Vendredi 31 mars 2017

Vendredi 31 mars 2017
« Les citoyens doivent exprimer leurs souhaits pour savoir ce qu’ils ont envie de manger »
Bruno Parmentier
Sortons un peu du monde du concept politique pour aller vers la vraie vie. Pour vivre nous devons nous alimenter, nous nourrir.
J’avais déjà fait appel à Bruno Parmentier pour le mot du jour du  7 avril 2015 «Nourrir l’Humanité», livre dans lequel il expliquait qu’il faut faire de l’agriculture autrement pour nourrir le monde.
France Culture l’a invité pour parler de la crise de l’élevage et de l’agriculture française : https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-idees-de-la-matinale/bruno-parmentier-passer-dune-agriculture-de-quantite-un
Ses explications claires et sa vision à long terme sont toujours rafraichissantes.
« L’agriculture est à un véritable tournant. […]
Il faut savoir qu’au XXème siècle, depuis l’arrivée de la richesse, nous n’avons cessé d’augmenter notre consommation de viande, en suivant les millésimes. Dans les années 20, on ne mangeait que 20 kilos de viande par tête de pipe [et par an], puis dans les années 50, 50 kilos de viande, dans les années 80 80 kilos de viande et au moment du tournant du siècle 100 kilos de viande. Seuls les naïfs pouvaient considérer que cela allait continuer. Raisonnons par l’absurde : on ne va manger 200 kilos de viande en 2100 et 300 kilos en 2200 ?
Donc on voit bien que prolonger les courbes indéfiniment cela n’a pas de réalité.
Et la viande est devenue moins à la mode et on a rebaissé de 200 kilos à 85 kilos. Et la baisse n’est pas finie […].
L’appétence pour ces produits n’est plus ce qu’elle était au XXème siècle. Parce qu’on rêve de manger ce que nos grands parents ne pouvaient pas manger ou les ouvriers rêvaient de manger comme le patron, mais aujourd’hui le patron est végétarien. On voit bien que c’est passé de mode.
Il y a de nombreuses manières d’aborder le problème : l’obésité, les maladies, le bien-être animal etc..»
Il parle aussi du lait qui est aussi en surproduction, parce que les gens consomment moins de lait et donne comme perspective le vin :
« Dans les années 50 on consommait 140 litres de vin par personne et par an, maintenant 40, on a divisé par plus de 3. Est-ce qu’il y a encore des viticulteurs ? Oui il y en a même à Carcassonne. Mais c’est fini la piquette. C’est fini la vente du vin au litre à moins d’un euro. Maintenant on vend du vin de 75cl à 4, 5, 10, 12 euros. On est passé de l’industrie de la quantité à une industrie de la qualité avec des signes de reconnaissance. Le consommateur a dit j’en prends moins mais je le paie. C’est un  changement global du système de production.
C’est une erreur de penser que l’on mange toujours pareil : on mange 3 fois moins de pain et 5 fois moins de pommes de terre. […]
Penser que dans 30 ans on mangera exactement pareil, c’est évidemment faux. Si on n’anticipe pas ces changements de consommation et on n’accompagne pas …[on va vers de grandes désillusions].
Quand l’Europe a constaté qu’on mangeait moins de viande en Europe, elle a financé de grandes campagnes de publicité pour encourager à manger du porc. Cela ne fonctionne pas. On mange moins de viande, c’est tout !
[Si on n’accompagne pas] cette transformation, les éleveurs [ne peuvent être que] désespérés.»
Je ne peux pas reproduire l’ensemble de ses propos tous très intéressants mais je voudrais insister sur cette vision comparative de la relation à la nourriture et à l’agriculture des habitants des divers pays européens ainsi que de la mise en garde qu’apporte sa conclusion..
« On est 28 en Europe c’est très compliqué. Et il faut savoir que le rapport à la nourriture est très différent selon les pays.
Dans l’entreprise que je dirigeais, il y avait un règlement intérieur qui disait : pas moins de 45 minutes pour déjeuner. Dans une entreprise en Angleterre, c’est pas plus de 10 minutes pour déjeuner. Et moyennant quoi, le rapport à la nourriture est très différente. Dans un cas on mange un sandwich au pain de mie avec du jambon carré et du fromage carré et on s’en fout du goût puisqu’on mange ça devant l’ordinateur et de l’autre côté on a envie de bien manger.
Du côté où on a envie de bien manger et où on veut une agriculture de qualité c’est les pays latins : La Grèce, l’Espagne, l’Italie, la France, le Portugal. Mais on est très minoritaire. On l’a vu pendant la crise du porc, la majorité des européens, ils veulent des tranches de jambon carré pas cher. Pour faire des tranches de jambon carré pas cher, on fait de l’industrie [sans se soucier de la qualité].
En Angleterre on utilise 9% de son salaire pour manger. En France c’est 14%, aux Etats-Unis c’est 7%. Mais en France c’était encore 40%, il y a 30 ou 40 ans.
Les citoyens doivent aussi dire qu’est ce qu’ils veulent.
Est-ce que la gastronomie anglaise et américaine nous fait tellement envie qu’on a encore envie de diviser par 2 notre coût pour l’alimentation ? et avoir des coûts de santé absolument fou parce qu’on mange n’importe quoi ?
Ou est-ce qu’on se dit : bien manger en France aujourd’hui, c’est consacrer un peu plus de temps et un peu plus d’argent à cette activité essentielle.
Cet argent nous permettra d’être en meilleur santé et d’avoir plus de plaisir et de convivialité.
Mais quand on négocie en Europe c’est très difficile d’avoir une unanimité, puisque la majorité des pays veulent du jambon carré.
Et le jambon carré, c’est de l’élevage de 2000 à 3000 porcs, complètement industriel, avec en Allemagne des bulgares payés au prix de la Bulgarie, des roumains payés au prix de la Roumanie et puis quand on est dans l’industrie c’est toujours les allemands qui gagnent pas les français.
On pensait que l’Europe c’était les Français qui faisaient à manger pour les allemands et que les allemands nous vendaient des voitures. Mais maintenant les allemands nous vendent aussi des tranches de jambon carré.
Bref : les citoyens doivent exprimer leurs souhaits pour savoir ce qu’ils ont envie de manger »
Dans ce domaine comme dans d’autres, la question fondamentale est : dans quel monde voulons nous vivre ?

Jeudi 30 mars 2017

Jeudi 30 mars 2017
«La confusion est un signe qu’on vit un moment de bascule»
François Hartog, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales
Manuel Valls est accusé d’être un traitre.
Il me semble que du point de vue du français, « parjure » serait plus juste.
Le parjure est celui qui viole un serment, or Valls a fait le serment en entrant dans la compétition des primaires de soutenir celui qui gagnerait.
Il ne le fait pas.
Le PS est très proche de l’explosion.
François Fillon n’a pas encore perdu. Rien ne dit non plus que dans un second tour où François Fillon serait opposé à Marine Le Pen, cette dernière ne gagnerait pas.
Mais si les prévisions s’avèrent juste, au lendemain de la défaite de François Fillon au premier tour, le parti des républicains explosera aussi.
Il n’est pas certain non plus que Macron battra Marine Le Pen au second tour.
Certains diront, il n’est pas certain que Marine Le Pen soit au second tour. Peut être, mais je n’y crois pas un instant, je pense plutôt que les sondages sous-estime le vote Front National.
Nous sommes donc dans un moment de grande confusion.
Si nous restons optimiste nous pouvons espérer que la confusion conduira à une reconstruction.
Mediapart a invité un historien, François Hartog, pour qu’il jette son regard d’intellectuel sur notre moment présent que le journal présente avec les assertions suivantes :
  • Épuisement de la Ve République ;
  • Désagrégation du bipartisme ;
  • Possibilité de voir l’extrême droite accéder à la plus haute fonction du pays
Vous trouverez cet article, si vous êtes abonné, derrière <ce lien>
J’en tire les extraits suivants :
« Mediapart : Est-on en mesure de cerner ce qu’est un « moment historique » et si nous sommes en train d’en vivre un ?
François Hartog : […] Il me semble alors qu’un des indices négatifs qui signale que l’on vit un « moment historique », c’est précisément l’aveuglement, le fait qu’on n’y voit rien, qu’on n’y comprend rien. Dans ce que nous vivons aujourd’hui d’un point de vue politique, on est frappés par la confusion généralisée, qui ne cesse de favoriser Marine Le Pen.
Si on cherche à comparer avec des moments de bascule, comme la Révolution française, on constate a posteriori que c’était un moment d’extrême confusion. Les contemporains étaient complètement perdus, ne comprenaient pas ce qui se passait, refusaient de comprendre, croyaient comprendre et se trompaient…
La perte des repères, les références qui n’ont plus de prise sur le moment, la désorientation et la confusion sont symptomatiques de moments de bascule. […]
Quand on n’a que le présent comme base sur laquelle reposer, il est logique qu’on se retrouve perdus.
Même ceux qui regardent vers le passé, et qui ont toujours existé, à savoir les réactionnaires et les nostalgiques, ne savent plus trop vers quel passé se retourner, vers quoi regarder. Les électeurs de Trump lorgnent vers l’Amérique d’après-guerre, de la grande expansion, qui était précisément une Amérique tournée vers l’avenir, alors même que l’idée d’aller vers l’émancipation, le progrès ou la croissance, sous la conduite des avant-gardes artistiques ou politiques, a du plomb dans l’aile depuis des décennies. . […]
Hollande a été élu sur le slogan « le changement c’est maintenant », c’est-à-dire un slogan présentiste qui ne donne pas place au temps. Le changement est pourtant déjà un terme moins chargé et ambitieux que « progrès » ou « développement ». Dans la campagne présente, Benoît Hamon tente de réintroduire une perspective future avec l’idée d’un revenu universel qui, quoi qu’on pense de la proposition elle-même, renoue avec un des grands éléments structurants du socialisme, c’est-à-dire un certain idéalisme ou une part d’utopie. Le revenu universel, ce n’est pas pour maintenant, c’est un horizon, même si on peut se questionner pour savoir si c’est le bon. Ce rapport au temps fait place au futur, mais tombe immédiatement sous les critiques de ceux qui pensent que c’est irréaliste.
Plus généralement, le problème est que les politiques qui font aujourd’hui campagne ont été élevés dans l’idée que leur raison d’être était de guider leur peuple vers le futur et de marcher vers la terre promise ou l’avenir radieux : une affaire qui a commencé avec Moïse… Mais, se retrouvant dans un univers où ce type de position et de posture n’est plus tenable, ils s’avèrent complètement perdus. On leur reproche tout le temps de ne pas avoir de vision, mais qui a une vision aujourd’hui ? La plupart des politiques ont donc théorisé le fait qu’il valait mieux de ne pas avoir de stratégie de long terme, pour se permettre d’être le plus réactif possible, comme dernière attitude politique payante dans un moment présentiste.
Cette impossibilité de sortir du présent n’existe pas seulement en matière politique, elle domine également désormais le champ économique, avec la flexibilité à outrance, l’organisation de la production à flux tendus…
[…]
Marine Le Pen propose en réalité un retour à un avenir très daté, vers un monde mythifié. François Fillon promet un redressement dans la douleur qui me semble moins être une ouverture qu’une rupture avec ce qu’il estime être les calamités du socialisme. Mais Fillon et Le Pen n’utilisent pas le mot de « révolution », que Macron emploie. Même s’il y a une dimension marketing, cet usage est intéressant car il veut signifier la possibilité de regarder vers le futur. Il n’est d’ailleurs pas anodin que les deux candidats – Macron et Mélenchon – qui proposent une véritable vision du futur (numérique pour le premier, écologiste pour le second) soient aussi les deux candidats qui entretiennent un véritable rapport à l’Histoire. Ils montrent quelques capacités à s’affranchir du présent immédiat.
[…]
À ce titre, le parcours du  mot « réforme » est intéressant. Le terme a été un  grand mot de la politique au XIXe siècle, comme  substitut de « Révolution », revendiqué par ceux qui  se trouvaient du côté du mouvement, et contesté par  ceux situés du côté de la réaction. Mais, désormais, la  « réforme » est devenue quelque chose qui ne signifie  qu’ajustement, remise à plat, adaptation, et qui aurait  dû intervenir plus tôt. Ce mot est donc immédiatement  et légitimement compris par tous les intéressés comme  une régression. Alors que la « réforme » était porteuse  d’espérance et d’un projet social et politique, c’est  devenu un slogan. La « réforme » n’ouvre plus  aucun avenir et a été rattrapée et s’est engluée dans  le présentisme, au point qu’on vote des réformes  qu’on n’a pas le temps d’appliquer avant la prochaine  réforme…
[…]
Ce qui nous menace est-il davantage du registre  de la catastrophe ou de l’apocalypse ? Et sur  un plan politique, comment pourrait-on qualifier  une victoire de l’extrême droite à la prochaine  présidentielle ?
L’apocalypse, c’est la fin du temps ou des temps,  mais c’est aussi le début de tout autre chose, d’un  nouveau ciel, d’une nouvelle terre. Au contraire de la  catastrophe, l’apocalypse donne un sens à ce qui est  enduré. La catastrophe est dénuée de sens ; elle vous  tombe dessus et il n’y a pas grand-chose à comprendre.
Pour les politiques, l’important est de tenter de  prévenir les catastrophes, mais surtout de réagir  rapidement lorsqu’une catastrophe se produit, sans  essayer de comprendre mais seulement de compatir.
Les catastrophes viennent se loger dans le temps, elles  sont présentes dans le paysage.
À ce titre, une victoire du Front national est désormais  dans le paysage et Marine Le Pen ne promet ni un autre  ciel, ni une autre terre. Cela relève donc davantage du  registre de la catastrophe, de celles sur lesquelles on  a préféré s’aveugler et qui nous paralysent au fur et à  mesure qu’elles s’approchent.
[…] »
S’affranchir du présent immédiat, regarder vers le futur et peut être oserais-je ce mot : réenchanter la réforme qui aujourd’hui n’est plus vécu que comme une régression.

Mercredi 29 mars 2017

Mercredi 29 mars 2017
«Macron»
Nom patronymique dont les médias parlent beaucoup ces derniers temps.
Que dire de cette présidentielle française 2017 ?
Je vous propose de commencer par un éclairage un peu plus léger aujourd’hui.
Il semblerait que Monsieur Macron, Emmanuel est son prénom aurait des chances selon les derniers oracles d’accéder à la présidence de la république pour succéder à François Hollande qui l’avait appelé auprès de lui d’abord pour le conseiller puis pour occuper le poste de Ministre de l’Économie.
C’est une revue de presse qui donne cette information parue dans le bimestriel « CA M’INTERESSE »
Le bimestriel ÇA M’INTERESSE HISTOIRE nous apprend  que deux Macron se sont déjà illustrés dans le passé
Au 2ème siècle avant Jésus-Christ, un certain Ptolémée Macron travaillait ainsi au service d’Antiochos IV, le gouverneur de l’empire perse séleucide. Un jour, son maître le charge d’envoyer une armée en Judée. Mais une fois arrivé sur place, Ptolémée Macron choisit de rejoindre les Juifs ; il passe donc dans le camp de l’ennemi. Imaginez un peu la tête d’Antiochos IV !
Deux cents ans plus tard, en 37 après Jésus-Christ, un Macron romain cette fois-ci – Sutorius Macro, travaillait au service du vieil empereur Tibère. Mais il en avait marre – marre du vieux, grand besoin de changement – et pour accélérer l’accession au pouvoir du jeune Caligula, Sutorius Macro a décidé de tuer Tibère, en l’étouffant sous ses couvertures.
L’empereur, pardon le président François Hollande n’a, heureusement, pas eu à subir le même sort de la part du Macron moderne.
N’empêche, résume la revue : « Depuis 2.000 ans, Macron rime avec trahison. »
Cela étant, doit-on vraiment détester les traîtres ? « Non », répond Manuela France qui signe le papier. On ne doit pas les haïr car les pros des coups bas ne sont pas tous d’affreux et vils calculateurs. Certains, au contraire, poursuivent un noble idéal, et ils sont finalement les moteurs de l’Histoire.
Mais Emmanuel Macron fait-il partie de cette catégorie ? Lui qui a créé un mouvement qui a les mêmes initiales que son nom et qui a suscité cette belle interrogation de Frédéric Lordon : « En marche ! », soit ! Mais ne serait-il pas pertinent de s’interroger : en marche vers Où ?
Le canard enchainé de mercredi dernier explique la modernité de cet O.P.N.I. : Objet Politique Non Identifié :
« Mais comment fait Macron pour avoir l’air différent ? Fastoche : il suffit de commencer par le vocabulaire. Dans son QG de campagne, on ne parle pas de «bénévoles» mais de «helpers», qui causent «feedback» et «retour d’expérience». Waouh ! ça change tout ! Ou pas… Dans la start-up Macron, raconte le JDD (19/3) on ne cherche pas des slogans (beurk) : on «brainstorme» pour trouver des «messages snackables», c’est-à-dire «courts, qui vont attirer l’attention». A grignoter à  tous les repas.
Ici, le «business électoral» et le business tout court ne sont surtout pas des gros mots. «On organise des actions de terrain, puis on fonctionne beaucoup au feedback et on essaie d’améliorer très rapidement les process» raconte un «helper» qui adore sa nouvelle boite. «On a cette chance d’être nouveaux sur le marché» plane un autre, à l’autre bout de l’«open space». […]
Dans cette novlangue pas du tout gadget, la star Macron n’a pas des supporteurs mais des «fans» qu’il s’agit de bichonner : ces veinards ont droit à des «live» (des vidéos) de leur idole, en toute «exclusivité».»
On a compris, on présente et vend Macron comme un produit marketing.
Faut-il donner sa chance à ce produit ?
Florence Aubenas a fait une plongée dans les publics qui soutiennent Macron. Vous trouverez en pièce jointe le long article qu’elle a rédigé après cette enquête.

Mardi 28 mars 2017

Mardi 28 mars 2017
« Et alors ? »
Expression ouverte ou fermée ?
Michel Serres aime raconter des histoires à ses petits-enfants, le soir, avant le sommeil.
Quand le lendemain, il demande « où en étions-nous ? », les enfants répondent invariablement, nous étions à « et alors… ».
« Et alors » ouvre vers d’autres aventures, d’autres réflexions, d’autres connaissances.
Dans le domaine scientifique chaque nouvelle découverte ouvre d’autres perspectives, conduit à s’interroger sur la suite, « et alors ? ».
Mais certaines personnes entendent donner à l’expression « et alors ? » un effet de fermeture, de clôture de la discussion, sorte de « point à la ligne » et passer à autre chose.
Ainsi François Fillon a répondu à un journaliste qui s’étonnait du cadeau d’un généreux mécène qui avait signé le 20 février un chèque de 13.000 euros pour le règlement de deux costumes achetés chez Arnys, un tailleur parisien des quartiers chics : « Un ami m’a offert des costumes en février. Et alors?»
L’article du Parisien donné en lien continue : «J’ai payé à la demande de François Fillon», a affirmé cet «ami généreux» au JDD. A cela s’ajouteraient selon l’hebdomadaire près de 35.500 euros «réglés en liquide» chez ce tailleur, pour un montant de près de 48.500 euros au total depuis 2012. »
« Et alors ? »
Je ne voudrais pas m’acharner sur cet étonnant personnage qui reprochait à Nicolas Sarkozy, ses relations compliquées avec la Justice et les « Affaires » et qui avait, alors qu’il était Premier Ministre en 2007, commis <cette circulaire> où on peut lire : «Il est en conséquence normal que [les cadeaux] n’entrent pas dans le patrimoine personnel du ministre ou de sa famille. Ce principe doit être concilié avec la nécessité de ne pas désobliger les personnalités, notamment étrangères, qui souhaitent honorer des membres du gouvernement ou leur conjoint.» et pour lequel on apprend que précisément en 2009, toujours Premier ministre, François Fillon s’était fait offrir une montre de plus de 10.000 euros. Un cadeau « absolument désintéressé » de l’homme d’affaires italo-suisse, Pablo Victor Dana.
« Et alors ? »
Cette nouvelle révélation a conduit à ce commentaire d’un député LR désabusé : « François Fillon, c’est un peu comme un calendrier de l’avent, sauf qu’à chaque fois qu’on ouvre une case on ne trouve pas un chocolat, mais une nouvelle affaire. »
Mais, il faut dépasser le cas de François Fillon, si on veut mener une réflexion honnête et intègre.
Car le Canard Enchaîné nous apprend que l’ancien Ministre de l’Economie aujourd’hui commissaire européen, Pierre Moscovici, s’était aussi fait offrir des costumes par un ami chez Arnys, le même tailleur parisien que François Fillon, rapporte Le Canard Enchaîné. Selon l’hebdomadaire satirique, les faits sont antérieurs à 2012. A cette époque, les parlementaires n’étaient pas tenus de déclarer les dons qu’ils recevaient.
Interrogé mardi à l’occasion d’un point-presse avec Benoît Hamon à Bruxelles , Pierre Moscovici a confirmé les informations du Canard Enchaîné et a déclaré :
« Ce n’est pas tout à fait le lieu pour parler de cette affaire, mais je ne suis pas du tout embarrassé par cela, dès lors que ce sont de vrais cadeaux par de vrais amis, dans un vrai cadre privé».
Version un peu plus longue, mais il dit de la même manière « Et alors ?»
Et…
L’hebdomadaire <Challenges> nous apprend que Brigitte Macron est habillée gracieusement par la marque Vuitton. Il ne s’agit cette fois pas de cadeau mais de prêt. Le point commun est que cela reste gratuit.
« Et alors ? »
Et si au lieu de clore la discussion par « Et alors ? », nous l’ouvrions…
Et alors ? on s’étonne du peu de vigueur pour la lutte contre les paradis fiscaux, on constate sur les affaires financières comme sur les sujets de santé publique l’importance des lobbys et les décisions étonnantes qui sont prises au niveau européen et national. Le sentiment généralisé que les décisions prises  ne le sont pas dans l’intérêt général mais dans l’intérêt particulier de certains.
On nous explique que ces décisions sont nécessaires à cause de la mondialisation, de la liberté des échanges et que si nous n’avions pas une réglementation en phase avec cette situation les capitaux et le dynamisme économique fuiraient nos pays pour des contrées plus favorables.
Peut-être …
Mais tous ces cadeaux désintéressés d’amis fortunés créent la suspicion et racontent une autre réalité.
Pourquoi, nous qui avons également des amis désintéressés, ne nous font-ils pas des cadeaux de 10 000 euros ?
Parce qu’ils ne sont pas aussi riches ?
Ou parce que nous n’avons pas le pouvoir pour influer sur des décisions ou des réglementations  ayant un lien étroit avec le business ?
Probablement que si nous étions dans une telle situation nous verrions rapidement surgir des «amis désintéressés riches».
Tous ces responsables politiques devraient se souvenir de cette citation attribuée à Voltaire pour certains, à Gabriel Sénac de Meilhan pour d’autres :
«Mon Dieu, protégez moi de mes amis [désintéressés]. Quant à mes ennemis, je m’en charge.»

Lundi 27 mars 2017

Lundi 27 mars 2017
« De l’art de dire des conneries »
Harry Gordon Frankfurt
En me promenant dans la Bibliothèque de Lyon de la Part-Dieu, dans l’Espace Civilisation, mon regard a été attiré par un tout petit ouvrage : « De l’art de dire des conneries ».
Comme dirait Annie, dire des conneries est banal, mais en faire un art est d’une toute autre ambition.
L’auteur de cet ouvrage, dont le titre original est « On bullshit » est un philosophe américain Harry Frankfurt. Sa traduction française fut effectuée en 2006.
Page 11, l’auteur nous apprend qu’il a écrit l’essai en 1984, à l’époque où il enseignait la philosophie à l’Université de Yale.
Un de ses collègues avait alors affirmé que [dans la mesure] « où le corps professoral de Yale comptait dans ses rangs Jacques Derrida et plusieurs autres têtes de file du postmodernisme, il était fort approprié que cet essai ait été écrit à  Yale qui est  après tout la capitale mondiale du baratin ».
Car page 17, cet essai commence par cette sentence « L’un des traits les plus caractéristiques de notre culture est l’omniprésence du baratin ».
Le cœur de ce petit essai est la distinction entre le baratin et le mensonge.
Et l’auteur explique « Le baratineur et le menteur donnent tous deux une représentation déformée d’eux-mêmes et voudraient nous faire croire qu’ils s’efforcent de nous communiquer la vérité. Leur succès dépend de notre crédulité. Mais le menteur dissimule ses manœuvres pour nous empêcher d’appréhender correctement la réalité, nous devons ignorer qu’il tente de nous faire avaler des informations qu’il considère comme fausses.
Au contraire, le baratineur dissimule le fait qu’il accorde peu d’importance à la véracité de ses déclarations […].
Personne ne peut mentir sans être persuadé de connaître la vérité. Cette condition n’est en rien requise pour raconter des conneries. » C’est-à-dire baratiner.
Il me semble pertinent de s’intéresser à ce sujet en pleine campagne présidentielle française où la distinction entre les baratineurs et les menteurs me semble particulièrement décisive.
Wikipedia nous apprend que Frankfurt, né en 1929, a utilisé l’essai « On Bullshit » comme base pour son livre suivant, publié en 2006, qui avait pour thème le désintérêt de la société pour la vérité et pour titre « On Truth (de la vérité) ».
Un sujet d’une très grande actualité. D’ailleurs, la question «La vérité est-elle morte ? »,  est inscrite en grosses lettres rouges sur la couverture du dernier numéro du magazine américain TIME

Vendredi 17 mars 2017

Vendredi 17 mars 2017
« C’est le chemin le plus important.»
Michel Serres

Nous voilà au bout de 15 mots du jour, tous inspirés d’une interview de moins d’une heure de Michel Serres.

Et Emmanuelle Dancourt demanda (41:25 de l’interview) à Michel Serres de réagir à cette phrase :

« Je suis le chemin, la vérité et la vie. »

Cette phrase attribuée au Christ et qui est énoncée au chapitre 14 verset 6 de l’Evangile selon Jean, m’apparait comme la phrase du totalitarisme religieux par excellence.

Il n’y a qu’une vérité dans ce monde-là, la vérité du dogme, la vérité du fondateur réel ou imaginaire.

Cette phrase a été enseignée pendant des siècles à des milliards de chrétiens. Pendant longtemps celles et ceux qui s’éloignaient de ce chemin, de cette vérité étaient persécutés et souvent tués.

J’étais curieux d’entendre la réponse de Michel Serres, celui qui affirme qu’il n’y a pas qu’une vérité.

Et il m’a à nouveau surpris, en examinant cette phrase sous un tout autre angle :

« Je crois que contrairement à ce que l’on croit, l’important dans cette phrase est le mot chemin.

Nous avons parlé des migrants. Nous sommes tout le temps en voyage. Et c’est le mouvement du voyage qui produit la vérité. Et c’est le mouvement du voyage qui révèle la vie.

Et je crois que le mot chemin est important : Homo viator »

L’être humain est un « Homo viator », un éternel itinérant poussé à quitter son sol natal pour aller toujours plus loin.

« L’homme est en train de voyager, l’homme est toujours en train de bouger.

C’est-à-dire que l’homme n’est pas ! il n’est pas là … Il est toujours en dehors de lui, il est hors là, il va quelque part. Il peut ! Il va quelque part.

Et je n’ai pas fini ma route. Et cette route-là, peu à peu, fera ce qui sera ma vérité si elle existe un jour. Mais ce sera certainement ma vie.

C’est le chemin le plus important »

Dans un autre entretien, Michel Serres disait que vieillir, ce n’était pas une descente comme la décrivait certains mais bien un escalier où on montait, en apprenant chaque jour, en nous enrichissant de nouvelles connaissances et en nous délaissant toujours davantage de ce qui est futile et inutile.

Et si sur notre chemin, nous pouvons faire, de ci de là, un peu de bien, ne nous en privons pas. Cela nous fait tellement de bien.

La semaine prochaine, nous allons prendre un peu de repos avec Annie, pour nous ressourcer. Le prochain mot du jour est prévu le 27 mars 2017.

<860>

Jeudi 16 mars 2017

Jeudi 16 mars 2017
« Il n’y a pas qu’une vérité. Il y a des milliards de vérité»
Michel Serres

Tout à la fin de l’entretien (44:00), Emmanuelle Dancourt demande à Michel Serres :

« Pourquoi prenez-vous la nuit étoilée comme le modèle de notre savoir, alors que moi j’étais restée à la caverne de Platon. »

C’est, en effet,  dans un ouvrage précédent «  Yeux » que Michel Serres a développé cette contre-proposition à la Caverne de Platon

On se rappelle que selon cette allégorie, très importante dans la pensée occidentale, les humains  sont enfermés dans une caverne et observent, sur une paroi, des ombres bouger. L’un d’eux s’échappe et découvre la vérité à la lumière du Soleil. Dans cette vision, « la vérité » se trouve en plein jour, le soleil est la vérité et il n’y en a qu’une.

Mais selon Michel Serres :

«La nuit est le modèle de notre savoir, pas le jour »

Alors quand Emmanuelle Dancourt repose sa question :

« Pourquoi vous faites-nous lever les yeux vers la nuit étoilée pour trouver la vérité ? ».

Michel Serres répond :

« Pour deux raisons :

1° Si on prend le soleil et la journée comme modèle de la vérité. Il n’y a qu’une vérité, c’est le soleil. Et ce n’est pas vrai ! Il n’y a pas qu’une vérité !

Il y a des milliards de vérité, et ces milliards de vérité sont représentés par le ciel étoilé, par la totalité des constellations.

2° Et d’autre part si vous prenez la journée et le soleil comme modèle de connaissance, il n’y a pas de non-connaissance. Donc il n’y a pas de progrès, la connaissance vous est donnée d’un coup !

Tandis ce que dans la nuit, tous ces milliards de vérité sont sur un fond noir. Et ce fond noir c’est ce vers quoi je vais, pour essayer de comprendre.

Donc il y a du non savoir qui me promet encore un savoir nouveau.

C’est pourquoi le vrai modèle de la connaissance, c’est vraiment la nuit étoilée et pas le jour.

Le jour s’appelle l’idéologie. Et l’idéologie peut être cruelle, elle peut-être affreuse.

Le fait qu’il y ait qu’une vérité est abominable. Cela s’appelle l’intégrisme !

Et au nom de l’intégrisme, on tue, on massacre ! Alors qu’il y a des milliards de vérité.

On ne comprend pas, on n’estime pas assez l’avantage qu’a eu la religion chrétienne, d’avoir eu à se battre, sans arrêt depuis des siècles contre Galilée, contre Giordano Bruno, contre Darwin.

Et peu à peu elle a dû reculer et a dû s’apercevoir que Oui le soleil est au centre du système solaire, oui il y a des fossiles etc…Elle a dû feuilleter sa vérité. Elle est arrivée à dire : Oui il y a des vérités. […] Il y a un feuilletage de la vérité, c’est-à-dire le ciel étoilé.

Il s’agit d’un progrès gigantesque.

Les religions qui n’ont pas eu à se battre contre la science, n’ont gardé qu’une seule vérité et c’est pour ça qu’elles tuent. »

Régis Debray avait eu ce mot qui m’a beaucoup marqué :

« »Les religions monothéistes ont lié la notion de croyance et la notion de vérité et ça c’est de la dynamite ! »

Vu à l’aune de ces réflexions le passage du polythéisme au monothéisme ne fut pas forcément un progrès pour l’homme !

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Mercredi 15 mars 2017

Mercredi 15 mars 2017
« La science c’est ce qu’un vieux apprend à un jeune.
La technologie , c’est ce qu’un jeune apprend à un vieux. »
Michel Serres, dans l’interview de KTO

Lors de l’émission : Emmanuelle Dancourt a demandé à Michel Serres une citation.

Michel Serres a alors répondu ceci :

« A force d’avoir des relations avec mes étudiants que j’ai beaucoup aimé respectueusement, avec mes enfants, mes petits-enfants, je me suis aperçu de la phrase suivante que je vous livre :

Qu’est-ce la science ?

La science c’est ce qu’un vieux apprend à un jeune

Qu’est-ce que la technologie ?

C’est ce qu’un jeune apprend à un vieux.

Voilà ma citation !

Vous avez remarqué ? c’est tout à fait ça !

Nous sommes aujourd’hui dans une période très intéressante où le couple pédagogique, enseignant-enseigné est en train de se modifier finement par ce que je viens de vous dire.

Quand j’ai besoin d’avoir des éclaircissements sur la mécanique quantique, à laquelle je ne comprends rien, je demande à un vieux scientifique.

Mais quand j’ai un problème avec mon ordinateur j’appelle qui ?

Oh ! J’appelle mon petit-fils. »

Et le petit fils donne la solution au vieux philosophe…

Ce mot du jour est court, je peux donc ajouter une date mémorable : le 15 mars 1917, il y a exactement 100 ans, le tsar de Russie Nicolas II abdique au profit de son frère, le grand-duc Michel. Mais celui-ci décline l’honneur. C’en est fini de la dynastie des Romanov. La Russie devient pour quelques mois une République démocratique. C’est l’aboutissement de la révolution de Février (calendrier russe) qui a commencé le 8 mars (23 février) 1917.

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Mardi 14 mars 2017

Mardi 14 mars 2017
« Le fétiche rafistolé »
Objet présent dans « L’oreille cassée » 6ème album de Tintin et sur lequel Michel Serres philosophe dans l’interview d’Emmanuelle Dancourt

Emmanuelle Dancourt a demandé à Michel Serres d’emmener un objet (34:30 de l’interview)

Michel Serres a répondu de manière virtuelle, c’est à dire qu’il n’avait pas un objet sur lui mais il a parlé d’un objet présent dans l’album de Tintin : « L’Oreille cassée » et cet objet est le fétiche arumbaya qui est au centre de cette histoire. Au début de l’aventure le fétiche est dérobé dans le musée ethnographique parce que les voleurs espèrent récupérer un diamant qui est dans la statuette. Au bout de l’histoire, le fétiche tombe sur le pont d’un navire et explose en plusieurs morceaux, le diamant tombe à la mer.

Et à la fin de l’Histoire, le fétiche retrouve son socle dans le musée, mais le fétiche est totalement rafistolé. C’est ce fétiche rafistolé sur lequel Michel Serres va philosopher :

« Quand il reparait sur son socle, il est complétement rafistolé, bricolé, avec des fils de fer, avec du sparadrap, avec des éclisses, avec des plaques etc. et ça ça m’intéresse, cet objet m’intéresse.

Pourquoi ?

Parce que c’est ça l’organisme vivant.

L’organisme vivant, ce n’est pas contrairement à ce qu’on croit, un système harmonieux où tout serait parfaitement en place.

Pas du tout, pas du tout. L’évolution a amené l’œil à tel endroit, a amené le cerveau à tel endroit. Mais il vient d’où l’œil. Il y a des parties qui viennent de très très loin, qui sont très archaïques et d’autres qui sont beaucoup plus récents.

Notre corps est entièrement bricolé, rafistolé.

Le fétiche bricolé, rafistolé, à la fin de l’Histoire, c’est ça notre vie, c’est ça notre vie !

C’est pour ça qu’on devient malade parfois et qu’on meurt. Si nous étions parfait, nous serions éternel…

Le fétiche c’est ça ! Mais c’est plus que ça !

Il y a des gens qui critiquent beaucoup l’Europe, en ce moment. […]

Je repense toujours à mon fétiche, moi…Je pense toujours à cet organisme vivant tel qu’il est en réalité. Et je n’aime pas les systèmes politiques parfaits, bien faits, unitaires etc. Cela me rappelle trop le fascisme, le nazisme, Lénine, Staline etc. Le système parfait c’est ça.

Alors que les systèmes qui sont un peu bricolés, mal faits, qu’il faut rattraper… alors il y a le brexit, est-ce que ça va fonctionner ? On ne sait pas …

J’adore ça, c’est des systèmes humains. C’est des systèmes vivants, des vrais systèmes et qui ne prendront jamais la vie de personne.

Les systèmes unitaires sont des systèmes cruels, qui amènent à la mort, à la destruction.

Alors que les systèmes qui sont comme ça, un peu maladroits…

L’Europe c’est mon corps et mon corps c’est le fétiche rafistolé.

François Jacob disait un jour à côté de moi, à l’Académie française : « Tu sais Michel ce que c’est que le système nerveux ? C’est très simple : c’est un ordinateur porté par une brouette. » Et c’est exactement ça. Il y a des parties qui sont récentes, par exemple le cerveau, et des parties qui sont très archaïques et qu’on peut décrire par des brouettes.

Par conséquent, un ordinateur porté par une brouette, c’est ça le fétiche arumbaya. »

Dans son livre « Hergé mon ami », Michel serres consacre un long chapitre de la page 39 à 56 à l’oreille cassée et à des réflexions sur le fétiche et le fétichisme, qu’il conclut par cette question :

« Qu’est-ce qu’un fétiche, en vérité ? Tous le prennent-ils pour une même chose ou chacun pour autre chose ? ».

Je sais bien que cette réflexion de Michel Serres, surprenante, décalée c’est-à-dire intelligente ne résout pas les problèmes de l’Union européenne.

Mais sa réflexion sur l’aspiration à des systèmes trop parfaits, alors que précisément les corps vivants sont des corps rafistolés, cicatrisés, résilients oriente notre réflexion vers d’autres horizons.

C’est aussi un avertissement pour le vieux gauchiste que je suis qui pourrait avoir la tentation que le système économique et politique soit totalement maîtrisé, régulé, encadré.

C’est probablement une des grandes forces du libéralisme d’être beaucoup plus bricolé, inventé au fur à mesure, stimulé par des initiatives multiples et privées. Il est plus proche d’un organisme vivant.

Ce qui ne signifie pas qu’il ne faut pas le réguler, en corriger les abus. Mais avoir le projet ou l’ambition de créer un système parfait, pensé intellectuellement et conceptuellement est certainement beaucoup plus dangereux qu’exaltant.

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Lundi 13 mars 2017

Lundi 13 mars 2017
« Michel, Michel, je ne suis pas aussi intelligent que tu ne le crois ! »
Hergé à Michel Serres qui lui expliquait la profondeur philosophique des albums de Tintin (dans linterview d’Emmanuelle Dancourt (23:55))

Hergé, est le pseudonyme de Georges Remi (1907-1983). Il est surtout célèbre parce qu’il a été le créateur de Tintin, une des séries de bandes dessinées européennes qui a eu le plus de succès dans l’histoire de la BD.

C’est le 10 janvier 1929 que paraissait pour la première fois les aventures de Tintin, « Tintin au pays des soviets », dans un journal illustré catholique pour les enfants qui s’appelait le petit vingtième.

L’ensemble de la série compte 23 albums plus un inachevé « Tintin et l’Alph-Art », auquel Hergé a travaillé jusqu’à sa mort en 1983. Le dernier complet « Tintin et les picaros » est paru en 1976.

Dans une archive de l’INA on trouve cet extrait d’Apostrophe où Bernard Pivot interroge Hergé qui, modeste, comme le décrit Michel Serres, explique le parcours de Tintin qui au début est colonialiste et raciste et qui va évoluer, comme le monde européen, au cours de toutes ces années et devenir un personnage de plus en plus humaniste et ouvert au monde.

Michel Serres a rencontré Hergé, le créateur de Tintin tard dans sa vie, il l’appelle dans l’interview d’Emmanuelle Dancourt un « ami de vieillesse », par opposition à la notion plus répandue et plus connue d’ « ami de jeunesse ».

« Les meilleurs amis dit-on, reste de la jeunesse ; mais avez-vous eu des amis de vieillesse ? Quand le mot n’existe pas, doit-on douter de la chose ? » Page 31 du livre <Hergé mon ami>

Hergé était l’ainé de Michel Serres de 23 ans. Michel Serres introduit son ouvrage par ce texte :

« Un grand homme doux, est-ce possible ? Les grands hommes, faux ou vrais, le deviennent le plus souvent par la chamaille, la bataille, l’arrogance, le meurtre fourré, ce sont de grands fauves. Georges Rémi est un grand homme vrai, un grand homme rare, un grand homme doux. Ami délicat, fidèle, attentif, inusable comme les bandes qu’il a dessinées, ami gai, profond, modeste, retiré, le voici depuis si longtemps immortel d’avoir donné son œuvre aux enfants. Les enfants nés depuis avant les années 30 sont les enfants de son sourire et de son charme, vous comme moi et vos neveux comme les miens. Combien de grands hommes avons-nous depuis oubliés ? Tous peut-être, nous n’avons jamais oublié Hergé. […]

Paisible, profond, quotidien, inusable ami. Ai-je connu dans toute ma vie plus grand homme que lui, et plus respectable ? Ami admirable qui m’a aidé à vivre et à penser qui ne m’a jamais cru quand, les larmes aux yeux, j’essayais de lui dire qui vraiment il était. Il riait.

Il riait comme un enfant. Doucement. Il était un homme de bienfait. […]

J’ai plus appris en théorie de la communication dans les bijoux de la Castafiore que dans cent livres théoriques mortels d’ennui et stériles de résultats. J’ai plus appris, je le dirai longuement, sur le fétichisme dans l’Oreille cassée que chez Freud, Marx ou Auguste Comte […].

J’ai plus appris sur quasi objet dans l’affaire Tournesol que partout ailleurs. Je ne me suis pas seulement diverti, j’ai appris. Hergé donne à rire, à penser, à inventer : verbe unique en trois personnes.

Il disait : « je commence mon histoire et je la laisse aller. Elle se développe comme du lierre. » Qui a jamais écrit, cherché, inventé, dans nos métiers de langues, entend là une parole vraie. L’œuvre monte doucement, comme du lierre.

Toute seule. Oui, l’œuvre de génie. »

Dans l’interview d’Emmanuelle Dancourt, le livre « Hergé mon ami » est évoqué à partir de 20:13 et elle dit une chose que je partage : Quand on lit ce livre on ne lit plus Tintin de la même manière. Emmanuelle Dancourt parle de « La portée philosophique des albums de Tintin. »

Et c’est alors que Michel Serres évoque cet échange avec son ami où après lui avoir encore une fois expliqué ce qu’il y avait de génial dans un de ses albums Hergé a répondu :

« Michel, Michel, je ne suis pas aussi intelligent que tu ne le crois ! »

Dans l’interview Emmanuelle Dancourt et Michel Serres évoque « Tintin au Tibet », album dans lequel Tintin va sauver son ami Tchang qui a survécu à un accident d’avion dans le Tibet et qui a été sauvé et secouru par un immense singe appelé « le yéti »

Pour Michel Serres : L’abominable homme des neiges, de Tintin au Tibet est aussi un bon samaritain. Un être, a priori fruste et violent et qui se révèle un personnage plein de bonté qui va aider, secourir et nourrir l’ami de Tintin, Tchang. En réalité le Yéti a toutes les vertus.

La dernière image est déchirante. Le yéti n’a plus d’ami et il est infiniment triste. Par un dessin Hergé arrive à rendre l’immense humanité de ce moment


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