Le mot du jour d’hier était consacré au livre de Jérôme Fourquet sur l’« archipelisation française », c’est-à-dire la division de la France en divers ilots de population. Une grande partie de son ouvrage a été consacrée à l’évolution des prénoms qui sont donnés. Il s’agit aussi d’un marqueur de l’évolution des segmentations.
Le point fondamental de l’étude de Jérôme Fourquet montre l’individualisation des choix. Le marqueur le plus simple et le plus évident est constitué par l’évolution du nombre de prénoms différents donnés aux enfants qui viennent de naitre au cour d’une année.
On est passé ainsi de 2 000 prénoms dans les années 60 à 13 000 aujourd’hui, une augmentation de 650 %.
Toutefois ce que beaucoup de médias ont retenu, en premier, de l’étude de Jérôme Fourquet, c’est qu’il y a désormais 18% de prénoms arabo-musulmans parmi les nouveau-nés.
La Une du Point, par exemple, considère que c’est le premier bouleversement.
Ce qui n’est objectivement pas le cas.
Le bouleversement, c’est que les familles d’origine chrétienne ne donnent plus à leur fille, prioritairement le prénom de Marie. Il y a des exceptions que je connais, mais aujourd’hui moins de 1% des filles reçoivent le nom de la mère de Jésus, 0,3% en 2015. En 1900, 20% des filles s’appelaient Marie. Le même phénomène peut être observé chez les garçons pour Jean.
C’est un signe fort de la déchristianisation qui est un développement important de l’ouvrage de Fourquet comme cela a été relaté dans le mot d’hier.
Mais plus largement, l’auteur constate que grosso modo la France a fonctionné de 1900 à 1960 avec un stock de 2 000 prénoms puis il y a eu explosion de l’inventivité, de la créativité des parents qui ont amené ce chiffre à 13 000.
Alors si on veut parler des prénoms « arabo-musulmans », il explique que si dans les années 1960, on est à moins de 1% de prénoms d’origine arabo-musulmane, on est à plus de 18 % sur les dernières années. Et lorsque que Jérôme Fourquet compare la vague migratoire actuelle avec d’autres vagues de l’Histoire de France comme celles des familles polonaises, il note une différence de pratiques :
« Les familles polonaises, pendant une génération, ont donné des prénoms polonais à leurs enfants, puis ce phénomène s’est éteint et ces familles se sont fondues dans le catalogue « commun » des prénoms. ».
Par ailleurs, il constate que ces prénoms sont particulièrement donnés par des personnes qui se rattachent à l’immigration.
Il y a eu une mode, en France, dans les années 90 de donner des prénoms anglais à des enfants de familles françaises depuis plusieurs générations, il semble qu’il n’existe pas une telle mode pour les prénoms arabo-musulmans.
Jérôme Fourquet écrit :
« On peut faire l’hypothèse, au regard des prénoms qui sont donnés, on a un processus moins rapide et beaucoup plus difficile que pour beaucoup d’autres vagues migratoires. Et en même temps on constate que toute une partie de cette immigration a pris l’ascenseur social et est aujourd’hui totalement intégrée. »
Lors d’une des émissions que j’ai écoutée, il a souligné que ces prénoms sont donnés alors même que les familles savent que ces prénoms conduisent à ce que leurs enfants soient soumis à des discriminations dans la société française.
Et il compare cette attitude avec celle des enfants issus de l’immigration asiatique qui donne très fréquemment un prénom « occidental » public à leurs enfants, alors que dans le lieu privé de la famille ils utilisent un prénom conforme aux traditions de leurs ancêtres. Tel ne semble pas être la pratique des familles musulmanes issues de l’immigration.
Mais je me souviens de ce qu’a raconté le grand violoniste « Yehudi Menuhin », sa mère l’avait prénommé « Yehudi » pour qu’il n’y ait pas d’ambigüité sur ses origines juives, alors même qu’elle connaissait les ravages de l’antisémitisme.
Mais chez Guillaume Erner, Jérôme Fourquet avait dit :
« Ces prénoms (issus des immigrations turques, subsahariennes ou maghrébines) ne présagent en rien du degré d’intégration ou de patriotisme des personnes qui les portent ou les donnent. Rappelons que le policier qui est mort devant Charlie Hebdo s’appelle Ahmed Merabet, tout comme les trois premières victimes de Mohamed Merah étaient des parachutistes français issus de l’immigration. »
Il a dit aussi :
« Le choix d’un prénom doit permettre d’affirmer sa ressemblance avec ceux auxquels on s’identifie ou dont on souhaite se rapprocher et en même temps de marquer ses distances avec ceux dont on souhaite se distinguer. C’est un choix éminemment personnel, [avec des facteurs qui sont aussi] du registre de la transmission (ancêtres, prénoms régionaux…). »
Il n’en reste pas moins que le phénomène principal est celui de l’individualisme, de la volonté des parents de chercher à donner un prénom original, certains le voudraient unique. Parfois, ils arrivent à donner un prénom rare donné 2 ou 3 fois dans une année.
<Cet article de la Dépêche> évoque aussi l’évolution des prénoms et notamment le phénomène des « prénoms rares » que la sociologie attribue aux prénoms donnés moins de 20 fois dans une année.
Il y aussi cet article de Wikipedia qui donne le prénom le plus donné depuis 1946 par région française. Il s’arrête en 2015.
On apprend ainsi que pour toute la France et les prénoms masculins :
- Les années 1946 à 1958 fut le règne exclusif de Jean
- Puis de 1959 à 1966 ce fut Philippe détrôné cependant en 1965 par Thierry
- De 2011 à 2014 ce fut Lucas et en 2015 Gabriel
Mais on constate que la prééminence d’un prénom reste le plus souvent plusieurs années de suite Christophe (1967 à 1973), Sébastien (1975 à 1979), Nicolas (1980 à 1982), Julien (1983 à 1988), Kevin (1989 à 1994) avec retour de Nicolas en 1995, puis Thomas, Lucas, Enzo et à nouveau Lucas.
Et pour les prénoms féminins :
- Parallèlement à Jean, ce fut Marie de 1946 à 1958
- Brigitte en 1959
- Catherine en 1960
- Sylvie de 1961 à 1964
- Nathalie de 1965 à 1971
- Sandrine de 1972 à 1973
- Stéphanie de 1974 à 1977
- Céline de 1978 à 1981
- Aurélie de 1982 à 1986
- Julie en 1987
Puis Élodie (1988 à 1990), Marine (1991), Laura (1992 à 1994), Manon (1995 à 1996), Léa (1997 à 2004), Emma (2005 à 2013), Louise (2014 à 2015).
J’avais déjà consacré un mot du jour au prénom : « Le prénom n’a rien d’anodin. Il touche à l’intime, et raconte infiniment plus que ce qu’on pourrait croire. ». C’était le 26 octobre 2018.
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