Jeudi 31/07/2014
«Vert»
Michel Pastoureau
Histoire d’une couleur
Histoire d’une couleur
Dans notre perception contemporaine le Vert est associé à un mouvement politique l’Ecologie, aux produits Bio plus généralement à la nature.
Pour les habitants de Rhône-Alpes, les « Verts » c’est le club rival de Lyon : l’AS Saint Etienne.
Les historiens dans leur volonté d’explorer jusqu’au plus petit recoin les fondements de nos civilisations s’intéressent à la couleur.
Plus précisément Michel Pastoureau qui a écrit plusieurs ouvrages sur les couleurs, il a commencé par le Noir, puis le Bleu et maintenant le vert.
J’ai découvert ce travail d’Historien à travers une <une émission de France Inter : La marche de l’Histoire qui avait invité Michel Pastoureau>
Et on apprend des choses étonnantes :
Ainsi, en 1789, le vert aurait pu figurer sur les emblèmes de la Révolution et donc l’intégrer notre drapeau. Sauf que les hommes de 89 se sont aperçus que le vert était aussi associé à la maison du comte d’Artois, fieffé réactionnaire et futur Charles X !
Longtemps le vert est une couleur qui se révèle spécialement instable. Les teinturiers, d’ailleurs, ont longtemps eu toutes les peines du monde à le fixer.
Son ascension, longtemps incertaine et contrariée, est manifeste aujourd’hui. Il est bien porté de l’afficher mais comme une idéologie, à la façon du rouge d’autrefois dont on attendait aussi qu’il sauve le monde. Si l’historien laisse de côté le messianisme et qu’il en reste au strict registre des couleurs, il constate cependant que le vert n’est le préféré que d’une personne sur cinq ou six, bien loin derrière le bleu !
Depuis qu’on fait des enquêtes sur les couleurs préférées en Europe occidentale (la fin du XIXème siècle), le classement et la répartition restent très stables :
1/ Le bleu partout en tête dans l’Europe occidentale 45 à 50%
2/ Le vert autour de 15 à 18%
3/ Le rouge
4/ Le noir
5/ Le blanc
6/ Le jaune
Voilà, celles et ceux qui aiment le jaune constituent une élite, je veux dire une toute petite minorité…
Le livre de Michel Pastoureau retrace la longue histoire sociale, artistique et symbolique du vert dans les sociétés européennes, de la Grèce antique jusqu’à nos jours. Il souligne combien cette couleur qui a longtemps été difficile à fabriquer, et plus encore à fixer, n’est pas seulement celle de la végétation, mais aussi et surtout celle du Destin. Chimiquement instable, le vert a symboliquement été associé à tout ce qui était instable: l’enfance, l’amour, la chance, le jeu, le hasard, l’argent. Ce n’est qu’à l’époque romantique qu’il est définitivement devenu la couleur de la nature, puis celle de la santé, de l’hygiène.
Aujourd’hui, c’est plutôt une couleur positive : Ainsi donner le feu vert c’est accepter qu’une action continue. On lui a même confié une mission de taille : sauver la planète ! C’est devenu une idéologie : l’écologie – après le rouge, symbole du communisme.
Mais, pour certains le vert est censé porter malheur. Les comédiens refusent toujours de la porter sur scène. Une vieille superstition : au Moyen Age, le vert-de-gris, pigment utilisé par les peintres, était aussi un poison…
Le vert, c’est la couleur de Satan, du diable, des ennemis de la chrétienté, des êtres étranges : fées, sorcières, lutins, génies des bois et des eaux. Les super-héros et les Martiens, grands et petits hommes verts de la science-fiction, s’inscrivent dans cet héritage culturel, où le vert joue le rôle de l’ailleurs, de l’étrangeté, du fantastique.
Vert = bleu + jaune : Cette combinaison, apprise dès l’école maternelle, s’est révélée très tard. A longtemps persisté un tabou, venu de la Bible, sur les mélanges : on ne fusionne pas deux matières pour en faire une troisième. Il existait surtout un règlement professionnel très strict chez les teinturiers, qui n’avaient l’autorisation de fabriquer que certaines couleurs : les cuves de bleu et de jaune ne se situaient pas au même endroit dans la ville, et personne n’aurait donc eu l’idée de les mélanger.
Il faut attendre la découverte du cercle chromatique par Newton, au XVIIe siècle, pour qu’on situe le vert à mi-chemin entre bleu et jaune. C’est très récent à l’échelle de l’histoire. Le vert n’est donc en rien le mélange des symboles du bleu et du jaune, à la différence du roux, qui a longtemps associé les mauvais aspects du rouge et du jaune : colère, péché, luxure, d’un côté, mensonge, trahison, robe de Judas, de l’autre.
Du point de vue philosophique et anthropologique, la chance et la malchance vont ensemble, la roue de la fortune tourne. Par excellence, le vert est la couleur de l’indécision, le visage du destin ; sa symbolique la plus forte, c’est une partie en train de se jouer : pelouses des terrains de sport, tapis des joueurs de cartes, tables de ping-pong, tapis verts des conseils d’administration où se décide l’avenir d’une entreprise. Le vert incarnait la chance, donc la fortune et l’argent, bien avant l’apparition du dollar : le billet vert…
Au XIXe siècle, avec les deux révolutions industrielles, on sent qu’on manque de verdure : la nature fait son entrée dans la ville. Le mouvement commence en Angleterre à l’époque victorienne : on construit des parcs et des jardins, espaces verts, allées vertes, coulées vertes, etc.
D’anglais, le phénomène devient européen, puis américain. On envoie les gens se mettre au vert à la campagne – voyez encore aujourd’hui, les classes vertes. Il y a un besoin de couleur verte pour les yeux et de chlorophylle pour les poumons.
C’est aussi une couleur associé à l’Islam. C’est d’abord la couleur du prophète et de ses descendants : Mahomet aimait cette couleur, portait au combat un turban et un étendard verts. On évitait de mettre du vert dans les beaux tapis pour ne pas fouler cette couleur sacrée. En terre d’Islam, le vert est très valorisé, toujours positif, jamais pris en mauvaise part ; c’est la couleur fédératrice sur le plan politique et religieux.
Et aussi Néron adorait le vert ; des témoignages vantent sa collection d’émeraudes ; il aime les modes orientales, barbares, donc s’habille de vert, ce qui est extravagant pour un empereur romain. Dans les jeux du cirque, courses de chars, il soutient les curies vertes, alors que les empereurs en général soutiennent les bleues. Ses biographes disent qu’il était un grand amateur de poireaux, la nourriture des plus pauvres…
Maintenant vous pouvez trouver encore plus dans le livre : « Vert. Histoire d’une couleur, de Michel Pastoureau, éd. Seuil, 240 p., 39 €. »
On dit aussi souvent que c’est la couleur de l’espérance. Espérance nécessaire, en ce jour où il y a 100 ans, un Villain assassina Jaurès.