pas. En effet, Rudolph Kinsky, l’Archiduc Rodolphe et le prince Lobkowitz, s’associent pour assurer une rente annuelle de 4000 florins à Beethoven, afin qu’il puisse composer entouré de toute la sécurité matérielle. A ce prix, Beethoven restera à Vienne.

    Mais Beethoven était un personnage complexe et qui n’acceptait pas la soumission. Il se trouve qu’en automne 1806, l’Autriche est occupée par les troupes impériales de Napoléon Ier. Il habite alors dans la demeure de Silésie du prince Karl Alois von Lichnowsky. Et celui-ci, accueille quelques invités, dont plusieurs officiers français. Il invite alors Beethoven à jouer du piano pour les troupes d’occupation.

    Beethoven refuse tout net et repart immédiatement à Vienne. Et il écrit ce message célèbre à son mécène :

    « Prince, ce que vous êtes, vous l’êtes par le hasard de la naissance. Ce que je suis, je le suis par moi-même. Des princes, il y en a et il y en aura encore des milliers. Il n’y a qu’un Beethoven. »

    Par la lecture du Diapason de mars 2015, j’ai appris que je partageais l’avis du grand Chef Mariss Jansons : « Si on m’oblige à en choisir une, ce serait la 3ème : elle me touche encore plus profondément que les autres qui font toute partie de mon univers personnel »

    Je vous propose donc <La 3ème symphonie Eroica avec la radio Bavaroise et Jansons>

    <1510>

  • Jeudi 17 décembre 2020

    «Recevez des mains de Haydn l’esprit de Mozart !»
    Parole du Comte von Waldstein à Beethoven lors de son départ pour Vienne prendre des cours avec Haydn

    Aujourd’hui, nous avons une certitude, il y a 250 ans Ludwig van Beethoven vivait, car nous savons qu’il a été baptisé le 17 décembre 1770 en l’église de Sankt Remigius à Bonn.

    Après avoir évoqué la famille et les ancêtres de Beethoven, il semble juste de parler de ses maîtres, ceux qui lui ont enseigné la musique qu’il allait magnifier par son génie.

    <Ce site> m’a aidé à trouver l’architecture d’ensemble des années de formation de Beethoven

    Les premiers cours sont donnés par son père qui est musicien à la chapelle de la cour de Bonn qui je le rappelle est celle du Prince électeur de Cologne.

    Mais il comprend que le talent de son fils rend nécessaire de lui faire donner des cours par des professionnels pour chaque instrument.

    Ce sont des noms inconnus aujourd’hui, dont la seule renommée est d’avoir été, pendant un peu de temps, professeur de Beethoven :

    Cours de piano avec Gilles van der Aeden et Tobias Friedrich Pfeiffer, de violon avec Georg Rovantini, d’orgue avec Willibald Koch et Zense.

    Mais son vrai premier maître est connu par ses propres qualités et il a pour nom Christian Gottlob Neefe

    Neefe naît le 5 février 1748 à Chemnitz en Saxe. Et il arrive à la cour de Bonn en 1779 en tant que musicien et succédera à l’organiste titulaire de la cour quand ce dernier décédera en 1782 et en 1783 il deviendra le professeur de Beethoven.

    L’histoire dit qu’il est franc-maçon, attaché aux idées de la révolution mais il sera pourtant contraint de quitter la ville de Bonn en 1794 quand la France révolutionnaire occupera la ville. Il finira sa vie à Dessau en tant que Directeur de Théâtre où il décédera en 1798.

    Et c’est l’enseignement de Christian Gottlob Neefe qui est certainement décisif. Il lui enseigne le piano, l’écriture, mais encore les philosophes de l’antiquité, et certainement le goût pour les idées républicaines. Il sera un ami et un protecteur. Neefe se fera parfois remplacer par le jeune Beethoven au clavecin et à l’orchestre de la cour.

    Dans une thèse publiée sur Internet par Nicolas Molle, nous pouvons lire :

    « Il fallut attendre 1783 et la rencontre décisive avec son professeur de musique, Christian Gottlob Neefe, pour que le jeune compositeur puisse découvrir les plaisirs de la réflexion intellectuelle. Neefe se fixa pour objectif non pas de former uniquement un musicien mais également de façonner un esprit éclairé. Il lui ouvrit alors les portes de la Société de Lecture (Lesegesellschaft) de Bonn où Beethoven put entrer en contact avec d’autres personnages cultivés de la ville.»

    C’est grâce à Neefe que la famille von Breuning le prend à son service comme professeur de piano. Au sein de cette famille, il peut assister quotidiennement à des conversations ou des lectures des œuvres de Goethe, Schiller, Herder. Il suit quelques conférences de philosophie à la nouvelle Université créée par le Prince Electeur, Maximilian Franz.

    Maximilian Franz, grand amateur de musique, su reconnaître assez vite le talent de Ludwig, probablement poussé par Neefe. D’ailleurs il compare les valeurs du père Beethoven et de son fils et Boucourechliev dans son livre « Beethoven » nous apprend :

    « Max Franz tirant les conséquencse de la situation ôte 15 florins du traitement de Johann et nomme Ludwig second organiste avec 150 florins d’appointement. »
    Boucourechliev « Beethoven » page 157

    Neefe lui fera aussi découvrir Jean-Sébastien Bach et son clavier bien tempéré. Beethoven étudiera Bach mais aussi Haendel.

    Mais Beethoven portera une plus grande admiration à Haendel qu’à Bach :

    « Haendel est le plus grand compositeur qui ait jamais vécu. Je voudrais me découvrir et m’agenouiller devant sa tombe. »

    Cet avis apparaît surprenant aujourd’hui, alors que de l’avis général Bach est nettement supérieur à Haendel, mais ce n’était pas l’avis de Beethoven.

    Peut-être est-il utile de remettre tous ces musiciens que j’ai déjà évoqué et dont je parlerai ci-après dans une chronologie


    Neefe l’encouragera aussi à composer pour le piano, entre 1782 et 1783, les 9 variations sur une marche de Dressler et les trois Sonatines dites « à l’Électeur» qui marquent symboliquement le début de sa production musicale.

    Il me semble que c’est finalement vers son premier maître que Beethoven exprimera le plus de reconnaissance. Il écrira en 1793 dans une lettre à Neefe :

    « Je vous remercie pour vos conseils, ils m’ont soutenu bien souvent dans mes progrès en mon art divin. Si je deviens un jour un grand homme, vous y aurez participé. Cela vous réjouira d’autant plus que vous pouvez en être persuadé. »

    Bien sûr, il faut rencontrer Mozart. Mozart auquel son père Johann pensait en essayant de faire produire le jeune Ludwig devant des assemblées nobles et musiciennes. Il ira jusqu’à mentir sur son âge, prétendant qu’il avait 6 ans, alors qu’il en avait déjà 8. Mais cela échoua. Beethoven n’était pas un nouvel enfant prodige et puis Johann Beethoven était loin des capacités pédagogiques de Léopold Mozart.

    Pour ce faire, il y aura un intermédiaire, un de ses nombreux mécènes, peut être le premier, le Comte von Waldstein qui est un proche du Prince électeur.

    Le comte von Waldstein emmène Beethoven une première fois à Vienne en avril 1787, il y restera du 7 au 20 avril.

    Boucourechliev écrit :

    De ce voyage du printemps 1787 nous savons peu de choses, sinon que « les deux personnages qui firent le plus d’impression sur Beethoven furent l’empereur Joseph II et Mozart. ». Mozart, malade, écrit Don Giovanni ; de son enfance, il a gardé l’horreur des précoces génies. Donna-t’il à Beethoven quelques leçons, prédit-il que « ce jeune homme ferait parler de lui dans le monde » ? Il semble, en tout cas, qu’il n’ait pas encouragé le jeune musicien rhénan à rester à Vienne. »
    Boucourechliev « Beethoven » page 158

    En 1787, Mozart a 31 ans, il ne lui reste plus que 4 ans à vivre et Beethoven a 17 ans. Et il semble bien que Mozart ait plutôt négligé Beethoven. On lit parfois que Mozart aurait dit « N’oubliez pas ce nom, vous en entendrez parler ! ». Les historiens sérieux considèrent les références de cet avis non fiables.

    Beethoven est d’ailleurs rappelé d’urgence à Bonn, car sa mère est gravement malade, elle décèdera le 17 juillet 1787. Il écrira à son ami Wegeler :

    « C’était pour moi une si bonne, une si aimable mère, ma meilleure amie. Oh ! qui donc était plus heureux que moi, alors que je pouvais encore prononcer le doux nom de mère, et qu’il était entendu – et à qui puis-je le dire maintenant ? »

    Après la mort de sa mère, Il prend de plus en plus en charge de ses frères, son père sombrant définitivement dans l’alcoolisme. Mais il continue à composer des œuvres assez importantes selon le jugement de Boucourouchliev : Une cantate pour la mort de Joseph II en mars 1790 puis six mois après une autre pour célébrer l’avènement de son successeur Léopold II.

    Et en 1790, l’autre grand compositeur de ce temps, Joseph Haydn passe à Bonn, mais personne ne songe à lui présenter le jeune Beethoven de 20 ans.

    Le Comte von Waldstein va intervenir à nouveau. En juillet 1792, Joseph Haydn revenant d’une tournée en Angleterre, s’est à nouveau arrêté à Bonn. Cette fois Waldstein va présenter le jeune Ludwig à Haydn.

    Et Boucourechliev commente :

    « Il a pu lui soumettre une de ses cantates, et Haydn, sans doute frappé des promesses qu’elle contient, invite le jeune rhénan à faire « des études suivies » et de le rejoindre Vienne. »
    Boucourechliev « Beethoven » page 160

    Waldstein va intercéder auprès du Prince Électeur pour qu’il dote Beethoven d’une rente lui permettant de passer 2 ans à Vienne auprès de Haydn, ce qui fut fait. Au début de novembre 1792, doté de la rente du prince, il se rend un seconde fois à Vienne pour étudier auprès de Haydn. Ce sera une installation définitive, son père meurt en décembre 1792.

    1792, Mozart est mort l’année précédente.

    Le Comte von Waldstein, écrira, avant le départ pour Vienne, une lettre le 29 octobre 1792. C’est son extrait le plus célèbre que j’ai choisi comme exergue de ce mot du jour. Je cite cette phrase dans son contexte :

    « Cher Beethoven, vous allez à Vienne pour réaliser un souhait depuis longtemps exprimé : le génie de Mozart est encore en deuil et pleure la mort de son disciple. En l’inépuisable Haydn, il trouve un refuge, mais non une occupation ; par lui, il désire encore s’unir à quelqu’un. Par une application incessante, recevez des mains de Haydn l’esprit de Mozart »
    Waldstein

    Pour la musicologue Florence Badol-Bertrand :

    « Beethoven a eu la chance de venir après Mozart. Lorsque Beethoven arrive à Vienne, en 1792, Mozart est mort depuis onze mois. […] Doté d’une mémoire phénoménale, il a mémorisé non seulement toutes les compositions de l’auteur de la Petite musique de nuit, mais aussi l’œuvre musicale européenne. Très intelligent, il est en mesure de s’approprier cette musique tout en la remettant en question, et de procéder différemment. Beethoven était tellement bon musicalement qu’il a été difficile à surpasser. »

    Et alors qu’en est-il de l’enseignement de Haydn ?

    Il y eut certainement des échanges fructueux. Les premières œuvres de Beethoven gardent trace de Haydn, mais ce ne fut pas une relation harmonieuse d’un vieux maître, 60 ans quand même, envers un jeune élève fasciné et brillant.

    Beethoven trouve Haydn peu attentif et Haydn trouve Beethoven trop fantaisiste et éruptif.

    Il lui dira :

    « Vous avez beaucoup de talent et vous en acquerrez encore plus, énormément plus. Vous avez une abondance inépuisable d’inspiration, vous aurez des pensées que personne n’a encore eues, vous ne sacrifierez jamais votre pensée à une règle tyrannique, mais vous sacrifierez les règles à vos fantaisies ; car vous me faites l’impression d’un homme qui a plusieurs têtes, plusieurs cœurs, plusieurs âmes. »

    Et une anecdote bien connue est rapportée. Haydn, demande à Beethoven de bien vouloir écrire sur les partitions qu’il publie : « Ludwig van Beethoven, élève de Joseph Haydn. »

    Le jeune impétueux refuse. Son argument ?

    « J’étais l’élève de Haydn, mais il ne m’a jamais rien appris ! »

    Sur le site de <France musique> on lit :

    « L’insoumission de Beethoven exaspère chacun de ses professeurs… Haydn, son maître de musique à Vienne, reconnait son talent mais le trouve beaucoup trop indiscipliné. Albrechtsberger, qui lui enseigne la composition, dit même à ses élèves : « C’est un exalté libre-penseur musical, ne le fréquentez pas ; il n’a rien appris et ne fera jamais rien de propre ».

    Mais il évoluera, Boucourechliev cite un Beethoven plus sage et plus pondéré, quelques années plus tard :

    « Lorsque je revis mes premiers manuscrits, quelques années après les avoir écrits, je me demandai si je n’étais pas fou de mettre dans un seul morceau de quoi en composer vingt. J’ai brûlé ces manuscrits, afin qu’on ne les voie jamais et j’aurais commis bien des extravagances sans les bons conseils de papa Haydn et d’Albrechtsberger »
    Boucourechliev « Beethoven » page 163

    Haydn va quitter Vienne pour Londres et Beethoven se tournera vers d’autres maîtres de composition et d’harmonie.

    D’abord Johann Baptist Schenk qui fut le professeur de Ludwig van Beethoven en 1793. Il semble que cette relation fut plus apaisée et ils restèrent liés par de solides liens d’amitié. Schenk parlera de cette relation dans son autobiographie

    « Pour ma peine (si on peut parler de peine), je reçus de mon bon Ludwig un présent précieux, le lien solide de l’amitié qui ne s’est pas relâché jusqu’à sa mort. »

    Ensuite Johann Georg Albrechtsberger, musicien qu’on joue encore parfois et qui est organiste à la cour impériale et maître de chapelle de la cathédrale Saint-Étienne de Vienne. Il fut l’ami de Haydn et Mozart, et le maître de Beethoven en 1794-1795.

    Un peu plus tard vers 1800, il prendra aussi quelques cours avec Antoine Salieri. Ce compositeur qu’une pièce de théâtre de Pouchkine calomniera en le faisant passer pour un compositeur jaloux de Mozart qui finira par l’empoisonner. Thèse fantaisiste et calomnieuse que reprendra Milos Forman dans son « Amadeus »

    Antonio Salieri n’eut certes pas le génie de Mozart, mais il fut un compositeur italien de talent qui finira sa vie à Vienne. Il était d’ailleurs une personnalité incontournable de la vie musicale viennoise de son époque, compositeur à la cour impériale du Saint-Empire. Salieri est l’ami de Gluck et de Haydn et entretient des relations avec de nombreux autres compositeurs et musiciens importants. Certains de ses nombreux élèves deviennent plus tard célèbres outre Beethoven : Schubert, Meyerbeer mais aussi le tout jeune Liszt ; d’autres sont moins célèbres mais restent dans les ouvrages érudits : Hummel, compositeur d’un célèbre concerto pour trompette, Reicha, Moscheles, Czerny, Süssmayr, l’élève de Mozart qui finira son Requiem et même Franz Xaver Wolfgang Mozart, le dernier fils de Wolfgang Amadeus Mozart.

    Il sera le dernier professeur de Beethoven qui tracera désormais son propre chemin, unique et révolutionnaire.

    Le choix de l’œuvre pour aujourd’hui me semble assez simple : « La Sonate de piano N° 21 dédiée au Comte Von Waldstein » jouée par le grand pianiste chilien Claudio Arrau en 1977 à Bonn.

    Si vous voulez écouter ce que pouvait être des œuvres que Beethoven composait à 13 ans voici une des sonatines dites « à l’Électeur» cité ci-avant :< Sonatines WoO N°47 n°1 & 2> jouée par un très jeune pianiste.

    WoO signifie Werke Ohne Opus c’est dire œuvre sans opus et que Beethoven n’a donc pas fait publier de son vivant.

    <1509>

  • Mercredi 16 décembre 2020

    « Pause (anniversaire de Beethoven ?) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    Certes les mots du jour, ces derniers temps, sont longs à lire.

    Mais il faut aussi les écrire.

    Et parfois c’est un peu compliqué.

    Beethoven est né le 15 ou peut-être le 16 décembre.

    Mais la veille du jour du baptême (le 17) me semble une hypothèse très sérieuse.

    C’est donc peut-être aujourd’hui qu’il aurait 250 ans.

    Pour célébrer cet anniversaire énormément d’institutions se sont rassemblées et avec Google ont créé un site qui a pour nom : « Beethoven Everywhere »

    Je ne peux rien en dire puisque je viens juste de le découvrir, mais cela m’a l’air assez impressionnant. Dans un tout autre esprit, ARTE a diffusé le ballet que Maurice Béjart a créé sur la musique de la <9ème Symphonie>. Cette vidéo peut être vue jusqu’au 12 mars 2021.

    <Mot du jour sans numéro>

  • Mardi 15 décembre 2020

    « Ce grand père [Ludwig l’ancien] va lui permettre de se forger le mythe de la grandeur et du grand individu qui n’arrêtera pas de le porter et de le pousser. »
    Bernard Fournier

    Le 15 décembre constitue le premier jour possible de la naissance de Beethoven, ce n’est pas le plus crédible puisque les parents auraient attendu deux jours pour le baptiser.

    Contrairement aux Bach, musiciens dont la lignée s’étend sur sept générations, la famille Beethoven n’est musicienne que depuis deux générations.

    Je voudrais m’intéresser aujourd’hui à la famille dans laquelle est née Beethoven.

    Ludwig van Beethoven n’est pas du tout d’essence noble, le « van » flamand n’a aucune connotation aristocratique. Car la famille Beethoven est originaire de la Flandre.

    Selon l’avis le plus fréquent ce nom a l’origine suivante :

    «Beet» signifie betteraves en flamand et Hoven est le pluriel de Hof, la ferme. Beethoven est donc « la ferme aux betteraves ». Van Beethoven signifierait donc : « vient de la ferme aux betteraves ».

    <Ce site> essaie une autre signification qui serait jardin de bouleaux. Mais j’ai lu par ailleurs que cette origine, qui se fonderait sur une racine latine, semble peu crédible dans cette région.

    Quand on cherche, on trouve des choses étonnantes, ainsi sur cette page Wikipedia : <Liste des victimes de chasses aux sorcières> on trouve une certaine Josyne van Beethoven pendue en 1595 à Bruxelles parce qu’elle était soupçonnée d’être une sorcière.

    J’avais déjà mentionné le feuilleton que la Radio-Télévision Belge et notamment sa chaîne Musiq3 a consacré à Beethoven. L'<Episode 1> évoque les ascendants du compositeur, ce <site> aussi.

    Et puis, il y a un livre récent que j’ai acquis. C’est un livre de Christine Mondon qui avait aussi publié « Franz Schubert, le musicien de l’ombre » que j’ai largement cité lors de la série consacrée à l’année 1828 de Schubert. Christine Mondon a écrit « Incomparable Beethoven » paru en novembre 2020.

    C’est grâce à ces trois sources que je peux retracer la trajectoire de la famille Beethoven de la Flandre vers Bonn.

    Nous remonterons donc à la ville belge de Malines, dans laquelle arrivent, vers la fin du XVIIème siècle Corneille van Beethoven et sa sœur Maria.

    Christine Mondon nous apprend que Corneille est un descendant de Josyne van Beethoven. <Ce site> qui entend dresser la généalogie de Beethoven montre qu’elle était l’arrière-grand-mère de Corneille. Elle était née Van Vlesselaer.

    Christine Mandon écrit :

    « Josyne van Beethoven, une femme émancipée, idéaliste et indépendante, marquée par une grande ouverture d’esprit, a défrayé son époque car elle fut précisément suspectée d’avoir fait un pacte avec le diable en échange du savoir. Les intrigues, la mesquinerie et la méchanceté des villageois ont fini par l’emporter et elle fut, après de grands sévices, contrainte à l’aveu et exécutée sur la place publique. Cet évènement a laissé des traces dans la mémoire collective de la famille. »
    Incomparable Beethoven – pages 13 et 14

    Les historiens contemporains ont réalisé un travail considérable pour essayer de comprendre cette folie qui s’est emparée de l’occident et qui a coûté la vie à tant de femmes remarquables, connaissant les plantes, savantes, émancipées et qu’on a torturées, brulées et dans le cas de Josyne Van Vlesselaer, épouse Beethoven, pendues.

    Et le rebelle que sera Ludwig van Beethoven descend d’une telle femme !

    Revenons à l’arrivée de la famille Beethoven à Malines

    La première mention de Cornelius, ou Corneille, sur les registres de Malines date du 30 août 1671, lors du mariage de sa sœur Marie.

    Corneille s’est marié à Malines le 12 février 1673, avec Catherine van Leempoel. Et c’est à la paroisse de Notre Dame, le 29 mars 1716, que Corneille van Beethoven a été enterré, escorté par la corporation des charpentiers.

    Il était probablement charpentier ou peut être menuisier.

    Corneille et Catherine vont avoir comme fils Michel van Beethoven qui est né le 15 février 1684. A côté des Églises, il existait des corporations qui elles aussi rédigeaient et conservaient des registres. Et c’est pourquoi nous pouvons savoir que Michel est apprenti boulanger en 1700 et devient Maître boulanger le 5 octobre 1707.

    Michel se marie le 18 octobre 1707 avec Maria Ludovica Stuyckers. Ils auront plusieurs fils dont Ludwig né le 5 janvier 1712 et qui sera le grand père de Ludwig van Beethoven. C’est pourquoi, l’Histoire l’appelle Ludwig l’ancien.

    C’est lui le premier de la famille qui va s’installer à Bonn. Il aura une place particulière dans le cœur et la vie de Beethoven.

    Mais restons d’abord sur le cas de son père qui est boulanger, mais qui va se lancer dans « les affaires ». Il semble qu’il procède également à l’achat et à la vente de tableaux. puis vers 1720, il exerce le commerce de la dentelle de Malines, particulièrement réputée et objet de luxe. Au début les affaires semblent florissantes puisque le couple investit dans l’immobilier et possèdent en 1727, à Malines, quatre maisons en plus des lieux d’habitation qu’ils avaient chacun hérités de leurs parents.

    Mais, probablement qu’ils souhaitent encore faire fructifier leur patrimoine et ils empruntent beaucoup d’argent. Ces emprunts, les époux Beethoven ne vont pas parvenir à les rembourser. Ils sont poursuivis devant les tribunaux et pour échapper à la justice ils s’enfuient et vont retrouver leur fils, Ludwig l’ancien, ainsi qu’un autre qui sont installés à Bonn, sur les terres du prince électeur de Cologne, dont la résidence principale et la vie de Cour se passe à Bonn. Ils sont ruinés mais à l’abri de la justice flamande.

    Mais intéressons-nous à Ludwig l’ancien dont nous conservons un portrait. Il avait été peint par le peintre officiel de la Cour du Prince Électeur de Cologne, Amelius Radoux. Ce qui démontre la place éminente que le grand-père occupait. Ce portrait a accompagné Beethoven toute sa vie.

    L’historienne Elisabeth Brisson dans l’émission de la radio belge explique :

    « Dans le portrait réalisé par Radoux, Ludwig l’ancien tient une partition en main, on pense que c’est la serva padrona de Pergolèse. On a besoin de montrer qu’il avait cette profession de musicien. Alors que son petit-fils, on pourra le montrer sans aucun indice de sa fonction. C’est un personnage important [sinon le peintre de la Cour n’aurait pas fait son portrait]. Il meurt en 1773. Beethoven l’a un tout petit peu connu, mais il restera une figure pour lui. Il ne le dit pas mais on voit bien qu’il voudra être comme son grand-père et devenir maître de chapelle. Mais lui ne va pas y parvenir.

    Le musicologue Bernard Fournier a écrit des ouvrages de références sur les quatuors à cordes et notamment de Beethoven ainsi qu’un livre plus général à qui il a donné le titre : « Le génie de Beethoven ». Il intervient aussi dans l’émission et dit :

    « Toute sa vie, Beethoven caressera le rêve de devenir maître de chapelle. Mais il n’y arrivera jamais. Il essayera plusieurs fois, mais il passera toujours à côté. Il fera bien mieux que cela, mais il aura toujours ce rêve insensé. Il voulait s’identifier à son grand père qui pendant toute son enfance a constitué le grand individu [de la famille] […] Il n’oubliera jamais l’image, il avait encore le portrait avec lui dans la chambre où il est mort à Vienne. Ce grand père va lui permettre de se forger le mythe de la grandeur et du grand individu qui n’arrêtera pas de le porter et de le pousser. »

    Beethoven ne deviendra pas comme son grand-père, un fonctionnaire de la musique. Il restera toute sa vie un musicien précaire qui devra compter sur la générosité de ses mécènes et aussi de ses talents de négociateurs pour vendre sa musique. Il devient ainsi le premier musicien indépendant qui n’est pas rattaché à un souverain, une cour ou une institution.

    Ludwig l’ancien se lance donc dans la musique. Il chante, joue de l’orgue et veut faire de la musique sa profession. Mais à Malines, les possibilités de gagner sa vie avec la musique sont peu nombreuses. Aussi, le jeune Ludwig tente sa chance pour un emploi de ténor à l’église collégiale de Saint-Pierre, à Louvain. Il y est reçu et probablement en raison de ses talents est repéré par le maître de chapelle, qui le propose pour le remplacer dans la direction de la maîtrise, ce qu’il devient le 9 novembre 1731.

    Mais il ne s’arrêtera pas là, peu après en février 1732, il quitte Louvain pour la cathédrale Saint-Lambert, à Liège, et en mars 1733 part pour Bonn.

    Pour faire carrière à cette époque, il faut avoir quelques talents et aussi profiter de certaines opportunités. Certains affirment que cela reste vrai.

    Par un heureux hasard de circonstances l’Évêque de Liège qui bien sûr officiait à la cathédrale de Liège, était le Prince Électeur de Cologne, Clemens August qui était aussi archevêque de Cologne. Bref c’était un cumulard !

    Visiblement ses qualités lui ont permis d’être repéré par le Prince Électeur qui l’incorpore dans le chœur de la chapelle de sa Cour de Bonn.

    Peu après son arrivée à Bonn, Ludwig l’ancien se marie avec Maria-Josepha Poll, le 17 septembre 1733.

    Christine Mandon écrit :

    « Ambitieux, il convoite la direction de la Chapelle de cour. Grande est sa déception, lorsque le violoniste français Joseph Touchemoulin reçoit le titre de maître de chapelle. »

    Mais le Prince Électeur meurt, le 6 février 1761 et il est remplacé par Maximilian-Friedrich qui veut faire des économies car il doit financer la guerre de sept ans. Il décide de rogner du tiers les émoluments du sieur Touchemoulin qui refuse et trouve un poste à Regensbourg.

    Ludwig l’ancien qui était certainement un bon musicien mais qui était aussi négociateur, arrive à convaincre le Prince électeur de lui donner le poste convoité en associant sa fonction de chanteur et de maître de chapelle : deux emplois pour le même prix.

    D’autant que pour arrondir ses revenus, il se lance dans le commerce de vins.

    Je cite à nouveau Christine Mandon :

    « La première victime a été son épouse Maria-Josepha (1714-1775) sombrant dans l’alcoolisme et finissant ses jours dans un couvent de Cologne. De cette union sont nés trois enfants […] et Johann, le père de Beethoven, né en mars 1740, le seul qui restera en vie. »

    Johann sera musicien comme son père et alcoolique comme sa mère. D’ailleurs Beethoven, grand amateur de vin n’échappera pas à cette addiction.

    Jeune, il suit une classe préparatoire au Collège des Jésuites. Puis, il devient soprano à la Chapelle de la Cour, à l’âge de douze ans. Par la suite, Johann est musicien de la Cour.

    Il se marie le 12 novembre 1767 à l’église Saint Rémy de Bonn avec Maria Magdalena Keverich (1746-1787) contre l’avis de son père. Elle était fille d’un chef cuisinier et déjà veuve à 21 ans d’un valet de chambre de l’électeur de Trêves. Ludwig l’ancien considéra que ce n’était pas un bon parti pour le fils du maître de chapelle et il refusa d’assister au mariage.

    Ludwig est le deuxième de leurs sept enfants, dont trois seulement atteignent l’âge adulte : lui-même, Kaspar-Karl (1774-1815) et Johann (1776-1848).

    Même si les relations entre Ludwig et son père sont bien plus complexes que la violence d’une éducation caricaturée à l’extrême par certains biographes, la vie de Johann ne fut pas un exemple de tempérance et de rigueur. Son alcoolisme dégrada peu à peu ses capacités à assumer ses obligations familiales et Ludwig van Beethoven dut assumer de plus en plus les charges de la famille grâce à son talent de musicien.

    Christine Mondon précise que jamais Beethoven ne se plaindra de son père et qu’il lui sera toujours reconnaissant de l’avoir initié à la musique. :

    «Un document manuscrit permet de constater sa reconnaissance : il s’agit d’une copie effectuée par son père d’une partition de C.P.E. Bach qu’il aimait chanter et où Ludwig inscrit : « Écrit par mon cher père. »»
    Beethoven l’incomparable page 19

    Comme œuvre aujourd’hui je propose d’aborder le cycle le plus remarquable de Beethoven, celui des quatuors à cordes. Il faut bien sur débuter par les premiers :

    <Andante cantabile con variazioni> du quatuor à cordes opus 18 N°5 joué par le Quatuor Emerson.

    Et pour écouter le quatuor dans son intégralité voici la version lumineuse du <Quatuor Alban Berg de Vienne>

    <1508>

  • Lundi 14 décembre 2020

    « La trahison du biographe de Beethoven. »
    La biographie d’Anton Schindler a fait longtemps autorité jusqu’à ce que l’on constate qu’il y avait des falsifications.

    Quand on lit plusieurs récits sur une personne et que ces différents récits sont identiques, il y a deux hypothèses : la première c’est que ce qui est relaté constitue la vérité, la seconde est que tous ces récits se fondent sur une source unique qui a initié le récit.

    Beethoven a eu une enfance très malheureuse. Son père ayant cru percevoir en lui un nouveau petit Mozart a voulu faire de lui un singe savant. Pour ce faire, il l’astreignait avec beaucoup de violence à des leçons de piano qu’il lui prodiguait. Souvent, il était ivre et rentrait alors à la maison le soir, réveillait le petit Ludwig qui dormait et l’obligeait alors à jouer du piano en le frappant chaque fois qu’il commettait une erreur.

    Quand j’étais étudiant en droit, au début des années 1980, la question de l’avortement, malgré la Loi Veil, était encore très présente.

    Un professeur de droit nous a raconté une histoire : Un professeur de médecine faisait cours devant un amphithéâtre d’étudiants en médecine. Et il a proposé à ses élèves de donner leur opinion sur le cas d’une femme enceinte qui serait venu le voir en consultation. Le professeur énumère alors la liste des maladies de la mère et aussi du père, tout en décrivant la situation sociale du couple. Et il pose la question à ses élèves, si cette femme vous demande s’il était sage d’avorter que lui répondriez-vous ? La réponse de la salle fut très majoritairement pour le conseil d’avorter. Et… à ce moment-là le professeur triomphant annonce : « Vous venez de tuer Beethoven ! ».

    J’ai entendu cette histoire à la même époque, à la radio.

    Je ne sais pas si elle est exacte et si vraiment un professeur de médecine s’est livré à cette mise en scène.

    De toute façon cette histoire ne dit rien de pertinent sur l’avortement, mais dit tout sur l’image véhiculée par des années de récit sur Beethoven et sa famille.

    Récemment j’ai lu un livre écrit par plusieurs auteurs et notamment par l’historienne Elisabeth Brisson : « Beethoven  et après ».

    Une des parties écrites par Elisabeth Brisson : « Les enjeux d’une biographie » m’a appris comment un homme qui avait été, lors des derniers mois de la vie de Beethoven son secrétaire, a joué un rôle trouble dans l’élaboration du récit de la vie de Beethoven.

    Très rapidement après la mort de Beethoven, le 26 mars 1827, il est apparu essentiel à l’entourage de Beethoven d’écrire une biographie du « grand homme ».

    Au départ le projet est entre les mains de Stephan von Breuning qui est le tuteur de Karl, le neveu que Beethoven avait adopté à la suite de la mort de son frère, et qui est donc exécuteur testamentaire puisque Karl est l’héritier.

    Mais un autre personnage est immédiatement intervenu, cet homme est Anton Schindler qui était le secrétaire de Beethoven, c’est en tout cas lui qui est resté le plus continuellement près de Beethoven lors des derniers mois de sa vie.

    Anton Schindler, né en Moravie, était venu à Vienne faire des études de droit et il est devenu clerc de notaire. Mais parallèlement il se consacre à la musique et joue du violon. C’est en 1814, alors qu’il a 19 ans, qu’il rencontre Beethoven dont il devient le secrétaire bénévole dès 1822 (vivant même dans la maison du compositeur).  Après une brouille de deux ans qui débute en mai 1824, Schindler réintègre le cercle des amis du compositeur jusqu’à la mort de ce dernier, donc de 1826 à 1827.

    C’est donc Stephan von Breuning et Anton Schindler qui après concertation décidèrent de répartir la nombreuse documentation de Beethoven en vue d’écrire une biographie entre les trois personnes qui étaient, selon eux, les plus proches de Beethoven, c’est-à-dire eux deux et Franz Wegeler, l’ami de jeunesse à Bonn. C’est à ce dernier que revenait de rassembler et de trier les informations sur la période de Bonn. Anton Schindler ferait la même chose pour la dernière période de 1814 à 1827 et Stephan Breuning s’occuperait de la période médiane.

    Et suite à ce travail, il était prévu de confier le travail d’écriture de la biographie à un écrivain spécialisé dans le monde musical.

    Ce plan ordonné allait se heurter à une première difficulté Stephan Breuning meurt le 14 juin 1827, soit moins de 3 mois après la mort de Beethoven. l

    Elisabeth Brisson précise que Schindler :

    « n’a été proche de Beethoven qu’en 1823 et 1824, avant les quelques mois de fin 1826, début 1827 »

    Schindler entend cependant bien tenir un rôle éminent dans l’élaboration de la biographie de Beethoven et en retirer gloire et quelques revenus substantiels.

    Or, le nouveau tuteur de Karl qui prend la place de Stephan von Breuning est beaucoup moins bien disposé à son égard et par voie de presse appelle tous ceux qui ont connu Beethoven à envoyer leurs témoignages et à contribuer à une souscription destinée à une biographie.

    Cette initiative n’est pas du goût de Schindler qui va désormais user de tous les moyens pour convaincre tous les éditeurs que c’est lui qui détient les clés de la biographie. Il va dérober des documents, utiliser les premiers travaux de Wegeler et se vanter que c’est lui qui possède les documents et objets de Beethoven les plus importants pour sa biographie. Il décide d’écrire lui-même la biographie, sans passer par un professionnel. Il ne dit rien de ses intentions à Wegeler ni qu’il utilise déjà les écrits que ce dernier lui a fait parvenir. Parallèlement il fait de nombreuses conférences pendant lesquelles il présente sa vision de Beethoven.

    Finalement, Wegeler au bout de plusieurs années commence à se méfier puis à comprendre le rôle trouble de Schindler. Il va tenter alors d’écrire une biographie avec un élève et autre proche de Beethoven. Biographie qui sera publié en 1838, 11 ans après la mort de Beethoven.

    En raison de ses manœuvres et de la réputation qu’il était arrivé à se faire sur la place de Vienne Schindler parvient à convaincre que cette biographie n’est pas sincère car elle contredit en plusieurs points ce qu’il affirmait dans ses conférences.

    Finalement, Schindler va sortir une première biographie en 1840 puis de nouvelles versions en 1845 et 1860 qui vont s’imposer comme la biographie de Beethoven.

    Et pendant plus de 100 ans des livres parlant de Beethoven vont reprendre telles quelles les affirmations et le récit de Schindler, jusqu’à ce que de vrais historiens revenant aux témoignages et aux documents primaires vont émettre de sérieux doutes.

    Aujourd’hui, il apparait que Schindler a falsifié des documents de Beethoven, notamment les cahiers de conversation qui permettaient à Beethoven de communiquer avec ses interlocuteurs malgré sa surdité. Il a ainsi ajouté du texte à ces cahiers et il semble même qu’il ait détruit plusieurs de ces sources précieuses d’informations sur Beethoven.

    C’est pourquoi beaucoup de propos de Beethoven qu’on a répétés à l’envi sont aujourd’hui remis en question.

    Le fameux « pom pom pom » du début de la cinquième symphonie qui serait « le destin qui frappe à la porte » c’est du Schindler, est ce que c’est du Beethoven ? nul ne le sait.

    Elisabeth Brisson conteste surtout la vision doloriste de l’enfance de Beethoven et le mythe du Beethoven républicain :

    « Fausses anecdotes et vision doloriste de Beethoven côtoyant celle du Beethoven républicain se sont transformées en clichés qui ont la vie dure […] l’attribution à Beethoven d’une pensée politique républicaine alors qu’il n’a cessé de chercher l’appui de mécènes aristocrates et de souverains ou l’image d’un enfant battu, choyé par la haute société de Bonn, accablé par un terrible destin, abandonné de tous et offrant sa vie pour sauver l’humanité auquel il apporte la Joie…Les échos de cette vision héroïque, construite de toutes pièces, se retrouvent dans les monuments, érigés en l’honneur de Beethoven à Bonn en 1845, puis à Vienne en 1878, comme dans la « Vie de Beethoven » par Romain Rolland publiée en 1903 »
    Page 100

    Quand un biographe trahit comme l’a fait Schindler, le problème est que l’on ne sait plus si ce qui est dit est vrai ou faux. Tout ce que Schindler a écrit n’est pas faux, mais on ne sait pas le déterminer, en l’absence d’autres sources. Dés lors, tout ce qu’il écrit devient suspect, peu fiable, on ne peut pas se fonder sur ses écrits.

    Mon père aimait répéter que Beethoven aurait dit : « Je préfère un arbre à un homme ». Je ne suis plus certain que cette phrase fût prononcée un jour.

    Et même l’enfance de Beethoven et notamment sa relation avec son père devient sujet à polémique.

    Ce n’est pas que le père de Beethoven ne fut pas très sévère et même violent.

    Mais comme je l’ai écrit dans la série consacrée à Camus, la violence à l’égard des enfants fut longtemps la norme.

    Pour autant des découvertes récentes notamment une lettre que Beethoven a écrit en 1795, à son ami de Bonn Heinrich von Struve qui l’informait de la mort de sa mère, lui révélait combien la mort de sa mère mais aussi de son père l’avait touchées et que

    « La disparition d’un des membres de famille a rompu l’harmonie d’un tout »
    Cité par Elisabeth Brisson dans « Beethoven et après » page 30

    Il faut donc se méfier de ce que l’on raconte sur Beethoven, tout n’est pas vrai et le problème vient de loin… du début.

    Et comme j’ai parlé du « Pom pom pom » de la 5 ème symphonie que tout le monde connait je vous propose le mouvement lent de cette symphonie :

    <Andante moto de la 5ème symphonie> par l’Orchestre Philharmonique de Berlin et Karajan. Et si vous voulez la voir en entier, je vous propose toujours Karajan mais avec en plus un intérêt cinématographique, car c’est le cinéaste français Henri-Georges Clouzot qui a filmé et cela donne un résultat visuel très étonnant tout en n’enlevant rien à la qualité de l’interprétation : <La 5ème par Karajan filmé par Clouzot>

    <1507>

  • Vendredi 11 décembre 2020

    « Beethoven est le premier [musicien] à avoir mis l’homme au centre. »
    François-Frédéric Guy

    Hier j’abordais le monument qui se dresse sur le monde de l’art et de la musique.

    Aujourd’hui je voudrais parler de l’humanité de Beethoven.

    Pour ce faire, je vais faire appel à un pianiste français qui a exprimé avec des mots simples l’expérience que je peux vivre avec Beethoven.

    La Radio-Télévision Belge et notamment sa chaîne Musiq3 a consacré plusieurs émissions à Beethoven qu’elle a appelé le <feuilleton Beethoven> qui compte dix épisodes d’une heure chacun.

    Le premier épisode donne la parole à François-Frédéric Guy qui présente Beethoven ainsi :

    «Beethoven est le premier, j’en suis certain, à avoir mis l’homme au centre, l’idéal humain, c’est-à-dire l’homme au sens de la transcendance, l’homme au sens de l’humanité.

    Transcender les différences, transcender les cultures, et puis faire que le genre humain cette fameuse « Brüderei » ; la fraternité qui caractérise l’œuvre de Beethoven [soit] mise au centre.

    Il y a eu des génies avant Beethoven, évidemment ! Je parle uniquement musicalement : on peut citer Bach, Haendel, Mozart, Haydn, mais Beethoven est le premier à mettre l’homme au centre.
    Et non pas à glorifier un Dieu qu’on espère immense, solaire à l’image de ce qu’a fait Bach ou Haendel et même Mozart dans un certain sens. Mozart avait ce lien divin, il existe des manuscrits de ses œuvres presque sans aucune rature, il avait ce côté et on disait mais ce n’est pas l’œuvre d’un homme, c’est l’œuvre d’un Dieu.

    Alors que Beethoven c’est tout le contraire. […] C’est un travailleur laborieux. Il met beaucoup de temps à trouver son thème, à lui donner sa forme.

    Il barbouille inlassablement ses carnets qu’il a toujours sur lui pendant ses nombreuses promenades pour arriver finalement à l’épreuve finale.

    Donc c’est l’homme, c’est le labeur et en même temps la glorification de l’homme, de tous les sentiments humains qui sont exprimés.

    Je tiens vraiment à le dire, c’est le premier qui ose. Avant on parle de la divinité, on parle de Dieu, on parle des grandes choses, mais Beethoven parle de l’homme. Il parle aussi de ses turpitudes, ses vicissitudes, ses désespoirs, ses petitesses, autant que de sa mystique, de sa grandeur, de ses aspirations au divin. A surpasser sa condition pour arriver à un idéal humain. Et cela c’est vraiment la définition de l’œuvre de Beethoven.

    Et arriver à exprimer cela avec des symboles, des notes de musique sur un papier, moi je trouve cela exceptionnel, probablement unique.
    François-Frédéric Guy de 6:38 à 8:45 de l’émission

    Vous trouverez cet épisode derrière ce lien : <Episode 1>

    C’est peu dire que Beethoven écrivait sa musique avec des ratures et des corrections.

    Mais ce qui me semble essentiel dans ce qu’exprime François-Frédéric Guy, c’est en effet, l’abandon de la divinité pour parler de l’essentiel, de la vie, des émotions.

    Pour évoquer la profondeur de l’être Beethoven se tourne résolument vers l’homme et l’humanisme.

    Dieu, il le cherchait dans la nature, c’était un panthéiste qui quelquefois faisait quelques concessions, de savoir vivre en société, à la religion dominante catholique. Il a ainsi écrit deux messes sur le texte canonique.

    Mais dans ses carnets intimes, Beethoven écrivait en 1812 :

    « Car le sort a donné à l’homme cette faculté : le courage de tout supporter jusqu’à la fin » (29)

    Nulle question du Dieu des chrétiens dans cette affirmation.

    En 1815, il écrivait :

    « Dieu des forêts, Dieu tout-puissant ! Je suis béni, je suis heureux dans ces bois, où chaque arbre me fait entendre Ta voix. Quelle splendeur, oh Seigneur ! Ces forêts, ces vallons respirent le calme, la paix, la paix qu’il faut pour Te servir ! » (58)

    Et en 1816 :

    « Ne nous réfugions pas dans la pauvreté pour nous prémunir contre la perte de la fortune ; ne nous privons pas d’avoir des amis pour nous épargner la douleur de les perdre ; ne craignons pas, enfin, d’engendrer des enfants dans la crainte que la mort ne nous les ravisse. Trouvons un préservatif à ces maux dans notre seule raison. » (88)

    Trouvons dans notre seule raison…

    Il lui arrivait de faire appel à Dieu, mais ce n’était jamais le Dieu dont parlait l’Église catholique.

    C’est donc bien l’humain ; l’humanité qui était son horizon, avec sa grandeur et ses faiblesses.

    Et c’est de cela qu’il parle dans ses œuvres.

    Il y a bien sûr des œuvres de circonstances et même de l’humour, nous y reviendrons certainement. Mais quand il nous touche au plus profond, ce sont les cordes humaines qui sont en nous qui vibrent, l’émotion du miracle de la vie.

    Dans l’ouvrage « Beethoven » paru dans la collection Génie et Réalités de Hachette, déjà cité hier, une des parties est rédigée par Jules Romain, l’écrivain inoubliable de « Knock ». Le chapitre qui lui ait réservé a pour titre « Beethoven tel qu’en lui-même »

    Il écrit :

    « Beethoven est à l’origine d’une innovation beaucoup plus considérable, qui eut pour effet une élévation de la musique quant à sa fonction spirituelle et à sa dignité. […]. Mais l’on peut soutenir, en gros, qu’avec Beethoven la musique se met au niveau des témoignages les plus élevés que l’âme humaine peut donner d’elle-même. […] Avec Beethoven, c’est la première fois que la musique partage avec la grande poésie et la philosophie la tâche et l’honneur de prononcer librement sur le monde, sur la place et la destinée de l’homme. […] Tout se passe, dans des cas privilégiés, comme si le discours musical allait éveiller dans l’âme de l’auditeur, par résonance, des pensées de même espèce que celles qui ont été à l’origine de ce discours. Sans doute, faut-il que l’âme de l’auditeur soit capable de les accueillir ; ou mieux, de les découvrir au fond d’elle-même ; autrement dit, de traduire en pensées plus ou moins distinctes ou radicalement ineffables, mais pareillement issues de ces profondeurs, le rayonnement modulé qu’elle reçoit. »
    Beethoven, Hachette, Collection « Génies et Réalités » Page 251-252

    Les mots sont bien fragiles et imparfaits pour décrire cette expérience.

    Il faut se tourner vers la musique pour comprendre, ressentir pour comprendre.

    Aujourd’hui je ne peux que vous proposer une œuvre de Beethoven jouée par François Frédéric Guy qui en est un interprète remarquable.

    Il joue, dans un bis, <L’Adagio Cantabile> de la 8ème Sonate de piano opus 13 appelée « Pathétique ». Il s’agit du deuxième mouvement.

    Et si vous avez encore quelques minutes …

    Ce bis concluait son interprétation du concerto de piano N°5 « L’empereur » avec l’orchestre Philharmonique de radio France dirigé par Philippe Jordan. Les 3 mouvements sont en ligne. Mais pour entendre le mieux l’humanisme s’exprimer par des notes, il faut toujours aller vers les mouvements lents. Nul artifice pour faire briller, il n’y a que l’émotion à faire partager. C’est dans ces moments qu’on entend ce que le compositeur est capable d’exprimer et ce que le musicien est en mesure de communiquer :

    < Adagio Un Poco Mosso du concerto N° 5 opus 73>

    <1506>

  • Jeudi 10 décembre 2020

    « Beethoven : sans lequel la musique de notre temps ne saurait exister »
    Jean Barraqué

    Ludwig van Beethoven a été baptisé le 17 décembre 1770 à Bonn. Il est né à cette date ou avant cette date. On ne connait pas la date exacte, parce qu’à cette époque les registres de naissance étaient tenus par l’Église. Et, ce qui intéressait l’église était l’accueil de l’enfant au sein de la communauté des croyants, donc le baptême et non la naissance du corps physique.

    Ce que nous savons c’est qu’à cette époque, la croyance religieuse imposait de baptiser très rapidement l’enfant, car le pire était à craindre si l’enfant devait mourir avant d’avoir connu le sacrement de l’église. Or la mortalité infantile était très importante. C’est pourquoi les historiens sérieux écrivent que Beethoven est né le 15 ou le 16 décembre 1770. Il est même possible qu’il soit né le jour de son baptême.

    Toujours est-il que c’était donc il y a un quart de millénaire. Et c’est pourquoi, je me lance dans une nouvelle série pour parler de Beethoven, essayer d’approcher ce monument pourtant si profondément humain.

    Comment faire ? Comment débuter pour aborder ce géant de la musique et de l’Art ?

    Bonn a érigé une statue à son enfant le plus célèbre. Une photo montre cette statue en 1945 après que les alliés aient bombardé la ville et ont en fait un monceau de ruines. La statue de Beethoven était restée debout.

    Ce monument Beethoven est une grande statue en bronze qui se dresse sur la Münsterplatz à Bonn et a été inauguré le 12 août 1845, en l’honneur du 75e anniversaire de la naissance du compositeur.

    Quand il y eut en 1972, l’attaque terroriste contre les athlètes israéliens lors des jeux olympiques de Munich, il fut décidé malgré le deuil de continuer. Le Président du CIO, Avery Brundage déclara : « The Games must go on » et on joua Beethoven pour essayer d’apaiser et donner la force de continuer. Je ne dis rien sur cette décision de continuer mais sur le fait qu’il est apparu naturel de jouer une œuvre de Beethoven, en l’occurrence je m’en souviens il s’agissait de l’Ouverture d’Egmont et non de la marche funèbre évoquée par l’article vers lequel je renvoie.

    Et ce n’est pas qu’en Allemagne. Quand la France fut assaillie par les terribles attentats du 13 novembre 2015, que des fous de Dieu, des terroristes islamistes tirèrent avec des armes de guerre dans les rues de Paris et dans la salle du Bataclan, il fut décidé de se recueillir lors d’une cérémonie <aux Invalides> et … :

    « La cérémonie d’hommage est ponctuée par la musique de l’orchestre de la Garde républicaine et du chœur de l’Armée française qui interprètent, pendant l’arrivée des familles et des personnalités, la « marche funèbre » (deuxième mouvement) de la 3e symphonie, puis le deuxième mouvement de la 7e symphonie de Ludwig van Beethoven »

    Il y eut aussi d’autres œuvres, mais spontanément et pour commencer on pensa à Beethoven, debout, au milieu des ruines.

    Beethoven est aussi associée à des moments plus euphoriques. Pour la chute du mur de Berlin on joua la 9ème symphonie et Bernstein remplaça le mot « Freude », « joie » par « Freiheit » « liberté » mais cela je l’ai déjà raconté lors du mot du jour sur la dernière symphonie de Beethoven.

    Je suis né dans une famille de musiciens et dès mon enfance le nom de Beethoven était un nom familier, le nom du compositeur, du musicien par excellence. Que ce soit mon père dont c’est l’anniversaire de sa naissance aujourd’hui, mon oncle Louis ou mon frère Gérard, le mot de Beethoven était toujours prononcé avec déférence et l’évidence que c’était le plus grand.

    Cette évidence a été un peu remise en question ces dernières décennies.

    Ainsi, Nikolaus Harnoncourt, ce musicien disruptif qui a révolutionné l’interprétation des œuvres baroques puis classiques, répondait au questionnaire de Proust en décembre 2009. A l’interrogation : « Vos compositeurs préférés ? », il répondit :

    « Bach et Mozart. »

    Et devant l’étonnement du journaliste Gaétan Naulleau : « Pas Beethoven ? », il expliqua  :

    « C’est un des très très grands créateurs, soit. Mais si vous prenez tous les grands compositeurs, côte à côte, vous voyez deux têtes qui dépassent. Deux seulement. »
    Rapportés dans le Magazine Diapason N° 645 d’avril 2016 page 27

    Je me suis exprimé plusieurs fois sur la vacuité de vouloir établir, à l’égal d’une compétition sportive, un classement dans le monde de l’art et des créateurs.

    Pourtant cette affirmation d’Harnoncourt m’a choqué.

    Que l’on associe Bach, Mozart et Beethoven dans un panthéon de la musique me parait assez sage. Mais qu’on en dissocie Beethoven pour dire qu’il ne fait pas partie des têtes qui dépassent me semblent une erreur de jugement assez étonnante.

    Jean-Sébastien Bach fut immense, il a poussé la musique à des sommets de beauté et d’équilibre qui semblaient inaccessibles mais en restant dans les codes de l’académisme musical.

    Wolfgang Amadeus Mozart fut simplement divin, sa capacité d’inventer des phrases musicales inattendues, de créer une tension dramatique dans ses opéras, de faire jaillir, à partir de quelques notes, une beauté ineffable, étaient uniques. Mais lui aussi est resté dans les formes et normes qu’on lui avait apprises.

    Bref, on composait de la musique de la même façon avant et après Bach, avant et après Mozart. Rien de tel pour celui dont nous fêtons les 250 ans, il y eut un avant et un après Beethoven.

    Au cœur de l’œuvre de Beethoven il y a trois grands cycles qui ont révolutionné la musique et la manière de composer :

    • Les 9 symphonies
    • Les 32 Sonates pour piano
    • Les 16 Quatuors à cordes

    Il écrivit bien sûr d’autres œuvres sublimes des concertos de piano, le concerto de violon, les sonates pour violoncelle et violon, la Missa Solemnis et les étonnantes Variations Diabelli etc…

    Mais pour les symphonies, les sonates de piano et les quatuors il y eut encore plus clairement que pour les autres, un Avant et un après.

    Il est connu que Brahms n’osa pas composer de symphonie parce qu’il pensait qu’il n’arriverait pas à écrire de telles œuvres après lui. Il attendit l’âge de 40 ans pour oser la première.

    Avant il disait :

    « Je ne composerai jamais de symphonie ! Vous n’imaginez pas quel courage il faudrait quand on entend toujours derrière soi les pas d’un géant [Beethoven] ! »
    Propos tenus par Brahms au chef d’orchestre Hermann Levi en 1872.

    Franz Schubert, cet autre génie se sentait trop petit pour oser l’approcher.

    Franz Liszt, immense virtuose du piano, fut un des premiers en capacité technique de jouer les pièces pour piano d’une incroyable difficulté. Dans un élan de passion dont il était capable, il déclara :

    « Pour nous musiciens, l’œuvre de Beethoven est semblable à la colonne de nuée et de feu qui conduisit les Israélites à travers le désert – colonne de nuée pour nous conduire le jour – colonne de feu pour nous éclairer la nuit afin que nous marchions jour et nuit. »
    Franz Liszt trouvé sur le site de France musique

    Son gendre Richard Wagner avait aussi une relation très reconnaissante, je dirai de disciple, à l’égard de Beethoven. C’est tout naturellement qu’il décida que la première œuvre qui serait jouée pour inaugurer son temple théâtre de Bayreuth serait la 9ème symphonie de Beethoven. Il consacra, aussi, un livre au maître pour le centenaire de sa naissance, en 1870, et écrivit dans sa lettre sur la musique :

    « La symphonie de Beethoven se dresse aujourd’hui devant nous comme une colonne qui indique à l’art une nouvelle période. »
    Richard Wagner cité par Classica de Décembre 2019 – Janvier 2020 page 45

    Et Berlioz entraîna les français dans un culte tout aussi lyrique :

    « Les Grecs avaient divinisé Homère, tant que Beethoven n’aura pas son temple, on méritera le nom de barbares qu’ils nous avaient donnés ».
    cité par Classica de Décembre 2019 – Janvier 2020 page 44

    La Société des concerts du conservatoire à Paris fut fondée en 1828. Cette institution avec son premier chef François-Antoine Habeneck se constitua en véritable temple dédié à l’œuvre du maître de Vienne né à Bonn. Il réunissait un public socialement bigarré mais uni par une même ferveur écrit ce même magazine.

    Ce culte débuta du vivant du compositeur. Les contemporains de Beethoven avaient pleinement conscience qu’un génie musical vivaient au milieu d’eux. Et cela même si toutes ses œuvres, notamment les plus novatrices et que la postérité classe tout en haut des chefs d’œuvre de la musique, n’étaient pas comprises et appréciées à leur juste valeur.

    « L’impact de la musique de Beethoven fut immédiat et durable. Aucun autre compositeur, ne connut de son vivant une telle gloire, à l’exception peut-être de Wagner. »
    Bertrand Dernoncourt, Classica-Répertoire Novembre 2007, page 40

    La vérité historique montre que Beethoven fut déjà un mythe de son vivant :

    « De son vivant, Beethoven était déjà un mythe, ce que l’on appellerait aujourd’hui un compositeur « culte ». Si cela n’avait pas été le cas, cet homme que certaines légendes, nous ont montré pauvre et isolé, n’aurait pas été accompagné à sa dernière demeure par une foule immense – On parle de 20 000 personnes. »
    Jacques Bonnaure – Classica octobre 2016 page 54

    Finalement Nikolaus Harnoncourt a exprimé une autre perspective après avoir enregistré l’intégrale des symphonies, avec l’Orchestre de Chambre d’Europe. Interprétation qui a été encensée par l’ensemble des critiques, alors que je la trouve, parfois, un peu brutale . Le magazine Harmonie l’avait alors interrogé et il disait :

    « Mon approche vient de Haydn et Mozart mais Beethoven est absolument personnel, et différent de l’un comme de l’autre. Il franchit un palier. J’ai longtemps fait la grande erreur de juger la qualité et l’intensité de Beethoven avec des critères issus de Mozart ou Haydn. Mais la mesure de Beethoven est autre, il ne suit pas les traces de Mozart et de Haydn : cette dimension qui représente une réelle coupure, fait toute la grandeur et la spécificité de sa musique »
    Harmonie Propos recueillis par Remy Louis

    Mais si Harnoncourt vient de la musique ancienne vers Beethoven, il faut plutôt lire les musiciens contemporains pour percevoir ce qu’ils doivent à Beethoven.

    C’est le cas d’André Boucourechliev qui parla de :

    « La puissance subversive d’un des artistes les plus inépuisablement actuels du monde »

    Ce compositeur qui décéda en 1997 avait consacré un livre célèbre à « Beethoven » paru, en 1963, dans la collection Solfège et republié. Ce livre commence ainsi

    « De tous les créateurs dont les chefs-d’œuvre défient le temps et modèlent le visage de notre civilisation, Beethoven est sans doute celui que chacun de nous a recréé pour son propre compte avec le sentiment de la plus absolue certitude. Universellement reconnu dans l’évidence de son génie et de sa grandeur morale, il appartient à tous, et à chacun diversement. Son œuvre livre à chacun un message particulier, un secret propre, et l’homme lui-même exalte une idée, une mesure de l’homme exemplaires. Au-delà du musicien, Beethoven est devenu un symbole, ou mille symboles exaltants, exaltés, contradictoires. Tradition et révolution, justice et oppression, volonté et désespoir, solitude, fraternité, joie, renoncement ont élu comme signe ce même homme, cette musique. Toutes les idéologies, toutes les morales, toutes les esthétiques lui ont dressé leurs monuments, lui ont dédié leurs épigraphes, consacré leurs ouvrages savants. […] Plus que toute autre, l’œuvre de Beethoven possède le don de la migration perpétuelle, et rend un sens au mot galvaudé d’« immortelle ». Ce privilège est celui de l’esprit moderne. »

    J’aurai pu choisir comme exergue de ce premier mot sur Beethoven : « […] Plus que toute autre, l’œuvre de Beethoven possède le don de la migration perpétuelle, et rend un sens au mot galvaudé d’« immortelle ».

    J’aurais aussi pu puiser dans cette description d’André Jolivet (1905-1974)

    « Alors que la musique se manifeste par un Lully, un Bach ou un Mozart, Beethoven, lui agit sur la musique. Sa mélodie devient un geste sonore, son œuvre un acte. La production de Beethoven marque une étape de la pensée humaine. Depuis la Renaissance, l’Art se dénaturait, il devenait « Beaux-Arts ».

    Beethoven brise cette évolution et, magnifiant l’humain, retrouve le sens du sacré. Cet homme vit pleinement son époque, il s’intègre à l’histoire de son temps. Mais déjà il annonce ce que Berlioz et Wagner issus de lui, puis Debussy, prépareront pour leurs héritiers du XXème siècle : le retour au sacré.»
    Beethoven, Hachette, Collection « Génies et Réalités » Page 199

    Mais je préfère finalement la formule simple et juste d’un autre compositeur, Jean Barraqué (1928-1973)  :

    « Beethoven : sans lequel la musique de notre temps ne saurait exister »
    cité par Classica de Décembre 2019 – Janvier 2020 page 45

    C’est probablement par les ruptures qu’il a créées et les ouvertures des champs du possible que son monument artistique est le plus exceptionnel.

    Pour finir ce premier mot de la série je propose une œuvre de piano : <3ème mouvement de la sonate « tempête » par Sviatoslav Richter>

    Et pour replacer ce mouvement dans son contexte : <Daniel Barenboïm joue la sonate N°17 « la tempête » dans son intégralité>

    <1505>

  • Mercredi 9 décembre 2020

    « Pause (Préparation pour une série sur Beethoven) »
    Un jour sans mot du jour nouveau

    A partir de demain, je vais tenter de commencer une série de mots du jour consacrés à Beethoven, né il y a un quart de millénaire.

    Le cap des 1500 mots du jour a été franchi, quasi sans le dire.

    Tel ne fut pas le cas pour le 1000ème mot du jour pour lequel j’avais fait appel à Beethoven et à son exergue de la « Missa Solemnis »

    «Venue du cœur puisse t’elle retrouver le chemin du cœur »

    Et une autre fois aussi, il a été question d’une œuvre de Beethoven : La 9ème symphonie.

    C’était le 14 septembre 2015 après une interprétation de L’orchestre National de Lyon sous la direction de Leonard Slatkin :

    «Alle Menschen werden Brüder »

    Il est tout à fait possible que cette série soit entrecoupée de « pause(s) » tant le sujet me semble difficile.

    <Mot sans numéro>

  • Mardi 8 décembre 2020

    « La fête des lumières à Lyon »
    Une fête qui se passe, chaque année, le 8 décembre

    Voilà un mot du jour qui au départ me paraissait simple :

    La ville de Lyon était menacée par la peste au XVIIème siècle. A cette époque, Il n’existait pas ces grands laboratoires comme Pfizer, Moderna, Sanofi ou Boiron vers qui se tourner pour trouver un médicament ou un vaccin. Alors les notables de Lyon appelés « les échevins » se sont adressés à une autorité à laquelle ils avaient accès : la Vierge Marie qui disposait d’une chapelle sur la colline de Fourvière. Ils ont donc prié la Vierge Marie pour qu’elle éloigne de Lyon cette terrible maladie. Et ils promettaient, en échange, de faire chaque année une fête en son honneur. C’est l’origine de la fête des lumières, parce que le récit raconte que Lyon a été préservée de la peste. Et chaque année, les lyonnais remercie Marie en faisant un pèlerinage vers Fourvière et tous les lyonnais mettent des petites bougies, le 8 décembre, appelées «lumignons » à leur fenêtre  pour commémorer la promesse des échevins et le miracle de la vierge Marie.

    A ce stade, on peut émettre trois hypothèses :

    • La première c’est de croire cette histoire au premier degré. Les échevins ont fait appel à une divinité de cette religion polythéiste qu’est le christianisme catholique… J’entends des protestations qui disent que je blasphème : le christianisme catholique est un monothéisme ! Moi je suis désolé, déjà quand on m’explique qu’il y a Dieu, le fils de Dieu et le Saint Esprit, il faut parler d’un monothéisme pluriel. Après, si l’on rajoute les saints et la vierge Marie que l’on peut prier pour obtenir des miracles, ce qui est l’apanage des dieux, il me semble évident que nous sommes en présence d’un polythéisme. Il y a certes une hiérarchie, mais la statue que l’on adore et qui réalise ce qu’on lui demande est un dieu ou une déesse. Donc les échevins ont invoqué la vierge Marie et ont eu gain de cause. Peut-être que Gérard Collomb, échevin moderne aurait dû tenter au début de l’année une démarche analogue pour la COVID 19 ? Qui sait, ça aurait pu marcher.
    • La deuxième, pourrait s’appuyer sur les découvertes les plus récentes qui démontrent la force de l’esprit humain pour lutter contre les maladies. Ainsi le fait de croire sincèrement que la Vierge Marie soit en mesure d’écarter la maladie a permis aux lyonnais et à la force de leur esprit, habité par cette croyance, de lutter efficacement contre la maladie. Dans ce cas, il n’était pas pertinent pour Gérard Collomb de pratiquer cette démarche. La croyance n’est plus au niveau suffisant.
    • La troisième est que par le hasard de l’évolution des épidémies, des routes de commerce et de voyage et par les effets d’un confinement sérieux la ville de Lyon a pu lutter efficacement contre le fléau.

    Je n’imagine pas une quatrième hypothèse qui serait que le récit est faux sur les conséquences et que la peste a quand même continué à toucher sérieusement les lyonnais..

    J’en étais là, pour expliquer que le maire de Lyon, Michel Noir avait décidé, en 1989, d’accompagner la fête spontanée des habitants et des croyants par des mises en lumière de certains monuments. A partir de 1999, la municipalité a proposé des animations plus importantes réalisées par des professionnels du spectacle. Ces animations lumineuses qui rivalisent par leur créativité et par les moyens qu’elles mobilisent ont transformé cette fête locale en un rendez-vous touristique faisant venir à Lyon, chaque année, un plus grand nombre de visiteurs. En 2018, 1,8 millions de personnes auraient participé à cette fête. Et cette affluence était en recul par rapport aux précédentes années, en raison des mesures de sécurité mises en place en raison du terrorisme.

    Certains lyonnais expriment cependant leur désaccord car cette fête institutionnelle et organisée trahirait la tradition.

    Et je pouvais conclure triomphalement que cette année, grâce au COVID 19, la fête traditionnelle était enfin de retour et que chaque lyonnais pouvait se réjouir, en mettant des lumignons à ses fenêtres, de renouer avec une fête chaleureuse et se fondant dans la tradition lyonnaise tout en évitant les excès du tourisme échevelé.

    En moins de 700 mots, l’article était achevé.

    Mais dès que j’ai voulu voir d’un peu plus près je me suis rendu compte que si ma conclusion gardait sa pertinence, l’histoire de l’origine est plus compliquée.

    Sur le site officiel de la fête des lumières on trouve le récit suivant :

    « Une première église dédiée à la Vierge est construite à Fourvière en 1168. Elle est ravagée lors des guerres de religions qui opposent catholiques et protestants (1562). Restaurée, elle accueille les voeux successifs des habitants et des échevins face aux épidémies. Le 8 septembre 1643, les édiles et conseillers municipaux de l’époque (le prévôt des marchands et les échevins), montent à Fourvière pour demander à la Vierge Marie de protéger la ville de la peste qui arrive du sud de la France. Ils font le voeu de renouveler ce pèlerinage si Lyon est épargnée. Ce vœu est toujours honoré le 8 septembre.

    En 1850, les autorités religieuses lancent un concours pour la réalisation d’une statue, envisagée comme un signal religieux au sommet de la colline de Fourvière. C’est le sculpteur Joseph-Hugues Fabisch qui réalise cette statue dans son atelier des quais de Saône.

    L’inauguration initialement prévue le 8 septembre 1852 est repoussée au 8 décembre en raison d’une crue de la Saône. Le jour venu, le mauvais temps va de nouveau contrarier les réjouissances : les autorités religieuses sont sur le point d’annuler l’inauguration. Finalement le ciel se dégage… Spontanément, les Lyonnais disposent des bougies à leurs fenêtres, et à la nuit tombée, la ville entière est illuminée. Les autorités religieuses suivent le mouvement et la chapelle de Fourvière apparaît alors dans la nuit.

    Ce soir-là, une véritable fête est née ! »

    Le 8 décembre dans le calendrier chrétien correspond à la fête de l’immaculée conception, donc à la fête de la vierge Marie. Le 8 décembre date donc non de la première démarche des échevins en 1643, mais d’une fête ultérieure pour inaugurer une statue de la Vierge qui cependant avait vocation à commémorer le « miracle » du XVIIème siècle.

    <Lyon Capitale> conteste ce récit à la fois sur la date du premier pèlerinage des échevins et sur la maladie contre laquelle les lyonnais devaient lutter :

    « Ainsi, le 12 mars 1643, [les] échevins demandent à la Vierge Marie de protéger la ville d’une épidémie de peste (il s’agissait en fait du scorbut). Ils promettent en échange de faire construire deux statues de la Vierge et de renouveler ces vœux chaque année, le 8 septembre, jour de la Nativité de la Vierge. Lyon est épargné, les échevins respectent leur promesse et renouvellent ce vœu par la suite chaque année. Durant certaines périodes la tradition disparaît, notamment sous la Révolution.

    À la fin des années 1840, l’église de Notre-Dame-de-Fourvière, là où les Lyonnais se rendaient pour commémorer le vœu des échevins, a bien vieilli. Les différents bombardements qui ont touché la ville durant la Révolution puis lors des révoltes des canuts ont abîmé les bâtiments de la ville. Dès lors, sans que cela soit lié à la moindre demande ou promesse faite à Marie, les autorités religieuses décident qu’il faut faire reconstruire le clocher en plus grand. Elles décident également d’y installer une statue majestueuse de la Vierge, de cinq mètres de haut. Un concours est organisé pour trouver celui qui réalisera la Vierge et le sculpteur Fabisch est choisi.

    Vient alors une grande question pour les autorités ecclésiastiques : quel sera le jour de l’inauguration de la statue, sachant qu’une fête mariale doit être privilégiée. On pense au 15 août, mais ce n’est plus possible, puisqu’il est consacré à la Saint-Napoléon, mise en place par Napoléon III le 16 février 1852. La fête suivante est le 8 septembre, date qui va être choisie jusqu’à ce qu’un événement extérieur change tout. Durant l’été 1852, la ville est inondée, l’atelier du fondeur de la statue est touché. Les autorités décident de repousser les festivités à la fête mariale suivante : le 8 décembre, jour de la conception de la Vierge selon la Bible.

    Fin 1852, la ville se prépare à fêter l’inauguration de la statue qui est alors cachée sous un drap, attendant d’être dévoilée. La fête est déjà commerciale puisque les journaux de l’époque vantent les mérites des vendeurs de lumignons et autres éclairages, et certaines publicités sont publiées dans la presse. Néanmoins, le 8 décembre, des orages violents éclatent, les autorités religieuses décident de repousser les festivités au dimanche 12 décembre. Les Lyonnais habitués aux illuminations, une tradition régulière depuis des siècles dans les grandes villes, décident de placer des bougies à leurs fenêtres. La foule envahit les rues, les boutiques qui vendent des éclairages sont prises d’assaut. Ce n’est plus l’Église qui impose le programme à la ville, mais bien l’inverse. Les autorités décident de suivre le mouvement, et illuminent Fourvière. Néanmoins, les festivités officielles pour célébrer cette nouvelle statue se dérouleront ensuite du 12 au 19 décembre. Au final, la tradition retiendra la date choisie par les Lyonnais, celle qui perdurera jusqu’à nous. »

    Et puis sur le site officiel de notre Dame de Fourvière, l’auteur essaie de trouver un compromis entre le scorbut et la peste :

    « 1638 : Vœu de l’aumône générale : Alors qu’une grave épidémie de scorbut atteint les enfants de la ville et que rien ne semble pouvoir enrayer cette maladie, les administrations de l’Hôpital décident de monter en procession à Fourvière. Progressivement, la maladie diminue et disparaît. Jamais elle ne revint à Lyon.

    1643 : Vœu des Echevins : En 1643, alors que la peste fait rage en Europe, la ville de Lyon est menacée par ce fléau. Les notables décident alors de placer la ville sous la protection de la Vierge Marie. Ainsi, le 8 septembre 1643, fête de la Nativité de la Vierge, le prévôt des marchands (équivalent de notre maire) et ses quatre échevins (adjoints), accompagnés d’une foule de Lyonnais, montent en procession à la colline de Fourvière.

    C’est dans la chapelle de la Vierge qu’ils font le vœu de monter chaque 8 septembre pour entendre la messe et offrir à l’archevêque sept livres de cire en cierges et flambeaux, et un écu d’or si leur souhait est exaucé.

    La cité ayant été épargnée, la tradition se perpétue encore aujourd’hui, manifestant ainsi l’attachement de tous les Lyonnais à la Vierge qui protège leur ville. »

    Donc selon ce site il y avait bien peste en 1643 et le scorbut aurait déferlé en 1638.

    Bref, dès qu’on creuse un peu tout devient toujours compliqué.

    Mais ce qui est certain c’est que les lyonnais fêtent chaque année la fête des lumières, le 8 décembre, que c’est une fête catholique.

    Et que cette année, il n’y aura pas de fête organisée et touristique.

    <1504>

  • Lundi 7 décembre 2020

    « Tous les mots du jour sur De Gaulle que je n’écrirai pas. »
    Un acte manqué mais écrit

    L’année 2020 restera probablement dans l’Histoire comme celle où une grande partie de l’Humanité, pour lutter contre une pandémie, a fait appel à cette technique archaïque du confinement.

    Ce confinement et la Covid19 auront beaucoup occupé notre temps de cerveau disponible et peut être même un peu plus…

    Dans mon écriture du mot du jour, je n’ai pas échappé à cette pente qui a consisté à accorder une grande place à ces sujets.

    Or, 2020 est proche de son terme et elle est aussi une année de trois grands anniversaires que je cite dans l’ordre chronologique inverse :

    • Le 60ème anniversaire de la mort d’Albert Camus
    • Le 130ème anniversaire de la naissance de Charles de Gaulle, mais aussi le 80ème anniversaire de l’appel du 18 juin et encore le 50ème anniversaire de sa mort.
    • Le 250ème anniversaire de la naissance de Ludwig van Beethoven

    Je voulais consacrer une série de mots du jour à chacun de ces 3 grands hommes.

    Régis Debray dit souvent :

    « La culture, c’est le culte de nos grands morts »

    La série sur Camus a été écrite. Mais je n’ai pas la possibilité et l’énergie d’écrire deux autres séries, d’ici la fin de l’année.

    Il faut donc faire un choix. Ce choix sera d’écarter celui qui occupe une place de centriste, dans l’énumération chronologique citée ci-dessus.

    Mais je vais quand même, sans développer, citer quelques questions que j’aurais aimé poser et certaines réflexions qui me viennent parfois, à l’écoute de certains propos d’hommes politiques ou de commentateurs.

    Car en effet, quand on écoute aujourd’hui les représentants de tout l’échiquier politique, tous se réclament de l’héritage de De Gaulle et surtout on a l’impression que sous sa présidence nous vivions un âge d’or et dans un monde où tout n’était qu’ordre, luxe et volupté.

    Il ne s’agit pas de contester la dimension historique de Charles De Gaulle et son rôle positif et éminent pour la France et encore ses qualités d’homme D’État.

    Mais il s’agit de s’interroger si on n’en fait pas un peu trop ?

    Et une autre question : Est-ce que vraiment vous auriez envie, si la possibilité technique était à votre portée, de revenir vivre dans la France de De Gaulle ?

    J’aurais fait appel à Jacques Julliard pour reconnaître que «De Gaulle était un génie de l’incarnation», incarnation de l’État et de la France.

    J’aurais beaucoup utilisé des chroniques de Thomas Legrand sur France Inter et La Croix, pour approfondir certains sujets :

    Et soit j’aurais nuancé le propos de Julliard ou j’aurais écrit un autre mot du jour sur cette autre réalité :  «  De Gaulle et l’incarnation… le drame de ses successeurs »

    Il aurait alors fallu, entre autres questions, reparler de ces institutions de la Vème république qui avait été faites pour De Gaulle. Le pouvoir disproportionné d’un seul homme en est le fruit. Encore faut-il se rappeler que De Gaulle avait institué, en quelque sorte, le référendum révocatoire. Il considérait que le Président de la République avait un lien fort et particulier avec le peuple qui pouvait justifier ce pouvoir. C’est pour cela qu’il a imposé la réforme de l’élection au suffrage universel du président. Mais dans l’esprit et dans la pratique de De Gaulle, il était nécessaire de retourner régulièrement devant le peuple, entre les élections, par la voie du référendum pour s’assurer que ce lien particulier existait toujours et en cas de désaveu, il fallait partir. C’est qu’il a fait.

    Aucun de ses successeurs n’a eu ce cran.

    Certains diront que cette manière de pratiquer le référendum n’est pas sain parce qu’il le pousse vers le plébiscite. C’est vrai, mais le pouvoir excessif du président de la république n’est pas sain non plus et le référendum révocatoire donnait au moins la possibilité de mettre fin au mandat quand le peuple n’avait plus confiance en son monarque républicain.

    Un autre sujet qui me tient à cœur c’est que De Gaulle fut un des premiers adepte des fake news, ou pour parler français des infox.

    Thomas Legrand parle de « Mythes et de mensonges de De Gaulle »

    Parce que quand même il a prétendu que :

    • La France n’avait pas perdu la guerre en 1940
    • Qu’elle l’avait gagnée en 1945
    • Que la France était uniformément résistante sauf quelques cas très marginaux
    • Que le Régime de Vichy n’a jamais représenté la France
    • Que la France est restée une des grandes Nations qui influence les affaires du monde

    C’est ce qui s’appelle un récit, en l’occurrence le récit gaulliste. Le récit comme pour les religions, n’a qu’un rapport ténu avec la réalité et la vérité mais constitue le fondement de la croyance. Or la croyance est essentielle pour que la société tienne ensemble. Le récit permet de croire à quelque chose qui nous dépasse et nous survit.

    La revue « L’Histoire » avait aussi écrit sur ce sujet : « Le mensonge patriotique » qui permettra par ce fameux récit à ce que la France ne tombe pas dans la guerre civile à la sortie de la guerre.

    A côté de ces mythes, il y a les mensonges comme celle de ‘Algérie Française et le fameux : « Je vous ai compris ».