lundi, le 19/10/2015

«Quand Israël naît […] en 1948, […] Pour le monde Arabe, c’est le dernier phénomène colonial de l’histoire européenne qui est anachronique. Pour les Israéliens, c’est avec quelque retard, le dernier phénomène national de l’histoire européenne du 19ème siècle.[…] Et en fait ce conflit de calendrier n’a jamais été surmonté.»
Dominique Moïsi

La violence n’a jamais cessé sur la terre de Palestine et d’Israël, mais <Une nouvelle étape a été franchie et on parle désormais d’une intifada des couteaux>

Samedi <Les Echos> comptaient 41 palestiniens et 7 israéliens tués en deux semaines.

Et hier dimanche, un attentat s’est produit à la gare des autobus de Beer Sheva, dans le sud d’Israël. Deux Palestiniens ont tiré dans la foule et poignardé plusieurs personnes, avant que les forces de sécurité ne répliquent.

Et en France, nous se sommes informés qu’en partie des faits de violence qui se déroulent sur ces lieux.

Avant ces faits, le conflit israélo palestinien était sorti des radars, on ne parlait plus que de la Syrie, de l’Irak et même du Yemen mais plus de la Palestine. Obama dans son discours à l’ONU, il y a quelques jours, n’a pas eu un mot pour la Palestine. Mahmoud Abbas a dit cette même tribune de l’ONU que les accords d’Oslo étaient enterrés et qu’il faudrait peut-être dissoudre l’Autorité Palestinienne.

Comment mieux dire qu’il n’y croit plus.

Depuis l’assassinat de Rabin, il n’y a plus d’homme d’Etat capable du côté israélien de mener son peuple à la paix et il faut bien le reconnaître il n’y a pas non plus d’homme d’Etat de ce niveau du côté palestinien.

Il y a quelques jours j’avais emprunté un mot du jour à une parole de Dominique Moïsi sur la guerre en Syrie et je fais à nouveau appel à lui aujourd’hui.

Il a, en effet, été l’invité de l’émission de Nicolas Demorand du 14 octobre 2015 :

Israël-Palestine : Vers une troisième Intifada ? avec Dominique Moïsi 14 octobre 2015 Entretien avec Nicolas Demorand

Dominique Moïsi est juif, il a cru en l’Etat d’Israël et il a cru en la paix. Et aujourd’hui au bout des désillusions il se pose des questions existentielles et analyse les regards croisés et hostiles de ces deux peuples à l’aune de l’Histoire.

Dans le début l’émission, il fait d’abord parler son émotion et son désespoir en parlant de «la chronique d’une catastrophe annoncée»

Et il ajoute :

«Je ne suis pas surpris. On s’attendait à une telle explosion. Personne ne s’intéresse plus au problème israélo-palestinien. Les jeunes palestiniens en particulier ceux de Jérusalem ne croient plus à la politique, ni au Hamas, ni à l’autorité palestinienne. C’est une manière à eux de se rappeler à l’actualité. Il y a eu des événements qui ont attisé le ressentiment d’abord le bébé de 19 mois brûlé vif dans sa maison enflammée par des colons israéliens. Ses deux parents sont morts aussi. Et puis il y a ces rumeurs sur le changement de statut du Dôme du rocher, de la mosquée Al Aqsar. Cela ramène le conflit à un niveau qu’on avait oublié et qui le rend encore plus impossible à régler : c’est un conflit religieux.»

Demorand lui dit alors :  «Je vous sens accablé»

Moisi :

« Oui ! Oui ! Il y a quelque chose de désespérant pour quelqu’un qui comme moi a cru profondément aux accords d’Oslo.

J’ai un souvenir : J’ai passé une nuit à boire du champagne avec le poète palestinien Mahmoud Darwich. Nous nous sommes embrassés. Nous avons cru qu’entre juifs et palestiniens, le problème pouvait être dépassé.

Et là…

Est-ce que nous avons rêvé ? Depuis le début ? Depuis l’assassinat d’Yitzhak Rabin ? Est-ce que nous avons continué à rêver en pensant que la communauté internationale et les Etats-Unis allaient imposer une solution ?

Aujourd’hui, il y a un sentiment de vide absolu. Il n’y a pas de petite lumière au fond du tunnel.

Il n’y a pas de pression qui va venir de l’extérieur.

Chacun est laissé, seul :

– face à sa peur du changement, sa volonté de préserver à tout prix le statu quo du côté israélien;

– face à son absence totale d’espoir du côté palestinien.»

Et il décrit « Une glaciation longue entre les deux parties, avec des murs des check points partout transformant Jérusalem en Berlin de la guerre froide.» Cela lui semble l’hypothèse la plus vraisemblable.

Il envisage ensuite le conflit du point de vue des Arabes et les solutions qui ont été envisagées :

« Une grande partie des palestiniens et des arabes rêvent que le problème israélien va disparaître. Qu’en gros les israéliens sont en Palestine, comme les Français étaient en Algérie et qu’à un moment donné, ils se retireront. Dans une partie du discours arabe : Ce sont les croisés du Royaume de Jérusalem ils vont partir et le sable du désert recouvrira leurs constructions arrogantes et intolérantes.

Mais ce n’est pas la réalité et le rapport des forces sur le plan militaire joue toujours majoritairement en faveur des israéliens.

Plus personne ne croit à la solution des deux Etats qui étaient la seule légitime et qui faisait sens.

Un Etat binational semble aussi totalement hors de portée étant donné les haines actuelles.

Certains imaginent une 3ème solution d’une confédération avec un 3ème acteur qui est la Jordanie. Cette confédération pourrait se réunir sur l’Economie. Mais cette solution ne semble pas non plus viable dans le contexte actuel.»

Il n’existe donc pas de solution aux yeux de Moisi.

Et c’est alors qu’il plonge dans le cœur du problème et dévoile une question existentielle. Voici la suite de ce dialogue entre Nicolas Demorand (ND) et Dominique Moïsi (DM)

« DM – Pas de solutions, c’est un échec absolu et qui bien entendu vous amène à vous poser des questions fondamentales, existentielles.

ND – Lesquelles ?

DM – Et si c’était une fausse bonne idée que d’avoir créé l’état d’Israël, dès le départ ?

ND – Vous dîtes cela vous ?

DM – Je dis qu’en réalité, c’est une question que les historiens se poseront. Parce qu’il y a un conflit de calendrier fondamental.

Quand Israël naît sur les fonts baptismaux de la communauté internationale en 1948, c’est au moment où commence le grand mouvement de décolonisation dans le monde. Pour le monde Arabe, c’est le dernier phénomène colonial de l’histoire européenne qui est anachronique.

Pour les Israéliens, c’est avec quelque retard, le dernier phénomène national de l’histoire européenne du 19ème siècle. Les Allemands ont un état, les Italiens ont un état.

Pourquoi pas les juifs ?

Et en fait ce conflit de calendrier n’a jamais été surmonté.

Dès le début, une immense majorité des arabes n’accepte pas que l’Europe paye ses péchés sur le dos des Palestiniens.

Et une grande partie des Israéliens a du mal à intégrer le fait qu’en réalité, il y a les Palestiniens sur ces territoires. (…) »

En 1950, Einstein publia la déclaration suivante sur la question du sionisme. Ce discours avait été initialement prononcé devant la National Labor Committee for Palestine (Commission national de travail pour la Palestine), à New York, le 17 avril 1938, mais Einstein l’avait ressortie en 1950, après la création de l’État d’Israël :

« Je verrais bien davantage un arrangement raisonnable avec les Arabes, sur base d’une coexistence pacifique, que la création d’un État juif. En dehors des considérations pratiques, ma connaissance de la nature essentielle du judaïsme résiste à l’idée d’un État juif avec des frontières, une armée et un projet de pouvoir temporel, aussi modeste soit-il. J’appréhende les dégâts internes que pourra provoquer le judaïsme – particulièrement à partir du développement d’un nationalisme étroit dans nos propres rangs et contre lequel il nous a déjà fallu nous battre sans État juif. »

Je finirais par Arun Gandhi, petit fils du Mahatma Gandhi qui vient de publier un livre «Mon Grand Père était Gandhi» et il dit :  «Pour obtenir la paix, le pardon reste incontournable. Si nous ne pardonnons pas, nous ne grandirons pas».

Mais le pardon semble si loin.

Même si je comprends la peur et l’angoisse des juifs israéliens devant cette situation, il n’est pas possible de ne pas répéter que s’il faut être deux pour faire la paix, la plus grande part de la responsabilité est du côté d’Israël notamment par sa politique de colonisation insensée et intolérante qui rend impossible les deux États, seule solution légitime dit Moïsi.

L’existence de l’État d’Israël peut-elle rester légitime, en l’absence de son alter ego Palestinien ?

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