Mercredi, le 3 septembre 2025

« Comment le mouvement pour les droits des homosexuels s’est radicalisé et a perdu son sens »
Andrew Sullivan

Nous nous posons tous la question : comment la démocratie en est elle arrivée là ?

Partout dans le monde les démocraties reculent.

L’espoir qui a été suscité, dans les années 90, par la chute des régimes totalitaires communistes et soviétiques, aura été de courte durée. En 1992, on dénombrait, pour la première fois de l’histoire, plus de régimes démocratiques, que de régimes autoritaires.Dans les années 2000, l’humanité semblerait avoir atteint un plateau sur lequel les démocraties représentait environ 60% des Etats.

« Le Grand Continent » a évoqué l’indice démocratique global 2024 publié le 27 février 2025, par The Economist Intelligence Unit (EIU) qui estime qu’il n’y a plus que 71 pays sur 195 dans le monde, soit 38,5%, qui peuvent être considérés comme des démocraties. Rapporté à la population, cette évaluation amène l’institut d’analyse à estimer que 6,6 % de la population mondiale vit dans une démocratie.

Et, en allant plus loin dans son analyse par une distinction entre “vraie démocratie” et “démocratie défectueuse”, l’EIU estime que la vraie démocratie ne se trouve que dans 25 pays

Les Etats-Unis, comme la France étaient classés, en 2024, dans les démocraties défectueuses. Il est probable que depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, en janvier 2025, les Etats-Unis sont tombés encore plus bas dans ce que l’EIU désigne comme des régimes hybrides, entre démocratie et régime autoritaire.

Force est de constater que c’est un vote démocratique, au delà du vote par les grands électeurs, d’une majorité d’américains qui a élu Donald Trump. Les citoyens américains savaient comment agissait cet homme, puisqu’il avait déjà été président pendant 4 ans. Ils l’ont réélu.

« Errare humanum est, perseverare diabolicum » diront ceux qui pensent que le monde du bien s’oppose au monde du mal et que ceux qui se trouvent dans ce second camp sont soit des imbéciles soit des salauds. Je récuse ce simplisme.

Comment peut t’on comprendre qu’au delà d’un noyau d’évangélistes, de racistes et de masculinistes, une majorité de citoyens se soient finalement ralliés à cette candidature au détriment de celle des démocrates ?

Les explications sont multiples. Il y a manifestement une révolte de la classe moyenne contre les effets de la mondialisation qui leur a été défavorable. Il y a une perception d’une immigration massive, mal gérée, mal intégrée qui a permis à Trump de faire des promesses démagogiques qui ont plu. Il y a encore, ce que Marcel Gauchet appelle « Le sentiment d’impuissance des démocraties ».

Il semble, en effet, que la démocratie n’arrive plus à obtenir des résultats d’une part en raison de l’économie qui est mondialisée et sur laquelle elle n’a que peu de prise, d’autre part parce qu’elle a généré, en son sein, un culte de la liberté individuelle qui conduit l’ordre judiciaire à s’opposer à des décisions d’autorité et à empêcher le pouvoir politique à agir. Donald Trump a convaincu les américains qu’il était capable d’agir sur ces tableaux : un interventionnisme économique à travers les droits de douane et un refus de se plier aux décisions judiciaires notamment en demandant à la Cour Suprême qui lui est largement favorable, d’infirmer les décisions judiciaires qui lui sont défavorables.

Il n’y a pas une cause, il y a toutes celles que j’ai évoquées. Il y en a certainement que j’oublie.

Et puis il y en a une qui me semble aussi importante. Beaucoup parle d’« anti-wokisme », je préfère au mot woke celui de « progressisme ostentatoire », en référence au concept inventé par Thorstein Veblen « La consommation ostentatoire ».

J’ai eu la surprise de découvrir que c’est dans le « New York Times » qui était en pointe du combat d’un progressisme sans limite et sans interrogation qu’un journaliste écrivant régulièrement dans ce journal, Andrew Sullivan a publié une tribune le 26 juin 2025, montrant les excès et l’intolérance de ce mouvement porté par une minorité du Parti Démocrate et rejeté par une majorité de l’électorat populaire américain.

Pour se convaincre qu’il s’agit d’une rupture dans la politique éditoriale du New Tork Times, je vous renvoie vers cet article de l’hebdomadaire « Le Point » : « Bari Weiss : Pourquoi j’ai quitté le New York Times ». Article dans lequel cette journaliste évoque la délation, la censure, l’obsession de l’identité et la dérive sectaire de cette institution américaine en 2020.

Cette fois, le journal a accepté de publier cette tribune d’un journaliste gay présenté comme l’un des premiers défenseurs américains du mariage homosexuel. Cette tribune a pour titre « How the Gay Rights Movement Radicalized, and Lost Its Way », qu’on pourrait traduire par « Comment le mouvement pour les droits des homosexuels s’est radicalisé et a perdu son sens ». Vous trouverez cet article sur le site du New York Times, l’accès est payant. Mais vous pouvez trouver cette tribune sur d’autres sites dans sa « version anglaise » et une « traduction française »

Andrew Sullivan énumère d’abord les combats gagnés par les homosexuels et les lesbiennes lors d’une décennie incroyable

« Il y a dix ans, jeudi, le mouvement pour l’égalité des droits des personnes gays et lesbiennes a remporté une victoire qui, dix ans plus tôt, paraissait inimaginable : nous avons obtenu le droit au mariage civil dans tous les États-Unis.
En 2020, une autre victoire retentissante a suivi. Dans une décision majoritaire rédigée par l’un des candidats nommés par le président Trump, le juge Neil Gorsuch, la Cour suprême a estimé que les hommes gays, les lesbiennes et les personnes transgenres étaient couverts par le Titre VII du Civil Rights Act de 1964 et protégés contre la discrimination par les employeurs.
En 2024, le Parti républicain a retiré de son programme son opposition au mariage pour tous, et l’actuel secrétaire au Trésor républicain, Scott Bessent, est un homme gay marié avec deux enfants. Le mariage homosexuel est soutenu par environ 70 % des Américains, et 80 % s’opposent aux discriminations visant les gays, les lesbiennes et les personnes transgenres.
En matière de droits civiques, il est difficile de faire plus décisif ou complet que cela. »

Et puis…
En français courant il existe une expression appropriée : c’est parti en quenouille.

« Mais une chose étrange s’est produite après ces triomphes. Au lieu de célébrer la victoire, de défendre ces acquis, de rester vigilants tout en alentissant le rythme en tant que mouvement ayant atteint ses objectifs principaux — y compris la fin du VIH en tant que fléau incontrôlable aux États-Unis —, les groupes de défense des droits des personnes gays et lesbiennes ont fait le contraire. Influencés par le virage plus large de la gauche « justice sociale », ils se sont radicalisés. »

Et il donne un premier exemple de ces excès :

« En 2023, la Human Rights Campaign, le plus grand groupe de défense des droits des gays, lesbiennes et transgenres du pays, a déclaré un « état d’urgence » pour ces communautés — une première dans l’histoire de l’organisation. Elle n’avait pas déclaré d’état d’urgence lorsque des hommes gays étaient emprisonnés pour avoir eu des relations sexuelles en privé, ni lorsque l’épidémie de sida a tué des centaines de milliers d’hommes gays, ni lorsque nous avons été confrontés à un projet d’amendement constitutionnel interdisant le mariage homosexuel en 2004.
En réalité, cet « état d’urgence » était presque entièrement lié à de nouveaux projets de loi étatiques visant à restreindre les traitements médicaux pour les mineurs souffrant de dysphorie de genre, aux interdictions d’accès aux toilettes et vestiaires, ainsi qu’à l’intégration des questions transgenres dans les programmes scolaires et le sport »

Cette tribune est assez longue (près de 5000 mots), et je vous invite à la lire car elle me semble révélatrice d’un mouvement en train de dérailler au détriment de celles et de ceux qu’il s’agissait de défendre.

Les droits civiques des homosexuels et des lesbiennes ayant été acquis, une autre révolution était en route celle du genre dont le projet prétend vouloir supprimer toutes les limites perçues comme oppressives.

La binarité sexuelle associée à la « suprématie blanche » est remplacée par un spectre large de sexes, ce qui revient à supprimer la différence entre hommes et femmes. Il constate que les mots « gay » et « lesbienne » ont quasiment disparu. LGBT est devenu LGBTQ, puis LGBTQ +, et d’autres lettres et caractères ont été ajoutés. Il fait le constat que ces groupes ont renié leur engagement et ont imposé à toute la société un changement radical à coups de slogans comme le fait que le sexe était assigné à la naissance et non constaté.

Autre mantra selon lui : « Les femmes trans sont des femmes, les hommes trans sont des hommes. » Ce n’est pas une proposition, c’est « un commandement théologique », dit-il.

Dès le plus jeune âge, on peut apprendre à des enfants qu’être fille ou garçon relevait d’un choix et qu’on pouvait en changer. Une transition sociale (changement de prénom et de pronom) est possible sans l’autorisation parentale (aux États-Unis).

Le plus grave dans ce mouvement est que toute contradiction, toute critique est interdite. Ceux qui osent s’exprimer sont réduits au silence, disqualifiés publiquement. L’intolérance fait loi, l’autocensure devient la norme.

Dans un podcast publié le 6 août 2025, Hubert Vedrine disait précisément :

« C’était évident depuis longtemps, que l’électorat populaire américain n’accepterait jamais le wokisme. Jamais ! […] On ne va pas débattre du wokisme, parce qu’il peut y avoir de bonnes intentions, mais l’électorat américain le rejetait fondamentalement. »

Comme je l’ai écrit, Hubert Vedrine se garde de prétendre qu’il s’agit de l’unique raison de l’élection à deux reprises de Donald Trump. Dans ce même podcast, il avait cité préalablement d’autres causes :

« Il y a des signes avant-coureurs dans l’électorat populaire américain depuis très longtemps que d’abord la mondialisation à outrance décidé notamment par les élites démocrates, mais pas que. L’idée qu’on a tellement, nous les Américains, gagné après la fin de l’URSS qu’on peut mettre la Chine dans l’OMC même si elle ne remplit pas les critères parce que ça va les rendre plus riche et donc démocratique voyez ce degré d’d’illusion et de toute façon on est les maîtres du jeu. Donc ça c’est l’Amérique depuis assez longtemps. Alors il y a beaucoup du coup on va faire fabriquer une en Chine parce que c’est 50 fois moins cher. Donc ils ont détruit la classe moyenne américaine, ils ont créé l’électorat de Trump. »

Aujourd’hui, le gouvernement de Trump va dans l’excès inverse et en voulant lutter contre le wokisme impose d’autres interdits et fait preuve d’une même intolérance : « Comment la droite américaine a tué le wokisme, pour mieux imposer le sien ».

Alors si des esprits taquins souhaitent me poser la question : entre le progressisme ostentatoire et la réaction obscurantiste trumpiste que préfères-tu ? Je répondrai par cette pensée de la sagesse juive :

« Si on te demande de choisir entre deux solutions, prends toujours la troisième ! »

Mercredi 17 mai 2023

« Être soi-même ne devrait jamais être un crime. » »
António Guterres Secrétaire général de l’ONU dans son message du 11 mai 2023

Avant on parlait d’homophobie, et le 17 mai était désigné par l’ONU comme « La journée internationale contre l’homophobie »

Désormais, l’ONU parle, en 2023, de « La Lutte contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie »

Le Conseil de l’Europe, en est resté à la première appellation : « Journée internationale contre l’homophobie »

Une journée internationale (ou journée mondiale) est un jour de l’année dédié à un thème particulier à un niveau international ou mondial. Le calendrier de l’Organisation des Nations unies en prévoit plus de 140.
La date choisie a toujours un rapport avec l’objet de la journée.
Ainsi, la première ayant été instituée, le fut en 1950 : « La journée mondiale des droits de l’homme » fut fixée au 10 décembre.

L’explication tient au fait que le 10 décembre 1948, l’Assemblée générale des Nations unies avait adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Alors pourquoi le 17 mai, pour lutter contre l’Homophobie ?

Parce que le 17 mai 1990 l’Organisation Mondiale de la Santé a décidé de ne plus considérer l’homosexualité comme une maladie mentale !

Ce n’est pas très ancien, 1990, c’était il y a 33 ans !

La France l’avait fait en 1981 avec l’arrivée de la Gauche et de Mitterrand au pouvoir. Ce n’était que 9 ans avant…

La journée est originaire du Québec. La Fondation Émergence a créé en 2003 la première journée nationale contre l’homophobie.
Mais la première journée, organisée à un niveau international, eu lieu le 17 mai 2005 grâce à Louis-Georges Tin, un professeur et activiste français. Il a été le président du Comité IDAHO (du nom de la journée en anglais, International Day Against Homophobia and Transphobia) entre 2005 et 2013.

Dans son message du 11 mai 2023 qui annonçait la journée du 17 mai, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, disait :

« Alors que nous célébrons la Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, la constatation est saisissante. Partout dans le monde, les personnes LGBTQI+ continuent de connaître la violence, la persécution, les discours haineux, l’injustice, voire le meurtre pur et simple.

Parallèlement, des lois rétrogrades continuent de criminaliser les personnes LGBTQI+ dans le monde, les punissant du simple fait d’être elles-mêmes.

Chaque agression contre les personnes LGBTQI+ est une agression contre les droits humains et les valeurs qui nous sont chères.

Nous ne pouvons pas faire marche arrière et nous ne le ferons pas.

L’ONU soutient fermement la communauté LGBTQI+ et ne cessera son action que lorsque les droits humains et la dignité seront une réalité pour toutes les personnes.

Je demande à nouveau à tous les États Membres de respecter la Déclaration universelle des droits de l’homme et de mettre fin à la criminalisation des relations consensuelles entre personnes du même sexe et à celle des personnes transgenres. Être soi-même ne devrait jamais être un crime. »

Pour ceux qui ne connaissent pas précisément le sigle LGBTQI+, en voici le détail : Par L, on entend « Lesbiennes », par G « Gays », par B « Bisexuel·le·s », par T « Trans », par Q « Queers », par I « Intersexué·e·s », par A « Asexuel·le·s » ou « Aromantique·s » et le + inclut les nombreux autres termes désignant les genres et les sexualités. Plus précisément Queer, en anglais, signifie bizarre, inadapté, C’est le mot que l’on lançait à ceux qui n’étaient pas assez masculins, aux femmes aux allures de garçonnes, aux êtres dont le genre brouille les pistes. Bref, ce sigle entend englober toutes les tendances sexuelles.

Mais dans le monde cette journée n’est célébrée que dans environ 60 Etats. C’est ce qu’on lit sur ce <site> qui rappelle aussi que la dernière exécution par la France s’est déroulée, à Paris, en Place de grève (c’est-à-dire la Place de l’Hôtel de Ville) le 6 juillet 1750 : Bruno Lenoir et Jean Diot furent brulés après avoir été étranglés.

Le site de la journée mondiale nous apprend que :

« Dans 72 états au moins, les actes homosexuels sont condamnés par la loi (Algérie, Sénégal, Cameroun, Ethiopie, Liban, Jordanie, Arménie, Koweït, Porto Rico, Nicaragua, Bosnie…) ; dans plusieurs pays, cette condamnation peut aller au-delà de dix ans (Nigeria, Libye, Syrie, Inde, Malaisie, Cuba, Jamaïque…) ; parfois, la loi prévoit la détention à perpétuité (Guyana, Ouganda). Et dans une dizaine de nations, la peine de mort peut être effectivement appliquée (Afghanistan, Iran, Arabie Saoudite…).
En Afrique, récemment, plusieurs présidents de la république ont brutalement réaffirmé leur volonté de lutter personnellement contre ce fléau selon eux « anti-africain « . Dans d’autres pays, les persécutions se multiplient. Au Brésil par exemple, les Escadrons de la mort et les skin heads sèment la terreur : 1960 meurtres homophobes ont pu être recensés officiellement entre 1980 et 2000. Dans ces conditions, il paraît difficile de penser que la « tolérance » gagne du terrain. Au contraire, dans la plupart de ces Etats, l’homophobie semble aujourd’hui plus violente qu’hier. La tendance n’est donc pas à l’amélioration générale, tant s’en faut. »

En effet, l’homophobie semble ne pas régresser sur une grande partie de l’humanité. Poutine est parmi ceux qui sont ouvertement homophobes et qui dénoncent la lutte contre l’homophobie comme une valeur occidentale qu’il faut combattre.<En Ouganda> le Président Yoweri Museveni vient de promulguer une loi anti-homosexualité 2023. Joe Biden a dénoncé une « atteinte tragique » aux droit humains.

Au Maroc, une enseignante d’une classe de CM1 de l’école primaire française Honoré-de-Balzac de Kénitra, dans laquelle elle travaillait depuis 30 ans, a été suspendue suite à la plainte de parent d’élèves pour soi-disant « apologie de l’homosexualité ». La majorité des parents la soutiennent et considèrent cette sanction comme une injustice.

Mais <Libération> précise :

« Apologie de l’homosexualité». Au Maroc, l’accusation est grave. Dans un pays où l’homosexualité est punie jusqu’à trois ans d’emprisonnement, la « propagande LGBT» est considérée comme une atteinte à la religion et est donc encore plus sévèrement condamnée, avec des peines allant de trois à cinq ans de prison. »

L’affaire est devant la justice marocaine.

J’en avais déjà parlé lors du <mot du jour du 14 septembre 2022>, comme chaque année, le monde du football a organisé la journée dédiée à la lutte contre l’homophobie, pour laquelle il était demandé que les joueurs des 20 équipes de Ligue 1 arborent un maillot floqué de l’arc-en-ciel des fiertés LGBT, en marque de soutien.

Plusieurs joueurs ont comme l’année dernière refusé de porter ce brassard et ont alors été écarté par leur club et n’ont pas joué lors de cette journée. Parmi eux je citerais le marocain jouant à Toulouse Zakaria Aboukhlal parce qu’il a essayé de justifier sa position :

« Je tiens à souligner que j’ai la plus grande estime pour chaque individu, quels que soient ses préférences personnelles, son sexe, sa religion ou ses origines. c’est un principe que l’on ne soulignera jamais assez. Le respect est une valeur que j’estime beaucoup. Il s’étend aux autres mais comprend également le respect de mes propres croyances personnelles. Par conséquent, je ne crois pas être la personne la plus appropriée pour participer à cette campagne. J’espère sincèrement que ma décision sera respectée, tout comme nous souhaitons tous d’être traités avec respect. »

La campagne dont il parle ne lui demande pas de devenir homosexuel, mais simplement de rejeter toute forme de discrimination à leur égard.

Dans « L’Equipe » du 16 mai 2023, on peut lire la réponse d’un ancien joueur de Toulouse, Ouissem Belgacem, franco-tunisien et qui revendique la même religion musulmane que Zakaria Aboukhlal :

« [Je ne le comprends pas] Il est en train de dire : « Je suis homophobe et respectez-moi » Sauf que dans notre pays, l’homophobie est punie par la loi. C’est décevant et lâche. Il y a des millions de Français de confession musulmane qui n’ont aucun problème avec l’homosexualité. En faisant ce choix, il nourrit [le sentiment anti musulman] en France. […] Les gens vont conclure que ce n’est pas le football qui a un problème avec l’homosexualité mais les footballeurs musulmans »

Ouissem Belgacem a écrit un livre « Adieu ma honte » dans lequel il parle de son homosexualité et du monde du football par rapport à ce sujet. Dans l’article il a encore cette formule : « Raciste ou homophobe, c’est pareil. »

L’homophobe qui demande le respect s’est trouvé mêlé à une autre histoire de respect. Cet épisode est aussi relaté dans l’Equipe.

Comme le club de Toulouse avait gagné la Coupe de France, la Mairie de Toulouse avait organisé une fête dans ses locaux. Et pendant le discours du Maire, avec d’autres joueurs il faisait beaucoup de bruit. Alors, Laurence Arribagé, adjointe aux Sports à la mairie de Toulouse, leur a demandé de faire moins de bruit.

Zakaria Aboukhlal  a alors interpellé l’élue toulousaine par ces mots :

«  Dans mon pays les femmes ne parlent pas aux hommes comme cela »

Cet individu veut donc que l’on respecte son homophobie et que la femme respecte l’homme en ne le critiquant jamais.

Cette vision du « respect » ne me parait pas très respectable.

Mais aux États-Unis, dans certains États, la situation est tout aussi préoccupante.

En Floride, le gouverneur Ron Santis qui a pour ambition de gagner les primaires républicaines contre Trump, puis de devenir Président des Etats-Unis, s’est attaqué aux livres dans les écoles qui font mention de l’homosexualité, il a aussi attaqué Walt Disney qu’il juge trop inclusif.

Et maintenant comme le révèle <France Info> il entend aller plus loin et publier une Loi prévoyant que les médecins auraient la possibilité d’opposer une clause de conscience, leur permettant de refuser de soigner un patient si celui-ci n’est pas en phase avec leur vision des mœurs. « Je ne peux pas vous soigner, votre orientation sexuelle me l’interdit »

Ceci me conduit à deux conclusions :

  • Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites !
  • Les fondamentalistes de toutes les religions se rejoignent dans leur intolérance et leur rejet de ceux qu’ils accusent d’être déviants, alors qu’ils ne sont que différents de ce que leur raconte le récit auquel ils adhérent.

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Lundi 13 mars 2023

« La femme de Tchaïkovski »
Film de Kirill Serebrennikov

Elle s’appelait Antonina Milioukova :

Le 6 juillet 1877, en l’Eglise Saint George de Moscou, elle devint Madame Tchaïkovski, l’épouse du plus grand compositeur russe de l’Histoire Piotr Ilitch Tchaïkovski.

Kirill Serebrennikov l’un des grands réalisateurs et metteurs en scène russe, qui vit désormais à Berlin a poursuivi le projet de consacrer un film à cette femme.

Avec Annie, nous sommes allés voir ce film après avoir entendu le réalisateur invité de Léa Salamé : « Il est absolument impossible que mon film soit montré en Russie »

C’est un film qui selon nous dégage une grande force.

C’est un film de malheur, de malaise, d’humiliation et d’entêtement.

Le malheur provient du fait que ce mariage est un désastre, il ne sera jamais consommé. Après trois mois Tchaïkovski fuit, tombe en dépression et fait même une tentative de suicide. Dans le film Srebrennikov montre une scène dans laquelle Tchaïkovski tente d’étrangler sa femme.

Le malaise c’est le non-dit, des situations pénibles dans lesquelles va se retrouver Antonina Milioukova, dans un monde d’hommes dans lequel aucune place ne lui est accordée.

L’humiliation est celle que Tchaikovsky et ses proches lui imposent pour se débarrasser d’elle, pour l’éloigner

Et l’entêtement est celle de cette femme qui refuse le divorce et veut rester l’épouse de Tchaïkovski.

Igor Minaev et Olga Mikhaïlova, dans leur livre : « Madame Tchaïkovski : chronique d’une enquête » explique

« Dans sa notice nécrologique on pouvait lire : «Tchaïkovski est mort célibataire» mais lors des funérailles du compositeur, le 11 octobre 1893, les gens furent pris de stupeur à la lecture de l’inscription sur une des couronnes : «De la part de sa femme aimante».  »

Le 1er décembre 2016, j’avais écrit un mot du jour : « La symphonie Pathétique » qui est la dernière œuvre du compositeur. Il l’a créé sous sa direction à Saint-Pétersbourg, le 28 octobre 1893 et 9 jours après, il est mort à l’âge de 53 ans.

Dans ce mot du jour, j’évoquais la thèse défendue par certain, notamment l’écrivaine Nina Berberova, du suicide du compositeur suite à une décision de condamnation à mort par un tribunal d’honneur. Cette thèse est controversée.

Mais le cœur de tout cela que plus personne ne conteste c’est l’homosexualité de Tchaïkovski.

Une homosexualité inavouable dans la société de cette époque et pour Tchaïkovski exclusive : il ne supportait pas les attouchements avec un corps féminin.

Il écrira quelques mois après les noces à son jeune frère Modeste :

« Je l’avais bien prévenue qu’elle ne pouvait compter que sur un amour fraternel. Physiquement, ma femme m’inspire à présent une répulsion totale »

Deux ans avant son mariage, en 1876, il avait écrit toujours à Modeste :

« Je voudrais, par un mariage ou du moins par une liaison déclarée avec une femme, faire taire certaines créatures méprisables. »

Dans le film, Srebrennikov, montre une Antonina qui poursuit Tchaïkovski avec passion pour lui demander le mariage auquel il finit par céder.

L’actrice qui joue le rôle d’Antonina est extraordinaire et a pour nom Alyona Mikhailova.

« Le Masque et la Plume» ont trouvé à une exception près ce film magnifique, mais c’est de manière unanime qu’ils ont reconnu la performance d’Alyona Mikhailova. Et ils ont dénoncé comme une injustice que le dernier festival de Cannes, où ce film était présenté, ne lui ait pas décerné le Prix d’interprétation féminine,
Tout le monde sait que Tchaikovski était homo-sexuel. Mais le gouvernement russe, comme avant le gouvernement soviétique, comme avant le gouvernement tsariste ne veut pas le reconnaître.

Lorsque Kirill Serebrennikov présente son projet au ministre russe de la Culture, ce dernier lui répond

« Tchaïkovski n’était pas homosexuel, vous n’êtes pas autorisé à le laisser penser dans votre film, nous avons besoin d’un film sur Tchaïkovski hétérosexuel ».

Serebrennikov explique à Léa Salamé :

« Ce que j’ai trouvé repoussant, c’est cette commande propagandiste : quand on dicte à une équipe de tournage qu’il faut faire comme-ci, ou comme ça, c’est comme si le mensonge devenait une idéologie de propagande ».

Concernant son film il décrit son projet :

« Ces deux personnes ont été en vraie dépression, mais Tchaïkovski a réussi à rester un grand compositeur. Antonina, elle, a sombré dans cette folie. […] Il y a là une certaine naïveté, mais aussi un ego passionné, un désir de posséder la personne que vous avez choisie. Ce désir de posséder la rend extrêmement contemporaine […] En miroir de ce personnage qui agit, on voit un Tchaïkovski dur, narcissique, insensible à elle. Il était contre tout ce qui pouvait l’empêcher d’écrire sa musique, il essayait de créer autour de lui les bonnes circonstances pour travailler, il le fait par des efforts qu’on peut interpréter comme étant de l’agression ».

Dans la réalité Antonina Milioukova finira sa vie dans un Hôpital psychiatrique à Moscou, dans lequel elle décédera le 1er mars 1917, 24 ans après son mari

Igor Minaev et Olga Mikhaïlova, dans leur livre : « Madame Tchaïkovski : chronique d’une enquête » écriront :

« En 1917, dans un hôpital psychiatrique de la ville de Saint-Pétersbourg, mourait une mystérieuse patiente. Elle ne figurait pas dans les registres de la clinique sous le nom de Madame Tchaïkovski, veuve du compositeur Piotr Tchaïkovski, mais comme Antonina Miloukova. […] Déjà rejetée de son vivant, elle fut par la suite complètement oubliée par ses contemporains ; la génération actuelle va même jusqu’à douter de son existence. »

Sur le site <Zone Critique> Kirill Serebrennikov précise :

« Je souhaitais porter un regard inattendu sur un héros national et intouchable et j’ai décidé, pour ce faire, de suivre les lois générales du biopic (ou film biographique), en considérant les éléments de loin sans porter un regard radical dessus. Se placer à une certaine distance permet d’entrevoir les choses avec du recul et d’embrasser toute la psychologie des personnages, ce qu’il n’est pas possible de faire quand on s’approche trop près, presque face contre face. J’ai adopté cette distance par le truchement d’Antonina, car je voulais adopter le point de vue d’une personne qui ne sait pas ce que nous, nous savons. Elle a son propre regard, vit sa propre expérience, celle d’une personne somme toute classique et banale, en proie à l’impossibilité d’interagir comme il faut avec un génie, ce qu’il représente : un soleil irradiant de talent. Elle n’y parvient pas car, bien que resplendissant, le soleil a aussi ses propres taches et, paradoxalement, ses parts d’ombre. […]
Je voulais rendre les personnages absolument complexes, c’est pour cela que j’ai décidé de laisser dans leur bouche leurs vraies paroles. Il s’agit presque d’un film documentaire : les lettres sont authentiques, même le comportement des personnages montré à l’écran est extrêmement fidèle à la réalité. Ainsi, ce que dit Antonina des juifs dans son délire antisémite se retrouve mot pour mot dans ses lettres. Ma part d’auteur réside surtout dans la composition que j’ai faite des séquences, en tâchant de respecter le plus possible la réalité. »

Et puis il parle de la seule photo sur laquelle on voit Monsieur et Madame :

«  Il n’existe qu’une seule photo où ils apparaissent tous les deux et je l’ai restituée telle quelle dans le film. Elle est très étrange, on ne sait pas pourquoi, sur ce cliché, il nous regarde alors qu’elle-même a son attention portée ailleurs. Dans de nombreuses scènes du film coupées au montage, et d’une durée totale de 40 minutes qui se retrouveront peut-être dans une édition intégrale, j’ai représenté les ateliers dans lesquels Tchaïkovski, ses amis et ses élèves se faisaient photographier. Il y passait beaucoup de temps car les daguerréotypes nécessitaient une certaine application pour ne pas être flous. Tchaïkovski a été un pionnier des photos commerciales ; en raison de sa célébrité, tout le monde souhaitait posséder sa photo chez lui. Il se faisait alors tirer le portrait chez les plus grands artistes, lesquels vendaient les photos avec les partitions. »

La Russie que le cinéaste montre est très sale, violente et glauque :

« C’était la réalité du XIXe. Les ordures étaient encore lancées sur la chaussée, comme on le voit dans le film, même si les caniveaux et les canalisations commençaient à faire leur apparition. J’avais envie de montrer la saleté et l’absence du confort auquel on est habitué aujourd’hui. Les personnages ont envie de vivre, aimer, souffrir, servir la musique… Par contraste, ces ambitions s’opposent à ces scènes d’extérieur, tristes, sales et dégradées. Je voulais illustrer le véritable milieu où tous ces gens ont évolué, rêvé, aimé…. »

Kirill Serebrennikov a été poursuivi par l’appareil judiciaire de Poutine, assigné à résidence, condamné en juin 2020 à de la prison avec sursis, Poutine ne voulait pas en faire un martyr. Il a quitté la Russie pour Berlin peu après le début de la guerre en Ukraine pour vivre à Berlin.

Chez Léa Salamé il s’est exprimé sur la Russie contemporaine :

« Le film montre aussi qu’à l’époque, la situation des femmes en Russie était pire que celle des hommes homosexuels, qui bénéficiaient d’une forme de tolérance. Aujourd’hui, il est impossible d’être homosexuel en Russie. Il est absolument impossible de montrer ce film en Russie compte tenu des lois prises ces dernières années: tous les enfants risqueraient de devenir homosexuels si on leur montrait ce film-là ? On va attendre d’autres, une autre époque, quand tout le monde se retrouvera en Russie. Si un jour ce film est montré, ce sera le signe des changements en Russie ». Après Poutine ? « Sans nul doute. »

C’est un film puissant qu’on n’oublie pas.

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