Mardi 22 octobre 2024

« Une nation a solennellement promis à une seconde le territoire d’une troisième. »
Arthur Koestler

Heureusement qu’il y a Jean-Louis Bourlanges pour oser monter au créneau et dire simplement, à la fin de l’émission du « nouvel esprit public du 20 octobre 2024 » :

« J’ai été très frappé, de l’atmosphère de dénonciation indignée qui a accueilli un propos du Président de la République qui me paraissait très franchement tout à fait ordinaire et normal. […] De rappeler qu’Israël est un produit de la communauté internationale et qu’il a été créé par une résolution de l’ONU ne me parait ni faux, ni attentatoire à la dignité de ce pays. Je crois que c’est plutôt le signe de la culpabilité profonde de ladite communauté internationale à l’égard du peuple juif qui a été massacré par les nazis dans un climat d’indifférence assez général des Alliés. […] Cela ne sous-estime pas le rôle des forces armées d’Israël dans la protection de [l’Etat].
Il s’agit là d’une indignation tout à fait inopportune ! »

Au départ il y a une déclaration d’Emmanuel Macron, lors du conseil des ministres du mardi 15 octobre, qui était tenue à usage interne et qui n’aurait pas dû être rendu public.

Ces propos sont les suivants :

« Nétanyahou ne doit pas oublier que son pays a été créé par une décision de l’ONU […] Et par conséquent ce n’est pas le moment de s’affranchir des décisions de l’ONU »

Si on veut juridiquement être exact, il ne s’agit pas d’une « décision » mais d’une « résolution », qui porte le numéro 181 et qui propose le partage de la Palestine entre un État juif et un État arabe et un statut particulier et international pour Jérusalem.

Cette proposition sera adoptée le 29 novembre 1947 à la majorité des 2/3.

Sans cette résolution, la Déclaration d’établissement de l’État n’aurait pas pu être proclamée le 14 mai 1948, dernier jour du mandat britannique sur la Palestine dans le hall du Musée d’art de Tel Aviv, par David Ben Gourion, président de l’Agence juive.

Benyamin Nétanyahou conteste vigoureusement ce point de vue.

« Le Monde » sans relativiser la position du premier ministre israélien a simplement rapporté sa réaction :

« Dans la soirée, le chef du gouvernement israélien lui a répondu par communiqué. « Un rappel au président de la France : ce n’est pas la résolution de l’ONU qui a établi l’Etat d’Israël, mais plutôt la victoire obtenue dans la guerre d’indépendance avec le sang de combattants héroïques, dont beaucoup étaient des survivants de la Shoah – notamment du régime de Vichy en France », ajoutant que « l’ONU a approuvé des centaines de décisions antisémites contre l’Etat d’Israël »

Ce même journal a rapporté les propos de Yonathan Arfi, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) sans commentaire :

« Laisser penser que la création de l’État d’Israël est le fruit d’une décision politique de l’ONU, c’est méconnaître à la fois l’histoire centenaire du sionisme et le sacrifice de milliers d’entre eux pour établir l’État d’Israël. »

Il a ajouté cette phrase :

« A l’heure où l’antisémitisme se nourrit de l’antisionisme, ces propos renforcent dangereusement le camp de ceux qui contestent la légitimité du droit à l’existence d’Israël »

« Le Figaro » a également pris fait et cause pour le premier ministre d’Israël : « Créé par une décision de l’ONU » : comment Emmanuel Macron a simplifié l’histoire d’Israël.

« L’Opinion » se fait pédagogue et explique pourquoi Macron se trompe.

Avant de continuer à plonger dans toute cette complexité et l’article de l’Opinion, il faut se rappeler que l’imaginaire des peuples se forge à travers des récits auxquels ils adhérent.

Ces récits sont fondamentaux pour créer une unité et un sens au destin commun. Mais un récit peut être très dangereux ou plus précisément porteur de violence et de guerre s’il est en contradiction absolue avec ceux d’un autre peuple. La paix n’est possible que si on écoute aussi les récits de l’autre et qu’on est capable d’en tenir compte.
Je prends comme exemple cette illustration. Le récit de l’homme dans sa voiture c’est que la biche traverse la route. Mais le récit de la biche est que c’est la route de l’homme qui traverse la forêt. Il n’y a pas une vérité qui s’impose, mais deux récits qui s’opposent. En est-il un plus pertinent que l’autre ? les deux récits sont-ils conciliables ?

Le Journaliste de l’Opinion affirme que ce qui donne naissance à l’État d’Israël, ce ne sont pas les Nations unies, ni la SDN, c’est le mouvement sioniste, c’est-à-dire la volonté d’une partie des Juifs de retourner dans ce qu’ils considèrent comme leur terre ancestrale, la Palestine. Et cela date de la fin du XIXᵉ siècle. Le premier mouvement de migration juive en Palestine – des Juifs venant de Russie essentiellement, mais aussi du Yémen – remonte à 1881.

Toujours selon ce journaliste, ce sont ces migrations qui incitent les britanniques à faire leur fameuse déclaration Balfour.

Arthur Koestler, (1905 – 1983), célèbre auteur du « zéro et de l’infini » est un juif hongrois qui dans un premier temps va adhérer à la cause sioniste révisionniste et deviendra même, pendant un court moment, le secrétaire du chef de ce mouvement Vladimir Jabotinsky. Il sera remplacé, dans ce rôle, plus tard par le père de Benyamin Nétanyahou. Ce mouvement prône un sionisme armé et agressif pour imposer la présence juive, par la force, aux arabes vivants sur le territoire convoité.

Après avoir vécu beaucoup d’expériences dans sa vie, Arthur Koestler a décrit la déclaration Balfour par cette phrase éloquente : « Une nation a solennellement promis à une seconde le territoire d’une troisième. » .

Le journaliste continue sa démonstration en rappelant que la résolution 181 n’a pas été acceptée par la partie arabe et que donc la création d’Israël na pas pu avoir lieu sur la base de cette résolution refusée par une des parties.

En conséquence c’est la proclamation par Ben Gourion suivie de la victoire des troupes israéliennes, lors de la guerre d’indépendance, qui a permis de réaliser le rêve des sionistes..

Le mot du jour a déjà évoqué beaucoup des épisodes de cette histoire tragique qui continuent à faire tant de morts.

L’analyse la plus intelligente que j’ai entendu sur la confrontation des récits est celle qu’en a donné Dominique Moïsi : .

« Quand Israël naît […] en 1948, […] Pour le monde Arabe, c’est le dernier phénomène colonial de l’histoire européenne qui est anachronique. Pour les Israéliens, c’est avec quelque retard, le dernier phénomène national de l’histoire européenne du 19ème siècle.[…] Et en fait ce conflit de calendrier n’a jamais été surmonté.»

C’était le mot du jour du lundi 19 octobre 2015.

Cette analyse de Moïsi nécessite un acte fondateur qui autorise la nation juive à obtenir un État. Seule la résolution 181 peut donner cette légitimé, directement issue de l’horreur de la Shoah.

Parce que le récit de Nétanyahou, du président du CRIF ou du journaliste de l’Opinion signifie quoi ?

Des gens venus d’Europe se sont installés sur un territoire occupé par d’autres habitants. Leurs représentants se sont entendus avec l’État occidental le plus colonialiste de l’Histoire pour obtenir une déclaration les autorisant à occuper ce territoire.

Par la suite et le refus des indigènes de se soumettre, le peuple venant d’Europe, armé par les occidentaux, s’est emparé du territoire par la guerre. Cela s’appelle un fait colonial, la colonisation de cette terre entre la Méditerranée et le Jourdain par des personnes venues d’Occident.

Le récit, qui veut que le mouvement sioniste presque sans aide et s’imposant par la force aux arabes a créé un État d’Israël, valide absolument les thèses décoloniales des États du sud global et celles des jeunesses occidentales des Universités. Contrairement à l’affirmation du président du CRIF ce ne sont pas les propos de Macron, mais ce récit qui donne les meilleurs arguments aux ennemis les plus féroces d’Israël.

Et si certains évoquent une légitimité historique datant de 2000 ou 3000 ans. Rappeler simplement ce que signifierait ce concept de « premier occupant » aux États-Unis, en Australie ou en Nouvelle Zélande suffit à en dévoiler l’inanité. Bien sûr, le récit de Nétanyahou autorise tout, jusqu’à l’annexion de la partie arabe du plan de partage, puisque l’État est la résultante de la force armée et des conquêtes.

Ce n’est pas ainsi que la Paix pourra arriver sur ce territoire. Il me semble qu’il vaut mieux s’en tenir au récit que la création d’Israël a été rendue possible par une résolution de l’ONU et qu’il faut trouver un chemin pour que la partie arabe du partage puisse également trouver un État dans lequel elle pourra se reconnaître.

Vous pourrez lire avec intérêt cet article du journal de Montréal « Le Devoir » : « La déclaration Balfour: juste et injuste à la fois? ».

Vous y trouverez cette idée d’un grand penseur juif, Martin Buber d’une « injustice minimale », c’est-à-dire limiter au strict minimum l’injustice causée aux Arabes en ne permettant aux Juifs de s’installer que sur une partie de la Palestine.

Mercredi 9 octobre 2024

« Résister pour la Paix »
Hannah Assouline et Sonia Terrab, documentaire des guerrières de la paix

Un an déjà !

Le 7 octobre 2023 est un jour de haine et de massacre.

On ne sait pas comment le nommer. Certains parlent de pogrom. Mais ce mot n’est pas approprié, car il désignait des massacres de juifs de la diaspora perpétrés par une population majoritaire dans un pays dirigé par des gouvernants antisémites. Cette fois, les crimes ont été commis à l’intérieur de l’État qui avait été justement conçu pour protéger les juifs.

Comment parler de ce jour et des suivants et de toute l’année qui s’est écoulée depuis ?

Beaucoup regardent cet évènement à travers le filtre de leur croyance et de leurs certitudes. Ils s’enferment dans une vision binaire dans laquelle, ils défendent le camp du bien contre le camp du mal. Ce sont deux blocs de haine qui s’affrontent et qui entrainent une grande partie du monde dans cette polarisation dans laquelle l’empathie pour les souffrances de l’autre est anéantie par l’indifférence et la déshumanisation de l’adversaire.

Dès le 9 octobre, le ministre israélien de la Défense. Yoav Gallant a eu cette phrase :

« Nous combattons des animaux humains, et nous agissons en conséquence. »

Que ce soit pendant la shoah, pendant le génocide arménien ou celui des tutsis au Rwanda, la première étape de l’horreur a été de traiter, celui qu’on voulait massacrer, d’animal ou d’insecte. C’est à dire ne plus reconnaître son humanité. Mais les islamistes qui ont attaqué, massacré, torturé les juifs et autres habitants d’Israël qu’ils ont trouvé sur leur route ont agi de même : c’est uniquement parce qu’ils ne voyaient pas dans ces israéliens leurs semblables humains qu’ils ont été capable de perpétrer ces atrocités.

Est il difficile de comprendre que ce 7 octobre constitue un traumatisme pour les israéliens mais aussi pour les juifs du monde entier en raison de leur histoire, de toutes les fois où ils ont été massacrés en nombre, jusqu’à la folie nazi où il fut question de leur anéantissement ?

Et cette fois le massacre a eu lieu sur la terre de l’État qui avait été créé pour empêcher cela. Est-il difficile de comprendre leur désarroi, leur peur et leur colère quand, dès le 8 octobre, des actes d’antisémitisme ont été perpétrés à travers le monde. Se souvient t’on, qu’en France après que Mohamed Merah ait tué 4 juifs dont 3 enfants dans une école juive, le 19 mars 2012, à Toulouse, les actes antisémites se sont multipliés ?

Ils sont victimes d’un acte innommable et on déchaine encore de la violence contre eux. En 2012, il n’y eut aucune manifestation de soutien à la communauté juive, après ces faits.

Existe-t’il un humain, digne de ce nom, qui pourrait ne pas être plein d’empathie pour les juifs du monde entier ?

Parallèlement, existe-t’il un humain qui n’est pas capable d’exprimer une immense compassion pour la souffrance des palestiniens depuis la nakba ?

Israël a répliqué. Depuis un an, Gaza est sous les bombes, les habitations ont été rasées, des dizaines de milliers de gazaouis ont été tués ou blessés, dont beaucoup de femmes, d’enfants et de civils. Les massacreurs du Hamas se cachent dans les tunnels et s’octroient la majorité de l’aide alimentaire. Les autres habitants vivent dans des conditions abominables d’hygiène, d’alimentation et de santé.

Est-il légitime d’arriver à une telle désolation ? Suffit-il de dire que tout est de la faute du Hamas ?

Il existe encore tant d’autres questions. Israël a t’il un plan pour après la guerre ou Netanyahou pense t’il rester dans un état de guerre permanent ? Croit t’il que tout peut se régler par la force ?

Plusieurs fois j’ai entendu des journalistes rapporter des propos de responsables israéliens qui disaient que la paix est trop difficile pour Israël qui a trop à perdre, trop à concéder pour l’obtenir. Ce qu’Israël veut, c’est la sécurité !

Mais la sécurité sans la paix est ce possible ? Les avis sont très tranchés. Je lis que des israéliens disent que le 7 octobre montre qu’il n’est pas possible de donner un État palestinien à de tels individus, ce serait incompatible avec la sécurité d’Israël. Hubert Vedrine et d’autres pensent exactement le contraire : Si un État palestinien avait existé, il n’y aurait pas eu de 7 octobre.

Mais Vedrine ajoute que pour pouvoir parler aux palestiniens il faut un interlocuteur.

Quand en Afrique du Sud, un homme d’État, Frederik de Klerk, a voulu sortir de l’engrenage infernal de la violence, il est allé chercher un militant noir en prison : Nelson Mandela. Or, depuis, qu’il est au pouvoir Netanyahou a systématiquement agi pour ne pas avoir d’interlocuteur. Car évidemment ce mouvement islamiste, régressif qui veut détruire « l’entité sioniste » ne peut pas être un interlocuteur. Quelle meilleure solution pour un homme qui ne veut pas d’un État palestinien que de tout faire pour qu’apparaisse comme représentant des palestiniens un mouvement aussi repoussoir que l’est le Hamas et son chef actuel Yahya Sinwar ? Yahya Sinwar et Benjamin Netanyahou sont des ennemis indispensables l’un à l’autre, car l’un et l’autre ne veulent pas d’une solution pacifique.

La force ne peut pas tout. Elie Barnavi écrit très justement :

« Israël gagne des batailles, mais est en train de perdre la guerre »

En outre, le monde est en train de changer. Les occidentaux n’ont plus le monopole pour proclamer ce qui est juste et les moyens de l’imposer. A l’intérieur de l’Occident, une grande partie de la jeunesse n’a plus la même lecture des évènements que leurs ainés.

Pour les occidentaux seniors, l’État d’Israël a été rendu nécessaire en raison de la shoah : il fallait un État pour les juifs.

Les historiens ont montré que ce n’était pas uniquement la culpabilité de ce qu’ils avaient fait ou laissé faire qui a justifié le comportement des pays occidentaux et de l’Union soviétique pour la création de l’État d’Israël en 1948. Une analyse des échanges diplomatiques de cette époque montre une autre réalité. Dans une Europe exsangue après 6 ans de guerre, le nombre considérable de réfugiés juifs revenant des camps constituait un problème d’intendance immense. Créer un État et y envoyer les survivants et réfugiés représentaient une solution commode pour les européens.

Mais le récit est celui ci : la shoah justifiait la création d’Israël et faisait des juifs les victimes qu’il fallait soutenir et aider.

Pour les pays non occidentaux, qu’on appelle imparfaitement le « Sud global » et pour une grande partie de la jeunesse occidentale, la création de l’État d’Israël correspond à une réalité coloniale. Le grand crime de l’Histoire n’est pas que la shoah, mais aussi la domination coloniale et brutale de l’Occident sur le reste du monde. On peut contester cette vision en disant que le peuple juif n’a pas de métropole d’où il est parti, en conquérant, et dans lequel il peut revenir, si la situation se dégrade. D’ailleurs, beaucoup d’habitants d’Israël viennent des pays arabes. Ces communautés juives, en raison des discriminations subies ont été conduites à rejoindre Israël. Donc pour simplifier : les israéliens juifs ne peuvent pas rentrer chez eux, parce qu’il n’y a pas de « chez eux » ailleurs.

Mais ces arguments rationnels ne convainquent pas les tenants de l’autre thèse : pour deux raisons : la première c’est qu’il y a bien eu une arrivée massive d’une population venant d’Europe qui a pris des terres aux autochtones qui habitaient la Palestine. Et la seconde, qui est plus essentielle encore pour cette thèse : c’est la manière totalement disproportionnée des armes et des moyens de répression dont disposent les israéliens et la disproportion du nombre de morts entre les deux camps. Cette réalité est celle qui existait dans la domination coloniale occidentale. Dans cette pensée, les palestiniens sont les victimes et les israéliens les bourreaux. Cette thèse est expliquée par Gilles Kepel qui ne la partage pas et Didier Fassin qui me semble la partager.

Ce dernier, enseignant à Princeton et membre du Collège de France, avance « le spectre d’un génocide à Gaza ». A l’appui de sa démonstration, il prend l’exemple du génocide des Hereros, exterminés par les colons allemands à la suite d’une révolte en 1904 dans l’actuelle Namibie, et évoque de « préoccupantes similitudes » entre la riposte israélienne au massacre du 7 octobre et cette page d’histoire retenue comme le premier génocide du XXe siècle, préfigurateur de la Shoah. C’est ce qu’il explique dans un débat l’opposant frontalement à Eva Illouz dans le Nouvel Obs : « L’entretien croisé entre Didier Fassin et Eva Illouz », dans lequel il écrit :

« [Les israélien] ont progressivement privé les Palestiniens de leur espace vital, de leur souveraineté et de leur liberté. C’est ce qui amène Maxime Rodinson à parler de « fait colonial ». S’agissant de la paix, le non-respect par les Israéliens des accords d’Oslo, dénoncés dès leur signature, montre que la seule option envisagée par l’État hébreu supposait le rejet du droit international et le renoncement aux droits des Palestiniens. »

Je ne crois pas qu’en restant figé dans de tels récits, il sera possible d’avancer.

C’est pourquoi pour garder l’optimisme il vaut mieux se tourner vers des personnes, en l’occurrence des femmes, des militantes de l’espoir, qui continuent à se battre pour la Paix.

Hannah Assouline et Sonia Terrab deux guerrières de la Paix ont produit un documentaire diffusé sur Public Sénat et que vous pouvez voir derrière ce lien : « Résister pour la Paix ». Il commence le 4 octobre 2023, 3 jours avant… Et il se poursuit après.

Sonia Terrab est née, en 1986, à Meknès au Maroc, elle est d’origine arabo musulmane. Hanna Assouline, est née en 1990 à Paris, son père, David Assouline est né en 1959 à Sefrou au Maroc, dans une famille juive marocaine.

C’est ce documentaire que je souhaite partager aujourd’hui, dans ce monde de chaos, de violence, d’incompréhension, pour qu’il reste une lueur, une espérance.

Vendredi 4 Octobre 2024

« La Neuvième symphonie de Mahler est l’oméga de la Musique. »
Herbert von Karajan

La Phrase complète de Karajan est la suivante :

« La Messe en si de Bach et la Neuvième de Mahler sont l’alpha
et l’oméga de la musique. »

Bien sûr il existe des chefs d’oeuvre écrits avant Bach et d’autres après Mahler, mais Karajan veut montrer un arc qui relie deux piliers sur lesquels repose la musique européenne : le premier une messe catholique écrit par un luthérien et achevé en 1749, le second l’aboutissement de la symphonie romantique créée, le 26 juillet 1912, à Vienne sous la direction de Bruno Walter, un peu plus d’un an après la mort de Gustav Mahler, le 18 mai 1911, à 51 ans.

Mahler avait écrit le premier avril 1910 : « Mise au net, la partition de ma Neuvième est
terminée. ». Il l’avait donc terminé un an avant sa mort, il ne l’a jamais entendue autrement que dans une réduction au piano et dans sa vie intérieure.

Concernant la musique de chambre, j’ai déjà évoqué le disque que j’emmènerai sur une île déserte : « Le quintette en ut pour D. 956. » de Franz Schubert. S’il m’était possible d’ajouter un disque de symphonie je prendrai une interprétation de la 9ème symphonie de Mahler.

Hier nous avons eu la joie d’entendre cette symphonie jouée à la Philharmonie de Paris par l’Orchestre de Paris, dirigé par son jeune et talentueux directeur musical : Klaus Mäkelä

S’il faut croire André Peyrègne, un critique ayant assisté à ce concert « Symphonie n°9. Orchestre de Paris / Klaus Mäkelä » :

« La Neuvième symphonie de Gustav Mahler fait partie de ces œuvres monumentales que l’on n’entend en concert que deux ou trois fois dans sa vie. »

Si cette assertion est exacte, j’ai déjà rempli mon quota.

J’ai pourtant eu le sentiment que ce monument mystique de l’Adieu se refusait à moi, en concert. Pourtant, le 17 février 2019, l’Orchestre Philharmonique de Vienne était de passage à Lyon et joua cette œuvre à l’Auditorium. Mais, au même moment, avec Annie et Florence, nous étions déjà à la Philharmonie de Paris, pour assister au concert d’une symphonie de Mahler encore plus rarement joué : la symphonie N°8 symphonie « des Mille » qui nécessite des effectifs démesurés. J’avais écrit un mot du jour le lendemain de ce concert : « une hymne à la sacralité de l’univers ».

Une seconde chance nous fut offerte et nous avions pris nos billets pour assister à l’interprétation de la 9eme par l’Orchestre de San Francisco sous la direction de Michael Tilson-Thomas. Mais ce concert devait avoir lieu le 7 avril 2020, temps de la Covid 19 et de confinement. Et finalement, la première fois eut lieu le 16 septembre 2022, le jour où mon frère m’annonça qu’il était atteint de la leucémie qui l’emportera 40 jours après. Gustavo Dudamel était le chef et l’Orchestre était celui dans lequel mon frère a œuvré pendant 15 ans : l’Orchestre de l’Opéra de Paris. Depuis, Nikolaj Szeps Znaider a interprété cette œuvre avec son orchestre lyonnais, lors de la dernière saison.

 Beaucoup de musicologues ont parlé de la superstition de Mahler concernant la symphonie numéro 9 qui fut la dernière de Beethoven, de Schubert et aussi de Dvorak. Il tenta de biaiser, sa vraie 9ème fut en réalité sa précédente œuvre, mais pour conjurer le sort, il l’appela « Le chant de la terre ». Et puis, il n’avait pas encore totalement finalisé la symphonie qu’il numérota 9, pour commencer la composition de la 10 en 1909. Tout ceci fut vain, seul le premier mouvement de la 10 put être, à peu près, fini et la symphonie qu’il appela 9 fut bien sa dernière œuvre achevée qu’il ne put jamais entendre jouée par un orchestre.

L’œuvre est composée de 4 mouvements, le premier est extraordinaire. Alban Berg écrivit :

« Le premier mouvement de sa Symphonie n° 9 est le plus merveilleux que Mahler ait écrit. Il exprime l’amour de ce monde, pour la nature,le désir d’y vivre en paix, d’en jouir pleinement, jusqu’aux tréfonds de son être, avant que la mort, irrémédiablement,ne nous appelle. »

Mahler est dans une période douloureuse de sa vie. Sa fille ainée est morte suite à une brusque maladie, son médecin vient de lui diagnostiquer une maladie cardiaque très grave et son épouse Alma Schindler dont il se rend compte combien elle compte pour lui, s’éloigne de lui et le trompe. Ce premier mouvement émerge du silence. Bernstein entend, dans ce début, le rythme irrégulier d’un cœur qui bat :

« La première chose qu’on entend dans ce mouvement est une prémonition de la mort sous forme d’un rythme irrégulier qui, j’en suis sûr, est pour Mahler le battement irrégulier de son propre cœur. Son rythme cardiaque l’inquiétait beaucoup. Dans la dernière année de sa vie, il connaissait ce problème cardiaque, et il le nota pour en faire le début de cette symphonie. »

Par la suite ce mouvement passera par toutes les phases des émotions humaines : la tendresse, la colère, la révolte, la nostalgie, l’apaisement. Harnoncourt ou Celibidache ne voulaient pas interpréter Mahler parce qu’ils le trouvaient impudique, il mettait toutes ses émotions dans la partition. Sa fille survivante Anna disait qu’il n’a jamais rien écrit de plus accompli, tout Mahler est dans ce premier mouvement. C’est encore Bernstein qui en parle le mieux :

« Dans ce premier mouvement, c’est surtout un adieu à la tendresse, à la passion, un adieu à l’amour humain. […] Toute la symphonie parle de réminiscences, de nostalgie, de tendresse, de relations personnelles. Au milieu de cette nostalgie attristée, il y a une série d’immenses progressions, des rencontres personnelles qui tantôt marchent et tantôt échouent. Elles sont suivies de renoncements, de retraites, de redditions. Suivis de nouvelles tentatives de se souvenir, de ressaisir, de revivre les moments passionnés de la vie. […] Dès que j’arrive à la fin de ce premier mouvement, avec sa rage tempétueuse et ses aspirations, c’est comme si j’étais à la fin d’un roman de Tolstoï. Il dure près d’une demi-heure. C’est une espèce de « Guerre et Paix », et je suis toujours étonné à l’idée qu’il reste encore trois autres longs mouvements à jouer, dans lesquels Mahler fait de nouveau ses adieux à d’autres aspects de la vie. »

Les deuxièmes et troisièmes mouvements sont des danses pleines de fougues, d’ironies et de futilités. Selon Bernstein la première danse est rustique et la seconde urbaine.

Je dirai que Mahler s’amuse, essaye de se divertir entre l’immense premier mouvement et le sublime adagio final. Pour cet adagio, il vaut mieux encore laisser la parole à Leonard Bernstein qui a tant joué, étudié et aimé la musique de Mahler :

« Le mouvement est à peine discernable. L’espace entre les lignes est immense. C’est ce qui se rapproche le plus dans la musique occidentale de la notion orientale de méditation transcendantale. Mais il n’est pas encore prêt à accepter cette solution, ce « Brahma », ce néant. Et il se cramponne donc de nouveau à la vie avec amertume, ressentiment, passion. Tout au long du mouvement, Mahler alterne entre ces deux tentatives de réalisation spirituelle : l’occidentale et l’orientale. Lorsqu’il s’essouffle dans l’une, il essaie l’autre, et inversement. Il y a une série de progressions, dont la dernière n’aboutit pas. Très courte, elle essaie de les surpasser toutes, mais n’y parvient pas.
Après cela, on a soudain le sentiment qu’il laisse filer. C’est le tournant du dernier mouvement, car c’est à ce moment-là que le monde lui glisse entre les doigts. Il réussit à parvenir à une acceptation heureuse, sereine de la fin de la vie. Et il lâche prise. Et ce moment est l’une des choses les plus remarquables de toute la musique : la dernière page de cette symphonie. Qui arrive avec une étonnante lenteur, une étonnante série de silences. Mais après chacun il essaie de nouveau de ressaisir la vie, de s’y accrocher, et elle glisse de nouveau. Il y a une série de tentatives, de moins en moins réussies. Et finalement il lâche, complètement, de la plus merveilleuse façon, par le silence plus que par les notes.
A la fin du mouvement, il n’y a plus qu’une série de « fils d’araignée » : Un petit fil qui le rattache à peine à la vie. Et puis qui lâche, et puis un autre petit fil, juste un la bémol aigu, et il finit, et c’est le silence. Et finalement, l’acceptation, et tout s’éteint. »

Ces pianossimos finaux que Claudio Abbado expliquait à ses musiciens par l’image suivante : « le bruit que fait la neige qui tombe sur de la neige ».

La symphonie a émergé du silence et retourne dans le silence, après être passé par des chemins tortueux de violence, de chaos, de méditation et de tendresse. Si le coeur vous en dit Gil Pressnitzer, sur le site Esprits Nomades analyse longuement cette symphonie de l’adieu et de la plénitude : « L’abîme des abîmes »

Que dire de l’interprétation de Klaus Mäkelä du haut de ses 28 ans ?

D’abord on est frappé une nouvelle fois par la symbiose incroyable qu’il est parvenu à créer avec son Orchestre de Paris qu’il va quitter en 2027 pour devenir le directeur musical de deux orchestres qui se trouvent dans le Top 5 au niveau mondial : L’orchestre du ConcertGebouw d’Amsterdam et le Chicago symphony Orchestra.

Ensuite, j’ai été ému et j’ai aimé par ce concert.

Les critiques ont été partagées. Le magazine Diapason a été déçu « Une claudicante Neuvième de Mahler par Klaus Mäkelä ». Le site ResMusica est dans le même esprit :« un beau témoignage orchestral, malheureusement dénué d’émotion, d’intériorité et de continuité. ».

André Peyrègne, déjà cité, est d’un avis opposé « On eut droit à une interprétation étourdissante, bouleversante, mémorable de cette œuvre hors du commun. ». Le plus drôle est Loïc Céry qui non seulement encense Klaus Mäkelä « Une version magistrale de la Neuvième Symphonie de Mahler par l’orchestre de Paris sous la direction de Klaus Mäkelä jeudi 3 octobre », en outre, critique les deux premiers critiques avec un argumentaire solide et structuré.

Pour ma part, sur le site de Diapason j’ai plus simplement répondu à la première critique par ces mots :

« j’ai beaucoup aimé. Évidemment que dans 40 ans, il jouera autrement ce monument, cet Omega de la musique selon Karajan. Il aura alors 68 ans et je ne serai plus en état de l’entendre.
Alors je suis très heureux et comblé d’avoir pu entendre ce que du haut de ses 28 ans, Klaus Mäkelä pouvait faire résonner de cet œuvre d’adieu, de mort et de beauté.
Il a su donner des moments sublimes dans l’adagio, mais aussi la fin du premier mouvement qui fut un moment de grâce. Et il n’y a jamais eu des moments de vide, tout était habité et intéressant.
Il a eu raison d’interpréter cette oeuvre à ce stade de son développement artistique et humain.
J’étais rempli de beauté et d’émotion à la fin de ce concert.
Et rien ne m’empêche en rentrant d’écouter sur ma chaîne d’autres interprétations : Giulini, Walter a quelques mois de sa mort, Karajan, Klemperer ou Sinopoli et tant d’autres…. Abbado par exemple…
Cette œuvre est si riche et si intense qu’elle autorise beaucoup de regards différents.»

Au cours des années, beaucoup d’enregistrements remarquables ont été publiés. Faire un choix est très subjectif.

Sur internet vous trouverez de nombreuses interprétations de cette 9ème symphonie, mais toujours avec cette contrariété absolue d’interruption de la musique par de la publicité, contrepartie de la gratuité.

Si vous passez outre ce sacrilège, vous pouvez visionner le dernier concert, en tant que directeur musical, sur une page coréenne, de Seiji Ozawa à la tête du Boston Symphony Orchestra dans le Boston Symphony Hall, le 20 avril 2002.

Seiji Ozawa fut le directeur musical de cet orchestre durant près de trente ans, de 1973 à 2002.

« Mahler – 9 – Boston Symphony – Seiji Ozawa – 20 avril 2002 »