Lundi 20 octobre 2025

« Ainsi parlait Donald Trump »
Un clin d’œil à un célèbre ouvrage de Friedrich Nietzsche

J’aime les mots. Je crois que nous sommes nombreux à aimer les mots, ceux qui ont du sens, qui permettent d’exprimer de la profondeur, un raisonnement ou la beauté poétique du monde.

Le langage élaboré, structuré est un des éléments essentiels qui distingue notre espèce « homo sapiens » des autres espèces. C’est le moyen que notre espèce a inventé pour communiquer, pour échanger, pour se comprendre.

Manifestation « No king » du 18 octobre 2025 à Los Angeles

Et puis, nous qui vivons aujourd’hui dans un monde d’une complexité qui s’épaissit chaque jour, un monde qui est confronté à des défis de plus en plus redoutable, nous voyons l’homme, que le pays le plus puissant de la planète, a mis à sa tête utiliser des mots simplistes, prononcer des discours effarants.

Un clone d’Ubu roi qui appauvrit la langue, exprime des banalités avec force superlatifs, ment ou dit simplement des choses qui n’existent pas dans la vie réelle.

Il est parfaitement ridicule. Mais personne n’ose lui dire, au contraire les autres chefs d’état ou d’organisation internationale le flatte et n’ont qu’une crainte : le contrarier.

C’est effrayant !

Je sais bien que ces actes et ses décisions en interne comme à l’international sont encore plus effrayants. Mais aujourd’hui, je m’arrêterai au langage utilisé par cet homme, car il faut oser lire ce qu’il dit.

A la Knesset une partie du public porte des casquettes rouges « Trump The Peace President »

Après avoir obtenu un cessez le feu, fragile, au moyen-orient, la libération des otages israéliens et de prisonniers palestiniens, il s’est rendu à Jérusalem pour faire un discours à la Knesset, le 13 octobre. Vous trouverez des larges extraits publiés par le site « Le Grand Continent » : « C’est la fin de la guerre ».

Il commence son discours pour prétendre que tout cela est inhabituel, incroyable et que finalement tout va s’arranger bientôt :

« C’est une victoire incroyable pour Israël et pour le monde entier que tous ces pays aient travaillé ensemble en tant que partenaires pour la paix. C’est assez inhabituel, mais c’est ce qui s’est passé dans ce cas précis. C’était un moment très inhabituel, un moment brillant. Dans plusieurs générations, on se souviendra de ce moment comme celui où tout a commencé à changer, et à changer pour le mieux, comme aux États-Unis actuellement. Ce sera l’âge d’or d’Israël et l’âge d’or du Moyen-Orient. Tout va fonctionner ensemble. »

Nous savons que rien n’est réglé et que si cette étape est indiscutablement une merveilleuse nouvelle pour ceux qui souffraient, c’est la plus simple dans un processus de paix qui doit permettre de faire coexister deux peuples qui pour la plus grande part se haïssent aujourd’hui.

Pour continuer, comme souvent il évoque Dieu mais pas le peuple palestinien :

« Les gens disaient autrefois que cela n’existerait pas. Ils ne le disent plus aujourd’hui, n’est-ce pas ? Pourtant, si la sécurité et la coexistence peuvent prospérer ici, dans les ruelles sinueuses et les chemins anciens de Jérusalem, alors la paix et le respect peuvent certainement s’épanouir parmi les nations du Moyen-Orient au sens large. Le Dieu qui habitait autrefois parmi son peuple dans cette ville nous appelle encore, selon les paroles de l’Écriture, à nous détourner du mal et à faire le bien, à rechercher la paix et à la poursuivre. Il murmure donc toujours la vérité dans les collines, les coteaux et les vallées de sa magnifique création. Et Il inscrit toujours l’espoir dans le cœur de ses enfants partout dans le monde. C’est pourquoi, même après 3 000 ans de souffrances et de conflits, le peuple d’Israël n’a jamais cessé d’être exposé à toutes sortes d’autres menaces. Vous voulez la promesse de Sion. Vous voulez la promesse du succès, de l’espoir et de l’amour. Et Dieu et le peuple américain n’ont jamais perdu la foi en la promesse d’un avenir grand et béni pour nous tous. »

Ensuite arrive un moment de révélation de sa part sur l’activité d’une milliardaire américaine ouvertement membre du lobby pro-Netanyahou. Il remercie Miriam Adelson, veuve du milliardaire Sheldon Adelson, à la tête d’une des plus grandes fortunes américaines, elle avait significativement contribué à la campagne de Trump en 2024, avec un don de 106 millions de dollars. Le travail de lobbying existe, mais jamais un président ne l’a ouvertement reconnu comme Trump :

« Miriam et Sheldon venaient au bureau. Ils m’appelaient. Je pense qu’ils se sont rendus à la Maison-Blanche plus souvent que n’importe qui d’autre à ma connaissance. Regardez-la, assise là, l’air si innocent. Elle a 60 milliards à la banque. 60 milliards. Et elle aime Israël, mais elle l’aime vraiment. Ils venaient, et son mari était un homme très agressif, mais je l’aimais. Il était très agressif — mais il me soutenait beaucoup. Et il m’appelait pour me demander s’il pouvait venir me voir. Je lui disais : « Sheldon, je suis le président des États-Unis. Ça ne marche pas comme ça. » Il venait quand même. Ils ont joué un rôle très important dans beaucoup de choses, notamment en me faisant réfléchir au plateau du Golan, qui est probablement l’une des meilleures choses qui soient jamais arrivées. Je lui ai demandé un jour si elle préférait Israël et les États-Unis. Elle n’a pas répondu — ce qui signifie qu’elle préfère peut-être Israël.»

Que dire devant un président qui parle ainsi devant les caméras du monde entier ?

Lorsqu’il parle de la guerre contre l’Iran cela donne ces propos d’adolescent attardé :

« En frappant l’Iran, nous avons écarté un gros nuage du ciel du Moyen-Orient et d’Israël, et j’ai eu l’honneur d’y contribuer.
Ils ont pris un gros coup, n’est-ce pas ? N’est-ce pas qu’ils ont pris un gros coup ? Bon sang, ils l’ont pris d’un côté, puis de l’autre. Et vous savez, ce serait formidable si nous pouvions conclure un accord de paix avec eux. Et je pense que c’est peut-être possible. Seriez-vous satisfait de cela ? Ne serait-ce pas formidable ? Je pense que oui, car je pense qu’ils le veulent, je pense qu’ils sont fatigués. […]
Ce que nous avons fait en juin dernier, l’armée américaine a fait voler sept de ces magnifiques bombardiers B2. Ils sont soudainement devenus si beaux. Ils l’ont toujours été. Je trouvais simplement que c’étaient de jolis avions. Je ne savais pas qu’ils pouvaient faire ce qu’ils ont fait. En fait, nous venons d’en commander vingt-huit autres. »

C’est affligeant et effrayant à la fois !

Après la Knesset, le président américain s’est rendu en Egypte, à Charm-el-Cheik, le 14 octobre, où l’attendait quasi tous les chefs d’Etat ou de gouvernement des pays de la Région et des principaux pays occidentaux. Il s’est lancé dans un nouveau discours sans structure et consistance. Ce discours est traduit intégralement par le Grand Continent : « Trump en Egypte »

Il commence par prouver qu’il ignore ce que signifie le mot « paix » entre les nations :

« Ensemble, nous avons réalisé ce que tout le monde disait impossible. Nous avons enfin la paix au Moyen-Orient. C’est une expression très simple : la paix au Moyen-Orient. Nous l’entendons depuis de nombreuses années, mais personne ne pensait qu’elle pourrait un jour devenir réalité. Et maintenant, nous y sommes. »

Après il raconte un conte pour enfants :

« L’aide humanitaire afflue désormais, notamment des centaines de camions chargés de nourriture, de matériel médical et d’autres fournitures, […] Les otages retrouvent leurs proches. C’est magnifique ! Je regarde tout cela depuis les coulisses, l’amour et la tristesse qui s’expriment. Je n’ai jamais rien vu de tel. C’est incroyable, quand on voit qu’ils n’ont pas vu leur mère ou leur père depuis si longtemps et qu’ils ont vécu dans un tunnel, un très petit et très profond tunnel ; l’amour qui s’exprime est tout simplement incroyable. C’est magnifique à voir. D’un côté, c’est horrible que cela ait pu se produire, mais d’un autre, c’est tellement beau à voir. Un nouveau jour magnifique se lève. Et maintenant, la reconstruction commence. »

La photo « souvenir » du sommet de Charm-el-Cheik

Puis il va passer la plus grande partie de son discours à parler des différents présents de la manière suivante :

L’émir du Qatar

« C’est un homme extrêmement respecté. Son Altesse le cheikh Tamim est respecté par tous. Il est respecté par tous et de la manière la plus positive qui soit. Non seulement grâce à son pouvoir, mais aussi grâce à son cœur. Il a un cœur d’or, c’est un grand leader et son pays l’aime. Merci beaucoup d’être ici. C’est un honneur. »

Le Président turc Erdogan :

« Il est toujours là quand j’ai besoin de lui. C’est un homme très dur. Il est aussi dur qu’on peut l’être. Mais nous l’aimons. Et quand ils ont un problème avec vous, ils m’appellent toujours pour que je m’en occupe. Et généralement, j’y parviens. Nous avons tout simplement une bonne relation. Et ce, depuis le début. Je tiens donc à vous remercier chaleureusement et à saluer votre épouse, votre magnifique épouse. C’est formidable d’être avec vous.. »

Les présidents arméniens et d’Azerbaïdjan :

« Nous avons l’Arménie. Oh, et l’Azerbaïdjan. C’est une petite guerre que nous avons arrêtée. C’est une petite guerre. Les voilà. Regardez-les. Ils étaient aussi assis quand je les ai rencontrés, dans le Bureau ovale. Ils se sont battus pendant trente-et-un ans, ou un autre nombre délirant. Et il y en avait un assis de ce côté du Bureau ovale, un assis de l’autre côté, et quand nous avons terminé au bout d’une heure, ils s’étreignaient tous les deux. Et maintenant, ils sont amis et s’entendent très bien. Regardez ça. Je tiens donc à vous remercier tous les deux. C’est incroyable. Vraiment incroyable. »

Il va passer ainsi tout le monde en revue et il dira pour la première ministre italienne Giorgia Meloni, :

« En Italie, nous avons une femme, une jeune femme qui est… Je ne peux pas le dire, car généralement, si vous le dites, c’est la fin de votre carrière politique. C’est une belle jeune femme. Aux États-Unis, si vous utilisez le mot « belle » pour qualifier une femme, c’est la fin de votre carrière politique. Mais je vais tenter ma chance. Où est-elle ? La voilà. Ça ne vous dérange pas qu’on vous dise que vous êtes belle, n’est-ce pas ? Parce que vous l’êtes. Merci beaucoup d’être venue. Nous vous en sommes reconnaissants. Elle voulait être ici, elle est incroyable et elle est très respectée en Italie. C’est une politicienne qui a beaucoup de succès. »

Il présente ensuite l’avenir sous une vision radieuse « orientée vers une paix formidable, glorieuse et durable. ».

Il s’inscrit dans les millénaires et s’il est écrit dans les évangiles que le Christ permettait aux aveugles de voir, Trump lui parvient à réaliser que ceux qui ne s’entendaient pas s’entendent désormais.

« Et depuis 3 000 ans, il y a eu ici des conflits, pour une raison ou une autre ; d’énormes conflits, toujours et encore. Mais aujourd’hui, pour la première fois de mémoire d’homme, nous avons une chance unique de mettre derrière nous les vieilles querelles et les haines tenaces. Elles sont la raison pour laquelle tant de personnes dans cette salle ne s’entendaient pas. Certaines s’entendaient, d’autres non, mais toutes s’entendent maintenant. Cela a rapproché les gens. C’est la première fois que la crise au Moyen-Orient rapproche les gens au lieu de les diviser, pour leur faire déclarer que notre avenir ne sera pas régi par les luttes des générations passées, ce qui serait insensé. »

Je crois qu’il faut s’astreindre à lire les discours de Trump pour réaliser à quel point ils sont vides, d’une vacuité absolue.

Bien entendu que la Paix ne peut pas se trouver au bout d’un tel néant de la pensée.

Hakim El Karoui, auteur de « Israël Palestine, une idée de paix » explique dans un long article du Grand Continent : « La paix de Trump n’aura pas lieu ».

La principale raison étant qu’aucune perspective n’est offerte au peuple palestinien pour reconnaître sa dignité et son existence sur cette terre.

Mercredi, le 3 septembre 2025

« Comment le mouvement pour les droits des homosexuels s’est radicalisé et a perdu son sens »
Andrew Sullivan

Nous nous posons tous la question : comment la démocratie en est elle arrivée là ?

Partout dans le monde les démocraties reculent.

L’espoir qui a été suscité, dans les années 90, par la chute des régimes totalitaires communistes et soviétiques, aura été de courte durée. En 1992, on dénombrait, pour la première fois de l’histoire, plus de régimes démocratiques, que de régimes autoritaires.Dans les années 2000, l’humanité semblerait avoir atteint un plateau sur lequel les démocraties représentait environ 60% des Etats.

« Le Grand Continent » a évoqué l’indice démocratique global 2024 publié le 27 février 2025, par The Economist Intelligence Unit (EIU) qui estime qu’il n’y a plus que 71 pays sur 195 dans le monde, soit 38,5%, qui peuvent être considérés comme des démocraties. Rapporté à la population, cette évaluation amène l’institut d’analyse à estimer que 6,6 % de la population mondiale vit dans une démocratie.

Et, en allant plus loin dans son analyse par une distinction entre “vraie démocratie” et “démocratie défectueuse”, l’EIU estime que la vraie démocratie ne se trouve que dans 25 pays

Les Etats-Unis, comme la France étaient classés, en 2024, dans les démocraties défectueuses. Il est probable que depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, en janvier 2025, les Etats-Unis sont tombés encore plus bas dans ce que l’EIU désigne comme des régimes hybrides, entre démocratie et régime autoritaire.

Force est de constater que c’est un vote démocratique, au delà du vote par les grands électeurs, d’une majorité d’américains qui a élu Donald Trump. Les citoyens américains savaient comment agissait cet homme, puisqu’il avait déjà été président pendant 4 ans. Ils l’ont réélu.

« Errare humanum est, perseverare diabolicum » diront ceux qui pensent que le monde du bien s’oppose au monde du mal et que ceux qui se trouvent dans ce second camp sont soit des imbéciles soit des salauds. Je récuse ce simplisme.

Comment peut t’on comprendre qu’au delà d’un noyau d’évangélistes, de racistes et de masculinistes, une majorité de citoyens se soient finalement ralliés à cette candidature au détriment de celle des démocrates ?

Les explications sont multiples. Il y a manifestement une révolte de la classe moyenne contre les effets de la mondialisation qui leur a été défavorable. Il y a une perception d’une immigration massive, mal gérée, mal intégrée qui a permis à Trump de faire des promesses démagogiques qui ont plu. Il y a encore, ce que Marcel Gauchet appelle « Le sentiment d’impuissance des démocraties ».

Il semble, en effet, que la démocratie n’arrive plus à obtenir des résultats d’une part en raison de l’économie qui est mondialisée et sur laquelle elle n’a que peu de prise, d’autre part parce qu’elle a généré, en son sein, un culte de la liberté individuelle qui conduit l’ordre judiciaire à s’opposer à des décisions d’autorité et à empêcher le pouvoir politique à agir. Donald Trump a convaincu les américains qu’il était capable d’agir sur ces tableaux : un interventionnisme économique à travers les droits de douane et un refus de se plier aux décisions judiciaires notamment en demandant à la Cour Suprême qui lui est largement favorable, d’infirmer les décisions judiciaires qui lui sont défavorables.

Il n’y a pas une cause, il y a toutes celles que j’ai évoquées. Il y en a certainement que j’oublie.

Et puis il y en a une qui me semble aussi importante. Beaucoup parle d’« anti-wokisme », je préfère au mot woke celui de « progressisme ostentatoire », en référence au concept inventé par Thorstein Veblen « La consommation ostentatoire ».

J’ai eu la surprise de découvrir que c’est dans le « New York Times » qui était en pointe du combat d’un progressisme sans limite et sans interrogation qu’un journaliste écrivant régulièrement dans ce journal, Andrew Sullivan a publié une tribune le 26 juin 2025, montrant les excès et l’intolérance de ce mouvement porté par une minorité du Parti Démocrate et rejeté par une majorité de l’électorat populaire américain.

Pour se convaincre qu’il s’agit d’une rupture dans la politique éditoriale du New Tork Times, je vous renvoie vers cet article de l’hebdomadaire « Le Point » : « Bari Weiss : Pourquoi j’ai quitté le New York Times ». Article dans lequel cette journaliste évoque la délation, la censure, l’obsession de l’identité et la dérive sectaire de cette institution américaine en 2020.

Cette fois, le journal a accepté de publier cette tribune d’un journaliste gay présenté comme l’un des premiers défenseurs américains du mariage homosexuel. Cette tribune a pour titre « How the Gay Rights Movement Radicalized, and Lost Its Way », qu’on pourrait traduire par « Comment le mouvement pour les droits des homosexuels s’est radicalisé et a perdu son sens ». Vous trouverez cet article sur le site du New York Times, l’accès est payant. Mais vous pouvez trouver cette tribune sur d’autres sites dans sa « version anglaise » et une « traduction française »

Andrew Sullivan énumère d’abord les combats gagnés par les homosexuels et les lesbiennes lors d’une décennie incroyable

« Il y a dix ans, jeudi, le mouvement pour l’égalité des droits des personnes gays et lesbiennes a remporté une victoire qui, dix ans plus tôt, paraissait inimaginable : nous avons obtenu le droit au mariage civil dans tous les États-Unis.
En 2020, une autre victoire retentissante a suivi. Dans une décision majoritaire rédigée par l’un des candidats nommés par le président Trump, le juge Neil Gorsuch, la Cour suprême a estimé que les hommes gays, les lesbiennes et les personnes transgenres étaient couverts par le Titre VII du Civil Rights Act de 1964 et protégés contre la discrimination par les employeurs.
En 2024, le Parti républicain a retiré de son programme son opposition au mariage pour tous, et l’actuel secrétaire au Trésor républicain, Scott Bessent, est un homme gay marié avec deux enfants. Le mariage homosexuel est soutenu par environ 70 % des Américains, et 80 % s’opposent aux discriminations visant les gays, les lesbiennes et les personnes transgenres.
En matière de droits civiques, il est difficile de faire plus décisif ou complet que cela. »

Et puis…
En français courant il existe une expression appropriée : c’est parti en quenouille.

« Mais une chose étrange s’est produite après ces triomphes. Au lieu de célébrer la victoire, de défendre ces acquis, de rester vigilants tout en alentissant le rythme en tant que mouvement ayant atteint ses objectifs principaux — y compris la fin du VIH en tant que fléau incontrôlable aux États-Unis —, les groupes de défense des droits des personnes gays et lesbiennes ont fait le contraire. Influencés par le virage plus large de la gauche « justice sociale », ils se sont radicalisés. »

Et il donne un premier exemple de ces excès :

« En 2023, la Human Rights Campaign, le plus grand groupe de défense des droits des gays, lesbiennes et transgenres du pays, a déclaré un « état d’urgence » pour ces communautés — une première dans l’histoire de l’organisation. Elle n’avait pas déclaré d’état d’urgence lorsque des hommes gays étaient emprisonnés pour avoir eu des relations sexuelles en privé, ni lorsque l’épidémie de sida a tué des centaines de milliers d’hommes gays, ni lorsque nous avons été confrontés à un projet d’amendement constitutionnel interdisant le mariage homosexuel en 2004.
En réalité, cet « état d’urgence » était presque entièrement lié à de nouveaux projets de loi étatiques visant à restreindre les traitements médicaux pour les mineurs souffrant de dysphorie de genre, aux interdictions d’accès aux toilettes et vestiaires, ainsi qu’à l’intégration des questions transgenres dans les programmes scolaires et le sport »

Cette tribune est assez longue (près de 5000 mots), et je vous invite à la lire car elle me semble révélatrice d’un mouvement en train de dérailler au détriment de celles et de ceux qu’il s’agissait de défendre.

Les droits civiques des homosexuels et des lesbiennes ayant été acquis, une autre révolution était en route celle du genre dont le projet prétend vouloir supprimer toutes les limites perçues comme oppressives.

La binarité sexuelle associée à la « suprématie blanche » est remplacée par un spectre large de sexes, ce qui revient à supprimer la différence entre hommes et femmes. Il constate que les mots « gay » et « lesbienne » ont quasiment disparu. LGBT est devenu LGBTQ, puis LGBTQ +, et d’autres lettres et caractères ont été ajoutés. Il fait le constat que ces groupes ont renié leur engagement et ont imposé à toute la société un changement radical à coups de slogans comme le fait que le sexe était assigné à la naissance et non constaté.

Autre mantra selon lui : « Les femmes trans sont des femmes, les hommes trans sont des hommes. » Ce n’est pas une proposition, c’est « un commandement théologique », dit-il.

Dès le plus jeune âge, on peut apprendre à des enfants qu’être fille ou garçon relevait d’un choix et qu’on pouvait en changer. Une transition sociale (changement de prénom et de pronom) est possible sans l’autorisation parentale (aux États-Unis).

Le plus grave dans ce mouvement est que toute contradiction, toute critique est interdite. Ceux qui osent s’exprimer sont réduits au silence, disqualifiés publiquement. L’intolérance fait loi, l’autocensure devient la norme.

Dans un podcast publié le 6 août 2025, Hubert Vedrine disait précisément :

« C’était évident depuis longtemps, que l’électorat populaire américain n’accepterait jamais le wokisme. Jamais ! […] On ne va pas débattre du wokisme, parce qu’il peut y avoir de bonnes intentions, mais l’électorat américain le rejetait fondamentalement. »

Comme je l’ai écrit, Hubert Vedrine se garde de prétendre qu’il s’agit de l’unique raison de l’élection à deux reprises de Donald Trump. Dans ce même podcast, il avait cité préalablement d’autres causes :

« Il y a des signes avant-coureurs dans l’électorat populaire américain depuis très longtemps que d’abord la mondialisation à outrance décidé notamment par les élites démocrates, mais pas que. L’idée qu’on a tellement, nous les Américains, gagné après la fin de l’URSS qu’on peut mettre la Chine dans l’OMC même si elle ne remplit pas les critères parce que ça va les rendre plus riche et donc démocratique voyez ce degré d’d’illusion et de toute façon on est les maîtres du jeu. Donc ça c’est l’Amérique depuis assez longtemps. Alors il y a beaucoup du coup on va faire fabriquer une en Chine parce que c’est 50 fois moins cher. Donc ils ont détruit la classe moyenne américaine, ils ont créé l’électorat de Trump. »

Aujourd’hui, le gouvernement de Trump va dans l’excès inverse et en voulant lutter contre le wokisme impose d’autres interdits et fait preuve d’une même intolérance : « Comment la droite américaine a tué le wokisme, pour mieux imposer le sien ».

Alors si des esprits taquins souhaitent me poser la question : entre le progressisme ostentatoire et la réaction obscurantiste trumpiste que préfères-tu ? Je répondrai par cette pensée de la sagesse juive :

« Si on te demande de choisir entre deux solutions, prends toujours la troisième ! »

Mercredi 6 août 2025

« La véritable histoire de Hiroshima »
Documentaire d’ARTE

Il y a 80 ans, le 6 août 1945, à 8h15, le B29 que son pilote Paul Tibbets avait appelé « Enola Gay » a largué la première bombe atomique, une bombe de 4,5 tonnes surnommée « Little Boy » sur la ville de Hiroshima.

Des lanternes flottantes marquent l’anniversaire du bombardement d’Hiroshima. Chaque lanterne représente une vie perdue.

Il y a 10 ans, j’avais déjà écrit un mot du jour sur ce sujet « Mon Dieu, qu’avons-nous fait ? ». Ce fut le cri que poussa Robert Lewis, le co-pilote du B29 après avoir vu la puissance destructrice de la bombe. Le pilote principal Paul Tibbets, ne ressentit rien de semblable, il n’a jamais exprimé de regrets pour les victimes d’Hiroshima. De manière factuelle Tibbets est mort à 92 ans , son co-pilote Robert Lewis est mort à 65 ans. Peut être que les regrets sont nuisibles à la santé.

ARTE a mis en ligne un documentaire que j’ai vu avec un grand intérêt et que je partage : « Hiroshima la véritable histoire ».

Ce documentaire est d’abord très clair sur le sujet suivant : l’utilisation de la bombe atomique d’abord sur Hiroshima puis sur Nagasaki 3 jours plus tard n’était pas nécessaire pour faire capituler le Japon. Le Japon via l’URSS et une autre source plus directe avec les Etats-Unis avait déjà proposé une reddition mais avec une seule exigence maintenir Hiro Hito sur le trône impériale du Japon. Condition qui sera appliquée après les bombes et la capitulation.

En outre, le Japon n’avait plus de marine, presque plus d’aviation et n’avait plus les moyens de nourrir la population, il ne pouvait que se rendre. La propagande américaine qui justifiait l’utilisation de la bombe parce que la seule alternative aurait été d’envahir le Japon et que cela aurait couté la vie à 1 millions de soldats américains était un mensonge absolu.

Les scientifiques de Los Alamo avait fait une proposition alternative au Président Truman : Rendre publique l’existence de la bombe atomique et montrer sa puissance dévastatrice dans un essai public pour convaincre les japonais que toute résistance était inutile. Mais cette proposition n’a jamais été transmis par le général Groves, directeur militaire du projet Manhattan. Car ce n’est pas Oppenheimer, le directeur scientifique qui dirigeait mais bien le responsable militaire.

La raison réelle de l’utilisation de la bombe atomique est que les militaires voulaient vérifier, en utilisation réelle, l’impact de la bombe atomique.

Une fois la bombe larguée, les américains ont voulu camoufler les conséquences terribles de tout ce que la bombe a entraîné après son explosion sur les corps et sur la santé des survivants. Le général Mac Arthur, à peine nommé à la tête de l’administration japonaise, adresse une directive aux médecins de Hiroshima, déclarant que toute cette affaire relevait du secret militaire américain, par conséquent personne ne devait effectuer de recherche ni écrire quoi que ce soit sur le sujet. Les troupes d’occupation américaine interdirent toute présence de journalistes non accompagnés de militaires sur le territoire d’Hiroshima.

Mais un journaliste australien Wilfred Burchett parvint à se rendre à Hiroshima après le largage de la bombe atomique, arrivant seul par train de Tokyo le 2 septembre, jour de la reddition officielle à bord de l’USS Missouri.

Il a envoyé au journal « Daily Express » de Londres un article publié le 5 septembre 1945, sous le titre « The Atomic Plague » « la peste atomique », il s’agissait du premier reportage public dans les médias occidentaux à mentionner les effets des radiations et des retombées nucléaires.

Il écrivit notamment :

« À Hiroshima, 30 jours après que la première bombe atomique a détruit la ville et ébranlé le monde, des gens meurent encore, mystérieusement et horriblement. Des personnes qui n’ont pas été blessées par le cataclysme meurent d’une maladie inconnue, quelque chose que je ne peux décrire que comme une peste atomique. Hiroshima ne ressemble pas à une ville bombardée. Elle a l’air d’avoir été écrasée par un rouleau compresseur monstrueux […]

Sur ce premier terrain d’essai de la bombe atomique, j’ai vu la désolation la plus terrible et la plus effrayante en quatre ans de guerre. Une île du Pacifique dévastée ressemble à un Eden. Les dégâts sont bien plus importants que ne le montrent les photographies. […]

Dans les hôpitaux, j’ai trouvé des personnes qui, lorsque la bombe est tombée, n’ont souffert d’aucune blessure, mais qui meurent maintenant des étranges séquelles. Sans raison apparente, leur santé a commencé à se dégrader. Elles ont perdu l’appétit. Leurs cheveux sont tombés. Des taches bleutées sont apparues sur leur corps. Et les saignements ont commencé à couler des oreilles, du nez et de la bouche. […]

Si vous pouviez voir ce qui reste d’Hiroshima, vous penseriez que Londres n’a pas été touchée par les bombes… »

Finalement, le général Groves est sommé de se justifier devant le Congrès, il minimise le nombre de morts en raison de ces symptômes et ajoute cette remarque « écœurante »

« Les médecins disent que c’est une façon très agréable de mourir »

Le général Groves n’ignorait pas les effets de la bombe atomique après son premier souffle, 80 000 morts dans la première minute de l’explosion. Et l’armée américaine va installer de grands bâtiments sur les collines de Hiroshima qui ne sera pas un hôpital pour soigner, mais une unité de recherche pour répertorier tous les effets de la bombe atomique. Les victimes ne seront pas traités comme des malades mais comme des cobayes.

Les japonais irradiés seront affublés d’un nom par leur compatriote «Les hibakusha » signifiant « personne affectée par la bombe ». Les japonais se détourneront d’eux craignant qu’ils soient contagieux puis refusant de les marier à leurs filles ou leurs fils car ils ne pourront qu’engendrer des enfants malades comme eux. Leur destinée fut terrible.

Certains auteurs racontèrent de manière empathique et vraie ce que fut le drame des hibakusha.

Le documentaire cite le journaliste John Richard Hersey qui se rend en août 1946 à Hiroshima et interviewa six survivants du chaos. Son texte sera publié en intégralité dans le New Yorker.

L’article connaît un immense retentissement au sein de la population américaine qui prend conscience de l’horreur vécue par l’ennemi japonais.

Son récit retrace les instants qui précédèrent et suivirent l’explosion de la bombe H, évoquant sa dimension politique et philosophique à travers six expériences entrecroisées. Cet article devint un livre « Hiroshima »

Je crois qu’il est utile de regarder ce documentaire qui montre la seule utilisation, jusqu’à présent, de la bombe atomique. Ce fut l’œuvre d’un pays occidental, les États-Unis d’Amérique qui n’en avaient pas besoin pour arriver à leurs objectifs et qui ont dans un premier temps menti sur les conséquences de son utilisation.

Lien vers le documentaire d’ARTE : « Hiroshima la véritable histoire ».

Lundi 23 juin 2025

« Je tiens à remercier tout le monde, et en particulier Dieu. »
Donald Trump

Donald Trump a tenu un discours de 4 minutes pour se féliciter de la réussite des frappes américaines sur les installations nucléaires iraniennes qui se sont déroulées dans la nuit de samedi à dimanche.

Comme d’habitude, dans un langage d’une pauvreté lexicale consternante, il abuse de superlatifs superfétatoires :

« Aucune armée au monde n’aurait pu faire ce que nous avons fait ce soir. Loin s’en faut. Jamais une armée n’a été capable de réaliser ce qui vient de se passer il y a quelques instants. »

L’armée dont il parle a déversé, sur les cibles, les plus grosses bombes non nucléaires créées par l’espèce humaine (des ogives de 13 tonnes) et puis les bombardiers furtifs B-2 Spirit ont parcouru une distance exceptionnellement grande pour atteindre l’Iran à partir de leur base du Missouri. C’est un triomphe de la technologie !

Concernant la stratégie militaire, dans un ciel iranien sans capacité anti-aérienne, l’Histoire militaire comporte des épisodes qui méritent nettement plus de superlatifs que cette opération.

C’est surtout une question d’argent, chaque B-2 coûte plus de 2 milliards de dollars ! Pour la fameuse bombe de 13 tonnes, le coût de développement de la GBU-57 MOP se situe entre 400 et 500 millions de dollars américains et son prix de production unitaire est d’environ 3,5 millions de dollars américains. La folie meurtrière des hommes n’a pas limite en terme de prix.

Mais ce que je voudrais surtout relever ce sont les dernières mots de ce discours de Trump :

« Je tiens à remercier tout le monde, et en particulier Dieu. Je veux simplement dire que nous t’aimons, Dieu, et que nous aimons notre grande armée. Protège-les. Que Dieu bénisse le Moyen-Orient. Que Dieu bénisse Israël et que Dieu bénisse l’Amérique. Merci beaucoup. Merci. »

Que vient faire Dieu là-dedans ? La technologie, l’argent semble suffire à ce désastre ?

En face, le chef iranien, qui se fait appeler guide suprême, dans son discours du mercredi 18 juin dans lequel il oppose un refus catégorique à l’appel de Donald Trump à une « capitulation sans conditions » conclut avec ces mots, en commençant à citer un verset du Coran :

« La victoire ne peut venir que de Dieu, le Puissant, le Sage »

Puis ajoute :

« Et Dieu Tout-Puissant accordera à la nation iranienne la victoire, la vérité et la justice, si Dieu le veut. »

Et si dans les faits la victoire n’est pas donnée à la nation iranienne ? Tout simplement parce que la technologie et l’argent, des choses très matérielles sans une once de spiritualité, donne la victoire aux adversaires de l’Iran. C’est donc selon l’hypothèse de ce responsable religieux que « Dieu ne le veut pas » !

Et dans ce cas, quelle conclusion ce vieil homme en tirera du fait que Dieu ne le veut pas ?

Le troisième responsable de ce chaos et de ses destructions, Benyamin Netanyahou, se trouve dans la même évocation religieuse. Quand, dimanche 15 juin 2025, il se rend à Bat Yam où les missiles iraniens ont fait neuf victimes, il termine son discours par un verset du Deutéronome :

« Puisque vous n’avez vu aucune figure le jour où l’Éternel vous parla du milieu du feu, à Horeb, veillez attentivement sur vos âmes. »

Et il conclut :

« Ensemble, avec l’aide de Dieu, nous vaincrons, nous sommes sur le chemin de la victoire. »

C’est encore une fake news ! L’aide dont bénéficie l’armée d’Israël ce sont les armes fournis par les Etats-Unis et depuis ce week end l’intervention directe de l’armée US avec des bombes, des avions décrits précédemment.

Le premier ministre baptise désormais chaque opération militaire par des références bibliques. Ainsi Vendredi 13 juin au matin, à peine les premiers missiles tirés vers l’Iran, le pays apprend que l’opération « Le lion qui se lève » a été lancée. Pour reprendre les termes de l’allocution filmée de son dirigeant : « Nous sommes à un moment décisif de l’histoire d’Israël. Il y a quelques instants, Israël a lancé l’opération « Le lion qui se lève », une opération militaire ciblée visant à supprimer la menace que représente l’Iran par rapport à la survie même d’Israël. »

« Le lion qui se lève » ? C’est une référence à un verset du Livre des Nombres : « Voici qu’un peuple se lèvera comme une lionne, comme un lion il se dressera. Il ne se couchera pas sans avoir dévoré sa proie, sans avoir bu le sang des victimes ! »

Je perçois le désarroi des croyants sincères qui vivent leur foi comme un appel à devenir plus doux, à aider leur prochain et qui trouvent dans leurs prières, réconfort et aide dans les moments de souffrance et d’angoisse. Ils s’exclament d’une seule voix : « La religion ce n’est pas cela ! »

Pour moi qui fus croyant et pour les consoler je dirais plutôt : « la religion ce n’est pas que cela ! ». Mais il me faut ajouter : « c’est aussi cela, c’est-à-dire la violence et le pouvoir ! »

« Le nouvel Obs » évoque un autre nom d’opération inventé par l’état-major israélien « Chariots de Gédéon ». C’était le nom de l’opération de mai 2025 contre Gaza, visant à une annihilation totale du territoire. Et le Nouvel Obs de rappeler ce que dit le livre sacré des juifs :

« Gédéon est un personnage biblique, un des juges du Livre des Juges, élu par Dieu. Pour punir Canaan d’être revenu à l’idolâtrie, Yahvé a envoyé au peuple élu une invasion de Madianites. C’est Gédéon qui est chargé de la combattre, et qui, avec une toute petite armée de 300 personnes, réussit à infiltrer le camp des Madianites et à les éradiquer ».

Souvent dans la bible hébraïque dieu prend le nom de « dieu des armées », un dieu qui n’a pas de scrupule à demander des tueries de masse.

Le Nouvel Obs évoque une autre citation de Netanyahou :

« Une référence biblique faite par Netanyahou a d’ailleurs été citée dans la plainte de l’Afrique du Sud, déposé devant la Cour internationale de Justice (CIJ) pour génocide. En l’occurrence la phrase : « Souvenez-vous de ce qu’a fait le peuple d’Amalek à notre peuple », répétée à plusieurs reprises par Netanyahou.
Le peuple d’Amalek ? C’est l’ennemi originel d’Israël. Yahvé ordonne à son peuple de l’éradiquer. Ainsi dans le Deutéronome, Dieu appelle à « effacer la mémoire du peuple d’Amalek du ciel ».
Il enjoint aussi au prophète Samuel de se faire l’instrument de la destruction : « Va maintenant, frappe Amalek, et dévouez par interdit tout ce qui lui appartient ; tu ne l’épargneras point, et tu feras mourir hommes et femmes, enfants et nourrissons, boeufs et brebis, chameaux et ânes. »
Dans le Premier Livre de Samuel, le roi Saül désobéit à l’ordre divin et décide d’épargner Agag, après avoir exterminé tous les Amalécites. Il ne se résout pas non plus à tuer tout le bétail. Mal lui en prend ! Le prophète Samuel le tance. « N’est-ce pas, quand tu étais petit à tes propres yeux, tu es devenu chef des tribus d’Israël, et l’Éternel t’a oint pour roi sur Israël ?
Et l’Éternel (…) t’avait dit : Va et détruis ces pécheurs, les Amalécites, et fais-leur la guerre jusqu’à ce qu’ils soient consumés. Et pourquoi n’as-tu pas écouté la voix de l’Éternel ? »
Samuel explique alors à Saül que l’Eternel l’a rejeté. Et il « met Agag en pièces devant l’Eternel ».

Le Coran de la même manière contient, à côté de versets bienveillants, d’autres qui expriment une grande cruauté pour tous ceux et toutes celles qui sont en dehors des normes de « la croyance » définies dans ce livre.

Les islamistes radicaux se basent sur ces textes pour justifier leurs actes violents. Par exemple ce texte qu’on appelle « le verset de l’épée » (verset 5 de la sourate IX) :

« Quand les mois sacrés seront expirés, tuez les infidèles quelque part que vous les trouviez ! Prenez-les ! Assiégez-les ! Dressez pour eux des embuscades ! S’ils reviennent [de leur erreur], s’ils font la Prière et donnent l’Aumône (zakat), laissez-leur le champ libre ! Allah est absoluteur et miséricordieux. » — Le Coran (trad. R. Blachère),

Les mois sacrés sont la période de grâce qu’on accorde aux incroyants pour se soumettre à la foi unique, seule cette soumission permet d’échapper à la mort».

Tout cela peut paraître si loin de ceux qui ont vécu la sortie de la religion du quotidien et de la société.  Ce que Nietzsche avait synthétisé par ce constat : « Dieu est mort ».

Selon moi, l’évocation de Dieu lors de tous ces déchainements de violence, n’est pas une bonne chose.

Ceux qui font ces évocations sont d’autant plus Désinhibés qu’ils pensent se mettre sous la protection de textes sacrés. Et comment négocier avec des gens qui prétendent que c’est Dieu qui les guide ?

Jeudi 1 mai 2025

« Même après 100 jours au pouvoir, ce n’est pas de sa faute. C’est Biden. »
Propos de Donald Trump rapporté par Philippe Corbé

Philippe Corbé, nouveau directeur de l’information de France Inter, écrit depuis le retour de Trump à la présidence un billet bi-hebdomadaire réservé à ses abonnés, plein d’informations sur les Etats-Unis d’aujourd’hui.

Il a appelé cela « Zeitgeist » ce qui signifie en allemand « l’esprit du temps ». Il parait que c’est un terme couramment utilisé aux Etats-Unis. Dans son dernier opuscule qu’il a titré : « Le patriotisme des poupées ». Il montre l’Ubu de Washington dans toute sa suffisance et son mépris des faits. Il écrit :

« Même après 100 jours au pouvoir, ce n’est pas de sa faute. C’est Biden. »

Rappelons les faits : le département du Commerce a annoncé que le PIB a chuté à -0,3 % au premier trimestre, en rythme annualisé. Un net ralentissement par rapport au taux de + 2,4 % du quatrième trimestre, et bien pire que les + 0,8 % anticipés par les économistes. Selon les analystes c’est pire que prévu.

Un dessin valant mieux qu’un long discours, Corbé publie ce schéma qui montre l’évolution du PIB par trimestre depuis début 2021 qui correspond au début du mandat de Biden.

Tout le monde s’accorde à expliquer que ce recul vient des investisseurs qui s’inquiètent du chaos tarifaire relancé par la Maison-Blanche, avec des droits de douane qui perturbent consommateurs et entreprises.

Quand ces chiffres ont été annoncés sur Fox Business, la chaîne de télévision que regarde Trump, ce dernier a posté :

« C’est la bourse de Biden, pas de Trump. Je n’ai pris mes fonctions que le 20 janvier. (…) »

Et il a continué en abusant des majuscules

« Notre pays va exploser (dans le bon sens), mais nous devons nous débarrasser du “poids mort” laissé par Biden. Cela prendra du temps, ÇA N’A RIEN À VOIR AVEC LES TARIFS DOUANIERS, seulement avec les mauvais chiffres qu’il nous a laissés. Mais quand le boom commencera, ce sera du jamais vu. SOYEZ PATIENTS !!! »

Lors d’une réunion de cabinet quelques heures plus tard, il a réaffirmé son accusation :

« Ça, c’est Biden, pas Trump. »

Et Philippe Corbé de rappeler que le 29 janvier 2024, près d’un an avant de revenir à la Maison-Blanche, alors que Wall Street affichait des résultats éclatants, le même menteur patenté écrivait :

« C’EST LA BOURSE DE TRUMP PARCE QUE MES SONDAGES CONTRE BIDEN SONT TELLEMENT BONS QUE LES INVESTISSEURS PRÉVOIENT QUE JE VAIS GAGNER, ET CELA FERA MONTER LE MARCHÉ. »

Les majuscules sont de Trump !

Il me semble qu’il est inutile de commenter, le verbatim Trumpien suffit à lui-même.

Pour le complément, Philippe Corbé raconte une interview de Trump avec un journaliste auquel il répond au milieu de l’échange, pour l’intimider :

« C’est moi qui vous ai choisi. C’est vous qui faites l’entretien. Je n’avais jamais entendu parler de vous. Mais vous n’êtes pas très sympa. ».

Lors du premier mandat de Trump, un journaliste a demandé : « Pourquoi certains Britanniques n’aiment pas Donald Trump ? » Nate White, un écrivain anglais a écrit cette réponse :

« Quelques choses me viennent à l’esprit :
Trump manque de certaines qualités que les Britanniques apprécient traditionnellement.
Par exemple, il n’a aucune classe, aucun charme, aucune fraîcheur, aucune crédibilité, aucune compassion, aucun esprit, aucune chaleur, aucune sagesse, aucune subtilité, aucune sensibilité, aucune conscience de soi, aucune humilité, aucun honneur et aucune grâce – autant de qualités, curieusement, dont son prédécesseur M. Obama a été généreusement doté.

Pour nous, ce contraste frappant met en évidence les limites de Trump de manière embarrassante.
De plus, nous aimons rire.
Et même si Trump est peut-être ridicule, il n’a jamais dit quoi que ce soit d’ironique, d’amusant ou même de légèrement drôle – pas une seule fois, jamais.
Je ne dis pas cela de manière rhétorique, je le pense littéralement : jamais, jamais. Et ce fait est particulièrement dérangeant pour la sensibilité britannique : pour nous, manquer d’humour est presque inhumain.

Mais avec Trump, c’est un fait. Il ne semble même pas comprendre ce qu’est une blague – pour lui, une blague est un commentaire grossier, une insulte illettrée, un acte de cruauté désinvolte.

Trump est un troll. Et comme tous les trolls, il n’est jamais drôle et ne rit jamais ; il se contente de pousser des cris de joie ou de railleries. Et ce qui est effrayant, c’est qu’il ne se contente pas de prononcer des insultes grossières et stupides : il pense réellement en les utilisant. Son esprit est un simple algorithme robotique composé de préjugés mesquins et de méchancetés instinctives.

Il n’y a jamais de sous-couche d’ironie, de complexité, de nuance ou de profondeur. Tout est superficiel. Certains Américains pourraient considérer cela comme une approche rafraîchissante et directe. Eh bien, nous ne le pensons pas. Nous le considérons comme dépourvu de monde intérieur, d’âme.

En Grande-Bretagne, nous sommes traditionnellement du côté de David, et non de Goliath. Tous nos héros sont des outsiders courageux : Robin des Bois, Dick Whittington, Oliver Twist.

Trump n’est ni courageux, ni un outsider. Il est tout le contraire. […]

Dieu sait qu’il y a toujours eu des gens stupides dans le monde, et beaucoup de gens méchants aussi. Mais rarement la bêtise a été aussi méchante, et rarement la méchanceté aussi stupide.
Il fait paraître Nixon digne de confiance et George W. intelligent. »

A la conclusion de tout cela, je crois que nous avons deux graves problèmes. Le premier est tout simplement tout le mal que fait Trump au monde, bien au delà de l’économie :  à l’écologie et à l’avenir de l’humanité sur la terre, à la science, à la culture et à l’humanisme.

Le second est que la démocratie que nous vénérons a conduit à mettre ce type à la tête des États-Unis !

Vendredi 4 avril 2025

Voir l’article

« S’il avait été un électeur américain, le capitaine Rocca – l’un des rares représentants du peuple présents au dîner – serait ressorti trumpiste du diner d’investiture de la fondation Obama. »
Giuliano Da Empoli, « L’heure des prédateurs », page 88

Les temps sont troubles, pour rester dans un langage modéré. Certains essayent de rassurer comme Frederic Encel : « Une troisième guerre mondiale est très improbable ».
Il vient de publier un livre qui défend cette thèse.

L’Humanité a cependant d’autres défis à relever comme celui du réchauffement climatique, de la limite des ressources, du contrôle, de la maîtrise du développement de l’intelligence artificielle.

Mais désormais Donald Trump est à la tête des Etats-Unis. Nous pensions que ce serait compliqué, c’est bien pire. Il s’attaque à l’état de droit, aux juges, à la science, aux minorités, à tous ses alliés et au reste du monde aussi.

Voici venu « L’heure des prédateurs », titre du dernier livre de Giuliano da Empoli que je viens d’acheter et de commencer à lire.

Dans le Figaro du 2 avril 2025 : « Incapable de réagir, la vieille élite a mérité d’être balayée. » il explique


« La réélection de Trump a été une sorte d’apocalypse au sens littéral du terme : non pas la fin du monde mais la révélation de quelque chose. Le chaos, qui était jusqu’alors l’arme des insurgés, est devenu hégémonique. Et nous avons basculé dans le monde des prédateurs. Comme le disait Joseph de Maistre à propos de la Révolution française, « longtemps nous l’avons prise pour un événement. Nous étions dans l’erreur : c’est une époque. » »

Joseph de Maistre (1753 – 1821) se trouvait dans une position inverse que celle dans laquelle nous sommes, nous qui voyons une révolution néo-réactionnaire se produire devant nous, alors que nous étions convaincu que même si le rythme se ralentissait parfois, nous étions dans une trajectoire inexorable de progrès des libertés, de l’émancipation et de la science.

Joseph de Maistre est  un philosophie contre-révolutionnaire et un critique radical des idées des Lumières. Il considère que la Révolution française représente un crime contre l’ordre naturel. Il défend le retour à une monarchie absolue. Mais il a observé et analysé la révolution française  comme un moment essentiel de l’Histoire européenne.

Nous vivons, selon Da Empoli, un moment machiavélien, terme inventé pour caractériser l’art de gouverner, selon Machiavel, développé dans son livre « Le Prince » et qui prenait exemple sur César Borgia.

Pour Da Empoli, le moment machiavélien est constitué dans l’Italie, à la toute fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle et s’est caractérisé par l’irruption de la force. À ce moment, la technologie offensive s’est développée plus vite que la technologie défensive : des canons à boulets en fonte de fer ont pu percer les murailles des petites républiques italiennes très civilisées de la Renaissance. A cette époque, la principale force prédatrice en Europe était la France. Et il décrit la situation contemporaine ainsi :

« Aujourd’hui, nous sommes à nouveau dans un moment où les technologies offensives se développent davantage que les technologies défensives.
À partir du numérique, lancer une cyberattaque ou une campagne de désinformation ne coûte presque rien, mais la difficulté de la défense est évidente ! Dès lors, nos petites républiques, nos grandes ou petites démocraties libérales risquent d’être balayées. […]
Nous sommes en train de vivre le choc de l’humiliation. C’est le choc d’une province romaine qui se réveille avec un nouvel empereur ; un pouvoir très différent, imprévisible et arbitraire lui tombe dessus, et elle se rend compte qu’elle n’était qu’une province. Cette humiliation est actée, et elle est là pour durer. »

Mais comment expliquer le succès de Trump et de cette révolution néo réactionnaire ?.

Il y a certainement des raisons multiples. Cependant je voudrais partager aujourd’hui l’histoire que raconte Giuliano Da Empoli à partir de la page 85 de son dernier ouvrage.

Cette histoire se passe à Chicago en novembre 2017. Un an s’est écoulé depuis la première élection de Donald Trump. L’élection, comme le chaos qui s’en est suivi est sidérant, en Europe, le Brexit crée aussi désordre et inquiétude. Et ce jour à Chicago, Da Empoli a l’honneur d’assister au diner inaugural de la fondation de Barack Obama qui a quitté la présidence des Etats-Unis quand Trump s’en est emparé. Il cite un extrait du discours inaugural prononcé lors de ce diner

« Le potager de la Maison-Blanche était très puissant, car très symbolique. Faire pousser des aubergines et des courgettes et montrer des images de la première dame agenouillée dans la terre, entourée d’enfants, renvoyait un message très fort à la nation et au monde. »

Il explique qu’il a parcouru 7000 kilomètres pour être à ce diner parce qu’il pensait trouver sinon des réponses mais au moins des idées pour penser la suite, pour faire barrage à la vague illibérale qui menace de déferler sur l’occident.

Je pense, au moment de la lecture de ce récit, à la célèbre phrase de César amendée par René Goscinny : « Veni, vidi et je n’en crois pas mes yeux ! ».

C’est l’ancien chef cuisinier de la Maison Blanche qui vantait ainsi les mérites du potager biologique de Michelle Obama. Après le cuisinier, un autre orateur s’approche de la scène. Un certain Michael Hebb. Da Empoli consulte immédiatement sa biographie en ligne et découvre qu’il fut le pionnier de la consommation réfléchie de chocolat en entreprise.

Un peu ébranlé par le contenu des discours, il se tourne vers les autres convives de sa table espérant pouvoir engager des échanges sur des idées politiques pour l’avenir. Mais après l’apparition sur la table de brocolis bio, il va constater que les échanges vont être encadrés. Une jeune personne assise à la table prend la parole :


« «Bonsoir, je m’appelle Heather, je serai votre faciliteur de conversation ce soir. » A la suite de cette brève introduction, nous découvrons avec horreur que le format du dîner ne prévoit pas que les invités interagissent spontanément, mais plutôt une conversation dirigée par Heather, qui nous permettra de dépasser les politesses d’usage pour atteindre un niveau d’échange plus profond.
Dans ce but, les convives sont priés de répondre à 5 questions à tour de rôle. Pourquoi est ce que je m’appelle comme ça ? Qui sont les miens ? Qui m’a le plus influencé ? Qui aimerais je être. Dans quelle mesure ai-je le sentiment de faire partie de ma communauté. »

Le centre des débats de cette soirée est donc un positionnement identitaire et la question de l’appartenance à une communauté. La conscience sociale et la réflexion sur la société dans son ensemble est ignorée, comme les défis de l’humanité. Heather commence selon les normes édictées et raconte son parcours de transgenre métis adoptée par une famille de Chicago. Pour expliquer son désarroi, Giuliano Da Empoli s’appuie sur un agent de sécurité :


« J’aperçois la mine déconfite du capitaine Rocca, l’agent de sécurité qui nous accompagne [les italiens] dans ce voyage. Au fil de la soirée, je verrai cet homme bâti comme un chêne, jovial, courageux,qui n’hésiterait pas à prendre une balle pour protéger l’un d’entre nous, rapetisser à vue d’œil, jusqu’à prendre l’apparence d’une brindille tremblante.
A la fin du diner […] il me relatera son calvaire. Après un premier moment de consternation, il a surmonté le choc initial et tout s’est plus ou moins bien passé, jusqu’au moment où il s’est risqué à répondre « moi même » à la question « qui voudrais tu être ? » Tout le monde lui est tombé dessus, le traitant de tous les noms, le faciliteur lui même n’ayant pu s’empêcher de le taxer d’égocentrisme»

Da Empoli conclura qu’il a quitté Chicago avec le sentiment d’avoir rencontré de nombreuses personnes sympathiques et pleines de bonnes intentions, mais plutôt mal équipées pour mener à bien la bataille qui s’annonçait. Mais au préalable, il s’autorise ce cheminement de pensée :

« Je n’ai pas pu m’empêcher de penser que, s’il avait été un électeur américain, le capitaine Rocca – l’un des rares représentants du peuple présents au dîner – serait ressorti trumpiste du diner d’investiture de la fondation Obama. Et je crains qu’aucune des activités prévues pendant les 36 heures du  sommet ne l’aurait fait changer d’avis : ni la méditation de 7 heures du matin, ni l’entretien avec le prince Harry sur la jeunesse comme vecteur de transformation sociale, ni le dialogue entre Michelle Obama et une poétesse à la mode à propos de ses sources d’inspiration. »

Nous savions que les démocrates étaient largement responsables de la victoire de Trump, ce récit nous permet de toucher de plus près le décalage abyssal qu’il y a entre leurs préoccupations et celles des gens simples. Da Empoli rappelle que l’une des publicités les plus percutantes de la campagne de réélection de Trump en 2024 jouait sur les pronoms non binaires : « Harris est pour iels ; Trump est pour vous. »

Lundi 17 mars 2025

« La raison d’être de l’Union européenne, c’est la défaite militaire. […] lors de guerres coloniales. »
Timothy Snyder

Il me semble nécessaire d’aborder le chaos actuel du monde avec une compréhension de l’Histoire, du long terme et une réflexion sur nos valeurs.

Sinon, nous agissons selon les seules impulsions de nos émotions, de nos peurs et aussi des récits, auxquels nous croyons, sans les interroger.

Pour la peur, j’ai été stupéfait dans l’émission « C ce soir » du 10 mars, l’écrivain et académicien Jean-Marie ROUART expliquer qu’à l’heure de la bombe atomique, on ne peut plus vouloir qu’un tel gagne et qu’en conséquence il était pour la paix, n’importe quelle paix !

Cet homme est donc prêt à se soumettre à la loi du plus fort, du plus injuste, le lâche soulagement en serait la récompense.
Dans ce mot du jour, je vais encore me référer à Timothy Snyder qui a répondu à un entretien dans le journal « LE UN » du 19 février 2025 : « Comment finir une guerre ? »

Snyder remet en question le récit d’une Union européenne qui aurait été créée, après la fin de la seconde guerre mondiale, principalement, parce que les Etats européens voulaient établir définitivement la paix sur leur continent, après tant de massacres entre européens.

Mais à la question du journaliste « Avec la guerre en Ukraine, l’Union européenne a-t-elle échoué dans sa mission de maintenir la paix sur le continent ? », il répond ainsi :

« Est-ce seulement sa mission ? C’est du moins le mythe que l’on aime se raconter : les pays européens ont tiré les leçons de la Seconde Guerre mondiale et se sont organisés pour garantir la paix. »

Même si l’aspiration à la paix était compréhensible après les deux terribles guerres du XXème siècle, ce ne fut pas la raison principale, selon lui, de la volonté de créer la communauté européenne devenue l’Union européenne :

« Mais je pense qu’il faut commencer par rejeter ces prémisses, ce mythe fondateur. Si l’on veut penser l’Europe face à la guerre qui fait rage à ses portes, il nous faut être rigoureux sur la raison d’être historique de l’Union européenne.
Et cette raison d’être n’est pas la paix – sinon les pays européens n’auraient pas mené de guerres coloniales pendant les trente ans qui ont suivi l’armistice. Non, la raison d’être de l’Union européenne, c’est la défaite militaire. Plus particulièrement, la défaite militaire lors de guerres coloniales : l’Allemagne en 1945, mais aussi les Pays-Bas en 1948, la France en 1962, l’Espagne et le Portugal dans les années 1970… »

En 1948, les Pays-Bas perdent leur colonie les Indes néerlandaises. En 1942, ils avaient du les abandonner aux Japonais. Après la défaite du Japon, les Pays-Bas tentent de reconquérir leur ancienne colonie, mais les nationalistes indonésiens revendiquent l’indépendance de l’archipel. Entre 1947 et 1948, les Pays-Bas lancent deux grandes interventions militaires. Mais les nationalistes tiennent bon et les Néerlandais, sous la pression des Nations unies et des États-Unis, doivent céder. La colonie devient la République des États-Unis d’Indonésie.

En 1962, la France perd l’Algérie.

Si on souhaite donner un peu de consistance à cette vision du passé colonial, on peut consulter une carte de l’empire colonial français avant la seconde guerre mondiale. La superficie de cet empire en 1939 représentait 12 800 000 km². En comparaison, les USA représente 9 833 517 km², ils ne sont dépassés que par le Canada guère plus grand et la Russie plus de 17 000 000 km².

En 1939, l’empire français représentait 8,61 % des terres émergées et 5,15% des habitants de la Planète. Aujourd’hui la France représente 0,45% des terres émergées et 0,84% de la population mondiale. C’est une autre échelle.

Pour compléter le destin des autres pays européens colonialistes, le Portugal avait conservé de son immense empire colonial, le Mozambique, l’Angola, la Guinée-Bissau et encore quelques autres territoires, comme le Cap Vert. Tous ces États deviendront indépendants après la révolution des œillets en 1974 et des guerres anti coloniales de libération.

En 1968, l’Espagne perdait ses dernières possessions subsahariennes et en 1976 le Sahara espagnol.

Pour Snyder la défaite des nazis en 1945 est aussi une défaite coloniale puisque le troisième reich avait eu pour ambition de coloniser quasi toute l’Europe.

Il n’a pas cité la Belgique qui a perdu le Congo Belge en 1960.

Les nations européennes avaient dominé le monde depuis plusieurs siècles. Ils étaient des empires, ils deviennent des puissances moyennes dans un monde dominé par les USA et l’URSS.

On peut comprendre que le fait de s’unir, au moins économiquement, fut une réaction pour continuer à compter dans le monde. C’est au moins la thèse de Timothy Snyder.

« L’UE est une organisation post-impériale, qui réunit ces anciens empires défaits. On l’oublie volontiers, car ces défaites sont honteuses, tout comme les causes de ces guerres. C’est pourtant le fait d’avoir perdu ces guerres qui est au cœur du projet européen. Pour devenir des démocraties européennes contemporaines, des pays « normaux », il a été nécessaire que ces nations perdent leurs dernières guerres impériales. Si l’on garde cette idée en tête, si l’on remplace le concept de paix par celui de défaite, on comprend mieux pourquoi il est crucial que la Russie perde cette nouvelle guerre coloniale contre l’Ukraine »

La récente « Affaire Apathie » montre que la France a toujours du mal à comprendre et à reconnaître son passé colonial et tous les crimes qui ont été pratiqués en son nom. Or ce que Jean-Michel Aphatie a affirmé, le 25 février 2025, à savoir que la France a commis une centaine d’Oradour sur Glane en Algérie est factuellement vrai. Il a pourtant été sanctionné par la radio (RTL) dans laquelle il travaillait, pour avoir dit cette cette vérité.
Les grandes voix du journalisme ne se sont pas pressées pour le défendre. « Le Monde » a enfin, le 16 mars, commis un article expliquant que « Si l’on prend le point de vue des historiens, Aphatie a non seulement raison, mais il ne dit rien de bien révolutionnaire sur l’Algérie ».

Voilà qui est dit sur le passé colonial de la France et les autres pays européens n’ont pas agi avec moins de violence. Mais certains esprits de gauche, n’ont pas l’air de comprendre que la relation entre l’immense Russie et la petite Ukraine est également basée sur une domination coloniale. Dans ce cas, simplement la colonie ne se trouve pas de l’autre coté de la mer ou de l’océan, mais jouxte la frontière du prédateur.
Timothy Snyder explique la guerre que mène la Russie à l’Ukraine de manière simple :

« Les causes de cette guerre sont elles aussi incroyablement anciennes et traditionnelles : l’appropriation des ressources agricoles et des matières premières d’une part et, d’autre part le refus de considérer ceux qui se trouvent de l’autre côté de la frontière comme de véritables personnes et leur Etat comme un véritable Etat. C’est le discours colonialiste basique qu’ont aussi adopté les Européens en Afrique, en Asie, et partout dans le monde, mais qu’ils ont aujourd’hui bien du mal à reconnaître comme tel. »

Le titre de l’entretien de Snyder dans « LE UN » est « Comment l’Ukraine protège le monde ». Et, le journaliste Louis Héliot demande à l’Historien de quoi l’Ukraine nous protège, après que ce dernier ait utilisé cette formule dans une de ses réponse :

« D’une troisième guerre mondiale.
La Chine, l’Iran, la Corée du Nord sont déjà dans le conflit. SI la digue ukrainienne sautait les pays européens se retrouveraient immédiatement impliqués. […]
En se battant, les Ukrainiens ont non seulement repoussé l’agresseur russe, mais ils ont gardé ouvert, pour l’Europe, le champ des possibles. […] D’une certaine façon c’est inconfortable pour nous. Si les Ukrainiens avaient rendu les armes immédiatement comme Poutine l’escomptait, cela nous aurait été « plus facile » ; nous aurions continué à fermer les yeux ; nous aurions sans doute même été tentés de faire des concessions à Poutine de lui livrer – si l’on pousse la comparaison avec la Seconde Guerre mondiale- l’équivalent de la Tchécoslovaquie, puis de la Pologne, Mais avec leur résistance, leur détermination, les Ukrainiens ont rendu impossible la stratégie d’apaisement.
Pour résumer, ils nous maintiennent en 1938. A nous maintenant de faire en sorte que l’on ne se précipite pas, la tête la première, vers 1939. »

En conclusion de l’article, l’auteur de « Terres de sang » pense que la Russie doit aussi sortir de sa pensée Coloniale pour pouvoir passer à autre chose.

« Il ne nous reste rien d’autre à faire, désormais que d’aider à bâtir une Ukraine libre et fonctionnelle. Et sur le long terme, ce sera également bénéfique à la Russie. La défaite de cette dernière sera sa seule chance de passer à autre chose. »

Cette vision de Timothy Snyder me semble particulièrement féconde, alors que des esprits égarés continuent à tenter d’expliquer la situation par la politique agressive de l’OTAN. Si tant de pays de l’Est comme la Pologne ou les pays baltes ont voulu absolument rejoindre l’OTAN, c’est parce qu’ils avaient peur, à juste titre, de la soif coloniale du prédateur russe et non parce que l’OTAN avait la stratégie de s’étendre.
Le problème supplémentaire auquel nous sommes confrontés aujourd’hui, c’est que les Etats-Unis de Trump ont manifesté officiellement, au moins dans leurs propos, des velléités coloniales sur le Groenland, le Canada et Panama. Les USA n’expriment d’ailleurs aucun désaccord de fond avec la Russie sur ces points.

Lundi 10 mars 2025

« Trump est un héros de la liberté négative »
Timothy Snyder

Dans l’évolution inquiétante du monde, nous avons besoin d’esprits calmes, capables d’analyser ce qui se passe et de nous éclairer un peu la route sinueuse que nous sommes en train d’emprunter.

Timothy Snyder, historien américain de renom, né en 1969, spécialiste de l’histoire de l’Europe centrale et de l’Est et de la Shoah fait partie de ce cercle restreint. Il est professeur à l’université Yale et membre permanent de l’Institut des sciences humaines à Vienne.

L’ouvrage qui l’a fait connaître en France est « Terres de sang » dans lequel il fait le récit du massacre de masse qui a été perpétré par l’Allemagne nazie et l’Union soviétique sur un territoire auquel il donne le nom de « Terres de sang »  et qui s’étend de la Pologne centrale à la Russie occidentale en passant par l’Ukraine, la Biélorussie et les pays Baltes.

Entre 1933 et 1945, 14 millions de civils, ont été tués. Plus de la moitié d’entre eux sont morts de faim. Les famines préméditées par Staline, principalement en Ukraine, au début des années 1930, ont fait plus de 4 millions de morts, et l’affamement par Hitler de quelque 3 millions et demi de prisonniers de guerre soviétiques, au début des années 1940 – ont été perpétrés ainsi.

Depuis cet ouvrage, il a focalisé ses réflexions sur les menaces pesant sur les systèmes politiques occidentaux.

Il a publié un premier ouvrage sur ce thème : « La route pour la servitude » paru en France en octobre 2023.

Et fin 2024, il a publié un second ouvrage « De la liberté »

Parmi les grands désaccords entre les Etats-Unis de Donald Trump, JR Vance et Elon Musk et la plupart des européens se trouvent la conception de la liberté. Le vice-président des Etats-Unis s’est autorisé lors de la conférence sur la sécurité de Munich de donner une leçon sur la liberté aux européens, en les accusant de ne plus respecter la liberté d’expression : « A Munich, la démocratie selon J. D. Vance sidère les Européens », si vous souhaitez lire la traduction française de l’intégralité du discours c’est « ici »

Lorsqu’on lit ce que l’administration Trump est en train de réaliser aux États-Unis, il me semble qu’on peut être surpris que ce soit eux qui parlent de liberté, peut être la liberté de mentir…

C’est pourquoi Thomas Snégaroff a invité Timothy Snyder dans son émission de France inter, du 8 mars 2025 pour évoquer ce sujet : « La liberté est difficile

Snégaroff interroge d’abord Snyder sur son analyse de la liberté prônée par Trump :

« Pour lui, il n’y a pas de différence entre la liberté du peuple et sa propre liberté.
La liberté négative c’est quand je ne pense qu’à moi. Et ma liberté c’est moi contre tous.
En fait pour être libre, il faut avoir une société, au sein de laquelle nous créons tous les conditions dans lesquelles nous pouvons devenir libre.
Donald Trump est un héros de la liberté négative, parce qu’il a hérité de sa fortune. Il peut dire que la liberté cela ne concerne que des gens comme lui.
Et, son administration est en train de détruire le gouvernement. »

Dans son ouvrage Timothy Snyder oppose la liberté positive et la liberté négative.

Cette dichotomie a été inventée par Isaiah Berlin (1909-1997) un philosophe et historien des idées d’origine russe. Après une enfance passée à Saint-Pétersbourg, il a émigré avec ses parents en Angleterre, fuyant l’Union soviétique deux ans après la révolution bolchevique.

Sur le site du journal libéral « Contrepoints » vous trouverez une présentation de cette pensée : « Deux conceptions de la liberté, par Isaiah Berlin ».

Pour Timothy Snyder, la liberté négative est celle qui nous permet de ne pas être opprimée par le gouvernement. C’est une première étape vers la liberté positive mais ce n’est qu’une première étape.

Si on se contente de cette première étape la liberté ne s’adresse qu’aux forts, aux riches et aux puissants. Cette liberté n’est pas pour tout le monde et elle ne permet pas de faire société.

Pour Timothy Snyder la liberté positive s’appuie sur cinq piliers :

  • souveraineté, c’est-à-dire cette capacité à construire sa propre liberté ;
  • l’imprévisibilité, autrement dit le refus de se laisser enfermer dans les bulles idéologiques ou numériques et la capacité à ne pas agir comme les algorithmes le prévoient ;
  • la mobilité, qu’elle soit sociale ou géographique ;
  • la factualité, l’ouverture aux faits (« la science du réchauffement climatique est un exemple de vérité générale », cite Snyder à titre d’illustration. « Peut-être n’avons-nous pas envie d’en entendre parler, mais si nous l’ignorons, nous sommes moins libres ») ;
  • la solidarité, qui nous amène à nous sentir responsables d’un certain équilibre social.

Thomas Snégaroff interroge l’historien sur ce qu’il pense du concept de liberté d’expression totale défendu par le vice-président US, ce qu’Elon Musk et ses semblables nomment « free speech » :

« Je pense que toute définition de liberté doit commencer par l’individu.
Lorsque les américains parlent de liberté d’expression, on a souvent à l’esprit les algorithmes et en pratique nous finissons par défendre la liberté des milliardaires qui possèdent déjà les plates formes des réseaux sociaux.
Mais si on commence par la tradition de liberté d’expression, à partir d’Euripide, nous nous souvenons que nous avons besoin de la liberté d’expression, parce qu’il est dangereux pour les faibles de dire la vérité aux forts. Donc la liberté d’expression doit commencer comme toutes les autres libertés, par les corps vulnérables et la vérité. Si on s’inquiète de la liberté d’expression, nous ne nous occupons pas seulement de protéger les faibles, nous essayons de créer les conditions où tout le monde peut avoir accès à la vérité.  »

Natacha Polony soumet à a son analyse la devise de la république française en y ajoutant la célèbre phrase prononcée par Saint Just le 3 mars 1794 : « Le bonheur est une idée neuve en Europe. »

« Le bonheur est l’élément central. Nous pouvons tous être heureux, mais de façon différente. Parce que nous donnons de la valeur à des choses différentes. […]
Le bonheur est une clé pour réfléchir à la liberté positive. Parce qu’on peut pense au bonheur de manière générale, mais cela nous oblige à penser à chaque individu de manière différente. Donc le bonheur nous mène à une notion de liberté positive.
La façon dont l’égalité et la fraternité fonctionnent ensemble avec la liberté est aussi positive. Je ne crois pas comme beaucoup d’américains le font qu’il y a une véritable tension.
Pour moi être libre, je dois écouter ce que vous dites à mon sujet.
Pour moi être libre, je dois me comprendre et je ne peux le faire sans fraternité. Si je ne crois pas que les autres sont mes frères ou mes sœurs, qu’ils sont fondamentalement comme moi, alors je ferais de grandes erreurs sur moi-même.
La fraternité ce n’est pas simplement une forme de gentillesse, c’est aussi une forme d’auto-compréhension. Et comme je l’ai déjà suggéré, c’est semblable à l’égalité. Sans l’égalité, nous n’avons pas les conditions nécessaires pour être libre. Je ne vois pas la liberté, l’égalité et la fraternité comme trois choses séparées.
C’est plutôt qu’on peut appliquer cette notion française d’égalité et de fraternité pour avoir une notion plus riche de liberté. »

Snyder pense donc qu’on ne peut pas être pleinement libre, si les autres ne le sont pas. Mais il pense aussi que l’individu qui veut être libre doit non seulement s’intégrer dans la société dans laquelle il vit mais aussi s’inscrire dans l’Histoire.

« Je ne crois pas qu’on puisse faire de la liberté sans histoire. Je ne crois pas que la France puisse être une société de gens libres sans l’Histoire de France et sans l’Histoire du monde.

Je crois que c’est vrai en général. Une république ne peut avoir un avenir que si elle est reliée à son passé. Et cela ne signifie pas que nos passés soient parfaits. Cela signifie simplement que le passé fournit la seule voie vers l’avenir.

Et il en va de même avec les individus. Comme nous essayons d’envisager les avenirs individuels qui ont toujours un composant normatif ou éthique, nous ne pouvons le faire que par des valeurs que nous avons pris dans le passé. »

Il conclut l’entretien par cet avertissement

« La liberté est difficile. Toute personne qui dit que la liberté est simple, est probablement très riche et essaye de vous exploiter. »

Sur l’excellent site « Grand Continent » Snyder se soumet aussi à un entretien concernant son livre sur la liberté « Je suis frappé par les similitudes entre les milliardaires de la Silicon Valley et les bolcheviks les plus radicalisés ».Dans cet entretien il précise encore sa pensée :

« D’un point de vue philosophique ou psychologique, défendre la liberté négative revient à ne jamais se poser la question de ce que l’on défend, mais uniquement de ce à quoi l’on s’oppose. Sur le plan politique, cela se traduit souvent par une hostilité envers l’État, perçu comme la source principale de l’oppression.

On en vient alors à penser que réduire la taille de l’État accroît la liberté — ce qui est une erreur. La question n’est pas celle de la quantité, mais de la qualité : l’État contribue-t-il ou non à rendre les individus plus libres ? Il peut, certes, le faire en s’abstenant de les opprimer, mais aussi en leur fournissant des biens et services qu’ils ne peuvent obtenir par eux-mêmes, comme l’éducation, les infrastructures ou l’accès aux soins. »

Je redonne le lien vers l’émission de France Inter du 8 mars 2025 : « La liberté est difficile

Jeudi 6 mars 2025

« Nous étions en guerre contre un dictateur, nous nous battons désormais contre un dictateur soutenu par un traître. »
Claude Malhuret, sénateur de l’Allier, discours au Sénat du 4 mars 2025

Ecouter un discours de Claude Malhuret constitue toujours un moment savoureux, tant cet homme sait trouver les mots pour décrire une situation, un évènement, le comportement d’un humain.

Souvent, je suis d’accord avec le point de vue de ce centriste qui a été deux ans secrétaire d’état aux droits de l’homme de 1986 à 1988, dans le gouvernement de cohabitation de Jacques Chirac. Il a été maire de Vichy de 1989 à 2017, il est toujours sénateur de l’Allier.

Médecin de formation il a été pendant 8 ans président de Médecin sans frontière à partir de 1978.

Initialement, il était marqué à gauche et même marxiste. Mais il a résolument quitté ce courant de pensée en 1977, au retour d’un voyage en Thaïlande.

Wikipedia nous apprend qu’en 1976 et 1977, en Thaïlande, il est coordinateur des équipes médicales de l’association Médecins sans frontières (MSF) dans les camps de réfugiés cambodgiens, laotiens et vietnamiens. « Nous nous étions misérablement fourvoyés », reconnaîtra-t-il plus tard au sujet du génocide cambodgien, perpétré de 1975 à 1979 par les Khmers rouges. C’est cette expérience qui l’éloignera des utopies radicales et de la Gauche qui prétend incarner « le bien ». En 2003, il publie un livre sur ce sujet : « Les Vices de la vertu ou la Fin de la gauche morale. ».

Après l’épisode lamentable dans le bureau ovale de la Maison Blanche, pendant lequel Trump et son vice président ont insulté le Président Ukrainien Volodomyr Zelenski, Claude Malhuret a trempé sa plume dans l’acide et a offert au Sénat un discours d’anthologie

« L’Europe est à un tournant critique de son histoire. Le bouclier américain se dérobe, l’Ukraine risque d’être abandonnée, la Russie renforcée. Washington est devenu la cour de Néron. Un empereur incendiaire, des courtisans soumis et un bouffon sous kétamine chargé de l’épuration de la fonction publique. C’est un drame pour le monde libre, mais c’est d’abord un drame pour les États-Unis. »

« Un bouffon sous kétamine » désigne Elon Musk. Ce dernier, comme le rappelle « Ouest France », a admis consommer régulièrement de la kétamine, une drogue aux effets dissociatifs puissants, pouvant altérer la perception de la réalité et influencer la prise de décision.

« Le Point » donne des précisions sur la kétamine : « Cette molécule est une substance dérivée de la phencyclidine et produite chimiquement. Actuellement, elle est utilisée par les professionnels de santé comme anesthésique vétérinaire ainsi qu’en médecine humaine également dans le cadre des anesthésies générales. « Sous forme inhalée, ce produit est utilisé pour soulager un trouble dépressif et des idées suicidaires », complète le Pr Amine Benyamina, psychiatre, spécialisé en addictologie et à la tête du service de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Paul-Brousse (AP-HP) à Villejuif (Val-de-Marne). La kétamine fait partie de la catégorie des hallucinogènes. Mais, elle est aussi détournée de son usage médical à des fins récréatives. « La kétamine peut être utilisée dans les milieux festifs. À doses modérées, elle provoque des hallucinations, un sentiment de détente et des effets sensoriels très importants », alerte l’addictologue. Les adeptes mettent également en avant des états dissociatifs avec une distorsion de la perception visuelle et corporelle. »

Certaines apparitions de Musk en public semble montrer, en effet, que cet homme se trouve dans un état de lucidité aléatoire.

« Le message de Trump est que rien ne sert d’être son allié puisqu’il en vous défendra pas, qu’il vous imposera plus de droits de douane qu’à ses ennemis et vous menacera de s’emparer de vos territoires tout en soutenant les dictatures qui vous envahissent. Le roi du deal est en train de montrer ce qu’est l’art du deal à plat ventre. Il pense qu’il va intimider la Chine en se couchant devant Poutine, mais Xi Jinping, devant un tel naufrage, est sans doute en train d’accélérer les préparatifs de l’invasion de Taïwan. »

Il est étonnant de constater que Trump s’attaque d’abord à ses alliés historiques qu’il ne respecte pas alors qu’il répète son respect pour les dictateurs ou autocrates comme Poutine et Xi Jinping. L’analyse du fonctionnement de la rhétorique Trumpiste, nous rapproche des règles mafieuses dans lesquelles le parrain exige la soumission à sa prédation  contre une promesse, toujours révocable, de protection.

« Jamais dans l’histoire un président des États-Unis n’a capitulé devant l’ennemi. Jamais aucun n’a soutenu un agresseur contre un allié. Jamais aucun n’a piétiné la Constitution américaine, pris autant de décrets illégaux, révoqué les juges qui pourraient l’en empêcher, limogé d’un coup l’état-major militaire, affaibli tous les contre-pouvoirs et pris le contrôle des réseaux sociaux.
Ce n’est pas une dérive illibérale, c’est un début de confiscation de la démocratie. Rappelons-nous qu’il n’a fallu qu’un mois, trois semaines et deux jours pour mettre à bas la République de Weimar et sa constitution. »

Claude Malhuret rappelle le précédent fâcheux de la République de Weimar qui en 1933 a permis l’accession des nazis au pouvoir en Allemagne grâce à la complicité des partis de droite et du centre. Arrivé au pouvoir par des processus institutionnels, il a fallu peu de temps à ce parti pour éliminer tous les contrepouvoirs et devenir une dictature. Pour l’instant, Trump est dans le processus de faire taire tous les contrepouvoirs aux Etats-Unis en commençant par la Justice, la Presse et aussi le monde Universitaire.

« J’ai confiance dans la solidité de la démocratie américaine et le pays proteste déjà. Mais, en un mois, Trump a fait plus de mal à l’Amérique qu’en quatre ans de sa dernière présidence. »

Il est certain que par rapport à son premier mandat, Trump est mieux préparé et mieux entouré pour mettre en œuvre sa politique autoritaire, violente et cherchant à réduire la démocratie à son seul pouvoir.

« Nous étions en guerre contre un dictateur, nous nous battons désormais contre un dictateur soutenu par un traître. Il y a huit jours, au moment même où Trump passait la main dans le dos de Macron à la Maison-Blanche, les États-Unis votaient à l’ONU avec la Russie et la Corée du Nord contre les Européens réclamant le départ des troupes russes. Deux jours plus tard, dans le Bureau ovale, le planqué du service militaire donnait des leçons de morale et de stratégie au héros de guerre Zelensky, avant de le congédier comme un palefrenier en lui ordonnant de se soumettre ou de se démettre [applaudissements]. Cette nuit, il a franchi un pas de plus vers l’infamie en stoppant la livraison d’armes pourtant promises. »

Ce n’est pas la première fois que les Etats-Unis n’ont pas voté comme les européens à l’ONU, mais c’est la première fois qu’ils ont voté avec la Russie et la Corée du Nord. Claude Malhuret rappelle aussi que Donald Trump s’est fait exempté du service militaire pour de sombres raisons médicales. Enfin il semble clair à ce stade que ses positions et propositions sont davantage en faveur des thèses de Poutine que de l’intérêt de l’état souverain d’Ukraine agressé par son voisin et ayant une grande part de son territoire occupé et annexé.

« Que faire devant cette trahison ? La réponse est simple : faire face. Et d’abord ne pas se tromper. La défaite de l’Ukraine serait la défaite de l’Europe. Les pays baltes, la Géorgie, la Moldavie sont déjà sur la liste. Le but de Poutine est le retour à Yalta, où fut cédée la moitié du continent à Staline. Les pays du Sud attendent l’issue du conflit pour décider s’ils doivent continuer à respecter l’Europe ou s’ils sont désormais libres de la piétiner. Ce que veut Poutine, c’est la fin de l’ordre mis en place par les États-Unis et leurs alliés, il y a 80 ans, avec comme premier principe l’interdiction d’acquérir des territoires par la force. Cette idée est à la source même de l’ONU, où aujourd’hui les Américains votent en faveur de l’agresseur et contre l’agressé parce que la vision trumpienne coïncide avec celle de Poutine : un retour aux sphères d’influence, les grandes puissances dictant le sort des petits pays. “À moi le Groenland, le Panama et le Canada. À toi l’Ukraine, les pays baltes et l’Europe de l’Est, à lui Taiwan et la mer de Chine.” On appelle cela dans les soirées des oligarques du golfe de Mar-a- Lago le réalisme diplomatique. Nous sommes donc seuls. Mais le discours selon lequel on ne peut résister à Poutine est faux. »

Malhuret espère un sursaut de l’Europe. En sera t’elle capable ?

« Contrairement à la propagande du Kremlin, la Russie va mal. En trois ans, la soi-disante deuxième armée du monde n’a réussi à grapiller que des miettes d’un pays trois fois moins peuplé, les taux d’intérêt à 25%, l’effondrement des réserves de devises et d’or, l´’écroulement démographique montrent qu’elle est au bord du gouffre. Le coup de pouce américain à Poutine est la plus grande erreur stratégique commise lors d’une guerre. »

Stratégiquement Malhuret a probablement raison,

« Le choc est violent mais il a une vertu : les Européens sortent du déni. Ils ont compris en un jour à Munich que la survie de l’Ukraine et l’avenir de l’Europe sont entre leurs mains et qu’ils ont trois impératifs : accélérer l’aide militaire à l’Ukraine pour compenser le lâchage américain, pour qu’elle tienne et pour imposer sa présence et celle de l’Europe dans toute négociation. Cela coûtera cher, il faudra en terminer avec le tabou des avoirs russes gelés ; il faudra contourner les complices de Moscou à l’intérieur de l’Europe par une collaboration des seuls pays volontaires, avec bien sûr le Royaume Uni. En second lieu, exiger que tout accord soit accompagné du retour des enfants kidnappés, des prisonniers et des garanties de sécurité absolue. Après Budapest, la Georgie et Minsk, nous savons ce que valent les accords avec Poutine. Ces garanties passent par une force militaire suffisante pour empêcher une nouvelle invasion. »

Il faut surtout convaincre les peuples européens de cette nécessité. Il existe au sein de ces peuples de nombreuses tendances qui soit par lâcheté, soit par l’influence de lobbys pro-russe prétendent que la Russie ne constitue pas une menace pour l’Europe.

« Enfin, et c’est le plus urgent, parce que c’est ce qui prendra le plus de temps, il faut rebâtir la défense européenne négligée au profit du parapluie [nucléaire] américain depuis 1945 et sabordée depuis la chute du mur de Berlin. C’est une tâche herculéenne mais c’est sur sa réussite ou son échec que seront jugés dans les livres d’histoire les dirigeants de l’Europe démocratique d’aujourd’hui. Friedrich Merz vient de déclarer que l’Europe a besoin de sa propre alliance militaire. C’est reconnaître que la France avait raison depuis des décennies en plaidant pour une autonomie stratégique. Il reste à la construire. Il faudra investir massivement, renforcer le fonds européen de défense hors des critères d’endettement de Maastricht, harmoniser les systèmes d’armes et de munitions. »

Melenchon, Emmanuel Todd aussi, semblent craindre davantage le réarmement allemand que l’hostilité de l’impérialisme russe.

« Accélérer l’entraide de l’Union [europénne] á l’Ukraine qui est aujourd’hui la première armée européenne, repenser la place et les conditions de la dissuasion nucléaire à partir des capacités françaises et britanniques, relancer les programmes de bouclier anti-missiles et de satellites. Le plan annoncé hier par Ursula Von der Leyen est un très bon point de départ. Et il faudra beaucoup plus. L’Europe ne redeviendra une puissance militaire qu’en redevenant une puissance industrielle. En un mot, il faudra appliquer le rapport Draghi pour de bon. »

Redevenir une puissance industrielle, voilà la clé. Est-il réaliste d’y croire ? Est-il possible que les européens se mobilisent pour agir dans ce sens ?

« Mais le vrai réarmement de l’Europe, c’est son réarmement moral. Nous devons convaincre l’opinion face à la lassitude et à la peur de la guerre, et surtout face aux comparses de Poutine, l’extrême droite et l’extrême gauche. Ils ont encore plaidé hier à l’Assemblée nationale, monsieur le premier ministre devant vous, contre l’unité européenne, contre la défense européenne. Ils disent vouloir la paix. Ce que ni eux ni Trump ne disent, c’est que leur paix c’est la capitulation, la paix ou la défaite, le remplacement de “de Gaulle Zelinsky” par un Pétain ukrainien à la botte de Poutine, la paix des collabos qui ont refusé depuis trois ans toute aide aux Ukrainiens. Est-ce la fin de l’Alliance atlantique? Le risque est grand.  »

Vouloir la paix tel est le slogan utilisé par l’extrême droite et par l’extrême gauche. Melenchon a l’air de croire qu’il suffit d’aller négocier avec Poutine et de faire appel à sa raison pour sortir avec un solide traité de paix permettant à l’Europe de vivre sereinement à côté de cet impérialisme autoritaire et militarisé. Je suis persuadé, pour ma part, que seul une puissance militaire forte peut négocier sérieusement avec des prédateurs comme Poutine et aussi comme Trump.

« Mais depuis quelques jours, l’humiliation publique de Zelinsky et toutes les décisions folles prises depuis un mois ont fini par faire réagir les Américains. Les sondages sont en chute, les élus républicains sont accueillis par des foules hostiles dans leurs circonscriptions, même FoxNews devient critique. Les trumpistes en sont plus en majesté, ils contrôlent l’exécutif, le Parlement, la Cour suprême et les réseaux sociaux. Mais dans l’histoire américaine, les partisans de la liberté ont toujours gagné : ils commencent à relever la tête. Le sort de l’Ukraine se joue dans les tranchées, mais il dépend aussi de ceux qui aux États-Unis, veulent défendre la démocratie, et ici de notre capacité à unir les Européens, à trouver les moyens de leur défense commune et à refaire de l’Europe la puissance qu’elle fut un jour dans l’Histoire et qu’elle hésite à redevenir. »

L’optimisme du sénateur de l’Allier est doux à entendre. Pour ma part, j’ai des doutes…

« Nos parents ont vaincu le fascisme et le communisme au prix de tous les sacrifices. La tâche de notre génération est de vaincre les totalitarismes du 21e siècle. Vive l’Ukraine libre ! Vive l’Europe démocratique ! »

Nous sommes au temps des prédateurs, il faut résister. Pour cela il faut disposer d’une force morale forte que je sens peu dans notre société. Ce discours restera un moment de lucidité et de combat dans un monde de mollesse et de lâche soulagement. « Le discours de Claude Malhuret »

Mardi 4 mars 2025

« L’atmosphère qui régnait dans le bureau ovale lors de cette conversation nous a rappelé les interrogatoires que nous avons subis aux mains des services de sécurité et les débats dans les tribunaux communistes. »
Lech Walesa, lettre à Donald Trump

Nous avons donc assisté le vendredi 28 février 2025 à un « bon moment de télévision » selon Donald Trump, alors qu’avec son vice président, J. D. Vance, ils venaient de harceler, devant les caméras, le président ukrainien Volodymyr Zelensky qui demandait juste un peu de considération et un appui pour garantir un futur cessez le feu avec la Russie de Poutine.

Souvent le mot « humiliation » a été utilisé pour décrire cette scène. Je crois que ce mot est inapproprié.

En effet, le dictionnaire Larousse donne comme définition de « humilier » :

« Atteindre quelqu’un dans son amour-propre, sa fierté, sa dignité, en cherchant à le déprécier dans l’esprit d’autrui ou à ses propres yeux »

Et complète cette description dans la version pronominale du verbe, à savoir, « s’humilier » :

« S’abaisser, avoir une attitude servile devant quelqu’un, quelque chose, par faiblesse, lâcheté, intérêt »

Le dictionnaire du CNRS donne la définition suivante pour « humilier » :

« Faire apparaître quelqu’un (dans tel ou tel de ses aspects) comme inférieur, méprisable, par des paroles ou des actes qui sont interprétés comme abaissant sa dignité. »

A aucun moment, je n’ai trouvé que le président ukrainien avait manqué de dignité. Il a fait front face à ces deux hommes qui le harcelaient de questions du type : « avez vous dit suffisamment merci ? » ou « vous voulez la troisième guerre mondiale ? ». Il a résisté à Trump, alors que beaucoup d’autres se couchent devant cet homme sans honneur.

Pour ma part, cette scène m’a fait plutôt penser à des films de mafieux, où Trump aurait joué le rôle du parrain et Vance son homme des basses œuvres : Il fallait se soumettre, dire merci au parrain et le payer pour obtenir sa protection.

Mais Lech Walesa, le fondateur du mouvement Solidarność, président de la république de Pologne de 1990 à 1995, du haut de ses 81 ans, a écrit hier une lettre au président Trump dans laquelle il fait une autre comparaison. Il compare cette séquence à un interrogatoire des services secrets communistes. Lui les a subi par les services polonais et rappelons que Poutine fut officier du KGB. Mais Lech Walesa exprime d’abord son dégout :

« Nous avons regardé le compte rendu de votre conversation avec le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, avec crainte et dégoût.
Nous trouvons insultant que vous attendiez de l’Ukraine qu’elle fasse preuve de respect et de gratitude pour l’aide matérielle fournie par les États-Unis dans sa lutte contre la Russie.
La gratitude est due aux héroïques soldats ukrainiens qui ont versé leur sang pour défendre les valeurs du monde libre. Ils meurent sur le front depuis plus de 11 ans au nom de ces valeurs et de l’indépendance de leur patrie, attaquée par la Russie de Poutine.

Nous ne comprenons pas comment le dirigeant d’un pays qui symbolise le monde libre ne peut pas le reconnaître. »

L’ancien syndicaliste polonais qui avait pu compter sur l’aide des USA de Ronald Reagan pour affronter les communistes polonais et leur tuteur soviétique russe, ne peut pas comprendre ce que l’Amérique est devenue sous la présidence du magnat de l’immobilier.

Il fait donc sa comparaison avec les services secrets communistes :

« Notre inquiétude a également été renforcée par l’atmosphère qui régnait dans le bureau ovale lors de cette conversation, qui nous a rappelé les interrogatoires que nous avons subis aux mains des services de sécurité et les débats dans les tribunaux communistes. Les procureurs et les juges, agissant au nom de la toute puissante police politique communiste, nous expliquaient qu’ils détenaient tous les pouvoirs et que nous n’en avions aucun. Ils exigeaient que nous cessions nos activités, arguant que des milliers d’innocents souffraient à cause de nous. Ils nous ont privés de nos libertés et de nos droits civiques parce que nous refusions de coopérer avec le gouvernement ou d’exprimer notre gratitude pour notre oppression.
Nous sommes choqués que le président Volodymyr Zelensky ait été traité de la même manière. »

Par la suite, il explique sa vision historique du rôle des Etats-Unis. Vous pourrez lire cette lettre et sa traduction derrière ce « lien ». Je trouve son analyse très pertinente. Vous trouverez la vidéo de ce triste épisode de l’histoire américaine « ici ». Et je finirai par le jugement sans appel du journaliste franco-suisse, Richard Werly, dans une émission de France Télévision :

« Ce Donald Trump est vraiment un sale type !»