« Fais pas la trogne enfin, à la fenêtre écoute les oiseaux ! »
Lucien Orange
Lucien est un humaniste et un poète.
Un poète de la Croix Rousse.
Nous nous sommes connus dans la section du PS de la Croix Rousse. Nous étions très souvent d’accord, quelquefois il était un peu plus à gauche que moi.
Mais même quand nous n’étions pas d’accord, cela n’avait aucun effet sur notre amitié d’esprit et de cœur.
C’est encore le cas, mais nous ne sommes plus au PS.
Lucien écrit des textes qui n’appartiennent qu’à lui, drôles, profonds, poétiques.
Aujourd’hui, avec son autorisation, je partage le dernier texte qu’il a envoyé.
Une petite merveille du temps présent.
T’en fais pas gone ;
Allons, gone, fais pas cette tête ! C’est pas la fin du monde c’qu’y arrive,
C’est tout de même pas comme si c’était la guerre ?
Ha si, il a dit que c’était la guerre ?
Ha bon, mais une guerre que tu fais chez toi, dans ton canapé, sans piloter un drone tueur à dix mille kilomètres de là.
Juste, si tu peux, du télétravail, pendant les heures de bureau. Bien sûr, certains ne peuvent pas travailler de chez eux, ou même travailler tout cours. Sans compter, hélas, ceux qui, à la rue, n’ont pas d’endroit pour se confiner. Là oui c’est un problème, et à ceux-là il faudra bien donner une sorte de revenu universel, vous savez comme un candidat proposait en 2017 ! L’idée à l’époque fut fort décriée, et aujourd’hui elle s’imposerait presque !
Allons fais pas la gueule, oui t’es chez toi, confiné qu’y disent, mais c’est qu’une question de mot ;
Dis-toi que t’es en pause, tiens, c’est ça en pause.
Va à la fenêtre, si tu as de la chance y’a peut-être un jardin pas loin de chez toi que tu peux apercevoir ?
Regardes, les arbres bourgeonnent, bientôt ils seront fleuris, dans ma rue on a des cerisiers à fleurs, ça commence à éclore, c’est beau tout ce blanc.
Et puis si t’as pas de jardin dans ton champ de vision regarde le ciel, il est toujours beau le ciel, le matin juste avant le soleil souvent il y a des fins nuages, des stratus, je crois, ça s’appelle, et au lever du jour ils sont roses, du rose sur bleu pâle. Et le soir aussi, juste quand le soleil est au raz des toits, si tu as la chance d’avoir un ou deux nuages, c’est un vrai festival des couleurs plein le ciel, profites en !!!
Fais pas la trogne enfin, à la fenêtre écoute les oiseaux, oui, oui, on peut entendre les oiseaux, depuis qu’il y a moins de voiture, que la pollution diminue, les oiseaux chantent, ils nichent dans les arbres […] C’est le printemps.
Allons rigoles, les gens avec qui tu vis, regarde-les.
Oui, tien, tes gamins ! Tu te rends compte que tu ne les vois pas grandir ? Le matin quand tu pars, ils dorment, et le soir quand tu rentres, ils dorment déjà.
Regardes les, découvres les, tu vois la grande tu t’étais même pas rendu compte qu’elle commençait à ressembler à sa mère, même façon d’être, même sourire, même caractère aussi. Ça c’est bien !
Aller arrête de t’angoisser, ce truc, là le virus, y va passer, en attendant si tu t’emmerdes parles avec eux, aide à la cuisine. Tu te souviens la cuisine t’aimais bien quand t’étais jeune, mets-toi aux fourneaux, ça va rudement te passer le temps, puis ça soulagera ta compagne. Tu vas comprendre les sens de l’expression « charge mentale »
Ha, t’es toute seule, tout seul ? Ben c’est le moment de te mettre à ta fenêtre, si ça se trouve tu vas voir un gars, ou une fille, accoudé à sa fenêtre. Vous allez vous regarder vous sourire peut-être, par la fenêtre sur un carton vous pouvez échanger vos 06 ………. Et voilà de quoi vous occuper pendant toute un confinement. et plus si affinités.
Allons, fais pas cette tronche, tu sais, ce bouquin, que tu as commencé il y a longtemps et que tu n’as pas eu le temps de finir, reprends le, tu vas voir comme le temps passe vite en lisant.
Ou encore ce truc qu’est cassé, tu voulais le réparer, tu l’as mis dans un placard, c’est le moment de bricoler, avec un peu de temps il va marcher à nouveau, toujours ça de moins à racheter, de la pollution en moins.
Bon voilà, ça va mieux, tu vas pas te mettre à râler au bout d’une semaine ?
Ca va durer au moins deux mois, minimum, alors si déjà tu te laisses aller, t’imagines dans deux mois ?
Moi ce que j’en dis, c’est pour toi, pour que tu saches que changer d’habitudes, c’est pas non plus la mer à boire.
Et puis surtout, à toi à qui il n’est jamais rien arrivé, tu vas te faire un sacré paquet de souvenirs, pour dans les années qui viennent.
Tu rigolais des anciens combattants, et bien toi aussi tu en seras un !
Dans les années trente lors des commémorations tu seras peut- être porte drapeau, avec, si ça se trouve ta décoration !
Ha oui je t’avais pas dit : il va y avoir une décoration pour ceux qui auront sauvé des vies en restant chez eux.
Ça va s’appeler l’ordre de l’édredon, avec naturellement des grades, le premier ce sera l’oreiller, puis la couette, de coton, de laine ou de plume. Et enfin l’édredon, trois niveaux, duvet de canard, duvet d’oie, et le plus prestigieux duvet d’Eider !
Ces décorations seront distribuées, pardon, attribuées, aux confinés les plus méritants, ceux qui ne seront jamais sortis de chez eux le plus longtemps possible ; ou qui auront fait des exploits particuliers comme le marathon du travail à domicile en téléconférence avec plus de cent correspondants sans s’endormir à l’écran.
Parce qu’on va organiser des concours, avec le télétravail il va falloir stimuler les employés pour que le rendement s’améliore.
La première semaine on a bien vu que ça glandait sec, Facebook a failli exploser, des gens de chez Orange se plaignaient que les réseaux qu’ils maintenaient à la force du poignet, étaient utilisés par des inconscients pour raconter des bêtises et encombrer les réseaux sociaux qui devaient être avant tout au service de nos forces vives !!!!
« Alors on s’y est tous mis (raconteras-tu dans tes souvenirs d’ancien combattant) et nous avons relancé la machine économique qui commençait à perdre pied.
Tous les confinés ont du faire le double de travail qu’au bureau, au prétexte qu’ils ne perdaient plus de temps à se raconter le WE à la machine à café. D’ailleurs bientôt il n’y eut plus de café.
Les retraités furent sollicités pour passer leurs commandes par internet afin de ne pas arrêter la production et relancer l’économie. Les livreurs furent transformés en pilotes de Drones livreurs pour que les humains ne trainassent pas dans les rues. Et l’on vit à cette occasion que les drones étaient plus efficaces que les livreurs humains, car ils ne perdaient pas de temps à discuter avec les clients ;
Pareils pour tous les métiers indispensables, on mit en services des robots éboueurs qui enlevaient les poubelles avec efficacités. Les policiers chargés de faire respecter le confinement, furent remplacés par des drones verbalisateurs. Et ainsi de suite. Il n’y eut que le personnel médical et les femmes de ménages qu’on ne put remplacer par des machines. »
Voilà, tu vois gone, c’est comme ça que ça va se passer, sûr y aura des morts, mais relativise.
Sais-tu combien il y a de morts « normales » par jour en moyenne d’habitude ? 1660, rien que ça, et là-dedans combien sont mort du tabagisme ? 164, et de l’alcool , 82 . t’as raison l’alcool ça fait moins mourir que le tabac, c’est rassurant non ?
Bien sûr ça ne diminue pas le risque du virus, mais quand même si en plus tu sais que c’est surtout les vieux qui disparaissent en premier ( 50% des morts ont plus de 83 ans) C’est moins angoissant , et si par hasard t’as plus de 83 dis-toi que tu fais du rab , comme moi !
Aller, arrêtes de mouronner, vis, regardes le ciel, les oiseaux, ta femme ou ton mec, souris, rigoles,
Tu verras ce sera vite fini.
Bises ;
Lucien
22 mars 2020
Si certains non lyonnais ne le savaient pas « gone » signifie un enfant dans le parler lyonnais et par extension c’est le nom qu’on donne à tous les habitants de Lyon (les Gones).
En 2004, je n’écrivais pas encore de mots du jour. J’avais d’autres activités que je partageais avec Lucien.
<1376>