Mardi 15 décembre 2015
«Pendant ce temps-là, nous nous sommes vieux, divisés, et […] nous ne travaillons plus, nous n’avons plus d’idées.
La droite est une langue morte ce soir, nous n’avons plus d’ossature idéologique.»
La droite est une langue morte ce soir, nous n’avons plus d’ossature idéologique.»
Jean-Baptiste Blanc, élu Les Républicains (LR) dans le Vaucluse
Mediapart organise le soir des élections une soirée électorale en vidéo, filmée avec des moyens plus légers que la télévision et avec des échanges et des analyses souvent d’un grand intérêt.
Le 13 décembre ils avaient invité Jean-Baptiste Blanc, vice-président Les Républicains (LR) au conseil départemental du Vaucluse, un des départements de PACA. Je ne le connaissais pas mais sa description et son analyse de la capacité du Front National de séduire l’électorat et de plus en plus de militants politiques de droite me parait du plus grand intérêt.
Vous trouverez cet échange ici : https://www.youtube.com/watch?v=SyMsWS0kp_M
Vous trouverez en pièce jointe les principaux points de son intervention
Il dit notamment :
« Il y a urgence absolue, ce n’est pas la victoire ce soir qui va changer la donne. Je m’en réjouis bien sûr, que ce front républicain, même si c’est un mot tabou, ait fonctionné. […] pour moi le problème est intact : dans mon département ce soir, Marion Le Pen est encore en tête, dans ma ville elle gagne 850 voix entre les deux tours, dans les villages aux alentours elle est à 60. Donc le mal est profond, il est viscéral, et il est déjà très tard. Donc pour moi c’est une victoire pas en demi-teinte, mais au goût amer.
Cette critique vaut pour la gauche aussi. Nous sommes des vieux partis, nous sommes vieillissants, divisés, nous ne nous sommes pas renouvelés, alors qu’en face oui, ils sont en train de faire du RPR années 1990. Il n’y a qu’à voir la page Facebook de Marion Le Pen : 300 000 personnes la suivent et au soir du premier tour 110 000 personnes ont liké, évidemment que des jeunes. Donc les jeunes, les classes populaires, et chez nous les vieux partis divisés. C’est quoi, à l’échelle de PACA ? Des maires, très implantés, très anciens, à Marseille, à Aix. Dans mon département, c’était Marie-Josée Roig [ancienne maire d’Avignon – ndlr], Thierry Mariani [ancien député du Vaucluse – ndlr], et depuis plus grand-chose, si ce n’est quelques élus, dont je fais modestement partie, qui essayent de survivre, et survivre à quelles conditions ? Cela se joue là.
Alors qui vote pour nous ? Un électorat vieillissant aussi, et c’est bien cela le problème. On fait 16 %, la gauche 17 % dans mon département, le Vaucluse, qui est un département très à part. On en a l’image du festival d’Avignon, du Lubéron, du Ventoux, une image très heureuse, très belle, ce qui est le cas, qui cache la réalité : le 7e département le plus pauvre de France, 20 000 Vauclusiens au RSA, le plus faible taux de diplômés en France, etc. Pourquoi ? Parce qu’on a eu une agriculture très riche, et pas d’après. L’histoire d’après, nous ne l’avons pas écrite. Parce que nous n’avons pas eu de chef, nous ne nous sommes pas renouvelés, nous sommes donc vieux, fatigués. Je me souviens de l’ancienne assemblée départementale (2008-2014) : sur 24 élus, on était deux à avoir moins de 50 ans, il y avait trois femmes dont deux d’extrême droite – on ne peut pas dire que ça représente les femmes –, zéro issu de l’immigration – au moins le problème est réglé –, et on devait être deux à avoir une activité professionnelle. Qu’est-ce que cette assemblée départementale-là pouvait avoir comme sens des réalités? En quoi était-elle représentative ? En rien. […] C’est un peu le Rotary Club
[La droitisation], ce n’est pas la bonne stratégie, la preuve avec les scores que nous faisons. En même temps, nous sommes obligés de nous livrer à cet exercice parce que nos propres militants, ou le peu qu’il en reste, nous ne pouvons les garder que si nous tenons ce discours dur-là. Je me souviens aux élections départementales avoir passé mon temps – ce n’est pas très heureux de ma part –, à parler de répression de la fraude en ce qui concerne le RSA, là dernièrement à parler de suspension des mesures d’accueil des réfugiés syriens dans les HLM du Vaucluse. Si nous ne faisons pas ça, nous n’avons définitivement plus aucun militant.
[…]
« La nouveauté depuis les élections départementales de mars, c’est la porosité et une parole publique qui s’est libérée. Je la niais auparavant, je la constate maintenant fortement : il y a des bataillons de militants et de jeunes trentenaires et quadras qui filent au Front national parce que c’est très attractif. […] Comme ils arrivent à séduire, les vannes sont ouvertes. […] Ils ont des mandats, donc ils ont des tribunes, et ils les utilisent. Il y a, au département, des élus Front national extrêmement présents, qui vont dans tous les dossiers, qui captent la parole en séance publique et qui vont sur le terrain partout : office départemental HLM, les collègues, etc., à chaque fois avec un discours extrêmement travaillé. Très facile, là, d’attraper une nouvelle clientèle : des professeurs par-ci, par-là, des quadras apparatchiks ex-Républicains qui n’ont pas trouvé de places dans un cabinet ou un conseil municipal, un peu frustrés, et qui voient là la possibilité de rebondir. Et comme pendant ce temps-là, nous nous sommes vieux, divisés, et que nous ne travaillons plus, nous n’avons plus d’idées. La droite est une langue morte ce soir, nous n’avons plus d’ossature idéologique. […] Ils sont très attractifs et nous, nous ne représentons plus grand-chose. »
Je pense que si un élu de gauche parlait avec la même liberté que Jean-Baptiste Blanc, il ne pourrait que dire des choses analogues : nous sommes vieux, ne travaillons plus [les élus sont dans la réaction aux évènements et dans la stratégie électorale], n’avons plus d’idées…