Vendredi 21 février 2020

« Bella Ciao »
Un chant italien sur lequel on raconte des histoires

Dans la série concernant les mots de l’actualité, le 11 février je parlais <des sardines>, ce mouvement anti populiste qui est né à Bologne pendant des élections locales pour stopper l’irrésistible ascension de Salvini et de la Ligue et qui s’est répandu à l’ensemble de la péninsule italienne.

Les « sardines » manifestaient, étaient nombreux, se pressaient les uns contre les autres et <chantaient Bella Ciao>

Una mattina mi son svegliato,
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao,

Je continue en français

Un matin, je me suis réveillé,
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao,
Un matin, je me suis réveillé,
Et j’ai trouvé l’envahisseur.
Hé ! partisan emmène-moi,
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao,
Hé ! partisan emmène-moi,
Car je me sens mourir.

J’ai pensé : voici un mot du jour facile, on raconte un peu l’histoire de cette chanson, on parle de sa renommée planétaire, on renvoie vers quelques versions de ce chant et ce sera une belle manière de terminer la semaine.

Opportunément ARTE a réalisé une petit documentaire de moins de quinze minutes  : <Bella Ciao dans les rizières du Pièmont> qui racontent tout ce qu’il y à savoir sur ce sujet, chant des partisans lors de la dernière guerre mais dont l’origine remonterait aux ouvrières saisonnières qu’on appelait les « mondines » et qui travaillaient, dans de dures conditions, à la culture du riz dans les terres humides de la plaine du Pô, dans le nord de l’Italie.

<Wikipedia> reprend cette version :

« C’est une chanson de travail et de protestation piémontaise. Elle exprime la protestation des mondines, les saisonnières qui désherbaient les rizières d’Italie du Nord et y repiquaient les plants de riz, contre les dures conditions de travail : les femmes devaient rester courbées toute la journée, dans l’eau jusqu’aux genoux, sous le regard et les brimades des surveillants. Les conditions de travail et de vie des mondines sont illustrées par le film <Riz amer> de Giuseppe De Santis, chef-d’œuvre du néoréalisme italien. »

Dans cet article nous avons aussi les paroles complètes du chant des partisans, comme du chant des mondines dont je donne le début dans sa traduction française :

Le matin, à peine levée
O bella ciao bella ciao bella ciao ciao ciao
Le matin, à peine levée
À la rizière je dois aller

Et entre les insectes et les moustiques
O bella ciao bella ciao bella ciao ciao ciao
Et entre les insectes et les moustiques
Un dur labeur je dois faire

Le chef debout avec son bâton
O bella ciao bella ciao bella ciao ciao ciao
Le chef debout avec son bâton
Et nous courbées à travailler

Quelques recherches plus loin, j’ai appris que ce chant avait connu un regain de popularité récente en raison d’une série espagnole produite sur Netflix : « La casa de papel ». Je n’en ai jamais entendu parler avant, montrant ainsi ma déconnexion de Netflix et mon manque de culture actuelle et populaire. J’ai trouvé <cet article d’Ouest France> qui rapporte :

« Le dernier gros succès de la plateforme de streaming Netflix, la série espagnole La Casa de Papel, a remis au goût du jour le chant révolutionnaire italien Bella Ciao. […]

« O Bella Ciao, Bella Ciao, Bella Ciao, ciao, ciao… » Dans la série télévisée espagnole La Casa de Papel, qui cartonne sur Netflix, les protagonistes – qui participent à un impressionnant braquage organisé à la Fabrique nationale de la monnaie et du timbre (à Madrid), pour imprimer 2,4 milliards d’euros – entonnent à plusieurs reprises ce chant au rythme entraînant, particulièrement addictif.

Au fil de la série, il devient en quelque sorte, la chanson de ralliement des malfaiteurs. Impossible de ne pas la siffloter quand on regarde les épisodes.

Depuis que la première saison a été diffusée sur Netflix (en décembre 2017), les recherches sur Google avec le mot-clé « Bella Ciao », explosent. Elles ont été multipliées par dix. Sur YouTube c’est pareil, elles grimpent en flèche depuis le début de l’année.La plateforme américaine a flairé le filon et a basé une grande partie de sa communication sur ce chant pour la deuxième saison de La Casa de Papel, diffusée depuis le 6 avril : affiches, vidéos, posts sur Twitter, sur Facebook, karaoké… À tel point que sur les réseaux sociaux, ça s’empoigne entre fans de la série qui font du morceau « LA chanson de La Casa de Papel » et les puristes, qui hurlent au détournement de ce chant partisan italien, né il y a plus d’un siècle. »

Et l’article revient sur l’origine des mondines :

« Car au tout début, Bella Ciao est un chant ouvrier, dont la datation précise est difficile. Les « mondines », ces ouvrières saisonnières piémontaises qui travaillaient dans les rizières italiennes de la plaine du Pô à la fin du XIXe siècle en seraient à l’origine. »

Alors il semble bien que c’est cette série qui en a fait un tube mondial :

D’abord en Amérique du Sud : <au Chili>, <au Venezuela>, <en Uruguay> on chante bella ciao ou en s’inspire de l’air.

L’obs nous parle de manifestations au <Liban>

« Depuis le début de la contestation la semaine dernière au Liban contre la classe politique, la précarité et les taxes, la foule compacte rassemblée place Al-Nour dans le centre de la capitale du Nord [Tripoli] se déhanche au son des basses du coucher du soleil jusqu’au bout de nuits euphoriques. […]
Sur la place Al-Nour, où trône une imposante sculpture formant le mot « Allah » (Dieu), un DJ officie depuis un balcon surplombant une marrée humaine illuminée par les lampes torches des milliers de téléphones portables. Limonade et friandises gratuites sont distribuées. Des slogans et des hymnes populaires sont repris en choeur comme la chanson révolutionnaire italienne « Bella Ciao », écrite en 1944, popularisée auprès des jeunes par la série Netflix espagnole La Casa de Papel et reprise aussi dans les manifestations en Algérie et à Barcelone. »

Donc le Liban, l’Algérie l’Espagne et aussi <des palestiniens qui font aussi appel à ce chant> dans leur lutte pour un Etat.

<Et cet article> parle du Kurdistan et de New Delhi en Inde où résonne ce chant dans des manifestations.

<En Irak> des artistes de Mossoul reprennent « Bella ciao » en arabe pour en faire un hymne de la contestation.

<Même à Hong Kong> on chante bella ciao.

Mais revenons à l’origine de ce chant.

« Mediapart » a publié quatre articles sur ce sujet : <1>, <2>, <3>, <4> et a donné comme titre à cette série : « Les métamorphoses de Bella Ciao »

Le premier article s’étonne qu’il n’y ait rien de collectif dans les paroles de Bella Ciao. Un homme s’engage seul, et fait ses adieux à sa bien-aimée en sachant aller à la mort : un récit atypique dans l’univers de la Résistance européenne.

Un historien, Bruno Leroux, s’est intéressé aux chants de maquisards français et en analysant un corpus de 85 de ces chants il constatait que 79 d’entre eux étaient « l’expression d’un nous » désignant « les maquisards » ou plus rarement « la Résistance et les Français ». Un nous, mais pas ce moi romantique que met en scène Bella Ciao.

La suite de l’article met en doute que cette chanson ait été souvent chantée par les partisans italiens :

« Très rares sont les témoignages d’anciens partisans qui disent se souvenir avoir chanté Bella Ciao pendant leur clandestinité. Tout au plus en trouve-t-on une poignée autour de Montefiorino, en Émilie-Romagne, mais recueillis si tard que l’on est enclin à y voir des souvenirs reconstitués »

Et l’auteur de l’article de poser cette question pleine de sens :

« Dès lors se pose une énigme. Comment une chanson qu’aucun partisan n’a chantée durant les années de la Résistance a-t-elle pu devenir un hymne international de l’antifascisme »

L’Italie, plus qu’un autre pays occidental, après la première guerre mondiale et la révolution soviétique était minée par des quasi guerres civiles entre les forces de gauche et les forces conservatrices qui vont muter vers le fascisme. Puis après la seconde guerre, avec le parti communiste le plus puissant de l’ouest, les forces de gauche vont forger l’histoire de ce chant méconnu de la résistance italienne.

« C’est dans ce contexte politique complexe que se comprend l’émergence de Bella Ciao comme chanson emblématique de l’antifascisme. On l’a vu dans le premier volet de cette série, l’hymne était entre 1943 et 1945 inconnu des nombreuses formations locales de partisans, appuyées sur une vallée, un plateau, un massif.

Comment se fait-il que Bella Ciao ait conféré à l’Italie antifasciste cette unité qui lui manquait tant ? Les travaux historiques manquent sur ce point. Tout juste note-t-on souvent que les chorales populaires dans les communes acquises à la gauche firent beaucoup pour populariser, dès la Libération, la chanson. Pour la gauche unie des socialistes, des communistes et d’autres formations aujourd’hui oubliées comme le Parti d’action, Bella Ciao offrait un consensus fédérateur : mourir aux côtés des partisans luttant pour la liberté, voilà qui donnait une image flatteuse et fédératrice de la gauche, tout en évitant les questions qui fâchent.

La première représentation publique de Bella Ciao prend forme lors de la création du Festival mondial de la jeunesse et des étudiants, organisé à Prague à l’été 1947. D’autres représentations suivront au festival de Budapest (1949) et Berlin-Est (1951). La délégation italienne y enthousiasme ses camarades internationalistes par ses claquements de mains accompagnant le refrain qui donne son nom à la chanson. En ce début de guerre froide, Bella Ciao est devenu un hymne fédérateur du camp progressiste.»

Et puis…

Dans les années 1960, un milanais Roberto Leydi, journaliste et musicien, a pour objectif de faire une anthologie de la chanson populaire italienne. Il parcoure l’Italie du Nord, magnétophone à l’épaule, pour y recueillir des chants populaires. Et en 1962, lors d’une de ces campagnes de collecte, Leydi fait la connaissance d’une certaine Giovana Daffini. Ancienne mondine (ces ouvrières des rizières de la plaine du Pô), elle est aussi une musicienne accomplie. Et voici qu’elle déclare à Leydi qu’elle chantait, dès les années 1930, l’air de Bella Ciao, mais sur de tout autres paroles.

L’auteur de l’article, Nicolas Chevassus-au-Louis, analyse :

« Pour la gauche italienne, l’irruption de Giovana Daffini est du pain bénit. Bella Ciao a été construit après guerre comme hymne antifasciste consensuel. Et voici que la chanson se rattache aux plus anciennes luttes sociales italiennes, celles des journaliers de l’agriculture, qui présentent de surcroît l’avantage de pouvoir mobiliser tant au nord qu’au sud. Leydi est enchanté de sa découverte. Quant à Giovanna Daffini, elle connaît, à 47 ans, la gloire. »

Mais cette histoire ne semble pas plus exacte que la précédente :

«  L’ancienne « mondine » multiplie les versions, jusqu’à son décès en 1967. Tantôt elle aurait chanté son Bella Ciao des rizières avant guerre, tantôt après. Dans son livre Guerra, guerra ai palazzi e alle chiese (Odradek, 2003, non traduit), Cesare Bermani, un ancien des Nuovo Canzionere Italiano, donne le fin mot de l’histoire. Comme il le résume en empruntant une citation à l’historien britannique Eric Hobsbawm, l’histoire que l’on raconte dans les années 1960 de Bella Ciao n’est rien d’autre que « l’invention d’une tradition ». Irrité par la notoriété soudaine de Giovanna Daffini, Bermani rapporte qu’un ancien ouvrier agricole, Vasco Scansani, écrit à L’Unità, quotidien du PCI, pour affirmer qu’il a composé en 1951 les paroles de l’air des mondines… Ce que ne conteste pas la chanteuse, qui n’en est pas à une palinodie près.  »

Au départ je croyais à une histoire toute simple et un mot du jour rapide….

Cette <Page> de France Culture est un peu plus synthétique que Mediapart

« La popularité de « Bella Ciao » n’est plus à prouver. Pourtant ses origines restent floues, mélangeant faits historiques et légendes urbaines.

[…] On l’aurait vu apparaître en 1943 pendant la guerre civile italienne et la plupart des résistants l’auraient entonnée. […] En réalité la chanson a été très peu connue et chantée par les résistants.

Elle aurait donc bien été écrite dans ces années-là mais elle n’aurait été que très peu connue. […] La chanson acquiert en réalité sa notoriété après 1945. La presse socialiste la reprend et une revue d’ethnographie la publie dans ses pages en 1953.[…]

Une des légendes de « Bella Ciao » situe les origines au début du XIXe siècle dans le Nord de l’Italie. Là-bas des femmes, appelées les « Mondines » travaillent dans les rizières autour du fleuve Pô principalement. On raconte qu’elles auraient été les premières à chanter « Bella Ciao » mais avec des paroles différentes pour dénoncer leurs conditions de travail.

[…] Pour des historiens ce pan de l’histoire est une invention. Le témoignage de Vasco Scansiani, désherbeur dans les rizières va dans cette direction. Il affirme avoir écrit les paroles de la chanson en 1951 après les premières apparitions du chant « partisan ».

On ne sait pas davantage, d’où vient la mélodie. Certains avancent l’idée d’une origine française qui daterait du XVIe siècle, d’autres pensent que la mélodie pourrait aussi venir d’un chant yiddish de 1910.

Et l’article conclut :

«  La popularité de cette chanson s’est construite au fil des ans. Les fables autour des origines de ce chant renforcent sa symbolique et aident le pays à se projeter dans l’histoire de « Bella Ciao », dont tous les Italiens se revendiquent, aujourd’hui encore. »

En voici une version italienne et traditionnelle <Bella Ciao>. <Les Swingle Singers> chantent avec une grande perfection, mais on peut se demander si l’âme du chant se trouve dans cette version épurée. Et si on veut entendre une version plus dans l’émotion je pense qu’il faut plutôt faire appel à cette chanteuse italienne <Tosca>. Elle s’appelle Tiziana Tosca Donati, mais a choisi comme nom de scène le titre du célèbre opéra de Puccini.

J’ai trouvé un extrait de la série <La casa de papel – Bella Ciao> dans lequel deux des protagonistes fredonnent puis chantent ce chant que cette série a contribué à faire connaître planétairement.

Les textes se trouvent dans <Wikipedia>

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