Jeudi 30 Juin 2016

 « Histoire du silence »
Alain Corbin

Alain Corbin, né en janvier 1936 est le grand historien français « de toutes les sensibilités qui a ouvert tellement de voies neuves à [l’Histoire] et à ses curiosités » comme le décrit Jean-Noël Jeanneney lors de l’entretien où il l’avait convié pour dialoguer sur son nouvel ouvrage <Histoire du silence>.

Anne Sinclair qui l’a reçu pour le même ouvrage, décrit cet homme de 80 ans : « il a écrit sur le corps, le bruit, l’odorat, le toucher, la sexualité, la pluie ou l’arbre. »

Son ouvrage le plus célèbre jusqu’à présent était consacré aux odeurs à travers l’Histoire, plus précisément l’odorat et l’imaginaire social <Le Miasme et la Jonquille, 1982 >.

Wikipedia relate que dans ce livre [Alain Corbin] « explique que le « seuil de tolérance » aux odeurs va évoluer, notamment sous l’effet de l’émergence d’une nouvelle perception des odeurs très clivée socialement. C’est l’époque où naissent les premières théories hygiénistes qui visent à « purifier » les villes en permettant à l’eau et à l’air de mieux circuler et d’emporter avec eux détritus et miasmes. ». Ce livre savant d’Histoire a inspiré le livre <le Parfum> de Patrick Süskind, chef d’œuvre de la littérature.

Alain Corbin a donc publié en avril 2016, aux éditions Albin Michel son dernier ouvrage : <Histoire du Silence>

L’éditeur présente cet ouvrage :

« Le silence n’est pas la simple absence de bruit. Il réside en nous, dans cette citadelle intérieure que de grands écrivains, penseurs, savants, femmes et hommes de foi, ont cultivée durant des siècles. À l’heure où le bruit envahit tous les espaces, Alain Corbin revient sur l’histoire de cet âge où la parole était rare et précieuse.

Condition du recueillement, de la rêverie, de l’oraison, le silence est le lieu intime d’où la parole émerge. Les moines ont imaginé mille techniques pour l’exalter, jusqu’aux chartreux qui vivent sans parler. Philosophes et romanciers ont dit combien la nature et le monde ne sont pas distraction vaine. Une rupture s’est produite, pourtant, aux confins des années 1950, et le silence a perdu sa valeur éducative. L’hypermédiatisation du XXIe siècle nous contraint à être partie du tout plutôt que de se tenir à l’écoute de soi, modifiant la structure même de l’individu.

Redécouvrir l’école du silence, tel est l’enjeu de ce livre dont chaque citation est une invitation à la méditation, au retour sur soi. »

Cet ouvrage a fait l’objet de multiples articles dans de nombreux journaux et je vous donnerai certains liens à la fin de ce message.

Le silence est en effet de plus en plus difficile à trouver dans le monde d’aujourd’hui et il est même en train de régresser.

Lors de manifestation sportive, on remplace de plus en plus en plus la minute de silence par une minute d’applaudissements.

Mais plus généralement les bruits de la ville et aussi les machines agricoles à la campagne, ainsi que la musique, la parole omniprésente grâce à tous ces appareils, radio, télévision, baladeur etc. font que l’homme moderne a quasi exclu le silence de sa vie.

Quand on interroge Alain Corbin pourquoi ce sujet, il explique :

« J’y songeais depuis une vingtaine d’années. Je l’avais proposé comme sujet de thèse à des étudiants, mais ils n’en voulaient pas. Le silence aujourd’hui semble faire peur », s’amuse ce jeune octogénaire. Du calme des chambres à coucher à l’immensité impassible du désert […] Corbin montre que le silence a obsédé les religions, les philosophes, les aventuriers et les traités de savoir-vivre.

Par contraste, l’historien laisse aussi entendre toute l’intensité du brouhaha contemporain…

« Je n’ai fait qu’esquisser le sujet […] J’ai voulu montrer l’importance qu’avait le silence, et les richesses qu’on a peut-être perdues. J’aimerais que le lecteur s’interroge et se dise : tiens, ces gens n’étaient pas comme nous. Aujourd’hui, il n’y a plus guère que les randonneurs, les moines, des amoureux contemplatifs, des écrivains et des adeptes de la méditation à savoir écouter le silence… »

Corbin cite aussi de nombreux grands auteurs qui parlent du silence :

Baudelaire clame la délectation que lui procure le fait d’être, le soir, enfin réfugié dans sa chambre. […]

« Enfin ! Seul ! On n’entend plus que le roulement de quelques fiacres attardés et éreintés. Pendant quelque heure, nous posséderons le silence, sinon le repos. Enfin ! La tyrannie de la face humaine a disparu, et je ne souffrirai plus que par moi-même. (…) Mécontent de tous et mécontent de moi, je voudrais bien me racheter et m’enorgueillir un peu dans le silence et la solitude de la nuit. » « Le Spleen de Paris »

Marcel Proust a fait recouvrir de liège les murs de sa chambre et soudoie les ouvriers pour qu’ils ne fassent pas les travaux qu’ils devaient effectuer dans l’appartement du dessus. Plus tard, Kafka exprime le désir d’avoir une chambre d’hôtel qui lui permette « de s’isoler, de se taire, jouir du silence, écrire la nuit ».

Mallarmé, poète acoustique, voyait naître un « grand plafond silencieux » dans l’accumulation soudaine des brouillards. Chateaubriand, au milieu des ruines de Sparte, entendait les pierres qui « se taisaient » autour de lui. Et Albert Camus, à Tipasa, disait distinguer « un à un les bruits imperceptibles dont était fait le silence ».

Dans son interview à l’Express, Corbin explique :

« Aujourd’hui, il faut réussir à échapper à la peur du silence, c’est-à-dire à la peur de la solitude ».

Il a aussi cette réflexion :

« La perception de l’intolérable a changé depuis le milieu du XIXe. Ainsi du bruit dans les villes. On ne tolérerait plus aujourd’hui les forges en appartement et les essieux sur les pavés, les cloches et les chiens trop bruyants. Cela dit, le nombre de cloches n’a pas diminué, mais on ne les entend plus, car on ne les écoute plus. Ce qui me frappe, c’est qu’un même individu a des degrés de tolérance très variables: il ne supporte plus les conversations dans un avion ou dans un train, mais va s’assourdir dans une boîte de nuit. »

Finalement c’est Anne Sinclair qui semble donner le résumé le plus riche de ce livre :

« L’importance de savoir se taire. Le silence est « multiple », selon l’historien. Il peut signifier paix, bonheur, peur comme ennui. Mais il explique que chaque période a une façon de concevoir le silence. « Dans les siècles passés, le silence était une richesse, le moyen d’approfondir son Moi, de méditer, se ressourcer.

Le silence du 17e siècle était destiné à l’oraison, à l’écoute de Dieu ». Le spécialiste indique aussi que « depuis la moitié du 16e siècle, dans la société de cour, prendre la parole est un risque, se taire est plus prudent voire bénéfique. Le Roi, comme toute personne qui a le pouvoir, dit Fénelon, doit se taire. On n’imagine pas les grands de la cour parlant à tort et à travers. » S’il est important de savoir parler, il l’est encore plus de savoir se taire.

Le silence de la nature. Aujourd’hui, avec la frénésie de la ville, des communications, la nature serait-elle le dernier ancrage du silence ? Il y a du vrai, selon l’historien. « Les marcheurs des sentiers de grande randonnée, c’est le reflet du siècle précédent. Mais ils ne cherchent peut-être pas la même chose », nuance-t-il, en y voyant davantage un besoin de « déconnexion » ou d’oubli de certains bruits qui n’existaient pas auparavant. Pour autant, il ne croit pas que les villes soient plus bruyantes qu’autrefois, à l’époque des crieurs ou des ateliers dans les étages.

Les silences intermittents d’aujourd’hui. De nos jours, les bruits de fond sont partout, des magasins aux ascenseurs. Mais il existe aussi une intolérance au bruit. Par exemple, on n’accepte pas que » son voisin de TGV parle, fasse de bruit alors que c’était même de la politesse de s’adresser à son voisin auparavant. » Pour l’historien, les enfants du 21e siècle ont davantage peur du silence. « Dans ma génération, on pouvait en profiter pour rêver, imaginer ». Désormais, pense le spécialiste, les enfants « identifient le silence à l’ennui, à un arrêt du rythme. »

Le Silence de la paix et de la mort. Le silence comme reflet de l’ennui… mais aussi de la paix. Alain Corbin renvoie à la Première guerre mondiale. « Dans ce vacarme effroyable de la guerre, le silence est celui de la paix, de l’interruption brutale de la canonnade. A la fois très inquiétant et rassurant. » Ce peut être également le silence de la mort. Car la mort, c’est le silence. « Déjà, le silence de la chambre du malade est tragique. Je ne parle pas de chambre mortuaire et de la tombe… »

Le silence des silences. Et s’il doit y avoir un silence final, il y a ni plus ni moins que celui de la fin des temps. L’historien s’appuie sur un poème de Leconte de Lisle, où le vrai silence sera celui de la Terre. « Non seulement de tous ses habitants, mais aussi de sa matière même, qui en explosant deviendra poussière. » »

Voici les liens promis :

TELERAMA : Histoire du silence de la renaissance à nos jours

LE POINT : Alain Corbin : Il était une fois le silence

L’EXPRESS : Alain Corbin à l’écoute du silence

LIBERATION : Alain Corbin : les archives du silence

Et pour les amoureux de la poésie un lien vers le poème de Leconte de Lisle cité par l’historien :< La dernière vision de Leconte de Lisle>

Il me semble que ce mot du jour sur le silence est approprié pour vous annoncer que le mot du jour va se régénérer dans le silence pendant 2 mois.

Demain, j’ai prévu un mot spécial, puis s’ouvrira pour moi et ma douce compagne un mois de congé.

Mais je souhaite prolonger le silence encore un mois, parce que j’ai besoin de ce silence, de laisser reposer l’esprit, le corps et la sensibilité.

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Mercredi 29 Juin 2016

Mercredi 29 Juin 2016
« Je vis une histoire d’amour avec les mots et ils me le rendent au centuple »
Bientôt les vacances !
Certaines et certains m’ont dit qu’ils en profiteraient pour lire « Sapiens ». Je les encourage mais je préviens c’est du lourd !
Alors pour équilibrer, ou pour d’autres, remplacer, je vous propose un livre léger.
Rien que le nom de l’auteur de ce livre est évocateur : «Marang». Et il s’agit bien du nom de naissance de l’auteur qui est née à Colmar et qui affirme « sera enterrée à Bonifacio ».
Elle vient de publier son premier livre « Dans tous les sens »
Jean-Paul Enthoven, dans un article du Point <Sourire avec Mme Marang>, le présente ainsi : « Aphorismes, holorimes, pensées ou traits d’esprit… Dans ce premier livre, Delphine Marang jongle librement avec les mots… »
Elle explique dans l’émission dont j’ai tiré l’exergue du mot du jour qu’elle était dyslexique et qu’elle a fait de cette difficulté une opportunité en se spécialisant dans les mots d’esprit.
Dont voici un florilège :
« Réussir ses parties d’échecs. »
« Perdre en faisant des réussites. »
«Devant une phrase désarmante, il sortait son silencieux. »
«Âmes insensibles s’abstenir ! »
«Faites la moue pas la guerre. »
«Les vieux amants baissent ensemble. »
« Être la muse fine bouche, loin des amuse-gueules. »
« Un cercueil est une boite de nuit»
« J’ai avancé contre vents et mari»
« Refait et parfait, son visage est de la haute couture»
« C’est un oiseau qui a l’air de tomber du lit»
« ils se disputaient sur la plage, c’était leur dune de fiel» (des jeunes mariés)
 
Jean-Paul Enthoven en disserte ainsi :
« Des aphorismes de geisha (« Soigner le mâle par le bien »), des calembours plus ou moins pervers (« Sa maîtresse est une Domina triste »), des saillies de conversation (« Cette amoureuse est une héroïne en manque »), des méditations de haute volée (« Renaître nous rend d’or »), ainsi que nombre d’holorimes, de gags verbaux, de tête-à-queue ou à claques, y balisent un credo où, par principe, rien ne sera pris au sérieux. Ici, on babille par plaisir, on tend l’oreille au mot-valise qui en dit long, on surfe sur la métaphore, on glisse sur le toboggan des lapsus. Mme Marang – dont « les désirs sont désordre » – exige que l’on s’amuse en la lisant. Dociles, nous obéirons…
Sur le fond, cette femme de lettres est une originale : à l’en croire, elle aurait pu militer pour que les enfants de divorcés obtiennent la garde alternée de leurs parents ; et se serait souvent moquée des « goys de cour » tout en se rendant coupable, par pure ambition, de quelques « crimes de lèche-majesté ». […] elle s’est tôt persuadée que « mieux valait un bon mot qu’une mauvaise phrase ».
D’où sa drôlerie concise, ses embardées en forme de haïkus, ses verdicts sur la coquetterie (« Elle est si frivole qu’on ne sait pas si ses jumeaux ont le même père »), sur ses contemporaines (Ah, cette « roulure de printemps » !) et ses envolées sentimentales (« Je vis pour vous retrouver, je vous retrouve pour vivre ») ou sensuelles (« Merci pour ce don d’orgasmes ! »). Finalement, il ressort de cela que cette femme […] mérite sans conteste de solliciter son admission au CME (Club des moralistes d’envergure). »
Ce qui distingue l’humain de l’animal ce n’est pas l’intelligence, c’est le rire !

Mardi 28 Juin 2016

Mardi 28 Juin 2016
«Les secrets de la beauté»
Audrey Hepburn
Aujourd’hui, j’avais prévu de vous entretenir d’une utopie illégale dont avait parlé Xavier De La Porte lors d’une revue du numérique sur France Culture et qui concernait la mise à disposition de tous et gratuitement du savoir scientifique, comme du temps de Copernic, de Galilée ou de Newton, en quelque sorte. Si ce sujet vous intéresse vous trouverez la chronique derrière ce lien : la  « Robin des bois de la science » (Nom donné à Alexandra Elbakyan une scientifique Kazakh)
Mais hier, Mireille Delunsch qui est une des meilleures chanteuses d’opéra en France, a posté sur Facebook un message dont je veux faire un moment de partage avec vous. Car, Oui, comme pour toute création humaine, sur Facebook, il y a le pire et il y a le meilleur.
Mireille Delunsch a publié un texte d’Audrey Hepburn.
Audrey Hepburn est cette actrice britannique, née le 4 mai 1929 et décédée le 20 janvier 1993 qui a joué le rôle principal dans plusieurs films cultes Hollywood : My Fair Lady, Guerre et paix, Diamants sur canapé et Vacances romaines de William Wyler qui  lui vaut l’Oscar de la meilleure actrice.
Elle était, selon les canons occidentaux, belle.
Un jour on lui a demandé de révéler ses secrets de beauté.
A cette question, elle a répondu par un texte qui fut lu lors de ses funérailles :
«Pour avoir des lèvres attirantes, prononcez des paroles de bonté.
Pour avoir de beaux yeux, regardez ce que les gens ont de beau en eux.
Pour rester mince, partagez vos repas avec ceux qui ont faim.
Pour avoir de beaux cheveux, laissez un enfant y passer sa main chaque jour.
Pour avoir un beau maintien, marchez en sachant que vous n’êtes jamais seule, car ceux qui vous aiment et vous ont aimé vous accompagnent.
Les gens, plus encore que les objets, ont besoin d’être réparés, bichonnés, ravivés, réclamés et sauvés : ne rejetez jamais personne.
Pensez-y : si un jour vous avez besoin d’une main secourable, vous en trouverez une au bout de chacun de vos bras.
En vieillissant, vous vous rendrez compte que vous avez deux mains, l’une pour vous aider vous-même, l’autre pour aider ceux qui en ont besoin.
La beauté d’une femme n’est pas dans les vêtements qu’elle porte, son visage ou sa façon d’arranger ses cheveux.
La beauté d’une femme se voit dans ses yeux, car c’est la porte ouverte sur son cœur, la source de son amour.
La beauté d’une femme n’est pas dans son maquillage, mais dans la vraie beauté de son âme.
C’est la tendresse qu’elle donne, l’amour, la passion qu’elle exprime.
La beauté d’une femme se développe avec les années.»
Et voilà Audrey Hepburn dans sa jeunesse
Et en 1982

Lundi 27 Juin 2016

Lundi 27 Juin 2016
« L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, 
soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique. […] Il m’est arrivé souvent de recommander plus de rigueur dans notre gestion économique. Mais je ne suis pas résigné, je vous l’avoue, à en faire juge un aréopage européen dans lequel règne un esprit qui est loin d’être le nôtre.»
Pierre Mendès France, 18 Janvier 1957
Dans un article publié par Mediapart le 25/06/2016, on apprend qu’en 1957, lors du débat sur le Traité de Rome, Pierre Mendès France mettait en garde, en évoquant la construction européenne, contre un projet inspiré par « un libéralisme du XIXe siècle ». […]
Le 18 janvier 1957, Pierre Mendès France (1907-1982) intervient à l’Assemblée nationale dans le débat sur le projet du Traité de Rome qui, signé deux mois plus tard, le 25 mars, instituera la première communauté économique européenne, composée de l’Allemagne, de la rance, de l’Italie et des trois pays du Benelux, Belgique, Luxembourg et Pays-Bas. Alors figure du Parti radical, il avait quitté la présidence du Conseil deux ans auparavant, après sept mois et dix-huit jours de gouvernement dont la brièveté n’empêchera pas le souvenir durable, celui d’un homme d’État vertueux, averti en matière économique, soucieux des comptes publics, respectueux du débat démocratique et, de plus, en quête d’une issue à la crise coloniale.
« L’harmonisation doit se faire dans le sens du progrès social, affirme le député Mendès France, dans le sens du relèvement parallèle des avantages sociaux et non pas, comme les gouvernements français le redoutent depuis si longtemps, au profit des pays les plus conservateurs et au détriment des pays socialement les plus avancés. »
« Mes chers collègues, poursuit Mendès France, il m’est arrivé souvent de recommander plus de rigueur dans notre gestion économique. Mais je ne suis pas résigné, je vous l’avoue, à en faire juge un aréopage européen dans lequel règne un esprit qui est loin d’être le nôtre. Sur ce point, je mets le gouvernement en garde : nous ne pouvons pas nous laisser dépouiller de notre liberté de décision dans des matières qui touchent d’aussi près notre conception même du progrès et de la justice sociale ; les suites peuvent en être trop graves du point de vue social comme du point de vue politique.
Prenons-y bien garde aussi : le mécanisme une fois mis en marche, nous ne pourrons plus l’arrêter. (…) Nous ne pourrons plus nous dégager
Nous serons entièrement assujettis aux décisions de l’autorité supranationale devant laquelle, si notre situation est trop mauvaise, nous serons condamnés à venir quémander des dérogations et des exemptions, qu’elle ne nous accordera pas, soyez-en assurés, sans contreparties et sans conditions. »
À la lecture de ces anciennes paroles, Mendès France prend soudain stature de devin tragique, anticipant ce que ses contemporains ne voient pas, parce qu’ils sont aveugles ou parce qu’ils s’aveuglent. Car c’est peu dire que la suite, notamment celle vécue ces trente dernières années par des gouvernements de gauche, élus sur des promesses sociales alternatives, aura donné raison à cette prophétie.
À la fin de son discours, Mendès France souligne le cœur du désaccord : ce projet de marché commun, résume-t-il, « est basé sur le libéralisme classique du XIXe siècle, selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes». Autrement dit, un libéralisme économique qui ruine tout libéralisme politique, imposant la loi d’airain de la concurrence à la vie sociale, au détriment des solidarités collectives et des libertés individuelles. 
« L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, conclut Mendès France, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement “une politique”, au sens le plus large du mot, nationale et internationale. »
« Dire cela, ajoutait Pierre Mendès France, ce n’est pas être hostile à l’édification de l’Europe, mais c’est ne pas vouloir que l’entreprise se traduise, demain, par une déception terrible pour notre pays, après un grand et bel espoir, par le sentiment qu’il en serait la victime et, tout d’abord, ses éléments déjà les plus défavorisés. » Faute de l’avoir écouté, nous vivons aujourd’hui ces temps de « déception terrible » prédits par Mendès France.
La clairvoyance de Mendés France, il y a près de 60 ans m’impressionne. Tout c’est bien passé comme il l’a dit : Les décisions sont prises sous l’appellation de décisions techniques par un aréopage européen.
Mais sortir de cette impasse est tout sauf simple.
Il est devenu évident qu’aujourd’hui et probablement davantage demain que la globalisation et la financiarisation de l’Economie ainsi que l’automatisation générale ne profitera plus à la majorité des populations du vieux continent qui avaient été habitués à vivre beaucoup mieux que tout le reste du monde à l’exception des pays où les européens s’étaient implantés et avaient remplacés les autochtones et à l’autre exception du Japon.
En outre dans ces pays s’est mis en place un Etat social qui ne peut plus être financé étant donné ces évolutions et l’augmentation de l’espérance de vie.
Pour éclairer mon affirmation précédente, je donne ces chiffres : la France représente 1 % de la population de la planète et 4 % du PIB mondial et concentre 15 % des dépenses sociales du monde.
Dans ces conditions il est normal qu’en Démocratie, la majorité se rebelle et vote non.
La technocratie européenne que l’on critique tellement aujourd’hui, comme le faisait Mendés France en 1957,  a jusqu’à présent permis de faire semblant que la Démocratie s’exprime mais comme le disait justement Juncker s’arrête aux Traités signés.
Pour sortir de cela, pour sortir des multiples non, il faudrait arriver à se mettre d’accord sur un Oui, c’est à dire un projet européen cohérent alternatif politique trouvant une majorité.
Cela, ce n’est pas gagné, comme le montre cet article du Monde : http://allemagne.blog.lemonde.fr/2016/06/25/merkel-acte-la-fin-du-couple-franco-allemand/
Et comme le dit, le ministre belge des affaires étrangères : « Il n’y a clairement pas d’unanimité pour davantage d’intégration en Europe »

Vendredi 24 Juin 2016

«Les technocrates, si on leur donnait le Sahara, dans cinq ans il faudrait qu’ils achètent du sable ailleurs.»
Coluche

Souvent les mots du jour se moquent des technocrates.
Mais ce n’est pas le cas de celui du jour. Cela étant, il n’en fera pas l’éloge non plus.

Coluche est mort il y a 30 ans, exactement le 19 Juin 1986 à 41 ans.
Coluche était drôle et souvent ses blagues cognaient juste.

Il voulait faire une nouvelle blague sur les technocrates et il a donc eu ce mot qui signifie que si on donnait un désert aux technocrates, ils ne pourraient pas exploiter intelligemment le sable qui s’y trouve à profusion.

Seulement Coluche se trompait, cette blague tombe à plat dès que l’on approfondit un peu ce sujet à savoir l’importance du sable dans l’activité humaine et la qualité du sable du désert.

Les anglais ont aussi une expression : « C’est comme vendre du sable aux arabes » qui veut signifier qu’un acte est inutile avec cette idée que vendre du sable aux arabes ne présente aucune pertinence économique puisque « les Arabes » sont en grande partie un peuple du désert et qu’ils ont donc du sable à satiété.

C’est tout aussi faux, d’ailleurs aujourd’hui les peuples arabes de Dubaï, du Qatar et des autres états pétroliers achètent massivement du sable ! Notamment aux Australiens.

J’ai été sensibilisé à cette problématique lors de cette émission de France Inter : https://www.franceinter.fr/emissions/un-jour-dans-le-monde/un-jour-dans-le-monde-23-septembre-2015-0

On y apprend trois choses :

  • Le sable est une matière première essentielle pour l’économie contemporaine :
  • Le sable du désert est inutilisable pour ces activités
  • Le sable est surexploité et cette surexploitation constitue un problème écologique considérable dont on parle peu.

On y apprend en outre que le sable est la ressource naturelle la plus consommée après l’eau et les hydrocarbures.

<Un premier article donne des détails techniques :> :

« Le sable est la 3ème ressource la plus utilisée au monde, après l’air et l’eau. Il représente un volume d’échanges internationaux de 70 milliards de dollars par an. Plus de 15 milliards de tonnes utilisées dans le monde chaque année. Sur la planète, 2/3 de ce qui est construit est en béton armé et le béton est constitué de 2/3 de sable.

Chaque année en France, ce sont plus de 7 millions de tonnes de sable qui sont puisées dans l’océan Atlantique et dans la Manche. A 95 %, ce sable est destiné à la fabrication de béton pour la construction.

Il faut 200 tonnes de sable pour construire une maison de taille moyenne.
Un bâtiment comme un hôpital, consomme environ 3000 tonnes,
Chaque kilomètre d’autoroutes engloutit au moins 30 000 tonnes de sable,
Pour construire une centrale nucléaire, il faut compter environ 12 millions de tonnes.

Entre 75 et 90% des plages de la planète sont aujourd’hui menacées de disparition. Si on ne fait rien d’ici 2100, les plages du monde seront de l’histoire ancienne.

A Dubaï, la presqu’île artificielle autoproclamée « 8e merveille du monde » a coûté plus de 12 milliards de dollars et a ingurgité près de 150 millions de tonnes de sable pompé au large des côtes de Dubaï.

3500 sociétés australiennes exportent vers la péninsule arabique. Leurs bénéfices ont triplé en 20 ans et le sable représente aujourd’hui un jackpot annuel de 5 milliards de dollars pour l’Australie.
L’existence même de Singapour dépend de ses importations de sable. Sa superficie s’est agrandie de 20% ces 40 dernières années. »

Evidemment une telle ressource avec tant d’intérêts financiers suscite des convoitises et même des délinquants : « En Inde, les pirates du sable agissent au grand jour sur plus de 8000 sites illégaux d’extraction, disséminés sur les côtes et rivières du sous-continent. Au Maroc, le sable volé représente à ce jour, aux alentours de 40% à 45% des prélèvements. »

En outre, il y a des exemples de gabegie :

« En Chine, 65 millions de logements sont vides, pourtant la construction est florissante et engloutie 1/4 du sable extrait sur la planète <

L’Espagne détient le triste record du pays qui a utilisé le plus de sable en Europe… pour rien. Alors qu’elle connaît une crise du logement sans précédent, 30% des habitations construites depuis 1996 sont inoccupées. Des aéroports entiers ont été édifiés, mais n’ont jamais vu un passager. »

Mais d’où vient le sable ?

« Depuis 5 000 ans, les hommes ont extrait des roches que ce soit par l’exploitation de mines, la déforestation ou encore l’extraction de granulats.

L’extraction de granulats (sables, graviers et galets) est majoritairement effectuée dans des carrières de sable et de gravier (granulats roulés) et de roches massives (granulats concassés, roches ornementales). Mais face à l’épuisement des ressources terrestres en granulats alluvionnaires et aux désordres engendrés par la surexploitation dans les rivières (approfondissement du lit, déchaussement d’ouvrages d’art), les industriels se sont tournés vers des ressources de substitution, notamment les granulats marins.

L’exploitation de sable marin s’est développée depuis les années 1970 et est en plein essor depuis. Certains navires de drague peuvent pomper par jour entre 4 000 et 400 000 m3 de sable au fond de la mer.

Pour résumer, le sable provient de deux origines principales : d’origine éruptive dans les carrières et surtout le sable marin. »

Les impacts sur l’environnement sont immenses et alarmants. La disparition du sable est une question qui se pose.

Denis Delestrac a réalisé un documentaire pour ARTE : « Le sable : enquête sur une disparition ».

Documentaire que vous pouvez acheter sur la boutique d’Arte : http://boutique.arte.tv/f9016-sable_enquete_disparition

<Ici vous trouverez un extrait du documentaire ARTE de Denis Delestrac : Le sable en quête sur une disparition>

Et ci-après un autre documentaire : http://future.arte.tv/fr/le-sable-va-t-il-vraiment-disparaitre#article-anchor-14781

Le site écologiste terraeco : http://www.terraeco.net/Les-marchands-de-sable-menacent,51075.html donne les informations suivantes :

« Le biologiste Pierre Mollo s’inquiète d’un autre impact, plus immédiat, sur le plancton. En remuant les fonds marins, l’extraction de sable crée un panache dans lequel remontent des minéraux et métaux lourds enfouis depuis des millénaires, explique l’enseignant chercheur, cela peut contribuer à rendre le plancton toxique. »

De quoi ajouter à l’inquiétude des ostréiculteurs. Elle-même moindre que celle des pêcheurs.

Car, par sa seule présence, la bruyante élingue des extracteurs fait fuir les poissons, tout en aspirant leur alimentation. Alors à Lannion, les professionnels de la pêche crient au conflit d’usage. « C’est insoluble car les zones qui présentent le plus grand nombre de sédiments marins, généralement les estuaires, sont aussi des niches de biodiversité », soupire Pierre Mollo.»

Il y a encore les articles suivants :

http://www.rfi.fr/afrique/20130604-le-business-marchands-sable

http://www.humanite.fr/environnement/marchands-de-sable-les-autres-pilleurs-d-ocean-542170

https://fr.sott.net/article/20862-L-Extraction-de-sable-Un-enjeu-environnemental-et-economique-majeur

Il existe donc bien des marchands de sable, peut-être même veulent-ils nous endormir pour qu’ils puissent faire leur business tranquillement, mais nous apprenons par toutes ces informations que ces marchands de sable ne sont pas de gentils bisounours.

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Jeudi 23 Juin 2016

Jeudi 23 Juin 2016
« L’idée européenne n’est pas un sentiment premier […] mais elle naît de la réflexion,  elle n’est pas le produit d’une passion spontanée, mais le fruit lentement muri d’une pensée élevée. »
Stefan Zweig
Ce 23 juin les britanniques vont voter : être ou ne pas être dans l’Union européenne.
A priori, tous les experts sont d’accord : économiquement la Grande Bretagne n’a pas intérêt à un Brexit.
Alors si Napoléon qui aurait dit « Les anglais, c’est un peuple de boutiquiers » a raison, les britanniques vont vouloir rester dans l’Union.
Mais s’il y a tant d’incertitudes c’est que probablement l’économie n’est finalement pas tout, même pas pour les britanniques.
Ce journal étonnant qui s’appelle « Le Un » qui a été fondé par Eric Fottorino et qui chaque semaine ne traite qu’un seul sujet sur une seule feuille pliée 3 fois.
Le dernier numéro du 15 juin a pour sujet le Brexit.
Et c’est ce journal qui a publié ce texte de Stefan Zweig, cet immense écrivain viennois qui a vécu dans une période terrible de l’Europe et qui s’est suicidé en 1942 dans une Europe en ruine.
Voici ce texte :  
« L’idée européenne n’est pas un sentiment premier, comme le sentiment patriotique, comme celui de l’appartenance à un peuple, elle n’est pas originelle et instinctive, mais elle naît de la réflexion, elle n’est pas le produit d’une passion spontanée, mais le fruit lentement mûri d’une pensée élevée.
Il lui manque d’abord entièrement l’instinct enthousiaste qui anime le sentiment patriotique. 
L’égoïsme sacré du nationalisme restera toujours plus accessible à la moyenne des individus que l’altruisme sacré du sentiment européen, parce qu’il est toujours plus aisé de reconnaître ce qui vous appartient que de comprendre votre voisin avec respect et désintérêt.
A cela s’ajoute le fait que le sentiment national est organisé depuis des siècles et bénéficie du soutien des plus puissants auxiliaires. Le nationalisme peut compter sur l’enseignement, l’armée, l’uniforme, les journaux, les hymnes et les insignes. »
L’Angleterre et la France ont dominé le monde, l’Allemagne était aussi une puissance mondiale. Dans le monde d’aujourd’hui et plus encore de demain ils ne peuvent être que des nains. Ce monde qui est là sera dominé par les Etats continents.
Si nous voulons jouer un rôle demain, il nous faut créer une Union européenne politique. Ce sera une Union de la raison. Cette Union ne se fera pas si la France pense que l’Union sera une France augmentée, il faudra faire de grandes concessions pour que nos partenaires puissent accepter de faire cette union avec nous.

Mercredi 22 Juin 2016

Mercredi 22 Juin 2016
« La différence entre la Politique qui est le concept et l’Administration qui est le moyen. »
Edgar Pisani
Edgard Pisani vient de mourir. Nous l’avons appris hier, mais il est décédé le 20 juin 2016.
Il était né le 9 octobre 1918 et il est donc mort à 97 ans.
Il fut Ministre sous De Gaulle et sous Mitterrand.
Sous Mitterrand, il joua un rôle de premier plan pour trouver une solution au problème de la Nouvelle Calédonie et permettre à cette île de sortir du cycle de la violence.
Mais c’est surtout sous De Gaulle qu’il joua un rôle essentiel puisqu’il fût nommé, Ministre de l’Agriculture 4 semaines avant le début de la négociation de la Politique Agricole Commune dans laquelle il porta la voix de la France.
Il fut le grand ministre de l’agriculture de cette époque, d’abord  dans les cabinets Michel Debré en 1961 et 1962, puis de Georges Pompidou de 1962 à 1966.
J’étais évidemment beaucoup trop jeune à l’époque pour me souvenir de cette période.
Mais, sa mort me fait penser à une émission que j’avais écouté et que j’ai bien sûr conservé sur un de mes supports de sauvegarde : La fabrique de l’histoire de France Culture du 04/05/2009.
Il existe toujours trace sur le Web de cette émission mais plus le son.
En 2009, il avait donc 90 ans, une voix chaude et grave.
Dans cette émission, il a récusé le fait d’avoir été un homme politique en se qualifiant de commis de l’Etat qui a fait de la politique.
Écouter cet homme m’a profondément marqué en raison de son intelligence, son sens de l’Etat et sa réflexion.
Je vous livre un petit extrait de cet entretien :
«[Je venais d’être nommé Ministre de l’agriculture] Le directeur général du Génie Rural, Charles David un grand bonhomme, me conduisait du Ministère de l’agriculture jusqu’à Matignon où Michel Debré m’attendait.
Devant Matignon, il m’a mis la main sur mon avant-bras et m’a dit :
« Ayez une vision, communiquez nous là, acceptez que nous en discutions, prenez une décision et nous l’exécuterons sans frémir.
Mettre le pied dans la porte pour empêcher qu’elle se ferme, c’est notre métier, nous n’allons jamais au-delà. »
J’ai appris là, la différence entre la Politique qui est le concept et l’Administration qui est le moyen.
Hélas je constate aujourd’hui qu’on ne fait plus avec autant de clarté cette distinction pourtant essentielle. ».
Evidemment le monde a beaucoup changé. L’Etat ne peut plus jouer le même rôle.
Mais nous n’avons plus ce type d’homme capable d’une vision, d’un projet.
Tout devient gestion, administration des choses et des hommes.
La politique s’arrête à la capacité de gagner des élections, mais après on ne sait plus quoi faire.
Quand on écoute un homme comme Edgar Pisani et qu’on le compare avec des ministres de 2009 ou de 2016 (ce ne sont pas les mêmes) on est frappé de la différence de ce que j’appellerais, la dimension humaine et la capacité de porter le poids de l’Histoire.
Voilà les pensées qui me sont venues et que j’ai voulu partager avec vous quand j’ai lu sur mon téléphone, hier, Edgar Pisani est mort

Mardi 21 Juin 2016

Mardi 21 Juin 2016
« Ce qui compte, ce n’est pas que le mec soit dingue,
mais qu’il mette sa folie au service d’une idéologie… »
Raphael Glucksmann
Raphael Glucksmann est le fils d’André Glucksmann qui a quitté le monde des vivants 3 jours avant les attentats du 13 novembre 2015.
Il est possible de lire des choses intelligentes sur Twitter. En effet, l’exergue du mot du jour vient de twitter, car je suis un « abonné twitter » de Raphael Glucksmann.
Et ce tweet renvoie vers un message (on dit un « statut ») publié sur Facebook, car on peut aussi trouver des messages intelligents sur facebook :
Tous les salafistes ne sont pas des terroristes !
Mais l’idéologie salafiste qui classe les humains et les actes des humains entre « purs » et « impurs » donne à ces déséquilibrés violents les outils de justification pour passer à l’acte et même pour en être fiers.
Céline Pina est une socialiste, ancienne élue régionale qui explique à la fois le danger devant cette idéologie radicale qui remet en cause nos fondamentaux de démocratie​, de liberté, d’égalité et du vivre ensemble et la réaction souvent molle voire la non réaction des responsables du PS. ​Vous pouvez lire cet article où elle intervient sur le site de Marianne : « L’islamisme, ce n’est pas une invasion de barbus, c’est beaucoup plus insidieux ».
Elle n’est pas la seule à défendre cette position : Gilles Kepel dénonce aussi une « rupture salafiste de fond »  qui est en arrière-plan des actes de terrorisme.
Il y a aussi, l’écrivain algérien qui a vu l’islamisme peu à peu s’imposer dans son pays : Boualem Sansal : «L’ordre islamique tente progressivement de s’installer en France»
Le second parlant de l’islamisation de la radicalité et rejetant l’idée que l’islamisation salafiste soit un danger. Grosso modo il défend cette idée que certains jeunes sont radicaux et cherchent une cause pour laquelle ils peuvent trouver une raison pour tuer et se faire tuer et qu’aujourd’hui il n’y a que l’islamisme qui se trouve sur le marché…
Les tenants de la thèse d’Olivier Roy sont très nombreux dans la Gauche bien-pensante au pouvoir et universitaire comme l’a prouvé cette polémique qui a atteint cet homme remarquable qu’est Kamel Daoud.
D’habitude, je reste prudent dans mes analyses et j’essaie de rester à distance de points de vue opposés  qui expriment un autre regard sur une même réalité. Car c’est de la richesse des regards différenciés qu’on peut le mieux approcher la compréhension de la complexité des choses.
Mais ici je ne le serais pas car je penche nettement du côté de Kepel, Céline Pina et Raphael Glucksmann, tant je pense avoir compris combien est dangereuse toute religion mise entre de mauvaises mains.
Dans mon analyse le nazisme et le communisme étaient aussi des religions, des religions sans Dieu, mais des religions car ils défendaient un dogme, une pensée qui n’acceptaient pas la contradiction et la mesure scientifique.
C’est cela même la maladie des religions qui n’acceptent pas l’altérité, pour qui celui qui n’est pas d’accord n’exprime pas une autre opinion mais se trouve dans l’erreur, dans l’impureté pour les salafistes.
Car il faut pour que ces « criminels » puissent aller au bout  de leur délire de destruction qu’ils puissent s’appuyer sur une idéologie qui distingue « les vrais croyants » des « autres ».
<A partir du moment que l’autre est un Kouffar> ​ou un apostat, tout devient possible.
Il faut d’abord l’idéologie, comme celle des nazis qui distinguaient les aryens des sous hommes, pour que le reste devienne possible, les assassinats de masse, les camps et ces massacres d’aujourd’hui comme celui d’Orlando.
La première bataille est celle des idées et le refus des accommodements déraisonnables, pour reprendre ce concept cher à nos amis québécois !
Et si ce concept d’accommodements raisonnables vous interpelle voici plusieurs liens qui parlent de ce sujet :

Lundi 20 Juin 2016

« invisibilisation »
Substantif pour exprimer le fait de rendre invisible une réalité

Voici un mot au destin singulier. Il y a d’abord un mot de la langue française « visible » dont la racine vient du latin « visibilis » qui signifie la même chose.

Quand on y ajoute le préfixe «in», en latin comme en français cela signifie « ce qu’on ne peut pas voir. »

La langue anglaise, comme très souvent, a emprunté ce mot à la langue française pour le même usage. Mais c’est la langue anglaise qui a ensuite inventé le mot « invisibilisation » que la langue française vient de récupérer.

Pourquoi ce mot du jour ?

A cause de la tuerie d’Orlando, où un criminel se réclamant de DAESH a massacré des homosexuels !

Or beaucoup d’élus comme les journalistes ont dans un premier temps, le temps où on révèle son inconscient et ses vraies valeurs et avant que n’apparaissent les éléments de langage, ignoré ce fait.

Florian Bardou, journaliste à Slate écrit ainsi : «Chers élus, la tuerie d’Orlando n’a pas frappé une boîte, mais une boîte gay »

C’est la revue de Presse du 13/06/2016 de Nicolas Martin sur France Culture qui a attiré mon attention sur ce sujet :

« Pas un seul gros titre de la presse du jour ne mentionne que le club visé par le tueur d’Orlando était un club homosexuel.

Il est assez surprenant quand on regarde le panorama des Unes de la presse française ce matin de constater à quel point il y a un grand absent… un mot, une expression qui ne figure dans aucun des grands titres… on va faire le test tous ensemble si vous le voulez bien… « Attentat islamiste à Orlando, la terreur et la haine » dans le Figaro… « Tuerie de masse dans une boite de nuit en Floride » dans l’Humanité. « Les Etats-Unis frappés par la pire tuerie de leur histoire » dans les Echos. « Nuit d’horreur en Floride » dans Le Parisien. « Orlando, nouvelle plaie béante » dans Libération.

Voilà… il ne manque pas quelque chose ?

Eh oui… pas un grand titre qui inclut cette information, qui n’est pourtant pas accessoire… cette discothèque, ce club… c’est un club gay. Une information qui ne figure même pas dans les sous-titres du Parisien, ou de l’Huma. Le fait que ce soit la communauté homosexuelle qui ait été visée par cet attentat est donc a priori, une information accessoire, pas essentielle, pas de celle que l’on met dans les gros titres. Et on pourrait presque sourire, si ce drame n’était pas si tragique, au fait que le Figaro a choisi pour sa photo d’illustration une femme qui pleure dans les bras d’un homme.

Cette pratique a un nom, elle est souvent d’ailleurs assez inconsciente… ça s’appelle l’invisibilisation… un peu comme si au lendemain des attaques de Charlie Hebdo, la presse avait évoqué des attentats contre des bureaux… ou après l’Hyper Casher, contre un supermarché. Sans préciser la nature de la cible de l’attaque terroriste…

Parce que, s’il reste à déterminer les motivations exactes du terroriste… il n’y a pas de doute sur la nature de l’endroit qui était visé. Sur la cible de l’attaque. Et le problème avec l’invisibilisation, c’est qu’elle permet de faire « comme si », de minimiser en quelque sorte la portée du geste… C’est ce qui permet, par exemple, à des personnes qui ont pris des positions notoirement hostiles aux personnes homosexuelles, de faire « comme si » et de se fendre de messages de compassion et d’oublier comme par magie la nature de la cible visée… La Manif pour Tous par exemple s’est fendu d’un petit tweet hier, signifiant « sa peine immense pour les victimes et leurs familles »… alors même que son porte-parole, en septembre dernier, parlait dans la presse du « lobby gay » comme du « Daech de la pensée unique ». On mesure aujourd’hui encore plus amèrement la profondeur de cette réflexion… Ou Christine Boutin, récemment condamnée pour avoir parlé de l’homosexualité comme une abomination, d’envoyer sans sourciller « sa compassion pour les victimes »… ces abominables victimes, donc.

C’est encore cette invisibilisation qui préside lorsque, dans les messages de soutien de plusieurs personnalités politiques – de François Hollande à Nicolas Sarkozy, de Bruno Le Maire à Marine Le Pen, de Jean-François Copé à Alain Juppé, ne figure pas une seule mention du fait que c’est bel et bien la communauté homosexuelle qui paye aujourd’hui le tribut de la barbarie terroriste. Et que, quelles que soient les conclusions de l’enquête, il est incontestable que les terroristes cherchent à atteindre des cibles précises, pour leur importance symbolique : la communauté juive, un journal satirique, la jeunesse multiculturelle d’un quartier parisien ou aujourd’hui, la communauté homosexuelle américaine, autant de symboles que leur idéologie meurtrière vomit et qui payent une fois de plus le prix du sang.

Et pour conclure sur cette notion d’invisibilisation… le Pulse, cette discothèque gay et lesbienne d’Orlando, n’est pas qu’une discothèque gay et lesbienne. C’est une discothèque fréquentée majoritairement par des noirs et des latinos. Et ça, pour le coup, tout le monde semble s’en moquer éperdument.

Le motif homophobe semble pourtant se dessiner dans le parcours du tueur […] »

Et je reviens sur l’article de Slate évoqué qui explique :

« La timidité des réactions pour qualifier le massacre homophobe du Pulse, en France comme aux Etats-Unis, démontre que les politiques et certains journalistes sous-estiment plus ou moins inconsciemment la violence structurelle envers la communauté LGBT.

Comment encore en douter?

Au lendemain de l’attentat revendiqué par Daech dans un bar LGBT d’Orlando, en Floride, qui a fait au moins 50 victimes et 53 blessés, le caractère homophobe d’un tel massacre est incontestable. Il est incontestable car viser un espace communautaire et revendiqué comme tel, qui plus est en plein mois des marches des fiertés à travers le monde, ne peut traduire qu’une volonté délibérée de s’en prendre ouvertement à la communauté LGBT pour ce qu’elle est –communauté par ailleurs habituée à être la cible de la violence gayphobe, lesbophobe, biphobe et transphobe dans ses propres espaces de refuge.

Pourtant, depuis dimanche, en France comme aux Etats-Unis, de nombreuses réactions occultent la dimension haineuse et LGBTphobe, de l’attentat comme si l’identité du lieu et des victimes n’était qu’une donnée secondaire… Dans les heures qui ont suivi l’attaque du Pulse, «qui n’est pas n’importe quel club gay» d’Orlando, rappelait par exemple USA Today, le New York Times a, dans un premier temps, omis d’évoquer la nature du club avant de progressivement modifier ses titres. Mais le quotidien américain ne souligne pas franchement le caractère homophobe de la tuerie.

En France, même topo. Sud-Ouest est l’un des rares journaux, très rares journaux à mentionner dans son titre la cible visée et la nature de la haine: un massacre homophobe liée à Daech.»

Il existe cependant des hommes politiques qui ont su dire les choses :

« Compassion et solidarité avec le peuple américain. En frappant la communauté gay, l’attaque effroyable d’Orlando nous atteint tous ».-
Manuel Valls (@manuelvalls) 12 juin 2016

«Toutes mes pensées vont vers #Orlando atteinte par l’abjecte et lâche violence homophobe. Unis contre la terreur et la haine.» –
Najat Belkacem (@najatvb) 12 juin 2016

« Soutien à tous les gays lesbiennes, bi et trans meurtris par une attaque qui vise à remettre en cause leur droit de vivre en paix » #
Lovewins – Anne Hidalgo (@Anne_Hidalgo) 13 juin 2016

Mediapart a également publié un article sur le même sujet : « En France, l’homophobie est soigneusement dissimulée. »

Cette « invisibilisation » révèle deux tabous :

  • Le premier est la violence qui continue à s’exercer sur les homosexuels de manière atroce dans de nombreux pays du monde et de manière plus insidieuse dans notre beau pays.
  • Le second est l’ « homophobie » constante et destructrice de l’Islam et des autres religions monothéistes. Il y a bien cette parole de sagesse récente du pape François : « Qui suis-je pour juger ? » mais elle est bien isolée dans un univers de condamnation et d’intolérance, tant il est vrai que les religions établies, paralysées dans leurs dogmes et leurs normes rejettent violemment tout ce qui est à l’extérieur.

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Vendredi 17 Juin 2016

«Les tisserands : réparer ensemble le tissu déchiré du monde»
Abdennour Bidar

Abdennour Bidar avait été évoqué lors du mot du jour du 14 octobre 2014 : «Une religion tyrannique, dogmatique, littéraliste, formaliste, machiste, conservatrice, régressive – est trop souvent l’islam ordinaire», c’était ce qu’il écrivait dans sa <Lettre ouverte au monde musulman>

C’est dans l’émission AGORA que j’ai entendu Abdennour Bidar parler de son nouveau livre «Les tisserands : réparer ensemble le tissu déchiré du monde»

Et puis il y a cet entretien dans LIBE : <abdennour-bidar-J’en ai marre de parler du voile>

Avec son dernier livre, «les Tisserands», le philosophe Abdennour Bidar met en lumière ceux qui, partout en France, travaillent à la recomposition des liens d’une société atomisée. […].

Depuis qu’il a écrit sa Lettre ouverte au monde musulman, en octobre 2014, Bidar est devenu le philosophe d’une société qui se déchire autour de questions sociétales ou religieuses, ethniques ou philosophiques et qui parfois se concentre caricaturalement sur un mot, un objet agité périodiquement : le voile. Il voudrait ne plus entendre parler de ce morceau de tissu, et tente de passer à autre chose : les Tisserands. Titre de son dernier ouvrage qui paraît, logiquement, aux éditions Les liens qui libèrent. «Tisserand», le terme désigne ces citoyens qui agissent un peu partout en France pour reconstruire des relations dans une société abîmée par une crise qui n’en finit pas. A l’expression de «Cultural Creatives» (1), groupe social inventé par le sociologue américain Paul Ray et la psychologue Sherry Anderson, Abdennour Bidar préfère l’image de ces artisans qui représenteraient en France 17 % de la population.

«Qu’est-ce qui peut relier sans aliéner ? C’est précisément la vie reliée qui passe parce que j’appelle le «Triple Lien» : à soi, aux autres et à la nature. Le lien à l’autre peut se cultiver dans la totalité de nos engagements sociaux, que ce soit au sein d’associations comme Primavera que je vais voir à Uzès, que ce soit à l’école comme professeur, parents d’élève, ou élève, que ce soit au travail ou dans l’espace culturel. J’ai voulu mettre l’accent sur ceux qui retricotent ce lien social et culturel à des toutes petites échelles, avec des buts très modestes. Faire que la communauté turque ou maghrébine discute à nouveau avec les bourgeois du centre-ville. Ces gens existent partout en France : vous en tant que journalistes, le commerçant, le professeur. Tous ces gens qui s’engagent socialement à partir d’une certaine éthique du partage.»

Vous critiquez la société individualiste et pointez un «super égoïsme» ambiant. Est-ce vraiment le problème quand on constate que les sociétés arabo-musulmanes souffrent justement du peu de place accordée à la liberté individuelle ?

«C’est juste. D’un côté, il y a l’individualisme de nos sociétés et de l’autre, l’enfermement dans une idéologie religieuse. Il reste à faire le trajet vers l’émancipation de l’individu et l’affirmation de la liberté de conscience qui a comme traduction politique la démocratie ou le règne d’un pluralisme politique. Cela dit, j’ai l’impression de me retrouver entre deux extrêmes avec d’un côté des individus hyperatomisés qui doivent réinventer ce que l’on appelle du vivre ensemble, et de l’autre côté, quelque chose de commun très fort, mais qui a pour prix l’aliénation des individus. Yadh Ben Achour (2) parle de «l’orthodoxie de masse». La grande équation contemporaine est : «Comment être libre ensemble». Les liens que nous tissons entre nous doivent précisément alimenter notre liberté. C’est l’obstacle devant lequel nous sommes.»[…]

Vous êtes très sévère envers les politiques. Tous les politiques ont-ils failli ?

«Je cherche un projet de société qui porte les aspirations des peuples et je n’en vois pas. Regardez Nuit debout, il y a de l’envie et aucune proposition politique capable de représenter un horizon d’espérance, de donner un sens à la vie collective, qui exalte l’individu. Cet échec n’est pas dû à la médiocrité des hommes ou des femmes politiques, il est lié à une époque qui se trouve au bout de son histoire. On a besoin de se réalimenter.»

C’est ce que proposent les tisserands. Une vie moins atomisée, une société qui prenne conscience de l’importance des interactions et qui retrouve du sens à partir de la reconstruction des liens. Une société plus équitable, plus solidaire. Il y a dans Nuit debout cette chaleur humaine. Cela a peut-être un côté «primitif», mais c’est le signe d’une énorme frustration, de la recherche d’espace de discussion qui n’existe pas. La langue des tisserands que j’appelle du «Triple Lien» peut parler à tout le monde, tout en laissant chacun libre de la parler comme il l’entend.»

Peut-on tisser des liens avec tout le monde ?

«Je passe mon temps à batailler avec l’islam fondamentaliste. Je ne vais pas tisser des liens avec cet islam-là. Mais il faut par ailleurs tisser assez de liens qui nous mettent à l’abri de cette gangrène. Nous devons construire une nouvelle culture de la restauration face à la déchirure du monde qui se manifeste par des fractures sociales ou des guerres culturelles.»

Que pensez-vous des propos de Michel Onfray sur l’inexistence d’un Spinoza musulman ?

«Cela veut dire qu’il ne lit pas, c’est dommage. Onfray devrait arrêter de croire qu’il peut avoir un magistère intellectuel sur tout et n’importe quoi. Je veux bien qu’il soit la grande conscience de notre temps mais le chapeau est peut-être un peu large.

Je peux lui dresser une liste de penseurs musulmans, il pourrait les lire, il serait dès lors un peu mieux informé sur cette question. Nous, les penseurs musulmans libres, nous sommes ostracisés de tous côtés. Ce qui me donne la force de continuer, c’est que je vois beaucoup de musulmanes et de musulmans me dire : «Vous dites tout haut ce que nous pensons tout bas. Continuez.»

(1) Les Créatifs culturels en France, éditions Yves Michel, 2006. Ce livre reprend une étude analysant cette famille socioculturelle.

(2) Juriste tunisien, opposant à Ben Ali, il a présidé la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, mise en place après la «révolution du jasmin».

Il y a aussi cet article des Inrocks : <Abdennour Bidar : « Les propositions politiques et religieuses demandent à être complètement réinventées »>

Dans votre livre, vous écrivez que les « traditions religieuses (sont) de moins en moins adaptées au temps présent ». Pourquoi ?

«Abdennour Bidar – Qui dit religion dit système de croyances, c’est-à-dire quelque chose qui a historiquement imposé aux individus un ensemble de dogmes, de rites et une morale. C’est la première caractéristique pérenne et universelle des religions. La seconde est le caractère souvent clos de ces systèmes. Les religions ont une très forte puissance d’inclusion entre les membres de la communauté et une puissance d’exclusion des autres.

Ce sont ces deux aspects qui me semblent aujourd’hui absolument incompatibles avec les conditions de nos sociétés, de nos cultures et de nos mentalités. La civilisation contemporaine est fondée sur un très fort principe de liberté individuelle. Ainsi, l’individu est très réticent vis-à-vis de tout ce qu’il perçoit comme une vexation de sa liberté. Et ça ne s’applique pas seulement au domaine religieux. Dans nos sociétés, il y a une réelle crise de l’autorité. On a de plus en plus de mal à obéir à quelque chose d’imposé.

Ce qui se cherche aujourd’hui c’est la possibilité d’être libre ensemble. On ne prononce pas la fin du religieux mais on se demande si ça va suffire pour faire société, civilisation et sens ensemble. Car avant, chaque civilisation avait son périmètre et son espace vital. Aujourd’hui, c’est différent. Le monde est complètement connecté. On vit au quotidien avec des gens qui n’ont ni la même origine, ni la même religion, ni la même identité, ou les mêmes convictions que nous. Les frontières que trace la religion posent de plus en plus de difficultés par rapport à ces projets de vivre ensemble.

Si une personne assouvit son besoin de sens par une religion qui lui fait considérer que son système de croyance est meilleur que celui de l’autre, cela va imposer un plafond de verre à sa relation avec autrui. On se retrouve du coup cantonné à échanger de façon superficielle et extérieure.»

Mais est-ce que le collectif ne se construit pas par définition en réaction à quelque chose ? Toute mobilisation, même celle des « tisserands », n’est-elle pas condamnée à exclure ?

«La vertu de la proposition tisserande est de donner une définition très large à la notion de lien. Le problème c’est que nous sommes les fils des modernes, les fils de sociétés qui nous ont atomisés, individualisés et écartés les uns des autres. On a donc une très forte aspiration à la liberté. De plus, on a tellement vu et subi de mésaventures de  »l’être ensemble » qu’on est devenu incrédule face à la réussite d’un collectif qui ne nous fait pas entrer dans un système d’endoctrinement. En réalité, il y a une multitude de façons d’être  »tisserand ».

Pour créer un lien, il faut être deux. Si j’ai affaire à quelqu’un dont la croyance religieuse m’exclut et me dévalorise, évidemment ça ne va pas. Le lien entre nous sera alors abstrait puisqu’il n’est pas possible de s’entendre avec une personne qui ne vous reconnaît pas un droit égal à développer votre propre vision du monde. Mais si je rencontre une personne croyante mais non prosélyte, alors le partage devient possible.

La vie  »tisserande » repose sur de bonnes volontés et la tolérance. Les tisserands sont des gens qui se disent :  »Tu nourris ta vie comme tu l’entends, moi également, mais on se retrouve dans cette conviction qu’il faut développer un lien de qualité avec autrui ». Les tisserands renoncent au préjugé selon lequel on détient la vérité. C’est une sorte d’humanisme.» […]

Vous affirmez dans les Tisserands’ votre refus de la figure du maître et du directeur de conscience. Mais comment la jeunesse peut se former si elle n’est pas guidée ?

«L’école. Elle a été inventée paradoxalement à la place des maîtres. Son rôle est de mettre l’individu en situation d’être libre et autonome. L’école doit apprendre à l’individu à cultiver le lien à soi, ce que fait la philosophie par exemple, et à se questionner. Elle doit aussi lui apprendre à cultiver le lien à l’autre. En faisant ça, elle propose une pédagogie de la liberté. Grâce à cet apprentissage, on accède au fameux  »libre-ensemble » dans des espaces sociaux dans lesquels on peut discuter de questionnements existentiels et fondamentaux. C’est exactement ce que fait Nuit debout. Les assemblées comme Nuit debout sont le remède pour s’extirper de l’alternative fermée :  »soit j’ai des maitres soit je me retrouve seul ».

Il faut promouvoir et encourager tous les nouveaux espaces où l’on va se rasseoir pour discuter ensemble sur la meilleure façon de redonner du sens à nos vies. Les maîtres sont inutiles car on est dans un siècle d’irrémédiable égalité. Du moins je l’espère. On se dirige vers des sociétés où il y aura de moins en moins de relations hiérarchiques entre les hommes.»

Créer des liens à soi, aux autres et à la nature pour réparer ensemble le tissu déchiré du monde, quelle belle image !

Ce livre qui a pour ambition de relier les relieurs, me semble poursuivre un objectif nécessaire à notre temps.

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