Vendredi 28 février 2020

« Le pylône qui valait 5 millions de dollars »
Histoire racontée par Alexandre Laumonier

Après avoir parlé des riches autour de l’hebdomadaire « Le Un » et cette question : « Les riches sont-ils trop riches ?», je fais aujourd’hui un pas de côté.

Quoique je me demande s’il n’est pas encore question de riches ici…

Mon information était précise je savais que je trouverai le livre cherché à la bibliothèque de la Part-Dieu, dans la salle «Société» et sous la côte « ECO 350 ». Sur l’étagère, il y avait une vingtaine de livre, le plus fin était celui que je cherchais : « 4 » d’Alexandre Laumonier aux éditions Zones sensibles.

Disposant de ce livre, ce soir, je peux donc partager avec vous l’entame de cette enquête, ce thriller ou plus simplement une histoire d’aujourd’hui.

La scène se passe en Belgique en 2012 :

« À quelques mois de la retraite, le commissaire-priseur ne s’attendait sans doute pas à vivre les enchères les plus épiques de sa carrière.

En cette grise matinée du 19 décembre 2012, dans une pièce du tout nouveau bâtiment hébergeant le Bureau fédéral de la province de Flandre-Occidentale, à Bruges, le bien public 38025/838 sv, décrit comme un « Gewezen militair domein met communicatietoren (hoogte 243,5-m) en acht ankerpunten », d’une superficie de 1 hectare, 31 ares et 66 centiares, sis au 1, rue du Héron, à Houtem, dans la région des Moëres, était mis aux enchères par son propriétaire, le ministère de la Défense du Royaume de Belgique, au prix de 250 000 euros.

À 10 heures, et sans une seule microseconde de retard, onze personnes se regroupèrent autour d’une grande table rectangulaire. Le commissaire-priseur, son secrétaire et un représentant du ministère s’installèrent à l’une des extrémités de la table, tandis qu’en face d’eux trois groupes distincts prirent place, se regardant en chien de faïence : un Américain accompagné de deux avocats ; deux autres avocats travaillant pour un prestigieux cabinet belge mandaté par un acheteur potentiel ; et deux ingénieurs, qui restèrent silencieux tout au long de la matinée. Ils n’étaient pas venus pour acheter mais pour savoir qui allait l’emporter, information de première importance pour un certain nombre de personnes, notamment en France, au Canada, aux Pays-Bas et aux États-Unis.

Même si la présence d’un cabinet d’avocats haut de gamme était plutôt inhabituelle étant donné la vétusté de l’« ancien domaine militaire comprenant un pylône de communication de 243,5 mètres », dont le ministère souhaitait se débarrasser, la séance débuta sereinement. Le commissaire-priseur vérifia que les participants s’étaient bien acquittés des 1 000 euros de frais d’inscription, s’assura que tous avaient en leur possession les documents administratifs relatifs au domaine – y compris le relevé cadastral, sur lequel le domaine militaire apparaît en forme de croix –, puis il fixa le pas d’enchères à 5 000 euros et la vente démarra.

Ce qui ne devait être qu’une formalité se transforma en une longue matinée pendant laquelle le commissaire fut mis à rude épreuve. Au bout de vingt minutes seulement, la meilleure offre était déjà de 700 000 euros, ce qui réjouit le ministère de la Défense (il estimait secrètement faire une bonne affaire à partir de 400 000 euros) mais déstabilisa le commissaire-priseur. Il décida alors de monter le pas d’enchères à 10 000 euros pour accélérer la vente, puis la meilleure offre atteignit rapidement 1 million d’euros, puis 1,1 million d’euros, 1,2 million d’euros, 1,3 million d’euros, 1,4 million d’euros… À 2 millions, une heure plus tard, le commissaire-priseur, qui transpirait de plus en plus, réclama une pause et se réfugia dans les toilettes pour se ressaisir. L’histoire ne dit pas quelles pensées furent les siennes devant l’image de son visage sidéré que lui renvoya le miroir. « Du côté des vendeurs, personne n’arrivait à comprendre ce qui se passait », raconte un témoin, lui-même d’autant plus surpris par le montant des offres que, dans d’autres circonstances, il aurait pu lui-même enchérir.

Cette année-là, le Royaume de Belgique, en quête de liquidités, avait déjà revendu bon nombre d’installations démilitarisées pour un total de 12 millions d’euros. Parmi celles-ci : un vieux bunker cédé pour 350 euros à un paysan ravi de pouvoir le démolir car il se trouvait au milieu de son champ ; un ancien fort construit pour défendre la ville d’Anvers, racheté 287 000 euros par le riche pdg de Katoen Natie, une compagnie de logistique active dans les ports du monde entier ; un ancien hôpital militaire acheté 4 millions d’euros par la commune de Bruges pour être transformé en logements sociaux. À ces 12 millions s’ajouta, le 19 décembre 2012, le produit de la vente de l’« ancien domaine militaire comprenant un pylône de communication ». Au terme de plus de trois heures et demie de bataille acharnée, devant les représentants de l’État belge médusés, le bien 38025/838 SV fut finalement adjugé 5 millions d’euros, soit la meilleure affaire du ministère de la Défense pour l’année 2012.

Alors que les silencieux ingénieurs sortaient précipitamment de la salle du Bureau fédéral (le ticket de stationnement de leur voiture, malencontreusement garée devant un commissariat, était dépassé depuis longtemps), l’un des avocats au service de ceux qui remportèrent la mise fut approché par l’un de ses confrères qui, lui, représentait le camp vaincu. Le perdant tendit au gagnant sa carte de visite : « If we can arrange, here is my phone number. » Le 9 janvier 2013, le ministère rendit public l’acte de cession du domaine militaire sans toutefois divulguer le nom du nouveau propriétaire. « Information confidentielle », selon les services ministériels. »

Le livre raconte l’histoire de ce pylône construit par l’armée américaine dans le plat pays de Brel, l’Histoire de cette région appelé les Moëres et aussi de la raison pour laquelle une société qui ne voulait pas être connue, a mandaté une autre société et des avocats pour aller participer à cette mise en enchère et arracher la mise quelle qu’en soit le prix. Et puis beaucoup d’autres informations sur le métier de cette société basée à Chicago.

Alexandre Laumonier est belge, il a créé en 2011 une maison d’édition établie à Bruxelles, spécialisée dans les sciences humaines : <Zones Sensibles>

Il se présente dans cet article : « L’art de publier des essais »

Le livre « 4 » a non seulement été édité mais aussi écrit par cet étonnant personnage. Il avait été précédé par « 6/5 ». Un peu comme un compte à rebours

Mais quelle est la réponse à cette question ? Qui peut vouloir payer 5 000 000 d’euros pour un ancien pylône de communication construit par l’armée américaine dans les années 1960 et donné à l’armée belge qui ne savait qu’en faire. En réalité la page 28 du livre nous apprend que le coût de remise en service du pylône aura coûté 1,5 millions d’euros, ce qui porte le budget de l’opération à 6,5 millions d’euros.

Ce pylône avait été construit par l’armée américaine pour transmettre des informations militaires par des micro-ondes notamment vers l’Angleterre.

En 2008, l’armée américaine s’est débarrassée de cette infrastructure, couteuse à entretenir, parce qu’elle allait remplacer ces stations radio par un système de communication moins cher et d’une plus grande capacité. Les informations n’allaient plus transiter dans les airs mais sous terre, grâce à une technologie plus récente que les ondes radio : la fibre optique, qui offre deux fois plus de débit.

L’armée belge pensait qu’un acheteur allait démonter ce pylône et le débiter pour en récupérer le métal et les équipements.

Mais l’acheteur voulait garder l’équipement et utiliser les ondes radios : les micros ondes

Parce que s’il y a moins de débit que sur la fibre optique, c’est-à-dire le volume de  données qu’on peut transmettre, cette technologie permet de transmettre des informations plus rapidement

Le gain parait dérisoire.

<Cet article> qui présente le livre explique :

« Cette société gagna plus ou moins 10 microsecondes de temps de latence, soit 0,00001 seconde, soit cent fois moins de temps qu’il n’en faut à un être humain pour cligner de l’œil. La  »valeur » d’une seule microseconde était donc, en 2013, de 650.000 euros. »

Voilà où en est la société humaine aujourd’hui.

Mais avant de condamner, il faut comprendre pourquoi les hommes, dont nous faisons partie aspirent à cette vitesse. Mais cette réflexion attendra un autre mot du jour.

Pour revenir au prix exorbitant de ce pylône chargé de transmettre des ondes radios, il faut une carte que Google nous offre gratuitement.


Le pylône de Houtem, dans la région des Moëres est sur le trajet, en ligne direct, à peu près à mi-chemin entre Francfort-sur-le Main, la place financière de l’immense puissance économique Allemande et siège de la BCE et Londres, la city, la plus grande place financière du monde.

Gagner des micro-secondes lors du transfert d’informations entre Londres et Francfort a motivé la société de trading à haute fréquence de Chicago du nom de Jump Trading à débourser 5 000 000 d’euros et quelques frais annexes d’avocats et des intermédiaires pour ne pas apparaître dans la transaction.

Ma source qui m’a conduit à aller à la Bibliothèque de la Part-Dieu pour aller chercher ce livre qui contient encore bien d’autres informations est Xavier de la Porte que je n’avais pas cité depuis longtemps.

Il produit un podcast natif sur France Inter, ce qui signifie qu’il ne s’agit pas d’une émission que vous pouvez écouter à la radio.

Ce podcast s’appelle <Le code a changé>.

Pour présenter le livre et Alexandre Laumonier, il a fait cet aveu :

« C’est le genre d’histoire qui me passionne parce qu’elle montre que la technologie, c’est une affaire très matérielle. Une affaire de câble, d’ondes, de hauteur, de vitesse. Le genre d’histoire qui me passionne parce qu’elle raconte la folie des hommes, une folie qui est souvent très ancienne et que les technologies d’aujourd’hui ne font souvent que rendre plus évidente. »

Le livre « 4 » porte pour exergue cette phrase de Ludwig Wittgenstein. philosophe et mathématicien britannique d’origine autrichienne :

« Nous attendons à tort une explication alors qu’une description constitue la solution de la difficulté, pour peu que nous lui donnions sa juste place, que nous arrêtions à elle, sans chercher à la dépasser. C’est cela qui est difficile, s’arrêter. »

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Jeudi 27 février 2020

« Le triomphe de l’injustice »
Gabriel Zucman et Emmanuel Saez

En continuant la lecture du « Un » sur les riches, on tombe sur l’article central du journal qui consiste en un entretien avec Gabriel Zucman : « L’enjeu est de sortir d’une spirale d’Injustice fiscale ».

Gabriel Zucman est un jeune économiste français mais qui vit actuellement aux Etats-Unis.

Il est né en 1986 à Paris, il a enseigné à la London School of Economics, mais depuis 2015 il est professeur assistant à l’université de Californie à Berkeley.

Il s’est spécialisé dans le domaine des inégalités sociales et des paradis fiscaux.

Il a rédigé sa thèse « Trois essais sur la répartition mondiale des fortunes » sous la direction de Thomas Piketty

Le journal « Washington Examiner » confirme qu’il influence les deux candidats les plus à gauche de la primaire démocrate « Two French economists from Berkeley advise Warren and Sanders on wealth tax »

Les deux économistes français dont parle le journal de Washington sont les deux auteurs de l’ouvrage qui vient d’être traduit et publié en France le 13 février « Le triomphe de l’injustice » et qui a pour sous-titre « Richesse, évasion fiscale et démocratie ». Emmanuel Saez est de 14 ans plus âgé que Gabriel Zucman, il est professeur à la même université Berkeley. Il est aussi français mais a été naturalisé américain. Ses travaux portent aussi sur les inégalités économiques et les inégalités de revenu et il est également lié avec Thomas Piketty avec lequel il mène des études communes.

Picketty, Zucman et Saez, trois français, sont donc en train de convertir sinon les États-Unis au moins un des principaux candidats démocrates : Bernie Sanders au socialisme, à l’imposition des grosses fortunes et aussi à une redynamisation de la progressivité de l’impôt sur les revenus. Comme le dit le journal de Washington, ils ont aussi l’oreille d’Elisabeth Warren l’autre candidate de gauche des démocrates.

Mais c’est de plus en plus Bernie Sanders, celui qui se proclame socialiste et qui affirme aux USA que le régime de Castro à Cuba présentait des aspects positifs, qui fait la course en tête et qui est en train de s’envoler dans les sondages.

<Le Monde> avait consacré fin 2019 un article à ces trois français au pays de l’oncle Sam :

« Dans le sillage de Thomas Piketty, [Gabriel Zucman] le trentenaire, chercheur à Berkeley, cosigne avec son compatriote Emmanuel Saez un livre sur le triomphe des inégalités aux Etats-Unis. Et s’impose comme un des cerveaux influents de la gauche américaine.

Dans la bande à Piketty, il est le benjamin. Mais pas le moins doué. […]. Si Thomas Piketty, 48 ans, a été son directeur de thèse à Paris, c’est son complice, Emmanuel Saez, 46 ans, qui l’a fait venir aux Etats-Unis. A eux trois, ils sont en train de changer le paysage politique américain par leurs travaux sur les inégalités.

Avec son livre Le Capital au XXIe siècle (Seuil, 2013), devenu en 2014 un improbable best-seller au pays du marché-roi, Piketty a été le pionnier. « C’est lui qui a l’approche la plus ambitieuse, décrit Gabriel Zucman. Il veut créer une nouvelle idéologie de socialisme participatif. » Emmanuel Saez, coauteur de plusieurs travaux avec Piketty, est le surdoué : diplômé de Normale-Sup et du MIT, il est lauréat de la médaille John Bates Clark, la plus haute distinction américaine en économie. Un perfectionniste d’« une rigueur vraiment extrême », dit son jeune collègue. Au point que certains voient déjà sa voiture occuper un jour l’une des places réservées aux Prix Nobel sur le parking de la faculté.

Gabriel Zucman, lui, se range dans une catégorie plus modeste. « Plombier » de la justice sociale. Ajusteur des politiques publiques, pour « contribuer au progrès ». « S’il y a une volonté politique de créer un impôt sur la fortune, si on veut taxer les multinationales, comment on fait en pratique pour que ça fonctionne ? » Et pour « faire de la bonne plomberie », insiste-t-il, il faut « commencer par avoir de bons chiffres »

Il semble que c’est Gabriel Zucman qui a été chargé d’assurer la promotion, en France, du livre écrit avec Saez.

C’est ainsi qu’il a été l’invité de la Grande Table, émission dans laquelle je l’ai entendu pour la première fois : <Gabriel Zucman : réinventer l’impôt pour combattre l’injustice>

Dans leur livre les deux économistes épluchent les statistiques fiscales sur plus d’un siècle en prenant en compte l’ensemble des prélèvements supportés par les contribuables américains et non le seul impôt sur le revenu, comme c’était l’habitude.

Leur constat est clair : Les riches paient moins d’impôts que le reste de la population. Ils soulignent que, en 2018, à la suite de la réforme fiscale de Trump votée à la fin de l’année précédente et pour la première fois depuis un siècle, les milliardaires ont été moins taxés que les classes moyennes et populaires. Ainsi, une infime partie de la population américaine prend une part croissante de la richesse nationale : ce sont 0.1% des Américains qui possèdent la même portion de patrimoine que 99% du reste de la population. Et, alors que tous les groupes sociaux, classes populaires ou supérieures, payent entre 25 et 30 % de leurs revenus en impôts, les milliardaires ont un taux d’imposition effectif de seulement 23 %. Cela constitue une rupture dans l’histoire des États-Unis qui avec le New Deal de Roosevelt avaient créé un système fiscal véritablement redistributif.

Dans le « Un » Zucman est plus précis :

« C’est comme si vous aviez un impôt proportionnel géant qui devenait dégressif pour les plus riches ! Dans le détail, on a assisté à une détaxation du capital sous toutes ses formes et à une augmentation de l’imposition du travail. Jusque dans les années 1980, l’Amérique avait un impôt sur les sociétés de 50% des taux marginaux sur les dividendes de près de 90%, des taux de succession allant jusqu’à 80% – une taxation du capital beaucoup plus lourde que ce qui a jamais pu exister en France. Aujourd’hui, le produit de l’impôt sur les sociétés est passé de 8% du revenu national à 1% quand les cotisations sociales ont fait exactement le chemin inverse. »

Dans l’émission de France Culture, Gabriel Zucman a dit :

« Si la mondialisation est synonyme d’impôts toujours plus bas pour les grandes entreprises et d’impôts toujours plus élevés pour les petits commerçants, alors cette forme de mondialisation n’a pas d’avenir. La bonne nouvelle, c’est qu’il y a d’autres formes de mondialisation »

Pour accompagner ce livre, les deux auteurs ont mis au point TaxJusticeNow.org, un site qui permet à chacun de simuler sa propre réforme fiscale et d’en évaluer les implications. Le tout destiné à un large public, afin d’apporter les connaissances nécessaires à un débat démocratique sur l’impôt. Car, montrent-ils, le sentiment croissant de trahison et d’injustice fiscale fait perdre foi en la démocratie, les impôts votés par les représentants du peuple ne cessant d’accroître les revenus d’une minorité favorisée. Il faut, nous disent-ils, inventer de nouvelles institutions fiscales et de nouvelles formes de coopération.

Dans l’émission, il précise qu’ils ne sont pas des conseillers officiels de Bernie Sanders et Elisabeth Warren mais que les deux s’inspirent de leurs travaux.

La grande révolution que préconise Bernie Sanders est de créer un impôt sur la fortune aux Etats-Unis.

Dans l’entretien du « Un », il précise :

« Un impôt sur la fortune qui ferait contribuer les milliardaires à hauteur de leurs revenus : puisque leur fortune croît en moyenne de 8% chaque année, alors Sanders propose un taux d’imposition sur la fortune de 8 % au-delà de 10 milliards de dollars. C’est audacieux mais c’est une manière de répondre à une demande de justice fiscale de plus en plus pressante. ».

Il prétend dans l’émission de France Culture :

« Si on appliquait le programme de Bernie Sanders à la France, cela ne toucherait que les plus riches mais rapporterait 25 milliards, soit 5 fois plus que l’ISF français ancienne mouture. »

Cela n’a en effet rien à voir avec l’ISF à la française qui imposait à partir du seuil de 1,3 millions de d’euros et dont le taux ne dépassait pas 1,5%.

Il faut bien comprendre ce que signifierait la proposition de Bernie Sanders, il veut au-delà d’un certain patrimoine capter la totalité des revenus générés par ce dernier : 8% de revenus, 8% d’impôts.

Cette mesure radicale devrait conduire à ce que les très hauts patrimoines n’augmentent plus ou au moins ralentissent beaucoup leur progression.

Mais pourrait-il être élu avec un tel programme aux Etats-Unis ?

Bill Gates qui avait déclaré son aversion pour Donald Trump, n’a pas exclu de voter pour lui si les Démocrates avaient des propositions fiscales trop extrémistes, c’est-à-dire les propositions de Bernie Sanders.

Et même s’il était élu, pourrait-il mettre en œuvre ce programme ?

Dans le « Un » Zucman défend l’idée qu’il est possible d’augmenter massivement l’impôt sur le capital sans fuite des capitaux :

« Tous ces dirigeants (Thatcher, Reagan, Trump, Macron) ont adopté un discours selon lequel il n’y avait pas d’autres choix possible que celui de baisser les impôts sur le capital. Que la concurrence fiscale allait pousser les grandes fortunes à partir. Que l’imposition des multinationales allait encourager l’exil dans les paradis fiscaux. Et qu’il fallait donc baisser les taux marginaux supérieurs ou supprimer les impôts sur la fortune pour s’adapter à une mondialisation incontrôlable Mais c’est faux et c’est en cela que ce triomphe de l’injustice a des airs de déni de démocratie. C’est une analyse ignorante de ce qu’à pu être la taxation avant les années 1980 et qui porte un diagnostic erroné sur ce que peut être la mondialisation […]

Nous disposons aujourd’hui de traités de libre-échange, mais il n’existe aucune forme de coordination fiscale. Vous avez la possibilité d’avoir un taux d’imposition nul, mais pas celle d’instaurer des barrières douanières ! C’est un choix qui a été fait, mais qui peut être renversé, avec des traités commerciaux qui incluent un volet fiscal »

Il est certain que si les Etats-Unis entraient dans ce type de politique et de traité cela serait plus simple pour les autres. Car je m’interroge quand même sur la capacité d’un pays comme la France d’imposer de telles règles, alors que nous savons qu’à l’intérieur de l’Union Européenne il existe une concurrence fiscale qui n’est pas remis en cause.

Zucman pense aussi qu’il est possible de mettre fin au paradis fiscaux et d’imposer des taux d’imposition sur les très hauts revenus de 60% avec un taux marginal supérieur à 75 %.

La conclusion de son entretien se présente comme positif et volontariste :

« Je suis frappé par les similarités entre la situation actuelle et le Gilded Age, cette période de prospérité de la fin du XIX siècle marquée par une fiscalité régressive, une explosion des inégalités et la constitution de grands monopoles privés. Résultat : au début du XXème siècle il y a eu en quelques années un grand retournement qui a permis de mettre en place le système fiscal le plus progressif au monde. Aujourd’hui, l’émergence de figures politiques comme les démocrates Warren et Sanders aux Etats-Unis laisse penser qu’un autre modèle est possible. Quant à la France, où les prélèvements obligatoires sont déjà élevés, l’enjeu n’est pas de les augmenter encore, mais de sortir de la spirale d’injustice fiscales en échappant au nihilisme actuel : oui, on peut encore agir et renverser la table, à condition d’y mettre un peu de volonté politique. »

Il est certain pour qu’une vraie évolution puisse se réaliser il faut d’abord des théoriciens qui proposent des modèles différents de ceux qui sont à l’œuvre aujourd’hui et il faut ensuit des politiques qui prennent le risque de mettre en œuvre ces méthodes.

Peut-être que les théoriciens sont ces économistes français au pays de Trump et que Bernie Sanders est l’homme politique qui soit en mesure d’être le levier d’action.

La plupart des analystes pensent aujourd’hui qu’il n’a aucune chance de gagner.

Mais depuis l’élection de Trump, l’imprévisible est de rigueur.

Vous pouvez aussi lire cet article d’« Alternatives économiques » : <Gabriel Zucman : « La concentration des richesses pose un problème démocratique »>

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Mercredi 26 février 2020

« On commencerait par la perruque, et à la fin de l’histoire, on l’enlèverait comme si de rien n’était.  »
Léonor de Récondo

Je continue à picorer dans le « Un » qui pose cette question qui pour certains est parfaitement stupide, qui pour d’autres entraîne une réponse affirmative évidente ;  « Les riches sont-ils trop riches ? »

Hier nous étions dans le concept : comment déterminer le seuil à partir duquel on est riche ?

Nous avons surtout compris que le plus souvent le riche c’était l’autre.

Et pourtant les grands philosophes nous le disent et nous le savons intimement : l’argent ne fait pas le bonheur. Ou plus exactement, il fait une partie du bonheur jusqu’à un certain niveau, mais au-delà plus du tout.

Aujourd’hui, à l’aide de Léonor de Récondo, je vous invite à regarder la grande richesse à hauteur d’homme.

Pour être précis, il ne s’agit pas de la richesse, mais du comportement d’hyper riches quand ils se laissent aller à exprimer pleinement leur hubris.

Le « Un » rapporte donc ce récit de Léonor de Récondo, qui fait débuter son récit à l’hôtel des menus plaisirs de Versailles :

« On commencerait par la perruque, oui c’est ça. On commencerait par la perruque, et à la fin de l’histoire, on l’enlèverait comme si de rien n’était.

L’histoire officielle débute au château de Versailles, quand les invités arrivent. Ils sont escortés, ni calèches ni valets, pas encore, ils sont pour l’instant dans des berlines noires avec chauffeur, et sur leur trente-et-un. Quand la nuit tombe sur ce 9 mars 2014, ils sont à la fois excités et anxieux de ce qui les attend. Les ors, du vin et des mets, et des privilèges qui ne les protègent ni de la vulgarité ni des artifices. Quelques heures en ce château pour se chauffer au miroitement du Roi-Soleil, pour croire à ce conte de fées mis en scène et en bouche, une fois dans leur vie.

L’histoire officieuse, la mienne, commence quelques heures auparavant à l’hôtel des Menus-Plaisirs, là où a été votée l’abolition des privilèges, on a du mal à y croire. On est une cinquantaine de danseurs, comédiens, figurants et une quinzaine de musiciens dont moi. On me trouve une robe, dentelles et couleurs pastel, coupe Louis XIV, ajustée à la taille, pigeonnante au décolleté, un peu élimée, maintes fois portée. On me dit qu’elle provient du stock de la Comédie-Française. Versailles et le Français, on se prendrait presque au jeu. Manquent encore le maquillage poudré blanc, rose aux joues, une mouche de velours noir, une « galante », me précise-t-on, sur la pommette. Et puis, le filet sur le crâne avant la perruque haute, blanche, guirlande de boucles sur la nuque, épingles qui scalpent, sourire de rigueur. »

Il s’agit de la fête d’anniversaire que Carlos Ghosn a organisé au château de Versailles le 9 mars 2014.

Carlos Ghosn affirme que cette fête a eu lieu pour les 15 ans de l’Alliance Renault-Nissan.

De manière factuelle, Carlos Ghosn étant né 9 mars 1954, cette date constituait le jour de son 60e anniversaire. La date officielle de l’anniversaire de l’Alliance est quant à elle le 27 mars.

L’« Obs » cher à jean Daniel a écrit un article éclairant : « La vidéo de la folle soirée d’anniversaire de Carlos Ghosn à Versailles ».

« Un travelling dans la galerie des Glaces où des convives en smoking ou robes de soirée et des figurants costumés comme au temps de Louis XIV regardent par les fenêtres un magnifique feu d’artifice tiré des jardins du château.

Voilà comment se termine une incroyable vidéo tournée à Versailles le 9 mars 2014, lors d’une grande soirée payée 634 000 euros par la filiale néerlandaise Renault-Nissan BV et organisée le soir des 60 ans de Carlos Ghosn. Un film de huit minutes et vingt secondes tout en lustre, dorures, et excès, […] De quoi conforter la conclusion des auditeurs du cabinet Mazars qui, après avoir scruté les comptes de la filiale Renault-Nissan BV, ont jugé que cette soirée était un événement privé et en aucun cas une fête pour les quinze ans de l’alliance comme avancé par Carlos Ghosn, même si c’était le thème officiel de l’événement et du discours d’accueil du PDG : ainsi que « l’Obs » l’avait révélé en février après avoir eu accès à la première liste d’envoi des invitations, de très nombreux amis ou connaissances personnelles du PDG étaient conviés, dont quantité de Libanais, et seules de très rares relations d’affaires de l’alliance. Carlos Ghosn assure, lui, que sa soirée d’anniversaire a eu lieu le lendemain dans un restaurant parisien… et payée de sa poche. »

Baudelaire a écrit dans son « invitation au voyage »

Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.

Les hyper riches adorent le luxe et la volupté

Mais le dévoilement des faits, nous apprend aussi que les hyper riches aiment faire payer ce luxe par les autres. Ici la filiale néerlandaise de Renault-Nissan.

Dans sa conférence de presse de Beyrouth après son évasion du Japon, Carlos Ghosn <s’est défendu> avec vigueur.

Il a dénoncé une « diffamation » et a expliqué la raison de célébrer les 15 ans de l’Alliance Renault-Nissan dans un lieu aussi somptueux :

« Versailles, ce n’est pas Louis XIV, Versailles, c’est le site le plus visité en France, c’est le symbole du génie français, c’est un symbole de l’ouverture de la France sur le monde. Ce n’est pas parce que l’on veut imiter tel ou tel roi ou reine, Louis XIV ou Marie-Antoinette »

Mais il l’assure, il a même adressé un discours portant sur l’Alliance lors de cette soirée. Manque de chance, ce discours a aujourd’hui mystérieusement « disparu ».

Et pour expliquer l’absence des autres directeurs de Renault Nissan, il a aussi son argument ;

« Eh bien, c’est parce que cette fête n’était pas pour eux, cette fête était pour les partenaires et particulièrement les partenaires étrangers. Si on invite un Français à Versailles, il s’en fiche, mais si on invite un Chinois, un Japonais, un Américain, eux, ça les intéresse beaucoup. C’est pour ça qu’on a fait ça à Versailles. »

<L’Obs> a répondu à ces arguments.

« Selon nos informations, Carlos Ghosn a effectivement prononcé un discours à propos des quinze ans de l’alliance Renault-Nissan en ouverture de la soirée, avant celui de Catherine Pégard, patronne du château de Versailles.

[A propos des invités] Outre quelques personnes ayant des relations d’affaires avec Renault-Nissan, étaient présents aussi des convives dont la présence peut se justifier comme un ancien sénateur américain du Mississipi où Nissan a une usine. Mais selon nos informations, de nombreuses personnalités n’ayant aucun lien avec Renault-Nissan, en France et à l’étranger, étaient présentes à cette folle soirée. On peut ainsi citer un grand nombre de businessmen libanais, dont Raymond Debanne, Marwan Hamadé, Gilbert Chaghoury, Najil Nahas, Hussein Khalifa, Nadim Saikali, ou Maurice Sehnaoui.

Mais aussi : son beau-père et sa belle-mère Arfin et Greta Malas ; Etienne Debbané, copropriétaire avec Ghosn d’un vignoble au Liban ; Samir et Laura Lahoud, figures de la jet-set libanaise ; Amin Maalouf, écrivain libanais ; Nayla Moawad, femme politique libanaise ; Salim Daccache, l’ancien directeur du lycée jésuite à Beyrouth où Ghosn a étudié ; Mario Sarada, partenaire de Ghosn dans un complexe immobilier ; Alison Levasseur, architecte d’intérieur ; Ivonne Abdel Baki, femme politique équatorienne d’origine libanaise […] à l’issue de la soirée, une des filles de Carlos Ghosn a publié sur Instagram une photo accompagnée du mot-clef explicite #familyreunion. »


<Le Monde> nous apprend que Le constructeur automobile français Renault a annoncé lundi 24 février qu’il se constituait partie civile dans le cadre de l’enquête judiciaire en France pour abus de biens sociaux visant son ex-patron, qui a été transmise jeudi à un juge d’instruction et qui concerne cette soirée et une autre. Car en 2016, une autre soirée a été organisée dans Grand Trianon et dans le parc du château. Il s’agissait de fêter l’alliance, pardon le mariage de Carlos et de Carole, dernière épouse du franco-libano-brésilien.

Mais Léonor Récondo raconte avec beaucoup d’art cette soirée de l’intérieur :

« Une fois prêts, s’entassent dans ma Twingo un garde et deux danseuses en grand costume. On roule tête baissée à cause des perruques. Arrivés au château, on dîne avec les agents de sécurité dans les couloirs du rez de chaussée, et puis vers 19 heures, ça commence de bouger, il y a de l’agitation […] Lentement surgissent les berlines noires. Ils doivent rêver déjà, ils se préparent depuis longtemps aussi. […]

Le ballet des voitures traverse la cour d’honneur avant de s’arrêter devant la grille dorée, les invités parcourent ensuite la cour royale à pied. Le château brille de toute sa splendeur, le silence s’est posé, les touristes se sont évanouis.

Devant la porte est postée une haie de figurants habillés (déguisés ?) en gardes, lance au pied, provenant du même stock du Français. Les invités en ont plein les mirettes, les robes de soirée caresssent le pavé, les chaussures anglaises le battent. On se salue, se reconnaît, baisemain, la bise pour les intimes, quelle joie de se retrouver ! »

Et puis il y a la fête, les danses, la musique :

« Le rêve prend corps de danseuse.

Les musiciens sont répartis par petits groupes dans les différents salons que parcourent les invités jusqu’à la galerie des Batailles où est dressée l’immense table pour la centaine d’invités.

Je vais jouer du violon deux fois, d’abord dans un des salons avec flûtiste, claveciniste et chanteuse. Dans le brouhaha des pas personne ne nous écoute. On nous prend en photo, selfie enregistré, pour dire qu’on y était. […]

En livrée, le diner est servi.

Exclamation générale à la vue des pièces montées. C’est le moment où je joue avec les danseurs, le tableau que nous formons est plutôt charmant. »

Je ne connaissais pas Léonor de Récondo qui est violoniste baroque mais aussi romancière.

En 2019, elle a écrit « Manifesto » dont parle « Le Monde » dans un article « « Manifesto », le poignant hommage de Léonor de Récondo à son père »

On apprend que Léonor de Récondo est la fille d’un sculpteur espagnol Félix de Récondo, artiste épris de liberté. Sa mère Cécile était aussi artiste peintre.

Le Monde écrit :

«  La romancière prête voix, dans Manifesto, son sixième livre, à son père, qui évoque sa famille : des républicains basques espagnols, exilés en France, à Hendaye, à l’époque du franquisme. Le père, la mère, Aïta, l’oncle curé, Amatxo, qui venait dire la messe à la ferme, l’enfance de Félix au collège de Dax : « Les Landes c’est la fin de mon enfance, dit Félix, la clandestinité, la pauvreté, l’exil, la chaleur de notre famille. » Mais c’est aussi, sur la plage d’Hendaye, la découverte éblouie des corps, qu’il ne cessera plus tard de dessiner et de sculpter. »

Pour celles et ceux qui aiment voir de leurs yeux, voici <le lien> vers la vidéo que Youtube et donc Google met gratuitement à notre disposition pour que nous puissions voir quelques éclats de cette belle fête.

Le cuisinier qui a préparé le diner était Alain Ducasse.

Si vous voulez vous offrir un repas préparé par Alain Ducasse, vous devez le payer.

Un hyper riche comme Carlos Ghosn fait payer une personne qu’on appelle morale.

Un professeur de fiscalité avait dit : « Je n’ai jamais serré la main d’une personne morale, mais j’ai constaté qu’à la fin c’était toujours elle qui payait »

C’est peut-être le secret des hyper riches : il ne paie pas (toujours ?) avec leur argent, leur désir de luxe.

Le récit de Léonor Récondo se termine ainsi :

« A l’hôtel des Menus-Plaisirs, j’enlève ma perruque, je rends le costume. On me tend ma fiche de paie, 201 euros net. »

<1357>

Mardi 25 février 2020

« Comment définir un seuil de richesse ? »
Pierre Concialdi

Début février, le magazine « le Un » posait cette question « Les riches sont-ils trop riches ? ».

Que signifie cette question ?

Il y a évidemment la question morale que chacun peut poser :

Est-il moral de posséder autant de patrimoine et d’avoir des revenus aussi importants que certain multi milliardaires ?

Beaucoup, dont je fais partie, trouveront certains seuils de richesses indécents.

Surtout si on écoute Lao-Tseu qui aurait dit :

«Savoir se contenter de ce que l’on possède, c’est être riche ».

Le Un cite Nietzsche :

« Celui qui possède, lorsqu’il ne s’entend pas à utiliser les loisirs que lui donne la fortune, continuera toujours à vouloir acquérir du bien : cette aspiration sera son amusement, sa ruse de guerre dans la lutte avec l’ennui. C’est ainsi que la modeste aisance, qui suffirait à l’homme intellectuel se transforme en véritable richesse, résultat trompeur de dépendance et de pauvreté intellectuelles »

Nous somme dans le divertissement pascalien, pour tromper l’ennui et la mort, le riche s’adonne à la course vers de plus en plus de richesses.

Et pourtant, comme le rappelle <cet article du Figaro> :

« Une étude menée par des chercheurs de l’Université de Princeton a montré qu’un revenu plus élevé augmentait le niveau de bonheur, mais seulement jusqu’à un salaire d’environ 75.000 dollars (soit un peu moins de 70.000 euros) par an. Et après? Après, cela bouge peu. Voire plus du tout. C’est pour cela qu’un actif ne peut avoir pour unique ambition de gagner beaucoup d’argent. C’est ce que montre également une étude de la LSE (London School of Economics), dirigée par l’économiste britannique Lord Richard Layard. «Les États doivent mettre de côté la création de richesse pour se concentrer sur la création de bien-être», explique-t-il, arguant notamment que le bien-être des citoyens est la valeur de demain. »

Cette quête semble donc assez vaine.

Mais la question intéressante que pose le Un est plutôt de savoir : « Est-ce que les choses iraient mieux dans le monde  si les riches étaient moins riches. »

Toutefois, la première question qui se pose est plutôt de savoir qui est riche ?

Car il est apparaît qu’il est possible et juste de demander une contribution au bien commun plus importante aux riches.

Le journal <La Croix> avait aussi posé cette question qui est riche ?

Et ce journal explique que le riche est une espèce inconnue des statisticiens :

« L’Insee, qui scrute les Français sous toutes les coutures, reconnaît être un peu démuni. Aucune définition ne permet de fixer de façon incontestable le moment où un individu quitte la table de la classe moyenne supérieure pour s’installer au banquet des riches. « Les politiques publiques de lutte contre la pauvreté existent depuis longtemps. Elles ont besoin d’indicateurs statistiques. C’est très différent pour la richesse », explique Julie Labarthe, cheffe de la division revenus et patrimoine des ménages. »

La meilleure réponse se trouve peut-être dans ce dessin de Deligne que le journal publie.

La conclusion est simple : « le riche c’est l’autre, celui qui est plus riche ou apparemment plus riche».

Pour essayer d’aborder cette question, le UN donne la parole à l’économiste Pierre Concialdi qui est membre de l’association des « économistes atterrés » :

« Plusieurs travaux récents permettent aujourd’hui de proposer une définition conceptuelle robuste d’un seuil de richesse ainsi que de premières estimations empiriques. Aux Etats-Unis, le mouvement Occupy Wall Street a popularisé l’idée d’une fracture au sein de la société entre la masse des citoyens (« les 99% ») et une petite élite oligarchique (le « 1% ») qui concentre à la fois le pouvoir économique et politique. Il est devenu depuis fréquent de définir « les riches » comme ceux qui font partie de ce 1%. Dans les sociétés capitalistes contemporaines caractérisées par une inégalité démesurée, cette façon d’identifier la population riche emporte assez facilement la conviction des citoyens ordinaires. En France, cela correspond pour une personne seule à un revenu annuel avant impôts de plus de 100 000 euros »

C’est à cette définition que fait appel Emmanuel Todd, dans son livre « Les luttes de classe dans la France du XXIème siècle» où il oppose deux classes « les 99% » et les « 1% ».

Cette définition cependant ne convainc pas l’économiste parce qu’elle méconnaît le fait que la proportion de riches peut varier dans le temps et aussi selon les pays.

Une seconde approche peut être proposée en retenant comme seuil de richesse, un multiple du revenu médian (2 fois ou 3 fois plus).

Rappelons que le revenu médian est celui que touche celui qui se trouve au milieu d’une population : 50% se trouve au-dessus et 50% se trouve en dessous.

C’est ainsi qu’on définit le seuil de pauvreté, fixés selon les pays à 60% ou 50% du revenu médian.

Le seuil de richesse serait la même chose dans l’autre sens. Pierre Concialdi y voit un avantage :

« Cette démarche présente l’avantage de s’appuyer sur un repère collectif (le revenu médian), ce qui signale que la richesse comme la pauvreté est une notion relative.’

Cette démarche présente le caractère subjectif de déterminer le coefficient multiplicateur.

Ainsi avec un revenu média, de 1 735 euros par mois en 2017 est-on riche à partir de 3 470 euros (2x) ou 5 205 euros (3x) ou encore 8 675 euros (5x)

Et il explique une autre manière d’aborder le sujet :

« Des travaux plus récents ont proposé de définir un seuil de richesse de façon plus argumentée en l’arrimant, en quelque sorte à un objectif d’éradication de la pauvreté.

Le seuil de de richesse correspond alors au niveau de revenu maximal auquel il faudrait abaisser les plus hauts revenus pour rééquilibrer la distribution de façon à permettre à tous d’atteindre un niveau de vie minimum décent.

L’idée qui fonde cette approche est que la société devrait avoir une aversion totale pour la pauvreté et donc se donner les moyens de l’éradiquer. Dit autrement, si nous voulons faire société, il est nécessaire que tous les citoyens puissent y participer au moins de façon minimale, ce qui nécessite de fixer une limite au plus hauts revenus. Une fois défini un seuil minimum d’inclusion sociale, on peut alors définir le seuil de richesse qui y est associé. »

La difficulté est d’aboutir à un consensus argumenté sur le panier de biens et de services nécessaires pour accéder à un niveau de vie décent.

La démarche proposée par des chercheurs britanniques est de parvenir à ce consensus par une démarche participative.

En France, une démarche analogue a été engagée par l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) qui a défini <les budgets de référence> représentant précisément un niveau de vie décent. Le revenu minimum est d’environ 1 500 euros par mois pour une personne seule.

Et pour déterminer alors le seuil de richesse Concialdi cite un ouvrage de la Fondation Copernic « Vers une société plus juste » qui détermine une fourchette comprise entre 3,5 fois et 4 fois le seuil minimum d’inclusion. Soit toujours pour une personne seule, un revenu disponible (après impôts) égal à environ 6 000 euros par mois.

L’économiste prétend que :

« Cette approche présente l’avantage d’articuler la définition d’un socle minimum d’égalité socialement validé avec celle d’un revenu maximal. Elle permet ainsi de définir un repère collectif permettant d’orienter les politiques publiques en vue de contenir l’inégalité dans des limites socialement acceptables ; »

Il rappelle que la satisfaction des besoins peut aussi passer par le développement de services publics.

Concialdi répond donc précisément à la question posée par « le Un » : Oui les riches sont trop riches.

Et lutter contre la pauvreté, dispose comme premier levier d’empêcher les riches d’être trop riches.

Mais il en est qui conteste cette vision et pense qu’on ne lutte pas contre la pauvreté en luttant contre les riches.

La position défendue par Concialdi se heurte à une autre grande difficulté : Les contraintes qu’il propose sont de l’ordre du politique qui s’exerce dans le cadre des États.

Or la répartition des richesses dépend en grande part de l’économie pour laquelle les frontières étatiques ne représentent pas grand-chose.

<1356>

Lundi 24 février 2020

« Pourquoi le mal ? C’est la seule vraie question »
Dernier édito de Jean Daniel dans l’obs

Lecteur régulier du nouvel observateur, aujourd’hui abonné, la lecture des articles de Jean Daniel m’a accompagné toute ma vie.

A 20 ans, je lisais déjà les contributions de ce journaliste, intellectuel et je n’hésite pas à l’écrire de ce « sage ». Il est décédé le 19 février à 99 ans

Robert Badinter a dit de lui : « Jean Daniel était un homme juste »

Jean Daniel était en effet de tous les bons combats de la décolonisation, des luttes sociales, de l’abolition de la peine de mort, du rejet des dictatures soviétiques et maoïstes, de la paix entre palestiniens et israéliens. Toujours du côté de la tempérance, de l’équilibre et de l’intelligence.

Il était aussi courageux et pendant la décolonisation à Bizerte, au cours d’un combat entre les insurgés et les forces françaises, alors qu’il sort d’une entrevue avec Habib Bourguiba, il tombe sous la mitraille d’un avion… français. Blessé gravement, il passe de longs mois hospitalisé.

Du point de vue politique il était du côté de Mendés France puis de Michel Rocard et non pas de celui de François Mitterrand. Ce qui le rend encore plus sage à mes yeux.

Robert Badinter raconte :

« Si François Mitterrand lisait avec attention les articles de Jean Daniel qu’il évoquait volontiers, celui-ci est toujours demeuré aux yeux de François Mitterrand entaché du péché de « rocardisme ». Je me souviens qu’il se plaisait à me brocarder à ce sujet : « Comme le dit votre ami Jean Daniel, qui aime tant Michel Rocard… »

Nous en plaisantions mais je pense que François Mitterrand a toujours considéré Jean Daniel comme un rocardien, ce qui suscitait chez lui plus de suspicion que de confiance. »

Il semble cependant, selon Hubert Védrine, qu’à la fin Jean Daniel a reconnu quand même quelque mérite à Mitterrand : «Plus Jean Daniel a connu Mitterrand, plus Mitterrand l’a fasciné»

Hubert Védrine qui parle aussi de son engagement pour la paix au proche orient, contre tous les extrémistes :

« Mais je voudrais maintenant préciser pourquoi je l’ai tant admiré : c’est pour son courage. Culture, intelligence, finesse, curiosité jamais rassasiée, oui. Mais plus encore courage. Face à la bêtise à front bas, et même parfois à la haine.

D’abord sur le Proche-Orient. Il n’a jamais cessé inlassablement, dans ses éditoriaux, de soutenir par ses explications, son argumentation et ses prises de position les chances d’une vraie paix entre Israéliens et Palestiniens contre le fanatisme, le sectarisme, le nationalisme, l’ignorance, l’idiotie. Il a constamment été soupçonné par les pro-arabes radicaux et attaqué plus encore par les extrémistes nationalistes et religieux israéliens. Mais, à l’époque, il y avait encore des travaillistes et un « camp de la paix » ! Il a fait front stoïquement avec force et sérénité. Tout est expliqué dans « la Prison juive ». Tous ceux qui ont œuvré dans le sens du dialogue et de la paix depuis plus d’un demi-siècle, d’un côté ou de l’autre, lui doivent quelque chose. »

Jean Daniel est né Bensaïd, le 21 juillet 1920 à Blida, en Algérie, dans une famille juive.

Il a fait plusieurs rencontres marquantes dans sa vie, mais il semble bien que celle avec Albert Camus soit la plus marquante. Albert Camus qui a disparu il y a 60 ans, dans un accident de voiture à Villeblin, dans l’Yonne le 4 janvier 1960.

Dans un article publié dans l’Obs lors d’un hors-série consacré à Albert Camus, Jean Daniel a écrit un article dont voici un extrait :

« Notre rencontre a illuminé ma vie. Quelle chance insolente, tout de même. A 27 ans, dans le Paris de l’après-guerre, je dirige une petite revue littéraire, « Caliban », quand un jour, à mon bureau, je reçois un coup de téléphone : « Ici Camus.» J’ai eu du mal à le croire, failli répondre « et moi je suis Napoléon », mais c’était bien lui. Il voulait me suggérer de publier dans « Caliban », qu’il appréciait, des extraits du roman « la Maison du peuple » de son ami Louis Guilloux. Nouveau coup de chance, je connaissais et j’aimais Guilloux. Une heure plus tard, je passais le voir dans son bureau, chez Gallimard.

Nos origines algériennes communes ont sans doute compté dans ce miracle : cet écrivain que j’admirais m’a fait le cadeau merveilleux de son amitié. Et de sa générosité : il m’a ouvert son carnet d’adresses, permettant à « Caliban » de survivre quelques années encore, a publié mon roman « l’Erreur » dans la collection qu’il dirigeait chez Gallimard, a fait par sa conversation ma culture littéraire et philosophique. Il ne donnait jamais de cours, ne prêchait pas, ne disait pas « il faut lire untel et untel », mais faisait simplement profiter de son savoir, de ses pensées. Et de sa joie de vivre : avec ceux qu’il considérait comme les siens, il aimait rire et, comme tout séducteur, danser — il prétendait danser mieux que les autres, mais il le faisait surtout plus joyeusement, plus librement. »

La revue « Caliban » va faire faillite, il travaillera alors quelques temps dans le journal «L’Express» de Jean-Jacques Schreiber avant de fonder avec Claude Perdriel « Le Nouvel Observateur » dont le premier numéro paraîtra le 19 novembre 1964. Les parrains de ce nouvel hebdomadaire seront Mendés-France et Jean-Paul Sartre.

Et très longtemps, il a dirigé et écrit des éditos et puis il n’a plus eu la force de venir ni d’écrire.

Il a pourtant ressorti une dernière fois la plume pour écrire son <dernier édito> le 15 octobre 1919.

Trois évènements venaient de se passer :

  • Un attentat en Allemagne, à Halle, contre une synagogue ;
  • Le meurtre au sein de la préfecture de police de fonctionnaires sous les coups d’un islamiste radicalisé ;
  • L’intervention de l’armée turque contre les kurdes, nos alliées dans le combat contre Daesh

Et il écrit :

« Cela devait arriver. C’est arrivé. C’est-à-dire que l’on est, une fois encore, en train d’aller jusqu’au bout du bout. Je n’en parlerai pas comme mes confrères. Si j’ai été absent si longtemps c’est parce que, cela se sait, j’étais malade. Bien sûr, il y avait autre chose, mais cela commence à se savoir aussi. Les amis que j’ai inquiétés me pardonneront ce silence, surtout si je n’emploie pas les mêmes arguments que les autres.

Selon certains, rien ne serait nouveau dans ce qui nous indigne et nous révolte, rien de rien. Ni la trahison, ni la barbarie, ni les fausses promesses. Les Kurdes du nord de la Syrie, fidèles à leur combat historique pour la reconnaissance de leur nation, ont eu le courage de combattre Daech, pied à pied, quartier par quartier, ruine par ruine. Les voilà livrés aux appétits du nationaliste Erdogan et à la soldatesque turque qui s’emparent de leur territoire, tandis que se rapprochent les colonnes de Bachar, elles aussi assoiffées de reconquête.

On en est jusqu’à s’indigner des trahisons et même des mensonges. Mon Dieu, les Kurdes sont en train de disparaître ! Quant aux Turcs, ce serait la première fois qu’ils désavouent et qu’ils mentent ! Que veux-je dire ? Que toute illusion sur l’entente des peuples est dangereuse ? Davantage, elle conduit à abandonner toute espèce de sens à un rapprochement quelconque entre les peuples. Alors, rien n’est possible ? Ce serait la fin des fins.

Il y a pourtant eu un commencement de sagesse, avant le déluge sans doute. Mais soyons patients. Le vrai déluge n’est pas encore arrivé. Je serai peut-être bientôt centenaire. Je n’ai rien fait pour et quand on m’en fait compliment, je suis dans la confusion. Mais si âgé que je sois, je voudrais dire que s’il m’était resté encore bien des mois pour lutter, car c’est bien une lutte, alors je les aurais passés à réfléchir et à écrire essentiellement sur la barbarie des hommes. Y a-t-il à ce trait constant de l’espèce la moindre justification ? Sans doute la vie ne pouvait-elle pas apparaître sur la terre sans la barbarie.

On dit que l’homme est un loup pour l’homme. Ce n’est pas insensé. La preuve, c’est qu’après la Première Guerre mondiale, il y a eu la Seconde. Je voudrais que les plus jeunes d’entre nous comprennent bien le sens de cette succession. Voilà des millions et des millions d’hommes qui inventent l’atroce guerre. Ils vont tous avoir une conscience et une mémoire sur la première guerre et ils ne vont pas hésiter à en refaire une seconde. Oui, une Seconde Guerre mondiale, et même, ils la rendront plus cruelle que la précédente.

Voilà le sujet qui me serait proposé. C’est la seule vraie question. Pourquoi le mal ?

Cette volonté sinistre, morbide sans la moindre justification.

Chacun pose la question à son dieu, jusqu’au moment où les dieux eux-mêmes se déchaînent.

Oui, pourquoi le mal ? Je ne vois pas une autre question digne d’être traitée aujourd’hui. »

Et en évoquant les tensions autour de l’Islam après la tuerie de la préfecture de police, il finit par cette conclusion :

« Pour le surmonter, nous avons toujours défendu ici la tradition d’un Islam éclairé, à l’origine même de notre humanisme sécularisé. Mais, c’est hélas le temps long de l’Histoire qui devrait nous renseigner sur la probable suite des événements. « Mon pays est un pays chrétien et je commence à compter l’histoire de France à partir de l’accession d’un roi chrétien qui porte le nom des Francs », disait le général de Gaulle en 1959. Ce constat du fondateur de notre Ve République n’ôte rien à la nécessité de tout faire pour aménager une concorde pacifique avec les musulmans qui vivent dans notre pays. Mais il dit aussi que vouloir extirper les racines millénaires d’un peuple est mission impossible. »

Edgar Morin, né en juillet 1921, un an après Jean Daniel était son ami.

Il avait écrit pour les 99 ans de Jean Daniel une lettre <Salut l’ami>, dans laquelle il reconnaissait notamment sa grande clairvoyance par rapport au communisme ainsi que sa confiance en Camus dès le début :

« Alors que j’avais encore une foi mystique (que je croyais conviction rationnelle) en l’URSS, tu as résisté à la grande tentation des intellectuels de l’époque et l’amitié d’Albert Camus a contribué à ta sauvegarde. Camus ! Si proche et si semblable à toi, il illumina ta pensée et ta vie, alors que, pour moi, c’est un grand regret – moi qui appréciais son œuvre et l’avais connu chez Marguerite Duras – de l’avoir classé dans la catégorie dédaignée par Hegel des belles âmes et des grands cœurs, que je reconnais aujourd’hui comme les plus nobles de toutes. »

Je laisserai le mot de la fin à Anne Sinclair : « Le journalisme était grand sous Jean Daniel ».

<1355>

Vendredi 21 février 2020

« Bella Ciao »
Un chant italien sur lequel on raconte des histoires

Dans la série concernant les mots de l’actualité, le 11 février je parlais <des sardines>, ce mouvement anti populiste qui est né à Bologne pendant des élections locales pour stopper l’irrésistible ascension de Salvini et de la Ligue et qui s’est répandu à l’ensemble de la péninsule italienne.

Les « sardines » manifestaient, étaient nombreux, se pressaient les uns contre les autres et <chantaient Bella Ciao>

Una mattina mi son svegliato,
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao,

Je continue en français

Un matin, je me suis réveillé,
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao,
Un matin, je me suis réveillé,
Et j’ai trouvé l’envahisseur.
Hé ! partisan emmène-moi,
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao,
Hé ! partisan emmène-moi,
Car je me sens mourir.

J’ai pensé : voici un mot du jour facile, on raconte un peu l’histoire de cette chanson, on parle de sa renommée planétaire, on renvoie vers quelques versions de ce chant et ce sera une belle manière de terminer la semaine.

Opportunément ARTE a réalisé une petit documentaire de moins de quinze minutes  : <Bella Ciao dans les rizières du Pièmont> qui racontent tout ce qu’il y à savoir sur ce sujet, chant des partisans lors de la dernière guerre mais dont l’origine remonterait aux ouvrières saisonnières qu’on appelait les « mondines » et qui travaillaient, dans de dures conditions, à la culture du riz dans les terres humides de la plaine du Pô, dans le nord de l’Italie.

<Wikipedia> reprend cette version :

« C’est une chanson de travail et de protestation piémontaise. Elle exprime la protestation des mondines, les saisonnières qui désherbaient les rizières d’Italie du Nord et y repiquaient les plants de riz, contre les dures conditions de travail : les femmes devaient rester courbées toute la journée, dans l’eau jusqu’aux genoux, sous le regard et les brimades des surveillants. Les conditions de travail et de vie des mondines sont illustrées par le film <Riz amer> de Giuseppe De Santis, chef-d’œuvre du néoréalisme italien. »

Dans cet article nous avons aussi les paroles complètes du chant des partisans, comme du chant des mondines dont je donne le début dans sa traduction française :

Le matin, à peine levée
O bella ciao bella ciao bella ciao ciao ciao
Le matin, à peine levée
À la rizière je dois aller

Et entre les insectes et les moustiques
O bella ciao bella ciao bella ciao ciao ciao
Et entre les insectes et les moustiques
Un dur labeur je dois faire

Le chef debout avec son bâton
O bella ciao bella ciao bella ciao ciao ciao
Le chef debout avec son bâton
Et nous courbées à travailler

Quelques recherches plus loin, j’ai appris que ce chant avait connu un regain de popularité récente en raison d’une série espagnole produite sur Netflix : « La casa de papel ». Je n’en ai jamais entendu parler avant, montrant ainsi ma déconnexion de Netflix et mon manque de culture actuelle et populaire. J’ai trouvé <cet article d’Ouest France> qui rapporte :

« Le dernier gros succès de la plateforme de streaming Netflix, la série espagnole La Casa de Papel, a remis au goût du jour le chant révolutionnaire italien Bella Ciao. […]

« O Bella Ciao, Bella Ciao, Bella Ciao, ciao, ciao… » Dans la série télévisée espagnole La Casa de Papel, qui cartonne sur Netflix, les protagonistes – qui participent à un impressionnant braquage organisé à la Fabrique nationale de la monnaie et du timbre (à Madrid), pour imprimer 2,4 milliards d’euros – entonnent à plusieurs reprises ce chant au rythme entraînant, particulièrement addictif.

Au fil de la série, il devient en quelque sorte, la chanson de ralliement des malfaiteurs. Impossible de ne pas la siffloter quand on regarde les épisodes.

Depuis que la première saison a été diffusée sur Netflix (en décembre 2017), les recherches sur Google avec le mot-clé « Bella Ciao », explosent. Elles ont été multipliées par dix. Sur YouTube c’est pareil, elles grimpent en flèche depuis le début de l’année.La plateforme américaine a flairé le filon et a basé une grande partie de sa communication sur ce chant pour la deuxième saison de La Casa de Papel, diffusée depuis le 6 avril : affiches, vidéos, posts sur Twitter, sur Facebook, karaoké… À tel point que sur les réseaux sociaux, ça s’empoigne entre fans de la série qui font du morceau « LA chanson de La Casa de Papel » et les puristes, qui hurlent au détournement de ce chant partisan italien, né il y a plus d’un siècle. »

Et l’article revient sur l’origine des mondines :

« Car au tout début, Bella Ciao est un chant ouvrier, dont la datation précise est difficile. Les « mondines », ces ouvrières saisonnières piémontaises qui travaillaient dans les rizières italiennes de la plaine du Pô à la fin du XIXe siècle en seraient à l’origine. »

Alors il semble bien que c’est cette série qui en a fait un tube mondial :

D’abord en Amérique du Sud : <au Chili>, <au Venezuela>, <en Uruguay> on chante bella ciao ou en s’inspire de l’air.

L’obs nous parle de manifestations au <Liban>

« Depuis le début de la contestation la semaine dernière au Liban contre la classe politique, la précarité et les taxes, la foule compacte rassemblée place Al-Nour dans le centre de la capitale du Nord [Tripoli] se déhanche au son des basses du coucher du soleil jusqu’au bout de nuits euphoriques. […]
Sur la place Al-Nour, où trône une imposante sculpture formant le mot « Allah » (Dieu), un DJ officie depuis un balcon surplombant une marrée humaine illuminée par les lampes torches des milliers de téléphones portables. Limonade et friandises gratuites sont distribuées. Des slogans et des hymnes populaires sont repris en choeur comme la chanson révolutionnaire italienne « Bella Ciao », écrite en 1944, popularisée auprès des jeunes par la série Netflix espagnole La Casa de Papel et reprise aussi dans les manifestations en Algérie et à Barcelone. »

Donc le Liban, l’Algérie l’Espagne et aussi <des palestiniens qui font aussi appel à ce chant> dans leur lutte pour un Etat.

<Et cet article> parle du Kurdistan et de New Delhi en Inde où résonne ce chant dans des manifestations.

<En Irak> des artistes de Mossoul reprennent « Bella ciao » en arabe pour en faire un hymne de la contestation.

<Même à Hong Kong> on chante bella ciao.

Mais revenons à l’origine de ce chant.

« Mediapart » a publié quatre articles sur ce sujet : <1>, <2>, <3>, <4> et a donné comme titre à cette série : « Les métamorphoses de Bella Ciao »

Le premier article s’étonne qu’il n’y ait rien de collectif dans les paroles de Bella Ciao. Un homme s’engage seul, et fait ses adieux à sa bien-aimée en sachant aller à la mort : un récit atypique dans l’univers de la Résistance européenne.

Un historien, Bruno Leroux, s’est intéressé aux chants de maquisards français et en analysant un corpus de 85 de ces chants il constatait que 79 d’entre eux étaient « l’expression d’un nous » désignant « les maquisards » ou plus rarement « la Résistance et les Français ». Un nous, mais pas ce moi romantique que met en scène Bella Ciao.

La suite de l’article met en doute que cette chanson ait été souvent chantée par les partisans italiens :

« Très rares sont les témoignages d’anciens partisans qui disent se souvenir avoir chanté Bella Ciao pendant leur clandestinité. Tout au plus en trouve-t-on une poignée autour de Montefiorino, en Émilie-Romagne, mais recueillis si tard que l’on est enclin à y voir des souvenirs reconstitués »

Et l’auteur de l’article de poser cette question pleine de sens :

« Dès lors se pose une énigme. Comment une chanson qu’aucun partisan n’a chantée durant les années de la Résistance a-t-elle pu devenir un hymne international de l’antifascisme »

L’Italie, plus qu’un autre pays occidental, après la première guerre mondiale et la révolution soviétique était minée par des quasi guerres civiles entre les forces de gauche et les forces conservatrices qui vont muter vers le fascisme. Puis après la seconde guerre, avec le parti communiste le plus puissant de l’ouest, les forces de gauche vont forger l’histoire de ce chant méconnu de la résistance italienne.

« C’est dans ce contexte politique complexe que se comprend l’émergence de Bella Ciao comme chanson emblématique de l’antifascisme. On l’a vu dans le premier volet de cette série, l’hymne était entre 1943 et 1945 inconnu des nombreuses formations locales de partisans, appuyées sur une vallée, un plateau, un massif.

Comment se fait-il que Bella Ciao ait conféré à l’Italie antifasciste cette unité qui lui manquait tant ? Les travaux historiques manquent sur ce point. Tout juste note-t-on souvent que les chorales populaires dans les communes acquises à la gauche firent beaucoup pour populariser, dès la Libération, la chanson. Pour la gauche unie des socialistes, des communistes et d’autres formations aujourd’hui oubliées comme le Parti d’action, Bella Ciao offrait un consensus fédérateur : mourir aux côtés des partisans luttant pour la liberté, voilà qui donnait une image flatteuse et fédératrice de la gauche, tout en évitant les questions qui fâchent.

La première représentation publique de Bella Ciao prend forme lors de la création du Festival mondial de la jeunesse et des étudiants, organisé à Prague à l’été 1947. D’autres représentations suivront au festival de Budapest (1949) et Berlin-Est (1951). La délégation italienne y enthousiasme ses camarades internationalistes par ses claquements de mains accompagnant le refrain qui donne son nom à la chanson. En ce début de guerre froide, Bella Ciao est devenu un hymne fédérateur du camp progressiste.»

Et puis…

Dans les années 1960, un milanais Roberto Leydi, journaliste et musicien, a pour objectif de faire une anthologie de la chanson populaire italienne. Il parcoure l’Italie du Nord, magnétophone à l’épaule, pour y recueillir des chants populaires. Et en 1962, lors d’une de ces campagnes de collecte, Leydi fait la connaissance d’une certaine Giovana Daffini. Ancienne mondine (ces ouvrières des rizières de la plaine du Pô), elle est aussi une musicienne accomplie. Et voici qu’elle déclare à Leydi qu’elle chantait, dès les années 1930, l’air de Bella Ciao, mais sur de tout autres paroles.

L’auteur de l’article, Nicolas Chevassus-au-Louis, analyse :

« Pour la gauche italienne, l’irruption de Giovana Daffini est du pain bénit. Bella Ciao a été construit après guerre comme hymne antifasciste consensuel. Et voici que la chanson se rattache aux plus anciennes luttes sociales italiennes, celles des journaliers de l’agriculture, qui présentent de surcroît l’avantage de pouvoir mobiliser tant au nord qu’au sud. Leydi est enchanté de sa découverte. Quant à Giovanna Daffini, elle connaît, à 47 ans, la gloire. »

Mais cette histoire ne semble pas plus exacte que la précédente :

«  L’ancienne « mondine » multiplie les versions, jusqu’à son décès en 1967. Tantôt elle aurait chanté son Bella Ciao des rizières avant guerre, tantôt après. Dans son livre Guerra, guerra ai palazzi e alle chiese (Odradek, 2003, non traduit), Cesare Bermani, un ancien des Nuovo Canzionere Italiano, donne le fin mot de l’histoire. Comme il le résume en empruntant une citation à l’historien britannique Eric Hobsbawm, l’histoire que l’on raconte dans les années 1960 de Bella Ciao n’est rien d’autre que « l’invention d’une tradition ». Irrité par la notoriété soudaine de Giovanna Daffini, Bermani rapporte qu’un ancien ouvrier agricole, Vasco Scansani, écrit à L’Unità, quotidien du PCI, pour affirmer qu’il a composé en 1951 les paroles de l’air des mondines… Ce que ne conteste pas la chanteuse, qui n’en est pas à une palinodie près.  »

Au départ je croyais à une histoire toute simple et un mot du jour rapide….

Cette <Page> de France Culture est un peu plus synthétique que Mediapart

« La popularité de « Bella Ciao » n’est plus à prouver. Pourtant ses origines restent floues, mélangeant faits historiques et légendes urbaines.

[…] On l’aurait vu apparaître en 1943 pendant la guerre civile italienne et la plupart des résistants l’auraient entonnée. […] En réalité la chanson a été très peu connue et chantée par les résistants.

Elle aurait donc bien été écrite dans ces années-là mais elle n’aurait été que très peu connue. […] La chanson acquiert en réalité sa notoriété après 1945. La presse socialiste la reprend et une revue d’ethnographie la publie dans ses pages en 1953.[…]

Une des légendes de « Bella Ciao » situe les origines au début du XIXe siècle dans le Nord de l’Italie. Là-bas des femmes, appelées les « Mondines » travaillent dans les rizières autour du fleuve Pô principalement. On raconte qu’elles auraient été les premières à chanter « Bella Ciao » mais avec des paroles différentes pour dénoncer leurs conditions de travail.

[…] Pour des historiens ce pan de l’histoire est une invention. Le témoignage de Vasco Scansiani, désherbeur dans les rizières va dans cette direction. Il affirme avoir écrit les paroles de la chanson en 1951 après les premières apparitions du chant « partisan ».

On ne sait pas davantage, d’où vient la mélodie. Certains avancent l’idée d’une origine française qui daterait du XVIe siècle, d’autres pensent que la mélodie pourrait aussi venir d’un chant yiddish de 1910.

Et l’article conclut :

«  La popularité de cette chanson s’est construite au fil des ans. Les fables autour des origines de ce chant renforcent sa symbolique et aident le pays à se projeter dans l’histoire de « Bella Ciao », dont tous les Italiens se revendiquent, aujourd’hui encore. »

En voici une version italienne et traditionnelle <Bella Ciao>. <Les Swingle Singers> chantent avec une grande perfection, mais on peut se demander si l’âme du chant se trouve dans cette version épurée. Et si on veut entendre une version plus dans l’émotion je pense qu’il faut plutôt faire appel à cette chanteuse italienne <Tosca>. Elle s’appelle Tiziana Tosca Donati, mais a choisi comme nom de scène le titre du célèbre opéra de Puccini.

J’ai trouvé un extrait de la série <La casa de papel – Bella Ciao> dans lequel deux des protagonistes fredonnent puis chantent ce chant que cette série a contribué à faire connaître planétairement.

Les textes se trouvent dans <Wikipedia>

<1354>

Jeudi 20 février 2020

« Dieu est Dieu, nom de Dieu »
Maurice Clavel

Maurice Clavel est un écrivain, philosophe et journaliste du temps de ma jeunesse. Il écrivait dans le Nouvel Obs et il a été un des fondateurs de Libération.

Il s’est rendu célèbre un soir, le 13 décembre 1971, en quittant le plateau d’une émission de la télévision qui à l’époque était totalement sous le contrôle du gouvernement, en lançant la formule :

 « Messieurs les censeurs, bonsoir ! »

L’émission avait projeté un reportage qu’il avait réalisé et avait coupé un passage dans lequel il soulignait le peu d’appétence du Président de la République d’alors, Georges Pompidou, pour la résistance. Et il est vrai qu’il reste surprenant, malgré toutes les grandes qualités intellectuelles de Georges Pompidou, que De gaulle ait choisi comme principal premier ministre de ses deux mandats, un homme qui n’a manifesté ni en parole, ni en acte, pendant toute la seconde guerre mondiale, la moindre opposition au régime de Vichy.

Il y eut une époque en France où la liberté d’expression à la télévision était très restreinte ou du moins très encadrée. Et si les « vieux » comme moi se souviennent de cette épisode, c’est parce qu’à l’époque personne ne disait rien et que l’esclandre de Maurice Clavel a été unique dans un monde de soumission.

Maurice Clavel était un intellectuel haut en couleur et savait être virulent.

Mais si je le cite aujourd’hui, c’est en raison d’un de ses livres que j’avais lu lors de mes vingt ans, lorsque je traversais un moment de mysticisme et de Foi chrétienne : « Dieu est Dieu, nom de Dieu ». Je ne me souviens plus en détail de ce livre, mais je garde une impression d’ensemble très forte que je résumerais ainsi : si vous croyez en Dieu, il faut tirer toutes les conséquences de ce que j’appellerai aujourd’hui cette hypothèse.

Je me souviens qu’il répondait notamment aux incrédules qui mettaient en cause la naissance de Jésus sans acte charnel humain préalable : « Mais enfin si Dieu existe, il est évident qu’il sait faire cela. Dieu est Dieu nom de Dieu. »

Et il est vrai qu’aujourd’hui les humains savent le faire, donc il n’y aucune raison que de tout temps, si on fait l’hypothèse d’un Dieu omnipotent qui s’intéresse aux humains, ce qui me semble être une description honorable et juste de la croyance monothéiste, il est capable de faire un enfant de manière extra naturelle.

Mais ce n’est pas de la naissance dont je voudrais parler mais du blasphème et de l’histoire de Mila que j’ai narré lors du mot du jour consacré au mot « islamophobie ».

Je constate avec effarement et colère qu’un sondage Ifop réalisé pour « Charlie Hebdo » montre combien les Français semblent divisés après l’affaire Mila, à propos du droit au blasphème : 50 % y seraient « favorables », 50 % « défavorables ».

C’est une insulte à notre liberté et à notre République.

Lors du mot du jour sur l’islamophobie, j’ai eu un échange privé avec un ami lecteur qui n’a pas souhaité mettre ses observations sur le blog. Je respecte bien entendu cette volonté et je ne le citerai donc pas. Mais je voudrai citer un extrait de ma réponse :

« Quand tu te plonges dans l’histoire des religions, dans ce qu’on peut en savoir et ne pas savoir on est incapable de déterminer si Dieu existe ou non.

En revanche, cela nous en apprend beaucoup sur les dérives des hommes de religion, les organisations qui ont été mises en place et les crimes que toutes ces religions monothéistes ont perpétrés.

C’est cela que je dénonce et non pas la foi intime du croyant dans sa prière et son dialogue avec le Dieu qu’il porte dans son cœur.

Sur mon blog, il y a une autre information qui me révolte : dans la charte du CFCM (Conseil français du culte musulman) les dirigeants de cette association ont refusé de mettre dans la charte le droit de changer de religion.

Car c’est bien cela aussi qui m’est insupportable dans ce mot « religion » qui est une organisation, un système de valeurs c’est qu’elle oblige les autres, qu’on va imposer des contraintes aux autres, c’est cela l’intolérance.

Et c’est pour cela que le rejet laïc du blasphème est si important.

Le jour où on a pu dire merde à la religion, dans un pays chrétien, sans se faire bruler ou d’autres supplices exquis au nom du Dieu miséricordieux il a fait très beau et on a pu avancer.

Il faut être très précis il n’existe pas un droit au blasphème en France, mais plus radicalement le blasphème n’existe pas. Le blasphème c’est un concept religieux à l’intérieur d’une religion. Dans le droit laïc français il est permis de critiquer toutes les idéologies et donc les croyances religieuses. Devant ce Droit, personne ne peut être accusée de blasphème, ce concept n’existe pas.

Mais c’est maintenant que je veux faire intervenir Maurice Clavel et son injonction : « Dieu est Dieu nom de Dieu ».

Celles et ceux qui croient en Dieu, et elles et ils ont cette liberté et je m’en réjouis, comment ne peuvent-ils pas admettre que si quelqu’un blasphème selon leurs critères, Dieu a tous les moyens pour agir, avec une panoplie de mode d’action incommensurable par rapports aux humains, contre le « blasphémateur » ?

Il me semble que si ces croyants estiment qu’ils doivent agir par eux-mêmes c’est qu’ils ne croient pas vraiment ou manifeste une confiance mesurée en leur Dieu.

Ils montrent ainsi que leur Foi n’est ni profonde, ni apaisée.

Sophia Aram lors d’une de ses chroniques du lundi matin a dit la même chose sans faire appel à Maurice Clavel.

« Alors répétons-le, les religions reposent sur des croyances et des pratiques auxquelles il est possible d’adhérer ou pas, comme il est possible de leur opposer toute forme de critiques, de railleries, de chansonnettes, voire de menace de touchés rectaux.

C’est comme ça c’est la loi.

Et si ça ne va pas à certains ou certaines qu’ils se résignent derrière l’idée à laquelle tout le monde peut se rallier, que l’on soit croyants, athées, intégristes, rabbins, imams ou archevêques, c’est que, dans l’hypothèse où Dieu existe et dans l’hypothèse où il serait totalement réfractaire à toute forme de critiques et aux touchés rectaux… Dieu devrait être capable de le gérer tout seul et que jusqu’à preuve du contraire, soit il n’a pas Instagram, soit il s’en fout, soit… Il n’existe pas.

Alors pour tous les « followers » de Dieu que ça défrise je vous propose de vous occuper l’esprit ailleurs et en attendant que Dieu se manifeste, vous pouvez prier, dormir un peu, boire frais bref, autant d’activités qui me semble nettement plus compatibles avec la foi que l’injure, l’anathème et la menace.

Amen »

Vous trouverez, cette chronique derrière ce lien <Dieu et ses followers>

Résumons : le blasphème cela n’existe pas en France, il n’est donc pas possible d’être pour sa reconnaissance. Je suis par conséquent très inquiet sur la faculté de raisonnement des 50% de sondés qui y sont favorables.

<1353>

Mercredi 19 février 2020

« Le Mozart espagnol »
Juan Crisóstomo Jacobo Antonio de Arriaga y Balzola, dit Arriaga

La précocité, le talent et la brièveté de la vie de cette enfant de la lumière qui a pour nom Alicia Gallienne, m’a fait irrésistiblement penser à un autre destin d’un jeune artiste qui a achevé sa course à 20 ans.

C’était un compositeur et c’est mon père qui avait une tendresse infinie pour lui, qui me l’a fait découvrir.

Il s’appelait « Arriaga », son prénom était un peu long. On l’abrégeait en Juan Crisostomo. Mais plus simplement on parle d’Arriaga.

Le dernier mot du jour de 2019 rappelait que le 27 janvier était la date anniversaire de Wolfgang Amadeus Mozart qui est né en l’an 1756 à Salzbourg.

Exactement, 50 ans après, le 27 janvier 1806, à Bilbao, naissait Arriaga.

Mozart était mort depuis 15 ans, puisqu’il n’a atteint que l’âge de 35 ans.

Tous les musiciens ne meurt pas jeune, puisque l’autre grand compositeur classique d’avant Beethoven, Joseph Haydn avait 74 ans en 1806 et vivra encore 3 ans.

Mais ce ne fut pas le destin d’Arriaga qui est mort de la tuberculose à Paris, avant ses 20 ans, le 17 janvier 1826.

Il quittera ainsi la vie un an avant Beethoven et deux ans avant un autre immense génie qui aura disposé de peu de temps pour composer et à qui on le comparera aussi : Franz Schubert, décédé le 19 novembre 1828, à 31 ans.

Alors la question qui se pose était-il un compositeur inspiré du niveau de Mozart ?

Je crois qu’il n’y a pas beaucoup de doute, la réponse est oui.

Il faut bien sûr comparer Arriaga à Mozart à 20 ans

Pour Schubert, il en va autrement. Lui a composé des chefs d’œuvres avant 20 ans son lied « le roi des aulnes » sur un texte de Goethe a été composé à 18 ans et « Marguerite au Rouet » toujours d’après un poème de Goethe a été composé à 17 ans.

Il y a un autre compositeur exceptionnel par sa précocité : Mendelssohn qui est né 3 ans après Arriaga.

Lui aussi a composé des œuvres qui sont restés dans le panthéon des chefs d’œuvre de la musique classique avant ses 20 ans.

L’ouverture du songe d’une nuit d’été a été composée à l’âge de 17 ans (en revanche la célèbre marche nuptiale a été composée 17 ans après) et son célèbre octuor à cordes à 16 ans.

Arriaga n’a pas composé de tels chefs d’œuvre, mais le comparer à Mozart d’avant ses 20 ans est réaliste.

<Ce site> sur la culture espagnole écrit :

« Arriaga est né à Bilbao en 1806. C’est son père, Juan Simón de Arriaga, organiste à Berriatúa, qui lui apprend les fondements de la musique[…]. À 11 ans, il compose et représente déjà ses œuvres dans les sociétés musicales de Bilbao. À 15 ans, son père décide de l’envoyer au conservatoire de Paris pour qu’il y poursuive sa formation. […] En 1824, il est nommé professeur adjoint de Fetís dans ce même conservatoire. »

Beaucoup de ses œuvres sont perdues.

Il a ainsi écrit « une fugue à huit voix sur « Et vitam venturi dont la partition » est perdue et que Luigi Cherubini, directeur du Conservatoire, considère en 1822 comme un chef-d’œuvre. »

Il reste de lui essentiellement trois quatuors (1823) et une Symphonie (1824).

Cette musique fait penser à Mozart et à Schubert.

Il existe une très belle interprétation de sa symphonie par Jordi Savall qui est espagnol comme lui, mais catalan alors qu’Arriaga est basque.

Sur la présentation de ce disque vous pourrez lire :

« S’il n’y en qu’une… mais il faut avouer avec tristesse que dans le cas de Juan Crisóstomo Arriaga, c’est déjà miracle qu’il y ait au moins une symphonie à son répertoire, puisque l’infortuné musicien disparut à l’âge de dix-neuf ans – dix jours avant son vingtième anniversaire –, en laissant derrière lui d’immenses promesses et un minuscule répertoire dont, comble de la méchanceté du sort, une partie est perdue. Mais l’écoute de sa symphonie en (ni mineur ni majeur, l’équilibre entre les deux étant très égal), on ne peut que se lamenter que la planète a, en effet, perdu là l’un des compositeurs qui serait bientôt devenu l’un des plus immenses créateurs du XIXe siècle. A la jonction entre le classicisme finissant et le romantisme naissant, Arriaga eut le temps de « digérer » son Beethoven, son Rossini, son Mozart tardif […]. Quoi qu’il en soit, l’enregistrement qu’en a réalisé Jordi Savall en 1994 est dorénavant orné du très-convoité macaron de la Discothèque idéale de Qobuz »

Vous trouverez <derrière ce lien> une interprétation de la symphonie par un autre orchestre espagnol.

Et je vous donne le lien vers <Le dernier quatuor à cordes> interprété par le quatuor Sine Nomine.

<Sur ce site> vous trouverez la liste de toutes les œuvres connues de ce jeune compositeur.

Le 13 août 1933 un monument commémoratif par Francisco Durrio est inauguré à Bilbao et une Commission permanente est constituée pour la publication de ses œuvres.

La statue représente Euterpe pleurant la mort d’Arriaga devant le Musée de Bilbao

Dans la mythologie grecque, Euterpe était la muse qui présidait à la musique.

Arriaga fut une étoile filante de la musique, un météore, un destin brisé.

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Mardi 18 février 2020

« Dire que je t’aime et je t’attends, c’est encore beaucoup trop de pas assez »
Alicia Gallienne

Le mot du jour du vendredi 7 février 2020 parlait d’Alicia Gallienne, une jeune femme extraordinairement précoce dans l’écriture et qui est décédée à 20 ans d’une maladie du sang.

Annie a voulu me faire une surprise et m’offrir son livre de poésie qui vient d’être publié : « L’autre moitié du songe m’appartient ». Mais le livre est épuisé chez l’éditeur.

Je pense que l’émission, sur France Inter, de son cousin Guillaume Gallienne <ça peut pas faire de mal> du 8 février, sa toute dernière émission, qu’il a consacrée à ce livre et à ces poèmes ne sont pas étrangère à ce succès.

Guillaume Gallienne a introduit son émission par cette invitation :

« Ce soir, pour la dernière émission de « ça peut pas faire de mal », j’aimerais vous faire découvrir ces textes intimes, que je porte en moi depuis si longtemps, comme des fragments de ma propre adolescence… »

Nous avons écouté ce moment d’émotion et de grâce.

Je voudrais partager un de ces textes que j’ai essayé de recopier aussi bien que possible.

Guillaume Gallienne a présenté ce texte :

« On n’est pas sérieux quand on a 17 ans écrivait Arthur Rimbaud mais à l’âge de l’insouciance et des premiers baisers, Alicia ressent la profonde gravité de la vie.

Découvrons ce poème dédié à sa mère intitulé : « A propos d’un fauteuil et d’un arbre » et daté du 2 avril 1987.

On dirait que les rôles s’inversent et que la fille apporte à la mère des paroles de consolation comme une provision d’amour pour un avenir incertain. »

Voici ce texte :

« Pour toi maman

Doucement, je reprendrai ma place dans le grand fauteuil qui s’endort.
Le soir sera à la fenêtre, il dansera sur une chanson douce, comme chantait ma maman.
Il dansera jusqu’à l’étourdissement.
L’arbre du jardin s’éteindra dans l’ombre et soupirera des prières pleines de feu.
Mon âme s’abandonnera alors à ces psaumes silencieux qui embraseront ton nom.
Oui, je serai là où mon bonheur habite, entre ces quatre murs où aboutit le regard de l’obscurité,
Où il n’y aura que moi et mon fauteuil, puis l’espace pour t’appartenir.

Dire que je t’aime et je t’attends, c’est encore beaucoup trop de pas assez.

Les étoiles en veilleuse et le ciel qui se fond me parleront de toi où que tu sois.
Je t’attendrai, assise, avec mon cœur qui débordera.
Oui je sais que le moment viendra où tu me retrouveras.
L’arbre du jardin s’épaissira tout à coup.
Et éclatera mon attente figée ainsi que la fenêtre de vitres brisées.
Des milliards de miroirs s’envoleront dans l’air du soir.
Dans chacun, épris de mouvement, ta voix reviendra bercer mon enfance.
L’arbre mystique qui connaît tous les chemins, te rendra à moi pour la mémoire d’un voyage.
Bois ma nuit, éternellement.

Dire que je t’aime et je t’attends c’est encore beaucoup trop de pas assez »

Alicia Gallienne

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Lundi 17 février 2020

« Je n’oublie pas, ça fait partie de ma vie, mais je n’y pense plus »
Fatima Zekkour , une jeune fille qui a choisi d’aider les autres

Un mot du jour de 2017 était consacré à ce livre de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle « L’autre loi de la jungle : l’entraide »

Tant il est vrai que si les médias et notre propre attention sont le plus souvent mobilisés pour nous intéresser à des faits qui n’honorent pas ou peu la réputation d’altruiste d’homo sapiens, il existe pourtant tous les jours des êtres humains qui aident d’autres êtres humains et même d’autres espèces vivantes qui en ont besoin, comme par exemple ces australiens qui ont sauvé des koalas.

Quelquefois, des humains se haussent à la dimension de l’héroïsme pour appliquer cette autre loi de la jungle.

Ce fut le cas d’une jeune fille : Fatima Zekkour, en mai 2013

C’est encore, France Inter, la revue de Presse de Claude Askolovitch du <11 février 2020> qui m’a appris l’existence et l’acte de courage de Fatima Zekkour :

« On parle d’une jeune fille…

Que je découvre en dehors de toute actualité apparente dans le Journal du Centre, mais souvent quand elle apparait les gens se lèvent et l’applaudissent, c’est encore arrivé le week end passé au rassemblement nivernais de l’Ordre national du mérite: Fatima Zekkour est une héroine de la république, qui à 17 ans est entrée dans un immeuble en flamme pour sauver des vies et en est ressortie comme une torche vivante, elle a 24 ans et accepte son corps reconstitué, elle cherche du travail.

Le 4 mai 2013 elle se promenait au quartier de la grande pâture à Nevers, quand elle a vu un départ d’incendie dans le hall d’un immeuble où un canapé abandonné avait pris feu… Fatima et sa soeur enceinte sont allé taper à toutes les portes des quatre étages de l’immeuble, la fumée montait après elle, la soeur de Fatima est sortie mais elle est resté prisonnière des flammes; elle pensait que les pompiers n’allaient pas tarder mais les pompiers n’avaient pas cru sa maman qui les avait appelés -on leur  fait si souvent des blagues… Ne voyant rien venir, fatima est allé seule traverser le rideau de feu.  « Je suis tombée dans les pommes plusieurs fois en descendant. J’ ai traversé le hall, je me suis à nouveau évanouie sur le canapé en feu. Je ne me souviens pas comment j’ai pu ouvrir la porte et sortir ».

Elle est brulée à 70 %,  au visage aux mains aux jambes, aux poumons, on la plonge dans un coma artificiel pendant 20 jours, quand elle se réveille elle a tout oublié et puis elle se souvient et elle cauchemarde enveloppée de bandages, on va l’opérer 50 fois, micro chirurgie et greffes de peau…

Fatima est un personnage du Journal du centre. J’ai retrouvé dans les archives une photo d’elle avant, mignonne brunette, je vois une photo d’elle aujourd’hui, femme au grand sourire dont je devine la peau torturée. Elle n’est plus jamais retournée au lycée, elle a tâtonné avant de trouver sa voie dans l’accompagnement médical auprès de malades d’Alzheimer, elle cherche un emploi stable et si elle n’enlève pas les gants qui couvrent ses mains meurtries, elle  n’a plus peur d’allumer des bougies et voudrait se marier. Elle avait 17 ans le jour où le courage l’a pris. ».

Le journal du Centre avait dans un <article de juin 2013> parlé de cet acte héroïque et publié une photo de Fatima Zekkour dans la beauté de sa jeunesse.

Le même journal a publié récemment l‘article que commentait Claude Askolovitch et qui relatait le parcours de cette jeune fille jusqu’à aujourd’hui. Vous y trouverez une photo récente de cette jeune femme qui a appliqué la loi de l’entraide au péril de sa vie et de son intégrité physique, après les nombreuses opérations qu’elle a subies.

L’article conclut sur les objectifs actuels de Fatima :

« Mon souhait, désormais, c’est juste de mener une vie normale. Trouver du travail, d’abord, car je suis au chômage depuis un mois. J’ai arrêté les CDD car je cherche un emploi à plein-temps, mais dans le même milieu, auprès des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer. Je suis d’ailleurs prête à partir de Nevers. Pour le reste, j’ai des envies simples : fonder une famille, me marier… Une vie normale. »

Jeune femme admirable qui continue à trouver sa motivation dans le fait d’aider les autres et notamment les plus fragiles : celles et ceux qui ont perdu leurs repères et la capacité de mémoire.

La vie est plus belle quand on croise la route, même si ce n’est qu’à l’occasion d’un article ou d’une émission, d’une femme comme Fatima Zekkour.

<1350>