Mercredi 24 avril 2019

« La cathédrale de Strasbourg est la plus belle des cathédrales »
Pierre Nora

Certains ont été surpris par l’élan d’émotion et aussi de dons qui se sont dirigés vers Notre-Dame de Paris après son incendie. Plus qu’une Église, plus qu’un lieu de culte catholique il s’agit d’un symbole national, à la fois religieux, républicain et populaire.

Beaucoup d’émissions ont été consacrées à ce sujet.

Ainsi Hervé Gardette avait invité pour son émission du 20 avril, l’historien Nicolas Offenstadt pour parler de cette dimension symbolique : « Aux vieilles pierres la patrie reconnaissante » .

Et Ali Baddou a invité le même jour le grand historien Pierre Nora, inventeur du concept des « Lieux de Mémoire ».

L’essentiel de ses travaux a été consacré au « sentiment national » et à sa composante mémorielle.

<Cette émission> était donc particulièrement intéressante et les échanges de grande qualité et je vous invite à l’écouter.

Pour ma part, je vais aujourd’hui écrire à l’économie et ne pas tenter de faire une synthèse ou un résumé des propos échangés.

Mais taquin, je vais me concentrer sur un très court extrait dans lequel Pierre Nora a exprimé un avis qui m’a enchanté.

Tout en long de l’émission, il a souligné l’importance de Notre Dame de Paris dans le sentiment national et la symbolique qu’elle représente.

Mais après il a dit :

« Il y a des cathédrales qui sont plus belles que Notre Dame de Paris. Chartres est plus belle que Notre Dame de Paris. Et Strasbourg n’en parlons pas. Elle est la plus belle des cathédrales, avec cette dentelle de pierres, c’est extraordinaire absolument. »

Je suis évidemment d’accord avec cet avis subjectif, la plus belle c’est la cathédrale de Strasbourg.

Et c’est un lorrain qui le dit !

Il est donc très probable que c’est exact.

J’ai trouvé <cette vidéo> qui montre la cathédrale de Strasbourg filmé par un drone.

Et <Une vidéo des Racines et des ailes> et encore <Une autre>

C’est un chef d’œuvre de majesté et d’équilibre.


<1230>

Vendredi 19 avril 2019

« Avoir une cathédrale dans la tête. »
Boris Cyrulnik

La destruction par le feu de Notre Dame de Paris a entraîné beaucoup de réactions et beaucoup de discussions. Surtout depuis que des riches mécènes ont décidé très rapidement de verser de grosses sommes d’argent.

Certains ne comprennent pas qu’on puisse trouver autant d’argent, en si peu de temps pour relever des murs, alors qu’on n’en trouve pas pour loger les sans-abris et pour éradiquer la misère.

D’autres plus mesurés, comme les représentants de la fondation de l’Abbé Pierre, de l’armée du salut ou d’ATD Quart monde, expriment leur satisfaction de constater que des financements vont permettre de réparer l’édifice religieux mais voudraient que la générosité s’étende aussi à la misère humaine. Le Monde a publié un article : <Le malaise des associations caritatives face à la générosité pour Notre-Dame> qui présente ces interrogations.

Le journal a relayé un tweet de l’essayiste Ollivier Pourriol, posté mercredi 17 avril :

« Victor Hugo remercie tous les généreux donateurs prêts à sauver Notre-Dame de Paris et leur propose de faire la même chose avec les Misérables. »

J’y reviendrai, peut-être, dans un mot du jour ultérieur.

Mais aujourd’hui et avant le week-end pascal qui commémore le cœur du récit de la civilisation chrétienne dont je suis issu et beaucoup d’entre vous certainement aussi, et en écho à ce magnifique monument qui a été construit au moyen âge et qu’un grand nombre souhaite reconstruire, je veux partager une autre histoire, une histoire de valeur, de sens et d’intelligence.

Boris Cyrulnik avait publié en 2004 : « Parler d’amour au bord du gouffre ».

Dans le chapitre II intitulé : « La résilience, comme un anti-destin » il donne comme titre à un de ses développements : « Avoir une cathédrale dans la tête »

Et il raconte cette histoire :

« J’ai souvent attribué à Charles Peguy la fable suivante. En se rendant à Chartres, Peguy voit sur le bord de la route un homme qui casse des cailloux à grand coup de maillet. Son visage exprime le malheur et ses gestes la rage.

Peguy s’arrête et demande: « Monsieur que faites-vous ?». «Vous voyez bien ! lui répond l’homme, je n’ai trouvé que ce métier douloureux et stupide.».

Peguy aperçoit un autre homme qui lui aussi casse des cailloux, mais son visage est calme et ses gestes harmonieux. «Que faites-vous monsieur?» lui demande Peguy. «Eh bien, je gagne ma vie grâce à ce travail fatigant mais qui a l’avantage d’être en plein air».

Plus loin, un troisième casseur de cailloux irradie de bonheur. Il sourit en abattant la masse et regarde avec plaisir les éclats de pierre. «Que faites-vous? » lui demande Peguy. L’homme lui répond: «Moi, répond cet homme, je bâtis une cathédrale !»

« Je bâtis une cathédrale ! »

Cyrulnik reconnait lui-même, dans son livre, que cette histoire n’est pas de Charles Peguy. Certains site comme <celui-ci> ou <celui-là> attribue cette fable à Raymond Lulle philosophe, poète et théologien de Majorque (1232-1315).

Mais ce qui est essentiel, c’est cet homme qui transcende son travail pénible par la compréhension du but de son action : « bâtir une cathédrale »

Boris Cyrulnik explique:

«Le caillou dépourvu de sens soumet le malheureux au réel, à l’immédiat qui ne donne rien d’autre à comprendre que le poids du maillet et la souffrance du coup. Alors que celui qui a une cathédrale dans la tête transfigure le caillou, il éprouve un sentiment d’élévation et de beauté que provoque l’image de la cathédrale dont il est déjà fier». »

Il y a deux faces à cette force qui transforme un geste pénible et parcellaire en un grand dessein :

La première est une responsabilité individuelle : chercher le sens de ce que l’on fait et accepter de participer à une œuvre qui nous dépasse. C’est ce dont parle principalement Boris Cyrulnik.

La seconde est collective et à mon sens plus importante. Quel est le récit qui bâtit notre civilisation, dans lequel nous pouvons nous inscrire, donner de nous-même pour quelque chose de plus grand que nous ?

Il m’étonnerait beaucoup que ce dessein mobilisateur pourrait être de vouloir toujours consommer davantage, ou que chaque jeune ait le désir de devenir milliardaire ou encore que la science puisse allonger indéfiniment la durée de vie de certains homo sapiens pour qu’ils puissent consommer plus longtemps.

La question qui se pose est bien celle-ci ; quelle cathédrale avons-nous envie collectivement de bâtir ?


PS : J’avais déjà cité cette histoire dans un mot du jour mais sans en faire le point central du mot. C’était le mot du jour du 29 novembre 2016 et qui concernait la création par Ambroise Croizat de la sécurité sociale.

<1228>

Jeudi 28 Janvier 2016

Jeudi 28 Janvier 2016
« La ville faite par et pour les hommes »
Parler de la violence contre les femmes dans l’espace public, ramène forcément à s’interroger sur les villes, sur la place des femmes dans les villes, dans les rues, sur les places, dans les transports.
Je commencerai d’abord par une expérience personnelle de la cour de récréation de la primaire que je n’ai décrypté que bien plus tard quand j’ai commencé à être sensible à la remise en cause de la société patriarcale.
Quand j’ai débuté dans l’école primaire en 1964, elle n’était pas mixte, il y avait l’école des garçons et l’école des filles. Aujourd’hui, encore beaucoup de bâtiments dédiés à l’école primaire, toutes mixtes désormais, portent à leur fronton « École de garçons » ou « École de filles ».
Mais quand je suis entré au cours moyen 2, l’école est devenue mixte. Dans l’organisation de mon école de la Verrerie-Sophie, la classe de CM2 allait se faire dans les bâtiments qui étaient avant ceux des filles.
Et quand des garçons se retrouvaient à cette époque dans la cour de récréation, que faisaient-ils ? Ils, jouaient au football.
En résumé, les garçons sont venus, ont colonisé l’espace de la cour de récréation des filles et ont joué au football sans les filles, ne laissant plus qu’une petite place, dans les marges de la cour, aux filles ! Et tout le monde trouvait cela normal. Même les institutrices qui étaient toutes restées dans le bâtiment des filles n’ont rien dit : un partage de l’espace de 80 % pour les garçons 20% pour les filles était normal !
Ce sujet concernant la place laissé aux femmes dans nos villes a été le thème de l’émission : « Un jour en France du 9 novembre 2015 »
C’est une question que l’on n’a abordé que récemment.
Il y a d’abord, pour le symbole, le nom des rues et des places qui portent le nom d’hommes,  beaucoup de généraux. Peu portent des noms de femme et c’est toujours des petites rues, des petites places, des écoles maternelles.
Les équipements sportifs sont faits essentiellement pour les garçons. Et lorsqu’ils sont réputés mixtes, par exemple les skate parcs, ils sont quasi exclusivement occupés par les garçons.
L’émission « Sur les docks du 24/11/2015 » avait abordé ce sujet et révélait notamment :
«Une étude récente menée dans le bois de Vincennes souligne que la présence des femmes diminue dans les espaces aménagés dès que les hommes les investissent. Ainsi les pistes cyclables du bois sont principalement fréquentées par des hommes pratiquant le vélo de course. L’espace urbain « concocté » par les urbanistes en concertation avec les élus nous rappelle ce monde pensé au masculin : rampes de surf, terrains de foot, cages à volleyball, terrains de boules ? Conséquence : la fréquentation des équipements urbains affiche deux tiers d’hommes pour un tiers de femmes. »
Tout cela se déroule dans un espace public où le harcèlement sexuel à l’égard des femmes est général.
D’ailleurs, quand sur une place comme “la Place du Pont” de Lyon dont j’ai parlé récemment, il y a des regroupements de personnes qui stationnent, ce sont toujours exclusivement des humains du genre mâle.
Souvent les femmes marchent vite, pour ne pas avoir à subir d’avances ou de remarques déplacées. Les femmes évitent les regards pour ne pas avoir de mauvaise surprise etc…
Bien sûr la France est un paradis par rapport à d’autres pays. Et en France cela dépend des quartiers et bien sûr cela dépend de l’heure. Et alors dans certains quartiers et à certaines heures…
Force est de constater que cette liberté fondamentale de sortir et de se déplacer dans la ville à n’importe quelle heure de la journée et donc le soir et la nuit n’est pas pleinement respectée, même en France !
Dans beaucoup de pays du monde c’est impossible pour les femmes ou très très dangereux, par exemple à New Delhi
Dans cet article on apprend que c’est beaucoup trop dangereux et que les autorités ont trouvé une disposition absolument surréaliste : verbaliser les femmes qui sortent seules le soir ! Ce sont encore les victimes qui sont pénalisées.
Mais le harcèlement est aussi la réalité de la rue et des transports de notre beau pays. Les femmes pour y faire face sont obligées de pratiquer l’évitement ou d’avoir des stratégies pour pallier ces atteintes à la liberté de circuler librement et sans risque.
Ce sont des choses absolument inacceptables.
Peut-être faudrait-il interdire à certains hommes de sortir le soir et pour certains même la journée. Eh bien oui, il  n’arrive pas à se contrôler ou simplement « à taire leurs pulsions animales ! ». Souvent on continue à leur chercher des excuses où à minimiser leurs actes et propos obscènes.
Mais c’est une vraie prise de conscience qu’il faut avoir à ce sujet. Ne pas rester dans la seule posture individuel de l’évitement.
Au Portugal la question se pose de criminaliser le harcèlement dans la rue : http://www.courrierinternational.com/article/controverse-faut-il-criminaliser-le-harcelement-sexuel-dans-la-rue
Vous trouverez aussi des réflexions très riches sur ce sujet sur une page de l’Express : http://www.lexpress.fr/actualite/societe/loi-sur-le-harcelement-sexuel_1623990.html
Je rappelle aussi ce site gouvernemental déjà cité : http://www.stop-harcelement-sexuel.gouv.fr/
Et bien sûr le livre dont j’ai choisi le titre comme exergue à ce mot du jour
<637>