Après quatre mois d’audiences, La cour criminelle du Vaucluse a rendu son verdict dans le procès des viols de Mazan, le19 décembre 2024.
Ce fut un procès historique en raison du nombre d’accusés, des conditions dans lesquelles ces crimes ont été commis et aussi parce que la victime n’a pas demandé le huis clos des débats et a accepté que des journalistes du monde entier puissent assister aux audiences et voir les viols filmés par le mari de la victime.
Après le refus par Gisèle Pelicot du huis clos, « le nouvel obs » a compté 165 médias dont 76 médias étrangers qui ont suivi le procès. Les derniers jours à l’approche du verdict, des médias s’accréditaient encore.
Je crois que les informations qui ont été diffusées pendant ces quatre mois ont été si répandues qu’il n’est pas nécessaire de rappeler les faits. Si besoin, ils sont précisément décrits dans cette page de de Wikipedia : « Affaire des viols de Mazan ».
La plupart des journaux ont créé une page spécifique regroupant tous les articles sur ce procès. Le nouvel obs a publié les comptes rendus pour chacune des audiences ainsi que des articles de fond écrits par ses journalistes. La plupart sont en accès libre : « Le procès des viols de Mazan »
Il est donc possible d’aller directement aux enseignements que nous apportent cette affaire hors norme et selon la volonté de Gisèle Pelicot de se saisir des débats pour comprendre et faire évoluer notre société.
Ce mot du jour va modestement tenter de faire une partie du chemin, sans être en mesure d’aborder tous les sujets.
Pour commencer, il me semble quand même, essentiel de rappeler que tous les accusés ont été déclarés coupables et ont été condamnés à de la prison, au minimum 1 an ferme et 2 ans de sursis qui s’appliqueront immédiatement en cas de récidive. En outre tous ont été condamnés à poursuivre des soins. Dès lors les journalistes qui ont écrit que certains sont « repartis libre à l’issue du procès » au minimum manquent de précisions. Ce qu’il aurait fallu énoncer c’est que tous ont été condamnés à de la prison, mais que certains ayant déjà purgé leur temps de peine en préventive lors de l’enquête, n’ont pas été incarcérés.
Le premier enseignement de ce procès nous met face à un récit erroné de la réalité des viols. On nous a raconté que le viol se passait dans un parking dans lequel un prédateur sexuel inconnu se jetait sur une femme pour la violer sous contrainte. Cela pouvait se passer la nuit, dans une rue obscure, une femme seule agressée par un inconnu.
Ces histoires existent, mais 91% des viols sont commis par un proche. Le plus souvent dans le cadre familial. D’ailleurs, 45 % des agresseurs sont le conjoint ou ex-conjoint. La cellule familiale qui a vocation à protéger ses membres est le lieu le plus dangereux pour les femmes et aussi pour les enfants. C’est là, dans ce huis clos que les crimes sexuels les plus horribles sont commis.
Le deuxième enseignement est celui de la faillite d’un argument et d’un concept : « le bon père de famille ». Il n’a jamais pu faire cela, c’est un bon père de famille…
Un article du monde présente cette « disqualification définitive des « bons pères de famille ». Cet article cite l’essai de Rose Lamy « En bons pères de famille » (Lattès, 2023 et s’appuie sur une interview pour expliquer :
« Selon Rose Lamy. « Dans cette fiction sociale [du bon père de famille], ajoute-t-elle, les hommes violents, ce sont toujours les autres, les monstres, les fous, les étrangers, les marginaux. » D’un côté, les bons pères de famille, qui, certes, parfois, dérapent, étant « trop amoureux, trop lourds, trop malheureux, trop séducteurs, trop bourrés, trop jaloux, mais, croyez-les sur parole, jamais violents » ; de l’autre, les vrais monstres, qui agressent à la nuit tombée.
C’est sans doute cette distinction qui explique les mots de l’un des avocats des accusés du procès de Mazan, Louis-Alain Lemaire, assurant sans sourciller que ses clients sont « tout sauf des violeurs ».
Peut être est-il plus fort encore de citer Gisèle Pelicot lors de l’audience du 23 octobre lorsqu’elle interpelle son ex mari :
« Dominique, nous avons eu cinquante ans de vie commune, nous avons été heureux et comblés, nous avons eu trois enfants, sept petits-enfants, tu as été un père attentionné, présent, je n’ai jamais douté de ta confiance. Je me suis souvent dit : Quelle chance j’ai de t’avoir à mes côtés. […] Cela fait quatre ans que je prépare le procès et je ne comprends toujours pas comment cet homme qui était pour moi l’homme parfait a pu en arriver là, comment ma vie a basculé. » Elle élève la voix :
« Comment as-tu pu me trahir à ce point ? Comment as-tu pu faire entrer tous ces individus chez nous, dans ma chambre à coucher ? Cette trahison est incommensurable. J’ai toujours essayé de te tirer vers le haut, tu as choisi les bas-fonds de l’âme humaine. »
Et par la suite devant les témoignages des proches des accusés, elle leur renvoie :
« Je voudrais faire remarquer à ces femmes, ces mamans, ces sœurs, qui toutes parlent de leur mari, leur père, leur frère comme d’un homme exceptionnel : j’avais le même à la maison ! »
« Libération » parle de « l’effrayante banalité des 50 accusés », Dominique Pelicot étant traité à part.
Le troisième enseignement est celui de la soumission chimique qui semble se développer de plus en plus. Et dans ce crime c’est encore plus souvent un proche qui utilise cette manipulation. La députée Sandrine Josso qui a fait elle-même l’objet d’une soumission chimique par un collègue l’explique sans détour : « On est le plus souvent drogué par un proche »
Cette député préconise d’établir un parcours fléché de soins pour les personnes estimant avoir été droguées. Car cette réalité est encore très méconnue par les victimes et aussi par les professions médicales qui devraient être formées à détecter les cas de soumission chimique. Gisèle Pélicot a consulté de nombreux médecins car elle avait des pertes de mémoire, au point que ses proches pensaient à un cas d’Alzheimer précoce. Aucun médecin n’a eu l’idée d’une drogue et par conséquent de prescrire une analyse
Le quatrième enseignement est celui du retard français concernant le consentement. Beaucoup de législation des pays comparables à la France, la Belgique, le Canada ont lié le viol à l’absence de consentement.
D’ailleurs La France a signé la convention d’Istanbul de 2011 qui fait ce lien, mais pour l’instant le droit positif français n’a pas réalisé cette évolution. L’article du Code pénal qui définit le viol est l’article 222-23 :
« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. »
Lors du procès de Mazan, le viol était caractérisé par « la surprise » qui ne pouvait être discuté.
Mais la Justice française a aggravé son cas. Dans un jugement de 2018 qui concernait des accusations contre Gérald Darmanin qui était alors ministre du budget, il est écrit :
« Le défaut de consentement ne suffit pas à caractériser le viol. Encore faut-il que le mis en cause ait eu conscience d’imposer un acte sexuel par violence, menace, contrainte ou surprise ».
Pourtant à chaque interrogatoire, le président de la cour criminelle du Vaucluse a demandé : « Avez-vous d’une manière ou d’une autre recueilli le consentement de Mme Pelicot ? » Et systématiquement l’accusé répondait non. Ils ne l’ont pas recueilli, ils n’ont pas cherché à le faire. Certains ont même dit ne pas avoir cherché à voir son visage.
La journaliste Céline Rastello a expliqué :
« Et il y a un phénomène qui est très intéressant, qui est que depuis l’affaire, depuis le procès Pelicot, il y a beaucoup de femmes qui nous ont confié relire leur histoire passée à l’aune de cette notion et elles sont nombreuses à se demander si elles avaient vraiment consenti.
Est-ce qu’elles n’avaient pas plutôt cédé pour de mauvaises raisons ? Ou est-ce qu’elles ne s’étaient pas réellement interrogées ? […]
Il y a cette idée forte aussi dans le consentement qu’on commence à voir émerger, mais qui est une notion très nouvelle qui est qu’on ne donne pas son consentement une bonne fois pour toutes, on ne donne pas son consentement en entrant dans la chambre de quelqu’un. Son consentement, on le donne pour des choses spécifiques.
Prosaïquement, ce n’est pas parce qu’on est toute nue dans le lit de quelqu’un qu’on a donné son consentement pour les cinq prochaines heures à venir. Ça dépend de ce qui va se passer, ce consentement, il est révocable et il est spécifique. Et ça, ce sont des choses nouvelles qui commencent à être connues encore une fois dans le cerveau des gens.»
Le cinquième enseignement découle directement du consentement : le viol conjugal.
Pendant longtemps cette notion, dans un univers patriarcal, de domination masculine et de prédominance du désir sexuel masculin n’était pas envisagé.
L’historienne Aïcha Limbada, autrice de l’essai « La nuit de noces, une histoire de l’intimité conjugale » rappelle que la notion prégnante était plutôt celle du devoir conjugal. Le viol conjugal constitue une notion beaucoup plus récente qui repose entièrement sur la nécessité du consentement.
Chaque homme doit faire son introspection et remettre sur le métier ses croyances, son éducation pour parvenir à intégrer cette réalité : ce n’est pas parce que je vis en couple avec une femme ou un homme, et le mariage ne change rien à cela, qu’il ne faut pas s’assurer du consentement de son partenaire avant tout ébat sexuel.
Je m’arrêterais provisoirement à un sixième enseignement alors qu’il en existe encore d’autres : L’avocat a une obligation éthique dans son action de défendre.
Longtemps j’ai cru, que l’avocat avait tous les droits pour défendre son client. L’avocate de Dominique Pelicot, Me Béatrice Zavarro a été remarquable de ce point de vue. Elle a défendu son client sans jamais agresser la victime ou remettre en cause ses paroles. D’autres avocats ont franchi toutes les limites, en déclarant qu’« il y a viol et viol », en croyant percevoir des mouvements de bassin de Giséle Pelicot dans les vidéos projetées, laissant entendre un début de participation au viol ou d’autres vilenies encore.
Or, grâce à ce procès j’ai appris que les avocats étaient tenus de se conformer à un code déontologie. Or voici ce qu’on peut lire dans l’article 3 de ce code :
« L’avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment.
Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d’honneur, de loyauté, d’égalité et de non-discrimination, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie. »
Probité, dignité, humanité et délicatesse… Force est de constater que certains se sont beaucoup éloignés de cette éthique.
Pour terminer, il me semble pertinent de redonner la parole à cette femme admirable qui s’est tenue debout devant ceux qui l’ont violée et qui a fait changer la honte du camp de la victime vers celui des criminels. Elle a dit lors de l’audience du 23 octobre :
« J’ai choisi de renoncer au huis clos car j’ai voulu que toutes les femmes victimes de viols, pas seulement sous soumission chimique, puissent se dire “Madame Pelicot l’a fait, on pourra le faire” […]. Je voulais qu’elles n’aient plus honte. Quand on est violée, on a honte. Mais ce n’est pas à nous d’avoir honte. C’est à eux d’avoir honte. Je n’exprime ici ni ma colère ni ma haine, seulement ma volonté et ma détermination à ce qu’on fasse évoluer la société. »
C’est avec un courage et une lucidité incroyable qu’elle s’est avancée à la barre et devant tous ces hommes accusés de viol aggravé sur elle, elle a oublié son cas personnel pour parler de l’avenir :
« Voilà, pour moi le mal est fait, mais je le fais pour les autres parce que j’aurais souhaité pouvoir entendre un tel témoignage. Ça m’aurait aidé si ça avait été le cas. »
Dans sa prise de parole, à l’issue de l’énoncé du verdict à l’égard des 51 accusés, elle a conclu :
« J’ai voulu, en ouvrant les portes de ce procès le 2 septembre dernier, que la société puisse se saisir des débats qui s’y sont tenus. Je n’ai jamais regretté cette décision. J’ai confiance à présent en notre capacité à saisir collectivement un avenir dans lequel chacun, femme et homme, puisse vivre en harmonie, dans le respect et la compréhension mutuelle. Je vous remercie. »