C’est une tradition. Un acte incontournable : en début d’année, il faut souhaiter les vœux.
Mais que dire ?
Comment ne pas tomber dans l’ennui, la routine ?
Vendredi, 5 janvier à 7h50, j’écoutais France Inter et Ivan Jablonka était l’invité d’Ali Baddou pour présenter son dernier livre : « En camping car »
Dans ce livre, il raconte ses vacances familiales avec ses parents en combi Volkswagen :
« Sans doute le moment de mon enfance où j’ai été le plus heureux, le plus libre ».
Quelquefois bien sûr, il y avait des disputes entre les enfants, alors :
« Notre père nous engueulait en disant : Soyez heureux ! »
« Soyez heureux ! »
Présenté comme cela, cela semble un peu banal, presque niais. Mais pour comprendre la force de cette injonction paternelle il faut aller un peu plus loin. Ivan Jablonka, né en 1973, est un historien. Il est professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris-XIII-Nord. Il est aussi écrivain et il a eu le Prix Médicis en 2016 pour « Laëtitia ou la fin des hommes ».
Mais, c’est avant tout un historien, après des études en khâgne au lycée Henri-IV, il intègre l’École normale supérieure et est reçu à l’agrégation d’histoire en élève d’Alain Corbin, l’historien de toutes les sensibilités qui avait fait l’objet du mot du jour du 30 Juin 2016 pour son livre : « Histoire du silence »
En 2012, il avait écrit un livre sur sa famille : « histoire des grands parents que je n’ai pas eus ».
Télérama résume cette histoire :
« Matès Jablonka, son grand-père, né en 1909, habita dans le shtetl de Parczew. Une bourgade de Pologne où les Juifs, isolés par l’antisémitisme, vivent, travaillent, prient. […] Matès, artisan du cuir, homme joyeux et obstiné, cherche à s’échapper des superstitions religieuses comme des persécutions en devenant communiste. Militant clandestin, il fera de la prison. Sa femme, la belle Idesa, née en 1914, sera également militante. Chacun de leur côté, en 1937 et en 1938, ils gagnent la France, le pays de la liberté pour tant d’immigrés politiques. Mais là, ils seront vite les victimes d’une législation suspicieuse. Fichés comme étrangers illégaux, ils se réfugient entre Belleville et Ménilmontant, travaillent à domicile, esquivant les contrôles d’identité et bataillant pour nourrir leurs deux enfants.
A la déclaration de guerre, une nouvelle fois humilié par la hiérarchie militaire, Matès s’engagera dans la Légion étrangère. Puis, le 25 février 1943, Matès et Idesa seront pris lors d’une rafle, expédiés à Drancy par la police française et déportés à Auschwitz II-Birkenau. Ce sont des faits avérés. Mais les rapports de police sur papier carbone suffisent-ils à résumer la vie de Matès, 1,62 m, et d’Idesa, 1,56 m ? Quels sont les pensées et les espoirs d’Idesa quand elle gagne la France ? Matès reste-t-il communiste ? Impossible de le savoir. « Faire de l’histoire, c’est prêter l’oreille à la palpitation du silence », écrit Ivan Jablonka. C’est tisser la grande Histoire avec les histoires humaines, identifier tous les leviers qui infléchissent les itinéraires personnels. »
Les grands-parents Matés et Idesa, seront assassinés à Auschwitz. Leur fils, le père d’Ivan Jablonka, celui qui quelques années plus tard engueule ses enfants par ces mots : « Soyez heureux ! », a grandi dans les institutions réservées aux orphelins de la Shoah, dirigées par la Commission centrale de l’enfance, une organisation juive communiste.
Ivan Jablonka explique :
« Pour mes parents, le bonheur était une question de vie ou de mort […] Il fallait être heureux parce que nos ancêtres ne l’avaient pas été. […] ce bonheur qu’il n’ont pas eu, ils nous l’on donné, comme leur manière de résister, «un extraordinaire cadeau», poursuit l’écrivain, qui a raconté l’histoire de ses grands-parents juifs lors de la Seconde Guerre Mondiale. »
C’est donc à l’issue d’une histoire tragique et terrible que ce père a donné à ses enfants cette clé : « Soyez heureux ! »
Existe-il un vœu finalement plus exaltant pour l’année nouvelle ? : « Soyez heureux ! »
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Il me semble difficile de détacher cette phrase de son contexte, elle sonne beaucoup moins dans un environnement « normal ».
Je préférais parler de joie qui est un état plus durable plus ou moins indépendant des circonstances, une joie que je souhaite à toutes et tous et notamment à toi, Alain