Vendredi 5 janvier 2024

« Mais, n’y a-t-il que les nazis pour fonctionner ainsi ? »
Boris Cyrulnik

L’année 2023 a été terrible pour sa violence, les guerres qui nous sont rapportées par les Médias.

Bien sûr des hommes cultivés pourront nous rappeler que ce n’était pas mieux avant.

Que le XXème siècle avec ses deux guerres mondiales, ses génocides contre les arméniens, les juifs, les tziganes, les tutsis, ses régimes exterminateurs nazis, staliniens, maoïstes, khmers rouges constituent, pour l’instant, une norme d’horreur insurpassable.

Mais il me parait essentiel de toujours revenir à l’Histoire pour essayer d’apprendre et comprendre, les mécanismes de la sortie des valeurs de l’humanisme.

En faisant les ménage dans ma boite courriels, je suis tombé sur un article de Boris Cyrulnik que j’avais envoyé en 2005 à quelques-uns de mes amis.

Je l’ai relu et j’ai perçu toute son actualité. C’est pourquoi, je partage cet article aujourd’hui. J’ai aussi été saisi par sa phrase de conclusion que j’ai utilisée comme exergue.

Boris Cyrulnik a écrit cet article dans le numéro 2097 du « Nouvel Observateur », paru le 13 janvier 2005.

Il s’agissait d’un numéro consacré aux 60 ans de la libération des camps nazis.

Parmi ces camps, la libération du camp de concentration d’Auschwitz a lieu le 27 janvier 1945. L’Armée rouge libère environ 7 000 survivants. Plus d’un million de victimes ont péri dans ce camp de concentration et centre d’extermination nazi.

Le titre de son article était : « Auschwitz : Les anges exterminateurs »

Le grand psychiatre n’était qu’un enfant quand ses parents ont été raflés à Bordeaux.

Ils ont disparu à Auschwitz. Lui-même arrêté, il a réussi à s’enfuir.

Soixante ans après, cette expérience continue de nourrir sa réflexion sur le nazisme. Et sur la nature humaine… :

« J’avais 6 ans et demi quand, une nuit, j’ai été arrêté par des inspecteurs français portant des lunettes noires. Les policiers m’ont poussé vers la porte où des soldats allemands constituaient avec leurs fusils une haie qui orientait vers des camions. La rue était barrée. Le silence et l’ordre régnaient. Un inspecteur a dit qu’il fallait m’éliminer parce que plus tard je deviendrais un ennemi de la société. J’ai appris cette nuit-là que j’étais destiné à commettre une faute qui méritait une mise à mort préventive.

Soixante ans plus tard, je pense que ce policier a dû éprouver un merveilleux sentiment d’ange exterminateur. En participant avec tant de compétence à une série de coups de filet qui ont tué 1645 adultes et 239 enfants sur les 240 raflés, il a obéi à un ordre moral.

On peut tuer des innocents sans éprouver de culpabilité quand l’obéissance est sacralisée par la culture. La soumission déresponsabilise le tueur puisqu’il ne fait que s’inscrire dans un système social où l’assujettissement permet le bon fonctionnement.

Ce qui compte dans ce cas, c’est l’objectif et non pas la relation. Et même le mot « obéissance » désigne des sentiments différents selon le contexte où il est prononcé.

Quand deux personnes s’affrontent, celui qui obéit éprouve un sentiment de défaite. Tandis que le simple fait d’appartenir à un groupe ennoblit l’obéissance, puisque celui qui se soumet donne le pouvoir à sa communauté grâce à sa subordination.

Quand l’âme du groupe, un dieu, un demi-dieu, un chef ou un philosophe, propose un merveilleux projet d’épuration, c’est au nom de l’humanité que la personne obéissante participe au crime contre l’humanité.

Dès l’âge de 6 ans, il m’a fallu comprendre que ce qui gouverne un groupe ne correspond pas toujours à ce qui gouverne les individus qui composent ce groupe.

Chaque soir, dans la synagogue de Bordeaux transformée en prison, un soldat venait s’asseoir près de moi pour me montrer une photo de sa famille. Je ne comprenais pas ses mots mais je sentais clairement qu’il avait besoin de parler de ses proches et de son petit garçon qui, d’après ses gestes, avait mon âge et me ressemblait.

Plus tard, j’ai vu ce gentil papa frapper à coups de crosse les enfants qui ne se dirigeaient pas assez vite vers les wagons à bestiaux de la gare Saint-Jean. Quand cet homme venait, le soir, me parler de son fils, il répondait à un besoin d’affection. Quand ce soldat poussait les enfants vers les wagons scellés, il obéissait à une représentation théorique qui récitait les slogans du demi-dieu que sa collectivité vénérait.

Depuis ce jour, la récitation des certitudes m’alarme et la vulnérabilité des hommes m’attendrit.

Dès l’âge de 6 ans, il m’a fallu comprendre que mes geôliers se soumettaient avec ravissement, afin de participer à un triomphe.

Aujourd’hui, je pense que peu de personnalités sont capables d’échapper à une pression culturelle qui apporte tant de bénéfices : l’affection des siens, l’estime de soi, la griserie de l’appartenance et la noblesse d’un projet moral épurateur fondé sur une croyance en une surhumanité.

C’est délicieux d’être gouverné par un demi-dieu, ça déresponsabilise, ça supprime l’angoisse.

Quand le « moi » est fragile, le « nous » sert de prothèse et les hommes d’appareil aiment grimper l’échelle des valeurs qui leur sont imposées.

Leur facilité à apprendre les récitations, leur aptitude à faire marcher le système et leur art de la relation les placent rapidement en haut de l’échelle, quelle qu’elle soit.

Ce qui compte pour eux et provoque leur bonheur, c’est de grimper.

Le moindre doute briserait leur rêve d’une société épurée.

Seul un traître peut remettre en cause un si beau projet. Cette heureuse affiliation engage les personnalités conformistes dans une relation perverse, où l’emprise sur l’autre et sa disparition se programment au nom du Bien. Dans tout génocide, le tueur se sent innocent puisqu’il transcende le massacre et, en cas de défaite, explique qu’il n’a fait qu’obéir. Le soumis-triomphant ne se pense pas comme une personne, mais comme un rouage, ce qui provoque sa fierté.

A la Libération, de Gaulle a été accueilli au Grand Hôtel à Bordeaux. On m’a demandé de lui offrir un bouquet de fleurs. La nuit, un milicien s’est infiltré afin d’assassiner le Général. L’homme a été attrapé et lentement lynché, un coup de poing par-ci, un coup de crosse par-là. Il est mort, tué par mes libérateurs, des hommes que j’admirais. Ce jour-là, il m’a fallu comprendre que l’ambivalence est au cœur de la condition humaine et que la vengeance aussi est une soumission au passé.

Le processus qui permet d’exterminer un peuple sans éprouver de sentiment de crime est toujours le même. En voici la recette :

  1. D’abord, il faut le désocialiser afin de le rendre vulnérable. Personne n’a protesté quand une des premières lois de Pétain a décrété la réquisition des vélos des avocats juifs. Ce n’est pas grave, entendait-on, tant qu’on respecte les personnes. Mais dans une société dépourvue d’essence et de voiture, un homme sans vélo ne peut plus travailler.
  2. Puis il convient de parler de ce groupe humain en employant des métaphores animales : « des rats qui polluent notre société », « des vipères qui mordent le sein qui les a nourries »
  3. Quand on arrive enfin à la démarche administrative signée par un représentant du demi-dieu ou énoncée à la radio par un porte-parole du maître, il devient possible de mettre à mort ce peuple sans éprouver de culpabilité car « ce n’est pas un crime tout de même d’éliminer des rats » !

Surhommes dérisoires soumis à des demi-dieux absurdes, les nazis ont provoqué une déflagration mondiale, un massacre inouï pour une bagatelle idéologique, une théorie navrante. Ils ont cru à une représentation incroyable, ils ont récité des fables riquiqui où ils se sont donné un rôle grandiose.

Le panurgisme de ces moutons intellectuels leur a offert une brève illusion de grandeur. Ils avaient besoin de haine pour légitimer et exalter leur programme délirant, car dans le quotidien c’est la banalité et la soumission qui caractérisaient leur projet.

Mais, n’y a-t-il que les nazis pour fonctionner ainsi ? »

Boris Cyrulnik

Je ne veux pas affaiblir ce propos, en pointant tel ou tel groupe humain dans son comportement actuel à l’égard d’un autre.

Je veux en rester au niveau de l’observation des mécanismes qui conduisent à des comportements d’inhumanité et au constat que des humains qui, par ailleurs, ont des comportements familiaux et sociaux normalement bienveillants, sont capables de tels comportements.

  • Le premier élément du mécanisme est de déshumaniser l’autre, celui qui appartient au groupe humain qui est considéré comme l’ennemi. On dira de lui qu’il s’agit d’un rat, d’un serpent, d’une vermine, d’un insecte… toute catégorie de vivants qu’il semble normal d’exterminer.
  • Le deuxième élément est l’adhésion à un narratif religieux, raciste, nationaliste ou une utopie qui croit en un monde parfait, une fois éliminé les nuisibles.
  • Ces deux éléments permettent à un homme d’être affectueux, prévenant, généreux avec les siens qui sont des humains et monstrueux avec les autres qui ne le sont pas dans son imaginaire.

Les enfants de Klaus Barbie ont affirmé que leur père n’était pas capable des horreurs que la justice et que ses victimes dénonçaient.

On attribue à Léon Tolstoï cette citation pleine de sagesse :

« Si vous ressentez de la douleur, vous êtes vivant, si vous ressentez la douleur des autres vous êtes un être humain… »

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Mardi 11 octobre 2022

« Une ivresse extatique de la destruction. »
Pierre-Henri Castel

J’avais déjà parlé de ce livre lors du mot du jour du 3 avril 2020, en plein confinement.

Dans « Le mal qui vient » Pierre-Henri Castel se place dans le cadre du défi climatique et évoque l’hypothèse que l’humanité ne parvienne pas à surmonter ce défi.

Il examine cette situation en se centrant sur ceux qui par esprit de jouissance, voudront se livrer à ce qu’il appelle une « ivresse extatique de la destruction » : « plus la fin sera certaine, donc proche, plus la dernière jouissance qui nous restera sera la jouissance du Mal ».

Et pour éclairer cette hypothèse historiquement, il évoque ce qui s’est passé dans les derniers mois du nazisme.

Ce livre et cette réflexion m’est venue lors de mes mots du jour autour du destin de la famille d’Anne Frank.

Parce que revenons sur le calendrier.

Anne Frank et sa famille seront emmenés au camp d’Auschwitz le 3 septembre 1944.

C’est écrit dans tous les articles concernant Anne Frank, c’est le dernier convoi vers les camps d’extermination partant des Pays Bas.

Mais quelle est la situation de l’Allemagne nazie à cette date ?

  • Le 31 janvier 1943, l’armée allemande s’est rendue à Stalingrad.
  • En septembre 1944, l’armée rouge a fait reculer la Wehrmacht jusqu’à la Bulgarie et continue vers les frontières de l’Allemagne
  • Les Alliés ont débarqué en Sicile le 10 juillet 1943, Rome a été libérée du joug allemand le 4 juin 1944, la Toscane est libre en août 1944, l’Italie s’est retournée contre l’Allemagne.
  • Les alliés ont débarqué sur les côtes de Normandie, le 6 juin 1944
  • Paris est libéré depuis le 25 aout 1944
  • Le 15 août, des troupes américaines et françaises ont débarqué en Provence

L’Allemagne est encerclée, ses armées reculent partout.

Ils préparent bien un dernier sursaut dans les Ardennes à Noël 1944, sursaut qui échouera.

Leurs armées sont décimées, ils sont devant des puissances disposant d’un armement supérieur et d’un nombre de soldats valides largement supérieur.

Et ils s’obstinent à perpétuer le génocide juif, alors que la raison devrait les inciter vers une tout autre voie.

Parce que ceux qui savent qu’ils vont perdre devraient éviter d’aggraver leur cas et leurs crimes, ils savent qu’ils auront des comptes à rendre après la défaite. D’ailleurs, ils tenteront de cacher, sans y arriver, la barbarie des camps.

Et ceux qui croient encore que la défaite n’est pas inéluctable, devraient consacrer toutes leurs forces, leur énergie à empêcher les armées alliées de continuer à avancer vers l’Allemagne.

Mais il n’y a pas de rationalité dans ces hommes, que de la haine, une « ivresse extatique de la destruction »

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Lundi 10 octobre 2022

« Personne n’est épargné, vieillards, enfants, bébés, femmes enceintes, malades, tout, tout est entraîné dans ce voyage vers la mort. »
Journal d’Anne Frank, le 19 novembre 1942

Anne Frank a tenu son journal du 12 juin 1942 au 1er août 1944. Jusqu’au printemps de 1944, elle écrivait ses lettres pour elle, seule, jusqu’au moment où elle entendit à la radio de Londres, le ministre de l’Education du gouvernement néerlandais en exil dire qu’après la guerre, il faudrait rassembler et publier tout ce qui pourrait témoigner des souffrances du peuple néerlandais sous l’occupation allemande. Il citait à titre d’exemple, entre autres, les journaux intimes. Frappée par ce discours, Anne Frank décida de publier un livre après la guerre, son journal devant servir de base.

Elle commença à remanier et à réécrire celui-ci, corrigeant et supprimant les passages qu’elle considérait comme peu intéressants, ou en ajoutant d’autres puisés dans sa mémoire.

Parallèlement, elle continuait à tenir son journal originel, celui qui est appelé « version a » par opposition à la « version b » la deuxième réécrite.

Après que les nazis aient pillé l’annexe et dérobé tous les objets de valeurs, les feuillets du journal se trouvaient par terre, car ces criminels avaient vidé la serviette qui les contenait pour utiliser celle-ci afin d’emporter les objets volés.

C’est alors qu’une des salariés d’Otto Frank qui n’avait pas été arrêtée et avait aidé les huit juifs cachés pendant toute la période, Miep Gies a ramassé soigneusement tous les feuillets et les a rangés, sans les lire, avec pour objectif de les rendre à Anne à son retour.

Après la guerre, quand il était devenu certain qu’Anne avait été victime de la barbarie nazi, Miep Gies remit ce document au seul survivant, le père d’Anne.

Otto Frank lut alors le journal de sa fille, document qu’il n’avait jamais lu jusqu’alors.

Il en fut bouleversé, il se rendit compte qu’il connaissait peu sa fille.

Après mure réflexion, Otto Frank, décida d’exaucer le vœu de sa fille dont la volonté d’être publiée était évidente, en faisant éditer ce qui sera la première édition de ce journal.

A cette fin, il composa à partir des deux versions d’Anne l’originale (version a) et la retouchée (version b) une troisième abrégée dite version c.

C’est ce que l’on apprend dans le livre de Lola Lafon « Quand tu écouteras cette chanson », mais aussi l’Avant-Propos de l’édition publiée en juillet 2019 qui se veut une version exhaustive et non édulcorée de ce qu’a écrit Anne Frank.

Anne Frank a écrit sur tous les thèmes, de l’intime à la politique en passant par la philosophie.

Jeune adolescente elle entrait en conflit avec ses parents, elle s’éveillait à la sexualité.

Le 24 mars 1944, elle décrit les organes sexuels féminins :

« Devant, quand on est debout, on ne voit rien que des poils, entre les jambes se trouvent en fait des espèces de petits coussinets, des choses molles, elles aussi couvertes de poils, qui se touchent quand on se met debout, à ce moment-là, on ne peut pas voir ce qui se trouve à l’intérieur. Quand on s’assoit, elles se séparent, et dedans c’est très rouge, vilain et charnu. Dans la partie supérieure, entre les grandes lèvres, en haut, il y a un repli de peau qui, si l’on observe mieux, est une sorte de petite poche, c’est le clitoris. Puis il y a les petites lèvres, elles se touchent, elles aussi, et forment comme un repli. Quand elles s’ouvrent, on trouve à l’intérieur un petit bout de chair, pas plus grand que l’extrémité de mon pouce. Le haut de ce bout de chair est poreux, il comporte différents trous et de là sort l’urine. Le bas semble n’être que de la peau, mais pourtant c’est là que se trouve le vagin. Des replis de peau le recouvrent complètement, on a beaucoup de mal à le dénicher. Le trou en dessous est si minuscule que je n’arrive presque pas à m’imaginer comment un homme peut y entrer, et encore moins comment un enfant entier peut en sortir. On arrive tout juste à faire entrer l’index dans ce trou, et non sans mal. Voilà tout, et pourtant cela joue un si grand rôle ! » »
Page 247 de la version de 2019

Il était inimaginable de publier un tel texte en 1947, il a donc fallu retirer ce texte et bien d’autres sur ce sujet comme celui dans lequel elle parle des prostituées.

Dans un autre feuillet, elle souligne l’importance d’avoir une éducation sexuelle complète et de qualité et ne pas comprendre pourquoi les adultes étaient si discrets sur le sujet.

Un district scolaire du Texas a d’ailleurs retiré le journal de ses bibliothèques en raison de « son caractère pornographique »

Anne Frank dépeint la vie dans l’annexe avec un œil analytique, un sens du détail étonnant. Elle donne à voir, dans l’enfermement, des moments de partage, d’ennui, de rêverie, mais aussi d’agacement.

Elle écrit sans détour sa relation conflictuelle avec sa mère et décrit sa proximité avec son père.

Par exemple elle écrit le dimanche 2 janvier 1944 :

« Ce matin, comme je n’avais rien à faire j’ai feuilleté mon journal et suis tombée à plusieurs reprises sur des lettres traitant du sujet « maman » en des termes tellement violents que j’en étais choquée et me suis demandé : « Anne, c’est vraiment toi qui as parlé de haine, oh Anne Comment as-tu pu ? »

Elle développe, un long paragraphe de justifications, d’explications, de regret et dit sa conviction qu’elle n’agirait plus ainsi un an après et fini par cette conclusion :

« Je tranquillise ma conscience en me disant qu’il vaut mieux laisser les injures sur le papier plutôt que d’obliger maman à les porter dans son cœur. »
Page 167 de la version de 2019

Lola Lafon nous apprend que pour ne pas froisser les allemands, les passages trop violents à leur égard seront aussi retirés.

Mais les pires, à son sens, sont les américains qui veulent faire un film du journal. Mais à cette époque, la révolution des séries de H.BO. n’a pas encore eu lieu. Les artistes et producteurs américains ne veulent pas d’histoires trop tristes. Il y a certes des bons et des méchants, mais les méchants ne peuvent pas gagner et il faut que la fin ouvre sur l’espoir.

En plus, il faut que tout le monde puisse s’identifier au héros, le film américain considère donc pertinent de gommer la judaïcité d’Anne et de sa famille.

Lola Lafon signale le témoignage d’un spectateur américain qui a la fin du film trouvait qu’il était vraiment très beau et que finalement il n’exprimait aucune haine à l’égard des nazis.

Puis on racontera le journal sur la base de ce film.

On citera avec exaltation cette phrase écrite par Anne Frank :

« Malgré tout, je crois encore à la bonté innée des hommes. »

Et il est vrai qu’elle a écrit cette phrase le 15 juillet 1944, 20 jours avant d’être arrêtée et que son calvaire ne commence.

Mais cette phrase est suivie de ce passage :

« Il m’est absolument impossible de tout construire sur une base de mort, de misère et de confusion. Je vois comment le monde se transforme lentement en un désert, j’entends plus fort, toujours plus fort, le grondement du tonnerre qui approche et nous tuera, nous aussi, je ressens la souffrance de millions de personnes et pourtant, quand je regarde le ciel, je pense que tout finira par s’arranger, que toute cette cruauté aura une fin, que le calme et la paix reviendront régner sur le monde »
Page 346 de la version de 2019

Lucidité de la tragédie, de la cruauté et aussi qu’il existera un monde après les nazis. Lucidité de son sort : Le tonnerre, autrement dit la violence, nous tuera ! »

Et Lola Lafon renvoie vers un autre texte qui n’est pas passé à la postérité probablement parce qu’il n’était pas en phase avec la Anne Frank qui croyait à « la bonté innée des hommes ».

Elle a écrit, le mercredi 3 mai 1944 :

« On ne me fera jamais croire que la guerre n’est provoquée que par les grands hommes, les gouvernants et les capitalistes, oh non, les petites gens aime la faire au moins autant sinon les peuples se seraient révoltés contre elle depuis longtemps ! Il y a tout simplement chez les hommes un besoin de frapper à mort, d’assassiner de s’enivrer de violence, et tant que l’humanité toute entière, sans exception, n’aura pas subi une grande métamorphose, la guerre fera rage, tout ce qui a été construit, cultivé, tout ce qui s’est développé sera tranché et anéanti, pour recommencer ensuite. »
Page 293 de la version de 2019

C’est une adolescente de 15 ans qui écrit cela.

Et alors on ne savait pas ce qui se passait pour les juifs ?

Voici ce qu’écrivait Anne Frank le 9 octobre 1942 :

« Aujourd’hui, je n’ai que des nouvelles tristes et déprimantes à rapporter. Nos nombreux amis et connaissances juifs sont emmenés en masse. La Gestapo les traite très durement et les transporte dans des wagons à bestiaux jusqu’à Westerbork, le grand camp de Drenthe où ils envoient tous les Juifs. Miep nous a parlé de quelqu’un qui avait réussi à s’échapper de Westerbork. Westerbork doit être épouvantable. On ne donne presque rien à manger aux gens, encore moins à boire. Ils n’ont de l’eau qu’une heure par jour, et il n’y a qu’un WC et un lavabo pour plusieurs milliers de personnes. Ils dorment tous ensemble, hommes, femmes et enfants ; les femmes et les enfants ont souvent la tête rasée.
Il est presque impossible de fuir. […]
S’il se passe déjà des choses aussi affreuses en Hollande, qu’est ce qui les attend dans les régions lointaines et barbares où on les envoie ?
Nous supposons que la plupart se font massacrer. La radio anglaise parle d’asphyxie par les gaz ; C’est peut-être la méthode d’élimination la plus rapide
. »
Page 62 de la version de 2019

Et le 19 novembre 1942, elle écrivait :

« Souvent le soir, à la nuit tombée, je vois marcher ces colonnes de braves gens innocents, avec des enfants en larmes, marcher sans arrêt, sous le commandement de quelques-uns de ces types, qui les frappent et les maltraitent jusqu’à les faire tomber d’épuisement, ou presque. Personne n’est épargné, vieillards, enfants, bébés, femmes enceintes, malades, tout, tout est entraîné dans ce voyage vers la mort.
[…] et tout cela, pour la seule raison qu’ils sont juifs »
Page 77 de la version de 2019

Ainsi parlait Anne Frank en 1942 !

Lola Lafon entre peu à peu dans la réalité de cette œuvre, car il s’agit d’une œuvre littéraire qu’Anne Frank a corrigé, réécrit dans le but de la faire publier.

Avant d’aller à Amsterdam, Lola Lafon a eu une rencontre vidéo avec Laureen Nussbaum qui est une écrivaine et linguiste, spécialiste du journal d’Anne Frank et qui a connu personnellement la famille Frank :

« Ce soir-là, elle me conseille de m’intéresser aux quatrièmes de couverture des différentes éditions du Journal. Elles sont extrêmement révélatrices. Ce que les éditeurs ont choisi de mettre en avant et, aussi, les mots qu’ils ont évité d’employer.

Dans les années 1960, par exemple, me dit Laureen, on pouvait lire ceci : « Lire le Journal c’est assister à l’épanouissement d’une adolescente face à l’adversité. »

A sa parution aux États-Unis, on demande à Eleanor Roosevelt d’ajouter un avant-propos. Elle y loue « la noblesse de l’esprit humain », s’émeut de ce « message d’espoir ». Le Journal est « un monument » élevé à tous ceux qui « œuvrent pour la paix ».

Pas une allusion au régime nazi, ni à la shoah. Pas un mot sur les conditions dans lesquelles Anne Frank a écrit.

« Anne n’œuvrait pas pour la paix. Elle gagnait du temps sur la mort en écrivant sa vie. […] Anne Frank désirait être lue, pas vénérée. […]

Elle n’est pas une sainte. Pas un symbole. Son journal est l’œuvre d’une jeune fille victime d’un génocide, perpétré dans l’indifférence absolue de tous ceux qui savaient.
N’utilisez pas le mot espoir, s’il vous plait. »
Pages 26 et 27 « Quand tu écouteras cette chanson de Lola Lafon

Le livre de Lola Lafon nous incite à lire, dans sa dernière version, le Monument écrit par une jeune adolescente qui essaye d’arracher des moments de vie et de réflexions dans le monde terrifiant, horrible et bestial créé par des humains ignobles et monstrueux.

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Vendredi 7 octobre 2022

« Quand tu écouteras cette chanson. »
Lola Lafon

L’éditeur Stock a eu l’idée d’une collection « Ma nuit au musée » dans laquelle des écrivains s’enferment dans un musée pendant une nuit et tentent de trouver l’inspiration d’un livre.

Kamel Daoud, Leila Slimani, Enki Bilal parmi d’autres se sont soumis à cette expérience qui peut être un peu déstabilisante. Surtout quand ce musée est le musée d’Anne Frank à Amsterdam.

Lola Lafon a fait ce choix quand Stock lui a proposé d’entrer dans cette collection. Elle a dit qu’elle ne pouvait pas imaginer un autre musée que celui-ci.

Elle en a tiré un livre « Quand tu écouteras cette chanson »

Elle avait été invitée par Olivier Gesbert dans son émission du 8 septembre 2022 : <Lola Lafon et le journal d’Anne Frank >

Émission qu’on peut aussi voir <en vidéo>

Et cet échange, que j’ai entendu, m’a donné envie de lire ce livre.

Ce que j’ai fait lors de notre semaine de repos en Bourgogne.

Et j’ai aimé ce livre, parce que Lola Lafon trouve le ton juste et les mots qui captent notre attention pour parler de cette histoire terrible, bouleversante et y mettre une part d’elle-même.

Le journal d’Anne Frank, tout le monde croit le connaître, le livre de Lola Lafon nous montre que probablement nous sommes passés à côté de l’essentiel.

C’est l’œuvre d’une jeune fille de 14 ans « Sidérante de maturité » dit Lola Lafon dans l’entretien qu’elle a réalisé avec la Librairie Mollat (21:16)

La famille d’Otto Frank et de son épouse Edith était une famille aisée allemande vivant à Francfort. Mais en 1933, après l’arrivée des nazis au pouvoir et les premières persécutions, la famille Frank quitte Francfort pour Amsterdam.

Il y a deux filles dans cette famille : Margot née en 1926 et Anne née en 1929.

Otto Frank crée une entreprise Opekta, vendant du gélifiant pour confiture, à Amsterdam.

Les sœurs deviennent de vrai néerlandaises et vont à l’école Montesori à Amsterdam. Le journal est écrit en néerlandais.

Mais la guerre les rattrape et Amsterdam est occupée par les Allemands à partir de mai 1940.

Otto Frank se déleste de son entreprise au profit de ses salariés qui lui sont fidèles pour ne pas être exproprié par les nazis.

Et c’est avec la complicité de ces salariés que la famille Frank va se cacher à partir de juillet 1942 dans un appartement secret aménagé dans l’« Annexe » de l’entreprise Opekta dont l’entrée est dissimulée par une bibliothèque.

C’est là que la famille et quatre amis juifs vécurent vingt-cinq mois confinés dans moins de 40 m², sans vue vers l’extérieur, simplement une fenêtre du grenier leur permettant de voir le ciel.

Le 4 août 1944, les nazis arrivent à l’usine et sans hésiter déplacent la bibliothèque et entrent dans l’annexe arrêter tout le monde.

Ils ont été trahis et on ne sait toujours pas par qui.

Ils seront déportés le 3 septembre 1944 vers le centre d’extermination d’Auschwitz-Birkenau puis les filles seront transférées au camp de Bergen-Belsen. Les conditions d’hygiène étant catastrophiques, une épidémie de typhus y éclata durant l’hiver 1944-1945, coûtant la vie à des milliers de prisonniers. D’abord Margot puis Anne mourront de cette maladie. La date de leur mort se situe entre fin février et début mars. Les corps des deux jeunes filles se trouvent sans doute dans la fosse commune de Bergen Belsen. Le camp est libéré, peu de semaines après, par des troupes britanniques le 15 avril 1945 et Amsterdam est libérée le 5 mai 1945. La mère est morte à Auschwitz, le 6 janvier 1945. Seul le père Otto Frank reviendra.

Des huit personnes qui se cachèrent dans l’Annexe, il est le seul qui a survécu à l’arrestation et au génocide. Otto Frank consacrera le restant de sa vie au journal de sa fille, et à la lutte contre la discrimination et les préjugés. Il participera activement à l’ouverture de l’annexe en tant que musée en 1960. En 1963, Otto Frank crée le Fonds Anne Frank de Bâle, une association qui détient les droits d’auteur sur les écrits d’Anne Frank y administre l’héritage de la famille Frank. Les revenus sont consacrés à des œuvres caritatives dans le monde entier, par exemple la lutte contre les discriminations et l’injustice, les droits des femmes et des enfants. Il décédera en 1980 à 91 ans.

Lola Lafon a perdu aussi une grande partie de sa famille dans la Shoah victime du génocide.

Sa mère est roumaine et son père est français. Elle grandit en Bulgarie puis en Roumanie jusqu’à ses 12 ans.

Sa grand-mère lui a donné très jeune une médaille représentant Anne Frank avec ces seuls mots :

« N’oublie jamais »

Longtemps, elle a voulu ignorer cette partie de son histoire :

« Je suis celle qui, depuis l’adolescence, détourne les yeux. Je ne voulais pas entendre, pas savoir. (…) Ce que je souhaitais, c’était faire partie d’une famille normale. »

Mais elle était arrivé à ce moment de sa vie où le moment de renouer le lien était venu.

Et c’est ainsi que :

« Le 18 août 2021, j’ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l’Annexe.
Je suis venue en éprouver l’espace car on ne peut éprouver le temps. On ne peut pas se représenter la lourdeur des heures, l’épaisseur des semaines. Comment imaginer vingt-cinq mois de vie cachés à huit dans ces pièces exiguës ?
Alors, toute la nuit, j’irai d’une pièce à l’autre.
J’irai de la chambre de ses parents à la salle de bains, du grenier à la petite salle commune, je compterai les pas dont Anne Frank disposait, si peu de pas. »
Quand tu écouteras cette chanson, Page 11

Elle y restera dix heures

La première chose qu’elle voit dans l’annexe est un cadre. Elle croit qu’il est vide, l’appartement est plongé dans une pénombre. Elle s’approche. Elle voit un morceau de papier peint. Elle s’approche encore et elle aperçoit des petits traits au crayon à papier : Otto Frank traçait au mur l’évolution de la taille de ses filles, Margot et Anne. Lola Lafon parle de preuve de vie. Elles vivaient, elles grandissaient dans cette annexe.

Avant d’aller passer sa nuit au musée, des collaboratrices du musée lui avait fait visiter l’appartement que la famille Frank a occupé avant d’aller se réfugier dans l’annexe.

Elle décrit cette visite :

« Nous déambulons de pièce en pièce, comme de futures acquéreuses. »

Teresien qui montre l’appartement explique que l’appartement a été entièrement pillé en 1944 par les nazis et que l’équipe du musée a tenté à l’aide de photos de l’époque et de témoignages de connaissances de Frank qui avait fréquenté le lieu pendant que les Frank y avaient habité de remeubler et décorer à l’identique.

L’écrivaine écrit alors ce texte que je trouve très inspiré :

« Tout, ici se veut plus vrai que vrai tout est faux, sauf l’absence. Elle accable, c’est un bourdonnement obsédant, strident.
L’appartement des Frank est le décor d’un drame sans acteurs, c’est un musée sans visiteurs. […]

Tout dans la chambre d’Anne paraît en suspens, interrompu, le moindre objet semble attendre son retour. L’étroit lit aux draps soigneusement tirés. Les tiroirs entrouverts d’une commode. Le bois sombre d’un secrétaire sur lequel ont été disposés des feuillets vierges, des cahiers sur lesquels personne n’écrira. Anne Frank manque terriblement à sa chambre d’adolescente. »
Page 63

Dans l’annexe, elle aura beaucoup de mal à entrer dans la chambre d’Anne. On n’entre pas dans une chambre d’adolescente, dit-elle

Elle recule chaque fois devant la porte. Elle devra bientôt quitter le musée : « Il était 6 heures du matin »

Et à la fin des fins elle franchit le pas :

« Sans doute semblais-je sereine quand j’ai poussé la porte de la chambre d’Anne Franck »

Et dans cette chambre, un souvenir va resurgir dans sa mémoire.

Souvenir qui explique le titre du livre et qui concerne une rencontre, à Bucarest où elle vivait alors.

La rencontre d’un jeune garçon cambodgien de 15 ans.

Son père était fonctionnaire à l’ambassade du Cambodge en Roumanie. Mais les dirigeants du Cambodge, les sinistres Khmers Rouges, ont donné l’ordre au père de rentrer dans son pays avec sa famille.

Le jeune garçon qui était pensionnaire dans un lycée parisien a été obligé de rejoindre ses parents et il va passer quelques jours à Bucarest. Puis partira pour le Cambodge avec sa famille.

Il enverra une dernière lettre postée à Pékin avant d’être victime d’un autre génocide, sur un autre continent

A propos de ce livre « Le Monde » écrit : < Lola Lafon en tête-à-tête avec Anne Frank >

« Et lorsqu’il est question d’en faire un musée, en 1960, le père d’Anne et de Margot Frank exige que l’appartement demeure dans cet état. « Qu’on en soit témoin, du vide, sans pouvoir s’y soustraire ; qu’on s’y confronte, énonce Lola Lafon. Ainsi, en sortant, on ne pourra pas dire : dans l’Annexe, je n’ai rien vu. On dira : dans l’Annexe, il n’y a rien, et ce rien, je l’ai vu. […]

Regarder en face « ce qui jamais ne sera comblé » : Quand tu écouteras cette chanson est le récit troublant, saisissant, de cette redoutable confrontation. Dix heures passées seule par l’écrivaine, le 18 août 2021, dans les 40 mètres carrés de l’Annexe, le plus vide de tous les musées. Les règles fixées à l’entrée sont strictes : pas de photo, interdit de boire comme de manger, mais aussi de sus­pendre son sac à une poignée de porte. Comme un écho des contraintes imposées à la famille Frank. Vingt-cinq mois durant, les huit habitants dissimulés au cœur de la ville qui les traquait se sont astreints au silence. »

Lola Lafon fut aussi l’invité de la première Grande Librairie d’Augustin Trapenard : <Lola Lafon sur les traces d’Anne Frank>

Il me semble que cet entretien vidéo de 48 minutes proposé par la Librairie Mollat est encore plus intéressant : <Quand tu écouteras cette chanson>

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Lundi 27 avril 2015

« Les restes de l’épée »
Expression turque pour évoquer des enfants arméniens adoptés et islamisés par des turcs ou des kurdes

Les Turcs appelaient «restes de l’épée» (kiliç artigi) ces Arméniens, surtout des femmes et des enfants, qui ont échappé au génocide de 1915, enlevés ou protégés par des familles musulmanes. Le journaliste arménien de Turquie Hrant Dink parlait, lui, «d’âmes errantes» et a tenté, jusqu’à son assassinat à Istanbul en 2007, de retrouver cette mémoire engloutie, reconnaissant qu’en Turquie, «il est encore plus difficile de parler des vivants que des morts». Nul ne sait combien sont les descendants des rescapés restés en Anatolie orientale se cachant ou le plus souvent se convertissant à l’islam, tout en se fondant parmi les populations turque et kurde.

J’ai découvert cette terrible expression : « les restes de l’épée », c’est à dire ce qui reste quand on a passé « la plus grande partie au fil de l’épée » dans un documentaire de France 24 : Génocide arménien, le spectre de 1915.

Ce documentaire se focalise sur 3 destins :

Un absent, Hrant Dink qui fut assassiné, le 19 janvier 2007 à Istanbul, par un nationaliste turc. Il était turc arménien et l’a toujours su. Il a consacré sa vie à ce que le débat sur les massacres de 1915 s’ouvre en Turquie et que la Turquie et l’Arménie puissent se rapprocher. Le nationaliste turc qui voulait faire taire cette voix a échoué : 100 000 personnes, arméniens mais aussi turcs et kurdes ont assisté à ses funérailles en scandant « Nous sommes tous des Hrant Dink, nous sommes tous arméniens ». Cet assassinat a déclenché, dans la société civile turque, une vraie prise de conscience.

Le second destin est une femme : Fethiye Çetin, avocate. Elle fut l’avocate de Hrant Dink dans les procès que l’Etat turc a engagés contre lui. Elle ne se savait pas arménienne, elle a appris tard qu’elle faisait partie des « restes de l’épée », petite-fille d’une rescapée du génocide arménien.

Le troisième destin est celui d’un turc de haut lignage, journaliste et écrivain. Il devint l’ami de Hrant Dink. Il s’appelle Hasan Cemal.

Le mouvement jeunes turcs qui gouvernait l’empire ottoman en 1915 et a décidé du génocide, était dirigé par un triumvirat appelé les « Trois pachas ». :  Talaat Pacha, Enver Pacha et Cemal Pacha.

Hasan Cemal est le petit fils du dernier. Dans le documentaire il raconte son long cheminement qui l’a amené à aller s’incliner devant le monument au génocide arménien d’Erevan et à reconnaître la réalité. Il dit que peu importe le nom qu’on donne à ces évènements mais ils étaient ignobles.

Il est bien sûr attaqué par les nationalistes turcs désormais, mais il poursuit sa route et dit

« Après avoir compris tout cela comment pourrais-je dire que mon grand-père était un homme bien, le pourriez-vous ? »

La fin du documentaire montre Fethiye Çetin arrivant à fédérer des turcs des kurdes et des arméniens pour restaurer un lieu historique : les fontaines du village où vivait sa grand-mère avant le génocide.

<Vous trouverez ici ce très beau documentaire de France 24>

« Les restes de l’épée » est aussi un livre publié en 2012 et écrit par Laurence Ritter et Max Sivaslian.

Le chemin de la reconnaissance des évènements par les turcs sera encore long, mais il est largement entamé notamment par la société civile.

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Vendredi 24 avril 2015

« For those who aren’t aware, there was a genocide that did take place against the Armenian people. »
« Pour ceux qui ne sont pas au courant, il y a eu un Génocide qui s’est déroulé contre le peuple arménien. »
Sénateur Barack Obama en 2007

Les arméniens du Monde commémorent le génocide de leur peuple ce 24 avril, car le 24 avril 1915 le ministre de l’intérieur Talaat Pacha du gouvernement Jeunes-Turcs donne l’ordre de l’arrestation des intellectuels arméniens. L’opération débute à 20 heures à Constantinople. Dans la nuit du 24 au 25 avril 1915, 235 à 270 intellectuels arméniens sont alors arrêtés, en particulier des ecclésiastiques, des médecins, des éditeurs, des journalistes, des avocats, des enseignants, des artistes et des hommes politiques dont des députés au parlement ottoman.

Le mot du jour est un propos qu’a tenu le Sénateur Barack Obama en 2007, le Sénateur pas le Président. Car bien qu’il s’y soit engagé lors de sa campagne présidentielle, Barack Obama n’a pas fait reconnaître le génocide par les Etats Unis. Il est allé en visite officielle en Turquie, sans dire un mot de ce sujet.

Lors d’un rendez-vous hebdomadaire du « Breakfast briefing » organisé par les Sénateurs de l’Illinois, l’Armenian National Committee of America (Comité de Défense de la Cause Arménienne aux Etats-Unis) est intervenu pour interroger le Sénateur Barack Obama, sur la question du Génocide Arménien. Une intervenante a demandé s’il allait s’engager à défendre la résolution reconnaissant le Génocide Arménien (S. Res. 106). A cette question le Sénateur Obama a répondu :

« Pour ceux qui ne sont pas au courant, il y a eu un Génocide qui s’est déroulé contre le peuple arménien. C’est l’une de ces situations où l’on a vu un déni constant d’une part du gouvernement turc ainsi que d’autres, c’est ce qui a eu lieu. C’est devenu un sujet diplomatique douloureux… ».

La vidéo est là : <Obama parle du génocide arménien>

Mais les Etats-Unis ne veulent pas fâcher la Turquie et restent donc très prudent.

Nous restons dans le déni, le négationnisme du génocide par la Turquie.

Mais pourquoi ?

Ces massacres ont été perpétrés par le gouvernement jeune-turc qui a été renversé par Mustapha Kemal. La Turquie Kémaliste pourrait donc reconnaître ce crime commis par d’autres. Les allemands parlent du crime des nazis et non du crime des allemands. Les turcs pourraient tenter cette même dissociation entre les jeunes turcs et la Turquie d’aujourd’hui.

Remarquons qu’en ce moment ce n’est plus le parti créé par Atatürk qui est au pouvoir mais le parti religieux d’Erdogan qui a pris le pouvoir contre le parti des Kemalistes.

Mais rien n’y fait, sur ce plan il y a continuité, la Turquie continue à nier, parlant de massacre, d’initiatives individuelles. L’objectif dans cette thèse n’était pas l’élimination du peuple arménien, mais simplement son éloignement des zones de combat qui se trouvaient en territoire arménien, parce que des arméniens auraient trahi l’empire Ottoman et se seraient alliés aux Russes. La déportation était donc un acte de sécurité nationale.

Cette thèse est balayée par des ordres qui ont été écrits par des membres du gouvernement, démentie par des témoignages notamment d’allemands alliés des ottomans rapportant des propos de leurs interlocuteurs. En outre, la trahison des arméniens en 1915 est aussi un mensonge

Les jeunes turcs comme plus tard les kémalistes étaient des nationalistes turcs. Ils voulaient d’abord à l’intérieur de l’empire ottoman puis, après son effondrement dans l’Etat turc, créer une nation turque pure et nettoyée des peuples chrétiens de l’empire qui ne rentraient pas dans ce projet. Car si on parle du génocide arménien, il y eut d’autres massacres de chrétiens à cette période à l’intérieur de l’empire ottoman, notamment les chrétiens syriaques. L’empire ottoman comptait 20% de chrétiens, aujourd’hui selon wikipedia il y a 0,4 % de chrétiens dans l’Etat turc.

Les kurdes n’étaient pas non plus turcs, mais ils étaient musulmans et ont beaucoup participé aux massacres des arméniens. Par la suite Atatürk a voulu en faire des turcs cela n’a pas fonctionné. Aujourd’hui encore les kurdes de Turquie sont en lutte contre l’Etat.

Un Etat nation turc, voilà ce qu’Atatürk et les jeunes turcs partageaient.

Le traité de Sèvres du 10 août 1920 qui met fin à l’empire Ottoman, évoque les massacres arméniens et des réparations.

Mais si l’empire Ottoman a perdu la guerre, la Turquie de Mustapha Kemal va la gagner contre les grecs et les alliés fatigués laisseront faire. Atatürk ne reconnaîtra jamais le traité de Sèvres et obtiendra le Traité de Lausanne en 1923, beaucoup plus avantageux. Dans ce traité il n’est plus question des arméniens et de leur massacre.

Quand des arméniens survivants voudront revenir en Anatolie où ils vivaient depuis des siècles, la Turquie Kémaliste refusera de leur délivrer un passeport turc : ils ne font pas partie de la nation turque et l’Etat nation choisit qui sont ses ressortissants.

Si Atatürk n’a pas été à l’origine du génocide, celui-ci a bien aidé ses objectifs nationalistes. Reconnaître le génocide serait aussi mettre en cause la structure même de l’Etat nation turc, sans parler des réparations que cela pourrait entrainer et l’abandon d’une fiction car il y avait d’autres peuples en Anatolie que le peuple turc.

Je suis beaucoup plus savant sur ce sujet depuis que j’ai écouté les 4 émissions de la Fabrique de l’Histoire de France Culture consacré à ce fait historique

Il y a aussi ce site remarquable consacré entièrement à ce sujet : http://www.imprescriptible.fr/

Hier soir, jeudi 23 avril, l’Allemagne alliée de l’empire Ottoman, par la voix de son président Joachim Gauck, a reconnu  pour la première fois le «génocide» arménien, soulignant la «coresponsabilité» allemande dans ce crime. Il ne reste plus qu’au principal responsable de faire la même chose.

Devant cette horreur, cette fracture de notre humanité, il reste une bonne nouvelle : le génocide a échoué : le peuple arménien, la culture arménienne ont survécu et ont essaimé dans le monde.

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Mercredi 8 avril 2015

Mercredi 8 avril 2015
«Ils sont tombés pour entrer dans la nuit éternelle des temps, au bout de leur courage
La mort les a frappés sans demander leur âge puisqu’ils étaient fautifs d’être enfants d’Arménie.»
Charles Aznavour

Il y a 100 ans commençait un des évènements du XXème siècle qui ont montré que la civilisation n’était qu’un vernis qui pouvait sauter  en quelques instants pour dévoiler les abimes monstrueux que notre humanité cachait.

Les arméniens commémorent le génocide arménien le 24 avril. Parce que le 24 avril 2015 correspond à l’arrestation de 300 intellectuels et notables arméniens à Constantinople et a été suivi par tout le mécanisme génocidaire.

Mais le 8 avril 1915, il y a 100 ans, jour pour jour, à Zeitoun, ville de Cilicie au Nord l’Alep, les exactions commençaient : <Massacres à Zeïtoun>

Quelques semaines auparavant les russes venaient de battre les troupes turques.Le gouvernement « jeune turc » a alors accusé les arméniens chrétiens d’avoir trahi l’empire ottoman. D’autres raisons plus obscures existaient aussi.Le génocide fut d’abord une déportation des arméniens vers des régions hostiles.

Mais ces déportations qui déjà, en eux-mêmes, entrainaient ce peuple désarmé vers la mort, se sont accompagnés d’horreurs sans nom.

Comme dans tout génocide, les acteurs de ce crime ont d’abord regardé le peuple victime comme des sous hommes à qui on pouvait tout infliger.Les turcs ont beaucoup délégué d’atrocités à des supplétifs issus d’un autre peuple de l’empire : les Kurdes.

Si vous ne savez pas, regardez ce <Film documentaire d’Eric Friedler : Aghet le génocide arménien>

«Aghet» est un mot arménien qui signifie catastrophe.Mais pour mettre des mots sur cette faille de l’humanité, il faut comme souvent en appeler au poète et à l’artiste.Ici Charles Aznavour, enfant de ce peuple :

Ils sont tombés…

«Ils sont tombés, sans trop savoir pourquoi
Hommes, femmes, et enfants qui ne voulaient que vivre
Avec des gestes lourds comme des hommes ivres
Mutilés, massacrés, les yeux ouverts d’effroi.

Ils sont tombés en invoquant leur Dieu
Au seuil de leur église ou au pas de leur porte
En troupeau de désert, titubant, en cohorte
Terrassés par la soif, la faim, le fer, le feu.

Nul n’éleva la voix dans un monde euphorique
Tandis que croupissait un peuple dans son sang
L’Europe découvrait le jazz et sa musique
Les plaintes des trompettes couvraient les cris d’enfants.

Ils sont tombés pudiquement, sans bruit,
Par milliers, par millions, sans que le monde bouge,
Devenant un instant, minuscules fleurs rouges
Recouverts par un vent de sable et puis d’oubli.

Ils sont tombés, les yeux pleins de soleil,
Comme un oiseau qu’en vol une balle fracasse
Pour mourir n’importe où et sans laisser de traces,
Ignorés, oubliés dans leur dernier sommeil.

Ils sont tombés en croyant, ingénus,
Que leurs enfants pourraient continuer leur enfance,
Qu’un jour ils fouleraient des terres d’espérance
Dans des pays ouverts d’hommes aux mains tendues.

Moi je suis de ce peuple qui dort sans sépulture
Qui choisit de mourir sans abdiquer sa foi,
Qui n’a jamais baissé la tête sous l’injure,
Qui survit malgré tout et qui ne se plaint pas.

Ils sont tombés pour entrer dans la nuit
Eternelle des temps, au bout de leur courage
La mort les a frappés sans demander leur âge
Puisqu’ils étaient fautifs d’être enfants d’Arménie.»

<Ici Aznavour dans une de ses interprétations de sa chanson>

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