Lundi 23 juin 2025

« Je tiens à remercier tout le monde, et en particulier Dieu. »
Donald Trump

Donald Trump a tenu un discours de 4 minutes pour se féliciter de la réussite des frappes américaines sur les installations nucléaires iraniennes qui se sont déroulées dans la nuit de samedi à dimanche.

Comme d’habitude, dans un langage d’une pauvreté lexicale consternante, il abuse de superlatifs superfétatoires :

« Aucune armée au monde n’aurait pu faire ce que nous avons fait ce soir. Loin s’en faut. Jamais une armée n’a été capable de réaliser ce qui vient de se passer il y a quelques instants. »

L’armée dont il parle a déversé, sur les cibles, les plus grosses bombes non nucléaires créées par l’espèce humaine (des ogives de 13 tonnes) et puis les bombardiers furtifs B-2 Spirit ont parcouru une distance exceptionnellement grande pour atteindre l’Iran à partir de leur base du Missouri. C’est un triomphe de la technologie !

Concernant la stratégie militaire, dans un ciel iranien sans capacité anti-aérienne, l’Histoire militaire comporte des épisodes qui méritent nettement plus de superlatifs que cette opération.

C’est surtout une question d’argent, chaque B-2 coûte plus de 2 milliards de dollars ! Pour la fameuse bombe de 13 tonnes, le coût de développement de la GBU-57 MOP se situe entre 400 et 500 millions de dollars américains et son prix de production unitaire est d’environ 3,5 millions de dollars américains. La folie meurtrière des hommes n’a pas limite en terme de prix.

Mais ce que je voudrais surtout relever ce sont les dernières mots de ce discours de Trump :

« Je tiens à remercier tout le monde, et en particulier Dieu. Je veux simplement dire que nous t’aimons, Dieu, et que nous aimons notre grande armée. Protège-les. Que Dieu bénisse le Moyen-Orient. Que Dieu bénisse Israël et que Dieu bénisse l’Amérique. Merci beaucoup. Merci. »

Que vient faire Dieu là-dedans ? La technologie, l’argent semble suffire à ce désastre ?

En face, le chef iranien, qui se fait appeler guide suprême, dans son discours du mercredi 18 juin dans lequel il oppose un refus catégorique à l’appel de Donald Trump à une « capitulation sans conditions » conclut avec ces mots, en commençant à citer un verset du Coran :

« La victoire ne peut venir que de Dieu, le Puissant, le Sage »

Puis ajoute :

« Et Dieu Tout-Puissant accordera à la nation iranienne la victoire, la vérité et la justice, si Dieu le veut. »

Et si dans les faits la victoire n’est pas donnée à la nation iranienne ? Tout simplement parce que la technologie et l’argent, des choses très matérielles sans une once de spiritualité, donne la victoire aux adversaires de l’Iran. C’est donc selon l’hypothèse de ce responsable religieux que « Dieu ne le veut pas » !

Et dans ce cas, quelle conclusion ce vieil homme en tirera du fait que Dieu ne le veut pas ?

Le troisième responsable de ce chaos et de ses destructions, Benyamin Netanyahou, se trouve dans la même évocation religieuse. Quand, dimanche 15 juin 2025, il se rend à Bat Yam où les missiles iraniens ont fait neuf victimes, il termine son discours par un verset du Deutéronome :

« Puisque vous n’avez vu aucune figure le jour où l’Éternel vous parla du milieu du feu, à Horeb, veillez attentivement sur vos âmes. »

Et il conclut :

« Ensemble, avec l’aide de Dieu, nous vaincrons, nous sommes sur le chemin de la victoire. »

C’est encore une fake news ! L’aide dont bénéficie l’armée d’Israël ce sont les armes fournis par les Etats-Unis et depuis ce week end l’intervention directe de l’armée US avec des bombes, des avions décrits précédemment.

Le premier ministre baptise désormais chaque opération militaire par des références bibliques. Ainsi Vendredi 13 juin au matin, à peine les premiers missiles tirés vers l’Iran, le pays apprend que l’opération « Le lion qui se lève » a été lancée. Pour reprendre les termes de l’allocution filmée de son dirigeant : « Nous sommes à un moment décisif de l’histoire d’Israël. Il y a quelques instants, Israël a lancé l’opération « Le lion qui se lève », une opération militaire ciblée visant à supprimer la menace que représente l’Iran par rapport à la survie même d’Israël. »

« Le lion qui se lève » ? C’est une référence à un verset du Livre des Nombres : « Voici qu’un peuple se lèvera comme une lionne, comme un lion il se dressera. Il ne se couchera pas sans avoir dévoré sa proie, sans avoir bu le sang des victimes ! »

Je perçois le désarroi des croyants sincères qui vivent leur foi comme un appel à devenir plus doux, à aider leur prochain et qui trouvent dans leurs prières, réconfort et aide dans les moments de souffrance et d’angoisse. Ils s’exclament d’une seule voix : « La religion ce n’est pas cela ! »

Pour moi qui fus croyant et pour les consoler je dirais plutôt : « la religion ce n’est pas que cela ! ». Mais il me faut ajouter : « c’est aussi cela, c’est-à-dire la violence et le pouvoir ! »

« Le nouvel Obs » évoque un autre nom d’opération inventé par l’état-major israélien « Chariots de Gédéon ». C’était le nom de l’opération de mai 2025 contre Gaza, visant à une annihilation totale du territoire. Et le Nouvel Obs de rappeler ce que dit le livre sacré des juifs :

« Gédéon est un personnage biblique, un des juges du Livre des Juges, élu par Dieu. Pour punir Canaan d’être revenu à l’idolâtrie, Yahvé a envoyé au peuple élu une invasion de Madianites. C’est Gédéon qui est chargé de la combattre, et qui, avec une toute petite armée de 300 personnes, réussit à infiltrer le camp des Madianites et à les éradiquer ».

Souvent dans la bible hébraïque dieu prend le nom de « dieu des armées », un dieu qui n’a pas de scrupule à demander des tueries de masse.

Le Nouvel Obs évoque une autre citation de Netanyahou :

« Une référence biblique faite par Netanyahou a d’ailleurs été citée dans la plainte de l’Afrique du Sud, déposé devant la Cour internationale de Justice (CIJ) pour génocide. En l’occurrence la phrase : « Souvenez-vous de ce qu’a fait le peuple d’Amalek à notre peuple », répétée à plusieurs reprises par Netanyahou.
Le peuple d’Amalek ? C’est l’ennemi originel d’Israël. Yahvé ordonne à son peuple de l’éradiquer. Ainsi dans le Deutéronome, Dieu appelle à « effacer la mémoire du peuple d’Amalek du ciel ».
Il enjoint aussi au prophète Samuel de se faire l’instrument de la destruction : « Va maintenant, frappe Amalek, et dévouez par interdit tout ce qui lui appartient ; tu ne l’épargneras point, et tu feras mourir hommes et femmes, enfants et nourrissons, boeufs et brebis, chameaux et ânes. »
Dans le Premier Livre de Samuel, le roi Saül désobéit à l’ordre divin et décide d’épargner Agag, après avoir exterminé tous les Amalécites. Il ne se résout pas non plus à tuer tout le bétail. Mal lui en prend ! Le prophète Samuel le tance. « N’est-ce pas, quand tu étais petit à tes propres yeux, tu es devenu chef des tribus d’Israël, et l’Éternel t’a oint pour roi sur Israël ?
Et l’Éternel (…) t’avait dit : Va et détruis ces pécheurs, les Amalécites, et fais-leur la guerre jusqu’à ce qu’ils soient consumés. Et pourquoi n’as-tu pas écouté la voix de l’Éternel ? »
Samuel explique alors à Saül que l’Eternel l’a rejeté. Et il « met Agag en pièces devant l’Eternel ».

Le Coran de la même manière contient, à côté de versets bienveillants, d’autres qui expriment une grande cruauté pour tous ceux et toutes celles qui sont en dehors des normes de « la croyance » définies dans ce livre.

Les islamistes radicaux se basent sur ces textes pour justifier leurs actes violents. Par exemple ce texte qu’on appelle « le verset de l’épée » (verset 5 de la sourate IX) :

« Quand les mois sacrés seront expirés, tuez les infidèles quelque part que vous les trouviez ! Prenez-les ! Assiégez-les ! Dressez pour eux des embuscades ! S’ils reviennent [de leur erreur], s’ils font la Prière et donnent l’Aumône (zakat), laissez-leur le champ libre ! Allah est absoluteur et miséricordieux. » — Le Coran (trad. R. Blachère),

Les mois sacrés sont la période de grâce qu’on accorde aux incroyants pour se soumettre à la foi unique, seule cette soumission permet d’échapper à la mort».

Tout cela peut paraître si loin de ceux qui ont vécu la sortie de la religion du quotidien et de la société.  Ce que Nietzsche avait synthétisé par ce constat : « Dieu est mort ».

Selon moi, l’évocation de Dieu lors de tous ces déchainements de violence, n’est pas une bonne chose.

Ceux qui font ces évocations sont d’autant plus Désinhibés qu’ils pensent se mettre sous la protection de textes sacrés. Et comment négocier avec des gens qui prétendent que c’est Dieu qui les guide ?

Jeudi 1 mai 2025

« Même après 100 jours au pouvoir, ce n’est pas de sa faute. C’est Biden. »
Propos de Donald Trump rapporté par Philippe Corbé

Philippe Corbé, nouveau directeur de l’information de France Inter, écrit depuis le retour de Trump à la présidence un billet bi-hebdomadaire réservé à ses abonnés, plein d’informations sur les Etats-Unis d’aujourd’hui.

Il a appelé cela « Zeitgeist » ce qui signifie en allemand « l’esprit du temps ». Il parait que c’est un terme couramment utilisé aux Etats-Unis. Dans son dernier opuscule qu’il a titré : « Le patriotisme des poupées ». Il montre l’Ubu de Washington dans toute sa suffisance et son mépris des faits. Il écrit :

« Même après 100 jours au pouvoir, ce n’est pas de sa faute. C’est Biden. »

Rappelons les faits : le département du Commerce a annoncé que le PIB a chuté à -0,3 % au premier trimestre, en rythme annualisé. Un net ralentissement par rapport au taux de + 2,4 % du quatrième trimestre, et bien pire que les + 0,8 % anticipés par les économistes. Selon les analystes c’est pire que prévu.

Un dessin valant mieux qu’un long discours, Corbé publie ce schéma qui montre l’évolution du PIB par trimestre depuis début 2021 qui correspond au début du mandat de Biden.

Tout le monde s’accorde à expliquer que ce recul vient des investisseurs qui s’inquiètent du chaos tarifaire relancé par la Maison-Blanche, avec des droits de douane qui perturbent consommateurs et entreprises.

Quand ces chiffres ont été annoncés sur Fox Business, la chaîne de télévision que regarde Trump, ce dernier a posté :

« C’est la bourse de Biden, pas de Trump. Je n’ai pris mes fonctions que le 20 janvier. (…) »

Et il a continué en abusant des majuscules

« Notre pays va exploser (dans le bon sens), mais nous devons nous débarrasser du “poids mort” laissé par Biden. Cela prendra du temps, ÇA N’A RIEN À VOIR AVEC LES TARIFS DOUANIERS, seulement avec les mauvais chiffres qu’il nous a laissés. Mais quand le boom commencera, ce sera du jamais vu. SOYEZ PATIENTS !!! »

Lors d’une réunion de cabinet quelques heures plus tard, il a réaffirmé son accusation :

« Ça, c’est Biden, pas Trump. »

Et Philippe Corbé de rappeler que le 29 janvier 2024, près d’un an avant de revenir à la Maison-Blanche, alors que Wall Street affichait des résultats éclatants, le même menteur patenté écrivait :

« C’EST LA BOURSE DE TRUMP PARCE QUE MES SONDAGES CONTRE BIDEN SONT TELLEMENT BONS QUE LES INVESTISSEURS PRÉVOIENT QUE JE VAIS GAGNER, ET CELA FERA MONTER LE MARCHÉ. »

Les majuscules sont de Trump !

Il me semble qu’il est inutile de commenter, le verbatim Trumpien suffit à lui-même.

Pour le complément, Philippe Corbé raconte une interview de Trump avec un journaliste auquel il répond au milieu de l’échange, pour l’intimider :

« C’est moi qui vous ai choisi. C’est vous qui faites l’entretien. Je n’avais jamais entendu parler de vous. Mais vous n’êtes pas très sympa. ».

Lors du premier mandat de Trump, un journaliste a demandé : « Pourquoi certains Britanniques n’aiment pas Donald Trump ? » Nate White, un écrivain anglais a écrit cette réponse :

« Quelques choses me viennent à l’esprit :
Trump manque de certaines qualités que les Britanniques apprécient traditionnellement.
Par exemple, il n’a aucune classe, aucun charme, aucune fraîcheur, aucune crédibilité, aucune compassion, aucun esprit, aucune chaleur, aucune sagesse, aucune subtilité, aucune sensibilité, aucune conscience de soi, aucune humilité, aucun honneur et aucune grâce – autant de qualités, curieusement, dont son prédécesseur M. Obama a été généreusement doté.

Pour nous, ce contraste frappant met en évidence les limites de Trump de manière embarrassante.
De plus, nous aimons rire.
Et même si Trump est peut-être ridicule, il n’a jamais dit quoi que ce soit d’ironique, d’amusant ou même de légèrement drôle – pas une seule fois, jamais.
Je ne dis pas cela de manière rhétorique, je le pense littéralement : jamais, jamais. Et ce fait est particulièrement dérangeant pour la sensibilité britannique : pour nous, manquer d’humour est presque inhumain.

Mais avec Trump, c’est un fait. Il ne semble même pas comprendre ce qu’est une blague – pour lui, une blague est un commentaire grossier, une insulte illettrée, un acte de cruauté désinvolte.

Trump est un troll. Et comme tous les trolls, il n’est jamais drôle et ne rit jamais ; il se contente de pousser des cris de joie ou de railleries. Et ce qui est effrayant, c’est qu’il ne se contente pas de prononcer des insultes grossières et stupides : il pense réellement en les utilisant. Son esprit est un simple algorithme robotique composé de préjugés mesquins et de méchancetés instinctives.

Il n’y a jamais de sous-couche d’ironie, de complexité, de nuance ou de profondeur. Tout est superficiel. Certains Américains pourraient considérer cela comme une approche rafraîchissante et directe. Eh bien, nous ne le pensons pas. Nous le considérons comme dépourvu de monde intérieur, d’âme.

En Grande-Bretagne, nous sommes traditionnellement du côté de David, et non de Goliath. Tous nos héros sont des outsiders courageux : Robin des Bois, Dick Whittington, Oliver Twist.

Trump n’est ni courageux, ni un outsider. Il est tout le contraire. […]

Dieu sait qu’il y a toujours eu des gens stupides dans le monde, et beaucoup de gens méchants aussi. Mais rarement la bêtise a été aussi méchante, et rarement la méchanceté aussi stupide.
Il fait paraître Nixon digne de confiance et George W. intelligent. »

A la conclusion de tout cela, je crois que nous avons deux graves problèmes. Le premier est tout simplement tout le mal que fait Trump au monde, bien au delà de l’économie :  à l’écologie et à l’avenir de l’humanité sur la terre, à la science, à la culture et à l’humanisme.

Le second est que la démocratie que nous vénérons a conduit à mettre ce type à la tête des États-Unis !

Vendredi 4 avril 2025

Voir l’article

« S’il avait été un électeur américain, le capitaine Rocca – l’un des rares représentants du peuple présents au dîner – serait ressorti trumpiste du diner d’investiture de la fondation Obama. »
Giuliano Da Empoli, « L’heure des prédateurs », page 88

Les temps sont troubles, pour rester dans un langage modéré. Certains essayent de rassurer comme Frederic Encel : « Une troisième guerre mondiale est très improbable ».
Il vient de publier un livre qui défend cette thèse.

L’Humanité a cependant d’autres défis à relever comme celui du réchauffement climatique, de la limite des ressources, du contrôle, de la maîtrise du développement de l’intelligence artificielle.

Mais désormais Donald Trump est à la tête des Etats-Unis. Nous pensions que ce serait compliqué, c’est bien pire. Il s’attaque à l’état de droit, aux juges, à la science, aux minorités, à tous ses alliés et au reste du monde aussi.

Voici venu « L’heure des prédateurs », titre du dernier livre de Giuliano da Empoli que je viens d’acheter et de commencer à lire.

Dans le Figaro du 2 avril 2025 : « Incapable de réagir, la vieille élite a mérité d’être balayée. » il explique


« La réélection de Trump a été une sorte d’apocalypse au sens littéral du terme : non pas la fin du monde mais la révélation de quelque chose. Le chaos, qui était jusqu’alors l’arme des insurgés, est devenu hégémonique. Et nous avons basculé dans le monde des prédateurs. Comme le disait Joseph de Maistre à propos de la Révolution française, « longtemps nous l’avons prise pour un événement. Nous étions dans l’erreur : c’est une époque. » »

Joseph de Maistre (1753 – 1821) se trouvait dans une position inverse que celle dans laquelle nous sommes, nous qui voyons une révolution néo-réactionnaire se produire devant nous, alors que nous étions convaincu que même si le rythme se ralentissait parfois, nous étions dans une trajectoire inexorable de progrès des libertés, de l’émancipation et de la science.

Joseph de Maistre est  un philosophie contre-révolutionnaire et un critique radical des idées des Lumières. Il considère que la Révolution française représente un crime contre l’ordre naturel. Il défend le retour à une monarchie absolue. Mais il a observé et analysé la révolution française  comme un moment essentiel de l’Histoire européenne.

Nous vivons, selon Da Empoli, un moment machiavélien, terme inventé pour caractériser l’art de gouverner, selon Machiavel, développé dans son livre « Le Prince » et qui prenait exemple sur César Borgia.

Pour Da Empoli, le moment machiavélien est constitué dans l’Italie, à la toute fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle et s’est caractérisé par l’irruption de la force. À ce moment, la technologie offensive s’est développée plus vite que la technologie défensive : des canons à boulets en fonte de fer ont pu percer les murailles des petites républiques italiennes très civilisées de la Renaissance. A cette époque, la principale force prédatrice en Europe était la France. Et il décrit la situation contemporaine ainsi :

« Aujourd’hui, nous sommes à nouveau dans un moment où les technologies offensives se développent davantage que les technologies défensives.
À partir du numérique, lancer une cyberattaque ou une campagne de désinformation ne coûte presque rien, mais la difficulté de la défense est évidente ! Dès lors, nos petites républiques, nos grandes ou petites démocraties libérales risquent d’être balayées. […]
Nous sommes en train de vivre le choc de l’humiliation. C’est le choc d’une province romaine qui se réveille avec un nouvel empereur ; un pouvoir très différent, imprévisible et arbitraire lui tombe dessus, et elle se rend compte qu’elle n’était qu’une province. Cette humiliation est actée, et elle est là pour durer. »

Mais comment expliquer le succès de Trump et de cette révolution néo réactionnaire ?.

Il y a certainement des raisons multiples. Cependant je voudrais partager aujourd’hui l’histoire que raconte Giuliano Da Empoli à partir de la page 85 de son dernier ouvrage.

Cette histoire se passe à Chicago en novembre 2017. Un an s’est écoulé depuis la première élection de Donald Trump. L’élection, comme le chaos qui s’en est suivi est sidérant, en Europe, le Brexit crée aussi désordre et inquiétude. Et ce jour à Chicago, Da Empoli a l’honneur d’assister au diner inaugural de la fondation de Barack Obama qui a quitté la présidence des Etats-Unis quand Trump s’en est emparé. Il cite un extrait du discours inaugural prononcé lors de ce diner

« Le potager de la Maison-Blanche était très puissant, car très symbolique. Faire pousser des aubergines et des courgettes et montrer des images de la première dame agenouillée dans la terre, entourée d’enfants, renvoyait un message très fort à la nation et au monde. »

Il explique qu’il a parcouru 7000 kilomètres pour être à ce diner parce qu’il pensait trouver sinon des réponses mais au moins des idées pour penser la suite, pour faire barrage à la vague illibérale qui menace de déferler sur l’occident.

Je pense, au moment de la lecture de ce récit, à la célèbre phrase de César amendée par René Goscinny : « Veni, vidi et je n’en crois pas mes yeux ! ».

C’est l’ancien chef cuisinier de la Maison Blanche qui vantait ainsi les mérites du potager biologique de Michelle Obama. Après le cuisinier, un autre orateur s’approche de la scène. Un certain Michael Hebb. Da Empoli consulte immédiatement sa biographie en ligne et découvre qu’il fut le pionnier de la consommation réfléchie de chocolat en entreprise.

Un peu ébranlé par le contenu des discours, il se tourne vers les autres convives de sa table espérant pouvoir engager des échanges sur des idées politiques pour l’avenir. Mais après l’apparition sur la table de brocolis bio, il va constater que les échanges vont être encadrés. Une jeune personne assise à la table prend la parole :


« «Bonsoir, je m’appelle Heather, je serai votre faciliteur de conversation ce soir. » A la suite de cette brève introduction, nous découvrons avec horreur que le format du dîner ne prévoit pas que les invités interagissent spontanément, mais plutôt une conversation dirigée par Heather, qui nous permettra de dépasser les politesses d’usage pour atteindre un niveau d’échange plus profond.
Dans ce but, les convives sont priés de répondre à 5 questions à tour de rôle. Pourquoi est ce que je m’appelle comme ça ? Qui sont les miens ? Qui m’a le plus influencé ? Qui aimerais je être. Dans quelle mesure ai-je le sentiment de faire partie de ma communauté. »

Le centre des débats de cette soirée est donc un positionnement identitaire et la question de l’appartenance à une communauté. La conscience sociale et la réflexion sur la société dans son ensemble est ignorée, comme les défis de l’humanité. Heather commence selon les normes édictées et raconte son parcours de transgenre métis adoptée par une famille de Chicago. Pour expliquer son désarroi, Giuliano Da Empoli s’appuie sur un agent de sécurité :


« J’aperçois la mine déconfite du capitaine Rocca, l’agent de sécurité qui nous accompagne [les italiens] dans ce voyage. Au fil de la soirée, je verrai cet homme bâti comme un chêne, jovial, courageux,qui n’hésiterait pas à prendre une balle pour protéger l’un d’entre nous, rapetisser à vue d’œil, jusqu’à prendre l’apparence d’une brindille tremblante.
A la fin du diner […] il me relatera son calvaire. Après un premier moment de consternation, il a surmonté le choc initial et tout s’est plus ou moins bien passé, jusqu’au moment où il s’est risqué à répondre « moi même » à la question « qui voudrais tu être ? » Tout le monde lui est tombé dessus, le traitant de tous les noms, le faciliteur lui même n’ayant pu s’empêcher de le taxer d’égocentrisme»

Da Empoli conclura qu’il a quitté Chicago avec le sentiment d’avoir rencontré de nombreuses personnes sympathiques et pleines de bonnes intentions, mais plutôt mal équipées pour mener à bien la bataille qui s’annonçait. Mais au préalable, il s’autorise ce cheminement de pensée :

« Je n’ai pas pu m’empêcher de penser que, s’il avait été un électeur américain, le capitaine Rocca – l’un des rares représentants du peuple présents au dîner – serait ressorti trumpiste du diner d’investiture de la fondation Obama. Et je crains qu’aucune des activités prévues pendant les 36 heures du  sommet ne l’aurait fait changer d’avis : ni la méditation de 7 heures du matin, ni l’entretien avec le prince Harry sur la jeunesse comme vecteur de transformation sociale, ni le dialogue entre Michelle Obama et une poétesse à la mode à propos de ses sources d’inspiration. »

Nous savions que les démocrates étaient largement responsables de la victoire de Trump, ce récit nous permet de toucher de plus près le décalage abyssal qu’il y a entre leurs préoccupations et celles des gens simples. Da Empoli rappelle que l’une des publicités les plus percutantes de la campagne de réélection de Trump en 2024 jouait sur les pronoms non binaires : « Harris est pour iels ; Trump est pour vous. »

Lundi 17 mars 2025

« La raison d’être de l’Union européenne, c’est la défaite militaire. […] lors de guerres coloniales. »
Timothy Snyder

Il me semble nécessaire d’aborder le chaos actuel du monde avec une compréhension de l’Histoire, du long terme et une réflexion sur nos valeurs.

Sinon, nous agissons selon les seules impulsions de nos émotions, de nos peurs et aussi des récits, auxquels nous croyons, sans les interroger.

Pour la peur, j’ai été stupéfait dans l’émission « C ce soir » du 10 mars, l’écrivain et académicien Jean-Marie ROUART expliquer qu’à l’heure de la bombe atomique, on ne peut plus vouloir qu’un tel gagne et qu’en conséquence il était pour la paix, n’importe quelle paix !

Cet homme est donc prêt à se soumettre à la loi du plus fort, du plus injuste, le lâche soulagement en serait la récompense.
Dans ce mot du jour, je vais encore me référer à Timothy Snyder qui a répondu à un entretien dans le journal « LE UN » du 19 février 2025 : « Comment finir une guerre ? »

Snyder remet en question le récit d’une Union européenne qui aurait été créée, après la fin de la seconde guerre mondiale, principalement, parce que les Etats européens voulaient établir définitivement la paix sur leur continent, après tant de massacres entre européens.

Mais à la question du journaliste « Avec la guerre en Ukraine, l’Union européenne a-t-elle échoué dans sa mission de maintenir la paix sur le continent ? », il répond ainsi :

« Est-ce seulement sa mission ? C’est du moins le mythe que l’on aime se raconter : les pays européens ont tiré les leçons de la Seconde Guerre mondiale et se sont organisés pour garantir la paix. »

Même si l’aspiration à la paix était compréhensible après les deux terribles guerres du XXème siècle, ce ne fut pas la raison principale, selon lui, de la volonté de créer la communauté européenne devenue l’Union européenne :

« Mais je pense qu’il faut commencer par rejeter ces prémisses, ce mythe fondateur. Si l’on veut penser l’Europe face à la guerre qui fait rage à ses portes, il nous faut être rigoureux sur la raison d’être historique de l’Union européenne.
Et cette raison d’être n’est pas la paix – sinon les pays européens n’auraient pas mené de guerres coloniales pendant les trente ans qui ont suivi l’armistice. Non, la raison d’être de l’Union européenne, c’est la défaite militaire. Plus particulièrement, la défaite militaire lors de guerres coloniales : l’Allemagne en 1945, mais aussi les Pays-Bas en 1948, la France en 1962, l’Espagne et le Portugal dans les années 1970… »

En 1948, les Pays-Bas perdent leur colonie les Indes néerlandaises. En 1942, ils avaient du les abandonner aux Japonais. Après la défaite du Japon, les Pays-Bas tentent de reconquérir leur ancienne colonie, mais les nationalistes indonésiens revendiquent l’indépendance de l’archipel. Entre 1947 et 1948, les Pays-Bas lancent deux grandes interventions militaires. Mais les nationalistes tiennent bon et les Néerlandais, sous la pression des Nations unies et des États-Unis, doivent céder. La colonie devient la République des États-Unis d’Indonésie.

En 1962, la France perd l’Algérie.

Si on souhaite donner un peu de consistance à cette vision du passé colonial, on peut consulter une carte de l’empire colonial français avant la seconde guerre mondiale. La superficie de cet empire en 1939 représentait 12 800 000 km². En comparaison, les USA représente 9 833 517 km², ils ne sont dépassés que par le Canada guère plus grand et la Russie plus de 17 000 000 km².

En 1939, l’empire français représentait 8,61 % des terres émergées et 5,15% des habitants de la Planète. Aujourd’hui la France représente 0,45% des terres émergées et 0,84% de la population mondiale. C’est une autre échelle.

Pour compléter le destin des autres pays européens colonialistes, le Portugal avait conservé de son immense empire colonial, le Mozambique, l’Angola, la Guinée-Bissau et encore quelques autres territoires, comme le Cap Vert. Tous ces États deviendront indépendants après la révolution des œillets en 1974 et des guerres anti coloniales de libération.

En 1968, l’Espagne perdait ses dernières possessions subsahariennes et en 1976 le Sahara espagnol.

Pour Snyder la défaite des nazis en 1945 est aussi une défaite coloniale puisque le troisième reich avait eu pour ambition de coloniser quasi toute l’Europe.

Il n’a pas cité la Belgique qui a perdu le Congo Belge en 1960.

Les nations européennes avaient dominé le monde depuis plusieurs siècles. Ils étaient des empires, ils deviennent des puissances moyennes dans un monde dominé par les USA et l’URSS.

On peut comprendre que le fait de s’unir, au moins économiquement, fut une réaction pour continuer à compter dans le monde. C’est au moins la thèse de Timothy Snyder.

« L’UE est une organisation post-impériale, qui réunit ces anciens empires défaits. On l’oublie volontiers, car ces défaites sont honteuses, tout comme les causes de ces guerres. C’est pourtant le fait d’avoir perdu ces guerres qui est au cœur du projet européen. Pour devenir des démocraties européennes contemporaines, des pays « normaux », il a été nécessaire que ces nations perdent leurs dernières guerres impériales. Si l’on garde cette idée en tête, si l’on remplace le concept de paix par celui de défaite, on comprend mieux pourquoi il est crucial que la Russie perde cette nouvelle guerre coloniale contre l’Ukraine »

La récente « Affaire Apathie » montre que la France a toujours du mal à comprendre et à reconnaître son passé colonial et tous les crimes qui ont été pratiqués en son nom. Or ce que Jean-Michel Aphatie a affirmé, le 25 février 2025, à savoir que la France a commis une centaine d’Oradour sur Glane en Algérie est factuellement vrai. Il a pourtant été sanctionné par la radio (RTL) dans laquelle il travaillait, pour avoir dit cette cette vérité.
Les grandes voix du journalisme ne se sont pas pressées pour le défendre. « Le Monde » a enfin, le 16 mars, commis un article expliquant que « Si l’on prend le point de vue des historiens, Aphatie a non seulement raison, mais il ne dit rien de bien révolutionnaire sur l’Algérie ».

Voilà qui est dit sur le passé colonial de la France et les autres pays européens n’ont pas agi avec moins de violence. Mais certains esprits de gauche, n’ont pas l’air de comprendre que la relation entre l’immense Russie et la petite Ukraine est également basée sur une domination coloniale. Dans ce cas, simplement la colonie ne se trouve pas de l’autre coté de la mer ou de l’océan, mais jouxte la frontière du prédateur.
Timothy Snyder explique la guerre que mène la Russie à l’Ukraine de manière simple :

« Les causes de cette guerre sont elles aussi incroyablement anciennes et traditionnelles : l’appropriation des ressources agricoles et des matières premières d’une part et, d’autre part le refus de considérer ceux qui se trouvent de l’autre côté de la frontière comme de véritables personnes et leur Etat comme un véritable Etat. C’est le discours colonialiste basique qu’ont aussi adopté les Européens en Afrique, en Asie, et partout dans le monde, mais qu’ils ont aujourd’hui bien du mal à reconnaître comme tel. »

Le titre de l’entretien de Snyder dans « LE UN » est « Comment l’Ukraine protège le monde ». Et, le journaliste Louis Héliot demande à l’Historien de quoi l’Ukraine nous protège, après que ce dernier ait utilisé cette formule dans une de ses réponse :

« D’une troisième guerre mondiale.
La Chine, l’Iran, la Corée du Nord sont déjà dans le conflit. SI la digue ukrainienne sautait les pays européens se retrouveraient immédiatement impliqués. […]
En se battant, les Ukrainiens ont non seulement repoussé l’agresseur russe, mais ils ont gardé ouvert, pour l’Europe, le champ des possibles. […] D’une certaine façon c’est inconfortable pour nous. Si les Ukrainiens avaient rendu les armes immédiatement comme Poutine l’escomptait, cela nous aurait été « plus facile » ; nous aurions continué à fermer les yeux ; nous aurions sans doute même été tentés de faire des concessions à Poutine de lui livrer – si l’on pousse la comparaison avec la Seconde Guerre mondiale- l’équivalent de la Tchécoslovaquie, puis de la Pologne, Mais avec leur résistance, leur détermination, les Ukrainiens ont rendu impossible la stratégie d’apaisement.
Pour résumer, ils nous maintiennent en 1938. A nous maintenant de faire en sorte que l’on ne se précipite pas, la tête la première, vers 1939. »

En conclusion de l’article, l’auteur de « Terres de sang » pense que la Russie doit aussi sortir de sa pensée Coloniale pour pouvoir passer à autre chose.

« Il ne nous reste rien d’autre à faire, désormais que d’aider à bâtir une Ukraine libre et fonctionnelle. Et sur le long terme, ce sera également bénéfique à la Russie. La défaite de cette dernière sera sa seule chance de passer à autre chose. »

Cette vision de Timothy Snyder me semble particulièrement féconde, alors que des esprits égarés continuent à tenter d’expliquer la situation par la politique agressive de l’OTAN. Si tant de pays de l’Est comme la Pologne ou les pays baltes ont voulu absolument rejoindre l’OTAN, c’est parce qu’ils avaient peur, à juste titre, de la soif coloniale du prédateur russe et non parce que l’OTAN avait la stratégie de s’étendre.
Le problème supplémentaire auquel nous sommes confrontés aujourd’hui, c’est que les Etats-Unis de Trump ont manifesté officiellement, au moins dans leurs propos, des velléités coloniales sur le Groenland, le Canada et Panama. Les USA n’expriment d’ailleurs aucun désaccord de fond avec la Russie sur ces points.

Lundi 10 mars 2025

« Trump est un héros de la liberté négative »
Timothy Snyder

Dans l’évolution inquiétante du monde, nous avons besoin d’esprits calmes, capables d’analyser ce qui se passe et de nous éclairer un peu la route sinueuse que nous sommes en train d’emprunter.

Timothy Snyder, historien américain de renom, né en 1969, spécialiste de l’histoire de l’Europe centrale et de l’Est et de la Shoah fait partie de ce cercle restreint. Il est professeur à l’université Yale et membre permanent de l’Institut des sciences humaines à Vienne.

L’ouvrage qui l’a fait connaître en France est « Terres de sang » dans lequel il fait le récit du massacre de masse qui a été perpétré par l’Allemagne nazie et l’Union soviétique sur un territoire auquel il donne le nom de « Terres de sang »  et qui s’étend de la Pologne centrale à la Russie occidentale en passant par l’Ukraine, la Biélorussie et les pays Baltes.

Entre 1933 et 1945, 14 millions de civils, ont été tués. Plus de la moitié d’entre eux sont morts de faim. Les famines préméditées par Staline, principalement en Ukraine, au début des années 1930, ont fait plus de 4 millions de morts, et l’affamement par Hitler de quelque 3 millions et demi de prisonniers de guerre soviétiques, au début des années 1940 – ont été perpétrés ainsi.

Depuis cet ouvrage, il a focalisé ses réflexions sur les menaces pesant sur les systèmes politiques occidentaux.

Il a publié un premier ouvrage sur ce thème : « La route pour la servitude » paru en France en octobre 2023.

Et fin 2024, il a publié un second ouvrage « De la liberté »

Parmi les grands désaccords entre les Etats-Unis de Donald Trump, JR Vance et Elon Musk et la plupart des européens se trouvent la conception de la liberté. Le vice-président des Etats-Unis s’est autorisé lors de la conférence sur la sécurité de Munich de donner une leçon sur la liberté aux européens, en les accusant de ne plus respecter la liberté d’expression : « A Munich, la démocratie selon J. D. Vance sidère les Européens », si vous souhaitez lire la traduction française de l’intégralité du discours c’est « ici »

Lorsqu’on lit ce que l’administration Trump est en train de réaliser aux États-Unis, il me semble qu’on peut être surpris que ce soit eux qui parlent de liberté, peut être la liberté de mentir…

C’est pourquoi Thomas Snégaroff a invité Timothy Snyder dans son émission de France inter, du 8 mars 2025 pour évoquer ce sujet : « La liberté est difficile

Snégaroff interroge d’abord Snyder sur son analyse de la liberté prônée par Trump :

« Pour lui, il n’y a pas de différence entre la liberté du peuple et sa propre liberté.
La liberté négative c’est quand je ne pense qu’à moi. Et ma liberté c’est moi contre tous.
En fait pour être libre, il faut avoir une société, au sein de laquelle nous créons tous les conditions dans lesquelles nous pouvons devenir libre.
Donald Trump est un héros de la liberté négative, parce qu’il a hérité de sa fortune. Il peut dire que la liberté cela ne concerne que des gens comme lui.
Et, son administration est en train de détruire le gouvernement. »

Dans son ouvrage Timothy Snyder oppose la liberté positive et la liberté négative.

Cette dichotomie a été inventée par Isaiah Berlin (1909-1997) un philosophe et historien des idées d’origine russe. Après une enfance passée à Saint-Pétersbourg, il a émigré avec ses parents en Angleterre, fuyant l’Union soviétique deux ans après la révolution bolchevique.

Sur le site du journal libéral « Contrepoints » vous trouverez une présentation de cette pensée : « Deux conceptions de la liberté, par Isaiah Berlin ».

Pour Timothy Snyder, la liberté négative est celle qui nous permet de ne pas être opprimée par le gouvernement. C’est une première étape vers la liberté positive mais ce n’est qu’une première étape.

Si on se contente de cette première étape la liberté ne s’adresse qu’aux forts, aux riches et aux puissants. Cette liberté n’est pas pour tout le monde et elle ne permet pas de faire société.

Pour Timothy Snyder la liberté positive s’appuie sur cinq piliers :

  • souveraineté, c’est-à-dire cette capacité à construire sa propre liberté ;
  • l’imprévisibilité, autrement dit le refus de se laisser enfermer dans les bulles idéologiques ou numériques et la capacité à ne pas agir comme les algorithmes le prévoient ;
  • la mobilité, qu’elle soit sociale ou géographique ;
  • la factualité, l’ouverture aux faits (« la science du réchauffement climatique est un exemple de vérité générale », cite Snyder à titre d’illustration. « Peut-être n’avons-nous pas envie d’en entendre parler, mais si nous l’ignorons, nous sommes moins libres ») ;
  • la solidarité, qui nous amène à nous sentir responsables d’un certain équilibre social.

Thomas Snégaroff interroge l’historien sur ce qu’il pense du concept de liberté d’expression totale défendu par le vice-président US, ce qu’Elon Musk et ses semblables nomment « free speech » :

« Je pense que toute définition de liberté doit commencer par l’individu.
Lorsque les américains parlent de liberté d’expression, on a souvent à l’esprit les algorithmes et en pratique nous finissons par défendre la liberté des milliardaires qui possèdent déjà les plates formes des réseaux sociaux.
Mais si on commence par la tradition de liberté d’expression, à partir d’Euripide, nous nous souvenons que nous avons besoin de la liberté d’expression, parce qu’il est dangereux pour les faibles de dire la vérité aux forts. Donc la liberté d’expression doit commencer comme toutes les autres libertés, par les corps vulnérables et la vérité. Si on s’inquiète de la liberté d’expression, nous ne nous occupons pas seulement de protéger les faibles, nous essayons de créer les conditions où tout le monde peut avoir accès à la vérité.  »

Natacha Polony soumet à a son analyse la devise de la république française en y ajoutant la célèbre phrase prononcée par Saint Just le 3 mars 1794 : « Le bonheur est une idée neuve en Europe. »

« Le bonheur est l’élément central. Nous pouvons tous être heureux, mais de façon différente. Parce que nous donnons de la valeur à des choses différentes. […]
Le bonheur est une clé pour réfléchir à la liberté positive. Parce qu’on peut pense au bonheur de manière générale, mais cela nous oblige à penser à chaque individu de manière différente. Donc le bonheur nous mène à une notion de liberté positive.
La façon dont l’égalité et la fraternité fonctionnent ensemble avec la liberté est aussi positive. Je ne crois pas comme beaucoup d’américains le font qu’il y a une véritable tension.
Pour moi être libre, je dois écouter ce que vous dites à mon sujet.
Pour moi être libre, je dois me comprendre et je ne peux le faire sans fraternité. Si je ne crois pas que les autres sont mes frères ou mes sœurs, qu’ils sont fondamentalement comme moi, alors je ferais de grandes erreurs sur moi-même.
La fraternité ce n’est pas simplement une forme de gentillesse, c’est aussi une forme d’auto-compréhension. Et comme je l’ai déjà suggéré, c’est semblable à l’égalité. Sans l’égalité, nous n’avons pas les conditions nécessaires pour être libre. Je ne vois pas la liberté, l’égalité et la fraternité comme trois choses séparées.
C’est plutôt qu’on peut appliquer cette notion française d’égalité et de fraternité pour avoir une notion plus riche de liberté. »

Snyder pense donc qu’on ne peut pas être pleinement libre, si les autres ne le sont pas. Mais il pense aussi que l’individu qui veut être libre doit non seulement s’intégrer dans la société dans laquelle il vit mais aussi s’inscrire dans l’Histoire.

« Je ne crois pas qu’on puisse faire de la liberté sans histoire. Je ne crois pas que la France puisse être une société de gens libres sans l’Histoire de France et sans l’Histoire du monde.

Je crois que c’est vrai en général. Une république ne peut avoir un avenir que si elle est reliée à son passé. Et cela ne signifie pas que nos passés soient parfaits. Cela signifie simplement que le passé fournit la seule voie vers l’avenir.

Et il en va de même avec les individus. Comme nous essayons d’envisager les avenirs individuels qui ont toujours un composant normatif ou éthique, nous ne pouvons le faire que par des valeurs que nous avons pris dans le passé. »

Il conclut l’entretien par cet avertissement

« La liberté est difficile. Toute personne qui dit que la liberté est simple, est probablement très riche et essaye de vous exploiter. »

Sur l’excellent site « Grand Continent » Snyder se soumet aussi à un entretien concernant son livre sur la liberté « Je suis frappé par les similitudes entre les milliardaires de la Silicon Valley et les bolcheviks les plus radicalisés ».Dans cet entretien il précise encore sa pensée :

« D’un point de vue philosophique ou psychologique, défendre la liberté négative revient à ne jamais se poser la question de ce que l’on défend, mais uniquement de ce à quoi l’on s’oppose. Sur le plan politique, cela se traduit souvent par une hostilité envers l’État, perçu comme la source principale de l’oppression.

On en vient alors à penser que réduire la taille de l’État accroît la liberté — ce qui est une erreur. La question n’est pas celle de la quantité, mais de la qualité : l’État contribue-t-il ou non à rendre les individus plus libres ? Il peut, certes, le faire en s’abstenant de les opprimer, mais aussi en leur fournissant des biens et services qu’ils ne peuvent obtenir par eux-mêmes, comme l’éducation, les infrastructures ou l’accès aux soins. »

Je redonne le lien vers l’émission de France Inter du 8 mars 2025 : « La liberté est difficile

Mardi 4 mars 2025

« L’atmosphère qui régnait dans le bureau ovale lors de cette conversation nous a rappelé les interrogatoires que nous avons subis aux mains des services de sécurité et les débats dans les tribunaux communistes. »
Lech Walesa, lettre à Donald Trump

Nous avons donc assisté le vendredi 28 février 2025 à un « bon moment de télévision » selon Donald Trump, alors qu’avec son vice président, J. D. Vance, ils venaient de harceler, devant les caméras, le président ukrainien Volodymyr Zelensky qui demandait juste un peu de considération et un appui pour garantir un futur cessez le feu avec la Russie de Poutine.

Souvent le mot « humiliation » a été utilisé pour décrire cette scène. Je crois que ce mot est inapproprié.

En effet, le dictionnaire Larousse donne comme définition de « humilier » :

« Atteindre quelqu’un dans son amour-propre, sa fierté, sa dignité, en cherchant à le déprécier dans l’esprit d’autrui ou à ses propres yeux »

Et complète cette description dans la version pronominale du verbe, à savoir, « s’humilier » :

« S’abaisser, avoir une attitude servile devant quelqu’un, quelque chose, par faiblesse, lâcheté, intérêt »

Le dictionnaire du CNRS donne la définition suivante pour « humilier » :

« Faire apparaître quelqu’un (dans tel ou tel de ses aspects) comme inférieur, méprisable, par des paroles ou des actes qui sont interprétés comme abaissant sa dignité. »

A aucun moment, je n’ai trouvé que le président ukrainien avait manqué de dignité. Il a fait front face à ces deux hommes qui le harcelaient de questions du type : « avez vous dit suffisamment merci ? » ou « vous voulez la troisième guerre mondiale ? ». Il a résisté à Trump, alors que beaucoup d’autres se couchent devant cet homme sans honneur.

Pour ma part, cette scène m’a fait plutôt penser à des films de mafieux, où Trump aurait joué le rôle du parrain et Vance son homme des basses œuvres : Il fallait se soumettre, dire merci au parrain et le payer pour obtenir sa protection.

Mais Lech Walesa, le fondateur du mouvement Solidarność, président de la république de Pologne de 1990 à 1995, du haut de ses 81 ans, a écrit hier une lettre au président Trump dans laquelle il fait une autre comparaison. Il compare cette séquence à un interrogatoire des services secrets communistes. Lui les a subi par les services polonais et rappelons que Poutine fut officier du KGB. Mais Lech Walesa exprime d’abord son dégout :

« Nous avons regardé le compte rendu de votre conversation avec le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, avec crainte et dégoût.
Nous trouvons insultant que vous attendiez de l’Ukraine qu’elle fasse preuve de respect et de gratitude pour l’aide matérielle fournie par les États-Unis dans sa lutte contre la Russie.
La gratitude est due aux héroïques soldats ukrainiens qui ont versé leur sang pour défendre les valeurs du monde libre. Ils meurent sur le front depuis plus de 11 ans au nom de ces valeurs et de l’indépendance de leur patrie, attaquée par la Russie de Poutine.

Nous ne comprenons pas comment le dirigeant d’un pays qui symbolise le monde libre ne peut pas le reconnaître. »

L’ancien syndicaliste polonais qui avait pu compter sur l’aide des USA de Ronald Reagan pour affronter les communistes polonais et leur tuteur soviétique russe, ne peut pas comprendre ce que l’Amérique est devenue sous la présidence du magnat de l’immobilier.

Il fait donc sa comparaison avec les services secrets communistes :

« Notre inquiétude a également été renforcée par l’atmosphère qui régnait dans le bureau ovale lors de cette conversation, qui nous a rappelé les interrogatoires que nous avons subis aux mains des services de sécurité et les débats dans les tribunaux communistes. Les procureurs et les juges, agissant au nom de la toute puissante police politique communiste, nous expliquaient qu’ils détenaient tous les pouvoirs et que nous n’en avions aucun. Ils exigeaient que nous cessions nos activités, arguant que des milliers d’innocents souffraient à cause de nous. Ils nous ont privés de nos libertés et de nos droits civiques parce que nous refusions de coopérer avec le gouvernement ou d’exprimer notre gratitude pour notre oppression.
Nous sommes choqués que le président Volodymyr Zelensky ait été traité de la même manière. »

Par la suite, il explique sa vision historique du rôle des Etats-Unis. Vous pourrez lire cette lettre et sa traduction derrière ce « lien ». Je trouve son analyse très pertinente. Vous trouverez la vidéo de ce triste épisode de l’histoire américaine « ici ». Et je finirai par le jugement sans appel du journaliste franco-suisse, Richard Werly, dans une émission de France Télévision :

« Ce Donald Trump est vraiment un sale type !»

Vendredi 17 janvier 2025

« L’avenir de tout ce que nous avons de meilleur est en train de se jouer en ce moment même, et la partie semble très mal engagée. »
Jean-PIerre Bourlanges en analysant l’attaque en règle que Trump et Musk lancent contre les valeurs, les intérêts et la souveraineté des européens

Je voudrais conclure cette série sur Elon Musk qu’aujourd’hui on ne peut plus dissocier du couple disruptif qu’il forme avec Trump.

Pouviez-vous imaginer, un candidat à la présidence d’un grand Etat occidental qui en plein meeting déclare ?

« Je suis favorable aux automobiles électriques. Je n’ai pas le choix car vous le savez, Elon Musk vient de m’apporter son soutien »

C’était Trump en Géorgie, le 4 août 2024. Quatre jours avant le 31 juillet, le même candidat affirmait être « contre tous ceux qui possèdent une voiture électrique » et rappelait qu’il mettrait immédiatement fin aux mesures d’aides à l’achat de ces autos en cas de victoire.

Le fait qu’un candidat épouse la stratégie d’un lobbyiste qui le finance n’est pas nouveau.
Mais le fait qu’il le révèle ouvertement, ça c’est du jamais vu. Trump dit : je suis contre mais je suis payé par Musk, donc je suis pour !

Je pourrais continuer à énumérer les « dingueries » d’Elon Musk.

Je viens de lire que l’entrepreneur a affirmé que sa société Boring Company était en mesure de réaliser un tunnel de 4 800 km, sous l’Océan Atlantique, reliant les Etats-Unis et le Royaume Uni. Rappelons que le tunnel sous la Manche mesure 37 km.

Ce projet a été imaginé par d’autres, mais personne ne le pensait réalisable. Certains avaient estimé son coût à 20 000 milliards de dollars. Lui pense que sa société grâce à des technologies révolutionnaires pourrait le réaliser pour 20 milliards de dollar. Autant dire, presque rien : la Cour des comptes estime le coût total de l’ EPR de Flamanville à 23,7 milliards d’euros

Je préfère finir en abordant deux points.

Le premier est d’essayer de comprendre cette volonté de diminuer le rôle de l’Etat et des services publics. Nous avons appris que non seulement les hyper-riches de Californie accaparaient l’eau pour leurs besoins propres, eau qui manquait aux pompiers pour lutter contre les feux. Mais ils font mieux : ils emploient des pompiers privés.

Le Prix Nobel d’Economie, Joseph Stiglitz, analyse cela précisément dans un article du Figaro :

« Quand il y a trop d’inégalités – c’était l’objet de mon livre précédent – les plus riches ne dépendent plus des services publics. À l’époque, je vous avoue que je n’avais pas pensé aux pompiers privés ! Les plus fortunés usent de leur influence sur le système d’information – les médias – et sur l’économie pour encourager à réduire les dépenses sur les services publics dont ils n’ont pas besoin. Et c’est ainsi, de fil en aiguille, que dans la première puissance économique mondiale, on arrive à avoir une des espérances de vie les plus faibles parmi les pays riches, avec de très fortes inégalités. L’un des droits de l’Homme les plus fondamentaux, le droit de vivre, a régressé aux États-Unis. »

Emmanuel Todd ne cesse de répéter que désormais l’espérance de vie moyenne en Russie est supérieure à celle des Etats-Unis.

On pourrait se demander : mais comment Elon Musk pensent-ils pouvoir supprimer autant d’emplois publics ?

La réponse est qu’il pense qu’on peut remplacer la plupart d’entre eux, ceux qui gardent une utilité dans son esprit, par de l’intelligence artificielle. C’est ce que raconte dans « Le nouvel esprit public du 12 janvier », Richard Werly, journaliste et essayiste franco-suisse, qui a fait un long tour des Etats-Unis pendant la campagne électorale de 2024 :

« Et le pire dans tout cela, c’est que cela va donner des résultats. Le cynisme absolu, l’autoritarisme et le talent médiatique de l’un, combiné aux ressources et à la créativité de l’autre, vont forcément produire des résultats.
On se demande comment tout cela pourrait tenir, après les coupes énormes prévues.
Grâce à l’intelligence artificielle. Une fois que le ménage est fait, on remplace tous ces hauts fonctionnaires par des robots. Cela a l’air délirant, mais j’ai entendu tout cela. C’est ainsi qu’on entend gérer l’Amérique, qui restera de toute façon la meilleure, dans la mesure où on aura cassé les rotules de tous les concurrents gênants. »

Dans Libération, le 15 janvier 2025, Sylvie Laurent, historienne et américaniste française explique que les dirigeants de la tech qui peuplent aujourd’hui l’administration Trump sont les représentants d’un projet singulier, stade ultime de la fusion entre l’Etat et le capital : « Comment les Etats-Unis sont entrés dans l’ère techno-réactionnaire »
.

Elle montre que plusieurs d’entre eux sont issus ou ont vécus dans l’Afrique du sud de l’apartheid outre Elon Musk, Peter Thiel et David Sacks sont dans ce cas. C’est ainsi qu’elle pense qu’ils sont dans une défense de la minorité blanche. Elle écrit :

« L’oligarchie est génétique. »

Elle prétend que le natalisme de Musk est une réaction à la peur du déclin démographique de l’Occident, l’obsession de Musk. Inspirés par les idéologues qu’elle cite, Sylvie Laurent termine son article par cette description :

« Toute l’idéologie du monde, et elle est solide chez les techno- réactionnaires, n’est jamais que l’idéologie de la classe à laquelle ils appartiennent. Les grandes effusions entre ces capitalistes de la tech, Trump et l’Etat américain n’ont qu’un objectif : obtenir la valorisation de leurs intérêts fiscaux et économiques, fusse en siphonnant les budgets publics, de la recherche et du Pentagone, mais aussi en s’imposant comme seuls prestataires de missions de service public : remplacer la Federal Reserve et le dollar par les cryptomonnaies, les agences de santé par le transhumanisme, les écoles publiques par des formations en ligne et autres mooks, les trains à grande vitesse par des Tesla ou des Hyperloop, la fibre par des accès au réseau Starlink. »

Le second point c’est l’attaque en règle de Musk et de Trump contre ses alliés et notamment contre l’Europe. Non seulement ils s’attaquent à nos valeurs mais ils s’attaquent aussi à nos intérêts. Dans le Nouvel Esprit Public, précité Jean-Pierre Bourlanges décrit la situation :

« On s’est demandé pendant quelques mois si l’élection de Trump se traduirait par une baisse de la protection américaine de l’Europe, mais nous n’avions jamais envisagé que ce serait lui qui nous ferait la guerre. Or objectivement, c’est ce qui est en train d’arriver avec les menaces sur le Groenland […] Ne nous leurrons pas : la situation est réellement hallucinante. Ce qui est en train de se passer est un choc de première grandeur pour le monde, pour l’Europe, et pour la France. C’est la ploutocratie absolue qui règne désormais. Le conflit d’intérêt n’est plus une anomalie ou une exception, il est devenu le moteur de la constitution de l‘équipe de Donald Trump. »

« Sommes-nous prêts ? » est la question qu’a posée « C Politique » du 12 janvier. Les invités très intéressants de cette émission David Djaïz, Asma Mhalla et Céline Spector sont assez peu confiants dans la capacité européenne de répondre au défi.

 

Ce que l’on peut constater, c’est que l’Europe est désunie. Meloni cherche à s’attirer les bonnes grâces d’Elon Musk qui accepte bien volontiers ses avances dans la mesure où des contrats lui sont promis. Orban est ouvertement l’allié de Trump. Et l’Allemagne si dépendante des Etats-Unis pour sa protection et ses exportations n’aura qu’une idée : ne pas contrarier le duo Musk Trump.

Dans le « Nouvel Esprit Public » Nicolas Baverez explique cela très bien :


« Il n’y a pas si longtemps, l’adversaire désigné était la Chine, mais pour le moment, toutes les cibles des Etats-Unis sont des pays alliés, même les plus proches (Royaume-Uni et Canada). Cette structure intellectuelle est celle de Vladimir Poutine : Trump est en train de nous expliquer qu’il y a un étranger proche des USA (Canada, Panama, Groenland) auquel personne n’a le droit de toucher, et dont on va s’assurer le contrôle. C’est un raisonnement de sphère d’influence, qui n’exclut pas le recours à la force. Il n’y a donc plus de respect de la souveraineté nationale, ni des frontières, c’est le monde de Poutine, de Xi, d’Erdogan. […] Olaf Scholz se fait insulter sans même répondre, Keir Starmer panique, et Kaja Kallas se contente de rappeler que « les Etats-Unis restent l’allié privilégié de l’Europe ». Et parallèlement aux tentatives de division, le duo met sur un piédestal Mme Meloni.
C’est une grande leçon pour l’Europe. L’idée de l’UE, selon laquelle elle va réguler l’IA et le numérique alors qu’elle n’a aucun acteur dans ces secteurs, qu’elle va prendre le leadership de la transition écologique alors qu’elle n’a aucun acteur industriel est une chimère complète. Comment réguler des secteurs dans lesquels on n’a aucun poids ? Sans compter la dépendance européenne en matière de Défense. Les Etats-Unis de MM. Trump et Musk vont nous faire payer tout cela au prix fort. »

Jean-Pierre Bourlanges voudrait trouver un Churchill, mais n’en trouve aucun :

« Car nous sommes dans la même situation que Churchill dans son discours passé à la postérité, celui de la « plus belle heure » du Royaume-Uni (« the finest hour »), où il dit que les Britanniques sont les seuls à défendre la civilisation, tout ce en quoi nous croyons, qu’ils doivent mener le combat le plus décisif, à l’enjeu le plus élevé, seuls. Et Churchill dans un formidable élan d’optimisme prophétique, déclare que cette heure la plus sombre est aussi la plus belle. L’Europe est dans la même situation.
Mais est-ce que les Européens sont capables d’un tel sursaut ? […]
Nous sommes dans la situation décrite par Churchill ; l’avenir de tout ce que nous avons de meilleur est en train de se jouer en ce moment même, et la partie semble très mal engagée. »

Notre problème est double d’abord nous sommes tellement dépendants à l’égard des américains : de leur technologie, de leur protection militaire, de leur système financier, de notre incapacité à répondre à la puissance de l’extraterritorialité de leur justice.

Ensuite, si nous voulions vraiment défendre nos valeurs et nos intérêts ,il faudrait aussi que l’immense majorité des européens soient des citoyens avant d’être des consommateurs. Car notre confort de consommateur à court terme a beaucoup à perdre, si nous voulions vraiment défendre notre citoyenneté. Mais en agissant ainsi, à moyen terme nous perdrons les deux : notre confort de consommateur et nos valeurs citoyennes.

Jeudi 16 janvier 2025

« Vous êtes les médias, maintenant ! »
Tweet d’Elon Musk sur X, le lendemain de l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis

Le quatrième épisode que France Culture lui consacre a pour titre « Elon Musk, l’homme le plus puissant d’Amérique ? ».

Et voilà qu’en 2022, Elon Musk achète « Twitter » pour 43 milliards de dollars. C’est une entreprise peu rentable. Ce n’est pas pour l’argent qu’il va acheter ce réseau social.

François Saltiel :

« C’est vraiment l’achat de Twitter qui va le plonger dans l’arène idéologique et politique. Il va adhérer à Donald Trump car c’est lui qui est le mieux placé pour propulser ses idées. »

Elon Musk n’a pas le désir de devenir Président des Etats-Unis, nonobstant le fait qu’il ne peut pas se présenter à l’élection présidentielle parce que seul les états-uniens de naissance disposent de ce droit.

François Saltiel insiste sur le fait que même s’il le pouvait, il ne le souhaiterait pas parce que les libertariens ne considèrent pas que le président est l’homme qui a le plus de pouvoir.

François Saltiel cite Peter Thiel qui est un grand joueur d’échec :

« L’équivalent sur l’échiquier du président des Etats-Unis c’est le Roi.
Le Roi n’a pas beaucoup de capacité. Il se déplace comme un pion. C’est la pièce qui a certes le plus grand pouvoir symbolique, mais la plus vulnérable.
Qui protège le Roi ?
La Dame et le Fou, ça ce sont les pièces qui comptent.
Ce sont les rôles que veulent avoir Elon Musk et Peter Thiel. Le Roi ils n’ont pas envie de l’être : avoir la couronne mais ne pas avoir la puissance. Musk se rapproche de Trump, mais il ne veut pas être à sa place. Il veut continuer à développer ses entreprises, continuer à se servir de Donald Trump pour véhiculer ses idées. »

Dans cet épisode, on entend Elon Musk répondre à une interview, sur France 2, en juin 2023 :

« Vous êtes reçu comme un chef d’État, y compris par le Président chinois. Est-ce que vous voudriez être Président des Etats-Unis ?
Non je n’ai pas envie !

Pourquoi ?
Vous savez les gens imaginent quelquefois que le Président des Etats-Unis est dans un poste extrêmement puissant. Alors, oui d’une certaine façon, bien sûr. Mais la constitution américaine est telle que le Président est dans une position très limitée, en fait.
Président c’est un peu comme être le capitaine d’un très grand bateau, avec une toute petite rame, ou un petit gouvernail. [gros rire] Vous êtes accusé de tout et vous ne pouvez rien faire.

Vous êtes en train de dire que vous êtes plus puissant que le Président des Etats-Unis ?
Alors disons que je ne peux pas déclarer la guerre ! »

Elon Musk a reconnu avoir voté démocrate pendant longtemps. Parmi les libertariens de la Silicon Valley, seul Peter Thiel avait osé, dès 2016, soutenir Donald Trump.
Mais Musk va changer de camp.

Il se lance, selon lui, dans un combat pour la liberté d’expression. C’est semble t’il son argument principal pour le rachat de twitter.

Elon Musk :

« Il est important que les gens aient le sentiment de s’exprimer librement. Et que ce soit une réalité. »

Mais un autre combat ; idéologique, va le motiver : un rejet profond du progressisme et du « wokisme », mouvement qu’il associe à une menace personnelle et sociale.

Elon Musk a eu 12 enfants. C’est un nataliste, il croit que la baisse de natalité conduirait à un effondrement de la civilisation.

En 2022, son ainé décide de changer de genre, il décide de devenir une femme. Constatons que 2022 est aussi la date d’achat de twitter par Musk.

Elon Musk n’accepte pas cette transition, il se lamente dans les médias :

« Le wokisme a tué mon enfant ».

Il déclare renier son enfant. Le fils devenu fille décide de prendre le nom de sa mère et de s’appeler désormais : Vivian Jenna Wilson. Elle décidera aussi, le lendemain de l’élection de Donald Trump de quitter les Etats-Unis.

Elle explique :

« Je ne vois pas mon avenir aux États-Unis […] La journée d’hier (de l’élection) me l’a confirmé. Même si Donald Trump ne reste au pouvoir que quatre ans, même si les réglementations anti-trans ne sont pas appliquées comme par magie, les gens qui ont voté pour lui ne vont pas s’en aller de sitôt. ».

Le père et la fille s’invectivent sur les médias sociaux, la fille traite Musk de « père absent », « froid », « cruel », et « narcissique ».

L’achat de Twitter était certainement programmé avant, mais cet épisode de la vie d’Elon Musk va le conduire à un tournant idéologique dans son utilisation d’X, non seulement comme outil de communication, mais aussi comme plateforme de lutte culturelle et politique. Depuis son acquisition par Elon Musk, X incarne une vision radicale de la liberté d’expression au détriment de la véracité des faits et de la modération. Cette plateforme devient un levier de polarisation et de désinformation.

François Saltiel explique :

« En réduisant la modération, il cultive ce en quoi il croit, la liberté d’expression à tout crin, provoquant une forme de chaos informationnel où tout le monde, en échange de paiement, pouvait s’offrir de la visibilité. »

En s’emparant de X il va réintégrer de nombreux comptes qui ont été exclus, notamment celui de Trump, il va supprimer la modération, virer une grande partie du personnel et le remplacer par des collaborateurs à ses ordres.

Il va utiliser X comme instrument de propagande au profit de Trump.

Guillaume Erner raconte qu’il a envoyé un message aux utilisateurs arabes pour leur dire que Kamala Harris va favoriser Israël et un message aux utilisateurs juifs disant que Kamala Harris mènera une politique favorable aux Hamas. Il ne recule devant aucun mensonge.

Au lendemain de la victoire de Trump, Elon Musk a simplement publié sur X :

« Vous êtes les médias, maintenant. »

« Le Monde » analyse :

« Vous êtes les médias, maintenant. » Ce tweet d’Elon Musk, publié le 6 novembre et vu plus de 105 millions de fois, n’a pas seulement mis en lumière la croisade que mène l’homme le plus riche du monde contre les médias traditionnels.
Il marque sans doute l’entrée dans un nouveau régime informationnel, dominé par les médias sociaux, dont le modèle économique est indifférent à la qualité et à la véracité de l’information qu’ils propagent.
A bien des égards, Elon Musk incarne mieux que personne la nouvelle dynamique entre influenceurs, algorithmes et foules numériques, décrite par Renée DiResta dans Invisible Rulers (« dirigeants invisibles », PublicAffairs, 2024, non traduit) et qui constitue le creuset d’une part croissante de l’information parvenant sur nos écrans, au détriment de celle qui émane des médias traditionnels. »

Guillaume Erner et François Saltiel insistent aussi sur le caractère eugéniste d’Elon Musk et sa défiance à l’égard de la démocratie :

« A la fin, seuls les plus intelligents vaincrons. A la fin ce que veut réaliser Elon Musk c’est de saper la démocratie. Il ne croit pas en la démocratie. Il croit en une élite qui va arriver au pouvoir et qui saura mieux que les autres ce qui est bon pour l’humanité, le bas peuple.

C’est pour cela aussi qu’il fait 11 enfants (un est mort en bas âge) parce qu’il estime qu’il a un QI extraordinaire et qu’il faut qu’il puisse se reproduire. »

Lors du mot du jour consacré à la victoire de Donald Trump, j’avais cité Peter Thiel qui était encore plus explicite :

« Je ne crois plus désormais que la liberté et la démocratie sont compatibles. […] Les années 1920 furent la dernière décennie dans l’histoire américaine où l’on pouvait être parfaitement optimiste à propos de la politique. Depuis 1920, l’augmentation considérable des bénéficiaires de l’aide sociale et l’extension du droit de vote aux femmes – deux coups notoirement durs pour les libertariens – ont fait de la notion de « démocratie capitaliste » un oxymore. »

François Saltiel conclut :

« Nous avons mis finalement le destin de la démocratie américaine dans les mains d’un entrepreneur un peu fou, un peu dingue, un peu génial, un peu maléfique, qui rigole et qui prend les choses avec dérision. Sa posture, mêlant humour noir et stratégies de domination, déstabilise les valeurs traditionnelles des démocraties occidentales. »

Régis Debray avait expliqué que là où l’Etat recule, et c’est le combat que poursuivent Musk, Thiel et les autres, ce sont les mafias et les religieux qui prennent la place…

Que ces transhumanistes réactionnaires constituent une sorte de mafia, relève de l’évidence, leurs croyances et leurs visions messianiques rappellent par leur fanatisme, le pire des religions.

Peut-être comme le prédisent certains, tous ces males alpha ne pourront pas s’empêcher de se battre pour qu’il n’en subsiste plus qu’un et que dans ces disputes, ils se neutralisent.

C’est un espoir fragile, mais possible.

Mercredi 15 janvier 2025

« Beaucoup de choses sont improbables, seules quelques-unes sont impossibles ! »
Elon Musk


En 2002, Elon Musk et Peter Thiel vendent « Paypal » à « E Bay » pour une somme de 1,5 milliards de dollars. Lors de cet vente les relations entre les deux hommes vont se détériorer.

Ne perdant pas de temps, cette même année 2002, Musk fonde « SpaceX », un fabricant aérospatial et une société de services de transport spatial. Il en est le PDG.

Le troisième épisode que France Culture lui consacre a pour titre : « De Tesla à Starlink, un serial entrepreneur dans la Silicon Valley »

Cet épisode raconte ce qui se passe deux ans plus tard.

Elon Musk va investir 6,5 millions de dollars dans une modeste entreprise appelée « Tesla » et qui avait été fondée, un an auparavant, par deux passionnés d’énergie durable : Martin Eberhard et Marc Tarpenning.

Pour cette petite société, l’investissement de Musk est énorme, pour ce dernier il ne s’agit que d’une fraction de sa fortune.

Elon Musk va par ses idées révolutionnaires et un marketing forcené rendre cette marque mondialement célèbre.

Il s’agit bien sûr d’un groupe d’informaticiens qui vont créer une voiture technologique qui allie le physique : le châssis, le moteur électrique et le logiciel.

Les constructeurs automobiles, comme Général Motors, ne voient rien venir, ne comprennent pas cette concurrence qui ne vient pas de leur monde.

C’est exactement la même erreur que les grands distributeurs, qui venaient du monde de l’épicerie, ont commis à l’égard d’Amazon de Jeff Bezos qui est la création de logisticiens totalement insérés dans le monde informatique.

Au début Tesla travaille sur un modèle appelé « Roadster » qui est basé sur le châssis de la « Lotus Ellise » qui était une voiture de sport assez peu utilisable pour la route.

Sa batterie au lithium-ion donne au Tesla Roadster une autonomie de 370 km. Elle se recharge en cinq heures. Elle est vendue aux environs de 84 000 euros et Tesla a vendu environ 2 450 Roadsters dans plus de 30 pays (source Wikipedia)

Les débuts sont difficiles…

Elon Musk (PDG de Tesla et SpaceX) décide d’envoyer un Tesla Roadster dans l’espace vers Mars lors du premier vol de la fusée Falcon Heavy. Le lancement, effectué le 6 février 2018, est réussi. La voiture est désormais en orbite autour du soleil, entre la Terre et Mars.

Le second modèle qu’il créera sera une berline luxueuse le « model S » qui sera vendu environ 100 000 $ et qui est commercialisé à partir de juin 2012.

Et après un troisième modèle le « model X » commercialisé aux USA en septembre 2015, Elon Musk voudra démocratiser la voiture électrique en créant le « model 3 » qui est le quatrième modèle et vaudra 35 000 $. Les premiers modèles sortiront en juillet 2017. Le Model 3, initialement moqué pour des problèmes de production, finit par devenir un succès retentissant.

Il sera produit en beaucoup plus grand nombre et le principal lieu de production sera la Gigafactory de Shangaï en Chine.

Tesla Gigafactory Shanghai en 2024

En 2020 est produit le « Model Y » . Il est le cinquième modèle de l’histoire de ce constructeur, et se présente comme une version surélevée du Model 3. En 2023, il devient le modèle le plus vendu en Europe, toutes énergies confondues.

Tesla Model Y

En mars 2020, Tesla avait annoncé la production de la millionième Tesla depuis le lancement de la marque. Il s’agit d’un Model Y de couleur rouge.

Guillaume Erner, grand connaisseur de voiture explique :

« Ce sont des voitures extrêmement performantes, qui vont très vite. […] Il va créer un véritable éco système, un peu de la même façon qu’Apple qui a créé un certain nombre d’objets qui n’existaient pas avant. »

C’est un peu exagéré, la voiture existait avant… Mais une voiture Tesla constitue une véritable rupture avec ce qui existait. Ce qui existait, c’était des voitures avec un ordinateur de bord qui s’y rajoutait. La Tesla est une application informatique qui dirige une voiture. La vocation de l’application informatique est de rendre cette voiture autonome pouvant se passer d’un conducteur humain.

François Saltiel ajoute :

« Posséder une Tesla aujourd’hui, c’est adhérer à un imaginaire. Comme à un moment donné, il fallait avoir un iphone grâce au marketing.
C’est une sorte de communauté. Lorsqu’on roule en Tesla, on appartient à une communauté de gens qui croient au progrès. Avec une bonne conscience du départ.
On parle d’un Elon Musk ecolo, un homme qui faisait des remontrances à Donal Trump parce qu’il ne voulait pas respecter les accords de Paris. »

Je me demande ce que peut penser un authentique « bobo » possédant une Tesla en voyant l’évolution récente d’Elon Musk. Mon ami Jean-Louis m’a raconté qu’il a vu une Tesla garée avec un mot derrière le pare-brise : « Excusez-moi. J’ai acheté cette Tesla avant qu’Elon ne devienne dingue ! ».

Guillaume Erner fait le constat de la rupture de Musk : Tesla est une voiture démocrate, de gens aisés mais conscient de certaines problématiques écologiques. Maintenant Tesla est devenu une icône républicaine qui se matérialise dans un nouveau modèle le « Cybertruck » :

Tesla Cybertruck 2024


« Qu’est-ce que le cybertruck ? C’est un camion, un pickup […] C’est une voiture trumpienne avec des angles acérés.
Vous n’en voyez pas en circulation en France parce qu’elle est tout simplement interdite de circulation en Europe. Elle est considérée comme trop dangereuse pour les piétons.
Je trouve cela très caractéristique. Elle est inspirée de l’univers dystopique de Blade Runner, alors que jusqu’à présent les formes de Tesla étaient plutôt féminines. »

Il s’agit donc d’une voiture viriliste qui résiste aux balles et qui illustre un changement d’idéologie pour Elon Musk et marque un virage vers une mentalité trumpiste et conservatrice.

Les producteurs de Blade Runner ont attaqué Musk en justice en considérant qu’il trahit l’esprit de leur film avec son dernier modèle : « Quand les producteurs de Blade Runner attaquent Elon Musk »

En 2023, Tesla a vendu plus de voitures dans le monde que Renault. Elle reste cependant loin de Toyota : 1,8 millions contre 9,5 millions pour la marque japonaise.

En revanche, dès 2020 Tesla est devenu la 1ère capitalisation automobile mondiale. En Janvier 2025, la capitalisation boursière pour Tesla s’élève à 1.234 Billion d’euros. Cela fait de Tesla la 8ème entreprise la plus précieuse au monde par capitalisation, la première restant Apple.

Elon Musk va continuer à lancer des entreprises innovantes et créer ainsi un empire tentaculaire.

En 2016, Tesla rachète « SolarCity » spécialisée dans les panneaux solaires pour 2,6 milliards de dollars. Elon Musk déclare que la mission de Tesla depuis sa création est « d’accélérer la transition du monde vers une énergie durable »

En 2019, Elon Musk crée « Starlink » fournisseur d’accès à Internet par satellite de la société SpaceX. Il s’appuie sur une constellation de satellites comportant des milliers de satellites de télécommunications placés sur une orbite terrestre basse. Starlink est le premier fournisseur d’internet par satellite à choisir cette orbite car elle permet de diminuer la latence (le temps de réponse) en la faisant passer de 600 ms à environ 20 ms. La constellation est en cours de déploiement depuis 2019 et repose sur environ 6 300 satellites opérationnels mi-septembre 2024. En septembre 2024, Starlink affirme disposer de plus de 4 millions de clients. Pour atteindre ses objectifs commerciaux, SpaceX prévoit de disposer vers 2025 de 12 000 satellites, chiffre qui doit être porté à terme à 42 000. (source wikipedia).

Toujours dans son ambition de privatiser des domaines qui appartenait à la sphère publique et à l’autorité des Etats, il devient un acteur incontournable de l’infrastructure spatiale comme de la collecte des données.

Il mettra à disposition de l’Ukraine son réseau Starlink, au début de l’invasion russe, pour rétablir des communications qui avait été coupées par l’armée de Moscou. A Mayotte, après la dévastation de l’île par le cyclone chido, le premier ministre François Bayrou fera appel à Starlink pour rétablir l’internet sur le département.

Il tentera encore d’autres innovations telles que « Hyperloop » un transport ferroviaire à très grande vitesse, projet de recherche industrielle proposé en 2013, ou « The Boring Company » société de construction de tunnels fondée en 2016.

Ces tentatives n’ont pas encore abouti.

Par exemple, un projet « Hyperloop Lyst », mené avec l’école des Mines de Saint-Étienne, devait permettre de relier Lyon à Saint-Étienne en 10 minutes. Ce projet a été abandonné.

Il fallait trouver un exergue à ce troisième épisode.

Elon Musk est un grand créateur d’aphorisme. J’ai choisi celui qui me semblait le plus en phase avec les faits relatés dans ce mot du jour :

« Beaucoup de choses sont improbables, seules quelques-unes sont impossibles ! »

Je redonne le lien vers le troisième épisode que France Culture a mis en ligne : « De Tesla à Starlink, un serial entrepreneur dans la Silicon Valley »

Mardi 14 janvier 2025

« La mafia paypal ! »
Peter Thiel, Elon Musk, David Sacks et d’autres libertariens issu de Paypal et jouant un rôle d’influence dans la tech

Continuons à nous intéresser au parcours d’Elon Musk jusque dans les bureaux de la Maison Blanche…

Pour le deuxième épisode, France Culture a choisi ce titre : « Elon Musk à l’assaut de l’État »

Dans l’épisode 1, nous avions laissé Elon Musk riche, après avoir vendu sa première Start Up créée avec son frère : Zip2. Nous avons compris que l’argent gagné, il n’allait pas l’utiliser pour s’amuser et payer des loisirs.

Dans la logique de la Silicon Valley, il va utiliser son premier gros gain pour investir dans une nouvelle entreprise : il s’agira d’une plateforme de paiements en ligne qu’il nommera déjà « X », plus précisément « X.com »

François Saltiel explique :

« Il veut déjà court-circuiter le schéma traditionnel pour développer cette entreprise qui va par la suite racheter une jeune pousse qui s’appelle « Paypal ». Et Paypal prendra par la suite le dessus sur X pour devenir ce qui va devenir son premier très grand succès. »

En 2002, Ebay rachètera Paypal pour 1,5 milliards de dollars, ce qui lui permet d’empocher personnellement plus de 180 millions de dollars.

Mais de cette aventure, il ne retire pas seulement de l’argent, c’est aussi une philosophie qui est à l’œuvre. Il s’agit d’une philosophie libertarienne qui vise à réduire le rôle des structures étatiques dans la gestion monétaire.

Il fait partie alors d’un groupe d’entrepreneurs qui partagent l’idée d’une réduction des services publics et souhaitent s’en prendre directement au monopole de l’État, notamment dans le domaine financier.

François Saltiel précise :

« Avec PayPal, c’est la première fois que l’on peut payer, avoir un instrument de paiement qui n’est pas une banque traditionnelle. »
Musk et ses proches transforment leurs idées audacieuses en une révolution économique qui ne dissimule pas ses ambitions politiques. Au fond, il s’agit de préparer la réorganisation de la société autour des nouvelles technologies.

François Saltiel décrit cette révolution ainsi :

« Paypal c’est un « game changer » pour Elon Musk. Il y a un avant et un après Paypal. Lorsqu’il entre dans cet éco système, il fait la rencontre de Peter Thiel. […] Peter Thiel, c’est un investisseur, c’est un des premiers investisseurs de Facebook. Il a beaucoup d’argent. Il est beaucoup plus discret qu’Elon Musk mais il a une énorme influence [dans la silicon valley]. Il est un des chantres du libertarianisme. C’est un transhumaniste. »

Peter Thiel est un des hommes qui comptent le plus dans cet écosystème. Il cofonde « Palantir » dans lequel il joue un rôle essentiel. C’est une entreprise qui fait de l’analyse de données et notamment de données secrètes. Il se sert de l’Ukraine comme un laboratoire d’expérimentation.

Peter Thiel avait étudié la philosophie à l’université Stanford, et se dit très influencé par la pensée de René Girard et sa théorie du désir mimétique. Peter Thiel va soutenir Trump dès 2016.

En 2007, le magazine «Fortune» utilise le terme de « mafia PayPal » en appui d’une photographie montrant un groupe de 13 hommes liés à l’entreprise PayPal et habillés dans des vêtements évoquant des mafieux. Notons qu’Elon Musk est absent de cette photo…

Il n’y a pas que le décor, il y a aussi l’influence grandissante de ces entrepreneurs libertariens sur la tech. Outre Elon Musk et Peter Thiel, on y trouve David Sacks, fondateur de Yammer; Reid Hoffman, fondateur de LinkedIn; Jawed Karim et Chad Hurley, co-fondateurs de Youtube et quelques autres.

Le Figaro publie un article le 6 novembre 2024 : « Elon Musk, Peter Thiel, David Sacks… Comment la «mafia PayPal» a œuvré pour la victoire de Donald Trump » Ce sont eux qui auraient proposé le vice président à Donald Trump : J. D. Vance. Ce dernier présente Peter Thiel comme son mentor.

En 2002, Elon Musk va se lancer dans un nouveau défi : la conquête spatiale. Il crée SpaceX. Son premier objectif est de réduire de manière drastique les coûts des vols spatiaux en devenant le sous-traitant de la Nasa. Peu croit en lui. François Saltiel raconte :

« Tout le monde se moque de lui,  surtout qu’il ajoute : Je vais aller construire mes propres fusées et puis on va coloniser Mars. »

Force est de constater qu’il va réussir à devenir indispensable à la NASA. Le projet concurrentiel de Jeff Bezos « Blue Origin » a pris beaucoup de retard. Sans Space X, la NASA n’est plus en mesure de réaliser ses projets.

Ce constat fait dire à François Saltiel : « ce dingue n’est pas fou ». Il n’est pas fou, mais il est peut être dangereux.

Il a beau être libertarien, le succès de SPace X repose quand même sur beaucoup de subventions versées par l’Etat honni.

En revanche, il rempli l’objectif de diminuer les coûts, même si cela doit entraîner une augmentation du risque. Trump l’embauche pour essayer de réaliser les mêmes performances dans l’Administration fédérale.

En conclusion, François Saltiel, caractérise l’homme d’affaire comme l’incarnation du « technosolutionnisme ». Cette hypothèse prétend que si les ressources de la planète sont limitées, l’homme parviendra toujours à repousser ses frontières grâce à la technologie.

Je redonne le lien vers ce deuxième épisode : « Elon Musk à l’assaut de l’État »