Vendredi 22 Avril 2016

Vendredi 22 Avril 2016
«Quelles que soient les alternatives, il doit y avoir une réciprocité absolue, une égalité absolue, la reconnaissance mutuelle de la dignité et de la vie, le respect des traditions de chacun et de son histoire.
Telles sont les conditions sine qua non de la paix. […] Cette offre ne peut venir que du plus puissant.»
Yehudi Menuhin, discours à la Knesset du 5 mai 1991
Les religions de paix, cela n’existe pas. Mais il peut exister des femmes et des hommes de paix, dont certains peuvent être religieux ou appartenir à une religion.
Yehudi Menuhin était un extraordinaire musicien, il fut un artiste précoce et il était un homme de paix.
Il était juif, son prénom Yehudi signifie juif. Sa mère a voulu l’appeler ainsi afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur ses origines juives.
Pendant la guerre, il a joué trois fois par jour pour les soldats alliés, dans le but de soutenir leur moral. Mais à la fin de la guerre, le plus grand chef allemand, Wilhem Furtwängler, un des plus grands de l’Histoire faisait l’objet d’une procédure de dénazification, parce qu’il n’avait pas quitté l’Allemagne et avait donc joué pour les nazis. Il ne fut pourtant, contrairement à Karajan, jamais membre du parti et il s’opposa plusieurs fois aux nazis en raison de leur antisémitisme. Ce fut alors Yehudi Menuhin, en tant que juif et allié qui vint à Berlin pour venir jouer avec Furtwängler le concerto de Beethoven. Il tendit ainsi la main et il en sortit la version la plus bouleversante de ce chef d’œuvre avec Furtwängler au festival de Lucerne.
<Vous trouverez ici cette histoire des accusations contre le Furtwängler et le rôle de Menuhin> qui dès 1945, après tout ce qu’avait fait l’Allemagne au peuple juif parlait déjà de la rédemption de ce pays et écrivit : « Si ce pays moribond parvenait à redevenir un membre honorable de la communauté des nations civilisées, ce serait grâce à des hommes, comme Furtwängler, qui ont prouvé qu’ils étaient capables de sauver au moins une partie de leur âme. […] »
Ce fut aussi un homme qui allait vers les autres cultures, il fit par exemple des concerts et des disques avec Ravi Shankar le grand maître de la musique indienne traditionnelle.
En Afrique du sud, en plein apartheid, alors que son contrat l’avait explicitement interdit, il va jouer devant un public de noir.
Et il y a 25 ans, en 1991, il obtint un prix qui eut pour conséquence qu’il devait prononcer un discours à la Knesset. Ce discours je l’ai entendu pour la première fois lors d’une émission d’ARTE consacrée à Menuhin. Et je n’ai pas encore trouvé la vidéo, mais je viens de trouver le verbatim de ce discours derrière ce lien : https://blogs.mediapart.fr/olivia-elias/blog/121115/discours-de-yehudi-menuhin-la-knesset-5-mai-1991
Et Yehudi Menuhin, se présentant comme juif au milieu du peuple juif, va tenir ce discours :
« Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, chers amis,
Je remercie la Fondation internationale Wolf pour le grand honneur qu’elle m’accorde dans la plus sainte des villes, Jérusalem – la ville où vécurent mes ancêtres. Je suis également reconnaissant d’avoir, par le rituel de ce prix, le privilège de m’adresser à la Knesset.
Outre les hautes qualifications que je partage avec mes camarades lauréats, je possède un titre très particulier, celui de mon noble ancêtre hassidique, le rabbin Schneer-Salman.
Enfant, mon rêve candide était, en jouant du violon, de pouvoir guérir les cœurs souffrants – accomplissant ainsi une mission juive…
J’aimerais rappeler les mots de Salomon, sans doute le plus avisé de tous les hommes, ces mots écrits afin que nous les observions éternellement : Mon fils, n’oublie pas mon enseignement ; que ton Cœur retienne mes recommandations. Car ils te vaudront de longs jours, des années de vie et de paix. Que la bonté et la vérité ne te quittent jamais : attache-les à ton cou, inscris-les sur les tablettes de ton Cœur; et tu trouveras faveur et bon vouloir aux yeux de Dieu et des hommes «Jamais ces mots n’ont été aussi opportuns qu’aujourd’hui, dans ce monde déchiré par les conflits et le malheur. La peine, l’angoisse et l’horreur nous entourent – le moment n’est-il pas venu pour nous, Juifs réunis ensemble en Israël, de reconnaître notre suprême destinée : celle de guérir et d’aider ?
La réciprocité est la loi pragmatique de toutes les sociétés. Ceux qui vivent par l’épée périront par l’épée, et la terreur et la peur. La haine et le mépris sont mortellement infectieux. Et dans le même esprit, vous devez aimer si vous désirez être aimé, vous devez faire confiance pour que l’on vous fasse confiance, et servir pour que l’on vous serve.
Mes amis, Israël a atteint l’âge de la maturité. Le moment est venu. Relevez ce défi. Ne calculez pas vos actions dans les ténèbres de la peur; mais plutôt dans la lumière éclatante des paroles du Roi Salomon, sinon vous continuerez à vous laisser gouverner par cette peur et cette violence, vous resterez un camp retranché tant que vous survivrez.
Quelles que soient les alternatives, il doit y avoir une réciprocité absolue, une égalité absolue, la reconnaissance mutuelle de la dignité de la vie, le respect des traditions de chacun et de son histoire. Telles sont les conditions sine qua non de la paix. Et non une paix qui serait un hiatus afin de préparer d’autres guerres, mais la paix dans sa signification intégrale, la paix qui doit rester et qui restera une lutte constante et noble.
Cette offre ne peut venir que du plus puissant. Ce pays ne deviendra fort et confiant en l’établissement d’amitiés nouvelles et honorables que lorsqu’il acceptera le fait inéluctable qu’en son sein vivent des gens tout aussi attachés à la terre, prêts à mourir eux aussi pour leurs idéaux et destinés en fin de compte à devenir amis.
Un fait est absolument évident: cette façon improductive de gouverner par la peur, par le mépris des dignités essentielles de la vie, cette constante asphyxie d’un peuple dépendant devrait être la dernière chose acceptée par ceux-là même qui savent trop bien l’horrible signification, la souffrance inoubliable d’une telle existence.
Il est indigne de mon noble peuple, le peuple juif qui s’est efforcé de rester fidèle à un code de droiture morale durant quelque cinq mille ans, qui est capable de créer et d’établir un pays et une société tels que nous le voyons autour de nous, de pouvoir encore refuser le partage de ses grandes qualités et de ses bénéfices à ceux qui séjournent parmi eux.
Je crois que les Israéliens savent déjà au plus profond de leur cœur qu’avec ce geste fraternel de réciprocité, pourrait venir le moment de déclarer : “Car voilà l’hiver passé, c’en est fini des pluies, elles ont disparu. Sur notre terre, les fleurs se montrent. La saison vient des gais refrains. Le roucoulement de la tourterelle se fait entendre sur notre terre.”
Puisse cette voix être celle des peuples eux-mêmes. Comme le disait le grand Psalmiste David : “Agrée les paroles de ma bouche et le murmure de mon cœur sans trêve devant toi, ô mon Dieu, mon rocher, mon rédempteur.”
Et du plus profond de mon cœur aimant, je souhaite qu’il en soit ainsi pour vous tous. »
Yehudi Menuhin est né le 22 avril 1916, il y a exactement 100 ans.
Et demain le 23 avril, commence la fête juive de Pâque.
Wilhem Furtwängler et Yehudi Menuhin