Lundi 12/05/2014

Lundi 12/05/2014
« Le corps marché,
la marchandisation de la vie humaine
à l’ère de la bioéconomie.»
Céline Lafontaine
Cécile Lafontaine, professeure agrégée de sociologie à l’université de Montréal, explique que la bioéconomie a pris une place centrale dans l’économie, parce qu’elle attire des investisseurs et des chercheurs qui pensent que c’est dans ce domaine que les plus grands gains sont à espérer.
Elle a écrit un livre « Le Corps-marché» avec pour sous-titre : la marchandisation de la vie humaine à l’ère de la bioéconomie. Ce livre paraît au Seuil.
Pour présenter ce livre elle a été invitée à <L’émission du 09/05/2014 des matins de France Culture>
Un long article de Mediapart est aussi consacré à ce livre, je le joins à ce message.
ADN, cellules souches, ovules, sang : le corps humain se vend aujourd’hui en pièces détachées. Sous l’impulsion des biotechnologies et de la médecine reproductive, un nouveau marché se développe, fondé sur l’utilisation du vivant comme matière première.
Elle explique par exemple comme le don d’organe ou de tissus a été perverti pour, sous couvert de recherche et d’amélioration de la santé publique, déposer des brevets du vivant et privatiser de plus en plus la santé.
Ainsi elle explique qu’ «En 1976 en Californie, John Moore subit une ablation de la rate, sur recommandation du docteur et chercheur David Golde. John Moore demande à ce que sa rate soit détruite. Et 5 ans plus tard, il découvre que le docteur Golde a obtenu grâce à ses recherches sur sa rate un brevet d’une valeur de 15 millions de dollars. «
Dans l’émission des matins elle rapporte que dans certains villages du Bangladesh, presque tous les habitants ont vendu un de leur rein, le plus souvent pour payer des dettes.
Voici ci-après quelques extraits que je tire de l’article de Mediapart :
[…] depuis la Seconde Guerre mondiale, la santé est devenue l’un des fondements de la citoyenneté. Les systèmes de santé publique ont porté les États providence. Mais l’idée d’une santé améliorée et de plus en plus individualisée est liée aux politiques néolibérales. Il ne s’agit plus de santé publique mais d’une santé individuelle que l’on prolonge à l’infini. L’individu est appelé à devenir l’entrepreneur qui gère sa propre santé. D’un côté, le corps est objectivé, parcellisé en produits – cellules, gènes, ovules, etc.
[…] L’idée de la santé parfaite est mise en avant, mais lorsqu’on y regarde de près, ce qui est en jeu, ce sont des corps qui nourrissent d’autres corps. Les jeunes femmes qui vendent leurs ovules, celles d’Europe de l’Est, les mères porteuses en Inde, ce sont des corps au service d’autres corps. […] les populations sont encouragées à faire le don de certains éléments corporels, notamment l’ADN, mais elles risquent de ne pas voir le début des traitements qui en résulteront, parce que ces recherches seront privatisées et reviendront à la société avec des prix qui mettront en péril les systèmes de santé publique. […]
Concrètement, cette financiarisation du corps humain va mener à l’effritement des systèmes de santé publique. Les nouveaux traitements seront limités à ceux qui pourront se les payer. Sans compter qu’il y a une forte spéculation dans ce domaine, parce qu’on reste dans une économie de la promesse qui n’a pas fait les preuves de son efficacité.
[…] Les Anglo-Saxons ont montré que le consentement éclairé est un mécanisme qui permet l’appropriation du don et la privatisation par le brevetage. On n’a pas le droit de vendre son sang, ni les parties de son corps, mais, à l’inverse, le chercheur qui modifie les cellules ou qui isole un gène peut breveter cette “invention” et en tirer profit. C’est une logique du tout don vers le tout privé.
[…] Je ne remets pas en question la recherche en tant que telle. Les chercheurs ne sont pas là pour exploiter les patients, ils veulent développer de nouveaux traitements. Ce que je dénonce, c’est une industrialisation et une néolibéralisation extrême de la recherche médicale, fondée sur une économie de la promesse qui paraît sans limite. La recherche biomédicale est devenue un immense commerce international et participe à l’effritement des systèmes de santé publique. […]
Je suis pessimiste. Nous allons dans le sens d’une exploitation généralisée et très inégalitaire des corps humains. La bioéthique fonctionne comme un paravent hypocrite qui masque l’exploitation et la marchandisation derrière un discours rassurant. Cette logique est difficile à attaquer, parce qu’elle est présentée comme la promesse de soulager les souffrances et d’améliorer la vie.
Que le ciel vous tienne en joie dans ce monde où la médecine ne sert pas seulement à soigner mais aussi à générer beaucoup de gains