Mois : mars 2017
Jeudi 30 mars 2017
- Épuisement de la Ve République ;
- Désagrégation du bipartisme ;
- Possibilité de voir l’extrême droite accéder à la plus haute fonction du pays
Mercredi 29 mars 2017
Mardi 28 mars 2017
Lundi 27 mars 2017
Wikipedia nous apprend que Frankfurt, né en 1929, a utilisé l’essai « On Bullshit » comme base pour son livre suivant, publié en 2006, qui avait pour thème le désintérêt de la société pour la vérité et pour titre « On Truth (de la vérité) ».
Un sujet d’une très grande actualité. D’ailleurs, la question «La vérité est-elle morte ? », est inscrite en grosses lettres rouges sur la couverture du dernier numéro du magazine américain TIME
|
Vendredi 17 mars 2017
Nous voilà au bout de 15 mots du jour, tous inspirés d’une interview de moins d’une heure de Michel Serres.
Et Emmanuelle Dancourt demanda (41:25 de l’interview) à Michel Serres de réagir à cette phrase :
« Je suis le chemin, la vérité et la vie. »
Cette phrase attribuée au Christ et qui est énoncée au chapitre 14 verset 6 de l’Evangile selon Jean, m’apparait comme la phrase du totalitarisme religieux par excellence.
Il n’y a qu’une vérité dans ce monde-là, la vérité du dogme, la vérité du fondateur réel ou imaginaire.
Cette phrase a été enseignée pendant des siècles à des milliards de chrétiens. Pendant longtemps celles et ceux qui s’éloignaient de ce chemin, de cette vérité étaient persécutés et souvent tués.
J’étais curieux d’entendre la réponse de Michel Serres, celui qui affirme qu’il n’y a pas qu’une vérité.
Et il m’a à nouveau surpris, en examinant cette phrase sous un tout autre angle :
« Je crois que contrairement à ce que l’on croit, l’important dans cette phrase est le mot chemin.
Nous avons parlé des migrants. Nous sommes tout le temps en voyage. Et c’est le mouvement du voyage qui produit la vérité. Et c’est le mouvement du voyage qui révèle la vie.
Et je crois que le mot chemin est important : Homo viator »
L’être humain est un « Homo viator », un éternel itinérant poussé à quitter son sol natal pour aller toujours plus loin.
« L’homme est en train de voyager, l’homme est toujours en train de bouger.
C’est-à-dire que l’homme n’est pas ! il n’est pas là … Il est toujours en dehors de lui, il est hors là, il va quelque part. Il peut ! Il va quelque part.
Et je n’ai pas fini ma route. Et cette route-là, peu à peu, fera ce qui sera ma vérité si elle existe un jour. Mais ce sera certainement ma vie.
C’est le chemin le plus important »
Dans un autre entretien, Michel Serres disait que vieillir, ce n’était pas une descente comme la décrivait certains mais bien un escalier où on montait, en apprenant chaque jour, en nous enrichissant de nouvelles connaissances et en nous délaissant toujours davantage de ce qui est futile et inutile.
Et si sur notre chemin, nous pouvons faire, de ci de là, un peu de bien, ne nous en privons pas. Cela nous fait tellement de bien.
La semaine prochaine, nous allons prendre un peu de repos avec Annie, pour nous ressourcer. Le prochain mot du jour est prévu le 27 mars 2017.
<860>
Jeudi 16 mars 2017
Tout à la fin de l’entretien (44:00), Emmanuelle Dancourt demande à Michel Serres :
« Pourquoi prenez-vous la nuit étoilée comme le modèle de notre savoir, alors que moi j’étais restée à la caverne de Platon. »
C’est, en effet, dans un ouvrage précédent « Yeux » que Michel Serres a développé cette contre-proposition à la Caverne de Platon
On se rappelle que selon cette allégorie, très importante dans la pensée occidentale, les humains sont enfermés dans une caverne et observent, sur une paroi, des ombres bouger. L’un d’eux s’échappe et découvre la vérité à la lumière du Soleil. Dans cette vision, « la vérité » se trouve en plein jour, le soleil est la vérité et il n’y en a qu’une.
Mais selon Michel Serres :
«La nuit est le modèle de notre savoir, pas le jour »
Alors quand Emmanuelle Dancourt repose sa question :
« Pourquoi vous faites-nous lever les yeux vers la nuit étoilée pour trouver la vérité ? ».
Michel Serres répond :
« Pour deux raisons :
1° Si on prend le soleil et la journée comme modèle de la vérité. Il n’y a qu’une vérité, c’est le soleil. Et ce n’est pas vrai ! Il n’y a pas qu’une vérité !
Il y a des milliards de vérité, et ces milliards de vérité sont représentés par le ciel étoilé, par la totalité des constellations.
2° Et d’autre part si vous prenez la journée et le soleil comme modèle de connaissance, il n’y a pas de non-connaissance. Donc il n’y a pas de progrès, la connaissance vous est donnée d’un coup !
Tandis ce que dans la nuit, tous ces milliards de vérité sont sur un fond noir. Et ce fond noir c’est ce vers quoi je vais, pour essayer de comprendre.
Donc il y a du non savoir qui me promet encore un savoir nouveau.
C’est pourquoi le vrai modèle de la connaissance, c’est vraiment la nuit étoilée et pas le jour.
Le jour s’appelle l’idéologie. Et l’idéologie peut être cruelle, elle peut-être affreuse.
Le fait qu’il y ait qu’une vérité est abominable. Cela s’appelle l’intégrisme !
Et au nom de l’intégrisme, on tue, on massacre ! Alors qu’il y a des milliards de vérité.
On ne comprend pas, on n’estime pas assez l’avantage qu’a eu la religion chrétienne, d’avoir eu à se battre, sans arrêt depuis des siècles contre Galilée, contre Giordano Bruno, contre Darwin.
Et peu à peu elle a dû reculer et a dû s’apercevoir que Oui le soleil est au centre du système solaire, oui il y a des fossiles etc…Elle a dû feuilleter sa vérité. Elle est arrivée à dire : Oui il y a des vérités. […] Il y a un feuilletage de la vérité, c’est-à-dire le ciel étoilé.
Il s’agit d’un progrès gigantesque.
Les religions qui n’ont pas eu à se battre contre la science, n’ont gardé qu’une seule vérité et c’est pour ça qu’elles tuent. »
Régis Debray avait eu ce mot qui m’a beaucoup marqué :
« »Les religions monothéistes ont lié la notion de croyance et la notion de vérité et ça c’est de la dynamite ! »
Vu à l’aune de ces réflexions le passage du polythéisme au monothéisme ne fut pas forcément un progrès pour l’homme !
<859>
Mercredi 15 mars 2017
La technologie , c’est ce qu’un jeune apprend à un vieux. »
Lors de l’émission : Emmanuelle Dancourt a demandé à Michel Serres une citation.
Michel Serres a alors répondu ceci :
« A force d’avoir des relations avec mes étudiants que j’ai beaucoup aimé respectueusement, avec mes enfants, mes petits-enfants, je me suis aperçu de la phrase suivante que je vous livre :
Qu’est-ce la science ?
La science c’est ce qu’un vieux apprend à un jeune
Qu’est-ce que la technologie ?
C’est ce qu’un jeune apprend à un vieux.
Voilà ma citation !
Vous avez remarqué ? c’est tout à fait ça !
Nous sommes aujourd’hui dans une période très intéressante où le couple pédagogique, enseignant-enseigné est en train de se modifier finement par ce que je viens de vous dire.
Quand j’ai besoin d’avoir des éclaircissements sur la mécanique quantique, à laquelle je ne comprends rien, je demande à un vieux scientifique.
Mais quand j’ai un problème avec mon ordinateur j’appelle qui ?
Oh ! J’appelle mon petit-fils. »
Et le petit fils donne la solution au vieux philosophe…
Ce mot du jour est court, je peux donc ajouter une date mémorable : le 15 mars 1917, il y a exactement 100 ans, le tsar de Russie Nicolas II abdique au profit de son frère, le grand-duc Michel. Mais celui-ci décline l’honneur. C’en est fini de la dynastie des Romanov. La Russie devient pour quelques mois une République démocratique. C’est l’aboutissement de la révolution de Février (calendrier russe) qui a commencé le 8 mars (23 février) 1917.
<857>
Mardi 14 mars 2017
Emmanuelle Dancourt a demandé à Michel Serres d’emmener un objet (34:30 de l’interview)
Michel Serres a répondu de manière virtuelle, c’est à dire qu’il n’avait pas un objet sur lui mais il a parlé d’un objet présent dans l’album de Tintin : « L’Oreille cassée » et cet objet est le fétiche arumbaya qui est au centre de cette histoire. Au début de l’aventure le fétiche est dérobé dans le musée ethnographique parce que les voleurs espèrent récupérer un diamant qui est dans la statuette. Au bout de l’histoire, le fétiche tombe sur le pont d’un navire et explose en plusieurs morceaux, le diamant tombe à la mer.
Et à la fin de l’Histoire, le fétiche retrouve son socle dans le musée, mais le fétiche est totalement rafistolé. C’est ce fétiche rafistolé sur lequel Michel Serres va philosopher :
« Quand il reparait sur son socle, il est complétement rafistolé, bricolé, avec des fils de fer, avec du sparadrap, avec des éclisses, avec des plaques etc. et ça ça m’intéresse, cet objet m’intéresse.
Pourquoi ?
Parce que c’est ça l’organisme vivant.
L’organisme vivant, ce n’est pas contrairement à ce qu’on croit, un système harmonieux où tout serait parfaitement en place.
Pas du tout, pas du tout. L’évolution a amené l’œil à tel endroit, a amené le cerveau à tel endroit. Mais il vient d’où l’œil. Il y a des parties qui viennent de très très loin, qui sont très archaïques et d’autres qui sont beaucoup plus récents.
Notre corps est entièrement bricolé, rafistolé.
Le fétiche bricolé, rafistolé, à la fin de l’Histoire, c’est ça notre vie, c’est ça notre vie !
C’est pour ça qu’on devient malade parfois et qu’on meurt. Si nous étions parfait, nous serions éternel…
Le fétiche c’est ça ! Mais c’est plus que ça !
Il y a des gens qui critiquent beaucoup l’Europe, en ce moment. […]
Je repense toujours à mon fétiche, moi…Je pense toujours à cet organisme vivant tel qu’il est en réalité. Et je n’aime pas les systèmes politiques parfaits, bien faits, unitaires etc. Cela me rappelle trop le fascisme, le nazisme, Lénine, Staline etc. Le système parfait c’est ça.
Alors que les systèmes qui sont un peu bricolés, mal faits, qu’il faut rattraper… alors il y a le brexit, est-ce que ça va fonctionner ? On ne sait pas …
J’adore ça, c’est des systèmes humains. C’est des systèmes vivants, des vrais systèmes et qui ne prendront jamais la vie de personne.
Les systèmes unitaires sont des systèmes cruels, qui amènent à la mort, à la destruction.
Alors que les systèmes qui sont comme ça, un peu maladroits…
L’Europe c’est mon corps et mon corps c’est le fétiche rafistolé.
François Jacob disait un jour à côté de moi, à l’Académie française : « Tu sais Michel ce que c’est que le système nerveux ? C’est très simple : c’est un ordinateur porté par une brouette. » Et c’est exactement ça. Il y a des parties qui sont récentes, par exemple le cerveau, et des parties qui sont très archaïques et qu’on peut décrire par des brouettes.
Par conséquent, un ordinateur porté par une brouette, c’est ça le fétiche arumbaya. »
Dans son livre « Hergé mon ami », Michel serres consacre un long chapitre de la page 39 à 56 à l’oreille cassée et à des réflexions sur le fétiche et le fétichisme, qu’il conclut par cette question :
« Qu’est-ce qu’un fétiche, en vérité ? Tous le prennent-ils pour une même chose ou chacun pour autre chose ? ».
Je sais bien que cette réflexion de Michel Serres, surprenante, décalée c’est-à-dire intelligente ne résout pas les problèmes de l’Union européenne.
Mais sa réflexion sur l’aspiration à des systèmes trop parfaits, alors que précisément les corps vivants sont des corps rafistolés, cicatrisés, résilients oriente notre réflexion vers d’autres horizons.
C’est aussi un avertissement pour le vieux gauchiste que je suis qui pourrait avoir la tentation que le système économique et politique soit totalement maîtrisé, régulé, encadré.
C’est probablement une des grandes forces du libéralisme d’être beaucoup plus bricolé, inventé au fur à mesure, stimulé par des initiatives multiples et privées. Il est plus proche d’un organisme vivant.
Ce qui ne signifie pas qu’il ne faut pas le réguler, en corriger les abus. Mais avoir le projet ou l’ambition de créer un système parfait, pensé intellectuellement et conceptuellement est certainement beaucoup plus dangereux qu’exaltant.
<857>
Lundi 13 mars 2017
Hergé, est le pseudonyme de Georges Remi (1907-1983). Il est surtout célèbre parce qu’il a été le créateur de Tintin, une des séries de bandes dessinées européennes qui a eu le plus de succès dans l’histoire de la BD.
C’est le 10 janvier 1929 que paraissait pour la première fois les aventures de Tintin, « Tintin au pays des soviets », dans un journal illustré catholique pour les enfants qui s’appelait le petit vingtième.
L’ensemble de la série compte 23 albums plus un inachevé « Tintin et l’Alph-Art », auquel Hergé a travaillé jusqu’à sa mort en 1983. Le dernier complet « Tintin et les picaros » est paru en 1976.
Dans une archive de l’INA on trouve cet extrait d’Apostrophe où Bernard Pivot interroge Hergé qui, modeste, comme le décrit Michel Serres, explique le parcours de Tintin qui au début est colonialiste et raciste et qui va évoluer, comme le monde européen, au cours de toutes ces années et devenir un personnage de plus en plus humaniste et ouvert au monde.
Michel Serres a rencontré Hergé, le créateur de Tintin tard dans sa vie, il l’appelle dans l’interview d’Emmanuelle Dancourt un « ami de vieillesse », par opposition à la notion plus répandue et plus connue d’ « ami de jeunesse ».
« Les meilleurs amis dit-on, reste de la jeunesse ; mais avez-vous eu des amis de vieillesse ? Quand le mot n’existe pas, doit-on douter de la chose ? » Page 31 du livre <Hergé mon ami>
Hergé était l’ainé de Michel Serres de 23 ans. Michel Serres introduit son ouvrage par ce texte :
« Un grand homme doux, est-ce possible ? Les grands hommes, faux ou vrais, le deviennent le plus souvent par la chamaille, la bataille, l’arrogance, le meurtre fourré, ce sont de grands fauves. Georges Rémi est un grand homme vrai, un grand homme rare, un grand homme doux. Ami délicat, fidèle, attentif, inusable comme les bandes qu’il a dessinées, ami gai, profond, modeste, retiré, le voici depuis si longtemps immortel d’avoir donné son œuvre aux enfants. Les enfants nés depuis avant les années 30 sont les enfants de son sourire et de son charme, vous comme moi et vos neveux comme les miens. Combien de grands hommes avons-nous depuis oubliés ? Tous peut-être, nous n’avons jamais oublié Hergé. […]
Paisible, profond, quotidien, inusable ami. Ai-je connu dans toute ma vie plus grand homme que lui, et plus respectable ? Ami admirable qui m’a aidé à vivre et à penser qui ne m’a jamais cru quand, les larmes aux yeux, j’essayais de lui dire qui vraiment il était. Il riait.
Il riait comme un enfant. Doucement. Il était un homme de bienfait. […]
J’ai plus appris en théorie de la communication dans les bijoux de la Castafiore que dans cent livres théoriques mortels d’ennui et stériles de résultats. J’ai plus appris, je le dirai longuement, sur le fétichisme dans l’Oreille cassée que chez Freud, Marx ou Auguste Comte […].
J’ai plus appris sur quasi objet dans l’affaire Tournesol que partout ailleurs. Je ne me suis pas seulement diverti, j’ai appris. Hergé donne à rire, à penser, à inventer : verbe unique en trois personnes.
Il disait : « je commence mon histoire et je la laisse aller. Elle se développe comme du lierre. » Qui a jamais écrit, cherché, inventé, dans nos métiers de langues, entend là une parole vraie. L’œuvre monte doucement, comme du lierre.
Toute seule. Oui, l’œuvre de génie. »
Dans l’interview d’Emmanuelle Dancourt, le livre « Hergé mon ami » est évoqué à partir de 20:13 et elle dit une chose que je partage : Quand on lit ce livre on ne lit plus Tintin de la même manière. Emmanuelle Dancourt parle de « La portée philosophique des albums de Tintin. »
Et c’est alors que Michel Serres évoque cet échange avec son ami où après lui avoir encore une fois expliqué ce qu’il y avait de génial dans un de ses albums Hergé a répondu :
« Michel, Michel, je ne suis pas aussi intelligent que tu ne le crois ! »
Dans l’interview Emmanuelle Dancourt et Michel Serres évoque « Tintin au Tibet », album dans lequel Tintin va sauver son ami Tchang qui a survécu à un accident d’avion dans le Tibet et qui a été sauvé et secouru par un immense singe appelé « le yéti »
Pour Michel Serres : L’abominable homme des neiges, de Tintin au Tibet est aussi un bon samaritain. Un être, a priori fruste et violent et qui se révèle un personnage plein de bonté qui va aider, secourir et nourrir l’ami de Tintin, Tchang. En réalité le Yéti a toutes les vertus.
La dernière image est déchirante. Le yéti n’a plus d’ami et il est infiniment triste. Par un dessin Hergé arrive à rendre l’immense humanité de ce moment
<856>