Dans toutes les plaquettes de tourisme d’Aveyron, le premier élément de l’abbatiale Sainte Foy de Conques qui sera souligné est le tympan de l’abbatiale.
Il jouit dans le Midi d’une réputation qui lui vaut un dicton aveyronnais :
« Qui n’a pas bist Clouquié de Roudès, Pourtel de Counquos, Gleizo d’Albi, Compono dé Mondé, N’a pas res bist. » (Qui n’a pas vu le clocher de Rodez, le portail de Conques, l’église d’Albi, la cloche de Mende, N’a rien vu).
Ce tympan est considéré comme « l’une des œuvres fondamentales de la sculpture romane par ses qualités artistiques, son originalité et par ses dimensions ».
Il date du début du XII° siècle et comporte une scène avec 124 personnages. Il mesure 6,70 m de large et 3,60 m de haut. Dans le détail, la qualité des sculptures et des mises en scène est extraordinaire.
Les humains du moyen-âge avaient poussé leur savoir faire et leur technique à un niveau exceptionnel.
Je me souviens encore d’une conférence d’un grand médiéviste que j’ai vu sur le web et qui rapportait qu’il avait subi des cours d’un professeur d’Histoire qui parlait du « sombre moyen-âge » pendant lequel les hommes avaient sombré dans la régression culturelle en perdant les techniques et l’art que la civilisation romaine avait développés. Or, ajoutait ce médiéviste, ce professeur habitait rive droite (de la Seine) et venait à pied jusqu’à la Sorbonne Dans son trajet pédestre, il passait devant Notre Dame de Paris, création du moyen-âge, qui par sa beauté d’ensemble, comme dans ses détails portaient un démenti cinglant à cette affirmation négative sur la période.
Mais cette technique et cet art étaient mis au service d’un récit religieux qu’il faut essayer d’analyser et de comprendre.
Ce <site consacré à l’art roman> le décrit de manière précise, <L’office de tourisme de Conques> en fait de même, de manière plus simple.
C’est un peu comme une bande dessinée, réalisée au moyen âge pour l’humble croyant qui ne sait pas lire, mais peut comprendre les représentations figuratives.
L’histoire racontée est celle de la parousie.
La parousie est un concept de la théologie chrétienne. Les savants religieux expliquent qu’il s’agit à la fois de la présence invisible du Christ dans le monde depuis la création et son retour sur la Terre à la fin des temps.
Pour les incrédules comme moi, il s’agit de l’annonce de la fin du monde et du jugement dernier. C’est une histoire qui vise à faire peur et à inciter fortement les croyants de suivre le plus fidèlement possible les préceptes et règles édictés par les prêtres de l’Église afin de bien se préparer à ce moment et pouvoir se présenter dans les meilleures conditions devant le juge suprême.
Les religions catholiques, orthodoxes et protestantes ont quelque peu édulcoré ce point central de leur croyance : l’inéluctabilité de la fin des temps et le jugement dernier dans lequel il vaut mieux être le plus irréprochable possible par rapport aux fondamentaux religieux
D’autres, comme les évangélistes et toutes les sectes millénaristes ont gardé, au cœur de leur discours, le retour du Christ et ce moment où les mécréants et les déviants passeront un mauvais quart d’heure et normalement beaucoup de mauvais quart d’heures après. Dans ces milieux fondamentalistes, on insiste, en outre, sur l’imminence de ce moment eschatologique.
En effet, un autre mot est utilisé dans ces dogmes : « une eschatologie », c’est à dire une doctrine relative au jugement dernier et au salut assigné aux fins dernières de l’homme, de l’histoire et du monde.
Les religions monothéistes possèdent chacune des théories sur ce sujet : « l’eschatologie islamique » et « l’eschatologie juive ».
Tous ces récits ont pour objectif de convaincre le croyant qu’il a bien raison de croire ce qu’il croit et que ce serait tout à fait déraisonnable de ne pas suivre tous les commandements qui lui sont prescrits.
Ils renferment aussi une espérance : un jour arrivera où ses mérites seront reconnus et où « les méchants », on peut aussi les appeler les mécréants, les hérétiques, les musulmans parlent de « kâfir » au pluriel « kouffar », seront punis. L’adhésion à ces récits permet de mieux supporter les injustices et les épreuves du présent.
Mais ces croyances génèrent aussi une anxiété : puisque le croyant se demandera, sans cesse, s’il en fait assez, pour être du bon côté au moment ultime, celui du jugement dernier.
C’est la force et la ruse des religions pour obtenir un peuple docile et une société soudée.
Pierre Soulages disait :
« Je ne crois pas en Dieu, mais je crois au sacré. »
propos rapporté dans le journal « La Croix », no. 42453 du 26 octobre 2022 – article « Soulages a rejoint l’outrenoir »
Il a aussi donné ce conseil :
« Visiteur, ne t’attarde pas au tympan de l’entrée. »
dans « Les dits de Pierre Soulages » de Marie Rouanet page 37
L’abbatiale Sainte-Foy de Conques, à travers cette dichotomie, soulignée par Pierre Soulages répond parfaitement à la distinction que j’ai, tant de fois, tenté d’expliquer entre la religion et la spiritualité.
La religion par son récit angoissant et apocalyptique veut soumettre et contraindre par la crainte et l’espérance au bout de la soumission.
A Conques, si après avoir admiré la qualité artistique et hors du temps des sculpteurs du XIIème siècle, vous ne vous attardez pas trop et entrez rapidement dans l’abbatiale, vous trouverez autre chose : élévation, paix, sérénité, spiritualité.
Lors d’un échange, à Conques, avec une touriste, j’ai décrit cette sensation d’une spiritualité intense à l’intérieur de l’église. La femme m’a immédiatement interpellé :
« Moi la religion et la spiritualité, cela ne me parlent pas. »
Cette rencontre m’a rappelé que les français avant d’être laïcs sont d’abord majoritairement athées. Mais je disposais de la parade. Elle m’avait été fournie par Jean-Claude Carrière qui s’insurgeait sur la captation du concept de spiritualité par les religions.
Car spiritualité signifie «esprit», «pensée» alors que les religions, le plus souvent, conduisent à éviter de penser pour remplacer la recherche spirituelle par le «dogme».
J’en avais parlé lors du <mot du jour du 12 février 2021>, en hommage, à cet homme d’immense culture. Et grâce à l’évocation de Jean-Claude Carrière, mon interlocutrice devint conciliante :
« Dans ce cas je veux bien retourner dans l’abbatiale et tenter d’y trouver un peu de spiritualité »
Christian Bobin écrit :
« Il faut ouvrir une porte là où il n’y en a pas, puis laisser entrer le silence qui est le seul vrai dieu.»
« La Nuit du cœur » page 31