Mardi 22 octobre 2024

« Une nation a solennellement promis à une seconde le territoire d’une troisième. »
Arthur Koestler

Heureusement qu’il y a Jean-Louis Bourlanges pour oser monter au créneau et dire simplement, à la fin de l’émission du « nouvel esprit public du 20 octobre 2024 » :

« J’ai été très frappé, de l’atmosphère de dénonciation indignée qui a accueilli un propos du Président de la République qui me paraissait très franchement tout à fait ordinaire et normal. […] De rappeler qu’Israël est un produit de la communauté internationale et qu’il a été créé par une résolution de l’ONU ne me parait ni faux, ni attentatoire à la dignité de ce pays. Je crois que c’est plutôt le signe de la culpabilité profonde de ladite communauté internationale à l’égard du peuple juif qui a été massacré par les nazis dans un climat d’indifférence assez général des Alliés. […] Cela ne sous-estime pas le rôle des forces armées d’Israël dans la protection de [l’Etat].
Il s’agit là d’une indignation tout à fait inopportune ! »

Au départ il y a une déclaration d’Emmanuel Macron, lors du conseil des ministres du mardi 15 octobre, qui était tenue à usage interne et qui n’aurait pas dû être rendu public.

Ces propos sont les suivants :

« Nétanyahou ne doit pas oublier que son pays a été créé par une décision de l’ONU […] Et par conséquent ce n’est pas le moment de s’affranchir des décisions de l’ONU »

Si on veut juridiquement être exact, il ne s’agit pas d’une « décision » mais d’une « résolution », qui porte le numéro 181 et qui propose le partage de la Palestine entre un État juif et un État arabe et un statut particulier et international pour Jérusalem.

Cette proposition sera adoptée le 29 novembre 1947 à la majorité des 2/3.

Sans cette résolution, la Déclaration d’établissement de l’État n’aurait pas pu être proclamée le 14 mai 1948, dernier jour du mandat britannique sur la Palestine dans le hall du Musée d’art de Tel Aviv, par David Ben Gourion, président de l’Agence juive.

Benyamin Nétanyahou conteste vigoureusement ce point de vue.

« Le Monde » sans relativiser la position du premier ministre israélien a simplement rapporté sa réaction :

« Dans la soirée, le chef du gouvernement israélien lui a répondu par communiqué. « Un rappel au président de la France : ce n’est pas la résolution de l’ONU qui a établi l’Etat d’Israël, mais plutôt la victoire obtenue dans la guerre d’indépendance avec le sang de combattants héroïques, dont beaucoup étaient des survivants de la Shoah – notamment du régime de Vichy en France », ajoutant que « l’ONU a approuvé des centaines de décisions antisémites contre l’Etat d’Israël »

Ce même journal a rapporté les propos de Yonathan Arfi, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) sans commentaire :

« Laisser penser que la création de l’État d’Israël est le fruit d’une décision politique de l’ONU, c’est méconnaître à la fois l’histoire centenaire du sionisme et le sacrifice de milliers d’entre eux pour établir l’État d’Israël. »

Il a ajouté cette phrase :

« A l’heure où l’antisémitisme se nourrit de l’antisionisme, ces propos renforcent dangereusement le camp de ceux qui contestent la légitimité du droit à l’existence d’Israël »

« Le Figaro » a également pris fait et cause pour le premier ministre d’Israël : « Créé par une décision de l’ONU » : comment Emmanuel Macron a simplifié l’histoire d’Israël.

« L’Opinion » se fait pédagogue et explique pourquoi Macron se trompe.

Avant de continuer à plonger dans toute cette complexité et l’article de l’Opinion, il faut se rappeler que l’imaginaire des peuples se forge à travers des récits auxquels ils adhérent.

Ces récits sont fondamentaux pour créer une unité et un sens au destin commun. Mais un récit peut être très dangereux ou plus précisément porteur de violence et de guerre s’il est en contradiction absolue avec ceux d’un autre peuple. La paix n’est possible que si on écoute aussi les récits de l’autre et qu’on est capable d’en tenir compte.
Je prends comme exemple cette illustration. Le récit de l’homme dans sa voiture c’est que la biche traverse la route. Mais le récit de la biche est que c’est la route de l’homme qui traverse la forêt. Il n’y a pas une vérité qui s’impose, mais deux récits qui s’opposent. En est-il un plus pertinent que l’autre ? les deux récits sont-ils conciliables ?

Le Journaliste de l’Opinion affirme que ce qui donne naissance à l’État d’Israël, ce ne sont pas les Nations unies, ni la SDN, c’est le mouvement sioniste, c’est-à-dire la volonté d’une partie des Juifs de retourner dans ce qu’ils considèrent comme leur terre ancestrale, la Palestine. Et cela date de la fin du XIXᵉ siècle. Le premier mouvement de migration juive en Palestine – des Juifs venant de Russie essentiellement, mais aussi du Yémen – remonte à 1881.

Toujours selon ce journaliste, ce sont ces migrations qui incitent les britanniques à faire leur fameuse déclaration Balfour.

Arthur Koestler, (1905 – 1983), célèbre auteur du « zéro et de l’infini » est un juif hongrois qui dans un premier temps va adhérer à la cause sioniste révisionniste et deviendra même, pendant un court moment, le secrétaire du chef de ce mouvement Vladimir Jabotinsky. Il sera remplacé, dans ce rôle, plus tard par le père de Benyamin Nétanyahou. Ce mouvement prône un sionisme armé et agressif pour imposer la présence juive, par la force, aux arabes vivants sur le territoire convoité.

Après avoir vécu beaucoup d’expériences dans sa vie, Arthur Koestler a décrit la déclaration Balfour par cette phrase éloquente : « Une nation a solennellement promis à une seconde le territoire d’une troisième. » .

Le journaliste continue sa démonstration en rappelant que la résolution 181 n’a pas été acceptée par la partie arabe et que donc la création d’Israël na pas pu avoir lieu sur la base de cette résolution refusée par une des parties.

En conséquence c’est la proclamation par Ben Gourion suivie de la victoire des troupes israéliennes, lors de la guerre d’indépendance, qui a permis de réaliser le rêve des sionistes..

Le mot du jour a déjà évoqué beaucoup des épisodes de cette histoire tragique qui continuent à faire tant de morts.

L’analyse la plus intelligente que j’ai entendu sur la confrontation des récits est celle qu’en a donné Dominique Moïsi : .

« Quand Israël naît […] en 1948, […] Pour le monde Arabe, c’est le dernier phénomène colonial de l’histoire européenne qui est anachronique. Pour les Israéliens, c’est avec quelque retard, le dernier phénomène national de l’histoire européenne du 19ème siècle.[…] Et en fait ce conflit de calendrier n’a jamais été surmonté.»

C’était le mot du jour du lundi 19 octobre 2015.

Cette analyse de Moïsi nécessite un acte fondateur qui autorise la nation juive à obtenir un État. Seule la résolution 181 peut donner cette légitimé, directement issue de l’horreur de la Shoah.

Parce que le récit de Nétanyahou, du président du CRIF ou du journaliste de l’Opinion signifie quoi ?

Des gens venus d’Europe se sont installés sur un territoire occupé par d’autres habitants. Leurs représentants se sont entendus avec l’État occidental le plus colonialiste de l’Histoire pour obtenir une déclaration les autorisant à occuper ce territoire.

Par la suite et le refus des indigènes de se soumettre, le peuple venant d’Europe, armé par les occidentaux, s’est emparé du territoire par la guerre. Cela s’appelle un fait colonial, la colonisation de cette terre entre la Méditerranée et le Jourdain par des personnes venues d’Occident.

Le récit, qui veut que le mouvement sioniste presque sans aide et s’imposant par la force aux arabes a créé un État d’Israël, valide absolument les thèses décoloniales des États du sud global et celles des jeunesses occidentales des Universités. Contrairement à l’affirmation du président du CRIF ce ne sont pas les propos de Macron, mais ce récit qui donne les meilleurs arguments aux ennemis les plus féroces d’Israël.

Et si certains évoquent une légitimité historique datant de 2000 ou 3000 ans. Rappeler simplement ce que signifierait ce concept de « premier occupant » aux États-Unis, en Australie ou en Nouvelle Zélande suffit à en dévoiler l’inanité. Bien sûr, le récit de Nétanyahou autorise tout, jusqu’à l’annexion de la partie arabe du plan de partage, puisque l’État est la résultante de la force armée et des conquêtes.

Ce n’est pas ainsi que la Paix pourra arriver sur ce territoire. Il me semble qu’il vaut mieux s’en tenir au récit que la création d’Israël a été rendue possible par une résolution de l’ONU et qu’il faut trouver un chemin pour que la partie arabe du partage puisse également trouver un État dans lequel elle pourra se reconnaître.

Vous pourrez lire avec intérêt cet article du journal de Montréal « Le Devoir » : « La déclaration Balfour: juste et injuste à la fois? ».

Vous y trouverez cette idée d’un grand penseur juif, Martin Buber d’une « injustice minimale », c’est-à-dire limiter au strict minimum l’injustice causée aux Arabes en ne permettant aux Juifs de s’installer que sur une partie de la Palestine.

Vendredi 4 Octobre 2024

« La Neuvième symphonie de Mahler est l’oméga de la Musique. »
Herbert von Karajan

La Phrase complète de Karajan est la suivante :

« La Messe en si de Bach et la Neuvième de Mahler sont l’alpha
et l’oméga de la musique. »

Bien sûr il existe des chefs d’oeuvre écrits avant Bach et d’autres après Mahler, mais Karajan veut montrer un arc qui relie deux piliers sur lesquels repose la musique européenne : le premier une messe catholique écrit par un luthérien et achevé en 1749, le second l’aboutissement de la symphonie romantique créée, le 26 juillet 1912, à Vienne sous la direction de Bruno Walter, un peu plus d’un an après la mort de Gustav Mahler, le 18 mai 1911, à 51 ans.

Mahler avait écrit le premier avril 1910 : « Mise au net, la partition de ma Neuvième est
terminée. ». Il l’avait donc terminé un an avant sa mort, il ne l’a jamais entendue autrement que dans une réduction au piano et dans sa vie intérieure.

Concernant la musique de chambre, j’ai déjà évoqué le disque que j’emmènerai sur une île déserte : « Le quintette en ut pour D. 956. » de Franz Schubert. S’il m’était possible d’ajouter un disque de symphonie je prendrai une interprétation de la 9ème symphonie de Mahler.

Hier nous avons eu la joie d’entendre cette symphonie jouée à la Philharmonie de Paris par l’Orchestre de Paris, dirigé par son jeune et talentueux directeur musical : Klaus Mäkelä

S’il faut croire André Peyrègne, un critique ayant assisté à ce concert « Symphonie n°9. Orchestre de Paris / Klaus Mäkelä » :

« La Neuvième symphonie de Gustav Mahler fait partie de ces œuvres monumentales que l’on n’entend en concert que deux ou trois fois dans sa vie. »

Si cette assertion est exacte, j’ai déjà rempli mon quota.

J’ai pourtant eu le sentiment que ce monument mystique de l’Adieu se refusait à moi, en concert. Pourtant, le 17 février 2019, l’Orchestre Philharmonique de Vienne était de passage à Lyon et joua cette œuvre à l’Auditorium. Mais, au même moment, avec Annie et Florence, nous étions déjà à la Philharmonie de Paris, pour assister au concert d’une symphonie de Mahler encore plus rarement joué : la symphonie N°8 symphonie « des Mille » qui nécessite des effectifs démesurés. J’avais écrit un mot du jour le lendemain de ce concert : « une hymne à la sacralité de l’univers ».

Une seconde chance nous fut offerte et nous avions pris nos billets pour assister à l’interprétation de la 9eme par l’Orchestre de San Francisco sous la direction de Michael Tilson-Thomas. Mais ce concert devait avoir lieu le 7 avril 2020, temps de la Covid 19 et de confinement. Et finalement, la première fois eut lieu le 16 septembre 2022, le jour où mon frère m’annonça qu’il était atteint de la leucémie qui l’emportera 40 jours après. Gustavo Dudamel était le chef et l’Orchestre était celui dans lequel mon frère a œuvré pendant 15 ans : l’Orchestre de l’Opéra de Paris. Depuis, Nikolaj Szeps Znaider a interprété cette œuvre avec son orchestre lyonnais, lors de la dernière saison.

 Beaucoup de musicologues ont parlé de la superstition de Mahler concernant la symphonie numéro 9 qui fut la dernière de Beethoven, de Schubert et aussi de Dvorak. Il tenta de biaiser, sa vraie 9ème fut en réalité sa précédente œuvre, mais pour conjurer le sort, il l’appela « Le chant de la terre ». Et puis, il n’avait pas encore totalement finalisé la symphonie qu’il numérota 9, pour commencer la composition de la 10 en 1909. Tout ceci fut vain, seul le premier mouvement de la 10 put être, à peu près, fini et la symphonie qu’il appela 9 fut bien sa dernière œuvre achevée qu’il ne put jamais entendre jouée par un orchestre.

L’œuvre est composée de 4 mouvements, le premier est extraordinaire. Alban Berg écrivit :

« Le premier mouvement de sa Symphonie n° 9 est le plus merveilleux que Mahler ait écrit. Il exprime l’amour de ce monde, pour la nature,le désir d’y vivre en paix, d’en jouir pleinement, jusqu’aux tréfonds de son être, avant que la mort, irrémédiablement,ne nous appelle. »

Mahler est dans une période douloureuse de sa vie. Sa fille ainée est morte suite à une brusque maladie, son médecin vient de lui diagnostiquer une maladie cardiaque très grave et son épouse Alma Schindler dont il se rend compte combien elle compte pour lui, s’éloigne de lui et le trompe. Ce premier mouvement émerge du silence. Bernstein entend, dans ce début, le rythme irrégulier d’un cœur qui bat :

« La première chose qu’on entend dans ce mouvement est une prémonition de la mort sous forme d’un rythme irrégulier qui, j’en suis sûr, est pour Mahler le battement irrégulier de son propre cœur. Son rythme cardiaque l’inquiétait beaucoup. Dans la dernière année de sa vie, il connaissait ce problème cardiaque, et il le nota pour en faire le début de cette symphonie. »

Par la suite ce mouvement passera par toutes les phases des émotions humaines : la tendresse, la colère, la révolte, la nostalgie, l’apaisement. Harnoncourt ou Celibidache ne voulaient pas interpréter Mahler parce qu’ils le trouvaient impudique, il mettait toutes ses émotions dans la partition. Sa fille survivante Anna disait qu’il n’a jamais rien écrit de plus accompli, tout Mahler est dans ce premier mouvement. C’est encore Bernstein qui en parle le mieux :

« Dans ce premier mouvement, c’est surtout un adieu à la tendresse, à la passion, un adieu à l’amour humain. […] Toute la symphonie parle de réminiscences, de nostalgie, de tendresse, de relations personnelles. Au milieu de cette nostalgie attristée, il y a une série d’immenses progressions, des rencontres personnelles qui tantôt marchent et tantôt échouent. Elles sont suivies de renoncements, de retraites, de redditions. Suivis de nouvelles tentatives de se souvenir, de ressaisir, de revivre les moments passionnés de la vie. […] Dès que j’arrive à la fin de ce premier mouvement, avec sa rage tempétueuse et ses aspirations, c’est comme si j’étais à la fin d’un roman de Tolstoï. Il dure près d’une demi-heure. C’est une espèce de « Guerre et Paix », et je suis toujours étonné à l’idée qu’il reste encore trois autres longs mouvements à jouer, dans lesquels Mahler fait de nouveau ses adieux à d’autres aspects de la vie. »

Les deuxièmes et troisièmes mouvements sont des danses pleines de fougues, d’ironies et de futilités. Selon Bernstein la première danse est rustique et la seconde urbaine.

Je dirai que Mahler s’amuse, essaye de se divertir entre l’immense premier mouvement et le sublime adagio final. Pour cet adagio, il vaut mieux encore laisser la parole à Leonard Bernstein qui a tant joué, étudié et aimé la musique de Mahler :

« Le mouvement est à peine discernable. L’espace entre les lignes est immense. C’est ce qui se rapproche le plus dans la musique occidentale de la notion orientale de méditation transcendantale. Mais il n’est pas encore prêt à accepter cette solution, ce « Brahma », ce néant. Et il se cramponne donc de nouveau à la vie avec amertume, ressentiment, passion. Tout au long du mouvement, Mahler alterne entre ces deux tentatives de réalisation spirituelle : l’occidentale et l’orientale. Lorsqu’il s’essouffle dans l’une, il essaie l’autre, et inversement. Il y a une série de progressions, dont la dernière n’aboutit pas. Très courte, elle essaie de les surpasser toutes, mais n’y parvient pas.
Après cela, on a soudain le sentiment qu’il laisse filer. C’est le tournant du dernier mouvement, car c’est à ce moment-là que le monde lui glisse entre les doigts. Il réussit à parvenir à une acceptation heureuse, sereine de la fin de la vie. Et il lâche prise. Et ce moment est l’une des choses les plus remarquables de toute la musique : la dernière page de cette symphonie. Qui arrive avec une étonnante lenteur, une étonnante série de silences. Mais après chacun il essaie de nouveau de ressaisir la vie, de s’y accrocher, et elle glisse de nouveau. Il y a une série de tentatives, de moins en moins réussies. Et finalement il lâche, complètement, de la plus merveilleuse façon, par le silence plus que par les notes.
A la fin du mouvement, il n’y a plus qu’une série de « fils d’araignée » : Un petit fil qui le rattache à peine à la vie. Et puis qui lâche, et puis un autre petit fil, juste un la bémol aigu, et il finit, et c’est le silence. Et finalement, l’acceptation, et tout s’éteint. »

Ces pianossimos finaux que Claudio Abbado expliquait à ses musiciens par l’image suivante : « le bruit que fait la neige qui tombe sur de la neige ».

La symphonie a émergé du silence et retourne dans le silence, après être passé par des chemins tortueux de violence, de chaos, de méditation et de tendresse. Si le coeur vous en dit Gil Pressnitzer, sur le site Esprits Nomades analyse longuement cette symphonie de l’adieu et de la plénitude : « L’abîme des abîmes »

Que dire de l’interprétation de Klaus Mäkelä du haut de ses 28 ans ?

D’abord on est frappé une nouvelle fois par la symbiose incroyable qu’il est parvenu à créer avec son Orchestre de Paris qu’il va quitter en 2027 pour devenir le directeur musical de deux orchestres qui se trouvent dans le Top 5 au niveau mondial : L’orchestre du ConcertGebouw d’Amsterdam et le Chicago symphony Orchestra.

Ensuite, j’ai été ému et j’ai aimé par ce concert.

Les critiques ont été partagées. Le magazine Diapason a été déçu « Une claudicante Neuvième de Mahler par Klaus Mäkelä ». Le site ResMusica est dans le même esprit :« un beau témoignage orchestral, malheureusement dénué d’émotion, d’intériorité et de continuité. ».

André Peyrègne, déjà cité, est d’un avis opposé « On eut droit à une interprétation étourdissante, bouleversante, mémorable de cette œuvre hors du commun. ». Le plus drôle est Loïc Céry qui non seulement encense Klaus Mäkelä « Une version magistrale de la Neuvième Symphonie de Mahler par l’orchestre de Paris sous la direction de Klaus Mäkelä jeudi 3 octobre », en outre, critique les deux premiers critiques avec un argumentaire solide et structuré.

Pour ma part, sur le site de Diapason j’ai plus simplement répondu à la première critique par ces mots :

« j’ai beaucoup aimé. Évidemment que dans 40 ans, il jouera autrement ce monument, cet Omega de la musique selon Karajan. Il aura alors 68 ans et je ne serai plus en état de l’entendre.
Alors je suis très heureux et comblé d’avoir pu entendre ce que du haut de ses 28 ans, Klaus Mäkelä pouvait faire résonner de cet œuvre d’adieu, de mort et de beauté.
Il a su donner des moments sublimes dans l’adagio, mais aussi la fin du premier mouvement qui fut un moment de grâce. Et il n’y a jamais eu des moments de vide, tout était habité et intéressant.
Il a eu raison d’interpréter cette oeuvre à ce stade de son développement artistique et humain.
J’étais rempli de beauté et d’émotion à la fin de ce concert.
Et rien ne m’empêche en rentrant d’écouter sur ma chaîne d’autres interprétations : Giulini, Walter a quelques mois de sa mort, Karajan, Klemperer ou Sinopoli et tant d’autres…. Abbado par exemple…
Cette œuvre est si riche et si intense qu’elle autorise beaucoup de regards différents.»

Au cours des années, beaucoup d’enregistrements remarquables ont été publiés. Faire un choix est très subjectif.

Sur internet vous trouverez de nombreuses interprétations de cette 9ème symphonie, mais toujours avec cette contrariété absolue d’interruption de la musique par de la publicité, contrepartie de la gratuité.

Si vous passez outre ce sacrilège, vous pouvez visionner le dernier concert, en tant que directeur musical, sur une page coréenne, de Seiji Ozawa à la tête du Boston Symphony Orchestra dans le Boston Symphony Hall, le 20 avril 2002.

Seiji Ozawa fut le directeur musical de cet orchestre durant près de trente ans, de 1973 à 2002.

« Mahler – 9 – Boston Symphony – Seiji Ozawa – 20 avril 2002 »

Lundi 29 avril 2024

« L’évocation d’une ancienne tradition qui est en réalité très moderne. »
Max Fisher, journaliste qui rappela que le relais de la flamme olympique est une invention de l’Allemagne nazie

Ces derniers jours quand on allume la radio et je suppose la télévision (que je ne regarde pas) on nous parle beaucoup de la flamme Olympique.

Actuellement, elle se trouve sur le navire le BELEM pour faire le trajet d’Athènes à Marseille où elle arrivera le 8 mai. Puis elle sera portée par de nombreux athlètes dans un très long trajet à travers la France, toute la France, c’est à dire aussi les départements et territoire d’outre mer.

Un site <Relais de la flamme olympique : parcours> vous permet d’en connaître tous les détails. Un article plus simple de l’hebdomadaire <Le Point> donne la liste des villes et les dates.

Lyon et d’autres villes ont refusé d’accueillir la flamme pour ne pas s’acquitter des 180 000 euros exigés pour que le trajet daigne passer par la métropole lyonnaise.

Au préalable, il a fallu allumer cette flamme à Olympie grâce aux rayons du soleil et l’aide de femmes habillées de manière hollywoodienne, dans l’objectif de ressembler à des prêtresses grecques.

J’espère que les adeptes exacerbés des trois monothéismes se rendent compte que nous sommes en pleine célébration polythéiste. On ne dira jamais assez que le polythéisme constitue une invitation à la tolérance, contrairement au monothéisme qui confond croyance et vérité.

Le polythéisme est aussi pragmatique puisque la flamme n’a pas été allumée par le soleil le jour prévu, c’est à dire mardi 16 avril, parce que les nuages ne l’ont pas permis. Il y avait un plan B, une flamme, allumée selon le rite,  attendait sagement de pouvoir transmettre le feu.

Mais quelle est cette tradition qui consiste à faire parcourir à la flamme olympique un si long trajet ?

Il existe même une question préalable : Cette tradition de la flamme olympique existait-elle lors des jeux antiques ?

Sur le site officiel des jeux olympiques de Paris, les organisateurs prétendent que oui :

« Lors des Jeux Olympiques antiques, la Flamme était générée par les rayons du soleil et restait allumée pendant toute la durée des Jeux dans un sanctuaire d’Olympie, le Prytanée. ».

Ce n’est pas ce qu’affirme Wikipedia dans son article sur la flamme olympique :

« La flamme olympique n’existait pas dans les Jeux olympiques antiques. Elle est apparue pour la première fois le 28 juillet 1928 lors des Jeux olympiques d’été de 1928, à Amsterdam. »

La bible française en matière de sport : L’Équipe pose la question à Vinciane Pirenne-Delforge, professeur au Collège de France, qui confirme : « Pas de flamme olympique dans l’Antiquité ».

Une recherche Google donne comme élément de rapprochement qu’à l’époque, des torches étaient allumées pour des cérémonies religieuses, en hommage à certains Dieux ou durant des compétitions sportives, comme des courses de flambeau !

Voilà qui est dit !

Lors de la création des jeux olympiques de l’ère moderne, en 1896 à Athènes, il n’a pas été question non plus de flamme olympique. Elle est apparue, comme l’écrit Wikipedia en 1928 à Amsterdam.

Mais le parcours de la flamme à  travers des villes et des pays a été inventé par d’autres : les nazis. C’est ce que qu’on peu voir sur le Mémorial de l’Holocauste. Mais un article du journal « Le Monde » de 2012 nous donne plus de précision :

« Le journaliste Max Fisher, du magazine américain The Atlantic, rappelle les conditions dans lesquelles est née cette tradition moderne, en 1936, pour les Jeux de Berlin. Le régime nazi avait inventé cette année-là le relais de la flamme, l’utilisant comme instrument de propagande.
A l’origine, Adolf Hitler ne voulait pas des Jeux, qu’il qualifiait d’« invention des juifs et des francs-maçons » [mais] convaincu par le ministre de la propagande, Joseph Goebbels, en 1934, Hitler en fit une démonstration du pouvoir nazi, une évocation des racines aryennes du peuple allemand, unifié par « l’esprit combattant » de ses athlètes. Il saisit aussi l’occasion de lier symboliquement son régime aux empires de l’Antiquité qui lui étaient chers. La flamme fut utilisée pour exprimer la continuité historique naturelle, imaginée par le régime nazi, entre son propre essor et l’héritage grec, via Rome et le Saint-Empire romain germanique. Cette année-là, les porteurs de flambeau passèrent par la Tchécoslovaquie. La propagande allemande encouragea des heurts entre des membres de la communauté allemande et la majorité tchèque. Deux ans plus tard, l’Allemagne envahissait le pays. […] L’idée originale de la torche avait été soufflée à Hitler et Goebbels par un dénommé Carl Diem, patron du Comité olympique du Reich, qui avait mené une longue campagne pour obtenir l’organisation des jeux en Allemagne. ».

Le Monde cite Max Fisher, qui écrivait que l’on peut encore discerner « les échos lointains de cette première cérémonie […] : les costumes, l’orchestration minutieuse, le fer et la flamme, l’évocation d’une ancienne tradition qui est en réalité très moderne ».

A ce stade, on peut conclure soit que le régime nazi a peut être eu des innovations qu’on peut reprendre, soit sentir un certain malaise devant cette antiquité inventée de toutes pièces par des monstres du XXème siècle.

<1803>

Vendredi 5 avril 2024

« Mais, au nom de Dieu, qu’on laisse tranquille la Palestine »
Yusuf Dia Khalidi (1842-1906), dans une lettre du 1er Mars 1899,destinée à Theodor Herzl

Est-il nécessaire de faire le point sur la situation à Gaza et au Proche-Orient ?

Nous sommes au milieu du chaos. Le Hamas, sans aucune considération et humanité à l’égard de la population de Gaza, a lancé une attaque terroriste d’une ampleur et d’une violence inouïe  contre Israël et sa population.

Depuis, dans un mouvement de réaction mais aussi de rage et de vengeance, Israël s’acharne sur les maisons de Gaza et surtout sa population.

Aujourd’hui, je voudrai partager une page d’Histoire. Du 29 au 31 août 1897, Theodor Herzl convoqua le Premier Congrès Sioniste mondial à Bâle, en Suisse. Ce congrès appelle à la création d’un foyer juif en Palestine. Dans son journal, à la date du 3 septembre 1897, il écrit :

«A Bâle, j’ai fondé l’État juif… Dans cinq ans peut-être, dans cinquante sûrement, chacun le verra.»

Un homme, un arabe de Palestine observe ce mouvement avec attention et angoisse. Il a pour nom Yusuf Dia Khalidi , certains écrivent son nom : Youssef Diya Al-Khalidi.

C’est un homme érudit, polyglotte, il a été maire de Jérusalem à plusieurs reprises. Il connaît le projet sioniste par les journaux. Et, il a observé les premières frictions entre les nouveaux arrivants et les fellahs (paysans) locaux, déplacés de force pour permettre la création des colonies.

Alors, le 1er mars 1899, Yusuf Dia Khalidi qui est alors député au Parlement impérial ottoman à Constantinople, prend la plume et envoie, en langue française, une lettre de sept pages au grand rabbin de France, Zadoc Kahn, lui demandant de la transmettre à Herzl.

Vous trouverez cette lettre, ainsi que la réponse de Theodor Herzl sur ce site <Correspondance 1899>. J’en cite quelques extraits. Voici d’abord l’introduction qui montre son empathie pour le peuple juif.

« Je me flatte de penser que je n’ai besoin de parler de mes sentiments vers Votre peuple. Tous ceux qui me connaissent savent bien, que je ne fais aucune distinction entre juifs, chrétiens et musulmans.

Je m’inspire toujours de la sublime parole de Votre Prophète Malachie, n’est-ce pas que nous avons un père commun à nous tous ? N’est-ce pas le même Dieu qui nous à créé tous ?

En ce qui concerne les israélites je prends cette parole au sens de la lettre, car, en dehors de ce que je les estime pour leurs hautes qualités morales et intellectuelles, je les considère vraiment comme parents à nous autres, arabes, pour nous ils sont des cousins, nous avons vraiment le même Père, Abraham, dont nous descendons également. […] Ce sont ces sentiments qui me mettent à l’aise pour Vous parler franchement de la grande question qui agite actuellement le peuple juif. Vous Vous doutez bien que je veux parler du Sionisme. »

Et, il écrit ensuite ce paragraphe que l’historien juif, Georges Bensoussan, relève dans son livre « Les origines du conflit israélo-arabe (1870-1950) » :

« L’idée en elle-même n’est que toute naturelle, belle et juste. Qui peut contester les droits des Juifs sur la Palestine ? Mon Dieu, historiquement c’est bien Votre pays ! Et quel spectacle merveilleux ça serait si les Juifs, si doués, étaient de nouveau reconstitués en une nation indépendante, respectée, heureuse, pouvant rendre à la pauvre humanité des services dans le domaine moral comme autrefois ! »

Yusuf Dia Khalidi exprime d’abord l’idée que le projet sioniste est voué à l’échec. L’Histoire lui a donné tort, l’État d’Israël a bel et bien vu le jour. Mais quand il écrivait cela, il ne pouvait imaginer une succession d’évènements au XXème siècle qui vont rendre possible ce qui semblait impossible : la Première guerre mondiale, la disparition de l’Empire ottoman, l’attitude ambigüe, perverse et colonisatrice britannique, la seconde guerre mondiale, la shoah. Cette succession d’horreurs et d’interventions délétères des États européens vont permettre, avec la volonté, l’action et l’organisation des juifs de Palestine, la réalisation de l’utopie sioniste :

« Malheureusement, les destinées des nations ne sont point gouvernées seulement par ces conceptions abstraites, si pures, si nobles qu’elles puissent être. Il faut compter avec la réalité, avec les faits acquis, avec la force, oui avec la force brutale des circonstances. […] J’ai été pendant dix ans maire de Jérusalem, et après député de cette ville au Parlement impérial et je le suis encore ; je travaille maintenant pour le bien de cette ville pour y amener de l’eau salubre. Je suis en état de Vous parler en connaissance de cause. Nous nous considérons nous Arabes et Turcs, comme gardiens des lieux également sacrés pour les trois religions, le judaïsme, la chrétienté et l’Islam. Eh bien, comment les meneurs du Sionisme peuvent-ils s’imaginer qu’ils parviendraient à arracher ces lieux sacrés aux deux autres religions qui sont l’immense majorité ? Quelles forces matérielles les juifs possèdent-ils pour imposer leur volonté eux qui sont 10 millions au plus, aux 350 millions des chrétiens et 300 millions des musulmans. Les Juifs possèdent certainement des capitaux et de l’intelligence. Mais si grande que soit la force de l’argent dans ce monde, on ne peut acheter tout à coups de millions. […] C’est donc une pure folie de la part de Dr. Herzl, que j’estime d’ailleurs comme homme et comme écrivain de talent, et comme vrai patriote juif, et de ses amis, de s’imaginer que, même s’il était possible d’obtenir le consentement de S.M. le Sultan, ils arriveraient un jour de s’emparer de la Palestine.»

Mais s’il s’est trompé dans sa première prédiction, il ne s’est pas trompé sur le fanatisme et le bain de sang que suivrait une telle réalisation. Il pensait que la plus grande haine viendrait des chrétiens, il a sous estimé la réaction des arabes musulmans de Palestine qui se sont sentis trahis, envahis, ignorés, dépossédés :

Mais je ne me croirais pas en droit d’intervenir si je ne prévoyais pas un grand danger de ce mouvement pour les israélites en Turquie et surtout en Palestine.
Certes, les Turcs et les Arabes sont généralement bien disposés envers Vos coreligionnaires. Cependant il y a parmi eux aussi des fanatiques, eux aussi, comme toutes les autres nations, même les plus civilisées, ne sont pas exemptes des sentiments de haine de race. En réalité, il y a en Palestine des Chrétiens fanatiques, surtout parmi les orthodoxes et les catholiques, qui considérant la Palestine comme devant appartenir à eux seulement, sont très jaloux des progrès des Juifs dans le pays de leurs ancêtres et ne laissent passer aucune occasion pour exciter la haine des musulmans contre les Juifs. Il y a lieu de craindre un mouvement populaire contre Vos coreligionnaires, malheureux depuis tant de siècles, qui leur serait fatal et que le gouvernement doué des meilleures dispositions du monde ne pourra étouffer facilement. C’est cette éventualité très possible qui me met la plume dans la main pour vous écrire. Il faut donc pour la tranquillité des Juifs en Turquie que le mouvement sioniste, dans le sens géographique du mot, cesse. Que l’on cherche un endroit quelque part pour la malheureuse nation juive, rien de plus juste et équitable. Mon Dieu, la terre est assez vaste, il y a encore des pays inhabités ou l’on pourrait placer les millions d’israélites pauvres, qui y deviendraient peut-être heureux et un jour constitueraient une nation. Ce serait peut-être la meilleure, la plus rationnelle solution de la question juive. Mais, au nom de Dieu, qu’on laisse tranquille la Palestine. »

18970101_PD0019Theodor Herzl lui répondra avec diplomatie, sens de l’économie et en minimisant l’ambition sioniste en ce lieu. A sa décharge, lui aussi ne pouvait imaginer ce que la première moitié du XXème siècle allait bouleverser dans l’histoire de l’humanité et particulièrement de l’Europe :

« […] les Juifs n’ont aucune puissance belligérante derrière eux, et ils ne sont pas eux-mêmes de nature guerrière. C’est un élément tout à fait paisible, et très satisfaisant s’ils sont laissés en paix. Il n’y a donc absolument rien à craindre de leur immigration. […]
Vous voyez une autre difficulté, Excellence, dans l’existence de la population non-juive en Palestine. Mais qui penserait à les renvoyer ? C’est leur bien-être, leur richesse individuelle que nous augmenterons en y apportant la nôtre. Pensez-vous qu’un Arabe qui possède un terrain ou une maison en Palestine d’une valeur de trois ou quatre mille francs sera très fâché de voir le prix de sa terre augmenter en peu de temps, de la voir augmenter de cinq à dix fois en valeur peut-être en quelques mois ? D’ailleurs, cela se produira nécessairement avec l’arrivée des Juifs. C’est ce que la population indigène doit réaliser, qu’elle gagnera d’excellents frères comme le Sultan gagnera des sujets fidèles et bons qui feront prospérer cette province, cette province qui est leur patrie historique. »

Je vous redonne le lien vers le site qui donne l’intégralité des lettres : <Correspondance 1899>. J’ai appris l’existence de cet échange par l’excellente série que Thomas Snégoroff a consacré à ce conflit « Six dates clés » et particulièrement la première émission avec l’historien Vincent Lemire : « 1897, l’utopie sioniste »

Bien sûr, ce ne seront pas les historiens qui trouveront les solutions de la Paix aujourd’hui. Mais ils permettent quand même de comprendre que ce territoire est celui de deux peuples et qu’il faut des hommes d’État qui soient capables de trouver les conditions de cohabitation des deux peuples dans l’honneur et la sécurité. Celles et ceux qui pensent qu’il est possible de vider ce territoire de l’autre peuple sont atteints de folie qui ne peut que faire perdurer le bain de sang.

<1800>

Lundi 25 mars 2024

« L’espèce fabulatrice »
Nancy Huston

Nous nous racontons des histoires.
Nous adorons nous raconter des histoires.

Un jour Moïse est passé à côté d’un buisson ardent, c’est-à-dire qui brulait sans se consumer et il a entendu une voix qui l’interpellait : « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. ». Et sur la demande de cette voix, Moïse va rassembler le peuple des hébreux qui est esclave en Égypte et parvenir à convaincre le pharaon de laisser ce peuple partir d’Égypte. C’est ce qu’on lit dans le livre de l’Exode.

Plus tard, Moïse monte sur le mont Sinaï et reçoit les tables de la Loi de ce même Dieu. Et c’est ainsi que naît la religion qu’on appelle désormais la religion juive.

Est-ce qu’il existe un début de réalité dans ce récit ? Personne ne le sait, un grand nombre l’a cru et il en est encore qui le croit.

Pour ce récit, des hommes ont consacré quasi toutes les heures de leur vie à étudier, à essayer de comprendre, à écrire des livres, à s’obliger et obliger les autres à suivre avec rigueur des normes sociétales et aussi à faire la guerre.

Une autre histoire a été racontée plus tard : une femme du nom de Marie a enfanté un enfant mais sans avoir de relations sexuelles au préalable. Cet enfant de Galilée, Jésus, a par la suite, prêché, fait des miracles. Il est entré dans Jérusalem et a été accueilli par une foule qui agitait des rameaux en signe de bienvenue et quelques jours après, à la suite d’histoires de désordres et de trahisons, les romains l’ont arrêté et crucifié. Mais deux jours après sa tombe était vide. Certains de ses disciples disent qu’ils l’ont vu vivant, d’autres l’auraient vu mais ne l’ont pas reconnu immédiatement. Ses disciples racontent qu’il est ressuscité d’entre les morts et qu’au bout de quarante jours il a fait une ascension qui pourrait faire penser qu’un vaisseau spatial extra-terrestre l’a emmené. Le récit ne parle pas d’extra-terrestre mais d’une montée vers dieu sans passer par la mort. A partir de ce moment-là, les disciples vont attendre fébrilement son retour, ils appelleront cela l’attente du royaume. Mais au bout de l’attente, ne voyant pas venir le royaume, ils ont créé l’Église. Il y a eu par la suite une rencontre particulièrement féconde avec un empereur romain, Constantin qui dans le cadre d’une guerre civile a trouvé judicieux de raconter, à son tour, une histoire qui disait que c’est avec cette croyance qu’il a pu vaincre son adversaire pour régner sur l’Empire.

Ce récit correspond-il a des faits qui ont vraiment eu lieu ? Personne ne le sait, un grand nombre l’a cru et il en est encore qui le croit.

Michel Onfray prétend que Jésus n’a pas existé. Selon mes lectures, la plupart des historiens pensent plutôt qu’il a existé. Pour le reste nous sommes dans la croyance. Il y a un point qui est historiquement certain : Par l’action de Constantin et de ses successeurs, la religion chrétienne est devenue la religion de l’empire romain. Et c’est ainsi que les persécutés allait bientôt devenir les persécuteurs.

Là encore, des humains allaient consacrer toute leur vie pour suivre et illustrer ce récit. Pour ce récit, ils vont encore construire des cathédrales, des couvents, créer des œuvres musicales et graphiques, mettre en place des œuvres de charité, des hôpitaux, mais aussi faire la guerre, enfermer, torturer, brûler vif celles et ceux que les autorités de l’Église accusaient ne pas suivre les règles de cet autre récit ou narratif.

Il y a une troisième histoire qui s’est passée en Arabie, entre La Mecque et Médine, un homme a raconté avoir rencontré un être spirituel qui lui a expliqué qu’il existait un Dieu unique et qu’il fallait suivre un certain nombre de règles et de principes pour lui être agréable et pouvoir bénéficier de ses faveurs notamment après la mort. C’est une histoire plus récente, mieux documentée. Sa part de vérité n’est pas davantage certaine, un grand nombre le croit encore.

En outre, il y a des interprétations. Les membres du Hamas prétendent que la terre de Palestine leur a été donné par Allah. L’Histoire, qui n’est pas croyance mais la science des historiens, nous apprend plutôt que ce sont des armées musulmanes qui ont vaincu dans des combats meurtriers les troupes de l’empire byzantin, appelé aussi empire romain d’orient, notamment lors de la bataille de Yarmouk (2 août 636) en Syrie. Dans le narratif musulman, c’est bien sûr Allah qui a permis ces victoires militaires et humaines. Ce qui est étonnant, si l’on donne crédit à cette hypothèse, c’est ce que ce narratif n’admet pas que si l’armée israélienne a battu les armées arabes, lors des différentes guerres depuis 1948, c’était parce que Allah, qui peut tout, le voulait ainsi…

Nancy Huston explique que notre espèce homo sapiens est fabulatrice, donc raconte des fables, pour <les raisons suivantes>

« [Homo sapiens] invente des histoires et construit des mythes en raison de sa fragilité.À la différence de tous les primates supérieurs, l’être humain naît prématurément, plusieurs mois avant terme. S’il naissait à terme, vu le gigantisme de son crâne (dû à la taille exceptionnelle du cerveau chez Homo sapiens) et la minceur du bassin de la mère (due à la station debout adoptée par Homo sapiens), tous les accouchements seraient fatals : pour la mère, l’enfant ou les deux. Ce qui engendrerait, en quelques décennies, la fin de notre espèce. Quant au bébé humain, il doit être aidé, protégé et éduqué pendant de longues années avant de pouvoir se débrouiller seul. Enfin, notre vulnérabilité par rapport aux autres espèces qui nous entourent (presque pas de griffes, de crocs ou de poils […] nous oblige à nous lier entre nous pour la survie de notre espèce. »

C’est une thèse que Yuval Noah Harari, après d’autres, a largement développé dans son œuvre « Sapiens » : Le récit permet de fédérer un grand nombre d’humains qui ne se connaissent pas en dépassant largement le cercle du clan et de la famille, pour réaliser un groupe très fort. Homo sapiens est devenu ainsi l’espèce dominante alors que, seul, homo sapiens était moins fort que plusieurs autres espèces.

Une autre fragilité de notre espèce est qu’elle a conscience de sa finitude, que chaque individu va mourir. Raconter un récit rassurant qui donne une perspective après ce passage inéluctable, permet de calmer un peu les angoisses de la vie, surtout vers la fin.

Celui qui se trouve devant le corps sans vie d’un être aimé, ne peut se résoudre à ce que cela se termine ainsi. Attraper le récit religieux qui donne sens à ce moment, devient tentant et agit tel un baume réparateur en y ajoutant un espoir de se retrouver.

Johann Chapoutot, dans son livre « Le grand récit » parle de ces narratifs religieux et y ajoute des religions sans dieu qui promettait aussi des avenirs radieux, comme le « communisme », le « fascisme », le « nazisme ». C’était encore des narratifs qui voulaient expliquer et donner un sens à l’Histoire. Au bout de la croyance, de beaucoup de sacrifices un avenir radieux était promis, mais sur terre.

Johann Chapoutot ne dépasse pas l’horizon occidental. Or il y a aussi des narratifs dans d’autres civilisations confucéennes, bouddhistes, Hindouistes et encore bien d’autres.

Et Johann Chapoutot évoque le philosophe Jean-François Lyotard qui considère que la structuration de la société par les grands récits est désormais remplacée par une fragmentation des récits qui se centre davantage sur l’individu.

Et, selon Chapoutot, on voit l’émergence de nouveaux récits qui structurent notre vision du monde. Ils servent à se cartographier à se repérer et à lire le réel présent pour essayer de lui donner sens : on peut parler de la pensée anticoloniale, woke, des théories du genre.

Ce qui me semble essentiel de comprendre, c’est qu’en étant inspiré de ces récits globaux ou fragmentés, on va appliquer le filtre de ce narratif à la réalité et ainsi totalement modifier la perception des faits et des évènements analysés.

Quand vous observez la guerre à Gaza avec le filtre religieux, ou le filtre anticolonialiste vous changez totalement votre perception des faits, vous écoutez certaines sources et restez sourds à d’autres qui sont en dehors de votre narratif.

Ce que je pense avoir compris c’est que ce narratif est partout. Prenez l’exemple d’un couple qui se défait, rarement les deux protagonistes racontent la même chose. Certains parleront d’un ressenti différent en essayant d’expliquer ou de trouver des raisons au conflit. Mais à la fin, cela conduit inéluctablement à deux narratifs différents qui s’opposent.

Notre société, nos valeurs, notre manière d’agir se basent énormément sur le narratif de la méritocratie. J’ai déjà consacré une série sur ce sujet : <La méritocratie>. C’est un récit essentiel qui assure un ordre assez apaisé à la société : mon sort est la conséquence de mon mérite. Comme la plupart des histoires, ce n’est pas totalement faux : on réussit mieux si on fait beaucoup d’efforts. Mais les études sociologiques et économiques sont suffisamment nombreuses désormais pour constater que la réussite sociale est étroitement corrélée au statut social des parents. Vous êtes très riches parce que vos parents étaient très riches, vous êtes pauvres parce que vos parents étaient pauvres et puis… il y a quelques exceptions qui constituent des alibis du narratif.

Aujourd’hui, nous sommes mêmes rentrés dans un nouveau stade celui des faits alternatifs qu’il est possible d’exprimer ainsi : à chacun ses faits. Les électeurs de Trump et les électeurs de Biden ont chacun leur version des faits, je crains qu’en France les mêmes clivages soient présents.

Géraldine Muhlmann, agrégée de Philosophie et productrice de l’émission « Avec philosophie » sur France Culture, a écrit un livre inquiet sur ce sujet : « Pour les faits »

Elle a répondu à une interview dans Ouest-France « Qu’on s’engueule d’accord mais qu’on parle des même faits ! »
Elle cite Charles Péguy, à l’aube de la Première Guerre mondiale :

« Il faut toujours dire ce que l’on voit : surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit. »

Et Géraldine Muhlmann plaide qu’on en revienne aux récits des faits.

C’est ce qu’elle développe avec Johann Chapoutot et Tristan Mendès France dans une émission de France Inter de Novembre 2023 « La guerre des récits » largement consacré à la guerre de Gaza.

Peut-être certains seront-ils surpris de ce lien que j’établis entre les grands récits, les récits fragmentés et finalement les faits alternatifs ?

Chacun de ces narratifs, rassurants pour celles et ceux qui les croient, vont contribuer à raconter le monde, non à tenter de le comprendre.

Ils vont écarter certains faits, donner de l’importance à d’autres, en modifier certains pour rester cohérent avec leur narratif.

Ce sont ces dynamiques, dans leurs trois dimensions, grands récits, récits fractionnés, faits alternatifs qui sont à l’œuvre dans le conflit de Palestine, en Ukraine et sur bien d’autres terrains.

<1798>

Lundi 12 février 2024

« [Son travail] témoigne, mieux que tous les discours, que l’on ne doit jamais désespérer des hommes. »
Robert Badinter, avant-propos à l’édition de la thèse de Philippe Maurice

Bien sûr, il faut honorer la mémoire de cet humaniste que la France a eu la chance de compter dans ses rangs : Robert Badinter.

Il semble légitime d’écrire qu’il est mort de vieillesse à 95 ans, le 9 février 2024.

Au cours du week-end, les médias ont rappelé son histoire et ses combats nombreux, toujours pour défendre l’honneur et la dignité de la personne humaine.

Son grand combat, fut l’abolition de la peine de mort en France.

Les gens de ma génération se souviennent de ce discours qu’il prononça le 17 septembre 1981 à l’Assemblée Nationale.

<Discours> qui commença par ces mots

« J’ai l’honneur, au nom du gouvernement de la République, de demander à l’Assemblée nationale l’abolition de la peine de mort en France. »

Un peu plus loin, il disait :

« La France a été parmi les premiers pays du monde à abolir l’esclavage, ce crime qui déshonore encore l’humanité.
Il se trouve que la France aura été, en dépit de tant d’efforts courageux, l’un des derniers pays, presque le dernier – et je baisse la voix pour le dire – en Europe occidentale dont elle a été si souvent le foyer et le pôle, à abolir la peine de mort.
Pourquoi ce retard ? Voilà la première question qui se pose à nous. »

En 2016, lors d’une commémoration de cette abolition, Robert Badinter avait eu ce mot dans les matins de France Culture :

« La France n’est pas le pays des droits de l’Homme, elle n’est que le pays de la déclaration des droits de l’Homme »

J’en fis le mot du jour du <21 octobre 2016>

Outre, qu’il rappela qu’il n’est jamais apparu que l’existence de la peine de mot eut un effet significatif sur le nombre de crimes de sang, il expliqua les deux raisons fondamentales qui, selon lui, doivent conduire à rejeter définitivement la peine de mort :

« Il s’agit bien, en définitive, dans l’abolition, d’un choix fondamental, d’une certaine conception de l’homme et de la justice. Ceux qui veulent une justice qui tue, ceux-là sont animés par une double conviction : qu’il existe des hommes totalement coupables, c’est-à-dire des hommes totalement responsables de leurs actes, et qu’il peut y avoir une justice sûre de son infaillibilité au point de dire que celui-là peut vivre et que celui-là doit mourir.

A cet âge de ma vie, l’une et l’autre affirmations me paraissent également erronées. Aussi terribles, aussi odieux que soient leurs actes, il n’est point d’hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement. Aussi prudente que soit la justice, aussi mesurés et angoissés que soient les femmes et les hommes qui jugent, la justice demeure humaine, donc faillible. »

Et puis, il existait au fond de lui cette conviction qu’un être humain, même celui qui avait commis le pire, était toujours capable de devenir meilleur.

Je voudrais pour rendre hommage à Robert Badinter, narrer l’histoire de Philippe Maurice que l’on peut trouver sur Wikipedia.

Philippe Maurice est né à Paris le 15 juin 1956.

En quittant l’armée, Philippe Maurice participe à un trafic de faux billets. Les gendarmes dans l’Aveyron le surprennent en train de forcer un barrage routier avec un véhicule volé. Puis, il est inculpé et incarcéré à la maison d’arrêt de Rodez, en mars 1977, dans le cadre de plusieurs recels de vols de véhicules et de multiples escroqueries (usages de chèques volés, faux monnayage), délits pour lesquels le tribunal de Millau le condamne en 1978 à cinq ans de prison dont un an avec sursis. Lors d’une permission de sortie il ne regagne pas la maison d’arrêt.

Avec un ami, il se lance dans une série de vols à main armée en région parisienne qui se termine dans un épilogue sanglant, d’abord avec le meurtre le 26 septembre 1979 d’un veilleur de nuit qui le surprend en flagrant délit de vol de véhicule dans le 15e arrondissement de Paris, puis avec les meurtres de deux gardiens de la paix de la préfecture de police qui tentent de les intercepter dans la nuit du 7 décembre 1979, rue Monge dans le 5e arrondissement de Paris. Son ami est tué dans la fusillade.

Philippe Maurice est condamné à mort par la cour d’assises de Paris le 28 octobre 1980 pour complicité de meurtre et meurtre sur agents de la force publique.

Il va même tenter une évasion, le 24 février 1981, et blesser grièvement un gardien de prison avec une arme que lui avait remis clandestinement son avocate.

Comme dirait les jeunes de maintenant : « C’est du lourd !»

Son pourvoi de cassation est rejeté le 19 mars 1981, le président d’alors Valéry Giscard d’Estaing repousse volontairement sa réponse pour la demande de grâce, après les élections présidentielles de mai 1981, laissant à son successeur, qui pouvait être lui-même, la charge de répondre à cette demande.

Le 10 mai 1981, François Mitterrand qui avait déclaré qu’il voulait abolir la peine de mort s’il était élu, gagne les élections présidentielles.

Le 11 mai 1981, Robert Badinter va visiter Philippe Maurice dans sa prison et lui dit :

« Vous allez être gracié, l’abolition de la peine de mort est imminente. D’une certaine manière, vous allez symboliser désormais l’abolition elle-même… ». Il lui enjoint de reprendre ses études en prison.

Le 25 mai 1981, le nouveau président de la République, François Mitterrand, quatre jours après son investiture, lui accorde sa grâce et commue sa condamnation à mort en une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité.

Une fois gracié, Philippe Maurice abandonne ses projets d’évasion et suit le conseil de Badinter : il se met à étudier en commençant par l’équivalence du baccalauréat (examen d’entrée à l’université). Il passe sa licence d’histoire en 1987. Le 18 octobre 1989, il soutient sa maîtrise d’histoire du Moyen Âge.

C’est en décembre 1995 qu’il soutient une thèse de doctorat en histoire médiévale, dirigée par Bernard Chevalier et Christiane Deluz, à l’université François-Rabelais de Tours portant sur « La famille au Gévaudan à la fin du Moyen Âge ». Pour sa première sortie de prison sans menottes depuis 16 ans, trois gendarmes et trois fonctionnaires de la pénitentiaire sont chargés de l’observer lors de la soutenance. La thèse recueille les félicitations unanimes du jury et la mention « très honorable ».

À l’automne 1999, il est placé en régime de semi-liberté. Puis le 8 mars 2000, il bénéficie d’une libération conditionnelle. La communauté scientifique de l’université de Tours lui trouve un poste d’assistant de recherche. Par la suite, il sera chargé de recherches, il travaillera à l’EHESS dans les domaines de la famille, de la religion et du pouvoir au Moyen Âge. Il fut également chargé de recherche au CNRS.

Dans l’avant-propos à l’édition de sa thèse, Robert Badinter rappelait qu’il était venu voir Philippe Maurice à Fresnes le lendemain même du 10 mai 1981 :

« Je lui ai dit que, parce qu’il devait sa vie à l’abolition imminente, il symboliserait d’une certaine manière, l’abolition elle-même (…). [Son travail] témoigne, mieux que tous les discours, que l’on ne doit jamais désespérer des hommes. »

Le 25 mai 2000, le journal « Le Monde » lui a consacré un très long article : < Il était une fois… Le retour à la vie de Philippe Maurice >

J’en tire deux extraits. D’abord celui qui décrit la soutenance de la thèse :

« Alors, en décembre 1995, Philippe Maurice soutient sa thèse à Tours, le temps d’une extraction, sous escorte policière, du centre de détention de Caen. Cinq heures de face-à-face érudit, qui rompent la solitude et valident 1 245 pages, fruit de sa patience et de sa volonté. « Une prestation remarquable d’intelligence du sujet », se souvient Jacques Poumarède, historien à Toulouse des institutions du droit. Mention « très honorable » avec félicitations du jury. « Vous m’avez rendue plus intelligente », conclut ce jour-là une professeure de la Sorbonne, à sa place de juré. »

Et ce jugement de deux des plus grands historiens français :

« [Philippe Maurice figure] parmi les meilleurs docteurs en histoire dont j’ai eu connaissance ces dernières années, attestait le médiéviste Jacques Le Goff, en 1996. Il s’agit là d’un cas exceptionnel non seulement de réinsertion psychologique, intellectuelle et morale, mais d’un apport important aux travaux de l’historiographie française contemporaine. » « Je suis tout à fait porté à lui faire confiance pour le travail qu’il pourrait accomplir dans l’avenir », écrivait l’historien et président de la Bibliothèque nationale de France, Jean Favier. »

Par <cet article> de « l’Obs » nous apprenons qu’il a été présent en 2021, avec Robert Badinter, pour célébrer le 40ème anniversaire de la peine de mort :

« La célébration du 40ème anniversaire de l’abolition de la peine de mort à l’Hôtel de Lassay, a été l’occasion pour Robert Badinter de plaider pour « l’abolition universelle ». Puis, il s’est adressé à ce professeur d’histoire, discrètement assis dans l’assistance, « il a été l’incarnation de l’abolition et il n’a pas déçu les espérances que nous avions en lui ». Appelé à son tour à prendre la parole, Philippe Maurice a rendu hommage à l’homme qui a consacré sa vie à la justice et, a-t-il ajouté, « à François Mitterrand que j’aurais aimé connaître ». Habillé tout de blanc, couleur des fantômes et des anges, Philippe Maurice tranchait sur l’aréopage en costumes sombres. Nulle effusion entre les deux hommes, l’ancien ministre cultive la réserve et le professeur, la discrétion. L’histoire les a fait se croiser et se recroiser mais Robert Badinter n’a pas été son défenseur. »

Sollicité par « Ouest-France », Philippe Maurice s’est dit trop pudiquement touché par la mort de Robert Badinter pour évoquer le sujet de vive voix. Il a toutefois rédigé un petit texte que voici à son égard :

« Voici plus de quarante ans, dans une cellule de condamné à mort, les pieds et les mains enchaînés, les chevilles ensanglantées, je recevais la visite régulière de Robert Badinter. Je n’étais qu’un gamin de banlieue sans avenir. Nous étions certains que je serais exécuté.
Cet homme, socialement si important, ce grand notable, se présentait toujours avec une boîte neuve de cigarillos. Il posait la boîte sur la table, devant nous, l’ouvrait, et m’invitait à fumer. Il allumait les cigarillos que je grillais ainsi devant lui. Quand, en parlant, je laissais mon cigarillo s’éteindre, attentif, attentionné, il se précipitait sur son briquet pour le rallumer. Je crois qu’il s’apercevait avant moi que le cigarillo était éteint.
Ce petit geste dont il ne s’est jamais vanté, je crois, aurait dû disparaître avec moi… À mes yeux, ce geste modeste reste une marque de sa très grande humanité… Le grand bourgeois se pliait devant la mort à venir d’un gamin destiné à l’échafaud. »

Philippe Maurice a publié plusieurs ouvrages d’historien : « La famille en Gévaudan au XV e siècle (1380-1483) » qui fut l’objet de sa thèse, en 1998, aux éditions de la Sorbonne, « Guillaume le Conquérant » en 2002, chez Flammarion, mais aussi son autobiographie : « De la haine à la vie », en 2001, aux éditions du Cherche Midi et « Adieu la mère », en 2014, aux éditions du Cherche Midi, consacré à la vie si difficile de sa mère.

<1791>

Vendredi 19 janvier 2024

« La chute infinie des soleils. »
Pièce de théâtre écrit par Elemawusi Agbedjidji

Avec Annie nous sommes allés, le 17 janvier, au Théâtre des Célestins, à Lyon, voir « La Chute infinie des soleils », écrite et mise en scène par Elemawusi Agbedjidji. Cette pièce sera jouée jusqu’au 27 janvier.

C’est un spectacle qui mêle le récit d’un naufrage, au XVIIIème siècle, avec celui d’un étudiant étranger, en France, qui tente de démontrer à un jury incrédule, lors d’une épreuve universitaire que cette histoire ancienne mérite d’être racontée et étudiée, parce qu’elle parle de nous et de notre humanité. La pièce mêle vérités historiques et fictions.

La scénographie est épurée et seul deux comédiens un homme et une femme se trouvent sur le plateau.

Avec une grande sobriété de moyens, la pièce de théâtre touche juste, et « tape avec le cœur sur le cœur » selon une expression de Christian Bobin.

Le récit historique nous apprend que dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1761, une frégate, de la Compagnie française des Indes, « L’utile » fait naufrage près d’une minuscule ile qui s’appelait alors « l’ile des sables », elle porte désormais le nom d’« île de Tromelin »

Elle a une superficie de 1 km², le tour de l’île fait 3,7 km et le point culminant se situe à 7m au-dessus du niveau de la mer.

Elle se situe dans l’Océan Indien et se trouve à 436 km à l’est de Madagascar et à environ 560 km au nord des îles de La Réunion et de Maurice

A cette époque, la France et l’Angleterre se combattent au cours de la « guerre de Sept Ans »..

La frégate Utile a été envoyée à Madagascar pour ravitailler les colonies.

Le navire a notamment pour mission de ravitailler l’île Maurice qui portait alors pour nom « l’île de France ». Cette île affronte une sévère famine en raison de la surpopulation d’esclaves. Pour cette raison, le gouverneur Antoine Marie Desforges-Boucher interdit temporairement leur commerce sur les terres qu’il administre (les îles de France et Bourbon, actuellement Maurice et La Réunion).

Mais ce trafic rapportant des sommes considérables, des marins se mettent à leur compte.

Ainsi le capitaine de l’Utile, Jean de La Fargue, malgré l’interdit, fait embarquer 160 esclaves malgaches afin de les revendre à Rodrigues pour sa fortune personnelle.

Ce trafic explique non seulement la route empruntée par le marin français (beaucoup plus au nord que la voie connue), mais aussi sa volonté d’expédier son chargement au plus vite, quitte à risquer le naufrage. Il navigue de nuit.

« La Libre Belgique » a consacré une page documentée sur ce drame

« Nous sommes le 31 juillet 1761, il est 22h20. La nuit est noire, la mer houleuse. Seuls quelques officiers et l’homme de barre sont encore sur le pont de l’Utile […]. Malgré les conditions de navigation difficiles, le bateau suit les ordres du capitaine, Jean de Lafargue, et fait route vers l’est. Le matin-même, une dispute avait éclaté entre le capitaine et son second, Barthélémy Castellan du Vernet, au sujet de la direction à prendre. Chacun, muni d’une carte différente, redoutait de passer trop près de l’Ile des Sables, un îlot d’un kilomètre carré dont la position n’était pas connue avec certitude. Buté, le capitaine Jean de Lafargue avait refusé d’écouter son second. Il en était sûr : la carte fournie par la Compagnie française des Indes Orientales était plus précise que celle, plus récente, dessinée par un vieux loup de mer. Le capitaine avait donc tué toute mutinerie dans l’œuf en déclarant d’un ton autoritaire que le cap resterait inchangé. […] »

Le navire va se fracasser contre la barrière de corail qui entoure l’île :

« En quelques secondes, des cris se firent entendre. Des hurlements de désespoir venant aussi bien des hommes d’équipage de toutes nationalités que des esclaves noirs, enfermés dans les cales du navire, piégés derrière des portes clouées. Castellan se mit aussitôt à distribuer des ordres. Son but : garder son bateau à flot jusqu’à ce que le soleil se lève. Durant dix longues heures, il fit son possible pour l’empêcher de tanguer. Malheureusement, il ne pouvait lutter contre les forces de la nature. Aux alentours de huit heures du matin, le 1er août 1761, le navire se brisa en deux, jetant à la mer des hommes désespérés, Blancs et Noirs, pour la plupart incapables de nager. Beaucoup périrent noyés ou déchiquetés contre les rochers. Mais, comme une lumière au bout du tunnel, l’un d’eux aperçut une minuscule île. A peine eut-il crié « Terre en vue » que tous les survivants usèrent leurs dernières forces pour rejoindre les côtes. Cette île de sable qui avait tant effrayé l’équipage et qui les avait fait sombrer était maintenant devenue leur seul espoir de survie.

Durant cette catastrophe, personne ne vit le capitaine Jean de Lafargue, dont l’Histoire nous apprendra qu’il était resté caché dans les toilettes du navire, sans doute occupé à se demander comment tout cela avait pu arriver. Plusieurs facteurs pouvaient en effet expliquer ce naufrage mais, à chaque fois, le capitaine avait sa part de responsabilité. Ainsi, si le bateau avait respecté sa mission de départ, il n’aurait même jamais emprunté cette route chaotique.  »

Sur les 140 membres d’équipage, 18 périssent avant d’atteindre la rive, il en reste donc 122.

Pour les esclaves noirs le bilan est beaucoup plus catastrophique, sur les 160 qui se trouvaient sur le bateau, il n’y a que 88 survivants. Comme l’Utile n’est pas taillé pour le transport d’esclaves, les cales sont clouées chaque soir pour éviter toute révolte. Cette nuit-là, les prisonniers ne doivent leur délivrance qu’à la violence de la houle, qui brise le pont du navire en même temps que les portes de leurs geôles.

Le capitaine a sombré dans la folie, il est incapable d’organiser le sauvetage. C’est désormais son premier lieutenant, Barthélémy Castellan du Vernet, qui mène les opérations. Après une brève reconnaissance de l’île, ce dernier s’aperçoit que la terre qu’il foule n’abrite ni arbre ni eau douce. L’épave de l’Utile représente quasiment l’unique ressource de l’île. Durant les trois premiers jours, le rationnement décrété par les Français entraîne le décès d’une trentaine d’esclaves, privés d’eau potable.

« Au bout de quelques jours, les survivants entament la construction d’un puits de 5 mètres de profondeur qui leur offrira de l’eau saumâtre, de l’eau de mer dont la majorité du sel est filtré par le corail. Une fosse commune est également creusée afin d’y enterrer les corps des Noirs morts de soif. »

Le lieutenant aura l’idée de construire un bateau pour sortir de cet enfer. Il sera construits en 57 jours par une équipe essentiellement composée par les esclaves venues de Madagascar.

Mais il était trop petit pour emmener tout le monde.

Qui va partir ?

Question naïve : les blancs, ceux qui n’avaient pas participé à la construction du bateau de secours.

Castellan promet aux noirs de venir les rechercher.

Ils vivront, mourront et certaines survivront pendant 15 ans, le temps qu’un bateau vienne les chercher.

Dans le texte de la pièce de théâtre, l’auteur met les paroles suivantes dans la bouche de l’actrice :

« Cela fait 4 018 tombés de soleils dans le lointain depuis que le capitaine s’en est allé sur le dos de l’océan jusqu’à derrière la porte fine de l’horizon. 4 018 jours que l’espoir est né. Aujourd’hui, il s’est consumé dans la courbe infinie des couchers de soleil en même temps que tu quittais, nous quittais »

Pendant 15 ans, tous les jours ils ont vu le soleil se coucher sur cette ile inhospitalière.

D’où le titre de la pièce : « La chute infinie des soleils. »

Pour la défense du lieutenant, l’histoire retient qu’une fois sur la terre ferme, Castellan demande l’autorisation au gouverneur de l’île Maurice d’aller secourir les esclaves. Mais le gouverneur refuse d’affréter un bateau pour des esclaves qu’il leur avait interdit de transporter. Après plusieurs tentatives, Castellan renonce et décide de retourner en France. Tout le monde oublie ces naufragés, sans doute morts mais qui en fait attendent toujours du secours. Mais en 1773, un navire passant à proximité de l’île les repère et les signale de nouveau aux autorités de l’île de France. Un bateau est envoyé mais ce premier sauvetage échoue, le navire n’arrivant pas à s’approcher de l’île. Un an plus tard, un second navire, La Sauterelle, ne connaît pas plus de réussite. A partir de ce moment, il faudra encore trois ans pour organiser le sauvetage. Ce n’est qu’au bout de quinze ans le 29 novembre 1776, qu’un bateau viendra enfin les sauver pour de bon. Celui du chevalier de Tromelin qui donnera d’ailleurs son nom à cette île. Malheureusement, il ne trouvera vivants que sept femmes et un bébé de 8 mois.

<Wikipedia> nous apprend que

« En arrivant sur place, Tromelin découvre que les survivants sont vêtus d’habits en plumes tressées et qu’ils ont réussi, pendant toutes ces années, à maintenir un feu allumé grâce au bois provenant de l’épave, l’île étant dépourvue d’arbres. Les survivants sont recueillis par Jacques Maillart du Mesle, intendant de l’île de France, qui les déclare libres (ayant été acquis illégalement, ils ne sont pas considérés comme esclaves et n’ont donc pas à être affranchis) et leur propose de les ramener à Madagascar, ce qu’ils refusent, au motif qu’elles y seraient « esclaves des autres Noirs ». Maillart décide de baptiser l’enfant Jacques Moyse (Moïse), le jour même de son arrivée à Port-Louis le 15 décembre 1776 de renommer d’office sa mère « Ève » (alors que son nom malgache était Semiavou qui se traduit par « celle qui n’est pas orgueilleuse ») et de faire de même avec sa grand-mère qu’il nomme « Dauphine » d’après le nom de la corvette qui les a secourues. Le trio est accueilli dans la maison de l’intendant sur l’île de France. […]

Condorcet plaidant l’abolition de l’esclavage dans son ouvrage Réflexions sur l’esclavage des nègres, paru en 1781 sous nom d’emprunt, relate la tragédie des naufragés de Tromelin afin d’illustrer l’inhumanité de la traite »

Aujourd’hui, l’île Tromelin est une île de l’océan Indien administrée par la France au sein des îles Éparses de l’océan Indien, entité rattachée aux Terres australes et antarctiques françaises. Ces îles sont revendiquées par Madagascar, indépendant depuis 1960 et par l’ile Maurice, indépendant depuis 1968.

En 1947, l’île commence à intéresser les autorités françaises à des fins de météorologie tropicale pour la surveillance des cyclones tropicaux. La direction de la météorologie nationale française, suivant une demande de l’Organisation météorologique mondiale, installe le 7 mai 1954 une station météorologique permanente qui détruit les derniers vestiges des naufragés de Tromelin.

Premier président de la République à le faire, le Président Macron a visité, le 23 octobre 2019, la plus grande île de l’Archipel « La Grande Glorieuse » <pour parler de biodiversité> mais aussi pour répéter que ces îles sont la France :

« Ici c’est la France, c’est notre fierté, notre richesse. Ce n’est pas une idée creuse. Les scientifiques et militaires qui sont là le rappellent. La France est un pays archipel, un pays monde […] On n’est pas là pour s’amuser, mais pour bâtir l’avenir de la planète. Ce que nous préservons ici aura des conséquences sur les littoraux, y compris dans l’Hexagone. »

Cette déclaration <a fortement déplu> à Madagascar.

Mais, il faut comprendre que ces iles représentent une richesse économique considérable. Par exemple L’îlot Tromelin permet de revendiquer le contrôle de 280 000 km² de zone économique exclusive (ZEE), ce qui fait de la France l’État contrôlant le plus vaste espace maritime au monde avec, au total, 11,7 millions de kilomètres carrés de ZEE. Concrètement, la ZEE permet notamment le contrôle des droits de pêche et d’exploitation d’éventuelles autres ressources. Un enjeu de taille pour une telle surface.

Je ne connaissais pas cette histoire, mais elle a depuis de nombreuses années suscitée l’intérêt et divers travaux.

La première fût une expédition archéologique « Esclaves oubliés » menée par Max Guérout, ancien officier de la marine française et directeur des opérations du Groupe de recherche en archéologie navale et Thomas Romon, archéologue à l’Inrap, a lieu d’octobre à novembre 2006. L’expédition sonde l’épave de L’Utile et fouille l’île à la recherche des traces des naufragés dans le but de mieux comprendre leurs conditions de vie pendant ces quinze années.

Selon Max Guérout, chef de la mission, « En trois jours, un puits de 5 mètres de profondeur est creusé. Cela représente un effort considérable. » « On a retrouvé de nombreux ossements d’oiseaux, de tortues, et de poissons. » « L’arrivée de ces naufragés a dû causer une véritable catastrophe écologique pour l’île. »

Des soubassements d’habitations fabriquées en grès de plage et corail sont également mis au jour (les survivants transgressèrent ainsi une coutume malgache selon laquelle les constructions en pierre étaient réservées aux tombeaux. On retrouva aussi six gamelles en cuivre réparées à de nombreuses reprises et un galet servant à affûter les couteaux. Le feu du foyer est maintenu pendant quinze ans grâce au bois provenant de l’épave, l’île étant dépourvue d’arbres.

D’autres expéditions suivirent cette première.

Wikipedia nous apprend ainsi que cette histoire a inspiré le livre « Les Naufragés de l’île Tromelin » d’Irène Frain paru en 2009.

En octobre 2010, les éditions du CNRS et l’INRAP ont publié « Tromelin : L’île aux esclaves oubliés », un ouvrage scientifique destiné au grand public, rédigé par Max Guérout et Thomas Romon.

Parue en 2015, la bande dessinée Les esclaves oubliés de Tromelin de Sylvain Savoia raconte de façon croisée le naufrage et la vie des rescapés sur l’île Tromelin et l’expédition de fouille de 2010.

Il existe de nombreuses ressources sur Internet :

Deux vidéos d’une heure environ :

Un documentaire de 2013 de TV5 Monde <Les esclaves oubliés de l’île Tromelin>

    Une conférence du 18 février 2019 au Musée de l’homme : <Tromelin : Bilan des recherches archéologiques>

Et ces pages d’information :

« France Info » : «Tromelin, l’île des esclaves oubliés » une exposition au musée de l’Homme à Paris, en février 2019.

Un article très détaillé de « Ouest France » : « Le tragique destin des esclaves oubliés de l’île Tromelin »

« L’INRAP » : Un dossier thématique conçu en lien avec l’exposition « Tromelin, l’île des esclaves oubliés » présentée au Château des ducs de Bretagne – musée d’histoire de Nantes, du 17 octobre 2015 au 30 avril 2016.

« Geo » : <Tromelin : comment des esclaves naufragés ont survécu pendant 15 ans sur une île déserte>

Une page de « Radio France » : « L’histoire des esclaves oubliés de Tromelin en quelques images »

Il y a bien sûr la Page consacrée au spectacle du Théâtre des Célestins : <La chute infinie des soleils>

Le livre de cette pièce a été publié aux <éditions théâtrales>

<1787>

Mardi 21 novembre 2023

« Ils ne voient qu’une chose : nous sommes venus et nous avons volé leur pays. Pourquoi l’accepteraient-ils ? »
David Ben Gourion en 1956 en parlant des arabes, propos reproduit par Nahum Goldmann dans « Le Paradoxe juif »

Depuis un mois, il y a un grand effort de la part des médias pour rappeler ce que la situation au Moyen-Orient doit à l’Histoire et notamment à l’histoire du sionisme.

Le sionisme, c’est-à-dire créer un État pour les juifs, est une réponse à l’antisémitisme millénaire

La prise de conscience a d’abord lieu dans la Russie tsariste, dans les années 1880.

L’assassinat d’Alexandre II, le 13 mars 1881, déclenche, en effet, une vague de pogroms jusqu’à l’été 1884.

Les massacres et les pillages, encouragés par l’autocratie d’Alexandre III, rappellent brutalement aux Juifs qu’ils ne sont que tolérés en Russie.

Dès lors, beaucoup d’entre eux choisiront la rupture avec la Russie – rupture « mentale » par l’engagement dans les mouvements révolutionnaires, rupture « physique » par l’émigration.

La masse des expatriés (600 000 sur plus de cinq millions de Juifs russes entre 1881 et 1903) s’installera aux États-Unis. Mais une partie d’entre eux optera pour une solution radicale : l’installation en Erefz Israël (la Terre d’Israël), où ils édifieront des villages qui formeront la base d’une société juive autonome.

Cette émigration vers la Palestine qui est une province, administrée depuis 1517, par l’Empire ottoman portera pour nom « Aliya »

Un mouvement sera créé en Russie par un médecin d’Odessa Léo Pinsker (1821-1891) : « Les Amants de Sion »

C’est dans ce cadre que va germer l’idée que la survie des Juifs nécessite la reconstitution d’une patrie en Palestine

David Ben Gourion, premier Premier ministre de l’État d’Israël, l’homme qui a proclamé la création de l’Etat d’Israël est né le 16 octobre 1886, en Pologne, dans la partie qui était alors intégrée dans l’Empire russe.

Son père était professeur d’hébreu et membre des Amants de Sion

David Ben Gourion émigrera en 1906, dans ce que les historiens appelleront la deuxième Aliya.

Mais la formidable dynamique du « sionisme » sera surtout l’œuvre de Theodor Herzl (1860-1904), fils de négociants hongrois aisés, devenu journaliste à Vienne.

Il sera le vrai fondateur du mouvement sioniste au « congrès de Bâle en 1897 » et l’auteur de « Der Judenstaat » (L’État des Juifs) en 1896 dans lequel il explique comment il pense possible, avec l’appui de la communauté internationale, d’obtenir une souveraineté sur un territoire déterminé.

Il y aura des discussions sur ce territoire, on parle de l’Argentine, ou encore de l’Ouganda, mais le terme utilisé de « Sion » qui est le nom biblique d’une colline de Jérusalem, laissait quand même prévoir que le territoire espéré était celui qui naguère, au début de l’ère chrétienne, avait pour nom Judée, Galilée et Samarie.

Mais il faudra encore la première guerre mondiale et l’intervention pertinente de Chaim Weizman, inventeur de l’explosif Acetone, pour que l’Empire Britannique accepte l’idée d’«un foyer national juif en Palestine » dans la « Déclaration Balfour ».

Cet épisode historique, je l’ai déjà raconté dans le mot du jour du < 17 mars 2015>

Chaim Weizman sera Président de l’Organisation Sioniste Mondiale, par deux fois, de 1920 à 1931, puis de 1935 à 1946, avant de devenir le premier président de l’État d’Israël entre 1949 et 1952.

Et puis il faudra la seconde guerre mondiale, la Shoah, la création de l’ONU, le plan de partage de la Palestine voté à l’ONU le 29 novembre 1947 entre un État juif et un État arabe et enfin la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël, le 14 mai 1948, dernier jour du mandat britannique sur la Palestine dans le hall du Musée d’art de Tel Aviv par David Ben Gourion.

L’État arabe n’a pas été créé jusqu’à présent.

En 1948, la Palestine comptait 2/3 d’arabes musulmans et chrétiens et 1/3 de juifs.

Nahum Goldmann était aussi né dans l’Empire russe, le 10 juillet 1895 en Biélorussie, il est mort en 1982. Il était également dirigeant du mouvement sioniste.

Il a écrit en 1976, un livre « Le Paradoxe juif », sous-titré « Conversations en français avec Léon Abramowicz »

Lors de la Seconde Guerre mondiale, Nahum Goldmann s’établit aux États-Unis et participa activement aux négociations en faveur de la création de l’État d’Israël.

En 1948, il est l’un des leaders de la Confédération sioniste et à partir de 1956, son président ; il est également ensuite président du Congrès juif mondial.

Il eut un rôle primordial dans les négociations de l’accord de réparations avec l’Allemagne

Il était un ami intime de David Ben Gourion, même si leurs relations furent parfois tumultueuses.

Il écrit :

« Nous nous sommes souvent affrontés, tant en public, qu’en privé, mais, en dépit de nos différents, surtout en ce qui concernait la politique arabe, nous étions fort liés et chez David Ben Gourion, j’ai toujours admiré l’homme d’État. »
Le Paradoxe juif page 115

Il en fait un portrait élogieux mais sans concession :

« Il fut non seulement un grand homme d’Etat, mais aussi un diplomate et un politicien très habile, très rusé, en vérité l’un des meilleurs que je n’aie jamais connus. Une promesse de lui ne valait rien du tout. Il n’hésitait pas à promettre une chose et ensuite à faire le contraire. Il était tout à fait dénué de scrupules. Il n’a jamais poursuivi d’autres but que de réaliser l’idéal sioniste et d’assouvir son immense ambition. […]
J’ai connu beaucoup d’hommes d’État, mais presque aucun n’ayant son sens historique. Il était persuadé que chaque mot qu’il prononçait l’était pour l’éternité. »
Le Paradoxe juif Page 116

En résumé, ils étaient d’accord sur tout, sauf sur la politique Arabe.

Ben Gourion ne voulait pas lui confier les négociations avec les Arabes. Après avoir encensé tous ses talents, notamment de diplomate, Ben Gourion a posé ce jugement :

« Tu as donc le droit de te demander pourquoi je ne te charge pas du problème qui décidera de l’avenir de l’État d’Israël : la paix avec les Arabes. Je vais t’en expliquer les raisons…
[Dans tes missions précédentes avec les hommes politiques américains, avec Adenauer] A ces hommes tu as parlé d’égal à égal car vous partagez les mêmes qualités. Mais avec les Arabes, qui sont des barbares, tous tes dons n’ont aucune valeur. Ni ta culture, ni ton charme, ni ton art de la persuasion n’auraient d’effet sur eux. Eux ne comprennent que la manière forte, et la main de fer, c’est moi, pas toi. Voilà l’explication. »
Le Paradoxe juif pages 118 et 119.

Alors que Nahum Goldmann était persuadé que : « sans un accord avec les Arabes, Israël ne connaîtrait pas d’avenir à long terme. » Le Paradoxe juif page 121

Et Nahum Goldmann va révéler un échange qu’il aura dans l’intimité de la cuisine de l’habitation de David Ben Gourion. Je cite l’intégralité de ce passage avec son introduction :

« En effet, il m’est souvent apparu que chez les hommes d’État, le caractère l’emporte sur l’intelligence.
Nombre d’entre eux comprennent avec leur cerveau ce qu’il convient de faire, mais leur caractère leur interdit de le réaliser.
Ce comportement est typique de Ben Gourion : je vais en donner un exemple que je n’oublierai jamais.
Un jour, ou plutôt une nuit de 1956, je suis resté chez lui jusqu’à trois heures du matin. Nos véritables conversations se déroulaient souvent dans la cuisine et, comme à l’accoutumée il voulait que sa femme Paula allât dormir. Comme elle insistait pour rester, Ben Gourion me disait : « Nahum, tu es le seul qu’elle respecte. SI je lui demande, elle n’ira pas dormir, mais, si toi tu l’en pries, elle acceptera. » Je disais donc à Paula : «  Fais moi plaisir, va te coucher », puis Ben Gourion préparait du café et des sandwiches.
Cette nuit-là, une belle nuit d’été, nous eûmes une conversation à cœur ouvert sur le problème arabe.

« Je ne comprends pas ton optimisme », me déclara Ben Gourion.
« Pourquoi les Arabes feraient-ils la paix ? Si j’étais, moi, un leader arabe, jamais je ne signerais avec Israël. C’est normal : nous avons pris leur pays.
Certes, Dieu nous l’a promis, mais en quoi cela peut-il les intéresser ? Notre Dieu n’est pas le leur.
Nous sommes originaires d’Israël, c’est vrai, mais il y a de cela deux mille ans : en quoi cela les concerne-t-il ?
Il y a eu l’antisémitisme, les nazis, Hitler, Auschwitz, mais était-ce leur faute ?
Ils ne voient qu’une chose : nous sommes venus et nous avons volé leur pays. Pourquoi l’accepteraient-ils ?
Ils oublieront peut-être dans une ou deux générations, mais, pour l’instant, il n’y a aucune chance.
Alors, c’est simple : nous devons rester forts, avoir une armée puissante.
Toute la politique est là. Autrement, les Arabes nous détruiront. »
J’étais bouleversé par ce pessimisme, mais il poursuivit :
« J’aurai bientôt soixante-dix ans. Eh bien, Nahum, me demanderais-tu si je mourrai et si je serai enterré dans un État juif que je te répondrais oui : dans dix ans, dans quinze ans, je crois qu’il y aura encore un État juif.
Mais si tu me demandes si mon fils Amos, qui aura cinquante ans à la fin de l’année, a des chances de mourir et d’être enterré dans un État juif, je te répondrais : cinquante pour cent. »
Mais enfin, l’interrompis-je, comment peux-tu dormir avec l’idée d’une telle perspective tout en étant Premier ministre d’Israël ?
« Qui te dit que je dors ? » répondit-il simplement. »
Le Paradoxe juif pages 121 et 122

Nous sommes 67 ans après cet échange de 1956.

Le pessimisme de Ben Gourion a été démenti, Israël est toujours puissant, l’État a une armée redoutable et dispose d’une modernité technologique à la pointe.

Mais il n’a pas résolu le problème Arabe. 3 générations après, les palestiniens n’ont pas oublié.

Nahum Goldmann écrit :

« Les Arabes ont, eux, la même mémoire historique que les Juifs. La race sémite est très entêtée et n’oublie rien.
Lors d’un grand meeting à Sydney, en Australie, j’ai dit que le malheur d’Israël était d’avoir pour adversaires les Arabes et non plus les Anglais. En effet, les Anglais ont le génie de l’oubli ; en l’espace d’une génération, ils ont perdu le plus grand empire du monde et, malgré cela, ils sont très heureux : le plus grand souci populaire fut longtemps de savoir qui épousera la princesse… Imaginez-vous les Juifs dans cette situation ? Il y a deux mille ans, le temple de Jérusalem fut détruit et, chaque année, pour commémorer cette destruction, nous observons un jour de jeûne. Si nous avions perdu un empire équivalant à celui des Anglais, nous devrions jeûner deux fois par semaine pendant vingt siècles !
Et les Arabes sont comme nous. C’est une idée tout à fait naïve de croire qu’ils finiront par oublier notre présence en Palestine, qu’ils se feront une raison ».
Le Paradoxe juif page 241

Bien sûr cela n’excuse en rien les actes inhumains que les membres du Hamas ont commis le 7 octobre.

Cela explique cependant pourquoi les peuples arabes ne condamnent pas le Hamas, même s’ils n’approuvent pas leur barbarie.

Ils ont toujours en mémoire ce que Ben Gourion reconnaissait en toute lucidité « nous avons pris leur pays » et « les nazis, Hitler, Auschwitz » n’étaient pas la faute des arabes.

Et il n’y a toujours pas d’État Palestinien !

Et la colonisation en Cisjordanie rend cette perspective quasi impossible.

Je n’ai pas de solution miracle à proposer, mais il me semble que cet éclairage est nécessaire pour comprendre ce qui se passe.

Le Hamas est une organisation islamiste, nihiliste en ce sens que ce qui lui importe n’est pas le bien être du peuple palestinien sur cette terre, mais l’installation d’un régime islamiste, sur ce territoire, pour la vie après la mort.

La colère et la haine des israéliens contre le Hamas est compréhensible.

Mais éradiquer le Hamas ne suffira pas, si toutefois Israël y parvient.

Et si cette éradication se fait au prix de la destruction de toute possibilité de vie à Gaza, et au prix d’un nombre de plus en plus grand de victimes innocentes, la haine ne fera que s’exaspérer.

Nahum Goldmann développe dans son livre cette vision certes utopique :

« Si j’avais rencontré Nasser, j’aurais aimé lui dire ceci « Vous autres Arabes êtes un peuple très généreux. Votre rencontre avec les Juifs au cours de l’histoire a été meilleure que la nôtre avec les chrétiens. Vous nous avez persécutés, mais nous avons également connu des périodes de coopération merveilleuse : en Espagne, à Bagdad, en Algérie… Alors restez généreux. Notre peuple est malheureux. J’admets que la Palestine vous appartenait d’après les lois internationales. Mais nous avons tant souffert depuis deux mille ans, nous avons perdu un tiers de notre population parce que nous n’avions pas de territoire. Alors cédez-nous au moins un pour cent du vôtre et garantissez notre existence. Soyez avec l’Amérique, la Russie et la France l’un des garants de la survie d’Israël. »
Je suis persuadé qu’un tel discours aurait eu une grande influence psychologique sur les Arabes, en leur donnant un sentiment de fierté, voire d’égalité. J’en ai d’ailleurs parlé avec quelques leaders arabes qui étaient fascinés par cette idée ; hélas ! il ne semble pas qu’Israël choisisse cette voie-là. »

Le Paradoxe juif page 106

<1777>

Mardi 1er août 2023

« C’est vrai que cette histoire manque de chameaux »
Alice Zeniter dans « L’art de Perdre » page 336 en conclusion du résumé que fait Hamid de l’histoire de sa famille classée dans les Harkis

Parfois, on croise un livre sans le rencontrer.

Il en fut ainsi, pour moi, pour « l’Art de perdre » d’Alice Zeniter.

J’en avais entendu parler, lors de plusieurs interviews de l’autrice, dès la sortie du roman en 2017. D’abord, alors qu’elle était invitée sur France Inter <le 25 aout 2017>, puis par une émission de France Culture du 9 septembre 2017 <Je voulais combler les silences de mon histoire>

En écoutant, Alice Zeniter j’avais l’intuition qu’il s’agissait d’un livre à lire pour mieux comprendre la guerre d’Algérie, celle des vainqueurs et celle des vaincus, la guerre et ses conséquences.

Mais la rencontre n’a pas eu lieu en 2017 ou 2018.

Plus tard, j’avais vu le livre posé sur une table chez Marianne, je l’avais remarqué mais je suis passé à côté.

Après les émeutes qui ont frappé la France, j’ai retrouvé un long article de « Libération » que j’avais soigneusement découpé et classé dans une chemise : <Enfant j’ignorais pourquoi on n’allait pas en Algérie>.

En le relisant, j’ai eu l’intuition que le temps était vraiment venu de lire ce livre.

Et deux jours après, dans la maison de Joyce et Patrick, je suis, à nouveau, tombé sur ce roman dont je me suis, cette fois, emparé et que j’ai lu d’une traite.

L’art de perdre est l’histoire d’une famille entre l’Algérie et la France sur trois générations :

  • Ali, le grand-père, venu des montagnes kabyles dans lesquelles il menait une vie plutôt aisée, étant riche relativement à la population locale. Cet homme est tombé du côté harki pendant la guerre et dû fuir l’Algérie, en 1962, lors de l’indépendance.
  • Hamid, son fils qui était trop jeune pour comprendre ce qui s’était passé avant 1962 et qui a vécu sa vie en France, algérien pour les français, harki pour les algériens. Il a épousé Clarisse, française n’ayant rien à voir avec les évènements d’Algérie.
  • Naïma, une des filles d’Hamid et de Clarisse, narratrice de cette Histoire.

Alice Zeniter s’est inspirée de son histoire personnelle, dans la réalité elle occupe la place de Naïma. Mais elle savait si peu de chose, sa famille était taiseuse sur ce passé algérien et les débuts français. Alors, elle a beaucoup lu, rencontré des historiens pour arriver à écrire son roman qui est une vérité possible et qui surtout montre la complexité des choix et des destins.

Alice Zeniter parle d’un destin de « harki », c’est-à-dire un algérien qui a choisi le camp des français contre celui du FLN.

Dans l’article de Libération elle montre l’absurdité de désigner avec ce nom toute une famille dont le père a fait un choix qui n’était pas celui de l’Histoire.

« Je me souviens d’avoir cherché dans le dictionnaire ce soir-là, je pense que les explications de mes parents devaient avoir été trop peu claires, et d’avoir trouvé dans le Larousse la définition qui est : harki, membre d’une harka, supplétif indigène travaillant pour l’armée française. Et, en deuxième entrée : qualifie les enfants et petits-enfants de harkis. Cela m’a paru extrêmement détestable, l’idée que ce nom que je ne connaissais pas quelques minutes avant était censé pouvoir me qualifier aussi. C’est quelque chose qui n’a toujours aucun sens pour moi aujourd’hui, et c’est ce que je dis dans la deuxième partie du livre. Déjà, le terme n’est pas juste, on devrait parler d’ex-harkis, d’anciens supplétifs. Quand les mecs arrêtent d’être soldats, eh bien ils ne sont plus soldats. Et puis je ne vois pas pourquoi ça qualifierait la famille et la descendance, c’est une aberration. Ni pourquoi cela qualifie des gens qui n’ont jamais fait partie des harkas et des contingents de l’armée française, et qu’on a juste considérés comme étant pro-Français. Ce terme est extrêmement mal utilisé. Et quand, en plus, on sait qu’il est devenu pour beaucoup une insulte… »

Pourquoi devient-on harki ?

La réponse à cette question Alice Zeniter ne l’a pas trouvé dans sa famille.

Dans le roman, elle tente d’expliquer ce silence, ce tabou pour Naïma.

Le fils Hamid tente d’arracher une explication à son père Ali :

«- Est-ce qu’on t’a forcé ? demande t-il ?
– Forcé à quoi ?
– A collaborer avec les français ? Est-ce qu’ils t’ont enrôlé de force ?

Il n’a pas le vocabulaire suffisant en arabe pour mener une conversation politique et il parsème ses questions de français.

– Ils t’ont menacé ? »
Page 269

Mais aucune réponse de son père ne sera donnée, juste de la colère et cette sentence murmurée :

« Tu ne comprends rien, tu ne comprendras jamais rien »

C’était inexplicable et plus encore inracontable.

Alors Alice Zeniter invente, c’est la force et la liberté du roman.

Quand les premiers soulèvements ont eu lieu, c’était l’œuvre du MNA, le Mouvement national algérien de Messali Hadj. Le grand père Ali n’en veut pas parce qu’il le soupçonne de vouloir l’arabisation à outrance, et qu’en tant que Kabyle il tient à son identité. Il ne faudrait jamais oublié qu’avant la colonisation française de l’Algérie, il y eut la colonisation de la Kabylie par les arabes.

Après le FLN écarta le MNA et Messali Hadj de manière sanglante et violente et ce fut le FLN qui porta le combat de l’indépendance.

Alice Zeniter fait dire à Ali qu’il est pour l’indépendance mais pas celui du FLN.

Les partisans du FLN prétendent que pour chasser le colonisateur il n’y avait pas d’autres choix que celui d’une violence et d’une cruauté extrême, non seulement tournées vers les colons mais aussi vers les algériens qu’ils considéraient comme trop tièdes.

Ali les considérait comme des bandits, des « mafieux » même si ce mot n’est jamais utilisé.

D’ailleurs, la suite après l’indépendance lui donnera raison, les dirigeants du FLN ont mis leur pays en coupe réglée et sont arrivés de faire de leur pays riche en minerai et pétrole, un pays de pauvres dans lequel seule une nomenklatura est très riche.

C’est après le massacre indigne et cruel par le FLN, d’un vieux combattant de 14-18 qui avait refusé de renoncer à la pension de guerre que lui versait la France, qu’Ali bascule et demande l’aide de l’armée française pour le protéger ainsi que sa famille.

Il franchit ce pas parce qu’il est révolté par l’assassinat de son ami et aussi parce qu’il a peur parce que lui aussi est ancien combattant mais de la guerre 39-45.

Et par ce geste, il se place malgré son désir d’indépendance, dans un camp et non dans l’autre dont il juge les méthodes et le comportement inacceptables.

Il ne peut pas l’expliquer à son fils, juste lancer ce qui peut être vu comme une plainte : « tu ne comprendras jamais rien. »

Et le fils, Hamid, devant ce mur se réfugie aussi dans le silence.

Quand sa future femme, essaye d’obtenir quelques lueurs sur cette histoire, il répondra toujours par une ellipse en évoquant l’idée qu’elle espère une histoire de chameaux qui n’existe pas

Un jour pourtant et une seule fois dans le roman, sa future épouse parvient à l’obliger à un résumé pathétique et sans concession de la part d’histoire que connait Hamid.

La femme de sa vie, Clarisse, le menace de le quitter s’il ne parle pas de ses origines, alors il dit cela :

« On est arrivés en France quand j’étais encore gamin, dit Hamid.
On était dans un camp, on était derrière des barbelés, comme des bêtes nuisibles.
Je ne sais plus combien de temps ça a duré. C’était le royaume de la boue.
Mes parents ont dit merci.
Et puis après, ils nous ont foutus dans la forêt, au milieu de nulle part, tout près du soleil. c’est là qu’il y avait les chenilles.
Mes parents ont dit merci.
Ensuite, ils nous ont envoyé dans une cité HLM de Basse-Normandie, dans une ville ou avant nous, je ne crois pas que qui que ce soit ait jamais vu un arabe.
Mes parents ont dit merci.
C’est là qu’ils sont encore.
Mon père bossait, ma mère faisait des gosses, et je pourrais te dire comme tous les gars du quartier que je les aime et que je les respecte parce qu’ils nous ont tout donné mais je ne crois pas que ce soit honnête, j’ai détesté qu’il me donne tout et qu’eux arrêtent de vivre.
Je me suis senti étouffé, ça me rendait fou. »
Page 336

Clarisse conclura cette confession par :

« C’est vrai que cette histoire manque de chameaux »

J’ai trouvé cette formule, dans sa simplicité, si juste pour tenter d’approcher cette histoire de violence, de trahison, d’humiliation, de colonisation, de mépris.

Dans ce court résumé Hamid évoque d’abord <le camp de Rivesaltes>
Les harkis n’ont plus de pays quand ils arrivent en France, en 1962. La France les accueille comme des parias. Le camp de Rivesaltes ce sont des barbelés, des tentes, des conditions de vie épouvantables, l’impossibilité de circuler.

Il évoque ensuite <Le camp de Jouques appelé aussi la cité du Logis d’Anne>

Et puis il y a le racisme aveugle, forcément débile et toujours présent :

« Un jour, en cours d’anglais [lors d’un exercice] le professeur laisse échapper :
« Ecoute, Pierre, si Hamid peut le faire, tu dois en être capable aussi ! »

« Qu’est-ce que ça veut dire ? demande Hamid.
La question a passé ses lèvres sous le coup de la surprise plus que de la colère. Il ne voulait pas la poser à voix haute mais au silence qui la suit et aux yeux écarquillés de ses camarades, il comprend qu’elle est trop énorme pour qu’il puisse la faire oublier.[…] Hamid se lance à la poursuite de sa première question :
« Que ce qu’un Arabe peut faire, il est évident que c’est à la portée des Français ? Que si je peux le faire avec mon cerveau sous-développé d’Africain, l’Homme Blanc peut le faire mieux que moi ? C’est ça que vous vouliez dire ?
Devant ce manque de respect, le professeur oublie sa gêne et s’exclame :
« Bon, c’est bon, ça suffit comme ça. Tais-toi maintenant !
– Vous êtes raciste, dit Hamid le plus calmement qu’il peut mais sa voix tremble de colère et de peurs mêlées »
Page 265 et 266

D’autres élèves prendront le parti d’Hamid, mais le professeur aura le dernier mot et ce sera Hamid et ses camarades qui seront collés pour « conduite scandaleuse ».

Hamid s’était emmuré dans le silence pour son histoire algérienne mais aussi pour son service militaire

« En janvier 1974, à la fin du service militaire de Hamid – Une autre période de sa vie dont il ne parlera pas, des mois de silence à peine troués par des mots « racisme », « cachot », « officier de service », « tour de garde » et « dortoir ».
Page 328 :

Son père Ali a aussi affronté cette haine raciste au quotidien.

Dans le camp de Jouques, il a le droit de sortir contrairement à Rivesaltes. Un jour pour se donner du courage il va dans un bar pour commander une bière, le tenancier refuse de le servir, l’insulte avec des propos racistes et lui demande de sortir du bar.

Ali refuse alors le propriétaire appelle la gendarmerie. Quand le gendarme se rend compte qu’il a partagé avec Ali le même lieu de bataille à savoir Monte Cassino, il oblige le barman à leur servir à tous les deux de la bière. Après une longue discussion, le gendarme et Ali se séparent, mais Ali ne retournera jamais dans ce bar, l’humiliation est trop dure à supporter même si son immense taille plus de deux mètres lui permettrait d’avoir le dessus physiquement mais il pressent qu’il n’aurait pas le dernier mot.

Dans ce livre j’ai appris une collection de mots de la haine avec lesquelles les « bons français » insultaient les algériens : « crouille, bicot, l’arbi, fatma, moukère, raton, melon, mohamed, tronc-de-figuier, fellouze…. (p. 313)

Et puis ce roman parle aussi de notre présent, en le reliant au passé. Alice Zeniter se sert de Naïma pour faire ce lien. Elle évoque les attentats du 13 novembre 2015 :

« Le soir du 13 novembre, Naïma est au cinéma.

Elle regarde le dernier James Bond, ce qui lui apparaîtra rétrospectivement comme un choix légèreté presque obscène.
Un de ces anciens collègues, du temps de la revue culturelle, meurt au Bataclan. elle l’apprend au petit matin et s’effondre sur le carrelage froid de la cuisine. (…)

Elle pleure sa mort, tout en se reprochant son égoïsme, elle pleure sur elle-même, ou plutôt sur la place qu’elle croyait s’être construite durablement dans la société française et que les terroristes viennent de mettre à bas, dans un fracas que relaye tous les médias du pays.

« Naïvement, elle pense que les coupables des attentats ne réalisent pas à quel point ils rendent la vie impossible à toute une partie de la population française – cette minorité floue dont Sarkozy a dit à la fin du mois de mars 2012 qu’elle était musulmane d’apparence.
Elle leur en veut de prétendre la libérer alors qu’ils contribuent à son oppression.

Elle repère ainsi un schéma historique de mésinterprétation, amorcé soixante plus tôt par son grand-père. Au début de la guerre d’Algérie, Ali n’avait pas compris le plan des indépendantistes : il voyait les répressions de l’armée française comme des conséquences terribles auxquelles le FLN, dans son aveuglement, n’avait pas pensé.
Il n’a jamais imaginé que les stratèges de la libération les avaient prévues, et même espérées, en sachant que celles-ci rendraient la présence française odieuse aux yeux de la population.
Les têtes pensantes ‘Al-Qaïda ou de Daech ont appris des combats du passé et elles savent pertinemment qu’en tuant au nom de l’islam, elles provoquent une haine de l’islam, et au-delà de celle-ci une haine de toute peau bronzée, barbe et chèche qui entraîne à son tour des débordements et des violences.
Ce n’est pas comme le croit Naïma, un dommage collatéral, c’est précisément ce qu’ils veulent : que la situation devienne intenable pour tous les basanés d’Europe et que ceux-ci soient obligés de les rejoindre. »
Page 376 & 377

Et puis, elle parle aussi de la vague de régression dans les mœurs et particulièrement à l’égard des femmes que traverse, depuis quelques décennies, l’Islam dans les pays d’islam. Vague qui hélas est venue aussi en France.

Naîma va à Alger pour organiser une exposition dans la galerie dans laquelle elle travaille à Paris. Elle a pour correspondant Mehdi et sa compagne Rachida.

C’est la compagne de Mehdi, Rachida qui lui révèle :

« Ça me tue de voir que les gamines d’aujourd’hui se font avoir par ces conneries. La situation a clairement régressé pour nous dans ce pays.

Elle regarde autour d’elle, remarque quelques groupes de convives exclusivement masculins et ricane :

– La plupart des choses que les femmes ne font pas dans ce pays ne leur sont même pas interdites. Elles ont juste accepté l’idée qu’il ne fallait pas qu’elles le fassent. Tu as vu à Alger le nombre de terrasses où il n’y a que des hommes ?
Ces bars ne sont pas interdits aux femmes, il n’y a rien pour le signaler et si j’y entre, le personnel ne me mettra pas dehors, pourtant aucune femme ne s’y installe. De même qu’aucune femme ne fume dans la rue –et ne parlons pas de l’alcool. […]
On ne peut pas résister à tout, hélas. Moi je sais qu’ils ont en partie gagné parce qu’ils ont réussi à me mettre en tête que j’aurais préféré être un homme. »
Page 465 & 466

Un livre d’une richesse inouïe.

Le lecteur connait plus de complexité après l’avoir lu et s’enrichit de beaucoup de questions tout en se défiant des certitudes qu’il pensait acquise.

<1755>

Jeudi 27 avril 2023

« Cette résistance à la cruauté du monde, qu’offre la passion aux êtres qu’elle habite. !»
Jean-Guy Soumy

Qu’est-ce qu’un bon livre ?

Probablement que chacun possède sa propre réponse.

Pour moi, c’est un livre qui lorsque j’y entre je n’arrive à en sortir qu’une fois la dernière page atteinte. Il n’est pas possible de s’arrêter avant.

Ce fut le cas pour « Le Silence » de Jean-Guy Soumy, commencé en début d’après-midi, je ne l’ai lâché qu’en début de soirée lorsque je l’avais terminé.

Je ne connaissais pas Jean-Guy Soumy avant que Sophie m’en parle. Elle a marqué tant d’enthousiasme pour cet auteur, que j’ai voulu tenter l’aventure.

Je suis allé dans une des bibliothèques de Lyon qui devait détenir 3 de ses livres. Quand je suis arrivé, deux étaient prêtés, il restait « Le silence », alors je l’ai emprunté.

Jean-Guy Soumy est né le 1er juin 1952 à Guéret dans la Creuse, département dans lequel il habite toujours.

Après ses études, il est devenu professeur de mathématiques.

Sa page Wikipédia nous apprend qu’il est coauteur d’ouvrages de mathématiques parus dans la collection « Vivre les mathématiques » chez l’éditeur Armand Colin.

Mais son grand dessein est d’écrire des romans.

Il fait partie de la « Nouvelle école de Brive » dans laquelle se trouvait aussi Claude Michelet, l’auteur de « Des grives aux loups. » et qui est décédé le 26 mai 2022.

Claude Michelet avait fait auparavant partie de « L’école de Brive » qu’on avait décrit comme un mouvement régionaliste. Ce que Michelet nuançait dans cet article d’« Ouest France » de juillet 2013 :

« Ce n’est pas que ça. Dans nos œuvres, on est allé bien au-delà des terroirs de France. Yves Viollier a écrit des romans qui se déroulent en Russie, moi, j’ai écrit une saga qui se déroule en grande partie au Chili. Ce serait trop réducteur. »

En revanche, il expliquait que ce n’est pas du tout le cas de « la Nouvelle Ecole de Brive » :

« Là, c’est plus informel. Nous sommes quatre, Gilbert Bordes, moi-même, Jean-Guy Soumy et Yves Viollier, qui prenons plaisir à nous voir et nous entraider. Nous n’hésitons pas à nous refiler des tuyaux sur tel ou tel thème qu’un de nous travaille. On dit toujours que les écrivains se détestent. Vous voyez que ce n’est pas vrai ! On a plaisir à se retrouver et à parler littérature ensemble, comme un groupe d’amis. »

Concernant le livre « Le Silence » son action se déroule en grande partie à Chicago où Alexandre Leroy est un mathématicien célèbre, chercheur et professeur universitaire ayant obtenu la Médaille Fields qu’on appelle « Le Nobel » des mathématiciens. La fin du roman ramènera l’action en France, car c’est le pays d’origine d’Alexandre Leroy.

Le roman commence par le désarroi de Jessica son épouse qui est professeur de littérature à l’Université et à qui on vient d’apprendre que son mari Alexandre vient de se suicider dans un motel alors qu’elle pensait qu’il était allé dans leur maison secondaire pour aller travailler, comme il le faisait régulièrement et comme il le lui avait dit avant de partir.

Pourquoi s’est-il suicidé ?

Voici la question. Il n’a pas laissé de lettre.

Jessica qui est le personnage central de ce livre, ne comprend pas.

Tout ce livre est constitué par ses découvertes d’abord fortuites puis conséquence de ses recherches et de sa quête pour essayer de comprendre le geste de l’homme de sa vie.

C’est vraiment remarquable. L’histoire est très forte et l’écriture très fluide avec des fulgurances qui saisissent.

Lors de l’enterrement, Soumy délivre cette description qui s’achève par une conclusion que j’ai utilisée comme exergue

« Des silhouettes s’approchent. Des hommes défilent devant elle. Tous collègues ou étudiants d’Alexandre. Qui rendent hommage à leur maître sans que Jessica puisse deviner si le souvenir laissé par son mari leur est agréable ou pénible. Ils ont en commun quelque chose d’insaisissable qui la renvoie au défunt. Une légèreté d’artiste enfouie sous le simulacre de la gravité. Cette résistance à la cruauté du monde, qu’offre la passion aux êtres qu’elle habite »
Page 16

La passion emporte tout et permet aussi de résister à la cruauté du monde.

Et il est possible d’être passionné par les mathématiques, cette passion qui a mené certains vers la folie.

« Le Point » a posé cette question dans un article de 2018 : « Les mathématiques rendent-elles fou ? »

L’article ne répond pas à cette question, mais cite plusieurs mathématiciens : Kurt Gödel, Georg Cantor, John Nash, Grigori Perelman qui chacun à leur manière avaient perdu le sens des réalités et des relations équilibrées avec les autres humains.

Il cite aussi le cas plus connu par un plus large public de Alexandre Grothendieck :

« En 1966, il reçoit lui aussi la médaille Fields pour avoir refondé la géométrie algébrique… et la refuse  ! Il s’installe dans un village de l’Hérault au sein d’une communauté adepte de la contre-culture. Il devient un chantre de l’écologie. Puis il se retire en Ariège pour vivre tel un ermite, refusant tout contact avec ses anciens amis. Il meurt en 2014, laissant des milliers de pages couvertes de notes. »

Jean-Guy Soumy cite d’ailleurs Grothendieck au début de son ouvrage :

« Ces deux passions, celle qui anime le mathématicien au travail, disons, et celle en l’amante ou en l’amant, sont bien plus proches qu’on ne le soupçonne généralement ou qu’on est disposé à l’admettre. »
Alexandre Grothendieck « Récolte et Semailles »

Mais que celles et ceux pour qui les mathématiques n’ont jamais été une passion mais plutôt une souffrance, se rassurent il n’y pas de mathématiques dans cet ouvrage. C’est simplement un élément de contexte.

L’histoire se déroule à travers le regard de Jessica qui est professeur de littérature et qui doit faire face à ce qu’elle vit comme une trahison. Elle doitt aussi être le roc sur lequel peuvent s’appuyer les deux fils qu’elle a eu avec Alexandre. Le premier a suivi la même carrière que son père, tout en n’en possédant pas le génie, il se sent fragilisé par cet acte incompréhensible. Mais la situation est encore plus compliquée pour le second qui souffre d’autisme.

Soumy met cette phrase dans la bouche de Jessica :

« Et je veillerai sur mon enfant, je le consolerai, je boirai ses larmes, je sécherai ses peines. Une mère est là pour ça »
Page 176

Ce livre, en outre, ouvre vers un auteur étonnant au destin tragique : Armand Robin. Jessica est la spécialiste de cet auteur qu’elle a étudié intensément et dont les écrits auront un rôle à jouer dans l’intrigue.

J’ai voulu en savoir un peu plus sur cet auteur.

Armand Robin est né en 1912 à Plouguernével, en Bretagne et il est mort le 29 mars 1961.

C’est à la fois un écrivain, un traducteur, un journaliste, un critique littéraire et un homme de radio.

Il semble qu’il existe de nombreuses controverses à son sujet. Mais ce qui parait époustouflant c’est sa capacité d’apprendre des langues.

Je cite Wikipedia :

« il entreprend en 1932 l’étude du russe et du polonais, en 1933 de l’allemand, en 1934 de l’italien, en 1937 de l’hébreu, de l’arabe et de l’espagnol, en 1941 du chinois, en 1942, de l’arabe littéral, en 1943 du finnois, du hongrois et du japonais  […]

Écrivain inclassable, libertaire, poète, il traduit en français, depuis une vingtaine de langues, une centaine d’auteurs dont Goethe, Achim von Arnim, Gottfried Benn, Max Ernst, Lope de Vega, José Bergamín, Vladimir Maïakovski, Boris Pasternak, Sergueï Essénine, Alexandre Blok…. »

En 1933, il voyage en URSS. Il en revient anticommuniste.

Et en 1945, il adhère à la Fédération anarchiste et contribue de cette date à 1955 au journal Le Libertaire.

Sa fin tragique nous révèle qu’en 1961 aussi, il était légitime de s’interroger sur la possibilité de violences policières :

Arrêté le 28 mars 1961 après une altercation dans un café, il est conduit au commissariat du quartier et y est « passé à tabac » par les policiers. Transféré à l’infirmerie spéciale du dépôt de la Préfecture de police de Paris, il y meurt seul le lendemain dans des conditions qui n’ont jamais été éclaircies.

Françoise Morvan qui semble une spécialiste de cet auteur a écrit « Armand Robin ou le mythe du poète »

La même écrit sur son blog une page dans laquelle elle entend démonter des contrevérités et falsifications sur « Armand Robin »   

En 2011, France Culture lui a réservé une émission : <Armand Robin bouge encore>

En conclusion, un livre palpitant et l’ouverture vers un autre auteur aussi étrange que fascinant.

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