Jeudi 13 novembre 2025

« Le sel de la terre »
Documentaire réalisé par Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado sur la vie et le travail de Sebastião Salgado

Lors de sa visite en juin 2025, Florence nous avait suggéré de regarder « Le sel de la terre » un documentaire sur le travail du photographe franco-brésilien Sebastiao Salgado, en précisant que c’était exceptionnel.

Depuis je l’ai revu deux fois, la première fois avec ma fille Natacha en juillet, puis plus récemment, hier, avec Annie et ses deux sœurs qui avaient eu la merveilleuse idée de se donner du temps l’une à l’autre pour se retrouver ensemble pendant une grande semaine.

Sebastião Ribeiro Salgado

Avant que Florence ne m’en ait parlé je ne connaissais pas Sebastiao Salgado qui venait de mourir le 23 mai 2025 à Neuilly-sur-Seine.

Sebastião Ribeiro Salgado est né en 1944 au Brésil. Son père est un éleveur et propriétaire terrien d’origine espagnol. La famille maternelle d’origine suisse s’était installée au Brésil à la fin du XIXe siècle.

Sur l’injonction de son père il poursuit des études d’économie à l’université de São Paulo. Militant au sein des Jeunesses communistes, Salgado se trouve contraint de fuir la dictature brésilienne en 1969, avec sa femme. Il ne retrouvera son pays qu’en 1979.

En 1969, Sebastião Salgado s’installe à Paris pour suivre des cours à l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (Ensae).

Par la suite, il est recruté par l’Organisation internationale du café (ICO), basée à Londres et pour laquelle il réalise des enquêtes jusqu’en 1973. Il va abandonner cette carrière pour devenir photographe. Il explique

« J’emportais mon appareil photo pour mes enquêtes et je me suis aperçu que les images me donnaient dix fois plus de plaisir que les rapports économiques. Je commençais à voir le monde d’une autre manière, à travers le viseur et par un contact direct avec les gens. En fait, j’ai continué à faire la même chose : dresser un constat de la réalité. »

La main de l’homme : Mine d’or de Serra Pelada

Salgado travaille toujours en noir et blanc et observe la vie de ceux qui vivent et travaillent dans des conditions difficiles — migrants, mineurs, victimes de la famine. Le documentaire s’ouvre sur des photos de « La Mine d’or de Serra Pelada », qui montre le quotidien dans une mine d’or au Brésil.

Ce documentaire a été réalisé par Wim Wenders qui s’est associé à un des fils du photographe Juliano Ribeiro Salgado pour montrer Salgado à l’oeuvre à travers les projets qu’il a réalisés jusqu’en 2013 : « La Main de l’homme », « Les Enfants de l’exode », « Genesis »…

Wim Wenders a présenté ce documentaire au festival de Cannes 2014, exactement 30 ans après avoir reçu la palme d’or pour « Paris Texas » en 1984.

Koweit : Un désert en feu – Les puits de pétrole enflammés par les irakiens

Le journal « L’humanité » a publié un article « Le Sel de la terre, une leçon de vie qui nous fait tous grandir » le 15 octobre 2014 dans lequel on peut lire :

«Le Sel de la terre est un film sur l’itinéraire d’un homme à travers la misère du monde, entre horreur et destruction, jusqu’à devenir initiatique, entre sérénité et reconstruction. Une leçon de vie, d’art et d’humanité exceptionnelle »

Chaque fois que j’ai visionné ce documentaire j’ai trouvé d’autres richesses, d’autres messages que je n’avais pas perçu la première fois. Les images de Salgado sont d’une immense force car son regard montre les humains dans leur dénuement, leur détresse, parfois leur joie. Il n’est pas allé sur des terres accueillantes, souvent la guerre, une violence inouïe, des épreuves terribles s’abattaient sur les femmes et les hommes qu’il photographiait.

Les enfants de l’exode : guerre en Yougoslavie

Il a photographié ces lieux où l’on se tue au travail, où la faim ronge la chair, où la guerre ravage l’espoir, où la terre charrie des flammes. Son regard humaniste permet de montrer ces choses horribles tout en nous laissant la capacité d’observer sans nous détourner et d’être ainsi touché au plus profond de notre âme humaine : des enfants morts, des humains affamés, des charniers qui dévoilent ce que l’homme fait à l’homme sur cette terre. Par son art, il nous rend proche ces êtres humains et nous conduit à intérioriser ce fait pourtant évident :  nous faisons partie de la même humanité.

C’est aussi tout le talent de Wim Wenders et du fils du photographe d’accompagner ce travail de révélations et d’explications. Wim Wenders le décrit ainsi :  

« Ses photos révèlent son effort pour nous montrer l’âme des peuples mais aussi le contexte qui les entoure. Pourquoi cette famine ? Pourquoi cette guerre ? Il ne veut pas seulement constater mais aussi faire savoir. »

Génocide des Tutsi au Rwanda

Après son travail au Rwanda, lors du génocide des tutsis et des évènements qui ont suivis, il perd foi en l’humanité. Il se retire sur les terres de son père au Brésil où l’action de l’homme a conduit à un désastre écologique : Plus rien n’y poussait, les oiseaux avaient disparu, il n’y avait même plus d’herbe pour les vaches. Sa femme Leila qui a été essentiel dans le soutien à son travail, lui donne l’idée de se lancer dans une vaste entreprise de reboisement pour faire revivre le domaine.

De cette initiative naîtra l’Instituto Terra, en 1998. Avec ses millions d’arbres plantés, la nature a repris ses droits, autant qu’elle a guéri l’âme meurtrie de Salgado, éprouvée par la folie et la violence de ses contemporains. Patiemment, sa fondation s’active à replanter chaque arbre, chaque fleur, à réparer ce que l’homme a détruit. Petit à petit, un paysage et un écosystème renaissent de leurs cendres. Salgado affirme que cela a changé leurs vies.

Le Sel de la Terre entre ainsi dans les deux grandes préoccupations de l’humanité d’aujourd’hui : la paix et l’environnement. Wim Wenders conclut son entretien dans le Figaro du 15 octobre 2014 par ces mots.

« Quelqu’un qui a vu toute la misère du monde est capable de montrer un chemin optimiste. On ne l’aurait pas cru au début, mais une renaissance est possible. »

La replantation d’arbre sur le domaine de son père

C’est un documentaire d’une beauté et d’une force incroyable, je ne peux que vous recommander, si vous ne l’avez pas déjà fait, de vous donner les moyens de partir à la découverte de cette oeuvre qui magnifie l’art et l’humanisme de cet immense photographe que fut Sebastião Ribeiro Salgado

Mercredi 3 décembre 2025

« Ce dont nous avons besoin c’est d’action collective, de mobilisation, c’est de reconnaissance mutuelle de nos histoires, de nos combats, de nos identités et on sera beaucoup plus forts. »
Hanna Assouline, cofondatrice « des guerrières de la paix »

La tendance n’est plus tellement au débat, cet art de la discussion qui permet de se parler sans se battre donc de débattre. Le temps est plutôt à l’invective, à l’exclusion, à la délégitimation de celui qui ne partage pas exactement le même point de vue.

Ce point de vue peut être l’utilisation d’un mot comme celui de « génocide » pour qualifier les massacres commis par l’armée d’Israël à Gaza. Si tu n’utilises pas ce mot tu es soit mal informé, soit plus probablement un salaud qui encourage ce génocide.

Je ne sais pas si l’utilisation de ce terme est appropriée, je n’en suis pas convaincu mais ce n’est pas à moi d’en décider, c’est à la justice internationale qui ne s’est pas prononcée, elle a évoqué un risque de génocide.

A force, pourtant de répéter ce terme, comme une évidence,on a commencé à vouloir relativiser le génocide contre les juifs puisqu’Israël et les juifs de cet état faisaient la même chose. Et bientôt, on en est arrivé à ce que tous ceux qui ne voulaient pas utiliser ce terme ou qui tentait d’expliquer que le Hamas avait aussi une grande responsabilité dans ce qui se passait à Gaza devenait de facto des « génocidaires ».

Un professeur d’histoire médiévale, spécialiste de l’inquisition  à l’université de Lyon 2, Julien Théry, s’est laissé choir dans cette fange. Il a publié, sur Facebook une liste intitulée « 20 génocidaires à boycotter en toutes circonstances ». Cette liste incluait pour l’essentiel des personnalités juives.

Un professeur d’université en France, en 2025, peut donc publier une liste de juifs en demandant de les boycotter ou de les canceller en les traitant de ce nom infâme de génocidaires. Ces 20 personnes n’ont, jusqu’à nouvelle révélation, pas touché à un cheveu de palestinien de Gaza. Mais ils sont génocidaires, par appartenance probablement. Le reproche principal à leur encontre serait, semble t’il, le fait qu’ils aient publié une tribune dans le Figaro jugeant que la reconnaissance de l’Etat palestinien par la France n’était pas pertinent actuellement. On peut ne pas être d’accord avec cette opinion, c’est mon cas. Je trouve juste que la France, entraînant d’autres pays avec elle, ait reconnu l’Etat palestinien. Cela ne fait pas des personnes qui ne partagent pas cette opinion, des génocidaires. Mais il n’est évidemment pas indifférent de traiter ces « juifs ».de génocidaires.

Peut être que ce professeur a oublié, un instant, les leçons d’Histoire qu’il a du tirer de ses études sur l’inquisition et dans un moment de colère non maitrisé et passager, a utilisé un mot dépassant sa pensée.

Mais que dire de Jean-Luc Melenchon qui aspire à devenir Président de la République et donc à travailler à l’Unité du peuple qu’il entend diriger, lorsque ce dernier plutôt que de dire que le propos de Julien Théry est exagéré ou hors de propos, écrit le tweet suivant pour répondre à la LICRA qui s’est indigné des propos de M Théry :

« Solidarité avec cet enseignant éclairant. »

 

Hanna Assouline, cofondatrice des Guerriers de la paix a publié sur les réseaux sociaux un extrait d’une intervention qu’elle a fait lors d’une réunion :

« On est dans une course à la radicalité, à l’invective, à une forme de violence verbale qui fait qu’on est tous pris dans ce cirque qui non seulement n’aide en rien notre réflexion collective politique, ne nous aide pas ni à nous comprendre, ni à avancer, ni à comprendre le monde correctement mais qui en plus n’aide vraiment pas les gens pour lesquels on prétend s’engager. »

Les excès et la polarisation ne sont pas du seul côté pro palestinien, il y a de la même manière des théories, des récits, on utilise aujourd’hui le terme « narratif » qui prennent fait et cause pour les thèses des messianistes juifs qui prétendent que le peuple palestinien n’existe pas, que la Cisjordanie doit appartenir à Israël parce qu’il s’agit d’une terre bibliquement juive et enfin que la Jordanie est déjà l’Etat des palestiniens et qu’il n’est donc pas nécessaire d’en créer un autre.

Pour celles et ceux qui croient encore à la paix en Israël et en Palestine, les militants des deux bords sur les terres du conflit, ces affrontements dans notre société française ne les aident pas et ne font rien avancer. C’est ce que rapporte Hanna Assouline :

« Et ça ça fait partie des choses qui ont été dites et redites à de nombreuses reprises par les militants palestiniens et israéliens qui luttent pour la paix, pour la dignité, pour la justice. Ils nous ont répété en fait, quand vous vous déchirez, quand vous utilisez notre cause pour alimenter la haine, l’islamophobie, le racisme, l’antisémitisme, quand vous nous utilisez comme des slogans, comme des étendards, sans vous poser la question réelle de notre avenir, pour régler les comptes de vos propres sociétés et de votre histoire coloniale, de votre histoire vis-à-vis de la shoah, de toutes les failles qui vous appartiennent et qui n’ont rien à voir avec nous. Non seulement vous ne nous aidez pas et vous n’êtes absolument pas dans la solidarité avec nous mais vous nous condamnez davantage à l’impasse. […] Cela nous a été répété par des gens extrêmement différents des Palestiniens comme des Israéliens. Cette idée de quand vous pensez nous aider, vous nous condamnez davantage, quand vous pensez nous aider de cette manière là. »

Comme le dit la cofondatrice des guerrières de la Paix nous sommes en face d’une offensive mondiale de l’extrême droite, de la renaissance des logiques d’empire, nous ne pouvons nous permettre, pour ceux qui veulent la paix, c’est à dire la coexistence pacifique de deux peuples sur la terre entre la mer et le jourdain, de nous invectiver et d’aspirer à la pureté des idées.

Un des premiers mots du jour citait cette formule des temps révolutionnaire : « Un pur trouve toujours un plus pur qui l’épure. ». Les choses sont toujours plus compliquées que cette vision biblique de la lutte du bien contre le mal. Quand on en est convaincu, on accepte la complexité du monde et la fécondité du débat.

« Aujourd’hui on a besoin d’action, on a besoin d’un sursaut collectif, on a besoin de tout le monde autour de la table. On n’a pas besoin de rétrécir le front en essayant de se demander qui est assez pur dans son militantisme pour avoir le droit d’être assis à nos côtés. On a besoin d’un sursaut, d’un élan collectif qui soit le plus large possible, sinon on ne va pas y arriver. Et face à nous, on est face à une offensive mondiale fasciste qui est en train de nous écraser et qui se délecte des divisions dans lesquelles on tombe tous. […] »

Hanna Assouline finit par cette invitation à s’écouter et accepter mutuellement à reconnaître l’histoire de l’autre pour pouvoir mieux comprendre comment vivre ensemble.

« Ce dont nous avons besoin c’est d’action collective, de mobilisation, c’est de reconnaissance mutuelle de nos histoires, de nos combats, de nos identités et on sera beaucoup plus forts. Et pour lutter ici, dans nos sociétés et pour lutter pour eux là-bas. »

Je trouve pertinent de partager cet appel à s’écouter, à ne pas pratiquer l’excommunication et a envisager l’hypothèse qu’on peut discuter de tous les sujets.