Mardi 17 septembre 2024

« A la place de l’éblouissement des yeux tu trouves l’indicible, l’invisible. »
Pierre Soulages dans « les dits de Pierre Soulages » de Marie Rouanet page 39

Nous nous trouvons enfin, en ce lundi 9 septembre, dans l’Abbatiale Sainte Foy de Conques.

Dehors, il fait gris, nul bleu dans le ciel, un léger crachin tombe par intermittence.

Les vitraux gris de Soulages, en l’absence de soleil ne s’embrasent pas.

Je suis d’abord un peu déçu, ces vitraux avec leurs milles nuances de gris ne subjuguent pas.

Mais bientôt, je comprends mon erreur, l’abbatiale ne constitue pas un écrin, à l’égal d’un musée, pour mettre en valeur l’œuvre du peintre.

Bien au contraire, ce sont les vitraux et leurs lumières qui forment un écrin pour révéler l’abbatiale dans toute sa splendeur.

Dans le petit livre où Marie Rouanet a noté ce que Soulages disait, elle cite ses propos sur les vitraux de Conques :

« Il est temps d’oublier le monde extérieur.
C’est le sens sacré des vitraux.
Vue de dehors, ils ont l’air d’une porte close.
Au-dedans ils maintiennent une lumière voilée.
Tu ne rencontreras pas l’explosion de couleurs attendue, aucun orgue tonitruant ne saluera le cortège des moines et leur psalmodie presque un murmure. Ne sois pas trop déçu. A la place de l’éblouissement des yeux tu trouves l’indicible, l’invisible. »
opuscule cité pages 38 et 39

Soulages est pour moi, une découverte tardive.

Il est vrai que l’art que j’ai investi depuis mes plus jeunes années est la musique, non la peinture. J’avais vaguement entendu l’association de Pierre Soulages et de la peinture noire, rien de plus.

Mais, trois « rencontres », je ne trouve pas de mot plus pertinent, vont me conduire en ce lieu dans lequel nous retournerons trois jours de suite, tout en allant aussi au musée Soulages à Rodez.

La première de ces rencontres a eu lieu dans ma cuisine. Ma sensible belle-soeur, Josiane, m’a demandé :

« As-tu déjà vu l’abbatiale de Conques, avec les vitraux de Soulages ? ».

Après ma réponse négative, elle m’a raconté son expérience intense dans cette église qui baigne dans une lumière qui permet de tutoyer les forces de l’esprit.

La seconde rencontre a été provoquée par ma lecture de Christian Bobin qui lui a consacré un livre « Pierre, » dans lequel il raconte son voyage, une nuit de Noël, depuis Le Creusot jusqu’à Sète, pour rencontrer le peintre et lui remettre, en cadeau de son 99ème anniversaire, le manuscrit de « La nuit du cœur ». 

Dans cet ouvrage, il écrit ces mots qui font vibrer mes cordes intérieures :

« Les morts ne sont pas plus loin de nous que les vivants.
Je voyage dans cette parole. Elle serre mes tempes, elle va durer trois heures, le temps du trajet.
Aller vers ceux qu’on aime, c’est toujours aller dans l’au-delà. »
« Pierre » dans « Les différentes régions du ciel » page 986.

Ce livre, date de 2019, l’année précédente il avait donc écrit « La nuit du cœur ».

Il se trouve, une nuit, dans l’hôtel Sainte Foy à Conques. Une des fenêtres de sa chambre donne sur un flanc de l’abbatiale. Il écrit :

« C’est dans cette chambre, se glissant par la fenêtre la plus proche du grand lit, que dans la nuit du mercredi 26 juillet 2017, un ange est venu me fermer les yeux pour me donner à voir.
Dans l’abbatiale, on donnait un concert.
Je regardais la nuit d’été par la fenêtre, ce drapé d’étoiles et de noir.
Un livre m’attendait sur la table de chevet. Mon projet était d’en lire une dizaine de pages, puis de glisser mon âme sous la couverture délicieusement fraîche de la Voie lactée.
Mais.
Mais en me penchant pour fermer les volets de bois, je vis les vitraux jaunis devenir plus fins que du papier et s’envoler.
Le plomb, le verre et l’acier qui les composaient, plus légers que l’air, n’étaient plus que jeux d’abeilles, miel pour les yeux qui sont à l’intérieur des yeux.
Des lanternes japonaises flottant sur le noir, épelant le nom des morts. À cette vue je connus l’inquiétude apaisante que donne un premier amour. ».

Dans ce livre il raconte sa rencontre avec l’Abbatiale, avec Conques. « Conques est un village introuvable. Les routes qui y mènent imposent une lenteur dont le monde n’a plus goût. » page 15 et avec les vitraux de Soulages.

Page 113, il donne cette clé :

« A Conques on lève la tête pour voir au fond de soi. »

Et puis, il y a eu une troisième rencontre, ou plutôt le croisement du chemin de vie avec le ruisseau du hasard…

Un signe, dont je ne fais pas un récit et pour lequel je ne prétends donner aucun sens mystique.

J’étais plongé dans un deuil profond, mon frère Gérard venait de mourir.

Le lendemain, le 25 octobre 2022, Pierre Soulages quittait aussi le monde des vivants.

En y regardant de plus près, je m’apercevais qu’il était né le 24 décembre 1919, 14 jours après la naissance de notre père.

La vie de Pierre Soulages qui a duré 102 ans et 10 mois recouvrait quasi exactement la vie de mon père et de mon frère.

Toutes ces rencontres m’ont poussé à aller à la rencontre de l’œuvre de Pierre Soulages et particulièrement ses vitraux.

Dans sa préface du livre « Les vitraux de Conques », le grand Historien médiéviste Georges Duby décrit ainsi cette architecture venue du moyen-âge :

« Les hommes de très haute culture qui décidèrent il y a neuf siècles de rebâtir la basilique de Conques entendaient d’abord honorer sainte Foy, présente en ce lieu par ce qui restait de son corps […]La basilique de Conques fut conçue […] pour être le lieu du passage de la transition, de la sublimation. Il faut voir en elle une sorte d’antichambre du Paradis, une réplique imparfaite de la Jérusalem céleste, et se rappeler que les harmonies de son espace interne fut calculées de manière à susciter la vision prémonitoire des perfections intemporelles.
Franchir son seuil devait être vécu comme une rupture, comme une conversion de l’être. ».

Dans ce même livre, Pierre Soulages compare l’abbatiale Sainte Foy et la basilique Saint Sernin de Toulouse, toutes deux étapes sur les chemins de pèlerinage vers Saint Jacques de Compostelle.

Cette comparaison montre ce que l’église de Conques a de particulier. Saint Sernin est immense 120 m de long, Sainte Foy n’a que 56 m, moins de la moitié.

En revanche, la nef de Saint Sernin a une hauteur de 21,10 m pour une largeur de 8,60m. Alors que Conques possède une nef de 22,10m, soit un mètre de plus pour 6,80 de large, ce qui la fait paraitre encore plus élancée. Nous sommes dans un édifice qui porte haut la force de la verticalité.

C’est cet élan vers le haut qui pousse à élever l’esprit et pour celui qui sait recevoir, accueillir le spirituel. La lumière qu’offre les 104 vitraux de Soulages éclaire ces immenses colonnes surmontées de chapiteaux et illumine les espaces derrière les colonnes.

Christian Heck dans son livre : « Présence de la Lumière inaccessible. Les vitraux de Conques et la peinture de Soulages. » cite le peintre

« C’est ce qui m’a fortement impressionné dans cette aventure : créer pour un tel lieu une matière qui marque l’écoulement du temps est une rencontre qui a un sens profond et qui a beaucoup compté dans la suite de mon travail. »
page 35.

Et il a ajouté :

« On ne se rend pas compte à quel point tout ce que je fais est lié aux vitraux que j’ai réalisés à Conques, c’est à dire la lumière. ».

2 réflexions au sujet de « Mardi 17 septembre 2024 »

  • 19 septembre 2024 à 12 h 29 min
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    Merci je suis heureuse de vous lire toujours. Je suis rentrée dans l’abbatiale de Conques il y a maintenant quelques années (j’ai 85 ans). Et j’aime lire notre ami poète Christian Bobin. Je me promets, si ma santé le permet, de revoir cette abbatiale. Votre mot du jour me donne envie de la revoir. Je suis sûre de découvrir encore des richesses intérieures à la lumière de vos écrits et de ceux de Bobin
    bien à vous et fidèlement, Bernadette O

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    • 19 septembre 2024 à 14 h 39 min
      Permalink

      Merci Bernadette, il est doux de sentir la proximité de l’esprit et du coeur.

      Répondre

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