Lundi 22 septembre 2025

« J’espère que Dieu n’existe pas ! »
Y le personnage principal du film « Oui » de Nadav LAPID

Annie et moi sommes allés voir, ce vendredi, le film « Oui » de Nadav LAPID.

Je crois que je ne suis jamais sorti d’un film en portant un malaise plus grand, tant ce film est sombre, dérangeant avec, en outre, une bande son souvent extrêmement agressive. Par moment on pense à Fellini ou à Pasolini mais sans la poésie et en comprenant que même si, comme pour les deux maîtres italiens, il s’agit d’une fiction, en réalité Nadav Lapid veut nous faire percevoir une certaine réalité israélienne d’aujourd’hui, une réalité terrifiante.

Le film se situe d’abord dans une fête totalement déjantée au sein d’une élite économique et militaire de Tel Aviv. Un couple d’artistes désargentés est employé pour divertir et pousser cette élite jusqu’à la limite de la folie, des orgies sexuelles et des paradis artificiels. Ce couple a un bébé avec lequel ils se comporte à peu près comme des parents normaux. Mais c’est la seule normalité qu’on perçoit chez eux, pour le reste pour reprendre la description du « Monde » : « ils se vautrent, sans état d’âme, dans le stupre et la turpitude. Ils veulent réussir, à n’importe quel prix. »

Nous sommes dans un Israël qui vient de vivre le traumatisme du 7 octobre 2023 et a commencé de déverser des tonnes de bombes sur Gaza. La femme, Jasmine, est danseuse, mais le héros principal, Y, est musicien. Alors qu’il est à la recherche d’un contrat susceptible de le sortir de la précarité, un oligarque d’origine russe lui propose ce qu’il cherche : beaucoup d’argent pour composer un nouvel hymne national dont les paroles sont explicitement génocidaires. Y entretient un dialogue mystique avec sa mère décédée qui était de gauche. Y n’aime pas ce texte horrible, mais il va céder et composer la musique.

Tout dans son être le pousserait à dire « Non » mais il va dire « Oui », le « Oui » de la soumission.

Le philosophe Alain a décrit la différence entre le « Oui » et le « Non » :

« Penser, c’est dire non. Remarquez que le signe du oui est d’un homme qui s’endort ; au contraire le réveil secoue la tête et dit non.
Non à quoi ? Au monde, au tyran, au prêcheur ? Ce n’est que l’apparence. En tous ces cas-là, c’est à elle-même que la pensée dit non. Elle rompt l’heureux acquiescement. Elle se sépare d’elle-même. Elle combat contre elle-même. Il n’y a pas au monde d’autre combat. Ce qui fait que le monde me trompe par ses perspectives, ses brouillards, ses chocs détournés, c’est que je consens, c’est que je ne cherche pas autre chose. Et ce qui fait que le tyran est maître de moi, c’est que je respecte au lieu d’examiner.
Même une doctrine vraie, elle tombe au faux par cette somnolence.
C’est par croire que les hommes sont esclaves. Réfléchir, c’est nier ce que l’on croit. Qui croit ne sait même plus ce qu’il croit. Qui se contente de sa pensée ne pense plus rien. »
Alain Propos sur les pouvoirs, « L’homme devant l’apparence », 19 janvier 1924, n° 139

Pour trouver l’inspiration Y quitte le foyer familial et convoque un amour de jeunesse, rencontré au conservatoire de musique, Leah.

Elle est jouée par une remarquable actrice Naama Preis qui est devenue propagandiste pour Tsahal, parce qu’elle n’a pas trouvé d’autre job pour gagner sa vie.. Avec elle, il va prendre la route du désert vers Gaza. Pendant le voyage Leah, sur la demande d’Y, raconte le 7 octobre et décrit aussi les horreurs de Gaza. Naama Preis crée un moment de tragédie, le plus fort du film.

Leur périple les amène en haut d’un monticule qui a pour nom « la colline d’amour » sur lequel ils voient Gaza envahie de fumée et entendent le bruit des missiles qui tombent. C’est à ce moment que Y s’écrie : « J’espère que Dieu n’existe pas ! »

Woody Allen a une autre formule :

« Si Dieu existe, j’espère qu’il a une bonne excuse. »

Je sais bien que ces paroles sont insupportables pour mes amis croyants pour qui leur Foi est source de consolation et de force pour agir pour le bien. J’étais moi-même un croyant fervent autour de mes 20 ans. Je comprends intimement cet élan vers la transcendance et la douce voix intérieure qui rend soutenable ce qui peut être si lourd.

Je ne parle pas de cela. Je parle des religions, de ces structures qui ont à leur tête des hommes, parce que c’est toujours des mâles, qui parlent, dans leurs offices, de paix et de pardon mais qui dans leurs actions soutiennent et provoquent la destruction.

Je parle de la religion orthodoxe dont le Patriarche de Moscou est un ancien agent du KGB et qui conseille Poutine et couvre ses actions les plus infames.

Je parle des évangélistes blancs américains, qui sont les soutiens les plus fervents de Donald Trump et qui soutiennent Israël parce que dans leur vision millénariste de fin du monde, ils croient que leur désir ne pourra être accompli que si tous les juifs se retrouvent sur la terre de la Judée antique.

Je parle des messianistes juifs qui veulent reconstruire le temple de Jérusalem même au prix d’une guerre sans fin avec tous les musulmans.

Je parle des islamistes radicaux qui divisent le monde entre « haram » et « halal » et pour lesquels la vie humaine n’a aucune valeur devant le dogme.

L’émission « C Politique » de France 5 du dimanche 21 septembre 2025 parlent des croyances des évangélistes américains. Et pour revenir à notre sujet d’aujourd’hui vous pouvez écouter le grand spécialiste de l’Histoire du Moyen Orient, Henry Laurens sur le problème du sacré et de la religion dans le conflit israélo-palestinien : « Question juive, problème arabe ». Pour lui c’est simple, le fait qu’on ajoute de la religion à un problème territorial rend ce conflit insurmontable.

Ce film suscite des réactions contrastées de la critique française. A France Inter et sur le plateau de « C ce soir », déjà cités dans le mot du jour du 17 septembre 2025, les avis étaient élogieux.

Dans « le Monde », Jacques Mandelbaum écrit dans son article publié le 17 septembre :

« Quelque chose d’assez repoussant à concevoir, douloureux à recevoir, captivant à percevoir. »

Dans « les Cahiers du Cinéma » Élodie Tamayo est plus lyrique :

« Et pourtant ce film dit oui, un oui tonitruant. À quoi ? Au désir de faire du cinéma, même impossible, même monstre. Alors Lapid convoque les forces vives de genres hétérogènes. Le prisme tourne entre le film d’amour épileptique, version Sailor et Lula à Tel-Aviv ; la fiction politique décadente , le cartoon brutal, la comédie musicale désespérée, le cirque fellinien, et l’ombre de Tobe Hooper plane sur des décors de piscine à balles. Les curseurs sont poussés au maximum, dans un geyser de couleurs, une explosion de textures sonores, un vortex de mouvements de caméra et d’effets spéciaux. On oscille entre la secousse organique, l’éveil des sens, et l’étourdissement. »

Dans « le Figaro » du 17 septembre Etienne Sorin est brutal :

« Amos Gitaï et Ari Folman perdus de vue, Lapid, conscience nécessaire mais piètre cinéaste, est l’une des rares voix dissonantes dans le paysage artistique israélien. Elle fait du bruit mais elle porte peu, confinant son cinéma pamphlétaire à un public confidentiel. »

Ce film est une charge très violente contre l’élite israélienne et même l’ensemble de la société israélienne. Dans son interview à France Inter, le réalisateur explique : 

« Si je dois quelque chose à mon pays, et si des artistes doivent quelque chose à ce monde, c’est dire leur vérité avec la voix la plus lucide, la plus claire. [Il fait référence à ces] prophètes bibliques qui disaient au peuple parfois des choses très, très dures à entendre, mais qui disaient au peuple la vérité, afin de retirer ce voile qui couvre les yeux et qui suscite cet aveuglement. »

Pour ma part, je ne sais pas à quoi sert ce type de film. Je pense que beaucoup d’israéliens ne se reconnaîtront par dans l’image d’une élite hors sol et dépravée. Les palestiniens et leurs défenseurs seront fortifiés dans leurs certitudes négatives contre la société israélienne. Les modérés, comme moi, ne peuvent sortir qu’anéantis devant un film sans espérance.

C’est pourquoi, je voudrais finir avec ce poème de Paul Eluard, déjà cité et écrit dans son recueil « Le Phénix »

«La nuit n’est jamais complète
Il y a toujours puisque je le dis
Puisque je l’affirme
Au bout du chagrin
une fenêtre ouverte
Une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille
Désir à combler faim à satisfaire
Un cœur généreux
Une main tendue une main ouverte
Des yeux attentifs
Une vie la vie à se partager.»

Mercredi 17 septembre 2025

« Gaza brûle »
Israël Katz, le ministre de la Défense israélien

C’est mardi 16 septembre au matin que le ministre de la défense israélien a écrit cette phrase : « Gaza brûle ». Et parallèlement, Israël a lancé l’offensive terrestre, dans la nuit du 15 au 16 septembre, sur la ville de Gaza, baptisée « opération Chars de Gédéon II ».

L’objectif déclaré est de faire plier le Hamas dans son dernier bastion et d’obtenir la libération des 48 derniers otages dont seulement 20 sont présumés encore en vie.

Est ce que cet objectif est réaliste ?

Pour l’instant, la guerre de presque 2 ans, ne donne pas beaucoup de crédibilité à la réalisation de cet objectif. Dans leur folie meurtrière, les terroristes du Hamas entraineront certainement leurs otages dans la mort, juste avant de succomber.

Selon cet article de « Courrier International » des familles d’otages, dans la nuit, à l’annonce de l’offensive terrestre, se sont précipités devant la résidence de Benyamin Nétanyahou à Jérusalem pour protester contre ces opérations qui « mettent, selon eux, en danger leurs proches ».

La mère de Matan Zangauker, qui se trouve encore à Gaza dans des propos relayés par le quotidien israélien d’opposition Ha’Aretz a déclaré :

« Le cabinet de la mort a décidé de faire un pas vers la guerre éternelle et l’occupation de Gaza »

Les officiels israéliens assurent :

« Si le Hamas libère les derniers otages vivants et morts qu’il détient, nous arrêterons la guerre. »

Le Hamas est une organisation criminelle, islamiste qui proclame que chaque mort gazaoui est un martyr pour la cause qui sera récompensé dans « le paradis d’Allah » et que la souffrance quotidienne de chaque habitant de Gaza leur vaudra aussi des récompenses dans l’au delà, en plus de faire avancer la cause. Ces fanatiques n’ont que faire de la vie terrestre et de sa qualité. Ce sont des monstres que je ne défends d’aucune façon. Mais ils ne se rendront pas et le gouvernement d’Israël le sait. Donc ce n’est pas pour libérer les otages que cette offensive est lancée. Selon le journal « La Croix » même le chef d’état major israélien exprime des réticences : « Guerre d’Israël contre le Hamas : des doutes jusqu’au chef de Tsahal ».

Il semble crédible que la principale raison de ce carnage, c’est de rendre la vie à Gaza insoutenable pour les Palestiniens et les contraindre à partir.

Partir où ?

La Jordanie et l’Egypte refusent avec force de les accueillir. Il semble que l’état hébreu et les Etats-Unis tentent de trouver des solutions en Afrique. Selon l’agence Associated Press les États-Unis et Israël ont sollicité le Soudan, la Somalie et sa région séparatiste du Somaliland pour qu’ils accueillent les deux millions de Gazaouis. C’est une déportation, cela a un nom : « un nettoyage ethnique » ce qui constitue un crime contre l’humanité selon le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Les actes inhumains tels que la déportation forcée, la persécution et les transferts forcés de population peuvent être qualifiés de crimes contre l’humanité s’ils sont commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile.

Cette nouvelle escalade dans le conflit est assez unanimement condamné : Le ministre allemand des Affaires étrangères, Johann Wadephul, a déclaré que l’offensive allait dans la mauvaise direction et a appelé à une solution diplomatique.
– La ministre britannique des Affaires étrangères, Yvette Cooper, a qualifié l’offensive terrestre d' »irresponsable et effroyable ».
– La Commission européenne a averti que l’intervention militaire entraînerait davantage de destructions, de morts et de déplacements de population.

En Cisjordanie, les exactions des colons à l’égard des Palestiniens s’accentuent. Selon un rapport de Médecins sans Frontière de mai 2025, depuis le 7 octobre 2023, au moins 870 Palestiniens ont été tués et plus de 7 100 ont été blessés. Et désormais, le gouvernement israélien a décidé de mettre en oeuvre le plan de colonisation E1.

Le gouvernement a donné le 20 août un feu vert au projet majeur de construction de logements baptisé “E1”, qui prévoit d’étendre une colonie située à quelques encablures de Jérusalem-Est, ce qui couperait de facto la Cisjordanie en deux. Lors d’une visite à la colonie de Maale Adumim, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré :

« Il n’y aura pas d’État palestinien. Cet endroit nous appartient… Nous préserverons notre patrimoine, notre terre et notre sécurité. Nous allons doubler la population de la ville ». »

Alors que la France, le Royaume Uni, le Canada et 11 autres pays s’apprêtent à reconnaître l’Etat Palestinien à l’ONU, Netanyahu commet un acte pour empêcher cela et donne précisément ses raisons : « Il n’y aura pas d’État palestinien ».

Le ministre des Finances d’extrême droite, Bezalel Smotrich, un ancien dirigeant de colons, a salué la décision du gouvernement israélien, affirmant :

« L’État palestinien est en train d’être effacé de la table, non pas par des slogans, mais par des actes. »

Les ministres d’extrême droite voudrait annexer la Cisjordanie qu’ils appellent Judée Samarie. Ils commettraient alors une nouvelle infraction contre le droit international : ce territoire n’appartient pas à Israël, c’est un territoire occupé par Israël, depuis la guerre de 1967.

Netanyahu, jamais en reste d’une nouvelle formule, a dit lors d’une conférence économique à Tel Aviv, qu’Israël doit devenir une « Super Sparte ».

Sparte est cette cité-État de la Grèce antique, connue pour son organisation militarisée, sa discipline, l’obéissance stricte à l’État, tout ce qui donnera l’adjectif « spartiate » encore utilisé de nos jours.

Pierre Haski sur France Inter décrypte la pensée du premier ministre israélien :

« Le premier message est celui d’un état de guerre inscrit dans la durée. La guerre n’est pas un moment anormal entre des périodes normales, c’est désormais un état permanent. […]
Le deuxième message, c’est celui de l’isolement assumé, de l’autarcie. Benyamin Netanyahou a prévenu ses concitoyens qu’Israël devrait en passer par ce relatif isolement international. Il a évoqué les critiques croissantes en provenance d’Europe, qu’il a attribuées à l’immigration musulmane et à la propagande du Qatar et de la Chine sur les réseaux sociaux. »

La question qu’on peut poser, peut être doit poser au bout de cette litanie de constats consternants : c’est où et quand qu’on tracera la Ligne rouge ? La ligne où l’Union européenne et la France commenceront à sanctionner Israël pour que cela cesse ! C’est aussi la question que pose Nadav LAPID le cinéaste israélien dont le film « Oui » vient de sortir ce mercredi. Il était l’invité de « C ce soir » de mardi et il posait précisément cette question. Il fut aussi, lundi, l’invité de Sonia Devilliers sur France Inter : « La réalité israélienne est une réalité stéroïdée, qui ouvre une fenêtre sur l’horreur qui peut arriver »

Il existe pourtant des voix autorisées en Israël comme Ehud Olmert, ancien premier ministre et ancien Vice-Premier ministre de Sharon qui disent que la guerre doit cesser et qui soutiennent encore la solution à deux États.

Lors d’un entretien dans « le Grand Continent » du 25 juillet 2025, il déclarait :

« Au fond, il n’y a que deux options.
La première est de continuer à se battre indéfiniment. C’est ce que nous faisons entre Israéliens et Palestiniens depuis 77 ans environ. Nous pouvons poursuivre dans cette voie encore longtemps. Cela conduira à davantage de sang versé, d’Israéliens et de Palestiniens tués, sans qu’aucun changement radical n’ouvre un nouvel horizon.
L’autre option est d’essayer de faire la paix.
Or, il n’existe, à mes yeux, qu’un seul chemin vers une paix durable : la solution à deux États. Bien que cela puisse prendre du temps, tôt ou tard, chacun finira par reconnaître cette réalité incontournable : il n’existe pas d’alternative crédible à la solution à deux États.
Il est clair que le gouvernement actuel repose sur l’opposition à cette solution politique. Il ne s’y oppose pas seulement sur tel ou tel point : il est farouchement opposé à sa substance même.

C’est la raison pour laquelle, pour avancer, Netanyahou doit être démis de ses fonctions.»

Mercredi, le 3 septembre 2025

« Comment le mouvement pour les droits des homosexuels s’est radicalisé et a perdu son sens »
Andrew Sullivan

Nous nous posons tous la question : comment la démocratie en est elle arrivée là ?

Partout dans le monde les démocraties reculent.

L’espoir qui a été suscité, dans les années 90, par la chute des régimes totalitaires communistes et soviétiques, aura été de courte durée. En 1992, on dénombrait, pour la première fois de l’histoire, plus de régimes démocratiques, que de régimes autoritaires.Dans les années 2000, l’humanité semblerait avoir atteint un plateau sur lequel les démocraties représentait environ 60% des Etats.

« Le Grand Continent » a évoqué l’indice démocratique global 2024 publié le 27 février 2025, par The Economist Intelligence Unit (EIU) qui estime qu’il n’y a plus que 71 pays sur 195 dans le monde, soit 38,5%, qui peuvent être considérés comme des démocraties. Rapporté à la population, cette évaluation amène l’institut d’analyse à estimer que 6,6 % de la population mondiale vit dans une démocratie.

Et, en allant plus loin dans son analyse par une distinction entre “vraie démocratie” et “démocratie défectueuse”, l’EIU estime que la vraie démocratie ne se trouve que dans 25 pays

Les Etats-Unis, comme la France étaient classés, en 2024, dans les démocraties défectueuses. Il est probable que depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, en janvier 2025, les Etats-Unis sont tombés encore plus bas dans ce que l’EIU désigne comme des régimes hybrides, entre démocratie et régime autoritaire.

Force est de constater que c’est un vote démocratique, au delà du vote par les grands électeurs, d’une majorité d’américains qui a élu Donald Trump. Les citoyens américains savaient comment agissait cet homme, puisqu’il avait déjà été président pendant 4 ans. Ils l’ont réélu.

« Errare humanum est, perseverare diabolicum » diront ceux qui pensent que le monde du bien s’oppose au monde du mal et que ceux qui se trouvent dans ce second camp sont soit des imbéciles soit des salauds. Je récuse ce simplisme.

Comment peut t’on comprendre qu’au delà d’un noyau d’évangélistes, de racistes et de masculinistes, une majorité de citoyens se soient finalement ralliés à cette candidature au détriment de celle des démocrates ?

Les explications sont multiples. Il y a manifestement une révolte de la classe moyenne contre les effets de la mondialisation qui leur a été défavorable. Il y a une perception d’une immigration massive, mal gérée, mal intégrée qui a permis à Trump de faire des promesses démagogiques qui ont plu. Il y a encore, ce que Marcel Gauchet appelle « Le sentiment d’impuissance des démocraties ».

Il semble, en effet, que la démocratie n’arrive plus à obtenir des résultats d’une part en raison de l’économie qui est mondialisée et sur laquelle elle n’a que peu de prise, d’autre part parce qu’elle a généré, en son sein, un culte de la liberté individuelle qui conduit l’ordre judiciaire à s’opposer à des décisions d’autorité et à empêcher le pouvoir politique à agir. Donald Trump a convaincu les américains qu’il était capable d’agir sur ces tableaux : un interventionnisme économique à travers les droits de douane et un refus de se plier aux décisions judiciaires notamment en demandant à la Cour Suprême qui lui est largement favorable, d’infirmer les décisions judiciaires qui lui sont défavorables.

Il n’y a pas une cause, il y a toutes celles que j’ai évoquées. Il y en a certainement que j’oublie.

Et puis il y en a une qui me semble aussi importante. Beaucoup parle d’« anti-wokisme », je préfère au mot woke celui de « progressisme ostentatoire », en référence au concept inventé par Thorstein Veblen « La consommation ostentatoire ».

J’ai eu la surprise de découvrir que c’est dans le « New York Times » qui était en pointe du combat d’un progressisme sans limite et sans interrogation qu’un journaliste écrivant régulièrement dans ce journal, Andrew Sullivan a publié une tribune le 26 juin 2025, montrant les excès et l’intolérance de ce mouvement porté par une minorité du Parti Démocrate et rejeté par une majorité de l’électorat populaire américain.

Pour se convaincre qu’il s’agit d’une rupture dans la politique éditoriale du New Tork Times, je vous renvoie vers cet article de l’hebdomadaire « Le Point » : « Bari Weiss : Pourquoi j’ai quitté le New York Times ». Article dans lequel cette journaliste évoque la délation, la censure, l’obsession de l’identité et la dérive sectaire de cette institution américaine en 2020.

Cette fois, le journal a accepté de publier cette tribune d’un journaliste gay présenté comme l’un des premiers défenseurs américains du mariage homosexuel. Cette tribune a pour titre « How the Gay Rights Movement Radicalized, and Lost Its Way », qu’on pourrait traduire par « Comment le mouvement pour les droits des homosexuels s’est radicalisé et a perdu son sens ». Vous trouverez cet article sur le site du New York Times, l’accès est payant. Mais vous pouvez trouver cette tribune sur d’autres sites dans sa « version anglaise » et une « traduction française »

Andrew Sullivan énumère d’abord les combats gagnés par les homosexuels et les lesbiennes lors d’une décennie incroyable

« Il y a dix ans, jeudi, le mouvement pour l’égalité des droits des personnes gays et lesbiennes a remporté une victoire qui, dix ans plus tôt, paraissait inimaginable : nous avons obtenu le droit au mariage civil dans tous les États-Unis.
En 2020, une autre victoire retentissante a suivi. Dans une décision majoritaire rédigée par l’un des candidats nommés par le président Trump, le juge Neil Gorsuch, la Cour suprême a estimé que les hommes gays, les lesbiennes et les personnes transgenres étaient couverts par le Titre VII du Civil Rights Act de 1964 et protégés contre la discrimination par les employeurs.
En 2024, le Parti républicain a retiré de son programme son opposition au mariage pour tous, et l’actuel secrétaire au Trésor républicain, Scott Bessent, est un homme gay marié avec deux enfants. Le mariage homosexuel est soutenu par environ 70 % des Américains, et 80 % s’opposent aux discriminations visant les gays, les lesbiennes et les personnes transgenres.
En matière de droits civiques, il est difficile de faire plus décisif ou complet que cela. »

Et puis…
En français courant il existe une expression appropriée : c’est parti en quenouille.

« Mais une chose étrange s’est produite après ces triomphes. Au lieu de célébrer la victoire, de défendre ces acquis, de rester vigilants tout en alentissant le rythme en tant que mouvement ayant atteint ses objectifs principaux — y compris la fin du VIH en tant que fléau incontrôlable aux États-Unis —, les groupes de défense des droits des personnes gays et lesbiennes ont fait le contraire. Influencés par le virage plus large de la gauche « justice sociale », ils se sont radicalisés. »

Et il donne un premier exemple de ces excès :

« En 2023, la Human Rights Campaign, le plus grand groupe de défense des droits des gays, lesbiennes et transgenres du pays, a déclaré un « état d’urgence » pour ces communautés — une première dans l’histoire de l’organisation. Elle n’avait pas déclaré d’état d’urgence lorsque des hommes gays étaient emprisonnés pour avoir eu des relations sexuelles en privé, ni lorsque l’épidémie de sida a tué des centaines de milliers d’hommes gays, ni lorsque nous avons été confrontés à un projet d’amendement constitutionnel interdisant le mariage homosexuel en 2004.
En réalité, cet « état d’urgence » était presque entièrement lié à de nouveaux projets de loi étatiques visant à restreindre les traitements médicaux pour les mineurs souffrant de dysphorie de genre, aux interdictions d’accès aux toilettes et vestiaires, ainsi qu’à l’intégration des questions transgenres dans les programmes scolaires et le sport »

Cette tribune est assez longue (près de 5000 mots), et je vous invite à la lire car elle me semble révélatrice d’un mouvement en train de dérailler au détriment de celles et de ceux qu’il s’agissait de défendre.

Les droits civiques des homosexuels et des lesbiennes ayant été acquis, une autre révolution était en route celle du genre dont le projet prétend vouloir supprimer toutes les limites perçues comme oppressives.

La binarité sexuelle associée à la « suprématie blanche » est remplacée par un spectre large de sexes, ce qui revient à supprimer la différence entre hommes et femmes. Il constate que les mots « gay » et « lesbienne » ont quasiment disparu. LGBT est devenu LGBTQ, puis LGBTQ +, et d’autres lettres et caractères ont été ajoutés. Il fait le constat que ces groupes ont renié leur engagement et ont imposé à toute la société un changement radical à coups de slogans comme le fait que le sexe était assigné à la naissance et non constaté.

Autre mantra selon lui : « Les femmes trans sont des femmes, les hommes trans sont des hommes. » Ce n’est pas une proposition, c’est « un commandement théologique », dit-il.

Dès le plus jeune âge, on peut apprendre à des enfants qu’être fille ou garçon relevait d’un choix et qu’on pouvait en changer. Une transition sociale (changement de prénom et de pronom) est possible sans l’autorisation parentale (aux États-Unis).

Le plus grave dans ce mouvement est que toute contradiction, toute critique est interdite. Ceux qui osent s’exprimer sont réduits au silence, disqualifiés publiquement. L’intolérance fait loi, l’autocensure devient la norme.

Dans un podcast publié le 6 août 2025, Hubert Vedrine disait précisément :

« C’était évident depuis longtemps, que l’électorat populaire américain n’accepterait jamais le wokisme. Jamais ! […] On ne va pas débattre du wokisme, parce qu’il peut y avoir de bonnes intentions, mais l’électorat américain le rejetait fondamentalement. »

Comme je l’ai écrit, Hubert Vedrine se garde de prétendre qu’il s’agit de l’unique raison de l’élection à deux reprises de Donald Trump. Dans ce même podcast, il avait cité préalablement d’autres causes :

« Il y a des signes avant-coureurs dans l’électorat populaire américain depuis très longtemps que d’abord la mondialisation à outrance décidé notamment par les élites démocrates, mais pas que. L’idée qu’on a tellement, nous les Américains, gagné après la fin de l’URSS qu’on peut mettre la Chine dans l’OMC même si elle ne remplit pas les critères parce que ça va les rendre plus riche et donc démocratique voyez ce degré d’d’illusion et de toute façon on est les maîtres du jeu. Donc ça c’est l’Amérique depuis assez longtemps. Alors il y a beaucoup du coup on va faire fabriquer une en Chine parce que c’est 50 fois moins cher. Donc ils ont détruit la classe moyenne américaine, ils ont créé l’électorat de Trump. »

Aujourd’hui, le gouvernement de Trump va dans l’excès inverse et en voulant lutter contre le wokisme impose d’autres interdits et fait preuve d’une même intolérance : « Comment la droite américaine a tué le wokisme, pour mieux imposer le sien ».

Alors si des esprits taquins souhaitent me poser la question : entre le progressisme ostentatoire et la réaction obscurantiste trumpiste que préfères-tu ? Je répondrai par cette pensée de la sagesse juive :

« Si on te demande de choisir entre deux solutions, prends toujours la troisième ! »