Vendredi 4 avril 2025

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« S’il avait été un électeur américain, le capitaine Rocca – l’un des rares représentants du peuple présents au dîner – serait ressorti trumpiste du diner d’investiture de la fondation Obama. »
Giuliano Da Empoli, « L’heure des prédateurs », page 88

Les temps sont troubles, pour rester dans un langage modéré. Certains essayent de rassurer comme Frederic Encel : « Une troisième guerre mondiale est très improbable ».
Il vient de publier un livre qui défend cette thèse.

L’Humanité a cependant d’autres défis à relever comme celui du réchauffement climatique, de la limite des ressources, du contrôle, de la maîtrise du développement de l’intelligence artificielle.

Mais désormais Donald Trump est à la tête des Etats-Unis. Nous pensions que ce serait compliqué, c’est bien pire. Il s’attaque à l’état de droit, aux juges, à la science, aux minorités, à tous ses alliés et au reste du monde aussi.

Voici venu « L’heure des prédateurs », titre du dernier livre de Giuliano da Empoli que je viens d’acheter et de commencer à lire.

Dans le Figaro du 2 avril 2025 : « Incapable de réagir, la vieille élite a mérité d’être balayée. » il explique


« La réélection de Trump a été une sorte d’apocalypse au sens littéral du terme : non pas la fin du monde mais la révélation de quelque chose. Le chaos, qui était jusqu’alors l’arme des insurgés, est devenu hégémonique. Et nous avons basculé dans le monde des prédateurs. Comme le disait Joseph de Maistre à propos de la Révolution française, « longtemps nous l’avons prise pour un événement. Nous étions dans l’erreur : c’est une époque. » »

Joseph de Maistre (1753 – 1821) se trouvait dans une position inverse que celle dans laquelle nous sommes, nous qui voyons une révolution néo-réactionnaire se produire devant nous, alors que nous étions convaincu que même si le rythme se ralentissait parfois, nous étions dans une trajectoire inexorable de progrès des libertés, de l’émancipation et de la science.

Joseph de Maistre est  un philosophie contre-révolutionnaire et un critique radical des idées des Lumières. Il considère que la Révolution française représente un crime contre l’ordre naturel. Il défend le retour à une monarchie absolue. Mais il a observé et analysé la révolution française  comme un moment essentiel de l’Histoire européenne.

Nous vivons, selon Da Empoli, un moment machiavélien, terme inventé pour caractériser l’art de gouverner, selon Machiavel, développé dans son livre « Le Prince » et qui prenait exemple sur César Borgia.

Pour Da Empoli, le moment machiavélien est constitué dans l’Italie, à la toute fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle et s’est caractérisé par l’irruption de la force. À ce moment, la technologie offensive s’est développée plus vite que la technologie défensive : des canons à boulets en fonte de fer ont pu percer les murailles des petites républiques italiennes très civilisées de la Renaissance. A cette époque, la principale force prédatrice en Europe était la France. Et il décrit la situation contemporaine ainsi :

« Aujourd’hui, nous sommes à nouveau dans un moment où les technologies offensives se développent davantage que les technologies défensives.
À partir du numérique, lancer une cyberattaque ou une campagne de désinformation ne coûte presque rien, mais la difficulté de la défense est évidente ! Dès lors, nos petites républiques, nos grandes ou petites démocraties libérales risquent d’être balayées. […]
Nous sommes en train de vivre le choc de l’humiliation. C’est le choc d’une province romaine qui se réveille avec un nouvel empereur ; un pouvoir très différent, imprévisible et arbitraire lui tombe dessus, et elle se rend compte qu’elle n’était qu’une province. Cette humiliation est actée, et elle est là pour durer. »

Mais comment expliquer le succès de Trump et de cette révolution néo réactionnaire ?.

Il y a certainement des raisons multiples. Cependant je voudrais partager aujourd’hui l’histoire que raconte Giuliano Da Empoli à partir de la page 85 de son dernier ouvrage.

Cette histoire se passe à Chicago en novembre 2017. Un an s’est écoulé depuis la première élection de Donald Trump. L’élection, comme le chaos qui s’en est suivi est sidérant, en Europe, le Brexit crée aussi désordre et inquiétude. Et ce jour à Chicago, Da Empoli a l’honneur d’assister au diner inaugural de la fondation de Barack Obama qui a quitté la présidence des Etats-Unis quand Trump s’en est emparé. Il cite un extrait du discours inaugural prononcé lors de ce diner

« Le potager de la Maison-Blanche était très puissant, car très symbolique. Faire pousser des aubergines et des courgettes et montrer des images de la première dame agenouillée dans la terre, entourée d’enfants, renvoyait un message très fort à la nation et au monde. »

Il explique qu’il a parcouru 7000 kilomètres pour être à ce diner parce qu’il pensait trouver sinon des réponses mais au moins des idées pour penser la suite, pour faire barrage à la vague illibérale qui menace de déferler sur l’occident.

Je pense, au moment de la lecture de ce récit, à la célèbre phrase de César amendée par René Goscinny : « Veni, vidi et je n’en crois pas mes yeux ! ».

C’est l’ancien chef cuisinier de la Maison Blanche qui vantait ainsi les mérites du potager biologique de Michelle Obama. Après le cuisinier, un autre orateur s’approche de la scène. Un certain Michael Hebb. Da Empoli consulte immédiatement sa biographie en ligne et découvre qu’il fut le pionnier de la consommation réfléchie de chocolat en entreprise.

Un peu ébranlé par le contenu des discours, il se tourne vers les autres convives de sa table espérant pouvoir engager des échanges sur des idées politiques pour l’avenir. Mais après l’apparition sur la table de brocolis bio, il va constater que les échanges vont être encadrés. Une jeune personne assise à la table prend la parole :


« «Bonsoir, je m’appelle Heather, je serai votre faciliteur de conversation ce soir. » A la suite de cette brève introduction, nous découvrons avec horreur que le format du dîner ne prévoit pas que les invités interagissent spontanément, mais plutôt une conversation dirigée par Heather, qui nous permettra de dépasser les politesses d’usage pour atteindre un niveau d’échange plus profond.
Dans ce but, les convives sont priés de répondre à 5 questions à tour de rôle. Pourquoi est ce que je m’appelle comme ça ? Qui sont les miens ? Qui m’a le plus influencé ? Qui aimerais je être. Dans quelle mesure ai-je le sentiment de faire partie de ma communauté. »

Le centre des débats de cette soirée est donc un positionnement identitaire et la question de l’appartenance à une communauté. La conscience sociale et la réflexion sur la société dans son ensemble est ignorée, comme les défis de l’humanité. Heather commence selon les normes édictées et raconte son parcours de transgenre métis adoptée par une famille de Chicago. Pour expliquer son désarroi, Giuliano Da Empoli s’appuie sur un agent de sécurité :


« J’aperçois la mine déconfite du capitaine Rocca, l’agent de sécurité qui nous accompagne [les italiens] dans ce voyage. Au fil de la soirée, je verrai cet homme bâti comme un chêne, jovial, courageux,qui n’hésiterait pas à prendre une balle pour protéger l’un d’entre nous, rapetisser à vue d’œil, jusqu’à prendre l’apparence d’une brindille tremblante.
A la fin du diner […] il me relatera son calvaire. Après un premier moment de consternation, il a surmonté le choc initial et tout s’est plus ou moins bien passé, jusqu’au moment où il s’est risqué à répondre « moi même » à la question « qui voudrais tu être ? » Tout le monde lui est tombé dessus, le traitant de tous les noms, le faciliteur lui même n’ayant pu s’empêcher de le taxer d’égocentrisme»

Da Empoli conclura qu’il a quitté Chicago avec le sentiment d’avoir rencontré de nombreuses personnes sympathiques et pleines de bonnes intentions, mais plutôt mal équipées pour mener à bien la bataille qui s’annonçait. Mais au préalable, il s’autorise ce cheminement de pensée :

« Je n’ai pas pu m’empêcher de penser que, s’il avait été un électeur américain, le capitaine Rocca – l’un des rares représentants du peuple présents au dîner – serait ressorti trumpiste du diner d’investiture de la fondation Obama. Et je crains qu’aucune des activités prévues pendant les 36 heures du  sommet ne l’aurait fait changer d’avis : ni la méditation de 7 heures du matin, ni l’entretien avec le prince Harry sur la jeunesse comme vecteur de transformation sociale, ni le dialogue entre Michelle Obama et une poétesse à la mode à propos de ses sources d’inspiration. »

Nous savions que les démocrates étaient largement responsables de la victoire de Trump, ce récit nous permet de toucher de plus près le décalage abyssal qu’il y a entre leurs préoccupations et celles des gens simples. Da Empoli rappelle que l’une des publicités les plus percutantes de la campagne de réélection de Trump en 2024 jouait sur les pronoms non binaires : « Harris est pour iels ; Trump est pour vous. »

Vendredi 17 janvier 2025

« L’avenir de tout ce que nous avons de meilleur est en train de se jouer en ce moment même, et la partie semble très mal engagée. »
Jean-PIerre Bourlanges en analysant l’attaque en règle que Trump et Musk lancent contre les valeurs, les intérêts et la souveraineté des européens

Je voudrais conclure cette série sur Elon Musk qu’aujourd’hui on ne peut plus dissocier du couple disruptif qu’il forme avec Trump.

Pouviez-vous imaginer, un candidat à la présidence d’un grand Etat occidental qui en plein meeting déclare ?

« Je suis favorable aux automobiles électriques. Je n’ai pas le choix car vous le savez, Elon Musk vient de m’apporter son soutien »

C’était Trump en Géorgie, le 4 août 2024. Quatre jours avant le 31 juillet, le même candidat affirmait être « contre tous ceux qui possèdent une voiture électrique » et rappelait qu’il mettrait immédiatement fin aux mesures d’aides à l’achat de ces autos en cas de victoire.

Le fait qu’un candidat épouse la stratégie d’un lobbyiste qui le finance n’est pas nouveau.
Mais le fait qu’il le révèle ouvertement, ça c’est du jamais vu. Trump dit : je suis contre mais je suis payé par Musk, donc je suis pour !

Je pourrais continuer à énumérer les « dingueries » d’Elon Musk.

Je viens de lire que l’entrepreneur a affirmé que sa société Boring Company était en mesure de réaliser un tunnel de 4 800 km, sous l’Océan Atlantique, reliant les Etats-Unis et le Royaume Uni. Rappelons que le tunnel sous la Manche mesure 37 km.

Ce projet a été imaginé par d’autres, mais personne ne le pensait réalisable. Certains avaient estimé son coût à 20 000 milliards de dollars. Lui pense que sa société grâce à des technologies révolutionnaires pourrait le réaliser pour 20 milliards de dollar. Autant dire, presque rien : la Cour des comptes estime le coût total de l’ EPR de Flamanville à 23,7 milliards d’euros

Je préfère finir en abordant deux points.

Le premier est d’essayer de comprendre cette volonté de diminuer le rôle de l’Etat et des services publics. Nous avons appris que non seulement les hyper-riches de Californie accaparaient l’eau pour leurs besoins propres, eau qui manquait aux pompiers pour lutter contre les feux. Mais ils font mieux : ils emploient des pompiers privés.

Le Prix Nobel d’Economie, Joseph Stiglitz, analyse cela précisément dans un article du Figaro :

« Quand il y a trop d’inégalités – c’était l’objet de mon livre précédent – les plus riches ne dépendent plus des services publics. À l’époque, je vous avoue que je n’avais pas pensé aux pompiers privés ! Les plus fortunés usent de leur influence sur le système d’information – les médias – et sur l’économie pour encourager à réduire les dépenses sur les services publics dont ils n’ont pas besoin. Et c’est ainsi, de fil en aiguille, que dans la première puissance économique mondiale, on arrive à avoir une des espérances de vie les plus faibles parmi les pays riches, avec de très fortes inégalités. L’un des droits de l’Homme les plus fondamentaux, le droit de vivre, a régressé aux États-Unis. »

Emmanuel Todd ne cesse de répéter que désormais l’espérance de vie moyenne en Russie est supérieure à celle des Etats-Unis.

On pourrait se demander : mais comment Elon Musk pensent-ils pouvoir supprimer autant d’emplois publics ?

La réponse est qu’il pense qu’on peut remplacer la plupart d’entre eux, ceux qui gardent une utilité dans son esprit, par de l’intelligence artificielle. C’est ce que raconte dans « Le nouvel esprit public du 12 janvier », Richard Werly, journaliste et essayiste franco-suisse, qui a fait un long tour des Etats-Unis pendant la campagne électorale de 2024 :

« Et le pire dans tout cela, c’est que cela va donner des résultats. Le cynisme absolu, l’autoritarisme et le talent médiatique de l’un, combiné aux ressources et à la créativité de l’autre, vont forcément produire des résultats.
On se demande comment tout cela pourrait tenir, après les coupes énormes prévues.
Grâce à l’intelligence artificielle. Une fois que le ménage est fait, on remplace tous ces hauts fonctionnaires par des robots. Cela a l’air délirant, mais j’ai entendu tout cela. C’est ainsi qu’on entend gérer l’Amérique, qui restera de toute façon la meilleure, dans la mesure où on aura cassé les rotules de tous les concurrents gênants. »

Dans Libération, le 15 janvier 2025, Sylvie Laurent, historienne et américaniste française explique que les dirigeants de la tech qui peuplent aujourd’hui l’administration Trump sont les représentants d’un projet singulier, stade ultime de la fusion entre l’Etat et le capital : « Comment les Etats-Unis sont entrés dans l’ère techno-réactionnaire »
.

Elle montre que plusieurs d’entre eux sont issus ou ont vécus dans l’Afrique du sud de l’apartheid outre Elon Musk, Peter Thiel et David Sacks sont dans ce cas. C’est ainsi qu’elle pense qu’ils sont dans une défense de la minorité blanche. Elle écrit :

« L’oligarchie est génétique. »

Elle prétend que le natalisme de Musk est une réaction à la peur du déclin démographique de l’Occident, l’obsession de Musk. Inspirés par les idéologues qu’elle cite, Sylvie Laurent termine son article par cette description :

« Toute l’idéologie du monde, et elle est solide chez les techno- réactionnaires, n’est jamais que l’idéologie de la classe à laquelle ils appartiennent. Les grandes effusions entre ces capitalistes de la tech, Trump et l’Etat américain n’ont qu’un objectif : obtenir la valorisation de leurs intérêts fiscaux et économiques, fusse en siphonnant les budgets publics, de la recherche et du Pentagone, mais aussi en s’imposant comme seuls prestataires de missions de service public : remplacer la Federal Reserve et le dollar par les cryptomonnaies, les agences de santé par le transhumanisme, les écoles publiques par des formations en ligne et autres mooks, les trains à grande vitesse par des Tesla ou des Hyperloop, la fibre par des accès au réseau Starlink. »

Le second point c’est l’attaque en règle de Musk et de Trump contre ses alliés et notamment contre l’Europe. Non seulement ils s’attaquent à nos valeurs mais ils s’attaquent aussi à nos intérêts. Dans le Nouvel Esprit Public, précité Jean-Pierre Bourlanges décrit la situation :

« On s’est demandé pendant quelques mois si l’élection de Trump se traduirait par une baisse de la protection américaine de l’Europe, mais nous n’avions jamais envisagé que ce serait lui qui nous ferait la guerre. Or objectivement, c’est ce qui est en train d’arriver avec les menaces sur le Groenland […] Ne nous leurrons pas : la situation est réellement hallucinante. Ce qui est en train de se passer est un choc de première grandeur pour le monde, pour l’Europe, et pour la France. C’est la ploutocratie absolue qui règne désormais. Le conflit d’intérêt n’est plus une anomalie ou une exception, il est devenu le moteur de la constitution de l‘équipe de Donald Trump. »

« Sommes-nous prêts ? » est la question qu’a posée « C Politique » du 12 janvier. Les invités très intéressants de cette émission David Djaïz, Asma Mhalla et Céline Spector sont assez peu confiants dans la capacité européenne de répondre au défi.

 

Ce que l’on peut constater, c’est que l’Europe est désunie. Meloni cherche à s’attirer les bonnes grâces d’Elon Musk qui accepte bien volontiers ses avances dans la mesure où des contrats lui sont promis. Orban est ouvertement l’allié de Trump. Et l’Allemagne si dépendante des Etats-Unis pour sa protection et ses exportations n’aura qu’une idée : ne pas contrarier le duo Musk Trump.

Dans le « Nouvel Esprit Public » Nicolas Baverez explique cela très bien :


« Il n’y a pas si longtemps, l’adversaire désigné était la Chine, mais pour le moment, toutes les cibles des Etats-Unis sont des pays alliés, même les plus proches (Royaume-Uni et Canada). Cette structure intellectuelle est celle de Vladimir Poutine : Trump est en train de nous expliquer qu’il y a un étranger proche des USA (Canada, Panama, Groenland) auquel personne n’a le droit de toucher, et dont on va s’assurer le contrôle. C’est un raisonnement de sphère d’influence, qui n’exclut pas le recours à la force. Il n’y a donc plus de respect de la souveraineté nationale, ni des frontières, c’est le monde de Poutine, de Xi, d’Erdogan. […] Olaf Scholz se fait insulter sans même répondre, Keir Starmer panique, et Kaja Kallas se contente de rappeler que « les Etats-Unis restent l’allié privilégié de l’Europe ». Et parallèlement aux tentatives de division, le duo met sur un piédestal Mme Meloni.
C’est une grande leçon pour l’Europe. L’idée de l’UE, selon laquelle elle va réguler l’IA et le numérique alors qu’elle n’a aucun acteur dans ces secteurs, qu’elle va prendre le leadership de la transition écologique alors qu’elle n’a aucun acteur industriel est une chimère complète. Comment réguler des secteurs dans lesquels on n’a aucun poids ? Sans compter la dépendance européenne en matière de Défense. Les Etats-Unis de MM. Trump et Musk vont nous faire payer tout cela au prix fort. »

Jean-Pierre Bourlanges voudrait trouver un Churchill, mais n’en trouve aucun :

« Car nous sommes dans la même situation que Churchill dans son discours passé à la postérité, celui de la « plus belle heure » du Royaume-Uni (« the finest hour »), où il dit que les Britanniques sont les seuls à défendre la civilisation, tout ce en quoi nous croyons, qu’ils doivent mener le combat le plus décisif, à l’enjeu le plus élevé, seuls. Et Churchill dans un formidable élan d’optimisme prophétique, déclare que cette heure la plus sombre est aussi la plus belle. L’Europe est dans la même situation.
Mais est-ce que les Européens sont capables d’un tel sursaut ? […]
Nous sommes dans la situation décrite par Churchill ; l’avenir de tout ce que nous avons de meilleur est en train de se jouer en ce moment même, et la partie semble très mal engagée. »

Notre problème est double d’abord nous sommes tellement dépendants à l’égard des américains : de leur technologie, de leur protection militaire, de leur système financier, de notre incapacité à répondre à la puissance de l’extraterritorialité de leur justice.

Ensuite, si nous voulions vraiment défendre nos valeurs et nos intérêts ,il faudrait aussi que l’immense majorité des européens soient des citoyens avant d’être des consommateurs. Car notre confort de consommateur à court terme a beaucoup à perdre, si nous voulions vraiment défendre notre citoyenneté. Mais en agissant ainsi, à moyen terme nous perdrons les deux : notre confort de consommateur et nos valeurs citoyennes.

Jeudi 16 janvier 2025

« Vous êtes les médias, maintenant ! »
Tweet d’Elon Musk sur X, le lendemain de l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis

Le quatrième épisode que France Culture lui consacre a pour titre « Elon Musk, l’homme le plus puissant d’Amérique ? ».

Et voilà qu’en 2022, Elon Musk achète « Twitter » pour 43 milliards de dollars. C’est une entreprise peu rentable. Ce n’est pas pour l’argent qu’il va acheter ce réseau social.

François Saltiel :

« C’est vraiment l’achat de Twitter qui va le plonger dans l’arène idéologique et politique. Il va adhérer à Donal Trump car c’est lui qui est le mieux placé pour propulser ses idées. »

Elon Musk n’a pas le désir de devenir Président des Etats-Unis, nonobstant le fait qu’il ne peut pas se présenter à l’élection présidentielle parce que seul les états-uniens de naissance disposent de ce droit.

François Saltiel insiste sur le fait que même s’il le pouvait, il ne le souhaiterait pas parce que les libertariens ne considèrent pas que le président est l’homme qui a le plus de pouvoir.

François Saltiel cite Peter Thiel qui est un grand joueur d’échec :

« L’équivalent sur l’échiquier du président des Etats-Unis c’est le Roi.
Le Roi n’a pas beaucoup de capacité. Il se déplace comme un pion. C’est la pièce qui a certes le plus grand pouvoir symbolique, mais la plus vulnérable.
Qui protège le Roi ?
La Dame et le Fou, ça ce sont les pièces qui comptent.
Ce sont les rôles que veulent avoir Elon Musk et Peter Thiel. Le Roi ils n’ont pas envie de l’être : avoir la couronne mais ne pas avoir la puissance. Musk se rapproche de Trump, mais il ne veut pas être à sa place. Il veut continuer à développer ses entreprises, continuer à se servir de Donald Trump pour véhiculer ses idées. »

Dans cet épisode, on entend Elon Musk répondre à une interview, sur France 2, en juin 2023 :

« Vous êtes reçu comme un chef d’État, y compris par le Président chinois. Est-ce que vous voudriez être Président des Etats-Unis ?
Non je n’ai pas envie !

Pourquoi ?
Vous savez les gens imaginent quelquefois que le Président des Etats-Unis est dans un poste extrêmement puissant. Alors, oui d’une certaine façon, bien sûr. Mais la constitution américaine est telle que le Président est dans une position très limitée, en fait.
Président c’est un peu comme être le capitaine d’un très grand bateau, avec une toute petite rame, ou un petit gouvernail. [gros rire] Vous êtes accusé de tout et vous ne pouvez rien faire.

Vous êtes en train de dire que vous êtes plus puissant que le Président des Etats-Unis ?
Alors disons que je ne peux pas déclarer la guerre ! »

Elon Musk a reconnu avoir voté démocrate pendant longtemps. Parmi les libertariens de la Silicon Valley, seul Peter Thiel avait osé, dès 2016, soutenir Donald Trump.
Mais Musk va changer de camp.

Il se lance, selon lui, dans un combat pour la liberté d’expression. C’est semble t’il son argument principal pour le rachat de twitter.

Elon Musk :

« Il est important que les gens aient le sentiment de s’exprimer librement. Et que ce soit une réalité. »

Mais un autre combat ; idéologique, va le motiver : un rejet profond du progressisme et du « wokisme », mouvement qu’il associe à une menace personnelle et sociale.

Elon Musk a eu 12 enfants. C’est un nataliste, il croit que la baisse de natalité conduirait à un effondrement de la civilisation.

En 2022, son ainé décide de changer de genre, il décide de devenir une femme. Constatons que 2022 est aussi la date d’achat de twitter par Musk.

Elon Musk n’accepte pas cette transition, il se lamente dans les médias :

« Le wokisme a tué mon enfant ».

Il déclare renier son enfant. Le fils devenu fille décide de prendre le nom de sa mère et de s’appeler désormais : Vivian Jenna Wilson. Elle décidera aussi, le lendemain de l’élection de Donald Trump de quitter les Etats-Unis.

Elle explique :

« Je ne vois pas mon avenir aux États-Unis […] La journée d’hier (de l’élection) me l’a confirmé. Même si Donald Trump ne reste au pouvoir que quatre ans, même si les réglementations anti-trans ne sont pas appliquées comme par magie, les gens qui ont voté pour lui ne vont pas s’en aller de sitôt. ».

Le père et la fille s’invectivent sur les médias sociaux, la fille traite Musk de « père absent », « froid », « cruel », et « narcissique ».

L’achat de Twitter était certainement programmé avant, mais cet épisode de la vie d’Elon Musk va le conduire à un tournant idéologique dans son utilisation d’X, non seulement comme outil de communication, mais aussi comme plateforme de lutte culturelle et politique. Depuis son acquisition par Elon Musk, X incarne une vision radicale de la liberté d’expression au détriment de la véracité des faits et de la modération. Cette plateforme devient un levier de polarisation et de désinformation.

François Saltiel explique :

« En réduisant la modération, il cultive ce en quoi il croit, la liberté d’expression à tout crin, provoquant une forme de chaos informationnel où tout le monde, en échange de paiement, pouvait s’offrir de la visibilité. »

En s’emparant de X il va réintégrer de nombreux comptes qui ont été exclus, notamment celui de Trump, il va supprimer la modération, virer une grande partie du personnel et le remplacer par des collaborateurs à ses ordres.

Il va utiliser X comme instrument de propagande au profit de Trump.

Guillaume Erner raconte qu’il a envoyé un message aux utilisateurs arabes pour leur dire que Kamala Harris va favoriser Israël et un message aux utilisateurs juifs disant que Kamala Harris mènera une politique favorable aux Hamas. Il ne recule devant aucun mensonge.

Au lendemain de la victoire de Trump, Elon Musk a simplement publié sur X :

« Vous êtes les médias, maintenant. »

« Le Monde » analyse :

« Vous êtes les médias, maintenant. » Ce tweet d’Elon Musk, publié le 6 novembre et vu plus de 105 millions de fois, n’a pas seulement mis en lumière la croisade que mène l’homme le plus riche du monde contre les médias traditionnels.
Il marque sans doute l’entrée dans un nouveau régime informationnel, dominé par les médias sociaux, dont le modèle économique est indifférent à la qualité et à la véracité de l’information qu’ils propagent.
A bien des égards, Elon Musk incarne mieux que personne la nouvelle dynamique entre influenceurs, algorithmes et foules numériques, décrite par Renée DiResta dans Invisible Rulers (« dirigeants invisibles », PublicAffairs, 2024, non traduit) et qui constitue le creuset d’une part croissante de l’information parvenant sur nos écrans, au détriment de celle qui émane des médias traditionnels. »

Guillaume Erner et François Saltiel insistent aussi sur le caractère eugéniste d’Elon Musk et sa défiance à l’égard de la démocratie :

« A la fin, seuls les plus intelligents vaincrons. A la fin ce que veut réaliser Elon Musk c’est de saper la démocratie. Il ne croit pas en la démocratie. Il croit en une élite qui va arriver au pouvoir et qui saura mieux que les autres ce qui est bon pour l’humanité, le bas peuple.

C’est pour cela aussi qu’il fait 11 enfants (un est mort en bas âge) parce qu’il estime qu’il a un QI extraordinaire et qu’il faut qu’il puisse se reproduire. »

Lors du mot du jour consacré à la victoire de Donald Trump, j’avais cité Peter Thiel qui était encore plus explicite :

« Je ne crois plus désormais que la liberté et la démocratie sont compatibles. […] Les années 1920 furent la dernière décennie dans l’histoire américaine où l’on pouvait être parfaitement optimiste à propos de la politique. Depuis 1920, l’augmentation considérable des bénéficiaires de l’aide sociale et l’extension du droit de vote aux femmes – deux coups notoirement durs pour les libertariens – ont fait de la notion de « démocratie capitaliste » un oxymore. »

François Saltiel conclut :

« Nous avons mis finalement le destin de la démocratie américaine dans les mains d’un entrepreneur un peu fou, un peu dingue, un peu génial, un peu maléfique, qui rigole et qui prend les choses avec dérision. Sa posture, mêlant humour noir et stratégies de domination, déstabilise les valeurs traditionnelles des démocraties occidentales. »

Régis Debray avait expliqué que là où l’Etat recule, et c’est le combat que poursuivent Musk, Thiel et les autres, ce sont les mafias et les religieux qui prennent la place…

Que ces transhumanistes réactionnaires constituent une sorte de mafia, relève de l’évidence, leurs croyances et leurs visions messianiques rappellent par leur fanatisme, le pire des religions.

Peut-être comme le prédisent certains, tous ces males alpha ne pourront pas s’empêcher de se battre pour qu’il n’en subsiste plus qu’un et que dans ces disputes, ils se neutralisent.

C’est un espoir fragile, mais possible.

Mardi 14 janvier 2025

« La mafia paypal ! »
Peter Thiel, Elon Musk, David Sacks et d’autres libertariens issu de Paypal et jouant un rôle d’influence dans la tech

Continuons à nous intéresser au parcours d’Elon Musk jusque dans les bureaux de la Maison Blanche…

Pour le deuxième épisode, France Culture a choisi ce titre : « Elon Musk à l’assaut de l’État »

Dans l’épisode 1, nous avions laissé Elon Musk riche, après avoir vendu sa première Start Up créée avec son frère : Zip2. Nous avons compris que l’argent gagné, il n’allait pas l’utiliser pour s’amuser et payer des loisirs.

Dans la logique de la Silicon Valley, il va utiliser son premier gros gain pour investir dans une nouvelle entreprise : il s’agira d’une plateforme de paiements en ligne qu’il nommera déjà « X », plus précisément « X.com »

François Saltiel explique :

« Il veut déjà court-circuiter le schéma traditionnel pour développer cette entreprise qui va par la suite racheter une jeune pousse qui s’appelle « Paypal ». Et Paypal prendra par la suite le dessus sur X pour devenir ce qui va devenir son premier très grand succès. »

En 2002, Ebay rachètera Paypal pour 1,5 milliards de dollars, ce qui lui permet d’empocher personnellement plus de 180 millions de dollars.

Mais de cette aventure, il ne retire pas seulement de l’argent, c’est aussi une philosophie qui est à l’œuvre. Il s’agit d’une philosophie libertarienne qui vise à réduire le rôle des structures étatiques dans la gestion monétaire.

Il fait partie alors d’un groupe d’entrepreneurs qui partagent l’idée d’une réduction des services publics et souhaitent s’en prendre directement au monopole de l’État, notamment dans le domaine financier.

François Saltiel précise :

« Avec PayPal, c’est la première fois que l’on peut payer, avoir un instrument de paiement qui n’est pas une banque traditionnelle. »
Musk et ses proches transforment leurs idées audacieuses en une révolution économique qui ne dissimule pas ses ambitions politiques. Au fond, il s’agit de préparer la réorganisation de la société autour des nouvelles technologies.

François Saltiel décrit cette révolution ainsi :

« Paypal c’est un « game changer » pour Elon Musk. Il y a un avant et un après Paypal. Lorsqu’il entre dans cet éco système, il fait la rencontre de Peter Thiel. […] Peter Thiel, c’est un investisseur, c’est un des premiers investisseurs de Facebook. Il a beaucoup d’argent. Il est beaucoup plus discret qu’Elon Musk mais il a une énorme influence [dans la silicon valley]. Il est un des chantres du libertarianisme. C’est un transhumaniste. »

Peter Thiel est un des hommes qui comptent le plus dans cet écosystème. Il cofonde « Palantir » dans lequel il joue un rôle essentiel. C’est une entreprise qui fait de l’analyse de données et notamment de données secrètes. Il se sert de l’Ukraine comme un laboratoire d’expérimentation.

Peter Thiel avait étudié la philosophie à l’université Stanford, et se dit très influencé par la pensée de René Girard et sa théorie du désir mimétique. Peter Thiel va soutenir Trump dès 2016.

En 2007, le magazine «Fortune» utilise le terme de « mafia PayPal » en appui d’une photographie montrant un groupe de 13 hommes liés à l’entreprise PayPal et habillés dans des vêtements évoquant des mafieux. Notons qu’Elon Musk est absent de cette photo…

Il n’y a pas que le décor, il y a aussi l’influence grandissante de ces entrepreneurs libertariens sur la tech. Outre Elon Musk et Peter Thiel, on y trouve David Sacks, fondateur de Yammer; Reid Hoffman, fondateur de LinkedIn; Jawed Karim et Chad Hurley, co-fondateurs de Youtube et quelques autres.

Le Figaro publie un article le 6 novembre 2024 : « Elon Musk, Peter Thiel, David Sacks… Comment la «mafia PayPal» a œuvré pour la victoire de Donald Trump » Ce sont eux qui auraient proposé le vice président à Donald Trump : J. D. Vance. Ce dernier présente Peter Thiel comme son mentor.

En 2002, Elon Musk va se lancer dans un nouveau défi : la conquête spatiale. Il crée SpaceX. Son premier objectif est de réduire de manière drastique les coûts des vols spatiaux en devenant le sous-traitant de la Nasa. Peu croit en lui. François Saltiel raconte :

« Tout le monde se moque de lui,  surtout qu’il ajoute : Je vais aller construire mes propres fusées et puis on va coloniser Mars. »

Force est de constater qu’il va réussir à devenir indispensable à la NASA. Le projet concurrentiel de Jeff Bezos « Blue Origin » a pris beaucoup de retard. Sans Space X, la NASA n’est plus en mesure de réaliser ses projets.

Ce constat fait dire à François Saltiel : « ce dingue n’est pas fou ». Il n’est pas fou, mais il est peut être dangereux.

Il a beau être libertarien, le succès de SPace X repose quand même sur beaucoup de subventions versées par l’Etat honni.

En revanche, il rempli l’objectif de diminuer les coûts, même si cela doit entraîner une augmentation du risque. Trump l’embauche pour essayer de réaliser les mêmes performances dans l’Administration fédérale.

En conclusion, François Saltiel, caractérise l’homme d’affaire comme l’incarnation du « technosolutionnisme ». Cette hypothèse prétend que si les ressources de la planète sont limitées, l’homme parviendra toujours à repousser ses frontières grâce à la technologie.

Je redonne le lien vers ce deuxième épisode : « Elon Musk à l’assaut de l’État »

Lundi 13 janvier 2025

« Je pourrais m’acheter une île dans les Bahamas, mais créer des nouvelles entreprises m’intéresse beaucoup plus ! »
Elon Musk, en 1999, après avoir vendu sa première Start up

Faut-il en rire ou au contraire s’en inquiéter, voire avoir réellement peur ?

Donald Trump veut récupérer la souveraineté sur le canal de Panama, acheter le Groenland et convaincre les canadiens à devenir le 51ème État des États-Unis…

Et, Elon Musk comme l’homme qu’il soutient parle et écrit à tort et à travers, dans son soutien aux extrêmes-droite en Europe, dans sa volonté de tout déréguler et d’entrer dans un monde où seule la loi du plus fort et du plus riche s’imposera.

Les États-Unis sont sur le chemin de renforcer leur « Ploutocratie ». La ploutocratie est un système de gouvernement où la richesse est la base du pouvoir politique
Les professeurs de droit ont multiplié les mots et les définitions pour expliquer l’organisation du pouvoir.

L’Iran est une « théocratie » fondée sur des principes religieux. La Chine est soit une « oligarchie » si on considère qu’elle est dirigée par le Comité permanent du bureau politique du Parti communiste chinois ou une « autocratie » si on se persuade que le pouvoir est entre les seuls mains de Xi Jinping.

Mais revenons à la ploutocratie américaine. Dans l’émission de la 5 « C à Vous » du 7 janvier 2025, le journaliste Philippe Corbe, spécialiste des États-Unis a fait le constat suivant :

« En janvier 2024, la fortune d’Elon Musk était d’environ 251 Milliards de dollars (selon Forbes), il était déjà l’homme le plus riche du monde. Il est en ce début d’année 2025 à 418 Milliards de dollars. […] Dans l’Histoire de l’humanité, il n’y a jamais existé un homme aussi riche. »

Cette augmentation de la fortune s’explique par une valorisation maximale des valeurs boursières de Musk dû au fait que les investisseurs et les spéculateurs parient que maintenant que Musk est au cœur du pouvoir fédéral, les multiples contrats qui le lient avec l’État fédéral des Etats-Unis, vont encore s’épanouir davantage.

Si les actions de Musk peuvent se valoriser aussi rapidement, il est tout à fait rationnel de prévoir qu’elles peuvent se dévaloriser dans les mêmes proportions, tout aussi rapidement.

Toutefois, il semble bien qu’il se sente aujourd’hui très fort, quasi invulnérable et se donne le droit donc d’intervenir sur n’importe quel sujet et de traiter le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, de « girl ». Ainsi a-t-il écrit sur son réseau social mercredi 8 janvier à 9:58 :

« Girl, you’re not the governor of Canada anymore, so doesn’t matter what you say »— Elon Musk (@elonmusk)

Ce que la presse québécoise a traduit : « Chérie, tu n’es plus le gouverneur du Canada, donc ce que tu dis, nous importe peu ».

Il attaque le premier ministre britannique et quand celui-ci veut rétablir la vérité, Musk l’accuse de « tenir des propos insensés » puis le qualifie de personne « totalement méprisable ».

Lors de la même émission de « C à Vous » Alain Duhamel, me semble avoir bien décrit Musk et Trump :

« On a l’impression, qu’il y a un génie un peu fou et un fou dont on se demande s’il est génial »

Il me semble donc nécessaire d’en savoir un peu plus sur cet homme né le 28 juin 1971 à Pretoria, dans une famille blanche aisée vivant dans une Afrique du Sud sous le joug de l’apartheid. Nelson Mandela est en prison depuis 9 ans et le restera encore pendant 19 ans.

« France Culture » a produit une série de 4 podcasts, de 15 minutes chacun, qui retrace le parcours de cet homme.

Pour ce faire, Guillaume Erner a interrogé François Saltiel, producteur de « Un monde connecté » sur France Culture.
Le premier épisode s’intitule : « de l’enfant harcelé à l’étudiant rebelle de Stanford »

François Saltiel raconte :

« Il est né au moment de l’apartheid, dans un contexte assez violent. Son père est un ingénieur assez fortuné et sa mère une mannequin canadienne. Le fait que sa mère soit canadienne est important dans sa trajectoire. »

Il a une enfance assez difficile. Il est petit et chétif et il est victime d’harcèlement.

François Saltiel poursuit :

« On se moque de lui. Là on a déjà la faille. […] Il y aura une quête de l’enfant humilié qui cherche à se venger. »

Il semble qu’il aurait intégré assez vite qu’il ne peut s’en remettre qu’à lui-même. Il fera des stages de survivaliste où son père l’avait inscrit. Pendant ces stages, la nourriture était insuffisante et on incitait les plus forts de dérober la nourriture des plus faibles. Et Musk était un des plus faibles, il s’est fait avoir plusieurs fois. Il a alors décidé de devenir sportif, de boxer et de faire d’autres sports de combats et de se complaire dans le virilisme.

En 2023, lors d’un conflit avec Marc Zuckerberg, patron de Facebook, il lui a proposé de faire un combat de MMA. Zuckerberg pratique aussi les arts martiaux mixtes (MMA). Ce combat n’aura pas lieu.

Selon François Soltiel, il sera totalement en phase avec la mentalité méritocratique de la Silicon Valley : seul ceux qui le méritent peuvent survivre et s’élever. Il en tirera des règles violentes de management en pointant du doigt ceux qui n’y arrivent pas et en agissant quelquefois au mépris de la loi.
Pour en revenir à l’enfance, il sera décrit comme un enfant supérieurement intelligent. Dès 10 ans il se passionne pour l’informatique et à douze ans, il aurait vendu son premier jeu vidéo pour 500 dollars.

Mais François Soltiel nous met en garde d’adhérer trop vite à ce qu’il considère comme un storytelling. Plus nuancé il dira :

« Il s’est auto-diagnostiqué asperger. On est en face d’un enfant qui est assez seul, qui va développer des compétences et se réfugier dans la science-fiction. Il est un grand lecteur d’Asimov et de K. Dick. La plupart de ses entreprises vont naître de ses lectures. »

Selon son biographe, les relations entre Elon Musk et son père sont très mauvaises. Il le voit comme un père violent. Ses parents vont divorcer assez tôt.

Il va quitter l’Afrique du Sud à 17 ans, parce qu’il veut échapper au service militaire. Il émigre au Canada après avoir acquis la nationalité canadienne grâce à sa mère canadienne. En réalité il veut aller aux États-Unis, patrie de ses romans de science-fiction, mais il pense que par le Canada ce sera plus facile.

Il va passer deux ans au Canada et fera des études de Physique et d’Économie et pratiquera quelques petits boulots, à côté. Son père lui coupe les vivres

Puis du Canada il pourra se rendre à l’Université de Pennsylvanie à Philadelphie et obtiendra un bachelor de physique et continuera ses études d’économie.

Puis il sera admis en 1995 dans une des plus prestigieuses universités : Stanford

François Saltiel raconte :

« Stanford, c’est l’université de la Silicon Valley qui est au cœur de cet eco-système. C’est à Stanford qu’est né Google. […] Elon Musk va se distinguer en ne restant que deux jours à un moment où il voit Internet monter et il se dit je n’ai pas besoin de suivre ces études. Je vais quitter Stanford pour monter ma première entreprise. »

Et c’est ainsi qu’en 1995, Elon Musk fonde avec son frère la compagnie Zip2, éditeur d’un logiciel de publication de contenu en ligne. Ses principaux clients seront les gros titres de la Presse américaine. Cette même Presse qui est aujourd’hui son grand ennemi.

En 1999, Compaq acquiert Zip2 pour 341 millions de dollars. Elon Musk et son frère Kimbal possèdent alors environ 12 % de Zip2. Elon Musk y gagne 22 millions de dollars, ils avaient investi, 4 ans auparavant avec son frère, 28 000 $.

Dans un reportage de CNN de 1999, on entend Elon Musk dire :

« L’agent c’est juste du papier. […] Je pourrais m’acheter une île dans les Bahamas, mais créer des nouvelles entreprises m’intéresse beaucoup plus. »

François Saltiel conclut ce premier épisode :

« Elon Musk est un personnage fascinant. On peut être inquiet par ses idées. Mais tout le monde lui reconnaît sa capacité d’être là au bon moment, au bon endroit et dans le juste timing. […] Il va toujours anticiper ce que sera la prochaine révolution technologique. »

 

Vendredi 6 décembre 2024

« Ça va très mal finir !»
Nicolas Sarkozy à propos de la présidence Macron en octobre 2017

Dès octobre 2017, soit 4 mois après l’élection d’Emmanuel Macron, Nicolas Sarkozy avait émis ce jugement sur le parcours présidentiel de Macron. Vous trouverez cette information dans « Le Point » ou « L’Express ». Cette phrase a été prononcée 1 an avant le début du mouvement des gilets jaunes.

Et, après ce mouvement, après la pandémie du COVID 19, après les guerres d’Ukraine et de Gaza, après une réélection en 2022 sans campagne, sans débat, uniquement pour éviter le Rassemblement National et enfin une dissolution en 2024 donnant une chambre ingouvernable, ces propos inquiétants rencontrent une situation politique que nous voyons dégénérer devant nous.

Nicolas Sarkozy avait donné les raisons de ce jugement :

« Il n’a pas d’emprise sur le pays. Il ne s’adresse qu’à la France qui gagne, pas à celle qui perd. Il est déconnecté. »

Emmanuel Macron a, en effet, une responsabilité immense dans la situation actuelle.

D’abord il a échoué à réaliser sa promesse de faire reculer l’extrême droite au cours de son mandat. Ces 7 ans n’ont été qu’une progression inexorable du rassemblement national, conséquence de la montée des colères, des exaspérations et même de la haine à l’égard du Président de la République.

Macron en 2017Probablement est-il utile de rappeler, ce que le candidat élu, après une longue marche solitaire au milieu de la cour Napoléon du palais du Louvre, va promettre, le 7 mai 2017, à ses partisans dans la joie de son triomphe et aux français dans l’attente d’une nouvelle ère :

« Je sais nos désaccords, je les respecterai mais je resterai fidèle à cet engagement pris : je protégerai la République. […]
Je ferai tout dans les cinq années qui viennent pour qu’ils n’aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes.[…]
Je le sais, la tâche sera dure, je vous dirai à chaque fois la vérité, mais votre ferveur, votre énergie, votre courage toujours me porteront. (…) Je rassemblerai et réconcilierai parce que je veux l’unité de notre peuple et de notre pays. […]
Et enfin mes amis, je vous servirai. Je vous servirai avec humilité, avec force. Je vous servirai au nom de notre devise : liberté, égalité, fraternité. Je vous servirai dans la fidélité de la confiance que vous m’avez donnée. Je vous servirai avec amour. »

Chacun jugera de la distance entre les promesses et la réalité du pouvoir exercé par ce jeune homme parvenu au sommet de l’État à 39 ans.

Depuis ce jour de mai 2017, il a eu souvent des propos maladroits, blessants, méprisants rendant son pouvoir encore plus insupportable à beaucoup.

Il a aussi échoué à rétablir les comptes publics, à éviter la dégradation de la balance commerciale et l’augmentation de la dette. Il n’a pas pu faire cesser la politique du « quoi qu’il en coûte » à temps. Et il a laissé le déficit public déraper en 2024 sans réagir ni sur les dépenses, ni sur les recettes. Le déficit, pour lequel la prévision annonçait 4,4 %, ce qui était déjà trop élevé par rapport à l’engagement de 3%, dépasse les 6 % en 2024.

Il n’a pas réagi, le nouvel Obs le raconte dans son article du 3 décembre 2024 : « Les trois fautes de Macron » :

« Le premier acte se noue le 8 avril 2024. Le chef de l’État participe, contrairement à son habitude, à la réunion des présidents de groupes de la majorité qui se tient tous les lundis à l’Elysée. « J’entends parler de projet de loi de finances rectificative. Je n’en vois pas l’intérêt. » Puis, au sujet des pistes d’économies réclamées par son ministre Bruno Le Maire : « Il ne faut pas que ça soit la foire à la saucisse. » […] Alors que depuis la fin de 2023, la direction du Trésor alerte sur une baisse inquiétante des recettes et un déficit qui dérape dangereusement, le président décide… de ne rien faire. Les élections européennes s’approchent, il ne faut surtout pas inquiéter les électeurs qui pourraient se détourner du parti présidentiel. Au lieu d’intervenir en urgence, Emmanuel Macron procrastine. Pendant ce temps, les finances publiques flambent.»

Cette première erreur va en entraîner une seconde, il va prendre la décision de dissoudre la chambre des députés, le soir des élections européennes catastrophiques pour son camp. Il ne veut probablement pas affronter le débat budgétaire de la fin de l’année, avec sa majorité relative et la révélation de ce dérapage budgétaire.
Beaucoup explique qu’il ne pensait pas que les partis de gauche, qui s’étaient déchirés et insultés au cours de la campagne européenne, puissent se réconcilier et présenter un front uni, indispensable pour gagner dans un mode de scrutin uninominal à deux tours. Peut être aussi, c’est une hypothèse personnelle, espérait t’il secrètement une victoire du rassemblement national qui aurait, selon toute vraisemblance, devant la difficulté de la tâche et son manque de compétence évidente, perdu  de sa crédibilité et son principal argument pour gagner les présidentielles : les français n’avaient jamais essayé son programme jusque là.

Lors de ces élections législatives, les français se sont mobilisés et la gauche est arrivée unie aux élections.

L’assemblée qui a été élue est fracturée en 3 blocs à peu près équivalent : La Gauche (NFP) 33% le Bloc central macroniste 29%, l’Extrême Droite 25%, avec une quatrième force, beaucoup plus faible, la droite LR 8%. Chaque bloc refuse de faire alliance avec aucun des deux autres. Les blocs de gauche et central sont même très divisés en leur sein.

Finalement Emmanuel Macron va aussi échouer dans le domaine économique dont pourtant lui-même et ses partisans prétendaient qu’il constituait le point fort de son mandat.

Il a accentué la politique de l’offre qui avait été initié par Hollande. Cette politique repose sur l’idée qu’on peut favoriser la croissance en créant un cadre fiscal et normatif très favorable aux entreprises, ce qui leur permet d’être plus compétitive, rentable, d’investir et in fine de créer de l’emploi.

Cette politique de fiscalité très arrangeante pour les entreprises diminue beaucoup les recettes de l’État sauf si un surcroit important de croissance les augmente en volume bien que les taux soient plus faibles. Cela n’est pas arrivé et aujourd’hui les plans de licenciement sont d’une ampleur telle que le chômage est de nouveau en train de repartir à la hausse.
La responsabilité d’Emmanuel Macron dans cette situation désastreuse d’une France qui s’enfonce dans la crise, de services publics qui se détériorent, avec un déficit abyssal, une dette qui ne sert pas à investir mais à payer les frais de fonctionnement, une crédibilité internationale de plus en plus faible, est immense.
Mais il n’est pas seul responsable, les députés qu’ils soient de son camp comme de l’opposition de gauche ou d’extrême gauche ont aussi une responsabilité énorme. Comment ne pas être choqué par le sourire narquois de Mélenchon en train d’assister, dans les tribunes du palais Bourbon, à la chute de Barnier et qui ne veut aucun compromis, mais espère des présidentielles anticipées qu’il pense pouvoir gagner. Marine Le Pen est dans un état d’esprit similaire. Et les chefs des différents partis du bloc central comme de la droite LR sont aussi, avant tout, préoccupés des élections futures et non de la situation des français et de la France.
Incapable de discuter, de débattre. Chaque fois qu’un plateau de télévision présente deux députés d’un camp différent, il n’y a qu’invectives et dialogue de sourd.
Ce n’est pas une élection présidentielle qui règlera ce problème d’une France divisée en trois et demi et qui ne sait plus se parler, ne sait plus faire société ensemble et se réfugie largement dans le déni des contraintes et des contradictions auxquelles la France doit faire face.

Lundi 18 novembre 2024

«N’importe qui ! Même un affabulateur, un menteur, un escroc, un violeur ! Tout sauf une femme !»
Une invitée d’une émission consacrée à l’élection de Donald Trump comme 47ème président des États-Unis

Le monde est tellement compliqué que l’ambition de le comprendre est peut être hors de notre portée. J’ai renoncé à conserver en exergue de mon blog cette phrase que Guillaume Erner avait prononcée lors de la première matinale de France Culture qu’il avait animée : « Comprendre le monde c’est déjà le transformer ».

Il faut probablement être beaucoup plus humble. A ce stade, la parole de sagesse de Rachid Benzine écrite dans son livre « Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ? » semble plus appropriée à la situation : « Le contraire du savoir, ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes. »

L’ignorance, dans la mesure où elle est comprise et intégrée, constitue une connaissance précieuse : je sais que je ne sais pas. Dans l’Apologie de Socrate, Platon a rapporté ce propos de son maître en philosophie : « Ce que je ne sais pas, je ne pense pas non plus le savoir ! »

Dans son expression publique, Donald Trump semble très éloigné de cette connaissance.

Comment dialoguer avec quelqu’un qui est figé dans ses certitudes ?

Comment vivre en démocratie et organiser le dissensus entre citoyens avec des gens pétris de certitudes ? Je n’ai pas la réponse à cette question.

Donald Trump et ses partisans sont dans cette dérive. Lui qui considère que le réchauffement climatique est une blague. En 2020, visitant la Californie, ravagée par des incendies violents et meurtriers, Donal Trump a nié l’impact du changement climatique sur les phénomènes d’incendies et a déclaré :

« Ça finira par se refroidir, vous verrez. »

Lorsqu’un responsable local de l’agence de protection des ressources naturelles de Californie, à Sacramento lui répond : « J’aimerais que la science dise cela » le président a rétorqué :

« Je ne pense pas que la science sache vraiment. »

Nous sommes entrés dans un monde où la vérité est une opinion parmi d’autre et où un homme, sans étude scientifique,  se croit autorisé de contester l’avis de professeurs spécialisés dans le domaine où ils interviennent.

En 2024, Donald Trump persiste et a inventé un slogan qu’il a entonné à de multiples reprises au cours de sa campagne, et qu’il a encore répété lors de son discours de victoire :

« Drill, baby, drill ! » (« Fore, bébé, fore »).


Dans un article du « Nouvel Obs » nous pouvons lire :

« « On va forer [du pétrole] comme des malades ! », a promis le magnat aux électeurs américains. « Nous avons plus d’or liquide que n’importe quel pays dans le monde. Plus que l’Arabie saoudite ou la Russie », s’est-il encore félicité dans son discours de victoire, en référence au pétrole et au gaz. « Pendant la campagne, il n’a eu de cesse de dire qu’il fallait “réparer l’économie américaine” en offrant l’énergie la moins chère du monde, et donc en accélérant notamment la fragmentation hydraulique en vue de produire des gaz de schistes », observe Pierre Blanc, professeur à Sciences-Po Bordeaux et Bordeaux Sciences Agro. »

Deux documentaires, d’une heure chacun, publiés par Public Sénat montre ce que fut la première présidence de Donald Trump par celles et ceux qui l’ont vécu au plus près « America First, partie 1 – L’Europe doit payer » et « America First, partie 2 – L’ennemi au Moyen-Orient ». C’est affligeant ! Affligeant dans la prise de décision, dans l’argumentation pour répondre aux partenaires, dans le manque de maîtrise des dossiers et des procédures. Pourquoi Donal Trump a t’il à nouveau gagné, jusqu’au vote populaire ?  :

Beaucoup d’analyses ont considéré que le triomphe de Trump était avant tout économique : C’est le pouvoir d’achat des américains dans leur quotidien et aussi pour leur achat de logement qui s’est dégradé pendant la présidence Biden. Tous les économistes nous racontaient que la politique économique de Biden était remarquable. Je prends pour exemple cet article du Monde : « America is back » :

« A huit mois de l’élection présidentielle, le tableau économique est reluisant. […] le chômage est au plus bas ou presque avec un taux de 3,7 % de la population active ; les salaires réels augmentent, notamment au bas de l’échelle ; le pays produit plus de pétrole que jamais, finance un immense plan d’investissement dans l’énergie et les microprocesseurs, et se lance à corps perdu dans l’intelligence artificielle, ce qui fait s’envoler Wall Street. Plus personne ne parle de stagnation séculaire comme dans les années 2010, tandis que le mot « Rust Belt », ceinture de la rouille, nommant les Etats désindustrialisés ayant fait l’élection de Donald Trump en 2016, a disparu des journaux. Premier constat, l’Amérique redevient plus industrielle. Donald Trump en avait rêvé, Joe Biden l’a fait. »

L’article du Monde évoquait bien l’inflation mais pour souligner que Biden était arrivé à la faire diminuer lors des derniers mois. Il semble que nombre d’électeurs américains ont eu une vision différente. Ce décalage arrive quand on donne trop d’importance aux chiffres macroéconomiques et aux moyennes et qu’on ne regarde pas la vie réelle des gens.

D’autres analyses ont insisté sur le sujet de l’immigration qui a déferlé sans maîtrise sur les Etats-Unis pendant la présidence Biden. Enfin d’autres ont considéré que le vote Trump était aussi un vote anti woke qui était défendu par l’aile gauche du Parti démocrate. Probablement qu’il est nécessaire de convoquer toutes ces causes pour expliquer l’élection de cet histrion dangereux qu’est Donald Trump. Mais Thomas Snégoroff y a ajouté une supplémentaire : le masculinisme.

Et lors d’une des nombreuses émissions que j’ai écoutées depuis le 5 novembre, j’ai entendu une intervenante tenir ces propos « N’importe qui ! Même un affabulateur, un menteur, un escroc, un violeur ! Tout sauf une femme !».

Force est de constater que Trump a perdu une fois contre un homme et a gagné deux fois, chaque fois, contre une femme.

Quand on compare le résultat des démocrates sur 4 ans Kamela Harris a perdu 7,5 millions d’électeurs par rapport à Biden. Et puis le vote des hommes hispaniques a progressé de 18 % en faveur de Trump entre 2020 et 2024. Cette population réputée plus conservatrice peut aussi apparaître comme un signe de ce vote « genré ».

Mais c’est dans l’émission « C Politique » de France 5 du dimanche 17 novembre que cet aspect du vote du 5 novembre a été le mieux contextualisé. Elon Musk est un libertarien, mais l’intellectuel qui l’influence est Peter Thiel, fondateur de Paypal et lui soutient Donal Trump depuis sa première candidature en 2016. Il est aussi l’inspirateur déclaré de Cyrus Vance le vice Président élu. Or cet homme a écrit qu’il ne croyait plus en la démocratie depuis que les femmes avaient obtenu le droit de vote. C’est aussi écrit sur sa page Wikipedia.

J’ai trouvé sur le site le « Grand Continent » une page consacrée aux écrits de cet homme né en 1967 à Frankfort sur le Main et sur laquelle on peut lire :

« Je ne crois plus désormais que la liberté et la démocratie sont compatibles. […] Les années 1920 furent la dernière décennie dans l’histoire américaine où l’on pouvait être parfaitement optimiste à propos de la politique. Depuis 1920, l’augmentation considérable des bénéficiaires de l’aide sociale et l’extension du droit de vote aux femmes – deux coups notoirement durs pour les libertariens – ont fait de la notion de « démocratie capitaliste » un oxymore. »


C’est à la fois extrêmement inquiétant pour la démocratie et bien sûr une attaque en règle contre les femmes. Il me semble donc qu’il ne faut pas sous estimer cette dimension du vote Trump : surtout pas une femme !

Mardi 5 novembre 2024

« Trump n’est que le symptôme d’une crise plus profonde »
Gérard Araud

Nous sommes le mardi qui suit le premier lundi de novembre, quatre ans après la dernière élection présidentielle américaine.
Ce jour-là a lieu la nouvelle élection présidentielle américaine. Il est plus juste de dire que c’est le dernier jour de l’élection puisque nombre d’américains ont déjà voté par anticipation. En effet, sur les quelque 244 millions d’Américains appelés aux urnes pour l’élection présidentielle, 78 millions, soit 31,9 %, avaient déjà voté de manière anticipée à la date du 3 novembre, selon les données de l’université de Floride. Le vote par anticipation – qu’il soit en personne ou par correspondance – permet aux Américains d’exprimer leur suffrage plus tôt. Cette option est valable dans tous les États du pays, mais la date d’ouverture du vote anticipé varie beaucoup d’un État à l’autre : il peut débuter jusqu’à cinquante jours avant l’élection, ou seulement cinq jours avant.

Cela peut paraître curieux, pour nous français qui avons l’habitude de voter le dimanche, de fixer le jour officiel de l’élection, un mardi.

Cela montre toute la différence entre la France laïque et les Etats-Unis otages des bondieuseries. Car le dimanche est le jour sacré des chrétiens, il ne saurait être question pour les américains croyants de « souiller » ce jour dédié à dieu pour une simple raison profane d’organisation du pouvoir terrestre. Alors qu’en France, notre révolution a conduit à considérer « sacré » la République. Nous avons donc pris, sans vergogne, le jour sacré des religieux pour organiser le vote qui se déroule dans les locaux de notre temple sacré : « L’école ».

Mais « Ouest France » nous en dit davantage sur ce mardi de l’élection.

La toute première élection présidentielle américaine se tient le 7 janvier 1789, un mercredi. Ce jour-là, les grands électeurs se réunissent pour désigner le président George Washington. Trois ans après, en 1792, une loi est votée pour fixer officiellement les règles de l’Election Day. Elle prévoit que la réunion des grands électeurs prenne place aussi le mercredi, mais cette fois-ci le premier de décembre.

Les différents États doivent alors élire leurs représentants dans les 34 jours avant cette date.
Les élections se déroulent donc en novembre, comme aujourd’hui. Et pour une raison purement pratique : à cette période, les moissons sont terminées, condition primordiale dans la société rurale de l’époque. Autre raison : cette période précède les tempêtes hivernales du Nord-Est des États-Unis, qui auraient empêché certains électeurs de se déplacer.

Un problème se pose cependant : comme chaque État vote à un moment différent, les résultats des voisins commencent à influencer les électeurs, à mesure que les moyens de communication se développent. Une date unique est donc instituée en 1845 : le mardi suivant le premier lundi de novembre.

Pourquoi un mardi ? Car contrairement à la France, il est hors de question que le jour du seigneur des chrétiens, le dimanche, soit perturbé. On écarte donc le dimanche, mais aussi le lundi, car cela aurait contraint certaines personnes à voyager le dimanche pour voter à temps. Le vote officiel des grands électeurs a pour sa part toujours lieu en décembre. Aujourd’hui, c’est donc toujours cette même règle qui est appliquée. Les électeurs se rendent aux urnes un mardi, entre le 2 et le 8 novembre, selon les années.

Nous savons que les américains n’élisent pas directement leur président mais élisent des Grands électeurs disposant d’un mandat impératif les obligeant à voter, lors de la réunion du collège des grands électeurs, pour le candidat dont ils ont porté les couleurs.
J’ai tenté d’expliquer ce mécanisme lors d’un mot du jour qui faisait une analyse assez détaillée de l’élection précédente dans laquelle Biden avait battu Trump : « Des chiffres et des électeurs. ».
Je rappelle les points saillants de cette analyse assez dérangeante :

  • L’affirmation péremptoire que Biden a battu nettement Trump au vote populaire se heurte à la réalité que cet écart s’explique par le vote de deux Etats : la Californie et de New York. En effet ces deux états cumulés représentaient un avantage pour Biden de 7 096 598 voix, c’est-à-dire un nombre de voix supérieur à la différence observée au niveau national.
  • Si on élargit un peu la focale à 6 Etats en ajoutant aux deux premiers l’Illinois (Chicago), le Massachusetts (Boston), le Maryland (Baltimore) et aussi le District of Columbia qui même si la démographie en est plus modeste, présente la particularité d’abriter la capitale : Washington, l’avantage pour Biden monte à 10,5 millions d’électeurs.
  • Ces 6 Etats représentent 25% des électeurs américains, dès lors, l’ensemble des 44 autres Etats qui représentent donc 75% des électeurs ont voté pour Trump et lui ont donné un avantage de 3,5 millions d’électeurs pour un score relatif de 51,5% à 48,5%.
  • Enfin concernant les grands électeurs, j’ai pu démontrer que l’inversion du vote de 21 459 électeurs de Biden vers Trump, c’est-à-dire 0,014% du corps électoral, aurait conduit à un match nul 269 grands électeurs chacun.

Je finissais cet article sur la question de savoir comment expliquer qu’autant d’américains aient voté pour Trump bien qu’ils l’ait vu à l’œuvre pendant 4 ans.

J’osais cette nuance : L’explication simpliste est que 74 000 000 d’américains sont des extrémistes ou des ignorants. La réalité est certainement plus complexe.

Nous sommes 4 ans plus tard, Trump a incité certains de ses partisans à monter à l’assaut du Capitole dans une insurrection qui a stupéfié le monde, il a été condamné pour des faits dans lesquels il montre une attitude qui devrait horrifier tous les évangélistes qui votent pour lui, c’est-à-dire 50% de ses électeurs, il est poursuivi pour d’autres délits, pendant toute la campagne il a tenu des propos d’une violence, d’un esprit de vengeance, d’une volonté de s’attaquer aux institutions démocratiques (« je serais dictateur une journée », « après vous n’aurez plus besoin de voter »), des documents sérieux montrent ses liens étroits et surprenants avec la Russie de Poutine …

Et pourtant, il est tout à fait possible qu’il redevienne Président des Etats-Unis. A celles et ceux qui s’interrogent s’il pourra briguer un nouveau mandat dans 4 ans, la réponse est négative. Seuls deux mandats sont tolérés, ils peuvent être successifs ou disjoints.
Comment expliquer cela ?

Gérard Araud, ancien ambassadeur de France à Washington expliquait déjà en 2021 : dans un article de 2021 : «Trump n’est que le symptôme d’une crise plus profonde». Il existe un malaise au sein de la classe moyenne américaine :  .

« Le génie [de Trump] a été de comprendre en 2016 l’existence d’un malaise américain que personne n’avait vu venir, car les résultats macro-économiques à la fin du mandat d’Obama étaient bons. Il a su parler aux oubliés, et son génie fut aussi d’arriver à continuer à être leur voix durant son mandat sans être récupéré par les républicains «classiques» qui pensaient pouvoir le manipuler. Cette rébellion est toujours là, et restera. »

Il faut comprendre que la démocratie libérale n’est possible que s’il existe une grande classe moyenne qui la fait vivre et qui est content de son sort ou au moins a l’espoir raisonnable que son avenir et celui de leur enfants seront meilleurs :

« Il y a deux cause possibles à cette rébellion . La première est économique. En effet, si quarante ans de néolibéralisme auront permis aux pays émergents de sortir de la pauvreté, les classes moyennes inférieures ainsi que la classe ouvrière des sociétés occidentales auront vu leur niveau de vie stagner, voire diminuer. Ce phénomène a provoqué une hausse du chômage et un accroissement des inégalités. Ce n’est pas un hasard si la révolte touche particulièrement le Midwest où le chômage, lié à la désindustrialisation, est fort. » .

La mondialisation et le libre échange ont eu des conséquences sur les classes moyennes occidentales non réfléchies par les élites qui ne voyaient que « la mondialisation heureuse ». Ce déclassement économique est certainement premier dans le malaise.

« La seconde est identitaire. La majorité des électeurs de Trump sont des hommes blancs ; plus de 60 % des hommes blancs ont voté pour lui. Sur fond de changement démographiques, l’Amérique blanche sent qu’elle perd le pouvoir. De ce point de vue, le trumpisme peut apparaître comme le baroud d’honneur de cette Amérique-là. » .

Il me semble qu’il existe une autre dimension que Gérard Araud n’aborde pas: c’est le recul de l’hégémonie occidentale sur les affaires du monde. Un monde qui conteste de plus en plus le leadership américain.

Probablement de manière assez confuse, car les américains moyens ne sont pas connus pour leur vision géopolitique, mais le fait que l’homme occidental soit contesté dans le monde est certainement aussi un élément du malaise. A cela s’ajoute, aux États-Unis, une immigration massive non régulée, non accueillie qui heurtent profondément les américains qui voient des tentes et des squats s’installer de plus en plus nombreux dans leurs villes.

Enfin, il y a aussi, à l’intérieur de la société, des fractures sociétales provoquées par des démocrates délaissant les intérêts et les valeurs  de la classe moyenne pour entrer dans un progressisme de plus en plus rapide, intolérant à ceux qui pensent différemment pour s’abimer dans le communautarisme, dans des luttes sectorielles où chaque particularité est mis en avant : .

« Les démocrates de leur côté n’utilisaient pas de message national, ils demandaient, pour simplifier aux noirs de voter pour leur camp simplement en raison de leur couleur de peau ! Cela n’a pas vraiment changé. Quand on regarde leur vision de la constitution du gouvernement américain, nous avons l’impression que c’est une répartition avec deux noirs, deux latinos, six femmes et un gay. C’est d’ailleurs présenté comme cela dans la presse. On peut se demander quel est le message national des Démocrates… Les démocrates ne voient plus les citoyens américains qu’à travers leurs identités. La «cancel culture» dans les universités, même si elle reste extrêmement minoritaire, exacerbe ce phénomène. S’il y a un bon exemple des erreurs des Démocrates, c’est la question des transgenres. Si l’on doit le respect à ces derniers, ils ne représentent qu’une infime minorité de la population. En faire un sujet national n’était sans doute pas un bon calcul. » .

Et maintenant, on constate que des latinos et des noirs, surtout les hommes, commencent à voter de plus en plus pour Trump. Je pense que des évolutions sociétales que la Gauche démocrate défend avec ce sentiment d’un combat du bien contre le mal heurtent profondément le conservatisme de ces populations pour qui tout cela va trop vite et trop loin. Trump a su avec ruse et intuition capter ce malaise pour nourrir sa quête du pouvoir. Désormais, pour des raisons électorales il est allé jusqu’à flatter les franges les plus réactionnaires de son électorat qui sont anti-avortement, anti-LGBT, anti-féministe. Ces minorités ne pourraient pas imposer ainsi leurs idées, s’il n’existait pas dans une plus large partie de la population les malaises économiques, les malaises identitaires et les malaises sociétaux .

Je pense qu’en Europe et en France nous sommes sur la même voie, d’un malaise profond de la société auquel prétendent répondre des forces illibérales, des extrêmes droite contre lesquelles la gauche largement dans le déni des problèmes qui se posent, n’a comme seule réponse la diabolisation de l’adversaire et la fuite en avant.

Quand il y a un terrain fertile, des Trump peuvent pousser.

Vendredi 12 juillet 2024

« Gagner »
Comment gagner ?

Qui gagne ?

Qui perd ?

Jean-Luc Melenchon affirme que le Nouveau Front populaire a gagné et, qu’à l’intérieur du NFP, son parti a gagné .

Il en conclut que c’est au sein du parti le plus à gauche de l’échiquier politique qu’il faut désigner le premier ministre. Et avec tout cela, il veut appliquer son programme, tout son programme.
La secrétaire générale de la CGT Sophie Binet s’insurge 

« Emmanuel Macron veut nous voler la victoire ! ».

D’autres pensent que c’est le Rassemblement National qui a gagné.
D’abord au premier tour comme au second, c’est ce bloc d’extrême droite qui a a obtenu le plus de voix.
Ensuite à l’intérieur de l’hémicycle, si on s’intéresse aux groupes politiques, c’est à dire aux députés qui ont suffisamment de convergence pour accepter de siéger dans un ensemble homogène et identifié au Parlement, le RN est nettement le premier groupe.
En outre,  sa progression entre la législature précédente et celle d’aujourd’hui est la plus importante de toutes les formations.

Il existe aussi des hommes politiques comme Bruno Retailleau  qui prétendent que c’est « la Droite » qui a gagné et qu’il est impossible de nommer un premier ministre de gauche :

« Notre pays est majoritairement à droite ! »

Personne ne s’aventure à dire qu’Ensemble, les formations politiques qui, avant la dissolution, formaient la majorité présidentielle,  a gagné. Il y a des limites à l’outrance. Toutefois, le président de la république pour quelques mois encore, au maximum 34, a écrit une lettre le 10 juillet, dans laquelle on trouve cette phrase :

« Personne ne l’a emporté. »

Et, avec tous ces braves gens comment est-il possible de gouverner la France ?

Emmanuel Macron, Marine Le Pen, Jean-Luc Melenchon et quelques autres sont fondamentalement des autocrates, des bonapartistes, non des démocrates.
Il considère qu’il faut un processus de désignation d’un vainqueur, selon des méthodes quelconques.

Le fait que des électeurs votent pour leur parti pour éviter une catastrophe plus grande, sans partager leurs options politiques fait partie de ces méthodes. Une fois « ce truc de prestidigitateur » ayant donné un résultat, celui qui est premier pense pouvoir gouverner à sa guise, sans tenir compte des autres. Les institutions de la cinquième république donne d’ailleurs quelques outils pour ce faire.

Dans sa lettre du 10 juillet, Emmanuel Macron, exprime des réticences par rapport à cette méthode. Le problème c’est qu’il l’a appliquée depuis 2022, alors que lui aussi n’avait pas gagné les législatives, sa majorité présidentielle était seulement le groupe le plus important de l’Assemblée.

Que ferait des démocrates ?

Les différents groupes se réuniraient pour discuter d’un programme. Non pas pour choisir dans une liste de distribution de gratification,  mais pour répondre à  des questions :

  • Comment envisagez vous la dette de la France ?
  • Que pensez vous qu’on puisse faire pour le pouvoir d’achat des français ?
  • Quel est votre plan pour affronter le défi climatique et écologique ?
  • Quel est votre plan énergétique, sur les énergies renouvelables, sur le nucléaire ?
  • Que pensez vous faire pour la réindustrialisation de la France et l’attractivité du territoire ?
  • Quelle est votre politique européenne ?
  • Quelle est votre position sur la guerre en Ukraine ? et à Gaza ? Quelle est votre position sur le budget de la défense ? Quelle est votre vision par rapport à l’OTAN ?
  • Que proposez vous pour diminuer les tensions à l’intérieur de la société française ? Comment peut on rendre l’immigration compatible avec les craintes des français ? Quelle est votre modèle républicain et votre conception de la laïcité ?
  • Quelle est votre position sur la demande de sécurité des français ?
  • Considérez vous qu’il existe un sujet d’insécurité culturelle des français ou cette question est-elle en dehors de votre analyse ?

On pourrait continuer et notamment parler du scrutin proportionnel qui constitue, dans l’état actuel des choses, une arme efficace contre les autocrates.

Qui a gagné ? Qui a perdu ?

Peut être faut il poser la question autrement comment gagne t’on vraiment ?

Et comment perd t’on dignement. ?

Pour donner une piste, je voudrai évoquer un épisode sportif.

Le 2 décembre 2012, une épreuve de cross-country se déroulait à Burlada, en Espagne.

Le premier de la course, le Kenyan Abel Mutai (médaillé de bronze du 3 000m steeple cet été aux JO de Londres), s’apprête à remporter la course. Pensant avoir franchi la ligne, il coupe sa foulée et regarde son chronomètre… Seulement, il s’est trompé, et la ligne d’arrivée réelle est à quelques dizaines de mètres.

Derrière lui, l’Espagnol Ivan Fernandez Anaya arrive en pleine lancée. Il s’aperçoit immédiatement de la méprise de Mutai, et lui fait signe que la ligne est plus loin. Il essaye de dire  au Kenyan de continuer à courir.

Mutai ne connaissait pas l’espagnol et ne comprenait pas. Alors Fernandez a poussé Mutai à la victoire. A ceux qui lui ont demandé pourquoi il a fait cela, Ivan Fernandez Anaya a déclaré qu’il ne méritait pas de gagner, car il n’aurait jamais pu rattraper Abel Mutai sans son erreur.

Ivan Fernandez Anaya, 24 ans, a été champion d’Espagne espoirs du 5 000 mètres en 2010.

On trouve sur les réseaux sociaux cette belle histoire avec des photos erronées ou des réflexions pleines de sagesse qui aurait été prononcées par l’espagnol et qui ne sont pas exactes.

L’histoire montre simplement un homme qui a une éthique et qui se pose la question : Comment gagne- t-on ? Je crois que c’est une bonne question.

Lundi 8 juillet 2024

« La Gauche est très minoritaire dans le pays ! »
Des chiffres et une analyse factuelle

Certains propos de hier soir ont profondément irrité mon âme démocrate.

Si je me suis réjouis que les citoyens français ont une nouvelle fois, et j’espère que ce ne sera pas la dernière, repoussé la menace de l’arrivée au pouvoir de gens xénophobes, illibéraux et incompétents, il n’est pas décent que des hommes politiques qui combattent cette menace plongent dans la démagogie et le déni.

Quand Jean-Luc Melenchon affirme que son camp a gagné et que le seul choix est d’appliquer son programme, tout son programme et rien que son programme il tient des propos hors sol et dangereux pour la démocratie, parce qu’il ne tient pas compte des autres électeurs.

Revenons simplement à ce qui s’est passé lors de ces deux tours d’élections législatives qui ont permis d’élire une Assemblée nationale dont la durée de vie se situe entre 1 et 5 ans. Et n’oublions pas qu’il ne s’agit pas d’un jeu mais de gouverner notre vieux pays qui est menacé par la guerre, par les dettes, par le défi climatique, par la détresse sociale, par l’insécurité physique et culturelle.

Tous les résultats se trouvent sur le site du Ministère de l’Intérieur à l’adresse suivante : <Résultats législatives 2024>

Voici d’abord le tableau des résultats du premier tour qui s’est déroulé le dimanche 30 juin 2024. J’ai ajouté une colonne regroupement, pour tenter d’inscrire tous ces mouvements politiques dans notre grammaire républicaine qui classe les tendances politiques entre l’extrême gauche et l’extrême droite. Il est nécessaire, pour une petite part, de distinguer une tendance <autre> notamment pour les divers et régionalistes.


Dès lors lorsque qu’on présente les résultats en voix selon cette typologie on obtient ce tableau. Mais visuellement, c’est par l’intermédiaire d’un graphique qu’on peut le mieux discerner l’état des forces en présence.


Dès lors, il est clair que les mouvements qui se réclament de la gauche sont nettement minoritaires dans l’électorat. Pour espérer obtenir une majorité il faudrait que ces mouvements puissent s’adjoindre, convaincre, s’allier avec la quasi l’intégralité du mouvement de centre droit, plutôt à droite de ce qui reste de la majorité présidentielle macroniste.

Il me semble que toutes les personnes raisonnables qui ont réfléchi à situation politique dans notre pays ont conclu qu’il faudrait abandonner le scrutin uninominal à deux tours qui n’est plus pratiqué qu’en France pour passer au scrutin proportionnel.

Le scrutin proportionnel a également des défauts, notamment celui d’interdire au corps électoral d’écarter un candidat dont il ne veut pas. En effet, la confection des listes étant entre les mains des dirigeants des partis politiques, les députés sont ceux qui sont choisis par ces dirigeants .

En revanche, et cela me semble la qualité essentielle de ce mode de scrutin, il ne permettra jamais à un force politique qui dispose de l’appui d’un tiers de l’électorat,  d’obtenir la majorité absolue des sièges de l’Assemblée nationale et de poursuivre une politique contraire à la volonté des deux tiers des citoyens.

En outre, ce mode de scrutin rend inutile des alliances contre nature entre des partis politiques qui sont en désaccord sur des points fondamentaux. Enfin, il rend indispensable une autre manière de conduire la politique puisqu’il induit la nécessité de coalitions après les élections. Dès lors si on avait appliqué un scrutin proportionnel aux résultats du premier tour, en prenant comme règle que seuls les mouvements disposant au minimum de 5% des voix peuvent obtenir des députés, on arrive à cette assemblée :

Arrivé à ce stade, il  apparait normal de vouloir comparer l’image de cette assemblée avec celle qui est issue du second tour.

Le scrutin uninominal autorise des candidatures locales qui ne se rattachent pas formellement à un des grands partis.

En outre, des dissidents de l’un ou l’autre parti peuvent aussi obtenir le succès qui leur serait refusé dans un scrutin proportionnel.

Pour pouvoir comparer les deux assemblées, il faut évidemment faire des rapprochements que j’ai effectué ci-contre selon les classements du ministère l’intérieur qui a rangé ces députés selon une répartition gauche, droite, centre. Il reste des régionalistes divers qui sont plus difficilement classables. On constate donc que le Rassemblement national a été très défavorisé par le scrutin actuel. Il me semble très pernicieux que celles et ceux qui se réjouissent de cet effet, en raison de leur opposition radicale à ce parti, considèrent qu’il ne faut pas changer le mode de scrutin qui permet cela. Pour ma part, je n’ai pas de doute, il arrivera un jour où le RN profitera à son tour des effets pervers du scrutin uninominal à deux tours pour obtenir un nombre de sièges disproportionné par rapport à son ancrage électoral.

Hier nous avons donc vécu le second tour, car il restait 501 députés à élire. Pour certains ce fut une divine surprise. De manière factuelle voilà la répartition en voix, en siège et en pourcentage. J’ai repris les mêmes regroupements que pour le premier tour.

Nous constatons les effets déformants qu’induit ce mode de scrutin dans la distribution des sièges. Le Rassemblement national arrive encore largement en tête du scrutin avec plus de 10 millions d’électeurs, il fait mieux qu’au premier tour avec 37% des exprimés contre 33% au premier tour.

Avant de lire ces chiffres, étiez vous conscients de cette réalité ?

501 sièges étaient à distribuer. Si on ne s’intéresse qu’au trois grands blocs de cette élection, on constate que si 37% des électeurs lui ont donné leur bulletin, ils n’ont récupéré que 20,8 % des sièges. En parallèle la majorité présidentielle avec 23,15% des voix a récupéré près de 30% des sièges. Le nouveau front populaire a obtenu 25,7% des voix, si on a écouté le démagogue Melenchon, hier juste après 20:00, on avait le sentiment qu’il croyait avoir obtenu 50% des suffrages. Et si on refait un graphique des forces en présence comme pour le premier tour on obtient le schéma suivant :

Hier, La gauche n’était pas minoritaire, elle est très minoritaire. Hier soir, après que mon ancien camarade du PS, Philippe Prieto se réjouissait de la victoire de la candidate socialiste dans la circonscription où je vote, je lui écrivais ce message :

«  Il y a un peu de répit. Mais attention ce sera très compliqué. Certaines prises de position, ce soir, par des membres de NFP sont totalement hors sol. La Gauche est minoritaire en voix en France. Au premier tour elle représente à peu près 32% des exprimés. Au second tour elle pèse encore moins. Ce n’est pas avec cela qu’on applique « son programme », « tout son programme. ».
C’est le temps de l’humilité, des discussions et des compromis intelligents.
Est ce qu’il y a des hommes de gauche lucides et convaincants qui peuvent prendre ce rôle  ».

Oui, il faut de l’humilité et le sens du compromis. Sinon ce que nous redoutions reviendra en boomerang, plus fort encore.