Lundi 19 février 2024

« Si cela se produit, s’ils décident de me tuer, N’abandonnez pas ! »
Alexei Navalny

C’est dans un documentaire Navalny, sorti en 2022, que le cinéaste Daniel Roher avait interrogé l’opposant, juste avant son départ pour Moscou, sur la possibilité qu’il soit tué en prison.
Alexeï Navalny, comme très souvent souriant, avait répondu par un message à ses concitoyens :

« N’abandonnez pas. Si cela se produit, s’ils décident de me tuer »

En 2020 il avait été empoisonné par l’utilisation d’un agent neurotoxique de type Novitchok, arme favorite des services secrets russes. Il avait réchappé à l’empoisonnement après avoir pu être hospitalisé dans un hôpital de Berlin et grâce à l’intervention de médecins allemands.

Le 17 janvier 2021 il a voulu retourner en Russie, en ayant la conviction que malgré les risques, il ne pouvait appeler à la résistance ses concitoyens s’il ne se trouvait pas sur le territoire russe, partageant avec eux le combat contre Poutine et sa clique.

C’est avant son départ qu’il a prononcé ces mots.

Dès son arrivée à Moscou, il fut immédiatement arrêté, condamné pour des motifs d’une vacuité indescriptible : « extrémisme », « escroquerie », « outrage au tribunal » et « fraude aux dons ».

Dans un parcours pénitentiaire de plus en plus rude, il est transféré en décembre 2023, dans la colonie pénitentiaire n°3, surnommée « Loup polaire » de la localité de Kharp, dans l’Arctique russe. On est au-delà du cercle polaire : certaines nuits, la température peut atteindre les -30 ° Celsius.

Le service fédéral de l’exécution des peines a annoncé la mort d’Alexeï Navalny, vendredi 16 février, à 47 ans, dans la prison du Grand Nord russe où il purgeait une peine de dix-neuf ans d’incarcération.

Depuis son arrestation à son retour en Russie, il a été envoyé vingt-sept fois au mitard, pour les prétextes les plus fallacieux : « a mal boutonné son uniforme » ; « n’a pas mis ses mains derrière le dos en marchant » ; « a cité une décision de la Cour européenne des droits de l’homme » ; « a mal nettoyé la cour »…

Au mitard, il partageait fréquemment sa cellule avec un prisonnier fou et non lavé, qui hurlait toute la journée. Alexeï Navalny se plaignait aussi de devoir écouter, jour après jour, de longues rediffusions des discours de Vladimir Poutine.

Est-il mort assassiné brutalement ou est-il mort d’épuisement, on ne le sait pas ?

Il avait sa part d’ombre, il a commencé sa carrière politique en tant que nationaliste belliqueux ayant des propos scandaleux à l’égard des tchétchènes.

Mais par la suite il a engagé un bras de fer avec Poutine et ses sbires, dénonçant leurs crimes contre la démocratie et la liberté ainsi que et leur corruption généralisée, en la démontrant de manière explicite.

Grand orateur, il souriait et maniait l’humour jusque dans le dernier moment où il a été vu, trois jours avant sa mort, dans une énième confrontation avec un juge. Il était devenu le symbole de la liberté et de l’opposition à Poutine.

Vous pouvez écouter l’émission de Christine Ockrent qui lui a été consacrée ce samedi 17 février : < Russie : le martyre de Navalny >

Il y a aussi ces articles « du Monde » :

<Navalny meurt en emmenant avec lui « les derniers espoirs » d’une Russie libre>

<Alexeï Navalny, de l’engagement au sacrifice>

Il semble utile aussi de s’intéresser à cette affaire qui a conduit la filiale russe de l’entreprise française Yves Rocher à attaquer Navalny et son frère, en justice, sur des accusations mensongères pour complaire au gouvernement : <Procès Navalny : Yves Rocher, une plainte au service du pouvoir>

Toutes les personnes qui en France ou en Europe manifestent la moindre complaisance à ce tyran sanguinaire qu’est Poutine, ne pourront plus se cacher : l’homme qu’ils traitaient avec bienveillance, est un monstre.

Alexei Navalny était un homme courageux et qui menait un noble combat.

Ces choses sont claires et dites.

Mais je ne souhaite pas m’arrêter là.

Le 26 septembre 2022, Vladimir Poutine a accordé la citoyenneté russe à Edouard Snowden, pour lui permettre d’échapper à la justice ou plutôt la vindicte des États-Unis.

Ce n’était pas le premier choix du lanceur d’alerte. Dès 2013, il avait demandé l’asile politique à la France présidée par François Hollande. Le 16 septembre 2019, Snowden avait réitéré son souhait d’être accueilli par la France. Le 19 septembre 2019, jour de la sortie en France de son autobiographie « Mémoires vives », sa demande était de nouveau rejetée, le ministère des Affaires étrangères indiquant n’avoir « pas changé d’avis » et lui refusant l’asile.

Quel est le crime d’Edouard Snowden ?

Edward Joseph Snowden, né le 21 juin 1983 en Caroline du Nord a révélé l’existence de plusieurs programmes de surveillance de masse américains et britanniques.

À compter du 6 juin 2013, Snowden rend publiques, par l’intermédiaire des médias, des informations classées top-secrètes de la NSA concernant la captation des données de connexion des appels téléphoniques aux États-Unis, ainsi que les systèmes d’écoute sur Internet des programmes de surveillance.

Le 14 avril 2014, l’édition américaine du Guardian et le Washington Post se voient décerner le prix Pulitzer pour la publication des révélations de Snowden sur le système de surveillance de la NSA, rendues possibles grâce aux documents qu’il leur a fournis.

Quand Snowden quitte les États-Unis, en mai 2013, à 29 ans, après la perte d’un emploi qui lui assurait une vie confortable, il explique :

« Je suis prêt à sacrifier tout cela parce que je ne peux, en mon âme et conscience, laisser le gouvernement américain détruire la vie privée, la liberté d’Internet et les libertés essentielles des gens du monde entier avec cet énorme système de surveillance qu’il est en train de bâtir secrètement »

Quelques voix se sont cependant élevées pour défendre Snowden et dire la vérité « crue » : les manœuvres illégales commises par Snowden sont négligeables devant l’intérêt de ses révélations qui démontrent que la « grande » démocratie américaine, donneuse de leçons au monde entier, écoute massivement les citoyens et les dirigeants des pays alliés et cela même davantage pour des motifs économiques que pour des motifs de sureté nationale. Aggravant ainsi leur faute contre la démocratie et la liberté.

Ainsi, le 10 juin 2014, l’ancien vice-président Al Gore indique qu’Edward Snowden a « rendu un important service », en « révélant le viol de lois importantes, dont des violations de la Constitution des États-Unis », ce qui était « bien plus sérieux que les crimes qu’il a commis »

Mais rien n’y fait, Les États-Unis ne renoncent pas aux poursuites et les pays occidentaux comme la France se rangent délibérément dans le camp des ennemis de la liberté, faisant à la Russie de Poutine le cadeau d’apparaître comme un pseudo défenseur des droits proclamés par les occidentaux.

Cela n’enlève rien à l’ignominie du maître du Kremlin qui n’agit ainsi que pour s’opposer aux occidentaux.

Mais nous [l’Occident] ne sommes décidément pas le camp du bien.

Vous pouvez avoir d’amples informations sur la < Page Wikipedia > qui lui est consacrée.

On peut encore citer le cas de Julian Assange qui est informaticien, journaliste et lanceur d’alerte australien. Il est fondateur, rédacteur en chef et porte-parole de WikiLeaks qui font des révélations sur la manière dont les États-Unis et leurs alliés mènent la guerre en Irak et en Afghanistan,

Il dispose aussi d’une < Page wikipedia >qui relate les différentes étapes de sa vie qui l’ont amené dans une prison de haute sécurité du Royaume-Uni dans l’attente de son extradition aux États-Unis où il risque plus de 170 années de prison.

On y lit notamment :

« Assange est soumis à un isolement strict en principe réservé aux terroristes internationaux, alors qu’il est journaliste en détention provisoire. Il est maintenu 23 heures par jour dans un isolement total et ne dispose que de 45 minutes par jour de promenade dans une cour revêtue de béton. WikiLeaks affirme que la détention d’Assange ternit la réputation de défenseur de la liberté de la presse du Royaume-Uni. Quand il quitte sa cellule, « tous les couloirs par lesquels il passe sont évacués et toutes les portes des cellules sont fermées pour éviter tout contact avec les autres détenus »

Dans un état de santé précaire, ses amis et proches craignent pour sa vie.

Je voulais parler aujourd’hui d’Alexei Navalny et du comportement criminel des autorités russes qui ont conduit à sa mort.

Mais que dire, pour les cas d’Edward Snowden et de Julien Assange, des autorités de l’État qui les poursuivent et de la complicité des autres États occidentaux qui laissent faire ou participent à cet acharnement contre les lanceurs d’alerte ?

La voix des occidentaux devient de plus en plus faible aux oreilles du reste du monde, en raison de nos manquements immenses aux valeurs que nous proclamons.

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Mercredi 17 mai 2023

« Être soi-même ne devrait jamais être un crime. » »
António Guterres Secrétaire général de l’ONU dans son message du 11 mai 2023

Avant on parlait d’homophobie, et le 17 mai était désigné par l’ONU comme « La journée internationale contre l’homophobie »

Désormais, l’ONU parle, en 2023, de « La Lutte contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie »

Le Conseil de l’Europe, en est resté à la première appellation : « Journée internationale contre l’homophobie »

Une journée internationale (ou journée mondiale) est un jour de l’année dédié à un thème particulier à un niveau international ou mondial. Le calendrier de l’Organisation des Nations unies en prévoit plus de 140.
La date choisie a toujours un rapport avec l’objet de la journée.
Ainsi, la première ayant été instituée, le fut en 1950 : « La journée mondiale des droits de l’homme » fut fixée au 10 décembre.

L’explication tient au fait que le 10 décembre 1948, l’Assemblée générale des Nations unies avait adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Alors pourquoi le 17 mai, pour lutter contre l’Homophobie ?

Parce que le 17 mai 1990 l’Organisation Mondiale de la Santé a décidé de ne plus considérer l’homosexualité comme une maladie mentale !

Ce n’est pas très ancien, 1990, c’était il y a 33 ans !

La France l’avait fait en 1981 avec l’arrivée de la Gauche et de Mitterrand au pouvoir. Ce n’était que 9 ans avant…

La journée est originaire du Québec. La Fondation Émergence a créé en 2003 la première journée nationale contre l’homophobie.
Mais la première journée, organisée à un niveau international, eu lieu le 17 mai 2005 grâce à Louis-Georges Tin, un professeur et activiste français. Il a été le président du Comité IDAHO (du nom de la journée en anglais, International Day Against Homophobia and Transphobia) entre 2005 et 2013.

Dans son message du 11 mai 2023 qui annonçait la journée du 17 mai, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, disait :

« Alors que nous célébrons la Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, la constatation est saisissante. Partout dans le monde, les personnes LGBTQI+ continuent de connaître la violence, la persécution, les discours haineux, l’injustice, voire le meurtre pur et simple.

Parallèlement, des lois rétrogrades continuent de criminaliser les personnes LGBTQI+ dans le monde, les punissant du simple fait d’être elles-mêmes.

Chaque agression contre les personnes LGBTQI+ est une agression contre les droits humains et les valeurs qui nous sont chères.

Nous ne pouvons pas faire marche arrière et nous ne le ferons pas.

L’ONU soutient fermement la communauté LGBTQI+ et ne cessera son action que lorsque les droits humains et la dignité seront une réalité pour toutes les personnes.

Je demande à nouveau à tous les États Membres de respecter la Déclaration universelle des droits de l’homme et de mettre fin à la criminalisation des relations consensuelles entre personnes du même sexe et à celle des personnes transgenres. Être soi-même ne devrait jamais être un crime. »

Pour ceux qui ne connaissent pas précisément le sigle LGBTQI+, en voici le détail : Par L, on entend « Lesbiennes », par G « Gays », par B « Bisexuel·le·s », par T « Trans », par Q « Queers », par I « Intersexué·e·s », par A « Asexuel·le·s » ou « Aromantique·s » et le + inclut les nombreux autres termes désignant les genres et les sexualités. Plus précisément Queer, en anglais, signifie bizarre, inadapté, C’est le mot que l’on lançait à ceux qui n’étaient pas assez masculins, aux femmes aux allures de garçonnes, aux êtres dont le genre brouille les pistes. Bref, ce sigle entend englober toutes les tendances sexuelles.

Mais dans le monde cette journée n’est célébrée que dans environ 60 Etats. C’est ce qu’on lit sur ce <site> qui rappelle aussi que la dernière exécution par la France s’est déroulée, à Paris, en Place de grève (c’est-à-dire la Place de l’Hôtel de Ville) le 6 juillet 1750 : Bruno Lenoir et Jean Diot furent brulés après avoir été étranglés.

Le site de la journée mondiale nous apprend que :

« Dans 72 états au moins, les actes homosexuels sont condamnés par la loi (Algérie, Sénégal, Cameroun, Ethiopie, Liban, Jordanie, Arménie, Koweït, Porto Rico, Nicaragua, Bosnie…) ; dans plusieurs pays, cette condamnation peut aller au-delà de dix ans (Nigeria, Libye, Syrie, Inde, Malaisie, Cuba, Jamaïque…) ; parfois, la loi prévoit la détention à perpétuité (Guyana, Ouganda). Et dans une dizaine de nations, la peine de mort peut être effectivement appliquée (Afghanistan, Iran, Arabie Saoudite…).
En Afrique, récemment, plusieurs présidents de la république ont brutalement réaffirmé leur volonté de lutter personnellement contre ce fléau selon eux “anti-africain “. Dans d’autres pays, les persécutions se multiplient. Au Brésil par exemple, les Escadrons de la mort et les skin heads sèment la terreur : 1960 meurtres homophobes ont pu être recensés officiellement entre 1980 et 2000. Dans ces conditions, il paraît difficile de penser que la “tolérance” gagne du terrain. Au contraire, dans la plupart de ces Etats, l’homophobie semble aujourd’hui plus violente qu’hier. La tendance n’est donc pas à l’amélioration générale, tant s’en faut. »

En effet, l’homophobie semble ne pas régresser sur une grande partie de l’humanité. Poutine est parmi ceux qui sont ouvertement homophobes et qui dénoncent la lutte contre l’homophobie comme une valeur occidentale qu’il faut combattre.<En Ouganda> le Président Yoweri Museveni vient de promulguer une loi anti-homosexualité 2023. Joe Biden a dénoncé une « atteinte tragique » aux droit humains.

Au Maroc, une enseignante d’une classe de CM1 de l’école primaire française Honoré-de-Balzac de Kénitra, dans laquelle elle travaillait depuis 30 ans, a été suspendue suite à la plainte de parent d’élèves pour soi-disant « apologie de l’homosexualité ». La majorité des parents la soutiennent et considèrent cette sanction comme une injustice.

Mais <Libération> précise :

« Apologie de l’homosexualité». Au Maroc, l’accusation est grave. Dans un pays où l’homosexualité est punie jusqu’à trois ans d’emprisonnement, la « propagande LGBT» est considérée comme une atteinte à la religion et est donc encore plus sévèrement condamnée, avec des peines allant de trois à cinq ans de prison. »

L’affaire est devant la justice marocaine.

J’en avais déjà parlé lors du <mot du jour du 14 septembre 2022>, comme chaque année, le monde du football a organisé la journée dédiée à la lutte contre l’homophobie, pour laquelle il était demandé que les joueurs des 20 équipes de Ligue 1 arborent un maillot floqué de l’arc-en-ciel des fiertés LGBT, en marque de soutien.

Plusieurs joueurs ont comme l’année dernière refusé de porter ce brassard et ont alors été écarté par leur club et n’ont pas joué lors de cette journée. Parmi eux je citerais le marocain jouant à Toulouse Zakaria Aboukhlal parce qu’il a essayé de justifier sa position :

« Je tiens à souligner que j’ai la plus grande estime pour chaque individu, quels que soient ses préférences personnelles, son sexe, sa religion ou ses origines. c’est un principe que l’on ne soulignera jamais assez. Le respect est une valeur que j’estime beaucoup. Il s’étend aux autres mais comprend également le respect de mes propres croyances personnelles. Par conséquent, je ne crois pas être la personne la plus appropriée pour participer à cette campagne. J’espère sincèrement que ma décision sera respectée, tout comme nous souhaitons tous d’être traités avec respect. »

La campagne dont il parle ne lui demande pas de devenir homosexuel, mais simplement de rejeter toute forme de discrimination à leur égard.

Dans « L’Equipe » du 16 mai 2023, on peut lire la réponse d’un ancien joueur de Toulouse, Ouissem Belgacem, franco-tunisien et qui revendique la même religion musulmane que Zakaria Aboukhlal :

« [Je ne le comprends pas] Il est en train de dire : « Je suis homophobe et respectez-moi » Sauf que dans notre pays, l’homophobie est punie par la loi. C’est décevant et lâche. Il y a des millions de Français de confession musulmane qui n’ont aucun problème avec l’homosexualité. En faisant ce choix, il nourrit [le sentiment anti musulman] en France. […] Les gens vont conclure que ce n’est pas le football qui a un problème avec l’homosexualité mais les footballeurs musulmans »

Ouissem Belgacem a écrit un livre « Adieu ma honte » dans lequel il parle de son homosexualité et du monde du football par rapport à ce sujet. Dans l’article il a encore cette formule : « Raciste ou homophobe, c’est pareil. »

L’homophobe qui demande le respect s’est trouvé mêlé à une autre histoire de respect. Cet épisode est aussi relaté dans l’Equipe.

Comme le club de Toulouse avait gagné la Coupe de France, la Mairie de Toulouse avait organisé une fête dans ses locaux. Et pendant le discours du Maire, avec d’autres joueurs il faisait beaucoup de bruit. Alors, Laurence Arribagé, adjointe aux Sports à la mairie de Toulouse, leur a demandé de faire moins de bruit.

Zakaria Aboukhlal  a alors interpellé l’élue toulousaine par ces mots :

«  Dans mon pays les femmes ne parlent pas aux hommes comme cela »

Cet individu veut donc que l’on respecte son homophobie et que la femme respecte l’homme en ne le critiquant jamais.

Cette vision du « respect » ne me parait pas très respectable.

Mais aux États-Unis, dans certains États, la situation est tout aussi préoccupante.

En Floride, le gouverneur Ron Santis qui a pour ambition de gagner les primaires républicaines contre Trump, puis de devenir Président des Etats-Unis, s’est attaqué aux livres dans les écoles qui font mention de l’homosexualité, il a aussi attaqué Walt Disney qu’il juge trop inclusif.

Et maintenant comme le révèle <France Info> il entend aller plus loin et publier une Loi prévoyant que les médecins auraient la possibilité d’opposer une clause de conscience, leur permettant de refuser de soigner un patient si celui-ci n’est pas en phase avec leur vision des mœurs. « Je ne peux pas vous soigner, votre orientation sexuelle me l’interdit »

Ceci me conduit à deux conclusions :

  • Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites !
  • Les fondamentalistes de toutes les religions se rejoignent dans leur intolérance et leur rejet de ceux qu’ils accusent d’être déviants, alors qu’ils ne sont que différents de ce que leur raconte le récit auquel ils adhérent.

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Mercredi 21 septembre 2022

« En général, les choses doivent avoir des limites. »
Tamim ben Hamad Al Thani, émir du Qatar

Le mot du jour de vendredi dernier mettait l’accent sur la nécessité d’écouter.

On cite souvent Goethe :

« Parler est un besoin, écouter est un art ! »

Hier, le mot du jour fut une attaque frontale contre le Qatar, alors il faut donc être en mesure d’écouter la parole de la défense.

Et c’est une grande chance, le magazine « Le POINT » est allé opportunément, 2 mois avant l’ouverture de la coupe du Monde, interviewer l’émir du Qatar à Doha et publie un très long entretien avec le souverain du Qatar dans son numéro 2615 du jeudi 22 septembre 2022. : <Le grand entretien avec l’émir du Qatar>

Le Point a dépêché à Doha deux de ses journalistes les plus chevronnés : Luc de Barochez et Ėtienne Gernelle

Ils le décrivent comme un homme discret et plein d’attentions à leur égard.

Les journalistes sont tout esbaudis quand ils constatent que pour la visite qu’on leur a promis, le chauffeur qui se fait aussi guide est tout simplement l’Émir lui-même.

Il ne se livre pas souvent au Media puisque l’article nous apprend que

« Il n’a donné que deux interviews formelles depuis qu’il a succédé à son père, en 2013 : la première à CNN, en 2014, la seconde à CBS, en 2017. Plus quelques citations accordées au New York Times. Il s’agit donc du premier véritable entretien accordé à la presse écrite, et de sa première prise de parole en Europe. »

Mais quand il ouvre sa porte au Point, il sort le grand jeu.

Tamim ben Hamad Al Thani, a 42 ans, et il règne sur le Qatar depuis le 25 juin 2013, après l’abdication de son père, Hamad ben Khalifa Al Thani.

Après cette visite qu’il offre à ses hôtes et dans laquelle il leur démontre combien il est à l’aise avec son peuple, commence l’entretien proprement dit.

Dans l’entretien nous apprenons que manifestement, il est un homme de paix bien que son pays soit menacé par son puissant voisin l’Arabie Saoudite qui, de 2017 à 2021, a organisé un blocus du pays avec pour objectif annoncé de le renverser. En outre, la fortune du Qatar provient surtout de l’immense réserve gazière, la troisième au monde, mais qu’il doit partager avec l’Iran qui est chiite alors que le Qatar est sunnite.

Ainsi parle Tamim ben Hamad Al Thani :

« Notre politique étrangère au Qatar vise à rapprocher les différents points de vue, à apporter notre aide à toutes les parties qui en ont besoin, et à jouer un rôle de facilitateur, dans la région et ailleurs. Le monde a besoin de dialogue pour résoudre ses problèmes. »

« Nous ne souhaitons pas voir le monde polarisé entre deux superpuissances ; ce serait très dangereux. […] Notre pays est un allié majeur de l’Amérique et de l’Occident en général, mais notre principal importateur de gaz naturel liquéfié est la Chine. Nous ne pouvons que constater qu’il y a de grandes divergences entre eux, mais nous espérons que les tensions pourront s’apaiser par les voies diplomatique et pacifique. »

« Cela s’inscrit dans notre politique : rapprocher les parties qui ont des divergences. En ce qui concerne les talibans, nous l’avons fait à la demande de nos amis américains […] Notre devoir et notre intérêt sont de tout faire pour rapprocher les parties et les engager à négocier un règlement pacifique. Nous ne nous imposons aucune limite dans le choix de nos interlocuteurs, pour autant qu’ils croient en la coexistence pacifique. »

« Nous voulons aider et donner espoir à la jeunesse moyen-orientale. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour apporter la paix à la région. »

« Pour que tout le monde y trouve son compte, il faut une coopération mondiale. Je ne veux pas que la mondialisation s’arrête, et je ne pense pas que ce sera le cas. Certains prétendent qu’un retour en arrière rendrait la vie plus facile. Ce n’est pas vrai. Parler et arriver aux responsabilités, ce n’est pas la même chose… Cela ne peut pas marcher. Le monde entier est intégré. Puisque nous sommes tous interconnectés, nous devons travailler ensemble et résoudre nos problèmes ensemble. »

Et même quand les journalistes l’interrogent sur l’Arabie Saoudite qui a tenté de le renverser par un blocus, il répond :

« Écoutez, je ne souhaite pas parler du passé. Nous voulons nous tourner vers l’avenir. Nous sommes entrés dans une nouvelle phase, les choses bougent dans le bon sens. Nous reconnaissons que, parfois, nous sommes en désaccord. Nous préparons l’avenir de cet ensemble de pays, le Conseil de coopération du Golfe [le CCG, qui regroupe les six monarchies de la Péninsule arabique, NDLR], qui est essentiel pour débloquer le potentiel des jeunes dans l’ensemble de la région. »

Et sur son autre voisin, fervent de l’autre branche principale de l’Islam : l’Iran

« Vous mentionnez l’Iran. Ce pays est très important pour nous. Nous avons une relation historique et, de surcroît, nous partageons avec lui notre principal champ gazier. Nous encourageons tous les États membres du CCG et l’Iran à se parler. Il y a bien sûr des divergences – tout le monde en a –, mais il faut s’asseoir autour d’une table et en parler, directement entre nous et les Iraniens, sans ingérence extérieure. »

En même temps vu la petite superficie de son territoire, le nombre restreint de ses nationaux : 2,8 millions d’habitants dont 80 % d’étrangers, le Qatar ne peut pas se permettre d’être belliqueux et doit s’appuyer sur sa capacité diplomatique et c’est ce qu’il fait.

Une autre de ses qualités, c’est qu’il mise sur l’éducation :

« L’éducation est essentielle, surtout dans un pays qui jouit de ressources naturelles. […] Nous devons surtout investir dans nous-mêmes, dans le capital humain. Qu’on soit riche ou pauvre, l’éducation est la clé. Nous développons nos écoles et nos universités, nous avons invité des universités et des grandes écoles américaines et européennes à s’installer ici. »

Et enfin il est lucide sur les difficultés des peuples et des dirigeants arabes mais le Qatar fait sa part pour que la situation s’améliore :

« Les racines profondes du Printemps arabe sont hélas toujours là ! La pauvreté, le chômage, les diplômés sans emploi… Avons-nous résolu ces problèmes ? Non, au contraire, ils ont empiré ! Si nous ne les traitons pas, les événements qu’ils ont provoqués pourront se répéter. À mon avis, la meilleure façon de prévenir les turbulences à l’avenir est de mettre en œuvre des réformes, de manière graduelle. Nous devons donner de vrais espoirs aux populations, et pas seulement en paroles. Le Qatar avait promis d’éduquer 10 millions d’enfants non scolarisés et nous avons surpassé cette promesse : nous atteindrons bientôt 15 millions d’enfants dans le primaire. Nous devons également leur fournir des emplois, des opportunités, mais aussi les laisser exprimer leurs opinions et leurs différences. Le Qatar a mis en place des programmes pour aider à former plus de 2 millions de jeunes dans le monde arabe et leur donner des opportunités d’emploi. Par exemple, nous avons une expérience unique en Tunisie, où nous aidons des gens à lancer leur entreprise. Des dizaines de milliers de jeunes bénéficient de ce projet. »

Après toutes ces belles réponses, il est légitime de se poser la question s’il reste raisonnable de critiquer autant le Qatar ?

Mais ces journalistes ont-ils posé les questions embarrassantes ?

Oui… un peu

Ils ont rappelé que le Qatar est accusé de protéger les frères musulmans, ce mouvement islamique radical né en Égypte qui au-delà de la dimension religieuse veut aussi s’emparer du pouvoir politique.

L’émir nie tout simplement :

« De tels liens n’existent pas. Il n’y a pas, ici au Qatar, de membres actifs des Frères musulmans ou d’organisations leur appartenant. »

Ils se sont aussi intéressés à sa vision sur le rôle et la place des femmes dans la société :

« D’abord, devant Dieu, nous sommes tous égaux, hommes ou femmes. Le rôle des femmes est vital dans notre société. Au Qatar, leurs performances à l’université sont supérieures à celles des hommes. Elles représentent 63 % des étudiants. Dans la population active, c’est à peu près 50-50. Au sein de notre gouvernement, nous avons trois femmes ministres. Elles y font un travail formidable. Nous avons même des femmes pilotes dans notre armée de l’air. Nous ne voyons pas de différences avec les hommes. Bien sûr, nous sommes conscients qu’elles sont victimes de discriminations dans le monde, mais nous y sommes totalement opposés. »

Dans une société où elles sont contraintes de porter le voile, il affirme être conscient qu’elles « sont victimes de discrimination dans le monde. » Dans le monde, peut-être, mais au Qatar, non.

Et la liberté d’expression :

« Je crois personnellement à la liberté d’expression. Elle doit être protégée. Mais si cette expression conduit, de manière intentionnelle, à des problèmes ou à des conflits dans le domaine culturel ou religieux, est-il vraiment nécessaire de le dire ? Je ne parle pas ici de quelqu’un qui critiquerait un ministre ou un haut responsable, cela ne me pose aucun problème. Mais, dans des domaines où l’on sait que cela va créer des problèmes, il faut être très prudent. Chacun a le droit de s’exprimer mais, quoi que nous disions, nous devons éviter de blesser des gens issus de cultures, de religions ou de milieux différents. En général, les choses doivent avoir des limites. »

Sur ce point, nous le sentons un peu réticent. La liberté d’expression c’est très bien, mais les limites à la liberté d’expression lui semblent tout aussi important.

Mais ont-ils parlé des morts sur les chantiers, du droit de travail, de la climatisation des stades, de la cause des LGBT.

Rien sur ce dernier point

Sur les deux autres :

  • Les conditions de travail :

« Il y a deux sortes de critiques. La plupart du temps, nous y voyons un conseil ou une alerte, et nous les prenons au sérieux. Ainsi, nous avons compris que nous avions un problème avec le travail sur les chantiers, et nous avons pris des mesures fortes en un temps record. Nous avons modifié la loi et nous punissons quiconque maltraite un employé ; nous avons ouvert nos portes aux ONG et nous coopérons avec elles. Nous en sommes fiers. Et puis il y a la seconde catégorie de critiques, celles qui se poursuivent quoi que nous fassions. Ce sont des gens qui n’acceptent pas qu’un pays arabe musulman comme le Qatar accueille la Coupe du monde. Ceux-là trouveront n’importe quel prétexte pour nous dénigrer. »

Le nombre de morts n’a pas été évoqué ni la controverse entre le Guardian (6500 morts) et la communication officielle du Qatar (37).

  • La climatisation

« Je pense que chaque pays devrait avoir la chance d’organiser des événements sportifs mais, parfois, le climat peut être un obstacle. Nous avons utilisé les technologies de pointe pour minimiser la consommation d’eau et d’énergie pendant la Coupe du monde, afin d’en faire un événement plus durable. »

Voici ce long droit de réponse que Le Point a accordé à l’Émir du Qatar.

Le magazine « Marianne » s’est étonné de ce long entretien, sans aspérité, présentant un homme modéré, sage et recherchant toujours le consensus : < Quand l’hebdomadaire « Le Point » fait la promo de l’Émir du Qatar>

« Dans sa dernière livraison, le Point annonce en couverture une interview fleuve du Cheikh Tamim ben Hamad Al Thani, émir du Qatar, avec photo de l’impétrant à l’appui. Pour cet exercice, l’hebdomadaire a délégué dans le pays hôte du Mondial de foot son directeur de la rédaction, Étienne Gernelle et Luc de Barochez, deux attaquants réputés de la maison, célèbres pour leur capacité à se jouer des défenses adverses. On s’attendait donc à voir l’Émir cerné, poussé dans ses retranchements, mis face à ses contradictions, sommé de s’expliquer, […] Rien de tel. En fait, le lecteur du Point risque de se retrouver dans la peau du supporter du PSG, propriété du Qatar, après une défaite de son équipe fétiche. Aucune question gênante. Pas de relance après une réponse lénifiante. L’Émir enfile les formules creuses comme d’autres enfilent les perles sans que jamais le duo d’intervieweurs ne daigne rompre l’atmosphère de complicité bienveillante qui sied à ce genre d’exercice »

Et Marianne finit par cette réplique digne d’Audiard :

« Bref, c’est un homme ordinaire, bien sous tous rapports, un grand humaniste méconnu, un modèle d’ « humilité », comme le confient Étienne Gernelle et Luc de Barochez, à qui l’impétrant confie cet ultime conseil : « L’éducation commence par des choses simples : faire son lit le matin, par exemple. » Nul ne sait si les deux intervieweurs du Point font leur lit, mais ils ont administré la preuve éclatante qu’ils savent se coucher. »

 

<1713>

Mardi 20 septembre 2022

« Ne pas voir le problème ou ne pas voir la Coupe du monde. »
Jérome Latta

Aujourd’hui, je vais faire un pas de côté par rapport au choc des civilisations, quoique…

Le football a été inventé, en Angleterre, en Occident donc.

Un pays, appartenant à une autre civilisation et se trouvant près d’un désert très chaud, a trouvé ce sport très à son goût.

Comme il était particulièrement riche, il a investi et investi dans ce sport qui n’avait pas été créé pour lui et qu’il n’est pas facile de pratiquer chez lui car il y fait trop chaud.

Alors …

Alors, avec de l’argent on peut faire tant de choses et le 20 novembre va s’ouvrir la coupe du monde au Qatar, dans deux mois

Une amie Facebook a partagé un texte d’un internaute qui a pour nom Bouffanges Bfg

J’ai appris qu’il était écrivain.

Il a écrit ce texte en l’accompagnant de cette photo :

« Au début, tu sais, il n’y eut guère plus qu’une indignation molle, de celles que l’on exprime face aux tracas subalternes de la vie.
Quand le Qatar se vit attribuer l’organisation de la Coupe du Monde, nous étions en 2010.
C’était il y a une éternité !
Certes, le Qatar n’enthousiasmait pas les plus démocrates d’entre nous ; mais somme toute, nous venions d’organiser des JO d’été à Pékin, nous allions organiser des JO d’hiver en Russie et, dans la lancée, nous retournerions en Chine.
Et puis, tiens, on ferait même une Coupe du Monde en Russie, histoire de boucler la boucle.
Alors bon…. Ce n’était guère plus que la routine, un menu nid-de-poule sur l’autoroute de la modernité.

Peu après, quelques voix se sont élevées pour soupçonner que certains membres de la FIFA auraient perçu des “encouragements” à voter intelligemment.
Certains, du bout des lèvres, allaient jusqu’à appeler ça corruption.
L’affaire fit tant de clapotis que certaines têtes furent coupées.
Mais que faire de plus ? Remettre en cause le résultat des votes ? Après tout, c’était le Qatar, on ne pouvait pas vraiment s’attendre à ce qu’ils n’achetassent pas ce qui peut s’acheter.
D’ailleurs, entre temps, ils s’étaient offert le PSG [en mai 2011] avec des arguments sonnants et trébuchants, ce qui offrait enfin l’espoir que le plus grand club de France cesse de trébucher et de se faire sonner en Ligue des Champions.
Alors bon…Ce n’était guère plus que la routine, un menu flash de radar sur l’autoroute de la mondialisation.

Évidemment, ensuite, il fallut construire les infrastructures.
Et les immenses stades nécessaires à la grand-messe du foute, ça ne pousse pas en arrosant le sable.
Il y avait urgence, alors comme nous l’enseigne infailliblement l’Histoire, quand il s’agit de construire vite et grand, rien de mieux que l’esclavage.
Oh ! L’esclavage ! Tout de suite les grands mots ! Peut-être ces travailleurs étaient-ils de humbles héraults tout entiers dévoués à la cause du foutebale ?
D’ailleurs, les quelques moutons noirs cupides qui osèrent réclamer une paie furent renvoyés à domicile avec la plus stricte des fermetés.
Mais entre le Guardian, qui recense un minimum de 6500 morts, et l’appareil officiel du Qatar, qui en dénombre 37, qui détient la vérité ? Alors bon…
Ce n’était guère plus que la routine, un petit bouchon sur l’autoroute de la civilisation.

Là où ça a commencé à coincer un peu aux entournures (et au col, aussi), c’est quand on s’est aperçu que le Qatar était islamique.
On n’avait pas vraiment conscience de cela, avant.
Rapport au fait que le Qatar semblait vouloir ressembler aux plus belles démocraties occidentales, à grands coups d’architecture ambitieuse et de pétrodollars (pardon, de riyals).
Mais après 2010, il y eut 2015 et le grand festival des attentats.
Charlie Hebdo, Bataclan.
Et après 2015, il y eut 2016 : Bruxelles, Nice.
Puis 2017, 2018, et plein d’autres nombres en 201…

Et chaque année apportait son lot d’attentats islamistes, en France ou ailleurs.
Et l’idée d’une Coupe du Monde en terre d’islam radical est devenue moins rock’n roll.
Le Qatar ne semblait pas parti pour être le prochain Woodstock.
Cela dit, le Qatar se défendait d’être islamiste.
Islamique seulement.
Islam ferme, résolu, mais certainement pas radical.
D’ailleurs, à la différence de l’Arabie Saoudite voisine, qui décapite comme d’autres prennent leur café le matin (81 en une seule journée en 2022, dans un accès de ferveur dévote), le Qatar n’exécute plus personne depuis bien longtemps.
À part en 2021, mais il s’agissait d’un Népalais.
Alors bon. ….
Ce n’était guère plus que la routine, un petit vomi sur le bord de l’autoroute de l’œcuménisme.

Pour beaucoup, la problématique s’est concrétisée tardivement, au début de l’été.
On s’est rendu compte de ce qu’islamique voulait dire lorsque le Qatar a fait savoir qu’une certaine tolérance serait de mise pendant la Coupe du Monde en ce qui concerne la loi locale sur les relations hors mariage.
En temps habituels, toute relation hors mariage, ou pire adultérine, ou pire homosexuelle, ou pire sodomite, était passible de peine de mort, ou a minima de coups de fouets et d’emprisonnement.
Bizarrement, le monde n’a pas forcément ressenti cette précision comme une preuve de la grande tolérance du Qatar.
Mais bon…
Ce n’était guère plus que la rout…


Enfin bref, là oui, on commençait à sentir un peu que l’autoroute avait deux trois malfaçons dans l’enrobé.
Et enfin, pour la plupart, la prise de conscience est survenue après l’été 2022.
On sortait de la plus longue canicule de l’histoire moderne, on n’avait plus d’eau depuis des semaines, des pays entiers étaient sous les eaux, la guerre en Ukraine provoquait une flambée des prix de l’énergie et laissait augurer un hiver bas en couleurs.
Soudain, les images de ces immenses stades perdus au milieu du désert, tempérés par des batteries de climatiseurs grands comme des réacteurs de Boeing 737, sont apparues comme un signe frappant de décalage temporel.
On ne pouvait plus prétendre que ce n’était rien, que c’était comme ça.

Voilà, maintenant tu sais comment, en douze années de temps, la Coupe du Monde au Qatar, avec ses stades bâtis sur des ossuaires, est devenue le symbole de la corruption, de l’atteinte aux droits humains, du dédain face à la catastrophe climatique, tout ça pour le plaisir de voir courir quelques milliardaires en culottes courtes.
Voilà, mon fils, comment elle est devenue le symbole ultime du cynisme de notre civilisation.
Et voilà comment elle est devenue l’instant où le monde s’est rendu compte que ce pouvait être le début de la fin ; ou le début d’autre chose.
Tu n’étais pas né en 2010.
Ton frère avait un an.
Vous n’y pouviez rien.
Et je croyais n’y rien pouvoir non plus.
Mais quand on est nombreux à n’y rien pouvoir, on finit par pouvoir un peu. »

Bon, il y a beaucoup d’informations dans ce texte !

L’Arabie Saoudite a-t-elle exécuté 81 personnes le même jour ?

Oui c’était le 12 mars 2022. Vous trouverez l’information diffusé par Amnesty International <ICI>

Le Qatar a-t-il exécuté un népalais ?

Oui c’était en avril 2021, vous trouverez la confirmation dans cet article de <L’Orient le jour>

Beaucoup de Népalais se trouvent au Qatar pour y travailler.

Le journal « Sud-Ouest » avait publié, en 2013 déjà : « Coupe du monde au Qatar : 44 ouvriers népalais morts, des preuves de travail forcé ».

Dans cet article très court le journal citait le journal anglais « The Guardian » :

« Au moins 44 ouvriers népalais , travaillant dans des conditions s’apparentant à de l’esclavagisme , sont morts en 2013 sur des chantiers au Qatar […]
Le Guardian dit avoir trouvé des preuves et des témoignages de travail forcé sur un projet d’infrastructure majeur en vue de la Coupe du monde 2022, même si les travaux liés directement à l’événement n’ont pas encore commencé.

Le journal relaie les allégations de certains ouvriers qui disent ne pas avoir été payés depuis des mois , qu’on leur a confisqué leur passeport et qu’on les prive d’eau potable gratuite sur les chantiers, malgré des températures caniculaires. »

Le 21 février 2021 le même journal Le Guardian estimait que <6 500 ouvriers seraient morts dans les chantiers au Qatar>

Vous trouverez sur le site de la <Diplomatie Belge> cette information sur les mœurs :

« La prostitution, l’homosexualité et les relations extraconjugales (non seulement adultérines mais toute relation sexuelle hors mariage) sont illégales. Ces délits sont sévèrement sanctionnés en vertu de la loi islamique (sharia).

Les personnes reconnues coupables d’actes homosexuels encourent jusqu’à dix ans de prison. Il est donc conseillé aux personnes LGBTI de considérer soigneusement les risques d’un voyage au Qatar.

Les unions de fait sont illégales au Qatar. Un homme et une femme ne sont pas autorisés à vivre dans le même logement à moins d’être légalement mariés ou d’avoir un lien de parenté. Les relations sexuelles hors mariage constituent une infraction criminelle.

Les démonstrations d’affection en public, y compris le fait de se tenir par la main ou de s’embraser, ne sont pas acceptables socialement.

Hommes et femmes doivent s’habiller modestement, notamment en se couvrant les genoux et les épaules . Les femmes étrangères ne sont cependant pas obligées de porter le voile. »

Le journaliste Jérôme Latta a publié dans le Monde, hier, 19 septembre : « 
Le Mondial au Qatar, c’est la (grosse) goutte qui fait déborder la coupe » dans lequel il écrit :

« Il y a ce bilan humain effarant, dont l’unité est le millier de morts, sur les chantiers du pays, et l’aberration écologique de ces huit stades climatisés de 40 000 à 80 000 places – sept nouveaux – serrés dans une agglomération de 800 000 habitants, dont les tribunes n’étaient pas remplies lors des Mondiaux d’athlétisme en 2019.

Le Mondial qatari représente, certes, moins une rupture qu’un aboutissement navrant. C’est la (grosse) goutte qui fait déborder la coupe, en exhibant la réalité des grands événements sportifs : gigantisme, compromission politique, gabegie économique et environnementale, cupidité des organisations sportives, mépris des fans, etc.

Le procès fait à la FIFA World Cup Qatar 2022 est celui d’un modèle poussé à son extrême, qui laisse beaucoup d’entre nous devant un sinistre dilemme : ne pas voir le problème ou ne pas voir la Coupe du monde. »

Chacun agira comme lui dicte sa conscience.

Pour ma part, je ne peux pas ne pas voir le Problème écologique, humain et éthique.

Je ne pourrais pas regarder une minute de cette sinistre et criminelle farce.

Je vous rappelle que Coluche avait eu cette phrase « et dire que pour cela ne se vende pas, il suffit simplement de ne pas l’acheter. »

<1712>

Les caricaturistes se sont lâchés.

Lundi 19 septembre 2022

« La conférence mondiale de l’ONU sur les droits de l’homme à Vienne, en juin 1993. »
Moment où l’Occident a compris que si elle avait gagné la guerre froide, son modèle et ses valeurs étaient loin de s’être imposés.

La guerre froide était terminée depuis 1991.

Les États Unis n’avaient plus d’ennemis à leur dimension comme pouvait l’être l’Union Soviétique.

Les communistes chinois, sous l’autorité morale de Deng Xiaoping, ne suivront pas l’exemple de Gorbatchev et réprimerons par le sang l’espoir de jeunes étudiants chinois d’obtenir davantage de liberté et de droits.

Le monde, dominé par l’hyperpuissance des Etats-Unis était prêt, pensait les occidentaux, à se soumettre davantage aux valeurs occidentales des droits de l’homme, de la démocratie et des libertés politiques.

Et c’est dans cet esprit que fut organisée, du 14 au 25 juin 1993, à Vienne en Autriche, la Conférence mondiale sur les droits de l’homme sous l’égide de l’ONU.

Huntington explique que c’est lors de cette conférence à Vienne, que les Occidentaux ont compris que même s’ils avaient pensé avoir gagné la guerre froide, le Monde ne s’occidentaliserait pas pour autant. :

« Les différences quant aux droits de l’homme entre l’Occident et les autres civilisations, et la capacité limitée de l’Occident à atteindre ses objectifs sont apparues au grand jour lors de la conférence mondiale de l’ONU sur les droits de l’homme à Vienne, en juin 1993. D’un côté se tenaient les pays européens et nord-américains ; de l’autre, on trouvait un bloc d’environ cinquante États non occidentaux, dont les quinze plus actifs comprenaient les gouvernements d’un pays d’Amérique latine (Cuba), d’un pays bouddhiste (Myanmar), de quatre pays confucéens aux idéologies politiques, aux systèmes économiques et aux niveaux de développement très différents (Singapour, le Viet-nam, la Corée du Nord et la Chine) et de neufs pays musulmans (La Malaisie, l’Indonésie, le Pakistan, l’Iran, l’Irak, la Syrie, le Yémen, le Soudan et la Libye). Le regroupement islamo-asiatique représenté par la Chine, la Syrie et l’Iran dominait. Entre ces deux groupes, il y avait les pays d’Amérique latine, sauf Cuba, qui ont souvent soutenu l’Occident, et les pays africains et orthodoxes qui l’ont parfois soutenu mais qui s’y sont opposés le plus souvent. »
Le choc des civilisations page 285

Constatons d’abord que si l’Occident présente une certaine homogénéité, l’autre coalition est hétéroclite associant des pays d’Islam avec des États qui comme la Chine sont hostiles aux musulmans qui se trouvent dans leurs frontières ou d’autres pays comme Cuba et la Corée du Nord qui sont anti-religieux.

Constatons ensuite que mise à part l’Amérique latine hors Cuba, l’Occident a peu d’alliés et se trouve minoritaire.

Quelles étaient les sujets de conflits ?

« Les problèmes à propos desquels les pays se divisaient en termes de civilisation étaient les suivants :

  • Universalisme/relativisme culturel en matière de droits de l’homme ;
  • Priorité relative de l’économie et des droits sociaux dont le droit au développement/droits politiques et civiques ;
  • Conditions politiques posées à l’assistance économique ;
  • Création d’un commissaire de l’ONU aux droits de l’homme ;
  • Autorisation donnée aux organisations non gouvernementales de défense des droits de l’homme, qui se rassemblaient simultanément à Vienne, de participer à la conférence gouvernementale ;
  • Droits particuliers traités par cette conférence ;
  • Problèmes plus spécifiques comme la possibilité laissée au dalaï-lama de s’adresser à la conférence. »
    Le choc des civilisations page 285/286

Ces problèmes ont fait l’objet d’importantes divergences entre les pays occidentaux et le bloc islamo asiatique.

Huntington nous apprend que les pays d’Asie avaient préparés cette conférence, contrairement aux Occidentaux :

« Deux mois avant la conférence de Vienne, les pays d’Asie s’étaient réunis à Bangkok et avaient adopté une déclaration soulignant que les droits de l’homme devaient être considérés « dans le contexte […] des particularités nationales et régionales et des différents fonds religieux et culturels hérités de l’histoire. »
Le choc des civilisations page 286

Bref, il n’y avait aucune raison de se soumettre aux « diktats » des occidentaux concernant les droits de l’homme et leurs prétentions universalistes. C’est les particularités qui sont essentielles et qui justifient « la dose » de droits de l’homme qu’il est possible d’offrir.

On peut être anti-occidentaux, ou comme moi conscients des faiblesses et des trahisons de l’Occident et trouver cette défense des pays autoritaires ou même tyranniques comme le comble de la mauvaise foi.

<Le massacre de Tien an men> date de 4 ans, le 4 juin 1989 et dans ce cas plutôt que le particularisme chinois, il fallait surtout sauver le pouvoir du parti communiste chinois et les privilèges des dirigeants communistes.

A Bangkok ces pays se sont mis d’accord sur une autre exigence :

« Le fait de conditionner l’assistance économique à la situation des droits de l’homme étaient contraire au droit au développement. »
Le choc des civilisations page 286

Ces pays ne supportaient plus que l’Occident exerce une pression financière pour les obliger à améliorer les droits individuels de leurs citoyens.

Huntington explique que les occidentaux ont fait plus de concessions que leurs adversaires mais ont tenté de préserver les droits des femmes :

« La déclaration adoptée par la conférence a donc été minimale. »

La proclamation de l’universalité des droits est donc tempérée largement par la prise en considération des particularismes locaux :

Par exemple la Déclaration et Programme d’action de Vienne, adoptée dispose dans son article 5 que :

« Tous les droits de l’homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. La communauté internationale doit traiter des droits de l’homme globalement, de manière équitable et équilibrée, sur un pied d’égalité et en leur accordant la même importance. S’il convient de ne pas perdre de vue l’importance des particularismes nationaux et régionaux et la diversité historique, culturelle et religieuse, il est du devoir des États, quel qu’en soit le système politique, économique et culturel, de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales. »

Huntington cite Charles J. Brown qui écrivait :

« [Ce document] représentait une victoire pour la coalition islamo-asiatique et une défaite pour l’Occident »
Le choc des civilisations page 286

Et il ajoute, en énumérant notamment tout ce qui manquait :

« La déclaration de Vienne ne contenait aucune défense de la liberté de parole, de la presse, d’assemblée et de religion et était donc par bien des aspects plus faible que la déclaration universelle des droits de l’homme que les Nations unies avaient adoptée en 1948. Cette évolution traduit le déclin de puissance de l’Occident. […] Le monde est désormais aussi arabe, asiatique et africain qu’il est occidental. »

Huntington cite alors ce qu’il appelle : « un détracteur asiatique de l’Occident »

« Pour la première fois depuis que le Déclaration universelle a été adoptée en 1948, des pays qui n’ont pas été marqués profondément par les traditions du judéo-christianisme et du droit naturel sont au premier rang. Cette situation sans précédent va définir la nouvelle politique internationale des droits de l’homme. Elle va également multiplier les occasions de conflit »

Et il ajoute :

« Le grand gagnant […] fut clairement la Chine, du moins si on mesure la réussite au fait de dire aux autres ce qu’ils ne doivent pas faire »

Huntington rappelle que l’Occident eut l’opportunité d’une petite revanche. Le gouvernement chinois avait défini comme objectif majeur d’obtenir l’organisation des jeux olympiques de l’an 2000. On sait que c’est finalement Sidney qui l’obtint, c’est-à-dire une ville et un pays occidentaux. Pour ce faire, il fallut beaucoup manœuvrer pour parvenir à écarter Pékin.

Ce fut une victoire à la Pyrrhus, Pékin obtint les jeux de 2008, moins de 20 ans après Tien an Men.

Le 28 janvier 1992, le président américain George HW Bush avait annoncé au Congrès que l’Amérique avait gagné la guerre froide.

Fukuyama avait publié la même année, 1992, « La fin de l’Histoire »

Et en juin 1993, la conférence mondiale de l’ONU sur les droits de l’homme à Vienne remettait très largement en cause cette vision occidentalo-optimiste.

<1711>

Mardi 13 septembre 2022

« Deux pays, ayant présidé à la création du tribunal de Nuremberg, sont en train de réduire en miettes leurs engagements. »
Philippe Sands parlant du Royaume-Uni et des Etats-Unis en raison de leur comportement à l’égard des Chagos

Je souhaite revenir sur ma série concernant le choc des civilisations qui est surtout le choc des civilisations non occidentales contre la civilisation occidentale.

Nous avons du mal avec ce rejet, parce qu’il remet en cause beaucoup de nos valeurs que nous voulons, pensons, espérons universelles.

Il s’agit d’une question d’une très grande sensibilité. L’Occident a beaucoup trahi les valeurs qu’il prétendait partager avec tous les autres peuples.

Est-ce que pour autant les valeurs de démocratie, des droits de l’homme, de la liberté de pensée et d’expression ne méritent pas d’être défendues ?

C’est toute la question. C’est un chemin compliqué. Les valeurs de l’Occident ne sont pas seulement remises en cause par les autres civilisations.

L’Occident a généré, en son sein même, des ennemis de ces valeurs : l’Amérique de Trump d’un côté et l’Amérique de la cancel culture et du communautarisme de l’autre côté, en constituent des exemples éclairants et désespérants.

Ces mouvements sont aussi arrivés en France avec la même intolérance et le même aveuglement.

Mais avant d’emprunter ce chemin pour essayer de comprendre ce qui se joue devant nos yeux, je vais aujourd’hui évoquer une de ces histoires qui alimente la collection des trahisons et des fautes de l’Occident.

Le bras agissant dans cette affaire est le Royaume-Uni d’Elizabeth II, encouragé et influencé par les États-Unis.

J’avais déjà évoqué ce sujet dans un mot du jour très ancien qui date du 2 septembre 2013 : « Le silence des chagos » qui est un livre de Shenaz Patel

Cette lamentable histoire est revenue dans l’actualité, en raison de l’évolution du dossier et d’un livre qui vient d’être publié en France : « La dernière colonie » de Philippe Sands traduit par Agnès Desarthe

Philippe Sands était l’invité de Guillaume Erner aux matins de France Culture d’hier le 12 septembre pour parler de son livre et aussi de l’actualité du Royaume Uni : < Royaume-Uni : l’empire qui ne voulait pas mourir >

Philippe Sands est un avocat franco-britannique spécialisé dans la défense des droits de l’Homme, professeur de droit au University College de Londres.

Il a écrit un ouvrage remarquable publié en 2017 dans sa traduction française : « Retour à Lemberg ». Le site Dalloz résume cet ouvrage fondamental de la manière suivante :

« Dans un ouvrage passionnant, reposant sur une subtile biographie croisée de quatre personnages réunis par la ville de Lemberg (aujourd’hui Lviv, en Ukraine), l’avocat Philippe Sands livre une réflexion majeure sur les origines de la justice internationale à Nuremberg. En documentant et en relatant la préparation de ce procès exceptionnel à plus d’un titre, Philippe Sands dévoile un parcours initiatique personnel et familial d’une belle sensibilité. »

« Le Monde » avait publié aussi un article de fond sur cet ouvrage : < Philippe Sands de Lviv à Nuremberg >

A Nuremberg, les accusés nazis étaient accusés de 4 crimes :

  • Conjuration
  • Crime de guerre,
  • Crime contre la paix

et, pour la première fois de l’histoire,

  • Crime contre l’humanité.

Après cette longue introduction, pourtant très condensé nous pouvons revenir à l’Histoire de l’Archipel des Chagos situé dans l’Océan Indien et qui fait normalement partie des iles rattachées à la République de Maurice dont l’ile principale est l’ile Maurice.

Si vous voulez replacer ces iles sur une mappemonde il faut en revenir à mon premier mot du jour : « Le silence des chagos ».

En 1960, ces territoires étaient colonies britanniques et au sein de la décolonisation, tous ces territoires devaient devenir indépendants dans le cadre de la République de Maurice en 1968.

Mais en 1965, les britanniques vont détacher l’archipel des Chagos, c’est-à-dire un ensemble de sept atolls situés dans le Nord de l’océan Indien et totalisant cinquante-cinq îles du reste de l’entité Mauricienne. Ils créent ainsi leur dernière colonie.

Pourquoi font-ils cela ?

Philippe Sands explique ainsi cette histoire : En 1964, les britanniques dont le premier ministre est alors Harold Wilson refuse de s’engager dans la guerre du Vietnam au côté des américains.

Les américains acceptent cette défection mais suggèrent aux britanniques de les soutenir autrement, en mettant à leur disposition l’île principale de l’archipel des Chagos : Diego Garcia pour y installer une base militaire, au plein milieu de l’Océan Indien.

Les Britanniques acceptent cette demande, trop heureux, de pouvoir ainsi compenser leur refus d’entrer dans la guerre du Vietnam.

Dans « Astérix et les normands » Goscinny avait fait dire à un normand cette phrase cynique : « Il faut savoir sacrifier les autres ».

Les Britanniques vont, en effet, céder à un autre caprice des États-Uniens : l’archipel des Chagos doit être vidé de tous ses habitants.

Cela aboutit à une déportation de tous les habitants qui vivaient sur ces iles. Déportation vers l’ile Maurice où ils vont vivre de manière misérable.

La création de cette colonie par amputation de la future République de Maurice ainsi que la déportation des habitants étaient parfaitement illégales par rapport au Droit International que l’Occident avait contribué à mettre en place.

Dans les années 1960, l’Occident était encore en mesure de dicter sa volonté même contraire à la Loi.

Depuis les habitants du Chagos cherchent par les voies juridiques à revenir sur le territoire de leurs ancêtres.

Liseby Elysé est une de ces habitantes. Elle a été déportée avec les autres. Elle était enceinte et a perdu son enfant dans cette déportation.

Philippe Sands a rencontré Liseby Elysé et est devenu son avocat.

Le livre « La dernière colonie » raconte ce combat commun.

Dans un <article du Monde> publié le 4 septembre 2022 , on lit :

« Un jour de 2018, Liseby Elysé se présente devant Cour internationale de justice (CIJ) et déclare : « Je suis venue à La Haye pour récupérer mon île. » […]

Auprès d’elle, à La Haye, où elle s’apprête à témoigner, se tient l’avocat franco-britannique Philippe Sands, inlassable défenseur des droits humains dans les zones les plus brûlantes de la planète.

Engagé par le gouvernement de l’île Maurice, il obtient de la CIJ un jugement historique, qui reconnaît l’injustice commise contre Liseby et les siens et impose au Royaume-Uni d’autoriser leur retour.

A ce jour, pourtant, rien n’a été fait. A Maurice, aux Seychelles, à Londres, les Chagossiens attendent encore. « Nous avons le droit de vivre là-bas, disent-ils à Philippe Sands, nous ne renoncerons ­jamais. »

C’est à cela que sert la publication simultanée, en anglais et en français […] de La Dernière Colonie : Réveiller l’opinion publique.

Mettre au service des Chagos la puissance littéraire qu’ont fait connaître au monde entier les deux précédents livres de Sands, Retour à Lemberg et La ­Filière (Albin Michel, 2017 et 2020). Et parce que cette manière de nouer la politique et la littérature, loin de tout discours idéologique, en unissant les pouvoirs de l’une et de l’autre pour les insérer ensemble dans la réalité, rend son œuvre unique, ce livre, passionnante synthèse de toutes les vies de son auteur, fournit une parfaite occasion de revenir sur chacune d’elles, et sur le tout qu’elles ont fini par créer.

Quand le gouvernement britannique annonce, en 2010, la création d’une aire marine protégée (AMP) autour des Chagos, l’initiative paraît louable à beaucoup. Pas aux anciens habitants de l’archipel, chassés de leurs îles par les mêmes Britanniques entre 1967 et 1973.

Si l’AMP est installée, la pêche sera interdite dans la zone, et ils ne pourront revenir : comment subsisteraient-ils ?

Le projet semble balayer leurs espérances.

En réalité, il va bientôt se retourner contre le Royaume-Uni. Des documents commencent à circuler, démontrant que l’administration britannique joue sciemment les défenseurs de l’environnement contre ceux des Chagossiens.

L’île Maurice, qui n’avait pu accéder à l’indépendance, en 1968, qu’en cédant par force les Chagos, se tourne vers la Cour internationale de justice, laquelle, en 2019, lui donne raison. Les Chagossiens peuvent rentrer. Sauf que, depuis, les Britanniques feignent de ne pas avoir entendu la leçon. »

Par rapport à 2013, nous avons avancé maintenant la justice internationale donne raison aux Chagos, mais les britanniques et les américains ne se sont toujours pas soumis à cette décision.

Dans « L’Obs » un article de ce 11 septembre <Philippe Sands, l’avocat en guerre contre Londres> explique :

« Depuis Nuremberg, la notion de « crime contre l’humanité » inclut la « déportation » et la Convention européenne des Droits de l’Homme entrée en vigueur en 1953 offre à un individu la possibilité de porter plainte contre son propre pays devant une cour internationale. Les Chagossiens ont au départ peu d’espoir.

La Grande-Bretagne soutenue par les Etats-Unis avait même préféré les prévenir : aucune chance qu’un recours au droit international ne mette fin à la tutelle coloniale sur les Chagos. C’était sans compter sur la détermination des avocats dont, on l’aura compris, Philippe Sands. Il se bat aux côtés de Liseby Elysé et de sa famille, convaincu que cette affaire est le dernier vestige du colonialisme.

Cette indignation se traduit par des années de lutte, un périple juridique complexe au sein des institutions internationales, jusqu’à la Cour internationale de Justice de La Haye. Le livre retrace avec minutie ce parcours, montrant le rôle compliqué qu’a joué le droit international depuis 1945 dans le recul du colonialisme. […] en 2019 la Cour a conclu que le Royaume-Uni devait mettre fin à son administration sur les Chagos. Et qu’en 2022, à la faveur d’une mission scientifique autorisée par Londres, Liseby Elysé, à l’âge de 69 ans, a pu retourner quelques heures sur sa terre natale et nettoyer la tombe de ses proches. »

Cet article rapporte que la position de la Grande-Bretagne et des États-Unis devient intenable :

« La réputation de la Grande-Bretagne en tant que garante de l’état de droit international a volé en éclats. » Le soutien des États-Unis devient à son tour intenable. Deux pays, ayant présidé à la création du tribunal de Nuremberg, sont en train de « réduire en miettes leurs engagements ». Une régression inquiétante aux yeux de Sands qui a toujours dit l’importance qu’il accordait à ce moment révolutionnaire que fut Nuremberg, et pour qui le droit international est notre seul système de valeurs commun. Sans compter que les implications géopolitiques sont graves : comment critiquer l’occupation illégale de l’Ukraine par la Russie quand on continue d’occuper illégalement une partie de l’Afrique ? »

Cet article < Liseby Élysée : « notre voix est entendue à travers le monde »> est une interview de cette femme après son témoignage à la Cour internationale de Justice.

Dans cet article on apprend que :

« Bien qu’elle soit un être humain, elle a été placée dans la cale du bateau qui déportait les Chagossiens vers Maurice. Le voyage a duré 4 jours. Elle était enceinte et a accouché dans le bateau. Son enfant est mort durant la traversée. »

Des informations se trouvent aussi sur <Site> d’un journal de la République de Maurice

Et je redonne le lien vers l’émission de France Culture : < Royaume-Uni : l’empire qui ne voulait pas mourir >

<1707>

Mardi 28 juin 2022

« Le côté obscur des religions.. »
Imposer aux autres ce qu’on croit ou peut être même feint de croire

Ils ont osé !

L’Amérique des évangéliques, celle qui vote massivement Trump est arrivée à son objectif : annuler l’arrêt rendu par d’autres juges de la Cour Suprême des États Unis en 1973 : « l’Arrêt Roe v Wade »

« Roe v. Wade », 410 U.S. 113 est un arrêt historique rendu par la Cour suprême des États-Unis en 1973 sur la question de la constitutionnalité des lois qui criminalisent ou restreignent l’accès à l’avortement. La Cour statue, par sept voix contre deux, que le droit à la vie privée, en s’appuyant sur le quatorzième amendement de la Constitution des États-Unis, s’étend à la décision d’une femme de poursuivre ou non sa grossesse, mais que ce droit doit être mis en balance avec les intérêts de l’État dans la réglementation de l’avortement : protéger la santé des femmes et protéger le potentiel de la vie humaine.

Roe v. Wade est devenu l’un des arrêts de la Cour suprême les plus importants politiquement, divisant les États-Unis entre personnes se disant « pro-choice » (« pro-choix », pour le droit à l’avortement) et « pro-life » (« pro-vie », anti-avortement).

Et depuis 1973, méthodiquement avec la persévérance, la patience de ceux qui croient en l’Éternité, ces régressifs ont poursuivi leur lutte, pas à pas, en infiltrant les cercles de pouvoirs ou en faisant un lobbying incessant auprès des élus et en usant de toutes les opportunités même les plus invraisemblables. Ils ont finalement utilisé Donald Trump, qui est tellement loin de tous les principes moraux qu’ils prétendent mettre en œuvre, pour parvenir au but qu’ils s’étaient fixés.

Et c’est ainsi que cet ignoble personnage a pu écrire :

« C’est la volonté de Dieu ».

Dans un communiqué, Donald Trump a estimé que la décision historique sur l’avortement, après celle de jeudi consacrant le droit au port d’armes en public, a été rendue possible « seulement car j’ai tenu mes promesses ».

Il a en effet nommé trois juges conservateurs, pendant les 4 années de son mandat, dont un en tout fin de mandat.

Alors que les lobbys évangéliques et républicains sont arrivés à empêcher Obama de nommer un juge progressiste, en prétendant qu’en fin de mandat un Président n’était plus légitime à nommer un juge à vie.

Et le milliardaire cynique et inculte a ajouté :

« Ces victoires majeures montrent que même si la gauche radicale fait tout ce qui est en son pouvoir pour détruire notre pays, vos droits sont protégés, le pays est défendu et il y a toujours un espoir et du temps pour sauver l’Amérique ».

Je n’approfondirai pas cette organisation juridique si particulière des États-Unis, dans laquelle ce sont les 9 juges de la Cour Suprême qui fixent les règles en se basant sur l’interprétation de la constitution des États-Unis.

En France, c’est une Loi, la fameuse Loi Simone Veil qui a fixé les règles qui encadraient le droit des femmes à recourir à l’interruption volontaire de grossesse.

Aux États-Unis ce n’est ni le Congrès fédéral, ni le Sénat fédéral qui sont intervenus, mais la Cour Suprême Fédéral qui, en 1973, a contraint les gouvernements des États fédérés de tolérer l’avortement.

Par son jugement du 24 juin 2022 et par 6 voix contre 3, la Cour donne raison à l’État du Mississippi qui l’avait saisi et révoque Roe v. Wade. Les États sont désormais libres de définir la politique relative à l’avortement dans leur juridiction.

Cette même Cour avait la veille, le 23 juin 2022, autorisé tous les Américains à sortir dans la rue, armés d’une arme de poing, dissimulée sous leurs vêtements. Ce qui était interdit, par exemple, dans les rues de New York.

Et il semble qu’elle a même l’intention de ne pas s’arrêter en si bon chemin et envisage à revenir aussi sur la contraception, en interdisant la délivrance des pilules contraceptives, permises depuis 1955 – soit 2 ans avant la France !

Nous sommes dans un pays où comme l’écrit, en 2014, <Le Monde> :

« Un quart des Américains (26 %) ignorent que la Terre tourne autour du Soleil et plus de la moitié (52 %) ne savent pas que l’homme a évolué à partir d’espèces précédentes d’animaux. C’est ce que révèle une enquête aux résultats édifiants, menée auprès de 2 200 personnes par la Fondation nationale des sciences américaine et publiée vendredi 14 février. »

En France, sommes-nous à l’abri de telles dérives ?

J’ai reproduit le tweet ainsi qu’un ajout qu’a écrit cette dame qui a été député pendant 21 ans et ministre du logement pendant deux ans dans le gouvernement de Fillon sous la présidence de Sarkozy.

Et elle n’est pas seule, il suffit de se rappeler de ce furent les manifestations contre le mariage pour tous.

Simone de Beauvoir écrivait

« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant »

Tout ceci ne serait pas possible s’il n’existait plus des populations complètement aveuglées par des récits écrits par des hommes, je veux dire des mâles humains, et que ceux qui croient continuent à penser qu’il s’agit de textes dictés directement par leur dieu.

Il y a quelques mois, en allant au travail, juste après avoir posé le vélo’v à sa station, j’ai été interpellé par 3 jeunes hommes en costume, portant écusson qui portait cette mention : « L’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours ».

Ce qui est le nom « scientifique » des Mormons.

Ils ont souhaité engager la conversation, j’y consentis.

Et voici la teneur de cet échange, cité de mémoire. Je pense que vous n’aurez aucune peine à distinguer mes propos de ceux des trois jeunes aspirant à devenir des saints des derniers jours :

  • Bonjour
  • Bonjour
  • Nous sommes…
  • Oui je sais, j’ai vu votre écusson
  • Croyez-vous en l’existence de Dieu ?
  • Je ne sais pas si Dieu existe ou s’il n’existe pas.
  • Si vous examinez le monde, le soleil, l’univers vous croyez vraiment que tout cela peut exister par hasard, sans qu’il y ait quelqu’un qui a créé tout cela ?
  • Oui c’est possible que le hasard ait fait cela. Mais si c’est vraiment Dieu qui a réalisé cela, cet univers gigantesque avec des milliards d’étoiles, de planètes, de trous noirs, croyez vous vraiment que ce Dieu puisse manifester le moindre intérêt pour un animal vaguement évolué, habitant une petite planète du système solaire situé en périphérie de la galaxie de la voie lactée, une parmi des milliards d’autres ? Ne manifestez-vous pas ainsi un orgueil incommensurable ?
  • Mais si, Dieu s’intéresse à nous, nous entoure de son amour et nous guide pour notre bien.
  • Vous êtes sérieux ? Qu’avez-vous compris de l’histoire récente des humains, simplement depuis le début du XXème siècle. Qu’a fait ce Dieu dont vous me parlez à Auschwitz ?
  • Il était là, mais il a laissé les humains agir selon leur volonté.
  • Évidemment, c’est une hypothèse commode, mais elle ne me convainc pas. Je vous ai dit que je ne sais pas si Dieu existe. Mais je suis convaincu ou je crois si vous préférez que votre Dieu, celui dont il est question dans la bible ou dans le coran, lui il n’existe pas ! Ce qui existe ce sont des organisations humaines qui sont hiérarchisées, qui profitent à ceux qui les dirigent et qui sont grisés par le pouvoir qu’ils en tirent et quelquefois même des revenus et un patrimoine substantiel. En général ce sont d’ailleurs des hommes qui par le récit et les règles qu’ils racontent ont parmi leur objectif principal de soumettre les femmes.
  • Mais non ce n’est pas ainsi et croyez-vous en l’existence de Jésus ?
  • Jésus, l’homme a peut-être existé, mais il n’y a aucune source autre que celles écrites par les chrétiens qui atteste de son existence.
  • Mais si, il y a d’autres sources…
  • Alors là jeune homme ce sont des découvertes récentes dont je n’ai pas connaissance, parce que vous comprenez c’est un sujet qui m’intéresse.
  • Il y a l’historien Flavius Josephe qui parle de Jésus.
  • Oui, mais là ce n’est pas une source externe, Flavius Josephe cite des chrétiens qu’il a rencontré et rapporte ce qu’ils lui ont dit. En revanche, il y a une stèle qu’on a retrouvé au proche orient qui évoque l’existence de Ponce Pilate. Mais savez-vous que le Dieu monothéiste a été inventé par les juifs il y a environ 2500 ans. Et que notre espèce homo sapiens a environ 100 000 ans d’existence. Notre race humaine a donc su se passer, la plus grande partie de son existence, de ce Dieu éternel, unique et qui s’intéresserait à vous ?

  • Bon il faut que je me rende à mon travail. Si je peux me permettre un conseil : si le fait de croire vous fait du bien n’hésitez pas à continuer, mais garder toujours éveillé le germe fécond du doute et surtout n’imposez jamais votre croyance et vos règles par la contrainte. Bonne journée !
  • Bonne journée.

Alors il peut exister un coté lumineux de la religion, celle qui s’intéresse au spirituel, à ce qui nous dépasse et à ce qui transcende le matériel.

Régis Debray, à ce stade, pense que l’absence de Dieu est pire que sa présence.

Il y aussi ce propos qu’aurait tenu Jaurès à des radicaux qui étaient très anticléricaux au début du XXème siècle :

« Pourquoi voulez-vous faire taire cette petite voix consolante qui fait tant de bien aux pauvres humains qui sont dans la peine ? »

Car oui, c’est une source de consolation pour beaucoup qui souffrent, qui sont dans le deuil ou sont au seuil de cette terrible inconnue qu’est la mort.

Mais le côté obscur des religions c’est celui qui veut imposer sa règle à tous, obliger tout le monde à respecter les règles que les adeptes de ce récit auquel ils croient s’imposent à eux-mêmes.

Et dans ce cas quand ils sont puissants, les religieux sont même capables des pires crimes pour imposer leurs règles.

Combien de crimes ont été ainsi commis au nom de ces religions qui prétendent œuvrer pour la paix et d’amour du prochain ?

Il faut arrêter d’être naïf.

Et en France, au moins, il est essentiel de respecter les croyances, permettre à chacun de vivre librement sa Foi tant qu’elle n’est pas en contradiction avec la Loi de la République.

Mais de manière réciproque ; il faut défendre avec fermeté, lucidité et force s’il le faut, la liberté de faire et penser autrement quand les religions de toute obédience veulent imposer aux autres, à leur famille puis aux voisins puis à tout le monde les règles qu’ils s’appliquent à eux même parce qu’ils adhèrent à un récit particulier.

Nous devons arrêter de regarder les responsables ou autorités religieuses avec les yeux de Chimène en leur reconnaissant une quelconque autorité morale générale.

Nous devons les regarder avec les yeux du doute que je décrirai ainsi :

Je reconnais ton droit absolu de croire. Est-ce que tu reconnais réciproquement la liberté des autres à ne pas croire ce que tu crois et est-ce que tu renonces définitivement à imposer aux autres et à la société les règles qui ne concernent que ta foi et ceux qui y adhèrent ?

<La journaliste Ana Kasparian> synthétise tout cela très bien.

<1689>

Lundi 7 juin 2021

« Si je meurs, si j’ai une tombe, qu’un bouquet de pivoines rouges y soit déposé. »
Mihriay Erkin

<Slate> rapporte que selon un rapport publié par le Centre for Economics and Business Research (CEBR), la Chine devrait dépasser les États-Unis pour devenir la première puissance économique mondiale d’ici 2028.

Dans 7 ans.

Si cette prédiction se réalise, le monde sera dominé économiquement par un État qui est une dictature sanglante. Celles et ceux qui ont détesté l’hégémonie américaine, ce qui peut être compréhensible, seront sidérés par celle de la Chine du Parti Communiste Chinois.

Quelquefois pour toucher la réalité d’un problème, il faut s’échapper des concepts pour revenir à hauteur d’homme ou hauteur de femme comme dans cette histoire vraie.

La première fois que j’ai entendu parler de « Mihriay Erkin » c’était dans la revue de presse de Claude Askolovitch sur France Inter le <4 juin 2021>

Il évoquait un article de « Libération » : « Mihriay Erkin, étoile ouïghoure éteinte dans les ténèbres des camps » que la journaliste Laurence Defranoux avait publié le 2 juin 2021.

Depuis Raphaêl Glucksman a relayé cet article de Laurence Defranoux sur Facebook et mon amie Florence a partagé le post de Glucksman.

Mihriay Erkin était une jeune chercheuse de 29 ans à l’institut Nara au Japon. Elle était exilée, car elle était ouighour et avait quitté l’empire de Chine alors que ses parents étaient restés dans leur pays.

Elle a été piégée parce que les autorités chinoises ont « incité » sa mère à la convaincre de revenir la voir.

Claude Askolovitch résume ainsi cette histoire :

«  Regardez bien alors la bouille et le sourire espiègle de Mihriay Erkin, qui avait 29 ans, qui était heureuse au Japon, étudiante chercheuse en science et en technologie, mais qui en juin 2019 est revenue en Chine pour voir sa famille, sa mère l’a suppliait… Mihriay était ouighour, de ce peuple de confession musulmane que l’Etat chinois veut réduire, elle enseignait sa langue, son oncle était un linguiste exilé en Norvège, la famille était surveillée et l’invitation ressemblait à un piège. […] En arrivant en Chine, Mihriay a appris que son père avait été condamné pour incitation au terrorisme, puis elle a été arrêtée, elle est morte en décembre 2020 dans un camp, les autorités ont demandé à sa famille de dire qu’elle souffrait d’une maladie cachée. »

Dans l’article de Laurence Defranoux, nous apprenons les précisions suivantes :

  • C’est sa mère qui l’a appelée pour la supplier de rentrer, et lui a envoyé de l’argent pour acheter le billet d’avion.
  • Immédiatement à son arrivée, en juin 2019, elle a été privée de son passeport et assignée à résidence au Xinjiang. Elle a été arrêtée en février 2020 et elle est morte le 20 décembre dans le centre de détention de Yanbulaq, près de Kashgar, dans l’ouest de la Chine. La nouvelle a commencé à filtrer à l’étranger la première semaine de mars. Mais c’est seulement le 20 mai que sa mort a été confirmée grâce aux renseignements obtenus par Radio Free Asia, un site militant américain qui possède une antenne en ouïghour.
  • La police chinoise utilise des stratagèmes pour attirer les exilés à revenir au Xinjiang comme les obliger à venir en Chine pour signer des papiers ou renouveler leur passeport. Mais, surtout, elle se sert de la famille comme appât. L’envoi d’une forte somme d’argent par sa mère, pourtant sans ressources, alors qu’un virement à l’étranger suffit à être condamné pour « financement d’activités terroristes », a tout du piège. C’est un dilemme pour les jeunes éloignés et isolés, alors que la culture ouïghoure donne une place très importante à la famille et à l’obéissance aux parents.

Mihriay Erkin était assez consciente des risques puisqu’au moment de partir, le 18 juin 2019, à l’aéroport de Tokyo elle a envoyé ce message :

« Depuis mon enfance, on m’a appris que les enfants doivent accomplir leur devoir en restant auprès de leurs parents. Soyez en paix. Si je meurs, si j’ai une tombe, qu’un bouquet de pivoines rouges y soit déposé.»

La journaliste explique :

« Mihriay Erkin a tout pour attirer l’attention des autorités qui ont pour objectif d’éradiquer la culture millénaire des Ouïghours et les assimiler de gré ou de force dans la «grande nation chinoise». Brillante élève, maîtrisant le ouïghour, le mandarin, le japonais et l’anglais, elle a obtenu un master de bio-ingénierie au Japon après une licence de biologie à Shanghai. Mais elle ne s’est pas coupée de ses racines, porte le hijab et enseigne depuis deux ans le ouïghour à des enfants de la diaspora au Japon en marge de son doctorat. De plus, elle est la nièce d’Abduweli Ayup, linguiste renommé, diplômé aux Etats-Unis. Emprisonné et torturé en 2013-2014 pour avoir levé des fonds afin d’ouvrir une école maternelle ouïghoure, harcelé à sa sortie, il s’est exilé en Norvège en 2015, d’où il continue à militer pour l’usage du ouïghour dans l’enseignement.

Cet oncle quand il apprend le projet de sa nièce va tout faire pour la dissuader :

« Ce dernier est très attaché à celle qu’il appelle «mon bébé», et qu’il a élevée pendant deux ans lorsque ses parents s’étaient éloignés pour leur travail. […] Il essaie de la convaincre de ne pas monter dans l’avion pour la Chine. Mais Mihriay ne cède pas. Depuis la salle d’embarquement, elle lui écrit : « Chacun de nous mourra seul. L’amour de Dieu, notre sourire et notre peur nous accompagnent. Je vis dans de telles frayeurs, il est préférable d’en finir. »

Selon des sources contactées par Radio Free Asia, Mihriay Erkin serait morte alors qu’elle était l’objet d’une enquête menée par le bureau de la Sécurité publique de Kashgar, possiblement lors d’un interrogatoire. Elle avait 30 ans.

Elle n’aura pas de bouquet de pivoines sur sa tombe :

« Seules trois personnes assistent à son enterrement, sous surveillance policière. La police leur intime l’ordre de garder le secret sous peine d’être « emprisonnées pour divulgation de secrets d’Etat» et «diffamation de la police». Une page est ajoutée à son dossier médical affirmant qu’elle souffrait d’une maladie cachée. Lorsque, en mars, la nouvelle de sa mort affleure sur les réseaux sociaux à l’étranger, la police demande à sa mère d’« avouer » devant une caméra avoir dissimulé le fait que sa fille était «malade» et de dire qu’elle est morte à la maison, puis renonce, pour une raison inconnue, à tourner la vidéo. »

Bien sûr, aucun pays ne dira rien : la Chine est tellement puissante. Il ne faut pas la fâcher. Aucune entreprise multinationale ne veut se passer du marché chinois. Et, en fin de compte tant de nos économies, de notre confort dépend de l’empire du milieu.

« La Croix » relate qu’il existe bien une instance qui a pris pour nom « Tribunal Ouïghour » » et qui tente de déterminer si le régime chinois est coupable de « crime contre l’humanité », voire de « génocide ». Mais cette instance d’origine privée n’a aucune autorité à faire valoir pour faire reconnaître son travail et ses avis, sans parler de décisions qui n’auraient aucun sens dans ce contexte.

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Jeudi 24 septembre 2020

«La liberté, c’est d’abord dans nos cœurs»
Abderraouf Derradji dit Soolking

Le rap ne fait pas partie de mon monde culturel. La plupart du temps quand j’entends un morceau qui se réclame de cette culture, je n’éprouve aucun plaisir à écouter et souvent cela me conduit à m’éloigner ou à changer la station de radio qui le diffuse.

Mais j’ai trouvé un morceau qui m’a parlé et m’a fait vibré.

Il s’agit de <La liberté> du rappeur algérien <Soolking>, de son vrai nom Abderraouf Derradji et qui est né en 1989 en Algérie.

C’est l’émission Mediapolis d’Olivier Duhamel du <19/09/2020> qui me l’a fait découvrir, en fin d’émission. Olivier Duhamel fait toujours une chanson en écho avec l’actualité.

L’actualité était la condamnation du journaliste Khaled Drareni, par la justice algérienne, à deux ans de prison. Il était jugé pour « incitation à un attroupement non armé et atteinte à l’intégrité du territoire national ». Dans la réalité il couvrait tout simplement, comme journaliste, en particulier pour TV5 Monde, des manifestations contre le pouvoir.

Le Monde dans un <Article du 15 septembre 2020> affirme que :

« La sentence, inédite par sa brutalité, a surpris et choqué journalistes, avocats et ONG, en Algérie et au-delà. »

Le Monde l’avait rencontré en février :

« Khaled Drareni se savait dans le collimateur des autorités : « Ils veulent étouffer toutes les voix divergentes et museler la presse indépendante. Il s’agit d’isoler le Hirak. Il est important de tenir et, pour les journalistes, de s’organiser », confiait-il alors. »

Le Hirak (en français « Mouvement »), désigne une série de manifestations qui ont lieu depuis le 16 février 2019 en Algérie pour protester dans un premier temps contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat présidentiel.

Vous trouverez une description précise et documentée de ce mouvement sur une page Wikipedia <Le Hirak>

Ce mouvement que tous les observateurs ont loué pour sa maturité, son refus de la violence ainsi que la clarté des revendications : mise en place d’une vrai démocratie et mise à l’écart des apparatchiks qui monopolisent le pouvoir et les richesses économiques.

Ils ont eu des succès. D’abord le régime a renoncé à présenter Bouteflika une nouvelle fois à la présidentielle. Puis il a accepté d’écarter définitivement Bouteflika du pouvoir en organisant sa démission.

Mais par la suite le pouvoir n’a plus rien lâché en organisant une élection verrouillée qui a conduit à la désignation d’un président acceptable par la nomenklatura au pouvoir : Abdelmadjid Tebboune qui est président depuis le 19 décembre 2019.

Depuis plus rien n’a changé, les manifestations continuent même si le COVID joue un rôle négatif sur la mobilisation dans la rue, mais la répression est de plus en sévère.

Libération écrit dans un article du 18 septembre 2020 : « Khaled Drareni ou les illusions perdues du hirak algérien »

« La condamnation confirmée en appel du journaliste illustre l’intention du pouvoir algérien de dissoudre le Hirak pour survivre tel quel, sans la moindre avancée démocratique.

Il est des sujets sur lesquels chacun d’entre nous a le devoir de s’exprimer, qu’on ait un lien ou non avec le peuple algérien. En tant que citoyens, en tant qu’inlassables défenseurs de la démocratie, en tant qu’héritières et héritiers de ce long et glorieux combat pour la liberté, mené par nos grands-parents, nos arrière-grands-parents, et tous ceux, qui se sont battus, souvent au prix de leur vie, pour un pays libre, démocratique, et indépendant.

Rien n’aura été, depuis la décennie noire, aussi réjouissant, que le hirak, lancé en 2019, victime du coronavirus en 2020. Ce mouvement pacifique et contestataire, spontané et populaire, aura réveillé la bête autocratique et militaire. Presque 60 ans après la révolution algérienne comme la nommait Frantz Fanon, voici l’Algérie, république dite « démocratique et populaire », qui retombe dans ses pires travers : arrestations arbitraires, emprisonnements pour « délit d’opinion », censure, et autres mesures dignes d’un régime autoritaire. […]

Khaled est surtout l’un de ceux qui a permis de donner au mouvement une visibilité médiatique malgré la censure du pouvoir, il a porté et diffusé la voix de tout ce peuple algérien, défilant chaque vendredi, pour libérer leur pays du carcan autocratique qui le bride depuis des décennies. Khaled est devenu un symbole, l’incarnation de tous ces manifestants, l’effigie du hirak et à ce titre, il est aujourd’hui condamné pour servir d’exemple, par un pouvoir qui rêve d’étouffer le mouvement populaire lancé depuis plus d’un an. […]

Chacun d’entre nous retient le sourire de Khaled, comme une promesse : il reviendra, continuer ce long combat. Nulle part, sur les chaînes d’information publiques contrôlées par le pouvoir, vous n’entendrez parler de Khaled. Partout, des rues algériennes aux réseaux sociaux, vous verrez, quelque part, trôner le sourire de Khaled, symbole de sa liberté d’expression. »

Ceci nous amène à la chanson de Soolking

Le Parisien dans un article de mars 2019 a écrit : « «Liberté» de Soolking devient l’hymne de la jeunesse algérienne » :

« La chanson du rappeur, véritable phénomène en Algérie, est reprise dans les rues et a dépassé les 17 millions de vues sur YouTube.

La jeunesse algérienne vient de trouver son hymne. Soolking, la méga star du pays a dévoilé, sans effet d’annonce, une chanson sobrement intitulée « Liberté », en duo avec Ouled El Bahdja. Ce titre politique poignant a été écrit en écho à la crise politique que traverse le pays. »

Le lien entre cette chanson et le mouvement date donc du début du Hirak et faire l’entendre en évoquant le journaliste Khaled Drareni est donc plein de sens.

<Voici une interprétation de cette chanson>

La liberté

« Paraît que le pouvoir s’achète
Liberté, c’est tout c’qui nous reste
Si le scénario se répète
On sera acteurs de la paix
Si faux, vos discours sont si faux
Ouais, si faux, qu’on a fini par s’y faire
Mais c’est fini, le verre est plein
En bas, ils crient, entends-tu leurs voix?
La voix d’ces familles pleines de chagrin
La voix qui prie pour un meilleur destin
Excuse-moi d’exister, excuse mes sentiments
Et si j’dis que j’suis heureux avec toi, je mens
Excuse-moi d’exister, excuse mes sentiments
Rends-moi ma liberté, je te l’demande gentiment
La liberté, la liberté, la liberté
C’est d’abord dans nos cœurs
La liberté, la liberté, la liberté
Nous, ça nous fait pas peur
La liberté, la liberté, la liberté
C’est d’abord dans nos cœurs
La liberté, la liberté, la liberté
Nous, ça nous fait pas peur
Ils ont cru qu’on était morts, ils ont dit “bon débarras”
Ils ont cru qu’on avait peur de ce passé tout noir
Il n’y a plus personne, que des photos, des mensonges
Que des pensées qui nous rongent, c’est bon, emmenez-moi là-bas
Oui, il n’y a plus personne, là-bas, il n’y a que le peuple
Che Guevara, Matoub, emmenez-moi là-bas
J’écris ça un soir pour un nouveau matin
Oui, j’écris pour y croire, l’avenir est incertain
Oui, j’écris car nous sommes, nous sommes main dans la main
Moi, j’écris car nous sommes la génération dorée
La liberté, la liberté, la liberté
C’est d’abord dans nos cœurs
La liberté, la liberté, la liberté
Nous, ça nous fait pas peur
La liberté, la liberté, la liberté
C’est d’abord dans nos cœurs
La liberté, la liberté, la liberté
Nous, ça nous fait pas peur
Libérez li rahi otage, libérez lmerḥouma, kayen khalel f lqada’
Libérez ceux qui sont otages, nous, c’est tout c’qu’on a
[…]

La liberté, la liberté, la liberté
C’est d’abord dans nos cœurs
La liberté, la liberté, la liberté
Nous, ça nous fait pas peur
La liberté, la liberté, la liberté
C’est d’abord dans nos cœurs
La liberté, la liberté, la liberté
Nous, ça nous fait pas peur »

Je constate donc que si un artiste a quelque chose à dire, et sait le dire bien, il arrive à me toucher même quand il s’agit de rap.

Le 21 septembre nous apprenions que le gouvernement algérien interdisait désormais la diffusion de la chaîne M6 après la diffusion d’un documentaire.

<1460>

Mardi 16 juin 2020

«Dans toutes les villes où on a fait les enquêtes, la police en France a des comportements discriminatoires.»
Sébastian Roché

J’ai déjà écrit deux mots du jour sur le sujet du comportement des policiers français dans le cadre de leurs missions.

Le premier était pour prendre leur défense de manière résolue, lors des manifestations des gilets jaunes : « C’était de l’ultraviolence. Ils avaient des envies de meurtre. Nous, notre but c’est juste de rentrer en vie chez nous, pour retrouver nos familles. »
Dans cet article, je prenais presque une posture émotionnelle : « Ces personnes sont des fonctionnaires comme moi. Ils ont fait le choix de se mettre au service de L’État et de la République. Mais quand ils sont appelés à assurer leur mission, sur un théâtre d’opération, ils ne sont pas certains de rentrer en bonne forme le soir, en retournant dans leur famille retrouver leurs enfants, leur compagne ou compagnon. »

Mais dans ce genre de questions il ne me semble pas pertinent de ne rester que dans l’émotion. Il faut aussi de l’analyse, des faits et de la rigueur dans le propos.

Plus d’un an plus tard, je me suis résolu à évoquer certains dysfonctionnements en utilisant explicitement le terme de « violences policières. »

Ce second article ne contredisait pas le premier, il exprimait simplement un autre aspect de la même réalité.

Pour ce faire j’ai d’abord entendu et lu des amis qui m’informaient de cette face sombre de la police en France.

Il y avait aussi le travail rigoureux et documenté du journaliste David Dufresne :

Il a effectué sur twitter, le recensement de violences policières : <Allo place Beauvau>.

Il a aussi écrit un roman traitant de ce sujet : « Dernière sommation ».

Il dispose aussi d’un site qui traite de l’ensemble de ses travaux : http://www.davduf.net/

Plus récemment, il s’est intéressé aux rapports de l’IGPN, cette structure interne à la Police qui a vocation à exercer un contrôle sur les activités de police. Mediapart l’a interrogé, il y a quelques jours sur les conclusions de son enquête : « Allo l’IGPN ». Selon lui, ce travail de contrôle n’est pas assez rigoureux et manifeste trop de laxisme sur les comportements déviants de la police.

Dans ce second article je citais aussi Sébastien Roché qui a écrit un livre : <De la police en démocratie>

« Sébastien Roché » est un chercheur spécialisé en criminologie, docteur en sciences politiques, directeur de recherche au CNRS et éditeur (Europe) de Policing and Society, un des journaux internationaux sur la science de la police les plus importants.

Ses travaux portent essentiellement sur les questions de délinquance et d’insécurité, puis sur les politiques judiciaires et policières comparées ainsi que sur la gouvernance de la police et les réformes du secteur de la sécurité.

C’est un chercheur respecté dans son domaine. Il avait été nommé en 2016 par Bernard Cazeneuve au Conseil de la stratégie et de la prospective du ministère de l’Intérieur. Et il a enseigné pendant 16 ans à l’École nationale supérieure de la Police (ENSP).

Mais le 27 août 2019, il est informé qu’il n’enseignera plus dans cette école.

Difficile de ne pas y voir un lien avec ses analyses critiques sur des violences policières pendant le mouvement des Gilets Jaunes.

Ce point m’alerte !

Il ne me semble pas pertinent de ne pas accepter la critique et de refuser de discuter des faiblesses et des problèmes. Le déni ne permet pas de progresser.

En ce moment, la question des violences policières est revenue sur le devant de la scène.

Sur France Culture Guillaume Erner a donc invité Sébastien Roché, vendredi le 12 juin, pour reparler de ce sujet : <La Police doit-elle se réformer ?>.

Dans cet entretien, il n’a pas été question de violences, mais de discrimination et de racisme. Sébastien Roché ne laisse pas de doutes sur le caractère extrêmement répandu de comportements discriminatoires :

« On a maintenant depuis plus de dix ans un grand nombre d’enquêtes sur la manière dont la police travaille, sur les contrôles d’identité et sur le traitement des personnes pendant les contrôles et les sanctions à l’issue des contrôles. Ces enquêtes je me rends compte qu’elles ne sont pas connues. Pourtant dès 2007, on a observé les comportements policiers dans les gares parisiennes avec une méthodologie très précise. Un peu plus tard « l’agence européenne pour les droits fondamentaux » a fait des enquêtes dans toute l’Europe, dans les grandes villes de France avec des échantillons qui permettent de bien comparer les gens, qu’ils soient blancs ou non, d’origine étrangère ou nationale. Et puis, il y a une énorme enquête, l’enquête « TeO » Trajectoire Et Origine, faite par l’INED (publié en 2016. Et puis il y a encore d’autres enquêtes, j’en ai dirigé une avec Dietrich Oberwittler pour comparer la manière avec laquelle la police travaille en France et en Allemagne et le contact avec les jeunes. Bref on a aujourd’hui un énorme corpus de données qu’on n’avait pas il y a dix ans. Et je me rends compte que le gouvernement fait comme s’ils n’existaient pas et le public ne les connait pas forcément.

Et toutes ces études montrent une chose simple : dans toutes les villes où on a fait les enquêtes, la police en France a des comportements discriminatoires. Que ce soit Grenoble, que ce soit Lyon, que ce soit les transports de la région parisienne, que ce soit Marseille, que ce soit Aix en Provence. […]
On a désormais la preuve d’une discrimination systémique. Cela ne fait plus de doute. »

Concernant l’accusation de racisme systémique dans la police, Sébastien Roché n’est pas aussi catégorique :

« Nous ne l’avons pas beaucoup observé ».

Toutefois récemment, le 4 juin, <Street Press> a révélé qu’un groupe facebook composé de milliers (8000) de policiers écrit des propos ouvertement racistes et vulgaires.

<Un deuxième groupe facebook> a été également révélé le 8 juin.

A la question de savoir, si la police Française se distingue par rapport aux autres polices européennes, Sébastien Roché répond :

« Toutes les polices sont différentes. La discrimination ethnique est un problème sérieux dans certains pays, particulièrement en France. Les écarts de traitement suivant votre couleur de peau, sont particulièrement nets. C’est pour cela qu’il y a cette émotion. Évidemment, ce n’est pas le seul pays en Europe à observer ce phénomène. Vous allez retrouver également en Espagne. Mais si vous prenez les pays qui sont les plus grandes puissances économiques européennes, c’est-à-dire celles qui ont le plus de moyens pour former les policiers et les encadrer, la France et l’Allemagne, vous voyez qu’en France, ces pratiques discriminatoires sont bien établies, alors qu’en Allemagne, elles sont très faibles, voire nulles pour la police des Länder. On voit simplement qu’on peut faire la police sans discrimination ou avec des niveaux de discrimination qui sont beaucoup plus réduits qu’en France. Donc on peut faire une meilleure police. Faire la police ne justifie pas la discrimination. »

Pour Sébastien Roché, avant toute chose il faut une vraie prise de conscience.

« La première étape, c’est vraiment la prise de conscience. C’est ce qu’il y a de plus inquiétant. On a le sentiment que le gouvernement n’a pas pris conscience du choc moral, malgré la vague de protestation au niveau mondial. Les syndicats de police majoritaire n’ont pas non plus pris conscience de ce choc. Il faut voir que la discrimination policière c’est une violation, tous les jours de la constitution et de la déclaration des droits de l’homme. […] C’est curieux que le gouvernement ne se mobilise pas pour défendre les droits constitutionnels des français.

On a pu penser que M. Castaner avait pris conscience d’un certain nombre de choses lors de ses premières annonces. Il a eu des propos qui laissaient entrevoir une ouverture du ministère de l’Intérieur, qui n’est pas courante. Mais il n’a pas annoncé de choses pratiques. Il n’a pas annoncé la création d’outils de connaissance de la discrimination. Comment lutter contre quelque chose que l’on ne connaît pas. Comment faire si on ne dispose pas d’outils de connaissance. Il n’a pas fait d’annonces au sujet des moyens. On sait très bien que si on veut faire une politique de lutte contre la discrimination efficace dans la police à tous les niveaux, il faut des moyens. Et il n’a pas non plus annoncé d’objectifs quantifiés clairs. De combien il veut réduire le phénomène, dans combien de temps. »

En mars, avant le confinement Sébastien Roché avait été interviewé par Mediapart : «Le modèle français, c’est la police qui fait peur».

La « Loi et l’ordre » disait récemment un dirigeant peu recommandable.On peut être d’accord sur cette devise, mais il est question d’abord de Loi. Il faut que la Loi soit respectée. La discrimination, l’usage disproportionné de la force ne sont pas conformes à la Loi.

Il ne s’agit pas de sous-estimer la difficulté de l’exercice du métier de la police et de la violence à laquelle elle-même doit faire face. Mais on ne peut pas rester dans le déni.

Il faut d’abord que la Police soit capable d’aider à maintenir la paix dans la société. Certains comportements ne vont pas dans ce sens.

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