Lundi 29 avril 2019

« Naissance d’une nation multiple et divisée »
Jérôme Fourquet

Si vous écoutez les émissions politiques actuellement, à un moment de la discussion il sera question de « L’archipel français » de Jérôme Fourquet. Il semblerait que c’est le livre qu’il faut lire.

J’ai choisi pour exergue de ce mot, le sous-titre du livre : « Naissance d’une nation multiple et divisée. »

Dans sa longue et sévère diatribe contre le livre des jeunes conseillers d’Emmanuel Macron « Le progrès ne tombe pas du ciel », Jean-Louis Bourlanges l’a aussi cité :

« Ensuite, c’est un livre erroné sur les priorités. On pense tout de suite au livre de Jérôme Fourquet, pour qui le problème français est celui d’une fragmentation du corps social »

Pour aborder ce livre avec des idées simples et solides, il faut en revenir aux textes fondamentaux, à savoir l’article 1er de la Constitution française en son début :

« La France est une République indivisible »

C’est cela notre récit, la France est Une et Indivisible. Et on devient français par assimilation, on intègre en tant qu’individu la nation française dans son unité.

Jérôme Fourquet, prétend que ce récit est de plus en plus éloigné de la réalité.

Jérôme Fourquet est directeur du département Opinion et Stratégies d’Entreprise de l’institut de sondages IFOP depuis 2011 et il vient donc de rédiger et publier ce livre qui a obtenu le « prix 2019 du Livre Politique »

Pour ma part, j’ai entendu l’auteur parler de son livre lors de 3 émissions :

Il a également été reçu par l’émission C Politique du 7 avril 2019.

Le terme « archipel », correspond à un schéma qui s’impose peu à peu d’une « séparation », d’îles fragmentées avec plusieurs lignes de clivage.

Jérôme Fourquet dit ainsi :

« On peut parler d’une vaste île populaire qui peut s’illustrer dans un certain nombre de territoires par un vote massif pour le front national et qui a rejailli plus récemment avec le mouvement des « Gilets jaunes ».

Il y aussi toute une analyse sur une sécession des élites avec un regroupement dans le grand centre urbain, la métropole parisienne par exemple mais aussi un certain nombre de villes de province.

On peut également évoquer un certain nombre de tropismes régionalismes et on pense là à la Corse, où un vote nationaliste est aujourd’hui majoritaire sur l’île de beauté. On a d’autres formes de fragmentations, avec ce phénomène que l’on connaît maintenant depuis une quarantaine d’années qui est celui d’une immigration relativement soutenue et qui a abouti au fait que nous sommes dans une société qui de facto est hétérogène sur le plan socio-culturel.  […] On est en rupture par rapport à l’histoire de longue durée de la société française»

Dans cette rupture, on assiste au stade terminal de la déchristianisation en France. Car le catholicisme a été un socle fort pour structurer la société française, d’abord seul puis en duo lors des combats de la République avec d’un côté une « société laïque et républicaine » et de l’autre « le monde catholique ». Il rappelle qu’au début des années 60, on avait 35% des Français qui déclaraient aller à la messe tous les dimanches, voire davantage. Aujourd’hui, ils sont à peine 5 ou 6 %. On peut penser aussi que d’ici 25 ans, il n’y aura plus de prêtres en France.

Il souligne aussi l’écroulement d’un autre pilier de la société française du XXème siècle : le Parti communiste. :

« Un autre socle fort s’est aujourd’hui atténué : celui du corps électoral communiste, notamment le « communisme municipal ». De 20 à 25 % de vote communiste jusque dans les années 70, aujourd’hui ce vote ne structure plus la société française. »

Dans un autre entretien que vous trouverez sur ce <site>, il présente son analyse ainsi :

« Ce livre prend naissance dans mon travail quotidien à l’IFOP ainsi que ma réflexion et mon observation de la société française depuis une vingtaine d’années. J’ai senti le besoin de mettre tout cela sur papier. Je voulais mettre tous les éléments du puzzle, que j’avais mis de côté au fil des ans, en cohérence pour dresser un panorama le plus objectif possible de la société française d’aujourd’hui.

Le constat apparu est celui d’une fragmentation sans précédent de la société française sur des logiques économiques et territoriales. En reprenant et en affinant les tests de Christophe Guilluy, on s’aperçoit d’une fragmentation multiple.

Une fragmentation éducative et culturelle, avec une stratification de plus en plus accrue de la société française sur le niveau scolaire.

Une fragmentation idéologique et affinitaire sur certains modes de vie. […]

Et pour finir, une fragmentation ethnoculturelle avec le phénomène majeur de l’immigration de ces dernières décennies.

Ce phénomène a modifié, avec d’autres facteurs, la physionomie de la société française. Au terme de cette vague d’investigations, l’image qui nous est venue à l’esprit est celle de l’archipel. D’où le fait de parler d’archipellisation dans cet ouvrage. C’est une forme de fragmentation assez massive.

Il ne s’agit pas de mythifier un âge d’or, qui n’a jamais existé, d’une France totalement homogène et sans aucune fracture ni conflit. Mais de faire le constat d’un degré de fragmentation que la France n’a sans doute jamais connu par le passé. »

Le journal « Les Echos » l’a également interrogé : « La fragmentation de la société française est sans précédent » et l’a notamment interrogé sur ce que révèlent les « gilets jaunes » :

« Une fragmentation multiple de la société française. D’abord sociale, avec des catégories modestes assez représentées dans le mouvement alors que les personnes plus aisées le regardaient avec distance, voire condescendance.

Une fracture territoriale ensuite, qui se double d’un clivage sur les modes de vie. Le déclencheur de cette crise a été la hausse des taxes sur les carburants, et la France qui s’est mobilisée est celle des ronds-points, de l’étalement urbain, la France de la voiture. En face, on retrouve les gens pour qui la voiture n’est plus centrale. La fracture est aussi celle de la France diplômée, qui a regardé de très loin ce mouvement animé par des gens moins éduqués.

Enfin, dernière fracture, on a vu que la tentative de la gauche de la gauche d’opérer une jonction entre les « gilets jaunes » et le mouvement syndical et la France des banlieues a échoué.

La France qui s’est mobilisée est celle du travail, qui a peur du décrochage. Alors que les habitants des banlieues, pour une partie significative, vivent avec des aides sociales. Enfin, les gens des banlieues ne se sont pas reconnus dans les visages et les slogans des « gilets jaunes ». »

Et il utilise le terme de « moyennisation » pour expliquer que la classe moyenne qui avait progressé dans la première moitié du 20ème siècle se trouve confronter à une crise :

« On peut aussi y voir les premiers symptômes de la fin de la « moyennisation » de la société française. Pendant les Trente Glorieuses et après, moins puissamment, toute une partie des catégories populaires et des petites classes moyennes, ouvriers et employés, se sont arrimées pleinement à la société française, notamment par le prisme de la consommation. Ils pouvaient se doter d’un équipement pour leur foyer cochant toutes les cases du standard minimum exigé, c’est-à-dire une voiture, de l’électroménager, l’accès aux loisirs et aux vacances et à horizon d’une vie, envisager l’accession à la propriété.

La moyennisation s’est aussi caractérisée par le règne de l’hypermarché, où tout le monde allait faire ses courses. Tout le monde ne met pas la même chose dans son Caddie, mais tous se fournissent dans un même lieu.

[…] La désindustrialisation massive du pays a abouti à une dégradation de la qualité des emplois, et parallèlement le niveau du standard de vie érigé en « basique » par la société de consommation s’est considérablement élevé. […]

Par exemple, avec l’équipement de tous les membres du foyer en smartphones. Les modèles présentés dans certaines émissions de télévision pour l’équipement de la maison coûtent très cher et deviennent hors de portée pour toute une partie de la population. Le fait de ne pas pouvoir accéder à cela, alors même que les deux conjoints travaillent dans le couple, est vécu comme le début d’un déclassement voire d’une déchéance.

Les « gilets jaunes » disent souvent qu’ils n’ont plus rien le 15 du mois, ou qu’ils ne peuvent plus se faire un petit « extra ». Ils se demandent ce qui s’est passé. Ils se retournent alors contre les taxes, ce qui confirme que la question des prélèvements obligatoires est centrale même s’il faut aussi y voir les prémices de la fin de cette moyennisation. Elle va s’amplifier dans le temps.

On peut faire le lien avec la paupérisation de la classe moyenne blanche américaine, qui a abouti à l’élection de Trump. Les Américains ont de l’avance, mais nous sommes confrontés au même mécanisme. »

La solution se trouve bien sûr dans un nouveau récit, un projet commun. Jérôme Fourquet cite le défi climatique comme possible ciment d’une telle ambition :

« Est-ce que la mobilisation autour de l’urgence climatique et de la transformation en profondeur de la société peut jouer ce rôle-là à l’avenir ? Il est un peu tôt pour le dire. On voit bien que les responsables politiques, au premier rang desquels Emmanuel Macron, sont très conscients de cette fragmentation et cherchent à s’appuyer sur tous les événements tragiques ou heureux pour essayer de recréer du commun. […]

Quand on regarde historiquement, le catholicisme et le communisme avaient en commun d’offrir une transcendance, un horizon positif qui vaut la peine de lutter, de se sacrifier pour lui.

Dans une société de consommation et d’individualisme, on touche du doigt le déficit de transcendance qui permettait l’agrégation d’un certain nombre de groupes dans une perspective commune.

L’écologie peut-elle jouer ce rôle, ce ciment pour laisser une planète à nos petits-enfants ? »

Encore faudrait-il que chacun soit convaincu de l’urgence climatique…

<1233>

2 réflexions au sujet de « Lundi 29 avril 2019 »

  • 29 avril 2019 à 9 h 11 min
    Permalink

    L’écologie est encore un luxe à l’usage des classes aisées sauf pour quelques illuminés qui expérimentent une vie à l’image du sympathique Pierre Rabhi

    Répondre
    • 29 avril 2019 à 11 h 48 min
      Permalink

      Oui tu as raison.
      En même temps si on continue comme cela il n’y aura plus de possibilité de vie pour les milliards d’humains que nous sommes.
      Alors il y a deux solutions, une belle et conforme à la civilisation que nous avons peu à peu créée, trouver les voies qui permettent à tous de vivre dignement au milieu d’une nature résiliente et prise en compte.
      L’autre terrible, un petit noyau d’humains qui s’est débarrassé du plus grand nombre en les considérant comme d’inutiles consommateurs d’oxygène et continuant à vivre à peu près selon les standards américains actuels au milieu d’une nature qui peut y pourvoir à peu près en raison d’une espèce humaine prédatrice mais réduite à la portion congrue.
      Rien ne dit d’ailleurs que cette seconde solution en raison de sa brutalité et de la violence qu’elle nécessitera ne conduira pas à l’extinctIon d’homo sapiens.

      Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *