Vendredi 30 avril 2021

« Albert Camus et  « le premier homme »
Publication de la page consacrée à la série

L’année 2020, fut l’année des 60 ans de la mort d’Albert Camus.

L’accident de voiture qui lui couta la vie eut lieu en janvier, mais ce n’est qu’en novembre que je suis parvenu à écrire la série de mots que je lui ai consacrée ainsi qu’à son dernier livre inachevé : « Le premier homme ».

La page consacrée à la série sur Albert Camus est en ligne sur la page des séries.

Mais vous pouvez aller directement sur la page en suivant ce lien : <Albert Camus >

<Mot sans numéro>

Jeudi 29 avril 2021

« Pause (L’archipel français) »
Un jour sans mot du jour nouveau

Réaliser une page de séries de mots du jour déjà écrits nécessite aussi du travail et du temps.

Je ne suis pas encore arrivé à finaliser la page de mots du jour consacrés à Camus et écrit en novembre 2020, mais je m’y emploie.

Il y a deux ans, le 29 avril 2019, le mot du jour était consacré à un livre qu’on continue à citer régulièrement : « L’archipel français » de Jérôme Fourquet

J’avais introduit le sujet par l’exergue suivant : « Naissance d’une nation multiple et divisée »

<mot du jour sans numéro>

Mercredi 28 avril 2021

« La Commune de Paris »
Publication de la page consacrée à la série

Le blog du « Mot du jour » n’est pas qu’un article par jour, il constitue aussi l’approfondissement de divers sujets et le retour sur des sujets traités.

Il constitue un tout et un patient travail de construction et d’élaboration.

La page consacrée à la série sur la Commune de Paris est en ligne sur la page des séries.

Mais vous pouvez aller directement sur la page en suivant ce lien : <La Commune de Paris>

<Mot sans numéro>

Mardi 27 avril 2021

« Pause (Le droit à la paresse) »
Un jour sans mot du jour nouveau

Je ne sais plus qui a dit : « Quand on ne travaillera plus les lendemains des jours de repos, on aura fait un grand pas dans la civilisation »

Mais il y a des jours où je pense qu’il avait raison.

Sur Internet, la question reste ouverte pour savoir si c’est Alphonse Allais ou Pierre Dac qui aurait exprimé une idée assez proche :

« Quand on ne travaillera plus le lendemain des jours de repos, la fatigue sera vaincue. »

Le mot du jour du <7 mai 2015> rappelait que c’est un français, participant à la Commune de Paris et gendre de Karl Marx : Paul Lafargue qui avait écrit « Le Droit à la paresse »

<mot sans numéro>

Lundi 26 avril 2021

« Pause (Reconnaissance du génocide arménien) »
Un jour sans mot du jour nouveau

Aujourd’hui c’est congé.

Le 24 avril 2015 je citais Barack Obama : « Pour ceux qui ne sont pas au courant, il y a eu un Génocide qui s’est déroulé contre le peuple arménien. »

Mais il l’a dit en 2007, alors qu’il était sénateur.

En tant que président, il n’a jamais prononcé le mot de génocide.

Dans le mot du jour, j’essayais d’expliquer les raisons de cette prudence.

Il aura donc fallu attendre le vieux Biden, pour qu’enfin <Le président américain reconnaisse le génocide arménien>.

Bien sûr <la Turquie reste soudée dans le déni>.

Donc rien de nouveau sous le ciel de Turquie.

Mais aux États-Unis on progresse.

<mot sans numéro>

Vendredi 23 avril 2021

« Schubert, il est mort. […] Et pourtant il n’est pas mort. Il est avec moi, il vient me parler, il me parle »
Hubert Reeves

<C’est une chanson> est une émission de France Inter qui dure 4 minutes et qui est diffusée à 13:46. Elle consiste à demander à des Célébrités ou à des inconnus de parler d’une chanson qui a marqué leurs vies

Hier, jeudi 22 avril, Aurélie Sfez a fait cette demande, à l’occasion de la journée de la Terre, à l’astrophysicien Hubert Reeves.

Hubert Reeves a confié son admiration pour Schubert, et plus particulièrement pour l’Adagio de son Quintette à cordes, un morceau qu’il rêverait de pouvoir jouer…

<Hubert Reeves raconte l’Adagio du Quintette à cordes de Schubert>

Lors de la série de mots du jour sur les dernières œuvres de Schubert, celui du <1er septembre 2020> était justement consacré à ce quintette à cordes.

Je révélais alors que si je m’adonne à ce jeu qui consiste à désigner le disque de musique unique que j’aurai le droit d’emporter sur une île déserte, je n’ai pas beaucoup de doute. Depuis mes 20 ans jusqu’à présent, ma réponse est toujours la même : « Le quintette en ut D 956 de Schubert, écrit au courant de l’été 1828 et terminé en septembre. »

Hubert Reeves a dit :

« Schubert a cette qualité que j’appelle « de vous parler à l’oreille ».
C’est quelqu’un qui entre en possession de votre respiration.
Il fait bouger tout votre corps.
C’est le mouvement qui entre dans une espèce de bonheur indicible. […]
C’est la musique de l’intime.
Monsieur Schubert, il est mort. Il est enterré dans un cimetière.
Et pourtant il n’est pas mort. Il est avec moi, il vient me parler, il me parle. […]
Aujourd’hui je rêverai de jouer, justement ce quintette de Schubert
J’éclaterais de bonheur, si je me sentais avec un violoncelle, en train de jouer ces grandes vagues »

Et quand Aurélie Sfez pose cette question : « Est-ce que la musique est plus difficile de comprendre que les étoiles ? », il répond :

« C’est quelque chose de totalement différent.
Apprendre les étoiles, en tant que scientifique, c’est beaucoup de mathématiques, c’est beaucoup de mental. C’est assez sec. C’est un sentiment de lutte.
Vous n’aurez pas ce bonheur que vous éprouvez en écoutant le quintette de Schubert.

Il faut être à la fois dans la rationalité et dans l’imaginaire.

Si vous n’êtes que dans la rationalité vous vous asséchez.

Si vous n’êtes que dans l’imaginaire, vous risquez de devenir fou. »

<Adagio du Quintette D956 de Schubert> joué par le Quatuor Parisi et Emmanuelle Bertrand

<1559>

Jeudi 22 avril 2021

« Me voilà prêt à pédaler pour vous nourrir ! »
Julien Blanc-Gras

Il parait qu’il suffit de traverser la rue pour trouver du boulot. Et il est exact que si on traverse la rue, il est possible de trouver un travail de coursier ou de livreur pour Uber eats ou deliveroo ou une autre plate-forme qui permet de gagner un peu d’argent mais au prix de beaucoup d’efforts et de renoncement.

Julien Blanc-Gras est journaliste et écrivain. Il est né en 1976 et a surtout écrit des récits de voyage. Son prochain livre, « Envoyé un peu spécial » doit paraître chez Stock le 27 avril. Le résumé de ce livre est le suivant :

« Tout peut arriver en voyage. Au fil de ses aventures dans une trentaine de pays, Julien Blanc-Gras raconte les galères et les instants de grâce, les no man’s land et les cités tentaculaires, les petits paradis et quelques enfers. On y rencontre un prêtre shintoïste et un roi fantasque, une star du cinéma nigérian et un écrivain américain, un gardien de phare et un héros national – parmi tant d’autres portraits qui peuplent ces récits et cette planète.
Sur une montagne sacrée du Népal ou sur une île déserte d’Indonésie, au fin fond du Kansas ou dans l’agitation de Kinshasa, Julien Blanc-Gras rend compte de notre époque sans jamais asséner, démontrer ou pontifier.
« En s’éloignant de chez soi, on se rapproche de l’universel. »

Julien Blanc-Gras a donc traversé la rue et pour la finalité d’un récit et d’un article dans « L’Obs » : < une semaine dans la vie d’un livreur Uber-Eats, par Julien Blanc-Gras > a exercé un boulot de livreur pendant une semaine.

Il raconte sa première course :

« Le jeune homme qui ouvre la porte est vêtu d’un slip. Un joli slip rouge, de bonne facture, propre. Rien d’autre. Je pensais, naïvement, qu’on se permettait d’ouvrir en petite tenue aux inconnus dans un seul cas de figure : un scénario de film porno. Mais il n’y a pas de caméra et l’homme en slip ne m’invite pas à entrer d’une voix enjôleuse. Il grommelle un vague « merci » quand je lui remets sa commande, avant de me claquer la porte au nez. C’est ma première course, et je viens de saisir l’essence de mon nouveau métier : le livreur, c’est celui qu’on croise (sur le pas de la porte) et qu’on ne regarde pas vraiment. »

Julien Blanc-Gras rappelle le contexte d’évolution ou d’explosion de ce métier qu’on trouve de l’autre côté de la rue :

« Postez-vous à la fenêtre après 18 heures. Vous verrez le défilé permanent des deux-roues chevauchés par des êtres munis de sac siglés Deliveroo, Uber Eats ou Just Eat. Avec les confinements, les couvre-feux et la fermeture des restaurants, la livraison de nourriture à domicile s’est imposée dans nos vies urbaines. Deliveroo, présent dans 300 communes françaises, a annoncé une hausse de 64 % de son activité en 2020. Chez Uber, qui revendique 12,5 millions de téléchargements de son appli en France, les livraisons génèrent depuis l’été dernier plus de chiffre d’affaires que l’activité VTC. Ils seraient environ 60 000 à sillonner ainsi les artères de nos villes, petits globules transportant les protéines destinées à nos estomacs calés devant Netflix. »

L’écrivain journaliste s’est ainsi immergé dans ce travail pour pouvoir comprendre et témoigner. Après une formation succincte, sans jamais rencontrer un être humain, il va pouvoir commencer :

« J’installe mon téléphone sur le guidon du vélo, j’enfile mon casque et m’empare de mon sac 70 litres Uber Eats. Me voilà prêt à pédaler pour vous nourrir. Mon activité sera désormais dictée par l’algorithme, qui me géolocalise pour dénicher des courses à la rémunération prédéfinie, que je suis libre d’accepter ou pas. « Gagnez de l’argent à votre rythme », c’est la promesse. »

Les plateformes ont trouvé cet interstice pervers de notre droit de faire travailler, pour eux, des gens qui ne sont pas leurs employés. Et de cette manière, ils parviennent à externaliser des coûts, comme l’achat des outils de travail :

« De mon côté, j’ai été contraint d’acquérir le sac Uber Eats à 69,90 euros pour avoir le droit de travailler pour eux, tout en me transformant en publicité ambulante. »

Il y a bien sur les problèmes techniques : ne pas renverser les soupes dans le sac et puis outre les plateformes il y a la relation avec les fournisseurs de repas. Ces activités sont déployées dans une situation de compétition exacerbée et soumis aux notations sans compassion des utilisateurs :

« Je suis parti depuis moins de deux heures quand survient la première catastrophe : l’appli a pompé la batterie en un clin d’œil, mon téléphone tombe en rade en plein rush de midi.
« T’as le numéro de livraison ? me lance le manager du Subway sans dire bonjour.
– Attendez, j’ai un problème technique, désolé.

– Pfff… »

Dix secondes plus tard : « Bon, t’as trouvé ? » Le manager du Subway me tutoie et me rudoie, alors qu’on n’a pas gardé les sandwichs ensemble. Mon téléphone se réactive miraculeusement, me préservant d’un fiasco dès le premier jour, ce qui aurait immanquablement altéré ma note. Cette notation opérée par les clients tournoie comme une épée de Damoclès au-dessus du casque du livreur car « un taux de satisfaction de 90 % est requis pour pouvoir continuer à se connecter ». On n’a pas vraiment droit à l’erreur ni à la malchance. »

Et finalement, le livreur, dans ces temps particuliers de pandémie, se trouvent souvent très seul dans les rues de la ville et parfois dans des conditions climatiques compliquées.

« La première soirée met ma motivation à rude épreuve. La météo est apocalyptique, et je serais bien resté à la maison pour regarder PSG-Barça, mais une double commande de pizzas se présente. Une double commande, ça ne se refuse pas, il y en a pour 7,62 euros, c’est le jackpot. Je m’extirpe de mon doux foyer pour braver les trombes d’eau et les rafales de vent. Je pédale dans la nuit, où seuls mes congénères se déplacent. Plus une âme qui vive, encore moins qui travaille. Même les prostituées chinoises du boulevard de la Villette ont pris leur RTT, elles qui bossent le 25 décembre comme le 1er mai. Je suis trempé, j’ai froid, je mène ma mission à bien. Des gens comptent sur moi pour se gaver de junk-food à la mi-temps, je ne dois pas les décevoir. Une course chasse l’autre. Je tourbillonne autour de la place de la République, bien fournie en fast-foods, pendant que Kylian Mbappé élimine les Catalans. D’ordinaire pointilleux sur le respect du Code de la Route, je me surprends à griller les feux rouges et à rouler sur les trottoirs sans vergogne. En évitant l’accident, si possible. On a recensé au moins cinq livreurs décédés au travail en France depuis 2019. « Chez Uber, nous avons à cœur votre sécurité. » Chez le livreur, on a à cœur d’arriver à temps pour ne pas voir sa note baisser et ses revenus diminuer. Bilan du jour 1 : je suis resté en ligne, et donc disponible, pendant sept heures vingt-sept. J’ai effectué dix courses et récolté 46,49 euros (dont 2,27 de pourboires). »

Pour replacer ces montants dans un contexte connu : au 1er janvier 2021 le smic journalier pour 7 heures de travail en France, s’élèvent en brut à 71,75 € et en net à 56,77 €. Globalement sur sa semaine de travail, Julien Blanc-Gras a évalué sa rémunération à 3,74 euros de l’heure donc pour 7 heures de travail à 26,18 euros la journée en précisant : « J’ai parcouru une centaine de kilomètres dans Paris pour effectuer trente-deux livraisons en trente-cinq heures d’astreinte (durant lesquelles je n’ai refusé qu’une poignée de courses). »

La rémunération est calculée par un algorithme qui ajoute à l’incertitude qui pèse sur le travail du livreur :

« Les coefficients sont complexes à comprendre. Avant, la tarification était lisible. Désormais, ça manque de clarté. L’algorithme est opaque, dénonce Arthur Hay, secrétaire général du syndicat CGT des coursiers à vélo de Gironde (le premier du genre en France). Surtout, la rémunération est en baisse constante depuis des années. Il faut travailler une soixantaine d’heures par semaine pour vivre décemment.»

Quelquefois des clients marquent un élan de générosité, oserais-je dire d’humanité :

« Ce billet de 5 euros tendu par une jeune femme dans le Sentier m’a réchauffé le cœur après un trajet glacial. A l’usage, je constate qu’environ une personne sur six laisse un pourboire. »

Le livreur occupe, dès lors, une place centrale dans notre société de consommation et voit des comportements…

« Etre livreur, c’est disposer d’un poste d’observation furtif sur l’intimité d’une société sous pandémie. Il faut savoir que des gens commandent des Big Mac à 10 heures du matin. Je regarde l’adresse de livraison : elle se situe en face du fast-food, à moins de 20 mètres. Il s’agit sans doute d’une personne dans l’incapacité de se déplacer. Pas du tout, c’est une étudiante en pleine santé physique. Peur de sortir par crainte du virus ? Agoraphobie ? Dépression ? Ou, tout simplement, une bonne grosse flemme. Si les seniors, moins à l’aise avec les outils numériques, ne font pas partie de ma clientèle, les plus jeunes n’hésitent pas à se faire livrer trois fois rien. Dans la foulée, je vais récupérer des commissions chez Carrefour. Le sac est léger. Il ne contient qu’une baguette et un paquet de sucre. C’est tellement peu cher de se faire livrer, une poignée d’euros. Avec certaines formules d’abonnement, c’est même gratuit. Pourquoi se priver ? »

La toute-puissance de la plateforme, l’absence humaine dans les relations de travail nous emmène dans un monde sans sentiment, sans chaleur.

« Le lendemain, je néglige trois propositions de courses. Je reçois ce message : « Vous ne semblez pas avoir accepté de commandes depuis un moment. Vos commandes sont interrompues. » Sérieusement, l’algorithme ? Tu m’as fait poireauter deux heures sous la pluie hier et tu m’ostracises aujourd’hui parce que j’ai raté trois courses ? Sans même parler du fait que je trouve désormais naturel de m’engueuler à voix haute avec une machine.

A mon grand soulagement, je peux me reconnecter quelques minutes plus tard. J’ai l’impression d’avoir reçu un avertissement. « C’en est un, confirme Arthur Hay. Vous ressentez la pression de l’algorithme. La sonnerie, c’est l’ordre de réagir et de se mettre en mouvement. » La promesse de flexibilité semble avoir ses limites. « Ils n’ont pas le droit de nous virer parce qu’on refuse des commandes, mais ça arrive quand même. Des gens sont débranchés, sans explication, et ils ne peuvent plus travailler. » Quand Arthur a lancé un mouvement de grève pour dénoncer ces pratiques, son compte Deliveroo a été désactivé. « Je n’ai jamais eu de motif. Et c’est impossible de parler à quelqu’un. » Dur de lutter contre une adversité invisible. Parmi les revendications syndicales des livreurs se trouve donc celle-ci : pouvoir discuter avec un interlocuteur en chair et en os. »

Le monde numérique contrôle, cible, le livreur est cerné :

« D’autres types de messages me parviennent. Comme je figure dans la base de données, je reçois des publicités ciblées. « Découvrez nos partenariats réservés aux coursiers, Julien ! » Je bénéficie de « nombreuses offres exclusives ». « Un vélo à réparer, une facture à régler, les charges d’autoentrepreneur qui tombent au mauvais moment ? FinFrog propose une solution simple et rapide pour obtenir des microcrédits allant de 200 euros à 600 euros. La demande se fait en 5 minutes, 100 % en ligne. » Si on avait l’esprit mal tourné, on pourrait se dire que les plateformes optimisent la rentabilité d’une précarité qu’elles ont elles-mêmes organisée. »

Et avec tout cela les plateformes ne parviennent pas à gagner de l’argent même s’ils entrent en bourse et trouvent des investisseurs qui profitent des hausses des prix des actions : <Deliveroo annonce une perte de 261 millions d’euros> en 2020 avant son introduction en bourse. Un article plus ancien <Deliveroo, Uber Eats… toujours plus de clients sans gagner le moindre centime> explique la stratégie de ces nouveaux capitalistes.

Sa conclusion est touchante :

« On peut trouver du travail en traversant la rue, c’est vrai. Pour en vivre dignement, il faut toutefois traverser beaucoup, beaucoup de rues, en grillant quelques feux rouges au passage. Je rentre chez moi le mollet renforcé, les fesses endolories et le dos en compote. Pas le courage de me mettre à cuisiner. Je vais commander à manger. »

Voilà la société de la consommation simple comme un clic. Il faut toujours un prolétariat pour que la vie des consommateurs soit simple et peu onéreuse. Un prolétariat qui doit discuter avec des machines.

<1558>

Mercredi 21 avril 2021

« [La sanction contre Madoff] montre qu’aux Etats Unis, on a le droit d’escroquer les pauvres, mais on n’a pas le droit d’escroquer des riches »
Dominique Manotti

Bernard Madoff purgeait une peine de 150 ans de prison. C’est la justice américaine, en France il n’est pas possible d’être condamné à de telles peines. En outre, il y a toujours des remises de peine lorsque le prisonnier se comporte convenablement en prison. Ce n’est pas le cas aux Etats-Unis. Aux Etats-Unis même vieux on meurt en prison.

Madoff a fini ses jours dans un pénitencier de Caroline du Nord ce mercredi 14 avril 2021.

Est-ce que je vais plaindre ou défendre Madoff ?

Certes non !

Toutefois il convient quand même de s’interroger sur ce que le cas Madoff révèle du monde, et notamment du monde des États-Unis.

Pour ceux qui ne le saurait pas, pendant de longues années, Madoff a escroqué les gens en mettant en place une chaine de Ponzi. C’est-à-dire qu’il incitait des gens à lui confier leur argent et promettait, en sortie, une rémunération de 12 % par an. Quand un des clients demandaient sa mise, Madoff lui versait la rémunération promise à partir du versement en capital de nouveaux entrants.

L’argent n’était pas investi et Madoff vivait grand train avec l’argent dont il disposait grâce à tous les dépôts.

La crise financière lui sera fatale et provoquera sa chute en accélérant la révélation inéluctable de son escroquerie. En effet, la crise incitera un plus grand nombre de ses clients à demander le retour de leur placement et Madoff ne sera pas en mesure d’honorer sa promesse.

Cette chute va entraîner le suicide de l’un de ses fils Mark qui se pendra en décembre 2010. Et Andrew Madoff, son fils cadet, décédera le 3 septembre 2014 d’un cancer.

En janvier 2020, Bernard Madoff déposera une demande de libération anticipée pour raison médicale, indiquant qu’il souffre d’une maladie terminale des reins et n’aurait plus que 18 mois à vivre. Âgé de 81 ans, il ne se déplaçait plus qu’en fauteuil roulant et avec un corset. Mais il ne fut pas libéré et mourut donc en prison.

Guillaume Erner a invité Dominique Manotti, écrivaine, ancienne professeure de l’histoire économique du XIXe siècle parce qu’elle avait écrit un livre : « Le rêve de Madoff » paru en 2013 aux éditions Allia.

Dominique Manotti a expliqué son parcours :

« Il débute très modestement, puis épouse la fille d’un courtier bien installé, dont il hérite du carnet d’adresse. Ensuite, il devient un des principaux acteurs de la nouvelle économie. Lorsque la crise éclate, il a le plus gros cabinet de courtage des Etats-Unis. Il est sur la liste des cinq présélectionnés pour devenir le président de la SEC,  l’organe de contrôle de la Bourse. Et ce n’est pas finit : il a créé le Nasdaq, qui est la deuxième Bourse américaine, entièrement informatisée. C’est une idée géniale qu’il a eu très tôt : dès qu’il a vu arriver les ordinateurs, il a inventé une machine qui couple l’ordinateur sur le téléphone et permet à tout moment d’avoir l’information des Bourses dans l’ensemble du monde. Il a l’intuition que cela va changer la vie financière, et c’est le cas. Enfin, il est devenu le Président du Nasdaq pendant 10 ans ! »

Mais le plus intéressant est la réflexion que cette écrivaine va faire, suite à la question de Guillaume Erner pour savoir pour quelle raison elle s’était intéressée à Madoff.

Le déclic a eu lieu quand elle a entendu le procureur qui s’était occupé de la négociation dans l’affaire Madoff dire :

« C’est le pire criminel que je n’ai jamais rencontré. »

Comme souvent aux États-Unis, il n’y a pas eu procès mais négociation. Madoff a accepté de plaider coupable et il a été condamné à 150 ans de prison. Normalement la négociation a pour but d’accélérer le processus judiciaire et comme contrepartie une peine plus clémente pour celui qui accepte de plaider coupable.

On se demande à quoi il aurait été condamné s’il y avait eu procès ?

Donc pour le procureur c’est le pire criminel !

Alors Dominique Manotti dit la chose suivante :

« C’est le pire criminel que je n’ai jamais rencontré. »

Et là franchement j’ai eu un coup de sang, un coup de colère. Et je me suis du coup beaucoup intéressé au personnage.

Cela arrive quand même en 2012. Il vient d’y avoir la crise de 2008.

On a des millions d’américains, entre 5 et 6 millions d’américains qui ont perdu leurs jobs, perdu leurs maisons dans la crise des subprimes.

Et Madoff n’a escroqué que des riches, environ 30 000 personnes.

En gros, il n’y a absolument aucune sanction contre les responsables des subprimes.

Mais Madoff va se retrouver en prison.

Et donc cette façon de le voir comme le pire des criminels, signifie qu’aux Etats Unis, on a le droit d’escroquer les pauvres, mais on n’a pas le droit d’escroquer des riches. »

C’est une conclusion à laquelle, il faut hélas se résigner. C’est révoltant !

Dominique Manotti ajoute par ailleurs :

« La chaine de Ponzi consiste à avoir continuellement de nouveaux adhérents : l’argent ne produit rien, car on paie les intérêts des anciens avec l’argent des nouveaux arrivants. A mon avis, ce n’est absolument pas ça qui a fonctionné. La réalité est très supérieure à ce qu’on raconte habituellement. La pyramide de Ponzi est une escroquerie très simple, je n’imagine pas un personnage comme Madoff pratiquer une entourloupe aussi simple. D’autant que le taux pratiqué par Madoff était de 12%, c’est énorme pendant 20 ans ! Les gens savaient que de toutes façons il y avait quelque chose d’illégal derrière. »

Ceux qui donnaient leur argent à Madoff et pensait pouvoir récupérer 12% d’intérêt sans fluctuation et sans risque ne pouvait pas ignorer qu’il y avait un problème. Ils ne pensaient pas être victime d’une escroquerie, ils devaient donc penser autre chose.

Dominique Manotti suppose qu’il devait penser à des activités illégales. J’ai lu par ailleurs, sans que Madoff ne l’avoue ou qu’une preuve n’ait pu être établie, que ce système servait aussi à recycler de l’argent sale.

Le destin de Madoff nous dit beaucoup de la manière dont notre société fonctionne.

<1557>

Mardi 20 avril 2021

« Un réseau militant pour coconstruire un projet socialiste ambitieux, réaliste et partagé »
Jean-Philippe Babau

Après le séisme politique de 2002 : Le Pen au second tour, j’avais décidé comme d’autres à m’engager politiquement. C’est pourquoi, j’ai adhéré au PS. Nous habitions alors à la Croix Rousse, dans le quatrième arrondissement de Lyon. C’est pourquoi j’ai rejoint la section de la Croix Rousse dont le local se trouvait 12 rue Perrod. Le parti socialiste qui a subi quelques déconvenues ces dernières années a du s’en séparer récemment.

Et c’est ainsi que j’ai rencontré Jean-Philippe qui animait un groupe de travail sur l’exclusion et le logement.

J’ai voulu partager cette expérience et nous avons ainsi, avec d’autres camarades, travaillé, sur plusieurs années, en essayant de comprendre techniquement les sujets, en faisant des recherches documentaires entre les réunions mensuelles, en rencontrant des acteurs notamment du logement social, en confrontant nos idées, en nous écoutons et en avançant ensemble, pour finir par rédiger un rapport que nous avons remis aux élus de Lyon, puisqu’à l’époque le PS dirigeait Lyon et la Métropole.

Cette expérience montre qu’il existait des personnes qui acceptaient, à l’intérieur d’un Parti Politique, de donner de leur temps, pour réfléchir à des sujets politiques, sans démagogie, concrètement et pour le bien commun.

Cette manière de faire était assez éloignée de la définition que David Kimelfeld, qui faisait partie de notre section, avait un jour donné :

« Le Parti socialiste est une association formée d’élus, d’anciens élus et d’aspirant à être élus »

Bref, pour lui on ne pouvait être dans un Parti que parce qu’on aspirait à avoir du pouvoir ou une parcelle de pouvoir.

Pour les non lyonnais, il faut préciser que David Kimelfeld a été le Président intérimaire de la Métropole de Lyon pendant que Gérard Collomb avait tenté de jouer au Ministre de l’Intérieur à Paris. Cette lubie lui était venue après la victoire de celui dont il avait imaginé être sinon le tuteur, au moins le conseiller spécial le plus écouté. Après s’être rendu compte de son erreur, il est revenu à Lyon. Il pensait que les intérimaires qui lui devaient leur place se soumettraient à son pouvoir hégémonique et reprendraient leur rôle de vassal dévoué et fidèle. Rôle de vassal qui avait justifié la possibilité de l’intérim.

Il n’en fut rien et il y eut donc affrontement politique à la Métropole comme à la commune de Lyon. La division a entraîné la victoire, sur ces deux terrains, des écologistes qui n’en espéraient pas tant quelques mois auparavant.

Pour ma part, je me suis réjoui de la défaite du baron lyonnais qui à plus de 70 ans ne voulait pas abandonner le pouvoir

Cette manière de penser et de pratiquer la politique en a découragé beaucoup. Le bien public, la réflexion politique a été mis de côté pour garder des places d’élus, rester ou accéder au pouvoir.

Beaucoup aujourd’hui ne croit plus en la politique. Ils pensent qu’elle n’a plus de moyen d’action et s’en détournent.

Jean-Philippe a eu le courage de se lancer dans l’écriture d’un livre qui vante l’engagement politique, le travail en commun pour bâtir un socle de solutions permettant au bien commun de progresser.

Le titre de ce livre qui a paru à la fin de l’année 2020 est « Construisons ensemble ».

Ce titre est complété par l’invitation suivante :

« Un réseau militant pour coconstruire un projet socialiste ambitieux, réaliste et partagé »

Exactement le contraire de ce que Gérard Collomb faisait à la fin de son mandat à Lyon quand il décidait de tout et de Macron à Paris qui étonnamment  a l’air de s’en désoler puisqu’il aurait dit : « Je suis obligé de m’occuper de tout !».

Evidemment, quand deux comportements aussi égocentrés que Collomb et Macron se rencontrent, la co-construction a du mal à se faire.

Mais peut-on sérieusement penser que Mélenchon serait différent ?

Jean-Philippe évoque d’ailleurs le travail que nous avions fait en commun pour évoquer une sorte de modèle de construction d’un projet.

Il évoque les obstacles à dépasser et la nécessité de clarté sur des objectifs rationnels atteignables :

«  Le vivre ensemble ne va pas de soi. Et la mise en œuvre du projet socialiste se heurte à de nombreux obstacles.
Les êtres humains développent des comportements divers, parfois incohérents, parfois violents, guidés par des besoins de reconnaissance, par la peur ou la jalousie de l’autre. Les nouveaux outils de communication promeuvent les comportements narcissiques et égoïstes. La société de consommation attise nos pulsions de possession, d’exclusivité, de reconnaissance. La fin des valeurs traditionnelles place l’individu face à ses propres limites. Les citoyens, sans repères, dans une société atomisée, se retrouvent pris dans une société de production de plus en plus dure, génératrice de stress, et d’une société de consommation, génératrice de frustrations. Dans ce contexte souvent émotionnel, le raisonnement humain, aussi pertinent soit-il, empêche de cerner les situations dans leur globalité, clairement trop complexes. Le débat est mené, sans rationalité, expertise et prise de distance. Les nouveaux réseaux sociaux font la loi, phagocytés par la facho-sphère et les extrémistes de tout poil.
Ce constat ramène à des questions fondamentales sur le sens de l’action politique. Dans une société exacerbant les pulsions des uns et des autres, il faut être clair sur les objectifs du projet socialiste. Qu’est-ce que la politique peut assurer aux citoyens : de l’argent, une place dans la société, une réussite sociale, des règles de vie commune ou des services ?
Certainement tout cela, mais sous peine de malentendus et de rejet, il faut absolument fixer un périmètre clair sur les objectifs du projet. »
Pages 177 & 178

Jean-Philippe insiste sur le travail en commun pour aboutir à un projet qui pourra être porté plus tard par une femme ou un homme.

Alors, qu’aujourd’hui emporté par les ambitions personnelles il est très évident qu’on fait le contraire.

D’ailleurs, les partis politiques ont été remplacés par des mouvements qui se construisent autour de l’ambition d’un ego. Ces mouvements n’ont pas vocation à attirer des militants qui réfléchissent et coconstruisent un projet mais des supporters qui collent des affiches, organisent l’accueil des réunions politiques, applaudissent en chœur quand la voix de son maître s’exprime et acceptent de pratiquer le porte à porte pour vanter les qualités exceptionnelles de leur champion et l’intelligence de son projet auquel ils n’ont pas participé. Jean-Philippe parle de « fan-club d’élus »

Il reste optimiste et propose une autre démarche :

« Si on veut faire face aux enjeux de la société, il est temps de promouvoir un militantisme actif et responsable en associant les militants tout au long du processus de construction du projet. »
Page 249

Pour ce militantisme et la mise en place d’un réseau de co-constructeurs Jean-Philippe veut s’appuyer sur des outils numériques et modernes de communication comme support d’échange.

Je partage sa conclusion :

« L’objet de ce livre était d’abord de partager des valeurs, des principes et un regard sur la société et la politique. A partir du constat sur les difficultés à mettre en place un projet socialiste, j’ai esquissé une méthode et une approche replaçant l’engagement militant au cœur de la construction d’un projet socialiste à la fois ambitieux, réaliste et partagé.
L’objectif d’un projet socialiste doit être de permettre à tous d’accéder à ses droits fondamentaux de manière décente et digne. Chacun a droit au respect, à la liberté, à la justice et à sa part de richesse. Chacun a sa place à la table de la république. Dans un projet socialiste, le collectif n’écrase pas l’individu et l’individu ne peut s’imposer au collectif. Tout est question d’équilibre pour permettre l’émancipation de chacun dans une société pacifiée. »
Page 279

C’est ambitieux mais salutaire.

Celles et ceux qui croient qu’elles et ils n’ont rien à faire de la politique doivent se rendre compte que la politique a beaucoup à faire avec eux et qu’ils en subissent des conséquences.

La démarche de Jean-Philippe dans cette perspective est finalement très rationnelle.

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Lundi 19 avril 2021

« Deux siècles après sa naissance, Baudelaire reste énormément subversif »
Antoine Compagnon

Baudelaire dont le prénom est Charles est né à Paris le 9 avril 1821. Il est mort dans la même ville 46 ans après.

Il est donc né il y a deux cents ans.

L’année dernière, lors du premier confinement, je lui avais dédié le mot du jour du 26 avril 2020 : « Anywhere out of the world (N’importe où hors du monde».

France Inter avait invité le 9 Avril Antoine Compagnon pour lui rendre hommage « Deux siècles après sa naissance, Baudelaire reste énormément subversif »

Il parle d’abord de son admiration pour le poète mais explique surtout son côté :

« Toujours inattendu, toujours provoquant »

Et il ajoute :

« Il est l’inventeur de la modernité et celui qui insulte cette modernité à longueur de pages. C’est une démarche très violente. »

Parce que l’auteur de ces vers inoubliables :

« Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble ! »

A aussi écrit des vers d’une grande violence, notamment contre les Belges.

C’est ce que lui reproche Alex Vizorek, humoriste belge, sur la même radio <Baudelaire et la Belgique>

Dans son billet Vizorek cite des extraits évocateurs.

Vous trouverez derrière <ce lien> ces textes écrits par Baudelaire.

Par exemple :

« Qu’on ne me touche pas ! Je suis inviolable ! »
Dit la Belgique. — C’est, hélas ! incontestable.
Y toucher ? Ce serait, en effet, hazardeux [sic],
Puisqu’elle est un bâton merdeux » »

Ailleurs, il traite la Belgique de « Pays des singes »

Jean-Baptiste Baronian essaye d’expliquer <Pourquoi Baudelaire détestait à ce point les Belges ?>

Dans l’univers des tenants de la « cancel culture » ou du « woke », il devrait être effacé !

Mais dans l’univers des gens raisonnables on s’arrêtera à ses chefs d’œuvre

Car je crois qu’il faut regarder ce qui est grand chez les humains plutôt que de s’attarder sur ce qui les rend petit et futile :

« Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. »
L’albatros, « les fleurs du mal »

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