Jeudi 30 avril 2020

« Je pense qu’il faut qu’on ait des masques dans l’espace public. »
Gérard Collomb

Ce matin Gérald m’a envoyé une information, publiée sur Lyon-Mag :

La maire en sursis de Lyon (*) Gérard Collomb veut imposer le port obligatoire du masque dans la ville qu’il dirige encore :

« C’est une mesure forte annoncée ce jeudi matin par Gérard Collomb.

Sur France Info, le maire de Lyon a expliqué qu’à partir du 11 mai, le port du masque devrait être obligatoire dans les rues de la capitale des Gaules.

« Je pense qu’il faut, si on veut éviter d’avoir un rebond sur l’épidémie à la fin du mois de mai, qu’on ait des masques dans l’espace public », a précisé Gérard Collomb, souhaitant s’inspirer des pays asiatiques et nordiques. »

Mais Gérald a immédiatement ajouté :

« De toute façon, impossible à appliquer car la loi interdit de se cacher le visage. Il me semble bien que la loi est supérieure à une décision municipale. Il va donc falloir changer la loi. »

J’ai alors répondu :

« Non je crois que la loi permet de déroger à la règle générale pour des raisons sanitaires. Je vais voir ça, cela occupera ma matinée »

Gérald n’était pas convaincu que cette quête soit utile :

« Je pense que tu as d’autres possibilités d’occupation.

Préparer le prochain mot du jour par exemple. »

Alors pour réaliser ce que je souhaitais faire et écouter son conseil, j’en fais un mot du jour.

Il faut donc en revenir à la source et grâce à Légifrance, c’est un jeu d’enfant

« LOI n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public »

Cette Loi dans son article premier édite l’interdiction :

« Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. »

Voilà une règle simple et sans ambigüité.

Mais nous sommes en France, pays des droits de l’homme, de la nuance et … des exceptions.

Et il suffit d’aller à l’article 2 IIème paragraphe pour constater que l’exception a bien été prévue :

II. ― L’interdiction prévue à l’article 1er ne s’applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s’inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles.

Il y a donc bien eu, dans un bureau obscur du ministre de la justice et qui s’appelait alors ministre de la justice et des libertés et qui était dirigé par Michèle Alliot Marie, un fonctionnaire vigilant qui a imaginé qu’il pourrait exister quelque chose qui ressemble au COVID-19 et a donc soulevé cette petite exception :

« L’interdiction prévue à l’article 1er ne s’applique pas si la tenue est […] justifiée par des raisons de santé. »

Et ainsi grâce à la prévoyance de ce fonctionnaire, bureaucrate disent les ennemis de l’État, il est possible à la fois de respecter la Loi et de porter un masque pour protéger les autres du coronavirus SARS-CoV-2.

Car au-delà de toute polémique, il faut rappeler que le port du masque commun que l’on porte dans la rue n’a pas pour fonction de protéger celui qui le porte, mais de protéger les autres d’une éventuelle contamination que pourrait communiquer le porteur du masque.

(*) Gérard Collomb ne serait plus maire de Lyon sans COVID-19 parce qu’il y aurait une nouvelle équipe municipale au pouvoir. Or, Gérard Collomb ne s’étant pas présenté aux élections municipales mais à la métropole, ne pourrait plus être maire de Lyon.

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Mercredi 29 avril 2020

«Je ne reprocherai jamais à un joueur de respecter l’éthique du jeu.»
Robert Herbin après la défaite de Saint Etienne à Liverpool en 1977

Dans ma famille, la grande passion était la musique qui était devenu le métier de mon père et qui a toujours été le métier de mon frère ainé Gérard.

Mais nous nourrissions tous une passion, disons secondaire, pour le football. Mon frère Roger a d’ailleurs abandonné le piano pour se consacrer davantage au football qu’il a pratiqué fort longtemps dans des clubs amateurs de très bon niveau. Mon père et moi avons ainsi visité de très nombreux stades de football de l’Est de la France pour le suivre.

Et Parallèlement nous avons suivi l’épopée des verts de l’AS Saint-Etienne sous la direction de Robert Herbin.

Depuis je me suis éloigné du football, j’ai expliqué ce malaise lors de plusieurs mots du jour consacrés au football et notamment la série réalisée avant la coupe du monde de 2018 en Russie et que j’avais mis sous la philosophie de cette phrase de Camus : «Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois »
Il est vrai que depuis cette époque la financiarisation du monde s’est aussi abattue sur le monde du football, dans lequel le fric peut tout, envahit tout, salit tout.
Déjà à la fin de l’épopée des verts, Robert Herbin fut aussi touché par le scandale de la caisse noire mise en place par le président du club Roger Rocher noyé dans ses rêves de grandeur et de besoin d’argent pour faire face au début de l’inflation sur le marché du football.

C’était le début de la fin pour mon grand intérêt pour le football.

Mais avant, il y eut les 3 magnifiques épopées des verts en coupe d’Europe des champions.

Bien sûr, tout le monde parle des poteaux carrés du stade des Glasgow Rangers qui selon la légende avait empêché Saint Etienne de marquer un but à Sepp Maier, le mythique gardien du Bayern Munich.

Robert Herbin affirme ne jamais avoir revu ce match. Mais un autre joueur l’avait revu. Je ne me souviens plus du nom de ce joueur mais je me souviens de son analyse :

« Je croyais qu’on avait dominé le Bayern Munich, mais après avoir revu, le match j’ai compris que c’était eux qui le maîtrisait.»

Quelquefois les premières impressions sont trompeuses. Mais c’est avec cette légende et ces premières impressions d’une équipe de Saint Etienne quasi vainqueur qu’il avait été décidé de faire défiler l’équipe sur les Champs Elysées comme après chaque victoire sur les allemands …

Lors de la première épopée lors de la saison 1974-1975, Saint Etienne avait été stoppée en demi-finale déjà par le Bayern de Munich. Mais avant cela en Huitième de finale, Saint Etienne avait fait vibrer toute la France. Après un médiocre match aller en Yougoslavie perdu 4-1, Saint Etienne a réalisé un exploit au retour en battant Hajduk Split par 5-1. Cette remontée est restée dans ma mémoire, comme un moment d’émotion. Je pense que je ne suis pas le seul.

Puis la saison suivante, l’année de la finale, il y eut un autre retournement en quart de finale contre le Dynamo Kiev. Après un 2-0 à l’aller, Saint Etienne a vaincu le club du ballon d’or, Oleg Blokhine, 3-0.

Et puis vint la demi-finale avec une défense héroïque au PSV Eindhoven 0-0 après une victoire sur le plus petit score à l’aller à Geoffroy Guichard.

Mais c’est sur un autre match que je voudrai revenir, c’était la saison suivante, en quart de finale contre Liverpool.

Saint Etienne avait gagné le match aller 1-0 et le retour avait lieu dans le stade de l’Anfield Road dans lequel les supporters de Liverpool chante des hymnes qui subjuguent les adversaires de leur club et notamment le fameux « You’ll never walk alone ».
Ce fut un match magnifique. Saint Etienne était qualifié jusqu’à 6 minutes de la fin du match.

<Les cahiers du football> racontent alors ce qui s’est passé :

« La fatigue se fait sentir de part et d’autres et les entraîneurs commencent à procéder à quelques remplacements. Alain Merchadier a le visage en sang et se fait remplacer par un attaquant, Hervé Révelli. Robert Herbin est convaincu que le meilleur moyen de défendre face aux Reds est de les prendre à la gorge. De son coté, Bob Paisley remplace John Toshack par un jeune rouquin, quasiment inconnu chez nous, David Fairclough.

Le gamin de vingt ans est bien en jambes. À Liverpool, on le surnomme déjà Super-Sub pour avoir en quelques occasions inscrit un but important peu après son entrée en jeu. Lorsqu’il est lancé par Ray Kennedy, à la 84e minute de ce quart de finale contre Saint-Étienne, il se montre plus rapide que Christian Lopez. Il entre dans la surface de réparation, contrôle et frappe du pied droit. Le ballon passe sous Ivan Curkovic et va mourir au fond des filets.

« Supersub strikes again !« , s’égosille le commentateur de la BBC. Les images sont gravées dans l’inconscient collectif: Fairclough court ses longs bras levés devant le Kop qui, comme embrasé, est devenu entièrement rouge. 3-1, les Verts ne s’en relèveront plus. Certains esprits reprocheront à Christian Lopez de ne pas avoir su stopper la course du rouquin, de ne pas avoir commis la faute qui aurait empêché le but »

Lopez n’a pas fait le croc en jambe avant la surface de réparation qui aurait annihilé la course de l’anglais contre un coup franc beaucoup moins dangereux.

Après le match, on a demandé à Robert Herbin s’il ne regrettait pas que Lopez n’ait pas taclé Fairclough. et par un acte d’anti-jeu permis à Saint-Etienne de se qualifier. La réponse de Herbin fut la suivante :

« Je ne reprocherai jamais à un joueur de respecter l’éthique du jeu »

Je n’ai pas retrouvé cette phrase sur internet, je la cite de mémoire et je suis certain de l’esprit de la réponse sans être sur des mots.

Cette saison-là Liverpool allait gagner sa première ligue des champions avant beaucoup d’autres et mettre fin au règne du Bayern de Munich vainqueur des trois dernières éditions.

Saint-Etienne si elle s’était qualifiée aurait peut être gagné la coupe, le Bayern était éliminé. Robert Herbin ne gagna jamais cette compétition.

On apprend beaucoup par le football, aussi qu’on peut mettre les valeurs et l’éthique avant la victoire. Tel était Robert Herbin.

On trouve sur le site de l’AS Saint-Etienne, le récit suivant :

« La suite est connue avec ce maudit 3e but de la part de Fairclough, à 6 minutes de la fin du match, remplaçant de luxe qui a l’habitude d’être décisif à chaque fois qu’il rentre. Christian Lopez a essayé de l’arrêter mais il n’a pas commis l’irréparable pour l’empêcher d’aller au bout de son action qui s’est terminé par un tir à ras de terre imparable. Il aurait pu pourtant et aujourd’hui, un défenseur ne se serait même pas posé la question mais à pas à l’époque. Il est trop tard pour revenir et Saint-Etienne est éliminée alors que tous les observateurs sont unanimes une fois de plus pour souligner que les Français ont réalisé certainement leur meilleur match européen. Cela n’a pas suffi et bien peu peuvent s’imaginer en fait qu’ils ont assisté à Anfield Road à la fin d’une épopée.

Obsédé par cette coupe dEurope, Roger Rocher va alors abandonner la politique de formation qui avait fait la force de l’ASSE pour recruter des stars avec le résultat que l’on connaît.

Pour sa part, Liverpool va continuer sa route qui le mènera jusqu’à la victoire finale. Quand on sait que les Anglais ont affronté le FC Zurich en demi-finale qu’ils ont surclassés ainsi que les Allemands du Borussia Moenchengladbach qu’ils ont facilement battu en finale (3-1), les regrets peuvent être éternels pour la troupe de Robert Herbin. »

Il y a une autre raison qui me plait chez Robert Herbin qui a quitté ce monde le 27 avril 2020, c’était un mélomane averti. Il rejoint ainsi ma première passion

Claude Askolovitch rapporte dans sa revue de presse de ce mardi:

« On parle d’une symphonie…Qui porte le beau nom de « Résurrection » et qu’un père musicien fit découvrir à son fils footballeur et blessé, c’était en 1966: Robert Herbin pendant la Coupe du monde était passé à la moulinette d’un anglais destructeur, Nobby Stiles, on ne savait pas s’il marcherait à nouveau, mais le papa de Robert jouait du trombone à l’opéra de Nice et savait ce qui guérit, la deuxième symphonie de Gustav Mahler, Résurrection. Robert qui marcha et joua à nouveau et puis fut entraineur et pendant le football et après le football continua à chérir Mahler et ce matin l’on me parle de Gustav Mahler dans l’Equipe, sur le site France Info dans le Parisien dans le Progrès où je vois des photos en noir et blanc d’un enfant footballeur puis d’un homme au même regard habité… C’est au Progrès qu’Herbin avait raconté en 2009 la naissance de sa passion musicale….

On me parle de Gustav Mahler parce que vous le savez Robert Herbin est mort et l’on égrène alors ce qui compta dans une vie qui changea la nôtre… »

Donc la symphonie N° 2 « Résurrection » de Mahler dont j’avais fait l’objet du mot du jour du <Dimanche 5 avril 2020>.

Claude Askolovitch qui nous donne aussi l’explication pourquoi on appelait Robert Herbin, le sphinx. Ce nom lui avait été donné par le journaliste Jaques Vendroux

«  Vendroux, il le raconte à l’Equipe, était supporter et ami de Herbin, dont il avait trouvé le surnom qui fait la Une de l’Equipe ce matin, « la légende d’un sphinx », un jour où il s’était mis en colère contre Robert qui répondait par des oui monosyllabiques à ses question s: « T’es un sphinx, tu ne réagis pas, tu ne dis rien! » »

Robert Herbin vivait comme un ermite près de Saint Etienne. Il avait sombré dans l’addiction à l’alcool.

Pourquoi cette solitude, ce retrait ?

Jean-François Larios, ancien joueur de Saint Etienne alors que Robert Herbin était l’entraîneur donne son explication de ce retrait :

« Parce qu’à un moment donné, parler aux cons, ça les enrichit. Et il n’en avait plus envie. Il a préféré terminer ses jours dans son monde, entouré de ses chiens et bercé par sa musique. Sans déranger personne. »

Cette solitude au temps du confinement a conduit à une finitude triste :

« Éloigné volontairement de ses anciens coéquipiers et amis, il n’avait pour seule compagnie son chien. Il bénéficiait de l’aide d’une femme de ménage et d’un proche qui faisait ses courses, mais avec le confinement, il s’est retrouvé démuni. C’est sa sœur, inquiète de ne pas avoir de nouvelles depuis plusieurs jours, qui a lancé l’alerte. La gendarmerie a alors découvert Robert Herbin incapable du moindre mouvement, désorienté et en déshydratation. Le CHU de Saint-Etienne, malgré la crise du coronavirus, a pu lui trouver un lit. »

Sic transit gloria mundi
« Ainsi passe la gloire du monde ».

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Mardi 28 avril 2020

«Si on est conscient que la paresse est aussi la condition à un certain renouvellement des idées, nécessaire à la productivité qu’on recherche, on peut avancer dans le bon sens.»
Gwenaëlle Hamelin

La paresse n’a pas bonne presse.

Elle fait partie de l’ensemble des 7 péchés capitaux que la religion catholique et Thomas d’Aquin ont répertorié comme les « vices » qui entrainent tous les autres.

A l’école non plus la paresse n’est pas appréciée. « Paresseux » constitue souvent une critique très lourde à porter. « Dispose de potentialités, mais…la paresse l’emporte » et voilà un élève stigmatisé…

Dans la société comme dans le monde de l’emploi la réputation de paresse est quasi unanimement considérée comme un défaut. Et même un défaut impardonnable, parce que non excusable, dû uniquement à un manque de volonté.

Par rapport aux hikikomori décrits hier, plus que la réclusion chez leurs parents, ce qui est considéré comme le plus honteux est certainement le fait qu’ils se complaisent dans l’oisiveté et qu’ils sont donc paresseux.

Le confinement actuel, pour certains et pour certains seulement, peut conduire à une douce indolence, une paresse coupable voire des rêves fous d’un autre monde.

Le Centre patronal suisse s’en inquiète et veut lutter avec fermeté contre les effets nocifs du confinement :

« Il faut éviter que certaines personnes soient tentées de s’habituer à la situation actuelle, voire de se laisser séduire par ses apparences insidieuses: beaucoup moins de circulation sur les routes, un ciel déserté par le trafic aérien, moins de bruit et d’agitation, le retour à une vie simple et à un commerce local, la fin de la société de consommation… Cette perception romantique est trompeuse, car le ralentissement de la vie sociale et économique est en réalité très pénible pour d’innombrables habitants qui n’ont aucune envie de subir plus La mise à l’arrêt de nombreuses activités économiques, mais aussi sociales et politiques, a permis de limiter l’épidémie de coronavirus, mais elle a aussi un énorme coût financier et humain. Il faut maintenant – et le Conseil fédéral en est conscient – planifier un retour progressif à la normale »

Bernard Pivot, du haut de sa sagesse que lui donne son grand âge ne partage pas cette crainte : < Le confinement dans la paresse > et citent de nombreux auteurs qui en font l’éloge : Kundera, Baudelaire, Perec, Sagan, Kessel…

Il commence ainsi son article :

« Le plus célèbre des confinés de tous les temps, Robinson Crusoé, n’est pas tombé dans l’oisiveté. Pour survivre, il a été dans l’obligation de faire travailler son imagination et ses bras. Il n’en est pas de même pour les deux milliards de personnes tenues de rester chez elles pour lutter contre la propagation du coronavirus. Hormis celles et ceux qui ont la possibilité de recourir au télétravail et les mères et pères de famille nombreuse, les autres sont plus ou moins confinés dans l’inaction. Cela est insupportable pour certains. D’autres, au contraire, s’en accommodent, découvrant les plaisirs du temps à meubler, du temps à laisser filer, du temps à perdre. Ils pénètrent dans le monde enchanté, jusqu’alors inaccessible pour eux, de la paresse. »

J’avais déjà consacré un mot du jour à la paresse. C’était pour évoquer le livre du gendre de Karl Marx, Paul Lafargue, « Le droit à la paresse ». Livre qu’il avait écrit alors qu’il était incarcéré à la prison Sainte-Pélagie pour propagande révolutionnaire.

Un jour lors d’une des formations que j’ai suivie au cours de ma carrière, il m’avait été demandé de trouver un point de vue à défendre pour approfondir la capacité d’argumentation. J’avais alors défendu l’ide que c’était les paresseux qui avait fait avancer le monde.

J’avais à peu près tenu ce langage.

La société humaine est constamment écartelée par l’action de deux types de personnes : les paresseux et les besogneux.

Les besogneux travaillent, travaillent beaucoup sans se poser de questions. Ils font ce qu’il y a faire et veulent toujours faire plus.

Le paresseux voit faire les besogneux et il sent que la pression sociale l’oblige à réaliser à peu près le même boulot.

Alors le paresseux réfléchit et trouve la solution pour faire le même boulot que le besogneux mais en se fatigant moins.

C’est ainsi que c’est un paresseux qui a inventé la roue, parce qu’il ne supportait plus de porter de lourdes charges comme le besogneux.

C’est ce qu’on appelle le progrès.

Seulement, le besogneux est tapi dans l’ombre et c’est un copieur. Il s’est alors emparé de l’idée du paresseux pour porter des charges de plus en plus lourdes jusqu’à ce qu’un paresseux trouve l’idée du moteur etc.

J’avais tenu dix minutes à multiplier les exemples qui montrent ce balancement entre le progrès et le « toujours plus » dont nous souffrons aujourd’hui.

Alors j’ai été ravi d’apprendre que Bill Gates, le fondateur de Microsoft, disait :

« Je choisis une personne paresseuse pour un travail difficile, car une personne paresseuse va trouver un moyen facile de le faire ».

C’est ce que j’ai appris en écoutant l’émission de France Culture que j’ai évoqué hier et qui fait partie de la même série que « les hikikomori ».

Car en réalité je n’ai découvert les hikikomori que dans un second temps, j’ai été attiré par l’émission qui avait pour titre : < Cherchons F/H paresseux pour un poste de directeur>

Nous sommes donc dans le monde de l’entreprise.

L’invitée était la psychologue du travail Gwenaëlle Hamelin, spécialiste du stress au travail et du burn out.

Le site de France Culture a mis sur la page de cette émission une photo de cette psychologue avec une peluche représentant un paresseux.

Je vous invite à écouter cette émission. J’en tire quelques extraits :

Elle insiste d’abord sur ce qui permet de déployer sa force de travail :

« L’énergie cela ne se décrète pas. L’énergie cela se puise dans le désir, dans l’envie. Et ça ce sont des valeurs qui ne s’apprennent pas, qui ne se décident pas, qui s’écoutent et c’est pour cela qu’il faut une certaine paresse et c’est cela que j’essaie de vivre au quotidien, qui me guide, qui me donne de l’énergie et que j’essaie d’essaimer quand j’interviens en entreprise ou quand je fais mes conférences. »

Alors évidemment dans l’entreprise ce n’est pas facile de dire qu’on a besoin de paresser un peu. C’est plutôt le contraire qui se passe et la psychologue pointe que souvent le salarié est complice de trop de travail.

« Aujourd’hui personne n’assume de dire qu’il accepte de se reposer, qu’il accepte de dire non. Même si on n’est pas surmené, souvent on véhicule l’image de quelqu’un qui l’est parce que c’est mieux pour sa carrière. C’est toujours bon de dire qu’on a travaillé tard, qu’on a travaillé le week end. Il y a une sorte de paradoxe à savoir si le travailler trop est subi ou choisi. Et même dans le burn out, il y a cette dualité : en effet il y avait un environnement qui poussait à travailler toujours plus et qui vous a fait exploser en vol. Et en même temps, on trouve en soi, un certain plaisir pour accepter ce challenge. »

Les personnes moins concentrées et moins productives seront plus à même d’observer et de repérer les signes. Adopter une certaine forme de paresse c’est diminuer son exposition au stress et au risque de burn-out.

« Aujourd’hui, on parle beaucoup de burn-out et on a oublié que cela existait déjà et qu’on appelait cela le surmenage. Il y a une différence, aujourd’hui on en parle et on comprend que c’est un phénomène menaçant, contre lequel il faut lutter et avoir des politiques de prévention. Alors qu’avant quand on parlait de surmenage c’était l’apanage du faible. Dans les offres d’emplois on pouvait même lire que dans les qualités recherchées il fallait une résistance importante au stress. Aujourd’hui personne ne s’autoriserait à marquer dans une offre d’emploi qu’il faudrait de la résistance au stress. Parce que cela véhiculerait une image de l’entreprise qui ferait partir les meilleurs candidats. […] Il y a donc une évolution des mentalités »

Toutefois Gwenaëlle Hamelin pense qu’il reste beaucoup à faire.

« Il y a une prise de conscience qui est en train de se dessiner. Les gens veulent du bien être avant toute chose. Et le bien-être, c’est s’autoriser une certaine paresse. Si on est conscient que cette paresse est aussi la condition à un certain renouvellement des idées, nécessaire à la productivité qu’on recherche, on peut avancer dans le bon sens. »

A ce stade l’émission renvoie vers une étude menée, en 2016, au Japon par le professeur Hasegawa . Il a fait une étude sur les parallèles entre des colonies de fourmis et les entreprises. Il a constaté que de 20% à 30% des fourmis ne font rien qui rentre dans la catégorie travail. Elles sont toutefois précieuses car elle dispose d’une réserve de force et prendront le relais de manière plus productive que les travailleuses en cas d’urgence.

Et c’est ainsi qu’on peut comprendre que les éléments considérés comme paresseux sont les seuls à être réactifs aux situations d’urgence. Les paresseux savent considérer et jouer habilement avec le temps, pour pouvoir être plus efficaces ensuite. Ils savent prioriser. En période de crise, ils ne se perdent pas dans les détails et se concentrent sur ce qui compte vraiment.

En outre le temps de paresse est aussi un temps de créativité.

Quand un salarie est toujours en activité, engluer à faire ce qu’il sait faire le plus vite possible sans s’arrêter, il ne reste aucun temps pour réfléchir, pour être créatif. Certes par entrainement, il est possible de faire de plus en plus vite ce que l’on sait faire. Mais on ne sort pas de là, on fait toujours la même chose, et ce n’est pas ainsi qu’on progresse et qu’on fait progresser l’entreprise.

Et la psychologue de rappeler le fameux « euréka » qu’Archimède a lancé en ayant compris la mécanique des fluides. Cette découverte scientifique majeure, il l’a découverte en paressant calmement dans son bain.

Bon je vous laisse écouter cette émission de moins d’une demi-heure : < Cherchons F/H paresseux pour un poste de directeur>

Il ne s’agit pas de ne rien faire, mais de se laisser du temps de réflexion, de paresse pour laisser murir sa créativité.

Comme le faisait si souvent l’inoubliable Gaston Lagaffe, créé en 1957 par André Franquin.


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Lundi 27 avril 2020

«Les Hikikomori»
Phénomène japonais qui a tendance à s’étendre

France Culture a consacré deux émissions à la paresse. Grâce à la première j’ai appris l’existence des hikikomori : « Les Hikikomori, se retirer pour ne rien faire »

C’est un phénomène qui serait apparu au début des années 1990 au Japon et qui tendrait à s’étendre aux États-Unis et à l’Europe.

Les hikikomori décident soudain de se couper du monde pour une durée indéterminée, et de se murer dans leur chambre, avec l’objectif de suivre le modèle d’une vie idéale, passée à ne rien faire : aucune ambition, aucune préoccupation vis-à-vis de l’avenir, un désintérêt total pour le monde réel.

Selon cette émission le phénomène toucherait aujourd’hui, au Japon, près d’un adolescent sur cent.

L’origine du terme « hikikomori » (hiki vient de hiku (reculer), komori dérive de komoru qui signifie « entrer à l’intérieur ») traduit un repli sur soi.

Dans une société japonaise dans laquelle la réputation sociale et le culte de la performance sont très valorisées, ce phénomène met en présence un enfant qui entend se retirer de la pression sociale et des parents paralysés par la honte d’avoir à leur domicile un enfant qui n’assume pas son rôle social. C’est pourquoi souvent les parents cachent la réalité.

Si j’ai bien compris dans le lieu de résidence les interactions sociales entre les parents et l’enfant sont également très réduites.

Le jeune homme, car il s’agit essentiellement d’un phénomène masculin, reste reclus dans sa chambre et souvent s’enferme.

Mais depuis quelques années cette pathologie est reconnue au Japon, des médecins et psychologues analysent ces cas et tentent d’aider les jeunes reclus à sortir de leur condition.

Pour qu’on parle d’hikikomori il faut que la réclusion dure plusieurs mois. Selon ce que j’ai compris, on fixe la limite inférieure à 6 mois, mais la réclusion peut durer plusieurs années.

Une fois qu’on connait le mot hikikomori, on constate qu’il existe beaucoup d’articles et d’émissions qui ont été consacrés à ce phénomène.

Il y a aussi un livre : « HIkikomori, ces adolescents en retrait » chez Armand Colin.

C’est un ouvrage collectif dans lequel sociologues, anthropologues, psychiatres, psychologues et psychanalystes essayent de décrire, comprendre et prendre en charge ce phénomène qui émerge dans nos sociétés.

En 2015, un film « De l’autre côté de la porte » de Laurence Thrush a également été consacré à ce phénomène.

En 2018, une autre émission de France Culture : < Les hikikomoris ou le retrait du monde > expliquait :

« En 2016, c’était près de 600 000 personnes qui avaient fait le choix de renoncer au monde. Un chiffre qui pourrait rapidement atteindre le million, tant le phénomène prend de l’ampleur ces dernières années.

L’AFP a ainsi rencontré un de ces « retirants » -selon les termes de la sociologue Maïa Fansten, spécialiste du sujet en France- un certain M. Ikeida, nom d’emprunt donné au journaliste, âgé de 55 ans et qui vit reclus dans sa chambre depuis près de trente ans.

Et c’est surtout une grande souffrance qui transparaît de cet entretien. Une souffrance et une décision de rejeter les impératifs de conformité auxquels l’astreignent la société, son entourage, sa famille. Il explique ainsi la pression et les brimades de sa mère pour qu’il réussisse à l’école.

Il raconte aussi son parcours sans faute, des bancs de l’une des meilleures universités de Tokyo, aux offres d’emploi qu’il reçoit de la part de grandes entreprises prestigieuses. Il parle enfin du déclic, de sa terreur de passer une vie en costume, à exercer un métier dénué de sens, dans un système compétitif qu’il abhorre.

Au-delà de cette expérience personnelle, nombreux sont les témoignages de « retirants » qui expliquent leur choix comme un réflexe de défense, une réaction de survie face à l’intense pression du système scolaire et du marché du travail japonais.

Certains parlent ainsi d’une volonté de faire cesser le temps. De créer un abri, un repli face aux vicissitudes du monde. Une pause avant l’entrée définitive dans la vie adulte. C’est l’aboutissement paradoxal d’une société qui, en multipliant les injonctions à la vitesse, à la croissance et au progrès, finit par reléguer certains de ses membres dans un état de paralysie sociale et de retranchement hors du temps.

Cette faille creusée comme une grotte primaire, cette rupture temporaire pour se panser dans un monde mauvais, pourraient avoir quelque chose de poétique, si elles ne traduisaient pas dans le même temps, une profonde souffrance humaine, un sentiment d’inadéquation avec la société dans laquelle ils ont été projetés.

Une situation encore aggravée par les mutations de la famille japonaise. C’est en tout cas ce qu’explique le neuropsychiatre Takahiro Kato pour qui on est passé de la famille traditionnelle, qui comptait beaucoup d’enfants et de générations réunies sous le même toit, à une cellule familiale réduite : père, mère et enfant, réduisant d’autant les mécanismes de solidarité familiale.

Ainsi de nombreux hikikomoris résident chez leurs parents, faute de moyens financiers, mais aussi comme une manière de se construire un cocon, protecteur et familier, dans un espace connu. Mais cela n’améliore pas nécessairement la situation. Comme l’explique Rika Ueda, qui travaille pour une association de parents, « les familles éprouvent une grande honte. Elles préfèrent cacher leur situation et à leur tour s’enferment ».

Un isolement facilité selon les spécialistes par les nouvelles technologies. Ces dispositifs permettent de s’enfuir, de s’évader virtuellement, grâce à internet et aux jeux vidéos. Ces appareils permettent de maintenir des liens, aussi ténus soient-ils, par le biais de relations numériques. Une sorte d’évasion vers un monde alternatif, fait de sociabilités sans paroles, de présences sans rencontre. »

Un article plus ancien de la revue « Cerveau & Psycho » : <Hikikomori : ces jeunes enfermés chez eux> essaye d’analyser plus en profondeur le phénomène :

Il donne d’abord un exemple d’un jeune japonais de 23 ans, Tatsuya, qui vit enfermé chez soi :

«  Il n’est quasiment pas sorti de sa chambre depuis trois ans. Fils unique, il habite un deux-pièces qu’occupent ses parents dans la banlieue de Tokyo. Il passe sa journée à dormir. Il mange les repas préparés par sa mère qui les dépose sur le pas de la porte de sa chambre, toujours fermée. Il se réveille le soir pour passer la nuit à surfer sur Internet, à chatter sur des forums de discussion, lire des mangas et jouer à des jeux vidéo. Il refuse de s’inscrire dans une école de réinsertion professionnelle ou de chercher du travail, et même de partir en vacances. L’an dernier, ses parents se sont décidés à l’emmener consulter dans plusieurs hôpitaux de la région qui, tour à tour, ont évoqué une dépression ou une schizophrénie latente. La scolarité de Tatsuya à l’école élémentaire s’est déroulée normalement, mais il a commencé à manquer l’école quand il est entré au collège. Se mêlant peu à ses camarades, il se plaint d’être moqué et même humilié. Malgré ces brimades, ses résultats scolaires sont bons et il poursuit une formation universitaire d’ingénieur. Il y a trois ans, il a subitement tout arrêté et, depuis, vit cloîtré à domicile.

Tatsuya souffre d’hikikomori, c’est-à-dire en français de « retrait social ». […] Selon les critères diagnostiques réactualisés en 2010 par le ministère de la Santé japonais, le hikikomori est un phénomène qui se manifeste par un retrait des activités sociales et le fait de rester à la maison quasiment toute la journée durant plus de six mois. Il n’y a pas de limite d’âge inférieure. Bien que le hikikomori soit défini comme un état non psychotique, excluant donc la schizophrénie, les autorités sanitaires admettent qu’il est probable que certains cas correspondent en fait à des patients souffrant de schizophrénie, mais dont le diagnostic de psychose n’a pas encore été posé.

Qu’est-ce que le hikikomori ? En réalité, la situation peut se présenter sous plusieurs formes. S’il arrive que l’adolescent ou le jeune adulte puisse rester totalement reclus pendant des mois, voire des années, il peut aussi accepter de sortir, le temps de faire des courses dans le quartier, même s’il replonge dans son isolement en se barricadant dans sa chambre de retour dans l’appartement familial. Il peut aussi lui arriver de sortir la nuit ou au petit matin, lorsqu’il est le moins susceptible de rencontrer des gens, en particulier des camarades ou des voisins. Dans de rares cas, le sujet hikikomori dissimule son état en quittant son domicile chaque matin pour se promener ou prendre le train comme s’il se rendait à l’école, à l’université ou à son travail. »

La relation de cet état avec une addiction au numérique n’est pas avéré. Il semblerait plutôt que c’est la situation de réclusion qui entraîne une consommation du Web, pour occuper le temps :

« Dans 20 pour cent des cas, la pathologie commence entre 10 et 14 ans et, dans plus d’un tiers des cas, elle débute vers la fin de l’adolescence, entre 15 et 19 ans. Les premiers signes d’absentéisme scolaire ou d’isolement peuvent apparaître dès 12 à 14 ans. En 2003, on a constaté que certains élèves refusant d’aller à l’école devenaient par la suite des hikikomori. […]

Loin des idées reçues et des stéréotypes qui voudraient que cyberdépendance et hikikomori soient associés, il apparaît que si les reclus, au Japon comme en France, passent souvent beaucoup de temps sur le Web, ils ne témoignent pas d’une « addiction à Internet ». Selon Nicolas Tajan, doctorant en psychologie à l’Université Paris-Descartes et chercheur à l’Université de Kyoto, surfer sur Internet n’est qu’une de leurs activités dans la mesure où ils regardent aussi la télévision passivement pendant des heures, lisent ou écoutent de la musique. Certains ne se connectent d’ailleurs pas à Internet. Toutefois, note N. Tajan qui étudie depuis deux ans le hikikomori dans l’Archipel, une dépendance semble de plus en plus fréquente chez les hikikomori japonais, une tendance également observée en France. Surtout, il semble que l’apparition d’une utilisation intensive d’Internet soit plus le résultat de la claustration à domicile qu’une cause du retrait social. En fait, selon le psychiatre Takahiro Kato, de l’Université de Kyushu, Internet et les jeux vidéo contribuent à réduire le besoin de communication en tête-à-tête avec ses semblables et créent un sentiment de satisfaction sans qu’il soit nécessaire de passer par des échanges directs.

Internet et les jeux vidéo facilitent donc la vie du hikikomori, plutôt qu’ils n’en sont la cause. Dans de très rares cas, observés tant au Japon qu’en France, le hikikomori met à profit cette très longue période d’enfermement à domicile pour se former sur Internet et acquérir de façon autodidacte un nouveau savoir, parfois encyclopédique, sur un sujet technique ou artistique. »

Cet article souligne le lien de cette pathologie avec la culture japonaise :

« Plusieurs particularités socioculturelles et anthropologiques de la société nipponne pourraient intervenir dans « l’épidémie » d’hikikomori. Selon T. Kato, un facteur clé associé à ce phénomène tiendrait au concept d’Amae, défini par le fait de chercher à être gâté et choyé par son entourage. Cela peut parfois inciter le jeune à se comporter de façon égoïste vis-à-vis de ses parents avec le sentiment qu’ils lui pardonneront son comportement. Il existe dans la culture japonaise une tolérance, voire une complaisance, de l’entourage vis-à-vis du hikikomori, d’autant que les jeunes Japonais (comme en Corée du Sud ou à Taïwan) ont tendance à dépendre, plus encore qu’en Occident, de leurs parents sur le plan financier.

Par ailleurs, le Japon se trouve être une « société de la honte ». Le concept de Haji imprègne profondément la société : honte d’avoir échoué, de déshonorer son nom, de ne pas avoir tenu ses engagements, de mettre les autres dans l’embarras. De fait, les parents éprouvent une grande honte d’avoir un enfant hikikomori et tardent à consulter un médecin. Par ailleurs, fait remarquer Maki Umeda, chercheur en santé publique au Département de santé mentale de l’Université de Tokyo, certains parents préfèrent encore que leur enfant soit un hikikomori plutôt que d’apprendre qu’il souffre d’une maladie psychiatrique ou d’un trouble du développement, ce qui entraînerait une forte stigmatisation. […]

À tout cela s’ajoutent les brimades (Ijime) que subissent certains élèves à l’école (harcèlement, intimidation, persécution). Enfin, serait également en cause l’intense pression du système scolaire. Les lycées et les universités sont très hiérarchisés, en fonction de la difficulté du concours d’entrée obligatoire, ce qui susciterait chez une fraction des jeunes une peur de l’échec conduisant au retrait social définitif. »

Mais ce phénomène n’est pas que japonais.

Ainsi « le Monde » avait publié un article <Des cas d' »hikikomori » en France> et plus récemment, en février 2019, « L’Express » s’interrogeait : <Reclus et sans projet: qui sont les Hikikomori français ?>

Le phénomène est désormais mondial : <Hikikomoris : du Japon aux Etats-Unis, vers une jeunesse évaporée>

Un article de janvier 2020 de « Sciences et Avenir » évoque des études qui élargissent le phénomène hikikomori à d’autres populations que les jeunes hommes :

« Mais, selon des experts japonais et américains de l’équipe de l’Oregon Health and Science University (Portland, Oregon, États-Unis), ce phénomène qui a désormais dépassé les frontières de l’archipel, serait plus répandu qu’on ne le pense et mérite de fait une définition plus claire, dans le but d’un meilleur repérage et d’une prise en charge adaptée.

Dans une publication récente dans la revue World psychiatry, ces scientifiques pointent un persistant manque de connaissance de ce tableau clinique par les psychiatres et souhaitent donc sensibiliser leurs pairs à sa détection, comme le précise l’auteur principal, le Dr Alan Teo. Ils estiment en effet que les adolescents et les jeunes adultes ne sont pas les seuls concernés et que le syndrome peut aussi démarrer bien après l’âge de 30 ans et concerner des personnes âgées ou aussi des femmes au foyer. »

J’ai trouvé un site français entièrement consacré à l’accompagnement des familles qui sont dans la situation d’héberger un hikikomori : <https://hikikomori.blog/>

Je finirai par ce conseil donné dans l’article de la revue « Cerveau & Psycho »

« Pour la psychiatre, le message essentiel à faire passer lors des visites à domicile auprès de ces jeunes qui vivent cette tragique situation d’enfermement est qu’« ils font toujours partie du monde des humains ». »

<1407>

Dimanche 26 avril 2020

«Anywhere out of the world
N’importe où hors du monde»
Charles Baudelaire – Petits Poèmes en prose (Le Spleen de Paris)

Mot de jour spécial pendant la période de confinement suite à la pandémie du COVID-19

Après mon bac en 1976, je me suis perdu pendant 3 ans en classe de mathématiques supérieures et spéciales au Lycée Kléber de Strasbourg.

Je m’y suis perdu, parce que dans ces études on apprend très peu de choses utiles. L’étudiant est gavé, comme une oie, pour pouvoir ensuite participer avec cette connaissance largement inutile, à une compétition, sorte de «questions pour un champion». Compétition dans laquelle on choisit celles et ceux qui ont su garder dans leur mémoire les tonnes d’informations ingurgitées et disposent de la capacité de les régurgiter le plus rapidement.

Je n’étais pas dans mon élément, dans ce monde de la compétition extrême. L’échec fut au bout de l’expérience.

J’ai quand même acquis de la connaissance dans cette expérience mais qui touche davantage l’humanité que la technique.

Et puis, il y avait les deux ouvrages littéraires que l’on étudiait chaque année.

J’avais déjà parlé de cette période 1976-1979, lors du mot du jour du <Mercredi 17 mai 2017> dans lequel j’évoquais le premier ouvrage qui m’avait marqué : « Les Pensées de Pascal ».

Mais nous avions aussi étudié un livre étonnant, profond et disruptif, si on reprend un mot à la mode : « Petits poèmes en prose » de Baudelaire.

Baudelaire était un génie, un génie proche de la folie.

Le portrait de Carjat est étonnant quand on se plonge dans le regard de Baudelaire tel que le peintre l’a restitué.

Baudelaire a été candidat à l’Académie française. Sa demande a été refusée. Sainte-Beuve qui était critique littéraire, avait évoqué lors de cet épisode, La folie Baudelaire !, :

« En somme, M. Baudelaire a trouvé moyen de se bâtir, à l’extrémité d’une langue de terre réputée inhabitable et par-delà les confins du romantisme connu, un kiosque bizarre, fort orné, fort tourmenté, mais coquet et mystérieux, où on lit de l’Edgar Poe, où l’on récite des sonnets exquis, où l’on s’enivre avec le haschisch pour en raisonner après, où l’on prend de l’opium et mille drogues abominables dans des tasses d’une porcelaine achevée. Ce singulier kiosque, fait en marqueterie, d’une originalité concertée et composite, qui, depuis quelques temps, attire les regards à la pointe du Kamtchatka romantique, j’appelle cela la folie Baudelaire. L’auteur est content d’avoir fait quelque chose d’impossible, là où on ne croyait pas que personne pût aller. »

En 2011 Roberto Calasso est revenu sur ce jugement pour évoquer le monde de Baudelaire : « Calasso : la folie Baudelaire »

Dans cet enfermement, Baudelaire avait toujours le désir de s’échapper.

Dans notre période de confinement, il me semble pertinent d’en appeler à lui, lui qui savait si bien écrire sur le voyage et sur l’évasion.

Poème Anywhere out of the world N’importe où hors du monde

Cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de changer de lit. Celui-ci voudrait souffrir en face du poêle, et celui-là croit qu’il guérirait à côté de la fenêtre.

Il me semble que je serais toujours bien là où je ne suis pas, et cette question de déménagement en est une que je discute sans cesse avec mon âme.

Dis-moi, mon âme, pauvre âme refroidie, que penserais-tu d’habiter Lisbonne ? Il doit y faire chaud, et tu t’y ragaillardirais comme un lézard. Cette ville est au bord de l’eau ; on dit qu’elle est bâtie en marbre, et que le peuple y a une telle haine du végétal, qu’il arrache tous les arbres. Voilà un paysage selon ton goût ; un paysage fait avec la lumière et le minéral, et le liquide pour les réfléchir !

Mon âme ne répond pas.

Puisque tu aimes tant le repos, avec le spectacle du mouvement, veux-tu venir habiter la Hollande, cette terre béatifiante ? Peut-être te divertiras-tu dans cette contrée dont tu as souvent admiré l’image dans les musées. Que penserais-tu de Rotterdam, toi qui aimes les forêts de mâts, et les navires amarrés au pied des maisons ?

Mon âme reste muette.

Batavia te sourirait peut-être davantage ? Nous y trouverions d’ailleurs l’esprit de l’Europe marié à la beauté tropicale.

Pas un mot. – Mon âme serait-elle morte ?

En es-tu donc venue à ce point d’engourdissement que tu ne te plaises que dans ton mal ? S’il en est ainsi, fuyons vers les pays qui sont les analogies de la Mort. – Je tiens notre affaire, pauvre âme ! Nous ferons nos malles pour Tornéo. Allons plus loin encore, à l’extrême bout de la Baltique ; encore plus loin de la vie, si c’est possible ; installons-nous au pôle. Là le soleil ne frise qu’obliquement la terre, et les lentes alternatives de la lumière et de la nuit suppriment la variété et augmentent la monotonie, cette moitié du néant. Là, nous pourrons prendre de longs bains de ténèbres, cependant que, pour nous divertir, les aurores boréales nous enverront de temps en temps leurs gerbes roses, comme des reflets d’un feu d’artifice de l’Enfer !

Enfin, mon âme fait explosion, et sagement elle me crie : N’importe où ! n’importe où ! pourvu que ce soit hors de ce monde !

Baudelaire – Petits Poèmes en prose (Le Spleen de Paris) XLVIII

A ce poème noir, répond l’Invitation au voyage des Fleurs du mal

L’Invitation au Voyage

Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l’âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
– Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Baudelaire, Les Fleurs du mal (1857)

Henri Duparc a mis merveilleusement en musique ce poème. Voici une interprétation de <L’invitation au voyage par Barbara Hendricks>. L’orchestre est celui de l’Opéra de Lyon dirigé par John Eliot Gardiner.

Dans les poèmes en prose, il existe un autre poème appelé « L’invitation au voyage »

L’Invitation au Voyage

Il est un pays superbe, un pays de Cocagne, dit-on, que je rêve de visiter avec une vieille amie. Pays singulier, noyé dans les brumes de notre Nord, et qu’on pourrait appeler l’Orient de l’Occident, la Chine de l’Europe, tant la chaude et capricieuse fantaisie s’y est donné carrière, tant elle l’a patiemment et opiniâtrement illustré de ses savantes et délicates végétations.

Un vrai pays de Cocagne, où tout est beau, riche, tranquille, honnête ; où le luxe a plaisir à se mirer dans l’ordre ; où la vie est grasse et douce à respirer ; d’où le désordre, la turbulence et l’imprévu sont exclus ; où le bonheur est marié au silence ; où la cuisine elle-même est poétique, grasse et excitante à la fois ; où tout vous ressemble, mon cher ange.

Tu connais cette maladie fiévreuse qui s’empare de nous dans les froides misères, cette nostalgie du pays qu’on ignore, cette angoisse de la curiosité ? Il est une contrée qui te ressemble, où tout est beau, riche, tranquille et honnête, où la fantaisie a bâti et décoré une Chine occidentale, où la vie est douce à respirer, où le bonheur est marié au silence. C’est là qu’il faut aller vivre, c’est là qu’il faut aller mourir !

Oui, c’est là qu’il faut aller respirer, rêver et allonger les heures par l’infini des sensations. Un musicien a écrit l’Invitation à la valse ; quel est celui qui composera l’Invitation au voyage, qu’on puisse offrir à la femme aimée, à la sœur d’élection ?

Oui, c’est dans cette atmosphère qu’il ferait bon vivre, — là-bas, où les heures plus lentes contiennent plus de pensées, où les horloges sonnent le bonheur avec une plus profonde et plus significative solennité.

Sur des panneaux luisants, ou sur des cuirs dorés et d’une richesse sombre, vivent discrètement des peintures béates, calmes et profondes, comme les âmes des artistes qui les créèrent. Les soleils couchants, qui colorent si richement la salle à manger ou le salon, sont tamisés par de belles étoffes ou par ces hautes fenêtres ouvragées que le plomb divise en nombreux compartiments. Les meubles sont vastes, curieux, bizarres, armés de serrures et de secrets comme des âmes raffinées. Les miroirs, les métaux, les étoffes, l’orfévrerie et la faïence y jouent pour les yeux une symphonie muette et mystérieuse ; et de toutes choses, de tous les coins, des fissures des tiroirs et des plis des étoffes s’échappe un parfum singulier, un revenez-y de Sumatra, qui est comme l’âme de l’appartement.

Un vrai pays de Cocagne, te dis-je, où tout est riche, propre et luisant, comme une belle conscience, comme une magnifique batterie de cuisine, comme une splendide orfévrerie, comme une bijouterie bariolée ! Les trésors du monde y affluent, comme dans la maison d’un homme laborieux et qui a bien mérité du monde entier. Pays singulier, supérieur aux autres, comme l’Art l’est à la Nature, où celle-ci est réformée par le rêve, où elle est corrigée, embellie, refondue.

Qu’ils cherchent, qu’ils cherchent encore, qu’ils reculent sans cesse les limites de leur bonheur, ces alchimistes de l’horticulture ! Qu’ils proposent des prix de soixante et de cent mille florins pour qui résoudra leurs ambitieux problèmes ! Moi, j’ai trouvé ma tulipe noire et mon dahlia bleu !

Fleur incomparable, tulipe retrouvée, allégorique dahlia, c’est là, n’est-ce pas, dans ce beau pays si calme et si rêveur, qu’il faudrait aller vivre et fleurir ? Ne serais-tu pas encadrée dans ton analogie, et ne pourrais-tu pas te mirer, pour parler comme les mystiques, dans ta propre correspondance ?

Des rêves ! toujours des rêves ! et plus l’âme est ambitieuse et délicate, plus les rêves l’éloignent du possible. Chaque homme porte en lui sa dose d’opium naturel, incessamment sécrétée et renouvelée, et, de la naissance à la mort, combien comptons-nous d’heures remplies par la jouissance positive, par l’action réussie et décidée ? Vivrons-nous jamais, passerons-nous jamais dans ce tableau qu’a peint mon esprit, ce tableau qui te ressemble ?

Ces trésors, ces meubles, ce luxe, cet ordre, ces parfums, ces fleurs miraculeuses, c’est toi. C’est encore toi, ces grands fleuves et ces canaux tranquilles. Ces énormes navires qu’ils charrient, tout chargés de richesses, et d’où montent les chants monotones de la manœuvre, ce sont mes pensées qui dorment ou qui roulent sur ton sein. Tu les conduis doucement vers la mer qui est l’Infini, tout en réfléchissant les profondeurs du ciel dans la limpidité de ta belle âme ; — et quand, fatigués par la houle et gorgés des produits de l’Orient, ils rentrent au port natal, ce sont encore mes pensées enrichies qui reviennent de l’infini vers toi.

Baudelaire – Petits Poèmes en prose (Le Spleen de Paris) XVIII

<1406>

Samedi 25 avril 2020

«Fantaisie D. 940 pour piano à quatre mains.»
Franz Schubert

Mot de jour spécial pendant la période de confinement suite à la pandémie du COVID-19

Pendant cette période de confinement, j’écris aussi des mots du jour le week-end.

Ces mots sont souvent tournés vers la musique ou d’autres arts.

Et je m’aperçois que j’ai écrit 1404 mots et je n’en ai consacré aucun à Franz Schubert.

Il est vain d’essayer de classer les compositeurs, mais Schubert a toujours occupé une place particulière dans mon cœur.

C’est un amour de jeunesse et qui continue. C’est mon père qui m’a appris à le connaître et à révéler l’immensité de son génie.

Il faut songer que Schubert est mort à 31 ans le 19 novembre 1828 à Vienne, un an après Beethoven mort en 1827.

Ils vivaient dans la même ville et Schubert n’a jamais eu le courage d’aller à sa rencontre.

Mais Il fut un des porte-flambeau lors des funérailles du génie allemand inaccessible pour lui.

Exactement, un an plus tard, le 28 mars 1828 se déroula le premier concert public entièrement réservé à ses œuvres.

Oui Schubert n’eut de son vivant qu’un concert public de ses œuvres et ce fut ce 28 mars 1828.

Ce qui explique qu’il n’entendit jamais jouer certaines de ses œuvres qui nécessitait un orchestre ou un grand chœur.

L’essentiel de ses œuvres il les joua au milieu de son cercle d’amis.

Car, il avait en effet beaucoup d’amis et d’amis assez riches pour lui permettre de vivre au milieu d’eux sans avoir d’autres revenus de quelques leçons de piano qu’il donnait.

Ces réunions d’amis organisées autour de lui et de ses œuvres avaient été nommées par tous : « Les Schubertiades ».

Et aujourd’hui je vais partager avec vous « la Fantaisie D. 940 pour piano à quatre mains. »

<La revue de piano> la décrit de la manière suivante :

« Œuvre mythique du répertoire, la Fantaisie en fa mineur ouvre immanquablement, dès ses premières notes, les portes de ce monde simple et nostalgique qui caractérise les grandes œuvres de Schubert. Achevée en avril 1828 – les premières esquisses datent de janvier de la même année. ».

Cette fantaisie est un somment du répertoire de la musique pour piano à 4 mains.

<La lettre du musicien> consacrée au répertoire de la musique de piano à 4 mains écrit :

« Fantaisie en fa mineur, op.103, D.940, de 1828. Sans doute la plus belle œuvre écrite pour le piano à 4 mains, si ce n’est l’une des plus belles œuvres de musique qui soit. Rien que par son existence, elle justifie le genre. »

Je vous propose de l’entendre dans une version qui associe l’extraordinaire pianiste portugaise Maria Joao Pires avec une de ses élèves la jeune pianiste arménienne Lilit Grigoryan :
<Maria-João Pires et Lilit Grigoryan – Franz Schubert – Fantasie D.940>

Lilit Grigoryan est née à Erevan, en Arménie en 1985. Elle a été entre 2013 à 2016, artiste en résidence à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth en Belgique, sous la direction de Maria-João Pires.

Christine Mondon écrit un long développement très sensible et juste consacré à cette fantaisie. J’en tire ces extraits

« Sa […] Fantaisie en fa mineur D.940, est son chef-d’œuvre. [parmi les fantaisies pour piano…] elle s’empare de l’être tout entier avec une telle puissance que l’on a le sentiment que le temps est suspendu au souffle de l’éternel voyageur des sons qu’est Schubert. […]

Toujours est-il que ce chant sublime – le plus beau « quatre-mains » de la musique – laisse entendre la fragilité de la vie, notamment lorsqu’il module vers le majeur ce qui le rend plus tragique encore, dans la quinte diminuée si-fa où Schubert traduit sa révolte face à la maladie et à la mort.

Dès les premières notes s’élève une mélodie d’une ineffable beauté. Molto moderato… une quête s’amorce, celle du voyageur vers l’inaccessible étoile. […]

Bouleversant est le cri étouffé de celui qui commence sa longue descente vers la mort. On ne sort pas indemne à l’écoute de la Fantaisie. En elle se cristallisent nos émotions car c’est de notre vie même dont il s’agit. »
Christine Mondon : « Franz Schubert, Le musicien de l’ombre », pages 221 à 223

Cette œuvre a donc été écrite entre janvier et avril 1828.

Benjamin Britten a dit que l’année 1848 était l’année la plus féconde de l’Histoire de la musique, parce que ce fut la dernière de la vie de Schubert et que jamais de mémoire d’homme, un compositeur n’a écrit autant de chef d’œuvre que Schubert, cette année-là.

Cette fantaisie en est une.

Les œuvres de Schubert ont été classées par un musicologue Otto Erich Deutsch. Ainsi D 940, signifie que l’œuvre occupe la place 940 dans le classement de Deutsch. Ce classement est chronologique.

Les œuvres de 1828 occupent les numéros de 937 à 965.

Il y a cependant quelques numéros après 965, jusqu’à 998 et concernent des œuvres que Deutsch n’est pas parvenu à dater.

Schubert lui-même, accompagné par son ami Franz Lachner, jouera la fantaisie D940, pour la première fois, à Vienne le 9 mai 1828, au cours de l’une de ses fameuses Schubertiades.

Elle est dédiée à la comtesse Caroline Esterházy, une élève du compositeur. En février 1828, Eduard von Bauernfeld, dramaturge et autre ami de Schubert, note dans son journal :

« Schubert semble être réellement amoureux de la comtesse E. Il lui donne des leçons. ».

Le même von Bauernfeld (1802-1890) écrira bien plus tard :

« Lorsque la statue de Schubert fut inaugurée au Stadtpark, le 15 mai 1872, j’allai à la cérémonie avec Lachner. « Te rappelles-tu, me dit Lachner, comment je t’ai joué pour la première fois avec Schubert sa nouvelle fantaisie à quatre mains ? »
Cité par Brigitte Massin « Franz Schubert » chez Fayard page 439

Quarante-quatre ans plus tard, ces deux amis de Schubert se souvenaient de cet instant privilégié : la découverte d’un chef d’œuvre

Il y en eut bien d’autres, en cette année 1828, mais j’y reviendrai.

Pour celles et ceux qui voudrait approfondir, vous trouverez derrière ce lien <Fantaisie en fa mineur, Philippe Cassard et Cédric Pescia> une analyse faite par ces deux pianistes de l’œuvre. Et vous apprendrez que Schubert cite dans sa fantaisie un extrait de la 9ème symphonie de Beethoven.

Si on souhaite un enregistrement audio de cette œuvre, il est possible de se tourner vers la superbe interprétation de <Murray Perahia et Radu Lupu>

Il en est bien d’autres.

Maria Joao Pires l’a enregistré avec Huseyin Sermet

Un peintre von Schwindt qui faisait partie du cercle d’amis de Schubert a peint quelques années après la mort de Schubert, un tableau montrant l’ambiance des Schubertiades.

<1405>

Vendredi 24 avril 2020

« 1er Ramadan 1441 »
Identification de ce jour dans le calendrier hégirien

Nous sommes donc le 24 avril 2020 de l’ère chrétienne selon le calendrier solaire grégorien.

Mais si vous allez sur le site de la mosquée de Lyon vous trouverez cette annonce  qui donne une autre identification à ce jour :

« 1er ramadan 1441 »

Ramadan est un mois d’un autre calendrier : le calendrier hégirien, qui est lui un calendrier lunaire.

C’est le neuvième mois de ce calendrier.

On parle de calendrier hégirien, parce qu’il débute lors de « l’hégire »

L’hégire désigne le départ du prophète de l’Islam Mohammed et de plusieurs de ses compagnons de La Mecque vers l’oasis de Yathrib, ancien nom de Médine, en 622 du calendrier solaire chrétien.

Les habitants de la Mecque ne sont pas très réceptifs à l’enseignement de Mohammed, en ces temps-là, et les compagnons du prophète sont victimes de violence et vont donc quitter La Mecque. Fuir diront certains.

<Wikipedia>, nous apprend

« Le terme hégire signifie en arabe « immigration » (du point de vue de Médine) ; le sens de « rupture de liens » (sous-entendu : familiaux) est parfois rencontré. Cet événement crée une rupture fondamentale avec la société telle qu’elle était connue des Arabes jusqu’alors. Mahomet vient en effet de rompre un modèle sociétal établi sur les liens du sang (organisation clanique), en faveur d’un modèle de communauté de destin fondée sur la croyance. Dans ce nouveau modèle, où tout le monde est censé être « frère », il n’est plus permis d’abandonner le démuni ou le faible comme c’était le cas auparavant. Les clans puissants de La Mecque vont tout faire pour éliminer cette nouvelle forme de société qui diminue leur influence car l’égalité entre les croyants est proclamée lors de la rédaction de la constitution de Médine, qu’ils soient libres ou esclaves, arabes ou non-arabes ».

Pour marquer l’importance de cet événement, le calendrier musulman commence donc au premier jour de l’année lunaire de l’Hégire, ce qui correspond au 16 juillet 622 du calendrier chrétien.

Pour les musulmans ce neuvième mois est le mois du jeûne.

Le jeûne du mois de Ramadan constitue l’un des cinq piliers de l’islam. Au cours de ce mois, les musulmans ayant l’âge requis selon les courants de l’islam ne doivent pas manger, boire, fumer, ni entretenir de rapport sexuel de l’aube au coucher du Soleil.

Selon <Wikipedia>

« Le nom ramadan a été donné au neuvième mois dans le monde arabe bien avant l’arrivée de l’islam. »

Comme le calendrier hégirien est un calendrier lunaire : chaque mois commence après la nouvelle lune, lorsque le premier fin croissant est visible. Il doit être aperçu avant qu’il ne disparaisse à l’horizon dans les lueurs crépusculaires. Si la nouvelle lune est postérieure au coucher du Soleil, l’observation se fait le lendemain. Comme le calendrier musulman peut compter dix, onze ou, les années bissextiles, douze jours de moins que le calendrier solaire et aucune intercalation, ramadan se décale d’autant chaque année et passe progressivement d’une saison à l’autre.

Tout cela étant parfaitement prévisible puisqu’il s’agit de mouvement cosmique et de la rotation de la lune autour de la terre, elle-même insérée dans le système solaire. Il y a donc un tableau prévisible qui donne le début du mois de ramadan de chaque année future. Ainsi cette année, il était prévu que le mois de ramadan commence le 24 avril.

Et c’est ainsi que le conçoit l’essayiste, islamologue et théologien Mohamed Bajrafil qui était l’invité des matins de France Culture de ce jeudi 23 avril 2020.

Mais ce n’est pas la position dominante des responsables de la communauté musulmane.

Ces derniers insistent sur l’observation locale du croissant de lune pour marquer le début du ramadan, parce que le premier croissant après la nouvelle lune n’est pas visible partout en même temps, les dates de début et de fin du mois dépendent de ce qui est visible dans chaque lieu.

Et c’est pourquoi un comité officiel s’est réuni et à l’issue d’une cérémonie à la Grande Mosquée de Paris, la date du début du Ramadan a été dévoilée ce jeudi 23 avril

Selon ce que relate le journal <France soir> :

« Le comité a pris acte de l’apparition de la nouvelle lune en ce 29ème jour du mois de Chaâbane 1441 de l’année Hégirienne, le mois sacré débutera donc demain vendredi 24 avril. »

C’est donc bien le 24 avril que commence le mois de ramadan, comme c’était prévu.

J’ai trouvé l’intervention de Mohamed Bajrafil sur le ramadan en temps de confinement très intéressant. Pour lui le confinement ne pose pas problème :

« Le Ramadan est une pratique cachée, donc il cadre parfaitement avec le confinement. Là, il nous est donné la possibilité de combiner confinement spirituel et corporel. »

Mohamed Bajrafil est né en 1978 aux Comores, il est de tradition soufiste.

Il a rappelé que le ramadan constitue une discipline personnelle que vouloir obliger quelqu’un de respecter le ramadan n’est pas conforme à l’Islam d’abord parce que si l’action de faire le jeûne n’est pas une décision personnelle, elle n’a aucune valeur. Le faire parce qu’on est forcé, selon Mohamed Bajrafil, c’est comme si on ne le faisait pas. Celui qui force n’est pas davantage dans l’esprit du ramadan.

Et il dit notamment

« On doit vraiment lutter pour que personne ne suive personne mais que tout le monde agisse en son âme et conscience. Tout le monde doit pouvoir choisir de jeûner ou non et de prier ou non. »

Il dit aussi que, selon lui, l’aspect festif que certains exacerbent n’est pas davantage dans l’esprit. C’est une fête de la charité et du manque. Les repas de la nuit ont pour fonction de supporter le jeune de la journée sans que le manque ne doive disparaître. Il s’agit de se mettre à la place de celles et de ceux qui sont en manque général d’alimentation dans le but d’être plus sensible à leur sort.

« On a donné à ce rite un caractère festif qui n’a rien à voir avec le ramadan en lui-même. On en a fait un moment de festivité alors que ça doit rester un moment de spiritualité. »

A la fin du mois de Ramadan il s’agit d’ailleurs de donner des aliments aux pauvres. Et il ajoute :

« Le Ramadan est la pratique qui va le mieux avec la pauvreté. Elle est la pratique idoine car on nous demande de nous priver et nous donne un esprit de solidarité incroyable. »

Une présentation de cette épreuve spirituelle musulmane qui m’a touchée.

Je redonne le lien vers cette émission <Le ramadan est une pratique cachée qui cadre parfaitement avec le confinement>

<1404>

Jeudi 23 avril 2020

« Pause (L’attention, est une ressource dont nous ne disposons qu’en quantité finie.)»
Un jour sans mot du jour

Continuons avec tous ces chats confinés qui s’étonnent que leurs humains soient si souvent dans leurs pattes ces derniers temps.

La période que nous vivons me fait penser à un mot du jour de 2016 :

«L’attention, est une ressource dont nous ne disposons qu’en quantité finie.»

Matthew Crawford

Matthew Crawford est l’auteur de « l’ Eloge du carburateur », livre que Pablo m’a offert depuis que j’ai écrit ce mot du jour.

Livre qu’il me reste à lire.

Dans l’article je citais cette phrase de l’auteur

« L’épuisement provoqué par le papillonnage moderne, explique-t-il, n’est pas que le résultat de la technologie. Il témoigne d’une crise des valeurs, qui puise ses sources dans notre identité d’individu moderne. »

<Mot sans numéro>

 

Mercredi 22 avril 2020

« Pause »
Un jour sans mot du jour

Annie me rappelle que si nous n’étions pas confinés, nous serions en congé. Je n’ai toujours pas trouvé l’inspiration d’écrire un mot du jour.

J’accompagne cette fois la photo des chats confinés par un lien vers les matins de France Culture.

Philippe Descola : « Face au monstrueux choc épidémique des grandes conquêtes, les peuples amérindiens ont utilisé la dispersion pour survivre »

C’était l’émission du 20 avril.

Elle est présentée de la manière suivante sur le site de l’émission :

Alors que le monde est à l’arrêt, nous observons de notre fenêtre le printemps s’épanouir. Et si, paradoxalement le fait d’être coupé de la nature nous en rapprochait ? Comment repenser la cohabitation entre l’homme et les non-humains ?

Alors que le lien de l’homme avec son environnement serait directement en cause dans cette crise sanitaire, faut-il repenser notre rapport à la nature ? C’est ce que propose Philippe Descola, que nous recevons aujourd’hui. En 1976, il est étudiant et part à la découverte des Achuars, un peuple Jivaro situé au cœur de l’Amazonie, entre l’Équateur et le Pérou. S’en suit une longue réflexion sur l’anthropocentrisme, qui ouvre la voie d’une nouvelle relation entre les humains et leur milieu de vie.

L’épidémie est-elle une conséquence de l’action humaine sur la nature ? Est-elle une maladie de l’anthropocène ? Que nous apprend le lien que certains peuples entretiennent avec leur environnement ?

Philippe Descola est professeur émérite au Collège France, titulaire de la chaire d’anthropologie de la nature de 2000 à 2019. Il est auteur notamment de Les natures en question (Ed. Odile Jacob, 2017)

Quelle réponse des Achuars face aux épidémies ?

« Il n’y a pas de souvenirs de la catastrophe. On estime qu’environ 90% de la population amérindienne a disparu entre le XVIe et le XIXe siècle. Il y a une sorte d’imaginaire implicite du contact avec la maladie des « blancs ». De ce fait, lorsque les « blancs » arrivent dans les environnements amérindiens reculés, le premier réflexe des Amérindiens est la méfiance par la distanciation. »

La maladie n’est qu’un élément dans un cortège d’abominations apporté par la colonisation. Philippe Descola

« Chaque peuple réagit à ses épidémies en fonction de sa conception de contagion. La notion de contagion a mis un certain temps à se propager en Europe, au contraire des peuples amérindiens. C’est ce qui leur a permis d’adopter les bons gestes. »

Parler de la « nature » : une erreur ?

« La nature est un concept occidental qui désigne l’ensemble des non-humains. Et cette séparation entre humain et non-humain a eu pour résultat d’introduire une distance sociale entre eux. »

On peut penser que le virus est une métaphore de l’humanité. Nous avons vis-à-vis de la terre, le même rapport instrumental qu’un virus. D’une certaine façon, l’être humain est le pathogène de la planète. Philippe Descola

« Cette idée très humaine que la nature est infinie a eu comme conséquence que ce système si singulier basé sur la productivité et la rentabilité a engendré une catastrophe planétaire. »

L’idéal du « Monde d’après »

« Je forme le vœu que le monde d’après soit différent du monde d’avant. La pandémie nous donne un marqueur temporaire. Cette transformation, je la vois avec intérêt se dessiner et qu’elle aboutisse à ce que des liens avec les non humains soient à nouveau tissés. Il faut vivre avec une mentalité non destructrice de notre environnement. »

L’idée n’est pas de posséder la nature mais d’être possédé par un milieu. Philippe Descola

Vous pouvez (ré)écouter l’interview en intégralité en cliquant sur le player en haut à gauche de cette page.

Et pour approfondir, vous pouvez également retrouver Philippe Descola s’exprimer dans plusieurs vidéos de la chaîne YouTube du Collège de France consacrées aux sujets de l’émission

À ire en complément, la recension par La vie des idées de l’ouvrage « Les Natures en question »

<Mot sans numéro>


Mardi 21 avril 2020

« Pause »
Un jour sans mot du jour

Même en période confinement et en pleine pandémie, il est possible d’être démuni et de ne pas être en mesure d’écrire un mot du jour.

J’accompagne cependant la photo du chat confiné avec un lien :

C’est un article du Monde qui m’a été recommandé par Didier

« L’âpre combat d’une équipe médicale face à un virus indomptable »

<Mot sans numéro>