Jeudi 28 novembre 2024

« Il était tétanisé et son visage est devenu très pâle lorsqu’il a réalisé que l’équipage du DC-10 était complètement noir »
Simon Diasolua parlant de Mohammed Ali alors qu’il avait pour mission de piloter l’avion qui devait emmener le boxeur au Zaïre

C’est une histoire que j’ai lue dans le numéro du Nouvel Obs qui célébrait les 60 ans de l’hebdomadaire créé par Jean Daniel.

Le Nouvel Obs pour fêter ses 60 ans, s’est offert 60 éclats de joie partagés par des personnalités. Parmi ces articles qui fêtaient le pouvoir de la joie, j’ai été particulièrement marqué par celui de l’écrivaine camerounaise Hemley Boum : « Quand Mohamed Ali a découvert que le pilote de son avion était noir… ».

Cet épisode a été aussi décrit sur le site de RTL Info : « Nos destins se sont croisés avant le combat du siècle à Kinshasa ».

Je pense que tout le monde connaît Mohammed Ali, probablement le plus grand boxeur de l’Histoire. Mais il fut aussi un militant de la cause noire luttant contre les injustices et les humiliations qui étaient infligées à ses frères de couleur par le pouvoir et la domination blanche.

Il refusa notamment à aller se battre dans l’armée américaine au Viet-Nam. Lorsqu’on lui reprocha son attitude, il répondit :

« Aucun vietcong ne m’a jamais traité de nègre »

En 1974, il devait se rendre au Zaïre affronter George Foreman pour reconquérir le titre mondial qui lui avait été retiré en raison de son refus d’aller se battre au Viet-Nam.

Pour s’y rendre, un avion d’Air Zaïre avait été mis à sa disposition. Cet avion était piloté par des africains. Le commandant de bord était Simon Diasolua.

Simon Diasolua Zitu, né à Léopold ville (actuellement Kinshasa), le 14 Novembre 1942, est l’un des deux premiers pilotes Congolais en 1965. Il fut pilote de ligne pendant 37 ans, puis instructeur pilote DC-10, il a également occupé le poste d’Administrateur Directeur des Opérations au sein de la compagnie aérienne étatique Air Zaïre. Expert en enquêtes d’accidents et Consultant en aéronautique. Il a écrit ses mémoires dans un livre intitulé « Entre ciel et terre, Confidences d’un pilote de ligne congolais » paru aux éditions Le Harmattan en 2014.

Et dans ce livre il conte sa rencontre avec Mohamed Ali en 1974 :

« Nos destins se sont croisés un mois et demi avant le combat du siècle à Kinshasa. J’étais pilote pour la compagnie Air Zaïre, qui était à l’époque la compagnie aérienne nationale de la République démocratique du Congo. Je devais piloter l’avion que Mohamed Ali allait prendre pour se rendre à Kinshasa. Le boxeur allait affronter George Foreman »

Les deux hommes ont été présentés lors de la conférence de presse que l’Américain donnait à l’aéroport français. Lorsqu’il a entendu que Simon allait être son pilote, il n’a pas caché sa surprise en comprenant que l’équipage du vol était « noir ».

« Il m’a dit qu’il était fier et étonné d’être piloté par un équipage noir. »

Au moment de l’embarquement, les pilotes ont accepté que Mohamed Ali s’installe avec eux dans le cockpit, les consignes de sécurité étaient beaucoup plus souples à l’époque. Mais lorsque le boxeur est entré, il est resté figé quelques instants.

« Il était tétanisé et son visage est devenu très pâle lorsqu’il a réalisé que l’équipage du DC-10 était complètement noir. »

Mohamed Ali lui a lancé, inquiet :

« Il n’y a pas de blanc ? Je croyais que c’était une blague. »

Le pilote, amusé par la situation, lui a confirmé que toutes les personnes de l’équipage étaient noires. Ensuite, il a demandé au boxeur de s’installer et de mettre sa ceinture.

« Je comprenais sa surprise. J’avais fait un entrainement sur DC-10 en Californie l’année d’avant et les Américains me demandaient si j’étais un vrai pilote. Comme eux, Mohamed Ali était surpris de voir un homme noir aux commandes d’un avion car il n’en avait jamais vu. Je ne lui en voulais pas, bien au contraire. »

Je trouve absolument édifiant que même un homme comme Mohamed Ali, défenseur acharné de la cause noire, de la lutte contre la discrimination contre les noirs, puisse avoir une telle réaction de défiance parce que la situation qui se présente à lui est en dehors de ses schémas mentaux, de ce que la vie jusqu’à ce moment lui avait prescrit : les blancs savent piloter des avions, pas les noirs….

Simon Diasolua va parvenir par sa compréhension de la situation et son calme à rassurer le boxeur et à changer son appréhension en fierté. Quand Mohammed Ali débarque à Kinshasa, il déclare aux journalistes qui l’attendent  :

« C’est un sentiment de liberté que je n’ai pas ressenti depuis longtemps. Ce n’est pas rien de voler dans un avion piloté par des Noirs, non ?
C’est vraiment étrange pour nous les Afro-Américains. Nous n’aurions jamais pu imaginer une chose pareille !
A chaque fois que nous regardons la télé, on nous montre Tarzan et les Indigènes et la jungle. On ne nous parle jamais des Africains qui sont plus intelligents que nous ne le sommes. Ils parlent anglais, français et africain. »

Deux ans plus tard, Simon a croisé le sportif par hasard à l’aéroport de Los Angeles. Lorsque l’Américain l’a reconnu, il a crié :

« My pilot ! »

Lundi 18 novembre 2024

«N’importe qui ! Même un affabulateur, un menteur, un escroc, un violeur ! Tout sauf une femme !»
Une invitée d’une émission consacrée à l’élection de Donald Trump comme 47ème président des États-Unis

Le monde est tellement compliqué que l’ambition de le comprendre est peut être hors de notre portée. J’ai renoncé à conserver en exergue de mon blog cette phrase que Guillaume Erner avait prononcée lors de la première matinale de France Culture qu’il avait animée : « Comprendre le monde c’est déjà le transformer ».

Il faut probablement être beaucoup plus humble. A ce stade, la parole de sagesse de Rachid Benzine écrite dans son livre « Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ? » semble plus appropriée à la situation : « Le contraire du savoir, ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes. »

L’ignorance, dans la mesure où elle est comprise et intégrée, constitue une connaissance précieuse : je sais que je ne sais pas. Dans l’Apologie de Socrate, Platon a rapporté ce propos de son maître en philosophie : « Ce que je ne sais pas, je ne pense pas non plus le savoir ! »

Dans son expression publique, Donald Trump semble très éloigné de cette connaissance.

Comment dialoguer avec quelqu’un qui est figé dans ses certitudes ?

Comment vivre en démocratie et organiser le dissensus entre citoyens avec des gens pétris de certitudes ? Je n’ai pas la réponse à cette question.

Donald Trump et ses partisans sont dans cette dérive. Lui qui considère que le réchauffement climatique est une blague. En 2020, visitant la Californie, ravagée par des incendies violents et meurtriers, Donal Trump a nié l’impact du changement climatique sur les phénomènes d’incendies et a déclaré :

« Ça finira par se refroidir, vous verrez. »

Lorsqu’un responsable local de l’agence de protection des ressources naturelles de Californie, à Sacramento lui répond : « J’aimerais que la science dise cela » le président a rétorqué :

« Je ne pense pas que la science sache vraiment. »

Nous sommes entrés dans un monde où la vérité est une opinion parmi d’autre et où un homme, sans étude scientifique,  se croit autorisé de contester l’avis de professeurs spécialisés dans le domaine où ils interviennent.

En 2024, Donald Trump persiste et a inventé un slogan qu’il a entonné à de multiples reprises au cours de sa campagne, et qu’il a encore répété lors de son discours de victoire :

« Drill, baby, drill ! » (« Fore, bébé, fore »).


Dans un article du « Nouvel Obs » nous pouvons lire :

« « On va forer [du pétrole] comme des malades ! », a promis le magnat aux électeurs américains. « Nous avons plus d’or liquide que n’importe quel pays dans le monde. Plus que l’Arabie saoudite ou la Russie », s’est-il encore félicité dans son discours de victoire, en référence au pétrole et au gaz. « Pendant la campagne, il n’a eu de cesse de dire qu’il fallait “réparer l’économie américaine” en offrant l’énergie la moins chère du monde, et donc en accélérant notamment la fragmentation hydraulique en vue de produire des gaz de schistes », observe Pierre Blanc, professeur à Sciences-Po Bordeaux et Bordeaux Sciences Agro. »

Deux documentaires, d’une heure chacun, publiés par Public Sénat montre ce que fut la première présidence de Donald Trump par celles et ceux qui l’ont vécu au plus près « America First, partie 1 – L’Europe doit payer » et « America First, partie 2 – L’ennemi au Moyen-Orient ». C’est affligeant ! Affligeant dans la prise de décision, dans l’argumentation pour répondre aux partenaires, dans le manque de maîtrise des dossiers et des procédures. Pourquoi Donal Trump a t’il à nouveau gagné, jusqu’au vote populaire ?  :

Beaucoup d’analyses ont considéré que le triomphe de Trump était avant tout économique : C’est le pouvoir d’achat des américains dans leur quotidien et aussi pour leur achat de logement qui s’est dégradé pendant la présidence Biden. Tous les économistes nous racontaient que la politique économique de Biden était remarquable. Je prends pour exemple cet article du Monde : « America is back » :

« A huit mois de l’élection présidentielle, le tableau économique est reluisant. […] le chômage est au plus bas ou presque avec un taux de 3,7 % de la population active ; les salaires réels augmentent, notamment au bas de l’échelle ; le pays produit plus de pétrole que jamais, finance un immense plan d’investissement dans l’énergie et les microprocesseurs, et se lance à corps perdu dans l’intelligence artificielle, ce qui fait s’envoler Wall Street. Plus personne ne parle de stagnation séculaire comme dans les années 2010, tandis que le mot « Rust Belt », ceinture de la rouille, nommant les Etats désindustrialisés ayant fait l’élection de Donald Trump en 2016, a disparu des journaux. Premier constat, l’Amérique redevient plus industrielle. Donald Trump en avait rêvé, Joe Biden l’a fait. »

L’article du Monde évoquait bien l’inflation mais pour souligner que Biden était arrivé à la faire diminuer lors des derniers mois. Il semble que nombre d’électeurs américains ont eu une vision différente. Ce décalage arrive quand on donne trop d’importance aux chiffres macroéconomiques et aux moyennes et qu’on ne regarde pas la vie réelle des gens.

D’autres analyses ont insisté sur le sujet de l’immigration qui a déferlé sans maîtrise sur les Etats-Unis pendant la présidence Biden. Enfin d’autres ont considéré que le vote Trump était aussi un vote anti woke qui était défendu par l’aile gauche du Parti démocrate. Probablement qu’il est nécessaire de convoquer toutes ces causes pour expliquer l’élection de cet histrion dangereux qu’est Donald Trump. Mais Thomas Snégoroff y a ajouté une supplémentaire : le masculinisme.

Et lors d’une des nombreuses émissions que j’ai écoutées depuis le 5 novembre, j’ai entendu une intervenante tenir ces propos « N’importe qui ! Même un affabulateur, un menteur, un escroc, un violeur ! Tout sauf une femme !».

Force est de constater que Trump a perdu une fois contre un homme et a gagné deux fois, chaque fois, contre une femme.

Quand on compare le résultat des démocrates sur 4 ans Kamela Harris a perdu 7,5 millions d’électeurs par rapport à Biden. Et puis le vote des hommes hispaniques a progressé de 18 % en faveur de Trump entre 2020 et 2024. Cette population réputée plus conservatrice peut aussi apparaître comme un signe de ce vote « genré ».

Mais c’est dans l’émission « C Politique » de France 5 du dimanche 17 novembre que cet aspect du vote du 5 novembre a été le mieux contextualisé. Elon Musk est un libertarien, mais l’intellectuel qui l’influence est Peter Thiel, fondateur de Paypal et lui soutient Donal Trump depuis sa première candidature en 2016. Il est aussi l’inspirateur déclaré de Cyrus Vance le vice Président élu. Or cet homme a écrit qu’il ne croyait plus en la démocratie depuis que les femmes avaient obtenu le droit de vote. C’est aussi écrit sur sa page Wikipedia.

J’ai trouvé sur le site le « Grand Continent » une page consacrée aux écrits de cet homme né en 1967 à Frankfort sur le Main et sur laquelle on peut lire :

« Je ne crois plus désormais que la liberté et la démocratie sont compatibles. […] Les années 1920 furent la dernière décennie dans l’histoire américaine où l’on pouvait être parfaitement optimiste à propos de la politique. Depuis 1920, l’augmentation considérable des bénéficiaires de l’aide sociale et l’extension du droit de vote aux femmes – deux coups notoirement durs pour les libertariens – ont fait de la notion de « démocratie capitaliste » un oxymore. »


C’est à la fois extrêmement inquiétant pour la démocratie et bien sûr une attaque en règle contre les femmes. Il me semble donc qu’il ne faut pas sous estimer cette dimension du vote Trump : surtout pas une femme !

Mercredi 6 novembre 2024

« Les nouvelles sont comme les feuilles d’automne. »
Christian Bobin « Tout le Monde est occupé »

Donald Trump a été élu 47ème président des Etats-Unis et nous sommes en automne.

En automne, nous sommes subjugués par la beauté des couleurs des arbres : dorées, orangées et rouges.

En outre, les feuilles se détachent des branches et virevoltent jusqu’au sol qu’elles recouvrent d’un tapis humide et parfumé.

La flamboyance de ces couleurs est un vrai enchantement.

J’ai lu un article sur le site de France 3 Occitanie concernant ce sujet et qui tente d’expliquer ce phénomène. C’est cet article que je souhaite partager aujourd’hui : « Pourquoi les arbres s’illuminent en automne ? »

La feuille d’un arbre est un capteur solaire. Les arbres transforment la lumière du soleil en énergie et en nutriments, notamment des glucides, par un mécanisme appelé photosynthèse.

En automne, l’ensoleillement diminue : l’arbre se met alors au repos et va vivre au ralenti. Quand les températures chutent, la sève ne circule plus. Les arbres à feuilles caduques, en opposition aux conifères, perdent leur feuillage en automne.

Ce phénomène se produit quand les conditions de la photosynthèse ne sont plus là. Il est directement lié à la diminution de la durée du jour.

Quand la durée des journées diminue, la photosynthèse est moins efficace. Pour l’arbre, la dépense énergétique pour maintenir ses feuilles devient alors trop lourde et il va s’en débarrasser.

Mais avant cela, les feuilles doivent dépérir. A la baisse de l’ensoleillement et des températures, l’arbre va boucher ses vaisseaux de sève et petit à petit, les pigments de chlorophylle vont disparaître.

Un représentant du conservatoire botanique explique :

« Les pigments jaunes et orangés étaient déjà présents, mais il ne reste qu’eux. Le vert s’estompe et fait ainsi place à ces couleurs extraordinaires. Ce faisant, l’arbre récupère tous les sucres possibles et tombe en dormance. Les quantités de pigments varient d’une espèce à l’autre, d’une feuille à l’autre, selon l’exposition au soleil. Le pigment rouge, lui, par contre n’était pas présent dans la feuille. Il apparaît avec l’arrivée du froid sur certains érables ou les chênes rouges par exemple ».

L’article explique aussi que l’automne est une période essentielle pour l’arbre qui va assimiler les réserves de sucre accumulées au cours de l’été et les stocker. Il va grandir et mettre en réserve des nutriments dans ses parties souterraines. Ainsi, les racines se développent en hiver. C’est de ce processus que s’inspire le proverbe « À la Sainte-Catherine, tout arbre prend racine ». La sainte Catherine qui se fête le 25 novembre.

En outre, les feuilles qui tombent à terre se décomposent par l’action des insectes et des vers de terre. Les champignons assimilent et décomposent aussi la matière. Et au fur et à mesure, la microfaune du sol, avec les acariens notamment, mais aussi toutes sortes de microorganismes, produit du compost disponible pour les racines.

Je redonne le lien vers cette explication automnale : « Pourquoi les arbres s’illuminent en automne ? ».

Sur le site de l’Office National des Forêts, une autre page donne des explications : « Quelle est l’influence de l’automne sur l’arbre ? ».

La phrase complète de Christian Bobin dont j’ai extrait l’exergue est la suivante : « Les nouvelles sont comme les feuilles d’automne. Le vent qui les porte les malmène. »

Mardi 5 novembre 2024

« Trump n’est que le symptôme d’une crise plus profonde »
Gérard Araud

Nous sommes le mardi qui suit le premier lundi de novembre, quatre ans après la dernière élection présidentielle américaine.
Ce jour-là a lieu la nouvelle élection présidentielle américaine. Il est plus juste de dire que c’est le dernier jour de l’élection puisque nombre d’américains ont déjà voté par anticipation. En effet, sur les quelque 244 millions d’Américains appelés aux urnes pour l’élection présidentielle, 78 millions, soit 31,9 %, avaient déjà voté de manière anticipée à la date du 3 novembre, selon les données de l’université de Floride. Le vote par anticipation – qu’il soit en personne ou par correspondance – permet aux Américains d’exprimer leur suffrage plus tôt. Cette option est valable dans tous les États du pays, mais la date d’ouverture du vote anticipé varie beaucoup d’un État à l’autre : il peut débuter jusqu’à cinquante jours avant l’élection, ou seulement cinq jours avant.

Cela peut paraître curieux, pour nous français qui avons l’habitude de voter le dimanche, de fixer le jour officiel de l’élection, un mardi.

Cela montre toute la différence entre la France laïque et les Etats-Unis otages des bondieuseries. Car le dimanche est le jour sacré des chrétiens, il ne saurait être question pour les américains croyants de « souiller » ce jour dédié à dieu pour une simple raison profane d’organisation du pouvoir terrestre. Alors qu’en France, notre révolution a conduit à considérer « sacré » la République. Nous avons donc pris, sans vergogne, le jour sacré des religieux pour organiser le vote qui se déroule dans les locaux de notre temple sacré : « L’école ».

Mais « Ouest France » nous en dit davantage sur ce mardi de l’élection.

La toute première élection présidentielle américaine se tient le 7 janvier 1789, un mercredi. Ce jour-là, les grands électeurs se réunissent pour désigner le président George Washington. Trois ans après, en 1792, une loi est votée pour fixer officiellement les règles de l’Election Day. Elle prévoit que la réunion des grands électeurs prenne place aussi le mercredi, mais cette fois-ci le premier de décembre.

Les différents États doivent alors élire leurs représentants dans les 34 jours avant cette date.
Les élections se déroulent donc en novembre, comme aujourd’hui. Et pour une raison purement pratique : à cette période, les moissons sont terminées, condition primordiale dans la société rurale de l’époque. Autre raison : cette période précède les tempêtes hivernales du Nord-Est des États-Unis, qui auraient empêché certains électeurs de se déplacer.

Un problème se pose cependant : comme chaque État vote à un moment différent, les résultats des voisins commencent à influencer les électeurs, à mesure que les moyens de communication se développent. Une date unique est donc instituée en 1845 : le mardi suivant le premier lundi de novembre.

Pourquoi un mardi ? Car contrairement à la France, il est hors de question que le jour du seigneur des chrétiens, le dimanche, soit perturbé. On écarte donc le dimanche, mais aussi le lundi, car cela aurait contraint certaines personnes à voyager le dimanche pour voter à temps. Le vote officiel des grands électeurs a pour sa part toujours lieu en décembre. Aujourd’hui, c’est donc toujours cette même règle qui est appliquée. Les électeurs se rendent aux urnes un mardi, entre le 2 et le 8 novembre, selon les années.

Nous savons que les américains n’élisent pas directement leur président mais élisent des Grands électeurs disposant d’un mandat impératif les obligeant à voter, lors de la réunion du collège des grands électeurs, pour le candidat dont ils ont porté les couleurs.
J’ai tenté d’expliquer ce mécanisme lors d’un mot du jour qui faisait une analyse assez détaillée de l’élection précédente dans laquelle Biden avait battu Trump : « Des chiffres et des électeurs. ».
Je rappelle les points saillants de cette analyse assez dérangeante :

  • L’affirmation péremptoire que Biden a battu nettement Trump au vote populaire se heurte à la réalité que cet écart s’explique par le vote de deux Etats : la Californie et de New York. En effet ces deux états cumulés représentaient un avantage pour Biden de 7 096 598 voix, c’est-à-dire un nombre de voix supérieur à la différence observée au niveau national.
  • Si on élargit un peu la focale à 6 Etats en ajoutant aux deux premiers l’Illinois (Chicago), le Massachusetts (Boston), le Maryland (Baltimore) et aussi le District of Columbia qui même si la démographie en est plus modeste, présente la particularité d’abriter la capitale : Washington, l’avantage pour Biden monte à 10,5 millions d’électeurs.
  • Ces 6 Etats représentent 25% des électeurs américains, dès lors, l’ensemble des 44 autres Etats qui représentent donc 75% des électeurs ont voté pour Trump et lui ont donné un avantage de 3,5 millions d’électeurs pour un score relatif de 51,5% à 48,5%.
  • Enfin concernant les grands électeurs, j’ai pu démontrer que l’inversion du vote de 21 459 électeurs de Biden vers Trump, c’est-à-dire 0,014% du corps électoral, aurait conduit à un match nul 269 grands électeurs chacun.

Je finissais cet article sur la question de savoir comment expliquer qu’autant d’américains aient voté pour Trump bien qu’ils l’ait vu à l’œuvre pendant 4 ans.

J’osais cette nuance : L’explication simpliste est que 74 000 000 d’américains sont des extrémistes ou des ignorants. La réalité est certainement plus complexe.

Nous sommes 4 ans plus tard, Trump a incité certains de ses partisans à monter à l’assaut du Capitole dans une insurrection qui a stupéfié le monde, il a été condamné pour des faits dans lesquels il montre une attitude qui devrait horrifier tous les évangélistes qui votent pour lui, c’est-à-dire 50% de ses électeurs, il est poursuivi pour d’autres délits, pendant toute la campagne il a tenu des propos d’une violence, d’un esprit de vengeance, d’une volonté de s’attaquer aux institutions démocratiques (« je serais dictateur une journée », « après vous n’aurez plus besoin de voter »), des documents sérieux montrent ses liens étroits et surprenants avec la Russie de Poutine …

Et pourtant, il est tout à fait possible qu’il redevienne Président des Etats-Unis. A celles et ceux qui s’interrogent s’il pourra briguer un nouveau mandat dans 4 ans, la réponse est négative. Seuls deux mandats sont tolérés, ils peuvent être successifs ou disjoints.
Comment expliquer cela ?

Gérard Araud, ancien ambassadeur de France à Washington expliquait déjà en 2021 : dans un article de 2021 : «Trump n’est que le symptôme d’une crise plus profonde». Il existe un malaise au sein de la classe moyenne américaine :  .

« Le génie [de Trump] a été de comprendre en 2016 l’existence d’un malaise américain que personne n’avait vu venir, car les résultats macro-économiques à la fin du mandat d’Obama étaient bons. Il a su parler aux oubliés, et son génie fut aussi d’arriver à continuer à être leur voix durant son mandat sans être récupéré par les républicains «classiques» qui pensaient pouvoir le manipuler. Cette rébellion est toujours là, et restera. »

Il faut comprendre que la démocratie libérale n’est possible que s’il existe une grande classe moyenne qui la fait vivre et qui est content de son sort ou au moins a l’espoir raisonnable que son avenir et celui de leur enfants seront meilleurs :

« Il y a deux cause possibles à cette rébellion . La première est économique. En effet, si quarante ans de néolibéralisme auront permis aux pays émergents de sortir de la pauvreté, les classes moyennes inférieures ainsi que la classe ouvrière des sociétés occidentales auront vu leur niveau de vie stagner, voire diminuer. Ce phénomène a provoqué une hausse du chômage et un accroissement des inégalités. Ce n’est pas un hasard si la révolte touche particulièrement le Midwest où le chômage, lié à la désindustrialisation, est fort. » .

La mondialisation et le libre échange ont eu des conséquences sur les classes moyennes occidentales non réfléchies par les élites qui ne voyaient que « la mondialisation heureuse ». Ce déclassement économique est certainement premier dans le malaise.

« La seconde est identitaire. La majorité des électeurs de Trump sont des hommes blancs ; plus de 60 % des hommes blancs ont voté pour lui. Sur fond de changement démographiques, l’Amérique blanche sent qu’elle perd le pouvoir. De ce point de vue, le trumpisme peut apparaître comme le baroud d’honneur de cette Amérique-là. » .

Il me semble qu’il existe une autre dimension que Gérard Araud n’aborde pas: c’est le recul de l’hégémonie occidentale sur les affaires du monde. Un monde qui conteste de plus en plus le leadership américain.

Probablement de manière assez confuse, car les américains moyens ne sont pas connus pour leur vision géopolitique, mais le fait que l’homme occidental soit contesté dans le monde est certainement aussi un élément du malaise. A cela s’ajoute, aux États-Unis, une immigration massive non régulée, non accueillie qui heurtent profondément les américains qui voient des tentes et des squats s’installer de plus en plus nombreux dans leurs villes.

Enfin, il y a aussi, à l’intérieur de la société, des fractures sociétales provoquées par des démocrates délaissant les intérêts et les valeurs  de la classe moyenne pour entrer dans un progressisme de plus en plus rapide, intolérant à ceux qui pensent différemment pour s’abimer dans le communautarisme, dans des luttes sectorielles où chaque particularité est mis en avant : .

« Les démocrates de leur côté n’utilisaient pas de message national, ils demandaient, pour simplifier aux noirs de voter pour leur camp simplement en raison de leur couleur de peau ! Cela n’a pas vraiment changé. Quand on regarde leur vision de la constitution du gouvernement américain, nous avons l’impression que c’est une répartition avec deux noirs, deux latinos, six femmes et un gay. C’est d’ailleurs présenté comme cela dans la presse. On peut se demander quel est le message national des Démocrates… Les démocrates ne voient plus les citoyens américains qu’à travers leurs identités. La «cancel culture» dans les universités, même si elle reste extrêmement minoritaire, exacerbe ce phénomène. S’il y a un bon exemple des erreurs des Démocrates, c’est la question des transgenres. Si l’on doit le respect à ces derniers, ils ne représentent qu’une infime minorité de la population. En faire un sujet national n’était sans doute pas un bon calcul. » .

Et maintenant, on constate que des latinos et des noirs, surtout les hommes, commencent à voter de plus en plus pour Trump. Je pense que des évolutions sociétales que la Gauche démocrate défend avec ce sentiment d’un combat du bien contre le mal heurtent profondément le conservatisme de ces populations pour qui tout cela va trop vite et trop loin. Trump a su avec ruse et intuition capter ce malaise pour nourrir sa quête du pouvoir. Désormais, pour des raisons électorales il est allé jusqu’à flatter les franges les plus réactionnaires de son électorat qui sont anti-avortement, anti-LGBT, anti-féministe. Ces minorités ne pourraient pas imposer ainsi leurs idées, s’il n’existait pas dans une plus large partie de la population les malaises économiques, les malaises identitaires et les malaises sociétaux .

Je pense qu’en Europe et en France nous sommes sur la même voie, d’un malaise profond de la société auquel prétendent répondre des forces illibérales, des extrêmes droite contre lesquelles la gauche largement dans le déni des problèmes qui se posent, n’a comme seule réponse la diabolisation de l’adversaire et la fuite en avant.

Quand il y a un terrain fertile, des Trump peuvent pousser.