L’éditeur Stock a eu l’idée d’une collection « Ma nuit au musée » dans laquelle des écrivains s’enferment dans un musée pendant une nuit et tentent de trouver l’inspiration d’un livre.
Kamel Daoud, Leila Slimani, Enki Bilal parmi d’autres se sont soumis à cette expérience qui peut être un peu déstabilisante. Surtout quand ce musée est le musée d’Anne Frank à Amsterdam.
Lola Lafon a fait ce choix quand Stock lui a proposé d’entrer dans cette collection. Elle a dit qu’elle ne pouvait pas imaginer un autre musée que celui-ci.
Elle en a tiré un livre « Quand tu écouteras cette chanson »
Elle avait été invitée par Olivier Gesbert dans son émission du 8 septembre 2022 : <Lola Lafon et le journal d’Anne Frank >
Émission qu’on peut aussi voir <en vidéo>
Et cet échange, que j’ai entendu, m’a donné envie de lire ce livre.
Ce que j’ai fait lors de notre semaine de repos en Bourgogne.
Et j’ai aimé ce livre, parce que Lola Lafon trouve le ton juste et les mots qui captent notre attention pour parler de cette histoire terrible, bouleversante et y mettre une part d’elle-même.
Le journal d’Anne Frank, tout le monde croit le connaître, le livre de Lola Lafon nous montre que probablement nous sommes passés à côté de l’essentiel.
C’est l’œuvre d’une jeune fille de 14 ans « Sidérante de maturité » dit Lola Lafon dans l’entretien qu’elle a réalisé avec la Librairie Mollat (21:16)
La famille d’Otto Frank et de son épouse Edith était une famille aisée allemande vivant à Francfort. Mais en 1933, après l’arrivée des nazis au pouvoir et les premières persécutions, la famille Frank quitte Francfort pour Amsterdam.
Il y a deux filles dans cette famille : Margot née en 1926 et Anne née en 1929.
Otto Frank crée une entreprise Opekta, vendant du gélifiant pour confiture, à Amsterdam.
Les sœurs deviennent de vrai néerlandaises et vont à l’école Montesori à Amsterdam. Le journal est écrit en néerlandais.
Mais la guerre les rattrape et Amsterdam est occupée par les Allemands à partir de mai 1940.
Otto Frank se déleste de son entreprise au profit de ses salariés qui lui sont fidèles pour ne pas être exproprié par les nazis.
Et c’est avec la complicité de ces salariés que la famille Frank va se cacher à partir de juillet 1942 dans un appartement secret aménagé dans l’« Annexe » de l’entreprise Opekta dont l’entrée est dissimulée par une bibliothèque.
C’est là que la famille et quatre amis juifs vécurent vingt-cinq mois confinés dans moins de 40 m², sans vue vers l’extérieur, simplement une fenêtre du grenier leur permettant de voir le ciel.
Le 4 août 1944, les nazis arrivent à l’usine et sans hésiter déplacent la bibliothèque et entrent dans l’annexe arrêter tout le monde.
Ils ont été trahis et on ne sait toujours pas par qui.
Ils seront déportés le 3 septembre 1944 vers le centre d’extermination d’Auschwitz-Birkenau puis les filles seront transférées au camp de Bergen-Belsen. Les conditions d’hygiène étant catastrophiques, une épidémie de typhus y éclata durant l’hiver 1944-1945, coûtant la vie à des milliers de prisonniers. D’abord Margot puis Anne mourront de cette maladie. La date de leur mort se situe entre fin février et début mars. Les corps des deux jeunes filles se trouvent sans doute dans la fosse commune de Bergen Belsen. Le camp est libéré, peu de semaines après, par des troupes britanniques le 15 avril 1945 et Amsterdam est libérée le 5 mai 1945. La mère est morte à Auschwitz, le 6 janvier 1945. Seul le père Otto Frank reviendra.
Des huit personnes qui se cachèrent dans l’Annexe, il est le seul qui a survécu à l’arrestation et au génocide. Otto Frank consacrera le restant de sa vie au journal de sa fille, et à la lutte contre la discrimination et les préjugés. Il participera activement à l’ouverture de l’annexe en tant que musée en 1960. En 1963, Otto Frank crée le Fonds Anne Frank de Bâle, une association qui détient les droits d’auteur sur les écrits d’Anne Frank y administre l’héritage de la famille Frank. Les revenus sont consacrés à des œuvres caritatives dans le monde entier, par exemple la lutte contre les discriminations et l’injustice, les droits des femmes et des enfants. Il décédera en 1980 à 91 ans.
Lola Lafon a perdu aussi une grande partie de sa famille dans la Shoah victime du génocide.
Sa mère est roumaine et son père est français. Elle grandit en Bulgarie puis en Roumanie jusqu’à ses 12 ans.
Sa grand-mère lui a donné très jeune une médaille représentant Anne Frank avec ces seuls mots :
« N’oublie jamais »
Longtemps, elle a voulu ignorer cette partie de son histoire :
« Je suis celle qui, depuis l’adolescence, détourne les yeux. Je ne voulais pas entendre, pas savoir. (…) Ce que je souhaitais, c’était faire partie d’une famille normale. »
Mais elle était arrivé à ce moment de sa vie où le moment de renouer le lien était venu.
Et c’est ainsi que :
« Le 18 août 2021, j’ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l’Annexe.
Je suis venue en éprouver l’espace car on ne peut éprouver le temps. On ne peut pas se représenter la lourdeur des heures, l’épaisseur des semaines. Comment imaginer vingt-cinq mois de vie cachés à huit dans ces pièces exiguës ?
Alors, toute la nuit, j’irai d’une pièce à l’autre.
J’irai de la chambre de ses parents à la salle de bains, du grenier à la petite salle commune, je compterai les pas dont Anne Frank disposait, si peu de pas. »
Quand tu écouteras cette chanson, Page 11
Elle y restera dix heures
La première chose qu’elle voit dans l’annexe est un cadre. Elle croit qu’il est vide, l’appartement est plongé dans une pénombre. Elle s’approche. Elle voit un morceau de papier peint. Elle s’approche encore et elle aperçoit des petits traits au crayon à papier : Otto Frank traçait au mur l’évolution de la taille de ses filles, Margot et Anne. Lola Lafon parle de preuve de vie. Elles vivaient, elles grandissaient dans cette annexe.
Avant d’aller passer sa nuit au musée, des collaboratrices du musée lui avait fait visiter l’appartement que la famille Frank a occupé avant d’aller se réfugier dans l’annexe.
Elle décrit cette visite :
« Nous déambulons de pièce en pièce, comme de futures acquéreuses. »
Teresien qui montre l’appartement explique que l’appartement a été entièrement pillé en 1944 par les nazis et que l’équipe du musée a tenté à l’aide de photos de l’époque et de témoignages de connaissances de Frank qui avait fréquenté le lieu pendant que les Frank y avaient habité de remeubler et décorer à l’identique.
L’écrivaine écrit alors ce texte que je trouve très inspiré :
« Tout, ici se veut plus vrai que vrai tout est faux, sauf l’absence. Elle accable, c’est un bourdonnement obsédant, strident.
L’appartement des Frank est le décor d’un drame sans acteurs, c’est un musée sans visiteurs. […]
Tout dans la chambre d’Anne paraît en suspens, interrompu, le moindre objet semble attendre son retour. L’étroit lit aux draps soigneusement tirés. Les tiroirs entrouverts d’une commode. Le bois sombre d’un secrétaire sur lequel ont été disposés des feuillets vierges, des cahiers sur lesquels personne n’écrira. Anne Frank manque terriblement à sa chambre d’adolescente. »
Page 63
Dans l’annexe, elle aura beaucoup de mal à entrer dans la chambre d’Anne. On n’entre pas dans une chambre d’adolescente, dit-elle
Elle recule chaque fois devant la porte. Elle devra bientôt quitter le musée : « Il était 6 heures du matin »
Et à la fin des fins elle franchit le pas :
« Sans doute semblais-je sereine quand j’ai poussé la porte de la chambre d’Anne Franck »
Et dans cette chambre, un souvenir va resurgir dans sa mémoire.
Souvenir qui explique le titre du livre et qui concerne une rencontre, à Bucarest où elle vivait alors.
La rencontre d’un jeune garçon cambodgien de 15 ans.
Son père était fonctionnaire à l’ambassade du Cambodge en Roumanie. Mais les dirigeants du Cambodge, les sinistres Khmers Rouges, ont donné l’ordre au père de rentrer dans son pays avec sa famille.
Le jeune garçon qui était pensionnaire dans un lycée parisien a été obligé de rejoindre ses parents et il va passer quelques jours à Bucarest. Puis partira pour le Cambodge avec sa famille.
Il enverra une dernière lettre postée à Pékin avant d’être victime d’un autre génocide, sur un autre continent
A propos de ce livre « Le Monde » écrit : < Lola Lafon en tête-à-tête avec Anne Frank >
« Et lorsqu’il est question d’en faire un musée, en 1960, le père d’Anne et de Margot Frank exige que l’appartement demeure dans cet état. « Qu’on en soit témoin, du vide, sans pouvoir s’y soustraire ; qu’on s’y confronte, énonce Lola Lafon. Ainsi, en sortant, on ne pourra pas dire : dans l’Annexe, je n’ai rien vu. On dira : dans l’Annexe, il n’y a rien, et ce rien, je l’ai vu. […]
Regarder en face « ce qui jamais ne sera comblé » : Quand tu écouteras cette chanson est le récit troublant, saisissant, de cette redoutable confrontation. Dix heures passées seule par l’écrivaine, le 18 août 2021, dans les 40 mètres carrés de l’Annexe, le plus vide de tous les musées. Les règles fixées à l’entrée sont strictes : pas de photo, interdit de boire comme de manger, mais aussi de suspendre son sac à une poignée de porte. Comme un écho des contraintes imposées à la famille Frank. Vingt-cinq mois durant, les huit habitants dissimulés au cœur de la ville qui les traquait se sont astreints au silence. »
Lola Lafon fut aussi l’invité de la première Grande Librairie d’Augustin Trapenard : <Lola Lafon sur les traces d’Anne Frank>
Il me semble que cet entretien vidéo de 48 minutes proposé par la Librairie Mollat est encore plus intéressant : <Quand tu écouteras cette chanson>
<1719>
Merci Alain. Je viens de terminer ce livre qui m’a beaucoup touchée. Je trouve que ce que tu dis est très juste. Ces phrases d’Anne Franck de son journal qui ne sont pas mises en valeur et qui montrent pourtant son étonnante maturité notamment celle qui évoque le fait que ce ne sont pas que nos élus qui sont à l’origine des destructions et ravages en tous genres mais que nous (citoyens) y participons tous (Anne dit ça bq mieux que moi). Elle dit aussi que l’être humain passe son temps à détruire et à réparer. Extrêmement touchant aussi ce qui va se jouer pour cet ami connu si peu de temps qui va retourner au Cambodge et dont on n’imagine que trop bien ce qui l’attend. Je fais le lien avec une pièce vue récemment au théâtre des quartiers d’Ivry sur la révolution culturelle qui met en scène le livre « le gène du garde rouge » qui témoigne de la manière dont l’auteur (Ying Luo) un enfant encore jeune a traversé la révolution culturelle dans toutes ses dimensions : violences, stratégies permanentes, manipulations…. et combien cela les a tous construit au point d’intérioriser aujourd’hui encore de tels comportements….. L’auteur cherche à réparer à sa façon en devenant poète.
Nous nous retrouvons Michelle sur l’essentiel