Jeudi 19 juin 2025

« Je suis responsable devant le compositeur et surtout devant l’œuvre. »
Alfred Brendel

Alfred Brendel fut sans doute le plus grand pianiste de la seconde moitié du XXème siècle. Il est mort le 17 juin 2025 à Londres, à l’âge de 94 ans.

Il naît le 5 janvier 1931, dans une famille allemande, mais dans une commune située actuellement en République tchèque.

Il réalise son premier récital en 1948, à Graz. Il effectuera ses premiers enregistrements en 1952 et 1953.

Cependant sa carrière prendra toute la lumière vraiment en 1969 quand il signe un contrat avec Philips. La firme néerlandaise utilisera sa puissance de communication pour révéler au monde de la musique le talent, la profondeur, le génie de ce pianiste venu du centre de l’Europe.

En allemand, le terme « Mitteleuropa » sonne mieux, le magazine Diapason écrit :

« C’était l’un des géants du piano et de la musique, comptant parmi les derniers représentants de la Mitteleuropa. Il s’est éteint à l’âge de 94 ans. »

C’est en 2008 qu’il décida de faire sa tournée d’Adieu, après 60 saisons de concerts si on prend comme point de départ son premier concert à Graz, mais si on part de son contrat avec Philips il exerça son magistère sur le piano classique pendant 40 ans de 1969 à 2008.

Son ultime concert eu lieu, le 18 décembre 2008, dans la salle dorée du Musikverein de Vienne.

Sa tournée d’Adieu fit étape, le soir du 13 juin de cette même année, à l’auditorium de Lyon. La musicologue Marie Aude Roux écrivit dans un article du Monde : « En tournée d’adieux, Alfred Brendel fut magique à Lyon. » :

« Le 13 juin, dans le bel Auditorium de Lyon, Brendel est apparu avec son élégance légèrement guindée, queue-de-pie, large ceinture et nœud papillon jaune pâle et regard rond d’effaré. Il s’est assis au piano et la musique a coulé de source, comme affleurant de ses propres entrailles […] »

Il termina son récital par la dernière sonate de Franz Schubert D.960. Marie Aude Roux traduit :

« Le travail sur la matité du son sous-entend qu’« il faut qu’un cœur se brise ou se bronze ». D’une belle coulée, le « Scherzo », viennois en diable, nostalgie et larmes et sourires mêlés. Puis le « Finale », entre rire et rictus, où Brendel est plus que Brendel, sculpteur de paysages mélodiques, poète du clavier, écrivain des sons, musicien majuscule dans un étrange absolu de la musique. »

Brendel était le musicien de l’approfondissement, revenant toujours au même corpus d’œuvres, toujours aux mêmes compositeurs.

D’abord Beethoven et Schubert, puis Mozart et Liszt avec quelques incartades vers Schumann, Haydn, Bach et même Schoenberg. Mais vous ne trouverez pas d’enregistrement de Chopin ou de Rachmaninov, les compositeurs de prédilection des pianistes du commun.

Il a résumé :

« J’ai essayé de m’en tenir au répertoire de ce que je considère comme de la grande musique, de la musique avec laquelle on peut passer toute une vie et à laquelle on peut revenir. Beethoven, Mozart et Schubert ont constitué l’essentiel […] J’ai fait ce que j’ai pu pour Haydn et Liszt et j’adore Schumann. J’ai également joué des œuvres qui ne sont pas de grandes œuvres, mais qui me plaisent. »

Brendel avait acquis une technique sans faille, mais il n’était pas que pianiste, il était avant tout musicien, cherchant sans cesse à décrypter et à tenter de comprendre les intentions du compositeur et la cohérence interne de l’œuvre qu’il interprétait.

Le premier article de Diapason cité, rappelait cette phrase d’Alfred Brendel :

« Je suis responsable devant le compositeur et surtout devant l’œuvre. »

Beaucoup de pianistes veulent briller grâce aux œuvres et au compositeurs, Brendel a fait le contraire : il partait de l’œuvre pour partager le message et l’émotion qui jaillissait des notes écrites dans la partition.

Dans sa page hommage à Brendel, « Radio France » publie deux citations du pianiste

« Si j’appartiens à une tradition, il s’agit d’une tradition dans laquelle c’est le chef-d’œuvre qui indique à l’interprète ce qu’il doit faire, et non pas d’une tradition où l’interprète impose ses conceptions à l’ouvrage, ou tente de dire au compositeur ce qu’il aurait dû composer. »

« Je dirai qu’il existe deux sortes d’interprètes : ceux qui éclairent l’œuvre de l’extérieur et ceux qui illuminent l’œuvre de l’intérieur. Et cela, c’est beaucoup plus rare. »

Je me rappellerai toujours avec émotion de la première fois que je l’ai vu en concert.

C’était au Palais des Congrès et de la musique de Strasbourg le 28 janvier 1978. J’étais à l’époque élève de classe préparatoire au Lycée Kléber et il me suffisait de traverser la Place de Bordeaux pour me trouver dans la magnifique salle de concert de Strasbourg.

Alfred Brendel n’était pas seul, il était accompagné de l’Academy of Saint Martin in the Fiels et son chef fondateur Neville Marriner. Il y avait aussi Jessye Norman.

Ce Concert était organisé par le Conseil International de la Musique (Unesco) et célébrait les 200 ans de la visite de Wolfgang Amadeus Mozart en 1778 à Strasbourg.

A cette date, Strasbourg appartient à la France depuis le 24 octobre 1681, lorsque Louis XIV est entré en grande pompe dans la ville qu’il avait arraché, par la puissance des armes, le mois précédent au Saint Empire Romain Germanique.

Le génie autrichien de 22 ans débarque, en calèche, autour du 10 octobre 1778 et restera environ 3 semaines à Strasbourg.

Il vient de Paris où il n’a pas eu le succès escompté et où sa mère Anna Maria Mozart vient de mourir le 3 juillet 1778, rue du Gros-Chenet (rue du Sentier). Ses obsèques eurent lieu en l’Église Saint-Eustache.

Hôtel de la Cour du Corbeau, photo époque récente

Il arrive à la place du Corbeau et résidera dans la célèbre hostellerie de la cour du Corbeau, un des plus vieux hôtels d’Europe.

C’est dans l’Hôtel du miroir (situé 29 rue des Serruriers ; 1 rue du Miroirs) que Mozart donne son premier concert strasbourgeois.

Il donnera deux autres concerts dans le théâtre situé Place de Broglie. Ce théâtre a été détruit par un incendie le 31 mai 1800 lors d’une répétition avec feux d’artifice de la Flûte enchantée de Mozart !.

La Ville avait transformé en 1706 en théâtre un ancien magasin à avoine. L’opéra de Strasbourg, appelé Opéra National du Rhin, qui l’a remplacé sera édifié entre 1804 et 1821.

Il jouera aussi l’orgue de Jean-André Silbermann de L’église Saint-Thomas, achevé en 1741 et un autre orgue des frères Silbermann au Temple neuf, deux lieux de culte protestant, alors que Mozart était catholique.

Je tire ces informations de ces deux pages :

J’ai donc eu la grâce d’assister à ce concert exceptionnel qui commémorera, avec quelques mois d’avance, les 200 ans de la visite de Mozart dans la capitale alsacienne.

Alfred Brendel jouera le 25ème concerto de Mozart puis accompagnera Jessye Norman dans un air de concert.

Ce concert fut télévisé et Philips enregistrera ce concert.

Il est encore possible d’acheter ce disque sur des sites de musique dématérialisée comme « Qobuz ».

Brendel poussa l’éthique et le perfectionnisme si haut qu’il n’est pas possible de se tromper quand on achète un disque de ce pianiste, tous sont excellents et ses derniers sont les meilleurs car il n’a fait que progresser tout au long de sa carrière.

Si je peux donner quelques liens internet, je choisirai

Le monde de l’art est riche d’avoir pu compter dans ses rangs cet interprète exceptionnel que fut Alfred Brendel au cours de sa vie terrestre.

Lundi 23 juin 2025

« Je tiens à remercier tout le monde, et en particulier Dieu. »
Donald Trump

Donald Trump a tenu un discours de 4 minutes pour se féliciter de la réussite des frappes américaines sur les installations nucléaires iraniennes qui se sont déroulées dans la nuit de samedi à dimanche.

Comme d’habitude, dans un langage d’une pauvreté lexicale consternante, il abuse de superlatifs superfétatoires :

« Aucune armée au monde n’aurait pu faire ce que nous avons fait ce soir. Loin s’en faut. Jamais une armée n’a été capable de réaliser ce qui vient de se passer il y a quelques instants. »

L’armée dont il parle a déversé, sur les cibles, les plus grosses bombes non nucléaires créées par l’espèce humaine (des ogives de 13 tonnes) et puis les bombardiers furtifs B-2 Spirit ont parcouru une distance exceptionnellement grande pour atteindre l’Iran à partir de leur base du Missouri. C’est un triomphe de la technologie !

Concernant la stratégie militaire, dans un ciel iranien sans capacité anti-aérienne, l’Histoire militaire comporte des épisodes qui méritent nettement plus de superlatifs que cette opération.

C’est surtout une question d’argent, chaque B-2 coûte plus de 2 milliards de dollars ! Pour la fameuse bombe de 13 tonnes, le coût de développement de la GBU-57 MOP se situe entre 400 et 500 millions de dollars américains et son prix de production unitaire est d’environ 3,5 millions de dollars américains. La folie meurtrière des hommes n’a pas limite en terme de prix.

Mais ce que je voudrais surtout relever ce sont les dernières mots de ce discours de Trump :

« Je tiens à remercier tout le monde, et en particulier Dieu. Je veux simplement dire que nous t’aimons, Dieu, et que nous aimons notre grande armée. Protège-les. Que Dieu bénisse le Moyen-Orient. Que Dieu bénisse Israël et que Dieu bénisse l’Amérique. Merci beaucoup. Merci. »

Que vient faire Dieu là-dedans ? La technologie, l’argent semble suffire à ce désastre ?

En face, le chef iranien, qui se fait appeler guide suprême, dans son discours du mercredi 18 juin dans lequel il oppose un refus catégorique à l’appel de Donald Trump à une « capitulation sans conditions » conclut avec ces mots, en commençant à citer un verset du Coran :

« La victoire ne peut venir que de Dieu, le Puissant, le Sage »

Puis ajoute :

« Et Dieu Tout-Puissant accordera à la nation iranienne la victoire, la vérité et la justice, si Dieu le veut. »

Et si dans les faits la victoire n’est pas donnée à la nation iranienne ? Tout simplement parce que la technologie et l’argent, des choses très matérielles sans une once de spiritualité, donne la victoire aux adversaires de l’Iran. C’est donc selon l’hypothèse de ce responsable religieux que « Dieu ne le veut pas » !

Et dans ce cas, quelle conclusion ce vieil homme en tirera du fait que Dieu ne le veut pas ?

Le troisième responsable de ce chaos et de ses destructions, Benyamin Netanyahou, se trouve dans la même évocation religieuse. Quand, dimanche 15 juin 2025, il se rend à Bat Yam où les missiles iraniens ont fait neuf victimes, il termine son discours par un verset du Deutéronome :

« Puisque vous n’avez vu aucune figure le jour où l’Éternel vous parla du milieu du feu, à Horeb, veillez attentivement sur vos âmes. »

Et il conclut :

« Ensemble, avec l’aide de Dieu, nous vaincrons, nous sommes sur le chemin de la victoire. »

C’est encore une fake news ! L’aide dont bénéficie l’armée d’Israël ce sont les armes fournis par les Etats-Unis et depuis ce week end l’intervention directe de l’armée US avec des bombes, des avions décrits précédemment.

Le premier ministre baptise désormais chaque opération militaire par des références bibliques. Ainsi Vendredi 13 juin au matin, à peine les premiers missiles tirés vers l’Iran, le pays apprend que l’opération « Le lion qui se lève » a été lancée. Pour reprendre les termes de l’allocution filmée de son dirigeant : « Nous sommes à un moment décisif de l’histoire d’Israël. Il y a quelques instants, Israël a lancé l’opération « Le lion qui se lève », une opération militaire ciblée visant à supprimer la menace que représente l’Iran par rapport à la survie même d’Israël. »

« Le lion qui se lève » ? C’est une référence à un verset du Livre des Nombres : « Voici qu’un peuple se lèvera comme une lionne, comme un lion il se dressera. Il ne se couchera pas sans avoir dévoré sa proie, sans avoir bu le sang des victimes ! »

Je perçois le désarroi des croyants sincères qui vivent leur foi comme un appel à devenir plus doux, à aider leur prochain et qui trouvent dans leurs prières, réconfort et aide dans les moments de souffrance et d’angoisse. Ils s’exclament d’une seule voix : « La religion ce n’est pas cela ! »

Pour moi qui fus croyant et pour les consoler je dirais plutôt : « la religion ce n’est pas que cela ! ». Mais il me faut ajouter : « c’est aussi cela, c’est-à-dire la violence et le pouvoir ! »

« Le nouvel Obs » évoque un autre nom d’opération inventé par l’état-major israélien « Chariots de Gédéon ». C’était le nom de l’opération de mai 2025 contre Gaza, visant à une annihilation totale du territoire. Et le Nouvel Obs de rappeler ce que dit le livre sacré des juifs :

« Gédéon est un personnage biblique, un des juges du Livre des Juges, élu par Dieu. Pour punir Canaan d’être revenu à l’idolâtrie, Yahvé a envoyé au peuple élu une invasion de Madianites. C’est Gédéon qui est chargé de la combattre, et qui, avec une toute petite armée de 300 personnes, réussit à infiltrer le camp des Madianites et à les éradiquer ».

Souvent dans la bible hébraïque dieu prend le nom de « dieu des armées », un dieu qui n’a pas de scrupule à demander des tueries de masse.

Le Nouvel Obs évoque une autre citation de Netanyahou :

« Une référence biblique faite par Netanyahou a d’ailleurs été citée dans la plainte de l’Afrique du Sud, déposé devant la Cour internationale de Justice (CIJ) pour génocide. En l’occurrence la phrase : « Souvenez-vous de ce qu’a fait le peuple d’Amalek à notre peuple », répétée à plusieurs reprises par Netanyahou.
Le peuple d’Amalek ? C’est l’ennemi originel d’Israël. Yahvé ordonne à son peuple de l’éradiquer. Ainsi dans le Deutéronome, Dieu appelle à « effacer la mémoire du peuple d’Amalek du ciel ».
Il enjoint aussi au prophète Samuel de se faire l’instrument de la destruction : « Va maintenant, frappe Amalek, et dévouez par interdit tout ce qui lui appartient ; tu ne l’épargneras point, et tu feras mourir hommes et femmes, enfants et nourrissons, boeufs et brebis, chameaux et ânes. »
Dans le Premier Livre de Samuel, le roi Saül désobéit à l’ordre divin et décide d’épargner Agag, après avoir exterminé tous les Amalécites. Il ne se résout pas non plus à tuer tout le bétail. Mal lui en prend ! Le prophète Samuel le tance. « N’est-ce pas, quand tu étais petit à tes propres yeux, tu es devenu chef des tribus d’Israël, et l’Éternel t’a oint pour roi sur Israël ?
Et l’Éternel (…) t’avait dit : Va et détruis ces pécheurs, les Amalécites, et fais-leur la guerre jusqu’à ce qu’ils soient consumés. Et pourquoi n’as-tu pas écouté la voix de l’Éternel ? »
Samuel explique alors à Saül que l’Eternel l’a rejeté. Et il « met Agag en pièces devant l’Eternel ».

Le Coran de la même manière contient, à côté de versets bienveillants, d’autres qui expriment une grande cruauté pour tous ceux et toutes celles qui sont en dehors des normes de « la croyance » définies dans ce livre.

Les islamistes radicaux se basent sur ces textes pour justifier leurs actes violents. Par exemple ce texte qu’on appelle « le verset de l’épée » (verset 5 de la sourate IX) :

« Quand les mois sacrés seront expirés, tuez les infidèles quelque part que vous les trouviez ! Prenez-les ! Assiégez-les ! Dressez pour eux des embuscades ! S’ils reviennent [de leur erreur], s’ils font la Prière et donnent l’Aumône (zakat), laissez-leur le champ libre ! Allah est absoluteur et miséricordieux. » — Le Coran (trad. R. Blachère),

Les mois sacrés sont la période de grâce qu’on accorde aux incroyants pour se soumettre à la foi unique, seule cette soumission permet d’échapper à la mort».

Tout cela peut paraître si loin de ceux qui ont vécu la sortie de la religion du quotidien et de la société.  Ce que Nietzsche avait synthétisé par ce constat : « Dieu est mort ».

Selon moi, l’évocation de Dieu lors de tous ces déchainements de violence, n’est pas une bonne chose.

Ceux qui font ces évocations sont d’autant plus Désinhibés qu’ils pensent se mettre sous la protection de textes sacrés. Et comment négocier avec des gens qui prétendent que c’est Dieu qui les guide ?

Lundi 2 juin 2025

« Une finale incommensurable sur le green de Munich»
As, journal espagnol relatant la finale de la ligue des champions du 31 mai 2025

De temps à autre je parle de football. Parce que le Football est un formidable laboratoire qui montre beaucoup des réalités de ce monde et du comportement des gens. J’avais commencé la série de mots du jour de 2018, avant la coupe du monde de Russie, par cette citation d’Albert Camus :

« Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois… »

Cette fois, le football va me permettre de montrer qu’un évènement, qu’un fait peut être examiné à travers des regards ou dois je écrire des filtres différents ?

Si on regarde la chose à l’aide d’un seul filtre, on a une vision tronquée, amputée de sa complexité. J’ai l’intuition que c’est le mode devenu le plus courant pour aborder les questions politiques ou de société.

Page du journal L’équipe du 1er juin 2025

L’évènement footballistique qui me conduit à cette réflexion est évidemment la victoire du Paris Saint Germain en finale de la Ligue des champions, samedi.

Ce ne fut pas une victoire mais un triomphe. Paris a battu l’Inter Milan 5 buts à zéro. Jamais une finale de cette épreuve n’avait été remportée par 5 buts d’écart. Jusqu’à samedi le record était celui de la finale de 1994 dans laquelle le Milan AC entraîné par Fabio Capello, l’autre club de Milan, avait battu le Barcelone entrainé par Johan Cruyff 4-0 et dont les spécialistes disaient que c’était, alors, la meilleure équipe d’Europe.

Lors de cette finale de 1994, le club italien avait été remarquablement efficace et opportuniste, mais n’avait pas surclassé son adversaire dans le jeu comme l’a fait le Paris Saint Germain cette année. Ainsi le journal anglais le Daily Mail a écrit :

« Les Italiens massacrés, le PSG champion d’Europe avec style. Ils n’ont pas seulement battu l’Inter ici à Munich, Ils l’ont complètement anéanti. »

Pour retrouver une telle domination, il faut revenir à la finale de 2011 où l’équipe de Barcelone entraîné par Pep Gardiola a battu le Manchester United de Alex Ferguson. Le score n’était alors que de 3-1 mais le match fut à sens unique faisant dire à Alex Ferguson :  « Jamais une équipe ne m’avait autant impressionné. Elle était injouable. »

Les journaux italiens ont reconnu la déroute de l’équipe milanaise. La Gazzetta dello Sport écrit « Quelque chose s’est brisé et s’est terminé ce soir pour l’Inter. », de son côté Tuttosport, reconnaît l’ampleur du naufrage : « Une lourde défaite qui restera dans l’Histoire. »

1/ Un premier regard qui se pose sur cet évènement peut être celui d’une personne attachée au calme d’une société apaisée.

Force est alors de constater que la célébration de cette victoire a déchainé la violence et le chaos. On dénombre deux morts sur l’ensemble des débordements qui ont eu lieu à travers l’Hexagone le 31 mai, ainsi que 192 personnes blessées en région parisienne, selon France Info.

 « Le Monde » nous apprend qu’un homme de 17 ans a été poignardé à mort à Dax (Landes), près de la place de la Fontaine chaude où s’étaient réunis les supporteurs ; quatre personnes blessées – dont deux grièvement et une victime dont le pronostic vital reste engagé – après avoir été fauchés par un véhicule à Grenoble.

A Coutances (Manche), un fonctionnaire de police a été placé dans un coma artificiel après avoir été touché à l’œil et à l’arcade sourcilière par un jet de projectile. Sur les réseaux sociaux, les images de dévastation et d’affrontements tournent en boucle : des véhicules en flammes ; un pompier agressé par la foule sur les Champs-Elysées, où un magasin de chaussures de sport a été pillé et vandalisé par des dizaines de personnes – trois autres ont été dégradés – ; un scooter percuté de plein fouet par une voiture à Paris ; le pilote d’une moto violenté et son engin volé sur le boulevard périphérique ; la voiture de deux jeunes femmes saccagée ; Au commissariat de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), « deux policiers se trouvant devant le commissariat ont été victimes d’une soixantaine de tirs tendus de mortiers » l’énumération pourrait continuer…

La soirée et la nuit de samedi à dimanche a conduit à 559 interpellations à travers la France, dont 491 en région parisienne. 307 personnes ont été placées en garde à vue dont 216 à Paris, soit 202 majeurs et 14 mineurs selon le parquet de Paris. Un bilan national encore provisoire fait état de 692 incendies à travers le pays, dont 264 véhicules.

Une semaine auparavant, Le club de rugby de Bordeaux Bègles a aussi gagné la coupe d’Europe des clubs. Le retour des joueurs à Bordeaux a fait l’objet de célébrations euphoriques, il n’y eut aucun incident notable. Ce premier regard peut conduire à jeter le discrédit sur le football et ses supporters, particulièrement en France. Car s’il y a eu des incidents dans d’autres pays, par exemple récemment à Liverpool suite à la victoire de ce club dans le championnat anglais, il n’y a pas ce déchainement de violence dans toute la ville ni dans le reste du pays, dans aucun autre pays européen. Je ne développe pas, mais je voudrais tenir à distance à la fois ceux qui disent que cela n’a rien à voir avec « le monde du football français » et ceux qui trouvent tout de suite des explications qui tombent rapidement dans le racisme et la stigmatisation.

Mais cette réalité existe. Dire, comme certains politiques situés dans les oppositions que c’est la faute de l’organisation des services de sécurité, constitue à la fois un déni et « du foutage de gueule ». 

2/ Le deuxième regard pourrait être celui de la personne qui regarde le monde et qui d’un côté voit le peuple gazaoui martyrisé par Israël, le peuple ukrainien sous les bombes russes, la guerre économique déclenchée par Trump, les injustices dans le monde, les défis climatiques et écologiques devant lesquels les humains semblent baisser les bras et qui de l’autre côté voit l’énergie, l’argent et les foules mobilisés par ce jeu de ballon qui ne peut apparaitre devant sa vision du monde que sous une forme dérisoire.

« Panem et circenses », « du pain et des jeux » disaient des auteurs romains devant une telle dichotomie du temps de l’Empire. Comment nier que cette vision montre une part de vérité ?

C’est une partie de la réalité, ce n’est qu’une partie.

3/ Le troisième regard que je vous propose est celui de l’économiste, c’est-à-dire de l’étude de l’allocation des ressources.

Nous savons que les meilleurs joueurs ont des salaires mirobolants et qu’en plus ils disposent de revenus tout aussi élevés dans le cadre du sponsoring et de la publicité. Cette réalité a été synthétisé par cette description : « un jeu financé par des gens modestes qui paient très chers pour aller regarder des millionnaires courir après un ballon ». Je n’ai pas retrouvé l’auteur de cette formule qui m’avait marqué quand je l’avais entendue.

Si on s’intéresse aux dix plus gros budgets des clubs européens, le grand Continent a publié ce tableau.

Si, en parallèle, on s’intéresse aux 15 derniers vainqueurs de la ligue des champions on trouve ce tableau :

Il n’y a que Chelsea qui n’apparait pas dans les dix premiers budgets.

Cette anomalie me semble étonnante, surtout que j’ai pu lire que la source « sportune », identique à celle utilisée par Le Grand Continent, disait que le budget de Chelsea était pour la saison dernière (2023-2024) de 600 millions d’euros ce qui met ce club dans les 10 plus gros budgets.

Et sur le site de la RTBF, j’ai pu lire qu’« Avec 2,64 milliards d’euros dépensés depuis 2014, dont plus d’un milliard depuis son rachat par le consortium américain BlueCo en mai 2022, Chelsea est aussi le club ayant investi le plus d’argent dans des transferts au cours de la dernière décennie. ».

Nous pouvons ainsi être rassuré, ce sont bien les clubs les plus riches qui gagnent.

Ce constat qui est conforme à la marche économique du monde, met à mal ce qu’on appelle « la glorieuse incertitude du sport ». Il y a bien incertitude mais à l’intérieur d’une petite élite sélectionnée par l’argent. C’est assez décevant pour les amateurs du football et répulsif pour les autres.

Il y a bien un troisième groupe, celui des économistes libéraux qui vont se satisfaire de ce marché des joueurs qui semble admirable de cohérence : les meilleurs joueurs, ceux qui font gagner, sont payés le plus cher. Le fait que ce soit les clubs les plus riches, c’est-à-dire ceux qui peuvent embaucher les meilleurs joueurs, qui gagnent est une magnifique démonstration que la loi du marché est juste dans le football…

Ce regard sur le monde du football constitue aussi un éclairage exact de la réalité, mais ne saurait expliquer à lui seul ce que représente le football.

4/ L’analyse géopolitique va nous conduire à voir que cette victoire est celle du Qatar.

C’est le fonds souverain du Qatar qui a acheté le club le 30 juin 2011. Le propriétaire est donc l’Emir du Qatar qui confie la présidence du club à un de ses hommes de confiance : Nasser al-Khelaïfi , toujours en fonction.

Il n’y a pas de doute que la victoire est celle du Qatar. Quand l’avion de Qatar airways a atterri à Roissy avec les joueurs parisiens, Nasser al-Khelaïfi a tenu à porter la coupe avec le capitaine de l’équipe, il n’était pas concevable de laisser cet objet de convoitise entre les seules mains des joueurs. La même scène a été vu lorsque les joueurs et leur président sont arrivés à l’Elysée dans une tentative de récupération par le Président de la République. Ce dernier a remercié chaleureusement Nasser al-Khelaïfi :

« Cette victoire vous doit beaucoup Président. [ d’autres éloges…] et je remercie avec vous le Qatar qui a toujours été un actionnaire exigeant. Qui a réengagé, qui a réinvestit dans ce club, qui n’a jamais laché. […] Je veux aussi remercier l’Emir du Qatar… ».

C’est un long article du Monde qui dévoile le début de toute cette affaire dans laquelle l’intérêt bien compris du Qatar va rencontrer la bienveillance et les intérêts français : « Le déjeuner à l’Elysée qui a conduit le Mondial au Qatar ».

Il reste des coins d’ombre mais la vraisemblance du récit semble avérée, chacun des protagonistes ayant, de manière plus ou moins explicite, reconnus les faits que je vais résumer.

L’équipe parisienne avec la coupe pose devant l’avion du Qatar

Le Qatar poursuit ce rêve fou d’organiser la coupe du monde, alors que son territoire est minuscule, son histoire avec le football proche du néant et qu’en outre les conditions climatiques de ce pays rendent la pratique du football dangereuse pour la santé. Vous savez cela puisque cette coupe du monde a eu lieu.

Le 23 novembre 2010, Nicolas Sarkozy, président de la République, invite Michel Platini, président de l’UEFA, l’organisme européen du football à l’Elysée. Michel Platini dit qu’il ne savait pas qu’il y aurait un autre invité : le prince héritier du Qatar qui sera en 2022 l’émir du Qatar. Michel Platini est une des voix qui va voter pour l’attribution de la coupe du monde. Il est en outre en raison de son passé du plus grand joueur de football de sa génération, un homme très influent dans le monde du football.

Le Président de la FIFA, organisation mondiale du football, Joseph Blatter affirme que Platini lui avait révélé avant novembre 2010 qu’il voterait, pour l’attribution du Mondial 2022, pour les Etats-Unis.

Y a-t-il eu corruption ?

Ce n’est pas jugé. Toutefois selon l’article du Monde, si Michel Platini a nié que le président lui a demandé de voter pour le Qatar, il a toutefois :

« senti qu’il y avait un message subliminal » de la part de Nicolas Sarkozy lorsqu’il s’était « retrouvé avec des Qatariens ».

Nous savons que Platini a voté pour le Qatar.

Le Qatar achetait déjà beaucoup d’armes et d’autres biens et services français, il va en acheter davantage et aussi beaucoup investir en France.

Pascal Blanchard lors de l’émission C ce soir du 2 juin 2017, très intéressante et nuancée sur le Qatar, a donné ces chiffres :

« 47 entreprises françaises ont des investissements significatifs du Qatar, notamment l’hôtellerie, 84% de l’armement du Qatar est français. »

Nicolas Sarkozy est aussi un très fervent supporter du Paris Saint Germain qui en 2010 était en grande difficulté financière et sportive. Selon ses propres dire au journal l’Equipe, il reconnait avoir facilité le rachat du PSG par le Qatar mais prétend que l’intérêt du Qatar pour Paris en raison de son « soft power sportif » existait depuis longtemps et qu’il n’en était pas à l’origine.

Toujours est-il que le Qatar a bien obtenu la coupe du monde de 2022 et a racheté le PSG, 7 mois après ce diner.

Un rapport récent analysait le rôle problématique des frères musulmans en France. Le Qatar est un des derniers amis de cette confrérie. Le Qatar finance en France des réseaux islamiques qui très probablement professent des valeurs assez éloignées de nos principes républicains. Le Qatar est le financier du Hamas. Le Qatar est aussi le pays qui a été le cadre des négociations entre les Talibans et l’Administration Trump et qui a conduit à la fuite honteuse des américains sous Biden. Le Qatar continue à jouer le rôle de médiateur pour essayer de faire reconnaître le régime des talibans par les pays occidentaux.

Il faudrait aussi dire quelques mots sur Nasser al-Khelaïfi qui a vu sa longue présidence ponctuée de plusieurs affaires, quelquefois des procédés de barbouzes. Mais cela est développé dans ce documentaire de compléments d’enquête « Pouvoir, scandales et gros sous : les hors-jeux du PSG ».

L’intéressé quand il est interpellé sur ces sujets parle de Qatar bashing, l’accusation d’islamophobie n’est jamais loin.

C’est aussi une réalité du football d’aujourd’hui, le pouvoir de l’argent et l’intervention de fonds d’investissement ou d’Etat qui n’avaient aucun lien historique ou pratique avec le football mais qui ont pris les premières places pour pouvoir augmenter leur sphère d’influence grâce à leur richesse.

5/ Et puis il y a le regard naïf, le regard de l’enfant que nous étions et qui reste en nous..

Tous les angles de compréhension précédents sont justes. Il y en encore certainement d’autres auxquels je ne pense pas.  Mais ils n’expliquent pas tout.

J’ai déjà essayé d’aborder ces sujets dans la série de mots que j’avais consacré au football : « Le football par l’Histoire, l’Économie et la Morale ». Je citais l’écrivain Eduardo Galeano qui a beaucoup écrit de manière savante sur le football et qui pour expliquer l’inexplicable pour toutes celles et tous ceux qui sont hermétiques à ce jeu, a fait appel au dialogue entre une journaliste et la théologienne allemande Dorothée Solle :

« – Comment expliqueriez-vous à un enfant ce qu’est le bonheur ?
– Je ne le lui expliquerais pas, répondit-elle. Je lui lancerais un ballon pour qu’il joue avec. ».

Dans mon enfance c’était la principale activité de loisirs avec les copains. Dès qu’il y avait un peu de temps libre nous allions jouer au ballon et nous étions heureux. Alors le football jouée dans cette finale par des millionnaires n’a rien à voir avec ces jeux d’enfants !

Est ce si sûr quand on voit la joie des joueurs qui ont marqué ou ces millionnaires qui se cachent le visage et pleurent. Vous croyez qu’ils pleurent parce qu’ils se disent à ce moment là que grâce à cette victoire ils vont pouvoir encore gagner plus d’argent plus tard ?

Ils y penseront probablement quelques jours plus tard, mais à cet instant c’est leur âme d’enfant qui pleure d’avoir pu réaliser leur rêve. Et les supporters, les vrais pas les casseurs, sont en communion avec eux et trouvent aussi ces ressources dans leur âme d’enfant.

Et puis ce jeu quand il est joué comme l’équipe de Paris l’a fait ce samedi, est beau et plein d’intelligence de vie. Le meilleur joueur de Paris, Ousmane Dembélé est un formidable dribbleur et il devenu un buteur performant. Mais dans cette finale, il n’a presque pas dribblé, ni tirer au but. Il a appliqué une tactique au service de son équipe, il a utilisé sa vitesse et son énergie pour harceler le gardien et les défenseurs adverses pour les empêcher de faire de belles passes et relancer positivement leur équipe. Grâce à ce rôle ingrat qu’il a réalisé jusqu’à la dernière minute, ses équipiers sont parvenus à récupérer toujours très rapidement les ballons et relancer leurs attaques. Et ce sont les autres qui ont brillé et marqué des buts magnifiques. Mais comme c’était le joueur le plus brillant qui a fait ce travail défensif tous les autres ont eu la même rigueur et le même enthousiasme pour étouffer l’équipe adverse, ce qui a été réalisé.

C’est ce que le journal espagnol AS a salué dans cet éloge :« Ce que Mbappé, Neymar, Messi, Dani Alves, Ibrahimovic, Beckham, Di María ou Cavani n’ont pas pu réaliser, ces jeunes talents l’ont réalisé en dessinant une finale incommensurable sur le green de Munich. Ils ont laisse l’Inter sans rien, déchiqueté sans aucun signe de pouvoir mordre. »

Car le football est un jeu collectif et lorsque le collectif atteint ce sommet auquel se sont hissés les joueurs parisiens, la joie simple du football comme on rêve de le jouer quand on est enfant sans y parvenir, devient réalité et fait du bien comme une œuvre d’art ou la vision d’un magnifique paysage.

C’est un autre regard, qui n’efface aucun des 4 autres mais qui les complète pour approcher d’un peu plus près le sens et la compréhension de cet évènement qui a eu lieu samedi à Munich. 

Lundi 26 mai 2025

« Et l’Eternel dit : Je ne la détruirai point, à cause de ces dix justes »
Bible – Livre de la Genèse 18,32

Ce qui se passe à Gaza est d’une inhumanité absolue.

Photo parue dans le journal breton Le Télégramme

Le mot « inhumanité » est utilisé par l’historien Jean-Pierre Filiu dans la chronique de ce dimanche qu’il a écrit dans le monde : « La guerre inhumanitaire d’Israël dans la bande de Gaza »

La guerre à Gaza a commencé il y a six cents jours. Je n’oublie pas que le premier acte d’inhumanité a été celui du groupe terroriste et fanatique religieux du Hamas qui a massacré et pris en otages des habitants d’Israël, dont, en outre, beaucoup militaient dans le camp de la paix, comme cette extraordinaire femme Vivian Silver, assassinée et brulée par les terroristes le 7 octobre 2023 et dont j’ai fait le cœur d’un mot du jour de décembre 2023 : « Il n’y a pas de chemin pour la paix – la paix est le chemin. ».

Le Hamas a ainsi perpétré un double crime : un crime contre les israéliens et les juifs. Mais il a aussi commis un crime contre les palestiniens de Gaza.

Il ne pouvait pas ignorer que les israéliens répliqueraient avec une violence énorme et un esprit de vengeance. Or le Hamas n’avait aucun moyen de protéger les habitants de Gaza des armes terribles de Tsahal. Le Hamas savait que la souffrance de leur peuple serait terrible. Par mépris de la vie et fanatisme, ils l’on fait quand même. Et nous savons que par cynisme, il espérait même que la réponse d’Israël et la souffrance du peuple de Gaza soit telle qu’Israël au bout de quelques mois serait haï par tous les peuples de la terre qui auront oublié le 7 octobre pour ne plus que voir les massacres de l’armée de « l’entité sioniste » comme disent ceux qui veulent éliminer l’Etat d’Israël.

Paru dans le journal La Croix

Ce plan odieux est en train de fonctionner contre Israël qui par aveuglement de son gouvernement et les intérêts de Benyamin Nétanyahou suit la stratégie suicidaire impulsée par les ministres d’extrême droite qui ne représentent qu’environ 10% des électeurs d’Israël.

Ainsi le ministre des finances Bezalel Smotrich qui souhaite un État théocratique soumis à la loi religieuse et l’annexion de toute la Palestine historique a affirmé, mardi 6 mai 2025, que la bande de « Gaza serait totalement détruite » à l’issue de l’offensive et que la population gazaouie, après avoir été déplacée vers le sud, commencerait à « partir en grand nombre vers des pays tiers ». Il parle, sans se cacher, d’un nettoyage ethnique qui constitue un crime contre l’humanité.

L’autre ministre d’extrême droite, qui occupe le poste de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir a déclaré le 20 mai 2025, après l’annonce de la reprise de l’aide humanitaire à Gaza, Israël avait autorisé l’entrée de 100 camions d’aide supplémentaires : « C’est une grave erreur qui retarde notre victoire. ». Lui parle, sans se cacher, de la stratégie d’affamer deux millions d’êtres humains, enfants, femmes et enfants.

Au milieu des morts gazaouis qui ne sont souvent que des chiffres neutres, sans identification humaine, quelquefois jaillissent des victimes identifiées de cette brutalité sans limite. Le Monde a publié hier ce témoignage : « une pédiatre palestinienne perd neuf de ses dix enfants dans le bombardement de sa maison ». On connait le nom de la mère.

« Alaa Al-Najjar travaillait dans un hôpital du sud de la bande de Gaza quand son logement a été bombardé par l’armée israélienne. Les seuls survivants, son mari et l’un de ses dix enfants, sont blessés. […] Un à un, les secouristes palestiniens ont extirpé des petits corps carbonisés, certains démembrés, minuscules silhouettes noircies, recroquevillées. Précautionneusement, ils ont emballé les cadavres, qui manquaient de se désagréger à chaque manipulation, dans des petits sacs mortuaires blancs. Tous étaient frères et sœurs, neuf au total, retrouvés dans les décombres encore fumants de leur maison, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, vendredi 23 mai dans l’après-midi. »

Dans l’émission « C Politique » d’hier, le Philosophe, romancier Nathan Devers qui a revendiqué sa judaïcité, a dans sa première intervention fait référence au texte sacré de la religion juive : le livre de la Genèse. La cité de Sodome devait être détruite par le Dieu d’Israël parce qu’elle était habitée de gens particulièrement méchants. Alors, Abraham a engagé une discussion avec son Dieu :

« 22 – Les hommes s’éloignèrent, et allèrent vers Sodome. Mais Abraham se tint encore en présence de l’Eternel. 23 – Abraham s’approcha, et dit: Feras-tu aussi périr le juste avec le méchant? 24 – Peut-être y a-t-il cinquante justes au milieu de la ville: les feras-tu périr aussi, et ne pardonneras-tu pas à la ville à cause des cinquante justes qui sont au milieu d’elle? 25 – Faire mourir le juste avec le méchant, en sorte qu’il en soit du juste comme du méchant, loin de toi cette manière d’agir! loin de toi! Celui qui juge toute la terre n’exercera-t-il pas la justice? 26 – Et l’Eternel dit: Si je trouve dans Sodome cinquante justes au milieu de la ville, je pardonnerai à toute la ville, à cause d’eux. 27 – Abraham reprit, et dit: Voici, j’ai osé parler au Seigneur, moi qui ne suis que poudre et cendre. 28 – Peut-être des cinquante justes en manquera-t-il cinq: pour cinq, détruiras-tu toute la ville? Et l’Eternel dit: Je ne la détruirai point, si j’y trouve quarante-cinq justes. 29 – Abraham continua de lui parler, et dit: Peut-être s’y trouvera-t-il quarante justes. Et l’Eternel dit: Je ne ferai rien, à cause de ces quarante. 30 – Abraham dit: Que le Seigneur ne s’irrite point, et je parlerai. Peut-être s’y trouvera-t-il trente justes. Et l’Eternel dit: Je ne ferai rien, si j’y trouve trente justes. 31 – Abraham dit: Voici, j’ai osé parler au Seigneur. Peut-être s’y trouvera-t-il vingt justes. Et l’Eternel dit: Je ne la détruirai point, à cause de ces vingt. 32 – Abraham dit: Que le Seigneur ne s’irrite point, et je ne parlerai plus que cette fois. Peut-être s’y trouvera-t-il dix justes. Et l’Eternel dit: Je ne la détruirai point, à cause de ces dix justes. 33 – L’Eternel s’en alla lorsqu’il eut achevé de parler à Abraham. Et Abraham retourna dans sa demeure. »

Bible : Livre de Genèse 18, versets 22 à 33, traduction de Louis Segond

Les Juifs d’Israël ne trouveront ils pas dix innocents dans la bande Gaza ? Même dans les textes sacrés de leur religion, ces textes qui ont façonné l’éthique juive, ces hommes qui se prétendent croyants trouvent la réponse que leur action de guerre est devenue illégitime. Après le 7 octobre Biden, déjà bien affaibli, était venu en Israël et a prodigué ce conseil venant de l’expérience des Etats-Unis :

« Ne faites pas les mêmes erreurs que nous après le 11 septembre, ne soyez pas consumés par la rage »

C’est encore Nathan Devers qui dans cette même émission de « C Politique » cite Jacques Derrida qui dans un dialogue philosophique entre l’Allemand Jürgen Habermas appellé le « Concept » du 11 septembre décrit la réaction des américains après le 11 septembre sous la forme d’une maladie auto-immune. C’est à dire la réaction destructrice que peut avoir notre système immunitaire qui en réaction à une agression externe va réagir si fort qu’il détruit aussi le corps qu’il est sensé défendre.

Israël est en train d’entrer dans cette phase de maladie auto-immune. Si les européens sont les amis d’Israël, ils doivent utiliser tous les moyens pour empêcher que ce désastre continue.

Samedi 17 mai 2025

« Il faut accepter que tout a une fin »
Alejandro Jodorowsky

C’était il y a un an : le 17 mai 2024. C’était un vendredi.

Pierre avait réservé trois couverts au restaurant « Le Vivarais », situé dans la Presqu’ile lyonnaise, Place Gailleton.

Depuis ce jour, j’ai appris que ce restaurant est ouvert depuis le 7 novembre 1917, donc depuis plus de 100 ans. Pierre m’avait dit qu’il s’agissait d’une institution lyonnaise.

C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés à 12:30 en cet endroit Pierre, moi et Fabien. Nous avons très bien mangé et beaucoup parlé.

Le repas terminé, nous avons commencé une ballade le long du Rhône puis nous avons traversé le fleuve et nous nous sommes assis sur la terrasse du grand café de la Préfecture où avons consommé une boisson.

Pierre ayant une contrainte nous a quitté un peu plus tard. Avec Fabien nous sommes restés encore un temps, avant de repartir vers la Place Bellecour. Nous sommes alors descendus dans le métro, la Ligne D.

Et comme tant de fois, lorsque jadis nous travaillions dans le même lieu à l’Hôtel des Finances, nous nous sommes séparés : Fabien prenant la direction « Gare de Vaise » et moi la direction inverse.

Seulement ce 17 mai 2024, ce fut la dernière fois. La dernière fois que j’ai vu Fabien vivant.

J’ai écrit un mot du jour de deuil le 23 juillet 2024 : « Une lumière si tendre qu’elle semble s’adresser aux morts plus qu’à nous. ».

Pourquoi ce nouveau mot du jour, un an après ?

Parce que le souvenir de cette rencontre d’il y a un an, a fait surgir en moi une évidence que tous les philosophes ou simplement humains sages nous ont toujours transmis : la vie peut s’arrêter brutalement et nous ne savons jamais lorsque nous rencontrons un ami ou un proche, si cet échange n’est pas le dernier.

Fabien avait 62 ans, rien n’indiquait que deux mois plus tard, une maladie foudroyante l’emporterait. Quelquefois ce sont des accidents qui conduisent au même résultat. Je n’épiloguerais pas sur les conséquences de ce constat : chaque rencontre peut être la dernière. Je pense que chacune et chacun peut en tirer sa propre philosophie de vie.

Christian Bobin écrit dans «La Dame Blanche :

« Rencontrer quelqu’un, le rencontrer vraiment – et non simplement bavarder comme si personne ne devait mourir un jour -, est une chose infiniment rare. La substance inaltérable de l’amour est l’intelligence partagée de la vie. »

Fabien adorait la poésie. Parfois, au milieu d’une conversation, il citait de mémoire un poème.

Récemment j’ai découvert un poème d’Alejandro Jodorowsky. C’est un artiste franco-chilien. Il est surtout connu comme scénariste de bande dessinée et réalisateur, mais il est également acteur, mime, romancier, essayiste et aussi poète.

Il est toujours vivant et il est né le 17 février 1929. Il est donc très vieux. Fabien n’a pas suivi ce bel adage : vieillir est la seule façon que nous avons trouvé pour ne pas mourir. J’ai l’intuition cependant qu’il aurait beaucoup aimé ce poème : « Ce n’est pas facile de vieillir. »

Ce n’est pas facile de vieillir,
il faut s’habituer à marcher plus lentement,
à dire adieu à celui qu’on était
et à saluer celui qu’on est devenu.
C’est difficile, ce passage des années,
il faut savoir accepter ce nouveau visage,
arpenter fièrement ce nouveau corps,
se délester des hontes,
des préjugés et de la peur qu’apportent les ans.

Il faut laisser venir ce qui doit venir,
laisser partir ceux qui doivent partir,
et permettre à ceux qui le veulent
de rester à tes côtés.
Non, vieillir n’est pas une tâche aisée.
Il faut apprendre à n’attendre rien de personne,
à marcher seul, à se réveiller seul,
et à ne pas se laisser happer chaque matin
par l’image de l’homme ou de la femme
que reflète le miroir.

Il faut accepter que tout a une fin,
que la vie elle-même a son terme,
savoir faire ses adieux à ceux qui s’en vont,
se souvenir de ceux qui sont partis,
pleurer jusqu’à se vider,
jusqu’à se dessécher de l’intérieur,
pour que renaissent de nouveaux sourires,
d’autres espoirs,
et des rêves encore inexplorés.

Alejandro Jodorowsky

Mercredi 7 mai 2025

« Le grand problème de la science c’est que ce n’est pas une bonne conteuse. Ce sont les histoires qui motivent les gens à agir, pas les faits. »
Yuval Noah Harari

Ecrire en ce moment est difficile. Ce qui se passe dans le monde est en quelque sorte révolutionnaire, c’est à dire en rupture avec ce qui existait avant. La prédation, le rapport de force existaient bien sûr, mais jamais le droit n’a été à ce point nié dans les relations internationales au profit de la seule puissance. Celui qui est puissant peut exiger ce qui lui plait et regarder avec dédain le juge du droit en lui posant la question « De quelle armée, de quelle police disposes-tu pour m’obliger à faire ce que tu prétends m’imposer ? ». Staline, en son temps avait posé les jalons en demandant : « Le pape ? Combien de divisions ? ».

L’élection de Donald Trump joue un rôle d’accélérateur dans ce dérèglement du monde. La lettre numérique « Zeitgeist » de Philippe Corbé continue à nous donner des informations incroyables : « Que la Force soit avec Lui »

Trump était invité dans l’émission Meet the Press, sur NBC, la plus ancienne émission de la télévision américaine, chaque dimanche depuis 1947. Premier échange rapporté par Corbé :

« NBC : En tant que président, n’êtes-vous pas censé défendre la Constitution des États-Unis ? Trump : Je ne sais pas…»

Il est président et il ne sait pas s’il doit défendre la Constitution des Etats-Unis ! Cet individu a par deux fois en janvier 2017 et janvier 2025, prêté serment, en posant la main sur la bible (c’est ainsi que cela se passe dans ce pays) et il a prononcé alors ces paroles « Je jure solennellement que je soutiendrai et défendrai la Constitution des États-Unis contre tous ennemis, externes ou intérieurs, que je montrerai loyauté et allégeance à celle-ci, que je prends cette obligation librement, sans aucune réserve intellectuelle ni intention de m’y soustraire et je m’acquitterai bien et loyalement des devoirs de la charge que je m’apprête à prendre. Que Dieu me vienne en aide. ». A t’il des trous de mémoire ou simplement ne se sent-il engagé par rien ?

A la question de savoir, s’il veut concourir à un troisième mandat, ce qu’il n’a pas le droit de faire, il répond :

« C’est quelque chose que, à ma connaissance, vous n’avez pas le droit de faire. Je ne sais pas si c’est constitutionnel qu’on vous empêche de le faire ou autre chose. »

A plusieurs reprises Trump a évoqué un troisième mandat. Ses conseillers lui ont certainement dit qu’il ne pouvait pas le faire, d’où sa réponse. Mais soit il ne leur pas demandé pourquoi, ce qui parait tout de même surprenant ou plus vraisemblablement il l’a oublié.

La réponse juridique est que le président des États-Unis est limité à deux mandats en vertu du 22e amendement de la Constitution américaine, adopté en 1951. Cette limitation a été mise en place après les 4 mandats du président Franklin D. Roosevelt qui est mort lors de son dernier mandat en pleine guerre mondiale.

Au milieu du chaos créé par cet homme sans qualité, ses attaques répétées contre la science sont aussi inquiétantes que son désir impérialiste. Pourquoi la science peut elle être ainsi attaquée sans qu’il n’y ait de réactions du plus grand nombre. La médecine, l’augmentation de l’espérance de vie, la conquête spatiale, la technologie qui nous rend la vie plus confortable et plus facile doivent tout à la science et rien au dieu qu’invoque tant de croyants dans le monde et nombre de supporters de Trump..

J’ai trouvé particulièrement intéressant un entretien diffusé sur ARTE : « Un livre pour ma vie : Yuval Noah Harari » dans lequel l’historien israélien et auteur de  « Sapiens » était invité à citer les livres qui ont compté dans sa vie.

Et il a parlé de la difficulté de notre espèce avec la science.

Les humains se nourrissent de récits, récit religieux, récit nationaux, récit mythologique. C’est ainsi qu’ils expliquent le monde :

« Les humains sont ces animaux conteurs d’histoires. On pense en histoires. C’est plus facile, pour nous. Quand on lit des livres récents sur la mécanique quantique qui tentent d’expliquer le fonctionnement physique du monde, ou des livres de biologie cellulaire ou de génétique, c’est tellement compliqué.
Nos cerveaux ne sont pas vraiment évolués ou adaptés pour penser en ces termes. C’est pour cela qu’il faut passer des années à l’Université et s’appuyer sur des équations mathématiques complexes. Et même comme ça, ça reste à distance. En fait, il est très difficile d’intégrer ce que ça signifie parce que nos cerveaux ne fonctionnent pas comme ça.»

Les humains sous estiment certainement la complexité de la pensée scientifique. Harari trouve cependant que la Science exprime beaucoup plus de créativité et quand il la compare à la mythologie il souligne le côté trivial et simpliste de cette dernière :

« Quand je pense à la science et à la mythologie, ce qui me frappe c’est que la science est bien plus imaginative, tumultueuse et surprenante que n’importe quel mythe créé par les humains.
La majeure partie de la mythologie humaine ne fait que reprendre les scénarios élémentaires de nos vies personnelles en les amplifiant.
Donc les dieux de la mythologie grecque sont en fait une famille qui se querelle. Et le genre de dispute qu’on entend petit entre son père et sa mère, on les lit dans la mythologie avec Zeus et Héra lorsqu’ils se disputent ou punissent les enfants. Cela va même jusqu’au fondement le plus profond de la mythologie judéo-chrétienne plus récente. Presque toute l’identité juive repose sur le fait de dire qu’on est les enfants préférés de Dieu. C’est tout. Dans toutes les familles les enfants se disputent pour ça. […] Des nations entières construisent leur identité à partir de cette histoire. »

Il explique de manière aussi simple la mythologie chrétienne. Son art de d’éclairer ce récit me fascine :

« On peut penser aussi aux théologiens chrétiens. Ils expliquent ce qu’est l’enfer. D’un côté, ils disent que les démons vous font rôtir dans le souffre et le feu pour des millions d’années.
Mais à un niveau plus profond, ils disent que l’enfer, c’est être exclu, déconnecté de Dieu. C’est ce que les enfants craignent le plus, comme tout jeune mammifère, de perdre le contact avec leurs parents. Parce que si la progéniture d’un mammifère, d’un être humain, d’un chimpanzé ou d’un dauphin, perd le contact avec sa mère ou avec ses parents, il meurt. Personne ne les nourrit, personne ne prend soin d’eux. On peut donc rapprocher toute cette mythologie chrétienne de la simple idée d’un enfant perdu qui réclame ses parents. »

Et il poursuit en montrant que ces ressorts de la mythologie chrétienne tente d’expliquer le monde, l’univers, mais que dans ce domaine, ils atteignent vite des limites. J’aime beaucoup l’ironie de Harari qui explique que les récits des humains sont motivés par le fait qu’ils sont des mammifères et que s’ils appartenaient à d’autres espèces, les mythologies devraient certainement être revues :

« En ce sens, la mythologie est très profonde émotionnellement. Mais en termes de compréhension de l’univers, elle a quelque chose de très superficiel. En effet, elle ne fait que prendre nos scénarios biologiques déterminés par l’évolution, ces histoires d’enfants et de familles, d’amitiés et les amplifie jusqu’à penser : l’univers entier fonctionne comme ma famille. L’univers entier fonctionne comme notre village.
Mais les choses comme la mécanique quantique contredisent cela. Il y a certains morceaux de l’univers, comme la vie biologique des mammifères, qui fonctionnent comme cela, mais ce n’est pas le cas de la majorité de l’univers.
Dès qu’on s’éloigne des mammifères, si on passe aux reptiles l’histoire est déjà totalement différente. Prenons la tortue. Vous avez cette image de la maman tortue qui sort de l’océan. Elle creuse un trou dans le sable, elle y pond ses 40 ou 50 œufs. Elle rebouche le trou, puis retourne dans l’eau, et voilà ! Voilà ce que Freud aurait à gérer s’il soignait des tortues. Parce qu’il n’y a plus aucun lien ensuite entre la mère et ses petits. Ce n’est pas un mammifère. Elle n’allaite pas ses petits, ne les protège pas, rien. […] Donc quelle serait la mythologie des tortues ?
Toute cette peur de la mythologie chrétienne celle d’être exclu par son père, n’a aucun sens pour les tortues. Et cette obsession juive du père qui nous aime plus que tous les autres, n’a aucun sens pour les tortues. »

Il rappelle aussi que ces mythologies sont très présentes dans les conflits d’aujourd’hui et nous savons que lorsque les religions entrent dans les guerres, c’est rarement signe de paix….

« Certaines guerres actuelles, comme celle dans mon pays… La guerre entre les Israéliens et les Palestiniens est toujours alimentée par ce scénario biologique et mythologique qui veut qu’on soit les enfants préférés de Dieu. Pour les deux camps.»

La science nous laisse froid dit-il, il n’y a pas d’intrigue mais des formules mathématiques. Cela ne fait pas de belles histoires.

« Ce qui diffère chez nous des lapins et aussi des éléphants et des chimpanzés, c’est qu’avec la langue on peut créer des histoires.Nous avons une imagination incroyable,mais les scénarios de base sont toujours les mêmes. [Ils] sont toujours limités par notre biologie de mammifères.
On a donc des mythologies complexes, des poèmes, des films et des séries télé, mais quand on examine l’intrigue, elle découle en fait de la biologie. […]
et on raconte des histoires et des histoires, avec des variations, mais ce sont les mêmes intrigues basiques.
La science fonctionne en dehors de ces intrigues. La mécanique quantique n’est pas un scénario biologique. C’est tellement différent de tout ce qu’on connaît.[…]
Mais grâce aux mathématiques et aux ordinateurs, on arrive à s’en approcher d’une certaine manière. Une immense partie du monde est construite à partir de ces théories et modèles scientifiques.
Mais psychologiquement et politiquement, ils nous laissent complètement froids.
Il est très difficile d’inciter des gens à faire quoi que ce soit en leur disant que E = MC2, ou en leur montrant des équations de mécanique quantique.»

Nos histoires, nos récits peuvent être dévoyées et source d’aveuglement et de conflits. Il cite Poutine et aussi le conflit en terre d’Israël et de Palestine.

« Si on vous nourrit des mauvaises histoires, des mauvais mythes, 50 ans plus tard vous êtes Poutine. Cela peut mener à la mort et à la souffrance de millions de gens. Tout commence dans la tête. […]
On croit que les hommes se battent pour les mêmes raisons que les lapins et les chimpanzés, c’est à dire la nourriture ou le territoire. Mais ce n’est presque jamais le cas. […]
Dans le cas de mon pays, le conflit israélo-palestinien n’est pas lié au territoire. Il y a assez de terre entre la Méditerranée et la Jordanie pour construire des maisons et des écoles pour tous. Ce n’est pas lié à la nourriture. Il y en a assez. Il y a assez d’eau, d’énergie…
Mais les gens croient à des fantasmes, à des mythes, à des histoires qui sont incompatibles. Les deux camps le disent : Dieu nous a donné cette terre. On ne peut pas faire de compromis avec l’amour de Dieu. Pas de compromis avec les dons de Dieu.»

La science a du mal à être contée. Harari tente de le faire, certains s’en offusquent et lui reproche de prendre quelques fantaisies avec la rigueur scientifique. Lui explique qu’il tente pourtant de le faire parce qu’il sait combien le récit est important pour  arriver à toucher le cœur et l’imagination des humains. Parler d’immigration est beaucoup plus simple, l’immigration mobilise tout de suite des récits archaïques qui font bouger les gens.

«Le grand problème de la science c’est que ce n’est pas une bonne conteuse. Ce sont les histoires qui motivent les gens à agir, pas les faits.
Quels sont les problèmes qui préoccupent les électeurs, aux États-Unis, en Europe et ailleurs dans le monde ? L’immigration est l’un des sujets qui arrivent en tête partout alors que beaucoup de gens nient le changement climatique. L’attrait pour l’immigration résulte d’un scénario biologique.
Un scénario selon lequel nous vivons dans une tribu et nous voyons quelqu’un d’une autre tribu arriver sur notre territoire. C’est quelque chose que les chimpanzés connaissent, tout comme les loups, les lapins …
Regardez ces lapins bizarres qui viennent manger notre herbe !.
Ils comprennent ça. C’est très profond. »

Je redonne le lien vers cet entretien qui est beaucoup plus riche que les quelques éléments que j’en ai tirés pour ce mot du jour : « Un livre pour ma vie : Yuval Noah Harari »

 

 

Jeudi 1 mai 2025

« Même après 100 jours au pouvoir, ce n’est pas de sa faute. C’est Biden. »
Propos de Donald Trump rapporté par Philippe Corbé

Philippe Corbé, nouveau directeur de l’information de France Inter, écrit depuis le retour de Trump à la présidence un billet bi-hebdomadaire réservé à ses abonnés, plein d’informations sur les Etats-Unis d’aujourd’hui.

Il a appelé cela « Zeitgeist » ce qui signifie en allemand « l’esprit du temps ». Il parait que c’est un terme couramment utilisé aux Etats-Unis. Dans son dernier opuscule qu’il a titré : « Le patriotisme des poupées ». Il montre l’Ubu de Washington dans toute sa suffisance et son mépris des faits. Il écrit :

« Même après 100 jours au pouvoir, ce n’est pas de sa faute. C’est Biden. »

Rappelons les faits : le département du Commerce a annoncé que le PIB a chuté à -0,3 % au premier trimestre, en rythme annualisé. Un net ralentissement par rapport au taux de + 2,4 % du quatrième trimestre, et bien pire que les + 0,8 % anticipés par les économistes. Selon les analystes c’est pire que prévu.

Un dessin valant mieux qu’un long discours, Corbé publie ce schéma qui montre l’évolution du PIB par trimestre depuis début 2021 qui correspond au début du mandat de Biden.

Tout le monde s’accorde à expliquer que ce recul vient des investisseurs qui s’inquiètent du chaos tarifaire relancé par la Maison-Blanche, avec des droits de douane qui perturbent consommateurs et entreprises.

Quand ces chiffres ont été annoncés sur Fox Business, la chaîne de télévision que regarde Trump, ce dernier a posté :

« C’est la bourse de Biden, pas de Trump. Je n’ai pris mes fonctions que le 20 janvier. (…) »

Et il a continué en abusant des majuscules

« Notre pays va exploser (dans le bon sens), mais nous devons nous débarrasser du “poids mort” laissé par Biden. Cela prendra du temps, ÇA N’A RIEN À VOIR AVEC LES TARIFS DOUANIERS, seulement avec les mauvais chiffres qu’il nous a laissés. Mais quand le boom commencera, ce sera du jamais vu. SOYEZ PATIENTS !!! »

Lors d’une réunion de cabinet quelques heures plus tard, il a réaffirmé son accusation :

« Ça, c’est Biden, pas Trump. »

Et Philippe Corbé de rappeler que le 29 janvier 2024, près d’un an avant de revenir à la Maison-Blanche, alors que Wall Street affichait des résultats éclatants, le même menteur patenté écrivait :

« C’EST LA BOURSE DE TRUMP PARCE QUE MES SONDAGES CONTRE BIDEN SONT TELLEMENT BONS QUE LES INVESTISSEURS PRÉVOIENT QUE JE VAIS GAGNER, ET CELA FERA MONTER LE MARCHÉ. »

Les majuscules sont de Trump !

Il me semble qu’il est inutile de commenter, le verbatim Trumpien suffit à lui-même.

Pour le complément, Philippe Corbé raconte une interview de Trump avec un journaliste auquel il répond au milieu de l’échange, pour l’intimider :

« C’est moi qui vous ai choisi. C’est vous qui faites l’entretien. Je n’avais jamais entendu parler de vous. Mais vous n’êtes pas très sympa. ».

Lors du premier mandat de Trump, un journaliste a demandé : « Pourquoi certains Britanniques n’aiment pas Donald Trump ? » Nate White, un écrivain anglais a écrit cette réponse :

« Quelques choses me viennent à l’esprit :
Trump manque de certaines qualités que les Britanniques apprécient traditionnellement.
Par exemple, il n’a aucune classe, aucun charme, aucune fraîcheur, aucune crédibilité, aucune compassion, aucun esprit, aucune chaleur, aucune sagesse, aucune subtilité, aucune sensibilité, aucune conscience de soi, aucune humilité, aucun honneur et aucune grâce – autant de qualités, curieusement, dont son prédécesseur M. Obama a été généreusement doté.

Pour nous, ce contraste frappant met en évidence les limites de Trump de manière embarrassante.
De plus, nous aimons rire.
Et même si Trump est peut-être ridicule, il n’a jamais dit quoi que ce soit d’ironique, d’amusant ou même de légèrement drôle – pas une seule fois, jamais.
Je ne dis pas cela de manière rhétorique, je le pense littéralement : jamais, jamais. Et ce fait est particulièrement dérangeant pour la sensibilité britannique : pour nous, manquer d’humour est presque inhumain.

Mais avec Trump, c’est un fait. Il ne semble même pas comprendre ce qu’est une blague – pour lui, une blague est un commentaire grossier, une insulte illettrée, un acte de cruauté désinvolte.

Trump est un troll. Et comme tous les trolls, il n’est jamais drôle et ne rit jamais ; il se contente de pousser des cris de joie ou de railleries. Et ce qui est effrayant, c’est qu’il ne se contente pas de prononcer des insultes grossières et stupides : il pense réellement en les utilisant. Son esprit est un simple algorithme robotique composé de préjugés mesquins et de méchancetés instinctives.

Il n’y a jamais de sous-couche d’ironie, de complexité, de nuance ou de profondeur. Tout est superficiel. Certains Américains pourraient considérer cela comme une approche rafraîchissante et directe. Eh bien, nous ne le pensons pas. Nous le considérons comme dépourvu de monde intérieur, d’âme.

En Grande-Bretagne, nous sommes traditionnellement du côté de David, et non de Goliath. Tous nos héros sont des outsiders courageux : Robin des Bois, Dick Whittington, Oliver Twist.

Trump n’est ni courageux, ni un outsider. Il est tout le contraire. […]

Dieu sait qu’il y a toujours eu des gens stupides dans le monde, et beaucoup de gens méchants aussi. Mais rarement la bêtise a été aussi méchante, et rarement la méchanceté aussi stupide.
Il fait paraître Nixon digne de confiance et George W. intelligent. »

A la conclusion de tout cela, je crois que nous avons deux graves problèmes. Le premier est tout simplement tout le mal que fait Trump au monde, bien au delà de l’économie :  à l’écologie et à l’avenir de l’humanité sur la terre, à la science, à la culture et à l’humanisme.

Le second est que la démocratie que nous vénérons a conduit à mettre ce type à la tête des États-Unis !

Jeudi 17 avril 2025

« Le drapeau de la résistance flotte sur Phnom Penh. »
  Une du journal Libération le 17 avril 1975, au moment de la prise de Phnom Penh par les Khmers rouges

Il y a cinquante ans, le 17 avril 1975, de jeunes soldats Khmers rouges entrent dans la capitale du Cambodge : Phnom Penh.

Ils ont eu cette victoire finale sans combat, les forces gouvernementales du maréchal Lon Nol se sont enfuis. Le maréchal Lon Nol avait renversé le roi Sihanouk, 5 ans auparavant avec l’aide des américains. Gangrené par la corruption, le régime est tombé comme un fruit mur, Lon Nol avait fui le pays dès le 1er avril.

En face il y avait les khmers rouges de Pol Pot, de Khieu Samphân, de Nuon Chea, de Ieng Sary. Le mot « khmer » désigne le groupe ethnique majoritaire (90 %) de la nation cambodgienne. Le surnom « Khmers rouges » (c’est-à-dire « Cambodgiens communistes ») leur a été attribué par Norodom Sihanouk vers la fin des années 1950.

Ce mouvement politique et militaire cambodgien, ultranationaliste et communiste radical est d’inspiration maoïste, soutenu par la Chine communiste. Ce régime, un des plus cruels de l’histoire de l’humanité tombera le 7 janvier 1979, après une défaite militaire contre l’armée du Viet Nam. Le Viet Nam est communiste, allié des soviétiques et ennemi de la Chine. En moins de 4 ans, près de 2 millions de cambodgiens périront, soit un quart de la population, à cause des mesures et de l’organisation mise en place par l’Angkar qui est nom que les Khmers rouges se sont donnés.

En 1975, une grande partie de la Gauche française s’est fourvoyée. Les vainqueurs étaient communistes, les vaincus étaient des suppôts de l’impérialisme américain, il n’en fallait pas davantage pour distinguer « le camp du bien » et « le camp du mal. »

Aujourd’hui, les journaux de droite, rappellent cet égarement. Le Figaro a publié « Quand la presse de gauche encensait les Khmers rouge », Le Point : « Les premiers jours, 2 millions de personnes ont été chassées » et l’Express interroge le cinéaste Rithy Panh qui a perdu sa famille dans le génocide : « A l’époque des Khmers rouges, la gauche française ne voulait pas savoir ».

C’est le journal Libération qui était le plus enthousiaste en écrivant le 17 avril 1975 : « Le drapeau de la résistance flotte sur Phnom Penh. » Le correspondant du quotidien, Patrick Sabatier écrit :

« Phnom Penh est donc tombée “comme un fruit mûr”, sans combats violents. Le “bain de sang” prédit par certains, souhaité par d’autres, n’a pas eu lieu. Bien au contraire, la protection des civils est apparue comme la préoccupation principale des forces de libération. »

Le lendemain, le quotidien récidive, avec un titre encore plus ronflant : « Sept jours de fête pour une libération. » et le journaliste continue à encenser les vainqueurs :

« La libération de Phnom Penh aura été, plus qu’un succès militaire, une immense victoire politique pour le Funk (Front uni national du Kampuchéa, coalition anti-Lon Nol dont les Khmers rouges étaient la branche communiste »

Dans « Le Point » Jean-François Bouvet qui a écrit en 2018, le livre « Havre de guerre, Phnom Penh, Cambodge » (Fayard) reconnait que Patrick Sabatier finira par s’excuser de son aveuglement. Bouvet explicite ce a commencé immédiatement dans le Cambodge dirigé par l’Angkar :

« Avec leurs véhicules munis de haut-parleurs, [les khmers rouges] sillonnent la capitale en prétendant que les Américains vont la bombarder et qu’il faut l’évacuer pour trois jours. Imaginez : 700 000 habitants plus 1,3 million de réfugiés. C’est un piège. Dès les premiers jours, les Khmers rouges chassent ces 2 millions de personnes. Ils déportent dans les campagnes une population dont ils sont incapables d’assurer l’approvisionnement. D’où un exode hallucinant, même les blessés sont poussés le long des avenues sur leurs lits d’hôpital. Les villes moyennes subiront le même sort, car c’est la ville en tant que telle, berceau de tous les vices, qui doit être purgée. Le Cambodge va devenir pour trois ans, huit mois, vingt jours un gigantesque camp de travail à ciel ouvert.»

Dans le journal Le Monde, la une est plus factuelle : « Phnom Penh est tombée. ». Les commentaires à l’intérieur du journal ressemblent à celles de Libération :

« La ville est libérée […] L’enthousiasme populaire est évident. »

La veille de l’entrée des troupes communistes, un journaliste du Monde écrivait : :

« Une société nouvelle sera créée ; elle sera débarrassée de toutes les tares qui empêchent un rapide épanouissement : suppression des mœurs dépravantes, de la corruption, des trafics de toutes sortes, des contrebandes, des moyens d’exploitation inhumaine du peuple (…). Le Cambodge sera démocratique, toutes les libertés seront respectées. »

Et Jean Lacouture, dans Le Nouvel Obs, écrit :

« Peut-on dire qu’encerclée par les masses rurales la cité soit tombée “comme un fruit mûr” ? Mûr, Phnom Penh ? Ou abîmé, souillé, avarié par cinq années de guerre civile, d’interventions étrangères et d’intrigues menées par un quarteron d’aventuriers ? Ainsi le Cambodge entre-t-il, au son des roquettes et du canon, dans l’ère du socialisme. »

Je laisse le mot de la fin à un homme qui a vécu cette horreur : Rithy Panh qui s’exprime dans l’Express :

« A l’époque, j’étais dans les rizières, en train d’essayer de survivre. Je me souviens d’avoir vu quelques rares fois une traînée d’avion dans le ciel, et je me disais : « il va nous voir ! ». Après tout, l’homme avait déjà marché sur la lune… Je ne comprenais pas pourquoi personne n’entendait rien, ne disait rien.
Et puis un jour, on nous a dit que certains à l’étranger félicitaient le petit pays qui avait vaincu le régime soutenu par l’impérialiste américain.
La gauche française et mondiale ne voulait pas savoir. Pourtant, dès 1976-1977, des réfugiés cambodgiens témoignaient de ce qu’il se passait à la frontière thaïlandaise : il y avait quand même des informations qui arrivaient. Mais même après le départ des Khmers rouges, en 1979, lorsqu’on découvre l’ampleur des crimes, certains intellectuels continuent à défendre le régime, comme le philosophe français Alain Badiou, qui conclut ainsi sa tribune dans Le Monde, en janvier 1979 : « Kampuchéa vaincra ! ». Ou à relativiser ses crimes, comme le linguiste américain Noam Chomsky, qui se montre très ambigu. « On a pratiquement fini par tenir pour un dogme, en Occident, que le régime [des Khmers rouges] était l’incarnation même du mal, sans aucune qualité qui puisse le sauver », écrit-il en 1980 dans un texte cosigné avec Edward S. Herman.
Par la suite beaucoup de chercheurs de gauche qui étaient très favorables aux Khmers rouges lorsqu’il était au pouvoir ont changé d’avis. Mais, sur le moment, ils étaient enfermés dans leur aveuglement, par idéologie. Il s’est passé la même chose pour l’URSS de Staline, quand des poètes français comme Louis Aragon y allaient et ne se rendaient compte de rien, ou pour la révolution culturelle de Mao, qui a également fasciné la gauche française. »

Vendredi 4 avril 2025

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« S’il avait été un électeur américain, le capitaine Rocca – l’un des rares représentants du peuple présents au dîner – serait ressorti trumpiste du diner d’investiture de la fondation Obama. »
Giuliano Da Empoli, « L’heure des prédateurs », page 88

Les temps sont troubles, pour rester dans un langage modéré. Certains essayent de rassurer comme Frederic Encel : « Une troisième guerre mondiale est très improbable ».
Il vient de publier un livre qui défend cette thèse.

L’Humanité a cependant d’autres défis à relever comme celui du réchauffement climatique, de la limite des ressources, du contrôle, de la maîtrise du développement de l’intelligence artificielle.

Mais désormais Donald Trump est à la tête des Etats-Unis. Nous pensions que ce serait compliqué, c’est bien pire. Il s’attaque à l’état de droit, aux juges, à la science, aux minorités, à tous ses alliés et au reste du monde aussi.

Voici venu « L’heure des prédateurs », titre du dernier livre de Giuliano da Empoli que je viens d’acheter et de commencer à lire.

Dans le Figaro du 2 avril 2025 : « Incapable de réagir, la vieille élite a mérité d’être balayée. » il explique


« La réélection de Trump a été une sorte d’apocalypse au sens littéral du terme : non pas la fin du monde mais la révélation de quelque chose. Le chaos, qui était jusqu’alors l’arme des insurgés, est devenu hégémonique. Et nous avons basculé dans le monde des prédateurs. Comme le disait Joseph de Maistre à propos de la Révolution française, « longtemps nous l’avons prise pour un événement. Nous étions dans l’erreur : c’est une époque. » »

Joseph de Maistre (1753 – 1821) se trouvait dans une position inverse que celle dans laquelle nous sommes, nous qui voyons une révolution néo-réactionnaire se produire devant nous, alors que nous étions convaincu que même si le rythme se ralentissait parfois, nous étions dans une trajectoire inexorable de progrès des libertés, de l’émancipation et de la science.

Joseph de Maistre est  un philosophie contre-révolutionnaire et un critique radical des idées des Lumières. Il considère que la Révolution française représente un crime contre l’ordre naturel. Il défend le retour à une monarchie absolue. Mais il a observé et analysé la révolution française  comme un moment essentiel de l’Histoire européenne.

Nous vivons, selon Da Empoli, un moment machiavélien, terme inventé pour caractériser l’art de gouverner, selon Machiavel, développé dans son livre « Le Prince » et qui prenait exemple sur César Borgia.

Pour Da Empoli, le moment machiavélien est constitué dans l’Italie, à la toute fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle et s’est caractérisé par l’irruption de la force. À ce moment, la technologie offensive s’est développée plus vite que la technologie défensive : des canons à boulets en fonte de fer ont pu percer les murailles des petites républiques italiennes très civilisées de la Renaissance. A cette époque, la principale force prédatrice en Europe était la France. Et il décrit la situation contemporaine ainsi :

« Aujourd’hui, nous sommes à nouveau dans un moment où les technologies offensives se développent davantage que les technologies défensives.
À partir du numérique, lancer une cyberattaque ou une campagne de désinformation ne coûte presque rien, mais la difficulté de la défense est évidente ! Dès lors, nos petites républiques, nos grandes ou petites démocraties libérales risquent d’être balayées. […]
Nous sommes en train de vivre le choc de l’humiliation. C’est le choc d’une province romaine qui se réveille avec un nouvel empereur ; un pouvoir très différent, imprévisible et arbitraire lui tombe dessus, et elle se rend compte qu’elle n’était qu’une province. Cette humiliation est actée, et elle est là pour durer. »

Mais comment expliquer le succès de Trump et de cette révolution néo réactionnaire ?.

Il y a certainement des raisons multiples. Cependant je voudrais partager aujourd’hui l’histoire que raconte Giuliano Da Empoli à partir de la page 85 de son dernier ouvrage.

Cette histoire se passe à Chicago en novembre 2017. Un an s’est écoulé depuis la première élection de Donald Trump. L’élection, comme le chaos qui s’en est suivi est sidérant, en Europe, le Brexit crée aussi désordre et inquiétude. Et ce jour à Chicago, Da Empoli a l’honneur d’assister au diner inaugural de la fondation de Barack Obama qui a quitté la présidence des Etats-Unis quand Trump s’en est emparé. Il cite un extrait du discours inaugural prononcé lors de ce diner

« Le potager de la Maison-Blanche était très puissant, car très symbolique. Faire pousser des aubergines et des courgettes et montrer des images de la première dame agenouillée dans la terre, entourée d’enfants, renvoyait un message très fort à la nation et au monde. »

Il explique qu’il a parcouru 7000 kilomètres pour être à ce diner parce qu’il pensait trouver sinon des réponses mais au moins des idées pour penser la suite, pour faire barrage à la vague illibérale qui menace de déferler sur l’occident.

Je pense, au moment de la lecture de ce récit, à la célèbre phrase de César amendée par René Goscinny : « Veni, vidi et je n’en crois pas mes yeux ! ».

C’est l’ancien chef cuisinier de la Maison Blanche qui vantait ainsi les mérites du potager biologique de Michelle Obama. Après le cuisinier, un autre orateur s’approche de la scène. Un certain Michael Hebb. Da Empoli consulte immédiatement sa biographie en ligne et découvre qu’il fut le pionnier de la consommation réfléchie de chocolat en entreprise.

Un peu ébranlé par le contenu des discours, il se tourne vers les autres convives de sa table espérant pouvoir engager des échanges sur des idées politiques pour l’avenir. Mais après l’apparition sur la table de brocolis bio, il va constater que les échanges vont être encadrés. Une jeune personne assise à la table prend la parole :


« «Bonsoir, je m’appelle Heather, je serai votre faciliteur de conversation ce soir. » A la suite de cette brève introduction, nous découvrons avec horreur que le format du dîner ne prévoit pas que les invités interagissent spontanément, mais plutôt une conversation dirigée par Heather, qui nous permettra de dépasser les politesses d’usage pour atteindre un niveau d’échange plus profond.
Dans ce but, les convives sont priés de répondre à 5 questions à tour de rôle. Pourquoi est ce que je m’appelle comme ça ? Qui sont les miens ? Qui m’a le plus influencé ? Qui aimerais je être. Dans quelle mesure ai-je le sentiment de faire partie de ma communauté. »

Le centre des débats de cette soirée est donc un positionnement identitaire et la question de l’appartenance à une communauté. La conscience sociale et la réflexion sur la société dans son ensemble est ignorée, comme les défis de l’humanité. Heather commence selon les normes édictées et raconte son parcours de transgenre métis adoptée par une famille de Chicago. Pour expliquer son désarroi, Giuliano Da Empoli s’appuie sur un agent de sécurité :


« J’aperçois la mine déconfite du capitaine Rocca, l’agent de sécurité qui nous accompagne [les italiens] dans ce voyage. Au fil de la soirée, je verrai cet homme bâti comme un chêne, jovial, courageux,qui n’hésiterait pas à prendre une balle pour protéger l’un d’entre nous, rapetisser à vue d’œil, jusqu’à prendre l’apparence d’une brindille tremblante.
A la fin du diner […] il me relatera son calvaire. Après un premier moment de consternation, il a surmonté le choc initial et tout s’est plus ou moins bien passé, jusqu’au moment où il s’est risqué à répondre « moi même » à la question « qui voudrais tu être ? » Tout le monde lui est tombé dessus, le traitant de tous les noms, le faciliteur lui même n’ayant pu s’empêcher de le taxer d’égocentrisme»

Da Empoli conclura qu’il a quitté Chicago avec le sentiment d’avoir rencontré de nombreuses personnes sympathiques et pleines de bonnes intentions, mais plutôt mal équipées pour mener à bien la bataille qui s’annonçait. Mais au préalable, il s’autorise ce cheminement de pensée :

« Je n’ai pas pu m’empêcher de penser que, s’il avait été un électeur américain, le capitaine Rocca – l’un des rares représentants du peuple présents au dîner – serait ressorti trumpiste du diner d’investiture de la fondation Obama. Et je crains qu’aucune des activités prévues pendant les 36 heures du  sommet ne l’aurait fait changer d’avis : ni la méditation de 7 heures du matin, ni l’entretien avec le prince Harry sur la jeunesse comme vecteur de transformation sociale, ni le dialogue entre Michelle Obama et une poétesse à la mode à propos de ses sources d’inspiration. »

Nous savions que les démocrates étaient largement responsables de la victoire de Trump, ce récit nous permet de toucher de plus près le décalage abyssal qu’il y a entre leurs préoccupations et celles des gens simples. Da Empoli rappelle que l’une des publicités les plus percutantes de la campagne de réélection de Trump en 2024 jouait sur les pronoms non binaires : « Harris est pour iels ; Trump est pour vous. »

Lundi 17 mars 2025

« La raison d’être de l’Union européenne, c’est la défaite militaire. […] lors de guerres coloniales. »
Timothy Snyder

Il me semble nécessaire d’aborder le chaos actuel du monde avec une compréhension de l’Histoire, du long terme et une réflexion sur nos valeurs.

Sinon, nous agissons selon les seules impulsions de nos émotions, de nos peurs et aussi des récits, auxquels nous croyons, sans les interroger.

Pour la peur, j’ai été stupéfait dans l’émission « C ce soir » du 10 mars, l’écrivain et académicien Jean-Marie ROUART expliquer qu’à l’heure de la bombe atomique, on ne peut plus vouloir qu’un tel gagne et qu’en conséquence il était pour la paix, n’importe quelle paix !

Cet homme est donc prêt à se soumettre à la loi du plus fort, du plus injuste, le lâche soulagement en serait la récompense.
Dans ce mot du jour, je vais encore me référer à Timothy Snyder qui a répondu à un entretien dans le journal « LE UN » du 19 février 2025 : « Comment finir une guerre ? »

Snyder remet en question le récit d’une Union européenne qui aurait été créée, après la fin de la seconde guerre mondiale, principalement, parce que les Etats européens voulaient établir définitivement la paix sur leur continent, après tant de massacres entre européens.

Mais à la question du journaliste « Avec la guerre en Ukraine, l’Union européenne a-t-elle échoué dans sa mission de maintenir la paix sur le continent ? », il répond ainsi :

« Est-ce seulement sa mission ? C’est du moins le mythe que l’on aime se raconter : les pays européens ont tiré les leçons de la Seconde Guerre mondiale et se sont organisés pour garantir la paix. »

Même si l’aspiration à la paix était compréhensible après les deux terribles guerres du XXème siècle, ce ne fut pas la raison principale, selon lui, de la volonté de créer la communauté européenne devenue l’Union européenne :

« Mais je pense qu’il faut commencer par rejeter ces prémisses, ce mythe fondateur. Si l’on veut penser l’Europe face à la guerre qui fait rage à ses portes, il nous faut être rigoureux sur la raison d’être historique de l’Union européenne.
Et cette raison d’être n’est pas la paix – sinon les pays européens n’auraient pas mené de guerres coloniales pendant les trente ans qui ont suivi l’armistice. Non, la raison d’être de l’Union européenne, c’est la défaite militaire. Plus particulièrement, la défaite militaire lors de guerres coloniales : l’Allemagne en 1945, mais aussi les Pays-Bas en 1948, la France en 1962, l’Espagne et le Portugal dans les années 1970… »

En 1948, les Pays-Bas perdent leur colonie les Indes néerlandaises. En 1942, ils avaient du les abandonner aux Japonais. Après la défaite du Japon, les Pays-Bas tentent de reconquérir leur ancienne colonie, mais les nationalistes indonésiens revendiquent l’indépendance de l’archipel. Entre 1947 et 1948, les Pays-Bas lancent deux grandes interventions militaires. Mais les nationalistes tiennent bon et les Néerlandais, sous la pression des Nations unies et des États-Unis, doivent céder. La colonie devient la République des États-Unis d’Indonésie.

En 1962, la France perd l’Algérie.

Si on souhaite donner un peu de consistance à cette vision du passé colonial, on peut consulter une carte de l’empire colonial français avant la seconde guerre mondiale. La superficie de cet empire en 1939 représentait 12 800 000 km². En comparaison, les USA représente 9 833 517 km², ils ne sont dépassés que par le Canada guère plus grand et la Russie plus de 17 000 000 km².

En 1939, l’empire français représentait 8,61 % des terres émergées et 5,15% des habitants de la Planète. Aujourd’hui la France représente 0,45% des terres émergées et 0,84% de la population mondiale. C’est une autre échelle.

Pour compléter le destin des autres pays européens colonialistes, le Portugal avait conservé de son immense empire colonial, le Mozambique, l’Angola, la Guinée-Bissau et encore quelques autres territoires, comme le Cap Vert. Tous ces États deviendront indépendants après la révolution des œillets en 1974 et des guerres anti coloniales de libération.

En 1968, l’Espagne perdait ses dernières possessions subsahariennes et en 1976 le Sahara espagnol.

Pour Snyder la défaite des nazis en 1945 est aussi une défaite coloniale puisque le troisième reich avait eu pour ambition de coloniser quasi toute l’Europe.

Il n’a pas cité la Belgique qui a perdu le Congo Belge en 1960.

Les nations européennes avaient dominé le monde depuis plusieurs siècles. Ils étaient des empires, ils deviennent des puissances moyennes dans un monde dominé par les USA et l’URSS.

On peut comprendre que le fait de s’unir, au moins économiquement, fut une réaction pour continuer à compter dans le monde. C’est au moins la thèse de Timothy Snyder.

« L’UE est une organisation post-impériale, qui réunit ces anciens empires défaits. On l’oublie volontiers, car ces défaites sont honteuses, tout comme les causes de ces guerres. C’est pourtant le fait d’avoir perdu ces guerres qui est au cœur du projet européen. Pour devenir des démocraties européennes contemporaines, des pays « normaux », il a été nécessaire que ces nations perdent leurs dernières guerres impériales. Si l’on garde cette idée en tête, si l’on remplace le concept de paix par celui de défaite, on comprend mieux pourquoi il est crucial que la Russie perde cette nouvelle guerre coloniale contre l’Ukraine »

La récente « Affaire Apathie » montre que la France a toujours du mal à comprendre et à reconnaître son passé colonial et tous les crimes qui ont été pratiqués en son nom. Or ce que Jean-Michel Aphatie a affirmé, le 25 février 2025, à savoir que la France a commis une centaine d’Oradour sur Glane en Algérie est factuellement vrai. Il a pourtant été sanctionné par la radio (RTL) dans laquelle il travaillait, pour avoir dit cette cette vérité.
Les grandes voix du journalisme ne se sont pas pressées pour le défendre. « Le Monde » a enfin, le 16 mars, commis un article expliquant que « Si l’on prend le point de vue des historiens, Aphatie a non seulement raison, mais il ne dit rien de bien révolutionnaire sur l’Algérie ».

Voilà qui est dit sur le passé colonial de la France et les autres pays européens n’ont pas agi avec moins de violence. Mais certains esprits de gauche, n’ont pas l’air de comprendre que la relation entre l’immense Russie et la petite Ukraine est également basée sur une domination coloniale. Dans ce cas, simplement la colonie ne se trouve pas de l’autre coté de la mer ou de l’océan, mais jouxte la frontière du prédateur.
Timothy Snyder explique la guerre que mène la Russie à l’Ukraine de manière simple :

« Les causes de cette guerre sont elles aussi incroyablement anciennes et traditionnelles : l’appropriation des ressources agricoles et des matières premières d’une part et, d’autre part le refus de considérer ceux qui se trouvent de l’autre côté de la frontière comme de véritables personnes et leur Etat comme un véritable Etat. C’est le discours colonialiste basique qu’ont aussi adopté les Européens en Afrique, en Asie, et partout dans le monde, mais qu’ils ont aujourd’hui bien du mal à reconnaître comme tel. »

Le titre de l’entretien de Snyder dans « LE UN » est « Comment l’Ukraine protège le monde ». Et, le journaliste Louis Héliot demande à l’Historien de quoi l’Ukraine nous protège, après que ce dernier ait utilisé cette formule dans une de ses réponse :

« D’une troisième guerre mondiale.
La Chine, l’Iran, la Corée du Nord sont déjà dans le conflit. SI la digue ukrainienne sautait les pays européens se retrouveraient immédiatement impliqués. […]
En se battant, les Ukrainiens ont non seulement repoussé l’agresseur russe, mais ils ont gardé ouvert, pour l’Europe, le champ des possibles. […] D’une certaine façon c’est inconfortable pour nous. Si les Ukrainiens avaient rendu les armes immédiatement comme Poutine l’escomptait, cela nous aurait été « plus facile » ; nous aurions continué à fermer les yeux ; nous aurions sans doute même été tentés de faire des concessions à Poutine de lui livrer – si l’on pousse la comparaison avec la Seconde Guerre mondiale- l’équivalent de la Tchécoslovaquie, puis de la Pologne, Mais avec leur résistance, leur détermination, les Ukrainiens ont rendu impossible la stratégie d’apaisement.
Pour résumer, ils nous maintiennent en 1938. A nous maintenant de faire en sorte que l’on ne se précipite pas, la tête la première, vers 1939. »

En conclusion de l’article, l’auteur de « Terres de sang » pense que la Russie doit aussi sortir de sa pensée Coloniale pour pouvoir passer à autre chose.

« Il ne nous reste rien d’autre à faire, désormais que d’aider à bâtir une Ukraine libre et fonctionnelle. Et sur le long terme, ce sera également bénéfique à la Russie. La défaite de cette dernière sera sa seule chance de passer à autre chose. »

Cette vision de Timothy Snyder me semble particulièrement féconde, alors que des esprits égarés continuent à tenter d’expliquer la situation par la politique agressive de l’OTAN. Si tant de pays de l’Est comme la Pologne ou les pays baltes ont voulu absolument rejoindre l’OTAN, c’est parce qu’ils avaient peur, à juste titre, de la soif coloniale du prédateur russe et non parce que l’OTAN avait la stratégie de s’étendre.
Le problème supplémentaire auquel nous sommes confrontés aujourd’hui, c’est que les Etats-Unis de Trump ont manifesté officiellement, au moins dans leurs propos, des velléités coloniales sur le Groenland, le Canada et Panama. Les USA n’expriment d’ailleurs aucun désaccord de fond avec la Russie sur ces points.