Que dire ou écrire dans ce monde de chaos sans ajouter son lot d’entropie ?
Parfois raconter de belles histoires, comme celle de l’entraîneur de Lyon, Pierre Sage. immédiatement obscurcies par des hordes de supporters qui n’ont pour objectif que de se battre, montrer leur force brutale ou une virilité dévoyée.
Les histoires d’humains qui s’affrontent, il en est beaucoup, en ce moment, dans le monde..
Outre, l’Ukraine et Gaza, des conflits armés de grande ampleur se déroulent actuellement au Soudan, au Burkina Faso, en Somalie, au Yémen, en Birmanie, au Nigeria et en Syrie. Une guerre est en train de commencer entre le Rwanda et la République démocratique du Congo, Haïti est en prise à une guerre des gangs sans que les autorités politiques défaillantes du pays ne parviennent à agir pour remettre de l’ordre.
Mais le drame qui revient toujours au premier plan des médias est celui qui oppose Israël et le Hamas, sur le territoire de Gaza.
Après 7 mois de guerre, des milliers de morts israéliens et des dizaine de milliers de morts palestiniens, aucun effet tangible n’a été obtenu par Israël après sa réponse brutale au piège atroce que lui a tendu le Hamas : De nombreux otages sont toujours détenus, le Hamas continue a envoyer des roquettes sur Israël, les chefs du Hamas n’ont pas été neutralisés et aucune solution de sortie de crise n’est envisagée par le gouvernement israélien.
Cela ne marche pas, malgré les destructions, les morts et une population palestinienne contraint, à Gaza, à des conditions de vie indigne et une angoisse permanente.
Vincent Lemirre dans l’émission « 28′ d’Arte » du 29 mai <Israël-Gaza : après le drame de Rafah>, explique l’impasse militaire :
« On mène une guerre en surface, contre un ennemi qui est en sous-sol. […] Ils sont au huitième sous-sol. Ils ont de l’eau, de l’électricité, de la nourriture. Ils ont en rien à faire des populations civiles. Le Hamas mène une guerre révolutionnaire, les pertes civiles ne comptent pas. […] Elles peuvent même être utile politiquement. »
Utile politiquement, puisque pour le Hamas, plus il y a de morts palestiniens, plus le monde oublie les crimes du 7 octobre et ne voit que la violence de l’armée d’Israël.
En outre, ces fanatiques religieux sont aux antipodes de notre respect pour la vie. Pour eux, un mort gazaouis, n’est pas une victime de la guerre, mais un martyr de leur cause auquel est promis le plus bel avenir, dans l’au-delà.
Les dirigeants du Hamas sont monstrueux, beaucoup de celles et ceux qui manifestent pour le cessez le feu, n’expriment pas la pleine conscience de cette réalité.
Mais il n’est pas possible non plus d’exonérer la responsabilité d’Israël et de son gouvernement.
- D’abord dans la disproportion de la violence employée et des victimes alors qu’il devient de plus en plus clair que la seule force ne règlera rien, ni la sécurité d’Israël, ni la stabilité de la région ;
- Aucune solution politique d’après-guerre n’est envisagée ;
- Enfin, il y a un déni au regard de la situation des palestiniens : Tout le territoire de la Palestine mandataire n’appartient pas à l’État d’Israël. Sur la partie que l’ONU a donnée aux arabes : il y a un occupant : Israël et un occupé : le Peuple palestinien.
C’est ce que dit Rony Brauman, né à Jérusalem dans une famille juive dont le père était un militant sioniste, qui s’installa avec sa famille en Israël dès la création de cet État en 1948. Rony Braumann fut d’abord sioniste comme son père, considérant que les arabes de la Palestine pourraient laisser ce petit pays pour les juifs et aller dans un des nombreux états arabes qui se trouvent autour. Avant de se laisser convaincre que les arabes qui vivaient sur cette terre avaient aussi le droit d’y rester et de disposer d’une organisation étatique dans laquelle ils pourraient se reconnaitre, se sentir citoyens et respectés.
Dans l’Invité des matins du 29 mai <Attaque à Rafah : un tournant dans l’opinion ?> Rony Brauman, explique ainsi :
«La reconnaissance d’un État palestinien aurait une vertu majeure, à mes yeux, qui serait d’officialiser la situation d’occupation de la Palestine
La Palestine est selon certains un territoire occupé, selon d’autres un territoire disputé, un territoire administré. On joue sur les mots, on joue sur les significations
Il y a contestation de la part de ceux qui s’estiment être les amis d’Israël
Personnellement cette notion d’ami d’Israël est très discutable. On appelle ami d’Israël, l’amitié qu’un dealer voue à un addict. »
La dernière phrase de Rony Brauman m’a interpellé.
Qu’est-ce qu’un ami ?
J’ai déjà parlé de l’émission de Charles Pépin qui est diffusée le samedi matin à 8h50, sur France Inter : « La Question Philo » dans laquelle il répond aux questions que lui posent les auditeurs.
C’était le mot du jour du 8 janvier 2024 dans lequel il était question de définir ce que signifiait « Réfléchir » et le philosophe ouvrait une piste : « Réfléchir c’est supporter le doute, car c’est précisément quand on ne supporte plus le doute que l’on cesse de réfléchir. »
Or, dans son émission du 4 mai 2024, il a choisi de répondre à la question de Béatrice : <Qu’est-ce qu’un ou une véritable ami(e) ?>
Et voici le début de sa réponse :
« Aristote, chère Béatrice, donne dans son Éthique à Nicomaque une belle définition de l’amitié : un ou une amie, écrit-il en substance, c’est quelqu’un qui vous rend meilleur…
[…] un ami, c’est quelqu’un qui vous permet de devenir un meilleur être humain, de développer vos facultés humaines : votre raison, votre sensibilité… Mais pour bien comprendre ce que veut dire Aristote, il faut avoir en tête la distinction qu’il fait entre ce qui est en Puissance et ce qui est en Acte. Une image pour comprendre : la graine ou l’enfant n’est qu’en puissance, là où la plante et l’adulte sont des êtres accomplis, « en acte ». Même chose quand Aristote distingue les facultés qui sont « en puissance », potentielles, possiblement développées, de celles qui sont « en acte » c’est-à-dire effectivement développées…
Et donc l’ami, c’est celui qui vous permet d’actualiser ce qui n’était en nous qu’en puissance ?
Oui, exactement, l’ami est l’ami de la vie en vous : il est l’occasion favorable, le Kaïros en grec, du développement de la vie en vous. D’ailleurs c’est moins lui qui vous permet de vous développer, que la relation que vous avez avec lui, et vous trouvez là au passage un bon critère d’évaluation de vos amitiés : si vous vous sentez diminué au cœur de votre relation d’amitié, c’est que l’ami en question n’est pas un véritable ami. Et je vous propose donc d’arrêter de le voir.
Grâce à Aristote, on définit un ami véritable non pas par sa disponibilité, non pas par le nombre de coups de téléphone que vous vous passez par semaine, non pas par sa capacité à vous prêter de l’argent, mais par les effets que cette relation d’amitié produit sur vous. »
J’ai essayé de lire les livres VIII et IX de « l’Éthique à Nicomaque » dans lesquels Aristote, le disciple de Platon et précepteur d’Alexandre le Grand, élabore un véritable traité sur l’amitié. C’est assez complexe, je comprends mieux la synthèse qu’en fait Charles Pépin.
Frédéric Manzini, dans un article de Philomag de 2020 : <Qu’est ce qu’un véritable ami ?> fait la même synthèse :
« L’amitié nous rend meilleurs, c’est la thèse forte que soutient Aristote dans l’Éthique à Nicomaque, »
Un ami n’est pas celui qui vous donne toujours raison, mais qui sait dire avec bienveillance, mais fermeté les conseils qui vous rendront meilleur.
Un ami d’Israël dirait probablement :
- Ce que le Hamas a fait le 7 octobre constitue une abomination.
- Je comprends que tu veuilles neutraliser le Hamas, arrêter ou éliminer ses dirigeants et libérer les otages.
- Mais la force brutale ne suffit pas, ce n’est pas ainsi que tu résoudras cette crise et encore moins assureras ta sécurité pour l’avenir, bien au contraire.
- Toute la terre qui se trouve entre la mer et le Jourdain ne t’appartient pas, il faut que tu la partages avec l’autre peuple qui s’y trouve, avec toi.
- S’il faut marginaliser le Hamas chez les palestiniens, il faut aussi que tu sois en mesure de marginaliser les messianistes juifs qui sont contre le partage de la même manière ;
- Une fois, ces choses admises il sera possible de trouver des interlocuteurs palestiniens avec qui tu pourras discuter, peut-être s’en trouve t’il un dans tes prisons.
- Mais toi aussi, tu as cette mission de trouver, en ton sein, un homme ou peut être plutôt une femme capable de porter ce combat vers la justice, l’égalité, la sécurité et la paix.
Un ami ne doit pas vous encourager dans l’aveuglement, mais vous rendre meilleur.
Charles Pepin développe encore d’autres aspects de : « Qu’est-ce qu’un ou une véritable ami(e) ? »
<1807>