Vendredi 29 avril 2016

Vendredi 29 avril 2016
« Le fort fait ce qu’il peut et le faible subit ce qu’il doit !»
Thucydide
L’histoire de la guerre du Péloponnèse – Ve s. av. J.-C.
Je vais encore évoquer l’émission de France Inter : AGORA du 17 avril 2016.
Cette fois, Stéphane Paoli a invité Yannis Varoufakis, l’ancien Ministre de l’Economie grecque qui est venu présenter son dernier livre : «Et les faibles subissent ce qu’ils doivent ?»
D’une voix calme, avec un argumentaire fort venant de sa grande culture économique, il démontre les erreurs d’analyse de la pensée néo libérale qui ont cours actuellement dans L’union européenne.
Il explique pourquoi rien de ce qui est fait ne permettra d’améliorer la situation de la dette grecque, dette qui ne pourra et ne sera pas remboursée.
Je l’ai trouvé très intéressant et très intelligent.
Mais je voudrais, une nouvelle fois, partager la chronique d’Aurore Vincenti qu’elle a consacrée au mot «faible» qui se trouve dans le titre du livre.
«En tant que seule femme autour de ce plateau, je suis bien placé pour parler du terme faible.
Il y a surtout un sexe qui est dit faible.  Pourquoi ? Parce que la femme n’a pas la même corpulence qu’un homme !  Elle ne peut pas rouler des mécaniques.
Je lis dans mon dictionnaire : «on dit sexe faible par plaisanterie». Très bonne blague, vraiment super drôle.
Alors qu’on ne devrait pas rire des faibles.
Non, étymologiquement on devrait les pleurer. Parce que le mot vient du latin  «flebilis», « digne d’être pleuré».
Alors le titre de votre ouvrage Monsieur Varoufakis vient d’une phrase de Thucydide dans L’histoire de la guerre du Péloponnèse, si je ne m’abuse : « Les forts font ce qu’ils peuvent et les faibles subissent ce qu’ils doivent »
La difficulté de cette définition, c’est qu’elle définit le faible par opposition au fort, par défaut.
Le faible est la trace d’un manque, d’un manque de force.
Et je dirais, définition plus actuelle : un manque de pouvoir.
Et pourtant ce qui manque au faible, c’est surtout les larmes, les larmes qui étaient dans la racine latine. Il manque de la compassion, de la sympathie, mot grec qui signifie je prends part à ta souffrance, du moins je l’entends, je la reconnais pour ce qu’elle est.
Mais il n’y a pas de larmes à verser pour les chiffres.
Car les faibles, les pauvres, les démunis on les compte et puis c’est tout, sans les envisager, sans les dévisager.
C’est pour cela aussi qu’il est difficile de dire qui sont les faibles.
Cependant, une chose est certaine : numériquement ils sont en force, parfois on dit  99 % par rapport à 1 % de forts.
Et s’ils subissent le pouvoir des forts, les forts ont aussi besoin d’eux pour exercer leur pouvoir du haut vers le bas.
Mais ne laissons pas ainsi les choses figées !
Vous posez une question Monsieur Varoufakis : «et les faibles subissent ce qu’ils doivent ?»
On voit émerger des mouvements partout en Europe, même en France, des mouvements qui viennent du bas, des faibles
Les mots sont à la fois peu et beaucoup de choses.
Je vous en propose quelques-uns pour conjurer le sort.
Pour montrer l’immuable binarité entre le faible fort, en français, il y a le mot «révolution» qui va avec «révolte» et même «bouleversement». Ces trois mots véhiculent la même idée celle d’un renversement : du haut  qui se retrouve en bas et du bas qui se retrouve en haut.
Et puis j’ai un autre mot, en anglais : « Empowerment». Ce mot n’a pas vraiment de traduction en français,  on a dit développement du pouvoir d’agir. Mais dans « Empowerment», il y a de l’émancipation, il y a l’idée que l’on se grandit hors de sa condition que l’on s’érige que l’on gagne, non en pouvoir d’écraser, mais en pouvoir d’agir, de faire.»
En fin d’émission, Yannis Varoufakis répète ce propos du Ministre de l’Economie allemande Wolfgang Schaüble qu’il avait déjà rapporté et où ce dernier lui disait qu’il savait bien que la solution proposée ne résoudrait rien pour la Grèce, mais qu’il avait besoin de cette solution dans son combat avec les élites françaises pour leur imposer l’austérité.
Je rapproche ce propos d’une récente chronique  de Bernard Guetta <L’arroseur arrosé>, où ce dernier expliquait que Wolfgang Schaüble avait tenté d’influencer la BCE pour mettre fin à sa politique de taux d’intérêt très bas qui était très défavorable aux retraités allemands et à leurs fonds de pension. Maria Draghi en réponse lui a simplement rappelé que la BCE était indépendante et que c’était l’Allemagne qui avait voulu qu’il en soit ainsi. D’où le concept d’arroseur arrosé de Guetta.
J’avais déjà dit que l’Europe avait un problème avec ses vieux, cet échange nous apprend que le problème est particulièrement vivace avec les vieux allemands…

Jeudi 28 avril 2016

Jeudi 28 avril 2016
«L’attention, est une ressource dont nous ne disposons qu’en quantité finie.»
Matthew Crawford

C’est mon ami Jean-François, architecte de son métier et dijonnais de sa destinée qui a attiré mon attention sur un article de Telerama qui fait l’éloge d’un homme particulier qui a écrit un livre.

L’homme est Matthew Crawford qui est à la fois chercheur en philosophie à L’université de Virginie mais aussi réparateur de motos.

<C’est cette seconde activité qui lui a certainement inspiré son premier livre: Eloge du carburateur> Mais le sous-titre de ce livre donne une idée de quoi il parle : « Essai sur le sens et la valeur du travail »

Ce livre est décrit de la manière suivante sur le site de l’éditeur :

« Matthew B. Crawford était un brillant universitaire, bien payé pour travailler dans un think-tank à Washington. Au bout de quelques mois, déprimé, il démissionne pour ouvrir… un atelier de réparation de motos. À partir du récit de son étonnante reconversion professionnelle, il livre dans cet ouvrage intelligent et drôle l’une des réflexions les plus fines sur le sens et la valeur du travail dans les sociétés occidentales.

Mêlant anecdotes, récit, et réflexions philosophiques et sociologiques, il montre que ce travail intellectuel », dont on nous rebat les oreilles depuis que nous sommes entrés dans l’« économie du savoir », se révèle pauvre et déresponsabilisant. De manière très fine, à l’inverse, il restitue l’expérience de ceux qui, comme lui, s’emploient à fabriquer ou à réparer des objets – ce qu’on ne fait plus guère dans un monde où l’on ne sait plus rien faire d’autre qu’acheter, jeter et remplacer. Il montre que le travail manuel peut même se révéler beaucoup plus captivant d’un point de vue intellectuel que tous les nouveaux emplois de l’« économie du savoir ».

« Retour aux fondamentaux, donc. La caisse du moteur est fêlée, on voit le carburateur. Il est temps de tout démonter et de mettre les mains dans le cambouis… »

Mais le livre dont parle TELERAMA concerne un autre sujet : « Contact. Pourquoi nous avons perdu le monde, et comment le retrouver »

Et l’article de Telerama explique que :

« Les technologies modernes nous sollicitent de plus en plus, et chacun semble s’en réjouir. Or, cela épuise notre faculté de penser et d’agir, estime le philosophe-mécano Matthew B. Crawford. « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre », écrivait déjà Pascal en son temps. Mais que dirait l’auteur des Pensées aujourd’hui, face à nos pauvres esprits sursaturés de stimulus technologiques, confrontés à une explosion de choix et pour lesquels préserver un minimum de concentration s’avère un harassant défi quotidien ? C’est cette crise de l’attention qu’un autre philosophe, cette fois contemporain, s’est attelé à décortiquer. […]

C’est en assurant la promotion de son [premier] best-seller que Crawford a été frappé par ce qu’il appelle « une nouvelle frontière du capitalisme ». « J’ai passé une grande partie de mon temps en voyage, dans les salles d’attente d’aéroports, et j’ai été frappé de voir combien notre espace public est colonisé par des technologies qui visent à capter notre attention. Dans les aéroports, il y a des écrans de pub partout, des haut-parleurs crachent de la musique en permanence. Même les plateaux gris sur lesquels le voyageur doit placer son bagage à main pour passer aux rayons X sont désormais recouverts de publicités… »

Le voyageur en classe affaires dispose d’une échappatoire : il peut se réfugier dans les salons privés qui lui sont réservés. « On y propose de jouir du silence comme d’un produit de luxe. Dans le salon « affaires » de Charles-de-Gaulle, pas de télévision, pas de publicité sur les murs, alors que dans le reste de l’aéroport règne la cacophonie habituelle. Il m’est venu cette terrifiante image d’un monde divisé en deux : d’un côté, ceux qui ont droit au silence et à la concentration, qui créent et bénéficient de la reconnaissance de leurs métiers ; de l’autre, ceux qui sont condamnés au bruit et subissent, sans en avoir conscience, les créations publicitaires inventées par ceux-là mêmes qui ont bénéficié du silence… On a beaucoup parlé du déclin de la classe moyenne au cours des dernières décennies ; la concentration croissante de la richesse aux mains d’une élite toujours plus exclusive a sans doute quelque chose à voir avec notre tolérance à l’égard de l’exploitation de plus en plus agressive de nos ressources attentionnelles collectives. »

Bref, il en va du monde comme des aéroports : nous avons laissé transformer notre attention en marchandise, ou en « temps de cerveau humain disponible », pour reprendre la formule de Patrick Le Lay, ex-PDG de TF1 ; il nous faut désormais payer pour la retrouver.

On peut certes batailler, grâce à une autodiscipline de fer, pour résister à la fragmentation mentale causée par le « multitâche ». Résister par exemple devant notre désir d’aller consulter une énième fois notre boîte mail, notre fil Instagram, tout en écoutant de la musique sur Spotify et en écrivant cet article… « Mais l’autorégulation est comme un muscle, prévient Crawford. Et ce muscle s’épuise facilement. Il est impossible de le solliciter en permanence. L’autodiscipline, comme l’attention, est une ressource dont nous ne disposons qu’en quantité finie. C’est pourquoi nombre d’entre nous se sentent épuisés mentalement. »

Cela ressemble à une critique classique de l’asservissement moderne par la technologie alliée à la logique marchande. Sauf que Matthew Crawford choisit une autre lecture, bien plus provocatrice. L’épuisement provoqué par le papillonnage moderne, explique-t-il, n’est pas que le résultat de la technologie. Il témoigne d’une crise des valeurs, qui puise ses sources dans notre identité d’individu moderne. Et s’enracine dans les aspirations les plus nobles, les plus raisonnables de l’âge des Lumières. La faute à Descartes, Locke et Kant, qui ont voulu faire de nous des sujets autonomes, capables de nous libérer de l’autorité des autres — il fallait se libérer de l’action manipulatrice des rois et des prêtres. « Ils ont théorisé la personne humaine comme une entité isolée, explique Crawford, totalement indépendante par rapport au monde qui l’entoure. Et aspirant à une forme de responsabilité individuelle radicale. »

C’était, concède tout de même le philosophe dans sa relecture (radicale, elle aussi) des Lumières, une étape nécessaire, pour se libérer des entraves imposées par des autorités qui, comme disait Kant, maintenaient l’être humain dans un état de « minorité ». Mais les temps ont changé. « La cause actuelle de notre malaise, ce sont les illusions engendrées par un projet d’émancipation qui a fini par dégénérer, celui des Lumières précisément. » Obsédés par cet idéal d’autonomie que nous avons mis au cœur de nos vies, politiques, économiques, technologiques, nous sommes allés trop loin. Nous voilà enchaînés à notre volonté d’émancipation.

[…] le philosophe offre une vision alternative, et même quelques clés thérapeutiques, pour reprendre le contrôle sur nos esprits distraits. Pas question pour lui de jeter tablettes et smartphones — ce serait illusoire. Ni de s’en remettre au seul travail « sur soi ».

« L’effet combiné de ces efforts d’émancipation et de dérégulation, par les partis de gauche comme de droite, a été d’augmenter le fardeau qui pèse sur l’individu désormais voué à s’autoréguler, constate-t-il. Il suffit de jeter un œil au rayon « développement personnel » d’une librairie : le personnage central du grand récit contemporain est un être soumis à l’impératif de choisir ce qu’il veut être et de mettre en œuvre cette transformation grâce à sa volonté. Sauf qu’apparemment l’individu contemporain ne s’en sort pas très bien sur ce front, si l’on en juge par des indicateurs comme les taux d’obésité, d’endettement, de divorce, d’addictions y compris technologiques… »

Matthew Crawford préfère, en bon réparateur de motos, appeler à remettre les mains dans le cambouis. Autrement dit à

« s’investir dans une activité qui structure notre attention et nous oblige à « sortir » de nous. Le travail manuel, artisanal par exemple, l’apprentissage d’un instrument de musique ou d’une langue étrangère, la pratique du surf [NDLR : Crawford est aussi surfeur] nous contraignent par la concentration que ces activités imposent, par leurs règles internes. Ils nous confrontent aux obstacles et aux frustrations du réel. Ils nous rappellent que nous sommes des êtres « situés », constitués par notre environnement, et que c’est précisément ce qui nous nous permet d’agir et de nous épanouir ».

Bref, il s’agit de mettre en place une « écologie de l’attention » qui permette d’aller à la rencontre du monde, tel qu’il est, et de redevenir attentif à soi et aux autres — un véritable antidote au narcissisme et à l’autisme. »…

Voilà, je vais maintenant retourner à des travaux manuels, j’ai une lampe à finir…

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Mercredi 27 avril 2016

Mercredi 27 avril 2016
«Stalker quelqu’un sur internet»
Nouvelle expression né avec Internet
Xavier de la Porte a consacré <sa chronique sur France Culture> à « Mémoire de fille », le dernier livre d’Annie Ernaux qui est paru il y a une quinzaine de jours.
Il n’évoque pas l’aspect littéraire du livre mais l’usage d’internet fait par l’écrivaine. Je cite :
«[…] En revanche, j’ai été frappé par une chose qui me semble tout à fait symptomatique de notre temps et qui peut nous aider à réfléchir sur notre usage d’Internet.
Pour faire ce travail qui consiste à tenter de retrouver cette « fille » qu’elle fut, Annie Ernaux a recours à plusieurs moyens, et à divers documents. Des photos de l’époque (photos prises par elle ou d’autres), des lettres envoyées à des amies, des cartes, les carnets qu’elle remplissait déjà à l’époque, ou même ses livres précédents, tout cela lui fournissant des éléments assez précis. Mais à plusieurs reprises, Annie Ernaux utilise Internet. Elle utilise Internet pour trouver des informations, pour revoir des lieux (en particulier le lieu de la colonie de vacances où elle passe l’été 1958, si fondamental), mais elle l’utilise surtout pour retrouver traces de certaines personnes (et en particulier l’homme, avec lequel, pendant ce mois d’été elle passe deux nuits, et dont elle devient follement amoureuse). Pourquoi c’est intéressant ?
D’abord parce que c’est un signe des temps que la recherche Internet prenne place, tout à fait normalement, au milieu d’autres documents.
Mais ce qui est passionnant ici, c’est le rôle que joue Internet dans un travail lié à la mémoire. Car le web ne fournit pas à proprement parler une archive, ou alors, une archive du temps presque présent. Internet vient combler un vide. Il vient combler un vide entre le passé et le présent. Par exemple, ce qu’Annie Ernaux trouve de cet amant de deux nuits, c’est une photo de famille, celle de cet homme fêtant ses noces d’or, entouré de toute sa descendance, à l’intérieur d’un article de la presse locale donnant les éléments d’une courte biographie. Et cette photo, l’auteure la scrute et s’écrit la scrutant avec toutes les limites visuelles de ce type de document trop pixélisé. Très différent des photos que nous avons gardées – dans des albums ou ailleurs.
Avec, par ailleurs, le soupçon toujours porté : cette personne est-elle vraiment la bonne ?
Ce que Google offre, c’est le plus souvent, aussi, une documentation qui est à mi-chemin entre le public (ce qu’on aurait trouvé auparavant en consultant les archives de la presse et des annuaires) et le privé (et qu’on peut trouver en allant des réseaux sociaux, ce que fait Annie Ernaux en s’inscrivant sur Copain d’avant).
En faisant cela, en l’écrivant Annie Ernaux donne ses lettres de noblesse à une pratique répertoriée dans les réseaux, une pratique qu’on appelle « stalker ». Le verbe anglais to stalk signifie à la fois « roder » et « traquer ». Stalker quelqu’un sur internet, c’est guetter sa présence, les traces qu’il laisse, glaner des informations, et c’est ce qu’on fait en général pour un ancien amour.
Vulgairement, on pourrait dire qu’Annie Ernaux stalke ses ex. Mais on pourrait tout en même temps défendre qu’elle fait avec les outils de son temps ce qu’aurait fait Proust s’il avait pu. Oui, Proust aurait sans doute stalké ses personnages et le temps retrouvé n’aurait-il consisté qu’en une longue recherche sur Internet. (Je précise juste que je m’appuie pour dire cela sur ce que m’avait annoncé de but en blanc Nathalie Mauriac-Dyer, grande spécialiste de Proust : « Proust aurait adoré Internet »).
Mais, les autres ne sont pas seuls concernés.
Car Annie Ernaux nous donne aussi une idée qui pourrait devenir un jour, par ce qu’Internet garde de nous sans même que nous y fassions attention, une expérience commune. Je suis frappé par les derniers mots de « Memoires de fille », quand Annie Ernaux dit avoir retrouvé en finissant d’écrire son livre, la note d’intention : « Explorer le gouffre entre l’effarante réalité de ce qui arrive, au moment où ça arrive et l’étrange irréalité que revêt, des années après, ce qui est arrivé. ». Et je me disais que bientôt, une plongée dans notre désormais vieux compte Facebook pourrait nous fournir pareille impression.»
C’est une chronique de notre temps présent

Mardi 26 avril 2016

Mardi 26 avril 2016
«Le salaire est une charge, un coût, quelque chose de négatif qu’il faut réduire. Les dividendes des actionnaires et les bonus des patrons sont des parts de profit donc positifs.
Le mépris du salarié, c’est dans nos règles comptables qu’il est inscrit.»
Paul Jorion
Je ne veux pas plomber l’ambiance !
Je ne parlerai donc pas du dernier ouvrage de Paul Jorion : <Le dernier qui s’en va éteint la lumière>
Je parlerai plutôt de ce patron, Henry Engelhardt, PDG du groupe d’assurance automobile britannique Admiral, qui a décidé, d‘offrir 9 millions d’euros de primes à tous ses employés à l’occasion de son départ à la retraite, le 12 mai prochain. « C’est une façon de dire merci » a-t-il simplement précisé.
Je ne veux pas plomber l’ambiance !
Je ne parlerai donc pas des sombres prévisions qu’a révélées Paul Jorion dans son entretien du 25 mars 2016 avec Patrick Cohen qui le recevait pour évoquer son livre. <Le dernier qui s’en va éteint la lumière>.
Je parlerai  plutôt de la générosité de Bernard Arnault, patron de LVHM, qui a fait un don à un de ses anciens salariés qu’il avait licencié et qui non seulement survivait avec  400 euros par mois, mais qui, en outre, était à la veille de perdre sa maison qui devait être saisie par huissier. Certes, la générosité du milliardaire français n’est pas aussi spontanée que celle de Henry Engelhardt, comme le montre <Merci Patron> que j’ai enfin vu. En effet, il faut toute la ruse et les stratagèmes de François Ruffin, le créateur de Fakir, pour déclencher la générosité contenue et intéressée de Bernard Arnault. Pour celles et ceux qui ne l’ont pas encore vue, comme Pascale l’a fait pour moi, je vous conseille d’aller le voir.
Bernard Arnault prétend ne pas l’avoir vu, je peux comprendre. Il doit être quand même difficile d’entendre que son ancien salarié qu’il a licencié avec des centaines d’autres pour augmenter les bénéfices de LVMH, doit jeûner plusieurs jours par mois parce que les 400 euros qu’il touche ne lui permettent pas de manger tous les jours.
Paul Jorion qui rappelons est un anthropologue ayant travaillé dans des banques américaines dans le domaine du trading décortique les codes de l’Economie, qui n’est pas une science mais une construction humaine pour justifier la répartition des richesses. Il écrit énormément d’ouvrages et tient un blog étonnant et décapant.
Kaizen est un mensuel fondé par Cyril Dion le réalisateur du film «Demain». Kaizen est un mot japonais qui signifie «changement bon». Kaizen a organisé, pour ses lecteurs, une conférence le 23 mars au Goethe-Institut de Paris où il avait invité Paul Jorion. J’ai lu dans le dernier numéro de ce magazine : «Au fur et à mesure de la conférence, nous avons pu constater un mécontentement manifeste plutôt unanime dans le public.»
Bref, Paul Jorion avait plombé l’ambiance !
Malgré tout, je voudrai partager deux réflexions de Paul Jorion, qu’il a développé lors du 7/9 du 25 mars de Patrick Cohen.
La première concerne la croissance et l’argent.
Vous savez que l’argent constitue le fluide qui permet de faire fonctionner l’économie. Or l’immense majorité de l’argent est créée par les banques, quand un acteur économique obtient un prêt pour investir. Quand la banque dispose de suffisamment de garantie pour estimer que le prêt sera remboursé, elle l’accorde. Le fait d’accorder le prêt, conduit la banque à inscrire, dans ses comptes, le montant du prêt. Cet argent, la banque ne l’a pas. Elle doit bien disposer d’une certaine assise financière pour avoir le droit de prêter, mais la somme d’argent correspondant au prêt n’est pas prélevé sur le compte d’un épargnant pour être versé sur le compte de l’emprunteur. Non ! L’argent est créé, ex nihilo, par son inscription au bénéfice de l’emprunteur.
Et c’est là que Jorion explique la relation entre la dette, l’argent et la croissance.
Le système économique a besoin de la dette, puisque c’est par la dette que l’argent est créé.
La dette doit être remboursée avec un intérêt. Il faut rembourser plus que l’emprunt, ce plus est donné par la croissance. S’il n’y a pas de croissance, on ne peut pas rembourser les intérêts de la dette.
La dette, l’argent et la croissance sont dans notre système intimement liés.
Or la croissance est en panne, faible. Certains affirment même que la croissance infinie n’est pas supportable dans le monde fini de la terre.
C’est ainsi que la dette continue à croitre et n’est plus remboursable.
Ce sont donc bien les fondements du fonctionnement du système qui sont en cause.
La seconde concerne la comptabilité et le regard qu’on porte sur la rémunération des salariés et la rémunération des actionnaires. Je cite de mémoire : «Nous avons admis que la rémunération des salariés était le salaire et que le salaire était une charge, un coût, quelque chose de négatif qu’il fallait réduire, minimiser. Le profit était une chose positive qu’il fallait maximiser. Les dividendes des actionnaires et les bonus des patrons sont des parts de profit donc positifs.
Le mépris du salarié, c’est dans nos règles comptables qu’il est inscrit.»
Ce ne sont pas les propos d’un économiste orthodoxe, mais Jorion jette un regard décalé sur ce que chacun estime la normalité du fonctionnement de l’Economie.
Normalité qui est remarquablement mise en lumière dans le film «Merci Patron».
Ce regard décalé je le trouve fécond.

Lundi 25 avril 2016

Lundi 25 avril 2016
«Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs»
William Shakespeare
«Comme il vous plaira», Acte 2, Scène 7, Réplique de Jacques à son ami le Vieux Duc qui a été proscrit et chassé du pouvoir par son frère 
William Shakespeare est un homme plein de mystères.
Certains le caractérisent par ce mot : «Le portraitiste de l’âme humaine».
Il représente un symbole tel en Angleterre que de manière commune on désigne la langue anglaise sous l’appellation «La langue de Shakespeare».
Ces dernières semaines et jours, il est beaucoup question de ce monument du théâtre occidental, parce que dans les encyclopédies il est noté : «William Shakespeare meurt le 23 avril 1616». Or nous sommes le 25 avril 2016, ce samedi nous fêtions donc officiellement l’anniversaire des 400 ans de la mort du «Génie du théâtre».
Dans la réalité cette affirmation est fausse ou simplement partiellement juste. C’est encore un problème de calendrier. Car comme je l’avais déjà relaté dans le mot du jour du 16 février 2015 « Renvoyer aux calendes grecques », lors du changement de calendrier, du calendrier «julien» de Jules César vers le calendrier «grégorien» du pape Grégoire, que nous utilisons actuellement, l’Angleterre, réticente aux innovations du continent [cela n’a pas changé], vivait encore à cette date avec le calendrier Julien.
Donc l’homme qui est né et mort à Stratford-upon-Avon, près d’Oxford, est donc décédé le 23 avril 1616 du calendrier Julien.
Ce qui correspond au 3 mai 1616 (à 52 ans) de notre calendrier grégorien.
Si vous souhaitez allumer une bougie (ou 400 bougies) pour commémorer le 400ème anniversaire, il faudra le faire le mardi 3 mai 2016.
Le mot du jour du 16 février 2015, rappelait qu’il existe un autre monument de la littérature occidentale qui est mort le 23 avril 1616, du calendrier grégorien : Miguel de Cervantès décédé à cette date à Madrid.
Mon inoubliable professeur de français de troisième, nous avait appris que si nous voulions être honnête homme, il fallait que nous ayons lu les 4 plus grands monuments de la littérature occidentale :

«Les misérables» de Victor Hugo

«David Copperfield» de Charles Dickens

«Guerre et Paix» de Tolstoï

et «Don Quichotte» de Miguel Cervantès

Si j’ai lu et même relu les 3 premiers, j’ai commencé mais sans le finir ce 4ème ouvrage.
Il reste tant de choses à faire avant de quitter cette terre…
Mais revenons à ce génie absolu du théâtre William Shakespeare, baptisé le 26 avril 1564 Stratford-upon-Avon et donc né quelques jours avant, date non connue.
On lit dans Wikipedia :
«[…] il est généralement admis que l’on ne connaît du personnage que des détails […]
Il est le troisième enfant de la famille et l’aîné des garçons. Son père, John Shakespeare, fils de paysan, est un gantier et marchand d’articles de maroquinerie, négociant de peaux et de laine prospère, tirant également profit de la spéculation foncière[…] C’est un notable de la ville de Stratford : en 1568, il y est élu conseiller municipal, puis grand bailli (ou maire) en 1568
[…] Le milieu confortable dans lequel naît Shakespeare le conduit vraisemblablement à fréquenter, après le niveau élémentaire, l’école secondaire « King Edward VI » au centre de Stratford, où l’enseignement comprend un apprentissage intensif de la langue et la littérature latine, ainsi que de l’histoire, de la logique et de la rhétorique. Selon son contemporain et rival, Ben Jonson, « il connaît pourtant peu le latin et encore moins le grec »
En 1577, le jeune garçon est retiré de l’école, vraisemblablement pour gagner sa vie ou pour aider son père qui est dans une mauvaise passe.
Le 28 novembre 1582, à Temple Grafton près de Stratford, Shakespeare, qui a alors 18 ans, épouse Anne Hathaway, fille d’un fermier de Shottery, de sept ou huit ans son aînée. […]
La suite des années 1580 est connue comme l’époque des « années perdues » de la vie du dramaturge : entre 1585 et 1592, nous n’avons aucune trace de lui, et nous ne pouvons expliquer pourquoi il quitte Stratford pour Londres.
On perd la trace de Shakespeare en 1585 : il quitte Stratford, il quitte sa femme, pour une « traversée du désert ».»
Vous lirez le reste sur Wikipedia : <https://fr.wikipedia.org/wiki/William_Shakespeare>
Il est incontestable qu’un bourgeois de Stratford-upon-Avon, s’appelant, William Shakespeare,  a vécu entre 1564 et 1416. Il a même écrit un testament dont on garde trace.
Ce testament qui est un des arguments utilisés par <Daniel Bougnoux qui avait été invité dans l’émission la Grande Table du 8 avril 2016 dont le thème était «Qui était vraiment Shakespeare ?»> Pour dire qu’un homme qui a rédigé un tel testament ne peut pas être l’auteur des pièces attribuées à William Shakespeare.
Il développe beaucoup d’autres arguments que vous trouverez aussi dans une des deux pièces jointes à ce message et plus largement dans le livre qu’il a écrit : <Shakespeare le choix du spectre>.
Il n’est pas le premier : Mark Twain, Sigmund Freud avaient déjà défendu cette hypothèse, ce bourgeois, qui n’a pas quitté l’Angleterre qui ne savait par lire le Français et l’italien, alors que plusieurs de ces œuvres sont plus qu’inspirées par des livres dans ces deux langues, alors qu’il n’en existait pas de traduction en anglais. Ainsi «Othello» ou le «Marchand de Venise» sont, ce qu’on appellerait probablement aujourd’hui, du plagiat de deux œuvres italiennes.
Daniel Bougnoux n’a pas peur d’affirmer « Je crois démontrable que le médiocre affairiste de Stratford ne peut pas être le « Shakespeare » qui signe un pareil théâtre ».
Et il reprend la thèse défendue par un chercheur canadien Lamberto Tassinari, dont le livre révèle l’hypothèse :  <John Florio alias Shakespeare>.
John Florio qui était un homme polyglotte d’une culture immense que ne semblait pas avoir Shakespeare.
Wikipedia nous donne les informations suivantes :
« John Florio (Londres, 1553 – Fulham 1625) était un linguiste, lexicographe et traducteur anglais d’ascendance italienne.
Né d’un père italien protestant ayant dû chercher refuge en Angleterre pour échapper à l’Inquisition dans son pays, et d’une mère probablement anglaise, il passa ses jeunes années dans les Grisons en Suisse, puis, après des études en Allemagne, retourna en Angleterre où, fort de sa formation humaniste et polyglotte, il trouva bientôt à s’employer comme précepteur et professeur d’italien et de français auprès de personnes issues de toutes les classes sociales : marchands, nobles, artistes, princes, et même une reine, Florio occupant le poste de maître de langues à la cour royale de Jacques Ier.
Il figure comme un précurseur tant dans le domaine de la traduction (il fut le premier à traduire en anglais les Essais de Montaigne et des passages du Décaméron de Boccace) que dans celui de la lexicographie, étant en effet l’auteur d’un dictionnaire anglais-italien dans lequel, pour la première fois, il eut l’idée d’admettre des vocables du langage courant et des termes de métier. Son dictionnaire et sa traduction des Essais de Montaigne passent aujourd’hui pour de véritables monuments de la Renaissance anglaise et des lettres élisabéthaines. […]
Il fut peut-être un ami de William Shakespeare, ou eut à tout le moins une influence sur lui. Florio est l’un des nombreux candidats proposés comme étant les véritables auteurs des œuvres de William Shakespeare. […] La théorie s’appuie notamment sur l’argument, également avancé par d’autres anti-stratfordiens, que l’œuvre de Shakespeare dénote une connaissance intime de la culture et de la géographie italiennes.»
Pourquoi si cette hypothèse est vraie, John Florio n’a-t-il pas signé ses œuvres ? Bougnoux donne cette explication : italien d’origine juive, il ne pouvait se mettre en avant dans le <Théâtre élisabéthain>.
Pour introduire toutes ces interrogations j’ai trouvé pertinent de mettre en exergue, cette réplique d’une œuvre Shakespearienne : «Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs».
J’aurais peut-être pu aussi utiliser «To be, or not to be: that is the question », « être ou ne pas être », «Hamlet », acte 3 scène 1
France Culture a consacré de nombreuses émissions à cette œuvre lumineuse de la culture occidentale : http://www.franceculture.fr/dossiers/week-end-shakespeare

Vendredi 22 Avril 2016

Vendredi 22 Avril 2016
«Quelles que soient les alternatives, il doit y avoir une réciprocité absolue, une égalité absolue, la reconnaissance mutuelle de la dignité et de la vie, le respect des traditions de chacun et de son histoire.
Telles sont les conditions sine qua non de la paix. […] Cette offre ne peut venir que du plus puissant.»
Yehudi Menuhin, discours à la Knesset du 5 mai 1991
Les religions de paix, cela n’existe pas. Mais il peut exister des femmes et des hommes de paix, dont certains peuvent être religieux ou appartenir à une religion.
Yehudi Menuhin était un extraordinaire musicien, il fut un artiste précoce et il était un homme de paix.
Il était juif, son prénom Yehudi signifie juif. Sa mère a voulu l’appeler ainsi afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur ses origines juives.
Pendant la guerre, il a joué trois fois par jour pour les soldats alliés, dans le but de soutenir leur moral. Mais à la fin de la guerre, le plus grand chef allemand, Wilhem Furtwängler, un des plus grands de l’Histoire faisait l’objet d’une procédure de dénazification, parce qu’il n’avait pas quitté l’Allemagne et avait donc joué pour les nazis. Il ne fut pourtant, contrairement à Karajan, jamais membre du parti et il s’opposa plusieurs fois aux nazis en raison de leur antisémitisme. Ce fut alors Yehudi Menuhin, en tant que juif et allié qui vint à Berlin pour venir jouer avec Furtwängler le concerto de Beethoven. Il tendit ainsi la main et il en sortit la version la plus bouleversante de ce chef d’œuvre avec Furtwängler au festival de Lucerne.
<Vous trouverez ici cette histoire des accusations contre le Furtwängler et le rôle de Menuhin> qui dès 1945, après tout ce qu’avait fait l’Allemagne au peuple juif parlait déjà de la rédemption de ce pays et écrivit : « Si ce pays moribond parvenait à redevenir un membre honorable de la communauté des nations civilisées, ce serait grâce à des hommes, comme Furtwängler, qui ont prouvé qu’ils étaient capables de sauver au moins une partie de leur âme. […] »
Ce fut aussi un homme qui allait vers les autres cultures, il fit par exemple des concerts et des disques avec Ravi Shankar le grand maître de la musique indienne traditionnelle.
En Afrique du sud, en plein apartheid, alors que son contrat l’avait explicitement interdit, il va jouer devant un public de noir.
Et il y a 25 ans, en 1991, il obtint un prix qui eut pour conséquence qu’il devait prononcer un discours à la Knesset. Ce discours je l’ai entendu pour la première fois lors d’une émission d’ARTE consacrée à Menuhin. Et je n’ai pas encore trouvé la vidéo, mais je viens de trouver le verbatim de ce discours derrière ce lien : https://blogs.mediapart.fr/olivia-elias/blog/121115/discours-de-yehudi-menuhin-la-knesset-5-mai-1991
Et Yehudi Menuhin, se présentant comme juif au milieu du peuple juif, va tenir ce discours :
« Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, chers amis,
Je remercie la Fondation internationale Wolf pour le grand honneur qu’elle m’accorde dans la plus sainte des villes, Jérusalem – la ville où vécurent mes ancêtres. Je suis également reconnaissant d’avoir, par le rituel de ce prix, le privilège de m’adresser à la Knesset.
Outre les hautes qualifications que je partage avec mes camarades lauréats, je possède un titre très particulier, celui de mon noble ancêtre hassidique, le rabbin Schneer-Salman.
Enfant, mon rêve candide était, en jouant du violon, de pouvoir guérir les cœurs souffrants – accomplissant ainsi une mission juive…
J’aimerais rappeler les mots de Salomon, sans doute le plus avisé de tous les hommes, ces mots écrits afin que nous les observions éternellement : Mon fils, n’oublie pas mon enseignement ; que ton Cœur retienne mes recommandations. Car ils te vaudront de longs jours, des années de vie et de paix. Que la bonté et la vérité ne te quittent jamais : attache-les à ton cou, inscris-les sur les tablettes de ton Cœur; et tu trouveras faveur et bon vouloir aux yeux de Dieu et des hommes «Jamais ces mots n’ont été aussi opportuns qu’aujourd’hui, dans ce monde déchiré par les conflits et le malheur. La peine, l’angoisse et l’horreur nous entourent – le moment n’est-il pas venu pour nous, Juifs réunis ensemble en Israël, de reconnaître notre suprême destinée : celle de guérir et d’aider ?
La réciprocité est la loi pragmatique de toutes les sociétés. Ceux qui vivent par l’épée périront par l’épée, et la terreur et la peur. La haine et le mépris sont mortellement infectieux. Et dans le même esprit, vous devez aimer si vous désirez être aimé, vous devez faire confiance pour que l’on vous fasse confiance, et servir pour que l’on vous serve.
Mes amis, Israël a atteint l’âge de la maturité. Le moment est venu. Relevez ce défi. Ne calculez pas vos actions dans les ténèbres de la peur; mais plutôt dans la lumière éclatante des paroles du Roi Salomon, sinon vous continuerez à vous laisser gouverner par cette peur et cette violence, vous resterez un camp retranché tant que vous survivrez.
Quelles que soient les alternatives, il doit y avoir une réciprocité absolue, une égalité absolue, la reconnaissance mutuelle de la dignité de la vie, le respect des traditions de chacun et de son histoire. Telles sont les conditions sine qua non de la paix. Et non une paix qui serait un hiatus afin de préparer d’autres guerres, mais la paix dans sa signification intégrale, la paix qui doit rester et qui restera une lutte constante et noble.
Cette offre ne peut venir que du plus puissant. Ce pays ne deviendra fort et confiant en l’établissement d’amitiés nouvelles et honorables que lorsqu’il acceptera le fait inéluctable qu’en son sein vivent des gens tout aussi attachés à la terre, prêts à mourir eux aussi pour leurs idéaux et destinés en fin de compte à devenir amis.
Un fait est absolument évident: cette façon improductive de gouverner par la peur, par le mépris des dignités essentielles de la vie, cette constante asphyxie d’un peuple dépendant devrait être la dernière chose acceptée par ceux-là même qui savent trop bien l’horrible signification, la souffrance inoubliable d’une telle existence.
Il est indigne de mon noble peuple, le peuple juif qui s’est efforcé de rester fidèle à un code de droiture morale durant quelque cinq mille ans, qui est capable de créer et d’établir un pays et une société tels que nous le voyons autour de nous, de pouvoir encore refuser le partage de ses grandes qualités et de ses bénéfices à ceux qui séjournent parmi eux.
Je crois que les Israéliens savent déjà au plus profond de leur cœur qu’avec ce geste fraternel de réciprocité, pourrait venir le moment de déclarer : « Car voilà l’hiver passé, c’en est fini des pluies, elles ont disparu. Sur notre terre, les fleurs se montrent. La saison vient des gais refrains. Le roucoulement de la tourterelle se fait entendre sur notre terre. »
Puisse cette voix être celle des peuples eux-mêmes. Comme le disait le grand Psalmiste David : « Agrée les paroles de ma bouche et le murmure de mon cœur sans trêve devant toi, ô mon Dieu, mon rocher, mon rédempteur. »
Et du plus profond de mon cœur aimant, je souhaite qu’il en soit ainsi pour vous tous. »
Yehudi Menuhin est né le 22 avril 1916, il y a exactement 100 ans.
Et demain le 23 avril, commence la fête juive de Pâque.
Wilhem Furtwängler et Yehudi Menuhin

Jeudi 21 Avril 2016

Jeudi 21 Avril 2016
«Vivre et laisser mourir»
Michel Foucault

Donc le Pape François s’est, à nouveau penché, sur le sujet des réfugiés et il a même ramené concrètement 12 réfugiés au Vatican.

Conversation est un site où on peut trouver des articles initialement en langue étrangère traduits en français.

Un article d’un universitaire anglais, Stéphane J Baele, University of Exeter, m’a interpellé car il rapproche la situation actuelle aux frontières de l’Europe à une réflexion de Michel Foucault développée à partir de 1974 : <la biopolitique>

Biopolitique est un néologisme pour identifier une forme d’exercice du pouvoir qui porte, non plus sur les territoires mais sur la vie des gens, sur des populations, le biopouvoir.

Le pouvoir va s’intéresser à la vie, à la santé, à la retraite et même à la fin de vie des citoyens de son territoire. En témoigne toutes les caractéristiques de l’Etat providence, de la sécurité sociale et de l’existence de toute une organisation visant à accompagner les citoyens de la naissance à la mort. Des campagnes financées par le pouvoir vont donner des injonctions à la population :

  • Ne pas fumer ;
  • Ne pas trop boire d’alcool ;
  • Bien manger …5 légumes et fruits ;
  • Avoir des activités physiques ;
  • Se soumettre à des examens médicaux périodiques etc…

Parallèlement Foucault prévoyait aussi que ce biopouvoir aurait des incidences sur la manière de traiter les autres, ce qui ne sont pas « les citoyens protégés ». Ce pouvoir tenterait de protéger ses concitoyens des « autres ».

Et c’est ainsi que, l’universitaire anglais introduit son article : <Vivre et laisser mourir : Michel Foucault avait-il prédit la crise des réfugiés ?> :

« En mars 1976, le philosophe Michel Foucault décrivait, sous le terme de « biopolitique », l’avènement d’une nouvelle logique de gouvernance propre aux sociétés libérales occidentales, obnubilées par la santé et le bien-être de leurs populations.

Quarante ans plus tard, force est de constater que les pays occidentaux ont, plus que jamais, à cœur de promouvoir une alimentation saine, proscrire le tabac, réglementer la consommation d’alcool, systématiser le dépistage du cancer du sein ou informer leurs citoyens sur les risques de contracter telle ou telle maladie.

Michel Foucault n’a jamais prétendu que cette tendance était regrettable, après tout elle sauve des vies. Il estimait, en revanche, que le fait d’accorder autant d’importance à la santé et la prospérité d’une population excluait de fait ceux qui n’y avaient pas accès et étaient considérés comme susceptibles de les mettre en danger.

La biopolitique est donc la politique du « vivre et laisser mourir ». En se focalisant sur sa propre population, un pays augmente les conditions susceptibles « d’exposer à la mort, de multiplier pour certains le risque de mort ».

Ce paradoxe aura rarement été plus manifeste que durant la crise qui, ces dernières années, a vu des centaines de milliers de personnes chercher refuge en Europe. Il est frappant de constater à quel point les sociétés européennes investissent chez elles dans la santé, tout en érigeant des barrières juridiques et matérielles toujours plus étanches afin de maintenir les réfugiés à distance. De fait, elles participent activement à la mort d’êtres humains.

Le conflit au Moyen-Orient est meurtrier. À elle seule, la guerre civile en Syrie a déjà fait 300 000 morts, selon la plupart des estimations. Elle nous donne à voir quelques-unes des pratiques les plus effroyables, dont le gazage de plusieurs milliers de civils à Damas en 2013.

Des groupes extrémistes comme Daech affichent une cruauté inconcevable. Ils décapitent leurs victimes à l’aide de couteaux ou d’explosifs, les enferment dans des cages avant de les brûler vives, les crucifient, les jettent du haut des immeubles et, plus récemment, ont fait sauter une voiture dans laquelle se trouvaient des passagers (un enfant aurait déclenché le dispositif). Cette violence s’est exportée en Europe. Et certaines des grandes villes syriennes ressemblent aujourd’hui au Stalingrad de 1943.

Évidemment, les populations fuient, comme l’avaient fait avant elles les Belges – par exemple – au début de la Première Guerre mondiale : le Royaume-Uni en avait accueilli 250 000, parfois au rythme de 16 000 chaque jour.

Mener une vie normale étant impossible sur la quasi-totalité du territoire syrien, l’émigration se poursuivra inévitablement tant qu’il restera des civils dans cette région dévastée par la guerre. […]

Confrontés au drame qui se joue à leurs portes, que font les États membres de l’Union européenne ?

Exactement ce qu’avait prédit Foucault. Hormis l’Allemagne, ils rivalisent d’imagination pour mettre en place des politiques visant à se prémunir contre l’arrivée des réfugiés et envoient des messages dissuasifs toujours plus explicites.

L’Autriche a ainsi décidé unilatéralement de fixer des quotas sur le nombre de demandeurs d’asile qu’elle acceptera quotidiennement, laissant la Grèce, en faillite, gérer seule l’afflux d’immigrés.

Une semaine plus tôt, Manuel Valls avait déclaré que la France et l’Europe ne pouvaient « accueillir plus de réfugiés ». […]

Au Danemark, la police est désormais autorisée à saisir les objets de valeur appartenant aux réfugiés, les privant ainsi du peu qu’il leur restait. La Slovaquie a, de son côté, décrété qu’elle n’accueillerait que des réfugiés syriens chrétiens, et pas plus de 200, au prétexte que les musulmans « ne se sentiraient pas chez eux » et ne seraient de toute façon pas acceptés par la population locale. […]

Les pays occidentaux, dont la politique d’immigration est de plus en plus implacable, importent aussi des technologies militaires destinées à établir des dispositifs de contrôle sophistiqués et des barrières infranchissables en Grèce, en Bulgarie ou dans les enclaves espagnoles au Maroc. Les « conditions favorables à la mort des autres » sont ainsi réunies. Les Syriens n’ont désormais que le choix de survivre chez eux ou d’entreprendre un voyage périlleux vers des pays sûrs mais totalement verrouillés.

Les théories plus ou moins complexes échafaudées pour justifier cette politique sont facilement réfutables, tant sur le plan rationnel que moral. Le seul raisonnement qui tienne est celui de Foucault.

En expliquant pourquoi une société aussi obsédée par la santé est capable (plus ou moins indirectement) de tuer des gens capables de contribuer à cette santé, Foucault lance un mot fort : le racisme, au sens large du terme.

Sa théorie, confirmée depuis par des milliers d’expériences en psychologie sociale, est la suivante : pour que des individus acquiescent à des politiques extrêmes et qu’ils les parent d’arguments moraux, ils doivent considérer les gens qui en sont victimes comme différents, extérieurs à leur communauté.

C’est pourquoi le Royaume-Uni, qui avait accueilli 250 000 Belges avec du thé et des gâteaux entre 1914 et 1916, contribue aujourd’hui, avec la majeure partie des pays de l’Union européenne, à la mort de milliers d’êtres humains ayant fui une guerre dans laquelle s’affrontent un régime dictatorial et le groupe terroriste le plus violent (quantitativement et peut-être qualitativement parlant) de tous les temps.

Le peu de moralité qui subsistait chez les États européens est en train de s’évaporer. »

C’est un autre regard sur la crise des migrants qui sont aux frontières de notre espace européen.

Je peux aussi vous inciter à écouter cette belle émission où Philippe Meyer avait invité Pascal Brice, directeur de L’OFPRA (l’Office français de protection des réfugiés et apatrides) qui d’une voix calme, posée explique avec intelligence et humanité le rôle de l’établissement qu’il dirige, toujours en se référant aux valeurs que sous-tendent le droit de réfugiés. Il montre aussi le défi auquel nous sommes confrontés.

<688>

Mercredi 20 Avril 2016

Mercredi 20 Avril 2016
«Premier ministre, ou président de la République ?
 Jamais […] la confusion des rôles n’a paru aussi évidente.»
Brice Couturier
Pendant que MEDIAPART réalisé son émission sur Nuit Debout, François Hollande s’essayait à la communication traditionnelle du Politique à travers une émission de télévision.
Brice Couturier dans sa chronique du lendemain  a réalisé cette analyse pertinente à mon sens :
« Jamais un chef de l’Etat ne s’était à ce point comporté en chef du gouvernement. Une conduite des affaires au ras du sol. Hier soir, le président de la République a plaidé avec conviction en faveur de l’action gouvernementale. S’il fallait résumer l’ensemble des propos qu’il a tenus d’une phrase, je retiendrais celle-ci : « J’ai engagé une politique qui commence à produire des résultats ».
Alors oui, tout y est passé ; de la baisse des charges sur les entreprises aux mesures en faveur du niveau de vie des étudiants, de l’augmentation du nombre des demandeurs d’asile à la réforme du Travail. Même si on peut regretter l’usage intempestif de la première personne du singulier, et sans se prononcer sur le fond, c’était un assez bon discours de chef du gouvernement. François Hollande a paru bien au fait des détails d’exécution de la politique menée, dont on avait l’impression qu’elle provenait toute de ses propres initiatives.
Mais François Hollande est-il premier ministre, ou président de la République ? Jamais autant qu’hier soir, la confusion des rôles n’a paru aussi évidente. La logique des institutions voudrait que le chef de l’Etat ne se mêle pas des péripéties de l’action gouvernementale.
Diriger le gouvernement, c’est le rôle du chef du gouvernement, le Premier ministre. Déjà Nicolas Sarkozy intervenait constamment et à propos de tout, perdant en chemin de vue les lignes directrices qu’il avait lui-même tracées. François Hollande, qui semble s’occuper de la gestion au jour le jour du pays, paraît dépourvu de toute vision historique. Est-ce la faute de ceux qui étaient chargés de le questionner ? C’est possible.
Mais enfin, pas un mot sur la crise – peut-être mortelle – que traverse le processus d’intégration européenne !
Les Pays-Bas viennent de voter contre l’Union européenne. Le risque du Brexit se rapproche dangereusement. Nous savons qu’une défection de la Grande-Bretagne déclencherait des réactions en chaîne incontrôlables. Le président de la République a-t-il imaginé des scénarii de sortie de crise ? Nous n’en savons rien. A nouveau, il s’avère que la Grèce ne pourra pas rembourser celles de ses dettes qui arrivent à échéance, cet été.
Faut-il envisager enfin le défaut pour ce pays et comment limiter ses effets sur les autres Etats membres de l’UE, dont le nôtre ?
L’Autriche est en train de construire un mur de barbelé sur sa frontière avec l’Italie, où arrivent 20 000 migrants par jour ; la Grèce est saturée. L’espace Schengen n’est plus qu’un souvenir. La Turquie ne veut pas accueillir sur son sol les migrants qui en sont partis, malgré les 6 milliards d’euros promis. Sommes-nous résignés à laisser la chancelière allemande piloter seule une Europe entrée dans une période de grave turbulence ? N’avons-nous pas nos propres idées, nos propres intérêts à faire prévaloir ? Si l’Europe se défait, quelles alternatives pour notre pays ?
Alors que le président américain, en fin de mandat, est affaibli, Vladimir Poutine multiplie les provocations militaires. Les relations entre la Russie et la Turquie, membre de l’OTAN, demeurent explosives. Elles peuvent dégénérer en un conflit ouvert. Qu’en pense le président de la République ?
Chacun sait que l’Algérie, pour cause de chute des ressources tirées de la vente du gaz et du pétrole, concomitante avec une fin de règne politique, va connaître, dans les mois ou les années qui viennent, une crise sociale gravissime. Comment en anticipons-nous les effets ?
Arnold Toynbee avait une formule : history is on the move again. Elle redevient d’une brulante actualité. Cela faisait longtemps que le mouvement de l’histoire n’avait pas subi une aussi forte accélération. En saisir les enjeux, en déceler les dangers et les opportunités est de la responsabilité d’un président de la République.
C’est pour que le pays ne soit plus jamais pris au dépourvu par les drames historiques que le général de Gaulle avait imaginé sa propre fonction, en la distinguant clairement de celle du premier ministre. Or, la dyarchie au sommet de l’Etat est devenue illisible. On ne sait plus où sont les responsabilités de chacun.
La meilleure preuve : les journalistes passent leur temps à demander au président de commenter l’action de son premier ministre. Et là encore, en s’attachant à la surface des choses, à un détail : le port du voile à l’Université. Quand c’était de la place de l’islam en France et en Europe – question historique – qu’il aurait dû être question. Décidément, le fonctionnement actuel de nos institutions, avec cette dyarchie absurde au sommet de l’exécutif, n’est pas tenable.
Elle est sans doute l’une des causes de l’immobilisme français. Et donc du malaise actuel. Du reste, nous aurons tout oublié avant un an. »
Je partage sans nuance cet avis de Brice Couturier.
Je le résumerai de cette manière : Si le président fait le job du premier ministre, d’abord le premier ministre ne sert à rien, ensuite personne ne fait le job du Président.
On peut être critique avec les « Nuits debout » mais quand on voit et on entend François Hollande, on ne peut que les comprendre.
Je l’écris : c’est consternant. Nous sommes en face d’un technicien  qui considère que chaque problème nécessite un ajustement technique : il faut modifier un paramètre…alors que nous changeons de monde !
C’est Marcel Gauchet qui a eu cette formule que je cite de mémoire : « Le gouvernement présente la Loi El Komri comme un simple problème technique qu’il faut résoudre pour améliorer la situation. Mais il ne dit pas, quel est le sens de cette Loi. Quelle est la société que sous-tend cette réforme ? Quelle est la place du travail, de l’emploi, de la vie familiale, des projets de vie des jeunes dans un tel contexte ? »
Si le Président de la République ne donne pas ce sens, à quoi sert-il ?
80% des Français ne veulent plus de lui ni de Nicolas Sarkozy pour les élections présidentielles 2017.
Comment s’en étonner ?
Alors je fais un rêve démocratique.
Vous souvenez qu’en 2005, François Hollande et Nicolas Sarkozy avait fait plusieurs actions communes pour défendre le même point de vue : Le Oui au traité constitutionnel que les français ont d’ailleurs rejeté.
Alors je rêve qu’ils deviennent, tous deux, lucides et réalistes et refassent ensemble une tribune dans laquelle ils diraient « Nous avons compris le message des français et nous comprenons aussi le besoin de renouvellement dont a besoin le corps politique français et nous avons décidé tous les deux de ne pas être candidat aux prochaines élections présidentielles pour permettre cette respiration démocratique »
Je fais partie de ces personnes qui ne désespèrent jamais de l’intelligence des gens, même si souvent je dois me résoudre à conclure ce n’est pas encore gagné.

Mardi 19 Avril 2016

Mardi 19 Avril 2016
«Je ne crois pas que quoique ce soit de révolutionnaire ait jamais été inventé par un comité»
Steve Wozniak, le cofondateur d’Apple avec Steve Jobs
J’ai trouvé un article dans Slate : http://www.slate.fr/story/116177/creatif-temps-isole-reste-du-monde dont le titre est : «Pour être créatif, passez du temps isolé du reste du monde». Cet article renvoie vers un article anglais sur le site <Quartz> et rapporte :
«Un bon ingénieur, c’est un peu comme un artiste. Steve Wozniak, le cofondateur d’Apple, se considère un peu comme un artiste. Selon lui, les ingénieurs qui ont apporté des inventions majeures à l’humanité travaillent comme les créateurs: seuls. «Je ne crois pas que quoique ce soit de révolutionnaire ait jamais été inventé par un comité», écrit-il à propos du processus d’innovation. Des études ont d’ailleurs montré la supériorité de la réflexion solitaire sur la génération d’idées en groupe.
Cette sagesse se heurte à la marche d’un monde dans lequel chacun est toujours plus connecté aux autres, que ce soit dans l’espace physique ou par l’intermédiaire des technologies de communication à distance, et à des sollicitations innombrables qui empruntent les multiples canaux du marketing.  Dans ce contexte hostile d’infobésité permanente, un article de Quartz insiste sur les vertus du travail solitaire, à une époque où la demande de créativité a supplanté l’exigence de conformité aux normes dans le domaine professionnel. Cette capacité à travailler seul n’est cependant pas comparable avec un état d’ennui, et encore moins avec la détresse de la solitude. Il s’agit plutôt d’un état de complétude dans lequel l’individu donne le meilleur de lui-même.
Selon Ester Buchholz, psychologue et auteure d’un essai sur la solitude, «les autres nous inspirent, les informations nous nourrissent, la pratique améliore notre performance, mais nous avons besoin de moments de calme pour comprendre les choses, faire des découvertes et pour faire émerger des réponses originales.»
Cela suppose par contre d’affronter ses émotions et de faire face à ses souvenirs sur de longues périodes. Ou, comme le formule la romancière danoise Dorthe Nors, à rester dans une zone d’inconfort émotionnel pour en tirer l’inspiration. Sans devenir ermite pour autant, être capable de s’isoler peut donc s’avérer bénéfique.»
Voilà qui est dit ! Et je reviens vers le mouvement Nuit debout.
Et je vais commencer par ce qui fait mal, parce que bien sûr ce mouvement est comme tous les autres infiltrés par des « cons ». Il y a les casseurs, mais il y a aussi les intolérants qui ont chassé Alain Finkielkraut de la Place de la République où il était simplement allé  pour écouter.
Le reste est relaté par le site Slate.fr :
«L’expédition aura été de courte durée. Alors qu’il venait d’arriver place de la République à Paris « pour écouter » les revendications des participants au mouvement « Nuit debout », qui dure depuis maintenant plus de deux semaines, Alain Finkielkraut a rapidement été pris à partie. Des clips postés sur les réseaux sociaux montrent que le philosophe polémique a notamment été accueilli samedi 16 avril par des manifestants qui lui ont lancé « casse-toi » ou encore « facho ». « Saloperies », « fascistes »[…]
Interrogé par le « Cercle des Volontaires » alors qu’il quittait la place de la République, Alain Finkielkraut a expliqué qu’il ne venait « même pas pour intervenir ou faire valoir [ses] idées » mais seulement pour « écouter ». « On a voulu purifier la place de la République de ma présence », a-t-il estimé en présence de sa femme. « Je pense que s’il n’y avait pas eu de service d’ordre, je me faisais lyncher ». « J’ai été expulsé d’une place où doivent régner la démocratie et le pluralisme, donc cette démocratie c’est du bobard, ce pluralisme c’est un mensonge », a encore regretté le philosophe»
Voilà qui est dit aussi !
Nuit debout fait suite à d’autres mouvements comme <Occupy Wall Street>, d’ailleurs le mouvement a eu la visite de <David Graeber, l’anthropologue qui s’était beaucoup impliqué dans ce mouvement> . Aujourd’hui, la candidature et le succès rencontré par Bernie Sanders dans les primaires Démocrate et qui ose dire qu’il est socialiste est une continuation de ce mouvement. <Le journal les inrocks.com débat d’ailleurs de ce rapprochement entre Nuit debout et occupy wall street>
En Espagne il y eut le mouvement des Indignés (Indignados en espagnol), cette fois c’est le parti <Podemos> avec son leader <Pablo Iglesias>  qui sont issus de cette initiative.
Nuit debout veut être un mouvement différent, notamment en refusant de générer des leaders pour éviter la dérive Podemos, les participants semblent particulièrement inquiet d’une possible récupération politique ou médiatique.
Comme je ne me sens pas l’énergie ni la santé pour aller voir de mes propres yeux, je suis obligé d’entendre le témoignage d’autres : <Ainsi Bernard Lavilliers qui déclare sur Europe 1> : «Cette place de la République c’est un forum […] Nuit debout se réclame d’une forme d’anarchie. Cette place de la République, c’est un forum, Il y a des ‘y a qu’à’ et des ‘faudrait’, mais je trouve ça pas mal. Ça n’a rien à voir avec la loi Travail, c’est certainement parti de là mais ça s’est étendu à beaucoup d’autres choses […Comme par exemple] cette sorte de tyrannie des énarques, qui sont d’une arrogance incroyable et se penchent sur les problèmes du peuple, et dont le peuple ne veut plus. »
Evidemment le journal <Le Figaro> est beaucoup plus critique:
« Ce qui frappe au premier abord dans la Nuit Debout, c’est la forte homogénéité sociale du mouvement. D’ordinaire, la place de la République est bigarrée. Ce sentiment de mélange est volontiers accru par les événements qui se déroulent régulièrement sur la place: occupation périodique par des migrants ou par des familles africaines menacées d’expulsion et protégées par le Droit au Logement, mais aussi quadrillage par les familles Roms qui dorment dans la rue avec leurs bébés et leurs enfants. Le tour de force de la Nuit Debout est de babiller sans lassitude apparente sur le sexe des anges solidaires, de gauche, révolutionnaires, progressistes et autres adjectifs bisounours, dans un entre soi très bien huilé. Ici, on est bien, on est tranquille, on est humaniste, mais on est d’abord des quartiers centraux de Paris. On adore dénoncer la précarité et la discrimination, mais selon l’étiquette bobo en vigueur, qui accorde une place nulle aux «minorités visibles», manifestement peu intéressées par les sujets qui se traitent. […]
Une autre caractéristique de la Nuit Debout tient à son aversion pour le salarié. C’est l’Autre: on le plaint, on se bat pour lui, mais on ne le côtoie pas. Tout est fait, dans la Nuit Debout, pour le décourager de venir. Le premier argument est dans la définition même de la manifestation: nocturne, noctambule, elle n’est guère accessible à celui qui sort fourbu d’une journée de travail et qui doit embrayer tôt le lendemain. Il peut venir, certes, de temps à autre. Mais il doit attendre pendant des heures avant de pouvoir parler pendant trois minutes selon un formalisme figé qui laisse peu de place à l’amateurisme. Dans la Nuit Debout, le salarié, le prolétaire, est une icône. On aime le voir en peinture, mais il ne faudrait pas qu’il s’imagine changer les choses au jour le jour. La preuve? Le mouvement a finalement considéré que la résistance à la loi El-Khomri était un prétexte un peu vain, et qu’il valait mieux refaire le monde sans parler d’actualité. […]
Cette dominante sociologique s’explique par le caractère faussement improvisé du mouvement. Depuis longtemps, les indignés français sont noyautés par un petit groupe d’intellectuels auto-centrés qui n’ont nulle envie de se mélanger à d’horribles petits bourgeois qui procréent, qui s’occupent de leurs moutards et qui cultivent les relations familiales. Ceux-là sont des catholiques intégristes en puissance qu’il faut écarter.»
Cet article, publié le 8 avril, prédisait une fin rapide de cet incongruité : «Fait par les Blancs pour les Blancs, fait par les bourgeois pour les bourgeois, fait par les bobos pour les bobos, il ne devrait pas tarder à mourir de sa belle mort, à moins qu’une mutation du virus ne conduisent à une radicalisation et une popularisation inattendue.»
Il semble cependant que le mouvement soit parvenu à essaimer en banlieue, nuançant ainsi un peu la prédiction ou l’espoir du Figaro.
Car en effet, c’est bien la démocratie représentative qui est en questionnement.
Quand on écoute le Président de la République actuel s’exprimer à la télévision, on oscille entre la compassion (il fait ce qu’il peut et il peut peu), l’exaspération (il dit des choses totalement en décalage avec ce que vivent les gens du type ça va mieux, les outils sont en place pour une amélioration) le découragement (il ne donne aucun sens à son action, on ne comprend pas où on va, on ignore ce qu’imagine cet homme du passé, du monde de demain).
Il est donc pertinent de trouver de nouvelles pistes.
Mais est-ce dans la possibilité de Nuit debout.
Que pensent-ils ? Vers quoi voudraient-ils aller ?
Ils répètent que c’est trop tôt, qu’il faut attendre les réflexions des commissions, des AG etc…
Il y a quand même Frédéric Lordon qui s’exprime, mais comme simple participant parmi d’autres bien qu’il soit probablement celui qui dispose de la pensée la plus structurée et la plus aboutie.
Alors vous verrez <Ici> (à partir de 3’50) son intervention du 9 avril 2016 dans laquelle il n’appelle pas à la grève générale mais dit que c’est la conséquence normale du mouvement et que dans un élan Proudhonien <La propriété c’est le vol>, il appelle à la fin de la propriété privée.
Je n’affirme pas que ce n’est pas la solution de nos problèmes mais j’ai l’intuition que cette idée n’a pas beaucoup vocation à prospérer au niveau national et encore moins dans l’Europe telle qu’elle existe actuellement.
Pour aller plus loin, je vous invite à lire son entretien à la revue écologique « Reporterre » : « Il faut cesser de dire ce que nous ne voulons pas pour commencer à dire ce que nous voulons »
Tout ceci me laisse assez songeur et j’en reviens à l’exergue du mot du jour : «Je ne crois pas que quoique ce soit de révolutionnaire ait jamais été inventé par un comité»
J’exprime donc une grande perplexité quant aux débouchés concrets et rapides des réflexions qui peuvent sortir des brain storming des commissions et Assemblée Générale de ce mouvement.
Cela étant, il est rassurant et positif, qu’à l’ère du numérique,  des gens et singulièrement des jeunes, se réunissent physiquement pour parler ensemble, sur une place emblématique de Paris, de se voir, d’être en face à face.
C’est pourquoi je continuerai à regarder ce mouvement avec bienveillance s’il ne s’abime pas dans la violence et qu’il parvient à canaliser les crétins qui se sont attaqués physiquement et verbalement à Alain Finkielkraut.

Lundi 18 avril 2016 ou du 49 mars 2016

« Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. »
Pierre Victurnien Vergniaud

Ce matin nous sommes le 49 mars du calendrier du mouvement « Nuit debout ».

Ce mouvement étonnant a démarré le 31 mars et, probablement en référence au calendrier révolutionnaire, a voulu créer un nouveau calendrier. Ils ont fait simple, continuer indéfiniment le mois de mars qui a vu le début de ce mouvement.

Mais MEDIAPART a consacré une « soirée live » à ce mouvement et a invité des participants à s’exprimer, ce qui est difficile puisqu’ils refusent de nommer des porte-paroles et qu’ils se méfient énormément des médias. Finalement, MEDIAPART probablement en raison de son positionnement est arrivé à en convaincre quelques-uns. < C’est ici>

Parmi les invités, il y avait Leila Chaibi, membre du Parti de gauche et ancienne candidate aux municipales à Paris. Elle fait partie des initiateurs de ce mouvement, c’est ce qu’elle explique dans l’émission de Mediapart, avec le journal FAKIR d’Amiens qui annonce d’entrée :

« Journal fâché avec tout le monde. Ou presque »

Wikipedia nous apprend que

« Fakir est un journal indépendant et alternatif engagé à gauche. Il a été créé en 1999 à Amiens, en Picardie. Selon deux formules consacrées présentes au début de chacun de ses numéros, le journal se présente comme n’étant lié à « aucun parti politique, aucun syndicat, aucune institution » et comme « entièrement rédigé et illustré par des bénévoles ». Il connaît une diffusion nationale depuis le 26 avril 2009. Le magazine confectionné à Amiens diffuse entre 10 000 et 20 000 exemplaires par numéro.»

Le rédacteur en chef et fondateur de ce journal est <François Ruffin>.

Pour le situer un peu, on apprend qu’il a participé comme reporter plusieurs fois à l’émission de France Inter<Là-bas si j’y suis de Daniel Mermet> qui a été supprimé dans la polémique en 2014. François Ruffin a pris la défense de Daniel Mermet.

Et en 2015, il réalise son premier film, « Merci Patron ! », film critiquant Bernard Arnault, dont la sortie nationale a eu lieu le 24 février 2016. Ce film a aussi joué un rôle de premier plan, un rôle fédérateur dans le déclenchement de ce mouvement.

Je n’ai pas encore eu l’occasion de le voir, Bien que Pascale me l’ait vivement conseillé en précisant qu’il devrait me plaire.

Le mouvement DAL « Droit au logement » a également été présent dans le tout début du mouvement, notamment pour le conseil logistique.

Et enfin il y a l’intellectuel Frédéric Lordon, dont j’ai déjà parlé (en bien).

Tout ceci pour dire, comme le révèle Leila Chaibi, que ce mouvement n’est pas venu de nulle part, une création spontanée ex nihilo.

Au départ, il y a la mobilisation contre la Loi Travail et l’idée de quelques-uns dont notamment ceux cités précédemment qui ont eu l’intuition qu’il ne fallait pas manifester et puis rentrer chez soi. Mais qu’il fallait se réunir, parler ensemble, créer un élan démocratique, ce qu’ils appellent un mouvement horizontal dans un monde où la démocratie représentative est à bout de souffle en France, mais aussi dans tous les autres pays occidentaux.

Cela commence à 16′ de l’émission de Mediapart donné en lien en début de message.

Le mot d’ordre du noyau de ce mouvement était : on ne rentre pas chez nous après la manif.

Et puis ils se sont posés la question de Lénine <Que faire ?>

Une première idée était de réaliser un tract de revendication dans une perspective de «convergence des luttes », concept qui a été abondamment repris dans leurs discussions.

Cette première idée a été repoussée pour faire place à cette innovation qui me paraît très intéressante : Mettre en place une organisation (logistique, repas, concert, les règles de prise de parole…) permettant à tous ceux qui le souhaitent de débattre, sans que les initiateurs prennent un rôle prépondérant.

Cette position qui semble respecté, pour l’instant, constitue la force du mouvement mais aussi sa faiblesse pour aller plus loin et se structurer.

Pour revenir à Leila Chaibi, elle raconte donc que l’appel à se réunir « Place de la République » et à organiser les échanges, devait s’accompagner d’un site internet et qu’il fallait donc trouver un nom. [Se trouve à 33:30 de l’émission de Mediapart] :«Au départ on a pensé à « convergence des luttes ». Puis on a pensé aux « nuits blanches » qui sont organisées par la mairie de Paris et on a proposé « Nuit Rouge ». Et Lordon a dit : « attention, l’objectif n’est pas de se retrouver entre nous, entre militants [de la gauche de la gauche]. L’objectif est de faire un mouvement massif, alors attention au vocabulaire trop marqué mouvement ouvrier ou gauchiste. » Alors en référence à la citation de La Boétie « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. » nous avons décidé d’appeler ce mouvement la nuit debout »

A ce stade de mon étude je suis retourné vers l’extraordinaire encyclopédie, Wikipedia à laquelle il faudra bien que je consacre un mot du jour, tant cette institution est une formidable et positive création de l’esprit collaboratif et de la modernité.

Donc Wikipedia nous apprend dans son article consacré à <La servitude volontaire de la Boétie> qu’«On attribue à tort, semble-t-il, la citation suivante à ce texte, car elle ne peut être trouvée dans aucun des principaux textes publiés : « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. ». En réalité, elle provient de Pierre Victurnien Vergniaud». Vergniaud qui fut un des leaders des girondins.

C’est toujours Wikipédia qui nous apprend que «Pierre Victurnien Vergniaud (31 mai 1753 à Limoges – guillotiné 31 octobre 1793 à Paris) était un avocat, homme politique et révolutionnaire français. Bien plus que l’orateur du parti girondin, il fut l’un des plus grands orateurs de la Révolution française. Il reste un des grands acteurs de la Révolution. Président à plusieurs reprises de l’Assemblée législative et de la Convention nationale, c’est lui qui déclara la « patrie en danger » (discours du 3 juillet 1792). C’est également lui qui prononça la suspension du roi au 10 août 1792 et le verdict qui condamna Louis XVI à la mort. Il fut pour beaucoup dans la chute du trône, et la levée en masse des citoyens pour la guerre. »

J’ai consacré, une grande partie de mon temps de cerveau disponible de ces derniers jours à m’intéresser à ce mouvement « Nuit debout », mais je m’aperçois que ce mot du jour va devenir de longueur exagérée si je ne m’interromps pas.

Alors je voudrais simplement faire part de la réflexion d’une amie qui m’a été rapporté par Annie et qui remarquait que l’échange de parole, la qualité de l’écoute sur la Place de la République était absolument remarquable, un vrai travail moderne de professionnel des débats.

Le symbole de cette organisation étant les gestes codifiés que vous trouverez ci-après et qui permettent à la foule de réagir immédiatement à ce que l’orateur dit :

Nuit debout  a donc un site : http://www.nuitdebout.fr/

Et déjà une page Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Nuit_debout

J’en resterai à ce stade pour le mot du jour d’aujourd’hui.

Je regarde ce mouvement avec sympathie, étonnement mais aussi un peu d’incrédulité sur son devenir et sa capacité à faire bouger les choses.

L’exergue du mot du jour « Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. » est en revanche une formule qui me paraît plein de sens, dans ce monde où les 1% les plus riches accaparent une part de plus en plus extravagante des richesses produites.

Mais toute la question est aussi de savoir : pourquoi sommes-nous à genoux ?

Cette question pouvant se décliner sur deux modes : Qu’avons-nous à perdre ? Ou qu’avons-nous à gagner à la conservation du système actuel ?

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