Lundi 15 juillet 2019

« Le mot du jour est en congé  »
Il reviendra au mois de septembre après le 15 septembre à une date restant à fixer

Il faut savoir faire silence, se reposer, se régénérer pour revenir pour de nouveaux partages, réflexions et questionnements.

En attendant, je vous renvoie vers un mot du jour ancien consacré à un livre économique que je viens de retravailler, celui du 19 juin 2015 :


«Croissance zéro ?»»
Patrick Artus & Marie-Paule Virard

 

Vendredi 12 juillet 2019

« Celui qui sauve un seul homme est considéré comme ayant sauvé tous les hommes »
Coran, Sourate V verset 32, dans la traduction de Malek Chebel

C’est le Président Barack Obama, lors de son fameux <Discours du Caire> tenu le 4 juin 2009 à l’Université du Caire qui a rappelé ce verset du Coran :

« Le Saint Coran nous enseigne que quiconque tue un innocent tue l’humanité tout entière,
Quiconque sauve la vie d’un seul être humain est considéré comme ayant sauvé la vie de l’humanité tout entière !»

Et j’ai lu dans diverses sources que dans le Talmud il en va de même : « Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière ». (Traité Sanhedrin, chapitre 5, Mishna 5).

Je n’ai pas trouvé l’équivalent dans la littérature chrétienne, mais cela m’a peut-être échappé.

Carola Rackete

Le magazine allemand « Der Spiegel » a mis son portrait à la Une de son journal le 6 juillet et lui a donné pour surnom : « Captain Europe »

Elle était la capitaine du navire « Sea Watch 3 » qui a forcé le barrage et l’ordre de Matteo Salvini, pour accoster à Lampedusa, le 29 juin 2019,  et faire débarquer les migrants en détresse sur la terre ferme, dans un port, comme le prévoit les règles internationales de la navigation.

Libération dans un article du <30 juin 2019> raconte :

« L’Allemande qui a accosté de force samedi à Lampedusa avec une quarantaine de migrants a été arrêtée par les autorités italiennes. »


Elle a été libérée depuis par une décision de la Justice italienne.

« Quelques jours avant d’accoster à Lampedusa, elle avait dit au Spiegel : «Si nous ne sommes pas acquittés par un tribunal, nous le serons dans les livres d’histoire.» […] Les autorités italiennes lui reprochent notamment d’avoir tenté une manœuvre dangereuse contre la vedette des douanes qui voulait l’empêcher d’accoster. Elle risque jusqu’à dix ans de prison pour «résistance ou violence envers un navire de guerre».

«Ce n’était pas un acte de violence, seulement de désobéissance, a expliqué Carola Rackete dimanche au Corriere della Sera. Mon objectif était seulement d’amener à terre des personnes épuisées et désespérées. J’avais peur.» «Après dix-sept jours en mer et soixante heures en face du port, tout le monde était épuisé, explique à Libération Chris Grodotzki de Sea Watch. L’équipage se relayait vingt-quatre heures sur vingt-quatre afin de surveiller les passagers pour les empêcher de se suicider.» »

Ce qui est marquant ici, c’est l’affrontement de deux groupes irréconciliables :

Carola Rackete a débarqué sur l’île italienne sous un mélange d’applaudissements et d’éructations haineuses : «Les menottes !» «Honte !» «J’espère que tu vas te faire violer par ces nègres». Dans un tweet, le ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, s’est réjoui de l’arrestation. «Prison pour ceux qui ont risqué de tuer des militaires italiens, mise sous séquestre du navire pirate, maxi-amende aux ONG, éloignement de tous les immigrés à bord, désolé pour les « complices » de gauche. Justice est faite, on ne fera pas marche arrière !»

Si l’extrême droite italienne la qualifie de «criminelle», Carola Rackete suscite l’admiration en Allemagne. Celle que le Tagespiegel surnomme «l’Antigone de Kiel» est née tout près de ce port en bordure de la mer Baltique il y a trente et un ans.

«J’ai la peau blanche, j’ai grandi dans un pays riche, j’ai le bon passeport, j’ai pu faire trois universités différentes et j’ai fini mes études à 23 ans. Je vois comme une obligation morale d’aider les gens qui n’ont pas bénéficié des mêmes conditions que moi», avait-elle expliqué à la Repubblica. Avant de rejoindre Sea Watch il y a quatre ans, elle a participé à des expéditions pour l’Institut Alfred-Wegener pour la recherche polaire et marine, et pour Greenpeace. […]

Les politiques allemands ont donc fini par réagir. Samedi, le ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas (SPD), déclarait : «Sauver des vies est un devoir humanitaire. Le sauvetage en mer ne devrait pas être criminalisé. La justice italienne doit désormais clarifier rapidement ces accusations.» «Une phrase typique de diplomate allemand timoré, commente Chris Grodotzki de Sea Watch. Nous avons demandé un millier de fois à Heiko Maas de prendre position sur le sauvetage en mer, sans succès jusqu’ici.» Dimanche, le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, affirmait dans une interview télévisée : «Celui qui sauve des vies ne peut pas être un criminel.»

Les 42 migrants du Sea Watch 3 ont donc fini par débarquer à Lampedusa. Ils devraient être répartis entre cinq pays : la France, l’Allemagne, le Portugal, le Luxembourg et la Finlande. Ceux-là ne seront pas morts en Méditerranée, où 17 900 personnes ont péri entre 2014 et 2018 selon un récent rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), et où demeurent toujours engloutis les restes de 12 000 personnes. »

« Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière »

Pia Klemp

Pia Klemp est aussi une jeune allemande qui était la capitaine d’un navire qui a sauvé des migrants.

Elle est toujours en prison, elle risque 20 ans de prison après avoir sauvé des migrants de la noyade.

C’est Frédéric Pommier qui en a parlé lors <d’une chronique> diffusé sur France Inter le 14 juin 2019

Elle est accusée du délit suivant : « aide et complicité à l’immigration illégale ». Une pétition a été lancée pour la soutenir

Frédéric Pommier explique ;

« C’est une femme dont la peau blonde est parsemée de tatouages d’inspiration japonaise : des montagnes sur une épaule, un goéland sur l’autre, des fleurs, des poissons… Un long maquereau nage sur l’un de ses tibias… Son corps est un tableau, comme un carnet de voyage… Mais ce n’est pas pour ces gravures colorées que les médias nous ont parlé d’elle ces derniers jours. Pas non plus pour sa formation de biologiste, mais pour ses fonctions de capitaine, car Pia Klemp – c’est son nom – est capitaine de bateau.

C’est au sein de l’organisation Sea Shepherd qu’elle a tout d’abord travaillé.Une ONG de défense des océans, dont la maxime est une citation de Victor Hugo.

« Il vient une heure où protester ne suffit plus ; après la philosophie, il faut l’action. »

Phrase tirée des Misérables. Un appel à la lutte et, dans le cas présent, la lutte pour la préservation des écosystèmes marins. Premier engagement de cette trentenaire née à Bonn en 1983.

C’est pour ça que j’ai appris à diriger un navire, pour ça que j’ai appris à diriger un équipage. La petite sortie du dimanche à la voile, ce n’est pas pour moi.

Sympathisante de la gauche radicale allemande, Pia Klemp a mené des expéditions dans les eaux de l’archipel nippon où, avec d’autres, elle est allée batailler contre les pêcheurs de baleines. Des centaines de cétacés harponnés chaque année… Massacre qui, là-bas, va d’ailleurs redevenir légal en juillet… Puis, après les rorquals, la jeune activiste a décidé de porter assistance aux hommes, espèce qui, elle aussi, parfois, mérite d’être protégée.

On est en 2016, et Pia Klemp se met au service d’autres ONG. Cette fois en Méditerranée, devenue, depuis le début de la guerre en Syrie, le plus grand cimetière d’Europe.

Aux commandes de deux bateaux humanitaires, elle participe au sauvetage de plus d’un millier de naufragés, en perdition sur des canots pneumatiques

Elle a sauvé des vies, des femmes, des ados, des enfants mais, suite à cela, elle est sous la menace d’un procès en Italie. […]

Calcul simple : 1 000 vies sauvées, amende de 15 millions d’euros . […]

Pour sa défense, elle invoque le droit maritime international, qui impose de porter secours à toute personne en détresse. C’est aussi ce qu’évoquent ceux qui la soutiennent. Une pétition en ligne a été lancée pour exiger l’abandon des charges qui pèsent sur elle… Elle a déjà recueilli plus de 100.000 signatures, et une photo accompagne le texte, celle d’un petit corps gisant sur une plage de Turquie ; le cliché tristement célèbre du petit Alan Kurdi, mort noyé à l’âge de trois ans, alors qu’il fuyait avec sa famille la guerre en Syrie.

C’était en 2015, et il était devenu le symbole de ces désespérés qui, au péril de leur vie, tentent de rejoindre une Europe qui ne sait les accueillir. Pia Klemp, elle, est devenue un autre symbole.

Elle est le nouveau visage de ceux que l’on accuse de délit de solidarité

Sur les réseaux sociaux, certains écrivent qu’elle aurait dû reconduire les naufragés de l’autre côté de la mer et que oui, elle mérite la taule !

Non. Elle mérite notre respect.

Cette femme aux tatouages d’inspiration japonaise fait honneur à l’humanité. »

« Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière »

Klaus Vogel

Klaus Vogel est aussi allemand, un peu moins jeune que ses deux compatriotes. En octobre 2014, l’Italie met fin à l’opération humanitaire Mare Nostrum, chargée de porter secours aux migrants en Méditerranée. Klaus Vogel est alors capitaine dans la marine marchande. Il démissionne et crée avec Sophie Beau, en mai 2015, l’association <SOS Méditerranée> qui a pour ‘objectif d’affréter un bateau pour ne pas laisser des hommes et des femmes mourir aux portes de l’Europe. Ce bateau est l’Aquarius. Il écrira un livre qui raconte cette aventure : «Tous sont vivants»

C’est encore Frédéric Pommier qui en parle si justement et si simplement. <La revue de presse est de 2017>

« Il s’appelle Klaus Vogel, il a 60 ans, il est Allemand et pendant des années, il a fait le même cauchemar : un homme à la mer à qui il tend la main.

Son regard est empli d’effroi, mais impossible de l’agripper, sa main ne cesse de glisser et il n’est que le premier d’une longue farandole de naufragés désespérés qui tentent de flotter. Puis les plus éloignés disparaissent progressivement. « Je n’ai pas pu attraper le premier, et finalement ils sont tous morts », raconte Klaus Vogel dans les colonnes de SOCIETY.

C’est il y a 25 ans que, pour la première fois, il a fait ce cauchemar-là. A l’époque, il est lieutenant sur un cargo et la veille, son capitaine a refusé de prendre la route qu’il avait tracée – la route pourtant la plus rapide, la route pourtant la plus logique.

Mais non, il n’avait pas voulu, au motif qu’elle passait près des côtes du Vietnam et qu’ils risquaient donc de croiser des boat people en détresse. Klaus a donc obéi, tracé un autre itinéraire. Puis le soir même, il faisait le cauchemar de l’homme à la mer à qui il tend la main.

C’est le cauchemar de la mauvaise conscience

« J’étais prêt à participer à des sauvetages, et l’équipage aussi je crois, et c’est simplement par souci économique qu’on a fait un détour : au moins, on était sûr de ne pas croiser un boat people en difficulté qui nous aurait retardé. Mais, poursuit-il, cette idée de perdre du temps, et donc de l’argent parce que l’on sauve des hommes, du point de vue moral, c’est incompréhensible.
On ne perd pas du temps dès lors qu’on gagne des vies ! »

Lui en a gagné, des vies. Il a sauvé des milliers de vies.

Et c’est pour cette raison que le quinzomadaire dresse son portrait sur trois pages. Décidant de faire le boulot dont l’Europe et les politiques se sont, en somme, lavé les mains, l’ancien responsable de la marine marchande a fondé, il y a deux ans, SOS MEDITERRANEE. Une ONG dont le patrouilleur baptisé L’Aquarius, vient en aide à ceux qui ont eu la malchance de naître du mauvais côté de la mer.

L’Aquarius a déjà récupéré près de 20.000 naufragés au large des côtes libyennes, et depuis ces missions de sauvetage, Klaus Vogel ne fait plus le cauchemar qui l’a hanté durant plus de 30 ans. Plus de cauchemar, mais ce sont les témoignages des rescapés qui l’empêchent désormais de dormir. Il a donc décidé de passer le relais. Il a transmis à d’autres les rennes de l’ONG et de son projet Aquarius. « Pour moi, aller plus loin serait aller trop loin », dit-il.

Et l’on songe alors à cette parole du Coran qui, du reste, est également un proverbe juif : « Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière. »

Libération lui avait également consacré un article le 5 juin 2017 : « Klaus Vogel, cœur en stock » :

« Pas à pas, tenace et organisé, Vogel jette son dévolu sur un patrouilleur de 77 mètres. Depuis un an et demi, Aquarius a accompli 100 opérations de sauvetage et a récupéré 18 000 naufragés. Voici quelques jours, 1 000 personnes se sont hissées à bord, bien au-delà des capacités autorisées. Mais comment faire autrement, quand la flotte marchande se tient prudemment à distance de ces parages où se noie la misère du monde, et que les navires de guerre sont tenus de contenir le flux plutôt que venir au secours de ceux qu’emporte le vent noir de l’histoire immédiate ?

Initiateur de l’ONG SOS Méditerranée, le marin a dirigé les premières campagnes comme maître à bord. Depuis, il est le porte-voix et le glaneur de fonds de l’association.[…]

Pour pouvoir mener à bien une mission dont il ne tire aucun revenu, Vogel a créé une petite boîte de conseil. Il intervient auprès d’une association qui fait du coaching pour demandeurs d’emploi et leur explique comment il a réussi à mettre à flot sa structure maritime. De l’intérêt serpentin qu’il y a à se mordre la queue… Karin, sa femme de toujours, est infirmière. Leurs 4 enfants sont adultes. Récemment, ils ont vendu la grande maison de Göttingen et se sont installés à Berlin. Ils se promettaient des évolutions seniors de préretraités prêts à tout et intéressés par beaucoup. Et puis, SOS Méditerranée a tout bouleversé. Il ne sait trop de quoi demain sera fait. Si la caisse de bord sonne le creux, il pourra toujours retrouver un commandement au long cours. Il aime le large, moins l’éloignement qu’il impose. Et puis, il y a les vagues d’actualité qui se fracassent, et l’urgence en exigence. »

Après avoir perdu son pavillon et avoir été harcelé, immobilisé par les autorités maritimes, la justice italienne a demandé le placement sous séquestre du navire, SOS Méditerranée et ses partenaires ont annoncé en décembre 2018, renoncer à continuer d’utiliser <L’Aquarius>,.


Les Inrocks lui ont également consacré un article : « Un héros de notre temps : Klaus Vogel, capitaine au long cours au secours des migrants »

La question de la migration n’est pas chose simple. Elle ne peut pas être résumé à des tableaux de chiffres qui pour les uns disent qu’il y a peu de migration et que nous n’avons aucune peine à l’intégrer et qui pour les autres prétendent qu’un grand remplacement est en marche.

Mais on ne peut pas laisser mourir des enfants, des femmes et des hommes qui sont en train de se noyer dans la mer.

C’est aux États de réaliser cette mission.

Ils ont renoncé et c’est des femmes et des hommes qui se sont levés pour aller en mer réaliser ce devoir premier de l’humanité : empêcher les humains de mourir.

« Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière »

Le mot du jour se met au repos et au silence pour la trêve estivale. Il reviendra, si tout va bien, dans la seconde moitié du mois de septembre.

<1268>

Jeudi 11 juillet 2019

« Seul le meilleur est acceptable »
Herbert von Karajan (5 avril 1908 – 16 juillet 1989)

Karajan est né dans une famille autrichienne et il avait aussi un ancêtre paternel originaire de Grèce comme Sappho de Mytilène.

Il est né à Salzbourg, la ville où est né Mozart

Le 16 juillet 2019, cela fera 30 ans qu’il a quitté la communauté des vivants.

Il y a 30 ans j’étais plus jeune et je crois que j’étais très injuste dans mon appréciation sur ses qualités et son importance dans la musique.

Je me souviens de discussions passionnées avec mon ami Bertrand G. qui considérait que c’était le plus grand.

Moi je ne voyais que la part d’ombre

Le fait qu’il avait par deux fois adhéré au parti nazi, pour sa tranquillité et pouvoir continuer à exercer son métier. Il n’était cependant pas dans les grâces d’Hitler qui le traitait de « freluquet autrichien ».

Je n’aimais pas, à l’époque, son côté autocrate, je disais « dictatorial ».

Je n’aimais pas ses interprétations et préféraient toujours d’autres interprétations.

Chaque fois qu’il y avait une histoire drôle à ses dépens je m’en délectais.

Comme celle qui mettait en scène 3 grands chefs de l’époque qui se disputait pour savoir qui est le plus grand.

« C’était d’abord Bernstein qui disait : c’est moi le plus grand parce que je suis aussi compositeur et que j’ai composé West Side Story,

Solti s’approchait alors en disant : Dieu m’a dit…

Immédiatement interrompu par Karajan répliquant : comment ça je ne t’ai rien dit. »

Mon frère m’a rapporté que lorsque l’Octuor de Paris dont il était membre, était allé à Berlin pour un concert à la Philharmonie, lui et ses collègues avaient demandé au chauffeur de taxi de les emmener à la Philharmonie. Le chauffeur de taxi avait conclu :

« Ah oui au Karajan Circus »

Ou cette autre histoire :

C’est Karajan qui prend un taxi à Berlin. Le chauffeur lui demande : « Où dois-je vous emmener Maestro ? ». Et la réponse de Karajan : « N’importe où, partout on a besoin de moi ! ».

Et cette manie de diriger les yeux fermés dans les années 1970 !

Simon Rattle dit aujourd’hui :

« Les dernières années lorsque Karajan se mit à diriger les yeux ouverts. […]. Ce contact visuel établi sur le tard avec ses musiciens, après des années où il sembla commander à des escadrons fanatisés, est comme une rédemption. »

Et il est vrai qu’à la fin de sa vie, Karajan est tombé gravement malade et il ne pouvait plus garder les yeux fermés pour une question d’équilibre.

Et je me souviens que Yehudi Menuhin disait : « Il est tombé malade et a gagné énormément en humanité.»

Mais ce n’était que l’écume des choses !

J’ai beaucoup appris depuis et notamment à travers les propos de Christophe André sur « l’admiration »

« L’admiration, c’est la volonté de porter son regard sur ce qui rend le monde meilleur. […]

Admirer quelqu’un alors qu’on connait bien ses travers !

L’admiration est un contraire de la mesquinerie qui va chercher les défauts derrière les qualités.

Plusieurs travaux de psychologie positive ont mesuré en laboratoire les conséquences de différentes formes d’admiration […] ont confirmé qu’admirer nous rend meilleur, plus proche des autres, plus altruiste, plus motivé à progresser »

Et maintenant 30 ans après, je vois surtout son extraordinaire capacité d’aller vers la plus grande qualité d’interprétation, l’approfondissement.

Dans des propos rapportés par le Figaro Magazine du 22 juillet 1989, il disait :

« Seul le meilleur est acceptable !

La maladie affolante de notre société c’est de ne pas demander le meilleur possible »

Contrairement à d’autres grands chefs, et à ceux d’aujourd’hui qui folâtrent d’un orchestre vers l’autre et qui ont la responsabilité de deux voire trois orchestre, lui a été le chef d’un seul orchestre : l’Orchestre Philharmonique de Berlin. Parfois il allait diriger l’Orchestre Philharmonique de Vienne mais revenait toujours à son orchestre, dans un travail en profondeur pour obtenir une pate orchestrale et une qualité unique et phénoménale.

Et que dire lorsqu’on sait qu’alors il était tout à la fin de sa longue carrière et qu’il entendit Evgeny Kissin 16 ans alors, jouer du piano il fut ému aux larmes.

Son épouse Eliette Mouret raconta comment malgré ses tentatives répétées de lui faire rencontrer Pablo Picasso, elle n’arriva jamais à l’organiser, Karajan parvint toujours à se défiler.

Après la mort du peintre, son épouse lui demanda si ça ne l’aurait pas intéressé de le connaître. Il répondit :

« Si bien sûr, beaucoup, mais je ne pouvais pas m’imaginer que ce serait intéressant pour lui de me rencontrer »

Il était aussi visionnaire et a pleinement participé à l’essor des nouvelles technologies audio.

<Il joua un rôle éminent dans l’émergence du CD>

Evidemment, 30 ans après c’est devenu un support du passé.

Jamais Karajan ne fit de concessions à l’exigence musicale.

Ce fut un des plus grands musiciens interprètes du XXème siècle.

Je me délecte aujourd’hui à écouter les enregistrements qu’il a laissés à l’Histoire.

Et si je dois en choisir qu’un petit nombre je prendrai :

Le Pélléas et Mélisande de Debussy


Le Parsifal de Wagner


Et son anthologie des œuvres de Berg, Webern et Schoenberg


Et une madeleine de Proust : Les préludes de Liszt


<1267>

Mercredi 10 juillet 2019

« Anthe Amerghissan
(J’ai vu cueillant des fleurs) »
Poème de Sappho de Mytilène mis en musique et chanté par Angélique Ionatos

Il était tôt le matin, ce lundi. J’ai allumé la radio, évidemment France Culture. C’était la fin de l’émission « Les nuits de France Culture »

L’invité était Emmanuel Guibert.

Emmanuel Guibert est un dessinateur et scénariste de bande dessinée. Il parlait de son œuvre.

Et puis pour terminer l’émission, la journaliste lui avait demandé de choisir une œuvre de musique.

Et il a choisi une chanson parce que « c’est tout simplement magnifique ».

Et c’est ainsi que j’ai découvert « Angélique Ionatos » « et « Sappho de Mytilene ».

Nous connaissons cette fresque, maintes fois représentée dans les livres d’Histoire et de l’Art.

Elle a été découverte dans une villa à Pompéi et représente un buste de femme avec un stylet et une tablette dans chaque main.

La tradition et la légende prétendent qu’il s’agit de Sappho de Mytilene.

Il n’y a quasi aucune chance qu’il y ait une quelconque ressemblance avec la grande poétesse grecque.

Cette fresque a été réalisée au I siècle après J.C.

Sappho a vécu aux VIIe siècle et VIe siècle av. J.-C., à Mytilène sur l’île de Lesbos.

Elle fut très célèbre durant l’Antiquité, mais son œuvre poétique ne subsiste plus qu’à l’état de fragment.

De nombreux poètes et auteurs anciens parlent d’elle, ne laissant aucun doute quant à son existence réelle et son talent.

Solon le célèbre législateur et homme d’État de la démocratie athénienne était son contemporain. Il aurait dit, après avoir entendu la lecture d’un de ses poèmes  :

« Mon désir est de l’apprendre et de mourir ensuite »

Selon Wikipedia quand dans le monde antique on disait « le poète » il s’agissait d’Homère, de même si l’on parlait de « la poétesse » c’était Sappho.

On lui doit la création d’une forme métrique particulière, la « strophe sapphique ».

C’était une femme libre qui est aussi connue pour avoir exprimé dans ses écrits son attirance pour les jeunes filles d’où le terme « saphisme » pour désigner l’homosexualité féminine tandis que le terme « lesbienne »est dérivé de Lesbos, l’île où elle a vécu.

Mais si vous voulez en savoir plus <Wikipedia> consacre un très long article à Sappho de Mytilene et fait un point très complet de ce que l’on sait d’elle et aussi les différentes hypothèses qui ont été développées sur sa vie et son œuvre.

<Angélique Ionatos » est compositrice, guitariste, chanteuse grecque, mais elle vit en France.

Elle a composé sur des vers d’il y a 2500 ans, des vers écrits par Sappho de Mytilène.

Et comme le dit Emmanuel Guibert « C’est tout simplement magnifique ».

« Anthe Amerghissan » une autre chanteuse intervient Nena Venetsanou.

Le soir j’ai acheté sur « Qobuz » l’album qui contenait cette chanson, mais sans livret.

Hier, j’ai emprunté le disque à la bibliothèque pour en avoir le livret et comprendre les paroles chantées.

Je suis donc en mesure de partager ce chant et ce texte parce que c’est tout simplement magnifique.

Angélique Ionatos chante aussi des poèmes du poète grecque « Odysseus Elytis » né en Crète en 1911 et dont la famille est originaire de Mytilène (Lesbos). Il a reçu le prix Nobel de littérature en 1979 et il est mort en 1996.

Il écrit dans le livret de ce disque qui porte pour titre simplement « Sappho de Mytilène » ce texte :

« La nature crée ses propres parentés, quelquefois plus puissantes que celles forgées par le sang.

2500 ans en arrière, à Mytilène, je crois voir Sappho comme une cousine lointaine avec qui je jouais dans les mêmes jardins, autour des mêmes grenadiers, au-dessus des mêmes puits.

A pêine plus âgée que moi brune avec des fleurs dans les cheveux et un cahier secret plein de poèmes qu’elle ne m’a jamais permis de toucher.

Il est vrai que nous avons vécu sur la même île. […]

Mais avant tout, nous avons travaillé – chacun à sa mesure – sur les mêmes notions pour ne pas dire avec les mêmes mots : le ciel et la mer, le soleil et la lune, les végétaux, les filles, l’amour.

Qu’on ne me tienne pas rigueur, alors si je parle d’elle comme d’une contemporaine. Dans la poésie, comme dans les rêves, personne ne vieillit. »

Odysseus Elytis

<ICI> vous trouverez un autre poème du disque chanté par Angélique Ionatos, cette fois en vidéo.

« De tous les astres le plus beau »

Baudelaire a évoqué Sappho dans un des poèmes des « Fleurs du mal » : « Lesbos »

«De la mâle Sapho, l’amante et le poète,
Plus belle que Vénus par ses mornes pâleurs !
– L’oeil d’azur est vaincu par l’oeil noir que tachète
Le cercle ténébreux tracé par les douleurs
De la mâle Sapho, l’amante et le poète !»

Verlaine aussi a écrit un poème sur la poétesse : <Sappho>

Et je finirai par des vers de Sappho c’est la première chanson du disque : <Aérion épéon>

« J’écris mes vers avec de l’air
Et on les aime.
J’ai servi la beauté
Etait-il en effet pour moi
Quelque chose de plus grand ?
Même dans l’avenir
Je le dis
On gardera de moi le souvenir »

J’ai servi la beauté…

Les anciens égyptiens disaient qu’un humain meurt deux fois.

La première fois quand le corps meurt.

La seconde fois quand plus personne ne prononce son nom.

Sappho de Mytilène n’a pas connu cette seconde mort.

<1266>

Mardi 9 juillet 2019

« 30% de calories en moins, c’est 20% de vie en plus ».
Frédéric Saldmann

Evidemment si vous espériez que cette série de mots du jour réponde à la question de savoir si la meilleure huile est l’huile d’olive ou l’huile de colza vous ne pouvez être que déçu.

Mais, dans le premier article qui a introduit cette série, « L’homme est ce qu’il mange » j’avais prévenu :

« Pour celles et ceux qui espèrent trouver des réponses dans ces mots du jour, je ne peux que reconnaître que cet espoir n’a aucune chance de prospérer.

Mais notre expérience nous l’a appris, pour progresser ce qui est fondamental ce n’est pas de trouver les réponses, mais c’est d’abord de poser les bonnes questions. »

Alors pour avoir de bons conseils pour manger, la troisième émission du sens des choses : <Comment faudrait-il manger aujourd’hui pour tirer le meilleur de son corps et de son esprit ?> aurait pu servir à cette fin

Jacques Attali et Stéphanie Bonvicini avaient, dans ce but, invité le médecin nutritionniste Frédéric Saldmann.

En fait, Frédéric Saldmann est un médecin qui a d’abord appris à la faculté de médecine la cardiologie.

Il raconte qu’il souffrait d’obésité et que cela lui a valu des problèmes de santé. Quand il a consulté un confrère ce dernier lui a prescrit tout un paquet de médicaments.

Frédéric Saldmann a décidé de ne pas prendre ces médicaments et de changer radicalement son alimentation. Il a perdu 25 kilos, n’était plus malade, a décidé d’écrire des livres et de devenir nutritionniste.

Tout au long de l’émission, il a lancé des affirmations avec un ton extrêmement convaincant.

Il a parlé notamment de deux patients qui sont venus le voir, tous les deux avaient le cancer.

Et chacun des deux affirmaient manger très sainement et avec beaucoup de soins.

Avec un questionnement approfondi il a pu découvrir que le premier patient buvait des boissons brulantes ce qui est propice au cancer de l’œsophage qu’il avait. Le second faisait beaucoup de barbecue et aimait manger la viande très grillé, brulé. Le cancer du côlon en était la conséquence.

Le conseil est donc de ne pas boire trop chaud et de ne pas manger de la viande carbonisée.

Ceci s’entend, je l’ai lu ailleurs et c’est très probablement exact.

Mais pour la viande carbonisée il affirme : 3 cm de croute brulée c’est comme fumer 200 cigarettes !

C’est probablement plus convainquant avec des chiffres !

Il m’étonnerait beaucoup qu’une étude ait été menée pour parvenir à cette comparaison…

Et puis il a aussi avancé cette « vérité » :

« 30% de calories en moins, c’est 20% de vie en plus ».

D’où sort-il ces chiffres ? Mystère.

C’est le type de message qui immédiatement mobilise mes capteurs d’alertes. Le doute surgit !

Si ce cardiologue devenu nutritionniste avance des arguments de ce type sans preuve peut-on croire le reste de ces affirmations ?

Il dit qu’il ne faut pas seulement se focaliser sur les calories mais aussi sur l’indice glycémique des aliments.

L’index glycémique permet de comparer des portions d’aliments qui renferment le même poids de glucide en fonction de leur capacité à élever le taux de sucre dans le sang (glycémie). Il indique à quelle vitesse le glucose d’un aliment se retrouve dans le sang.

Frédéric Saldmann donne alors comme exemple la pastèque qui a peu de calories mais un index glycémique élevé. Quand vous mangez des pastèques, cela va faire sécréter énormément d’insuline par le pancréas, le sucre va se transformer en graisse et va créer de l’inflammation. Et il compare à un avocat qui a un index glycémique proche de zéro, il n’a aucun effet inflammatoire. Et quand on prend un burger frites, ce qu’il ne faut pas faire selon F.S., l’avocat fait baisser de 30% l’effet inflammatoire de ce mauvais repas. Toujours des chiffres pour crédibiliser l’argument.

Il donne aussi comme conseil au milieu du repas de s’arrêter de manger pendant 3 minutes et au bout de l’attente de vérifier si on a toujours faim. Et bien sûr de s’arrêter si on constate le contraire. C’est certainement un bon conseil.

Comme celui de manger beaucoup de légumes et de fibres.

Il parle des « aliments retards » comme les sardines, les maquereaux, les poivrons grillés qui restent très longuement dans l’estomac et permettent ainsi d’éviter d’avoir faim rapidement.

Par contre quand il conseille de commencer le repas avec une banane nappée de chocolat à plus de 80% pour couper la faim on peut s’interroger.

De mettre de la cannelle sur les pommes ?

Et puis c’est un adepte du jeûne intermittent que lui appelle séquentiel. Il dit :

« On arrive à un moment très paradoxal. Pendant très longtemps les humains se sont battus, ont lutté pour se nourrir, avec leur force. Et aujourd’hui, cette abondance nous nuit.

Je m’interroge beaucoup à un sujet qui est le jeûne séquentiel.

C’est-à-dire entre 12 à 16 heures, vous décidez d’arrêter de vous alimenter. Vous buvez beaucoup d’eau de la tisane, du thé. Vous arrêtez de diner à 21 heures et vous déjeunez à 13 heures.

A ce moment-là, vous vous apercevrez que le teint est plus clair, que vous êtes plus tonique, qu’il y a moins d’asthme et moins de rhumatisme.

Qu’est ce qui se passe ?

A chaque seconde, on produit 20 000 000 de cellules, pour remplacer nos cellules usées ou mortes. Le problème c’est que plus on avance en âge, plus le nombre d’erreur de copies augmentent, donnant lieu à des cancers. Quand on jeûne, on renforce son ADN, on diminue le nombre d’erreurs de copie. »

<Il répète cette injonction dans cet entretien>

Mais parallèlement, dans ce même entretien il prétend qu’il faut le faire de manière occasionnelle, une fois par semaine peut être. Et aussi qu’il faut le faire avec l’accord du médecin traitant.

Mais, en même temps, il prétend que 3 repas c’est trop dans une journée et il préconise deux repas. C’est-à-dire que si vous faites au plus équilibré, il y aura au moins douze heures entre deux repas Et si vous équilibrez moins la journée, vous arriverez à plus de 12 heures pour l’un des entractes entre les deux repas. Or, le jeûne séquentiel est justement une interruption entre les deux repas entre 12 et 16 heures.

Il parait donc contradictoire de prétendre d’une part qu’il faut que le jeûne séquentiel soit épisodique et d’autre part en faire une norme.

Ceci m’a conduit à essayer de cerner le sérieux et l’activité de ce docteur Saldmann

J’ai d’abord trouvé cet article très critique de Libération pour la sortie de son ouvrage « «Le meilleur médicament, c’est vous !» : <Avaler des évidences plutôt que des cachets> et cet autre article <Astuces du Dr Saldmann pour mourir en forme> sur un autre livre, best-seller du cardiologue reconverti : « Prenez votre santé en main ! »

Nous pouvons penser que « Libération » est injuste avec ce « nutritionniste » mondialement connu.

A priori <Wikipedia> soutient Libération :

« Frédéric Saldmann, […] est un médecin cardiologue, nutritionniste et chef d’entreprise français. Il a présidé les sociétés commerciales SPRIM et EQUITABLE jusqu’en 2014.

Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur la santé et l’hygiène alimentaire, et intervient régulièrement dans les médias.

Certaines affirmations contenues dans ses ouvrages sont critiquées, concernant l’interprétation peu rigoureuse qu’il fait de recherches et statistiques. […]

Il a présidé les sociétés de conseil en affaires et gestion SPRIM — laquelle conseille des multinationales de l’agroalimentaire comme Danone, Nestlé, Coca-Cola, Herta ou encore Blédina — et EQUITABLE jusqu’en 2014.

Sa troisième épouse, Marie Saldmann, préside les deux sociétés depuis cette date. […]

Il dirige avec Gérard Friedlander, une société commerciale, l’Institut européen d’expertise en physiologie (IEEP) qui fait « l’interface entre groupes industriels et monde académique ». L’IEEP est largement financé par les dépenses de recherche de Coca-Cola, ayant reçu près de 720 000 euros au cours de la période 2010-2014 pour un « projet de recherche sur les édulcorants intenses », alors que « la multinationale aménage de multiples clauses pour exercer une influence sur les travaux scientifiques qu’elle sponsorise. ». […]

Lors de plusieurs prises de positions, Frédéric Saldmann émet des recommandations alimentaires basées sur des études observationnelles. Bien que ce type d’étude permette de mesurer des corrélations (par exemple entre comportement et état de santé), cela ne suffit pas à établir un lien de causalité et permet tout au plus d’aider à proposer des actions de prévention et non d’établir un traitement.

Il affirme que le chocolat noir 100 % permet de réguler son poids, notamment grâce à son effet coupe-faim dans le livre « Le Meilleur Médicament c’est vous », ainsi que lors de la promotion du livre dans les médias. Il cite pour cela une étude réalisée par Beatrice Golomb de l’Université de Californie à San Diego ayant relevé une corrélation entre poids et la consommation régulière de chocolat. Cependant, l’étude est critiquée pour sa méthodologie car celle-ci ne permet pas d’établir un lien de cause à effet. Elle est également citée comme principal exemple de mauvaise interprétation des recherches scientifiques dans le documentaire Pour maigrir, mangez du chocolat ! Vérité scientifique ou manipulation ? (Arte, 2015). Cette corrélation du chocolat est connue dans le milieu scientifique comme un exemple caricatural de junk science (« science poubelle », publications racoleuses et peu fiables destinées essentiellement à la viralité médiatique). »

La journaliste Sophie des Déserts lui a consacré également un article documenté et peu favorable : « Docteur Frédéric Saldmann, médecin et gourou du Tout-Paris »

C’est un article est très long. Je n’en tire que 3 extraits : d’abord sur la clientèle.

« Le docteur Saldmann reçoit sur rendez-vous, deux ou trois matinées par semaine, à l’hôpital européen Georges Pompidou, joyau de la médecine publique. Deuxième étage, service des « explorations fonctionnelles ». Il n’est pas souvent là mais il est réputé pour son goût des lumières (des caméras de télé le filment souvent, aux yeux de tous, sur la passerelle du grand hall) et pour la renommée de sa patientèle. Quand on évoque celle-ci, il oppose un strict secret professionnel et refuse de donner le moindre nom. Isabelle Adjani ou Roman Polanski ? « Des amis », se contente-t-il de préciser. Mais dans le couloir, on peut croiser Bernard Tapie, Jack Lang, Claude Lelouch ou Charlotte Rampling. »

Bien sûr, selon votre degré de célébrité vous n’êtes pas reçu dans les mêmes délais.

« Cardiologue, nutritionniste, expert autoproclamé en médecine prédictive (une discipline non reconnue par la faculté de médecine), fondu de médecine chinoise et de méditation, Saldmann est le nouvel oracle du bien-être et de l’éternelle jeunesse. Cet homme-là prétend que tout est affaire de volonté et d’attention à son corps. Que la retraite est la pire des défaites. Que l’on peut à tout âge faire l’amour et gravir des montagnes. Vivre cent cinquante ans et bientôt peut-être plus encore. Les baby-boomers adorent, a fortiori quand ils sont célèbres, fortunés, puissants mais tellement démunis pour affronter les affres du temps. Saldmann est leur Dieu, non pas parce qu’il consulte au tarif sécu (la plupart de ses patients n’ont pas de problèmes de fins de mois), mais parce qu’il leur offre, sous le label de l’assistance publique, une médecine haute couture, un service personnalisé, rapide et efficace. Un patient recommandé peut être reçu dans les quarante-huit heures. Pour le quidam, c’est évidemment beaucoup plus long. « J’ai un rendez-vous le 15 novembre à 14 heures », m’a proposé sa secrétaire d’une voix désabusée. Nous étions en décembre, s’agissait-il d’une erreur?? « Non, c’est bien cela, comptez un peu moins d’un an. Le planning est plein. » »

Il sait parler de tout, a un avis sur tout et surtout gère bien ses affaires.

L’ouvrage est à son image, un curieux mélange de pragmatisme et d’érudition, d’argumentations solides et de fantaisies. On y trouve des citations de Montaigne, Woody Allen, Pierre Dac (« L’éternuement est l’orgasme du pauvre »), des leçons de choses, d’hygiène, des recettes de grands-mères, quelques envolées futuristes, de la psychologie positive et beaucoup de bonnes nouvelles. La génétique ne pèse que 15 %, la libido masculine s’entretient ad vitam æternam et la ménopause, avec une bonne hygiène de vie, peut reculer de sept ans?! Il est question de sexe, de stress, d’épices, de méditation et même de constipation. « Avec un petit tabouret devant soi sur le trône, jambes allongées, l’angle ano-rectal est moins fermé, le transit facilité. On gagne une heure par semaine et un ventre plat?! […]

Pédagogue, toujours disponible, il est devenu ce qu’on appelle un « bon client ». Il peut causer de tout, des bienfaits de l’écharpe, de la carotte et du poivre, des allergies, de l’éjaculation précoce, de la chirurgie esthétique et du réchauffement climatique. Et pendant ce temps, loin des projecteurs, le cardiologue mène tranquillement son autre vie, de businessman. »

On apprend aussi qu’il est un grand ami de BHL et bien d’autres informations très surprenantes sur cet homme énigmatique qui a l’air de tout comprendre et de tout savoir sur l’alimentation.

Pour ma part je suis très sceptique sur l’accumulation des livres, des conseils, et détails chiffrés que présente ce médecin, devenu homme d’affaires.

C’est très compliqué de rencontrer des personnes sérieuses sur ce sujet.

La série sur l’alimentation n’est pas terminée par cet article, il y a encore beaucoup à dire sur le sucre, l’obésité, la capacité de la terre de nourrir 10 milliards d’individus, de la grandeur et des « arrangements » du bio et de tant d’autres sujets.

Mais provisoirement je suspends cette série.

A partir de vendredi, le mot du jour se mettra dans une longue pause estivale.

D’ici là, j’ai prévu 3 mots du jour sur d’autres sujets, à partir de demain.

<1265>

Lundi 8 juillet 2019

«Manger avec la main, c’est naturel, manger avec une fourchette, c’est culturel »
Patrick Rambourg

Michel Serres et Jacques Attali affirment que l’arrivée de la fourchette et du couteau de table est relativement récente et est contemporain de l’éclosion de l’individualisme et de l’autonomisation de l’individu par rapport au groupe.

Avant, on mangeait avec les mains dans le plat commun.

D’ailleurs cette tradition existe encore dans un certain nombre de pays comme le Maroc et l’Inde. C’est aussi le cas dans beaucoup d’autres pays…

Et également dans l’espace…

Ainsi <Le Parisien> rapporte ces propos de Thomas Pesquet lors de son séjour à bord de la Station spatiale internationale :

« J’ai de la chance, car beaucoup des miens [mes conserves] ont été préparés par Alain Ducasse et Thierry Marx, deux très grands chefs français étoilés qui ont tenu compte de mes goûts, d’une part, mais aussi des obligations liées aux conditions dans l’espace. Ainsi, filet de saumon au citron de Menton confit, émincé de volaille, et langue de bœuf à la sauce piquante, trois de mes plats préférés, ont été traités puis pasteurisés pour qu’aucune bactérie étrangère ne prolifère à vitesse grand V dans la station. Je place ces mets dans notre four électrique pendant quelques minutes. Je récupère le sachet, je le coupe avec des ciseaux et je n’ai plus qu’à manger avec les doigts. Pas besoin d’assiette puisque tout flotte! »

Patrick Rambourg, est un historien spécialiste de la cuisine et de la gastronomie. Il est vrai que ses parents tenaient un restaurant. Il a aussi reçu une première formation de cuisinier professionnel avant de suivre son cursus universitaire en histoire à l’Université Paris 7 Denis Diderot.

Il est devenu un spécialiste sur l’histoire de la cuisine et de la gastronomie, de l’alimentation et des manières de table, sur les représentations de la cuisine et de la table. (source Wikipedia).

Il est ainsi l’auteur de nombreux livres sur ce sujet :

  • « À table… le menu ! » Editions Honoré Champion, 2013, 128 pages
  • « Histoire de la cuisine » et de la gastronomie françaises Editions Perrin (coll. tempus n°359), 2010, 381 pages
  • « La cuisine à remonter le temps » Editions du Garde-Temps, 2007, 129 pages.
  • « De la cuisine à la gastronomie. Histoire de la table française » Editions Louis Audibert, 2005, 286 pages.

En 2016, il a écrit : « L’Art et la table » Paris, Editions Citadelles & Mazenod, 2016, 392 pages.

Et le Monde, dans un entretien publié <le 25/01/2019> l’interroge sur ce choix de manger avec les mains ou avec une fourchette ou des baguettes.

J’en retiens que la moitié de l’humanité mange avec la main.

Trois milliards et demi de personnes dans le monde mangent avec les doigts.

Patrick Rambourg explique que cela a aussi été le cas longtemps en Europe et en France.

« Manger avec les mains est le plus commun dans le monde, mais c’était une habitude même en Europe pendant des siècles, y compris pour les élites au Moyen Age, aux XIVe et XVe siècles. Les seuls couverts qui apparaissaient alors sur la table, c’était un couteau, voire une cuillère, que le convive apportait lui-même. La fourchette existait déjà en Italie dès le XIe siècle : il s’agissait des petites fourches à deux branches utilisées par les femmes. Mais la main était l’ustensile le plus répandu pour les pauvres comme pour les élites. »

Patrick Rambourg, explique que la France a progressivement adopté la fourchette.

« Contrairement à une idée répandue, cela ne s’est pas fait du jour au lendemain, à la Renaissance, avec Catherine de Médicis. A la cour du roi Henri III, on essaie déjà d’imposer la fourchette, mais elle est considérée comme maniérée et féminine. Nous avons des textes qui montrent qu’à la cour les gens se moquent de ceux dont l’aliment tombe de la fourchette. Il faut apprendre à l’utiliser.

La main, c’est naturel, la fourchette, c’est culturel.

A la mort d’Henri III, dans un premier temps, elle est utilisée pour se servir dans le plat commun, alors qu’on se servait avant avec les mains. Puis on mange sa part avec les doigts. Elle apparaît ainsi dans l’iconographie du XVIe siècle, où elle ne servait pas à porter l’aliment à la bouche. Aux XVII et XVIIIe siècles, elle est présente sur la table des riches, mais son usage n’est toujours pas systématique.

Louis XIV mange avec ses doigts tandis que la reine tient une fourchette. Puis la haute société s’y convertit progressivement. Au XIXe siècle, la fourchette n’est plus considérée comme élitiste, notamment grâce à la création en 1760 des restaurants publics, qui peu à peu s’adressent à tous les groupes sociaux, grâce aux auberges et aux cabarets. Mais dans les campagnes, on pouvait encore manger avec ses doigts au XIXe siècle. »

Dans de nombreuses parties du monde, manger avec ses mains constitue la normalité.

Dans l’article du monde, une carte représente les pays dans lesquels on utilise ses mains pour manger. La couleur diffère selon que l’on utilise simplement ses doigts, ou des ustensiles en plus, comme souvent une cuillère. Ainsi au Népal, en Ethiopie, au Soudan on n’utilise que les doigts. Au Pérou et en Équateur, on utilise les doigts et des couverts.

Même en France, par exception, pour certains mets, les doigts sont de rigueur par exemple : les cuisses de grenouille.

Selon l’historien, la fourchette s’est imposée en raison d’un traité d’Erasme

« La fourchette s’est imposée parce que les mœurs de table ont évolué, notamment à la suite de la diffusion de <La Civilité puérile>, un traité d’Erasme expliquant à l’aristocratie comment se comporter à table. Le traité d’Erasme prend comme comparaison les animaux. Il influence beaucoup les manières de manger. Cela passe par les élites : il y a l’idée que celui qui se tient bien à table, c’est celui est en haut de la société. Petit à petit, il faut que la main ne touche plus la denrée. Il y a, par ailleurs, une question d’hygiène qui s’impose. La fourchette et les couverts ont contribué à une meilleure civilité à table. Mais pour nos ancêtres, il a fallu du temps. »

En revanche, les européens ne sont pas parvenu à imposer la fourchette en Chine :

« N’oublions pas non plus que les Européens ont été très présents en Chine, pays qu’ils se sont partagé politiquement. Or, ils n’ont jamais réussi à imposer la fourchette sur la table : c’est la force d’une culture, d’une civilisation. Si le monde occidental a pu imposer beaucoup de choses dans le monde, on voit bien qu’au niveau de la table c’est plus complexe. Les baguettes restent très représentatives de la culture asiatique. Et puis, quand on apprend enfant à manier un ustensile, cela devient une habitude de vie, tout simplement. »

<Cet autre article sur le sujet du journal Libération> prétend que le sage chinois Confucius aurait dit :

«L’homme honorable et droit se tient loin de l’abattoir et de la cuisine. Et il ne tolère aucun couteau à sa table.»

Ce même article précise que l’existence des baguettes est attestée en Chine depuis la dynastie Shang (- 1570 à – 1045 av. J.-C.), la première à avoir laissé des écrits.

Il cite aussi Roland Barthes qui loue l’usage de la baguette qui ne

«violente jamais l’aliment […] fait glisser la neige alimentaire du bol aux lèvres […] introduit dans l’usage de la nourriture, non un ordre, mais une fantaisie et comme une paresse».

Et pour revenir au premier questionnement de l’usage de la main ou d’ustensiles cet article confirme les propos de Michel Serres et Jacques Attali concernant le lien entre l’individualisme et l’utilisation de la fourchette :

« Marc de Ferrière le Vayer, historien des arts de la table, nourrit l’analyse : «Cette course à l’individualisme est caractéristique de la Renaissance. On prend de plus en plus de distance avec les aliments et entre convives.» La main quitte les plats et déserte la bouche. La fourchette prend du galon: elle aura quatre dents au milieu du XVIIIe. Un siècle plus tard, «elle s’est raffinée et généralisée à l’ensemble de la population», »

Et nous apprenons que c’est à Venise que la fourchette a fait son apparition après l’an mil :

« Une princesse byzantine, venue épouser un doge, se refusait de toucher les aliments et préférait utiliser une fourchette à deux dents. […] Un érudit du XVIIIe siècle, Ludovico Antonio Muratori, rapporte dans ses Annales d’Italie qu’en 1071, la fourchette s’était invitée au repas de noce du doge Domenico Silvio. A partir du XIIIe siècle, l’introduction des pâtes dans l’alimentation accompagne la diffusion de la fourchette qui gagne les tables des aristocrates et des bourgeois au cours du XVIe siècle. »

Je retiens donc que manger avec les doigts est naturel.

<1264>

Vendredi 5 juillet 2019

« Je savais les rendre heureux ! »
Une des dernières paroles de Babette dans le festin de Babette, livre de Karen Blixen porté au cinéma par le danois Gabriel Axel

Le repas autour de la table crée et approfondit le lien social.

On peut imaginer qu’après avoir inventé le feu, les humains après avoir fait cuire les aliments se regroupaient autour du feu pour partager la nourriture et converser autour de la chaleur du foyer.

Michel Serres dit :

« Le repas, c’est l’invention de la table, on est en commun et cela crée le lien social fondamental »

Manger en commun.

Mais aussi prendre son temps pour manger et se laisser du temps.

Cependant, il n’en va pas de même pour tous les pays du monde, certains n’adoptent pas du tout cette philosophie de vie.

Avant cette série, j’avais déjà écrit certains mots du jour sur l’alimentation particulièrement celui du <31 mars 2017>.

Et c’était Bruno Parmentier qui expliquait ces différentes conceptions qui s’affrontaient aussi dans l’Union européenne :

« On est 28 en Europe c’est très compliqué. Et il faut savoir que le rapport à la nourriture est très différent selon les pays.

Dans l’entreprise que je dirigeais, il y avait un règlement intérieur qui disait : pas moins de 45 minutes pour déjeuner. Dans une entreprise en Angleterre, ce n’est pas plus de 10 minutes pour déjeuner. Et moyennant quoi, le rapport à la nourriture est très différent. Dans un cas on mange un sandwich au pain de mie avec du jambon carré et du fromage carré et on s’en fout du goût puisqu’on mange ça devant l’ordinateur et de l’autre côté on a envie de bien manger.

Du côté où on a envie de bien manger et où on veut une agriculture de qualité c’est les pays latins : La Grèce, l’Espagne, l’Italie, la France, le Portugal. Mais on est très minoritaire. On l’a vu pendant la crise du porc, la majorité des européens, ils veulent des tranches de jambon carré pas cher. Pour faire des tranches de jambon carré pas cher, on fait de l’industrie [sans se soucier de la qualité].

En Angleterre on utilise 9% de son salaire pour manger. En France c’est 14%, aux Etats-Unis c’est 7%. Mais en France c’était encore 40%, il y a 30 ou 40 ans.

Les citoyens doivent aussi dire qu’est-ce qu’ils veulent.

Est-ce que la gastronomie anglaise et américaine nous fait tellement envie qu’on a encore envie de diviser par 2 notre coût pour l’alimentation ? et avoir des coûts de santé absolument fou parce qu’on mange n’importe quoi ?

Ou est-ce qu’on se dit : bien manger en France aujourd’hui, c’est consacrer un peu plus de temps et un peu plus d’argent à cette activité essentielle.

Cet argent nous permettra d’être en meilleur santé et d’avoir plus de plaisir et de convivialité.

Mais quand on négocie en Europe c’est très difficile d’avoir une unanimité, puisque la majorité des pays veulent du jambon carré.

Et le jambon carré, c’est de l’élevage de 2000 à 3000 porcs, complètement industriel, avec en Allemagne des bulgares payés au prix de la Bulgarie, des roumains payés au prix de la Roumanie et puis quand on est dans l’industrie c’est toujours les allemands qui gagnent pas les français. »

C’est en effet une manière anglo-saxonne et aussi germanique de considérer le repas comme une sorte de perte de temps qui perturbe et empiète sur les autres activités de la vie.

Cela vient aussi dans nos pays où une partie de la population importe les standards d’outre atlantique.

Dans une société dans laquelle on est de plus en plus autonome, mais aussi de plus en plus seul.

Cette manière de faire n’est pas bonne pour le lien social, elle n’est pas non plus bonne pour la santé.

Pascal Picq lance cet appel :

« Aujourd’hui c’est dramatique, on le voit bien. Pardon de passer des chimpanzés à la période actuelle.

Mais le fait d’avoir déstructuré les repas, avec les fast food, on mange chacun dans son coin, on mange rapidement.

C’est de l’obésité, on n’a pas d’échanges avec les autres.

Et surtout, il n’y a plus d’interdit : quelle que soit la viande qui est dans cette nourriture, il n’y a plus de représentation que derrière cette viande il y avait un animal qui a peut-être souffert et qui avait une vie.

Nous vivons aujourd’hui une déstructuration de ce qui fait l’humanité depuis 1 millions d’années.

Ceci a des conséquences extrêmement importante en termes de sociabilité, de santé, de culture.

Nous payons extrêmement cher cela.

Et nous pouvons déterminer cela très précisément.

Les pays où il y a le moins d’obésité, où les hommes et les femmes sont les plus minces c’est la France et l’Italie et une partie de la suisse, parce que ce sont des pays dans lesquels on mange à peu près à heure régulière, avec les amis et la famille.

Nous prenons du temps à table et nous avons des conversations »

Pascal Picq semble avoir partiellement raison.

Selon <cette étude de l’OCDE> sur l’obésité, l’Italie est en effet très bien placé

J’ai extrait ce schéma en gardant les pays « obèses » les pays « sveltes » et aussi les moyens car c’est dans cette partie que se trouve la France.

Si vous voulez l’intégralité du schéma, il suffit d’aller sur le site.

Ce schéma qui date de 2018 porte sur une étude faite courant 2016 et qui donne la proportion de personnes « obèses » (pas simplement en surpoids) dans la population d’adultes en partant de 15 ans.

La France ne tient pas son rang, elle comporte légèrement plus d’obèses que l’Espagne.

L’Italie et la Suisse sont bien classées dans les pays sveltes, comme le pense pascal Picq.

Mais le Japon et la Corée font encore mieux.

Les vainqueurs de cette sordide compétition sont les américains. Selon d’autres études le Mexique aurait dépassé les États-Unis, mais c’étaient des études plus anciennes et l’OCDE est en principe une organisation très sérieuse.

Et Michel Serres raconte que lorsqu’il est arrivé aux États-Unis, il avait été très surpris par l’attitude des américains qui l’invitaient à diner.

En comprenant la situation de Michel Serres éminent philosophe qui vient enseigner dans des prestigieuses universités américaines comme Stanford, on peut penser qu’il ne s’agissait pas d’américains moyens qui l’invitaient mais plutôt des universitaires mondialisées qui connaissaient la manière française de vivre et de manger.

Voici ce que Michel Serres raconte :

« Quand je suis arrivé en Amérique, on m’invitait à diner et on me disait, évidemment il n’y aura pas les enfants ! On ne peut pas leur imposer cette obligation abominable de rester à table avec nous ».

Et il ajoute aussi cette manière d’organiser l’alimentation :

« Et j’ai vu des familles en Amérique où l’ainé venait d’un long voyage et où la mère le recevait avec beaucoup de joie.
Au bout d’une heure, elle lui disait : si tu veux manger prends les choses qu’il y a dans le frigo, il est plein !
Chez nous les pays européens [plutôt latin] elle aurait fait une fête autour d’un très bon repas.

Il y a une sorte de perte de socialisation.

Il me semble quand un français ou un italien se met à manger, il est content et ça se voit.[…] Ce n’est pas le cas des américains. »

Et il conclut cette différence entre la culture catholique des italiens et des français et la culture protestante des américains. :

« Je crois que c’est un peu puritain, le débordement du goût est un peu interdit. »

Et cette remarque m’a fait irrésistiblement penser à un merveilleux film de 1987 : « Le festin de Babette » qui se situe justement dans une communauté puritaine au Danemark.

Je n’ai pas lu la nouvelle de Karen Blixen mais vu le film dans lequel Babette était incarné par Stéphane Audran.

Cela se passe dans un petit village au Danemark, au XIXe siècle, un pasteur luthérien autoritaire et possessif a deux jolies filles, Martine et Filippa. Chacune d’elles aura une histoire d’amour naissante mais sans lendemain. Trente-cinq ans plus tard, les deux sœurs sont toujours célibataires et ont pris la suite de leur père à la tête de la petite communauté. Elles accueillent Babette comme servante qui a fui la France à cause de la révolte de la Commune. Babette sert humblement les deux sœurs en s’adaptant à la cuisine locale.

La communauté est rigoriste, sans chaleur et minée par les conflits et rivalité.

Un jour elle apprend avoir gagné à la loterie 10 000 francs et elle va tout dépenser pour offrir un repas aux deux sœurs et à des membres de la communauté comme elle savait les faire à Paris dans un grand restaurant gastronomique.

Malgré leur réticence initiale, les convives apprécient vite le repas et sont peu à peu envahis de bien-être, le mélange des alcools aidant. Au moment du café, les tensions sont apaisées et chacun se réconcilie.

Dans la scène finale que vous trouverez derrière <ce lien> les deux sœurs, métamorphosées remercient Babette du fond du cœur. Et quand elles comprennent que Babette a dépensé tout l’argent pour leur faire cet unique repas, elles lui disent : « mais tu vas rester pauvre toute ta vie », Babette a cette réponse :

« Un artiste n’est jamais pauvre »

Et un peu plus loin, se rappelant de son métier à Paris : elle a cette phrase :

« Je savais les rendre heureux »


J’ai trouvé que cette phrase et ce film étaient une merveilleuse manière de répondre à celles et ceux qui considèrent le fait de manger comme une contrainte, dont il fallait se débarrasser, au plus vite, sans même se donner le temps comme le conseille le talmudiste de « regarder ce que l’on mange ».

<1263>

Jeudi 4 juillet 2019

« Le repas est une caractéristique de l’humanité depuis très longtemps »
Pascal Picq

Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Père du Messie des chrétiens, Jésus de Nazareth, Allah le Dieu de l’Islam, le Dieu monothéiste qui est unique selon ces trois religions et toutes les chapelles qui sont à l’intérieur de ces 3 religions, ce Dieu là, il ne mange pas.

Jacques Attali écrit dans son livre « Histoires de l’Alimentation » page 56 :

« A la différence des divinités des religions précédentes, le Dieu des juifs, qui a créé les hommes, ne mange pas : manger est, dans le judaïsme, le propre des créatures de Dieu ; c’est même ce qui Le distingue des hommes. »

Chez les dieux grecs dans l’Olympe, on festoyait en mangeant et en buvant.

Dans cette somme qu’est « l’Histoire de l’Alimentation » de Jean-Louis Flandrin et Massimo Montanari :

« Dans l’Olympe, le banquet est le passe-temps favori des dieux. « Toute la journée et jusqu’au coucher du soleil, ils demeurent au festin et leur cœur n’a pas à se plaindre du repas où tous on leur part » raconte Homère. Ils mangent et boivent des nourritures d’immortalité, ambroisie et nectar. » (page 154)

C’est toujours intéressant de s’intéresser aux dieux, ou plutôt à la manière dont les hommes décrivent les dieux. Cela dit beaucoup des humains

Le chapitre 2 de ce même livre a pour titre : « La fonction sociale du banquet dans les premières civilisation » et on y lit :

« Si la société divine a vraiment reproduit, dans la conception que s’en faisaient les Mésopotamiens, certaines caractéristiques de la société humaine, c’est sans doute dans les descriptions des banquets auxquels participent les divinités que le parallèle est le mieux établi : l’esprit comme la forme de ces réunions illustrent, en effet, directement la fonction de ce type de réjouissances à Sumer, en Babylonie ou en Assyrie. […]

L’assemblée des grands dieux, au cours de laquelle sont prises des décisions importantes, se tient souvent lors d’un banquet. Le banquet apparaît comme une des principales marques de la solidarité qui unit ce groupe, en même temps qu’il illustre les agréments de la vie divine telle que la conçoivent les humains. Le banquet est normalement organisé et les invitations faites par le dieu le plus âgé ou le plus haut placé. […]

De même, dans le « cycle de Baal » de la littérature ougaratique, en Syrie occidentale, le dieu Baal inaugure le palais qu’on vient de lui construire par un grand banquet. […].

[après avoir cité un certain nombre d’exemples les auteurs concluent ] Ces exemples […] nous livrent les caractéristiques du banquet en Mésopotamie : rassemblement festif d’une communauté, moment important d’une cérémonie, règles de conduite. […]

Le plaisir du repas pris en commun

Tout accord un peu solennel qui unit des individus et surtout des groupes familiaux se concrétise par leur participation à un repas pris en commun » (page 47 et 48) »

La littérature et les éléments dont s’inspire l’historien qui écrit ces lignes date du IIIème ou IIème millénaire avant notre ère.

Il est question déjà de banquet de repas pris en commun.

Pascal Picq a expliqué que, chez les chasseurs cueilleurs, lorsqu’une importante proie venait d’être chassée, la viande qui en résultait faisait l’objet d’un partage, d’une négociation autour d’un repas commun.

Pascal Picq explique que nous sommes des mangeurs sociaux depuis très longtemps. Les chasseurs cueilleurs, semble-t-il, aimait grignoter :

« Quand il y a des baies succulentes pas en grande quantité on les consomme. Ce qui n’est pas en grande quantité on peut picorer au passage.

Quand il y a des collectes importantes qui peuvent être rapportées dans des paniers ou autre, là par contre ils font l’objet d’échange.

Le repas est une caractéristique de l’humanité depuis très longtemps.

En quoi ce que nous mangeons ensemble, en quoi c’est un enjeu social et de solidarité. On l’a peut-être oublié. »

Pascal Picq comme l’histoire des dieux, non monothéistes, nous montre que les humains ont adopté une attitude sociale du repas en commun : moment où on partage, où on discute, où on prend des décisions.

Un grand nombre d’animaux mange tout le temps, au fil de la journée. L’homme prend des repas : il déjeune. Déjeuner signifie sortir du jeûne, ce qui conduit justement à manger à des moments précis de la journée et de ne rien manger entre temps. Je sais bien, qu’aujourd’hui il en est qui grignote. Tout le monde le sait, ce n’est pas bon de grignoter, de ne pas respecter le jeûne entre deux repas.

Il y a divers mots qui sont utilisés pour désigner les repas.

<Ce blog érudit> nous informe que :

« En 1694, le Dictionnaire de l’Académie française (DAF, 1ère éd.) les définit de la façon suivante :

Desjeuner     Repas qu’on fait le matin avant le disner.

Disner    Repas que l’on fait ordinairement à midy.

Souper    Repas du soir. »

En 1935, l’Académie française (DAF, 8e éd.) ne définit plus ces termes exactement de la même façon :

Déjeuner    Repas du matin OU celui du milieu du jour.

Dîner    Repas qu’on fait le soir. […] Il se disait autrefois du Repas du milieu du jour. Il a gardé cette acception dans quelques provinces.

Souper     Repas du soir. On dit plutôt aujourd’hui, en ce sens, Dîner. Il se dit particulièrement d’un Repas que l’on prend à quelque heure de la nuit.

Aujourd’hui nous disons plutôt petit déjeuner, déjeuner et diner. Si ce sujet vous intéresse le blog indiqué ci-avant est très disert sur l’évolution et les particularismes régionaux..

<selon ce site> nos cousins québécois continuent à enchaîner déjeuner, diner, souper.

Du point de vue étymologique Wikipedia nous apprend que « Dîner » et « déjeuner » ont la même origine puisqu’ils sont tous deux dérivés du latin populaire disjunare signifiant « rompre le jeûne », et constituent donc un doublet lexical.

Est-ce que seuls les humains prennent un repas en commun ?

On voit que les vaches broutent ensemble, les moutons aussi. Mais Michel Serres raconte une histoire qui lui a été rapporté par un forestier des landes qui est allé exercer son beau métier au Gabon :

« C’était dans une forêt tropicale. A la fin de la journée, il avait l’habitude de coucher là. Et tout d’un coup un gorille est arrivé et l’a regardé longuement. Et le forestier qui était tout seul a regardé aussi. Et puis le lendemain le gorille est revenu. Et il est revenu comme ça 8 soirs. Et le neuvième soir il est arrivé avec sa guenon, tous les deux. Et la guenon avec un geste de la main, lui a fait un geste presque d’invitation. Et avec un courage que j’admire beaucoup, il les a suivis dans la forêt. Et tout d’un coup il s’est trouvé près d’un tronc d’arbre sur lequel était posé des bananes et d’autres fruits. Le gorille et sa guenon avait invité l’humain a un repas commun. »

C’est très étonnant. Cette sociabilité précède peut-être même l’espèce humaine.

Le repas à heure fixe est urbain. Michel Serres précise qu’à la campagne l’heure des repas dépend des saisons, du rythme et des impératifs des travaux agricoles.

Pour les marins, que Michel Serres a aussi été, les repas dépendent de l’organisation des services de quart. J’ai appris aussi que dans la marine nationale, un pavillon était levé pour indiquer que le capitaine du bateau était en train de manger. Dans une certaine tradition, l’officier le plus jeune chantait le menu au capitaine.

Bien que le Dieu monothéiste ne mange pas, ses fidèles mangent et prient pendant le repas. La messe chrétienne a été organisée par le récit de la dernière cène du Christ où il a partagé le pain et le vin, ce qui est toujours célébré lors des messes ou services divins d’aujourd’hui.

Le shabbat juif est ponctué de repas succulent, la famille se réunit, moment du partage du pain, de bénédictions et de paroles et d’échanges.

Les musulmans ont aussi une grande tradition de repas partagé. Nous connaissons un peu mieux les repas du soir après le jeune du ramadan.

Pour nous autres français, italiens et latins tout se passe autour de repas partagé. Quand on rencontre un ami qu’on n’a pas vu depuis longtemps, immédiatement on l’invite à déjeuner et on parle autour d’un bon repas.

Même dans les exercices de séduction, souvent tout commence par un repas. Quand la famille éparpillé se retrouve, quand un fils longtemps absent revient voir les parents, les retrouvailles se passent autour d’un repas pris ensemble.

Et Michel serres de nous faire remarquer que lorsqu’on est au restaurant, on voit souvent la joie qui illumine le visage des convives quand le plat arrive à table.

Joie, partage, échange, sociabilité tout cela se joue autour de nos repas.

Mais tout le monde ne partage plus aujourd’hui cet enthousiasme pour le repas pris en commun, mais nous essayerons de voir cela demain.

<1262>

Mercredi 3 juillet 2019

« Les animaux non humains ont la bouche en avant pour manger, le propre de l’homme est le retrait de la bouche »
Michel Serres

Nous étions donc restés hier sur cette belle réflexion du talmudiste :

« Manger, c’est penser. On parle et on mange par le même organe qui est un trou qui est la bouche.
C’est curieux symboliquement que ce qu’on fait rentrer est la nourriture et ce qui en ressort c’est la parole.»

La bouche qui permet de se nourrir, la bouche qui nous offre la parole pour l’échange.

L’émission suivante avait pour invité Michel Serres : <De quoi manger est-il le nom ?>

Et j’ai déjà rapporté qu’à la question posée par le titre de l’émission, le philosophe a répondu :

« Je crois que manger est une activité triple

Elle est Biologique d’abord et vital qui est la survivance

Deuxièmement, c’est une activité sociale, politique et éthique parfois puisque cela pose des questions de circulation des vivres, de spéculation etc…

Et puis c’est aussi un acte religieux, sacré »

Hier nous avions insisté sur le côté sacré et aujourd’hui nous allons nous intéresser à la biologie.

Et Michel Serres de rappeler que:

«Manger concerne les animaux, pour les végétaux c’est différent. Les animaux sont hétérotrophes et les végétaux sont autotrophes.»

Cette première phrase déjà réclame des explications.

Un organisme « autotrophe » est un organisme capable de générer sa propre matière organique à partir d’éléments minéraux. Il utilise pour cela l’énergie lumineuse soit par photosynthèse, soit par chimiosynthèse chez quelques espèces.

L’autotrophie se limite aux végétaux chlorophylliens, aux cyanobactéries et à quelques bactéries. Le plus souvent, l’énergie lumineuse sert à la synthèse de glucides à partir de dioxyde de carbone et d’eau. Les cellules végétales disposent d’organites particuliers, les chloroplastes. Ceux-ci contiennent la chlorophylle et sont ainsi nécessaires aux processus d’autotrophie. »

Le terme « hétérotrophe» qualifie un organisme incapable de synthétiser lui-même ses composants et qui recourt donc à des sources de matières organiques exogènes. Ce mode de nutrition est caractéristique de tous les êtres vivants qui ne sont ni des végétaux chlorophylliens, ni des cyanobactéries, ni certaines espèces bactériennes capables de photosynthèse ou de chimiosynthèse, ceux-ci étant autotrophes. Autrement dit, les animaux, les champignons, quelques plantes, les protozoaires et l’essentiel des procaryotes sont hétérotrophes.

Vous qui me lisez et moi qui écrit nous sommes hétérotrophes, et que dans l’ordre de la biologie nous avons besoin de matières organiques exogènes, c’est-à-dire qui se trouvent à l’extérieur de nous.

Cette connaissance scientifique rend encore plus problématique la prétention de celles et ceux qui entendent se nourrir de « prana »

En effet, lors de la journée de pause du 20 juin 2019 j’avais évoqué ces personnes qui prétendent qu’on peut vivre sans manger.

Ces gens prétendent devenir « pranique » et d’être en capacité de vivre sans manger et sans boire ou avec très peu de solide et de liquide.

Une de ces vidéos se trouve derrière ce lien : <Se nourrir de prana>. Dans ce film vous verrez un homme qui s’appelle Gabriel Lesquoy qui affirme que depuis 2012, il ne se nourrirait plus qu’avec de la lumière. Il concède manger de temps à autre un morceau de chocolat.

<Il y a aussi cet extrait d’un documentaire du nom de Lumière>

Et puis une interview d’un homme du nom de « Henri Monfort » qui dit ne plus se nourrir d’aliment solide depuis 2002 et qui parle d’une période de transition de 21 jours nécessaires pour entrer dans un « état pranique ».

Le pranisme a aussi pour nom L’inédie ou le respirianisme.

Pour l’instant, aucune expérience scientifique sérieuse et encadrée n’a pu valider la véracité de ces pratiques. Et dans la connaissance scientifique actuelle, l’hypothèse la plus vraisemblable reste que nous sommes hétérotrophes. Car rappelons que la science, contrairement à la religion, ne connait pas le concept de vérité mais celui de réfutation. Une hypothèse scientifique reste vraie jusqu’au moment où une expérience ou plusieurs la réfutent. Je ne peux donc croire au pranisme sauf à ce que des expériences rigoureuses établissent que les humains peuvent devenir autotrophes.

Manger est donc le propre de l’animal. Et qu’est-ce qu’un animal ?

Michel Serres continue

« Animal, cela veut dire animé. Les animaux courent, ils se déplacent.

Ils se déplacent pourquoi ?
1° Pour attraper leurs proies
2° Pour éviter d’être mangé
3° Pour être à distance de leurs propres excréments, c’est-à-dire le résultat de manger.
4° Pour trouver un partenaire sexuel. […]

J’ai toujours été fasciné par les poissons.

Le poisson a une forme effilée, hydrodynamique, composée d’une arête centrale et une queue qui le dirige comme un gouvernail.

Mais tout est orienté vers la bouche.

Vous voyez le poisson qui ouvre la bouche et quels que soient les évènements c’est la bouche qui est en avant.

Donc, c’est un appareil de locomotion fait pour manger !

La bouche est en avant !

Et une fois que j’ai été fasciné par le poisson, je me suis dit, mais voyons les boas c’est la même chose.

[…] et les autres animaux.

Les quadrupèdes quand ils sont à quatre pattes, ont aussi la bouche en avant.

Les oiseaux, aussi ils ont les pattes et les ailes pour la locomotion et le bec est en avant, quand ils volent.

Les animaux courent ou volent pour manger.

Un animal ne peut être animé que s’il a de la nourriture énergétique pour qu’il puisse conserver sa chaleur.

Et nous les humains ?

Les animaux ont un pôle nord pour manger, Mais pour nous humains, la bouche n’est pas seulement faite pour manger, elle est faite pour parler, pour chanter, pour aimer. Chez nous la bouche est multifonction. […]

Je ne suis pas naturaliste, mais j’ai l’intuition que quand nous étions à quatre pattes, la bouche aussi était en avant pour manger.

Et comme nous nous voulons faire autre chose avec la bouche que simplement de manger, nous nous sommes mis debout.

Et la bouche n’est plus en avant. […]

Il y a une preuve de cela extraordinaire !

C’est que l’angle facial par rapport aux primates a évolué, homo habilis et notre autre ancêtres sont prognathes : la bouche est encore en avant.

Et nous au fur à mesure que nous nous mettons debout le prognathisme s’efface et l’angle facial ne fait que croitre.

Et ainsi le propre de l’homme est le retrait de la bouche.

Et ainsi les animaux comme les pigeons, les moutons et les vaches broutent tout le temps sauf pendant la rumination.

Et nous les humains nous avons le privilège de ne pas manger tout le temps. »

C’est ainsi que l’homme a créé les repas, c’est la dimension sociale.

Mais revenons aux détails techniques qu’énoncent Michel Serres.

Le « prognathisme » (du grec pro, « avant » et gnathos, « mâchoire ») est une configuration faciale selon laquelle une des deux mâchoires est plus saillante que l’autre vue de profil par rapport à la verticale du front et du nez.

L’angle facial est la mesure qui permet d’évaluer le prognathisme.

L’angle facial est une mesure qui permet d’évaluer le prognathisme d’un crâne, c’est-à-dire la projection plus ou moins avancée des mâchoires et de la face.

C’est l’angle aigu formé par les deux droites (OP) et (MN), avec :

  • O point le plus bas de l’orbite oculaire;
  • P point le plus haut du trou auditif;
  • M point le plus proéminent de l’os maxillaire supérieur entre les alvéoles des deux incisives supérieures centrales;
  • N rencontre de la suture des os nasaux et de l’os frontal.

Toutes ces précisions sont tirées de Wikipedia.

Or l’évolution de l’espèce humaine a justement pour caractéristique une augmentation de l’angle facial et un prognathisme de moins en moins marqué.

Si on aborde ce sujet d’une manière chiffrée on a ces évolutions

  • Homo habilis : 65 à 68°
  • Homo erectus : 75 à 81°
  • Homo neanderthalensis : 71 à 89°
  • Homo sapiens : 82 à 88°

Sur le site de l’Université de Picardie et sur cette page <La lignée humaine> on trouve ce schéma évolutif.

Et Michel Serres de faire l’hypothèse que c’est peut-être le destin de la bouche qui nous a mis debout. Mais c’est aussi peut être parce que l’homme s’est mis debout que la bouche est devenue cet organe multifonction et que nos capacités cognitives se sont développées.

<1261>

mardi 2 juillet 2019

« Il est incroyable que le monde ait du goût »
Pierre-Henry Salfati

Dans la première émission du « sens des choses » consacrée à l’alimentation : Le sens religieux de la nourriture : cannibalisme et interdits religieux. Il y avait deux invités :

  • Le premier, très connu Pascal Picq, paléoanthropologue au Collège de France, que j’ai déjà évoqué lors du mot du jour du <18 juin 2019>
  • Le second moins, Pierre-Henry Salfati scénariste et réalisateur français de cinéma et de télévision. Mais ce n’est pas en tant que réalisateur qu’il a été invité mais en tant que talmudiste.

<Talmudiste> a plusieurs signification, dans le cas de Pierre-Henry Salfati cela signifie qu’il est un spécialiste de l’étude du Talmud.

Le « Talmud » est un ensemble de textes du judaïsme. Si vous ne savez rien de ce pilier de la Loi juive, vous pouvez lire ce court article de <La Croix>.

En résumé, le début de la bible chrétienne commence par les « cinq livres de Moïse » ou Pentateuque, ce n’est qu’une partie de l’ancien testament.

Ces cinq livres sont communs avec la religion hébraïque, d’ailleurs ils ont été écrits dans le cadre de la religion hébraïque, les chrétiens n’ont fait que reprendre ces textes.

Les juifs appellent ces 5 livres : « La Torah »

Cependant, les talmudistes prétendront que les chrétiens n’ont pas bien traduit les textes de « la Torah » et leur ont parfois donné un sens qu’ils n’avaient pas.

« Le Talmud » appartient uniquement à la tradition du judaïsme. Il représente des commentaires de la Torah fait par les rabbins et les docteurs de la Loi et traite toutes les affaires du quotidien, de la législation, de la culture de l’histoire du peuple juif. La Croix écrit :

« On peut y voir une véritable encyclopédie du judaïsme. Maintes fois censuré, interdit et brûlé en place publique (à Paris en 1244, à Rome en 1553, en Pologne en 1757…), il n’a cessé de jouer un rôle d’unité dans la vie intellectuelle et spirituelle juive. Son étude constitue toujours l’objet principal, voire exclusif, de l’enseignement dans les « yeshivot » (écoles talmudiques) à travers le monde. »

Dans l’émission suivante, l’invité était Michel Serres à qui Jacques Attali a demandé de quoi manger est-il le nom ?

Et Michel Serres a répondu

« Je crois que manger est une activité triple

  • Elle est Biologique d’abord et vital qui est la survivance
  • Deuxièmement, c’est une activité sociale, politique et éthique parfois puisque cela pose des questions de circulation des vivres, de spéculation etc…
  • Et puis c’est aussi un acte religieux, sacré »

Manger a quelque chose d’intime avec le sacré.

Le récit sacré qui a structuré une grande partie de notre imaginaire et aussi de notre civilisation s’occupe très vite de la nourriture et du manger.

Et Michel Serres de souligner qu’au début du premier texte de la bible : la genèse il est question de nombreuses fois de manger.

J’ai vérifié : le verbe manger se trouve en effet 17 fois dans le chapitre 3 de la Genèse, celui où les humains vont manger le fruit de l’arbre de connaissance et être chassés du paradis. Il est présent 4 fois au chapitre 2, qui est le chapitre où l’interdiction est posée.

Pierre-Henry Salfati commence son intervention par cette réflexion :

« Le premier monothéisme n’évoque pas l’homme en tant qu’être mangeant, mais en tant qu’être ne mangeant pas.

Quand on sort du ventre de sa mère, le premier réflexe est de casser son jeûne. On va tout de suite manger. Manger sa mère en l’occurrence.

Il s’avère que dans ce texte inouï [Genèse], la première chose qui lierait ce que d’autres appellent Dieu, ce que la Torah appelle autrement, à sa créature, c’est de ne pas manger une chose : tu ne mangeras pas cela.

En quelque sorte le premier contact, c’est le jeûne ou la restriction »

Rappelons, en effet, le texte de la Genèse, chapitre 2, versets 16 et 17 tel que l’écrit la bible chrétienne

« L’Éternel Dieu donna cet ordre à l’homme : Tu pourras manger de tous les arbres du jardin ;

Mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal »

Annie nuance beaucoup le propos de Salfati qui prétend que le premier réflexe de l’enfant qui naît est de casser le jeûne.

En effet, l’enfant dans le corps maternel ne jeûne pas, bien au contraire il est nourri sans avoir même besoin de réclamer à partir du cordon ombilical qui le relie au placenta.

D’ailleurs le placenta et les cellules de l’embryon sont issus des mêmes cellules originaires qui ensuite se différencient pour devenir d’une part le nouvel être vivant et l’autre la matrice nourricière.

Alors quand l’enfant sort à l’air libre, son souci n’est pas de casser le jeûne mais de continuer à se nourrir. Et cela constitue, en effet, une rupture celle de devoir faire un effort pour s’alimenter, alors qu’avant il avait tout ce dont il avait besoin sans effort et même si cela devait se faire au détriment de la mère.

Cela étant le texte fondateur du judaïsme édicte en effet comme première règle, une règle alimentaire qui détourne l’homme d’un aliment végétal précis.

Le fruit de l’arbre de la connaissance, tout un programme…

Pierre-Henry Salfati estime que

« On est ailleurs que dans le religieux ici. Si on étudie ce texte uniquement sous l’aspect philologique. Le végétal interdit est curieusement lié au savoir. […] [Dans une tradition du Talmud] l’interdiction devait durer 3 heures. L’interdit sera transgressé malgré la courte période de l’interdiction. Alors on est dans le symbolique, mais pas que. L’homme ne fait que transgresser son propre symbole.

Ce qui va finalement fonder cette religion-là, c’est le rapport à la conscience : qu’il est incroyable que le monde ait du goût

Que cet univers soit comestible. Comestible non seulement parce qu’il va nous sustenter mais en plus que ce que l’on mange a du goût.

On ne se pose pas la question de savoir si les hommes d’autrefois, aimaient le goût de ce qu’ils mangeaient.

Et le gout déjà fait le choix. L’homme va manger ce qui va le nourrir mais aussi ce qu’il aime, ce qui a bon goût.

Manger en hébreu se dit « èèkhol » (je ne suis pas certain de l’écriture rappelons que j’entends ce talmudiste à l’oral) cela se décompose en « taureau » ou « l’unique » puis « l’un et tout » (‘kohl’). Ce qui signifie qu’en hébreu manger, c’est manger le monde, c’est manger un bout du monde. Manger une pomme, c’est manger l’humanité. Curieusement la science le démontrerait. On est ailleurs que dans le religieux.

Le mot « goût » en hébreu veut dire « la raison » et veut aussi dire « l’accent » (dans le sens accent marseillais)

Le fait que le monde soit comestible avec un certain goût est un mystère.»

C’est pour nous une évidence qu’il existe des aliments et que ces derniers aient un goût.

L’innocent ou le talmudiste s’en étonne et s’en réjouit, le monde est comestible et a du goût.

Notons que de joyeux drilles, mais sont-ils vraiment joyeux, je n’en suis pas sûr, estime que manger prend beaucoup trop de temps et qu’il serait plus simple de disposer de quelques poudres ou de pilules sans goût spécifique permettant d’apporter les éléments nutritifs au corps.

Il faut avouer qu’on est alors très loin du sacré et du goût. On est dans l’utilitarisme et on s’éloigne probablement autant de l’humanisme que du divin…

Mais « l’interdit alimentaire » qui est la première chose qui vient à l’esprit quand on associe le premier monothéisme et l’alimentation.

Rappelons que le judaïsme comme l’islam manifestent des interdits alimentaires. Le christianisme, en revanche, n’a pas d’interdit alimentaire.

Dans les religions non monothéistes, en vertu du principe de non-violence envers toute forme de vie, tous les jaïns ainsi qu’une grande partie des bouddhistes, des hindouistes et des sikhs sont végétariens. Ce n’est toutefois une prescription absolue que dans le jaïnisme où la non-violence est l’idéal fondateur et fondamental.

Les prescriptions alimentaires juives sont définies par les règles de la <cacherout>.

Mais le premier interdit qu’il y a eu dans la religion juive est le sacrifice humain qu’on peut situer à 3000 ou 4000 ans avant notre ère.

La Bible considère le cannibalisme comme une malédiction
(Lévitique 26 verset 29, 2 Rois 6 verset 28)

Par la suite, la religion hébraïque a aussi interdit les sacrifices animaux contrairement aux religions concurrentes de l’époque romaine comme le culte de Mithra où on sacrifiait un taureau dans une cérémonie qui avait pour nom le « taurobole »

Il en était de même avec la déesse Cybèle qui fut une autre concurrente du christianisme. Le musée gallo-romain de Lyon présente des autels tauroboliques pour Cybèle.


Mais Pierre-Henry Salfati aborde le sujet de l’interdit de la manière suivante :

« Qu’est-ce qu’on interdit quand on interdit ?

Est-ce qu’on interdit le goût des choses ou est-ce qu’on interdit quelque chose qui serait toxique ? »

Plus loin il explique qu’il n’y a pas de liste d’aliments toxiques dans les textes juifs. Et il ajoute qu’aujourd’hui il y a des tas de rabbins orthodoxes qui meurent du cholestérol. La nourriture casher les rend aussi malades que les autres.

Mais en fait, ce que ce récit apporte c’est de s’intéresser à la nourriture, à regarder ce que l’on mange :

« La première loi talmudique sur la nourriture qui est le lien le plus intime avec le divin, pour ceux qui croient et le lien, le plus intime avec l’humanité pour ceux qui ne croient pas […] commence par : Regarde ce que tu manges.

C’est la première loi, d’examiner ce qu’on mange.

Je vois tous les jours des gens qui sont en train d’examiner plus que jamais ce qu’ils mangent.

Or ce que l’on mange nous tue, c’est clair.

Mais avant de mourir on a le temps de réfléchir.

On est assassiné par ce monde-là, mais il est consommable.

Certains se sont demandés pourquoi l’homme pouvait comprendre un peu le cosmos, peu se sont demandés pourquoi le cosmos est consommable. »

Le talmudiste s’intéresse ensuite aux mots. Et il explique notamment que le christianisme a traduit des mots hébreux par des concepts qui n’appartiennent pas au judaïsme :

« Il y a une énorme méprise sur le judaïsme lié à une grande histoire culturelle. Je veux en venir aux mots par exemple.

En hébreux, il n’y a pas de mot qui signifie « interdit », en fait si on traduit le mot qui est devenu interdit en français, ce mot signifie « attaché ». Cette chose qui vous attache ou à laquelle vous vous attachez. »

Aujourd’hui on parlerait peut être d’addiction. N’en est-il pas ainsi, par exemple, pour le sucre qui crée de l’addiction ?

« Ce qui est devenu « permis » voulait dire à l’origine « libéré ». Ce qui t’attache d’un côté, ce qui te libère de l’autre côté. »

On interdirait donc des choses qui nous aliéneraient et on nous autorise des choses qui nous libèrent.

Salfati résume :

« On nous incite à nous libérer. Quand on te dit ceci te libère, ceci t’attache, c’est autre chose que de la morale. Le Dieu que le christianisme a rendu rétrospectivement les juifs responsables, les juifs n’y sont pour rien. Il n’y a pas de mot « Dieu » dans toute la Torah. Il y a dix noms qui ont été traduits par Dieu, mais originellement ces noms n’ont rien à voir avec cette affaire. […] De soi-même l’homme choisit ce qu’il mange, ce qu’il peut attraper. Au départ les hommes sont des chasseurs, ils veulent attraper ce qui est le plus facile, ce qui est le plus proche. Manger un lion c’est difficile […] L’animal sauvage est difficilement consommable.»

Et l’animal sauvage fait partie des interdits alimentaires de la cacherout.

Et le lien le plus évident avec le sacré n’est-il pas finalement que l’organe qui permet de parler est aussi celui qui permet d’absorber les aliments qui nourrissent notre corps :

« Manger, c’est penser. On parle et on mange par le même organe qui est un trou qui est la bouche.

C’est curieux symboliquement que ce qu’on fait rentrer est la nourriture et ce qui en ressort c’est la parole.»

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