Mercredi 7 mai 2025

« Le grand problème de la science c’est que ce n’est pas une bonne conteuse. Ce sont les histoires qui motivent les gens à agir, pas les faits. »
Yuval Noah Harari

Ecrire en ce moment est difficile. Ce qui se passe dans le monde est en quelque sorte révolutionnaire, c’est à dire en rupture avec ce qui existait avant. La prédation, le rapport de force existaient bien sûr, mais jamais le droit n’a été à ce point nié dans les relations internationales au profit de la seule puissance. Celui qui est puissant peut exiger ce qui lui plait et regarder avec dédain le juge du droit en lui posant la question « De quelle armée, de quelle police disposes-tu pour m’obliger à faire ce que tu prétends m’imposer ? ». Staline, en son temps avait posé les jalons en demandant : « Le pape ? Combien de divisions ? ».

L’élection de Donald Trump joue un rôle d’accélérateur dans ce dérèglement du monde. La lettre numérique « Zeitgeist » de Philippe Corbé continue à nous donner des informations incroyables : « Que la Force soit avec Lui »

Trump était invité dans l’émission Meet the Press, sur NBC, la plus ancienne émission de la télévision américaine, chaque dimanche depuis 1947. Premier échange rapporté par Corbé :

« NBC : En tant que président, n’êtes-vous pas censé défendre la Constitution des États-Unis ? Trump : Je ne sais pas…»

Il est président et il ne sait pas s’il doit défendre la Constitution des Etats-Unis ! Cet individu a par deux fois en janvier 2017 et janvier 2025, prêté serment, en posant la main sur la bible (c’est ainsi que cela se passe dans ce pays) et il a prononcé alors ces paroles « Je jure solennellement que je soutiendrai et défendrai la Constitution des États-Unis contre tous ennemis, externes ou intérieurs, que je montrerai loyauté et allégeance à celle-ci, que je prends cette obligation librement, sans aucune réserve intellectuelle ni intention de m’y soustraire et je m’acquitterai bien et loyalement des devoirs de la charge que je m’apprête à prendre. Que Dieu me vienne en aide. ». A t’il des trous de mémoire ou simplement ne se sent-il engagé par rien ?

A la question de savoir, s’il veut concourir à un troisième mandat, ce qu’il n’a pas le droit de faire, il répond :

« C’est quelque chose que, à ma connaissance, vous n’avez pas le droit de faire. Je ne sais pas si c’est constitutionnel qu’on vous empêche de le faire ou autre chose. »

A plusieurs reprises Trump a évoqué un troisième mandat. Ses conseillers lui ont certainement dit qu’il ne pouvait pas le faire, d’où sa réponse. Mais soit il ne leur pas demandé pourquoi, ce qui parait tout de même surprenant ou plus vraisemblablement il l’a oublié.

La réponse juridique est que le président des États-Unis est limité à deux mandats en vertu du 22e amendement de la Constitution américaine, adopté en 1951. Cette limitation a été mise en place après les 4 mandats du président Franklin D. Roosevelt qui est mort lors de son dernier mandat en pleine guerre mondiale.

Au milieu du chaos créé par cet homme sans qualité, ses attaques répétées contre la science sont aussi inquiétantes que son désir impérialiste. Pourquoi la science peut elle être ainsi attaquée sans qu’il n’y ait de réactions du plus grand nombre. La médecine, l’augmentation de l’espérance de vie, la conquête spatiale, la technologie qui nous rend la vie plus confortable et plus facile doivent tout à la science et rien au dieu qu’invoque tant de croyants dans le monde et nombre de supporters de Trump..

J’ai trouvé particulièrement intéressant un entretien diffusé sur ARTE : « Un livre pour ma vie : Yuval Noah Harari » dans lequel l’historien israélien et auteur de  « Sapiens » était invité à citer les livres qui ont compté dans sa vie.

Et il a parlé de la difficulté de notre espèce avec la science.

Les humains se nourrissent de récits, récit religieux, récit nationaux, récit mythologique. C’est ainsi qu’ils expliquent le monde :

« Les humains sont ces animaux conteurs d’histoires. On pense en histoires. C’est plus facile, pour nous. Quand on lit des livres récents sur la mécanique quantique qui tentent d’expliquer le fonctionnement physique du monde, ou des livres de biologie cellulaire ou de génétique, c’est tellement compliqué.
Nos cerveaux ne sont pas vraiment évolués ou adaptés pour penser en ces termes. C’est pour cela qu’il faut passer des années à l’Université et s’appuyer sur des équations mathématiques complexes. Et même comme ça, ça reste à distance. En fait, il est très difficile d’intégrer ce que ça signifie parce que nos cerveaux ne fonctionnent pas comme ça.»

Les humains sous estiment certainement la complexité de la pensée scientifique. Harari trouve cependant que la Science exprime beaucoup plus de créativité et quand il la compare à la mythologie il souligne le côté trivial et simpliste de cette dernière :

« Quand je pense à la science et à la mythologie, ce qui me frappe c’est que la science est bien plus imaginative, tumultueuse et surprenante que n’importe quel mythe créé par les humains.
La majeure partie de la mythologie humaine ne fait que reprendre les scénarios élémentaires de nos vies personnelles en les amplifiant.
Donc les dieux de la mythologie grecque sont en fait une famille qui se querelle. Et le genre de dispute qu’on entend petit entre son père et sa mère, on les lit dans la mythologie avec Zeus et Héra lorsqu’ils se disputent ou punissent les enfants. Cela va même jusqu’au fondement le plus profond de la mythologie judéo-chrétienne plus récente. Presque toute l’identité juive repose sur le fait de dire qu’on est les enfants préférés de Dieu. C’est tout. Dans toutes les familles les enfants se disputent pour ça. […] Des nations entières construisent leur identité à partir de cette histoire. »

Il explique de manière aussi simple la mythologie chrétienne. Son art de d’éclairer ce récit me fascine :

« On peut penser aussi aux théologiens chrétiens. Ils expliquent ce qu’est l’enfer. D’un côté, ils disent que les démons vous font rôtir dans le souffre et le feu pour des millions d’années.
Mais à un niveau plus profond, ils disent que l’enfer, c’est être exclu, déconnecté de Dieu. C’est ce que les enfants craignent le plus, comme tout jeune mammifère, de perdre le contact avec leurs parents. Parce que si la progéniture d’un mammifère, d’un être humain, d’un chimpanzé ou d’un dauphin, perd le contact avec sa mère ou avec ses parents, il meurt. Personne ne les nourrit, personne ne prend soin d’eux. On peut donc rapprocher toute cette mythologie chrétienne de la simple idée d’un enfant perdu qui réclame ses parents. »

Et il poursuit en montrant que ces ressorts de la mythologie chrétienne tente d’expliquer le monde, l’univers, mais que dans ce domaine, ils atteignent vite des limites. J’aime beaucoup l’ironie de Harari qui explique que les récits des humains sont motivés par le fait qu’ils sont des mammifères et que s’ils appartenaient à d’autres espèces, les mythologies devraient certainement être revues :

« En ce sens, la mythologie est très profonde émotionnellement. Mais en termes de compréhension de l’univers, elle a quelque chose de très superficiel. En effet, elle ne fait que prendre nos scénarios biologiques déterminés par l’évolution, ces histoires d’enfants et de familles, d’amitiés et les amplifie jusqu’à penser : l’univers entier fonctionne comme ma famille. L’univers entier fonctionne comme notre village.
Mais les choses comme la mécanique quantique contredisent cela. Il y a certains morceaux de l’univers, comme la vie biologique des mammifères, qui fonctionnent comme cela, mais ce n’est pas le cas de la majorité de l’univers.
Dès qu’on s’éloigne des mammifères, si on passe aux reptiles l’histoire est déjà totalement différente. Prenons la tortue. Vous avez cette image de la maman tortue qui sort de l’océan. Elle creuse un trou dans le sable, elle y pond ses 40 ou 50 œufs. Elle rebouche le trou, puis retourne dans l’eau, et voilà ! Voilà ce que Freud aurait à gérer s’il soignait des tortues. Parce qu’il n’y a plus aucun lien ensuite entre la mère et ses petits. Ce n’est pas un mammifère. Elle n’allaite pas ses petits, ne les protège pas, rien. […] Donc quelle serait la mythologie des tortues ?
Toute cette peur de la mythologie chrétienne celle d’être exclu par son père, n’a aucun sens pour les tortues. Et cette obsession juive du père qui nous aime plus que tous les autres, n’a aucun sens pour les tortues. »

Il rappelle aussi que ces mythologies sont très présentes dans les conflits d’aujourd’hui et nous savons que lorsque les religions entrent dans les guerres, c’est rarement signe de paix….

« Certaines guerres actuelles, comme celle dans mon pays… La guerre entre les Israéliens et les Palestiniens est toujours alimentée par ce scénario biologique et mythologique qui veut qu’on soit les enfants préférés de Dieu. Pour les deux camps.»

La science nous laisse froid dit-il, il n’y a pas d’intrigue mais des formules mathématiques. Cela ne fait pas de belles histoires.

« Ce qui diffère chez nous des lapins et aussi des éléphants et des chimpanzés, c’est qu’avec la langue on peut créer des histoires.Nous avons une imagination incroyable,mais les scénarios de base sont toujours les mêmes. [Ils] sont toujours limités par notre biologie de mammifères.
On a donc des mythologies complexes, des poèmes, des films et des séries télé, mais quand on examine l’intrigue, elle découle en fait de la biologie. […]
et on raconte des histoires et des histoires, avec des variations, mais ce sont les mêmes intrigues basiques.
La science fonctionne en dehors de ces intrigues. La mécanique quantique n’est pas un scénario biologique. C’est tellement différent de tout ce qu’on connaît.[…]
Mais grâce aux mathématiques et aux ordinateurs, on arrive à s’en approcher d’une certaine manière. Une immense partie du monde est construite à partir de ces théories et modèles scientifiques.
Mais psychologiquement et politiquement, ils nous laissent complètement froids.
Il est très difficile d’inciter des gens à faire quoi que ce soit en leur disant que E = MC2, ou en leur montrant des équations de mécanique quantique.»

Nos histoires, nos récits peuvent être dévoyées et source d’aveuglement et de conflits. Il cite Poutine et aussi le conflit en terre d’Israël et de Palestine.

« Si on vous nourrit des mauvaises histoires, des mauvais mythes, 50 ans plus tard vous êtes Poutine. Cela peut mener à la mort et à la souffrance de millions de gens. Tout commence dans la tête. […]
On croit que les hommes se battent pour les mêmes raisons que les lapins et les chimpanzés, c’est à dire la nourriture ou le territoire. Mais ce n’est presque jamais le cas. […]
Dans le cas de mon pays, le conflit israélo-palestinien n’est pas lié au territoire. Il y a assez de terre entre la Méditerranée et la Jordanie pour construire des maisons et des écoles pour tous. Ce n’est pas lié à la nourriture. Il y en a assez. Il y a assez d’eau, d’énergie…
Mais les gens croient à des fantasmes, à des mythes, à des histoires qui sont incompatibles. Les deux camps le disent : Dieu nous a donné cette terre. On ne peut pas faire de compromis avec l’amour de Dieu. Pas de compromis avec les dons de Dieu.»

La science a du mal à être contée. Harari tente de le faire, certains s’en offusquent et lui reproche de prendre quelques fantaisies avec la rigueur scientifique. Lui explique qu’il tente pourtant de le faire parce qu’il sait combien le récit est important pour  arriver à toucher le cœur et l’imagination des humains. Parler d’immigration est beaucoup plus simple, l’immigration mobilise tout de suite des récits archaïques qui font bouger les gens.

«Le grand problème de la science c’est que ce n’est pas une bonne conteuse. Ce sont les histoires qui motivent les gens à agir, pas les faits.
Quels sont les problèmes qui préoccupent les électeurs, aux États-Unis, en Europe et ailleurs dans le monde ? L’immigration est l’un des sujets qui arrivent en tête partout alors que beaucoup de gens nient le changement climatique. L’attrait pour l’immigration résulte d’un scénario biologique.
Un scénario selon lequel nous vivons dans une tribu et nous voyons quelqu’un d’une autre tribu arriver sur notre territoire. C’est quelque chose que les chimpanzés connaissent, tout comme les loups, les lapins …
Regardez ces lapins bizarres qui viennent manger notre herbe !.
Ils comprennent ça. C’est très profond. »

Je redonne le lien vers cet entretien qui est beaucoup plus riche que les quelques éléments que j’en ai tirés pour ce mot du jour : « Un livre pour ma vie : Yuval Noah Harari »

 

 

Vendredi 21 février 2020

« Bella Ciao »
Un chant italien sur lequel on raconte des histoires

Dans la série concernant les mots de l’actualité, le 11 février je parlais <des sardines>, ce mouvement anti populiste qui est né à Bologne pendant des élections locales pour stopper l’irrésistible ascension de Salvini et de la Ligue et qui s’est répandu à l’ensemble de la péninsule italienne.

Les « sardines » manifestaient, étaient nombreux, se pressaient les uns contre les autres et <chantaient Bella Ciao>

Una mattina mi son svegliato,
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao,

Je continue en français

Un matin, je me suis réveillé,
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao,
Un matin, je me suis réveillé,
Et j’ai trouvé l’envahisseur.
Hé ! partisan emmène-moi,
O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao,
Hé ! partisan emmène-moi,
Car je me sens mourir.

J’ai pensé : voici un mot du jour facile, on raconte un peu l’histoire de cette chanson, on parle de sa renommée planétaire, on renvoie vers quelques versions de ce chant et ce sera une belle manière de terminer la semaine.

Opportunément ARTE a réalisé une petit documentaire de moins de quinze minutes  : <Bella Ciao dans les rizières du Pièmont> qui racontent tout ce qu’il y à savoir sur ce sujet, chant des partisans lors de la dernière guerre mais dont l’origine remonterait aux ouvrières saisonnières qu’on appelait les « mondines » et qui travaillaient, dans de dures conditions, à la culture du riz dans les terres humides de la plaine du Pô, dans le nord de l’Italie.

<Wikipedia> reprend cette version :

« C’est une chanson de travail et de protestation piémontaise. Elle exprime la protestation des mondines, les saisonnières qui désherbaient les rizières d’Italie du Nord et y repiquaient les plants de riz, contre les dures conditions de travail : les femmes devaient rester courbées toute la journée, dans l’eau jusqu’aux genoux, sous le regard et les brimades des surveillants. Les conditions de travail et de vie des mondines sont illustrées par le film <Riz amer> de Giuseppe De Santis, chef-d’œuvre du néoréalisme italien. »

Dans cet article nous avons aussi les paroles complètes du chant des partisans, comme du chant des mondines dont je donne le début dans sa traduction française :

Le matin, à peine levée
O bella ciao bella ciao bella ciao ciao ciao
Le matin, à peine levée
À la rizière je dois aller

Et entre les insectes et les moustiques
O bella ciao bella ciao bella ciao ciao ciao
Et entre les insectes et les moustiques
Un dur labeur je dois faire

Le chef debout avec son bâton
O bella ciao bella ciao bella ciao ciao ciao
Le chef debout avec son bâton
Et nous courbées à travailler

Quelques recherches plus loin, j’ai appris que ce chant avait connu un regain de popularité récente en raison d’une série espagnole produite sur Netflix : « La casa de papel ». Je n’en ai jamais entendu parler avant, montrant ainsi ma déconnexion de Netflix et mon manque de culture actuelle et populaire. J’ai trouvé <cet article d’Ouest France> qui rapporte :

« Le dernier gros succès de la plateforme de streaming Netflix, la série espagnole La Casa de Papel, a remis au goût du jour le chant révolutionnaire italien Bella Ciao. […]

« O Bella Ciao, Bella Ciao, Bella Ciao, ciao, ciao… » Dans la série télévisée espagnole La Casa de Papel, qui cartonne sur Netflix, les protagonistes – qui participent à un impressionnant braquage organisé à la Fabrique nationale de la monnaie et du timbre (à Madrid), pour imprimer 2,4 milliards d’euros – entonnent à plusieurs reprises ce chant au rythme entraînant, particulièrement addictif.

Au fil de la série, il devient en quelque sorte, la chanson de ralliement des malfaiteurs. Impossible de ne pas la siffloter quand on regarde les épisodes.

Depuis que la première saison a été diffusée sur Netflix (en décembre 2017), les recherches sur Google avec le mot-clé « Bella Ciao », explosent. Elles ont été multipliées par dix. Sur YouTube c’est pareil, elles grimpent en flèche depuis le début de l’année.La plateforme américaine a flairé le filon et a basé une grande partie de sa communication sur ce chant pour la deuxième saison de La Casa de Papel, diffusée depuis le 6 avril : affiches, vidéos, posts sur Twitter, sur Facebook, karaoké… À tel point que sur les réseaux sociaux, ça s’empoigne entre fans de la série qui font du morceau « LA chanson de La Casa de Papel » et les puristes, qui hurlent au détournement de ce chant partisan italien, né il y a plus d’un siècle. »

Et l’article revient sur l’origine des mondines :

« Car au tout début, Bella Ciao est un chant ouvrier, dont la datation précise est difficile. Les « mondines », ces ouvrières saisonnières piémontaises qui travaillaient dans les rizières italiennes de la plaine du Pô à la fin du XIXe siècle en seraient à l’origine. »

Alors il semble bien que c’est cette série qui en a fait un tube mondial :

D’abord en Amérique du Sud : <au Chili>, <au Venezuela>, <en Uruguay> on chante bella ciao ou en s’inspire de l’air.

L’obs nous parle de manifestations au <Liban>

« Depuis le début de la contestation la semaine dernière au Liban contre la classe politique, la précarité et les taxes, la foule compacte rassemblée place Al-Nour dans le centre de la capitale du Nord [Tripoli] se déhanche au son des basses du coucher du soleil jusqu’au bout de nuits euphoriques. […]
Sur la place Al-Nour, où trône une imposante sculpture formant le mot « Allah » (Dieu), un DJ officie depuis un balcon surplombant une marrée humaine illuminée par les lampes torches des milliers de téléphones portables. Limonade et friandises gratuites sont distribuées. Des slogans et des hymnes populaires sont repris en choeur comme la chanson révolutionnaire italienne « Bella Ciao », écrite en 1944, popularisée auprès des jeunes par la série Netflix espagnole La Casa de Papel et reprise aussi dans les manifestations en Algérie et à Barcelone. »

Donc le Liban, l’Algérie l’Espagne et aussi <des palestiniens qui font aussi appel à ce chant> dans leur lutte pour un Etat.

<Et cet article> parle du Kurdistan et de New Delhi en Inde où résonne ce chant dans des manifestations.

<En Irak> des artistes de Mossoul reprennent « Bella ciao » en arabe pour en faire un hymne de la contestation.

<Même à Hong Kong> on chante bella ciao.

Mais revenons à l’origine de ce chant.

« Mediapart » a publié quatre articles sur ce sujet : <1>, <2>, <3>, <4> et a donné comme titre à cette série : « Les métamorphoses de Bella Ciao »

Le premier article s’étonne qu’il n’y ait rien de collectif dans les paroles de Bella Ciao. Un homme s’engage seul, et fait ses adieux à sa bien-aimée en sachant aller à la mort : un récit atypique dans l’univers de la Résistance européenne.

Un historien, Bruno Leroux, s’est intéressé aux chants de maquisards français et en analysant un corpus de 85 de ces chants il constatait que 79 d’entre eux étaient « l’expression d’un nous » désignant « les maquisards » ou plus rarement « la Résistance et les Français ». Un nous, mais pas ce moi romantique que met en scène Bella Ciao.

La suite de l’article met en doute que cette chanson ait été souvent chantée par les partisans italiens :

« Très rares sont les témoignages d’anciens partisans qui disent se souvenir avoir chanté Bella Ciao pendant leur clandestinité. Tout au plus en trouve-t-on une poignée autour de Montefiorino, en Émilie-Romagne, mais recueillis si tard que l’on est enclin à y voir des souvenirs reconstitués »

Et l’auteur de l’article de poser cette question pleine de sens :

« Dès lors se pose une énigme. Comment une chanson qu’aucun partisan n’a chantée durant les années de la Résistance a-t-elle pu devenir un hymne international de l’antifascisme »

L’Italie, plus qu’un autre pays occidental, après la première guerre mondiale et la révolution soviétique était minée par des quasi guerres civiles entre les forces de gauche et les forces conservatrices qui vont muter vers le fascisme. Puis après la seconde guerre, avec le parti communiste le plus puissant de l’ouest, les forces de gauche vont forger l’histoire de ce chant méconnu de la résistance italienne.

« C’est dans ce contexte politique complexe que se comprend l’émergence de Bella Ciao comme chanson emblématique de l’antifascisme. On l’a vu dans le premier volet de cette série, l’hymne était entre 1943 et 1945 inconnu des nombreuses formations locales de partisans, appuyées sur une vallée, un plateau, un massif.

Comment se fait-il que Bella Ciao ait conféré à l’Italie antifasciste cette unité qui lui manquait tant ? Les travaux historiques manquent sur ce point. Tout juste note-t-on souvent que les chorales populaires dans les communes acquises à la gauche firent beaucoup pour populariser, dès la Libération, la chanson. Pour la gauche unie des socialistes, des communistes et d’autres formations aujourd’hui oubliées comme le Parti d’action, Bella Ciao offrait un consensus fédérateur : mourir aux côtés des partisans luttant pour la liberté, voilà qui donnait une image flatteuse et fédératrice de la gauche, tout en évitant les questions qui fâchent.

La première représentation publique de Bella Ciao prend forme lors de la création du Festival mondial de la jeunesse et des étudiants, organisé à Prague à l’été 1947. D’autres représentations suivront au festival de Budapest (1949) et Berlin-Est (1951). La délégation italienne y enthousiasme ses camarades internationalistes par ses claquements de mains accompagnant le refrain qui donne son nom à la chanson. En ce début de guerre froide, Bella Ciao est devenu un hymne fédérateur du camp progressiste.»

Et puis…

Dans les années 1960, un milanais Roberto Leydi, journaliste et musicien, a pour objectif de faire une anthologie de la chanson populaire italienne. Il parcoure l’Italie du Nord, magnétophone à l’épaule, pour y recueillir des chants populaires. Et en 1962, lors d’une de ces campagnes de collecte, Leydi fait la connaissance d’une certaine Giovana Daffini. Ancienne mondine (ces ouvrières des rizières de la plaine du Pô), elle est aussi une musicienne accomplie. Et voici qu’elle déclare à Leydi qu’elle chantait, dès les années 1930, l’air de Bella Ciao, mais sur de tout autres paroles.

L’auteur de l’article, Nicolas Chevassus-au-Louis, analyse :

« Pour la gauche italienne, l’irruption de Giovana Daffini est du pain bénit. Bella Ciao a été construit après guerre comme hymne antifasciste consensuel. Et voici que la chanson se rattache aux plus anciennes luttes sociales italiennes, celles des journaliers de l’agriculture, qui présentent de surcroît l’avantage de pouvoir mobiliser tant au nord qu’au sud. Leydi est enchanté de sa découverte. Quant à Giovanna Daffini, elle connaît, à 47 ans, la gloire. »

Mais cette histoire ne semble pas plus exacte que la précédente :

«  L’ancienne « mondine » multiplie les versions, jusqu’à son décès en 1967. Tantôt elle aurait chanté son Bella Ciao des rizières avant guerre, tantôt après. Dans son livre Guerra, guerra ai palazzi e alle chiese (Odradek, 2003, non traduit), Cesare Bermani, un ancien des Nuovo Canzionere Italiano, donne le fin mot de l’histoire. Comme il le résume en empruntant une citation à l’historien britannique Eric Hobsbawm, l’histoire que l’on raconte dans les années 1960 de Bella Ciao n’est rien d’autre que « l’invention d’une tradition ». Irrité par la notoriété soudaine de Giovanna Daffini, Bermani rapporte qu’un ancien ouvrier agricole, Vasco Scansani, écrit à L’Unità, quotidien du PCI, pour affirmer qu’il a composé en 1951 les paroles de l’air des mondines… Ce que ne conteste pas la chanteuse, qui n’en est pas à une palinodie près.  »

Au départ je croyais à une histoire toute simple et un mot du jour rapide….

Cette <Page> de France Culture est un peu plus synthétique que Mediapart

« La popularité de « Bella Ciao » n’est plus à prouver. Pourtant ses origines restent floues, mélangeant faits historiques et légendes urbaines.

[…] On l’aurait vu apparaître en 1943 pendant la guerre civile italienne et la plupart des résistants l’auraient entonnée. […] En réalité la chanson a été très peu connue et chantée par les résistants.

Elle aurait donc bien été écrite dans ces années-là mais elle n’aurait été que très peu connue. […] La chanson acquiert en réalité sa notoriété après 1945. La presse socialiste la reprend et une revue d’ethnographie la publie dans ses pages en 1953.[…]

Une des légendes de « Bella Ciao » situe les origines au début du XIXe siècle dans le Nord de l’Italie. Là-bas des femmes, appelées les « Mondines » travaillent dans les rizières autour du fleuve Pô principalement. On raconte qu’elles auraient été les premières à chanter « Bella Ciao » mais avec des paroles différentes pour dénoncer leurs conditions de travail.

[…] Pour des historiens ce pan de l’histoire est une invention. Le témoignage de Vasco Scansiani, désherbeur dans les rizières va dans cette direction. Il affirme avoir écrit les paroles de la chanson en 1951 après les premières apparitions du chant « partisan ».

On ne sait pas davantage, d’où vient la mélodie. Certains avancent l’idée d’une origine française qui daterait du XVIe siècle, d’autres pensent que la mélodie pourrait aussi venir d’un chant yiddish de 1910.

Et l’article conclut :

«  La popularité de cette chanson s’est construite au fil des ans. Les fables autour des origines de ce chant renforcent sa symbolique et aident le pays à se projeter dans l’histoire de « Bella Ciao », dont tous les Italiens se revendiquent, aujourd’hui encore. »

En voici une version italienne et traditionnelle <Bella Ciao>. <Les Swingle Singers> chantent avec une grande perfection, mais on peut se demander si l’âme du chant se trouve dans cette version épurée. Et si on veut entendre une version plus dans l’émotion je pense qu’il faut plutôt faire appel à cette chanteuse italienne <Tosca>. Elle s’appelle Tiziana Tosca Donati, mais a choisi comme nom de scène le titre du célèbre opéra de Puccini.

J’ai trouvé un extrait de la série <La casa de papel – Bella Ciao> dans lequel deux des protagonistes fredonnent puis chantent ce chant que cette série a contribué à faire connaître planétairement.

Les textes se trouvent dans <Wikipedia>

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