Ecouter un discours de Claude Malhuret constitue toujours un moment savoureux, tant cet homme sait trouver les mots pour décrire une situation, un évènement, le comportement d’un humain.
Souvent, je suis d’accord avec le point de vue de ce centriste qui a été deux ans secrétaire d’état aux droits de l’homme de 1986 à 1988, dans le gouvernement de cohabitation de Jacques Chirac. Il a été maire de Vichy de 1989 à 2017, il est toujours sénateur de l’Allier.
Médecin de formation il a été pendant 8 ans président de Médecin sans frontière à partir de 1978.
Initialement, il était marqué à gauche et même marxiste. Mais il a résolument quitté ce courant de pensée en 1977, au retour d’un voyage en Thaïlande.
Wikipedia nous apprend qu’en 1976 et 1977, en Thaïlande, il est coordinateur des équipes médicales de l’association Médecins sans frontières (MSF) dans les camps de réfugiés cambodgiens, laotiens et vietnamiens. « Nous nous étions misérablement fourvoyés », reconnaîtra-t-il plus tard au sujet du génocide cambodgien, perpétré de 1975 à 1979 par les Khmers rouges. C’est cette expérience qui l’éloignera des utopies radicales et de la Gauche qui prétend incarner « le bien ». En 2003, il publie un livre sur ce sujet : « Les Vices de la vertu ou la Fin de la gauche morale. ».
Après l’épisode lamentable dans le bureau ovale de la Maison Blanche, pendant lequel Trump et son vice président ont insulté le Président Ukrainien Volodomyr Zelenski, Claude Malhuret a trempé sa plume dans l’acide et a offert au Sénat un discours d’anthologie :
« L’Europe est à un tournant critique de son histoire. Le bouclier américain se dérobe, l’Ukraine risque d’être abandonnée, la Russie renforcée. Washington est devenu la cour de Néron. Un empereur incendiaire, des courtisans soumis et un bouffon sous kétamine chargé de l’épuration de la fonction publique. C’est un drame pour le monde libre, mais c’est d’abord un drame pour les États-Unis. »
« Un bouffon sous kétamine » désigne Elon Musk. Ce dernier, comme le rappelle « Ouest France », a admis consommer régulièrement de la kétamine, une drogue aux effets dissociatifs puissants, pouvant altérer la perception de la réalité et influencer la prise de décision.
« Le Point » donne des précisions sur la kétamine : « Cette molécule est une substance dérivée de la phencyclidine et produite chimiquement. Actuellement, elle est utilisée par les professionnels de santé comme anesthésique vétérinaire ainsi qu’en médecine humaine également dans le cadre des anesthésies générales. « Sous forme inhalée, ce produit est utilisé pour soulager un trouble dépressif et des idées suicidaires », complète le Pr Amine Benyamina, psychiatre, spécialisé en addictologie et à la tête du service de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Paul-Brousse (AP-HP) à Villejuif (Val-de-Marne). La kétamine fait partie de la catégorie des hallucinogènes. Mais, elle est aussi détournée de son usage médical à des fins récréatives. « La kétamine peut être utilisée dans les milieux festifs. À doses modérées, elle provoque des hallucinations, un sentiment de détente et des effets sensoriels très importants », alerte l’addictologue. Les adeptes mettent également en avant des états dissociatifs avec une distorsion de la perception visuelle et corporelle. »
Certaines apparitions de Musk en public semble montrer, en effet, que cet homme se trouve dans un état de lucidité aléatoire.
« Le message de Trump est que rien ne sert d’être son allié puisqu’il en vous défendra pas, qu’il vous imposera plus de droits de douane qu’à ses ennemis et vous menacera de s’emparer de vos territoires tout en soutenant les dictatures qui vous envahissent. Le roi du deal est en train de montrer ce qu’est l’art du deal à plat ventre. Il pense qu’il va intimider la Chine en se couchant devant Poutine, mais Xi Jinping, devant un tel naufrage, est sans doute en train d’accélérer les préparatifs de l’invasion de Taïwan. »
Il est étonnant de constater que Trump s’attaque d’abord à ses alliés historiques qu’il ne respecte pas alors qu’il répète son respect pour les dictateurs ou autocrates comme Poutine et Xi Jinping. L’analyse du fonctionnement de la rhétorique Trumpiste, nous rapproche des règles mafieuses dans lesquelles le parrain exige la soumission à sa prédation contre une promesse, toujours révocable, de protection.
« Jamais dans l’histoire un président des États-Unis n’a capitulé devant l’ennemi. Jamais aucun n’a soutenu un agresseur contre un allié. Jamais aucun n’a piétiné la Constitution américaine, pris autant de décrets illégaux, révoqué les juges qui pourraient l’en empêcher, limogé d’un coup l’état-major militaire, affaibli tous les contre-pouvoirs et pris le contrôle des réseaux sociaux.
Ce n’est pas une dérive illibérale, c’est un début de confiscation de la démocratie. Rappelons-nous qu’il n’a fallu qu’un mois, trois semaines et deux jours pour mettre à bas la République de Weimar et sa constitution. »
Claude Malhuret rappelle le précédent fâcheux de la République de Weimar qui en 1933 a permis l’accession des nazis au pouvoir en Allemagne grâce à la complicité des partis de droite et du centre. Arrivé au pouvoir par des processus institutionnels, il a fallu peu de temps à ce parti pour éliminer tous les contrepouvoirs et devenir une dictature. Pour l’instant, Trump est dans le processus de faire taire tous les contrepouvoirs aux Etats-Unis en commençant par la Justice, la Presse et aussi le monde Universitaire.
« J’ai confiance dans la solidité de la démocratie américaine et le pays proteste déjà. Mais, en un mois, Trump a fait plus de mal à l’Amérique qu’en quatre ans de sa dernière présidence. »
Il est certain que par rapport à son premier mandat, Trump est mieux préparé et mieux entouré pour mettre en œuvre sa politique autoritaire, violente et cherchant à réduire la démocratie à son seul pouvoir.
« Nous étions en guerre contre un dictateur, nous nous battons désormais contre un dictateur soutenu par un traître. Il y a huit jours, au moment même où Trump passait la main dans le dos de Macron à la Maison-Blanche, les États-Unis votaient à l’ONU avec la Russie et la Corée du Nord contre les Européens réclamant le départ des troupes russes. Deux jours plus tard, dans le Bureau ovale, le planqué du service militaire donnait des leçons de morale et de stratégie au héros de guerre Zelensky, avant de le congédier comme un palefrenier en lui ordonnant de se soumettre ou de se démettre [applaudissements]. Cette nuit, il a franchi un pas de plus vers l’infamie en stoppant la livraison d’armes pourtant promises. »
Ce n’est pas la première fois que les Etats-Unis n’ont pas voté comme les européens à l’ONU, mais c’est la première fois qu’ils ont voté avec la Russie et la Corée du Nord. Claude Malhuret rappelle aussi que Donald Trump s’est fait exempté du service militaire pour de sombres raisons médicales. Enfin il semble clair à ce stade que ses positions et propositions sont davantage en faveur des thèses de Poutine que de l’intérêt de l’état souverain d’Ukraine agressé par son voisin et ayant une grande part de son territoire occupé et annexé.
« Que faire devant cette trahison ? La réponse est simple : faire face. Et d’abord ne pas se tromper. La défaite de l’Ukraine serait la défaite de l’Europe. Les pays baltes, la Géorgie, la Moldavie sont déjà sur la liste. Le but de Poutine est le retour à Yalta, où fut cédée la moitié du continent à Staline. Les pays du Sud attendent l’issue du conflit pour décider s’ils doivent continuer à respecter l’Europe ou s’ils sont désormais libres de la piétiner. Ce que veut Poutine, c’est la fin de l’ordre mis en place par les États-Unis et leurs alliés, il y a 80 ans, avec comme premier principe l’interdiction d’acquérir des territoires par la force. Cette idée est à la source même de l’ONU, où aujourd’hui les Américains votent en faveur de l’agresseur et contre l’agressé parce que la vision trumpienne coïncide avec celle de Poutine : un retour aux sphères d’influence, les grandes puissances dictant le sort des petits pays. “À moi le Groenland, le Panama et le Canada. À toi l’Ukraine, les pays baltes et l’Europe de l’Est, à lui Taiwan et la mer de Chine.” On appelle cela dans les soirées des oligarques du golfe de Mar-a- Lago le réalisme diplomatique. Nous sommes donc seuls. Mais le discours selon lequel on ne peut résister à Poutine est faux. »
Malhuret espère un sursaut de l’Europe. En sera t’elle capable ?
« Contrairement à la propagande du Kremlin, la Russie va mal. En trois ans, la soi-disante deuxième armée du monde n’a réussi à grapiller que des miettes d’un pays trois fois moins peuplé, les taux d’intérêt à 25%, l’effondrement des réserves de devises et d’or, l´’écroulement démographique montrent qu’elle est au bord du gouffre. Le coup de pouce américain à Poutine est la plus grande erreur stratégique commise lors d’une guerre. »
Stratégiquement Malhuret a probablement raison,
« Le choc est violent mais il a une vertu : les Européens sortent du déni. Ils ont compris en un jour à Munich que la survie de l’Ukraine et l’avenir de l’Europe sont entre leurs mains et qu’ils ont trois impératifs : accélérer l’aide militaire à l’Ukraine pour compenser le lâchage américain, pour qu’elle tienne et pour imposer sa présence et celle de l’Europe dans toute négociation. Cela coûtera cher, il faudra en terminer avec le tabou des avoirs russes gelés ; il faudra contourner les complices de Moscou à l’intérieur de l’Europe par une collaboration des seuls pays volontaires, avec bien sûr le Royaume Uni. En second lieu, exiger que tout accord soit accompagné du retour des enfants kidnappés, des prisonniers et des garanties de sécurité absolue. Après Budapest, la Georgie et Minsk, nous savons ce que valent les accords avec Poutine. Ces garanties passent par une force militaire suffisante pour empêcher une nouvelle invasion. »
Il faut surtout convaincre les peuples européens de cette nécessité. Il existe au sein de ces peuples de nombreuses tendances qui soit par lâcheté, soit par l’influence de lobbys pro-russe prétendent que la Russie ne constitue pas une menace pour l’Europe.
« Enfin, et c’est le plus urgent, parce que c’est ce qui prendra le plus de temps, il faut rebâtir la défense européenne négligée au profit du parapluie [nucléaire] américain depuis 1945 et sabordée depuis la chute du mur de Berlin. C’est une tâche herculéenne mais c’est sur sa réussite ou son échec que seront jugés dans les livres d’histoire les dirigeants de l’Europe démocratique d’aujourd’hui. Friedrich Merz vient de déclarer que l’Europe a besoin de sa propre alliance militaire. C’est reconnaître que la France avait raison depuis des décennies en plaidant pour une autonomie stratégique. Il reste à la construire. Il faudra investir massivement, renforcer le fonds européen de défense hors des critères d’endettement de Maastricht, harmoniser les systèmes d’armes et de munitions. »
Melenchon, Emmanuel Todd aussi, semblent craindre davantage le réarmement allemand que l’hostilité de l’impérialisme russe.
« Accélérer l’entraide de l’Union [europénne] á l’Ukraine qui est aujourd’hui la première armée européenne, repenser la place et les conditions de la dissuasion nucléaire à partir des capacités françaises et britanniques, relancer les programmes de bouclier anti-missiles et de satellites. Le plan annoncé hier par Ursula Von der Leyen est un très bon point de départ. Et il faudra beaucoup plus. L’Europe ne redeviendra une puissance militaire qu’en redevenant une puissance industrielle. En un mot, il faudra appliquer le rapport Draghi pour de bon. »
Redevenir une puissance industrielle, voilà la clé. Est-il réaliste d’y croire ? Est-il possible que les européens se mobilisent pour agir dans ce sens ?
« Mais le vrai réarmement de l’Europe, c’est son réarmement moral. Nous devons convaincre l’opinion face à la lassitude et à la peur de la guerre, et surtout face aux comparses de Poutine, l’extrême droite et l’extrême gauche. Ils ont encore plaidé hier à l’Assemblée nationale, monsieur le premier ministre devant vous, contre l’unité européenne, contre la défense européenne. Ils disent vouloir la paix. Ce que ni eux ni Trump ne disent, c’est que leur paix c’est la capitulation, la paix ou la défaite, le remplacement de “de Gaulle Zelinsky” par un Pétain ukrainien à la botte de Poutine, la paix des collabos qui ont refusé depuis trois ans toute aide aux Ukrainiens. Est-ce la fin de l’Alliance atlantique? Le risque est grand. »
Vouloir la paix tel est le slogan utilisé par l’extrême droite et par l’extrême gauche. Melenchon a l’air de croire qu’il suffit d’aller négocier avec Poutine et de faire appel à sa raison pour sortir avec un solide traité de paix permettant à l’Europe de vivre sereinement à côté de cet impérialisme autoritaire et militarisé. Je suis persuadé, pour ma part, que seul une puissance militaire forte peut négocier sérieusement avec des prédateurs comme Poutine et aussi comme Trump.
« Mais depuis quelques jours, l’humiliation publique de Zelinsky et toutes les décisions folles prises depuis un mois ont fini par faire réagir les Américains. Les sondages sont en chute, les élus républicains sont accueillis par des foules hostiles dans leurs circonscriptions, même FoxNews devient critique. Les trumpistes en sont plus en majesté, ils contrôlent l’exécutif, le Parlement, la Cour suprême et les réseaux sociaux. Mais dans l’histoire américaine, les partisans de la liberté ont toujours gagné : ils commencent à relever la tête. Le sort de l’Ukraine se joue dans les tranchées, mais il dépend aussi de ceux qui aux États-Unis, veulent défendre la démocratie, et ici de notre capacité à unir les Européens, à trouver les moyens de leur défense commune et à refaire de l’Europe la puissance qu’elle fut un jour dans l’Histoire et qu’elle hésite à redevenir. »
L’optimisme du sénateur de l’Allier est doux à entendre. Pour ma part, j’ai des doutes…
« Nos parents ont vaincu le fascisme et le communisme au prix de tous les sacrifices. La tâche de notre génération est de vaincre les totalitarismes du 21e siècle. Vive l’Ukraine libre ! Vive l’Europe démocratique ! »
Nous sommes au temps des prédateurs, il faut résister. Pour cela il faut disposer d’une force morale forte que je sens peu dans notre société. Ce discours restera un moment de lucidité et de combat dans un monde de mollesse et de lâche soulagement. « Le discours de Claude Malhuret »
