Jeudi 19 juin 2025

« Je suis responsable devant le compositeur et surtout devant l’œuvre. »
Alfred Brendel

Alfred Brendel fut sans doute le plus grand pianiste de la seconde moitié du XXème siècle. Il est mort le 17 juin 2025 à Londres, à l’âge de 94 ans.

Il naît le 5 janvier 1931, dans une famille allemande, mais dans une commune située actuellement en République tchèque.

Il réalise son premier récital en 1948, à Graz. Il effectuera ses premiers enregistrements en 1952 et 1953.

Cependant sa carrière prendra toute la lumière vraiment en 1969 quand il signe un contrat avec Philips. La firme néerlandaise utilisera sa puissance de communication pour révéler au monde de la musique le talent, la profondeur, le génie de ce pianiste venu du centre de l’Europe.

En allemand, le terme « Mitteleuropa » sonne mieux, le magazine Diapason écrit :

« C’était l’un des géants du piano et de la musique, comptant parmi les derniers représentants de la Mitteleuropa. Il s’est éteint à l’âge de 94 ans. »

C’est en 2008 qu’il décida de faire sa tournée d’Adieu, après 60 saisons de concerts si on prend comme point de départ son premier concert à Graz, mais si on part de son contrat avec Philips il exerça son magistère sur le piano classique pendant 40 ans de 1969 à 2008.

Son ultime concert eu lieu, le 18 décembre 2008, dans la salle dorée du Musikverein de Vienne.

Sa tournée d’Adieu fit étape, le soir du 13 juin de cette même année, à l’auditorium de Lyon. La musicologue Marie Aude Roux écrivit dans un article du Monde : « En tournée d’adieux, Alfred Brendel fut magique à Lyon. » :

« Le 13 juin, dans le bel Auditorium de Lyon, Brendel est apparu avec son élégance légèrement guindée, queue-de-pie, large ceinture et nœud papillon jaune pâle et regard rond d’effaré. Il s’est assis au piano et la musique a coulé de source, comme affleurant de ses propres entrailles […] »

Il termina son récital par la dernière sonate de Franz Schubert D.960. Marie Aude Roux traduit :

« Le travail sur la matité du son sous-entend qu’« il faut qu’un cœur se brise ou se bronze ». D’une belle coulée, le « Scherzo », viennois en diable, nostalgie et larmes et sourires mêlés. Puis le « Finale », entre rire et rictus, où Brendel est plus que Brendel, sculpteur de paysages mélodiques, poète du clavier, écrivain des sons, musicien majuscule dans un étrange absolu de la musique. »

Brendel était le musicien de l’approfondissement, revenant toujours au même corpus d’œuvres, toujours aux mêmes compositeurs.

D’abord Beethoven et Schubert, puis Mozart et Liszt avec quelques incartades vers Schumann, Haydn, Bach et même Schoenberg. Mais vous ne trouverez pas d’enregistrement de Chopin ou de Rachmaninov, les compositeurs de prédilection des pianistes du commun.

Il a résumé :

« J’ai essayé de m’en tenir au répertoire de ce que je considère comme de la grande musique, de la musique avec laquelle on peut passer toute une vie et à laquelle on peut revenir. Beethoven, Mozart et Schubert ont constitué l’essentiel […] J’ai fait ce que j’ai pu pour Haydn et Liszt et j’adore Schumann. J’ai également joué des œuvres qui ne sont pas de grandes œuvres, mais qui me plaisent. »

Brendel avait acquis une technique sans faille, mais il n’était pas que pianiste, il était avant tout musicien, cherchant sans cesse à décrypter et à tenter de comprendre les intentions du compositeur et la cohérence interne de l’œuvre qu’il interprétait.

Le premier article de Diapason cité, rappelait cette phrase d’Alfred Brendel :

« Je suis responsable devant le compositeur et surtout devant l’œuvre. »

Beaucoup de pianistes veulent briller grâce aux œuvres et au compositeurs, Brendel a fait le contraire : il partait de l’œuvre pour partager le message et l’émotion qui jaillissait des notes écrites dans la partition.

Dans sa page hommage à Brendel, « Radio France » publie deux citations du pianiste

« Si j’appartiens à une tradition, il s’agit d’une tradition dans laquelle c’est le chef-d’œuvre qui indique à l’interprète ce qu’il doit faire, et non pas d’une tradition où l’interprète impose ses conceptions à l’ouvrage, ou tente de dire au compositeur ce qu’il aurait dû composer. »

« Je dirai qu’il existe deux sortes d’interprètes : ceux qui éclairent l’œuvre de l’extérieur et ceux qui illuminent l’œuvre de l’intérieur. Et cela, c’est beaucoup plus rare. »

Je me rappellerai toujours avec émotion de la première fois que je l’ai vu en concert.

C’était au Palais des Congrès et de la musique de Strasbourg le 28 janvier 1978. J’étais à l’époque élève de classe préparatoire au Lycée Kléber et il me suffisait de traverser la Place de Bordeaux pour me trouver dans la magnifique salle de concert de Strasbourg.

Alfred Brendel n’était pas seul, il était accompagné de l’Academy of Saint Martin in the Fiels et son chef fondateur Neville Marriner. Il y avait aussi Jessye Norman.

Ce Concert était organisé par le Conseil International de la Musique (Unesco) et célébrait les 200 ans de la visite de Wolfgang Amadeus Mozart en 1778 à Strasbourg.

A cette date, Strasbourg appartient à la France depuis le 24 octobre 1681, lorsque Louis XIV est entré en grande pompe dans la ville qu’il avait arraché, par la puissance des armes, le mois précédent au Saint Empire Romain Germanique.

Le génie autrichien de 22 ans débarque, en calèche, autour du 10 octobre 1778 et restera environ 3 semaines à Strasbourg.

Il vient de Paris où il n’a pas eu le succès escompté et où sa mère Anna Maria Mozart vient de mourir le 3 juillet 1778, rue du Gros-Chenet (rue du Sentier). Ses obsèques eurent lieu en l’Église Saint-Eustache.

Hôtel de la Cour du Corbeau, photo époque récente

Il arrive à la place du Corbeau et résidera dans la célèbre hostellerie de la cour du Corbeau, un des plus vieux hôtels d’Europe.

C’est dans l’Hôtel du miroir (situé 29 rue des Serruriers ; 1 rue du Miroirs) que Mozart donne son premier concert strasbourgeois.

Il donnera deux autres concerts dans le théâtre situé Place de Broglie. Ce théâtre a été détruit par un incendie le 31 mai 1800 lors d’une répétition avec feux d’artifice de la Flûte enchantée de Mozart !.

La Ville avait transformé en 1706 en théâtre un ancien magasin à avoine. L’opéra de Strasbourg, appelé Opéra National du Rhin, qui l’a remplacé sera édifié entre 1804 et 1821.

Il jouera aussi l’orgue de Jean-André Silbermann de L’église Saint-Thomas, achevé en 1741 et un autre orgue des frères Silbermann au Temple neuf, deux lieux de culte protestant, alors que Mozart était catholique.

Je tire ces informations de ces deux pages :

J’ai donc eu la grâce d’assister à ce concert exceptionnel qui commémorera, avec quelques mois d’avance, les 200 ans de la visite de Mozart dans la capitale alsacienne.

Alfred Brendel jouera le 25ème concerto de Mozart puis accompagnera Jessye Norman dans un air de concert.

Ce concert fut télévisé et Philips enregistrera ce concert.

Il est encore possible d’acheter ce disque sur des sites de musique dématérialisée comme « Qobuz ».

Brendel poussa l’éthique et le perfectionnisme si haut qu’il n’est pas possible de se tromper quand on achète un disque de ce pianiste, tous sont excellents et ses derniers sont les meilleurs car il n’a fait que progresser tout au long de sa carrière.

Si je peux donner quelques liens internet, je choisirai

Le monde de l’art est riche d’avoir pu compter dans ses rangs cet interprète exceptionnel que fut Alfred Brendel au cours de sa vie terrestre.