Lundi 22 septembre 2025

« J’espère que Dieu n’existe pas ! »
Y le personnage principal du film « Oui » de Nadav LAPID

Annie et moi sommes allés voir, ce vendredi, le film « Oui » de Nadav LAPID.

Je crois que je ne suis jamais sorti d’un film en portant un malaise plus grand, tant ce film est sombre, dérangeant avec, en outre, une bande son souvent extrêmement agressive. Par moment on pense à Fellini ou à Pasolini mais sans la poésie et en comprenant que même si, comme pour les deux maîtres italiens, il s’agit d’une fiction, en réalité Nadav Lapid veut nous faire percevoir une certaine réalité israélienne d’aujourd’hui, une réalité terrifiante.

Le film se situe d’abord dans une fête totalement déjantée au sein d’une élite économique et militaire de Tel Aviv. Un couple d’artistes désargentés est employé pour divertir et pousser cette élite jusqu’à la limite de la folie, des orgies sexuelles et des paradis artificiels. Ce couple a un bébé avec lequel ils se comporte à peu près comme des parents normaux. Mais c’est la seule normalité qu’on perçoit chez eux, pour le reste pour reprendre la description du « Monde » : « ils se vautrent, sans état d’âme, dans le stupre et la turpitude. Ils veulent réussir, à n’importe quel prix. »

Nous sommes dans un Israël qui vient de vivre le traumatisme du 7 octobre 2023 et a commencé de déverser des tonnes de bombes sur Gaza. La femme, Jasmine, est danseuse, mais le héros principal, Y, est musicien. Alors qu’il est à la recherche d’un contrat susceptible de le sortir de la précarité, un oligarque d’origine russe lui propose ce qu’il cherche : beaucoup d’argent pour composer un nouvel hymne national dont les paroles sont explicitement génocidaires. Y entretient un dialogue mystique avec sa mère décédée qui était de gauche. Y n’aime pas ce texte horrible, mais il va céder et composer la musique.

Tout dans son être le pousserait à dire « Non » mais il va dire « Oui », le « Oui » de la soumission.

Le philosophe Alain a décrit la différence entre le « Oui » et le « Non » :

« Penser, c’est dire non. Remarquez que le signe du oui est d’un homme qui s’endort ; au contraire le réveil secoue la tête et dit non.
Non à quoi ? Au monde, au tyran, au prêcheur ? Ce n’est que l’apparence. En tous ces cas-là, c’est à elle-même que la pensée dit non. Elle rompt l’heureux acquiescement. Elle se sépare d’elle-même. Elle combat contre elle-même. Il n’y a pas au monde d’autre combat. Ce qui fait que le monde me trompe par ses perspectives, ses brouillards, ses chocs détournés, c’est que je consens, c’est que je ne cherche pas autre chose. Et ce qui fait que le tyran est maître de moi, c’est que je respecte au lieu d’examiner.
Même une doctrine vraie, elle tombe au faux par cette somnolence.
C’est par croire que les hommes sont esclaves. Réfléchir, c’est nier ce que l’on croit. Qui croit ne sait même plus ce qu’il croit. Qui se contente de sa pensée ne pense plus rien. »
Alain Propos sur les pouvoirs, « L’homme devant l’apparence », 19 janvier 1924, n° 139

Pour trouver l’inspiration Y quitte le foyer familial et convoque un amour de jeunesse, rencontré au conservatoire de musique, Leah.

Elle est jouée par une remarquable actrice Naama Preis qui est devenue propagandiste pour Tsahal, parce qu’elle n’a pas trouvé d’autre job pour gagner sa vie.. Avec elle, il va prendre la route du désert vers Gaza. Pendant le voyage Leah, sur la demande d’Y, raconte le 7 octobre et décrit aussi les horreurs de Gaza. Naama Preis crée un moment de tragédie, le plus fort du film.

Leur périple les amène en haut d’un monticule qui a pour nom « la colline d’amour » sur lequel ils voient Gaza envahie de fumée et entendent le bruit des missiles qui tombent. C’est à ce moment que Y s’écrie : « J’espère que Dieu n’existe pas ! »

Woody Allen a une autre formule :

« Si Dieu existe, j’espère qu’il a une bonne excuse. »

Je sais bien que ces paroles sont insupportables pour mes amis croyants pour qui leur Foi est source de consolation et de force pour agir pour le bien. J’étais moi-même un croyant fervent autour de mes 20 ans. Je comprends intimement cet élan vers la transcendance et la douce voix intérieure qui rend soutenable ce qui peut être si lourd.

Je ne parle pas de cela. Je parle des religions, de ces structures qui ont à leur tête des hommes, parce que c’est toujours des mâles, qui parlent, dans leurs offices, de paix et de pardon mais qui dans leurs actions soutiennent et provoquent la destruction.

Je parle de la religion orthodoxe dont le Patriarche de Moscou est un ancien agent du KGB et qui conseille Poutine et couvre ses actions les plus infames.

Je parle des évangélistes blancs américains, qui sont les soutiens les plus fervents de Donald Trump et qui soutiennent Israël parce que dans leur vision millénariste de fin du monde, ils croient que leur désir ne pourra être accompli que si tous les juifs se retrouvent sur la terre de la Judée antique.

Je parle des messianistes juifs qui veulent reconstruire le temple de Jérusalem même au prix d’une guerre sans fin avec tous les musulmans.

Je parle des islamistes radicaux qui divisent le monde entre « haram » et « halal » et pour lesquels la vie humaine n’a aucune valeur devant le dogme.

L’émission « C Politique » de France 5 du dimanche 21 septembre 2025 parlent des croyances des évangélistes américains. Et pour revenir à notre sujet d’aujourd’hui vous pouvez écouter le grand spécialiste de l’Histoire du Moyen Orient, Henry Laurens sur le problème du sacré et de la religion dans le conflit israélo-palestinien : « Question juive, problème arabe ». Pour lui c’est simple, le fait qu’on ajoute de la religion à un problème territorial rend ce conflit insurmontable.

Ce film suscite des réactions contrastées de la critique française. A France Inter et sur le plateau de « C ce soir », déjà cités dans le mot du jour du 17 septembre 2025, les avis étaient élogieux.

Dans « le Monde », Jacques Mandelbaum écrit dans son article publié le 17 septembre :

« Quelque chose d’assez repoussant à concevoir, douloureux à recevoir, captivant à percevoir. »

Dans « les Cahiers du Cinéma » Élodie Tamayo est plus lyrique :

« Et pourtant ce film dit oui, un oui tonitruant. À quoi ? Au désir de faire du cinéma, même impossible, même monstre. Alors Lapid convoque les forces vives de genres hétérogènes. Le prisme tourne entre le film d’amour épileptique, version Sailor et Lula à Tel-Aviv ; la fiction politique décadente , le cartoon brutal, la comédie musicale désespérée, le cirque fellinien, et l’ombre de Tobe Hooper plane sur des décors de piscine à balles. Les curseurs sont poussés au maximum, dans un geyser de couleurs, une explosion de textures sonores, un vortex de mouvements de caméra et d’effets spéciaux. On oscille entre la secousse organique, l’éveil des sens, et l’étourdissement. »

Dans « le Figaro » du 17 septembre Etienne Sorin est brutal :

« Amos Gitaï et Ari Folman perdus de vue, Lapid, conscience nécessaire mais piètre cinéaste, est l’une des rares voix dissonantes dans le paysage artistique israélien. Elle fait du bruit mais elle porte peu, confinant son cinéma pamphlétaire à un public confidentiel. »

Ce film est une charge très violente contre l’élite israélienne et même l’ensemble de la société israélienne. Dans son interview à France Inter, le réalisateur explique : 

« Si je dois quelque chose à mon pays, et si des artistes doivent quelque chose à ce monde, c’est dire leur vérité avec la voix la plus lucide, la plus claire. [Il fait référence à ces] prophètes bibliques qui disaient au peuple parfois des choses très, très dures à entendre, mais qui disaient au peuple la vérité, afin de retirer ce voile qui couvre les yeux et qui suscite cet aveuglement. »

Pour ma part, je ne sais pas à quoi sert ce type de film. Je pense que beaucoup d’israéliens ne se reconnaîtront par dans l’image d’une élite hors sol et dépravée. Les palestiniens et leurs défenseurs seront fortifiés dans leurs certitudes négatives contre la société israélienne. Les modérés, comme moi, ne peuvent sortir qu’anéantis devant un film sans espérance.

C’est pourquoi, je voudrais finir avec ce poème de Paul Eluard, déjà cité et écrit dans son recueil « Le Phénix »

«La nuit n’est jamais complète
Il y a toujours puisque je le dis
Puisque je l’affirme
Au bout du chagrin
une fenêtre ouverte
Une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille
Désir à combler faim à satisfaire
Un cœur généreux
Une main tendue une main ouverte
Des yeux attentifs
Une vie la vie à se partager.»

Mercredi 17 septembre 2025

« Gaza brûle »
Israël Katz, le ministre de la Défense israélien

C’est mardi 16 septembre au matin que le ministre de la défense israélien a écrit cette phrase : « Gaza brûle ». Et parallèlement, Israël a lancé l’offensive terrestre, dans la nuit du 15 au 16 septembre, sur la ville de Gaza, baptisée « opération Chars de Gédéon II ».

L’objectif déclaré est de faire plier le Hamas dans son dernier bastion et d’obtenir la libération des 48 derniers otages dont seulement 20 sont présumés encore en vie.

Est ce que cet objectif est réaliste ?

Pour l’instant, la guerre de presque 2 ans, ne donne pas beaucoup de crédibilité à la réalisation de cet objectif. Dans leur folie meurtrière, les terroristes du Hamas entraineront certainement leurs otages dans la mort, juste avant de succomber.

Selon cet article de « Courrier International » des familles d’otages, dans la nuit, à l’annonce de l’offensive terrestre, se sont précipités devant la résidence de Benyamin Nétanyahou à Jérusalem pour protester contre ces opérations qui « mettent, selon eux, en danger leurs proches ».

La mère de Matan Zangauker, qui se trouve encore à Gaza dans des propos relayés par le quotidien israélien d’opposition Ha’Aretz a déclaré :

« Le cabinet de la mort a décidé de faire un pas vers la guerre éternelle et l’occupation de Gaza »

Les officiels israéliens assurent :

« Si le Hamas libère les derniers otages vivants et morts qu’il détient, nous arrêterons la guerre. »

Le Hamas est une organisation criminelle, islamiste qui proclame que chaque mort gazaoui est un martyr pour la cause qui sera récompensé dans « le paradis d’Allah » et que la souffrance quotidienne de chaque habitant de Gaza leur vaudra aussi des récompenses dans l’au delà, en plus de faire avancer la cause. Ces fanatiques n’ont que faire de la vie terrestre et de sa qualité. Ce sont des monstres que je ne défends d’aucune façon. Mais ils ne se rendront pas et le gouvernement d’Israël le sait. Donc ce n’est pas pour libérer les otages que cette offensive est lancée. Selon le journal « La Croix » même le chef d’état major israélien exprime des réticences : « Guerre d’Israël contre le Hamas : des doutes jusqu’au chef de Tsahal ».

Il semble crédible que la principale raison de ce carnage, c’est de rendre la vie à Gaza insoutenable pour les Palestiniens et les contraindre à partir.

Partir où ?

La Jordanie et l’Egypte refusent avec force de les accueillir. Il semble que l’état hébreu et les Etats-Unis tentent de trouver des solutions en Afrique. Selon l’agence Associated Press les États-Unis et Israël ont sollicité le Soudan, la Somalie et sa région séparatiste du Somaliland pour qu’ils accueillent les deux millions de Gazaouis. C’est une déportation, cela a un nom : « un nettoyage ethnique » ce qui constitue un crime contre l’humanité selon le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Les actes inhumains tels que la déportation forcée, la persécution et les transferts forcés de population peuvent être qualifiés de crimes contre l’humanité s’ils sont commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile.

Cette nouvelle escalade dans le conflit est assez unanimement condamné : Le ministre allemand des Affaires étrangères, Johann Wadephul, a déclaré que l’offensive allait dans la mauvaise direction et a appelé à une solution diplomatique.
– La ministre britannique des Affaires étrangères, Yvette Cooper, a qualifié l’offensive terrestre d' »irresponsable et effroyable ».
– La Commission européenne a averti que l’intervention militaire entraînerait davantage de destructions, de morts et de déplacements de population.

En Cisjordanie, les exactions des colons à l’égard des Palestiniens s’accentuent. Selon un rapport de Médecins sans Frontière de mai 2025, depuis le 7 octobre 2023, au moins 870 Palestiniens ont été tués et plus de 7 100 ont été blessés. Et désormais, le gouvernement israélien a décidé de mettre en oeuvre le plan de colonisation E1.

Le gouvernement a donné le 20 août un feu vert au projet majeur de construction de logements baptisé “E1”, qui prévoit d’étendre une colonie située à quelques encablures de Jérusalem-Est, ce qui couperait de facto la Cisjordanie en deux. Lors d’une visite à la colonie de Maale Adumim, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré :

« Il n’y aura pas d’État palestinien. Cet endroit nous appartient… Nous préserverons notre patrimoine, notre terre et notre sécurité. Nous allons doubler la population de la ville ». »

Alors que la France, le Royaume Uni, le Canada et 11 autres pays s’apprêtent à reconnaître l’Etat Palestinien à l’ONU, Netanyahu commet un acte pour empêcher cela et donne précisément ses raisons : « Il n’y aura pas d’État palestinien ».

Le ministre des Finances d’extrême droite, Bezalel Smotrich, un ancien dirigeant de colons, a salué la décision du gouvernement israélien, affirmant :

« L’État palestinien est en train d’être effacé de la table, non pas par des slogans, mais par des actes. »

Les ministres d’extrême droite voudrait annexer la Cisjordanie qu’ils appellent Judée Samarie. Ils commettraient alors une nouvelle infraction contre le droit international : ce territoire n’appartient pas à Israël, c’est un territoire occupé par Israël, depuis la guerre de 1967.

Netanyahu, jamais en reste d’une nouvelle formule, a dit lors d’une conférence économique à Tel Aviv, qu’Israël doit devenir une « Super Sparte ».

Sparte est cette cité-État de la Grèce antique, connue pour son organisation militarisée, sa discipline, l’obéissance stricte à l’État, tout ce qui donnera l’adjectif « spartiate » encore utilisé de nos jours.

Pierre Haski sur France Inter décrypte la pensée du premier ministre israélien :

« Le premier message est celui d’un état de guerre inscrit dans la durée. La guerre n’est pas un moment anormal entre des périodes normales, c’est désormais un état permanent. […]
Le deuxième message, c’est celui de l’isolement assumé, de l’autarcie. Benyamin Netanyahou a prévenu ses concitoyens qu’Israël devrait en passer par ce relatif isolement international. Il a évoqué les critiques croissantes en provenance d’Europe, qu’il a attribuées à l’immigration musulmane et à la propagande du Qatar et de la Chine sur les réseaux sociaux. »

La question qu’on peut poser, peut être doit poser au bout de cette litanie de constats consternants : c’est où et quand qu’on tracera la Ligne rouge ? La ligne où l’Union européenne et la France commenceront à sanctionner Israël pour que cela cesse ! C’est aussi la question que pose Nadav LAPID le cinéaste israélien dont le film « Oui » vient de sortir ce mercredi. Il était l’invité de « C ce soir » de mardi et il posait précisément cette question. Il fut aussi, lundi, l’invité de Sonia Devilliers sur France Inter : « La réalité israélienne est une réalité stéroïdée, qui ouvre une fenêtre sur l’horreur qui peut arriver »

Il existe pourtant des voix autorisées en Israël comme Ehud Olmert, ancien premier ministre et ancien Vice-Premier ministre de Sharon qui disent que la guerre doit cesser et qui soutiennent encore la solution à deux États.

Lors d’un entretien dans « le Grand Continent » du 25 juillet 2025, il déclarait :

« Au fond, il n’y a que deux options.
La première est de continuer à se battre indéfiniment. C’est ce que nous faisons entre Israéliens et Palestiniens depuis 77 ans environ. Nous pouvons poursuivre dans cette voie encore longtemps. Cela conduira à davantage de sang versé, d’Israéliens et de Palestiniens tués, sans qu’aucun changement radical n’ouvre un nouvel horizon.
L’autre option est d’essayer de faire la paix.
Or, il n’existe, à mes yeux, qu’un seul chemin vers une paix durable : la solution à deux États. Bien que cela puisse prendre du temps, tôt ou tard, chacun finira par reconnaître cette réalité incontournable : il n’existe pas d’alternative crédible à la solution à deux États.
Il est clair que le gouvernement actuel repose sur l’opposition à cette solution politique. Il ne s’y oppose pas seulement sur tel ou tel point : il est farouchement opposé à sa substance même.

C’est la raison pour laquelle, pour avancer, Netanyahou doit être démis de ses fonctions.»

Mercredi 6 août 2025

« La véritable histoire de Hiroshima »
Documentaire d’ARTE

Il y a 80 ans, le 6 août 1945, à 8h15, le B29 que son pilote Paul Tibbets avait appelé « Enola Gay » a largué la première bombe atomique, une bombe de 4,5 tonnes surnommée « Little Boy » sur la ville de Hiroshima.

Des lanternes flottantes marquent l’anniversaire du bombardement d’Hiroshima. Chaque lanterne représente une vie perdue.

Il y a 10 ans, j’avais déjà écrit un mot du jour sur ce sujet « Mon Dieu, qu’avons-nous fait ? ». Ce fut le cri que poussa Robert Lewis, le co-pilote du B29 après avoir vu la puissance destructrice de la bombe. Le pilote principal Paul Tibbets, ne ressentit rien de semblable, il n’a jamais exprimé de regrets pour les victimes d’Hiroshima. De manière factuelle Tibbets est mort à 92 ans , son co-pilote Robert Lewis est mort à 65 ans. Peut être que les regrets sont nuisibles à la santé.

ARTE a mis en ligne un documentaire que j’ai vu avec un grand intérêt et que je partage : « Hiroshima la véritable histoire ».

Ce documentaire est d’abord très clair sur le sujet suivant : l’utilisation de la bombe atomique d’abord sur Hiroshima puis sur Nagasaki 3 jours plus tard n’était pas nécessaire pour faire capituler le Japon. Le Japon via l’URSS et une autre source plus directe avec les Etats-Unis avait déjà proposé une reddition mais avec une seule exigence maintenir Hiro Hito sur le trône impériale du Japon. Condition qui sera appliquée après les bombes et la capitulation.

En outre, le Japon n’avait plus de marine, presque plus d’aviation et n’avait plus les moyens de nourrir la population, il ne pouvait que se rendre. La propagande américaine qui justifiait l’utilisation de la bombe parce que la seule alternative aurait été d’envahir le Japon et que cela aurait couté la vie à 1 millions de soldats américains était un mensonge absolu.

Les scientifiques de Los Alamo avait fait une proposition alternative au Président Truman : Rendre publique l’existence de la bombe atomique et montrer sa puissance dévastatrice dans un essai public pour convaincre les japonais que toute résistance était inutile. Mais cette proposition n’a jamais été transmis par le général Groves, directeur militaire du projet Manhattan. Car ce n’est pas Oppenheimer, le directeur scientifique qui dirigeait mais bien le responsable militaire.

La raison réelle de l’utilisation de la bombe atomique est que les militaires voulaient vérifier, en utilisation réelle, l’impact de la bombe atomique.

Une fois la bombe larguée, les américains ont voulu camoufler les conséquences terribles de tout ce que la bombe a entraîné après son explosion sur les corps et sur la santé des survivants. Le général Mac Arthur, à peine nommé à la tête de l’administration japonaise, adresse une directive aux médecins de Hiroshima, déclarant que toute cette affaire relevait du secret militaire américain, par conséquent personne ne devait effectuer de recherche ni écrire quoi que ce soit sur le sujet. Les troupes d’occupation américaine interdirent toute présence de journalistes non accompagnés de militaires sur le territoire d’Hiroshima.

Mais un journaliste australien Wilfred Burchett parvint à se rendre à Hiroshima après le largage de la bombe atomique, arrivant seul par train de Tokyo le 2 septembre, jour de la reddition officielle à bord de l’USS Missouri.

Il a envoyé au journal « Daily Express » de Londres un article publié le 5 septembre 1945, sous le titre « The Atomic Plague » « la peste atomique », il s’agissait du premier reportage public dans les médias occidentaux à mentionner les effets des radiations et des retombées nucléaires.

Il écrivit notamment :

« À Hiroshima, 30 jours après que la première bombe atomique a détruit la ville et ébranlé le monde, des gens meurent encore, mystérieusement et horriblement. Des personnes qui n’ont pas été blessées par le cataclysme meurent d’une maladie inconnue, quelque chose que je ne peux décrire que comme une peste atomique. Hiroshima ne ressemble pas à une ville bombardée. Elle a l’air d’avoir été écrasée par un rouleau compresseur monstrueux […]

Sur ce premier terrain d’essai de la bombe atomique, j’ai vu la désolation la plus terrible et la plus effrayante en quatre ans de guerre. Une île du Pacifique dévastée ressemble à un Eden. Les dégâts sont bien plus importants que ne le montrent les photographies. […]

Dans les hôpitaux, j’ai trouvé des personnes qui, lorsque la bombe est tombée, n’ont souffert d’aucune blessure, mais qui meurent maintenant des étranges séquelles. Sans raison apparente, leur santé a commencé à se dégrader. Elles ont perdu l’appétit. Leurs cheveux sont tombés. Des taches bleutées sont apparues sur leur corps. Et les saignements ont commencé à couler des oreilles, du nez et de la bouche. […]

Si vous pouviez voir ce qui reste d’Hiroshima, vous penseriez que Londres n’a pas été touchée par les bombes… »

Finalement, le général Groves est sommé de se justifier devant le Congrès, il minimise le nombre de morts en raison de ces symptômes et ajoute cette remarque « écœurante »

« Les médecins disent que c’est une façon très agréable de mourir »

Le général Groves n’ignorait pas les effets de la bombe atomique après son premier souffle, 80 000 morts dans la première minute de l’explosion. Et l’armée américaine va installer de grands bâtiments sur les collines de Hiroshima qui ne sera pas un hôpital pour soigner, mais une unité de recherche pour répertorier tous les effets de la bombe atomique. Les victimes ne seront pas traités comme des malades mais comme des cobayes.

Les japonais irradiés seront affublés d’un nom par leur compatriote «Les hibakusha » signifiant « personne affectée par la bombe ». Les japonais se détourneront d’eux craignant qu’ils soient contagieux puis refusant de les marier à leurs filles ou leurs fils car ils ne pourront qu’engendrer des enfants malades comme eux. Leur destinée fut terrible.

Certains auteurs racontèrent de manière empathique et vraie ce que fut le drame des hibakusha.

Le documentaire cite le journaliste John Richard Hersey qui se rend en août 1946 à Hiroshima et interviewa six survivants du chaos. Son texte sera publié en intégralité dans le New Yorker.

L’article connaît un immense retentissement au sein de la population américaine qui prend conscience de l’horreur vécue par l’ennemi japonais.

Son récit retrace les instants qui précédèrent et suivirent l’explosion de la bombe H, évoquant sa dimension politique et philosophique à travers six expériences entrecroisées. Cet article devint un livre « Hiroshima »

Je crois qu’il est utile de regarder ce documentaire qui montre la seule utilisation, jusqu’à présent, de la bombe atomique. Ce fut l’œuvre d’un pays occidental, les États-Unis d’Amérique qui n’en avaient pas besoin pour arriver à leurs objectifs et qui ont dans un premier temps menti sur les conséquences de son utilisation.

Lien vers le documentaire d’ARTE : « Hiroshima la véritable histoire ».

Lundi 23 juin 2025

« Je tiens à remercier tout le monde, et en particulier Dieu. »
Donald Trump

Donald Trump a tenu un discours de 4 minutes pour se féliciter de la réussite des frappes américaines sur les installations nucléaires iraniennes qui se sont déroulées dans la nuit de samedi à dimanche.

Comme d’habitude, dans un langage d’une pauvreté lexicale consternante, il abuse de superlatifs superfétatoires :

« Aucune armée au monde n’aurait pu faire ce que nous avons fait ce soir. Loin s’en faut. Jamais une armée n’a été capable de réaliser ce qui vient de se passer il y a quelques instants. »

L’armée dont il parle a déversé, sur les cibles, les plus grosses bombes non nucléaires créées par l’espèce humaine (des ogives de 13 tonnes) et puis les bombardiers furtifs B-2 Spirit ont parcouru une distance exceptionnellement grande pour atteindre l’Iran à partir de leur base du Missouri. C’est un triomphe de la technologie !

Concernant la stratégie militaire, dans un ciel iranien sans capacité anti-aérienne, l’Histoire militaire comporte des épisodes qui méritent nettement plus de superlatifs que cette opération.

C’est surtout une question d’argent, chaque B-2 coûte plus de 2 milliards de dollars ! Pour la fameuse bombe de 13 tonnes, le coût de développement de la GBU-57 MOP se situe entre 400 et 500 millions de dollars américains et son prix de production unitaire est d’environ 3,5 millions de dollars américains. La folie meurtrière des hommes n’a pas limite en terme de prix.

Mais ce que je voudrais surtout relever ce sont les dernières mots de ce discours de Trump :

« Je tiens à remercier tout le monde, et en particulier Dieu. Je veux simplement dire que nous t’aimons, Dieu, et que nous aimons notre grande armée. Protège-les. Que Dieu bénisse le Moyen-Orient. Que Dieu bénisse Israël et que Dieu bénisse l’Amérique. Merci beaucoup. Merci. »

Que vient faire Dieu là-dedans ? La technologie, l’argent semble suffire à ce désastre ?

En face, le chef iranien, qui se fait appeler guide suprême, dans son discours du mercredi 18 juin dans lequel il oppose un refus catégorique à l’appel de Donald Trump à une « capitulation sans conditions » conclut avec ces mots, en commençant à citer un verset du Coran :

« La victoire ne peut venir que de Dieu, le Puissant, le Sage »

Puis ajoute :

« Et Dieu Tout-Puissant accordera à la nation iranienne la victoire, la vérité et la justice, si Dieu le veut. »

Et si dans les faits la victoire n’est pas donnée à la nation iranienne ? Tout simplement parce que la technologie et l’argent, des choses très matérielles sans une once de spiritualité, donne la victoire aux adversaires de l’Iran. C’est donc selon l’hypothèse de ce responsable religieux que « Dieu ne le veut pas » !

Et dans ce cas, quelle conclusion ce vieil homme en tirera du fait que Dieu ne le veut pas ?

Le troisième responsable de ce chaos et de ses destructions, Benyamin Netanyahou, se trouve dans la même évocation religieuse. Quand, dimanche 15 juin 2025, il se rend à Bat Yam où les missiles iraniens ont fait neuf victimes, il termine son discours par un verset du Deutéronome :

« Puisque vous n’avez vu aucune figure le jour où l’Éternel vous parla du milieu du feu, à Horeb, veillez attentivement sur vos âmes. »

Et il conclut :

« Ensemble, avec l’aide de Dieu, nous vaincrons, nous sommes sur le chemin de la victoire. »

C’est encore une fake news ! L’aide dont bénéficie l’armée d’Israël ce sont les armes fournis par les Etats-Unis et depuis ce week end l’intervention directe de l’armée US avec des bombes, des avions décrits précédemment.

Le premier ministre baptise désormais chaque opération militaire par des références bibliques. Ainsi Vendredi 13 juin au matin, à peine les premiers missiles tirés vers l’Iran, le pays apprend que l’opération « Le lion qui se lève » a été lancée. Pour reprendre les termes de l’allocution filmée de son dirigeant : « Nous sommes à un moment décisif de l’histoire d’Israël. Il y a quelques instants, Israël a lancé l’opération « Le lion qui se lève », une opération militaire ciblée visant à supprimer la menace que représente l’Iran par rapport à la survie même d’Israël. »

« Le lion qui se lève » ? C’est une référence à un verset du Livre des Nombres : « Voici qu’un peuple se lèvera comme une lionne, comme un lion il se dressera. Il ne se couchera pas sans avoir dévoré sa proie, sans avoir bu le sang des victimes ! »

Je perçois le désarroi des croyants sincères qui vivent leur foi comme un appel à devenir plus doux, à aider leur prochain et qui trouvent dans leurs prières, réconfort et aide dans les moments de souffrance et d’angoisse. Ils s’exclament d’une seule voix : « La religion ce n’est pas cela ! »

Pour moi qui fus croyant et pour les consoler je dirais plutôt : « la religion ce n’est pas que cela ! ». Mais il me faut ajouter : « c’est aussi cela, c’est-à-dire la violence et le pouvoir ! »

« Le nouvel Obs » évoque un autre nom d’opération inventé par l’état-major israélien « Chariots de Gédéon ». C’était le nom de l’opération de mai 2025 contre Gaza, visant à une annihilation totale du territoire. Et le Nouvel Obs de rappeler ce que dit le livre sacré des juifs :

« Gédéon est un personnage biblique, un des juges du Livre des Juges, élu par Dieu. Pour punir Canaan d’être revenu à l’idolâtrie, Yahvé a envoyé au peuple élu une invasion de Madianites. C’est Gédéon qui est chargé de la combattre, et qui, avec une toute petite armée de 300 personnes, réussit à infiltrer le camp des Madianites et à les éradiquer ».

Souvent dans la bible hébraïque dieu prend le nom de « dieu des armées », un dieu qui n’a pas de scrupule à demander des tueries de masse.

Le Nouvel Obs évoque une autre citation de Netanyahou :

« Une référence biblique faite par Netanyahou a d’ailleurs été citée dans la plainte de l’Afrique du Sud, déposé devant la Cour internationale de Justice (CIJ) pour génocide. En l’occurrence la phrase : « Souvenez-vous de ce qu’a fait le peuple d’Amalek à notre peuple », répétée à plusieurs reprises par Netanyahou.
Le peuple d’Amalek ? C’est l’ennemi originel d’Israël. Yahvé ordonne à son peuple de l’éradiquer. Ainsi dans le Deutéronome, Dieu appelle à « effacer la mémoire du peuple d’Amalek du ciel ».
Il enjoint aussi au prophète Samuel de se faire l’instrument de la destruction : « Va maintenant, frappe Amalek, et dévouez par interdit tout ce qui lui appartient ; tu ne l’épargneras point, et tu feras mourir hommes et femmes, enfants et nourrissons, boeufs et brebis, chameaux et ânes. »
Dans le Premier Livre de Samuel, le roi Saül désobéit à l’ordre divin et décide d’épargner Agag, après avoir exterminé tous les Amalécites. Il ne se résout pas non plus à tuer tout le bétail. Mal lui en prend ! Le prophète Samuel le tance. « N’est-ce pas, quand tu étais petit à tes propres yeux, tu es devenu chef des tribus d’Israël, et l’Éternel t’a oint pour roi sur Israël ?
Et l’Éternel (…) t’avait dit : Va et détruis ces pécheurs, les Amalécites, et fais-leur la guerre jusqu’à ce qu’ils soient consumés. Et pourquoi n’as-tu pas écouté la voix de l’Éternel ? »
Samuel explique alors à Saül que l’Eternel l’a rejeté. Et il « met Agag en pièces devant l’Eternel ».

Le Coran de la même manière contient, à côté de versets bienveillants, d’autres qui expriment une grande cruauté pour tous ceux et toutes celles qui sont en dehors des normes de « la croyance » définies dans ce livre.

Les islamistes radicaux se basent sur ces textes pour justifier leurs actes violents. Par exemple ce texte qu’on appelle « le verset de l’épée » (verset 5 de la sourate IX) :

« Quand les mois sacrés seront expirés, tuez les infidèles quelque part que vous les trouviez ! Prenez-les ! Assiégez-les ! Dressez pour eux des embuscades ! S’ils reviennent [de leur erreur], s’ils font la Prière et donnent l’Aumône (zakat), laissez-leur le champ libre ! Allah est absoluteur et miséricordieux. » — Le Coran (trad. R. Blachère),

Les mois sacrés sont la période de grâce qu’on accorde aux incroyants pour se soumettre à la foi unique, seule cette soumission permet d’échapper à la mort».

Tout cela peut paraître si loin de ceux qui ont vécu la sortie de la religion du quotidien et de la société.  Ce que Nietzsche avait synthétisé par ce constat : « Dieu est mort ».

Selon moi, l’évocation de Dieu lors de tous ces déchainements de violence, n’est pas une bonne chose.

Ceux qui font ces évocations sont d’autant plus Désinhibés qu’ils pensent se mettre sous la protection de textes sacrés. Et comment négocier avec des gens qui prétendent que c’est Dieu qui les guide ?

Lundi 26 mai 2025

« Et l’Eternel dit : Je ne la détruirai point, à cause de ces dix justes »
Bible – Livre de la Genèse 18,32

Ce qui se passe à Gaza est d’une inhumanité absolue.

Photo parue dans le journal breton Le Télégramme

Le mot « inhumanité » est utilisé par l’historien Jean-Pierre Filiu dans la chronique de ce dimanche qu’il a écrit dans le monde : « La guerre inhumanitaire d’Israël dans la bande de Gaza »

La guerre à Gaza a commencé il y a six cents jours. Je n’oublie pas que le premier acte d’inhumanité a été celui du groupe terroriste et fanatique religieux du Hamas qui a massacré et pris en otages des habitants d’Israël, dont, en outre, beaucoup militaient dans le camp de la paix, comme cette extraordinaire femme Vivian Silver, assassinée et brulée par les terroristes le 7 octobre 2023 et dont j’ai fait le cœur d’un mot du jour de décembre 2023 : « Il n’y a pas de chemin pour la paix – la paix est le chemin. ».

Le Hamas a ainsi perpétré un double crime : un crime contre les israéliens et les juifs. Mais il a aussi commis un crime contre les palestiniens de Gaza.

Il ne pouvait pas ignorer que les israéliens répliqueraient avec une violence énorme et un esprit de vengeance. Or le Hamas n’avait aucun moyen de protéger les habitants de Gaza des armes terribles de Tsahal. Le Hamas savait que la souffrance de leur peuple serait terrible. Par mépris de la vie et fanatisme, ils l’on fait quand même. Et nous savons que par cynisme, il espérait même que la réponse d’Israël et la souffrance du peuple de Gaza soit telle qu’Israël au bout de quelques mois serait haï par tous les peuples de la terre qui auront oublié le 7 octobre pour ne plus que voir les massacres de l’armée de « l’entité sioniste » comme disent ceux qui veulent éliminer l’Etat d’Israël.

Paru dans le journal La Croix

Ce plan odieux est en train de fonctionner contre Israël qui par aveuglement de son gouvernement et les intérêts de Benyamin Nétanyahou suit la stratégie suicidaire impulsée par les ministres d’extrême droite qui ne représentent qu’environ 10% des électeurs d’Israël.

Ainsi le ministre des finances Bezalel Smotrich qui souhaite un État théocratique soumis à la loi religieuse et l’annexion de toute la Palestine historique a affirmé, mardi 6 mai 2025, que la bande de « Gaza serait totalement détruite » à l’issue de l’offensive et que la population gazaouie, après avoir été déplacée vers le sud, commencerait à « partir en grand nombre vers des pays tiers ». Il parle, sans se cacher, d’un nettoyage ethnique qui constitue un crime contre l’humanité.

L’autre ministre d’extrême droite, qui occupe le poste de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir a déclaré le 20 mai 2025, après l’annonce de la reprise de l’aide humanitaire à Gaza, Israël avait autorisé l’entrée de 100 camions d’aide supplémentaires : « C’est une grave erreur qui retarde notre victoire. ». Lui parle, sans se cacher, de la stratégie d’affamer deux millions d’êtres humains, enfants, femmes et enfants.

Au milieu des morts gazaouis qui ne sont souvent que des chiffres neutres, sans identification humaine, quelquefois jaillissent des victimes identifiées de cette brutalité sans limite. Le Monde a publié hier ce témoignage : « une pédiatre palestinienne perd neuf de ses dix enfants dans le bombardement de sa maison ». On connait le nom de la mère.

« Alaa Al-Najjar travaillait dans un hôpital du sud de la bande de Gaza quand son logement a été bombardé par l’armée israélienne. Les seuls survivants, son mari et l’un de ses dix enfants, sont blessés. […] Un à un, les secouristes palestiniens ont extirpé des petits corps carbonisés, certains démembrés, minuscules silhouettes noircies, recroquevillées. Précautionneusement, ils ont emballé les cadavres, qui manquaient de se désagréger à chaque manipulation, dans des petits sacs mortuaires blancs. Tous étaient frères et sœurs, neuf au total, retrouvés dans les décombres encore fumants de leur maison, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, vendredi 23 mai dans l’après-midi. »

Dans l’émission « C Politique » d’hier, le Philosophe, romancier Nathan Devers qui a revendiqué sa judaïcité, a dans sa première intervention fait référence au texte sacré de la religion juive : le livre de la Genèse. La cité de Sodome devait être détruite par le Dieu d’Israël parce qu’elle était habitée de gens particulièrement méchants. Alors, Abraham a engagé une discussion avec son Dieu :

« 22 – Les hommes s’éloignèrent, et allèrent vers Sodome. Mais Abraham se tint encore en présence de l’Eternel. 23 – Abraham s’approcha, et dit: Feras-tu aussi périr le juste avec le méchant? 24 – Peut-être y a-t-il cinquante justes au milieu de la ville: les feras-tu périr aussi, et ne pardonneras-tu pas à la ville à cause des cinquante justes qui sont au milieu d’elle? 25 – Faire mourir le juste avec le méchant, en sorte qu’il en soit du juste comme du méchant, loin de toi cette manière d’agir! loin de toi! Celui qui juge toute la terre n’exercera-t-il pas la justice? 26 – Et l’Eternel dit: Si je trouve dans Sodome cinquante justes au milieu de la ville, je pardonnerai à toute la ville, à cause d’eux. 27 – Abraham reprit, et dit: Voici, j’ai osé parler au Seigneur, moi qui ne suis que poudre et cendre. 28 – Peut-être des cinquante justes en manquera-t-il cinq: pour cinq, détruiras-tu toute la ville? Et l’Eternel dit: Je ne la détruirai point, si j’y trouve quarante-cinq justes. 29 – Abraham continua de lui parler, et dit: Peut-être s’y trouvera-t-il quarante justes. Et l’Eternel dit: Je ne ferai rien, à cause de ces quarante. 30 – Abraham dit: Que le Seigneur ne s’irrite point, et je parlerai. Peut-être s’y trouvera-t-il trente justes. Et l’Eternel dit: Je ne ferai rien, si j’y trouve trente justes. 31 – Abraham dit: Voici, j’ai osé parler au Seigneur. Peut-être s’y trouvera-t-il vingt justes. Et l’Eternel dit: Je ne la détruirai point, à cause de ces vingt. 32 – Abraham dit: Que le Seigneur ne s’irrite point, et je ne parlerai plus que cette fois. Peut-être s’y trouvera-t-il dix justes. Et l’Eternel dit: Je ne la détruirai point, à cause de ces dix justes. 33 – L’Eternel s’en alla lorsqu’il eut achevé de parler à Abraham. Et Abraham retourna dans sa demeure. »

Bible : Livre de Genèse 18, versets 22 à 33, traduction de Louis Segond

Les Juifs d’Israël ne trouveront ils pas dix innocents dans la bande Gaza ? Même dans les textes sacrés de leur religion, ces textes qui ont façonné l’éthique juive, ces hommes qui se prétendent croyants trouvent la réponse que leur action de guerre est devenue illégitime. Après le 7 octobre Biden, déjà bien affaibli, était venu en Israël et a prodigué ce conseil venant de l’expérience des Etats-Unis :

« Ne faites pas les mêmes erreurs que nous après le 11 septembre, ne soyez pas consumés par la rage »

C’est encore Nathan Devers qui dans cette même émission de « C Politique » cite Jacques Derrida qui dans un dialogue philosophique entre l’Allemand Jürgen Habermas appellé le « Concept » du 11 septembre décrit la réaction des américains après le 11 septembre sous la forme d’une maladie auto-immune. C’est à dire la réaction destructrice que peut avoir notre système immunitaire qui en réaction à une agression externe va réagir si fort qu’il détruit aussi le corps qu’il est sensé défendre.

Israël est en train d’entrer dans cette phase de maladie auto-immune. Si les européens sont les amis d’Israël, ils doivent utiliser tous les moyens pour empêcher que ce désastre continue.

Mardi 22 octobre 2024

« Une nation a solennellement promis à une seconde le territoire d’une troisième. »
Arthur Koestler

Heureusement qu’il y a Jean-Louis Bourlanges pour oser monter au créneau et dire simplement, à la fin de l’émission du « nouvel esprit public du 20 octobre 2024 » :

« J’ai été très frappé, de l’atmosphère de dénonciation indignée qui a accueilli un propos du Président de la République qui me paraissait très franchement tout à fait ordinaire et normal. […] De rappeler qu’Israël est un produit de la communauté internationale et qu’il a été créé par une résolution de l’ONU ne me parait ni faux, ni attentatoire à la dignité de ce pays. Je crois que c’est plutôt le signe de la culpabilité profonde de ladite communauté internationale à l’égard du peuple juif qui a été massacré par les nazis dans un climat d’indifférence assez général des Alliés. […] Cela ne sous-estime pas le rôle des forces armées d’Israël dans la protection de [l’Etat].
Il s’agit là d’une indignation tout à fait inopportune ! »

Au départ il y a une déclaration d’Emmanuel Macron, lors du conseil des ministres du mardi 15 octobre, qui était tenue à usage interne et qui n’aurait pas dû être rendu public.

Ces propos sont les suivants :

« Nétanyahou ne doit pas oublier que son pays a été créé par une décision de l’ONU […] Et par conséquent ce n’est pas le moment de s’affranchir des décisions de l’ONU »

Si on veut juridiquement être exact, il ne s’agit pas d’une « décision » mais d’une « résolution », qui porte le numéro 181 et qui propose le partage de la Palestine entre un État juif et un État arabe et un statut particulier et international pour Jérusalem.

Cette proposition sera adoptée le 29 novembre 1947 à la majorité des 2/3.

Sans cette résolution, la Déclaration d’établissement de l’État n’aurait pas pu être proclamée le 14 mai 1948, dernier jour du mandat britannique sur la Palestine dans le hall du Musée d’art de Tel Aviv, par David Ben Gourion, président de l’Agence juive.

Benyamin Nétanyahou conteste vigoureusement ce point de vue.

« Le Monde » sans relativiser la position du premier ministre israélien a simplement rapporté sa réaction :

« Dans la soirée, le chef du gouvernement israélien lui a répondu par communiqué. « Un rappel au président de la France : ce n’est pas la résolution de l’ONU qui a établi l’Etat d’Israël, mais plutôt la victoire obtenue dans la guerre d’indépendance avec le sang de combattants héroïques, dont beaucoup étaient des survivants de la Shoah – notamment du régime de Vichy en France », ajoutant que « l’ONU a approuvé des centaines de décisions antisémites contre l’Etat d’Israël »

Ce même journal a rapporté les propos de Yonathan Arfi, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) sans commentaire :

« Laisser penser que la création de l’État d’Israël est le fruit d’une décision politique de l’ONU, c’est méconnaître à la fois l’histoire centenaire du sionisme et le sacrifice de milliers d’entre eux pour établir l’État d’Israël. »

Il a ajouté cette phrase :

« A l’heure où l’antisémitisme se nourrit de l’antisionisme, ces propos renforcent dangereusement le camp de ceux qui contestent la légitimité du droit à l’existence d’Israël »

« Le Figaro » a également pris fait et cause pour le premier ministre d’Israël : « Créé par une décision de l’ONU » : comment Emmanuel Macron a simplifié l’histoire d’Israël.

« L’Opinion » se fait pédagogue et explique pourquoi Macron se trompe.

Avant de continuer à plonger dans toute cette complexité et l’article de l’Opinion, il faut se rappeler que l’imaginaire des peuples se forge à travers des récits auxquels ils adhérent.

Ces récits sont fondamentaux pour créer une unité et un sens au destin commun. Mais un récit peut être très dangereux ou plus précisément porteur de violence et de guerre s’il est en contradiction absolue avec ceux d’un autre peuple. La paix n’est possible que si on écoute aussi les récits de l’autre et qu’on est capable d’en tenir compte.
Je prends comme exemple cette illustration. Le récit de l’homme dans sa voiture c’est que la biche traverse la route. Mais le récit de la biche est que c’est la route de l’homme qui traverse la forêt. Il n’y a pas une vérité qui s’impose, mais deux récits qui s’opposent. En est-il un plus pertinent que l’autre ? les deux récits sont-ils conciliables ?

Le Journaliste de l’Opinion affirme que ce qui donne naissance à l’État d’Israël, ce ne sont pas les Nations unies, ni la SDN, c’est le mouvement sioniste, c’est-à-dire la volonté d’une partie des Juifs de retourner dans ce qu’ils considèrent comme leur terre ancestrale, la Palestine. Et cela date de la fin du XIXᵉ siècle. Le premier mouvement de migration juive en Palestine – des Juifs venant de Russie essentiellement, mais aussi du Yémen – remonte à 1881.

Toujours selon ce journaliste, ce sont ces migrations qui incitent les britanniques à faire leur fameuse déclaration Balfour.

Arthur Koestler, (1905 – 1983), célèbre auteur du « zéro et de l’infini » est un juif hongrois qui dans un premier temps va adhérer à la cause sioniste révisionniste et deviendra même, pendant un court moment, le secrétaire du chef de ce mouvement Vladimir Jabotinsky. Il sera remplacé, dans ce rôle, plus tard par le père de Benyamin Nétanyahou. Ce mouvement prône un sionisme armé et agressif pour imposer la présence juive, par la force, aux arabes vivants sur le territoire convoité.

Après avoir vécu beaucoup d’expériences dans sa vie, Arthur Koestler a décrit la déclaration Balfour par cette phrase éloquente : « Une nation a solennellement promis à une seconde le territoire d’une troisième. » .

Le journaliste continue sa démonstration en rappelant que la résolution 181 n’a pas été acceptée par la partie arabe et que donc la création d’Israël na pas pu avoir lieu sur la base de cette résolution refusée par une des parties.

En conséquence c’est la proclamation par Ben Gourion suivie de la victoire des troupes israéliennes, lors de la guerre d’indépendance, qui a permis de réaliser le rêve des sionistes..

Le mot du jour a déjà évoqué beaucoup des épisodes de cette histoire tragique qui continuent à faire tant de morts.

L’analyse la plus intelligente que j’ai entendu sur la confrontation des récits est celle qu’en a donné Dominique Moïsi : .

« Quand Israël naît […] en 1948, […] Pour le monde Arabe, c’est le dernier phénomène colonial de l’histoire européenne qui est anachronique. Pour les Israéliens, c’est avec quelque retard, le dernier phénomène national de l’histoire européenne du 19ème siècle.[…] Et en fait ce conflit de calendrier n’a jamais été surmonté.»

C’était le mot du jour du lundi 19 octobre 2015.

Cette analyse de Moïsi nécessite un acte fondateur qui autorise la nation juive à obtenir un État. Seule la résolution 181 peut donner cette légitimé, directement issue de l’horreur de la Shoah.

Parce que le récit de Nétanyahou, du président du CRIF ou du journaliste de l’Opinion signifie quoi ?

Des gens venus d’Europe se sont installés sur un territoire occupé par d’autres habitants. Leurs représentants se sont entendus avec l’État occidental le plus colonialiste de l’Histoire pour obtenir une déclaration les autorisant à occuper ce territoire.

Par la suite et le refus des indigènes de se soumettre, le peuple venant d’Europe, armé par les occidentaux, s’est emparé du territoire par la guerre. Cela s’appelle un fait colonial, la colonisation de cette terre entre la Méditerranée et le Jourdain par des personnes venues d’Occident.

Le récit, qui veut que le mouvement sioniste presque sans aide et s’imposant par la force aux arabes a créé un État d’Israël, valide absolument les thèses décoloniales des États du sud global et celles des jeunesses occidentales des Universités. Contrairement à l’affirmation du président du CRIF ce ne sont pas les propos de Macron, mais ce récit qui donne les meilleurs arguments aux ennemis les plus féroces d’Israël.

Et si certains évoquent une légitimité historique datant de 2000 ou 3000 ans. Rappeler simplement ce que signifierait ce concept de « premier occupant » aux États-Unis, en Australie ou en Nouvelle Zélande suffit à en dévoiler l’inanité. Bien sûr, le récit de Nétanyahou autorise tout, jusqu’à l’annexion de la partie arabe du plan de partage, puisque l’État est la résultante de la force armée et des conquêtes.

Ce n’est pas ainsi que la Paix pourra arriver sur ce territoire. Il me semble qu’il vaut mieux s’en tenir au récit que la création d’Israël a été rendue possible par une résolution de l’ONU et qu’il faut trouver un chemin pour que la partie arabe du partage puisse également trouver un État dans lequel elle pourra se reconnaître.

Vous pourrez lire avec intérêt cet article du journal de Montréal « Le Devoir » : « La déclaration Balfour: juste et injuste à la fois? ».

Vous y trouverez cette idée d’un grand penseur juif, Martin Buber d’une « injustice minimale », c’est-à-dire limiter au strict minimum l’injustice causée aux Arabes en ne permettant aux Juifs de s’installer que sur une partie de la Palestine.

Mercredi 9 octobre 2024

« Résister pour la Paix »
Hannah Assouline et Sonia Terrab, documentaire des guerrières de la paix

Un an déjà !

Le 7 octobre 2023 est un jour de haine et de massacre.

On ne sait pas comment le nommer. Certains parlent de pogrom. Mais ce mot n’est pas approprié, car il désignait des massacres de juifs de la diaspora perpétrés par une population majoritaire dans un pays dirigé par des gouvernants antisémites. Cette fois, les crimes ont été commis à l’intérieur de l’État qui avait été justement conçu pour protéger les juifs.

Comment parler de ce jour et des suivants et de toute l’année qui s’est écoulée depuis ?

Beaucoup regardent cet évènement à travers le filtre de leur croyance et de leurs certitudes. Ils s’enferment dans une vision binaire dans laquelle, ils défendent le camp du bien contre le camp du mal. Ce sont deux blocs de haine qui s’affrontent et qui entrainent une grande partie du monde dans cette polarisation dans laquelle l’empathie pour les souffrances de l’autre est anéantie par l’indifférence et la déshumanisation de l’adversaire.

Dès le 9 octobre, le ministre israélien de la Défense. Yoav Gallant a eu cette phrase :

« Nous combattons des animaux humains, et nous agissons en conséquence. »

Que ce soit pendant la shoah, pendant le génocide arménien ou celui des tutsis au Rwanda, la première étape de l’horreur a été de traiter, celui qu’on voulait massacrer, d’animal ou d’insecte. C’est à dire ne plus reconnaître son humanité. Mais les islamistes qui ont attaqué, massacré, torturé les juifs et autres habitants d’Israël qu’ils ont trouvé sur leur route ont agi de même : c’est uniquement parce qu’ils ne voyaient pas dans ces israéliens leurs semblables humains qu’ils ont été capable de perpétrer ces atrocités.

Est il difficile de comprendre que ce 7 octobre constitue un traumatisme pour les israéliens mais aussi pour les juifs du monde entier en raison de leur histoire, de toutes les fois où ils ont été massacrés en nombre, jusqu’à la folie nazi où il fut question de leur anéantissement ?

Et cette fois le massacre a eu lieu sur la terre de l’État qui avait été créé pour empêcher cela. Est-il difficile de comprendre leur désarroi, leur peur et leur colère quand, dès le 8 octobre, des actes d’antisémitisme ont été perpétrés à travers le monde. Se souvient t’on, qu’en France après que Mohamed Merah ait tué 4 juifs dont 3 enfants dans une école juive, le 19 mars 2012, à Toulouse, les actes antisémites se sont multipliés ?

Ils sont victimes d’un acte innommable et on déchaine encore de la violence contre eux. En 2012, il n’y eut aucune manifestation de soutien à la communauté juive, après ces faits.

Existe-t’il un humain, digne de ce nom, qui pourrait ne pas être plein d’empathie pour les juifs du monde entier ?

Parallèlement, existe-t’il un humain qui n’est pas capable d’exprimer une immense compassion pour la souffrance des palestiniens depuis la nakba ?

Israël a répliqué. Depuis un an, Gaza est sous les bombes, les habitations ont été rasées, des dizaines de milliers de gazaouis ont été tués ou blessés, dont beaucoup de femmes, d’enfants et de civils. Les massacreurs du Hamas se cachent dans les tunnels et s’octroient la majorité de l’aide alimentaire. Les autres habitants vivent dans des conditions abominables d’hygiène, d’alimentation et de santé.

Est-il légitime d’arriver à une telle désolation ? Suffit-il de dire que tout est de la faute du Hamas ?

Il existe encore tant d’autres questions. Israël a t’il un plan pour après la guerre ou Netanyahou pense t’il rester dans un état de guerre permanent ? Croit t’il que tout peut se régler par la force ?

Plusieurs fois j’ai entendu des journalistes rapporter des propos de responsables israéliens qui disaient que la paix est trop difficile pour Israël qui a trop à perdre, trop à concéder pour l’obtenir. Ce qu’Israël veut, c’est la sécurité !

Mais la sécurité sans la paix est ce possible ? Les avis sont très tranchés. Je lis que des israéliens disent que le 7 octobre montre qu’il n’est pas possible de donner un État palestinien à de tels individus, ce serait incompatible avec la sécurité d’Israël. Hubert Vedrine et d’autres pensent exactement le contraire : Si un État palestinien avait existé, il n’y aurait pas eu de 7 octobre.

Mais Vedrine ajoute que pour pouvoir parler aux palestiniens il faut un interlocuteur.

Quand en Afrique du Sud, un homme d’État, Frederik de Klerk, a voulu sortir de l’engrenage infernal de la violence, il est allé chercher un militant noir en prison : Nelson Mandela. Or, depuis, qu’il est au pouvoir Netanyahou a systématiquement agi pour ne pas avoir d’interlocuteur. Car évidemment ce mouvement islamiste, régressif qui veut détruire « l’entité sioniste » ne peut pas être un interlocuteur. Quelle meilleure solution pour un homme qui ne veut pas d’un État palestinien que de tout faire pour qu’apparaisse comme représentant des palestiniens un mouvement aussi repoussoir que l’est le Hamas et son chef actuel Yahya Sinwar ? Yahya Sinwar et Benjamin Netanyahou sont des ennemis indispensables l’un à l’autre, car l’un et l’autre ne veulent pas d’une solution pacifique.

La force ne peut pas tout. Elie Barnavi écrit très justement :

« Israël gagne des batailles, mais est en train de perdre la guerre »

En outre, le monde est en train de changer. Les occidentaux n’ont plus le monopole pour proclamer ce qui est juste et les moyens de l’imposer. A l’intérieur de l’Occident, une grande partie de la jeunesse n’a plus la même lecture des évènements que leurs ainés.

Pour les occidentaux seniors, l’État d’Israël a été rendu nécessaire en raison de la shoah : il fallait un État pour les juifs.

Les historiens ont montré que ce n’était pas uniquement la culpabilité de ce qu’ils avaient fait ou laissé faire qui a justifié le comportement des pays occidentaux et de l’Union soviétique pour la création de l’État d’Israël en 1948. Une analyse des échanges diplomatiques de cette époque montre une autre réalité. Dans une Europe exsangue après 6 ans de guerre, le nombre considérable de réfugiés juifs revenant des camps constituait un problème d’intendance immense. Créer un État et y envoyer les survivants et réfugiés représentaient une solution commode pour les européens.

Mais le récit est celui ci : la shoah justifiait la création d’Israël et faisait des juifs les victimes qu’il fallait soutenir et aider.

Pour les pays non occidentaux, qu’on appelle imparfaitement le « Sud global » et pour une grande partie de la jeunesse occidentale, la création de l’État d’Israël correspond à une réalité coloniale. Le grand crime de l’Histoire n’est pas que la shoah, mais aussi la domination coloniale et brutale de l’Occident sur le reste du monde. On peut contester cette vision en disant que le peuple juif n’a pas de métropole d’où il est parti, en conquérant, et dans lequel il peut revenir, si la situation se dégrade. D’ailleurs, beaucoup d’habitants d’Israël viennent des pays arabes. Ces communautés juives, en raison des discriminations subies ont été conduites à rejoindre Israël. Donc pour simplifier : les israéliens juifs ne peuvent pas rentrer chez eux, parce qu’il n’y a pas de « chez eux » ailleurs.

Mais ces arguments rationnels ne convainquent pas les tenants de l’autre thèse : pour deux raisons : la première c’est qu’il y a bien eu une arrivée massive d’une population venant d’Europe qui a pris des terres aux autochtones qui habitaient la Palestine. Et la seconde, qui est plus essentielle encore pour cette thèse : c’est la manière totalement disproportionnée des armes et des moyens de répression dont disposent les israéliens et la disproportion du nombre de morts entre les deux camps. Cette réalité est celle qui existait dans la domination coloniale occidentale. Dans cette pensée, les palestiniens sont les victimes et les israéliens les bourreaux. Cette thèse est expliquée par Gilles Kepel qui ne la partage pas et Didier Fassin qui me semble la partager.

Ce dernier, enseignant à Princeton et membre du Collège de France, avance « le spectre d’un génocide à Gaza ». A l’appui de sa démonstration, il prend l’exemple du génocide des Hereros, exterminés par les colons allemands à la suite d’une révolte en 1904 dans l’actuelle Namibie, et évoque de « préoccupantes similitudes » entre la riposte israélienne au massacre du 7 octobre et cette page d’histoire retenue comme le premier génocide du XXe siècle, préfigurateur de la Shoah. C’est ce qu’il explique dans un débat l’opposant frontalement à Eva Illouz dans le Nouvel Obs : « L’entretien croisé entre Didier Fassin et Eva Illouz », dans lequel il écrit :

« [Les israélien] ont progressivement privé les Palestiniens de leur espace vital, de leur souveraineté et de leur liberté. C’est ce qui amène Maxime Rodinson à parler de « fait colonial ». S’agissant de la paix, le non-respect par les Israéliens des accords d’Oslo, dénoncés dès leur signature, montre que la seule option envisagée par l’État hébreu supposait le rejet du droit international et le renoncement aux droits des Palestiniens. »

Je ne crois pas qu’en restant figé dans de tels récits, il sera possible d’avancer.

C’est pourquoi pour garder l’optimisme il vaut mieux se tourner vers des personnes, en l’occurrence des femmes, des militantes de l’espoir, qui continuent à se battre pour la Paix.

Hannah Assouline et Sonia Terrab deux guerrières de la Paix ont produit un documentaire diffusé sur Public Sénat et que vous pouvez voir derrière ce lien : « Résister pour la Paix ». Il commence le 4 octobre 2023, 3 jours avant… Et il se poursuit après.

Sonia Terrab est née, en 1986, à Meknès au Maroc, elle est d’origine arabo musulmane. Hanna Assouline, est née en 1990 à Paris, son père, David Assouline est né en 1959 à Sefrou au Maroc, dans une famille juive marocaine.

C’est ce documentaire que je souhaite partager aujourd’hui, dans ce monde de chaos, de violence, d’incompréhension, pour qu’il reste une lueur, une espérance.

Vendredi 31 mai 2024

« Un ou une amie, c’est quelqu’un qui vous rend meilleur ! »
Aristote, dans son « Éthique à Nicomaque » synthétisé par Charles Pépin

Que dire ou écrire dans ce monde de chaos sans ajouter son lot d’entropie ?

Parfois raconter de belles histoires, comme celle de l’entraîneur de Lyon, Pierre Sage. immédiatement obscurcies par des hordes de supporters qui n’ont pour objectif que de se battre, montrer leur force brutale ou une virilité dévoyée.

Les histoires d’humains qui s’affrontent, il en est beaucoup, en ce moment, dans le monde..

Outre, l’Ukraine et Gaza, des conflits armés de grande ampleur se déroulent actuellement au Soudan, au Burkina Faso, en Somalie, au Yémen, en Birmanie, au Nigeria et en Syrie. Une guerre est en train de commencer entre le Rwanda et la République démocratique du Congo, Haïti est en prise à une guerre des gangs sans que les autorités politiques défaillantes du pays ne parviennent à agir pour remettre de l’ordre.

Mais le drame qui revient toujours au premier plan des médias est celui qui oppose Israël et le Hamas, sur le territoire de Gaza.

Après 7 mois de guerre, des milliers de morts israéliens et des dizaine de milliers de morts palestiniens, aucun effet tangible n’a été obtenu par Israël après sa réponse brutale au piège atroce que lui a tendu le Hamas : De nombreux otages sont toujours détenus, le Hamas continue a envoyer des roquettes sur Israël, les chefs du Hamas n’ont pas été neutralisés et aucune solution de sortie de crise n’est envisagée par le gouvernement israélien.

Cela ne marche pas, malgré les destructions, les morts et une population palestinienne contraint, à Gaza, à des conditions de vie indigne et une angoisse permanente.

Vincent Lemirre dans l’émission « 28′ d’Arte » du 29 mai <Israël-Gaza : après le drame de Rafah>, explique l’impasse militaire :

« On mène une guerre en surface, contre un ennemi qui est en sous-sol. […] Ils sont au huitième sous-sol. Ils ont de l’eau, de l’électricité, de la nourriture. Ils ont en rien à faire des populations civiles. Le Hamas mène une guerre révolutionnaire, les pertes civiles ne comptent pas. […] Elles peuvent même être utile politiquement. »

Utile politiquement, puisque pour le Hamas, plus il y a de morts palestiniens, plus le monde oublie les crimes du 7 octobre et ne voit que la violence de l’armée d’Israël.

En outre, ces fanatiques religieux sont aux antipodes de notre respect pour la vie. Pour eux, un mort gazaouis, n’est pas une victime de la guerre, mais un martyr de leur cause auquel est promis le plus bel avenir, dans l’au-delà.

Les dirigeants du Hamas sont monstrueux, beaucoup de celles et ceux qui manifestent pour le cessez le feu, n’expriment pas la pleine conscience de cette réalité.

Mais il n’est pas possible non plus d’exonérer la responsabilité d’Israël et de son gouvernement.

  • D’abord dans la disproportion de la violence employée et des victimes alors qu’il devient de plus en plus clair que la seule force ne règlera rien, ni la sécurité d’Israël, ni la stabilité de la région ;
  • Aucune solution politique d’après-guerre n’est envisagée ;
  • Enfin, il y a un déni au regard de la situation des palestiniens : Tout le territoire de la Palestine mandataire n’appartient pas à l’État d’Israël. Sur la partie que l’ONU a donnée aux arabes : il y a un occupant : Israël et un occupé : le Peuple palestinien.

C’est ce que dit Rony Brauman, né à Jérusalem dans une famille juive dont le père était un militant sioniste, qui s’installa avec sa famille en Israël dès la création de cet État en 1948. Rony Braumann fut d’abord sioniste comme son père, considérant que les arabes de la Palestine pourraient laisser ce petit pays pour les juifs et aller dans un des nombreux états arabes qui se trouvent autour. Avant de se laisser convaincre que les arabes qui vivaient sur cette terre avaient aussi le droit d’y rester et de disposer d’une organisation étatique dans laquelle ils pourraient se reconnaitre, se sentir citoyens et respectés.

Dans l’Invité des matins du 29 mai <Attaque à Rafah : un tournant dans l’opinion ?> Rony Brauman, explique ainsi :

«La reconnaissance d’un État palestinien aurait une vertu majeure, à mes yeux, qui serait d’officialiser la situation d’occupation de la Palestine
La Palestine est selon certains un territoire occupé, selon d’autres un territoire disputé, un territoire administré. On joue sur les mots, on joue sur les significations
Il y a contestation de la part de ceux qui s’estiment être les amis d’Israël
Personnellement cette notion d’ami d’Israël est très discutable. On appelle ami d’Israël, l’amitié qu’un dealer voue à un addict. »

La dernière phrase de Rony Brauman m’a interpellé.

Qu’est-ce qu’un ami ?

J’ai déjà parlé de l’émission de Charles Pépin qui est diffusée le samedi matin à 8h50, sur France Inter : « La Question Philo » dans laquelle il répond aux questions que lui posent les auditeurs.

C’était le mot du jour du 8 janvier 2024 dans lequel il était question de définir ce que signifiait « Réfléchir » et le philosophe ouvrait une piste : « Réfléchir c’est supporter le doute, car c’est précisément quand on ne supporte plus le doute que l’on cesse de réfléchir. »

Or, dans son émission du 4 mai 2024, il a choisi de répondre à la question de Béatrice : <Qu’est-ce qu’un ou une véritable ami(e) ?>

Et voici le début de sa réponse :

« Aristote, chère Béatrice, donne dans son Éthique à Nicomaque une belle définition de l’amitié : un ou une amie, écrit-il en substance, c’est quelqu’un qui vous rend meilleur…

[…] un ami, c’est quelqu’un qui vous permet de devenir un meilleur être humain, de développer vos facultés humaines : votre raison, votre sensibilité… Mais pour bien comprendre ce que veut dire Aristote, il faut avoir en tête la distinction qu’il fait entre ce qui est en Puissance et ce qui est en Acte. Une image pour comprendre : la graine ou l’enfant n’est qu’en puissance, là où la plante et l’adulte sont des êtres accomplis, « en acte ». Même chose quand Aristote distingue les facultés qui sont « en puissance », potentielles, possiblement développées, de celles qui sont « en acte » c’est-à-dire effectivement développées…

Et donc l’ami, c’est celui qui vous permet d’actualiser ce qui n’était en nous qu’en puissance ?

Oui, exactement, l’ami est l’ami de la vie en vous : il est l’occasion favorable, le Kaïros en grec, du développement de la vie en vous. D’ailleurs c’est moins lui qui vous permet de vous développer, que la relation que vous avez avec lui, et vous trouvez là au passage un bon critère d’évaluation de vos amitiés : si vous vous sentez diminué au cœur de votre relation d’amitié, c’est que l’ami en question n’est pas un véritable ami. Et je vous propose donc d’arrêter de le voir.

Grâce à Aristote, on définit un ami véritable non pas par sa disponibilité, non pas par le nombre de coups de téléphone que vous vous passez par semaine, non pas par sa capacité à vous prêter de l’argent, mais par les effets que cette relation d’amitié produit sur vous. »

J’ai essayé de lire les livres VIII et IX de « l’Éthique à Nicomaque » dans lesquels Aristote, le disciple de Platon et précepteur d’Alexandre le Grand, élabore un véritable traité sur l’amitié. C’est assez complexe, je comprends mieux la synthèse qu’en fait Charles Pépin.

Frédéric Manzini, dans un article de Philomag de 2020 : <Qu’est ce qu’un véritable ami ?> fait la même synthèse :

« L’amitié nous rend meilleurs, c’est la thèse forte que soutient Aristote dans l’Éthique à Nicomaque, »

Un ami n’est pas celui qui vous donne toujours raison, mais qui sait dire avec bienveillance, mais fermeté les conseils qui vous rendront meilleur.

Un ami d’Israël dirait probablement :

  • Ce que le Hamas a fait le 7 octobre constitue une abomination.
  • Je comprends que tu veuilles neutraliser le Hamas, arrêter ou éliminer ses dirigeants et libérer les otages.
  • Mais la force brutale ne suffit pas, ce n’est pas ainsi que tu résoudras cette crise et encore moins assureras ta sécurité pour l’avenir, bien au contraire.
  • Toute la terre qui se trouve entre la mer et le Jourdain ne t’appartient pas, il faut que tu la partages avec l’autre peuple qui s’y trouve, avec toi.
  • S’il faut marginaliser le Hamas chez les palestiniens, il faut aussi que tu sois en mesure de marginaliser les messianistes juifs qui sont contre le partage de la même manière ;
  • Une fois, ces choses admises il sera possible de trouver des interlocuteurs palestiniens avec qui tu pourras discuter, peut-être s’en trouve t’il un dans tes prisons.
  • Mais toi aussi, tu as cette mission de trouver, en ton sein, un homme ou peut être plutôt une femme capable de porter ce combat vers la justice, l’égalité, la sécurité et la paix.

Un ami ne doit pas vous encourager dans l’aveuglement, mais vous rendre meilleur.

Charles Pepin développe encore d’autres aspects de : « Qu’est-ce qu’un ou une véritable ami(e) ? »

<1807>

Jeudi 16 mai 2024

« Ce n’est pas un hasard si vous avez le gouvernement le plus radical du point de vue de l’orthodoxie juive d’un côté et le Hamas de l’autre côté qui perpétue le pire crime en matière de barbarie en criant «Allah Akbar» et non «Palestine libre» »
Eric Danon

La tragédie qui se passe à Gaza ne laisse que peu de personnes indifférentes. Certains, pour leur sérénité, tentent de se tenir à distance.

Pour tous ceux qui ne choisissent pas cette solution, le plus grand nombre se met dans un des deux camps.

Eric Danon, ambassadeur de France en Israël d’août 2019 à juillet 2023, en introduction de sa « Conférence publique à la Sorbonne, le 25 avril 2024 » enjoint cependant, ceux qui sont dans ce cas, de ne jamais omettre de garder, au fond d’eux, de la compassion et de l’empathie pour ce qu’il se passe de l’autre côté.

La conférence de ce diplomate de 67 ans qui a été ambassadeur en Israël pendant 4 ans, est d’une hauteur de vue et d’une intelligence rare.

Après avoir entendu cette conférence, il devient encore plus clair, que le Moyen orient est lieu de complexité. Il avoue d’ailleurs que c’est encore plus complexe qu’il ne peut l’expliquer dans une conférence d’une heure trente.

Je ne peux que vous encourager à l’écouter, surtout qu’à la fin de la conférence il esquisse une piste de sortie du conflit grâce à l’implication de l’Arabie Saoudite et de son prince héritier qui est, selon lui, le seul dirigeant arabe qui souhaite vraiment la paix et la stabilité de cette région. Et il a ce souhait parce qu’il en a besoin pour poursuivre la stratégie de développement de son pays. Il évoque brièvement une autre possibilité qui passerait par une confédération entre la Palestine et la Jordanie.

Je donne ci-après quelques éléments d’éclairage de cette conférence. Pour ce faire, je me suis largement servi de la synthèse réalisée par Marie-Caroline Reynier et que vous trouverez derrière « ce lien ».

Pour Éric Danon cette guerre va durer parce que ni Israël, ni le Hamas n’ont atteint leurs objectifs respectifs.

Nous connaissons les trois objectifs officiels d’Israël :

  • éradiquer le Hamas ou au moins lui infliger des pertes quasi irréparables ;
  • libérer les otages ;
  • et neutraliser toute menace émanant de Gaza.

Mais Eric Danon prétend qu’Israël poursuit aussi trois objectifs sinon secrets, au moins officieux :

  • Israël souhaite rebâtir une dissuasion afin qu’aucun groupe n’ambitionne de faire pareil que le Hamas. Car l’action du Hamas a fissuré les racines, la raison d’exister d’Israël : Protéger les juifs, interdire à jamais qu’il puisse encore exister des massacres de juifs comme ceux qui ont eu lieu en Europe au XIXème et au XXème siècle. Or le Hamas a non seulement réalisé un tel massacre et de plus sur le territoire d’Israël.
  • La guerre de Gaza constitue aussi une catharsis pour surmonter le traumatisme du 7 octobre 2023, certains parleront de vengeance.
  • Enfin, Netanyahou cherche à faire durer la guerre au moins jusqu’au 5 novembre 2024, date de l’élection présidentielle américaine, car il ne souhaite pas faire le cadeau de la paix au président actuel mais à Trump dont il attend un soutien plus indéfectible que celui offert par Biden.

Le Hamas poursuit aussi trois objectifs officiels :

  • rentrer en Israël et tuer le maximum de personnes ;
  • capturer le plus d’otages possibles pour les échanger avec des prisonniers ;
  • et préempter l’objet « résistance palestinienne » en montrant qu’il est le plus crédible pour porter ce combat.

Il poursuit également un objectif officieux : être présent à la table des négociations du jour d’après. Ce dernier objectif n’est pas atteint, mais le Hamas pense que plus il parviendra à faire durer la guerre et ne pas s’effondrer, plus il parviendra à se rendre incontournable pour la suite.

Nous constatons que pour Israël comme pour le Hamas, la vie et la souffrance des gazaouis n’a pas grande valeur. Il me semble que ce mépris de la vie palestinienne est beaucoup plus fort encore au Hamas, qui considère que chaque victime supplémentaire, « martyr » disent-ils, est une bonne chose car elle fait augmenter le ressentiment contre Israël.

Cette attitude cynique me fait penser à la réplique que Michel Audiard avait mis dans la bouche de Bernard Blier :

« J’ai déjà vu des faux-culs, mais vous êtes une synthèse ! »
(« Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais elle cause, 1969 »)

L’ancien ambassadeur parle de la souffrance des deux peuples. Il met en avant une souffrance particulière des Palestiniens qui prennent conscience que les pays arabes, notamment méditerranéens, ne sont pas intéressés par la fin du conflit.

La jeunesse palestinienne réalise ainsi qu’ils ont toujours été empêchés, depuis 1948, d’avoir un État par leurs dirigeants ou par ces pays arabes.

Et il explique pourquoi les pays arabes, et tout particulièrement ceux de la Méditerranée, n’ont rien fait pour favoriser l’émergence d’un État palestinien. Et il est vrai que dès la création de l’État d’Israël, les états arabes sont entrés en guerre non pour créer un État palestinien mais pour détruire l’État d’Israël et s’accaparer les territoires ainsi conquis entre Jordanie, Égypte, Syrie et Liban.

  • La première raison qu’il cite est que la cause palestinienne constitue un puissant levier de politique intérieure pour les pays arabes. En effet, elle permet d’entraîner la population en faveur des gouvernements au pouvoir. Dès qu’un gouvernement se trouve en difficulté, il évoque la question palestinienne et parvient à recréer une unité autour de lui pour défendre cette cause. Aucun gouvernement ne voudrait se priver d’un tel levier.
  • La seconde raison est que si les populations des pays arabes s’entendent bien, leurs gouvernements ne s’apprécient pas, comme le souligne la rivalité entre le Maroc et l’Algérie ou celle entre la Tunisie et l’Égypte. De fait, le rejet d’Israël contribue à rassembler ces pays lorsqu’ils se réunissent, par exemple lors des sommets de la Ligue arabe. Pour que cette entente dure, ils ont donc tout intérêt à ce que le conflit perdure.
  • Troisièmement, si le conflit israélo-palestinien prend fin, Israël pourrait devenir encore plus puissant. Israël est déjà une puissance déterminante du Proche-Orient dont le PIB (525 milliards de dollars) est supérieur à l’addition du PIB de tous les pays qui l’entourent. Ce conflit, les dépenses militaires d’Israël et les pertes économiques représentées par les appels au boycott, demeure un frein qui empêche Israël de devenir une superpuissance.
  • Enfin, le statut de Jérusalem demeure une des réticences essentielles à la création d’un État palestinien. Le fait que la Palestine récupère ce lieu saint (la mosquée Al-Aqsa) pourrait ne pas convenir à l’Arabie Saoudite ou à l’Iran. Dans leur esprit la Palestine ne mérite pas un tel honneur.

La religion prend d’ailleurs de plus en plus de place dans ce conflit.

Car ce conflit n’est plus simplement un conflit territorial, la religion occupe une place de plus en plus prégnante.

Inspirés par la religion, des individus sont profondément contre l’idée de la paix aussi bien du côté palestinien qu’israélien.

Ainsi, du côté palestinien, l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 a d’abord été revendiquée comme une non-acceptation d’Israël, au sens d’un refus du partage de l’ancienne Palestine mandataire (1923-1948). En ce sens, la difficulté originelle, renforcée par l’échec des nombreuses négociations, tient à la non-acceptation de ce partage.

Il rappelle aussi que si on accuse, à raison, le Hamas d’avoir sabordé les accords d’Oslo par des attentats terroristes faisant notamment exploser des bus israéliens, ce sont les messianistes sionistes qui ont commencé le cycle de violence. Ainsi, le massacre du caveau des Patriarches commis par un colon juif fanatique en 1994 a précédé les attentats du Hamas. Il explique que ces groupes religieux étaient motivés par le fait d’éviter à tout prix la création d’un Etat palestinien. C’est encore un fanatique issu de ces rangs qui a assassiné Yitzhak Rabin en 1995 en ayant pour but de tuer le processus d’Oslo.

Ce sionisme messianique, qui a pris une importance grandissante pour des raisons démographiques et politiques, refuse l’existence d’un État palestinien.

Eric Danon avant d’expliciter la piste qui lui semble la plus susceptible pour avancer vers une stabilisation puis une paix pose ces trois prémices : .

  • Premièrement, il récuse l’utilisation du terme « solution » (l’expression « solution à deux États » étant très présente dans le débat public) pour parler du conflit israélo-palestinien, et lui préfère l’expression de « tectonique des puissances ». Selon lui, il ne faut pas penser les dynamiques politiques en termes de « solution » mais plutôt d’évolution.
  • Deuxièmement, il soutient que la paix est aussi une question de personnes capables de la faire advenir. Or, sortir de ce conflit requiert des gens à la hauteur, ce qui n’est pas le cas au premier trimestre 2024.
  • Troisièmement, au vu du rapport de forces déséquilibré entre Israël et la Palestine, il n’est pas possible de les laisser négocier face-à-face. Il faut donc une médiation. Or, celle-ci ne peut pas s’articuler exclusivement autour des États-Unis, médiateur traditionnel, car sa proximité vis-à-vis des Israéliens tend à les disqualifier. M. Danon défend donc une double médiation menée par l’Arabie Saoudite et des États-Unis.

Pour le reste je vous renvoie vers la vidéo de la conférence qui est d’une richesse d’analyse exceptionnelle : « Conférence publique à la Sorbonne, le 25 avril 2024 »

Dans sa conclusion il revient sur ce constat que beaucoup sous-estime la dimension religieuse qu’a pris ce conflit :

Si le conflit israélo-palestinien est de nature géopolitique, il comporte une autre composante déterminante, la dimension religieuse. En effet, les Messianiques juifs refusent de lâcher les territoires pour des raisons religieuses. Une difficulté structurelle à gérer le Mont du Temple persiste. Enfin, les politiques et diplomates souhaitant le compromis se heurtent à la radicalité religieuse. L’attentat du 7 octobre 2023 en est le symbole. Par conséquent, cette montée du religieux déplace les frontières du conflit israélo-palestinien. En effet, le Palestinien est devenu un symbole du refus de l’histoire et des valeurs de l’Occident.

Et il a cette phrase :

« Ce n’est pas un hasard si vous avez le gouvernement le plus radical du point de vue de l’orthodoxie juive d’un côté et le Hamas de l’autre côté qui perpétue le pire crime en matière de barbarie en criant Allah Akbar et non Palestine libre »

Pour Eric Danon, c’est aussi parce que la politique est devenue faible que la religion s’est renforcée. La religion appelle à l’absolu et interdit le compromis que permet la politique. C’est à la politique qu’il faut revenir et dans ce domaine le prince héritier saoudien peut jouer un rôle utile, selon lui.

<1805>

Vendredi 5 janvier 2024

« Mais, n’y a-t-il que les nazis pour fonctionner ainsi ? »
Boris Cyrulnik

L’année 2023 a été terrible pour sa violence, les guerres qui nous sont rapportées par les Médias.

Bien sûr des hommes cultivés pourront nous rappeler que ce n’était pas mieux avant.

Que le XXème siècle avec ses deux guerres mondiales, ses génocides contre les arméniens, les juifs, les tziganes, les tutsis, ses régimes exterminateurs nazis, staliniens, maoïstes, khmers rouges constituent, pour l’instant, une norme d’horreur insurpassable.

Mais il me parait essentiel de toujours revenir à l’Histoire pour essayer d’apprendre et comprendre, les mécanismes de la sortie des valeurs de l’humanisme.

En faisant les ménage dans ma boite courriels, je suis tombé sur un article de Boris Cyrulnik que j’avais envoyé en 2005 à quelques-uns de mes amis.

Je l’ai relu et j’ai perçu toute son actualité. C’est pourquoi, je partage cet article aujourd’hui. J’ai aussi été saisi par sa phrase de conclusion que j’ai utilisée comme exergue.

Boris Cyrulnik a écrit cet article dans le numéro 2097 du « Nouvel Observateur », paru le 13 janvier 2005.

Il s’agissait d’un numéro consacré aux 60 ans de la libération des camps nazis.

Parmi ces camps, la libération du camp de concentration d’Auschwitz a lieu le 27 janvier 1945. L’Armée rouge libère environ 7 000 survivants. Plus d’un million de victimes ont péri dans ce camp de concentration et centre d’extermination nazi.

Le titre de son article était : « Auschwitz : Les anges exterminateurs »

Le grand psychiatre n’était qu’un enfant quand ses parents ont été raflés à Bordeaux.

Ils ont disparu à Auschwitz. Lui-même arrêté, il a réussi à s’enfuir.

Soixante ans après, cette expérience continue de nourrir sa réflexion sur le nazisme. Et sur la nature humaine… :

« J’avais 6 ans et demi quand, une nuit, j’ai été arrêté par des inspecteurs français portant des lunettes noires. Les policiers m’ont poussé vers la porte où des soldats allemands constituaient avec leurs fusils une haie qui orientait vers des camions. La rue était barrée. Le silence et l’ordre régnaient. Un inspecteur a dit qu’il fallait m’éliminer parce que plus tard je deviendrais un ennemi de la société. J’ai appris cette nuit-là que j’étais destiné à commettre une faute qui méritait une mise à mort préventive.

Soixante ans plus tard, je pense que ce policier a dû éprouver un merveilleux sentiment d’ange exterminateur. En participant avec tant de compétence à une série de coups de filet qui ont tué 1645 adultes et 239 enfants sur les 240 raflés, il a obéi à un ordre moral.

On peut tuer des innocents sans éprouver de culpabilité quand l’obéissance est sacralisée par la culture. La soumission déresponsabilise le tueur puisqu’il ne fait que s’inscrire dans un système social où l’assujettissement permet le bon fonctionnement.

Ce qui compte dans ce cas, c’est l’objectif et non pas la relation. Et même le mot « obéissance » désigne des sentiments différents selon le contexte où il est prononcé.

Quand deux personnes s’affrontent, celui qui obéit éprouve un sentiment de défaite. Tandis que le simple fait d’appartenir à un groupe ennoblit l’obéissance, puisque celui qui se soumet donne le pouvoir à sa communauté grâce à sa subordination.

Quand l’âme du groupe, un dieu, un demi-dieu, un chef ou un philosophe, propose un merveilleux projet d’épuration, c’est au nom de l’humanité que la personne obéissante participe au crime contre l’humanité.

Dès l’âge de 6 ans, il m’a fallu comprendre que ce qui gouverne un groupe ne correspond pas toujours à ce qui gouverne les individus qui composent ce groupe.

Chaque soir, dans la synagogue de Bordeaux transformée en prison, un soldat venait s’asseoir près de moi pour me montrer une photo de sa famille. Je ne comprenais pas ses mots mais je sentais clairement qu’il avait besoin de parler de ses proches et de son petit garçon qui, d’après ses gestes, avait mon âge et me ressemblait.

Plus tard, j’ai vu ce gentil papa frapper à coups de crosse les enfants qui ne se dirigeaient pas assez vite vers les wagons à bestiaux de la gare Saint-Jean. Quand cet homme venait, le soir, me parler de son fils, il répondait à un besoin d’affection. Quand ce soldat poussait les enfants vers les wagons scellés, il obéissait à une représentation théorique qui récitait les slogans du demi-dieu que sa collectivité vénérait.

Depuis ce jour, la récitation des certitudes m’alarme et la vulnérabilité des hommes m’attendrit.

Dès l’âge de 6 ans, il m’a fallu comprendre que mes geôliers se soumettaient avec ravissement, afin de participer à un triomphe.

Aujourd’hui, je pense que peu de personnalités sont capables d’échapper à une pression culturelle qui apporte tant de bénéfices : l’affection des siens, l’estime de soi, la griserie de l’appartenance et la noblesse d’un projet moral épurateur fondé sur une croyance en une surhumanité.

C’est délicieux d’être gouverné par un demi-dieu, ça déresponsabilise, ça supprime l’angoisse.

Quand le « moi » est fragile, le « nous » sert de prothèse et les hommes d’appareil aiment grimper l’échelle des valeurs qui leur sont imposées.

Leur facilité à apprendre les récitations, leur aptitude à faire marcher le système et leur art de la relation les placent rapidement en haut de l’échelle, quelle qu’elle soit.

Ce qui compte pour eux et provoque leur bonheur, c’est de grimper.

Le moindre doute briserait leur rêve d’une société épurée.

Seul un traître peut remettre en cause un si beau projet. Cette heureuse affiliation engage les personnalités conformistes dans une relation perverse, où l’emprise sur l’autre et sa disparition se programment au nom du Bien. Dans tout génocide, le tueur se sent innocent puisqu’il transcende le massacre et, en cas de défaite, explique qu’il n’a fait qu’obéir. Le soumis-triomphant ne se pense pas comme une personne, mais comme un rouage, ce qui provoque sa fierté.

A la Libération, de Gaulle a été accueilli au Grand Hôtel à Bordeaux. On m’a demandé de lui offrir un bouquet de fleurs. La nuit, un milicien s’est infiltré afin d’assassiner le Général. L’homme a été attrapé et lentement lynché, un coup de poing par-ci, un coup de crosse par-là. Il est mort, tué par mes libérateurs, des hommes que j’admirais. Ce jour-là, il m’a fallu comprendre que l’ambivalence est au cœur de la condition humaine et que la vengeance aussi est une soumission au passé.

Le processus qui permet d’exterminer un peuple sans éprouver de sentiment de crime est toujours le même. En voici la recette :

  1. D’abord, il faut le désocialiser afin de le rendre vulnérable. Personne n’a protesté quand une des premières lois de Pétain a décrété la réquisition des vélos des avocats juifs. Ce n’est pas grave, entendait-on, tant qu’on respecte les personnes. Mais dans une société dépourvue d’essence et de voiture, un homme sans vélo ne peut plus travailler.
  2. Puis il convient de parler de ce groupe humain en employant des métaphores animales : « des rats qui polluent notre société », « des vipères qui mordent le sein qui les a nourries »
  3. Quand on arrive enfin à la démarche administrative signée par un représentant du demi-dieu ou énoncée à la radio par un porte-parole du maître, il devient possible de mettre à mort ce peuple sans éprouver de culpabilité car « ce n’est pas un crime tout de même d’éliminer des rats » !

Surhommes dérisoires soumis à des demi-dieux absurdes, les nazis ont provoqué une déflagration mondiale, un massacre inouï pour une bagatelle idéologique, une théorie navrante. Ils ont cru à une représentation incroyable, ils ont récité des fables riquiqui où ils se sont donné un rôle grandiose.

Le panurgisme de ces moutons intellectuels leur a offert une brève illusion de grandeur. Ils avaient besoin de haine pour légitimer et exalter leur programme délirant, car dans le quotidien c’est la banalité et la soumission qui caractérisaient leur projet.

Mais, n’y a-t-il que les nazis pour fonctionner ainsi ? »

Boris Cyrulnik

Je ne veux pas affaiblir ce propos, en pointant tel ou tel groupe humain dans son comportement actuel à l’égard d’un autre.

Je veux en rester au niveau de l’observation des mécanismes qui conduisent à des comportements d’inhumanité et au constat que des humains qui, par ailleurs, ont des comportements familiaux et sociaux normalement bienveillants, sont capables de tels comportements.

  • Le premier élément du mécanisme est de déshumaniser l’autre, celui qui appartient au groupe humain qui est considéré comme l’ennemi. On dira de lui qu’il s’agit d’un rat, d’un serpent, d’une vermine, d’un insecte… toute catégorie de vivants qu’il semble normal d’exterminer.
  • Le deuxième élément est l’adhésion à un narratif religieux, raciste, nationaliste ou une utopie qui croit en un monde parfait, une fois éliminé les nuisibles.
  • Ces deux éléments permettent à un homme d’être affectueux, prévenant, généreux avec les siens qui sont des humains et monstrueux avec les autres qui ne le sont pas dans son imaginaire.

Les enfants de Klaus Barbie ont affirmé que leur père n’était pas capable des horreurs que la justice et que ses victimes dénonçaient.

On attribue à Léon Tolstoï cette citation pleine de sagesse :

« Si vous ressentez de la douleur, vous êtes vivant, si vous ressentez la douleur des autres vous êtes un être humain… »

<1785>