Vendredi 12 mai 2023

« Symphonie n°7 « Leningrad » »
Dimitri Chostakovich

Une nouvelle fois, ce jeudi 11 mai 2023, Annie et moi avons pris le train pour aller à Paris.

Notre destination était ce joyau posé au bord du périphérique, dans la partie sud-est du parc de la Villette, face à la Grande Halle de la Villette, à côté de la Cité de la musique et à proximité de la Porte de Pantin : La Philharmonie de Paris.

Cette œuvre architecturale, attribuée à Jean Nouvel, a été inaugurée le 14 janvier 2015.

Et depuis la 1ère saison 2015/2016, nous avons, avec Florence, souscrit chaque année un abonnement, jusqu’à la période COVID en 2020, pendant laquelle la moitié de nos concerts a été annulée.

Nous n’avons repris notre abonnement que pour 2022/2023 et le concert du jeudi 11 mai était le dernier de la saison.

Je parle de joyau, parce que le geste architectural crée la curiosité et attire le regard.

On a envie de s’en approcher, d’en faire le tour et bien sûr d’y pénétrer.

Cet objet constitue l’antithèse du monde des diamants.

Dans une bijouterie l’écrin accueille le joyau.

Ici, au bord du parc de la Villette, le joyau renferme un écrin qui accueille et magnifie les symphonies de sons que la musique des humains est capable d’ériger.

Cet écrin, cette salle de concert de 2400 places a pour nom : salle Pierre Boulez.

Car c’est le compositeur et chef d’orchestre Pierre Boulez qui voulait et qui plaidait pour que les institutions culturelles créent ce lieu, à Paris.

Pierre Boulez a pu visiter le chantier mais n’a jamais vu le résultat final.

Début 2015, malade, quasi aveugle, le musicien qui vivait à Baden-Baden en Allemagne, n’a pas pu venir à Paris.

Il est mort, un an plus tard le 5 janvier 2016. Alors, il a été décidé d’appeler l’écrin du nom de cet homme.

Mais Boulez aurait-il apprécié le concert que nous avons vécu ce jeudi, car le cœur du programme était constitué par la 7ème symphonie de Chostakovitch, celle qui a pour nom « Léningrad » ?

Or Boulez considérait Chostakovitch comme un compositeur de seconde zone : « un succédané de Mahler ». Et il avait précisé sa pensée dans un quotidien britannique :

« C’est comme pour les huiles d’olive : il y a les premières pressions et les autres. Je dirais que Chostakovitch est une deuxième ou troisième pression de Mahler. »

J’ai entendu récemment Daniel Barenboïm qui, dans des termes plus mesurés que son grand ami Boulez,  jugeait Chostakovitch avec la même sévérité.

Christian Merlin a consacré, la semaine du 15 mai 2023, 4 émissions à la musique orchestrale de Chostakovitch. Dans une de ses émissions il a cité Herbert von Karajan qui a dit :

« Si j’étais compositeur, je composerais comme Dimitri Chostakovitch »

Pour ma part, je suis résolument d’accord avec Karajan. J’avais déjà fait remarquer que Boulez disait beaucoup de bêtises sur les autres compositeurs. Dans ma série sur Schubert  je l’avais cité dans cette phrase indéfendable :

« Si Schubert a écrit une seule note de musique, cela veut dire que je n’ai rien composé du tout. »

Ma conclusion fut :

« Si on prend cette phrase au premier degré, je pense que c’est la deuxième proposition qui est la plus vraisemblable. »

Nous avons donc eu la grâce d’entendre cette symphonie qui a pour nom « Léningrad ». Le compositeur Dimitri Chostakovitch (1906–1975) a terminé cette symphonie le 27 décembre 1941 et l’a dédiée à sa ville natale, attaquée depuis seize semaines. Léningrad est assiégée pendant 900 jours par l’Allemagne nazie, et environ un tiers de la population urbaine d’avant-guerre est tuée.

Le journal canadien « Le Devoir » écrit dans un article de 2018 : < La «Leningrad» de Chostakovitch: une symphonie pour l’humanité> :

« Bien des épisodes liés à la symphonie « Leningrad » sont épiques. Lorsque Chostakovitch joua au piano les trois premiers mouvements à des amis le 17 septembre 1941, le siège de la ville venait de commencer. L’un des participants raconte le hurlement des sirènes, Chostakovitch évacuant sa femme et ses deux enfants à l’abri et continuant de jouer au piano dans le vacarme de la défense antiaérienne. « Pour finir, il rejoua l’ensemble […]. En rentrant, nous aperçûmes du tramway les lueurs de l’incendie […]. Encore sous le coup du noble pathos de cette symphonie, nous ressentions avec une acuité toute particulière l’absurdité de ce qui nous entourait. »

« Wikipedia » a consacré un article à la « Création à Léningrad de la symphonie no 7 de Chostakovitch ». C’est une page d’Histoire absolument incroyable et unique, il me semble que tout homme de culture et d’Histoire, même celles et ceux qui ont des difficultés avec la musique classique devrait lire cette page d’Histoire que j’essaie de résumer. :

Chostakovitch prévoyait que la création de la symphonie reviendrait à la Philharmonie de Léningrad, mais l’ensemble est évacué. La première mondiale est donnée à Kouïbychev aujourd’hui Samara, le 5 mars 1942.

Puis la symphonie sera jouée le 29 mars à Moscou.

La partition de la symphonie sera microfilmée pour s’envoler pour Téhéran en avril, afin de permettre sa publication à l’Ouest. Elle est créée à Londres, le 22 juin par le London Philharmonic Orchestra. Et puis la première américaine aura lieu, le 19 juillet 1942, par le plus illustre chef d’orchestre vivant Arturo Toscanini dirigeant son Orchestre symphonique de la NBC.

Mais l’État soviétique parviendra finalement à faire jouer cette symphonie dans la ville de Léningrad assiégée dans la grande salle de la Philharmonie le 9 août 1942, jouée par le seul ensemble symphonique restant à Léningrad, après l’évacuation de la Philharmonie : L’Orchestre symphonique de la Radio de Léningrad — avec son chef Carl Eliasberg.

Après bien des péripéties et une préparation d’une dureté dans les conditions de vie, la faim est omniprésente, dans le danger des combats et des bombardements, dans une discipline de fer imposée par le chef d’orchestre, le concert peut avoir lieu.

« Le concert est donné dans la grande salle de la Philharmonie le 9 août 1942. C’est le jour désigné par Hitler pour célébrer la chute de la ville, avec un somptueux banquet à l’Hôtel Astoria de Léningrad. […]

Le Lieutenant-Général Govorov commande un bombardement des positions de l’artillerie allemande avant le concert, dans une opération spéciale, avec le nom de code « Bourrasque ». Les agents du renseignement soviétique avaient localisé les batteries allemandes et les postes d’observation depuis plusieurs semaines, en préparation de l’attaque. Trois mille obus de fort calibre sont lancés sur l’ennemi. Le but de l’opération est d’empêcher les Allemands de cibler la salle de concert et de s’assurer qu’ils seraient assez silencieux pour laisser entendre la musique sur les haut-parleurs, dont la mise en place avait été ordonnée. Il a aussi encouragé les soldats soviétiques à écouter le concert à la radio. […]

Un public important se rassemble pour le concert, composé de chefs du Parti, de militaires et de civils. Les citoyens de Léningrad, qui ne peuvent pas tous tenir dans la salle, sont rassemblés autour des fenêtres ouvertes et de haut-parleurs. […] L’exécution est de mauvaise qualité artistique, mais est marquée par les houles d’émotions du public, […]

Le concert reçoit une ovation d’une heure, debout, Eliasberg recevant un bouquet de fleurs cultivées à Léningrad remis par une jeune fille. De nombreux auditeurs sont en larmes, en raison de l’impact émotionnel du concert, considéré comme une « biographie musicale des souffrances de Léningrad » […] Pendant le concert, les haut-parleurs diffusent la musique à travers la ville, ainsi qu’à destination des forces allemandes dans un mouvement de guerre psychologique, une « frappe tactique contre le moral des allemands ». Un soldat allemand s’est rappelé que son escadron a « écouté la symphonie des héros ». Eliasberg, quelque temps après, raconte que certains Allemands qui campaient à l’extérieur de Léningrad pendant le concert lui ont dit qu’ils avaient cru qu’ils ne pourraient jamais s’emparer de la ville : « Qui sommes-nous avec nos bombes ? Nous ne serons jamais en mesure de prendre Léningrad. » »

Œuvre d’une puissance et d’une émotion incommensurable, les motivations de Chostakovitch sont ambigües et secrètes.

Chostakovitch déclare à la Pravda le 19 mars 1942, à trois jours de la création moscovite :

« J’ai songé à la grandeur de notre peuple, à son héroïsme, aux merveilleuses idées humanistes, aux valeurs humaines, à notre nature superbe, à l’humanité, à la beauté. […] Je dédie ma Septième Symphonie à notre combat contre le fascisme, à notre victoire inéluctable sur l’ennemi et à Leningrad, ma ville natale ».

Très vite, Staline et les Soviétiques en font un instrument de propagande, l’un des symboles de la « Grande Guerre patriotique ». Il faut dire que les sous-titres prévus par Chostakovitch pour chacun des quatre mouvements allaient dans ce sens : « La guerre », « Souvenirs », « Les grands espaces de ma patrie » et « La victoire ».

Par la suite, il retirera ces titres et dans ses Mémoires Chostakovitch amendera ses propos :

« Je ne suis pas opposé à ce [qu’on l’appelle] Leningrad. Mais il n’y est pas question du siège de Leningrad. Il y est question du Leningrad que Staline a détruit. Et Hitler n’a plus eu qu’à l’achever. »

Pour que cette œuvre puisse nous remplir de vibrations, d’énergie et d’émotion, il faut une interprétation superlative.

Ce fut le cas ce jeudi 11 mai par un Orchestre de Paris transcendé par son jeune chef de 27 ans Klaus Mäkelä.


J’avais déjà parlé de ce jeune chef lors du <mot du jour du 16 mai 2019> déjà à l’occasion d’une symphonie de Chostakovitch : la dixième. Je ne le connaissais pas alors, ni mon Ami Bertrand G. Mais à la fin du concert je lui avais envoyé un sms :

« Tu en entendras parler c’est un chef exceptionnel. Surtout à son âge »

Depuis il a été nommé directeur musical de l’Orchestre de Paris et peu de temps après, futur directeur musical d’un des quatre plus grands orchestres du monde : l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam.

J’ai l’immodestie de prétendre que je n’ai pas besoin de lire l’avis des critiques musicaux pour savoir que j’ai assisté à un concert immense, exceptionnel, un moment d’éternité.

Mais je peux quand même les citer quand ils expriment avec pertinence ce que j’ai ressenti :

Ainsi Remy Louis dans « Diapason Mag » : <le Chostakovitch monumental de Klaus Mäkelä>

« Le résultat est une interprétation monumentale de la Symphonie « Leningrad ». Monumentale par l’autorité, la force, l’intensité physique et sonore (littéralement terrifiante dans certains apogées), l’échelle dynamique vertigineuse, le contrôle des phrasés, la tenue et la cohérence expressive, sans un instant de baisse de tension, ni de trivialité sonore. Mais aussi par la finesse et la clarté magistrale de la structure, le raffinement des nuances et des transitions. […]

Mais ce qui confirme que Mäkelä est un grand directeur musical, et pas seulement un très grand chef, c’est le niveau d’exécution de l’Orchestre de Paris, depuis des mois dans une forme éblouissante. Bois, cuivres et percussions sont admirables, on le sait. Mais jamais l’unité et l’homogénéité de texture des pupitres de cordes […] n’ont été aussi élevées. »

Patrice Imbaud dans « Resmusica »

« Véritable maelström orchestral cataclysmique engageant tout l’orchestre, superbement construit, riche en nuances, porté par une tension intense presque douloureuse qui achève en beauté cette exceptionnelle interprétation. »

Hannah Starman sur le site « Toute la Culture » : « Une Septième de Chostakovitch terrifiante d’actualité à la Philharmonie de Paris » :

« Klaus Mäkelä évoque l’aspect historique “absolument terrifiant” de la Symphonie N° 7 dont l’exécution demande une intense concentration et un investissement émotionnel hors norme. […] La conclusion est massive, expressive, fabuleusement cauchemardesque et interprétée par un chef et un orchestre qui ont tout donné. Le public éprouvé remerciera les musiciens épuisés avec une ovation debout plus que méritée. Une performance exceptionnelle !  »

Et l’analyse que je préfère celle d’Alain Lompech sur le site « BACHTRACK »

« Ce soir, l’ovation extraordinaire qui accueille le dernier accord ne doit rien au poids de l’histoire et tout à la puissance créatrice de Chostakovitch, qui provoque l’une de ces émotions collectives que seule la musique peut entraîner. La façon dont les musiciens de l’Orchestre de Paris et leur chef recréent cette Symphonie n° 7 donne à l’ouvrage un visage différent, pas moins intense mais comme résigné parfois, baigné par une lumière crépusculaire étreignante. D’une mobilité expressive incessante, tout entier dans son orchestre bien plus qu’il n’est devant lui et au-dessus de lui, le chef pulvérise les idées reçues : sa compréhension de la forme du propos, sa façon de diriger tout en laissant les musiciens libres de jouer, sa maîtrise du temps, de l’articulation, de la balance orchestrale, de l’art des transitions et de la dynamique, le naturel avec lequel il parvient à ordonner, sans qu’il y paraisse, le premier mouvement et plus encore cette heure et quart de musique fleuve, cinématographique jusque dans sa modulation et son crescendo conclusifs « babyloniens », dont il soulève cette œuvre gigantesque, parfois intime et implorante, jamais triviale ainsi dirigée et jouée font prendre conscience que cette musique issue du cœur retourne au cœur indépendamment de tout scénario, de toute image quand un chef l’aime pour ce qu’elle est. »

Analyse qui finit par cette belle conclusion en forme de prière :

« Et l’Orchestre de Paris à chaque note semble dire à son chef : « reste avec nous Klaus, on joue mieux ici qu’à Amsterdam »…

A la fin du concert, un tout jeune homme assis à côté de nous, rempli d’émotion nous regarde et nous révèle : « Je n’ai jamais vécu quelque chose d’aussi puissant, cela n’a rien à voir avec le disque ».

Sur la route vers la sortie un homme plus âgé m’approuve quand je dis que « l’Orchestre de Paris vit son âge d’or ».

Je crois que ce serait très regrettable que les parisiens qui aiment la musique ou d’autres qui peuvent se rendre à la Philharmonie, négligent l’opportunité de participer à quelques moments de cet âge d’or.

<1748>

Mardi 9 mai 2023

« Excusez-moi ; Mais des gens aussi frivoles, aussi peu pratiques, aussi étranges que vous, je n’en ai jamais rencontré. !»
Anton Tchekhov, La cerisaie Acte II, réplique de Lopakhine dans la traduction de Jean-Claude Carrière

Dimanche 7 mai, nous avons honoré un des cadeaux que mes collègues m’ont offert, lors de mon départ à la retraite : deux places pour le théâtre des Célestins.

Nous avions choisi le dernier chef d’œuvre écrit par Anton Tchekhov : « La cerisaie »

La pièce était jouée par le Collectif flamand : <tg Stan>

Comme l’écrit « TELERAMA » : « tg Stan offre une lecture ultra-vivante de la grande pièce de Tchekhov » et ajoute :

« Entre loufoquerie, danse cathartique et montagnes russes émotionnelles, le fameux collectif d’Anvers plonge avec fougue dans le grand bain de l’œuvre ultime du grand dramaturge russe. »

Et il est vrai que ces artistes tentent de tirer le plus possible cette œuvre vers son côté de comédie pour respecter la volonté de son auteur qui avait écrit à son épouse Olga Knipper, dans une lettre du 7 mars 1901 :

« La prochaine pièce que j’écrirai sera sûrement drôle, très drôle, du moins dans l’approche. »

<Wikipedia> écrit :

« À l’origine, Tchekhov avait écrit cette pièce comme une comédie, comme l’indique le titre dans l’édition Marx de 1904, et même grotesque, comme l’auteur l’indique dans certaines lettres. Aussi, quand il assista à la première mise en scène de Constantin Stanislavski au Théâtre d’art de Moscou, il fut horrifié de découvrir que le metteur en scène en avait fait une tragédie. Depuis ce jour, la nature nuancée de la pièce, et de l’œuvre de Tchekhov en général, est un défi pour les metteurs en scène. »

Ainsi, il existe, sur internet, la version que Peter Brook, dans l’adaptation de Jean-Claude Carrière, avait mis en scène au Théâtre des Bouffes du Nord, en 1981. Dans cette version, c’est le drame qui l’emporte.

L’accent flamand de beaucoup des acteurs donne un aspect encore plus léger à cette interprétation très dynamique.

Beaucoup de sites évoquent, à raison, cette interprétation qui tentent d’appuyer sur le côté comique de certaines parties et que tg Stan a joué sur plusieurs scènes avant de venir au Théâtre des Célestins :

« Le tg STAN revisite l’âme russe avec une Cerisaie à ciel ouvert »

« La Cerisaie : les Flamands du TG STAN tout en fougue aux Célestins »

Mon ressenti reste cependant que Tchekhov n’est pas pleinement parvenu à remplir son objectif d’écrire une comédie, son art l’a poussé vers le drame, la difficulté de communiquer, de se dire les choses et de les comprendre.

La pièce est d’une richesse inouïe dans l’étude des relations entre les différents protagonistes.

Paul Desveaux qui a mis en scène « La Cerisaie » au Théâtre de l’Athénée (Louis-Jouvet) pense qu’on peut tirer la pièce jusqu’au frontière de la psychanalyse.

Je ressens cette pièce comme un drame qui me parait, en outre, très inspirant pour notre situation moderne.

La trame de cette pièce tient dans le fait qu’une magnifique demeure dont le joyau est une cerisaie, inscrite dans les livres d’Histoire, appartient à une famille noble russe endettée à un tel point que leur domaine hypothéqué va être vendu aux enchères pour éponger les dettes.

Au début de la pièce il reste un peu de temps avant cette échéance. La figure centrale de cette famille noble est une femme : Lioubov qui a passé 5 ans à l’étranger, en France, suite à la perte de son mari puis de la noyade de son fils de 7 ans. Ces éléments de contexte n’encouragent pas la tendance comique.

Face à cette femme, son frère, ses enfants, ses serviteurs se dresse un homme, Lopakhine, enfant et petit enfant de serfs, c’est-à-dire d’esclaves qui étaient au service de cette famille.

Mais le Tsar Alexandre II avait aboli le servage en 1861. Et des esprits conquérants, doués pour les affaires, comme Lopakhine ont pu devenir riche, immensément riche pour sa part.

Cette évolution de l’organisation sociale a eu pour autre conséquence que plusieurs aristocrates, comme Lioubov, se sont appauvris, devenant incapables d’entretenir leurs domaines sans leurs serfs. L’effet de cette réforme était encore ancré quand Tchekhov écrit sa pièce

A la fin, le domaine sera vendu et c’est Lopakine qui va l’acheter.

Mais Tchekhov présente cette situation avec d’infinie nuance et de complexité dans la relation humaine.

Car avant cette fin qui va priver Lioubov et sa famille du domaine de leurs ancêtres et de leurs racines, Lopakhine va passer son temps à avertir Lioubov de l’urgence de la situation et lui propose une solution pour laquelle il propose son aide financière et qui permettrait de ne pas vendre tout en réglant les dettes : pour cela il faudrait abattre la cerisaie et utiliser le terrain pour créer un lotissement de maisons à louer.

Lopakhine exprime, en effet, une grande affection pour Lioubov qu’il explique dans la première scène de la pièce :

« C’est une excellente femme, simple, agréable à vivre… Je me rappelle, quand j’étais un blanc-bec de quinze ans, mon défunt père, qui tenait une boutique dans le village, me flanqua un coup de poing dans la figure, et mon nez se mit à saigner. Nous étions venus ici je ne sais pourquoi, et mon père était un peu ivre. Lioubov Andréïevna, toute jeune encore, toute mince, me mena à ce lavabo, dans cette chambre des enfants, et me dit : « Ne pleure pas, mon petit moujik ; avant ton mariage il n’y paraîtra plus. » (Un temps.) Mon petit moujik ! C’est vrai que mon père était un paysan, et moi je porte des gilets blancs et des souliers jaunes !  »

Et dans la scène 2, il introduit sa proposition de solution par cette déclaration à Lioubov :

« Tenez, Lioubov Andréïevna, votre frère Léonid Andréïevitch dit que je suis un manant, un accapareur ; mais ça m’est entièrement égal. Je voudrais seulement que vous ayez confiance en moi comme autrefois, que vos yeux extraordinaires, émouvants, me regardent comme jadis. Dieu miséricordieux ! Mon père était serf de votre grand-père et de votre père ; mais vous avez tant fait pour moi que j’ai oublié tout cela ; je vous aime comme quelqu’un de proche, plus que proche… »

Mais tout au long des actes 1 et 2, sa proposition se heurte à un mur d’incompréhension. Jamais Lioubov ne dit Non. Mais elle comme son frère changent de sujet, parle de détails insignifiants qui n’ont aucun rapport avec son problème central : régler les dettes et conserver la Cerisaie.

A l’acte 2 Lopakhine perd patience :

« LOPAKHINE. – Il faut en finir. Le temps presse. La question est toute simple. Consentez-vous à vendre votre terre par lots, oui ou non ? Ne répondez qu’un seul mot. Un seul ! »

Lioubov enchaine alors :

« Qui a pu fumer ici de détestables cigares ?. »

Il réplique alors par une phrase qui selon moi éclaire la situation :

« Excusez-moi ; Mais des gens aussi frivoles, aussi peu pratiques, aussi étranges que vous, je n’en ai jamais rencontré.

On vous dit clairement : votre bien va se vendre, et c’est comme si vous ne compreniez pas… »

Loubiov – Que devons-nous donc faire ? Dites-le.

LOPAKHINE. – Je ne fais que cela chaque jour. Chaque jour, je répète la même chose. Il faut louer la cerisaie et toute votre propriété comme terrain à villas, et cela tout de suite, au plus tôt. La vente est imminente. Entendez-le. Dès que vous aurez décidé de faire ce que je vous dis, vous aurez autant d’argent que vous voudrez, et vous serez sauvés. »

Lioubov évite à nouveau la question et Lopakhine explose :

« Je vais pleurer, je vais crier ou je vais m’évanouir ; je n’en puis plus ! Vous m’avez mis à bout !  »

L’acte III montrera la Cerisaie vendue. C’est Lopakhine qui a surenchéri sur tous les autres acheteurs. La famille de Lioubov doit partir. Les cerisiers sont abattus et le plan de Lopakhine va se réaliser mais à son seul profit.

Je perçois dans cette formidable œuvre deux éclairages d’aujourd’hui.

Ces familles aristocrates pouvaient entretenir leur domaine parce qu’ils disposaient de main d’œuvre gratuite, d’esclaves qu’il fallait juste nourrir suffisamment pour qu’ils soient capables d’obéir aux ordres de leurs maîtres. Sans ces esclaves, la continuation de leur vie d’avant les entraînait dans l’accumulation de dettes.

Nous devrions reconnaître que notre confort, notre capacité inexpugnable de consommation occidentale n’est ou n’a été possible que parce que quelque part dans le monde, des humains des enfants travaillent quasi gratuitement pour nous permettre d’acheter des biens que nous pouvons payer.

Il y a quelques jours, nous commémorions les dix ans du drame de l’usine textile du Bengladesh, (l’immeuble de neuf étages qui s’était effondré près de Dacca le 24 avril 2013, et qui avait fait 1 127 morts. Cette usine produisait des tonnes de vêtements vendus dans les magasins occidentaux. J’avais évoqué ce drame par cette question posée par Michel Wieviorka et Anthony Mahé

« Sommes-nous capables de regarder en face (la vie de) ceux qui nous permettent de consommer comme nous le faisons ? »

Le second éclairage de nos temps présents est constitué par ces avertissements, comme ceux que Lopakhine exprime tout au long de « la Cerisaie », qui nous informent que notre vie quotidienne va être affectée de manière extrême par le réchauffement climatique, par la chute de la biodiversité, par la diminution des ressources en matière première et nous ne faisons rien ou si peu.

Nous considérons normal que lorsqu’on tourne le robinet, l’eau coule. Nous n’avons pas l’assurance qu’il en sera toujours ainsi.

Quand nous appuyons sur un bouton électrique, la lumière jaillit ou les appareils qui nous facilitent si grandement la vie se mettent à fonctionner. Pourrons nous disposer de toute l’électricité dont nous estimons avoir besoin pour notre confort ?

Vendredi 5 mai, nous avons appris que le Conseil national de la transition écologique, qui regroupe des élus et représentants de la société civile, prévoyait que la France risquait de vivre avec un réchauffement climatique allant jusqu’à quatre degrés de plus d’ici la fin du siècle. Le gouvernement considère cette prédiction comme plausible.

Cette perspective constitue un bouleversement de notre espace de vie assez proche de la perte de contrôle.

Ce sont ces pensées que le chef d’œuvre de Tchékhov a suscité en moi.

<1747>

Jeudi 27 avril 2023

« Cette résistance à la cruauté du monde, qu’offre la passion aux êtres qu’elle habite. !»
Jean-Guy Soumy

Qu’est-ce qu’un bon livre ?

Probablement que chacun possède sa propre réponse.

Pour moi, c’est un livre qui lorsque j’y entre je n’arrive à en sortir qu’une fois la dernière page atteinte. Il n’est pas possible de s’arrêter avant.

Ce fut le cas pour « Le Silence » de Jean-Guy Soumy, commencé en début d’après-midi, je ne l’ai lâché qu’en début de soirée lorsque je l’avais terminé.

Je ne connaissais pas Jean-Guy Soumy avant que Sophie m’en parle. Elle a marqué tant d’enthousiasme pour cet auteur, que j’ai voulu tenter l’aventure.

Je suis allé dans une des bibliothèques de Lyon qui devait détenir 3 de ses livres. Quand je suis arrivé, deux étaient prêtés, il restait « Le silence », alors je l’ai emprunté.

Jean-Guy Soumy est né le 1er juin 1952 à Guéret dans la Creuse, département dans lequel il habite toujours.

Après ses études, il est devenu professeur de mathématiques.

Sa page Wikipédia nous apprend qu’il est coauteur d’ouvrages de mathématiques parus dans la collection « Vivre les mathématiques » chez l’éditeur Armand Colin.

Mais son grand dessein est d’écrire des romans.

Il fait partie de la « Nouvelle école de Brive » dans laquelle se trouvait aussi Claude Michelet, l’auteur de « Des grives aux loups. » et qui est décédé le 26 mai 2022.

Claude Michelet avait fait auparavant partie de « L’école de Brive » qu’on avait décrit comme un mouvement régionaliste. Ce que Michelet nuançait dans cet article d’« Ouest France » de juillet 2013 :

« Ce n’est pas que ça. Dans nos œuvres, on est allé bien au-delà des terroirs de France. Yves Viollier a écrit des romans qui se déroulent en Russie, moi, j’ai écrit une saga qui se déroule en grande partie au Chili. Ce serait trop réducteur. »

En revanche, il expliquait que ce n’est pas du tout le cas de « la Nouvelle Ecole de Brive » :

« Là, c’est plus informel. Nous sommes quatre, Gilbert Bordes, moi-même, Jean-Guy Soumy et Yves Viollier, qui prenons plaisir à nous voir et nous entraider. Nous n’hésitons pas à nous refiler des tuyaux sur tel ou tel thème qu’un de nous travaille. On dit toujours que les écrivains se détestent. Vous voyez que ce n’est pas vrai ! On a plaisir à se retrouver et à parler littérature ensemble, comme un groupe d’amis. »

Concernant le livre « Le Silence » son action se déroule en grande partie à Chicago où Alexandre Leroy est un mathématicien célèbre, chercheur et professeur universitaire ayant obtenu la Médaille Fields qu’on appelle « Le Nobel » des mathématiciens. La fin du roman ramènera l’action en France, car c’est le pays d’origine d’Alexandre Leroy.

Le roman commence par le désarroi de Jessica son épouse qui est professeur de littérature à l’Université et à qui on vient d’apprendre que son mari Alexandre vient de se suicider dans un motel alors qu’elle pensait qu’il était allé dans leur maison secondaire pour aller travailler, comme il le faisait régulièrement et comme il le lui avait dit avant de partir.

Pourquoi s’est-il suicidé ?

Voici la question. Il n’a pas laissé de lettre.

Jessica qui est le personnage central de ce livre, ne comprend pas.

Tout ce livre est constitué par ses découvertes d’abord fortuites puis conséquence de ses recherches et de sa quête pour essayer de comprendre le geste de l’homme de sa vie.

C’est vraiment remarquable. L’histoire est très forte et l’écriture très fluide avec des fulgurances qui saisissent.

Lors de l’enterrement, Soumy délivre cette description qui s’achève par une conclusion que j’ai utilisée comme exergue

« Des silhouettes s’approchent. Des hommes défilent devant elle. Tous collègues ou étudiants d’Alexandre. Qui rendent hommage à leur maître sans que Jessica puisse deviner si le souvenir laissé par son mari leur est agréable ou pénible. Ils ont en commun quelque chose d’insaisissable qui la renvoie au défunt. Une légèreté d’artiste enfouie sous le simulacre de la gravité. Cette résistance à la cruauté du monde, qu’offre la passion aux êtres qu’elle habite »
Page 16

La passion emporte tout et permet aussi de résister à la cruauté du monde.

Et il est possible d’être passionné par les mathématiques, cette passion qui a mené certains vers la folie.

« Le Point » a posé cette question dans un article de 2018 : « Les mathématiques rendent-elles fou ? »

L’article ne répond pas à cette question, mais cite plusieurs mathématiciens : Kurt Gödel, Georg Cantor, John Nash, Grigori Perelman qui chacun à leur manière avaient perdu le sens des réalités et des relations équilibrées avec les autres humains.

Il cite aussi le cas plus connu par un plus large public de Alexandre Grothendieck :

« En 1966, il reçoit lui aussi la médaille Fields pour avoir refondé la géométrie algébrique… et la refuse  ! Il s’installe dans un village de l’Hérault au sein d’une communauté adepte de la contre-culture. Il devient un chantre de l’écologie. Puis il se retire en Ariège pour vivre tel un ermite, refusant tout contact avec ses anciens amis. Il meurt en 2014, laissant des milliers de pages couvertes de notes. »

Jean-Guy Soumy cite d’ailleurs Grothendieck au début de son ouvrage :

« Ces deux passions, celle qui anime le mathématicien au travail, disons, et celle en l’amante ou en l’amant, sont bien plus proches qu’on ne le soupçonne généralement ou qu’on est disposé à l’admettre. »
Alexandre Grothendieck « Récolte et Semailles »

Mais que celles et ceux pour qui les mathématiques n’ont jamais été une passion mais plutôt une souffrance, se rassurent il n’y pas de mathématiques dans cet ouvrage. C’est simplement un élément de contexte.

L’histoire se déroule à travers le regard de Jessica qui est professeur de littérature et qui doit faire face à ce qu’elle vit comme une trahison. Elle doitt aussi être le roc sur lequel peuvent s’appuyer les deux fils qu’elle a eu avec Alexandre. Le premier a suivi la même carrière que son père, tout en n’en possédant pas le génie, il se sent fragilisé par cet acte incompréhensible. Mais la situation est encore plus compliquée pour le second qui souffre d’autisme.

Soumy met cette phrase dans la bouche de Jessica :

« Et je veillerai sur mon enfant, je le consolerai, je boirai ses larmes, je sécherai ses peines. Une mère est là pour ça »
Page 176

Ce livre, en outre, ouvre vers un auteur étonnant au destin tragique : Armand Robin. Jessica est la spécialiste de cet auteur qu’elle a étudié intensément et dont les écrits auront un rôle à jouer dans l’intrigue.

J’ai voulu en savoir un peu plus sur cet auteur.

Armand Robin est né en 1912 à Plouguernével, en Bretagne et il est mort le 29 mars 1961.

C’est à la fois un écrivain, un traducteur, un journaliste, un critique littéraire et un homme de radio.

Il semble qu’il existe de nombreuses controverses à son sujet. Mais ce qui parait époustouflant c’est sa capacité d’apprendre des langues.

Je cite Wikipedia :

« il entreprend en 1932 l’étude du russe et du polonais, en 1933 de l’allemand, en 1934 de l’italien, en 1937 de l’hébreu, de l’arabe et de l’espagnol, en 1941 du chinois, en 1942, de l’arabe littéral, en 1943 du finnois, du hongrois et du japonais  […]

Écrivain inclassable, libertaire, poète, il traduit en français, depuis une vingtaine de langues, une centaine d’auteurs dont Goethe, Achim von Arnim, Gottfried Benn, Max Ernst, Lope de Vega, José Bergamín, Vladimir Maïakovski, Boris Pasternak, Sergueï Essénine, Alexandre Blok…. »

En 1933, il voyage en URSS. Il en revient anticommuniste.

Et en 1945, il adhère à la Fédération anarchiste et contribue de cette date à 1955 au journal Le Libertaire.

Sa fin tragique nous révèle qu’en 1961 aussi, il était légitime de s’interroger sur la possibilité de violences policières :

Arrêté le 28 mars 1961 après une altercation dans un café, il est conduit au commissariat du quartier et y est « passé à tabac » par les policiers. Transféré à l’infirmerie spéciale du dépôt de la Préfecture de police de Paris, il y meurt seul le lendemain dans des conditions qui n’ont jamais été éclaircies.

Françoise Morvan qui semble une spécialiste de cet auteur a écrit « Armand Robin ou le mythe du poète »

La même écrit sur son blog une page dans laquelle elle entend démonter des contrevérités et falsifications sur « Armand Robin »   

En 2011, France Culture lui a réservé une émission : <Armand Robin bouge encore>

En conclusion, un livre palpitant et l’ouverture vers un autre auteur aussi étrange que fascinant.

<1746>

Vendredi 21 avril 2023

« Une librairie qui meurt, ce n’est pas une page qui se tourne, c’est un livre qui se ferme, à jamais !»
Henri Loevenbruck

C’est en me promenant, à Lyon entre la basilique d’Ainay et la Place Bellecour, que j’ai vu l’annonce :

« Fermeture de la Librairie »

C’était une librairie particulière.

Elle avait pour adresse  : 14 Rue du Plat.

Elle avait pour nom : « Raconte-moi la terre »

Librairie du voyage, des cultures du monde et aussi de la transition écologique, c‘était une librairie-café, car on pouvait aussi y aller déguster un café.

Elle disposait même d’une salle de conférence en sous-sol.

Annie l’avait découverte et  y avait organisé, plusieurs fois, des réunions et des rencontres de travail.

Car le lieu était accueillant.

La Grande Librairie l’avait visité et il en reste <une vidéo>.

La Période après Covid a été trop compliquée, l’équilibre financier ne permettait pas de continuer

C’est triste, une librairie qui ferme.

Dans mon monde idéal il y a beaucoup de librairies et il n’y a pas Amazon.

Du moins pas Amazon comme il fonctionne actuellement

Il pourrait peut-être se justifier si son unique objet était de livrer tous les livres du monde à des Librairies avec à l’intérieur des humains, cultivés qui aiment les livres, c’est-à-dire des libraires. Ces libraires qui font partager à celles et ceux qui viennent dans leur magasin le goût de lire et les aide à choisir.

J’avais écrit une série de mots sur Amazon, elle avait débuté le 24 juin 2021 « Amazon nous veut-il du bien ? »

En France, selon <le syndicat de la Librairie> il existe 3.500 librairies indépendantes.

C’est beaucoup plus qu’aux États-Unis. D’après <cette publication> de 2019, sur tout le territoire des États-Unis il existe moins de 2 300 librairies indépendantes.

Dans mon monde idéal, il n’y aurait pas Amazon.

Mais je suis un réaliste, dans notre monde Amazon existe.

Fallait-il pour autant que notre Président, en pleine période de manifestations sur les retraites, décore le fondateur Jeff Bezos ?

Plusieurs journaux nous ont relaté cette incongruité :

Mais il semble que ce soit « Le Point » qui a dégainé le premier : <Les indiscrets – Macron décore Bezos en secret> :

« Cérémonie fastueuse mais confidentielle, jeudi 16 février en fin d’après-midi au palais de l’Élysée : Emmanuel Macron a remis les insignes de la Légion d’honneur à l’Américain Jeff Bezos, 4e fortune mondiale (111,3 milliards de dollars fin 2022), de passage à Paris.
L’événement, prévu depuis plusieurs semaines, ne figurait pas à l’agenda officiel et n’a été suivi d’aucun communiqué.
L’Élysée avait-il peur d’un fâcheux télescopage le jour où des milliers de manifestants défilaient contre la réforme des retraites ?
Seuls quelques invités triés sur le volet ont assisté à la réception.
Beau joueur, le fondateur d’Amazon avait convié le patron de LVMH, Bernard Arnault, qui le devance désormais (1er, selon Forbes, avec 184,7 milliards de dollars). »

La Légion d’honneur naît le 19 mai 1802 par la volonté du Premier consul, Napoléon Bonaparte.

Elle visait à l’époque à récompenser les citoyens français. D’abord pour saluer la bravoure ou la stratégie militaire, mais aussi pour gratifier des civils en raison de leur mérite au profit de la patrie.

Le site de <l’Ordre de la Légion d’Honneur> explique que :

« Les légionnaires œuvrent au bénéfice de la société et non dans leur intérêt exclusif. Les décorés, dans toute la diversité de leurs activités, contribuent au développement de la France, à son rayonnement, à sa défense. »

Il est donc légitime de se poser les questions suivantes :

  • Jeff Bezos œuvre t’il au bénéfice de la société ou dans son intérêt exclusif ?
  • Contribue t’il au développement de la France ? à son rayonnement ? à sa défense ?

Pour contribuer à la Défense, il faudrait déjà qu’il paie les impôts, en France, en proportion de ses profits, ce qui de source sûre n’est pas le cas.

Pourquoi le président de la République a-t’il distingué le fondateur d’Amazon, à l’Élysée, jeudi 16 février, en pleine cinquième journée de mobilisation contre la réforme des retraites ?

Parce qu’il crée de l’emploi en France, semble être l’argument.

Il couvre, en effet, la France d’entrepôts. Cela fait-il rayonner la France ?

Le Monde rappelle que la décoration d’un grand patron étranger par l’Élysée n’est pas sans précédent : Jamie Dimon, le patron de la banque JPMorgan Chase a reçu la Légion d’honneur en novembre 2022.

Et avant Emmanuel Macron,

  • Le fondateur de Microsoft, Bill Gates, avait été fait commandeur de la Légion d’honneur par François Hollande,
  • Le PDG de Microsoft, Steve Ballmer, avait été décoré par Nicolas Sarkozy
  • Jacques Chirac avait distingué Shoichiro Toyoda, le patron du constructeur japonais Toyota.

« Le Monde » analyse que :

« [Cette distinction] accordée par M. Macron à M. Bezos illustre la dualité de la politique du président à l’égard du fondateur d’Amazon. Comme ailleurs, il a pratiqué le « en même temps ». Sous sa présidence, la France a poussé des régulations européennes renforçant les responsabilités et le respect de la concurrence des plates-formes comme Amazon. Elle a instauré une taxation des services numériques et obligé les services comme Prime Video (filiale d’Amazon) à consacrer 20 % de leur chiffre d’affaires à produire des programmes français.

Parallèlement, Emmanuel Macron a favorisé l’essor de l’e-commerce, en particulier d’Amazon, dont il a inauguré un entrepôt à Amiens, en 2017. L’Élysée a toujours rappelé que l’entreprise américaine et son patron créaient des emplois en France. En 2020, l’exécutif s’est opposé à un moratoire sur l’ouverture de nouveaux entrepôts d’e-commerce, soutenu entre autres par la convention citoyenne pour le climat, et à un alignement de leur fiscalité sur celle des magasins physiques, réclamée par certains élus. »

Selon l’AFP, la présidence française a justifié aussi cette décoration par le fait que :

Jeff Bezos est « un partenaire des initiatives pour la protection du climat et de la biodiversité menées par la France, en particulier sur la protection des forêts »

A la fin de 2021, M. Bezos était présent à la COP26 de Glasgow, quand le président français a présenté la « grande muraille verte ». Le milliardaire américain a promis de verser 1 milliard de dollars (945 millions d’euros) à ce projet de reforestation en Afrique, qui veut allier action publique et soutien privé.

Bon…

Ne serait-il pas judicieux qu’il cesse plutôt de polluer et d’utiliser de l’énergie pour envoyer des milliardaires faire un tour dans l’espace ?

Et je pense à une autre Librairie lyonnaise en difficulté : « La Librairie Diogène » située au cœur du Vieux Lyon

Cette Librairie a été créée en 1973, dans un immeuble du XVe siècle : la maison Le Viste.

Librairie généraliste, elle propose des livres de toutes époques, sur tous sujets, et de tous prix sur plus de 300 m2, trois niveaux et deux boutiques.

Elle s’adresse au collectionneur, au bibliophile averti à la recherche d’ouvrages de collection mais aussi à tout amoureux du livre qui aime chercher dans cette caverne d’Ali Baba qui renferme des trésors d’intelligence et de culture.

Cette fois ce sont les propriétaires qui veulent l’éviction de la Librairie pour utiliser autrement ces locaux.

Vous pouvez faire comme Annie et moi et les 32897 autres lecteurs qui ont signé <La pétition> qui refuse la fermeture de la Librairie Diogène.

Cette librairie dispose aussi d’un site qui la présente et explique aussi le conflit avec les propriétaires : https://librairiediogene.fr/

Henri Loevenbruck a écrit la phrase que j’ai mis en exergue dans son livre <Le Mystère Fulcanelli>

<1745>

Je vous invite à lire en commentaire la réponse de Blanche Gardin à une proposition d’Amazon Prime

Mardi 18 avril 2023

« C’est l’impuissance publique qui est au cœur [de notre crise démocratique !] »
Pierre-Henri Tavoillot

Un des grands risques qui nous guette, dans notre vie sociale, c’est de ne plus discuter qu’avec celles et ceux qui sont d’accord avec nous. Celles et ceux qui partagent nos colères, nos analyses et nos convictions.

Ce risque que Zygmunt Bauman a décrit de la manière suivante  :

« S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.»

Nous avons le sentiment que le problème de la démocratie française est celui d’un hyper-président qui a trop de pouvoir et qui en abuse.

Il est vrai que le président actuel semble avoir cette conviction de détenir la vérité et de ne pas considérer qu’écouter les corps intermédiaires soit essentiel.

Je ne parle même pas de son style et de ses répliques qui ont souvent blessé un grand nombre de français.

D’après les spécialistes des sondages, il est le Président qui suscite le plus de haine, davantage même que Nicolas Sarkozy qui avait en son temps aussi suscité le rejet d’une part des français.

Mais comme l’explique Pierre-Henri Tavoillot, dans Démocratie, il y a d’un côté le « Démos » c’est-à-dire le Peuple et de l’autre côté le « Kratos » qui est la capacité de décider.

Notre sentiment est que le Kratos est trop fort

Ce n’est pas l’avis de Pierre-Henri Tavoillot.

J’avais déjà évoqué ce philosophe, lors du mot du jour du <23 mars 2020> et la sortie de son livre « Comment gouverner un peuple-roi ? ».

Je l’ai récemment entendu dans deux émissions :

La première dans le « Face à Face » de France Inter du 1er avril 2023 <L’art de gouverner> où il était le seul invité.
Et l’émission de France-Culture, « L’Esprit Public » du dimanche 16 avril 2023 <Comment sortir de la crise démocratique ?> dans laquelle il était un des participants.
Il intervient souvent dans l’émission « C ce soir » de France 5, dans laquelle il constitue souvent une voix dissidente.

Dans l’émission de France Inter il dit (à partir de 41 :20)

« Je crois qu’il faut prendre un peu de recul sur ce qu’est la nature de la crise de la démocratie française.
Personnellement, je suis un libéral. Un libéral, c’est veiller à l’équilibre entre la société et l’État, entre le Demos et le Kratos, entre le peuple et le pouvoir.
Spontanément le libéralisme s’est construit contre les pouvoirs abusifs, contre l’absolutisme.
Il fallait faire baisser le Kratos et faire augmenter le Demos. […]

Je pense qu’aujourd’hui, la crise profonde de notre démocratie ce n’est pas que le Demos soit trop faible et le Kratos trop fort, c’est exactement le contraire.

C’est l’impuissance publicque qui est au cœur. »

Au cœur du récit démocratique, il y a cette promesse que la nation, en tant que souverain, est maître de ses choix et peut décider librement de son destin.

Cette promesse n’a jamais été totalement respectée.

Mais aujourd’hui, elle est devenue extrêmement faible et encore plus pour un pays de moyenne importance comme la France.

Nos grands défis sont planétaires : réchauffement climatique, crise de la biodiversité, crise de l’eau, paix entre les nations.

Notre pays se trouve dans un maillage de dépendance pour sa consommation, son financement, ses investissements, sa défense.

Cette dépendance qui est contrainte par de nombreux Traités, par notre appartenance à l’Union européenne, réduit d’autant les marges de manœuvre de nos gouvernants.

Jancovici prétend que nous sommes déjà en décroissance, sans nous en apercevoir, que dès lors les choix que nous devons faire pour financer les grandes politiques publiques que nous demandons à nos gouvernants (Santé, Éducation, Transition écologique etc…) deviennent encore plus difficiles, car il faut prendre à l’un pour donner à l’autre.

Depuis bien longtemps nous consommons plus que nous produisons, et cachons ce déséquilibre par de l’emprunt et une augmentation de la dette.

Notre société est fracturée, il devient quasi impossible de générer des consensus suffisamment larges.

Je ne développe pas, mais on constate bien un problème d’impuissance publique, dès que le candidat se trouve dans le bureau du gouvernant.

C’est-à-dire que ce soit Emmanuel Macron ou Jean-Luc Melenchon et je ne cite pas la troisième, aucun ne dispose des moyens et possibilités d’honorer les promesses qu’il fait pour être élu.

Bien sûr, il reste possible de gouverner autrement que le fait le Président actuel et d’éviter certaines provocations et écart de langage.

Et il est un point que ne développe pas Tavoillot et dont je suis intimement persuadé, rien ne sera possible si on ne s’attaque pas au creusement des injustices sociales.

Car dans un monde où il faudra aller vers plus de sobriété, en rabattre sur notre soif de consommation et d’hubris, il faut que le sentiment de l’équité et de la justice grandissent dans l’esprit du plus grand nombre.

Et probablement qu’il faudrait aussi plus d’honnêteté de la part des candidats politiques dans la promesse de ce qu’ils sont capables de réaliser et une plus grande maturité de la part des citoyens pour accepter de l’entendre.

<1744>

 

Lundi 17 avril 2023

« Il y a un mantra dans la vie quotidienne du Conseil Constitutionnel, c’est une citation de Vedel ou de Badinter […] : C’est une mauvaise Loi, mais elle n’est pas contraire à la constitution ! »
Dominique Schnapper

Le Conseil Constitutionnel n’a donc pas censuré la Loi sur l’âge légal de la retraite, il a simplement censuré 6 dispositions comme l’index sénior pour lesquelles, il a considéré qu’elles n’avaient pas leur place dans cette loi de financement.

On parle de « cavalier budgétaire », autrement dit on utilise comme support une Loi de financement qui permet au gouvernement de disposer de quelques instruments pour accélérer l’adoption de Loi, ce qu’il a fait dans le cas de cette Loi, pour faire adopter des dispositions qui ne doivent pas bénéficier des mêmes instruments et règles.

Alors, Samedi matin, nous avons tous entendu : « Emmanuel Macron a promulgué la Loi cette nuit à 3:28 !»

A cette nouvelle j’étais partagé entre deux sentiments :

1° Quel bosseur, il ne s’arrête jamais de travailler. En même temps, il surmène ses collaborateurs.

2° Je trouvais très inquiétant que notre président ne dorme pas et travaille au-delà du raisonnable ce qui peut conduire à craindre des décisions peu éclairées et irrationnelles.

Mais revenons au sens du verbe : « promulguer »

Le fait de promulguer une loi c’est donner l’ordre de l’exécuter, la loi devient exécutoire.

En pratique, l’acte de promulguer la Loi se concrétise par le fait que l’Autorité exécutive signe le texte

En l’occurrence, en France, le texte est signé par le président de la République et contresigné par le Premier ministre et les ministres qui seront chargés d’appliquer la loi.

Je suppose qu’aujourd’hui cette signature est électronique.

Ces choses étant rappelées, la Loi N° 2023-270 n’a pas été promulguée à 3:28, samedi.

Il est tout à fait possible et même raisonnable de penser qu’Emmanuel Macron dormait à cette heure-là.

Si vous allez sur le site « LEGIFRANCE » pour consulter <cette Loi> vous constaterez que son entête est la suivante :

« LOI no 2023-270 du 14 avril 2023
de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 »

Cet entête nous montre que la Loi a été promulguée le vendredi 14 avril et non samedi 15 avril qui est le jour qui correspondait à 3:28.

Le journal « Libération » l’affirme : <Non, Emmanuel Macron n’a pas promulgué la loi retraites au milieu de la nuit>

Et donne ces explications :

« La loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2023, qui modifie le système de retraite français, a bien été publiée dans le Journal officiel du samedi 15 avril, paru au milieu de la nuit. Samedi, à 3 h 28 exactement, les personnes inscrites dans la boucle électronique relative aux parutions du Journal officiel ont ainsi reçu un mail les en informant.

Tous les textes législatifs promulgués, comme les actes réglementaires adoptés par l’exécutif, sont rendus publics par leur inscription au Journal officiel de la République française (JORF), qui paraît du mardi au dimanche depuis 1869, par voie électronique uniquement depuis 2016. Même si sa sortie «ne connaît pas d’horaire officiel défini», «l’usage, les obligations politiques et juridiques ont conduit à une parution matinale du JORF (en moyenne entre 2 et 7 heures)», précise le site de la Direction de l’information légale et administrative. Ce qui ne veut pas dire que les textes sont promulgués dans la nuit.

Ainsi, la promulgation de la loi réformant le système des retraites, elle, est intervenue la veille de la publication. Comme l’indique d’ailleurs l’intitulé du texte, qui mentionne une loi datant « du 14 avril 2023». […]

Dans le cas de la réforme des retraites, la promulgation serait survenue à 19 h 30 – un horaire cité dans le commentaire d’une utilisatrice de Twitter et depuis largement relayé sur le réseau social. Dans un sujet diffusé au journal de 13 heures de samedi, une journaliste de TF1 relate : « Il est environ 17 h 30 vendredi quand le président de la République prend connaissance de la décision du Conseil constitutionnel. Selon nos informations, moins de deux heures plus tard, avant 20 heures donc, Emmanuel Macron signe la loi retraite. »

L’information donnée confondait donc la Promulgation qui nécessite l’acte d’humains pour signer avec la publication au journal officiel qui est automatisée, au moins pour la partie qui s’est déroulée dans la nuit.

Il faut toujours bien nommer les choses !

Albert Camus avait bien raison.

Cette confusion a conduit des gens à dire des billevesées.

Jean-Luc Mélenchon, a tweeté : « Macron a voulu intimider toute la France dans la nuit. » et Laurent Berger a déclaré au Parisien que « Le message d’Emmanuel Macron avec cette promulgation en pleine nuit, c’est jusqu’au bout le mépris à l’égard du monde du travail et la déconnexion avec la réalité. ».

Mais sur le fond que peut-on dire ?

Le constitutionnaliste Dominique Rousseau que j’avais déjà cité pour dire qu’il faisait partie des spécialistes qui pensaient possible la censure globale du texte, s’entête et écrit dans Le Monde : <La décision du Conseil constitutionnel s’impose mais, […] elle est mal fondée et mal motivée en droit !>

Et il cite des extraits de la décision pour s’en étonner :

« § 65. En dernier lieu, la circonstance que certains ministres auraient délivrée, lors de leurs interventions à l’Assemblée nationale et dans les médias, des estimations initialement erronées sur le montant des pensions de retraite qui seront versées à certaines catégories d’assurés, est sans incidence sur la procédure d’adoption de la loi déférée dès lors que ces estimations ont pu être débattues. »

Et

« § 69. D’autre part, la circonstance que plusieurs procédures prévues par la Constitution et par les règlements des assemblées aient été utilisées cumulativement pour accélérer l’examen de la loi déférée, n’est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l’ensemble de la procédure législative ayant conduit à l’adoption de cette loi. »

Et aussi

« § 70. En l’espèce, si l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a revêtu un caractère inhabituel, en réponse aux conditions des débats, elle n’a pas eu pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution. Par conséquent, la loi déférée a été adoptée selon une procédure conforme à la Constitution. »

Enfin

« § 11. D’autre part, si les dispositions relatives à la réforme des retraites, qui ne relèvent pas de ce domaine obligatoire, auraient pu figurer dans une loi ordinaire, le choix qui a été fait à l’origine par le Gouvernement de les faire figurer au sein d’une loi de financement rectificative ne méconnaît, en lui-même, aucune exigence constitutionnelle. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur à cet égard, mais uniquement de s’assurer que ces dispositions se rattachent à l’une des catégories mentionnées à l’article L.O. 111-3-12 du Code de la sécurité sociale. »

Et Dominique Rousseau s’étonne que le Conseil Constitutionnel reconnaisse que des ministres ont délivré des « estimations erronées » que lors des débats parlementaires plusieurs procédures ont été utilisées « cumulativement » pour accélérer l’adoption de la loi et que l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a un « caractère inhabituel » et conclut cependant que le principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires avait été respecté. Et il trouve également singulier que le texte de la réforme aurait pu figurer dans une Loi ordinaire mais que le fait de le faire figurer dans une loi de financement rectificative ne trouble pas le Conseil.

Selon lui :

« A l’évidence, la conclusion ne découle pas logiquement des prémisses et ce décalage ouvre un espace au doute sur le bien-fondé juridique de la décision. »

« Le Monde » publie deux autres articles :
Denis Baranger, professeur de droit public, considère que
« le Conseil constitutionnel a perdu une chance de rétablir un degré d’équilibre entre les pouvoirs », en confortant une vision très large des prérogatives données à l’exécutif face au Parlement.
Concernant le rejet de la proposition de référendum d’initiative partagée, la juriste Marthe Fatin-Rouge Stefanini estime qu’il semble condamner l’utilisation du RIP, en restreignant considérablement les conditions de son utilisation.

En revanche lors de l’émission « l’Esprit Public du dimanche 16 avril » la sociologue Dominique Schnapper, ancienne membre du Conseil Constitutionnel affirme :

« La décision était prévue, prévisible, normale. Hier après-midi au ministère de l’éducation nationale, nous avons été quelques-uns à annoncer ce qu’il y aurait dans la décision, sans avoir aucune information et c’est exactement celle qui a été adoptée, parce qu’elle s’inscrit directement dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. »

Pour ma modeste part, je porte un grand crédit aux propos de la fille de Raymond Aron et cela non en raison de son hérédité, mais de sa hauteur de vue et ses analyses toujours très argumentées

Parce qu’évidemment les citoyens qui contestaient la Loi souhaitaient une décision politique : il ne fallait pas que l’âge légal de départ à la retraite passe de 62 ans à 64.

Mais les décisions du Conseil Constitutionnel sont juridiques et non politiques.

La décision du Conseil constitutionnel signifie que la Loi qui modifie l’âge légal de départ en retraite de 62 ans à 64 ans n’est pas contraire à la constitution.

Et, Dominique Schnapper nous apprend qu’il existe un mantra au Conseil constitutionnel, c’est-à-dire une formule sacrée dotée d’un pouvoir spirituel :

« Il y a un mantra dans la vie quotidienne du Conseil Constitutionnel, c’est une citation de Vedel ou de Badinter […] : C’est une mauvaise Loi, mais elle n’est pas contraire à la constitution ! »

Les sages ont donc été sage !

Mais dans l’émission « C Politique de ce dimanche » Thierry Pech, le directeur général de « Terra Nova » a posé cette question :

« Était-il sage, d’être sage ? »

Et il explique cette question par ce développement

« Est-ce que cela nous suffit ?
Est-ce que lorsqu’on dit d’un texte qu’il est constitutionnel, on peut dire qu’il est démocratique ?
Ce n’est pas la même chose, et c’est cela mon problème.
Aucun des articles mobilisés pendant l’élaboration de ce texte n’est contraire à la constitution.
[…] Ils y figurent tous.

Notre constitution est une armurerie extrêmement riche d’instruments pour brider la liberté du Parlement. Tous ces éléments sont donc constitutionnels.

Leur accumulation fait-elle un processus démocratique ?

Ma réponse est franchement non !»

Et plus tard quand on l’interroge sur ce que devrait dire et faire Macron, il demande au Président de donner du sens à son affiche de campagne : « Avec vous »


<1743>

Jeudi 6 avril 2023

« Il y a chez lui une arrogance nourrie d’ignorance sociale et de méconnaissance de l’histoire des démocraties. »
Pierre Rosanvallon parlant de notre Président de la République

Ce jeudi 6 avril 2023 constitue la 11ème journée nationale de mobilisation, depuis le 19 janvier, contre la réforme des retraites.

Élisabeth Borne a reçu les organisations syndicales, ce mercredi, dans un dialogue de sourd dans lequel, au bout d’une heure, la partie syndicale a quitté la réunion.

Tout au long de ces semaines, la cheffe de gouvernement n’a pas négocié avec les représentants sociaux, elle a préféré négocier avec le parti des républicains, pensant cette manière de faire plus efficace. Bref, elle a cherché un compromis politique et non un compromis social. Et, elle a échoué.

Il semblerait que le Président Macron parie sur un essoufflement du combat syndical : l’inflation, le manque à gagner des jours de grève et la lassitude conduisant à une diminution de la mobilisation. Et, si en outre, parmi les derniers manifestants, la violence se déchaine, rapidement la majorité des français qui aiment l’ordre se détourneront de ce mouvement qui les inquiétera, dès lors.

Il reste la décision du Conseil Constitutionnel, le Conseil pourrait-il censurer l’intégralité de la Loi ?

Les constitutionnalistes ne sont pas d’accord.

<France Inter> avait réuni deux d’entre eux.

Dominique Rousseau pense qu’une telle censure totale est possible, parce que selon lui :

« Il y a dans la procédure d’adoption de la loi sur les retraites une accumulation d’outils qui font que personne ne peut contester que le débat a été peu clair et insincère »

Il s’appuie sur une décision du Conseil Constitutionnel qui exigeait que pour l’adoption d’une loi il fallait qu’il y eut un débat clair et sincère. Or selon lui, les explications avancées par le Gouvernement sur des points précis comme la retraite minimale de 1200 euros ou comme l’utilisation de tous les arcanes de la Constitution pour raccourcir le temps d’examen du texte peuvent conduire à cette sanction.

L’autre constitutionnaliste, Anne Levade, ne croit pas à cette hypothèse. Pour l’instant, le Conseil constitutionnel n’a censuré intégralement que deux textes un en 1979 et l’autre en 2012.

Dès lors, s’il n’y a pas censure intégrale et si comme le croit le Président, la contestation sociale s’essoufle, la Loi sera promulguée et entrera en vigueur.

Cette victoire légale, si elle a lieu, me semble pleine de danger politique.

Je crois que, dans ce cas, le cœur du corps social français gardera un profond ressentiment de toute cette affaire.

Les rocardiens et même Michel Rocard avant sa mort ont exprimé beaucoup de soutien à Emmanuel Macron.

Je crois que ce temps est révolu.

L’un d’entre eux : l’historien Pierre Rosanvallon exprime dans « Libération » dans un article publié le 3 avril 2023 :

« Or, le grand problème d’Emmanuel Macron est qu’il n’a qu’une expérience sociale et politique limitée, étant passé directement de l’ombre à l’Elysée. Il y a chez lui une arrogance nourrie d’ignorance sociale et de méconnaissance de l’histoire des démocraties. Il est certain que dans l’optique d’une refonte des institutions, le comportement actuel du chef de l’Etat pose la question de la mise en œuvre constitutionnelle d’autres moyens de résolution des crises qui partent d’en bas. Le référendum d’initiative partagée n’en est qu’une modalité trop modeste. Faute de cela, le temps des révolutions pourrait revenir ou bien ce sera l’accumulation des rancœurs toxiques qui ouvrira la voie au populisme d’extrême droite. »

Pour Rosanvallon Macron doit faire « demi-tour » sur le recul de l’âge de départ à la retraite. Et il ajoute :

« Rarement un projet de réforme gouvernemental aura été aussi mal préparé et envisagé sur un mode aussi technocratique et idéologique, alors qu’il y a une discussion complexe et argumentée à mener sur le financement des retraites. Sur le fond, le débat a été escamoté en étant rétréci à la question de l’âge de départ. Cette approche ne prend pas en compte la diversité des situations et des conditions de travail. Le rapport au travail aurait ainsi dû être abordé en préalable à toute discussion sur le financement. La retraite, c’est le rétroviseur de la vie. Cette dimension existentielle n’est pas prise en compte dans le projet actuel. »

Dans un autre article de Libération publié le même jour, le journal constate que :

« Alors qu’il avait dans un premier temps séduit les milieux intellectuels, le Président voit de plus en plus d’anciens soutiens s’élever publiquement contre lui. Jusque dans ses relais les plus proches. »

Et parmi ceux-ci, celui qui a été en quelque sorte son mentor : Jacques Attali qui l’avait présenté à François Hollande en 2010, évènement essentiel dans le parcours exceptionnel de celui qui allait devenir notre jeune président en 2017.

Jacques Attali écrivait simplement, le 15 mars 2023, toujours dans Libération : « Cette réforme des retraites est mal faite et injuste. » et précisait :

« Non, reculer l’âge de départ n’est pas la bonne méthode. J’ai toujours été favorable à la retraite à points, un système plus juste et plus équitable. Autrement, on peut se concentrer sur la durée de cotisation. Je ne suis pas du tout favorable au report de l’âge légal de départ à 64 ans, d’autant plus qu’il s’agit d’un âge fictif. Quelqu’un qui a besoin de 43 années de cotisation et qui a commencé à travailler à 25 ans partira à la retraite à 68 ans alors que celui qui a commencé à travailler plus tôt est pénalisé. Avec l’augmentation de l’âge de départ, le gouvernement s’est focalisé sur quelque chose d’absurde… »

«Reculer l’âge de départ à 65 ans est à la fois injuste et inefficace», observait, toujours dans Libération, quelques mois plus tôt Philippe Aghion, l’économiste qui avait été un des principaux inspirateurs du programme d’Emmanuel Macron en 2017.

Dans le mot du jour du 24 juin 2022 « Macron ou les illusions perdues. » j’évoquais le livre de son ancien professeur François Dosse, qui avait été celui qui avait présenté le jeune homme à Paul Ricoeur. François Dosse avait été enthousiaste par l’arrivée de Macron à la présidence de la République avant de déchanter.
Libération précise que François Dosse n’a loupé aucune manifestation contre la réforme des retraites et qu’il a donné cette opinion sur son ancien élève :

« Sa capacité d’absorption des choses et de maîtrise fait qu’il ne connaît pas la marche arrière, il est toujours sûr d’avoir raison. »

Devant un tel déluge de critiques, un homme raisonnable devrait s’interroger.

Mais le Président Macron est il raisonnable ou s’est-il laissé enfermer derrière les murs de l’Élysée dans une prison de certitudes dont la plus dangereuse est qu’il soit le seul à comprendre ce qui est utile et nécessaire à la France et aux français ?

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Jeudi 30 mars 2023

« Ils n’ont pas vu un artiste exprimant un avis, mais un fournisseur retardant la livraison de la marchandise à son client. »
Réflexions personnelles suite à une attitude médiocre d’une partie du public de l’auditorium de Lyon le 17 mars

Ce jour-là, Annie et moi n’étions pas au concert de l’Auditorium de Lyon.

C’était le vendredi 17 mars, un jour après la décision du gouvernement d’utiliser l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire adopter la réforme de la retraite par le Parlement.

François Apap, bassoniste et représentant de l’Orchestre national de Lyon a pris la parole avant le concert pour dire l’opposition des musiciens à cette réforme et en donner les raisons.

<BFM TV> a mis en ligne une vidéo de ce moment.

Postérieurement, cette même chaîne a donné la parole au musicien qui s’était exprimé : < On m’a lancé des pièces > :

« Ça a été très compliqué sur scène, parce que j’ai entendu des insultes « ta gueule », « on n’est pas là pour ça », etc. On m’a lancé des pièces sur scène. Ce soir-là, ça a quand même été très violent. On ne s’y attendait pas. L’orchestre s’est très mal senti après cette scène.

Pour François Apape, face aux invectives de la foule qui ont duré de longues minutes, les musiciens auraient dû faire le choix de « sortir de scène, attendre 10-15 minutes dehors avant de revenir pour le début du concert. […]

Un témoin avait rapporté à BFM Lyon que « le public s’était indigné immédiatement, sans savoir de quoi il allait être question, haut et fort. Le discours n’avait même pas commencé qu’on entendait des « remboursés » vindicatifs ».

Selon la « Lettre du musicien » que « Mediapart » a cité dans <un Article> que Christiane m’a fait parvenir :

«  À peine les haut-parleurs avaient-ils annoncé qu’une déclaration précéderait le concert, vendredi 17 mars, que des cris ont fusé dans la salle : « On n’est pas là pour ça ! », « Vous nous faites chier ! ». François Apap a poursuivi sa lecture malgré les quolibets : « J’ai vu des regards haineux tandis qu’on me hurlait : “Ferme ta gueule et joue.” On m’a même jeté une pièce sur scène, traité de “chochotte”, de “connard”… », raconte le musicien.

Des applaudissements ont tenté, en vain, de couvrir les huées : « La salle était en quelque sorte coupée en deux », témoigne Antoine Galvani, secrétaire général du Syndicat des artistes musiciens en Rhône-Alpes (Snam-CGT). »

Il va, sans dire, que si Annie et moi avions été dans la salle nous aurions été du coté des applaudissements. Il y a quelques années, nous avions assisté à un évènement du même type qui avait déclenché un comportement hostile d’une partie public, mais les applaudissements avaient alors couvert les sifflets. Ce ne fut pas le cas, semble t’il, le 17 mars.

Cet article donne aussi une partie des arguments développés par François Apap :

« Je sais que la culture de la musique classique passe pour propre et lisse et que, pour certains, elle devrait le rester. Mais nous devons faire face à une forme de pénibilité encore taboue, qui fait beaucoup de dégâts sur les corps, notamment dans le pupitre des cordes. » Le bassoniste évoque, à l’Orchestre national de Lyon, quatre musiciens absents de leur poste depuis plus d’un an, une majorité contrainte de consulter régulièrement des ostéopathes, mais aussi de souscrire à des assurances supplémentaires, une partie des troubles musculosquelettiques n’étant pas suffisamment prise en charge par la Sécurité sociale.« Nous sommes des sportifs de haut niveau. Mon texte, à cet égard, n’était ni belliqueux ni agressif. Il visait seulement à souligner que tenir deux ans de plus, ce n’est pas possible pour certains d’entre nous, d’autant plus dans un contexte de gel des postes, de concerts annulés, et de salaires qui ne chiffrent pas par rapport aux exigences qu’on nous demande. Cette déclaration englobait aussi les intermittents, les femmes, qui souffrent de carrières hachées… »

L’article montre aussi que cette attitude n’est pas limitée au public de Lyon :

« Faut-il donc tenir pour exceptionnelles les réactions du public de l’Auditorium de Lyon ? En novembre dernier, les ouvreurs et ouvreuses de la Philharmonie, qui tractaient également pour leurs conditions de travail, recevaient un accueil mitigé, voire hostile de la part des spectateurs et spectatrices : « Parfois, on nous répond : “Ne vous plaignez pas, au moins vous avez du travail” », rapportait amèrement une employée. Tandis qu’à Lille, le 19 janvier, une prise de parole similaire à celle de François Apap, juste avant un concert de l’Orchestre national de Lille, rencontrait le même accueil. »

Que dire ?

Il y a donc des personnes probablement aisées, selon mon expérience de l’auditorium, plutôt âgées, probablement déjà à la retraite qui ne tolèrent pas que leur acte de consommation soit interrompu par un avis divergent du leur.

Parce qu’ils pouvaient ne pas être d’accord avec les propos du musicien, c’était leur droit.

Mais il leur appartenait d’écouter avec respect et silence un avis qui était contraire à leurs idées.

Dans quel monde veulent-ils vivre ?

Dans un monde où il n’existe qu’une opinion, la leur ?

Zygmunt Bauman décrivait une telle attitude :

« S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.»

Ce monde dans lequel ils s’enferment, dans lequel il n’y a plus d’opinions divergentes mais une vérité et des erreurs est un monde triste, stérile, morbide.

Ce sont non des esprits de culture, ouvert à l’art et aux artistes.

Quand le musicien a pris la parole, ils n’ont pas vu un artiste exprimant un avis, mais un fournisseur retardant la livraison de la marchandise à son client.

Ce sont de vils consommateurs.

Le philosophe allemand, Peter Sloterdijke, disait :

« La liberté du consommateur et de l’individu moderne, c’est la liberté du cochon devant son auge. »

Ils n’ont même plus de savoir vivre !

Moi qui pensais, qu’au moins, les bourgeois avaient toujours comme qualité, la politesse.

Force est de constater que celles et ceux qui ont hué le musicien, en étaient dépourvus.

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Mercredi 29 mars 2023

« Nous devrions toujours célébrer les immigrés qui contribuent tellement à notre pays. »
Humza Yousaf qui vient d’être désigné premier ministre de l’Écosse

Il se passe quelque chose de l’autre côté de la Manche.

D’abord en octobre 2022, après l’épisode court et peu glorieux de Liz Truss et celui tonitruant et peu sérieux de Boris Johnson, les conservateurs britanniques ont désigné comme premier ministre Rishi Sunak

Rishi Sunak est né le 12 mai 1980 à Southampton dans le Hampshire en Angleterre.

Mais il est le fils de Yashvir Sunak, né au Kenya, alors colonie britannique, et d’Usha Sunak, pharmacienne née au Tanganyika, alors territoire sous mandat britannique.

Sa famille est originaire du Pendjab et fait partie de la diaspora indienne d’Ouganda, du Kenya et de Tanzanie .

Celui qui dirige le Royaume-Uni est donc issu de l’immigration indienne.

Mais en creusant un peu j’ai appris qu’il était pratiquant de l’Hindouisme. Lui-même a souligné que le jour de sa désignation, le lundi 24 octobre, correspondait au jour de la fête traditionnelle de Diwali.

Le Diwali célèbre la victoire de la lumière sur les ténèbres et est fêté à travers le monde entier par la communauté hindoue.

En Grande Bretagne, il n’y a pas de constitution écrite. Il est de tradition que les députés prêtent serment sur la bible. Mais, après son élection au Parlement en 2015, Rishi Sunak a prêté serment au Parlement sur la Bhagavad Gita, le livre sacré hindou.

C’est ce qu’on lit dans cet article du Huffington Post : < La victoire de Rishi Sunak tombe le jour du Diwali, tout un symbole >

Au nord des iles britanniques, en Écosse, la première ministre depuis 2014, Nicola Sturgeon, a annoncé sa démission le 15 février 2023.

Ce mardi 28 mars, le parlement local d’Ecosse a désigné pour la remplacer Humza Yousaf qui deviendra aujourd’hui, mercredi, officiellement le premier ministre de l’Écosse.

Le journal suisse « Le Temps » constate que c’est <la première fois qu’une démocratie occidentale élit un leader musulman> et ajoute

« A l’annonce de sa victoire à la tête du parti, lundi, Humza Yousaf s’est levé, tout sourire, a donné une accolade aux deux candidates qu’il avait battues, puis s’est tourné vers ses parents, assis derrière lui. Son père, collier de barbe blanche strict, sa mère, foulard musulman sur la tête et une larme à l’œil, débordaient de fierté. Le nouveau leader du Scottish National Party (SNP), le parti indépendantiste écossais, élu avec 52,1% des voix, fait rarement de ses origines un argument politique, mais en ce jour historique, qui doit faire de lui mardi le premier ministre d’Écosse, il a tenu à les souligner. «Je dois remercier mes grands-parents, aujourd’hui décédés, d’avoir émigré du Pendjab (au Pakistan) vers l’Ecosse il y a plus de soixante ans. […] Ils n’auraient jamais imaginé que leur petit-fils serait un jour sur le point de devenir premier ministre.» »

Sa page Wikipedia nous apprend qu’il est né le 7 avril 1985 à Glasgow.

Il est le fils d’immigrés de première génération : son père, Muzaffar Yousaf, est né à Mian Channu au Pakistan et à émigré à Glasgow dans les années 1960, pour travailler comme comptable. Son grand-père paternel travaillait dans l’usine de machine de couture Singer à Clydebank dans les années 1960. Sa mère, Shaaista Bhutta, est née au Kenya dans une famille originaire d’Asie du Sud qui a subi de nombreuses attaques car elle était perçue comme prenant le travail aux locaux et qui a émigré plus tard en Écosse pour échapper aux violences anti-indiennes au Kenya.

C’est donc un écossais issu de l’immigration pakistanaise qui va diriger l’Écosse en tant que chef du Parti National Écossais qui est un parti qui souhaite l’indépendance de l’écosse.

Jean-Marc Four dans sa chronique du 28 mars : <Un musulman à la tête de l’Ecosse après un hindouiste à la tête du Royaume Uni> a ajouté

« Et face à lui, en Écosse ; Yousaf aura pour premier opposant le chef du parti travailliste écossais, Anar Sarwar qui, lui aussi, est d’origine pakistanaise ! »

« L’obs » dans un article <5 choses à savoir sur Humza Yousaf> nous révèle que :

« Humza Yousaf dit avoir beaucoup souffert de racisme, en particulier après les attentats du 11 septembre 2001. En 2021, avec son épouse, il a porté plainte pour discrimination contre une crèche qui avait refusé d’accueillir leur fille »

Jean Marc Four cite Humza Yousaf :

« Nous devrions toujours célébrer les immigrés qui contribuent tellement à notre pays. ».

Il y a donc au Royaume Uni un homme issu de l’immigration indienne et de religion Hindou qui est premier ministre et en écosse un homme issu de l’immigration pakistanaise et de religion musulmane qui est premier ministre

Jean-Marc Four a analysé ce constat de la manière suivante :

« […] c’est très révélateur de la poussée spectaculaire des élus issus de la diversité chez nos voisins britanniques. […]

L’homme qui incarne désormais l’Écosse est donc musulman, originaire du Pendjab au Pakistan par sa famille paternelle.

[…] Et lorsqu’il est devenu député il y a 12 ans, Yousaf a prêté serment en anglais et en ourdou, l’une des langues du Pakistan.

[…] Un dirigeant musulman, c’est une première dans un pays occidental.

[…] Un phénomène similaire est donc à l’œuvre à Londres, au Parlement britannique.

Puisque vous le savez, le premier ministre britannique, depuis l’automne, est lui aussi issu de l’immigration.

Rishi Sunak est hindouiste, il a d’ailleurs prêté serment sur la Baghavad Gita, l’un des textes fondamentaux de cette religion. […]

Deux de ses principaux ministres sont également enfants d’immigrants: la ministre de l’Intérieur Suella Braverman, originaire de l’île de Maurice et le ministre des affaires étrangères James Cleverly, originaire de Sierra Leone.

Ajoutons d’autres figures du parti conservateur : Kemi Badenoch, originaire du Nigeria, ou Nadim Zahawi du Pakistan.

Quant au maire de Londres, c’est le travailliste Sadiq Khan depuis maintenant 7 ans. Origine là encore : Pakistan.

Ces exemples nombreux disent une évolution majeure de la vie politique britannique : les élus issus de la diversité accèdent désormais aux plus hauts postes.

Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de racisme en Angleterre ou en Écosse. Il y en a : le nouveau premier ministre écossais raconte que sa fille en a été victime.

Mais l’ascension sociale des élus de 2ème ou 3ème génération est rapide en politique. Parce que certains partis, comme le parti conservateur, ont imposé des quotas.

Et aussi parce que la société y est prête. Elle n’a pas de réticence à porter à sa tête un enfant de l’immigration. […]

En tout cas, le contraste entre la France et le Royaume-Uni, déjà frappant avec l’avènement de Sunak, devient saisissant avec celui de Yousaf : l’équivalent en France, ce serait un président ou un premier ministre issu des immigrations algérienne, marocaine, sénégalaise.

Déjà qu’un ou une ministre, une Dati, un Ndiaye, une Vallaud Belkacem, c’est rare. Alors un chef de gouvernement n’en parlons pas. »

Il me semble que nos amis britanniques ont, sur ce point, un peu d’avance sur la France

<1740>

Lundi 27 mars 2023

« Personne n’a envie d’être un con-vaincu. »
Thomas d’Ansembourg

Le climat social devient violent en France, vous ne trouvez pas ?

Ce dimanche, les mégabassines de Sainte-Solines se sont ajoutées à la réforme des retraites pour donner lieu à des affrontements et des blessés entre des manifestants et des forces de l’ordre.

J’ai regardé avec intérêt cette vidéo du média « Blast » sur la problématique de cette solution mise en œuvre par des céréaliers, pour pouvoir continuer à produire comme avant la sécheresse, en prélevant,  dans la nappe phréatique, d’immenses masses d’eau dont ils ont besoin pour leur activité.

La conséquence de cette solution est d’aggraver à terme le problème par un asséchement renforcé des sols et un effondrement accéléré du niveau de la nappe phréatique et bien sûr de diminuer l’eau disponible pour tous les autres utilisateurs. Et parmi ces utilisateurs il y a des humains mais aussi d’autres espèces vivantes qui disparaissent et avec elles la biodiversité.

<Mégabassines : la guerre est déclarée>

Mais pour revenir à la réforme des retraites, il faut rappeler quelques éléments chronologiques.

En utilisant l’argument de la guerre en Ukraine qui monopolisait son temps de réflexion disponible, le président Macron a enjambé l’élection présidentielle.

Je veux dire qu’il a présenté tardivement un programme minimal et il a refusé tout débat sur ce programme et sur tout autre sujet.

Si on ne peut plus débattre pendant l’élection présidentielle, quand pourra t’on débattre ?

Le débat du second tour n’en était pas un. Il s’agissait simplement de montrer que l’autre candidate n’était pas capable d’assurer le rôle. Elle a parfaitement collaboré et joué le rôle qu’on attendait d’elle.

Dans le programme lilliputien du Président sortant, il y avait quand même une mesure : l’allongement de l’âge de départ à la retraite

Et c’est ainsi qu’au pas de charge, cette affaire a été menée, en utilisant tous les rouages de la constitution pour que cela aille vite.

Plutôt que de discuter avec les représentants syndicaux, Emmanuel Macron a demandé à son gouvernement de négocier avec la Droite LR, dont la candidate proposait la même réforme dans son programme.

Cela n’a pas fonctionné, parmi les députés LR, il en est suffisamment qui détestent tellement Macron qu’ils sont prêts à tout pour l’empêcher.

L’opposition de la NUPES a aussi joué un rôle délétère, elle n’a pas débattu mais vociféré, elle n’a pas argumenté mais asséné ses croyances et son récit. Elle a réussi à aider Emmanuel Macron à rendre l’Assemblée Nationale encore plus impopulaire.

Et puis finalement le Président sortant qui est reparti pour un second mandat a pris la parole le 23 mars.

Il me semble possible de résumer son intervention de la manière suivante :

« J’ai raison, ma réforme est indispensable. C’est celle qui peut le mieux répondre aux défis qui se présentent à nous. Vous ne l’avez pas bien comprise, je ne l’ai probablement pas bien expliqué. Je vais donc vous en convaincre en vous explicitant mes arguments. »

Il y a un certain nombre de français qui n’ont pas été satisfaits ni du 49-3, ni de la manière dont Monsieur Macron a tenté de les convaincre qu’il avait raison.

J’avais déjà évoqué Thomas d’Ansembourg, lors du mot du jour du 10 janvier 2017 : « La paix ça s’apprend »

Thomas d’Ansembourg est un psychothérapeute belge spécialisé dans la communication non-violente.

Il organise des séminaires en ligne, mais on trouve facilement des petites interventions pleine de sens sur la communication entre les humains.

Dans celle-ci, il s’agit <de la communication dans un couple>, mais je pense que ces réflexions sont parfaitement adaptées à notre situation politique :

« Il y a infiniment plus d’intelligence dans deux cœurs qui essaient de se rapprocher.
Je dis bien qui essaient parce qu’on n’arrive pas toujours.
Il y a bien plus d’intelligence dans deux cœurs qui essaient de se rapprocher que dans deux intelligences qui essaient d’avoir raison à coup de gourdin qui est malheureusement quasiment le seul modèle que nous ayons.

Lorsqu’on regarde la moindre émission télévisée avec ceux qui sont censé nous inspirer comme dirigeants, on voit des collisions d’ego avec des êtres qui veulent avoir raison !
Et qui ne passent pas leur temps de silence à écouter pour comprendre, mais à préparer leur contre-attaque.
C’est d’une misère. Une absence de discernement. C’est d’une grande pauvreté.
Prenez un petit moment d’écoute de vous-même pour aller voir les moments où vous vous retrouvez dans des rapports de force, dans cette prétention à avoir raison, à vouloir con-vaincre l’autre.
Vous entendez dans ce joli mot que personne n’a envie d’être un con-vaincu ?
Qu’est ce qui s’active en vous quand quelqu’un veut vous convaincre : La plupart du temps, c’est la fuite : « Fous moi la paix » ou la rébellion : « Arrête d’essayer de me convaincre, c’est moi qui vais te convaincre et on enclenche des rapports de force. »

Il est beaucoup plus intelligent et sage de passer son temps de silence à tenter de comprendre l’autre que de préparer sa contre-attaque.

Tous les français ne disent pas à M Macron qu’il ne faut pas une réforme de la retraite, mais beaucoup disent : « pas celle-là et pas avec cette méthode »

Mais il semble que M Macron ne cherche pas à comprendre et continue dans son idée et tente de faire des français des « con-vaincus ».

Cette méthode ne fonctionne visiblement pas.

Thomas d’Ansembourg ajoute :

« Il est temps de changer de modèle.
C’est vraiment un enjeu citoyen.
Et d’arrêter de s’accrocher à une vieille croyance que l’homme est un loup pour l’homme et que la violence est l’expression de la nature humaine.
Waouh, qu’est ce que nous avons été plombés par ce système de pensée.
J’ai entendu ça dans le petit cours de psycho que j’ai reçu dans mes études de droit.
Tout petit cours de psychologie : la violence est l’expression de la nature humaine
Ça fait 25 ans que j’expérimente le contraire.
La violence n’est pas l’expression de notre nature.

La violence est l’expression de la frustration de notre nature, ce qui n’est pas du tout la même chose.
Si vous êtes aimé, reconnu, trouvez du sens à votre vie, avez une joyeuse appartenance, vous savez comment déployer vos talents et le monde autour de vous vous y encourage : pourquoi seriez-vous violent ?
Inversement, vous vous sentez pas aimé, vous n’avez pas d’appartenance, vous ne trouvez pas votre place dans la vie, la vie n’a pas de sens à vos yeux, vous ne vous sentez pas compris, vous ne comprenez rien à ce qui se passe, là ça commence à bouillonner !

D’où l’urgence d’apprendre à bien connaître notre nature, pour qu’elle trouve sa voie, son expansion dans le respect de la nature de l’autre évidemment.
C’est ainsi que la connaissance de soi est un enjeu de santé publique. »

Message destiné à des couples, mais les français et leur président peuvent aussi l’entendre avec intérêt, c’est ce que je pense.

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