Mardi 31 mai 2016

Mardi 31 mai 2016
« Kushim »
Premier nom d’un Sapiens, conservé sur un support écrit, de l’histoire des Sapiens. « Sapiens : Une brève histoire de l’humanité » pages 151-152
L’écriture est née à Sumer, en Mésopotamie.
Et c’est dans le livre « Sapiens » que j’ai appris que le premier nom de Sapiens conservé sur un support écrit est le nom de « Kushim ».
Car Harari au milieu de théories et hypothèses qui nous interpellent, nous fait aussi découvrir des faits historiques que j’ignorais pour ma part.
Harari introduit d’abord ce sujet en expliquant l’écriture sumérienne :
« L’écriture est une méthode de stockage de l’information à travers des signes matériels. Le système d’écriture sumérien y parvint en mêlant deux types de signes, pressés sur des tablettes d’argile.
Un type de signes représentait les chiffres. Il y avait des signes pour 1,10, 60, 600, 3600, et 36 000. (Les sumériens employaient une combinaison de système de numération de base six et de base dix.)
Et nous apprenons ainsi l’origine de la journée de 24 heures, au lieu d’une journée de 10 heures ou de 100 heures par exemple. De même que les 60 minutes d’une heure, ou les 60 secondes d’une minute ou encore les 360° d’un cercle viennent de Sumer :
« Leur système de base six nous a laissé plusieurs héritages importants, comme la division du jour en 24 heures est celle du cercle en 360°. »
Mais à côté des chiffres, il y avait d’autres signes qui n’étaient pas encore des lettres :
« L’autre type de signes représentait les hommes, des animaux, des marchandises, des territoires, des dates et ainsi de suite. En mêlant les deux types de signes, les sumériens réussirent à préserver plus de données que n’importe quel cerveau d’homme n’en pouvait mémoriser […]. »
Mais à quoi servait l’écriture des chiffres et des « pseudo-lettres » ?
« À ce premier stade, l’écriture était limitée aux faits et aux chiffres. Le grand roman sumérien, s’il exista jamais, ne fut pas livré aux tablettes argile. Écrire prenait du temps, et le lectorat était infime, en sorte que nul ne voyait de raison de s’en servir à une autre fin que la tenue des archives essentielles. Si nous recherchons les premiers mots de sagesse venue de nos ancêtres, voici 5000 ans nous allons au-devant d’une grosse déception.
Les tout premiers messages que nos ancêtres nous aient laissés sont du style : « 29 086 mesures orge 37 mois Kushim.» Très probablement faut-il comprendre : « Un total de 29 086 mesures d’orge a été reçu en 37 mois. Signé, Kushim. »
Il s’agit d’une tablette d’argile dont vous trouverez une reproduction dans le livre mais aussi sur Internet ce qui me permet de vous en montrer une photo :
Les premiers textes d’histoire ne contiennent ni aperçus philosophiques, ni poésie, ni légendes, ni lois, ni même triomphes royaux. Ce sont de banals documents économiques enregistrant le paiement des taxes, l’accumulation des dettes et la propriété de tels ou tels biens. « Kushim » est peut-être le titre générique d’un dignitaire, ou le nom d’un particulier. Si Kushim était bel et bien une personne, c’est peut-être le premier individu dont le nom nous soit connu. « Grotte de Chauvet », « Neandertal », sont des inventions modernes. L’idée du nom que les constructeurs de [tel ou tel site préhistorique] donnait comme nom à ce site, nous est totalement inconnu.
Avec l’apparition de l’écriture nous commençons à entendre l’histoire à travers l’oreille de ses protagonistes. Quand ses voisins l’appelaient, ils criaient réellement «Kushim ! ».
Et Harari d’ajouter cette remarque pleine de facétie et de bon sens :
« Il est significatif que le premier nom attesté de l’histoire appartienne à un comptable, plutôt qu’à un prophète, un poète ou un conquérant. »
A travers les petites histoires vraies que l’auteur de « Sapiens » distille dans son ouvrage, il montre aussi les préoccupations premières et les points essentiels de nos ancêtres. En effet, à cette époque la plupart des humains sur terre étaient des agriculteurs. Ils avaient besoin de garder une trace de ce qu’ils possédaient et de ce qu’ils devaient – et c’est comme cela que l’écriture est arrivée. C’était une «technique» pour les gens normaux, pas, dans un premier temps, le support d’une philosophie ou d’une théologie.
Vous trouverez aussi une réflexion sur ce sujet et le livre sur le site des échos derrière ce lien :

Lundi 30 mai 2016

Lundi 30 mai 2016
« L’histoire donne de l’Homo sapiens l’image d’un serial killer écologique »
Yuval Noah Harari
Sapiens : Une brève histoire de l’humanité pages 83 à 97
Nous avons commencé à butiner dans ce livre étonnant « Sapiens » en nous intéressant d’abord à ce fait historique que dans le genre « homo », Sapiens est resté seul, alors qu’il y eut une époque de cohabitation avec Neandertal et bien d’autres espèces du genre, ensuite nous avons suivi l’auteur dans sa thèse que ce qui a fait la force de sapiens c’était sa capacité à créer des mythes et un imaginaire fédérateur.
Nous l’avons encore suivi quand il a montré la présence de l’imaginaire dans notre quotidien.
Aujourd’hui je vais partager avec vous des faits et les hypothèses extrêmement réalistes montrant les effets de la présence de Sapiens sur les espèces animales et végétales.
Il y a longtemps, c’étaient les dinosaures qui occupaient la première place dans la chaîne alimentaire. Il y a un consensus scientifique que ce fut un évènement extérieur, qui bouleversa la vie sur la planète et entraina la disparition du « genre dinosaure » sur la terre.
Nous savons qu’au long de l’Histoire des milliers d’espèce ont disparu. Probablement, influencé par le destin des dinosaures, l’explication commune consistait à faire porter l’essentiel de cette responsabilité à des évènements extérieurs, notamment les transformations du climat. Dans nos mythes on a inventé des histoires comme le déluge.
Aujourd’hui, des espèces continuent à disparaître massivement. Pour cette évolution contemporaine, le rôle de sapiens est évident, documenté et accablant.
Harari nous dévoile que très probablement sapiens, dès qu’il est devenu « le maître des espèces », a été plus qu’un prédateur, un exterminateur !
« Avant la révolution cognitive, toutes les espèces d’hommes vivaient exclusivement sur le bloc continental afro asiatique. Certes, ils avaient colonisé quelques îles en traversant à la nage ou sur des radeaux de fortune de petites étendues d’eau. […].
La barrière maritime empêcha les hommes, mais aussi de nombreux autres animaux et végétaux afro asiatiques d’atteindre ce « monde extérieur ». De ce fait, les organismes de terres lointaines comme l’Australie et Madagascar évoluèrent isolément durant des millions et des millions d’années, prenant des formes et des natures très différentes de celles de leurs lointains parents afro-asiatiques. […]
À la suite de la révolution cognitive, sapiens acquis la technologie, les compétences organisationnelles et peut-être même la vision nécessaire pour sortir de l’espace afro-asiatique et coloniser le monde extérieur. Sa première réalisation fut la colonisation de l’Australie voici 45 000ans.
[…] Le voyage des premiers humains vers l’Australie est un des événements les plus importants de l’Histoire, au moins aussi important que le voyage de Christophe Colomb vers l’Amérique ou l’expédition d’Apollo 11 vers la Lune. Pour la première fois, un humain était parvenu à quitter le système écologique afro-asiatique ; pour la première fois, en fait, un gros mammifère terrestre réussissait la traversée de l’Afro-Asie vers l’Australie. […]
L’instant où le premier chasseur-cueilleur posa le pied sur une plage australienne fut le moment où l’Homo sapiens ce hissa à l’échelon supérieur de la chaîne alimentaire et sur un bloc continental particulier, puis devint l’espèce la plus redoutable dans les annales de la planète Terre.
Jusque-là les hommes avaient manifesté des adaptations et des comportements novateurs, mais leur effet sur l’environnement était demeuré négligeable. […]. »
Yuval Noah Harari nous fait alors la description de la faune de l’Australie d’avant Homo sapiens :
« [C’était] un étrange univers de créatures inconnues, dont un kangourou de 2 m pour 200 kg et un lion marsupial aussi massif qu’un tigre moderne, qui était le plus gros prédateur du continent. Dans les arbres évoluaient des koalas beaucoup trop grands pour être vraiment doux et mignon, tandis que dans la plaine sprintaient des oiseaux coureurs qui avaient deux fois la taille d’une autruche. Des lézards dragons et des serpents de 5 m de long ondulaient dans la broussaille. Le diprotodon géant, wombat de 2 tonnes et demie, écumaient la forêt. Hormis les oiseaux et les reptiles, tous ces animaux étaient des marsupiaux : comme les kangourous. Ils donnaient naissance à des petits minuscules et démunis, comparables à des fœtus qu’ils nourrissaient ensuite au lait dans des poches abdominales. Quasiment inconnus en Afrique et en Asie, les mammifères marsupiaux étaient souverains en Australie.
Presque tous ces géants disparurent en quelques milliers d’années : 23 des 24 espèces animales australiennes de 50 kg ou plus s’éteignirent. Bon nombre d’espèces plus petites disparurent également. Dans l’ensemble de l’écosystème australien, les chaînes alimentaires furent coupées et réorganisées. Cet écosystème n’avait pas connu de transformation plus importante depuis des millions d’années. Était-ce la faute d’Homo sapiens ?
Certains chercheurs essayent d’exonérer notre espèce pour rejeter la faute sur les caprices du climat. On a peine à croire, pourtant, qu’Homo sapiens soit entièrement innocent. Trois types de preuves affaiblissent l’alibi du climat et impliquent nos ancêtres dans l’extinction de la mégafaune australienne. Premièrement, même si le climat de l’Australie a changé voici 45 000 ans, ce bouleversement n’avait rien de remarquable. On voit mal comment le nouveau climat aurait pu provoquer à lui seul une extinction aussi massive. […]
Apparu en Australie il y a plus de 1,5 millions d’années, le diprotodon géant avait résisté à au moins dix ères glaciaires antérieures. Il survécut aussi au premier pic du dernier âge glaciaire il y a environ 70 000 ans. Pourquoi a-t-il disparu il y a 45000 ans ?
Si les diprotodons avaient été les seuls gros animaux à disparaître à cette époque, on aurait naturellement pu croire à un hasard. Or, plus de 90 % de la mégafaune australienne a disparu en même temps que le diprotodon. Les preuves sont indirectes, mais en imagine mal que, par une pure coïncidence, sapiens soit arrivé en Australie au moment précis où tous ces animaux mouraient de froid. […] »
Est-ce une hypothèse parmi d’autres ?
Sans doute pas, parce que ce scénario va se répéter à travers l’Histoire de Sapiens :
« Les millénaires suivants ont connu des extinctions de masse proche de l’archétype de la décimation australienne chaque fois qu’une population a colonisé une autre partie du monde extérieur. Dans tous ces cas, la culpabilité de sapiens est irrécusable. Par exemple, la mégafaune néo-zélandaise qui avait essuyé sans une égratignure le prétendu changement climatique d’il y a environ 45 000 ans a subi des ravages juste après le débarquement des premiers hommes sur ces îles. Les maoris, premiers colons sapiens de la Nouvelle-Zélande, y arrivèrent voici 800 ans. En l’espace de deux siècles disparurent la majorité de la mégafaune locale en même temps que 60 % des espèces d’oiseaux locales.
La population de mammouths de l’ile Wrangel, dans l’Arctique connut le même sort. Les mammouths avaient prospéré pendant des millions d’années dans la majeure partie de l’hémisphère nord. Avec l’essor d’Homo sapiens, cependant, d’abord en Eurasie, puis en Amérique du Nord, les mammouths ont reculé. Voici environ 10 000 ans, il n’y avait plus un seul mammouth au monde, hormis dans quelques îles lointaines de l’Arctique, à commencer par Wrangel. Les mammouths de cette île continuèrent de prospérer encore pendant quelques millénaires, avant de disparaître subitement voici 4000 ans, au moment précis où les humains débarquèrent.
Si l’extinction australienne était un événement isolé, nous pourrions accorder aux hommes le bénéfice du doute. Or, l’histoire donne de l’Homo sapiens l’image d’un serial killer écologique. »
Yuval Noah Harari donne des explications rationnelles aux moyens utilisés par sapiens pour chasser, tuer ces espèces est aussi les raisons pour lesquelles ces espèces ne se méfiant pas d’un petit singe qui n’avait pas l’air très dangereux ne surent pas se protéger. Vous trouverez ces explications aux pages 89-91.
Je préfère m’attarder à un autre développement de Yuval Noah Harari sur la continuation du récit :
« L’extinction de la mégafaune australienne [qui] est probablement la première marque significative qu’Homo sapiens ait laissée sur notre planète. Suivit une catastrophe écologique encore plus grande, cette fois en Amérique. Homo sapiens fut la seule espèce humaine à atteindre le bloc continental de l’hémisphère ouest, où il arriva voici 16 000 ans, autour de 14 000 avant notre ère. […]
Jusque-là, aucune espèce humaine n’avait réussi à pénétrer les espaces comme la Sibérie du Nord. Même les Neandertal, adaptés au froid, se cantonnèrent à des régions relativement plus chaudes, plus au sud. […] Les terres arctiques grouillaient d’animaux savoureux tels que les rennes et les mammouths. Chaque mammouth était source d’une énorme quantité de viande (avec le froid, on pouvait même la congeler pour la consommer plus tard), de graisse goûteuse, de fourrure chaude et d’ivoire précieux. […] Autour de 14 000 avant notre ère, la chasse en entraîna certains de la Sibérie du Nord-Est vers l’Alaska. Bien entendu, ils ne surent pas qu’ils découvraient un nouveau monde. Pour le mammouth comme pour l’homme, l’Alaska était une simple extension de la Sibérie. […]
Profitant du nouveau couloir, les hommes passaient au Sud en masse, se répandant à travers le continent. […] Certains se fixèrent dans le bassin de l’Amazone, d’autres s’enracinèrent dans les vallées des Andes où la pampa argentine. Tout cela en l’espace d’un millénaire ou deux ! […] Ce Blitzkrieg à travers l’Amérique témoigne de l’incomparable ingéniosité et de l’adaptabilité insurpassée de l’Homo sapiens. Aucun autre animal n’avait jamais investi aussi rapidement une telle diversité d’habitats radicalement différents–et ce, en utilisant partout quasiment les mêmes gènes. […]
Voici 14 000 ans, la forêt américaine était bien plus riche qu’aujourd’hui. Quand les premiers américains quittèrent l’Alaska pour le sud, s’aventurant dans les plaines du Canada et de l’Ouest des États-Unis, ils trouvèrent des mammouths et des mastodontes, des rongeurs de la taille d’un ours, des troupeaux de chevaux et de chameaux, des lions géants et des douzaines d’espèces de gros animaux qui ont totalement disparu, dont les redoutables chats à dents de cimeterre et les paresseux terrestres géants qui pesaient jusqu’à 8 tonnes et pouvaient atteindre 6 m de haut. L’Amérique du Sud hébergeait une ménagerie encore plus exotique de gros mammifères, de reptiles et d’oiseaux. Les Amériques avaient été un grand laboratoire d’expérimentation de l’évolution, un espace où avaient évolué et prospéré des animaux et des végétaux inconnus en Afrique et en Asie.
Mais ce n’est plus le cas. Deux milles ans après l’arrivée du Sapiens, la plupart de ces espèces uniques avaient disparu. Dans ce bref intervalle, suivant les estimations courantes, l’Amérique du Nord perdit 34 de ses 47 genres de gros mammifères, et l’Amérique du Sud 50 sur 60. »
J’arrête ici cette longue énumération, bien que Yuval Noah Harari donne encore des exemples dans la grande île de Madagascar et dans d’autres îles du Pacifique.
Que dire ?
La thèse défendue par Yuval Noah Harari : celle d’un sapiens serial killer écologique semble très vraisemblable.
Dans nos mythes religieux, l’homme est une espèce à part, l’espèce préféré des dieux ou de Dieu.
Nous ne sommes pas des serial-killer puisque nous suivons les desseins de Dieu…
Croire de tels mythes permet certainement de se déculpabiliser totalement de notre action sur les autres espèces, bien que dans ces mythes la nature et les autres espèces sont aussi création de Dieu !

Vendredi 27 mai 2016

Vendredi 27 mai 2016
« L’ordre imaginaire façonne nos désirs. »
Yuval Noah Harari
Sapiens : Une brève histoire de l’humanité pages 142-144
Nous qui sommes les sapiens modernes poursuivons un bel objectif : « Nous faire du bien ! ».
Voilà un but légitime. Mais comment nous faire du bien ? Probablement en allant autant que possible au bout de nos désirs, bien sûr dans les limites de la Loi et de la morale.
Mais d’où viennent nos désirs ?
Evidemment de notre imaginaire répondra Harari qui explique que « L’ordre imaginaire façonne nos désirs. »
Et l’homme moderne se soumet à deux idéologies modernes dominantes : le romantisme et le consumérisme.
Et lorsque l’auteur de « Sapiens » regarde nos mœurs et désirs modernes au regard de l’histoire de notre espèce cela donne cette analyse :
« La plupart des gens ne veulent pas admettre que l’ordre qui régit leur vie soit imaginaire, mais en fait chacun nait dans un ordre imaginaire préexistant ; dès la naissance, les mythes dominants façonnent nos désirs. Nos désirs personnels deviennent ainsi les défenses les plus importantes de l’ordre imaginaire.
Par exemple, les désirs les plus chers des occidentaux actuels sont façonnés par des mythes romantiques, nationalistes, capitalistes et humanistes en circulation depuis des siècles.
Entre amis, on se donne souvent ce conseil : « Suis donc ton cœur ! » Or, le cœur est un agent double qui tient souvent ses instructions des mythes dominants de l’époque. Cette recommandation même nous a été inculquée par un mélange de mythes romantiques du XIXe siècle et de mythes consuméristes du siècle dernier. La société Coca-Cola, par exemple, a vendu son Coca Light dans le monde entier sous le slogan : « faites ce qui vous fait du bien. »
Même ce que les gens considèrent comme leurs désirs personnels les plus égoïstes sont habituellement programmés par l’ordre imaginaire. Prenons l’exemple du désir populaire de prendre des vacances à l’étranger. Qui n’a rien d’évident ni de naturel.
Jamais un mâle alpha (mâle dominant) chimpanzé n’aurait l’idée d’utiliser son pouvoir pour aller en vacances sur le territoire d’une bande voisine de chimpanzés.
L’élite de l’Égypte ancienne dépensa des fortunes à bâtir des pyramides et à faire momifier ses cadavres, mais aucun de ses membres ne songea à faire du shopping à Babylone ou à passer des vacances de ski en Phénicie. De nos jours, les gens dépensent de grosses sommes en vacances à l’étranger parce que ce sont des vrais croyants, adeptes des mythes du consumérisme romantique.
Le consumérisme romantique mêle deux idéologies modernes dominantes : le romantisme et le consumérisme. Le romantisme nous dit que, pour tirer le meilleur parti de notre potentiel humain, il nous faut multiplier autant que possible les expériences. Nous devons nous ouvrir à un large spectre d’émotions, expérimenter diverses sortes de relations, essayer des cuisines différentes, apprendre à apprécier divers styles de musique.
Une des meilleures façons d’y parvenir est de rompre avec la routine de tous les jours, d’abandonner notre cadre familier et de voyager au loin, où nous pouvons « expérimenter » la culture, les odeurs, les goûts et les normes d’autres peuples. On ne cesse de nous ressasser les mythes romantiques sur le thème, « comment une nouvelle expérience m’a ouvert les yeux et a changé ma vie ».
Le consumérisme nous dit que pour être heureux il faut consommer autant de produits et de services que possible. Si nous avons le sentiment que quelque chose nous manque où laisse à désirer, probablement avons-nous besoin d’acheter un produit (voiture, vêtements neufs,…) ou un service (heures de ménage, thérapie relationnelle, cours de yoga).
Chaque publicité à la télévision est une petite légende de plus sur le thème « la consommation d’un produit ou d’un service rendra la vie meilleure ».
Le romantisme qui encourage la variété, s’accorde parfaitement avec le consumérisme. Leur mariage a donné naissance à un «  marché des expériences » infini sur lequel se fonde l’industrie moderne du tourisme. Celle-ci ne vend pas des billets d’avion ou des chambres d’hôtel, mais des expériences. Paris n’est pas une ville, ni l’Inde un pays, ce sont des expériences. La consommation est censée élargir nos horizons, accomplir notre potentiel humain et nous rendre plus heureux. Dès lors, quand un couple de millionnaires bat de l’aile, le mari emmène sa femme à Paris. Le voyage n’est pas l’expression de quelque désir indépendant mais traduit une croyance fervente aux mythes du consumérisme romantique.
En Egypte ancienne, il ne serait jamais venu l’idée à un homme riche de résoudre une crise conjugale en emmenant sa femme en vacances à Babylone. Sans doute aurait-il fait construire le tombeau somptueux de ses rêves. 
Comme l’élite égyptienne, la plupart des gens, dans la plupart des cultures, passent leur vie à construire des pyramides. D’une culture à l’autre, seuls changent les noms, les formes et les tailles de ces pyramides : villa de banlieue chic avec piscine et pelouse ou penthouse étincelant avec vue imprenable.
Peu contestent ces mythes qui nous font désirer une pyramide »
Le « consumérisme romantique » et le « marché des expériences ».
Je trouve fascinant comment Harari déshabille le discours moderne du sapiens contemporain et parvient à l’inscrire dans l’Histoire générale de notre espèce basée sur l’imaginaire et les mythes.

Jeudi 26 mai 2016

«Une des règles d’airain de l’Histoire est que toute hiérarchie imaginaire désavoue ses origines fictionnelles et se prétend naturelle et inévitable.»
« Yuval Noah Harari
Sapiens : Une brève histoire de l’humanité pages 163-165 »

L’appel à l’imaginaire et où mythes constituent, selon Harari un point central de l’évolution de sapiens, notre espèce.

Dans son chapitre huit qu’il intitule « il n’y a pas de justice dans l’histoire », il remet en perspective à travers les exemples du code d’Hammourabi et de la proclamation d’indépendance de Philadelphie à la manière dont se sont structurées les sociétés des sapiens sur la base de ces textes et la manière dont ils se sont arrangés avec la réalité des faits.

Je cite :

« Comprendre l’histoire humaine dans les millénaires qui suivirent la Révolution agricole revient à répondre à une seule question : comment les hommes se sont-ils organisés en réseaux de coopération de masse, alors que leur manquaient les instincts biologiques nécessaires pour entretenir de tels réseaux ?

La réponse courte est qu’ils créèrent des ordres imaginaires et inventèrent des écritures. Ces deux inventions comblèrent les vides laissés par notre héritage biologique.

Pour beaucoup, cependant, l’apparition de ces réseaux fut une bénédiction douteuse. Les ordres imaginaires qui supportaient ces réseaux n’étaient ni neutres ni justes.

Ils divisèrent les gens en semblant de groupes hiérarchiquement organisés. Aux couches supérieures, les privilèges et le pouvoir, tandis que les couches inférieures souffraient de discrimination et d’oppression. Le code d’Hammourabi, par exemple, instaurait un ordre de préséance avec des supérieurs, des gens du commun et des esclaves. Les supérieurs avaient toutes les bonnes choses ; le commun devait se contenter des restes. Les esclaves étaient roués de coups s’ils se plaignaient.

Malgré sa proclamation de l’égalité de tous les hommes, l’ordre imaginaire instauré par les Américains en 1776 établit également une hiérarchie. Il créa une hiérarchie entre les hommes, qui en bénéficiaient et les femmes, qu’il laissa démunies ; mais aussi entre Blancs, qui jouissaient de la liberté, et Noirs et Indiens d’Amérique, considérés comme des hommes inférieurs qui ne pouvaient donc pas se prévaloir des droits égaux des hommes. Nombre des signataires de la Déclaration d’indépendance avaient des esclaves. Ils ne leur donnèrent pas la liberté à la signature, et ne se considéraient pas non plus comme des hypocrites. Dans leur idée, les droits des hommes n’avaient pas grand-chose à voir avec les Noirs.

L’ordre américain consacra également la hiérarchie entre riches et pauvres. En ce temps-là, l’inégalité liée au fait que les parents fortunés transmettaient leur argent et leurs affaires à leurs enfants ne choquait guère la plupart des Américains. […]

En 1776, [la liberté] ne signifie pas que les sans pouvoir (certainement pas les Noirs ou les Indiens ou, qu’à Dieu ne plaise, les Femmes) pouvaient conquérir et exercer le pouvoir. Elle voulait dire simplement que, sauf circonstances exceptionnelles, l’État ne pouvait confisquer les biens d’un citoyen ni lui dicter ce qu’il devait en faire. Ce faisant, l’ordre américain soutenait la hiérarchie de la richesse, que d’aucuns croyaient envoyée par Dieu, quand d’autres y voyaient l’expression des lois immuables de la nature. La nature, assurait-on, récompensait le mérite par la richesse et pénalisait l’indolence.

Toutes ces distinctions – entre personnes libres et esclaves, entre blancs et noirs, entre riches et pauvres – s’enracine dans des fictions.

Une des règles d’airain de l’Histoire est que toute hiérarchie imaginaire désavoue ses origines fictionnelles et se prétend naturelle et inévitable.

Ainsi, nombre de ceux qui estimaient naturelle et correcte la hiérarchie des hommes libres et des esclaves ont prétendu que l’esclavage n’était pas une invention humaine. Hammourabi la pensait ordonnée par les dieux. Selon Aristote, les esclaves ont une « nature servile » tandis que les hommes libres ont une « nature libre ». Leur place dans la société n’est qu’un reflet de leur nature intime. […]

Interrogez un capitaliste endurci sur la hiérarchie de la richesse, et il vous expliquera probablement qu’elle est le fruit inévitable de différences objectives de capacité. Dans son idée, les riches ont plus d’argent, parce qu’ils sont plus capables et plus diligents. Il n’y a donc pas à s’inquiéter que les nantis jouissent de meilleurs soins ou d’une éducation et d’une alimentation meilleures. Les riches méritent amplement tous les avantages dont ils jouissent.»

Et alors, direz-vous ?

Eh bien, on nous raconte des histoires, nous nous racontons des histoires, des fictions et nous y croyons. Tout cela est le fruit de notre imagination fertile. La réalité est tout autre, mais les fictions nous la cachent comme un filtre qui donne d’autres couleurs à la réalité.

Finalement, toutes ces histoires permettent aux sociétés de ne pas se désagréger, aux puissants de trouver une justification à leur prééminence et aux faibles d’accepter leur sort.

Décapant est un des premiers mots que j’avais utilisé.

Au fait, avez-vous acheté ou emprunté « Sapiens » ?
Je joins la photo pour que vous puissiez aisément le reconnaître

 

 

 

 

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Mercredi 25 mai 2016

«Seul l’Homo sapiens peut parler de choses qui n’existent pas vraiment. […]Ces mythes donnent aux sapiens une capacité sans précédent de coopérer en masse et en souplesse.»
« Yuval Noah Harari
Sapiens : Une brève histoire de l’humanité page 36, puis 133-138 »

Comment sapiens s’est-il imposé ?

Quels furent ses talents, quelles capacités a-t-il mises en œuvre pour devenir « le maître des espèces sur terre » ?

Harari parle d’une révolution cognitive, de la capacité de notre espèce à développer le langage, l’échange verbal et…

Notre capacité à inventer des mythes, des histoires qui n’existent pas ou au moins des histoires qu’aucune observation neutre et matérielle ne saurait inscrire dans la réalité terrestre.

Il a cette belle formule que j’ai pensé un moment utilisé comme exergue de ce mot du jour : « Jamais vous ne convaincrez un singe de vous donner sa banane en lui promettant qu’elle lui sera rendue au centuple au ciel des singes»

Et, c’est cette faculté d’inventer des histoires, des mythes, des religions qui ont donné à Sapiens les moyens de réunir des groupes, tribus, empires immenses liés par ces croyances communes. Aucune autre espèce n’a jamais été capable de réunir autant d’individus liés par un destin et des objectifs communs.

Il introduit ainsi son analyse page 36 :

« On conviendra sans trop de peine que seul l’Homo sapiens peut parler de choses qui n’existent pas vraiment et croire à six choses impossibles avant le petit-déjeuner. […] Mais pourquoi est-ce important ?

Somme toute, la fiction peut dangereusement égarer ou distraire. Les gens qui vont dans la forêt en quête de fées ou de licornes sembleraient avoir moins de chances de survie que ceux qui cherchent des champignons ou des cerfs. Et si vous passez des heures à prier des esprits tutélaires inexistants, ne perdez-vous pas un temps précieux qui serait mieux employé à fourrager, vous battre ou forniquer ?

Or, c’est la fiction qui nous a permis d’imaginer des choses, mais aussi de le faire collectivement. Nous pouvons tisser des mythes tels que le récit de la création biblique, le mythe du Temps du rêve des aborigènes australiens ou les mythes nationalistes des Etats modernes. Ces mythes donnent aux sapiens une capacité sans précédent de coopérer en masse et en souplesse. Fourmis et abeilles peuvent aussi travailler ensemble en grand nombre, mais elles le font de manière très rigide et uniquement avec de proches parents. Loups et chimpanzés coopèrent avec bien plus de souplesse que les fourmis, mais ils ne peuvent le faire qu’avec de petits nombres d’autres individus qu’ils connaissent intimement. Sapiens peut coopérer de manière extrêmement flexible avec d’innombrables inconnus. C’est ce qui lui permet de diriger le monde pendant que les fourmis mangent nos restes et que les chimpanzés sont enfermés dans les zoos et les laboratoires de recherche. »

Si vous êtes pressés, vous pouvez arrêter votre lecture ici, vous aurez compris l’essentiel de la thèse de Hariri.

Mais si vous avez un peu de temps ou d’envie d’en savoir plus je vous invite à lire le développement que l’auteur nous donne à partir de la page 133.

L’auteur confronte le code d’Hammourabi avec la déclaration d’indépendance des Etats-Unis.

D’abord de manière pédagogique, il explique le contexte et l’Histoire de l’un et de l’autre :

Le Code D’Hammourabi :

« En 1776 avant notre ère, Babylone était la plus grande ville du monde. Avec plus d’un million de sujets, l’empire babylonien était probablement le plus vaste du monde. […] Le roi de Babylone le plus connu de nos jours est Hammourabi. Sa gloire tient avant tout au texte qui porte son nom, le code d’Hammourabi : un recueil de ses lois et décisions de justice. Son propos est de présenter ce code comme le modèle du roi juste, d’en faire la base d’un système juridique plus uniforme à travers l’Empire babylonien et d’enseigner aux générations futures ce qu’est la justice et comment agit un roi juste.

Les générations suivantes y prêtèrent attention. L’élite intellectuelle et bureaucratique de Mésopotamie canonisa le texte, et les apprentis scribes continuèrent de le copier longtemps après la mort d’Hammourabi et la ruine de son empire. Ce code est donc une bonne source pour comprendre les mésopotamiens anciens et leur idéal en matière d’ordre social. »

La déclaration d’indépendance des Etats-Unis :

« Environ 3500 ans après la mort d’Hammourabi, les habitants de 13 colonies britanniques d’Amérique du Nord eurent le sentiment que le roi d’Angleterre les traitait injustement. Leurs représentants se réunirent à Philadelphie et, le 4 juillet 1776, les colonies décidèrent que leurs habitants n’étaient plus sujets de la Couronne britannique. »

Puis, pour nous rassurer et ne pas heurter notre sens commun, il explique les grandes différences entre ces deux textes fondateurs.

D’abord [le Code d’Hammourabi],

«  Commence par dire que […] les principales divinités du panthéon mésopotamien, chargèrent Hammourabi « de proclamer le droit dans le pays, pour éliminer le mauvais et le pervers, pour que le Fort n’opprime pas le faible ».

Suivent près de 300 jugements, toujours rendus suivant une formule consacrée : « s’il se passe tel ou tel chose… le jugement est… » [voici quelques exemples] :

196. Si quelqu’un a crevé l’œil d’un homme libre, on lui crèvera l’œil

197. S’il a brisé l’os d’un homme libre, on lui brisera l’os.

198. S’il a crevé l’œil d’un mushkenu [entre hommes libres et esclaves] ou brisé l’os d’un mushkenu, il pèsera une mine d’argent.

199. S’il a crevé l’œil de l’esclave d’un particulier, ou brisé l’os de l’esclave d’un particulier il pèsera la moitié de son prix.

209. Si quelqu’un a frappé quelque femme libre et s’il lui a fait expulser le fruit de son sein, il pèsera dix sicles d’argent pour le fruit de son sein.

210. Si cette femme est morte, on tuera sa fille.

[…]

L’ordre social babylonien, affirme le code d’Hammourabi, s’enracine dans les principes universels et éternels de justice dictés par les dieux. Le principe de la hiérarchie est d’une suprême importance. Suivant le code, les gens sont divisés en deux sexes et trois classes : les hommes libres, les roturiers et les esclaves. Les membres de chaque classe de chaque sexe ont des valeurs différentes. La vie d’une femme de la catégorie intermédiaire vaut trente sicles d’argent, celle d’une esclave 20, tandis que l’œil d’un homme de la catégorie intermédiaire en vaut 60.

Le code établit aussi au sein des familles une hiérarchie stricte où les enfants ne sont pas des personnes indépendantes, mais la propriété de leurs parents. Dès lors, si un homme libre tue la fille d’un autre homme libre, la fille du meurtrier sera exécutée en châtiment.

Il peut nous paraître étrange qu’il ne soit fait aucun mal au tueur, dont la fille innocente est tuée à sa place, mais la chose était parfaitement juste aux yeux d’Hammourabi et des Babyloniens. Le code d’Hammourabi reposait sur l’idée que si, tous les sujets du roi acceptaient leur position au sein de la hiérarchie et agissaient en conséquence, le million d’habitants de l’Empire pourrait coopérer efficacement. »

La déclaration d’indépendance se présente de manière fort différente :

« La déclaration d’indépendance proclamait des principes universels et éternels de justice qui, comme ceux d’Hammourabi, s’inspiraient d’une force divine. Mais le principe le plus important édicté par le dieu américain était précisément un peu différent du principe édicté par les dieux de Babylone. Ainsi lit-on dans la déclaration d’indépendance :

« Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables, parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. »

C’est ensuite qu’il nous déstabilise en montrant leurs similitudes et surtout leur fondement totalement imaginaire qui ne repose sur aucun raisonnement scientifique sérieux. Ce que raconte le texte américain, les droits de l’homme dont il est question, nous est plus familier, plus en accord avec nos valeurs, mais repose de la même manière sur une histoire inventée, un mythe.

« Comme le code d’Hammourabi, le texte fondateur américain promet que, si les hommes se conforment à ses principes sacrés, ils seront des millions à pouvoir coopérer efficacement, à vivre en sécurité et paisiblement dans une société juste et prospère. De même que le code d’Hammourabi, la déclaration d’indépendance n’était pas simplement un document ancré dans une époque et dans un lieu : les générations futures devaient l’accepter également. Depuis plus de deux siècles, les petits écoliers américains la recopient et l’apprennent par cœur.

Les deux textes nous mettent en présence d’un dilemme évident. Le code d’Hammourabi comme la déclaration d’indépendance américaine prétendent tout deux esquisser des principes de justice universels et éternels, mais selon les Américains tous les hommes sont égaux, alors qu’ils sont résolument inégaux pour les Babyloniens. Bien entendu les américains diraient qu’ils ont raison, qu’Hammourabi se trompe. Naturellement, Hammourabi protesterait qu’il a raison et que les Américains ont tort. En fait, Hammourabi et les pères fondateurs américains imaginaient pareillement une réalité gouvernée par des principes universels immuables de justice comme l’égalité ou la hiérarchie. Or, ces principes universels n’existent nulle part ailleurs que dans l’imagination fertile des Sapiens et dans les mythes qu’ils inventent et se racontent. Ces principes n’ont aucune validité objective. »

Et c’est alors qu’il démolit scientifiquement le texte et les mots utilisés par la déclaration américaine :

« Il nous est facile d’accepter que la division en hommes « supérieurs » et en « commun des mortels » est un caprice de l’imagination. Pourtant, l’idée que tous les humains sont égaux est aussi un mythe. En quel sens les hommes sont-ils égaux les uns aux autres ?

Existe-t-il, hors de l’imagination humaine, une réalité objective dans laquelle nous soyons véritablement égaux ? Tous les hommes sont-ils biologiquement égaux ? Essayons donc de traduire en termes biologiques le fameux passage de la déclaration d’indépendance des États-Unis :

« Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. »

Pour la biologie, les hommes n’ont pas été « créés » : ils ont évolué.

Et ils n’ont certainement pas évolué vers l’ « égalité ». L’idée d’égalité est inextricablement mêlée à celles de création. Les Américains tenaient l’idée d’égalité du christianisme, pour lequel chaque homme est pourvu d’une âme créée par Dieu, et toutes les âmes sont égales devant Dieu. Mais si nous ne croyons pas aux mythes chrétiens sur Dieu, la création et les âmes, que signifie « tous les hommes sont égaux » ?

L’évolution repose sur la différence, non pas sur l’égalité. Chacun est porteur d’un code génétique légèrement différent et, dès la naissance, se trouve exposé aux influences différentes de son environnement. Tout cela se traduit par le développement de qualités différentes qui sont porteuses de chances de survie différentes. « Créer égaux » doit donc se traduire par « ont évolué différemment ».

De même que les hommes n’ont jamais été créés, de même pour la biologie il n’y a pas non plus de « Créateur » qui les « dote » de quoi que ce soit. Il y a juste un processus d’évolution aveugle, sans dessein particulier, qui conduit à la naissance d’individus : « doués par le créateur » doit se traduire tout simplement par « nés ».

Il n’existe rien qui ressemble à des droits en biologie, juste des organes, des facultés et des traits caractéristiques. Si les oiseaux volent, ce n’est pas qu’ils aient le droit de voler, mais parce qu’ils ont des ailes. Et il n’est pas vrai que ces organes, ces facultés et ces caractéristiques soient «  inaliénables ». Beaucoup subissent des mutations constantes et peuvent se perdre totalement au fil du temps. L’autruche est un oiseau qui a perdu sa capacité de voler. Il convient donc de traduire les « droits inaliénables » en « caractéristiques muables ».

Et quelles caractéristiques ont évolué chez les êtres humains ? La « vie » assurément. Mais la « liberté » ? Il n’existe rien de tel en biologie. De même que l’égalité, les droits et les sociétés à responsabilité limitée, la liberté est une invention des hommes, et qui n’existe que dans leur imagination.[…]

Et le « bonheur » ? Jusqu’ici la recherche biologique n’a pas su trouver de définition claire du bonheur ni un moyen de le mesurer objectivement. La plupart des études biologiques reconnaissent uniquement l’existence du plaisir, qui se laisse plus aisément définir et mesurer. Il faut donc traduire «  la vie, la liberté, la recherche du bonheur » en « vie et recherche du plaisir ».

Voici donc, traduit en langage biologique le passage de la déclaration d’indépendance :

« Nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes ont évolué différemment, ils sont nés avec certaines caractéristiques muables, parmi ces caractéristiques se trouvent la vie et la recherche du plaisir. » »

Et il conclut, par cette interpellation :

« Cette forme de raisonnement ne manquera pas de scandaliser les tenants de l’égalité et des droits de l’homme, qui rétorqueront sans doute : « nous savons bien que les hommes ne sont pas égaux biologiquement ! Mais si nous croyons que nous sommes tous foncièrement égaux, cela nous permettra de créer une société stable et prospère. »

Je n’ai pas d’objection. C’est exactement ce que j’appelle ordre imaginaire.

Nous croyons un ordre particulier : non qu’il soit objectivement vrai mais parce qu’y croire nous permet de coopérer efficacement et de forger une société meilleure. Les ordres imaginaires ne sont ni des conspirations exécrables ni de vains mirages. Ils sont plutôt la seule façon pour les hommes de coopérer effectivement.

Mais ne perdez pas de vue qu’Hammourabi aurait pu défendre son principe hiérarchique en usant de la même logique : « je sais bien que les hommes libres, des hommes intermédiaires et les esclaves ne sont pas des espèces par nature différente. Mais si nous croyons qu’ils le sont, cela nous permettra de créer société stable et prospère. »

Génial et renversant !

<708>

Mardi 24 mai 2016

«La vérité est qu’entre 2 millions d’années et 10 000 ans, le monde a hébergé, en même temps, plusieurs espèces humaines.»
« Yuval Noah Harari
Sapiens : Une brève histoire de l’humanité, Pages 15 à 30 »

La première information étonnante que le livre « Sapiens » m’a apprise, est la cohabitation de notre espèce avec d’autres espèces humaines, alors que j’avais compris qu’il y avait eu succession des espèces.

Harari explique d’abord la classification utilisée par les scientifiques :

«  Les biologistes classent les organismes en espèces. On dit d’animaux qu’ils appartiennent à la même espèce s’ils ont tendance à s’accoupler l’un avec l’autre, donnant naissance à des rejetons féconds. Juments  et ânes  ont un ancêtre commun récent, et partagent maints traits physiques. Sexuellement cependant ils ne s’intéressent guère les uns aux autres. Ils s’accoupleront si on les pousse, mais ils donneront des mules ou des mulets stériles. […] Les deux types d’animaux sont considérés comme des espèces différentes. […] En revanche, un bouledogue et un épagneul paraissent très différents, mais ils sont membres de la même espèce, partageant le même vivier d’ADN.
Les espèces issues d’un ancêtre commun sont réunies sous le vocable de genre. lion, tigre, léopard et Jaguar sont des espèces différentes du genre « panthera ».
Les lecteurs de ce livre sont vraisemblablement tous des Homo sapiens : de l’espèce sapiens (sage) et du genre homo (hommes).
Les genres sont à leur tour regroupés en famille : ainsi les [félins] : Lions, guépards, chats domestiques. »

Il poursuit en rappelant que l’homme a une famille :

« Homo sapiens appartient lui aussi à une famille. […] Homo sapiens a longtemps préféré se croire à part des autres animaux : un orphelin sans famille, privée de frères et sœurs et de cousins, et surtout, sans parents. Or, ce n’est pas le cas. Qu’on le veuille ou non, nous sommes membre d’une grande famille particulièrement tapageuse : celle des grands singes. Parmi nos plus proches parents vivants figurent les chimpanzés, les gorilles, et les orangs outans. Les plus proches sont les chimpanzés. Il y a 6 millions d’années, une même femelle eue deux filles : l’une qui est l’ancêtre de tous les chimpanzés; l’autre qui est notre grand-mère. »

Et puis il révèle un secret, au moins une réalité qui n’a pas été pleinement explicitée jusqu’ici, parce que il nous a été raconté une évolution du genre humain quasi linéaire, d’un homo très proche du singe jusqu’à l’homo sapiens. Depuis quelques années cependant, l’histoire de la cohabitation ou au moins de la présence simultanée sur terre de l’homme de Neandertal et d’homo sapiens a été révélée et interrogée. Mais Yuval Noah Harari va beaucoup plus loin dans cette description d’espèces voisines.

« Les humains sont apparus en Afrique de l’Est voici environ 2,5 millions d’années, issus d’un genre antérieur de singe, l’« australopithèque », qui signifie « singe austral ». Il y a environ 2 millions d’années, une partie de ces hommes et femmes archaïques quittèrent leurs foyers d’origine pour traverser et coloniser de vastes régions d’Afrique du Nord, d’Europe et d’Asie. La survie dans les forêts enneigées d’Europe septentrionale n’exigeant pas les mêmes qualités que la survie dans les jungles fumantes d’Indonésie, les populations humaines évoluèrent dans des directions différentes il en résulta divers espèces distinctes, auxquels les savants ont assigné des noms latins pompeux. […]
Les humains d’Europe et d’Asie occidentale ont donné l’Homo neanderthalensis (l’homme de la vallée de Neander), plus communément connu sous le nom de « Neandertal ». Plus trapu et plus musculeux que le sapiens, le Neandertal était bien adapté au climat froid de l’Eurasie occidentale à l’âge glaciaire.
Les régions orientales de l’Asie étaient peuplées par l’Homo erectus, ou «homme dressé, droit » qui survécut près de 2 millions d’années – ce qui en fait l’espèce humaine la plus durable qui ait jamais vécu. Il est peu probable que ce record ne soit jamais battu, même par notre espèce. […]
Sur l’île de Java, en Indonésie, vivait l’homo Soloensis, « hommes de la vallée de solo », mieux armés pour vivre sous les tropiques. […]
En 2010, un autre frère perdu fut arraché à l’oubli, quand les chercheurs fouillant la grotte de Denisova, en Sibérie, découvrirent une phalange fossilisée. La génétique prouva que le doigt était celui d’une espèce humaine encore inconnue, qu’on a baptisé du nom d’Homo Denisova.. »

et il en cite encore d’autres et conclut enfin :

« un sophisme commun est d’imaginer une ascendance linéaire, [d’un premier] qui engendre erectus, qui engendre Neandertal, qui lui-même mène à nous. Or, ce modèle linéaire donne l’impression fausse qu’à tout moment un seul type d’humains aurait habité la terre, et que toutes les espèces antérieures ne seraient que des modèles plus anciens de nous-mêmes, la vérité et qu’entre 2 millions d’années et 10 000 ans, le monde a hébergé, en même temps, plusieurs espèces humaines. […] Nous le verrons sous peu, nous, les sapiens, avons de bonnes raisons de refouler le souvenir de nos frères et sœurs. »

Il existe deux théories :


  • la théorie du métissage qui pense que sapiens se mêla à d’autres espèces
  • la théorie du remplacement qui raconte une histoire très différente

[Histoire] « d’incompatibilité et de répulsion, voire de génocide. Dans cette optique sapiens remplaça toutes les populations humaines antérieures sans se mêler à elle. Si tel est le cas on peut faire remonter tous les lignages humains contemporains à la seule Afrique orientale voici 70 000 ans. Nous sommes tous de « purs sapiens »[…] dans les dernières années, la théorie du remplacement a été communément reçue. […] Mais cette situation a pris fin en 2010, quand ont été publiés les résultats de quatre années d’efforts pour dresser la carte du génome néandertalien. […]
Il est apparu que de 1 % à 4 % de l’ADN unique des populations modernes du Moyen-Orient et d’Europe est de l’ADN de Neandertal. Ce n’est pas énorme, mais c’est significatif. Un second choc survint quelques mois plus tard, quand il apparut que l’ADN extrait du doigt fossilisé de Denisova partageait jusqu’à 6 % de son ADN unique avec les mélanésiens et les aborigènes d’Australie actuels !
[…] On ne saurait parler de « fusion » entre sapiens et d’autres espèces humaines. [Il s’agit simplement de traces. La théorie du remplacement reste la plus vraisemblable.]

Au fil des 10 000 dernières années, Homo sapiens s’est si bien habitué à être la seule espèce humaine que nous peinons à envisager toute autre possibilité. […] Quand Charles Darwin expliqua qu’Homo sapiens n’était qu’une espèce d’animal parmi les autres, les gens poussèrent de hauts cris. Aujourd’hui encore, beaucoup refuse d’y croire. Si les Néanderthal avaient survécu, nous considérerions nous encore comme une créature à part ? Peut-être est-ce précisément ce qui incita nos ancêtres à effacer les Néanderthal. Ils étaient trop familiers pour que l’on feigne de les ignorer, trop différents pour qu’on les tolère. »

Et  l’auteur sans, bien entendu, être capable d’expliquer comment ce phénomène se produisit, montre la coïncidence entre l’arrivée dans une région d’Homo sapiens et la disparition quasi concomitante de l’autre espèce humaine qui était présente sur ce lieu…

Peut-être qu’il y eut des génocides bien avant la folie nazi ?

<Cette hypothèse cependant n’a pas trouvé pour l’instant d’indice>

<707>

Lundi 23 mai 2016

Lundi 23 mai 2016
«L’Histoire commença quand les humains inventèrent les dieux et se terminera quand les humains deviendront des dieux.»
Yuval Noah Harari
Yuval Noah Harari est un jeune homme, il est né en 1976 et il a écrit un livre «Sapiens»
Le Philanthrope, patron du laboratoire le plus performant sur l’intelligence artificielle et fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg a invité ses milliers d’abonnés à lire ce livre et a écrit : « Ce livre est une grande narration historique de la civilisation humaine – à partir du moment où nous avons évolué de chasseurs-cueilleurs jusqu’à celui où nous avons organisé notre société et notre économie de nos jours.»
Mais l’avis de Zuckerberg n’est pas déterminant pour moi, peut-être même qu’il pourrait avoir un effet répulsif.
En revanche, mon ami Jean-François de Dijon a entrepris un vaste complot pour tenter de me faire débourser 24 € pour acheter ce livre de 500 pages dont le sous-titre est « Une brève Histoire de l’humanité »
Il a tenté de convaincre Annie de l’acheter pour me l’offrir, puis il m’a incité directement à le faire en me promettant de le rembourser s’il ne me plaisait pas.
Je l’ai donc acheté et profité de ma semaine de congé fin février, semaine pendant laquelle je n’étais pas obligé d’occuper ma journée par des tâches d’un intérêt intellectuel réduit et souvent consternant pour le seul motif de gagner ma vie, pour en débuter la lecture. Et je n’en ai achevé la lecture que lors du week-end de l’Ascension.
Je vais donc vous entretenir pendant quelques jours de ce livre éblouissant.
Je me suis d’abord intéressé à l’auteur : Docteur en Histoire médiévale et diplômé de l’Université d’Oxford, Yuval Noah Harari enseigne dans le département d’Histoire de l’université hébraïque de Jérusalem.
Il a d’abord écrit son livre en hébreux puis l’a traduit, lui-même, en anglais, la traduction française date de septembre 2015.
Cet ouvrage me semble unique. L’objet de son analyse n’est pas l’Histoire d’une civilisation, d’une Culture mais l’histoire de notre espèce : « L’homo sapiens ».
Comment sapiens s’est imposé par rapport aux autres espèces du genre « homo », puis s’est comporté avec les autres espèces du règne animale.
Comment sapiens a
  • Colonisé la terre ;
  • Inventé l’agriculture ;
  • Imaginé les religions ;
  • Créé des villes puis les empires ;
  • Développé le capitalisme ;
  • Enfin, bouleversé la nature, la vie, la société par la révolution scientifique et industrielle.
Existe-t-il un sujet de nature à nous intéresser davantage que l’Histoire de notre espèce ?
C’est, en effet, un livre d’une extraordinaire érudition où Harari mobilise les connaissances scientifiques et historiques pour non seulement décrire l’histoire de l’Humanité mais surtout analyser et jeter un regard décapant sur l’histoire de notre espèce. Car au départ, nous Homo sapiens, n’étions encore qu’une espèce insignifiante parmi d’autres. En 1500, nous étions environ 500 millions. Aujourd’hui, nous sommes 7 milliards. Exit l’homme de Neandertal, adieu l’Homo erectus. L’Homo sapiens est la seule espèce humaine qui a survécu et elle contrôle la planète et les autres espèces..
Comment est-on passé de notre simple condition d’homme-singe à celle de maître du monde? C’est la question qu’il pose.
Et il donne des explications, ouvre des hypothèses, donne des avis qui ne peuvent que nous interpeller et parfois nous heurter.
Il nous heurte notamment quand il décrit la révolution agricole, comme la plus grande escroquerie de l’Histoire. (pages 101-117)
Cette histoire qui débute vraiment il y a 70 000 ans et qui va jusqu’à aujourd’hui, dans le cœur de la silicon valley où des hommes, a priori sérieux, poursuivent ce rêve ou ce cauchemar de la recherche de l’immortalité.
Le premier mot du jour consacré à Sapiens, est une pensée que Yuval Noah Hariri met en exergue sur son site : http://www.ynharari.com/fr/ et se trouve aussi sur la quatrième page de couverture.

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Vendredi 20 mai 2016

Vendredi 20 mai 2016
«Cette photo m’a finalement sauvé la vie»
Nidhi Chaphekar
Une nouvelle réflexion sur une photo. Peut-on tout photographier ? Jusqu’où va la liberté de la photo de reportage ? Et où commence la vie privée ?
Nidhi Chaphekar est une hôtesse de l’air indienne de 42 ans, mère de deux enfants. Un cliché d’elle assise sur un banc, couvert de sang et de poussière, lors des attentats de Bruxelles le 22 mars 2016, a fait le tour du monde sans que l’on ne lui demande son accord
Ce cliché a été pris quelques instants seulement après les explosions à l’aéroport Zaventem de Bruxelles. Dans le choc, cette femme a perdu une chaussure, et sa chemise jaune a été déchirée en lambeaux. Accrochée des deux mains à cette chaise qui la maintient, elle semble ne pas réaliser ce qu’il vient de se passer. Avec cette photo, Nidhi Chaphekar est devenu le visage de l’horreur de ces attentats meurtriers, qui ont fait 31 morts. Le cliché a notamment été repris en une de nombreux journaux, comme le Guardian, le New York Times, ou encore Le Parisien.
Des journalistes ont retrouvé cette femme qui a déclaré «Cette photo m’a finalement sauvé la vie. Des gens du monde entier m’ont apporté du courage dans les moments difficiles. Ce n’est certainement pas la plus belle photo de moi, mais des milliers de personnes ont prié pour moi. Cela m’a donné beaucoup de force». 
Dans les différents articles,  on apprend que cette femme avait été brûlée aux bras, aux jambes, au visage et au dos, et qu’elle a subi de multiples opérations chirurgicales. Outre de nombreuses fractures, les médecins lui ont également découvert un clou logé derrière l’oeil. Placée dans un coma artificiel pendant 22 jours, elle a finalement survécu à ses nombreuses blessures. 
Nidhi Chaphekar est reparti en Inde le 5 mai dernier en s’envolant pour Mumbai.
Sur la photo, il y a une autre femme qui se trouve au premier plan. Cette seconde femme sur la photo, la main ensanglantée et au téléphone se nomme Stefanie De Loof et elle est Belge. Stefanie De Loof n’a, quant à elle, pas apprécié la photo. «Visiblement, tout le monde peut reprendre la photo car elle tourne sur Twitter. Maintenant, je dois essayer de passer au-dessus de ça, mais j’ai bien l’intention de repartir à Haïti pour Médecins sans frontières», conclut-elle.
A t-on le droit de photographier dans ce type de situation ?
En France, juridiquement non !
En effet, s’il est tout à fait possible de reproduire et diffuser une image captée dans un lieu public et lors d’une manifestation si celle-ci ne présente pas un cadrage restrictif ou n’isole une personne aisément reconnaissable, tel n’est pas le cas lorsqu’on peut reconnaitre une personne, ce qui est le cas ici. Dans ce cas, il faut l’autorisation de la personne, ce qui ne fut pas fait pour ce cliché.
Mais il me semble qu’ici nous sommes dans une situation très particulière, or cette photo symbolise toute la terreur des attentats de Bruxelles. En tant que telle, elle est information, elle devient aussi Histoire !
Mais c’est une question délicate.
À la suite des attentats du 11 septembre 2001 à New York, la photo de Nancy Borders avait également fait le tour du monde. Couverte de cendres, la jeune femme de 28 ans à l’époque des faits, avait alors été surnommée la «Dust Lady» («dame de poussière»). Cette femme avait vécu par la suite une véritable descente aux enfers marquée par une paranoïa maladive et des addictions multiples. Elle s’est éteinte le 24 août dernier d’un cancer de l’estomac à l’âge de 42 ans, sans être parvenue à dompter ses démons qui n’étaient pas la photo mais bien les attentats de New York.

Jeudi 19 mai 2016

Jeudi 19 mai 2016
«King Abdullah Economic City,»
La ville privée

Nous avons donc compris que les maîtres de la Silicon Valley voulaient faire disparaître la politique et l’Etat.

C’est encore le jeune patron de Facebook, Mark Zuckerberg, qui a annoncé un projet urbain baptisé « Zee Town ».

Pour un montant estimé à 200 milliards de dollars, le roi des réseaux sociaux prévoit de construire sur 80 hectares, dans la Silicon Valley, rien de moins qu’une ville complète dédiée à ses 10.000 salariés, avec supermarchés, hôtels, villas et même dortoirs pour les stagiaires du groupe.

Mais ce n’est pas aux Etats-Unis, pas encore peut-être, mais dans ce « beau ? » pays, qui abrite les villes saintes de l’Islam, où l’alcool est interdit, où les femmes suivent la mode pudique, ce pays où toute autre religion que l’Islam est interdite sauf peut-être la religion de l’argent qu’est en train de se bâtir la première ville privée du monde : KAEC , King Abdullah Economic City.

Il est vrai que dans ce pays « saint », il est habituel de tout privatiser puisqu’ils ont même privatisé le nom de l’Etat qui porte le nom privé de la famille régnante.

Mais qu’est-ce que KAEC ?

KAEC n’a pas de maire, elle est gouvernée par le PDG d’Emaar Economic City (EEC), Fahd Al Rasheed, qui juge le modèle « très bon pour les villes ».

« Par définition, le secteur privé doit créer de la valeur : je dois donc vendre plus cher que le coût de revient, explique-t-il A l’inverse, les politiciens ont parfois du mal à créer de la valeur avec les services : ils en connaissent le coût, mais le prix qu’ils facturent à leurs administrés dépend de facteurs politiques. »

A Kaec, les habitants ne paient pas de taxes mais des « frais de services » pour la sécurité, l’eau ou la collecte des déchets, qui sont sous-traitées à différents entrepreneurs.

« Les habitants nous payent pour un service, pas pour financer une administration. Et comme ce sont nos clients, ils n’hésitent pas à se plaindre si les services sont mal rendus. Dans ce cas, la ville peut facilement changer de prestataire. »

Les concepteurs de ce projet visent près de 2 millions d’habitants, pardon de clients d’ici à 2035

Dans le cas de Kaec, un partenariat public-privé a été conclu entre le gouvernement saoudien et un groupe immobilier de Dubaï, Emaar Properties.

Vous trouverez toutes les informations utiles derrière ces liens :

Dans le Figaro : <Kaec, la première ville cotée en Bourse au monde>

Dans les Echos : <Villes privées : la nouvelle utopie>

Et sur un site spécialisé en urbanisme : <Kaec : une ville 100% privée>

Une ville privée !

Il est vrai que ville vient du mot latin VILLA qui signifie ferme agricole, domaine rural voir maison de campagne. C’est à dire, à l’origine, quelque chose de privée.

Le mot VILLA a donné d’abord village, comme une communauté de villa puis ville.

Le mot vilain vient aussi du latin VILLA car l’ancien français désignait sous le terme de vilain un « habitant du domaine rural », bref un paysan.

En latin VILLA ne désignait pas la ville ; Le terme latin pour désigner ville est «urbs». C’est à partir de cette racine que nous connaissons urbain, urbanisme, urbanité etc.

Lorsqu’il était employé avec une majuscule, l’Urbs désignait alors « la ville d’entre toutes les villes », Rome.

Ainsi la bénédiction papale le jour de Pâques est : « Urbi et Orbi », « À Rome et au Monde ».

Mais il y a un autre mot pour désigner la réalité de la ville : En Grèce antique on parlait de la « polis » qui est bien sûr la racine de « politique » dont les patrons des technologies numériques ne veulent plus.

Et dans l’étymologie latine « polis » est devenu « civitas » c’est à dire une cité-État, autrement dit une communauté de citoyens libres et autonomes.

Dans la pensée grecque antique, la cité préexiste à l’homme.

À titre d’exemple, la cité d’Athènes n’existe pas en tant que telle : c’est la cité des Athéniens, tout comme Sparte est la cité des Lacédémoniens.

Toutes ces informations sont tirées de Wikipedia qui rappelle aussi qu’Aristote disait :

« la cité est une communauté — une koinônia — « d’animaux politiques » réunis par un choix — proairésis — de vie commune (Politique, 1252 – 1254). »

En français, ce mot « la cité » a aujourd’hui mauvaise réputation. Ce n’est pas très valorisant de venir de la cité

Mais le mot cité eut son heure de gloire, il y avait les cités Etat : Venise, Gêne, il reste la cité du Vatican.

Aujourd’hui on garde une connotation historique pour certains quartiers ou centres historiques l’Ile de la cité à Paris ou encore la cité de Carcassonne.

On utilise aussi ce mot pour désigner un ensemble immobilier qui a une fonction particulière : La cité universitaire, La cité ouvrière ou encore comme un nom commercial « La cité de la gastronomie » ou à la Lyon « la cité internationale ».

Mais c’est bien à la racine latine de cité que s’attaque la ville privée car si cité vient du latin civitas (« état de citoyen, droit de cité, ensemble des citoyens d’une ville, cité, nation, État »), il est surtout apparenté à civis (« citoyen »).

Et de citoyen, il n’est plus question à KAEC !

A KAEC n’y a plus que des consommateurs !

Il y a bien sûr des sites saoudiens qui vantent cet objet du futur déjà présent :

https://www.visitsaudi.com/fr/see-do/destinations/kaec/kaec-family-fun-in-the-sun

https://www.arabnews.fr/node/Economie

Et le site de <la ville en anglais>

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Mercredi 18 mai 2016

Mercredi 18 mai 2016
« Une course à mort est engagée entre la technologie et la politique. »
Peter Thiel un des fondateurs de Paypal
Cité par Marc Dugain et Christophe Labbé dans leur livre « L’Homme nu »
Le romancier Marc Dugain et le journaliste Christophe Labbé viennent de faire paraître, chez Plon, un livre : « L’Homme nu » qui a pour sous-titre : « La dictature invisible du numérique »
Dans cet ouvrage ils expliquent en détail la force des « Big data » dans nos vies aujourd’hui et surtout ce que les maîtres de l’internet et des objets connectés seront capables de réaliser et de diriger demain.
Sur le chemin de leurs ambitions, se dresse une structure qui les embarrasse et qu’ils qualifient tantôt d’inefficace, tantôt d’archaïque et quelquefois des deux : L’Etat.
Cette vieille structure qui crée le Droit et la Loi, ces deux concepts qui ont pour ambition de protéger le faible contre le fort. Ce n’est pas toujours concluant, mais il suffit de voir ce qui se passe dans des pays dans lesquels l’Etat est chancelant, comme la Somalie ou l’Irak, dans ce cas plus rien ne protège le faible.
L’Etat qui dans nos contrées a inventé l’Etat social ou providence comme le préconisait William Beveridge dans son célèbre rapport de 1942.
L’Etat qui est dirigé par la politique, c’est à dire une assemblée de citoyens qui élit des parlementaires, donne son avis, choisit entre plusieurs propositions politiques.
J’ai acheté ce livre et je partage avec vous cet extrait que je tire des pages 22 à 28 :
«Depuis 2010, l’humanité produit autant d’informations en deux jours qu’elle ne l’a fait depuis l’invention de l’écriture il y a 5300 ans. 98 % de ces informations sont aujourd’hui consignés sous forme numérique.
On assiste à une véritable mise en données du monde. […]
Si 70 % des données générées le sont directement par les individus connectés, ce sont des entreprises privées qui les exploitent. C’est ainsi qu’Apple, Microsoft, Google ou Facebook détiennent aujourd’hui 80 % des informations personnelles numériques de l’Humanité. Ce gisement constitue le nouvel or noir. Rien qu’aux États-Unis, le chiffre d’affaire mondiale de la big data, le terme n’a fait son entrée dans le dictionnaire qu’en 2008, s’élève à 8,9 milliards de dollars. En croissance de 40 % par an il devrait dépasser les 24 milliards en 2016.
Les GAFA ont réussi à conquérir en une dizaine d’années l’ensemble du monde numérique. Ces « sociétés du septième continent », comme on les appelle, sont la nouvelle incarnation de l’hyper puissance américaine. […]
Les GAFA ont construit leur puissance au détriment des individus. L’exact inverse de ce qu’elles prétendent. Le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, a ainsi expliqué ou 31 millions d’internautes qui le suivent sur le réseau social son coup de cœur pour The End of Power de Moisés Naim. Un livre qui, explique-t-il avec enthousiasme, raconte « comment le monde change pour donner davantage de pouvoirs aux individus aux dépens des grandes organisations comme les gouvernements ou l’armée ». Selon Zuckerberg, l’individu se libère puisque le véritable pouvoir n’est plus centralisé entre les mains d’un Etat, mais dépend des individus et des liens sociaux qu’ils tissent entre eux, ce que permet de faire notamment Facebook…
Le voilà, l’ennemi : la puissance étatique. Pour la plupart des entrepreneurs de la Silicon Valley, l’État dans sa forme actuelle est l’obstacle à abattre. Leur crainte ce n’est pas Big Brother, mais Big Father. Patri Friedman, petit-fils du célèbre économiste libéral Milton Friedman et ancien ingénieur chez Google, considère le gouvernement comme « une industrie inefficace » et la démocratie comme « inadaptée ». Il explique à qui veut l’entendre que le système politique actuel est sclérosé, les règles de régulation du commerce de l’usage des données privées et publiques obsolètes, et que tout cela empêche le progrès. Patri Friedman milite en faveur d’une sécession des entrepreneurs de la high-tech. En 2008, il a mis sur pied le Seasteading Institude, dont l’objectif est de couvrir la planète de « villes nations flottantes » échappant à la souveraineté des Etats. Friedman a déjà levé 1,5 millions de dollars auprès du multimilliardaire Peter Thiel, à l’origine de PayPal, le leader mondial du paiement en ligne, aujourd’hui principal concurrent du réseau des cartes de crédit.  Le même a déclaré en avril 2009, sur le site du libertarien think tank Cato Institute, qu’«une course à mort était engagée entre la technologie et la politique».
À l’automne 2013, quand un conflit sur le budget a forcé le gouvernement fédéral américain à fermer provisoirement une partie de ses services, Peter Thiel a aussitôt taclé : « les entreprises transcendent le pouvoir. Si elles ferment, le marché boursier s’effondre. Si le gouvernement ferme, rien n’arrive, et nous continuons à avancer parce que cela n’a pas d’importance. La paralysie du gouvernement est en réalité bonne pour nous tous. » »
Un monde dont on aura retiré toute politique pour ne laisser jouer que la loi du marché me semble quelque chose d’assez proche de la jungle.
L’article du Point qui présente ce livre, finit son analyse par ces considérations :  
« Pour les big data, la démocratie est obsolète, tout comme ses valeurs universelles. Exit le concept de citoyen inventé par les Grecs ! Antoinette Rouvroy, chercheuse en droit de l’université de Namur, estime que ces firmes visent une « gouvernementalité algorithmique ». Un mode de gouvernement inédit « opérant par configuration anticipative des possibles plutôt que par réglementation des conduites, et ne s’adressant aux individus que par voie d’alertes provoquant des réflexes plutôt qu’en s’appuyant sur leurs capacités d’entendement et de volonté ».
Le futur configuré par les big data risque donc d’être la déclinaison d’un mode de société où Etat-nation et classe politique vont s’évaporer jusqu’à disparaître. Les démocraties s’essoufflent, autant que leur système de représentation. Est-ce que voter tous les quatre ou cinq ans aura encore une signification quand, dans quelques années, les big data seront capables de connaître en temps réel la réaction de chaque individu à toute proposition sur l’organisation collective de la société ? C’est peu probable. »
Marc Dugain était l’invité de France Inter : http://www.franceinter.fr/emission-linvite-du-57-marc-dugain