Jeudi 2 janvier 2025

« Je te souhaite du temps »
Elli Michler

Elli Michler est une poétesse allemande. Elle est née le 12 février 1923 et elle est morte il y a un peu plus de 10 ans, le 18 novembre 2014.

Le début de l’année est le moment des vœux.

Plus l’âge avance, plus je perçois combien le temps est précieux.

Lors de l’hommage à mon ami Fabien, le 23 juillet 2024, j’écrivais que l’immense cadeau que nous nous offrions l’un à l’autre, deux fois par an, c’était du temps.

On court après le temps, on perd son temps, on tue le temps en l’occupant mollement par des activités ludiques, parfois on gâche son temps pour faire des économies de bout de chandelles lors de cette activité si prégnante dans le monde d’aujourd’hui : la consommation.

Lors du mot du jour, du 2 juillet 2020, j’avais cité José Mujica, président de l’Uruguay de 2010 à 2015 :

« Quand j’achète quelque chose, quand tu achètes toi, on ne le paye pas avec de l’argent. On le paye avec du temps de vie qu’il a fallu dépenser pour gagner cet argent. »

Nous sommes bien obligés de pratiquer des activités utilitaires, mais au-delà, le temps est une denrée rare qu’il faut penser à savourer.

Photo prise par James Webb et finalisée le 27 novembre 2024. Cette photo correspond à une réalité qui date de 40 millions d’années Elle nous donne peut être une image du temps suspendu…

Le télescope spatial James Webb nous montre cette galaxie spirale située dans la constellation de la Colombe à 40 millions d’années-lumière. Les bras spiraux, le gaz et la poussière sont visibles avec d’incroyables détails.

Si vous voulez voir cette photo en haute résolution c’est <Ici>

Elli Michler a écrit un texte magnifique que je partage aujourd’hui, pour cette période de vœux.

«Je te souhaite du temps
Je ne te souhaite pas un simple cadeau, mais quelque chose de bien plus précieux,
quelque chose que tant de gens recherchent sans jamais le trouver.

Je te souhaite du temps.
Du temps pour rire, pour t’émerveiller, pour te perdre dans la douceur de l’instant.
Si tu sais l’apprivoiser, il t’offrira bien plus que tu ne l’imagines.

Je te souhaite du temps pour créer,
pour rêver et pour réfléchir.
Pas seulement pour toi, mais aussi pour ceux que tu aimes.

Je te souhaite du temps,
non pas pour courir après,
mais pour ralentir,
pour te poser là où ton cœur se sent en paix.

Je te souhaite du temps, non pas pour qu’il s’efface au fil des heures,
mais pour qu’il te reste, pour que tu puisses t’arrêter et contempler le monde,
pour que tu prennes le temps d’avoir confiance,
non pas en l’aiguille d’une montre, mais en la vie elle-même.

Je te souhaite du temps pour effleurer les étoiles,
pour grandir, non pas seulement en âge,
mais en force, en tendresse, en toi.

Je te souhaite du temps pour espérer encore,
même lorsque tout semble vaciller.
Du temps pour aimer, car il n’y a pas de plus belle manière de le vivre.

Je te souhaite du temps pour faire la paix avec le passé,
pour ouvrir tes bras à ce qui vient,
et pour pardonner, à toi-même comme aux autres.

Je te souhaite de recevoir le temps comme on reçoit un trésor,
de le savourer, non pas comme une chose à posséder,
mais comme un souffle à embrasser.

Je te souhaite du temps,
pour vivre, pleinement, intensément, librement.
Je te souhaite du temps, pour ta vie et pour la Vie.»
Elli Michler

Je ne connaissais pas Elli Michler avant de lire ce poème, son poème le plus célèbre.

Elle est née à Wurtzbourg, en Allemagne, pendant une période difficile économiquement et politiquement. Écolière, elle assiste à la destruction par les nazis de son école religieuse.
Elle vivra sous le joug nazi pendant toute la guerre, dans la terreur et le travail forcé dans un groupement industriel de Wurtzbourg.

Elle écrira toute sa vie, mais ce n’est que tardivement, à l’âge de 64 ans qu’elle commencera à publier chez Don Bosco Verlag Munich de nombreux recueils de poèmes. C’est sur le site de « cet éditeur » que j’ai appris ce que je suis en mesure d’écrire.
Elle obtiendra un véritable succès populaire en Allemagne.

L’éditeur écrira aussi :

« L’œuvre d’Elli Michler répond ainsi aux trois exigences que Kästner attribue aux poètes :
– l’honnêteté du ressenti,
– la clarté de la pensée
– la simplicité du mot et de la phrase.

La réponse de Schopenhauer à la question de ce qu’est un poème – « un fragment d’éternité dans le temps » – a inspiré Elli Michler dans sa volonté d’aider les hommes en proie à un négativisme ambiant à se libérer de leurs peurs et de la frénésie du quotidien en leur offrant, à travers la poésie, des perspectives de tranquillité intérieure, ainsi qu’une approche positive. »

Je vous souhaite une belle année 2025, pendant laquelle vous prendrez du temps pour vivre, pour la vie, pour votre vie et aussi pour le partage avec d’autres qui sauront prendre ce même temps.

Lundi 8 janvier 2018

« Soyez heureux ! »
Le père d’Ivan Jablonka à ses enfants

C’est une tradition. Un acte incontournable : en début d’année, il faut souhaiter les vœux.

Mais que dire ?

Comment ne pas tomber dans l’ennui, la routine ?

Vendredi, 5 janvier à 7h50, j’écoutais France Inter et Ivan Jablonka était l’invité d’Ali Baddou pour présenter son dernier livre : « En camping car »

Dans ce livre, il raconte ses vacances familiales avec ses parents en combi Volkswagen :

« Sans doute le moment de mon enfance où j’ai été le plus heureux, le plus libre ».

Quelquefois bien sûr, il y avait des disputes entre les enfants, alors :

« Notre père nous engueulait en disant : Soyez heureux ! »

« Soyez heureux ! »

Présenté comme cela, cela semble un peu banal, presque niais. Mais pour comprendre la force de cette injonction paternelle il faut aller un peu plus loin. Ivan Jablonka, né en 1973, est un historien. Il est professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-XIII-Nord. Il est aussi écrivain et il a eu le Prix Médicis en 2016 pour « Laëtitia ou la fin des hommes ».

Mais, c’est avant tout un historien, après des études en khâgne au lycée Henri-IV, il intègre l’École normale supérieure et est reçu à l’agrégation d’histoire en élève d’Alain Corbin, l’historien de toutes les sensibilités qui avait fait l’objet du mot du jour du 30 Juin 2016 pour son livre : « Histoire du silence »

En 2012, il avait écrit un livre sur sa famille : « histoire des grands parents que je n’ai pas eus ».

Télérama résume cette histoire :

« Matès Jablonka, son grand-père, né en 1909, habita dans le shtetl de Parczew. Une bourgade de Pologne où les Juifs, isolés par l’antisémitisme, vivent, travaillent, prient. […] Matès, artisan du cuir, homme joyeux et obstiné, cherche à s’échapper des superstitions religieuses comme des persécutions en devenant communiste. Militant clandestin, il fera de la prison. Sa femme, la belle Idesa, née en 1914, sera également militante. Chacun de leur côté, en 1937 et en 1938, ils gagnent la France, le pays de la liberté pour tant d’immigrés politiques. Mais là, ils seront vite les victimes d’une législation suspicieuse. Fichés comme étrangers illégaux, ils se réfugient entre Belleville et Ménilmontant, travaillent à domicile, esquivant les contrôles d’identité et bataillant pour nourrir leurs deux enfants.

A la déclaration de guerre, une nouvelle fois humilié par la hiérarchie militaire, Matès s’engagera dans la Légion étrangère. Puis, le 25 février 1943, Matès et Idesa seront pris lors d’une rafle, expédiés à Drancy par la police française et déportés à Auschwitz II-Birkenau. Ce sont des faits avérés. Mais les rapports de police sur papier carbone suffisent-ils à résumer la vie de Matès, 1,62 m, et d’Idesa, 1,56 m ? Quels sont les pensées et les espoirs d’Idesa quand elle gagne la France ? Matès reste-t-il communiste ? Impossible de le savoir. « Faire de l’histoire, c’est prêter l’oreille à la palpitation du silence », écrit Ivan Jablonka. C’est tisser la grande Histoire avec les histoires humaines, identifier tous les leviers qui infléchissent les itinéraires personnels. »

Les grands-parents Matés et Idesa, seront assassinés à Auschwitz. Leur fils, le père d’Ivan Jablonka, celui qui quelques années plus tard engueule ses enfants par ces mots : « Soyez heureux ! », a grandi dans les institutions réservées aux orphelins de la Shoah, dirigées par la Commission centrale de l’enfance, une organisation juive communiste.

Ivan Jablonka explique :

« Pour mes parents, le bonheur était une question de vie ou de mort […] Il fallait être heureux parce que nos ancêtres ne l’avaient pas été. […] ce bonheur qu’il n’ont pas eu, ils nous l’on donné, comme leur manière de résister, «un extraordinaire cadeau», poursuit l’écrivain, qui a raconté l’histoire de ses grands-parents juifs lors de la Seconde Guerre Mondiale. »

C’est donc à l’issue d’une histoire tragique et terrible que ce père a donné à ses enfants cette clé : « Soyez heureux ! »

Existe-il un vœu finalement plus exaltant pour l’année nouvelle ? : « Soyez heureux ! »

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