« La Réforme »
Mouvement religieux né en 1517 en Allemagne et conduisant à la création des églises protestantes
2017 est une année pleine d’anniversaires et de commémorations. Le mot du jour du 13 octobre en a rappelé certains.
J’avais omis de citer l’anniversaire qui a motivé notre jeune président improbable et cultivé à inviter pour notre fête nationale le vieux président improbable et inculte des Etats-Unis. Il n’y a que le caractère improbable de leurs élections respectives qui permet de trouver un point commun entre ces deux hommes. Il y a cent ans les Etats-Unis entraient en guerre au côté des anglais et des français contre les allemands et les empires centraux. Ce point de départ de l’hégémonie militaire et économique américaine a continué tout au long du XXème siècle pendant lequel les américains se sont occupés des affaires européennes, un peu pour préserver leurs intérêts, beaucoup parce que nous autres européens nous nous sommes très mal comportés et avons entraîné le monde dans des guerres mondiales apocalyptiques et des totalitarismes meurtriers qu’ont été le nazisme et le communisme bolchévique.
Et justement, un autre centenaire est à commémorer, les cents ans de la révolution russe d’abord celle de février qui renversa le Tsar, puis la vraie, la tragique celle qui allait permettre aux bolcheviks de prendre le pouvoir, d’essayer de mettre en place un système productiviste alternatif au capitalisme, de nier les libertés, et d’assassiner des millions de leurs concitoyens pour s’écraser dans la déroute économique : la révolution d’octobre qui a eu lieu selon notre calendrier le 7 novembre 1917. Cette révolution aura duré moins de 75 ans puisqu’elle s’acheva avec la fin de l’Union Soviétique le 25 décembre 1991.
Mais j’entends parler cette semaine non d’une révolution (quelqu’un saurait-il m’expliquer pourquoi on utilise ce mot qui signifie tourner autour d’un astre pour revenir au même point pour qualifier des bouleversements politiques, cela signifierait-il que forcément les révolutions tournent en rond ?) mais de la Réforme.
On oppose souvent la révolution et la réforme. Mais la Réforme fut un bouleversement religieux, politique et même économique selon Max Weber qui écrivit : « L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme »
Selon l’excellent outil du <CNTRL> du CNRS le verbe « Réformer » est lié à la racine « former » et signifie « ramener à sa forme primitive », ce sens existerait depuis la fin du XIIème siècle.
La Réforme a 500 ans et s’inscrit dans le temps long, plus long que la révolution bolchevique.
Les humains aiment dater le début d’une période, d’un phénomène de temps long.
Et on date le début de la Réforme au 31 octobre 1517. Ce jour-là, un moine augustin, professeur de théologie à l’université de Wittembourg en Thuringe sur les terres du Prince électeur de Saxe, Martin Luther a rendu public et envoyé à certains interlocuteurs un document qui a gardé pour nom dans l’Histoire : « Les 95 thèses » contre les indulgences et le fonctionnement de l’église en vue de provoquer un débat théologique, une bataille d’idées à l’intérieur de l’Eglise Catholique. Par un concours de circonstances, des malentendus mais aussi des postures politiques et nationalistes ce débat d’idées va s’abimer dans des guerres, des affrontements et une rupture au sein de la chrétienté occidentale. Nous y reviendrons pendant quelques jours pour éclairer ce moment de l’Histoire européenne et mondiale, car les Etats Unis sont imprégnés par cette révolution luthérienne qui va générer le mouvement protestant.
Pour ce premier mot de la série, je vais m’intéresser au Monde « européen » dans lequel ce document de controverse théologique allait mener à une explosion de rivalités, de haines et aussi de dynamisme intellectuel, politique et économique.
Nous disons donc 1517.
Tous les élèves ayant fréquenté des classes d’Histoire de l’école française ont au minimum une date gravée dans leur mémoire : « 1515 » donc 2 ans avant 1517.
<1515> donc François 1er, donc Chambord, donc la Renaissance dans sa flamboyance.
Luther (1483-1546) et François 1er (1494-1547) sont des contemporains, Luther un peu plus âgé, 11 ans quand François 1er naît. Mais à partir des 95 thèses et pendant tout le reste de la vie de Luther, la France n’eut qu’un seul roi, un roi catholique mais qui par sa politique aida grandement la diffusion du protestantisme en Europe et notamment au sein des Etats du Saint Empire Romain germanique où régnait son ennemi principal l’empereur Charles Quint.
1515, donc <la bataille de Marignan> en Italie à 16 km au sud-est de Milan. Pour les plus savants la bataille eut lieu les 13 et 14 septembre 1515 et opposa le roi de France François Ier et ses alliés vénitiens aux mercenaires suisses qui défendaient le duché de Milan.
Donc l’Italie …au cœur des rivalités européennes, siège de la papauté et de rivalités internes fortes entre Venise, Gènes, Milan et Rome.
Et Florence… <Laurent de Médicis dit le Magnifique> (1449-1492), donc un aîné pour Luther qui avait 9 ans quand Laurent le Magnifique est mort. Mais en 1513, le Pape qui est élu à Rome a pour nom Léon X, ce fut le Pape qui dirigeait l’Eglise catholique en 1517. Qui est Léon X en réalité ?
<Léon X> eut pour nom de baptême Giovanni Médicis, c’est le second fils de Laurent de Médicis. Il fut Pape de 1513 à 1521.
Léon X, comme tous les souverains européens et particulièrement italiens fut un grand protecteur des arts. Il fit notamment travailler pour lui Raphaël (1483-1520) né la même année que Luther. Il peignit le portrait de Léon X, que l’on peut admirer de nos jours à la galerie des Offices de Florence.
Léon X succéda au pape Jules II, le pape de Michel Ange (1475-1564) qui naquit donc avant Luther et mourra après. Jules II fut aussi le Pape qui entreprit l’édification de la <basilique Saint Pierre> qui fut financée en partie par les <Indulgences> qui jouèrent un rôle certain mais toutefois limité dans le combat théologique de Luther.
Le successeur de Léon X, Adrien VI ne régna qu’un peu plus d’un an. Il était originaire d’Utrecht ville des futurs Pays-Bas. Il est surtout connu comme étant le dernier pape non italien avant Jean-Paul II !
Et après ce Pape de transition, il y eut Clément VII (1523-1534) en pleine expansion du protestantisme, il était en réalité le fils illégitime de Julien de Médicis, frère de Laurent le Magnifique.
Pour rester avec les Médicis et Florence, nous devons rappeler que les Médicis seront renversés par la conquête française en 1494. Un frère dominicain du nom de Savonarole va alors jouer un rôle essentiel dans la cité des Médicis. Il rencontre le roi de France Charles VIII, négocie les conditions de la paix et évite le sac de la ville. Les Florentins sont autorisés par le roi de France à choisir leur propre mode de gouvernement. Savonarole devient alors dirigeant de la cité. Il institue un régime qu’il décrit comme une « République chrétienne et religieuse ».
Homme intransigeant, voulant lutter contre toute corruption il va instituer un pouvoir totalitaire, dans le sens qu’il veut tout contrôler de la vie des florentins même la vie intime. Il finira très mal puisqu’il mourut pendu et brûlé à Florence le 23 mai 1498, Luther avait 15 ans. Certains citent Savonarole comme un précurseur de Luther car il voulait lutter contre la corruption et les abus de l’Eglise, mais nous verrons que ce ne fut pas le combat principal de Luther.
Savonarole fut donc l’allié du roi de France et l’ennemi du Duché de Milan qui était au main de la famille Sforza, ce qui était encore le cas lorsqu’en 1515, à Marignan, François 1er vainquit les troupes alliées au duché de Milan.
Un autre grand ennemi de Savonarole était le pape Alexandre VI, pape de 1492 à 1503, de la famille romaine des Borgia, père de Lucrèce Borgia et César Borgia (1475-1507). Ce dernier est mort 10 ans avant les 95 thèses, il avait 8 ans à la naissance de Luther.
Qui dit César Borgia, pense à Machiavel (1469-1527) un autre contemporain de Luther, même s’il est un peu son aîné. Je n’ai vu nulle part que Luther aurait lu Machiavel, d’ailleurs <Le Prince> est paru en 1532. Mais dans le monde européen de Luther existait la pensée de Machiavel sur le pouvoir.
Revenons à François 1er et l’Italie, dans ce cas un autre nom illustre d’entre les illustres nous revient en mémoire : <Léonard de Vinci> (1452-1519), il est mort 2 ans après 1517, il faisait partie du panthéon culturel de l’Europe de Luther.
François 1er eut pour principal ennemi Charles Quint, pour lutter contre lui il se chercha des alliés. Et dans un épisode fameux <Le camp du Drap d’or> qui est le nom donné à la rencontre diplomatique du 7 au 24 juin 1520, dans un lieu situé dans le Nord de la France, près de Calais il rencontra le roi Henri VIII d’Angleterre. Cette rencontre n’aboutit pas à l’alliance souhaitée.
Mais Henry VIII de la famille Tudor (1491-1547) qui fut roi d’Angleterre et d’Irlande de 1509 à sa mort, fut aussi un grand contemporain de Luther. Il devint roi alors que Luther avait 26 ans. Ce dernier ne connut à partir de cet instant aucun autre roi d’Angleterre jusqu’à sa mort.
<Henry VIII> avait épousé Catherine d’Aragon mais souhaitait l’annulation de ce mariage pour épouser une des dames de compagnie de la reine : <Anne Boleyn>. Mais pour ce faire il avait besoin de l’appui du Pape, et Clément VII dont nous avons déjà parlé a refusé obstinément de céder à l’injonction du roi. C’est pourquoi Henry VIII entreprit, à sa façon, une réforme pour donner naissance à l’église anglicane dont le chef est le souverain britannique. Sans le mouvement lancé par Luther en Allemagne, probablement qu’Henry VIII n’aurait pas eu cette initiative qui s’inscrit immédiatement dans la Réforme.
Wikipédia affirme à propos d’Anne Boleyn que :
« Sa réputation d’être favorable à la réforme religieuse se répand dans toute l’Europe, elle est adulée par l’élite protestante ; même Martin Luther voit d’un bon œil son accession au trône. »
Vous savez que cette pauvre Anne Boleyn fut décapitée sur ordre de Henry VIII mais que leur fille fut reine d’Angleterre et que cette reine fut la Grande <Elisabeth 1ère> (Reine de 1558-1603), début de l’âge d’or de la Grande Bretagne. Elle consolida l’Eglise anglicane et l’inscrivit dans le protestantisme. Fort de cet héritage l’Acte d’établissement de 1701 exclura de la succession des rois d’Angleterre, les catholiques. Ce qui explique l’avènement comme roi d’Angleterre, du Prince électeur de Hanovre sous le nom de Georges 1er (roi de 1714 à 1727). Car à la mort de la reine Anne de Grande-Bretagne, si plus de 50 nobles avaient des liens de parenté plus étroits avec la reine Anne que lui, ils étaient tous catholiques. George était donc le plus proche parent protestant d’Anne. C’est ainsi que la maison allemande des Hanovre s’empara de la couronne britannique.
La couronne britannique a toujours ses racines allemandes. La reine Victoria fut la dernière des souverains de la Maison de Hanovre. Mais ayant épousé, en outre, un allemand : le prince Albert de Saxe-Cobourg-Gotha, lorsque Édouard VII, fils de la reine Victoria, monte sur le trône, il portera le nom de son père et la maison royale prend dès lors le nom de Saxe-Cobourg-Gotha. Et c’est en pleine première guerre mondiale, il y a 100 ans, en 1917, que ce nom trop clairement lié à l’ennemi allemand fut changé. Ainsi, cette dynastie toujours au pouvoir pris le nom d’un château, situé dans le Berkshire à l’ouest de Londres : le château de Windsor.
Ceci nous éloigne de Luther mais il fallait bien expliquer les conséquences de la décision de Henry VIII de créer l’église anglicane pour épouser Anne Boleyn et le lien avec le protestantisme issu de la Réforme luthérienne
Mais venons maintenant au cœur de la réforme luthérienne. Luther est allemand. Il est professeur à l’université de Wittemberg, en Thuringe. Le souverain de ce lieu, est en 1517, le Prince électeur de Saxe : Frédéric le Sage. Il est électeur de l’Empereur du Saint Empire Germanique. Car l’Allemagne a un semblant d’unité représentée par l’Empereur.(Le premier Reich, le deuxième sera celui créé par Bismarck pour Guillaume 1er, le troisième est tristement célèbre) .
En 1517, l’Empereur est Maximilien 1er de la maison des Habsbourg. Il va mourir en 1519 ouvrant une nouvelle période électorale incertaine dans laquelle vont s’affronter François 1er qui veut devenir empereur et le futur Charles Quint de la maison des Habsbourg. On sait que ce fut <Charles Quint> qui l’emporta mais la rivalité entre la France et la maison Habsbourg ne gagna qu’en intensité. Le début de la réforme après 1517 émergea dans un empire affaibli par un jeune empereur non encore aguerri, des Etats allemands souhaitant de plus en plus d’indépendance par rapport à l’Empereur et la Papauté et un roi de France qui trouva dans cette fracture en train de naître entre catholiques et protestants un germe fécond de division de nature à affaiblir son ennemi, voire le vaincre. Cette division allait cependant s’emparer quelques années après de la France s’abimant dans les guerres de religion.
Luther et la Réforme auraient été anéantis aussi sûrement que les tentatives précédentes de réformer l’Eglise et la papauté de <Jan Hus>ou de <John Wyclif> s’il n’avait pas pu bénéficier du soutien sans faille même s’il fut ambigüe de Frédéric le Sage et de cette rivalité fondamentale entre François 1er et Charles Quint.
Mais cette description du Monde de Luther et de la Réforme ne serait pas complète, si on ne rappelait pas 3 dates :
- 1453 : L’empire Ottoman s’empare de Constantinople et met fin à l’Empire romain d’Orient. Luther naîtra 30 ans après.
- 1492 : Luther a 9 ans et Christophe Collomb découvre l’Amérique. Les 95 thèses sont publiées le 31 octobre 1517, ce même mois d’Octobre 1517, à Séville, Fernand de Magellan commence les préparatifs du premier tour du monde. <Magellan>, (1480-1521) est un autre contemporain immédiat de Luther.
- Et probablement la plus importante pour la réforme : 1451 : Le premier livre européen est imprimé par Gutenberg avec des caractères mobiles « la grammaire latine de Donatus ». Puis la première édition latine de la Bible est celle dite de la « Bible à quarante-deux lignes » en 1453 par Gutenberg. Des presses s’installent rapidement dans les grandes villes d’Europe : Cologne (1464), Bâle (1466), Rome (1467), Venise (1469), Paris (1470), Lyon (1473), Bruges (1474), Genève (1478), Londres (1480), Anvers (1481) et des centaines d’autres. En 1500, on comptait plus de 200 ateliers d’imprimerie dans la seule Allemagne. Sans l’invention de l’imprimerie, Luther et les Réformés n’auraient jamais pu diffuser leurs idées avec une telle puissance et vitesse.
Il faut bien arrêter cet exercice d’érudition présentant le monde où Luther a agi et proclamé ses thèses réformatrices. Mais je ferais une impasse trop importante si je ne citais un autre immense penseur de la culture européenne, contemporain de Luther, d’abord son allié puis son adversaire, l’humaniste hollandais <Erasme> (1467-1536)
Luther est le contraire d’un penseur isolé dans un coin obscur de Thuringe. Il nait et prêche dans un monde en plein mouvement, en plein dynamisme avec de grands artistes, de grands penseurs et de grands découvreurs. Un dernier : 10 ans avant la naissance de Luther, naissait Nicolas Copernic (1473 – 1543) qui défendra la théorie de l’héliocentrisme.
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