Mercredi 29 janvier 2020

« Violences policières »
Expression que le gouvernement n’accepte pas

Notre Président de la République avait introduit cet « élément de langage » lors d’une réunion du grand débat national, le 7 mars 2019 :

« Ne parlez pas de répression ou de violences policières, ces mots sont inacceptables dans un État de droit. »

Il a dit par ailleurs qu’il “refusait « l’expression “violences policières” pour décrire les blessures “malheureusement” subies par des participants au mouvement des “gilets jaunes“. »

Bien entendu, tous les membres du gouvernement ont repris cette interdiction : ils refusent tous d’évoquer des violences policières !

Pour ma part, j’ai eu du mal. J’ai d’abord observé que depuis la période des attentats, les forces de l’ordre ont eu à subir une pression énorme qui s’est  concrétisée par des millions d’heures supplémentaires et donc du repos en moins. Heures supplémentaires qui n’ont pas été payées pendant longtemps.

Et quand la colère et l’hystérie ont conduit certains gilets jaunes à engager des affrontements très violents avec la police, j’ai pris la défense de la police. Je trouvais les attaques injustes et le mot du jour du 10 décembre 2018 défendait l’action de la police et leur donnait la parole : « C’était de l’ultraviolence. Ils avaient des envies de meurtre. Nous, notre but c’est juste de rentrer en vie chez nous, pour retrouver nos familles. »

Mais peu à peu, il a fallu se rendre à l’évidence, il existait en France des violences policières. Ce n’était pas le fait de toutes les forces de l’ordre, mais parmi elles, certains usaient de manière disproportionnée de la force dont ils disposaient ou de manière   inadéquate en utilisant mal les armes, voire usaient de violence gratuite. <Comment décrire autrement> le croche pied qu’a fait un policier à une manifestante et dont parle le journal « La Dépêche »

Et puis, il y a eu le décès de Cédric Chouviat, suite à un contrôle routier. Cet homme qui a été plaqué au sol par trois policiers est mort d’une «manifestation asphyxique avec une fracture du larynx». Il a certainement commis une infraction et n’a probablement pas immédiatement obtempéré lors de son interpellation, mais cela ne peut pas, ne doit pas conduire à la mort d’un citoyen non armé lors d’un contrôle routier.

<Le journaliste David Dufresne> a entrepris un recensement des actes qui pouvaient poser la question de violences policières.

Évidemment, il faudrait pouvoir discuter de cela sereinement. C’est pourquoi j’ai trouvé très intéressante cette émission des <Idées Claires> qui posait ouvertement la question : « La police française est-elle plus violente qu’avant ?  »

Et pour y répondre le journaliste Nicolas Martin a interrogé Sebastian Roché, sociologue, directeur de recherche au CNRS et auteur de « De la police en démocratie »

Et voici ce que Sebastian Roché a répondu :

« Il y a moins de violences policières qu’hier si on se reporte au début du XXe siècle, mais sur ces dernières années il y a une augmentation des armes de type grenade et de type LBD qui ont causé des blessures irréversibles dans des quantités précédemment inconnues, inconnues en France, mais également inconnues dans les autres démocraties européennes. »

Quand je me regarde, je me désole ; quand je me compare, je me console, a-t-on coutume de dire.

Il semble cependant que pour le cas que nous évoquons, la comparaison non seulement ne nous console pas, mais nous inquiète.

L’étonnant ministre de l’intérieur que notre jeune président a nommé pour remplacer le vieux maire de Lyon en contrat d’intérim à Paris, vient d’annoncer sur France 3, dimanche 26 janvier, avec un peu d’emphase, « Il faut prendre des décisions, et j’en prends une immédiatement. », l’interdiction de la grenade GLI-F4.

C’est cette grenade qui avait causé la mort de Rémi Fraisse, le militant écologiste, à Sivens (Tarn),

Cette arme qu’aucun autre pays européen n’utilisait, n’était plus fabriqué parce qu’elle était dangereuse. Mais le ministère de l’intérieur a décidé de l’utiliser jusqu’à l’extinction des stocks ! Si une arme est dangereuse et ne convient pas à sa mission, on ne l’utilise plus même quand il reste du stock.

J’espère qu’il restait encore des stocks, parce que sinon l’annonce du ministre était non seulement emphatique mais aussi trompeuse.

Sebastian Roché explique cependant que la professionnalisation, c’est à dire la création d’unités spéciales au XXème siècle, du type CRS, a fait diminuer de manière importante la violence, par rapport à la situation d’avant. La situation d’avant c’était l’armée qu’on envoyait et qui tirait sur la foule. Ce fut le cas de la fusillade de Fourmies qui s’est déroulé le 1er mai 1891 et a conduit à un discours très véhément de Clemenceau contre l’utilisation excessive de la Force. <L’Humanité> nous rappelle que quelques années plus tard, en 1908, lorsque Clemenceau fut au pouvoir, il n’hésita pas non plus d’envoyer l’armée tirer sur les manifestants

Quand on habite Lyon, on se doit de rappeler que l’armée a tiré le 14 avril 1834 sur les canuts lyonnais.

La police est donc moins violente qu’en 1900 mais qu’en est-il depuis 2000 ?

« Il est certain que c’est depuis les années 2 000 qu’il y a eu un durcissement, notamment avec un équipement comme les armes LBD qui sont passées de la police d’intervention, par exemple, contre le terrorisme, à la police dite anticriminalité avec un usage peu contrôlé de ces armes puisque ce sont les agents eux-mêmes qui décident de leur emploi. Ils ne le font plus en réponse à une instruction hiérarchique et la généralisation de ces outils va entraîner des dégâts, mais qui ne vont pas être immédiatement connus. Il va y avoir un certain nombre d’associations qui vont se mobiliser contre l’usage des LBD, qui vont se mobiliser par rapport au fait qu’il y a des décès au cours des opérations de police, surtout dans les banlieues, surtout des personnes des minorités.”

[Mais] Ce qui est nouveau avec le mouvement des “gilets jaunes”, c’est que ce sont des personnes de la France périurbaine, voire rurale, en tous cas hors région parisienne, et que ce sont des personnes françaises d’origine française, blanches, qui vont être massivement touchées par les tirs. »

Alors, ce que dit ici, Sebastien Roché est encore plus navrant que le reste, navrant pour la France.

Il affirme que tant que la violence policière s’exerçait dans les banlieues, contre des personnes et des jeunes issues de l’immigration, les médias ne s’en inquiétaient pas trop.

Mais depuis que cela touche « des français innocents » pour reprendre la lamentable formule de Raymond Barre, ce n’est plus possible !

Le matériel utilisé pose problème :

« Le matériel qui est utilisé en maintien de l’ordre en France est singulier, puisqu’il y a à la fois différents types de grenades qui sont lancées, normalement à ras du sol mais on l’a vu bien souvent ce mode d’emploi n’est pas respecté, et les LBD. Et c’est la combinaison de ces deux types d’armes qui a occasionné les blessures irréversibles sur la trentaine de personnes qui a été mutilée. Les blessures causées par les grenades de désencerclement par exemple, peuvent être la perte d’un œil, ou si l’on touche la grenade au moment où elle explose, l’arrachage d’un pied ou d’une main. C’est une singularité française d’avoir ces deux types d’armes, les démocraties nordiques interdisent l’usage par la police pour le maintien de l’ordre soit des grenades, soit des LBD, soit des deux. […]

La police française, après le mouvement des “gilets jaunes”, va se situer effectivement dans le haut de la fourchette des violences non-mortelles, puisque ce sont essentiellement des mutilations que l’on va compter. Par exemple, la police de Catalogne, après avoir fait perdre les yeux à cinq personnes, a décidé d’interrompre l’usage des LBD. En France, après plus d’une vingtaine de personnes qui ont perdu la vue en tous cas d’un œil, le gouvernement n’a pas pris de mesures comparables. Donc, la France n’est pas un très bon élève en Europe. »

Sebastien Roché refuse d’affirmer que c’est le gouvernement qui a incité certains policiers à devenir violents. Il relève cependant certaines formules malheureuses. Et un point qui me semble particulièrement important, le manque de rigueur dans le port du numéro d’identification du policier, appelé numéro RIO :

« Il est difficile de prouver que le gouvernement a voulu que la police soit plus violente. Ce qu’on peut dire c’est que le gouvernement a pu indirectement inciter à la commission de violence par certains policiers parce que tous n’ont pas eu le même comportement bien sûr, notamment parce que le ministre de l’Intérieur a désigné de manière répétée les manifestants comme étant “hostiles”, “factieux” et donc indirectement il a légitimé l’usage de la force à leur encontre.

La deuxième chose c’est que le ministre de l’Intérieur n’a pas fait en sorte que les règlements soient appliqués et notamment la possibilité d’identifier chaque agent par le port d’un numéro, le numéro Rio (Référentiel des identités et de l’organisation). Dons si on n’oblige pas les agents à être identifiables de facto on ne fait pas peser sur eux le risque d’être comptables de leurs actes. »

Le discours du gouvernement a, un peu, évolué. Emmanuel Macron s’est exprimé  le 14 janvier 2020, à Pau, en parlant de comportement « pas acceptable » de certains policiers et gendarmes. Et a ajouté attendre d’eux « la plus grand déontologie ».

Mais pour le grand juriste et avocat Henri Leclerc, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme :

« Le problème est celui du commandement, de la hiérarchie ».

Il existe en effet un monde de vertu et de valeurs entre le Préfet Maurice Grimaud qui officiait en mai 1968, et dont le mot du jour du 20 août 2013 rappelait sa lettre aux policiers en pleine période d’émeutes : «Je veux leur parler d’un sujet que nous n’avons pas le droit de passer sous silence : c’est celui des excès dans l’emploi de la force.» et l’actuel préfet de police de Paris Didier Lallement qui a été nommé suite à la révocation de son prédécesseur qui n’avait pas été assez ferme et n’avait pas su empêcher la dégradation de l’Arc de triomphe le 1er décembre 2018.

Pour s’en convaincre, cet <article de Libération> permet d’éclairer la personnalité de celui qui est à la tête de la police de Paris.

Mais ce serait une simplification abusive de dire que tout le mal provient d’un seul homme qu’il suffirait de remplacer. Le mal semble plus profond. Il se trouve probablement aussi dans le manque de moyens humains et de formation des forces de l’ordre qui doivent affronter des défis majeurs, garantir l’ordre et la sécurité républicaine tout en conservant toujours la maîtrise de leurs nerfs et de leurs actions.

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Une réflexion au sujet de « Mercredi 29 janvier 2020 »

  • 29 janvier 2020 à 8 h 38 min
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    Toujours merci Alain de ces mises au point toujours nuancées . Moi qd je suis au cœur de manifs je me dis combien on demande de sang froid aux policiers sur un temps long ce dont je ne serais sans doute pas capable moi même.
    Mais depuis l’arrivée De Mr Castaner je sens comme une petite musique différente et j’ais assisté 2 fois au moins à des moments ou de petits groupes de policiers étaient stimulés par leur chefs à aller intervenir en direct ds la foule et exfiltrer un manifestant avec agressivité, se faisant chaudement féliciter au retour par ce même chef. C’est aussi la 1 er fois le 1 er mai dernier ou alors que j’arborai La pancarte «  policiers , travailleurs unissons nous pour un même combat » car je savais leurs heures sup non payées que j’ai eu le plus peur de ma vie. Aucune possibilité d’échapper en cas de mouvement de foule, toutes les rues étaient bloquées le long du cortège….
    Dernière chose : avez vous remarqué à quel point tous les jours nous entendons la capitale sillonnée par de puissantes sirènes . La capitale me rappelle à cet égard New-yorkais York il y a 20 ans. Les sirènes me semblent ils sont bq plus fortes qu’avant ce qui n’est Pas sans créer un certain climat de peur me semble t’il…. désagréable…. mettent tjs l’accent sur notre besoin de sécurité . Or comme l’a dit Alain Supiot je crois ds le combat sécurité / liberté c’est surtout le besoin de sécurité qui est cultivé et nourri….. au détriment bien sûr de la liberté !

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