Je n’en finirai pas d’écrire ta chanson
Ma France »
Après des élections régionales qui ont montré, une fois de plus, la défiance du peuple des citoyens à l’égard des gouvernants politiques, ceux d’aujourd’hui et d’hier, une rencontre opportune entre deux hommes s’est déroulée dans le nord à Neuville-Saint-Vaast
Le premier est un Président de la république, dont la carrière s’est située à gauche et qui aspirait à une présidence normale mais qui n’arrive à émerger de la médiocrité que lorsque des évènements «anormaux» surgissent ;
Le second est un homme de droite mais qui n’a pu être élu que parce que des électeurs de gauche ont voté pour lui.
Je ne m’arrêterai pas sur cette rencontre pour répondre à des questions du type : s’agit-il d’une amorce d’une autre manière d’organiser l’échiquier politique ?
Ou encore est-ce une manœuvre politicienne ?
Je m’arrêterai à ce qui était peut-être secondaire dans l’esprit de ces deux hommes, mais qui révèle une aspiration humaniste d’une tout autre profondeur. C’est mon ami et complice Albert qui m’a fait, à l’occasion de cette commémoration, cette injonction :
«Alain, il faut faire un mot du jour sur les fraternisations de Noël 1914 »
Le sujet du mot du jour était donc décidé. Mais comment trouver l’exergue(*) introductive ?
Il y avait bien cette citation attribuée à Paul Valéry :
« La guerre, c’est le massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent et ne se massacrent pas ».
Mais elle avait déjà servi de mot du jour le 28/07/2014.
J’ai trouvé ce propos attribué à Confucius :
«Nous sommes frères par la nature, mais étrangers par l’éducation. » Livre des sentences – VIe s. av. J.-C.
Mais je me suis finalement arrêté sur une phrase d’Albert Cohen, l’auteur de « Belle de Seigneur» :
«Frères humains et futurs cadavres, ayez pitié les uns des autres. »
Le propos de ce livre ne concerne pas la 1ère guerre mondiale, mais la haine entre les gens, ce qui devait aussi être le ferment de la guerre 14-18. Le livre d’Albert Cohen est autobiographique. L’année 1905, il a 10 ans, et l’épisode se passe en France. Il est l’enfant d’une famille juive et il est insouciant comme un enfant de 10 ans.
En revenant du lycée il est attiré par un camelot qui vante la marchandise qu’il vend, un détachant pour habit, et il a beaucoup de succès. Le petit Albert a quelques sous et il veut acheter ce produit pour l’offrir à sa maman. Il s’approche alors du camelot qui l’aperçoit et qui change d’attitude et pointe l’index sur lui en disant : « Toi tu es un youpin, hein ? […] je vois ça à ta gueule, tu ne manges pas du cochon hein ? Vu que les cochons se mangent pas entre eux » et il continue à déverser, sur ce jeune enfant, des torrents de haine.
L’enfant fuit, la foule rit et le livre va narrer l’errance de cet enfant et toutes les pensées qui se bousculent dans la tête de l’innocent qui s’est heurté à la haine incommensurable.
Et puis au bout de l’errance, il y a le dernier chapitre qui commence par ces mots :
«Frères humains et futurs cadavres, ayez pitié les uns des autres. »
La guerre 14-18 est aussi celle de la haine, de la haine qu’on a essayé d’inculquer dans l’esprit des jeunes français à l’égard des allemands qu’ils appelaient systématiquement « les sales boches » et la haine qu’on inculquait dans le cœur et l’esprit des jeunes allemands à l’égard des français.
A Noël 1914, la guerre que chacun des camps avait pensé courte, durait déjà 5 mois, <Déjà plus de 300 000 morts français> et probablement autant du côté allemand.
Ils se massacrent et ne se connaissent pas et puis… il y a Noël.
Des deux côtés on est chrétien et on connaît les mêmes airs, les mêmes chants de Noël même si la langue est différente.
Et ils sortent des tranchées et se rencontrent et s’échangent de petits cadeaux.
Christian Carrion en a fait un film : « Joyeux Noël » en 2005 et ce fut une surprise, car nos manuels d’Histoire nous avait caché ces moments de fraternité, on nous avait parlé de la haine, de l’enthousiasme des soldats pour partir à la guerre contre l’ennemi.
On nous avait parlé aussi des souffrances de la guerre et de la terrible vie dans les tranchées.
Mais qu’il y eut des moments et des lieux de la guerre où les soldats ont laissé tomber les armes pour se parler et se comporter en frères humains, de cela on ne nous avait pas parlé.
Christian Carrion raconte dans un article du Monde :
« En 1992, j’ai découvert les fraternisations de Noël 1914, dans le livre d’Yves Buffetaut, Batailles de Flandres et d’Artois (Tallandier, 1992). J’apprends que des soldats français ont applaudi un ténor bavarois le soir de Noël, que d’autres ont joué au football avec les Allemands le lendemain, qu’il y a eu des enterrements en commun dans le no man’s land, des messes en latin. »
Les «ennemis », en effet, organisèrent même un match de football de Noël 1914 à Comines-Warneton.
Bien sûr, l’état-major, des deux côtés, n’a pas du tout apprécié ces épisodes de fraternisation, la haine est indispensable si on veut que des jeunes gens s’entretuent. On envoya ces cœurs attendris vers d’autres fronts où la destinée de futurs cadavres leur était promise rapidement.
Après la fin de la guerre, ces évènements furent enfouis sous le secret. Ce n’est plus le cas depuis le film Ici vous verrez un court extrait du film «Joyeux Noël» de Christian Carrion et notamment le moment de la fraternisation
On trouve aussi des sites consacrés aux témoignages des soldats qui parlent de ces évènements.
Ici vous pourrez entendre une émission de <2000 ans d’Histoire> qui évoque ces moments où l’humanité l’a emporté, pendant un court moment, sur la sauvagerie
Des gens du Nord soutenus par les participants au film « Joyeux Noël » ont créé un site et une association pour financer le monument qui vient d’être inauguré. Christian Carrion raconte que dans les nombreux témoignages qu’il a lu pour faire son film, un témoignage l’a particulièrement ému.
C’est celui du soldat français Louis Barthas qui a vécu ces évènements, les a raconté dans une lettre qu’il a fini par cette phrase :
«Qui sait ! Peut-être un jour dans ce coin d’Artois, on élèvera un monument pour commémorer cet élan de fraternité entre des hommes qui avaient horreur de la guerre et qu’on obligeait à s’entretuer malgré leur volonté ».
Et pour finir, je ne vous montrerai pas la poignée de main des deux hommes politiques, fugacement évoqué en début de message, mais la photo historique où sur le lieu de la bataille la plus meurtrière de 14-18, le Chancelier de l’Allemagne et le Président de la France se sont donnés fraternellement la main en 1984
(*) exergue du latin exergum (« espace hors d’œuvre ») = Citation placée hors-texte
<621>
Si vous voulez aller voir leur site, c’est ici et c’est cool : https://www.airbnb.fr/
L’actualité se bouscule ces derniers temps à un tel point qu’il reste peu d’espace pour s’arrêter et se pencher sur des moments hors du temps.
Il y a quelques semaines Helmut Schmidt est mort à 96 ans.
Il était né en 1918 et il est décédé le 10 novembre 2015.
Il fut un grand chancelier d’Allemagne et participa énormément à la construction européenne, grâce à une remarquable entente avec Giscard d’Estaing.
Dans plusieurs des mots du jour, de manière explicite ou implicite, j’oppose l’homme d’État qui pense aux générations futures et l’homme politique qui pense aux élections futures.
Ici nous avons un homme d’Etat qui possède la compréhension de l’Histoire et qui réfléchit à l’action dans ce cadre.
Il a prononcé fin 2011, au congrès du SPD, à 93 ans, en chaise roulante, un discours exceptionnel que celles et ceux qui comprennent l’allemand trouveront <ICI>.
Pour ma part je l’ai découvert presque immédiatement après qu’il eut été prononcé et je souhaitais en faire un mot du jour. Mais il fallait traduire ce discours qui dure plus d’une heure, traduction que je n’ai pas trouvée alors.
Il était au-dessus de mes forces et disponibilités actuelles de la réaliser moi-même.
Mais après son décès, des traductions sont apparues, vous trouverez en <ICI le discours d’Helmut Schmidt traduit> l’une d’entre elles.
Je vous conseille de lire ce discours dans son intégralité et dans la force de l’argumentation intégrale sans passer par les quelques extraits que je vous propose ci-après pour convaincre celles et ceux qui ne le seraient pas spontanément de l’intérêt de lire un tel acte d’intelligence où il décrit la position de l’Allemagne au centre de l’Europe, des conséquences de cette géographie, de la responsabilité allemande et du manque de clairvoyance des politiciens actuels sur les déséquilibres qui avantagent à court terme l’Allemagne mais ne saurait être de bon augure pour l’avenir.
« […] Vue d’Europe centrale, l’histoire de l’Europe peut s’interpréter comme une succession quasiment interminable de conflits entre la périphérie et le centre et entre le centre et la périphérie.
Le centre de l’Europe ayant toujours été le champ de bataille prépondérant. Lorsque les dirigeants ou les peuples du centre de l’Europe s’affaiblissaient, leurs voisins de la périphérie se jetaient sur le centre affaibli. La guerre de 30 ans, entre 1618 et 1648, qui s’est déroulée essentiellement sur le sol allemand, s’est soldée par un bilan sans équivalent, tant en termes de destruction matérielle qu’en nombre de pertes humaines. A l’époque, l’Allemagne n’était qu’un terme géographique, les pays germanophones étaient mal délimités. Arrivèrent ensuite les Français, d’abord sous Louis XIV et une seconde fois sous Napoléon. Les Suédois ne sont pas revenus une seconde fois ; mais les Anglais sont venus à plusieurs reprises, tout comme les russes, la dernière fois en date ayant été sous Staline.
Mais lorsque les dynasties ou les États du centre de l’Europe étaient forts, ou lorsqu’ils pensaient l’être, ils se jetaient à leur tour sur la périphérie. Ce fut déjà le cas pour les croisades, qui étaient des campagnes de conquêtes, pas uniquement en direction de l’Asie Mineure et de Jérusalem, mais aussi en direction de la Prusse orientale et des trois pays baltes actuels. A l’époque des temps modernes, cela fut le cas lors de la guerre contre Napoléon et des trois guerres qui ont éclaté sous Bismarck, en 1864, 1866, 1870/71.
Il en fut de même lors de la seconde guerre de trente ans, de 1914 à 1945, mais aussi tout particulièrement lorsqu’Hitler entreprit des avancées jusqu’au Cap Nord, dans le Caucase, en Crète, jusqu’au sud de la France et même jusqu’à Tobrouk, ville située à proximité de la frontière entre la Lybie et l’Égypte. La catastrophe européenne provoquée par l’Allemagne englobe le massacre des juifs européens et la destruction de l’état national allemand.
Auparavant, les Polonais, les États baltes, les Tchèques, les Slovaques, les Autrichiens, les Hongrois, les Slovènes et les Croates, partageaient le destin des Allemands, souffrant depuis des siècles de leur position géopolitique centrale sur ce petit continent européen. Ou, pourrait-on dire : Nous, les Allemands, avons maintes fois fait souffrir d’autres peuples de par notre position de puissance centrale. […]
Il me semble primordial, pour nous Allemands, que quasiment tous les voisins de l’Allemagne, ainsi que tous les Juifs du monde, se souviennent de l’Holocauste et des infamies commises à l’époque de l’occupation allemande dans les pays de la périphérie. Nous, Allemands, ne sommes pas assez conscients du fait qu’il règne, chez presque tous nos voisins, et sans doute pour plusieurs générations encore, un sentiment latent de méfiance à l’égard des Allemands. Les générations nées après la guerre doivent elles aussi vivre avec ce fardeau historique. Et les générations actuelles ne doivent pas oublier que c’est cette méfiance à l’égard du futur développement de l’Allemagne qui a mené, en 1950, aux débuts de l’intégration européenne.
En 1946, le discours de Churchill prononcé à Zurich et invitant les Français à se réconcilier avec les Allemands et à constituer ensemble les États-Unis d’Europe, était motivé par deux raisons : premièrement, une défense commune contre l’Union soviétique jugée menaçante et, deuxièmement, l’intégration de l’Allemagne dans un réseau occidental plus vaste. Car Churchill prévoyait le renforcement de l’Allemagne. […]
Je me permets d’ouvrir ici une petite parenthèse personnelle. J’ai écouté le discours de Jean Monnet à l’occasion de son comité « Pour les États-Unis d’Europe ». C’était en 1955. Je considère Jean Monnet comme l’un des Français les plus visionnaires qu’il m’ait été donné de rencontrer, en particulier en termes d’intégration, par son concept d’une approche progressive de l’intégration européenne. Depuis ce jour, je suis devenu et je suis resté partisan de l’intégration européenne, par conscience de l’intérêt stratégique de l’Allemagne et non par idéalisme, un partisan de l’intégration de l’Allemagne. […]
Si, aujourd’hui, en 2011, l’on observe l’Allemagne depuis l’extérieur, avec les yeux de nos voisins proches et plus éloignés, on constate que l’Allemagne suscite, depuis une dizaine d’années, un certain malaise, et depuis peu, une inquiétude politique. Au cours des dernières années, des doutes importants sont apparus s’agissant de la continuité de la politique allemande. La confiance en la fiabilité de la politique allemande a été atteinte.
Ces doutes et ces inquiétudes sont également à mettre sur le compte des erreurs de politique étrangères de nos politiciens et gouvernements allemands. Ils reposent, d’autre part, sur la surprenante force économique de l’Allemagne réunifiée. A compter des années 1970, l’économie du pays, qui était encore divisée, s’est développée pour devenir l’une des plus fortes d’Europe. C’est l’une des économies les plus solides au monde sur le plan technologique, financier et social. Notre puissance économique et notre paix sociale toute aussi stable ont toutefois suscité des jalousies, d’autant plus que notre taux de chômage et notre taux d’endettement se situent dans la fourchette normale au niveau international.
Mais nous ne sommes pas suffisamment conscients du fait que notre économie, intégrée dans le Marché commun et mondialisée, est dépendante de la conjoncture mondiale. Il faut donc s’attendre à ce que les exportations allemandes n’augmentent pas particulièrement au cours de l’année à venir.
Cela a simultanément engendré une tendance désastreuse : des excédents à la fois énormes et durables de notre balance commerciale et de notre balance des opérations courantes. Depuis des années, ces excédents représentent 5% de notre produit national brut. Ils sont aussi importants que les excédents de la Chine. Nous avons tendance à l’oublier, car les excédents s’expriment non plus en DM mais en Euros. Il est toutefois temps que nos politiciens prennent conscience de la situation.
Car tous nos excédents sont en réalité les déficits des autres. Nos créances sont leurs dettes. Il s’agit d’une fâcheuse atteinte à l’idéal légitime que, jadis, nous prônions : « l’équilibre des échanges extérieurs ». Cette atteinte ne peut qu’inquiéter nos partenaires. Et lorsque s’élèvent des voix étrangères, souvent américaines mais aussi d’autres pays, pour demander à l’Allemagne de jouer un rôle moteur en Europe, de nouvelles craintes s’éveillent chez nos voisins. Et ce n’est pas sans rappeler de mauvais souvenirs. […]
Lorsque je repense à l’année 1945 ou à l’année 1933, je venais d’avoir 14 ans, les progrès réalisés jusqu’à présent me semblent presqu’incroyables. Les progrès accomplis par les Européens depuis le Plan Marshall en 1948, le Plan Schumann en 1950, grâce à Lech Walesa et Solidarnosc, grâce à Vaclav Havel et à la Charte 77, grâce à chaque Allemand à Leipzig et à Berlin Est depuis le Grand Tournant en 1989/91. Nous n’aurions pas pu nous imaginer en 1918, en 1933, ni même en 1945, que la majeure partie de l’Europe jouirait des droits de l’homme et de la paix. Travaillons et luttons pour que cette Union européenne historique puisse sortir de cette période de faiblesse actuelle, plus stable et plus confiante en ses propres capacités ! »
Un homme d’État, je vous dis. Mais il faut lire son discours dans son intégralité pour suivre le cheminement de sa pensée.
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