et de ne pas entendre ce que nous avions à leur dire.»
Mardi 30 Juin 2015
et de ne pas entendre ce que nous avions à leur dire.»
Xavier de La Porte nous apprend qu’« A partir du mois juillet, Amazon rétribuera ses auteurs (c’est-à-dire ceux qui ne passent pas par une maison d’édition mais s’autopublient en ligne sur le site) à la page lue.»
Olivier Ertzschied, sur son blog Affordance, envisage les implications de cette évolution, qui touchent aussi bien un modèle économique (celui de l’édition classique) que l’écriture (si on est payé à la page lue, autant faire en sorte que le lecteur ait envie de la tourner).
J’ai trouvé ce développement sur Rue89 : <Amazon : ce qu’implique le paiement des auteurs à la page lue>
« Imaginez un monde dans lequel les auteurs (tous les auteurs : BD, romans, polars, science, essais, etc.) seraient rémunérés non plus de manière forfaitaire en fonction du nombre de ventes mais en fonction du nombre de pages lues. Ou plus exactement, toucheraient une micro-rémunération à chaque fois qu’un lecteur lirait une des pages de leur œuvre. […] »
Amazon, qui, dans le cadre de la lecture numérique sur sa tablette Kindle, dispose d’une volumétrie de données considérable et considérablement détaillée sur notre activité de « lecteur », souhaite mettre en place le modèle disruptif suivant :
« Plutôt que de payer les auteurs pour chaque livre, Amazon commencera bientôt à payer les auteurs en fonction du nombre de pages lues – non pas en fonction du nombre de pages téléchargées mais du nombre de pages affichées à l’écran suffisamment longtemps pour pouvoir supposer avoir été lues. »
L’impact sur la littérature même pourrait être considérable comme le souligne l’article de The Atlantic :
« Pour la plupart des auteurs qui publient directement via Amazon, ce nouveau modèle pourrait changer les priorités et les choix d’écriture : un système avec une rémunération à la page lue est un système qui récompense et valorise en priorité les « cliffhangers » et le suspense au-dessus de tous les autres « genres ». Il récompense tout ce qui garde les lecteurs accrochés » (« hooked »), même si cela se fait au détriment de l’emphase, de la nuance et de la complexité. »
Pour l’instant – et on comprend bien pourquoi –, ce type de rémunération ne s’appliquera qu’aux auteurs « auto-édités » par le biais de la plateforme Kindle Direct Publishing. Et de jouer sur la corde incitative pour amener de plus en plus d’auteurs à se séparer de maisons d’édition « classiques » au profit d’une contractualisation directe avec Amazon. Classique et éternel (à l’échelle du numérique en tout cas) processus de désintermédiation. […]
Mais plus que cela, Amazon ouvre ici une boîte de Pandore dans laquelle il serait très étonnant que Google (avec l’écosystème Google Books) et Apple (avec iTunes) ne tentent pas à leur tour de s’engouffrer. […]
En ne payant plus les auteurs en fonction du nombre de pages écrites mais du nombre de pages lues, et les algorithmes et autres DRM et dispositifs propriétaires (d’Amazon) étant les seuls à pouvoir disposer des outils de mesure permettant ce fonctionnement, les auteurs se trouvent à leur tour en situation de travailler « pour » les algorithmes, à la manière de journaliers guettant la notification sur smartphone du nombre de pages lues de leurs ouvrages chaque jour. […]
La question est de savoir ce que deviennent les auteurs de ces livres avec un modèle de rémunération à la page lue, comment ils s’adapteront et adapteront leur production littéraire à ce nouveau modèle, tout autant porteur de nouvelles opportunités que de risques considérables. La question est aussi de savoir de quel nouveau sentiment de toute puissance – ou de culpabilité – se sentira investi le lecteur dans le cadre d’un système de rémunération à la page des auteurs, se trouvant pris dans les rets d’un nouveau « petit actionnariat » de la lecture. […]
Une chose est sûre, après l’angoisse de la page blanche, Amazon vient d’inventer l’angoisse de la page non lue. […]
Le modèle de rémunération des auteurs à la page lue transforme l’activité de lecture pour en faire un « indicateur », une « variable » permettant toutes les spéculations mais aussi tous les détournements.
Après avoir cassé ce droit fondamental qui est celui de la confidentialité de l’acte de lecture, Amazon s’apprête désormais à le monétiser. Pop économie et salariat algorithmique. Et toujours ces secteurs – celui de la langue –, toujours ces moments – celui de la lecture – que l’on pensait préservés de la sphère marchande et qui s’y trouvent systématiquement soumis et aliénés. Plus aucun espace-temps, pas même celui du jeu, qui ne fonctionne comme un système de remise à la tâche, qui ne soit un cheval de Troie marketing ou un salariat algorithmique à peine masqué.
<Ici un article publié sur le Monde sur ce sujet>
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Patrick Artus est chef économiste de Natixis, professeur à l’Université Paris I Panthéon- Sorbonne, membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier Ministre.
Il a écrit un livre avec Marie-Paule Virard, paru chez Fayard : «Croissance zéro, Comment éviter le chaos ?».
Si nous restons simples, il y a deux grands types d’économistes :
Ceux qui pensent que nous ne pourrons nous en sortir que par la croissance, que seule la croissance permettra l’emploi et que sans emploi nos économies et nos sociétés vont imploser.
Ils attendent donc la croissance ou veulent la provoquer par tous les moyens.
Les moyens ce sont essentiellement l’initiative privée, la diminution du poids économique de l’Etat et « l’adaptation » de l’Etat providence ou social aux exigences d’aujourd’hui. Bref son rétrécissement. Certains ont foi dans la «croissance verte».
Le plus souvent ils sont Schlumpeterien, adepte du concept de « la destruction créatrice ». C’est à dire qu’étant donné le progrès technique, des emplois sont détruits par millions dans des branches obsolètes mais, dans d’autres branches qui émergent, des emplois au moins aussi nombreux sont créés et sont mieux rémunérés.
Ces économistes sont souvent appelés les orthodoxes.
Ce sont eux qui ont aujourd’hui, de très loin, le plus d’influence dans le monde du pouvoir politique et économique.
François Hollande, par exemple, est totalement dans cette ligne même s’il hésite beaucoup pour diminuer de manière drastique l’Etat social et y va donc par petit pas. Les prétendants de Droite (Sarkozy, Juppé et Fillon) sont exactement dans la même ligne mais veulent avancer plus vite.
Il y a une autre grande catégorie d’économiste qui s’oppose à cette vision. Il est plus difficile de résumer leurs pensées. Mais ils font essentiellement un constat : la croissance de la production sur toute la terre, pour que tous les humains puissent consommer comme les américains ou les européens se heurte inexorablement aux limites de ce que la Terre peut absorber. Beaucoup d’entre eux parlent de décroissance ou de limitation de la croissance. En tout cas, ils cherchent des alternatives à la croissance. Bernard Maris faisait partie de ces économistes.
Patrick Artus fait indiscutablement partie de la première catégorie.
Mais en faisant des analyses et des études sur plusieurs décennies et sur plusieurs régions économiques, il a compris quelque chose qui l’a beaucoup perturbé. Il a publié ses conclusions avec une collègue Marie-Paule Virard dans le livre cité plus haut.
Ce livre débute ainsi :
« Et si la croissance ne revenait pas ? La seule évocation d’une telle éventualité nous remplit d’effroi. N’avons-nous pas été nourris au lait de la croissance depuis notre plus tendre enfance ? En particulier cette génération gâtée qui est entrée dans la vie adulte pendant les Trente Glorieuses et qui tient, pour l’essentiel, aujourd’hui les rênes du pouvoir ? Une génération qui n’est manifestement pas « équipée » pour penser l’impensable : imaginer, accepter et gérer la rareté du produit intérieur brut. Une génération qui a organisé la société autour d’un mouvement continu d’expansion économique, mouvement devenu un facteur essentiel de la concorde sociale et de la vitalité démocratique. Et cette « divine croissance » se déroberait tout à coup sous ses pieds ? Depuis 1945, nous avions oublié que cela pouvait arriver. »
Et il avait été l’invité des matins de France Culture, où il a expliqué ses découvertes : http://www.franceculture.fr/emission-les-matins-chomage-un-mal-francais-2015-02-02
Je vous invite à l’écouter c’est très intéressant et aussi inquiétant.
Je résume ces propos ci-après :
Il distingue d’abord la croissance à long terme (sur plus de 10 ans) et la croissance conjoncturelle.
Actuellement, en Europe, il y a une conjoncture extrêmement favorable pour un économiste orthodoxe : le prix du pétrole est très bas, l’Euro est plus faible par rapport aux dollars, les politiques budgétaires sont plus souples et enfin les taux d’intérêt sont quasi nuls. On peut espérer un peu de croissance à court terme.
Mais ce n’est que la croissance à long terme qui peut créer des emplois de façon stable. Croissance à long terme qui est la conséquence de l’augmentation de la productivité et des innovations technologiques. Nous sommes dans la ligne la plus orthodoxe des économistes orthodoxes.
Mais Patrick Artus a constaté, dans ses études, que la croissance à long terme diminue et tend vers zéro dans tous les pays, pas seulement en Europe.
Les croissances qui existent sont soit la conséquence d’économies émergentes qui sont dans une logique de rattrapage qui va cesser, soit des croissances conjoncturelles reposant le plus souvent sur des bulles spéculatives ou sur des leurres.
Il existe un problème global pour créer de la croissance et du progrès technique.
Cela relativise grandement ce que l’on peut faire dans un seul pays, en améliorant les politiques du pays.
Il y a bien sur un problème de formation en France. L’étude PISA mesure les performances des jeunes, il y a l’équivalent pour les adultes, c’est à dire la formation professionnelle, la France est avant dernier de l’OCDE, l’Italie est dernière.
Mais le problème essentiel du progrès technique et de la croissance à long terme n’est pas un problème spécifique à la France.
Même si on faisait des grands progrès dans nos politiques de formation et d’Économie, nous ne serions pas en mesure de régler ce problème de croissance à long terme.
Patrick Artus parle d’un « problème angoissant » :
« Quand il y a eu l’invention du moteur à explosion on a fait une croissance à long terme extraordinaire.
Il y a une tendance lourde. Le numérique constitue une question énorme qui n’est pas assez étudié.
On pense que nous sommes dans une période d’innovation énorme.
On voit toutes ces start-up qui produisent tous ces produits incroyables.
On se dit, avec toutes ces innovations forcément il y a des gains de productivité incroyable.
Forcément non ! Quand on regarde les chiffres il n’y a pas de gain de productivité ! »
Trois explications :
Il faut que j’abrège et vous renvoie vers d’autres sources qui peuvent vous permettre d’approfondir cette question.
Mais Patrick Artus dit deux choses importantes :
« A l’exception de l’Allemagne le niveau moyen des emplois baissent dans tous les pays développés. Il donne cet exemple parlant, désormais un ouvrier de Général Motors qui est licencié trouve un boulot chez Mac Do. C’est la réalité de l’économie d’aujourd’hui. Il y a quelques créatifs pour qui les revenus et les patrimoines explosent et le plus grand nombre qui en moyenne subissent une régression de la qualité de leur emploi qui s’accompagne d’une baisse de leurs revenus. »
L’autre chose c’est que
« L’économie du gratuit et de l’échange et du troc ne permet pas le prélèvement d’impôts et de cotisations qu’autorisent les revenus marchands. Nous avons donc un grave problème de modèle économique pour conserver un Etat social, redistributeur capable notamment de prendre en charge les problèmes de retraite et de santé.»
Comme Patrick Artus reste un économiste traditionnel qui possède au fond de ses gènes l’optimisme de la volonté, il donne avec sa collègue des conseils aux gouvernants permettant d’éviter le chaos : «Ils préconisent un meilleur partage des ressources :
Voilà le seul moyen, selon eux, de ne pas basculer dans un affrontement dévastateur. Pour obtenir ce nouvel équilibre, Artus et Virard prônent une thérapie d’urgence en 10 mesures-chocs, parmi lesquelles le recul immédiat de l’âge de la retraite, la baisse du smic ou encore la création d’un contrat de travail unique. Un manuel de survie à usage des gouvernants. »
Donc je vous redonne le lien vers les matins de France Culture : http://www.franceculture.fr/emission-les-matins-chomage-un-mal-francais-2015-02-02
<Ici un article sur le livre de l’Expansion> qui explique :
« [Les auteurs] portent un regard décapant sur les maux qui rongent les économies occidentales, celle de la France en tête. « Et si la croissance ne revenait pas? » interrogent-ils d’emblée. Une hypothèse sérieuse, qui fait écho à la thèse de la « grande stagnation », développée dès l’été 2012 par l’économiste américain Robert J. Gordon, soutenue par d’éminents confrères tels que Larry Summers ou encore James K. Galbraith, dont l’ouvrage The End of Normal est publié ce mois-ci en français, sous le titre La Grande Crise. »
<Laurent Joffrin parle de remède cheval à propos de ce livre>
Ce mot du jour est très long et très lourd.
J’ai la faiblesse de croire qu’il aborde un sujet essentiel.
J’exprime ma plus vive perplexité devant le paradoxe d’un économiste qui me parait intègre qui constate que le modèle qu’il défend ne fonctionne plus, que les chiffres auxquels il croie lui montre que cela ne marche plus mais qui persiste à raisonner dans son modèle et de croire (car il s’agit là de foi pas de rationalité) qu’il peut encore être sauvé par des mesures adéquates.
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