Mardi 14 décembre 2021

« Ils en ont parlé ! »
Caran d’Ache

Un dessin vaut mieux qu’un long discours selon un propos qu’on attribue à Napoléon Ier.

Dessins de presse, caricatures ont illustré les journaux bien avant l’invention de la photographie.

Un des dessins de presse les plus célèbre de l’Histoire de la presse française s’appelle « Un dîner en famille ».

Il a été publié dans Le Figaro le 14 février 1898. C’est un dyptique composé de deux dessins superposés

Le premier représente une famille attablée pour le début du dîner et le patriarche de la famille lève l’index et donne l’injonction suivante à sa famille :

« Surtout ! N’en parlons pas ! »

Ce dessin est l’œuvre de Caran d’Ache qui était le nom d’artiste d’Emmanuel Poiré. Dessinateur français d’origine russe né le 6 novembre 1858 à Moscou et mort le 25 février 1909 à Pari.

Ce dessin est tellement célèbre qu’il possède sa propre <page Wikipédia>

De quoi ne fallait-il point parler en février 1898 ?

La réponse est : « De l’affaire Dreyfus » bien sûr.

D’ailleurs le texte précis qui se trouvait sous ce dessin le 14 février 1898 était :

« Surtout ! ne parlons pas de l’affaire Dreyfus ! »

A part les érudits, les cinéastes comme Polansky et certains chroniqueurs égarés en politique, plus personne ne parle de l’affaire Dreyfus.

Mais il y a d’autres sujets qui l’ont remplacé pour créer des diners agités, conflictuels voire davantage.

Pendant longtemps ce fut « le réchauffement climatique dû à l’homme » qui était en mesure de créer des fâcheries irréconciliables entre des familiers dont on n’aurait pas pu supposer qu’ils entrent dans de telles disputes.

Maintenant le réchauffement climatique fait consensus, il n’y a plus lieu de se disputer sur ce point…

Mais on a trouvé d’autres sujets.

Beaucoup ont lien avec l’alimentation : les végétariens, les végans et puis sont apparus les antispécistes.

Je n’ai pas encore consacré de mot du jour sur ce sujet passionnant et conflictuel, mais ce n’est qu’une question de temps.

Mais depuis début 2020, « la COVID 19 », « les vaccins » et « le pass sanitaire » sont devenus des sujets hautement inflammables. « Surtout ! N’en parlons pas ! » Sinon, le pire peut arriver : des familles peuvent se fâcher définitivement, des amis de longue date qui en ont parlé, ne plus se parler de rien du tout.

Les journaux s’en sont fait l’écho.

Ainsi cet article d’« Ouest France » :  « Vaccin et passe sanitaire. « Il ne veut plus nous revoir » : quand le débat fracture des familles »

« France Info » : « Ça nous monte les uns contre les autres, c’est ignoble ». Article dans lequel on peut lire :

« Deux jours après la validation de son extension par le Conseil constitutionnel, le pass sanitaire est le nouveau sujet qui fâche dans les familles comme au travail. »

Et aussi « France Inter » : « Un vaccin qui déchire les familles »

Alors, le second dessin du dyptique est sous-titré : « Ils en ont parlé !»

Le magazine « Femina » tente une conciliation : « Covid, ne laissons pas les polémiques nous séparer »

Femina cite Claire Bidart, sociologue et directrice de recherche au CNRS à Aix-Marseille Université :

« Les premiers touchés par ces conflits sont les amis (30,4% des liens dégradés), suivis de près par la famille (29,1%). Viennent ensuite le conjoint (21,7%) puis les collègues (19,4%). Les connaissances (9,2%) et les voisins (7,7%) arrivent loin derrière. Ce sont les liens les plus forts, affectivement et symboliquement, qui sont le plus susceptibles de se dégrader. »

Pour le philosophe Alexandre Lacroix, directeur de la rédaction de « Philosophie Magazine » notre seuil de tolérance à la divergence d’opinion a été abaissé par l’effet des technologies.

« Après des mois de confinement, de distanciation, on a pris l’habitude de ne communiquer qu’avec des personnes qui sont comme nous, qui pensent comme nous. Par leurs algorithmes, les réseaux sociaux nous enferment dans des bulles de savoirs étanches, nous privant d’une dynamique essentielle de la vie sociale la confrontation à des opinions divergentes. Plus que la peur du conflit, c’est la jouissance de se voir conforté dans ses certitudes qui est à l’œuvre dans notre refus du dialogue. »

Zygmunt Bauman écrivait :

« S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage

Alors ne faut-il pas en parler ?

La psychanalyste Saverio Tomasella écrit :

« Une vraie amitié sincère est un vecteur de croissance humaine. Elle va aider les deux amis à grandir, à évoluer, à s’épanouir, en prenant appui sur leurs similitudes mais aussi leurs différences. »

Évidemment, si on commence à traiter l’autre de « fou », de « dangereux » ou de « naïf », il est difficile d’espérer de pouvoir créer un dialogue constructif.

Alors, « Fémina » donne quelques pistes :

« Pourquoi tel ou tel sujet nous fait-il sortir de nos gonds ? Nos convictions sont-elles le fruit de notre anxiété ? S’appuient-elles sur des sources fiables et surtout diversifiées ?  »

Pour Alexandre Lacroix pour dépassionner les débats, il faudrait peut-être fonder la discussion sur certaines interrogations politiques ou philosophiques :

« Est-ce qu’il y a un déficit démocratique dans la façon dont l’exécutif met en place la politique sanitaire ? »
« Qu’est-ce qui est le plus important : la santé ou la liberté ? »
« Cela laisse à chacun la possibilité d’étayer, de justifier sa préférence, en se nourrissant de l’apport de l’autre. »

Pendant le premier confinement, Augustin Trapenard avait pris l’initiative de lire une lettre que lui avait envoyé un écrivain ou un artiste, sur France Inter, chaque matin à neuf heures moins 5.

Plusieurs mots du jour ont fait référence à ces textes d’une humanité essentielle.

Et je finirai ce mot par une lettre que l’écrivaine et journaliste Sophie Fontanel a adressé à son frère :

« Mais nous, dis, nous resterons tendres ?
On va pas se faire avaler ! »

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Mercredi 27 mai 2020

«Je veux redonner la parole aux gens, moi qui ai tellement capté leur image.»
Raymond Depardon

Raymond Depardon est né dans le département du Rhône, en 1942, à Villefranche-sur-Saône. Il était fils de cultivateurs du Beaujolais

Il est considéré comme l’un des maîtres du film documentaire. Il est à la fois photographe, réalisateur, journaliste et scénariste.

Il a créé l’agence photographique Gamma en 1966 et est membre de Magnum Photos depuis 1979. L’agence Gamma a disparu en 2009 suite à une faillite.

Raymond Depardon a fait l’objet d’un entretien de la revue XXI, c’était dans le numéro 6 paru en avril 2009.

L’entretien, qui avait été mené par Michel Guerrin a été repris dans l’ouvrage « comprendre le monde» 

Il explique que c’est son origine paysanne qui va malgré sa timidité lui permettre, dans ses premiers années, de devenir un photographe téméraire et opiniâtre :

« Ce désir d’être photographe est venu à 14 ou 15 ans. […] Je pense à cette formule du paysan occitan Raymond Privat, qui apparaît dans mon film <La vie moderne > : « il ne faut pas seulement aimer son métier, il faut être passionné ».

L’orgueil est aussi un trait de mon caractère, quelque chose qui fait que je vais passer du statut de fils de paysan exploitant à petit photographe indépendant. Je pleure alors alors beaucoup, c’est lié à mon âge. Mais je pleure littéralement de rage quand je rate un cliché. Le désir de réussir une « plaque », c’est ma quête du Graal.

Un autre point central : comme un paysan, je déteste les activités structurées. J’ai enfin une grande curiosité. […] En fat, mon origine paysanne et mon extrême jeunesse vont se révéler être deux atouts.

Ma timidité s’estompe quand je tiens une raison de faire une photo. Dès le début, à 16 ans, je n’ai pas peur, je veux être sur la brèche, tout plutôt que la solitude du dimanche. Je me dis « Pourvu qu’il y ait un tremblement de terre, un fait divers, une personnalité à photographier »

Au début de sa carrière, il photographie beaucoup les personnalités, les vedettes. Il devient même une sorte de paparazzi.

Mais le voyage va l’éloigner de ce type de photographie du superficiel.

« A partir de 20 ans, je voyage beaucoup […] Ce qui me sauve, c’est de ne pas avoir peur du voyage. Je suis silencieux, empoté avec les filles, casanier, un peu sauvage, mais prendre un avion pour un pays lointain, même en guerre, ne me fait pas peur. Il est alors mille fois plus violent pour moi d’aller de Villefranche à Paris que de Paris à Saigon ou à Beyrouth en guerre. […]

J’ai passé la fin de mon adolescence dans ces grandes villes du monde que sont Buenos Aires, Saïgon, Alger ou Beyrouth. Au marché des mouches à Djibouti, même si on ne s’occupe pas de toi, tu peux rester des mois, grimper dans les montagnes, il y a cette force de vivre. Dans ces villes, je retrouve étrangement l’atmosphère de Villefranche. Je cherche un marchand de journaux, je bois un Coca. Après la journée de combats, tu as fait des photos, la lumière est belle, tu as envie de rencontrer la femme de ta vie, mais tu es seul.

Quand je découvre l’Éthiopie, je me dis que ce pays, c’est la Bible. […] Je me suis marié à 45 ans avec Claudine, nous avons fait voyager très jeunes nos enfants ; nous avons vendu une maison pour cela. Si tu aimes voyager loin, si tu n’as pas peur, si ça devient naturel, même si le monde est dur, c’est une fantastique joie et une belle leçon de réel. C’est le réel qui m’a sauvé »

Toujours au long de sa vie et de son évolution, il veut affirmer son indépendance et aussi un destin d’artiste :

« Je ne veux dépendre de personne. Je veux rester propriétaire de mon travail, donc de mes négatifs. C’est parce que je ne le suis pas à l’agence Dalmas que je contribue, avec d’autres, à créer l’agence Gamma en 1967. Rejoindre Magnum, en 1979, c’est aussi la confirmation que je deviens un auteur. […] .Un photographe, c’est un propriétaire, une profession libérale. Pas un salarié, pas un métayer. C’est la même chose pour mon cinéma. Je suis propriétaire de tous mes films. Je ne les ai jamais faits pour un client ou pour une télévision […] Quand un photographe me dit : « Je suis photographe salarié à l’AFP », il fait le choix de recevoir un salaire quel que soit son travail. C’est un choix, pas le mien. Pour moi, un photographe n’est pas un ouvrier mais un artiste.

Quand on me propose de rejoindre l’agence Magnum, la première chose que je fais est de lire les statuts. Ils sont d’une intelligence incroyable. C’est comme une ferme autogérée : mettre des choses en commun, mais jamais sa personnalité artistique. »

Rappelons que « Magnum Photos » est une des plus grandes agence photo mondiales et a été créée en 1947 notamment par Robert Capa et Henri Cartier-Bresson. Vous trouverez <sur cette page> des photos que Raymond Depardon a réalisé dans le cadre de Magnum.

Toujours il privilégie l’art, la poésie :

« Je m’exprime en images pour percevoir au mieux. Pas comme un professionnel, mais comme un amateur. Mon problème en fait est ailleurs. Beaucoup de gens, dans la photo documentaire, ne voient que le contenu et pas la forme, la description et pas la poésie.

A la sortie de mon exposition « Terre natale », à la fondation Cartier, une femme dit à propos de ces portraits sonores de gens du monde entier dont la langue est menacée : « Vous avez montré toute les misère du monde ». Ce n’est pas du tout ce que je voulais traduire. C’est toute l’ambigüité de l’image. Mais ce n’est pas une raison de démissionner. Je continue résolument de travailler la forme. J’avance… Toujours avec l’image. »

Vous trouverez derrière <Ce lien> une présentation de cette exposition par Raymond Depardon.

Et puis, il va passer de la photographie au cinéma, toujours dans la recherche de l’émotion et du partage de celle-ci. Ainsi en 1969, il part faire un reportage consacré à la minute de silence des Pragois visant à commémorer le premier anniversaire de la mort de Ian Palach qui s’était immolé par le feu pour s’opposer à l’intervention des chars russes en Tchécoslovaquie. Il va prendre une caméra et non un appareil photo et il s’en explique :

« L’image en mouvement est un rêve d’enfant, un rêve aussi de l’agence Gamma qui est toute jeune (créée en 1967). Nous voulons expérimenter, je peux oser des choses. Je veux étirer la minute de silence – le film dure douze minutes – et le cinéma est le meilleur moyen de le faire. C’est comme si je filmais ces gens pour la première ou la dernière fois. Ils sont magnifiques, car arrachés à leur quotidien. Entre mélancolie et perte.

Les bases de mon cinéma sont dans ce film. Montrer des choses qui disparaissent, un temps qui passe, mais sans nostalgie. Quand je fais un plan fixe de dix secondes, on me dit que c’est parce que je suis photographe. C’est faux, c’est même le contraire. C’est le rapport au temps qui s’oppose. En photo, je l’arrête ; au cinéma, je l’étire. »

Il va aussi faire des photos en Afghanistan où il rencontre le commandant Massoud qui devient son guide.

Et il raconte comment il s’est senti trahi par la Presse raison pour laquelle il s’est éloigné du photojournalisme pour se tourner davantage vers le documentaire :

« Une histoire en Afghanistan cristallise tout cela. A l’approche d’un village Massoud me dit de monter sur un cheval. Des enfants surgissent et me jettent des noix. C’est une tradition. Plusieurs mois après, je découvre l’image dans « Stern » avec cette légende « Les enfants fuient les bombes. » En fait, ils courent après les noix. Je suis triste, car je ne voix pas d’avenir pour cette photographie. Le cinéma m’aide alors à avancer. Je veux redonner la parole aux gens, moi qui ai tellement capté leur image. Mon cinéma part de là, filmer des mots, enregistrer ce que j’appelle le « discours frais ». »

Et j’aime beaucoup sa conclusion :

« Voilà comment, alors que je suis photographe, je décide de construire un cinéma fondé sur la parole. Sur le naturel des gens filmés, aussi. Pour cela, avec ma caméra, je deviens abat-jour ou portemanteau et prends un plaisir immense à être transparent. Gamin, à la ferme, j’avais vu une photo prise çà Lourdes d’un caméraman au milieu des pèlerins. Il leur disait : « Ne regardez pas la caméra, priez ! ». Je m’en souviens, car c’est un peu la métaphore de mon cinéma : « Ne regardez pas la caméra, parlez ! ».

Il existe des exemples sur Internet du travail de Raymond Depardon. Par exemple <10e chambre, instants d’audiences> qui est un film documentaire français réalisé en 2004. À travers 12 cas réels (conduite en état d’ivresse, petit trafic de drogue…), sélectionnés parmi plus de 200 filmés exceptionnellement entre mai et juillet 2003 à la 10e chambre du tribunal correctionnel de Paris, présidée par Michèle Bernard-Requin, ce film documentaire montre le quotidien de la justice. Les cas sont simplement filmés sans ajout de commentaire.

Je rappelle que Michèle Bernard-Requin est décédée le samedi 14 décembre 2019 et que quelques jours auparavant, elle avait écrit un texte bouleversant pour écrire un hymne au personnel hospitalier du pavillon Rossini de l’hôpital Sainte-Perrine, pavillon de soins palliatifs dans lequel elle finissait sa vie. Je l’avais repris dans un mot du jour <Une île>.

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Lundi 4 mai 2020

«La revue XXI»
Mook fondé par Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry

Sortons résolument de l’actualité et du bruit médiatique.

Un jour une amie, lectrice du mot du jour, est venue à la maison avec un livre.

Elle nous a dit que ce livre pourrait nous intéresser Annie comme moi et que je pourrais même y trouver matière à mot du jour.

C’était il y a déjà longtemps, probablement en 2017.

Il a fallu le temps de la maturation pour suivre ce sage conseil.

Ce livre a pour titre « Comprendre le monde », il se trouve encore mais difficilement.

Ce titre fait sens avec l’exergue général que j’ai mis sur la page d’accueil de mon blog : « Comprendre le monde c’est déjà le transformer »

Cette phrase n’est pas de moi, mais de Guillaume Erner lors de sa première émission « Des matins de France Culture », le 31 août 2015, lorsqu’il a remplacé Marc Voinchet qui venait d’être nommé Directeur de France Musique. J’en avais d’abord fait un mot du jour, <le 9 septembre 2015>.

Le livre « Comprendre le monde » a pour sous-titre « Les grands entretiens de la revue XXI »

« XXI » est une revue trimestrielle française de journalisme de récit. Elle a été créée en janvier 2008.

C’est plutôt un livre qu’un journal, elle est vendue en librairie et sur abonnement.

Ce concept a été désigné sous le nom de « Mook », (contraction de “magazine” et de “book”, livre en anglais).

Le nom de la revue, XXI, fait référence au XXIe siècle. Selon Wikipedia, elle est diffusée à 22 000 exemplaires en moyenne.

Le choix est celui de la qualité et du refus de la publicité. Chaque tome est vendu 16 euros.

Pour ses fondateurs Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry :

« L’idée était de rassembler le meilleur du journalisme avec le meilleur de l’édition”4 sur le modèle des grands reportages américains du New Yorker et de Vanity Fair ».

La propriété de la revue a évolué depuis 2008 elle est désormais associée à l’éditeur Le Seuil.

<TELERAMA> a salué le lancement de cette revue par un article élogieux :

XXI N°29

« Mais il y a aussi de bonnes nouvelles. Et même de très bonnes surprises venant de la presse magazine comme le succès d’une jeune revue atypique « XXI » (Vingt et un). Succès qu’aucun spécialiste du marketing et aucun éditeur de presse n’auraient prédit. Imaginez : un magazine papier, sans publicité, diffusé en librairie et exceptionnellement en kiosque, à la périodicité compliquée (trimestrielle) et qui offre des reportages et des enquêtes, du récit long, dépassant souvent les dix ou douze pages !

[…]  Avec son goût pour le récit, cette revue qui fait facilement tomber ses lecteurs dans l’addiction est née de la rencontre de Patrick de Saint-Exupéry avec l’éditeur Laurent Beccaria. Directeur et fondateur des Arènes, ce dernier aime prendre des risques et publier à contre-courant, qu’il s’agisse de Denis Robert ou d’Eva Joly.
Les amateurs de généalogie iront rechercher les lointains ancêtres de XXI dans la famille du défunt L’Autre journal de Michel Butel, du New Yorker ou même de la presse populaire qui diffusait, en feuilletons, au début du XXe, les grands reportages d’Albert Londres. Peu importe. La leçon de XXI est qu’un journal de journalistes, né sur une intuition, sans penser produit marketing ni cœur de cible, semble avoir réussi son pari »

Jusqu’en 2020 le sous-titre était « L’information grand format ». Elle est désormais sous-titrée « Dans l’intimité du siècle », cela correspond à une nouvelle formule lancée le 10 janvier 2020.

Lors de ce lancement, le magazine « Les Inrocks » a consacré un article à cette nouvelle formule :

XXI N°46

« A son lancement il était un ovni, une exception. Bref, un objet surprenant et innovant. Mais douze ans plus tard, il fallait se rendre à l’évidence : XXI n’est plus la seule revue grand format. Plus d’un an après son rachat, ce trimestriel lance alors sa nouvelle formule ce vendredi 10 janvier. Exit “L’information grand format”, et bienvenue “Dans l’intimité du siècle”, nous dit le sous-titre. “XXI c’est avant tout une revue trimestrielle, sans publicité, qui raconte des histoires avec des reportages et des histoires incarnées humaines, à hauteur d’hommes”, résument les rédactrices en chef Léna Mauger et Marion Quillard.

Fondé en 2008 [ce mook] recevait un bel accueil médiatique. Et pour cause, dans un milieu confronté à un manque de moyens, et où l’uniformisation de l’information devient la règle, l’objet fascine les journalistes.

Du slow média dans un secteur devant toujours faire plus vite, le pari était lancé avec cette revue indépendante privilégiant les reportages de terrain au long cours et une écriture soignée via des sujets éloignés d’une actualité sur laquelle tout le monde a les yeux rivés. Le tout vendu en librairies (16 euros), et donc libéré des contraintes des circuits de diffusion de la presse écrite.

XXI reste encore aujourd’hui un bel objet. Avec sa maquette, ses illustrations et ses photos élégantes, le mook attaque directement par le vif du sujet : son article de Une.[…]. Petite nouveauté : les formats courts du début sont supprimés au profit d’articles qui nourrissent les grands formats et permettent d’aller plus loin.»

Selon cet article la revue compte 8 000 abonnés et se vend à 22 000 exemplaires.

<Le dernier numéro> porte le numéro 50 et a pour sujet « Achetez votre nationalité préférée ».

L’édito de Léna Mauger qui me semble d’une grande pertinence est en accès libre. Je le partage ci-après :

« Je m’amuse toujours de l’étonnement des jeunes, quand je leur raconte qu’avant 1914 je voyageais en Inde et en Amérique sans posséder de passeport, sans même en avoir jamais vu un », raconte Stefan Zweig dans Le Monde d’hier, Souvenirs d’un Européen, chef-d’œuvre écrit à la veille de son suicide au Brésil, où l’écrivain autrichien, dépossédé de sa nationalité, s’était réfugié pour fuir le nazisme. Aujourd’hui, un Français peut se rendre sans visa dans 164 pays, un Syrien, dans 37, un Afghan, dans 30. Se déplacer, voyager est un marqueur de puissance, de richesse, de pouvoir. Et le passeport pourrait être l’allégorie d’un monde globalisé divisé entre ceux qui peuvent se payer le luxe d’aller partout, et ceux qui ne vont nulle part. Ce numéro de XXI explore des lignes de fracture à travers des histoires vraies sans frontières. En Australie, où l’eau est désormais cotée en Bourse, le marché a gagné et les agriculteurs trinquent. En Arabie Saoudite, le prince héritier se repose sur un yacht à un demi-milliard de dollars alors que les caisses de son royaume sont presque vides. En France, la mer engloutit des marins payés 3 euros de l’heure, et des invisibles, des oubliés, saisis dans l’objectif d’un photographe, se privent pour nourrir leurs enfants. À défaut de pouvoir leur offrir des visas pour un monde plus juste, XXI leur donne un visage. »

La revue XXI a bien sur un site sur lequel vous pouvez acheter un numéro ou vous abonner : https://www.revue21.fr/

<Ici vous trouverez tous les numéros déjà parus>

Pour ma part, à partir de demain je reviendrai sur un certain nombre d’articles qui date des 8 premières années de cette revue.

Ce livre est, en effet, paru fin 2016.

Ce livre reprend donc de grands entretiens d’écrivains, photographes, militants, historiens ou scientifiques…

Ils ont 30 comme 90 ans. Ils viennent d’Europe, d’Asie, d’Amérique ou d’Afrique.

Ils ont pour nom Xu Ge Feï, Raymond Depardon, Amin Maalouf, Michelle Perrot,Tobie Nathan, Vandana Shiva, Bronislaw Geremek…et d’autres encore.

A partir de demain, je vais vous inviter à partager leurs réflexions, leurs histoires, leurs analyses et souvent leurs histoires.

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Mardi 9 juillet 2019

« 30% de calories en moins, c’est 20% de vie en plus ».
Frédéric Saldmann

Evidemment si vous espériez que cette série de mots du jour réponde à la question de savoir si la meilleure huile est l’huile d’olive ou l’huile de colza vous ne pouvez être que déçu.

Mais, dans le premier article qui a introduit cette série, « L’homme est ce qu’il mange » j’avais prévenu :

« Pour celles et ceux qui espèrent trouver des réponses dans ces mots du jour, je ne peux que reconnaître que cet espoir n’a aucune chance de prospérer.

Mais notre expérience nous l’a appris, pour progresser ce qui est fondamental ce n’est pas de trouver les réponses, mais c’est d’abord de poser les bonnes questions. »

Alors pour avoir de bons conseils pour manger, la troisième émission du sens des choses : <Comment faudrait-il manger aujourd’hui pour tirer le meilleur de son corps et de son esprit ?> aurait pu servir à cette fin

Jacques Attali et Stéphanie Bonvicini avaient, dans ce but, invité le médecin nutritionniste Frédéric Saldmann.

En fait, Frédéric Saldmann est un médecin qui a d’abord appris à la faculté de médecine la cardiologie.

Il raconte qu’il souffrait d’obésité et que cela lui a valu des problèmes de santé. Quand il a consulté un confrère ce dernier lui a prescrit tout un paquet de médicaments.

Frédéric Saldmann a décidé de ne pas prendre ces médicaments et de changer radicalement son alimentation. Il a perdu 25 kilos, n’était plus malade, a décidé d’écrire des livres et de devenir nutritionniste.

Tout au long de l’émission, il a lancé des affirmations avec un ton extrêmement convaincant.

Il a parlé notamment de deux patients qui sont venus le voir, tous les deux avaient le cancer.

Et chacun des deux affirmaient manger très sainement et avec beaucoup de soins.

Avec un questionnement approfondi il a pu découvrir que le premier patient buvait des boissons brulantes ce qui est propice au cancer de l’œsophage qu’il avait. Le second faisait beaucoup de barbecue et aimait manger la viande très grillé, brulé. Le cancer du côlon en était la conséquence.

Le conseil est donc de ne pas boire trop chaud et de ne pas manger de la viande carbonisée.

Ceci s’entend, je l’ai lu ailleurs et c’est très probablement exact.

Mais pour la viande carbonisée il affirme : 3 cm de croute brulée c’est comme fumer 200 cigarettes !

C’est probablement plus convainquant avec des chiffres !

Il m’étonnerait beaucoup qu’une étude ait été menée pour parvenir à cette comparaison…

Et puis il a aussi avancé cette « vérité » :

« 30% de calories en moins, c’est 20% de vie en plus ».

D’où sort-il ces chiffres ? Mystère.

C’est le type de message qui immédiatement mobilise mes capteurs d’alertes. Le doute surgit !

Si ce cardiologue devenu nutritionniste avance des arguments de ce type sans preuve peut-on croire le reste de ces affirmations ?

Il dit qu’il ne faut pas seulement se focaliser sur les calories mais aussi sur l’indice glycémique des aliments.

L’index glycémique permet de comparer des portions d’aliments qui renferment le même poids de glucide en fonction de leur capacité à élever le taux de sucre dans le sang (glycémie). Il indique à quelle vitesse le glucose d’un aliment se retrouve dans le sang.

Frédéric Saldmann donne alors comme exemple la pastèque qui a peu de calories mais un index glycémique élevé. Quand vous mangez des pastèques, cela va faire sécréter énormément d’insuline par le pancréas, le sucre va se transformer en graisse et va créer de l’inflammation. Et il compare à un avocat qui a un index glycémique proche de zéro, il n’a aucun effet inflammatoire. Et quand on prend un burger frites, ce qu’il ne faut pas faire selon F.S., l’avocat fait baisser de 30% l’effet inflammatoire de ce mauvais repas. Toujours des chiffres pour crédibiliser l’argument.

Il donne aussi comme conseil au milieu du repas de s’arrêter de manger pendant 3 minutes et au bout de l’attente de vérifier si on a toujours faim. Et bien sûr de s’arrêter si on constate le contraire. C’est certainement un bon conseil.

Comme celui de manger beaucoup de légumes et de fibres.

Il parle des « aliments retards » comme les sardines, les maquereaux, les poivrons grillés qui restent très longuement dans l’estomac et permettent ainsi d’éviter d’avoir faim rapidement.

Par contre quand il conseille de commencer le repas avec une banane nappée de chocolat à plus de 80% pour couper la faim on peut s’interroger.

De mettre de la cannelle sur les pommes ?

Et puis c’est un adepte du jeûne intermittent que lui appelle séquentiel. Il dit :

« On arrive à un moment très paradoxal. Pendant très longtemps les humains se sont battus, ont lutté pour se nourrir, avec leur force. Et aujourd’hui, cette abondance nous nuit.

Je m’interroge beaucoup à un sujet qui est le jeûne séquentiel.

C’est-à-dire entre 12 à 16 heures, vous décidez d’arrêter de vous alimenter. Vous buvez beaucoup d’eau de la tisane, du thé. Vous arrêtez de diner à 21 heures et vous déjeunez à 13 heures.

A ce moment-là, vous vous apercevrez que le teint est plus clair, que vous êtes plus tonique, qu’il y a moins d’asthme et moins de rhumatisme.

Qu’est ce qui se passe ?

A chaque seconde, on produit 20 000 000 de cellules, pour remplacer nos cellules usées ou mortes. Le problème c’est que plus on avance en âge, plus le nombre d’erreur de copies augmentent, donnant lieu à des cancers. Quand on jeûne, on renforce son ADN, on diminue le nombre d’erreurs de copie. »

<Il répète cette injonction dans cet entretien>

Mais parallèlement, dans ce même entretien il prétend qu’il faut le faire de manière occasionnelle, une fois par semaine peut être. Et aussi qu’il faut le faire avec l’accord du médecin traitant.

Mais, en même temps, il prétend que 3 repas c’est trop dans une journée et il préconise deux repas. C’est-à-dire que si vous faites au plus équilibré, il y aura au moins douze heures entre deux repas Et si vous équilibrez moins la journée, vous arriverez à plus de 12 heures pour l’un des entractes entre les deux repas. Or, le jeûne séquentiel est justement une interruption entre les deux repas entre 12 et 16 heures.

Il parait donc contradictoire de prétendre d’une part qu’il faut que le jeûne séquentiel soit épisodique et d’autre part en faire une norme.

Ceci m’a conduit à essayer de cerner le sérieux et l’activité de ce docteur Saldmann

J’ai d’abord trouvé cet article très critique de Libération pour la sortie de son ouvrage « «Le meilleur médicament, c’est vous !» : <Avaler des évidences plutôt que des cachets> et cet autre article <Astuces du Dr Saldmann pour mourir en forme> sur un autre livre, best-seller du cardiologue reconverti : « Prenez votre santé en main ! »

Nous pouvons penser que « Libération » est injuste avec ce « nutritionniste » mondialement connu.

A priori <Wikipedia> soutient Libération :

« Frédéric Saldmann, […] est un médecin cardiologue, nutritionniste et chef d’entreprise français. Il a présidé les sociétés commerciales SPRIM et EQUITABLE jusqu’en 2014.

Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur la santé et l’hygiène alimentaire, et intervient régulièrement dans les médias.

Certaines affirmations contenues dans ses ouvrages sont critiquées, concernant l’interprétation peu rigoureuse qu’il fait de recherches et statistiques. […]

Il a présidé les sociétés de conseil en affaires et gestion SPRIM — laquelle conseille des multinationales de l’agroalimentaire comme Danone, Nestlé, Coca-Cola, Herta ou encore Blédina — et EQUITABLE jusqu’en 2014.

Sa troisième épouse, Marie Saldmann, préside les deux sociétés depuis cette date. […]

Il dirige avec Gérard Friedlander, une société commerciale, l’Institut européen d’expertise en physiologie (IEEP) qui fait « l’interface entre groupes industriels et monde académique ». L’IEEP est largement financé par les dépenses de recherche de Coca-Cola, ayant reçu près de 720 000 euros au cours de la période 2010-2014 pour un « projet de recherche sur les édulcorants intenses », alors que « la multinationale aménage de multiples clauses pour exercer une influence sur les travaux scientifiques qu’elle sponsorise. ». […]

Lors de plusieurs prises de positions, Frédéric Saldmann émet des recommandations alimentaires basées sur des études observationnelles. Bien que ce type d’étude permette de mesurer des corrélations (par exemple entre comportement et état de santé), cela ne suffit pas à établir un lien de causalité et permet tout au plus d’aider à proposer des actions de prévention et non d’établir un traitement.

Il affirme que le chocolat noir 100 % permet de réguler son poids, notamment grâce à son effet coupe-faim dans le livre “Le Meilleur Médicament c’est vous”, ainsi que lors de la promotion du livre dans les médias. Il cite pour cela une étude réalisée par Beatrice Golomb de l’Université de Californie à San Diego ayant relevé une corrélation entre poids et la consommation régulière de chocolat. Cependant, l’étude est critiquée pour sa méthodologie car celle-ci ne permet pas d’établir un lien de cause à effet. Elle est également citée comme principal exemple de mauvaise interprétation des recherches scientifiques dans le documentaire Pour maigrir, mangez du chocolat ! Vérité scientifique ou manipulation ? (Arte, 2015). Cette corrélation du chocolat est connue dans le milieu scientifique comme un exemple caricatural de junk science (« science poubelle », publications racoleuses et peu fiables destinées essentiellement à la viralité médiatique). »

La journaliste Sophie des Déserts lui a consacré également un article documenté et peu favorable : « Docteur Frédéric Saldmann, médecin et gourou du Tout-Paris »

C’est un article est très long. Je n’en tire que 3 extraits : d’abord sur la clientèle.

« Le docteur Saldmann reçoit sur rendez-vous, deux ou trois matinées par semaine, à l’hôpital européen Georges Pompidou, joyau de la médecine publique. Deuxième étage, service des « explorations fonctionnelles ». Il n’est pas souvent là mais il est réputé pour son goût des lumières (des caméras de télé le filment souvent, aux yeux de tous, sur la passerelle du grand hall) et pour la renommée de sa patientèle. Quand on évoque celle-ci, il oppose un strict secret professionnel et refuse de donner le moindre nom. Isabelle Adjani ou Roman Polanski ? « Des amis », se contente-t-il de préciser. Mais dans le couloir, on peut croiser Bernard Tapie, Jack Lang, Claude Lelouch ou Charlotte Rampling. »

Bien sûr, selon votre degré de célébrité vous n’êtes pas reçu dans les mêmes délais.

« Cardiologue, nutritionniste, expert autoproclamé en médecine prédictive (une discipline non reconnue par la faculté de médecine), fondu de médecine chinoise et de méditation, Saldmann est le nouvel oracle du bien-être et de l’éternelle jeunesse. Cet homme-là prétend que tout est affaire de volonté et d’attention à son corps. Que la retraite est la pire des défaites. Que l’on peut à tout âge faire l’amour et gravir des montagnes. Vivre cent cinquante ans et bientôt peut-être plus encore. Les baby-boomers adorent, a fortiori quand ils sont célèbres, fortunés, puissants mais tellement démunis pour affronter les affres du temps. Saldmann est leur Dieu, non pas parce qu’il consulte au tarif sécu (la plupart de ses patients n’ont pas de problèmes de fins de mois), mais parce qu’il leur offre, sous le label de l’assistance publique, une médecine haute couture, un service personnalisé, rapide et efficace. Un patient recommandé peut être reçu dans les quarante-huit heures. Pour le quidam, c’est évidemment beaucoup plus long. « J’ai un rendez-vous le 15 novembre à 14 heures », m’a proposé sa secrétaire d’une voix désabusée. Nous étions en décembre, s’agissait-il d’une erreur?? « Non, c’est bien cela, comptez un peu moins d’un an. Le planning est plein. » »

Il sait parler de tout, a un avis sur tout et surtout gère bien ses affaires.

L’ouvrage est à son image, un curieux mélange de pragmatisme et d’érudition, d’argumentations solides et de fantaisies. On y trouve des citations de Montaigne, Woody Allen, Pierre Dac (« L’éternuement est l’orgasme du pauvre »), des leçons de choses, d’hygiène, des recettes de grands-mères, quelques envolées futuristes, de la psychologie positive et beaucoup de bonnes nouvelles. La génétique ne pèse que 15 %, la libido masculine s’entretient ad vitam æternam et la ménopause, avec une bonne hygiène de vie, peut reculer de sept ans?! Il est question de sexe, de stress, d’épices, de méditation et même de constipation. « Avec un petit tabouret devant soi sur le trône, jambes allongées, l’angle ano-rectal est moins fermé, le transit facilité. On gagne une heure par semaine et un ventre plat?! […]

Pédagogue, toujours disponible, il est devenu ce qu’on appelle un « bon client ». Il peut causer de tout, des bienfaits de l’écharpe, de la carotte et du poivre, des allergies, de l’éjaculation précoce, de la chirurgie esthétique et du réchauffement climatique. Et pendant ce temps, loin des projecteurs, le cardiologue mène tranquillement son autre vie, de businessman. »

On apprend aussi qu’il est un grand ami de BHL et bien d’autres informations très surprenantes sur cet homme énigmatique qui a l’air de tout comprendre et de tout savoir sur l’alimentation.

Pour ma part je suis très sceptique sur l’accumulation des livres, des conseils, et détails chiffrés que présente ce médecin, devenu homme d’affaires.

C’est très compliqué de rencontrer des personnes sérieuses sur ce sujet.

La série sur l’alimentation n’est pas terminée par cet article, il y a encore beaucoup à dire sur le sucre, l’obésité, la capacité de la terre de nourrir 10 milliards d’individus, de la grandeur et des « arrangements » du bio et de tant d’autres sujets.

Mais provisoirement je suspends cette série.

A partir de vendredi, le mot du jour se mettra dans une longue pause estivale.

D’ici là, j’ai prévu 3 mots du jour sur d’autres sujets, à partir de demain.

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Mercredi 13 février 2019

« Le programme télé avait avancé en âge avec moi.  »
Sonia Devillers

Quand les journaux ont annoncé le décès de l’ami de Casimir :

« Patrick Bricard, le François de “L’Ile aux enfants” est mort »

J’étais très loin de penser que cette nouvelle allait me donner matière à un mot du jour.

« L’ile aux enfants » était une émission de télévision pour les enfants diffusée entre 1974 et 1982.

Mais la chronique de Sonia Devillers « L’édito M » du mardi 29 janvier 2019 « Casimir et les enfants de la télé » sur France Inter, m’a convaincu qu’il y avait là matière à faire un constat très pertinent sur la télévision :

«  François de « L’île aux enfants » s’en est allé trop discrètement.

Pour ceux qui auraient eu le mouvais goût de naître dans les années 80 ou pire, après, Casimir était un monstre gentil, sorte de gros patator orange quoique arrivé à l’écran en noir et blanc. Vous me direz l’affirmation de la différence pour ce diplodocus en mousse ne fut pas affaire de couleur. Casimir n’avait que quatre doigts : « c’est mon droit, c’est mon droit », répétait-il crânement aux humains Julie, le facteur, Monsieur snob et François.

François, la queue de comète des années 70. Chemises à carreaux, éternel étudiant, marchand de ballons, rêveur et pédagogue. Il est à la fois celui qui explique et celui qui trouve de nouveaux jeux pour les enfants.

La découverte et la science sont jeu. L’imagination est un savoir. Pourvu, surtout, que l’apprentissage et le rire soient des activités inutiles et désintéressées, donc fondamentales. Le plus incongru c’est que tout cela c’était de la télévision (TF1 avant la privatisation) et de la télévision pour marmots à 18 heures.

En apprenant la mort de l’acteur qui incarnait François, j’ai compris soudain non pas que la société avait changé, mais que le programme télé avait avancé en âge avec moi.

Petite, je rentrais de l’école, je goûtais et à 18 heures « L’Ile aux enfants », sur la Une, « Récré A2 », en face.

Ado, je rentrais du collège, je goûtais et à 18 heures, « Beverly Hills », « Hélène et les garçons », etc…

Aujourd’hui, mère de famille, je rentre du boulot et à 18 heures, il y a des programmes pour les ménagères avec enfants. Sentiment étrange.

Je devrais regarder la télé en disant « c’est plus de mon âge ». Mais non, ça l’est toujours et dans vingt ans, à 18 heures, il n’y aura que des émissions pour les vieux comme moi. Le média vieillit avec moi. Pour me garder captive. Nous nous éteindrons ensemble. Sûrement.

Parce que les enfants d’après moi ont pris leur goûter devant un ordinateur et que mes enfants à moi goûtent devant leur smartphone. François, la dernière génération d’enfants de la télé te saluent. »

<Toutes les enquêtes le disent> les spectateurs de la télévision sont de plus en plus vieux :

« Toutes chaînes confondues, le téléspectateur moyen est âgé de 50,7 ans. Soit une dizaine d’années de plus que la moyenne des Français. […]

Lorsque Julien Lepers est évincé de Questions pour un champion, les médias vont chercher des réactions dans les maisons de retraite. Caricatural ? Hélas non. Le public de France 3 est vieux: 61,4 ans en moyenne. La moitié de son audience a même plus de 65 ans…

La télé attire les vieux

[…] les plus de 50 ans la regardent la télévision trois fois plus que les 15-24 ans.

Depuis 1992, l’âge moyen du téléspectateur a vieilli de 4,4 ans, soit à peu près au même rythme que toute la population.

Mais toutes les chaînes ne sont pas égales face à ce vieillissement. Certaines chaînes vieillissent plus vite que la moyenne. Ainsi, les dirigeants de M6 ont de quoi se faire des cheveux blancs: leur audience a vieilli de 4,4 ans depuis 2010. De même que ceux de TF1, dont le spectateur a pris 4 ans sur la période, et est désormais plus âgé que la moyenne des chaînes. »

Il faut se souvenir qu’il existait une époque dans laquelle, quasi tous les français regardaient la télévision et avaient ainsi un sujet de conversation commun le lendemain.

Au-delà des critiques légitimes de la qualité des émissions de l’époque, cela créait indiscutablement du lien, une sorte d’unité. L’ordinateur et les réseaux sociaux créent plutôt de la division façon puzzle.

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Vendredi 11 mai 2018

« Heb’di »
« Accroche-toi », journal alsacien qui a mis en ligne l’échange entre le Samu de Strasbourg et Naomi Musenga

A moins que vous ayez décidé de vous isoler de toutes informations et de tous médias, il n’est pas possible que vous ignoriez le destin tragique de Naomi Musenga qui a appelé le Samu de Strasbourg en se sentant mourir et qui au lieu d’être prise en charge, a fait l’objet de moqueries au téléphone et a été abandonnée à son sort. Quand quelques heures plus tard elle a enfin été amenée à l’hôpital public, elle est morte d’une hémorragie interne.

Avant de continuer, une photo, tant il est vrai que lorsqu’on voit une image de cette jeune femme rayonnante, on perçoit une part encore plus grande d’empathie.

Ce drame a eu lieu le vendredi 29 décembre 2017, et on n’en parle qu’aujourd’hui, 6 mois après !

Le journal « LE MONDE » publie un communiqué des hôpitaux Universitaires de Strasbourg le 3 mai 2018 dans lequel on peut lire :

« La Direction générale des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg a pris connaissance vendredi 27 avril, d’un article paru dans le journal Heb’di, relatif aux conditions de traitement d’un appel réceptionné au SAMU 67.

Avant toute chose, les HUS s’associent à la peine de la famille et des proches de la patiente et leur présentent leurs sincères condoléances.

Les HUS diligentent dans la foulée une enquête administrative destinée à faire toute la lumière sur les faits relatés dans l’article »

Car c’est bien un tout petit journal alsacien, lanceur d’alerte, qui a eu de la compassion et a fait confiance à la famille de Naomi Musenga pour faire éclater cette histoire 6 mois après les faits.

Aujourd’hui tout le monde s’émeut de cette histoire, mais au-delà du dérapage de deux opératrices (la première des sapeurs-pompiers qui passe la communication à l’opératrice du samu) plante un décor de suspicion et de moquerie :

 “Elle m’a dit qu’elle ‘va mourir’. Elle a 22 ans, elle a des douleurs au ventre, (…) elle a de la fièvre, et ‘elle va mourir’ “,

Tout cela dit sur un ton manifestement incrédule et la seconde opératrice va continuer dans ce sens.

J’ai découvert l’existence, le rôle et aussi les difficultés de ce petit journal Hebdi par la revue de presse de France Inter du 9 mai 2018 qui va un peu plus loin dans l’interrogation :

« Naomi Musenga qui appelait le Samu de Strasbourg  le 29 décembre dernier parce qu’elle se sentait mourir, et elle est morte effectivement, après avoir été moquée et retardée par l’opératrice de la plateforme d’urgence…

“Le scandale qui secoue le Samu” est la Une du Parisien, qui rappelle que Naomi n’est pas seule à avoir été maltraitée en urgence, Thomas en témoigne qui fut amputé de la jambe droite après avoir été invité à réduire lui-même sa fracture avant d’aller à l’hôpital.

Mais pour que toute cette compréhension nous arrive, il a fallu d’abord que l’on entende la voix de Naomi parlant  au Samu,  et il a fallu qu’un journal le publie en premier… Il s’appelle Heb’di, ce qui est un jeu de mots, heb’di signifie accroche-toi en alsacien…  Journal impoli, de dessins caustiques et de papiers fâchés, et un mensuel qui dans sa dernière édition dénonçait l’agonie d’un centre anti cancer à Strasbourg… Heb’di avait mis en ligne l’enregistrement de Naomi le 27 avril… Il a fallu plus de dix jours que le scoop des dissidents devienne un scandale confirmé et authentifié par les media légitimes…

Mais qui est légitime? Heb’di est  porté par son fondateur Thierry Hans… Un ancien électricien passé à la presse parce que les journaux qu’il lisait ne le satisfaisaient pas… il a lancé Heb’di en autoentrepreneur et le maintient en dépit des banques…  Il a raconté tout cela sur un site, capital investissement, consacré aux PME…   Car Heb’di ne va pas bien et pétitionne pour vivre, il reste 75 jours pour sauver le journal qui nous a fait connaitre l’agonie de Naomi…

Et c’est donc une histoire de journalisme aussi que l’on raconte ce matin, quand les grands journaux veulent éclairer l’inquiétante obscurité de la planète… »

C’est donc Heb’di qui sur <cette page> va publier l’enregistrement audio et va révéler cette affaire incroyable :

« Le 29 décembre 2017, 11 heures. Prise de très fortes douleurs, Naomi, à bout de force appelle le SAMU de Strasbourg.

Comme l’indique l’enregistrement les deux opératrices, manifestement de bonne humeur, ricanent. Elles ont un comportement étonnant, moqueur voire méchant.

Elles ne donnent pas suite à la demande d’assistance de la jeune femme, qui est renvoyée vers SOS-Médecins….

La jeune femme de 22 ans arrivera à contacter SOS-Médecins, qui demande… au SAMU d’intervenir !

À l’arrivée des secouristes, Naomi est consciente mais son état se dégrade fortement. Son rythme cardiaque baisse de façon inquiétante lors du transfert aux urgences du Nouvel Hôpital Civil (NHC) de Strasbourg.

Sur place, la jeune maman passe rapidement un scanner, lors duquel elle présente un arrêt cardiaque. Dix minutes de massage cardiaque seront nécessaires. Elle est transférée au service de réanimation où elle décède à 17h30.

Une autopsie sera pratiquée 5 jours après sur un corps « en état de putréfaction avancée ». La cause annoncée est une défaillance multi-viscérale : un ensemble de symptômes comprenant des difficultés très importantes de l’appareil pulmonaire (du type détresse respiratoire) associés à une insuffisance de fonctionnement de plusieurs organes comme le cœur ou le système nerveux. Les rapports médicaux et d’autopsie n’indiquent pas les origines de cette défaillance multi-viscérale.

La famille de Naomi souhaite connaître les réelles causes du décès et savoir si une intervention directe du SAMU aurait pu sauver Naomi. Le procureur a été saisi.

Naomi devait fêter son vingt-troisième anniversaire le premier avril. Sa fille aura deux ans en juillet.

Nous avons contacté les services du SAMU de Strasbourg .

Il nous a été demandé de faire une demande écrite par mail et, à ce jour, nous n’avons reçu aucune réponse. »

Aujourd’hui selon les propos de différentes autorités du SAMU et de la Santé, l’opératrice a commis une faute professionnelle en ne faisant pas appel à un médecin régulateur.

Ainsi on peut lire sur site de <France Info> :

« Christophe Gautier, directeur général des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, a indiqué que l’enquête s’achemine “vers un élément de faute personnelle” […] Dans les premiers éléments que nous avons pu mettre en avant, il m’est apparu que la présomption d’une faute grave de manquement à une procédure avait été constatée. Cela m’a conduit à prendre la décision de suspension à titre conservatoire, qui ne préjuge pas des conclusions définitives, mais qui est nécessaire dans le contexte de ce drame. »

Et sur <cette autre page> de France Info on peut lire

Les propos qui sont tenus par l’opératrice du Samu ne sont “pas acceptables”, confirme François Braun, président de Samu-Urgences de France, sur franceinfo. Selon lui, l’opératrice n’avait pas à prendre seule la décision de rediriger Naomi vers SOS Médecins. “Ce qui est encore moins acceptable, poursuit-il, c’est que normalement tout appel est transmis à un médecin régulateur. C’est ce médecin qui prend les décisions après un interrogatoire médical et, dans ce cas, l’appel n’a pas été transmis au médecin. Ce n’est absolument pas la procédure. Ce n’est absolument pas ce que l’on apprend à nos opératrices. On ne demande pas aux gens de rappeler, on le fait nous-mêmes et on transmet l’appel éventuellement à un autre service.”

Mais au-delà de cette faute,

  • Comment se fait-il que l’autopsie ait été si tardive ?
  • Comment est-il possible qu’il n’y ait pas immédiatement d’enquête interne pour comprendre ce qui s’est passé ?

La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a insisté ce jeudi sur France Info :

« Quand il y a un événement indésirable grave qui aboutit au décès, on doit obligatoirement en référer à l’Agence régionale de santé (ARS) qui doit mener une enquête, voire le faire remonter au ministère.” Or, suite à la mort de la jeune femme, l’ARS n’a rien reçu. »

C’est finalement la famille qui a obtenu après de nombreuses démarches l’enregistrement du SAMU et c’est ce petit journal HEB’DI qui a relayé l’information et non les grands journaux alsaciens « Les dernières nouvelles d’Alsace » ou « L’Alsace » qui ont d’ailleurs publiés l’information encore beaucoup plus tardivement que les autres journaux nationaux qui n’avait pas été rapide (10 jours !) comme s’en étonnait le journaliste de la Revue de Presse de France Inter.

C’est pourquoi, il est important qu’il existe des journaux indépendants, des journaux lanceurs d’Alerte.

Vous pouvez, comme moi, faire un don pour que ce journal puisse continuer à vivre et à agir contre l’indifférence et chaque fois que les institutions et les autres médias sont aveugles, sourds, fainéants ou peut être pire, complice…


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Vendredi 4 mai 2018

« Et, j’ai décidé que j’allais consacrer ma vie à aimer mon prochain par contraste avec ce que je voyais !»
Danielle Mérian

Le monde de l’information est en plein bouleversement. Il doit se réinventer, trouver de nouveaux formats et arriver à trouver un public.

BRUT est un de ces médias.

C’est un média en ligne français fondé en novembre 2016 et exclusivement diffusé sur les réseaux sociaux.
Au départ le choix était de s’intégrer à Facebook, mais désormais on le trouve aussi sur Youtube, sur Dailymotion, Instagram etc..
Le format est toujours vidéo et les reportages sont très courts.

Wikipedia nous apprend que BRUT a été fondé par :

« Renaud Le Van Kim, Guillaume Lacroix et Laurent Lucas. Guillaume Lacroix est le fondateur de Studio Bagel et Renaud Le Van Kim l’ancien producteur du Grand Journal de Canal+ d’où vient également le directeur des rédactions de Brut Laurent Lucas. Une quarantaine de personnes travaillent pour Brut et produisent deux heures de direct diffusées sur Facebook Live et des courtes vidéos d’analyse et d’entretiens. […] Selon Lacroix, les fondateurs voulaient « créer un média qui soit un point d’entrée sur l’actualité pour toute une génération qui s’éloigne des acteurs traditionnels ». Selon lui, 80 % de ceux qui les suivent sur Facebook ont moins de 35 ans.

Entre le lancement en novembre 2016 et février 2017, les vidéos de Brut ont été visionnées plus de 100 millions de fois dont 29 millions pour le seul mois de février. À cette date, Brut ne gagne pas encore d’argent. »

Souvent ces courtes vidéos me paraissent intéressantes.

Et je voudrais aujourd’hui en partager une avec vous.

Peut-être vous souvenez vous de Danielle Mérian, vieille dame très digne qui avait été interviewée, par hasard, par une chaine de télévision le lendemain du massacre du bataclan du 13 novembre 2015 alors qu’elle venait déposer un bouquet de fleurs devant la salle de spectacles ?

Elle avait alors dit :

« C’est très important d’apporter des fleurs à nos morts.

C’est très important de voir [lire] plusieurs fois « Paris est une fête » d’Hemingway. Parce que nous sommes une civilisation très ancienne et nous porterons au plus haut nos valeurs.

Et nous fraterniserons avec 5 millions de musulmans qui exercent leur religion librement et gentiment. Et nous nous battrons contre les 10 000 barbares qui tuent soi-disant au nom d’Allah. »

Après la diffusion de ce petit entretien, la vente de « Paris est une fête » a explosé.

Aidé par Tania de Montaigne, elle a, suite à ce bref moment où un micro s’est approché d’elle et où elle a trouvé les mots qui devaient être dits en cet instant, écrit un livre racontant sa vie : « Nous n’avons pas fini de nous aimer ».

Car ces mots ne sont pas venus par hasard. Ils étaient à la conclusion d’une vie, d’expériences, de réflexions et de combats.

BRUT reprend cet extrait devant le bataclan, mais ajoute que Danielle Mérian a encore des choses à dire :

« J’ai été très contente de voir se lever « Me Too », « Balance ton porc ».
Ce n’est pas élégant « balance ton porc », n’est-ce pas ?
Mais le viol est ce élégant ? Et la main à la cuisse est ce que c’est élégant ? Et les propos salaces est ce que c’est élégant ?

Je suis une féministe depuis l’enfance, pourquoi ?
Parce que je suis née en 1938, à une époque où on préférait les garçons aux filles.
Donc mes parents quoique forts intelligents, préféraient mon frère aîné à moi-même.
Je me disais : nous sommes dans un monde de fou, il va falloir changer tout ça.
Donc si vous voulez, j’étais déjà une révoltée de naissance, du fait qu’il n’y avait pas égalité entre mon frère et moi, ce que je trouvais aberrant.

Et il se trouve que mon père […] qui était journaliste comme mon grand-père a terminé la guerre comme correspondant de guerre dans l’armée canadienne et a ouvert les camps de concentration. Il avait une grande enveloppe dans les mains et il dit à ma mère : « Il ne faut pas que les enfants voient ça »

Donc dès qu’il a eu le dos tourné, j’ai fouillé son bureau. Je suis tombé sur les photos de l’abomination et j’en suis émue encore quand j’y pense…

Et, j’ai décidé que j’allais consacrer ma vie à aimer mon prochain par contraste avec ce que je voyais que l’homme est un loup pour l’homme »

Aujourd’hui son grand combat est celui de la lutte contre l’excision.

C’est encore Wikipedia qui nous apprend que Danielle Mérian est née Danièle Savarit, en 1938 et qu’elle est avocate honoraire au barreau de Paris. Elle se revendique comme militante chrétienne et féministe. Elle étudie le droit durant la guerre d’Algérie et se fiance à cette période. À partir de 1975, elle milite avec son mari au sein de l’ACAT, l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture, notamment en soutien aux Grands-mères de la place de Mai ou pour l’abolition des exécutions capitales, ainsi que pour la libération ou l’amélioration des conditions de détention des prisonniers politiques.

Après la mort de son mari en 1995 , elle continue à militer ; ses principaux terrains d’engagement sont outre l’ACAT, avec PRSF (PRisonniers Sans Frontières) l’amélioration des conditions de détention en Afrique de l’Ouest, avec PARCOURS D’EXIL le soin aux torturés, avec SOS Africaines en Danger la lutte contre l’excision et le mariage forcé.

Encore une belle âme qui donne confiance en l’humanité.

Pour retrouver cette vidéo, je donne à dessein le lien vers le site français dailymotion plutôt que vers la créature de Google : Youtube.

<Danielle Mérian sur Dailymotion>

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Jeudi 29 octobre 2015

«Le bondy blog»
Media en ligne créé par Serge Michel

C’était le 27 octobre 2005, un jeudi, il y a 10 ans : deux jeunes fuyant la police à Clichy sous Bois, Zyed Benna et Bouna Traoré, pris de panique, vont se réfugier dans un transformateur électrique et y mourir électrocuté.

Pourquoi fuyaient-ils ?

Les raisons ne sont pas claires comme l’explique cet article du monde joint: <Le dernier jour de Bouna Traoré et Zyed Benna>

Le plus vraisemblable est qu’ils n’avaient rien à se reprocher, mais qu’ils se méfiaient des policiers et qu’ils ne voulaient pas être arrêtés de peur d’être disputés par leurs parents.

Et la mort insensée de ces deux enfants (15 ans et 17 ans) va déclencher de terribles émeutes dans la banlieue alentour qui amèneront à ce que le couvre-feu soit déclaré dans certaines villes et que les médias anglo-saxons annoncent au monde qu’il y avait des scènes de guerre à Paris.

C’est dans ces conditions, qu’un journaliste suisse, Serge Michel, récent lauréat du prix Albert-Londres (2001) pour son travail en Iran, envoyé par son journal suisse « L’Hebdo » vient enquêter. Il va s’immerger, pendant 3 mois, dans la ville voisine de Clichy, Bondy et va créer le Bondy Blog, media en ligne qui existe toujours aujourd’hui et qui a pour objectif de raconter les quartiers populaires et de faire entendre leur voix dans le grand débat national.

Serge Petit en est parti, ce média poursuit aujourd’hui un partenariat avec Libération.

L’Obs a récemment interviewé Serge Michel pour revenir sur ces évènements et plus largement sur la banlieue de Paris et le rapport entre les médias et ces territoires.

Et Le regard distant du journaliste suisse nous fait découvrir un point de vue très critique et perturbant.

[Quand je suis arrivé à Bondy à l’automne 2005] « Pour moi, c’étaient ces zones un peu grises, un peu tristes, que je traversais en TGV depuis Genève avant d’arriver à la gare de Lyon. Et le plus curieux, c’est que cette méconnaissance semblait partagée. Pour un reportage à Bagdad ou à Kaboul, on obtient ou on prépare une pile épaisse d’articles qui donnent des idées sur les personnes à voir, les sujets à traiter. Là, sur Bondy, je n’ai rien trouvé, au mieux deux papiers du Parisien sur l’inauguration de la bibliothèque ou un coupage de ruban à la mairie. »

[Il décide d’ouvrir un bureau permanent trois mois durant à  Bondy]

« On a cherché un mode de traitement pertinent. L’idée d’une correspondance dans la durée, d’une immersion s’est imposée. En venant au journal, le matin, j’avais entendu un son sur les émeutes de la Radio suisse romande […]. Je connaissais bien la journaliste. C’était LA reporter de guerre de la RSR. Deux ou trois semaines plus tôt elle intervenait en direct de Beyrouth. Une reporter de guerre dans les banlieues françaises, ça m’a frappé, et ça m’a fait réfléchir. C’est sans doute cela qui m’a donné envie de couvrir le sujet d’une autre façon. Plus comme un correspondant que comme un envoyé spécial. »

[…] « On s’est concentré sur des portraits, des récits de vie ; on a raconté le quotidien, les kebabs, les transports, le foot ; on a essayé de comprendre qui sont ceux qui bossent et ceux qui ne bossent pas – tous ces papiers que vous ne pouvez faire qu’avec du temps, et qui permettent de comprendre un peu mieux les racines du malaise. Notre chance, c’était d’être présents sur place le matin, le soir et les week-ends, les moments où les banlieues-dortoirs vivent, et où les journalistes, paradoxalement, ne sont pas présents.

[…] Je crois que la situation des banlieues, sur le fond, intéressait peu les rédactions. Une anecdote : entre mon arrivée à la gare de Lyon et mon départ en RER pour Bondy, je suis passé par les locaux d’une grande rédaction pour qui j’avais travaillé au Moyen-Orient et dans les Balkans. Je connaissais toute l’équipe du service Etranger.  Ils m’ont dit : “Ah Serge, qu’est-ce que tu fais là ?”. Je leur ai dit : “Je vais en banlieue”, et ils m’ont tous regardé avec des regards atterrés, du genre “mon pauvre !”. Pour un grand reporter français, la banlieue, c’est ce que l’on traverse quand on va prendre un avion à Roissy pour aller faire son métier.

Bagdad, c’est noble, et Bondy, c’est pour les types qui ont raté leur carrière et végètent au service Société. »

Pourtant le Bondy blog a connu un joli succès. Dix ans plus tard, il est toujours là…

« Disons qu’il a toujours été encadré par des journalistes professionnels, et que cela a aidé. La direction de l’Hebdo avait accepté que l’expérience dure trois mois. A l’approche de la date butoir, en février 2006, elle souhaitait passer à autre chose. De mon côté, je sentais qu’il y avait quelque chose d’important qui s’était mis en branle. J’ai proposé, qu’au lieu de fermer, on prenne une dizaine de jeunes de Bondy et qu’on les forme. Entre temps, le Seuil m’avait contacté pour tirer un livre des billets publiés en ligne, et avec les à-valoir du livre, on a pu payer le séjour des futurs Bondy-bloggers à Lausanne et leur transmettre les clés.

Enfin pas toutes les clés, puisque justement, plusieurs journalistes ont continué de s’investir avec une équipe d’encadrement locale. » […]

« Je pense que la France est assez unique dans la place centrale qu’occupe Paris, et dans la création tout autour d’une ceinture qui lui est à ce point étrangère.

Pour moi, la banlieue, c’est un peu Berlin-est. Pas beaucoup de lumière, pas beaucoup de travail, pas grand-chose dans les magasins et des gens dont la vie est plus difficile qu’intra-muros.

Paris, au contraire, c’est Berlin-ouest : la fête, l’argent, la légèreté… Ça peut paraître caricatural, mais cette frontière que représente le périphérique, je ne connais rien de similaire dans des pays développés. On ne retrouve pas ça à Londres, par exemple.»

Nommé N°2 du Monde, il raconte ses frustrations dans ce journal qui n’a en outre recruté aucun Bondy-Blogger, contrairement à TF1, France Inter, Canal + ou France 2. […et il ajoute]

« La France a un système très rodé de reproduction de ses élites, je n’invente rien sur le sujet, et être journaliste en France, contrairement à d’autres pays, notamment la Suisse, c’est appartenir à une élite.

La France, au-delà de ses proclamations d’égalité, c’est aussi une société attachée à ses privilèges, marquée par l’histoire du colonialisme, qui peine à s’ouvrir à l’autre. Et, oui, le banlieusard, dans cette configuration, reste un allogène.

Derrière les proclamations, le beur, le noir, pour beaucoup de journalistes français restent avant tout des sujets. Des collègues, non. Les rédactions font preuve d’une imperméabilité très forte aux gens venus d’ailleurs.»

Si vous voulez en savoir davantage sur cette expérience : https://fr.wikipedia.org/wiki/Bondy_Blog

Et bien sûr le lien vers le bondy Blog : https://www.bondyblog.fr/

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