Cette histoire commence en 1979. Je l’avais raconté dans la série consacrée au livre d’Amin Maalouf : « Le naufrage des civilisations. ». La révolution iranienne nous paraissait ouvrir un horizon radieux. Autour du vieux barbu assis en tailleur sous un pommier, à Neauphle le Château, il y avait plusieurs hommes sympathiques qui parlaient de liberté, de justice, de droits de l’homme. Très rapidement, ils seront balayés, tués, emprisonnés ou contraints à l’exil. Le vieux barbu n’était pas sage, il était islamiste d’obédience chiite : « Vous ne pouvez pas comprendre ».
En 1979, il y eut un autre évènement : l’invasion de l’Afghanistan par l’Union soviétique pour consolider un pouvoir communiste aux abois. Car différentes ethnies, regroupées autour de chefs de guerre ne voulaient pas que le communisme remettent en cause leurs traditions locales et leur religion. musulmane. Nous savons maintenant que le secrétaire d’état américain Zbignizw Brzezinski, dit « Zbig » avait convaincu le président des Etats-Unis Carter d’aider et d’armer les rebelles avant que l’URSS intervienne. Les américains avaient appelés cette opération « cyclone ».
L’Union soviétique avait, à l’époque, réagi à une intervention américaine. Une fois l’armée rouge en Afghanistan, l’aide américaine aux rebelles s’est déployée de manière de plus en plus vigoureuse. J’avais aussi narré cette histoire : « Nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam. » disait Zbigniew Brzezinski.
Nous connaissons la suite, les soviétiques partiront, vaincus, après avoir épuisé énormément de force et de ressources.
Ils avaient bien subi leur Viet Nam. Mais il y eut une grande différence, la révolution vietnamienne qui a chassé les américains de son territoire a créé des liens d’amitié et de collaboration fidèle avec la grande puissance qui l’avait aidé à se débarrasser des américains. Rien de tel en Afghanistan. D’abord Ben Laden qui avait profité de l’aide américaine va créer Al Qaïda et frapper la pays qui l’a aidé par les attentats du 11 septembre 2001.
Parallèlement les chefs de guerre et les ethnies vont utiliser les armes américaines pour s’entretuer dans une guerre civile meurtrière. Ce sera la frange la plus islamiste, la plus radicale « Les talibans » qui l’emportera. Après avoir été chassé du pouvoir par les américains qui voulaient punir Al Qaida et son chef, ils reviendront après le départ des américains, voulu par Trump, avec les même valeurs obscurantistes qui donnent une image délétère de la pratique de l’islam contemporain.
En Algérie, quand en janvier 1992, le pouvoir autoritaire du FLN a tenté un processus électoral et des élections législatives libres, les résultats du premier tour ont donné une victoire nette au Front islamique du salut (FIS) qui veut mettre en place une république islamique. L’armée interrompt le processus électoral et une guerre civile terrible va s’en suivre pendant dix ans. Il ne faut pas parler de ces choses là en Algérie, Kamel Daoud a commis l’irréparable en écrivant « Houris ». L’écrivain explique que « les islamistes ont perdu militairement mais gagné politiquement ». Les islamistes imposent leur règles et leur vision sociétale dans une Algérie où le pouvoir économique reste aux mains du FLN et des chefs militaires qui ont considéré que leur fortune et leur tranquillité méritait bien qu’on laisse la société aux mains des religieux afin que ces derniers se tiennent tranquille. L’Algérie nous donne donc l’exemple d’un pays où même si les islamistes sont battus par les armes, ils reviennent dans la société.
Et puis il y a eu les printemps arabes. Ils commencèrent en Tunisie, le 17 décembre 2010. Plusieurs dirigeants autoritaires furent chassés. En Egypte, Hosni Moubarak fut démis et même condamné à la prison. En Occident, nous aimions ces jeunes manifestants de la place Tahrir du Caire. Ces jeunes dénonçaient les abus de la police égyptienne, la corruption, le manque de liberté d’expression,le chômage etc.. Mais les élections ont envoyé au pouvoir les frères musulmans, des islamistes qui n’avaient aucune réponse à ces questions et qui sur certains points étaient à l’antipode de ce qui était demandé notamment la liberté d’expression. L’armée a repris le pouvoir et un nouveau général dirige l’Egypte avec une main de fer plus dure que celle de Moubarak.
Il serait long de faire le tour de tous les États ayant été touché par les printemps arabes. Mais il faut bien parler de la Syrie.
Bachar El Assad était un tyran abominable qui martyrisait son peuple. Le 29 mai 2012, le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, déclarait :
« M. Bachar Al-Assad est un assassin. Il faut qu’il quitte le pouvoir et le plus tôt sera le mieux »
Il est resté au pouvoir jusqu’en 2024. Il y a eu beaucoup de manquements de la part des occidentaux qui n’ont pas soutenu les forces démocratiques. Par la suite ces forces démocratiques ont été anéanties par l’action de l’aviation russe et des milices du Hezbollah qui combattaient avec beaucoup plus de mollesse les islamistes de DAESH.
Finalement la Russie, l’Iran et le Hezbollah trop affaibli n’avaient plus les moyens de défendre le régime de Bachar el Assad. Et c’est ainsi que des forces coalisées ont pu enfin chasser ce monstre. Nous ne pouvons que nous réjouir avec les Syriens de la défaite de cet homme a la tête d’un État mafieux pratiquant le trafic de drogue. A la tête des forces coalisées un mouvement islamiste : Hayat Tahrir al-Cham ou HTC (en français, Organisation de libération du Levant). En anglais le Levant s’écrit al-Sham d’où le sigle HTS.
A leur tête, un homme, Ahmed Hussein al-Chara qui se faisait appeler jusque là par un nom de guerre : Abou Mohammed al-Joulani.
Ahmed al-Chara est le fils d’un économiste, acquis aux idéaux de la gauche nationaliste arabe. Il suivra un chemin différent de son père. Il abandonnera des études de médecine pour poursuivre le jihad, la guerre sainte musulmane.
Il quitte l’université de Damas et se rend à Bagdad pour faire allégeance à Al-Qaïda en Irak, dirigé par Abou Moussab Al-Zarqaoui. Il fera de la prison dans les geôles de l’armée américaine. Quand il sort de prison il se rapproche d’Abou Bakr al-Baghdadi le fondateur de l’Etat islamique, c’est-à-dire Daesh.
Et c’est au nom de Daesh qu’il retourne en Syrie où il fondera le Front al-Nosra le 23 janvier 2012. Il rompt avec Abou Bakr al-Baghdadi pour se rapprocher d’Al Qaïda.
En 2016, le Front al-Nosra annonce qu’il rompt aussi avec al-Qaïda et il prend le nouveau nom avec lequel on le connait aujourd’hui. Il a donc poursuivi un chemin dans lequel il s’est affilié successivement au pire des islamistes
Dans la partition de la Syrie, son mouvement s’implantera à Idlib et sa région. Il y appliquera la charia de stricte obédience.
Il acceptera le parrainage du président turc Erdogan proche des frères musulmans pour prendre le pouvoir à Damas.
Donc en Syrie, c’est aussi les islamistes qui gagnent à la fin !
Beaucoup dénoncent la responsabilité de l’Occident. C’est vrai en partie. En Irak, la guerre déclenchée par G.W. Busch a eu une responsabilité directe dans la création de Daesh.
En Syrie c’est plus compliqué, l’Occident a surtout brillé son inaction, mais c’est bien la Russie et l’Iran qui ont aidé Bachar El Assad à combattre les forces démocratiques et la Turquie qui en se battant contre les Kurdes, seuls à combattre réellement l’État islamique, qui sont les principaux responsables de ce désastre.
En Égypte et en Algérie, le rôle de l’Occident est vraiment ténu. Dans ces deux pays quand des élections libres ont donné la parole au peuple, celui-ci a choisi des islamistes.
Ainsi si les occidentaux doivent assumer leur responsabilité, les musulmans de ces pays ne peuvent pas être exonérés de toute responsabilité dans le développement de la part la plus archaïque et la plus brutale de leur religion.