Lundi 25 décembre 2017

« L’œuf alsacien pèse 50 grammes ! »
Solution donnée par une vieille alsacienne à un lorrain qui loupait les gâteaux de noël alsaciens

Noël est une fête chrétienne, puisqu’elle célèbre la naissance de leur Messie.

Nous savons que la date qui a été choisie permettait de remplacer une fête païenne située autour du solstice d’hiver, moment particulier de l’année solaire où les jours recommencent à croitre. C’est le recul de la nuit !

Notre civilisation occidentale, avec son consumérisme exacerbé, en a fait une immense fête commerciale, jusqu’à la nausée.

C’est pourquoi certains, dont je fais partie sont très mal à l’aise avec cette fête.

Ce malaise est d’ailleurs plus général, dans la mesure où toutes forces politiques qui gouvernent et les forces économiques qui dominent n’ont qu’une solution à proposer : la croissance. La croissance, cela signifie l’extension sans fin de la marchandisation du monde et une consommation de plus en plus étendue.

J’entends bien, de ci delà quelques prophètes de la décroissance s’exprimer ou d’autres célébrer la sobriété heureuse. Mais ils ne décrivent pas un monde crédible sans une intervention d’une administration mondiale régulatrice et contraignante. Sans compter que pour l’instant, dans l’histoire de l’humanité, de telles bureaucraties ont toujours dérivé vers des régimes d’oppression et encore plus corrompus que nos régimes libéraux, la division du monde ne permet pas de croire à échelle humaine à une telle gouvernance mondiale.

Et puis, tout dans le comportement des masses mondiales et françaises ne va pas dans ce sens, je veux dire d’une moindre addiction à la consommation frénétique.

Noël est aussi une fête où, dans nos contrées, les familles se réunissent. Cet aspect de Noël est positif et bienveillant. Ce fondement de la fête est dur à vivre pour celles et ceux qui sont privés de famille ou dont la famille est désunie et non accueillante.

Pour le lorrain que je suis, il y a encore une autre joie de noël, c’est la période où on fait et on mange des gâteaux de Noël. Gâteaux de Noël dont beaucoup relèvent de la tradition de la région voisine et rivale : l’Alsace.

Munis de recettes j’essayais vainement de réussir les gâteaux à l’anis et les macarons comme les faisaient ma mère.

Le plus souvent j’échouais.

Jusqu’à avoir entendu, via notre amie Françoise, l’avis d’une vieille cuisinière alsacienne.

Les recettes traditionnelles alsaciennes nécessitent un savant équilibre entre la farine, le sucre, le beurre, les noisettes, les amandes etc… ET LES ŒUFS.

Quand on vous écrit qu’il faut 600 grammes de farine et 500 grammes de sucre et 6 œufs entiers. Les 6 œufs pèsent chacun 50 g, et donc les 6, 300g. Si vos œufs pèsent 400 g ou 220 g, l’équilibre de la recette est rompu. Dans ces cas vos gâteaux s’effondrent lamentablement ou sont trop secs, en tout cas présentent un aspect dégradé.

Les alsaciens sont des gens rigoureux et normés, c’est pour cela que nous autres lorrains avons parfois du mal avec eux.

En tout cas, dans les recettes alsaciennes : un œuf pèse 50g, le blanc 30g et le jaune 20.

C’est ainsi, cela ne se discute pas.

Pour être complet, dans certains gâteaux les œufs n’ont pas la même importance et dans ces cas-là l’approximation n’est pas dirimante.

Mais pour les macarons aux amandes ou les gâteaux à l’anis aucune dérive n’est acceptée !

Avec les gâteaux de Noël, la fête de Noël redevient un enchantement.

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Vendredi 22 décembre 2017

« La vie secrète des arbres »
Peter Wohlleben

Le mot du jour va s’interrompre pour une sorte de trêve de Noël que je préfère à la formule « la trêve des confiseurs ».

Juste avant Noël, je voudrais partager avec vous un livre que nous avons acheté, Annie et moi, pour nous l’offrir « La vie secrète des arbres » de Peter Wohlleben

J’ai découvert Peter Wohlleben parce qu’il avait été invité aux « matins de France Culture » du 8 décembre 2017.

Peter Wohlleben est un ingénieur forestier qui a cherché à comprendre la forêt et à décrire la vie des arbres, tout en précisant souvent qu’il y a beaucoup de choses qu’on ne sait pas encore. Selon lui, les forêts ressemblent à des communautés humaines. Les parents vivent avec leurs enfants, et les aident à grandir. Les arbres répondent avec ingéniosité aux dangers. Leur système radiculaire, semblable à un réseau internet végétal, leur permet de partager des nutriments avec les arbres malades mais aussi de communiquer entre eux. Et leurs racines peuvent perdurer plus de dix mille ans…

Dans l’émission, Peter Wohlleben remet les choses en perspective et donne une leçon d’humilité aux hommes :

« Nous avons toujours considéré les arbres comme au service de l’humanité, qui produisent pour nous de l’oxygène. Ce n’est pas ça qu’ils font. Les arbres existent depuis 300 millions d’années, les hommes depuis 300 000 ans, les forestiers depuis 300 ans. »

Emission et recherches passionnantes !

J’ai trouvé une interview dans Libération où il explique son parcours et ce qu’il a appris et aussi compris grâce aux travaux des biologistes :

Enfant, Peter Wohlleben voulait protéger la nature. Devenu forestier, il s’est mis à martyriser les arbres, appliquant les consignes de son employeur, l’administration forestière d’Etat allemande. La forêt qu’il exploitait n’était qu’une source de matière première pour les scieries. Il en savait «autant sur la vie secrète des arbres qu’un boucher sur la vie affective des animaux», se souvient-il. Les visiteurs de sa forêt, située sur la commune de Hümmel, au sud de Bonn, ont tout changé. Leur émerveillement a réveillé sa passion et remis en cause sa façon de travailler.

Les arbres ont tant de facultés :

« Il y en a tant ! On sait qu’ils sont connectés les uns aux autres via les racines et nourrissent ainsi les plus faibles. Une étude de l’université de Vancouver a même montré qu’une «mère-arbre» peut détecter ses jeunes plants avec ses racines. On a mesuré qu’elle soutient davantage ces derniers. Les arbres décident bel et bien avec qui ils se connectent. Et ils ont une mémoire. En cas de sécheresse, le bois se déshydrate, se fissure. L’arbre blessé s’en souvient toute sa vie et change de stratégie dès le printemps suivant en réduisant sa consommation d’eau. Les vieux seraient même capables de partager cette information avec les plus jeunes, de les «éduquer». »

Nous apprenons donc que les arbres communiquent :

« Oui, ils peuvent avertir leurs congénères d’une attaque d’insectes, appeler à la rescousse les prédateurs des parasites. Les ormes se débarrassent des chenilles en émettant des substances attirant des petites guêpes qui pondent dans celles-ci. Les arbres sont capables d’identifier la salive des chenilles en la distinguant de celle d’un cervidé et ainsi adopter la stratégie de défense adaptée. Si c’est une biche qui les croque, ils envoient dans leurs rameaux des substances toxiques ou amères. Ce qui prouve qu’ils ont le sens du goût. Ils peuvent aussi «voir» la longueur des jours, «sentir» des messages olfactifs ou la température de l’air. Ils sont peut-être même dotés de l’ouïe : il a été prouvé que les racines de céréales émettent un son et que celles des plantes alentour se dirigent alors dans cette direction. »

Peter Wohlleben parlent aussi des nombreuses questions non résolues, par exemple de la mémoire :

« En premier lieu, où les arbres stockent-ils leur mémoire ? Ils n’ont pas de cerveau tel que le nôtre. Mais nous savons qu’ils stockent les connaissances acquises. Par exemple, ils comptent les journées chaudes au printemps pour éviter de fleurir trop tôt. Ils savent que trois jours chauds ne suffisent pas, qu’il faut encore attendre. Sans mémoire, chaque jour serait compté comme étant le premier. Ensuite, j’aimerais savoir s’ils communiquent sur d’autres sujets que les dangers détectés. Je rêve d’un dictionnaire chimique permettant d’analyser leurs messages olfactifs. Peut-être parlent-ils de la météo, de ce qu’ils ressentent. Notre nez peut déjà déceler certains signaux. Une odeur aromatique, l’été, dans les forêts de conifères signifie qu’ils s’avertissent : il fait trop sec, trop chaud, des insectes attaquent… Ces forêts sont le plus souvent plantées, donc vulnérables. Malgré la senteur agréable et même si nous n’en avons pas conscience, notre corps perçoit l’appel à l’aide. Des recherches ont montré que notre pression artérielle augmente dans ce type de forêts et baisse dans celles de feuillus intacts, qui échangent sans doute des signaux de bien-être. Nombre de visiteurs de notre réserve de hêtres me disent qu’ils s’y sentent chez eux, dans leur élément. »

Il insiste aussi beaucoup sur la solidarité qu’ils manifestent les uns à l’égard des autres. C’est encore la culture de l’entraide.

La journaliste de Libération lui pose la question de son excès d’anthropomorphisme pour parler des arbres. Il y répond simplement :

Quand j’ai commencé à animer des visites guidées, j’abordais des notions trop ardues, je décrivais les arbres sans langage imagé, les gens s’ennuyaient. J’ai appris à parler de façon compréhensible, en faisant appel aux émotions. Et on ne peut comparer qu’avec ce qu’on connaît. Quand je dis qu’une mère-arbre allaite ses plantules grâce à la connexion de leurs racines, chacun comprend.

Parce que bien entendu les arbres sont très différents des humains par exemple il communique de manière très différente de nous. Ils ne parlent pas mais cela n’empêche pas les arbres de communiquer. En émettant des substances odorantes, ils échangent chimiquement, et électriquement aussi. Il suffit de soulever un bout de terre en forêt pour découvrir des filaments blancs. Il s’agit d’hyphes de champignons, qui participent, avec les racines, à la transmission d’informations sur la sécheresse du sol, une attaque d’insectes ou tout autre péril. Ces fils, qui fonctionnent sur le même principe qu’Internet, forment un réseau souterrain si dense que des scientifiques l’ont baptisé le « Wood Wide Web ». Difficile de déterminer le type et le volume d’informations communiquées tant la recherche est embryonnaire sur le sujet.

Il aborde encore beaucoup d’autres aspects celui du temps des arbres qui n’est bien sûr pas celui des humains et celui de l’interventionnisme des hommes dans les forêts qu’il juge contre-productive :

« Moins on intervient, plus une forêt est équilibrée, saine, résistante aux maladies ou aux tempêtes. Protéger une forêt ne nous fait pas perdre en qualité de vie, au contraire. Seule l’industrie du bois y perd. L’idée n’est pas de les protéger toutes – nous en sommes d’ailleurs très loin : en Allemagne, à peine 1,9 % des forêts le sont. Car nous aurons toujours besoin de bois, ne serait-ce que pour produire du papier. Mais nous pouvons changer nos pratiques. Une forêt exploitée subit toujours des dommages, mais on peut les minimiser. Pour sortir les troncs, mieux vaut des chevaux de trait que des engins qui tassent le sol. Quand ce dernier est détruit, il l’est pour toujours et ne peut plus stocker assez d’eau. Il faut aussi bannir les pesticides, car un écosystème est comme une horloge : si vous en détruisez un rouage, il ne fonctionne plus. Or c’est ce que font les produits chimiques. […]

Le temps des humains ne correspond pas à celui des arbres. On veut des résultats rapides, d’où toutes ces plantations où les arbres grandissent vite mais sont fragiles. Restaurer une forêt primaire prend cinq cents ans. Cela paraît énorme, mais c’est la longévité normale d’un arbre. Or, quand vous laissez les forêts vieillir, elles régulent le climat. Leur microclimat local, mais aussi le climat mondial, en absorbant beaucoup de CO2. Des recherches ont été faites sur des forêts de hêtres. Les chaudes journées d’été, celles laissées intactes sont plus fraîches de 3,5°C en moyenne que celles exploitées. Les forêts peuvent nous aider à lutter contre le changement climatique, à condition que nous leur permettions de faire leur job. »

Un autre article rapporte la solidarité et la « la vie sociale » des arbres :

« Par ailleurs, l’arbre a tendance à créer des colonies. Sexué, dans la forêt, il distribue des graines autour de lui et parvient ainsi à se reproduire. Dans le même temps, ses racines grandissent et s’étendent alentour, permettant à ses descendants de pousser. Le Dr Suzanne Simard, professeur d’écologie forestière à l’université de la Colombie-Britannique, parle même d’«arbres-mères qui allaitent leurs enfants», leur assurant un approvisionnement régulier à travers les champignons mycorhiziens qui entretiennent des relations avec leurs racines. Ces champignons, véritables partenaires des arbres, poussent sous la surface du tapis forestier et créent des interconnexions, donc des échanges d’une plante à l’autre même lorsqu’elles appartiennent à des espèces différentes. »

Tout un monde ignoré. Un monde d’intelligence partagée et de solidarité.

Un film a été réalisé à partir du livre : « L’intelligence des arbres ».

Vous en trouverez un extrait <ICI> et vous pourrez enchainer sur 4 autres.

Le prochain mot du jour sera publié, sauf force majeure, le lundi 8 janvier 2018

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Jeudi 21 décembre 2017

« Donald Trump est toujours président des Etats-Unis »
Constatation de la réalité alors que son biographe nous avait donné l’espoir qu’il démissionnerait à l’automne.

Aujourd’hui j’exerce un droit de suite.

Le mot du jour du 28 août 2017 donnait cette prédiction :

« Mais si on peut croire le biographe de Trump, nous serons bientôt débarrassés de cet <histrion>, car comme <Le Point> le relate l’écrivain américain Tony Schwartz qui est l’auteur des mémoires du milliardaire, The Art of the Deal (1987) est persuadé que l’affaire russe aura raison de la présidence du 45e président des États-Unis et que ce dernier démissionnera dès l’automne. Le 21 décembre, nous serons à la fin de l’automne et nous examinerons si cette prédiction hardie s’est révélée exacte. »

Nous sommes le 21 décembre, jour du solstice d’hiver, donc fin de l’automne. Force est de constater que Donald Trump est toujours président des Etats-Unis. C’était donc encore une fake news !

Donald Trump, récemment, pour garder le soutien des évangélistes, a accepté que l’ambassade des Etats-Unis soit transférée de Tel-Aviv à Jérusalem.

Mais ce n’est que l’écume des choses.

En profondeur et en plein accord avec la majorité républicaine, il a fait passer une baisse énorme des impôts.

Vous pouvez lire cet article de « Nouriel Roubini »

Parallèlement un groupe d’économistes dont Thomas Picketty ont publié un nouveau rapport sur les inégalités mondiales, dont vous trouverez une synthèse : <ICI>.

Les inégalités croissent au niveau des revenus, comme au niveau des patrimoines.

Elles ne croissent pas dans les mêmes proportions dans toutes les régions du monde, elles croissent davantage aux Etats-Unis qu’en France et en Europe.

Résumons la situation en quelques mots :

Trump a été élu par les blancs et même les blanches qui ont oublié le machisme de cet homme. C’étaient les blancs de la classe moyenne qui ont constaté que leurs revenus stagnaient depuis 30 ans.

Dans le rapport sur les inégalités on comprend que les Etats-Unis sont toujours en croissance mais que cette croissance profite à un très petit nombre d’individus.

Les Etats-Unis, par les brevets, la recherche et le développement, la créativité continuent à dominer largement le monde. Mais des entrepreneurs avisés ont compris que pour faire davantage de profits il faut délocaliser la partie matérielle et industrieuse de l’activité.

Le problème essentiel est donc, pour les classes moyennes blanches américaines, un problème de répartition des richesses entre américains, en amont sur les revenus, en aval de redistribution par les impôts.

Non seulement Donald Trump ne règle pas le problème, mais il l’aggrave. Mais je rappelle qu’il n’est pas seul, sur ce point le Parti Républicain le soutient pleinement.

Le pire c’est que je suis persuadé qu’à terme ce processus est aussi délétère pour les plus riches.

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Mercredi 20 décembre 2017

« Mais je suis persuadé qu’on arrive dans l’âge de l’entraide parce que ce sont les plus individualistes qui crèveront les premiers. »
Pablo Servigne

Avant d’écrire le livre sur l’entraide évoqué lundi, Pablo Servigne associé à Raphaël Stevens avait écrit en 2015 : « Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes »

Ils avaient inventé à cette occasion le mot «collapsologie» du latin collapsus «qui est tombé en un seul bloc » et qui a pour définition : « Étude multidisciplinaire de l’effondrement des civilisations industrielles et de ses suites. »

Pablo Servigne et ses collègues voudraient en faire une discipline scientifique. Ils ont d’ailleurs consacré un site à cet effet : http://www.collapsologie.fr/

Pour poursuivre la réflexion de lundi et de mardi, je voudrai partager un article auquel Pablo Servigne a participé à la suite de la publication de son livre et de ses réflexions sur la collapsologie.

Dans cet article il écrit par exemple :

« On croit souvent que le progrès est naturel. En fait, ce sont des choix politiques. Des élites au pouvoir ont imposé le pétrole, par exemple. Ça a créé des monopoles et on a détruit les trains, les trams et les autres sources d’énergie. Un régime énergétique fait émerger un régime politique. C’est bien montré dans Petrocratia (Editions Ere, 2011), de Timothy Mitchell. Le charbon a permis l’émergence de la démocratie de masse et des mouvements ouvriers ; l’arrivée du pétrole a détruit ces mouvements par la qualité même de cette énergie et a mis au pouvoir une élite technocratique. Le changement climatique est connu depuis longtemps. Les élites ont décidé de l’ignorer pour faire plus d’argent. Par ailleurs, des théories disent que notre cerveau n’est pas façonné pour voir les problèmes à long terme et à grande échelle. »

Son propos parle d’effondrement et il l’analyse de la manière suivante :

« Certains scientifiques parlent de limits (« limites »), d’autres de boundaries (« frontières »). Prenons la métaphore de la voiture. Notre société ne va pas dans le mur, mais elle a deux problèmes. D’abord, le réservoir (les limites). Une fois qu’il n’y a plus d’essence, on ne peut pas aller plus loin. L’autre, ce sont les frontières, la transgression de certains seuils qui dérèglent le système-terre. Ça, c’est le bas-côté. On est sortis de la route goudronnée, on navigue à vue dans un monde incertain, avec la possibilité de grands chocs. On est sortis des conditions normales. C’est ça dont il faut prendre acte. Parmi les frontières, il y a le climat, la biodiversité, le cycle de l’azote, celui du phosphore… Les entomologistes parlent d’effondrement des insectes – pas seulement des abeilles –, il y a un effondrement des populations d’oiseaux, de poissons, des grands mammifères…

[…]

Il peut y avoir des étincelles climatiques ou dues au manque de ressources, mais il est plus logique de penser que les crises financières jouent un rôle moteur et qu’elles peuvent se transmettre à l’économie. Ça peut ensuite muter en effondrement politique. Avec une crise financière, il n’y a plus rien dans les distributeurs de billets ; avec une crise économique, plus rien sur les étalages. L’effondrement politique, c’est l’apparition de mafias, de l’économie informelle, de la corruption et la machine de l’Etat se déglingue. C’est le bloc soviétique dans les années 1990. »

Il explique aussi que les interconnexions de notre monde conduisent à sa fragilité :

« En un sens, notre monde est assez résilient : en cas de choc économique dans une région, il y a tellement de commerce et de réseaux qu’il est finalement rapidement absorbé. Mais on a découvert récemment que, quand un système devient hyperconnecté et très homogène, comme notre économie mondiale, il est résilient au début mais se fragilise en silence, jusqu’à dépasser un seuil qui provoque un effondrement brutal. Alors que les systèmes très peu connectés et très hétérogènes, comme ceux d’avant la mondialisation, encaissent moins bien les chocs, mais sont plus résilients à long terme. Avec la mondialisation est né le risque systémique global. Pour prendre un exemple, imaginons qu’un champignon ravage la production de blé d’une année dans la Beauce. Au Moyen-Age, ça n’aurait pas impacté beaucoup les autres régions, car elles étaient moins connectées et chacune avait ses céréales. Aujourd’hui, l’impact serait fort partout. Et il y a des effets en cascade. Il y a quelques années, des pluies torrentielles en Thaïlande ont provoqué l’explosion des cours des disques durs ! Notre système est beaucoup plus efficace… et plus fragile. »

Dès la rédaction de ce premier ouvrage, Pablo Servigne pensait que l’entraide devait être valorisée et prendre toute sa place dans notre imaginaire :

« On sait aussi que l’entraide et la coopération peuvent se créer contre un ennemi : une guerre, ça soude un peuple ! Mais je suis persuadé qu’on arrive dans l’âge de l’entraide parce que ce sont les plus individualistes qui crèveront les premiers. »

Lui-même a choisi de vivre dans un éco-hameau en Ardèche :

« Ce n’est pas la panacée ! J’ai fait ce choix du monde rural et du soleil parce que j’ai des jeunes enfants, que j’ai vécu vingt ans en Belgique et que j’en avais marre de la pluie ! Surtout, je voulais expérimenter la vie collective. C’est passionnant, mais c’est dur. Je pense qu’une grande partie de la résilience, c’est l’environnement affectif et social : la famille, les amis, les voisins, les élus communaux… C’est plus important que l’argent ou les stocks de nourriture. L’essentiel, c’est de retrouver du collectif. En ville ou à la campagne. La ville a des forces : beaucoup de gens, de culture… En temps d’incertitude, il n’y a pas un modèle à appliquer, c’est l’intuition qui compte. »

Je trouve préférable d’entrer dans la réflexion de Pablo Servigne par son dernier ouvrage centré sur l’entraide que par celui-ci qui explique l’effondrement possible de notre civilisation.

Rappelons cependant que le pire n’est jamais certain.

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Mardi 19 décembre 2017

« Et de nos jours encore, c’est dans une plus large extension de l’entraide que nous voyons la meilleure garantie d’une plus haute évolution de notre espèce. »
Pierre Kropotkine dans « L’entraide, un facteur de l’évolution »

Pablo Servigne a expliqué que le titre du livre qu’il a écrit avec Gauthier Chapelle : « L’entraide, l’autre loi de la jungle » doit beaucoup à Pierre Kropotkine que j’ai découvert à cette occasion.

Dans l’émission la Grande Table dont il était question hier, Pablo Servigne présente cet homme de la manière suivante :

« Kropotkine était un prince russe et quand il était jeune il a aimé la lecture de Darwin. Il a refusé un poste dans l’armée à Moscou et a préféré  partir en scientifique en Sibérie, pour vérifier les idées de Darwin. Darwin était parti dans un pays d’abondance, alors que Kropoktine est parti en milieu hostile où régnait la pénurie. Et ce que Kropotkine a observé pendant des années, c’est plutôt que les êtres vivants s’entraident.

Et mieux, ceux qui survivent ne sont pas forcément les plus forts, ce sont ceux qui s’entraident. Et il en a écrit un livre qui s’appelle « l’entraide un facteur d’évolution.[…] Il a été oublié, mais aujourd’hui les scientifiques recommencent à le citer, depuis les années 2000, on va dire, parce qu’il avait apporté cette idée majeure : l’entraide n’a pas pour cause la génétique [on est dans l’entraide parce qu’on est proche génétiquement] l’altruisme et l’entraide émergent dans la nature par les conditions du milieu hostile Et c’est le fait qu’on s’associe qui permet la survie. Et c’est pour cela qu’on recommence à citer Kropotkine. »

Pablo Servigne explique aussi qu’il avait été oublié par les milieux politiques parce qu’il était anarchiste. Les marxistes n’aimaient pas les anarchistes et n’aimaient pas non plus les arguments biologiques. L’idée de Kropotkine était incroyable, il faut plutôt lutter contre l’Etat, car c’est en détruisant l’Etat qu’on pourra faire sortir les capacités altruistes de l’être humain. Les marxistes quant à eux pensaient pouvoir créer un homme nouveau sur une page blanche à partir de l’idéologie.

Cette introduction m’a conduit à essayer d’en savoir un peu plus sur cet homme qui a été confronté à la fin du régime tsariste, les révolutions russes et le début du régime Bolchevique.

Quand on s’intéresse à Pierre Kropotkine, sa dimension d’anarchiste apparaît en premier. Il est très présent sur des sites libertaires et anarchistes.

Pierre Alexeïevitch Kropotkine est né le 26 novembre 1842 à Moscou (Russie) et il est descendant de la famille du grand-prince de Kiev. Il embrasse donc la carrière militaire et ayant conquis ses galons d’officier, demanda, comme nous l’a appris Pablo Servigne à être affecté à un régiment de Cosaques en Sibérie. Il peut ainsi explorer le bassin du fleuve Amour et la Sibérie orientale.  Un évènement marquant va décider de son avenir et probablement de certaines de ses idées politique : l’insurrection polonaise de 1863 et la terrible répression qui s’en suit. Cet évènement provoque sa démission de l’armée impériale russe. Il s’installe à Saint-Pétersbourg où il suit des études de mathématiques et de géographie. Au début des années 1870, il voyage en Extrême-Orient puis en France et en Suisse. C’est au cours d’un ces voyages à l’étranger qu’il se rapproche des milieux anarchistes et surtout des Nihilistes. En 1872, il adhère à la Fédération jurassienne de la Première Internationale et se rallie au groupe révolutionnaire de Mikhaïl Bakounine, qui s’oppose alors à Karl Marx.

Wikipedia nous apprend en outre :

« Qu’en raison de son activité d’anarchiste, il est arrêté à Lyon en 1883 et puis condamné à 5 ans de prison. Une pétition pour sa remise en liberté est signée par Victor Hugo et il est amnistié en 1886.
Après des années d’exil, il retourne en Russie en 1917, après la révolution de Février. Fidèle à ses convictions anarchistes, il refuse un poste de ministre proposé par Aleksandr Kerenski, même s’il soutient son gouvernement.
Après la révolution d’Octobre, il critique ouvertement le nouveau gouvernement bolchévique, la personnalité de Lénine et la dérive dictatoriale du pouvoir.

Le 8 février 1921, Kropotkine meurt à l’âge de 78 ans, à Dmitrov, près de Moscou. Sa famille et ses amis refusent au gouvernement bolchevique des funérailles nationales, celles-ci sont organisées par une commission composée de militants anarchistes. Le 10 février, le cercueil est transféré à Moscou dans un train orné de drapeaux noirs et de banderoles arborant des slogans comme « Là où il y a autorité, il ne peut y avoir de liberté », « Les anarchistes demandent à être libérés de la prison du socialisme » ou « La libération de la classe ouvrière, c’est la tâche des travailleurs eux-mêmes ». Le cercueil est exposé durant deux jours dans la salle des colonnes de la Maison des syndicats, au fronton de laquelle est accroché un énorme calicot portant une inscription dénonçant le gouvernement bolchevique et sa répression.

L’enterrement a lieu le 13 février. Bravant le froid, 20 000 Moscovites suivent le cortège qui s’arrête une première fois au musée Léon Tolstoï où est jouée la Marche funèbre de Frédéric Chopin, puis une seconde fois au niveau de la prison de la Boutyrka où s’entassent nombre de prisonniers politiques qui manifestent en frappant sur les barreaux. Kropotkine avait demandé que ne soit pas chantée L’Internationale lors de ses funérailles, tant elle ressemblait déjà « à des hurlements de chiens faméliques ».

L’enterrement de Kropotkine est la dernière manifestation libertaire de masse sous un gouvernement bolchevique. Dès le mois de mars, toutes les organisations anarchistes sont interdites, leurs militants persécutés. »

Mais ce qui m’intéresse précisément chez cet homme c’est son étude qui nuance la théorie de Darwin sans la contredire. Il a donc écrit ce livre dont parle avec admiration Pablo Servigne : « L’entraide, un facteur de l’évolution »

Un article de Mediapart revient sur cet ouvrage en éclairant le nouveau livre de Servigne et Chapelle :

[..] un récit différent du passé, initié par la figure géniale de Pierre Kropotkine, prince de famille royale, géographe et scientifique, qui préféra, à un destin familial tout tracé, partir en Sibérie, l’année même où Darwin publie De l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle (1859). Il « y observe surtout de l’entraide – des espèces animales, comme les loups, et des petites sociétés sans État, qui s’associent pour survivre dans des conditions climatiques difficiles, voire hostiles ». Kropotkine est ainsi le premier « à mettre en évidence le rôle fondamental des conditions environnementales dans l’évolution de l’entraide ». Il est d’ailleurs, jugent les chercheurs, « intéressant de constater que Darwin a effectué ses observations principalement sous les tropiques, un milieu de relative abondance et de confort thermique comparé à la Sibérie de Kropotkine ».

Toutefois, « une deuxième raison pour laquelle Kropotkine a plus facilement observé l’entraide que Darwin tient probablement à sa culture. Éduqué dans les valeurs humanistes des Lumières, il a ensuite beaucoup voyagé en Europe occidentale au contact de la classe ouvrière, qui développait une culture de la solidarité et de l’association ». En outre, sa vision « d’une nature coopérative ne collait pas avec celle de la biologie évolutive moderne, très majoritairement anglophone, imprégnée d’anti-communisme et travaillant de plus en plus sur les gènes et les individus ».

Mais l’originalité de Kropotkine tient surtout « au fait qu’il entre dans le débat politique avec des arguments naturalistes. Partant à la recherche des fondements biologiques de l’entraide, il prend à contre-pied la majorité de la gauche de son époque (dont les partisans de Marx), qui adopte au contraire une conception anti-déterministe de la nature humaine – une vision qui considère que l’être humain n’est pas soumis aux lois de la nature ». Une discordance qui vaudra à Kropotkine des décennies d’oubli de sa pensée et de ses écrits […]

Un des points forts de l’ouvrage est de montrer que, […] c’est dans les conditions les plus difficiles que l’entraide se développe le mieux. Ainsi de la cohabitation entre pins et sapins, « des arbres qui entrent en compétition lorsque les conditions de vie sont bonnes, mais s’entraident lorsqu’elles se durcissent (froid, vent, pauvreté des sols…). Jusqu’à ce qu’une équipe américaine s’intéresse à cela dans les années 1990, on n’avait vu que la moitié du tableau ».

Quand on connaît le titre de l’ouvrage et l’auteur, il est possible de trouver beaucoup de références sur internet.

Mais encore mieux, l’ouvrage intégral est publié sur ce site : <https://fr.wikisource.org/wiki/L’Entraide, un facteur de l’évolution>

Je peux donc vous livrer une partie de la conclusion :

Attribuer le progrès industriel de notre siècle à cette lutte de chacun contre tous qu’il a proclamée, c’est raisonner comme un homme qui, ne sachant pas les causes de la pluie, l’attribue à la victime qu’il a immolée devant son idole d’argile. Pour le progrès industriel comme pour toute autre conquête sur la nature, l’entr’aide et les bons rapports entre les hommes sont certainement, comme ils l’ont toujours été, beaucoup plus avantageux que la lutte réciproque.

Mais c’est surtout dans le domaine de l’éthique, que l’importance dominante du principe de l’entr’aide apparaît en pleine lumière. Que l’entr’aide est le véritable fondement de nos conceptions éthiques, ceci semble suffisamment évident. Quelles que soient nos opinions sur l’origine première du sentiment ou de l’instinct de l’entr’aide — qu’on lui assigne une cause biologique ou une cause surnaturelle — force est d’en reconnaître l’existence jusque dans les plus bas échelons du monde animal ; et de là nous pouvons suivre son évolution ininterrompue, malgré l’opposition d’un grand nombre de forces contraires, à travers tous les degrés du développement humain, jusqu’à l’époque actuelle. Même les nouvelles religions qui apparurent de temps à autre — et toujours à des époques où le principe de l’entr’aide tombait en décadence, dans les théocraties et dans les États despotiques de l’Orient ou au déclin de l’Empire romain — même les nouvelles religions n’ont fait qu’affirmer à nouveau ce même principe. Elles trouvèrent leurs premiers partisans parmi les humbles, dans les couches les plus basses et les plus opprimées de la société, où le principe de l’entr’aide était le fondement nécessaire de la vie de chaque jour et les nouvelles formes d’union qui furent introduites dans les communautés primitives des bouddhistes et des chrétiens, dans les confréries moraves, etc., prirent le caractère d’un retour aux meilleures formes de l’entr’aide dans la vie de la tribu primitive.

Mais chaque fois qu’un retour à ce vieux principe fut tenté, l’idée fondamentale allait s’élargissant. Du clan l’entr’aide s’étendit aux tribus, à la fédération de tribus, à la nation, et enfin — au moins comme idéal — à l’humanité entière. En même temps, le principe se perfectionnait. Dans le bouddhisme primitif, chez les premiers chrétiens, dans les écrits de quelques-uns des docteurs musulmans, aux premiers temps de la Réforme, et particulièrement dans les tendances morales et philosophiques du XVIIIe siècle et de notre propre époque, le complet abandon de l’idée de vengeance, ou de « juste rétribution » — de bien pour le bien et de mal pour le mal — est affirmé de plus en plus vigoureusement. La conception plus élevée qui nous dit : « point de vengeance pour les injures » et qui nous conseille de donner plus que l’on n’attend recevoir de ses voisins, est proclamée comme le vrai principe de la morale, — principe supérieur à la simple notion d’équivalence, d’équité ou de justice, et conduisant à plus de bonheur. Un appel est fait ainsi à l’homme de se guider, non seulement par l’amour, qui est toujours personnel ou s’étend tout au plus à la tribu, mais par la conscience de ne faire qu’un avec tous les êtres humains. Dans la pratique de l’entr’aide, qui remonte jusqu’aux plus lointains débuts de l’évolution, nous trouvons ainsi la source positive et certaine de nos conceptions éthiques ; et nous pouvons affirmer que pour le progrès moral de l’homme, le grand facteur fut l’entr’aide, et non pas la lutte. Et de nos jours encore, c’est dans une plus large extension de l’entr’aide que nous voyons la meilleure garantie d’une plus haute évolution de notre espèce.

Il me semble que cette réflexion et notamment cette dernière phrase est encore plus juste de notre temps.

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Lundi 18 décembre 2017

« L’autre loi de la jungle : l’entraide »
Pablo Servigne et Gauthier Chapelle

On nous a appris que la nature obéissait à la loi de la jungle, c’est-à-dire la loi du plus fort, qui peut être traduite par la compétition de tous contre tous. On nous explique que la nature est ainsi faite.

Et c’est vrai, cette loi de la nature existe.

Mais ce que les sciences dans de nombreux domaines ont démontré, c’est que n’est pas la seule loi qu’on peut observer dans la nature. Il existe une autre loi de la jungle et cette loi c’est l’entraide, la coopération. La compréhension, l’observation du vivant révèle que les humains, les animaux, les plantes, les champignons et les micro-organismes pratiquent l’entraide.

Et probablement que ceux qui survivent le mieux aux conditions difficiles ne sont pas forcément les plus forts, mais ceux qui s’entraident le plus.

Pablo Servigne et Gauthier Chapelle viennent de publier un livre «L’entraide: l’autre loi de la jungle» aux éditions Les Liens qui Libèrent.

Pour présenter son ouvrage, Pablo Servigne était l’invité de « La Grande Table » du vendredi 15 décembre.

Il avait déjà été question de ce livre dans une autre émission de France Culture <Avis critique du 4 novembre 2017>. Dans cette émission, le présentateur Raphaël Bourgois introduisait cet ouvrage de la manière suivante :

« [C’est un essai] du biologiste Gauthier Chapelle et de Pablo Servigne qui est ingénieur agronome. L’entraide. L’autre loi de la jungle est paru aux éditions Les Liens qui Libèrent… c’est un essai qui entend résumer les travaux scientifiques qui de l’éthologie à l’anthropologie en passant par l’économie, la psychologie et les neurosciences ont entamé l’idée, très ancrée dans la pensée occidentale, selon laquelle c’est la compétition entre les espèces qui est la matrice de l’évolution.

Par la multiplication des exemples, ils montrent sans nier le rôle de la compétition, qu’elle est en réalité trop risquée et consommatrice d’énergie et que la nature lui a bien souvent préféré la coopération ou l’entraide. C’est un véritable défi au cynisme et les auteurs s’en rendent bien compte, ils prennent la peine à plusieurs reprises de bien montrer que leur démarche n’a rien d’irénique… il ne s’agit pas de dire qu’il y a une supériorité morale à la coopération plutôt qu’à écraser son voisin… l’enjeu est aussi l’efficacité et la survie.

Le livre fait une place centrale à l’homme mais montre aussi comment les phénomènes de symbiose… à l’origine par exemple de la formation des barrières de corail… offrent une grille de lecture pertinente pour comprendre les comportements au sein d’un groupe, ou bien des groupes entre eux. »

Au début de l’émission « La Grande Table » Pablo Servigne a défini le concept d’entraide :

« L’entraide est, dans le vivant, tout ce qui associe les êtres : la coopération, le mutualisme, l’altruisme. Il y a tout une diversité de manière d’être ensemble.

On a choisi « entraide », parce qu’il […] a une connotation chaleureuse dans le langage courant. [Mais] c’est surtout un clin d’œil au géographe et anarchiste Pierre Kropotkine qui avait publié en 1902 « Mutual Aid: : A Factor of Evolution », un formidable ouvrage qui a été traduit en français et dont le titre traduit utilisait le terme « entraide » et c’est [ainsi] que ce mot a été offert à la langue française. »

Il y a deux ans, Pablo Servigne avait co-écrit avec Raphaël Stevens, au Seuil, un autre ouvrage qui montrait la situation de l’humanité sous un regard plus inquiétant : «Comment tout peut s’effondrer ». C’était un livre qui évoquait toutes les possibilités qui pouvaient conduire à l’effondrement de notre société. Ce nouveau livre constitue une réponse positive, un espoir pour ce qui s’annonce.

«On peut connecter les deux réflexions. Quand nous avons écrit le précédent ouvrage, nous avions fait une synthèse transdisciplinaire, comme nous le faisons maintenant pour l’entraide. […] C’est en lien avec l’entraide. Quand nous faisons des conférences, très souvent la question vient : « est ce que nous allons tous nous entretuer si notre ordre social venait à disparaître, ou allons-nous plutôt nous entraider ?  » Avec Gauthier Chapelle et Raphaël Stevens nous pensons plutôt que nous arrivons à l’âge de l’entraide.»

La thèse défendue par ces auteurs est qu’il faut combattre l’idée est que la nature est gouvernée par le seul égoïsme, la loi de la jungle, la loi du plus fort. Il y a moyen d’imaginer autre chose. Ils pensent, en fait, que nous ne sommes pas prédestinés à l’égoïsme préprogrammé de nous entretuer, en tout cas pas davantage qu’à l’option de nous entraider :

«Nous sommes toujours à l’heure des choix. […] Ce que l’on remarque surtout c’est que notre société est en train de se décomposer. Je prends la métaphore de l’arbre : Il y a un grand arbre qui s’effondre, mais c’est parce qu’il s’effondre que les jeunes pousses peuvent émerger. Nous sommes à ce moment, à ce carrefour. Il y a plein de jeunes pousses prêtes à se développer, il y a une nouvelle société qui émerge. On le voit avec la société de la collaboration, avec le peer to peer, l’économie collaborative tout cela est en train d’émerger, tout cela est très puissant. Cela ne fait pas encore société, mais on voit un vieux monde qui s’effondre.»

En écho au mot du jour de vendredi, il revient à la critique de l’organisation pyramidale en la confrontant à la nature et à l’organisation du vivant :

«Les entreprises à hiérarchie pyramidale sont des anciens modèles qui ne tiennent plus la route.
[…] La hiérarchie pyramidale peut être efficace à court terme, mais cela ne tient pas à long terme. Dès que les conditions du milieu changent, l’efficacité disparaît. C’est pour cela que dans la nature on ne voit presque pas de hiérarchie pyramidale.»

La thèse la plus porteuse d’espoir de cette pensée est le constat que si dans les sociétés d’abondance, la compétition est de rigueur, dans les périodes de rareté ou de pénurie l’entraide et la collaboration se développent davantage. Dans la catastrophe, les hommes montrent des signes positifs de résilience. Selon Pascal Servigne nous serions naturellement des êtres collaboratifs.

«Globalement l’idée du livre, ce n’est pas du tout de nier qu’il y a de la compétition. Au contraire, mais il s’agit d’arrêter de nier qu’il y a de l’entraide partout. C’est plutôt une invitation à rééquilibrer le curseur. D’ailleurs lorsqu’il y a de l’entraide ou de la coopération il y a toujours un peu de compétition. A l’inverse, quand on voit qu’il y a de la compétition, on s’aperçoit aussi qu’il y a de la collaboration derrière. […]

Quand on observe les autres êtres du vivant, c’est fascinant. Il y a énormément de découvertes, en ce moment. Par exemple des expériences économiques ont mis ensemble des individus pour participer au bien commun. Et ce que les chercheurs ont mis en lumière : quand on stresse les gens, on les force à répondre vite, de manière plus spontanée ils sont plus collaboratifs, plus pro sociaux et quand on les force à réfléchir et à utiliser la raison, ils sont plus égoïstes et participent moins au bien commun. Cela corrobore assez bien tous les récits des rescapés et des survivants des catastrophes, des tsunamis des tremblements de terre, des attaques terroristes etc., tous les récits convergent pour décrire qu’il n’y a pratiquement jamais de panique et qu’il y a de l’auto-organisation et des comportements extrêmes d’altruisme.

Et en fait avec Gauthier Chapelle, on est allé voir dans tout l’éventail du vivant, des bactéries, au phyto planctons, aux arbres etc et ce qui est fascinant est que l’entraide émerge quand il y a pénurie, quand le milieu est hostile.

Lorsqu’il y a de l’abondance, le milieu est riche alors la compétition peut émerger. C’est complétement contre intuitif avec l’idée qu’on se fait de la nature et c’est cela qui est fascinant.»

Car en effet, notre intuition surtout celle du consommateur compulsif que nous sommes devenus tendrait à croire que moins il y en a, plus on va se battre pour acquérir le peu qu’il y a.

C’est une grande leçon, c’est notre richesse qui nous pousse à l’égoïsme.

Pablo Servigne évoque sa démarche :

« Je suis plutôt issu d’une formation scientifique de biologie, d’écologie. J’ai étudié les fourmis pendant quelques années. La sociabilité de l’insecte. J’ai été voir ce que les sciences sociales faisaient, je n’étais pas formé à cela et j’ai constaté aussi que les sciences sociales n’étaient pas formées à la biologie non plus. Et ce qu’on a voulu faire, ce sont des ponts, des ponts entre disciplines. […] Cela fait dix ans que je me passionne pour le sujet, chaque discipline était un peu cloisonné et avançait avec ses hypothèses qui pouvaient apparaître contradictoires entre elles.. […] Depuis 5 ans, on arrive à faire des liens, il y a des découvertes majeures qui sortent, en particulier dans la théorie de l’évolution qui permettent d’avoir une vision cohérente de ce que nous avons appelé « l’autre loi de la jungle : l’entraide ».

Si on prend l’exemple des fourmis ou des rats : :

« Chez les rats ou les fourmis, il y a une sorte d’altruisme en famille, Il y a plusieurs types d’entraide dans le monde vivant. L’altruisme, c’est quand un individu se sacrifie pour sa famille. C’est le cas des ouvrières qui ne se reproduisent pas et qui participent donc à un super organisme pour le bien de leur famille. Et puis il y a de la coopération entre les lionnes, la chasse est une compétition, mais les lionnes coopèrent pour chasser. Il y a toujours un peu des deux. Et cela c’est au sein d’une espèce.

Mais il y a des milliers d’études désormais qui montrent la coopération entre les espèces. Les scientifiques appellent cela <les mutualismes>. C’est la pollinisation, la dispersion des graines, les oiseaux qui nettoient les tiques de certains mammifères, il y énormément d’exemples. Et nous avons voulu englober toute la diversité de ces manières de s’associer par le terme la « symbiodiversité ». Chez les humains aussi il y énormément de mécanismes très fins qui font appel à l’empathie, la réciprocité, la réputation, des normes sociales, des institutions, c’est très complexe parce que chez les humains il y a aussi une couche culturelle. Couche culturelle qui existe aussi chez les primates ou les orques. Nous avons tout un éventail de mécanismes et de processus évolutifs.

L’idéologie ambiante de l’hyper compétitivité n’est pas du tout représentatif du monde vivant. Gauthier Chapelle et moi-même avons une sensibilité du monde vivant, de naturalistes, ce n’est pas cela que l’on observe dans la nature.

On n’aurait même pas dû avoir à l’écrire ce livre, on devrait l’apprendre dès la maternelle. On naît dans un bain idéologique qui fait que l’on prend la compétition l’agression pour une donnée naturelle. »

Il ne s’agit pas de sombrer dans une vision utopique de bisounours car Servigne reconnaît que l’homme naît à la fois égoïste et altruiste mais qu’on ne peut ignorer la seconde qualité et que c’est à nous de faire bouger le curseur vers la position qui nous semble la plus pertinente.

«[Nous sommes à un moment où il existe] une opportunité de renaissance. Ce livre n’apporte pas un modèle de société. Ce que j’aime c’est de provoquer des déclics comme moi j’en ai eu à la lecture de tous ces travaux scientifiques. Des déclics qui font des fissures dans notre imaginaire, notre imaginaire ultra compétitif. […]»

Des fissures dans notre imaginaire ultra compétitif !

Il explique ainsi que le cœur du social ce n’est pas du tout le marché ou le dilemme du prisonnier mais c’est vraiment le don et la réciprocité. Mais la réciprocité entre personnes ne suffit pas, car elle peut se diluer dans un grand groupe où l’anonymat règne. Pour stabiliser l’entraide, les humains ont trouvé des mécanismes comme la réputation (je vais coopérer avec cette personne parce qu’elle a bonne réputation et lui j’ai entendu dire que c’est un tricheur qu’il est égoïste, je ne vais pas coopérer avec lui)  Le mécanisme de la réputation est un des ciments de la société, c’est fondamental dans le fait social. Après il y a les normes sociales et la punition des tricheurs… Tous les principes moraux qui font société commencent par cette règle de punir les égoïstes et les tricheurs et récompenser les comportements pro-sociaux.

Mais la pensée de Pablo Servigne est d’une grande lucidité :

«Il y a aussi des écueils à l’entraide. On peut s’entraider pour massacrer ses voisins. Et plus on soude un groupe, plus il y a un risque d’exclusion de ce qui n’appartient pas au groupe. […] Pour souder un groupe on peut créer un ennemi commun.»

Mais il semble que les études scientifiques ont montré que les groupes aussi peuvent s’entraider comme les individus à l’intérieur d’un groupe.

Ainsi nous pourrions espérer que la question du climat pourrait fédérer les humains contre un ennemi commun : le dérèglement climatique. Mais pour l’instant cela a l’air compliqué en raison des différences de taille et d’intérêt entre les acteurs qui négocient.

Il conclut l’émission :

« C’est une boutade de dire que nous arrivons dans l’âge de l’entraide, cela ne signifie pas du tout que nous arrivons dans l’âge des bisounours.
Cela peut être difficile, cela peut être très conflictuel. Mais le pari d’une transition [..] c’est le fait de créer une culture de l’entraide, de coopération par anticipation.
Parce que le problème ce n’est pas vraiment les pénuries, cela fait des centaines de milliers d’années que les humains gèrent les pénuries. Le problème c’est d’arriver dans les pénuries et les tempêtes qui s’annoncent avec une culture de l’égoïsme. Et c’est là qu’on risque de s’entretuer. […] Et l’entraide doit s’élargir au monde vivant non humains si nous voulons continuer à vivre longtemps sur cette terre. »

Le problème c’est d’arriver dans les pénuries et les tempêtes qui s’annoncent avec une culture de l’égoïsme !

Matthieu Ricard commente ainsi ce livre :

« La coopération a été, au fil de l’évolution, beaucoup plus créatrice de niveaux croissants de complexité que la compétition. Il ne fait aucun doute que l’entraide est omniprésente dans la nature. Chez les humains, elle est l’une des manifestations les plus directes de l’altruisme. Elle mène au double accomplissement du bien d’autrui et du sien propre. L’étude pénétrante de Pablo Servigne & Gauthier Chapelle, qui dresse le portrait de cette autre « loi de la jungle », est donc plus que bienvenue à une époque où nous avons tant besoin de favoriser la coopération, la solidarité et la bienveillance, pour construire ensemble un monde meilleur. »

Etes-vous en mesure d’accepter de fissurer votre imaginaire ultra compétitif ?

Il me semble tout à fait convaincant de dire que l’éventail du vivant révèle que l’entraide est absolument partout, qu’elle fait partie des instincts humains, mais aussi qu’elle est là depuis la nuit des temps. Tout le monde est impliqué́ dans des relations d’entraide. Même les plantes, les animaux, les bactéries. Même les économistes. Mais notre société n’a pas voulu voir que dans la jungle, en réalité́, il règne un parfum d’entraide.

SI vous n’êtes toujours pas convaincu…

Napoléon disait un dessin vaut mieux qu’un long discours. Aujourd’hui, il remplacerait le mot dessin par vidéo.

Aller donc voir <cette vidéo filmée> dans le zoo de Budapest : Vous verrez un immense ours et un corbeau qui est tombé dans le bassin d’eau de l’ours. Ce corbeau essaye désespérément de sortir de l’eau et n’y parvient pas, il va mourir. L’immense ours s’approche, il va l’écraser probablement. Eh bien non, il plonge son bras dans l’eau, s’empare du corbeau et le sort du bassin et puis s’en retourne tranquillement manger. Pourquoi a-t-il fait cela ? Quel bénéfice en tire t’il ?

Il montre simplement aux humains figés dans nos certitudes que l’entraide toute simple entre les êtres vivants franchit la barrière de l’espèce.

Je vous rappelle aussi <le mot du jour du 22 septembre 2017> où une vidéo montrait une lionne qui épargnait un bébé gnou.

Peut-être pourriez aussi vous intéresser au « microbiote intestinal humain » où des milliards d’êtres vivants collaborent, sans organisation pyramidale, pour nous aider à vivre et à digérer.

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Vendredi 15 décembre 2017

« Vers des communautés de travail inspirées »
Frédéric Laloux.

J’annonçais hier que j’allais parler de Frédéric Laloux et de sa « Conférence » qu’il a consacrée à son livre « Reinventing Organizations » avec pour sous-titre en français la phrase que j’ai mise en exergue.

Frédéric Laloux était partenaire associé chez McKinsey, le fameux cabinet de conseil auprès des directions générales. Il s’est beaucoup interrogé sur le management et a écrit un livre « Reinventing Organizations » paru en anglais en 2014.

Un article du New York Times l’a décrit de la manière suivante :

« Le livre de management le plus important et le plus inspirant qu’il m’ait été donné de lire »
Tony Schwartz

La version française est parue en 2015 chez les Editions Diateino.

Ce livre ne se trouve pas sur mon bureau, mais sur celui du bureau voisin car Annie le trouve très intéressant et c’est d’ailleurs elle qui m’a fait découvrir la conférence qui constitue le point d’entrée de cet article. Si j’ai regardé avec attention la conférence, je ne me suis pas plongé dans ce livre de 500 pages.

On trouve de nombreuses références sur Internet, par exemple cet essai d’en faire une synthèse en 9 pages : http://www.reinventingorganizations.com/uploads/2/1/9/8/21988088/chene_synthese_laloux2014.pdf

Frédéric Laloux introduit sa conférence notamment par sa question sur les cerveaux et sa réponse de l’existence, dans notre corps, de trois cerveaux dont le cœur.

Et il pose cette question :
« Ce n’est que dans les années 90 que les deux autres cerveaux ont été découverts et reconnus.Pourquoi ne pas les avoir trouvés avant, alors qu’un cadavre, un scalpel et un microscope basique le permettaient aisément ?  »

Il fait d’ailleurs un rappel historique sur la découverte du système neuronal des intestins dès le XIXème siècle.

Et il répond à cette question de la découverte tardive :

«Nous n’étions pas capables d’envisager l’existence de plusieurs cerveaux parce que notre vision du monde nous en empêchait.»

Pour Frédéric Laloux, l’explication est simple depuis la nuit des temps toute l’idéologie humaine tournait autour de cette croyance : pour qu’une organisation fonctionne il faut un « boss », un seul qui décide ! Donc un seul cerveau ! Trois cerveaux seraient probablement le début de l’anarchie.

On pourrait peut-être émettre l’hypothèse que l’invention d’un Dieu monothéiste relève de cette même croyance, il faut un organisateur, un chef unique et omnipotent.

Il a l’intuition que la découverte des deux autres cerveaux dans les années « nonantes », comme il dit en langue franco-belge, a été rendu possible par l’avènement d’internet et des réseaux qui ont rendu crédible l’existence de plusieurs réseaux et donc de plusieurs centres de décisions.

C’est ainsi, selon lui, qu’une possibilité d’intelligence collective dans les entreprises, sans boss, est entrée dans les consciences.

J’avais déjà évoqué ce type de réflexion en 2014, plus exactement <Le mot du jour du 18 décembre 2014> où il était question de « l’entreprise libérée » dans laquelle la hiérarchie était remise en cause. Annie m’explique que le terme « L’entreprise libérée » est un terme qui ne s’est pas imposé.

Ce terme n’est d’ailleurs pas repris par Frédéric Laloux qui va utiliser des codes couleurs. Il envisage donc d’autres façons de faire fonctionner les organisations que par un centre de décision hiérarchique. A ce stade (à partir de la minute 13 de la vidéo) il évoque, en étudiant l’histoire du monde, l’évolution des organisations et les différents changements de paradigmes concernant les modes d’organisation et de management dans le cadre d’enjeux de plus en plus complexes.

Il associe des couleurs à ces paradigmes Rouge, Ambre, Orange, Vert, Opale.

Et puis, il développe une réflexion qui m’a interpellé. L’économie a démontré que l’organisation pyramidale, au niveau étatique, est bien trop rigide pour faire face aux défis de l’innovation et de l’efficacité. Ce fut le grand échec des systèmes soviétiques. Tout le monde a compris que la multiplication des acteurs et la décentralisation des centres d’initiatives que sont les entreprises et particulièrement aujourd’hui les start-up sont bien davantage en capacité de résoudre la complexité et de trouver des solutions qui fonctionnent. Or, des patrons qui vous expliquent cette capacité d’un marché libre (je précise cependant régulé et je l’oppose à des solutions bureaucratiques) à trouver des solutions innovantes et efficaces, dès qu’ils retournent dans leurs entreprises reviennent au dogme du cerveau unique et de l’organisation hiérarchique.

Je ne suis pas en mesure de résumer l’ensemble de cette conférence qui dure 1h40, mon ambition est simplement de vous donner envie de la regarder.

Frédéric Laloux évoque cependant plusieurs entreprises qui ont fait le choix d’une organisation non hiérarchique, dans son développement il parle d’organisation « Opale ».

Concrètement ces structures sont des organisations non pyramidales. C’est à dire que la structure hiérarchique a disparu. En règle générale il reste un dirigeant mais il n’a pas du tout le même rôle que dans une organisation classique. Ces organisations opales ont en commun d’avoir supprimé en partie ou complètement les managers d’équipe, les managers intermédiaires et les top-managers, d’avoir réduit drastiquement les fonctions supports centralisées et d’avoir supprimé les réunions de comité exécutif.

Il donne plusieurs exemples mais évoque particulièrement une entreprise néerlandaise : Buurtzorg de soins à domicile.

Ainsi chez Buurtzorg, les équipes de 10-12 infirmières fonctionnent sans chef, les coachs régionaux accompagnent 40 à 50 équipes et n’ont aucun pouvoir de décision sur celles-ci, et ils ne se réunissent que quatre fois par an avec le directeur. Comment fonctionnent ces entreprises ? L’absence de structure hiérarchique n’empêche pas l’existence d’une structure d’un autre ordre, qui ne repose plus sur l’organisation de postes à occuper mais sur l’articulation de rôles à remplir

Ainsi, chaque salarié remplit des rôles techniques opérationnels, mais également des rôles de management, qui sont répartis entre les différents membres de l’équipe au lieu d’être concentrés dans les mains d’une personne

De même, les fonctions de soutien, habituellement centralisées, sont réparties entre les membres des équipes

Les équipes se chargent elles-mêmes des ressources humaines (recrutements et licenciements, formation, évaluations, plannings, etc.), des finances (achats, suivi financier, investissements, etc.), des aspects techniques (maintenance, sécurité, qualité)

Lorsqu’il y a des responsables régionaux, ils ont un rôle de coach mais ils n’ont pas de pouvoir de décision et n’ont aucune autorité sur les équipes

Ils sont là pour les conseiller et les accompagner mais ne peuvent en aucun cas les contraindre à quoi que ce soit

Les relations sont fondées sur la confiance ce qui nous rappelle le mot du jour de lundi.

Ce nouveau modèle d’entreprise a vocation à réconcilier le travail salarié avec les aspirations des individus. L’entreprise devient un organisme vivant et réactif à tous les signaux internes et externes du marché et de la société. Ce modèle s’appuie sur l’autonomie des équipes et la conviction que chaque employé doit être pleinement lui-même pour apporter une valeur ajoutée à l’entreprise et que de cette manière l’entreprise saura mieux affronter la complexité du monde et trouver les moyens les plus efficaces.

Ce livre a aussi fait l’objet d’une version simplifiée et illustrée:

Le dessinateur, Etienne Appert, présente son travail et son apport de la manière suivante :

« Considérant que beaucoup de lecteurs pouvaient être intéressés par ce sujet, mais pas nécessairement prêts à lire 500 pages d’étude théorique sur le management, Frédéric m’a proposé de réaliser une version « grand public » du même livre. Nous avons co-construit un objet hybride, qui n’est ni un simple livre illustré, ni une pure bande dessinée, mais où textes et dessins ne cessent d’interagir pour un maximum de clarté et d’efficacité. Cela a amené Frédéric a réécrire entièrement son contenu, c’est donc bien un livre complétement nouveau que nous vous proposons. »

De nombreux articles évoquent l’intérêt de cet ouvrage :

Article dans l’OBS : «Nous n’avons pas besoin de patron»

Dans le Monde on insiste sur l’invention d’une autre façon d’organiser le travail

Ce site destiné au cadres en parle aussi

En tout cas, cet homme mérite d’être entendu et approfondi. Je vous renvoie vers la conférence en français : Conférence

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Jeudi 14 décembre 2017

« Nous avons 3 cerveaux : le cerveau, l’intestin et le cœur »
Frédéric Laloux

Je partagerai demain des réflexions sur le management que fait Frédéric Laloux via cette vidéo où il présente son livre « Reinventing Organizations ».

Au début de cette vidéo, il pose la question à la salle : « Savez-vous combien vous avez de cerveaux ? ».
Cette question ne peut que nous interpeller alors qu’il y a peu, une semaine avait été consacrée à notre cerveau, celui qui est dans notre tête, et qu’on croyait unique.

Et puis il donne sa réponse : trois.

  • Le premier est évident, c’est celui qui se trouve dans notre boite crânienne et qui porte précisément le nom de cerveau.
  • Le second est désormais bien établi c’est l’intestin.
  • Et le troisième est plus surprenant, il s’agirait du cœur.

En premier lieu, il s’agit de définir ce que signifie le terme de « cerveau » dans la question : combien avez-vous de cerveaux ?

Dans cette question ce terme signifie, « un centre de décisions ». Plus prosaïquement cela signifie que l’organe concerné donne des ordres et que nous agissons en suivant cet ordre.

La sagesse populaire ancienne avait annoncé cette réalité :

  • On dit par exemple : « Cette décision, je l’ai prise avec mes tripes ! », donc l’intestin.
  • Et bien sûr, « C’est une décision que j’ai prise avec le cœur ».

Ainsi, selon Frédéric Laloux, nous avons trois cerveaux, parce que nous avons trois systèmes nerveux indépendants, trois  systèmes  neuronaux indépendants  et  complémentaires. L’un  piloté  par  le  cerveau  situé  dans  la  tête,  bien  connu. Un deuxième centre neuronal, de la taille de celui d’un rat de laboratoire, est logé dans le cœur, tandis que le troisième, de la taille de celui d’un chien, est logé dans les intestins.

Mais la communauté scientifique est-elle globalement convaincue ?

Pour les intestins la chose semble établie :

<Un livre a d’ailleurs pour titre : l’intestin notre deuxième cerveau> . C’est un ouvrage de Francisca Joly Gomez, gastroentérologue et professeur en nutrition à L’Université Paris VII Denis Diderot.

Un livre a fait encore plus de bruit, il est l’œuvre d’une jeune allemande : Giulia Enders « Le charme discret de l’intestin »

Certains pensent, à raison probablement que nous avons certainement « digéré » avant de « penser ». Parce que notre système digestif abrite 200 Millions de neurones soit approximativement le même nombre de cellules nerveuses que dans le cerveau d’un chien, comme écrit ci-avant, ou d’un chat  En outre, … il y a 100 fois plus de bactéries dans notre intestin que de cellules dans notre corps. Et il a été démontré dans de nombreuses études que ces bactéries, si elles ont bien un rôle dans notre bien-être digestif, seraient aussi responsables de la manière dont nous « digérons » nos émotions.

Je crois que c’est l’expérience de beaucoup que les émotions peuvent immédiatement impacter notre système digestif.

Mais concernant le cœur, il semble que selon mes recherches, les choses soient un peu moins établies.

Je n’ai pas trouvé de publication scientifique indiscutable.

Sur ce site : « alternative santé » qui est un site spécialisé dans la médecine non conventionnelle, il est affirmé que :

On a découvert que le cœur contenait un système nerveux indépendant et bien développé, avec plus de 40.000 neurones et un réseau complexe et dense de neurotransmetteurs, de protéines et de cellules d’appui. Grâce à ces circuits, il semble que le cœur puisse prendre des décisions et passer à l’action indépendamment du cerveau et qu’il puisse apprendre, se souvenir et même percevoir.

Il existe quatre types de connexions qui partent du cœur et vont vers le cerveau de la tête.

  • Première connexion : neurologique
    Entre cœur et cerveau il y a une communication neurologique au moyen de la transmission d’impulsions nerveuses. Le cœur envoie plus d’information au cerveau qu’il n’en reçoit, il est l’unique organe du corps doté de cette propriété, et il peut inhiber ou activer des parties déterminées du cerveau selon les circonstances. Cela signifie-t-il que le cœur peut influencer notre manière de penser ? Il peut influer sur notre perception de la réalité, et de ce fait sur nos réactions.
  • Deuxième connexion : biochimique
    Le cœur envoie des informations biochimiques au moyen des hormones et des neurotransmetteurs. C’est le cœur qui produit l’hormone ANF, celle qui assure l’équilibre général du corps : l’homéostasie. L’un de ses effets est d’inhiber la production de l’hormone du stress, et de produire et de libérer l’ocytocine, connue comme hormone de l’amour.
  • Troisième connexion : biophysique
    Elle se fait au moyen des ondes de pression. Il semble qu’au travers du rythme cardiaque et de ses variations, le cœur envoie des messages au cerveau et au reste du corps.
  • Quatrième connexion : énergétique
    Le champ électromagnétique du cœur est le plus puissant de tous les organes du corps, 5.000 fois plus intense que celui du cerveau. Et on a observé qu’il varie en fonction de l’état émotif. Quand nous avons peur, que nous ressentons une frustration ou du stress, il devient chaotique. Et se remet-il en ordre avec les émotions positives ? Oui. Et nous savons que le champ magnétique du cœur s’étend de deux à quatre mètres autour du corps, c’est-à-dire que tous ceux qui nous entourent reçoivent l’information énergétique contenue dans notre cœur.

Et l’article continue :

« À quelles conclusions nous amènent ces découvertes ?

Le circuit du cerveau du cœur est le premier à traiter l’information, qui passe ensuite par le cerveau de la tête. Ce nouveau circuit ne serait-t-il pas un pas de plus dans l’évolution humaine ? Il y a deux types de variation de la fréquence cardiaque : l’une est harmonieuse, avec des ondes amples et régulières, et prend cette forme quand la personne a des émotions. L’autre est désordonnée, avec des ondes incohérentes. Elle apparaît avec la peur, la colère ou la méfiance.

Mais il y a plus : les ondes cérébrales sont synchronisées avec ces variations du rythme cardiaque, c’est-à-dire que le cœur entraîne la tête. La conclusion en est que l’amour du cœur n’est pas une émotion, c’est un état de conscience intelligente… N’est-ce pas, finalement, une confirmation supplémentaire de la théorie de la Médecine Chinoise, qui dit que le Coeur est le centre du Shen (terme chinois qui englobe les émotions, la conscience, l’esprit et le psychisme). »

Un autre article développe aussi cette thèse : http://www.epochtimes.fr/le-coeur-fonctionnerait-il-comme-le-cerveau-25065.html

Certains membres de la communauté scientifique sont, pour l’instant, fermés à cette hypothèse. Ainsi Jean-Didier Vincent, neurobiologiste, professeur à l’Institut Universitaire de France et à la faculté de médecine de Paris-Sud affirme avec netteté

« Le cerveau c’est l’origine de l’individuation, nous n’avons qu’un cerveau et nous sommes ce qu’est notre cerveau. Tout se passe dans notre cerveau. Ce n’est pas la raison qui est là, ce sont les sentiments. Si on parle encore du cœur : « Il a du cœur« , c’est toujours le cœur qui garde la prééminence. Pourtant c’est dans le cerveau que tout se passe et pas ailleurs.. »

Pour l’instant, il me semble donc que dire que le cœur est notre troisième cerveau n’a pas encore convaincu toute la communauté scientifique. Mais attendons, peut être que de nouvelles découvertes donneront encore davantage corps à cette  belle théorie.

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Mercredi 13 décembre 2017

«Les honneurs, je les méprise, mais je ne déteste pas forcément ce que je méprise »
Jean d’Ormesson (16/06/1925 – 05/12/2017) dans «Dieu, les  affaires et nous»

Il faut des mots du jour court.
En voici un.

Le mot du jour a plusieurs fois fait appel à Jean d’Ormesson :

Le mot du mardi 2 février 2016 :

« La vie naturellement est une vallée de larmes
C’est aussi une vallée de roses.»
Jean d’Ormesson

C’est lui aussi qui avait accueilli Simone Veil à l’Académie française. Et j’avais cité la fin de son discours :

« Je baisse la voix, on pourrait nous entendre : comme l’immense majorité des Français, nous vous aimons, Madame. Soyez la bienvenue au fauteuil de Racine, qui parlait si bien de l’amour. »

Je l’avais aussi mobilisé pour décrire François Mitterrand :

«c’est un homme qui avait un rapport complexe avec la vérité».

Pour revenir à l’exergue de ce mot du jour et pour l’éclairer il faut peut-être faire appel à Nietzsche qui aurait dit selon Fabrice Lucchini :

« Ce sont nos contradictions qui nous rendent féconds »

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Mardi 12 décembre 2017

« Le livre de la nature est écrit en langage mathématique »
Galilée

Je m’aperçois que je n’ai encore consacré aucun mot du jour à la mathématique qui fut pourtant un amour de jeunesse.

Je me suis appuyé sur un article de « Pour la Science » pour trouver l’exergue de ce mot du jour.

Cet article débute ainsi :

« Pythagore et ses disciples pensaient que le secret du monde tenait en quelques mots : « Toute chose est nombre. » Aujourd’hui, la science est parfois tentée de reprendre l’idée pythagoricienne en l’étendant sous la forme « Tout est mathématique », ce que Galilée disait déjà : « Le livre de la nature est écrit en langage mathématique. » Le sens et la portée de ces liens entre la science et les mathématiques sont un permanent sujet d’intérêt. »

Notre Député mathématicien Cédric Villani ne dit pas autre chose : « L’univers est sous-tendu par des concepts mathématiques »

Grâce à Twitter et à un compte qui fait référence au grand mathématicien Fermat (Fermat’s Library), nous constatons une fois de plus que le monde s’explique par les mathématiques.

Alors suivez-moi pas à pas, c’est très simple :

1 jour = 24 heures donc 24 = 4 x 3 x 2

Et 1 heure = 60 minutes donc 60 = 5 x 4 x 3

Et de même 1 minute = 60 secondes, à nouveau 60 = 5 x 4 x3

Pour finir, une mesure un peu plus inhabituelle la milliseconde

Bien sûr 1 seconde = 1000 millisecondes donc 1000 = 10 x 20 x 5 donc (2 x 5) x (5 x 4) x 5 et si on remet dans l’ordre 1000 = 5 x 5 x 5 x 4 x 2

Si vous avez suivi jusqu’ici et que nous repartons au départ :

Nous pouvons écrire 1 jour = (4x3x2) x (5x4x3) x (5x4x3) x (5x5x5x4x2) millisecondes.

Et si vous remettez tout dans l’ordre et utilisez la notation des puissances


La mathématique c’est cela : ordre, rigueur et poésie…

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