Vendredi 21 avril 2023

« Une librairie qui meurt, ce n’est pas une page qui se tourne, c’est un livre qui se ferme, à jamais !»
Henri Loevenbruck

C’est en me promenant, à Lyon entre la basilique d’Ainay et la Place Bellecour, que j’ai vu l’annonce :

« Fermeture de la Librairie »

C’était une librairie particulière.

Elle avait pour adresse  : 14 Rue du Plat.

Elle avait pour nom : « Raconte-moi la terre »

Librairie du voyage, des cultures du monde et aussi de la transition écologique, c‘était une librairie-café, car on pouvait aussi y aller déguster un café.

Elle disposait même d’une salle de conférence en sous-sol.

Annie l’avait découverte et  y avait organisé, plusieurs fois, des réunions et des rencontres de travail.

Car le lieu était accueillant.

La Grande Librairie l’avait visité et il en reste <une vidéo>.

La Période après Covid a été trop compliquée, l’équilibre financier ne permettait pas de continuer

C’est triste, une librairie qui ferme.

Dans mon monde idéal il y a beaucoup de librairies et il n’y a pas Amazon.

Du moins pas Amazon comme il fonctionne actuellement

Il pourrait peut-être se justifier si son unique objet était de livrer tous les livres du monde à des Librairies avec à l’intérieur des humains, cultivés qui aiment les livres, c’est-à-dire des libraires. Ces libraires qui font partager à celles et ceux qui viennent dans leur magasin le goût de lire et les aide à choisir.

J’avais écrit une série de mots sur Amazon, elle avait débuté le 24 juin 2021 « Amazon nous veut-il du bien ? »

En France, selon <le syndicat de la Librairie> il existe 3.500 librairies indépendantes.

C’est beaucoup plus qu’aux États-Unis. D’après <cette publication> de 2019, sur tout le territoire des États-Unis il existe moins de 2 300 librairies indépendantes.

Dans mon monde idéal, il n’y aurait pas Amazon.

Mais je suis un réaliste, dans notre monde Amazon existe.

Fallait-il pour autant que notre Président, en pleine période de manifestations sur les retraites, décore le fondateur Jeff Bezos ?

Plusieurs journaux nous ont relaté cette incongruité :

Mais il semble que ce soit « Le Point » qui a dégainé le premier : <Les indiscrets – Macron décore Bezos en secret> :

« Cérémonie fastueuse mais confidentielle, jeudi 16 février en fin d’après-midi au palais de l’Élysée : Emmanuel Macron a remis les insignes de la Légion d’honneur à l’Américain Jeff Bezos, 4e fortune mondiale (111,3 milliards de dollars fin 2022), de passage à Paris.
L’événement, prévu depuis plusieurs semaines, ne figurait pas à l’agenda officiel et n’a été suivi d’aucun communiqué.
L’Élysée avait-il peur d’un fâcheux télescopage le jour où des milliers de manifestants défilaient contre la réforme des retraites ?
Seuls quelques invités triés sur le volet ont assisté à la réception.
Beau joueur, le fondateur d’Amazon avait convié le patron de LVMH, Bernard Arnault, qui le devance désormais (1er, selon Forbes, avec 184,7 milliards de dollars). »

La Légion d’honneur naît le 19 mai 1802 par la volonté du Premier consul, Napoléon Bonaparte.

Elle visait à l’époque à récompenser les citoyens français. D’abord pour saluer la bravoure ou la stratégie militaire, mais aussi pour gratifier des civils en raison de leur mérite au profit de la patrie.

Le site de <l’Ordre de la Légion d’Honneur> explique que :

« Les légionnaires œuvrent au bénéfice de la société et non dans leur intérêt exclusif. Les décorés, dans toute la diversité de leurs activités, contribuent au développement de la France, à son rayonnement, à sa défense. »

Il est donc légitime de se poser les questions suivantes :

  • Jeff Bezos œuvre t’il au bénéfice de la société ou dans son intérêt exclusif ?
  • Contribue t’il au développement de la France ? à son rayonnement ? à sa défense ?

Pour contribuer à la Défense, il faudrait déjà qu’il paie les impôts, en France, en proportion de ses profits, ce qui de source sûre n’est pas le cas.

Pourquoi le président de la République a-t’il distingué le fondateur d’Amazon, à l’Élysée, jeudi 16 février, en pleine cinquième journée de mobilisation contre la réforme des retraites ?

Parce qu’il crée de l’emploi en France, semble être l’argument.

Il couvre, en effet, la France d’entrepôts. Cela fait-il rayonner la France ?

Le Monde rappelle que la décoration d’un grand patron étranger par l’Élysée n’est pas sans précédent : Jamie Dimon, le patron de la banque JPMorgan Chase a reçu la Légion d’honneur en novembre 2022.

Et avant Emmanuel Macron,

  • Le fondateur de Microsoft, Bill Gates, avait été fait commandeur de la Légion d’honneur par François Hollande,
  • Le PDG de Microsoft, Steve Ballmer, avait été décoré par Nicolas Sarkozy
  • Jacques Chirac avait distingué Shoichiro Toyoda, le patron du constructeur japonais Toyota.

« Le Monde » analyse que :

« [Cette distinction] accordée par M. Macron à M. Bezos illustre la dualité de la politique du président à l’égard du fondateur d’Amazon. Comme ailleurs, il a pratiqué le « en même temps ». Sous sa présidence, la France a poussé des régulations européennes renforçant les responsabilités et le respect de la concurrence des plates-formes comme Amazon. Elle a instauré une taxation des services numériques et obligé les services comme Prime Video (filiale d’Amazon) à consacrer 20 % de leur chiffre d’affaires à produire des programmes français.

Parallèlement, Emmanuel Macron a favorisé l’essor de l’e-commerce, en particulier d’Amazon, dont il a inauguré un entrepôt à Amiens, en 2017. L’Élysée a toujours rappelé que l’entreprise américaine et son patron créaient des emplois en France. En 2020, l’exécutif s’est opposé à un moratoire sur l’ouverture de nouveaux entrepôts d’e-commerce, soutenu entre autres par la convention citoyenne pour le climat, et à un alignement de leur fiscalité sur celle des magasins physiques, réclamée par certains élus. »

Selon l’AFP, la présidence française a justifié aussi cette décoration par le fait que :

Jeff Bezos est « un partenaire des initiatives pour la protection du climat et de la biodiversité menées par la France, en particulier sur la protection des forêts »

A la fin de 2021, M. Bezos était présent à la COP26 de Glasgow, quand le président français a présenté la « grande muraille verte ». Le milliardaire américain a promis de verser 1 milliard de dollars (945 millions d’euros) à ce projet de reforestation en Afrique, qui veut allier action publique et soutien privé.

Bon…

Ne serait-il pas judicieux qu’il cesse plutôt de polluer et d’utiliser de l’énergie pour envoyer des milliardaires faire un tour dans l’espace ?

Et je pense à une autre Librairie lyonnaise en difficulté : « La Librairie Diogène » située au cœur du Vieux Lyon

Cette Librairie a été créée en 1973, dans un immeuble du XVe siècle : la maison Le Viste.

Librairie généraliste, elle propose des livres de toutes époques, sur tous sujets, et de tous prix sur plus de 300 m2, trois niveaux et deux boutiques.

Elle s’adresse au collectionneur, au bibliophile averti à la recherche d’ouvrages de collection mais aussi à tout amoureux du livre qui aime chercher dans cette caverne d’Ali Baba qui renferme des trésors d’intelligence et de culture.

Cette fois ce sont les propriétaires qui veulent l’éviction de la Librairie pour utiliser autrement ces locaux.

Vous pouvez faire comme Annie et moi et les 32897 autres lecteurs qui ont signé <La pétition> qui refuse la fermeture de la Librairie Diogène.

Cette librairie dispose aussi d’un site qui la présente et explique aussi le conflit avec les propriétaires : https://librairiediogene.fr/

Henri Loevenbruck a écrit la phrase que j’ai mis en exergue dans son livre <Le Mystère Fulcanelli>

<1745>

Je vous invite à lire en commentaire la réponse de Blanche Gardin à une proposition d’Amazon Prime

Lundi 20 mars 2023

« Peut-être aurait-il fallu commencer par là et assumer clairement qu’aux yeux du pouvoir, cette réforme s’impose uniquement comme un signal adressé aux marchés financiers. »
Michaël Foessel

Et Élisabeth Borne dégaina le 49-3, comme jadis John Wayne dégainait son colt.

Le jeudi 16 mars, Emmanuel Macron a réuni à trois reprises Élisabeth Borne et ses ministres, à quelques heures d’un vote extrêmement incertain à l’Assemblée nationale sur la réforme des retraites. Et finalement, le chef de l’État a décidé. La formule constitutionnelle est « il a autorisé la Première ministre à engager la responsabilité du gouvernement. »

Le Huffington Post rapporte :

« Un choix que le chef de l’État a justifié comme suit, comme l’a rapporté un participant à l’ultime conseil des ministres : « Mon intérêt politique et ma volonté politique étaient d’aller au vote. Parmi vous tous, je ne suis pas celui qui risque sa place ou son siège. Mais je considère qu’en l’état, les risques financiers, économiques sont trop grands. » Et le locataire de l’Élysée d’ajouter : « On ne peut pas jouer avec l’avenir du pays. » »

Qu’est ce qui se cache derrière ces risques financiers et économiques ?

Tout le monde parle de la réforme des retraites, en se focalisant sur les règles permettant de demander sa retraite et sur les conditions budgétaires de l’équilibre des caisses de retraite.

Et on parle de justice, d’impossibilité pour de nombreux métiers pénibles de travailler jusqu’à 64 ans, de l’injustice du critère d’âge, de la nécessité prioritaire d’intervenir pour empêcher que le système de retraite s’effondre.

D’ailleurs, on entend de manière de moins en moins feutrée cette idée géniale de pousser les français vers des systèmes de retraite par capitalisation.

Dans un tel système on laisserait un système par répartition minimale, correspondant grosso modo à une pension de base ayant pour vocation de permettre la survie de celles et ceux qui la touchent. Pour disposer de quelques éléments de confort, de culture et de loisirs il faudra compter sur un fonds de pension auprès duquel on aura cotisé tout au long de sa vie. La rémunération que le Fonds de pension donnera au retraité dépendra des montants de cotisation qu’il aura versé librement selon l’ampleur de ses moyens, ses goût et possibilités d’épargne.

  • Cette évolution créera une fracture encore plus grande entre les pauvres et les riches.
  • Ce système ne présente pas un caractère d’une grande stabilité, les fonds de pension se trouvant à la merci des crises financières, comme celle qui selon toute probabilité est en train de se développer dans le monde financier et d’assurance.
  • Enfin, selon moi, le plus grave est qu’on met ainsi l’argent des retraites aux mains de fonds spéculatifs dont l’objectif est de faire le plus de gains possibles. Ce qui signifie dans le monde dans lequel nous vivons : faire pression sur les emplois, les salaires et avant de s’intéresser à l’intérêt de la population et à la survie de l’humanité, prioriser la rentabilité financière.

Ceci me fait penser à cette parole de François Mitterrand qui dans un moment de lucidité socialiste aurait dit :

« Ils s’en prendront aux retraites, à la santé, à la Sécurité sociale, car ceux, disait-il, qui possèdent beaucoup veulent toujours posséder plus et les assurances privées attendent de faire main basse sur le pactole. Vous vous battrez le dos au mur, avait-il dit à son gouvernement. »

Il aurait dit cela lors du dernier conseil des ministres de 1993, avant la victoire de la Droite aux élections législatives et la mise en place du gouvernement Balladur.

« Aurait dit » parce que le compte rendu de ce conseil des ministres n’en fait pas état et que la source de cette information est Ségolène Royal lors d’un discours qu’elle a prononcé en 2011, à Jarnac la ville natale de Mitterrand. Elle a fait précéder cette citation par ces mots :

« François Mitterrand n’a jamais sous-estimé l’acharnement des intérêts financiers coalisés. Nous sommes plusieurs ici à nous souvenir de ce message prémonitoire qu’il nous adressait lors du dernier Conseil des ministres de 1993. »

Mais en réalité lorsque Emmanuel Macron parle de risques financiers et économiques, il ne parle pas principalement et peut être même pas du tout de l’équilibre financier des retraites.

Ainsi Alain Minc, celui qui a popularisé le concept de « cercle de la raison » que finalement Emmanuel Macron a mis en œuvre en imposant « l’extrême centre » qui gouverne et qui a pour seule alternative des forces populistes divisées entre deux extrêmes irréconciliables, donnait ainsi la clé de cette affaire sur <Europe 1, le 21 février 2023>

« Il y a une chose qui n’est pas dite, que les responsables politiques ne peuvent pas dire dans une France aussi émotive et populiste, qui est que nous avons 3.000 milliards de dette, nous vivons à crédit, nous vivons en payant des taux d’intérêt incroyablement bas, c’est-à-dire très proches de ceux de l’Allemagne. Si, et le monde entier nous regarde, on ne fait pas cette réforme, notre taux d’emprunt augmente par exemple de 1%. Je vais vous faire le calcul, c’est 2 milliards et demi la première année, 5 milliards la deuxième, 7,5 la troisième, 10 la quatrième. C’est vertigineux […] Mais évidemment avec l’atmosphère ambiante, mélenchoniste régnant, l’absurdité vis-à-vis de l’incompréhension économique qui est propre à ce pays, c’est très difficile de dire les marchés nous regardent, cette réforme est un geste extrêmement fort à leurs yeux et nous sommes obligés de la faire parce que nous portons nos 3.000 milliards de dette.[…] il n’est pas facile pour les responsables politiques de dire ce qu’un observateur peut dire en toute ingénuité ».

Il reprend ces arguments dans un article dans <Sur le site Entreprendre> le 22 février.

Et, en effet, Emmanuel Macron avait bien, devant les journalistes de l’association de la presse présidentielle, lundi 12 septembre 2022, à Nanterre (Hauts-de-Seine), expliqué qu’il avait besoin d’une réforme dès l’été 2023 afin de financer les trois grands chantiers qu’il s’est fixés en cette rentrée : l’école, la santé et la transition climatique.

Donc il y a d’un côté celles et ceux qui discutent du bien fondé de la réforme des retraites de manière intrinsèque, en constatant qu’il n’y a pas d’urgence vitale de faire cette réforme pour le financement des retraites. Les arguments échangés depuis que la réforme a été proposée par le gouvernement n’aborde que le sujet sous cet angle : Faut-il faire une réforme des retraites pour sauvegarder les retraites ?

Alors qu’au fond la préoccupation du gouvernement est tout autre : il faut faire un signe aux marchés financiers pour prouver que la France est en mesure d’économiser de l’argent d’un côté pour pouvoir d’une part faire diminuer sa dette et d’autre part financer d’autres dépenses urgentes.

Je me souviens de Michel Rocard qui lors d’un discours, regrettait que l’État ait cédé ses instruments d’intervention dans l’économie et notamment la possibilité pour la Banque Centrale d’émettre du crédit au profit de l’État au lieu d’obliger ce dernier d’emprunter aux banques privées…

Il reconnaissait son erreur de ne pas s’être opposé à cette évolution.

Et maintenant nos États dépendent des institutions financières privées et des agences de notation.

Récemment Liz Truss avait été désignée comme premier ministre du Royaume-Uni par le parti conservateur. Elle avait un programme totalement démagogique de diminution des impôts, sans diminution des dépenses. Après la période de deuil d’Elisabeth II qui a coïncidé avec le début de son mandat, elle a annoncé officiellement son programme économique le 23 septembre 2022. Elle ne tiendra pas un mois aux pressions de la sphère financière et des agences de notation et démissionnera le 20 octobre 2022.

Dans le monde d’aujourd’hui, les États sont obligés d’écouter l’avis de leurs créanciers.

Michaël Fœssel, dans un article de l’Obs, publié le 18 mars 2023 : « Pourquoi n’ont-ils pas assumé que cette réforme était un signal aux marchés financiers ? », explique :

« En ce qui concerne les justifications de la réforme, nous avons eu droit à toute la palette des éléments de langage : justice sociale, efficacité, valeur travail, équilibre budgétaire, sauvetage du système par répartition, etc. Jusqu’au comique avec la revendication par Olivier Dussopt de mener une « réforme de gauche »… Logiquement, le moment d’exacerbation de la crise a aussi été celui de la vérité : pour justifier l’usage du 49.3, Emmanuel Macron a évoqué les nécessités financières dans un contexte économique mondial dégradé. Peut-être aurait-il fallu commencer par là et assumer clairement qu’aux yeux du pouvoir, cette réforme s’impose uniquement comme un signal adressé aux marchés financiers après une explosion de la dette due aux dépenses du « quoi qu’il en coûte ».
Au moins, les choses auraient été claires : la hausse des taux d’intérêt, les marchés qui regardent la France avec suspicion, la crise bancaire qui s’annonce rendraient inévitable le report de l’âge de départ à la retraite. Nous aurions alors peut-être eu droit à un débat intéressant sur la dépendance des politiques publiques à l’égard des marchés financiers. Il est vrai qu’il aurait fallu aussi présenter à l’opinion une balance un peu cruelle : deux années de la vie des gens en échange de deux points décernés par les agences de notation. »

Il me semble, en effet, que pour qu’une Démocratie puisse fonctionner correctement, il faut poser les bonnes questions et dire les véritables raisons de l’action politique.

Le fiasco de cette réforme pose bien d’autres questions, mais celle-ci me parait essentiel.

La question n’est pas simple, en tout cas pas aussi simple que le suggère Michaël Fœssel.

Dès qu’on s’arrête un peu, on constate que partout on a besoin d’argent public : la transition écologique, la santé, l’éducation nationale, la justice, la défense, la culture partout…

Bien sûr, de ci de là, il est possible d’obtenir quelques financements supplémentaires et mettre fin à certains gaspillages.

Mais globalement il faut gérer des priorités : on ne peut pas tout donner à tout le monde. Il faut faire des choix et savoir décider ce qui est prioritaire, ce qui l’est moins.

J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt l’émission « Esprit Public » de ce dimanche qui a abordé ces questions avec des invités ayant des avis assez différents pour que l’échange puisse être fécond.

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Vendredi 9 septembre 2022

« Est-ce la décroissance ou la croissance qui, sur le long terme, est un mythe ?
Question qu’il me semble légitime de poser

Antoine Bueno est né en 1978.

Je ne le connaissais pas.

« Le Point » le présente ainsi : essayiste et conseiller au Sénat en charge du développement durable, est notamment l’auteur de « Futur, notre avenir de A à Z » (éditions Flammarion). Son prochain ouvrage « L’effondrement (du monde) n’aura (probablement) pas lieu » (Flammarion) sortira le 19 octobre prochain.

Il a commis un article dans Le Point, publié le 4 septembre 2022 : « La décroissance est un mythe »

Il cite Élisabeth Borne qui comme Aurélien Barrau avait rendu visite au MEDEF et a déclaré :

« La décroissance n’est pas la solution. »

Il est d’accord avec cette opinion et regrette que

« [La décroissance] est pourtant devenue incontournable dans le débat écologique. Des experts comme Jean-Marc Jancovici s’en font l’avocat, des personnalités politiques telles que Delphine Batho en font un programme, des penseurs tels que Gaspard Koenig, un objet de rêverie philosophique. »

Il explique que personne ne dispose d’un mode d’emploi pour savoir comment faire, c’est-à-dire décroitre tout en préservant le corps social d’une implosion.

Il tente une définition :

« La décroissance peut être définie comme une action volontaire de réduction de la taille physique de l’économie, un processus organisé visant à réduire la quantité de matière et d’énergie exploitée par le métabolisme de la société humaine (Susan Paulson). »

Pour lui, une politique de décroissance est impossible à mettre en œuvre.

Et je vous livre ses arguments :

« La première raison à cela relève du plus froid réalisme : aujourd’hui, personne n’en veut. Aucun pays n’est prêt à se lancer dans une réduction volontaire de la production et de la consommation.

Peut-être sera-ce le cas dans un avenir plus ou moins lointain. Mais c’est aujourd’hui que le monde a besoin de décroissance.

Pour qu’elle ait un impact écologique, elle devrait être mise en œuvre au plus vite. La planète n’a pas le temps d’attendre la maturation d’une idée.

Ensuite, pour qu’une politique de décroissance porte ses fruits, elle devrait être mise en œuvre par le monde entier en même temps.

Dans un monde ouvert et interconnecté, un ou plusieurs pays ne peuvent pas décroître isolément, indépendamment des autres, même de très grands pays.

On ne peut pas décroître seul, contre le reste du monde. Le faire se traduirait par une politique d’autarcie. En décroissant seul, un pays aurait de moins en moins de moyens économiques pour financer les importations dont il a besoin. Il devrait donc devenir totalement autosuffisant. C’est impossible pour les petits pays qui dépendent, entre autres, de ressources énergétiques ou alimentaires extérieures. Et on sait que même les grands pays bien dotés en ressources naturelles ont du mal à assurer leur autosuffisance.

De plus, un tel pays n’attirerait plus d’investissements étrangers puisque ceux-ci ne sont réalisés que dans l’attente d’un retour, c’est-à-dire d’une rentabilité condamnée par l’absence programmée de croissance. Au contraire, les intérêts étrangers en activité sur son territoire s’en retireraient. Sur le plan intérieur, ce pays verrait donc rapidement son tissu économique se rétrécir et se déliter. La décroissance dans un pays isolé ne peut mener qu’à une catastrophe économique à l’image de celle observable en Corée du Nord.

Enfin, même si par un coup de baguette magique le monde s’entendait pour mettre en œuvre un programme global de décroissance, ce dernier ne pourrait aboutir qu’à une réduction considérable du niveau de vie moyen sur la planète. En effet, pour éviter cet effet, pour maintenir voire augmenter le niveau de vie des peuples tout en décroissant, les partisans de la décroissance en appellent à la redistribution. L’idée est que l’on peut rendre socialement indolore une réduction de l’économie en redistribuant bien mieux qu’aujourd’hui ses fruits. Une telle redistribution serait cependant illusoire. »

Ces arguments me semblent très forts.

L’auteur montre que la décroissance aurait des conséquences fâcheuses dans nos sociétés. Et il proclame sa croyance dans une croissance durable.

Ces sujets sont évidemment très complexes. Toutefois il faut en revenir à des sujets solides et physiques.

Si on en revient à la définition de la décroissance de Susan Paulson qu’Antoine Bueno met en lumière : « une réduction de la quantité de matière et d’énergie exploitée par le métabolisme de la société humaine »

La « non décroissance », appelée plus simplement « la croissance » est donc le contraire. C’est-à-dire : « une augmentation de la quantité de matière et d’énergie exploitée par le métabolisme de la société humaine »

J’ai écouté des conférences Philippe Bihouix qui systématiquement explique une chose simple que vous êtes capable de reproduire sur un simple tableur.

Imaginez une croissance de 2% chaque année de manière infinie.

Ce n’est pas grande chose 2%, c’est très raisonnable.

Donc l’année 1 on a 1 et l’année 2 on a 1,02.

Vous verrez sur votre tableur que l’année 36 on est à 2 : on a doublé le PIB

L’année 57 on est à 3, l’année 71 on est à 4. L’année 118 on est à 10

On a multiplié par 10 le PIB dans le monde fini qu’est la terre.

On a fait à peu près cela depuis le début de l’ère industrielle et on voit où nous en sommes par rapport au réchauffement climatique, la bio-diversité, la pollution etc..

Pour arriver à 100 il faut attendre l’année 234 !

Donc dans ce système, au bout de 234 ans, on multiplierait la quantité de matière et d’énergie exploitée par 100 !

Certains diront, oui mais on va améliorer l’efficacité : et donc on va multiplier le PIB par 100 mais pas la quantité de matière et d’énergie en proportion !

Peut être, mais on sera obligé quand même d’augmenter l’énergie et la matière exploitée, de manière considérable.

La terre ne peut pas faire face à cette demande.

Alors oui probablement la décroissance est infaisable ou très très compliquée.

Mais ce qui est un vrai mythe, c’est la croissance infinie pour la société d’homo sapiens sur terre !

Et si vous avez encore des doutes je vous invite à regarder cette vidéo passionnante de Philippe Bihouix <La technologie ne nous sauvera pas>

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Jeudi 17 mars 2022

« Profits et pertes : les spéculateurs de la crise et du chaos »
Documentaire de Rupert Russe (Royaume-Uni, 2019, 1h22mn)

Le jeudi 17 mars est le 22ème jour de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine

Le 17 mars est aussi un jour particulier : il y a deux ans nous commencions le premier confinement pour lutter contre la COVID19.

Nous espérions, il y a deux ans, que le confinement ne dure pas trop longtemps. Mais nous ne pensions pas que lorsque la pandémie deviendrait moins prégnante, l’autocrate du Kremlin engagerait une guerre dont nous ne savons pas aujourd’hui où elle nous mènera.

J’ai regardé avec un grand intérêt le THEMA d’Arte, le 15 mars.

D’abord le documentaire sur le Président Zelenski : <Zelensky, l’homme de Kiev> qui montre l’évolution de cet homme, sa part d’ombre et aujourd’hui sa part de lumière, parce qu’il a su se hisser à la hauteur des évènements et faire face.

Ce documentaire a été suivi par un autre : <Profits et pertes : les spéculateurs de la crise et du chaos> dans lequel on voit les dégâts et conséquences de la financiarisation du monde.

Il établit ce lien étroit entre quelques traders qui, comme, dans un jeu vidéo, spéculent sur les matières premières, installés tranquillement devant leur écran d’ordinateur et la conséquence qui peut être la hausse des prix de l’énergie, du blé ou d’autres choses vitales pour les humains.

Alors dans des pays pauvres, le prix des aliments devient si cher qu’il y a des émeutes de la faim et des morts.

Les terres dont veut s’emparer Poutine sont riches de matières premières, Le documentaire laisse entendre que si Poutine parle d’Histoire qu’il raconte à sa façon, il pense peut-être aux ressources naturelles de l’Ukraine.

Le Monde pose aussi cette question : <La Russie envahit-elle l’Ukraine pour ses ressources naturelles ?>

Cet article qui détaille les ressources de l’Ukraine qui sont importantes ne semble cependant pas répondre positivement à la question introductive :

« Les ressources de l’Ukraine ne constituent pas en soi un intérêt décisif qui motiverait une invasion, car leur part dans la production mondiale demeure minime par rapport à d’autres producteurs. « Cet intérêt est encore moins stratégique pour un pays comme la Russie aussi riche en matières premières, et qui avait des échanges commerciaux avec l’Ukraine qui lui permettait d’acquérir ces ressources », avance Pierre Laboué. Mais dans un contexte de sanctions, ajoute-t-il toutefois, la maîtrise de certaines de ces ressources peut présenter un intérêt tactique : « Les marchés dont l’équilibre offre-demande est déjà tendu peuvent surréagir à la moindre tension supplémentaire, ce qui renforce le pouvoir de marché de la Russie. Avec le risque de récession de l’économie russe suite aux sanctions, tout bonus est bon à prendre. »

Mais ce documentaire est très intéressant surtout par ce qu’il montre que très souvent la fluctuation des cours qui peut avoir des conséquences graves pour des populations entières est déconnectée de la réalité physique et de la disponibilité de ces matières physiques. Les fluctuations s’expliquent alors par l’action des spéculateurs mus par l’appât du gain. De plus en plus souvent ce ne sont même plus des humains qui spéculent mais des algorithmes qui traitent des millions d’informations.

En revanche, ce ne sont pas les algorithmes qui encaissent les profits réalisés.

ARTE présente ainsi ce documentaire :

« Du Venezuela à l’Irak, enquête sur les ravages causés par les spéculations sur les matières premières dans un marché mondialisé. Les éclairages d’économistes de premier plan comme Jeffrey Sachs ou le prix Nobel Joseph Stiglitz permettent de mieux appréhender les mécanismes et les conséquences de montages financiers dictés par la seule loi du profit. Pain, eau, carburant… : pour une part croissante de la population mondiale, notamment en Amérique latine, en Asie ou en Afrique, des hausses de prix vertigineuses rendent de plus en plus inabordables ces biens de première nécessité.

Avec les guerres et le changement climatique, l’impossibilité d’accéder au minimum vital constitue désormais l’une des premières causes de migration sur la planète et le facteur aggravant de conflits armés. Ces brutales augmentations du coût de la vie trouvent souvent leur origine dans de nouvelles formes de spéculation sur les matières premières, qui créent à l’échelle mondiale des mouvements de prix totalement déconnectés des marchés locaux – un “effet papillon” dévastateur.

Du Venezuela à l’Irak en passant par le Kenya ou le Guatemala, pays violemment touchés par le phénomène, cette enquête explore les ravages de ces inflations incontrôlées en remontant jusqu’aux places boursières où se nouent les guerres des prix. »

Je redonne le lien  : <Profits et pertes : les spéculateurs de la crise et du chaos>.

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Jeudi 22 juillet 2021

« Peu de révolutions dans l’histoire ont changé en profondeur la vie d’un si grand nombre d’hommes et de femmes en un temps si court. »
Amin Maalouf évoquant les réformes conduit par Deng Xiaoping à partir de 1979

Pour donner toute sa dimension à son récit de l’année 1979, Amin Maalouf en élargit quelque peu la temporalité vers la fin de l’année 1978.

En effet, le 18 décembre 1978, le 11ème Comité central du Parti Communiste Chinois adopte les réformes économiques proposée par Deng Xiaoping. Ce dernier devient, dans les faits, le numéro 1 chinois.

Bien qu’officiellement le successeur de Mao Zedong, Hua Guofeng occupe toujours les principales fonctions du pouvoir.

  • Hua Guofeng est Président du Parti communiste chinois depuis qu’il a succédé à Mao le 7 octobre 1976, il le restera encore trois ans jusqu’au 28 juin 1981.
  • Il occupe le poste stratégique de Président de la Commission militaire centrale du Parti communiste chinois. Fonction sur laquelle, il a également succédé à Mao Zedong le 7 octobre 1976. Le 28 juin 1981, Deng Xiaoping le remplacera.
  • Enfin, il est aussi Premier ministre de la république populaire de Chine, poste qu’il a occupé après la mort de Zhou Enlai le 4 février 1976 et qu’il occupera jusqu’au 10 septembre 1980.

Deng Xiaoping en décembre 1978 « n’est que » Vice-Président du Parti communiste chinois et Vice Premier Ministre. Mais tous les historiens l’affirment, c’est Deng qui donne le cap et gouverne.

Mao Zedong est mort le 9 Septembre 1976.

Son premier ministre de toujours Zhou Enlai, Premier ministre de la république populaire de Chine du 1er octobre 1949 au 8 janvier 1976, date de sa mort l’avait précédé de quelques mois dans le paradis des communistes, s’il existe.

C’est Zhou Enlai qui avait permis à Deng Xiaoping de revenir en grâce, après des années d’humiliation dues aux purges maoistes. Il lui faudra un peu de temps pour asseoir son autorité et écarter Hua Guofeng.

<La petite histoire> nous raconte que Zhou Enlai et Deng Xiaoping se sont rencontrés en France, à Montargis :

« Ho Chi Minh, Pol Pot, [Zhou Enlai, Deng Xiaoping]. .. La France a servi de terrain d’apprentissage à bien des révolutionnaires du XXe siècle. On sait moins que les acteurs du Grand Bond en avant chinois y ont fait leurs gammes, découvrant le marxisme pour les uns, fortifiant des convictions socialistes déjà bien ancrées pour les autres.
De 1902 à 1927, 4 000 jeunes intellectuels sont venus étudier et travailler en France, en particulier à Montargis. Beaucoup sont devenus les cadres de la révolution chinoise. Montargis l’avait presque oublié. Pourtant, en Chine, depuis de longues décennies, la petite ville du Loiret est célébrée dans l’histoire officielle comme le berceau de la Chine nouvelle. »

Aujourd’hui que la Chine est le géant économique que nous connaissons, deuxième puissance économique du monde à qui on annonce, à brève échéance, la place de premier, nous comprenons ce qui s’est passé en 1978/1979 : Le début de cette formidable ascension.

Amin Maalouf rattache ce moment chinois à l’esprit du temps et à la révolution conservatrice :

« En décembre 1978, Deng Xiaoping prenait les rênes du pouvoir à Beijing lors d’une session plénière du Comité central du Parti communiste, inaugurant sa propre « révolution conservatrice ». Jamais il ne l’a appelée ainsi et elle était certainement fort différente de celle de Téhéran comme de celle de Londres ; mais elle procédait du même « esprit du temps ». Elle était d’inspiration conservatrice, puisqu’elle s’appuyait sur des traditions marchandes ancrées depuis toujours dans la population chinoise, et que la révolution de Mao Zedong avait cherché à extirper. Mais elle était également révolution, puisqu’elle allait radicalement transformer, en une génération, le mode d’existence du plus grand peuple de la planète : peu de révolutions dans l’histoire ont changé en profondeur la vie d’un si grand nombre d’hommes et de femmes en un temps si court. »
Le Naufrage des civilisations page 175

Aujourd’hui, nous savons ! Mais en décembre 1978, et en 1979 les archives du Monde que j’ai parcourues ne perçoivent pas l’importance de ce qui est en train de se passer. Au moins il ne le conceptualise pas.

Pourtant des articles racontent ce qui se passe :

  • 18 décembre 1978 : « M. Abe Jay Lieber, président de la société américaine Amherst, a annoncé à Hongkong que sa société projetait de construire six hôtels de classe internationale en Chine, écrivait le Wall Street Journal le 15 décembre. Un de ces hôtels serait à Lhassa, au Tibet. »
  • 20 décembre 1978 : « En moins de trente ans, la Chine populaire sera passée de la condition d’alliée de l’U.R.S.S. contre les États-Unis à celle d’alliée de fait de Washington contre Moscou. De tous les revirements qui ont marqué notre temps, c’est l’un des plus spectaculaires. »
  • 26 décembre 1978 : « L’ouverture de la Chine au monde capitaliste, qui constitue l’un des faits marquants de l’année, aura probablement moins d’effets immédiats pour les maîtres de forges et les marchands de l’Occident capitaliste qu’on ne l’imagine généralement. »
  • 27 décembre 1978 : « L’établissement de relations diplomatiques entre les États-Unis et la République populaire de Chine avait beau paraître inéluctable, le communiqué du 15 décembre l’annonçant n’en a pas moins surpris. »
  • 22 décembre 1978 « Coca-Cola, un des symboles de la société de consommation américaine, sera vendu en Chine populaire à partir de janvier 1979, a annoncé, mardi 19 décembre, à Atlanta, le président de l’entreprise, M. Austin. Une usine de mise en bouteilles sera construite à Changhaï dans le courant de l’année prochaine. »
  • 30 janvier 1979 : « M. Deng Xiaoping, arrivé dimanche après-midi 28 janvier, à Washington, est reçu officiellement, ce lundi, à la Maison Blanche. Avant de quitter Pékin, le vice-premier ministre chinois avait recommandé, dans une interview accordée à l’hebdomadaire ” Time “, la formation d’une alliance des États-Unis, de la Chine et d’autres pays contre l’Union soviétique. Après avoir vivement dénoncé ” l’hégémonisme ” de l’U.R.S.S., M. Deng Xiaoping déclare notamment dans cette interview : ” Si nous voulons vraiment brider l’ours polaire, la seule chose réaliste est de nous unir. »

Le voyage de Deng Xiaoping, début 1979 sur l’invitation de Jimmy Carter, sera un triomphe pour le chinois, accueilli avec enthousiasme par les foules américaines.

  • 4 avril 1979 « Le gouvernement chinois a informé par note, l’ambassade d’U.R.S.S. à Pékin, de sa décision d’abroger son traité d’amitié, d’alliance et d’entraide avec l’U.R.S.S., arrivant à échéance en 1980, a-t-on appris dans la capitale chinoise de source informée soviétique. »

Ce que raconte ces articles, c’est un renversement d’alliance. Nous sommes toujours en pleine guerre froide, les États-Unis n’ont qu’un véritable ennemi : l’Union Soviétique. Ils veulent utiliser les chinois pour lutter contre l’URSS. Cette politique avait commencé avec Nixon qui sur les conseils de Kissinger était allé en visite en Chine, rencontrer Mao Zedong. C’était en 1972.

Mais si les États-Unis ont voulu se servir de la Chine, la Chine de Deng Xiaoping a utilisé les États-Unis pour accélérer son développement et devenir aujourd’hui l’ennemi stratégique des États-Unis. Mais cet ennemi possède une puissance économique que l’URSS n’a jamais su atteindre.

J’ai trouvé <un article> très intéressant sur la place économique de la Chine dans le monde à travers l’Histoire :

« Au début de l’ère chrétienne, la Chine était, avec l’Inde, l’une des deux plus grandes économies du monde. Elle représentait plus du quart de la richesse mondiale, loin devant toutes les nations occidentales d’aujourd’hui. Mais personne ne le savait en Europe. Les distances étaient énormes, les liens restaient ténus et l’ignorance réciproque était la norme.

[…] Il est difficile de comprendre l’état d’esprit des dirigeants et de la population chinoise sans tenir compte de leur vision de l’histoire. Le « pays du milieu » (traduction littérale de Zhongguo, nom de la Chine en mandarin) sait qu’il est très longtemps resté dominant dans la sphère d’influence qui était la sienne. Les travaux d’Angus Maddison, historien de l’économie, montrent que le poids de la Chine dans l’économie mondiale est resté central depuis l’époque romaine jusqu’au XIXème siècle, avec un sommet en 1820, année où la Chine représente 36 % de l’économie mondiale. Le déclin chinois s’engage alors de façon rapide et continue jusqu’au milieu du XXème siècle, accéléré par les traités inégaux et les guerres imposées par les puissances occidentales et le Japon. En 1950, le PIB chinois ne représente plus que 4,6 % du PIB mondial. […]

Rapportés à la situation de 1950, le bilan que peut afficher le PCC en 2019 est spectaculaire. La Chine est devenue la deuxième économie mondiale avec un peu plus de 16 % du PIB mondial en 2019, selon les estimations du FMI (19% en parité de pouvoir d’achat). […]

La population chinoise s’est enrichie et « l’aisance moyenne » voulue par le PCC est déjà une réalité. Selon une étude de McKinsey, les trois quarts de la population urbaine, soit 550 millions de Chinois, auront en 2022 un revenu annuel du foyer supérieur à 10 000 dollars.

La jeunesse chinoise est désormais éduquée. Alors qu’en 1950, le taux d’illettrisme dépassait 80 %, il est aujourd’hui pratiquement négligeable (moins de 5 %), et les étudiants représentent plus de 50 % de leur classe d’âge. L’espérance de vie a presque doublé : elle ne dépassait pas 43 ans en 1950 et se situe aujourd’hui à 77 ans. […]

La période 1950-1978 sous le règne de Mao Zedong, est marquée par la construction socialiste du pays avec le partage forcé des terres, la collectivisation de l’agriculture et la création des communes populaires, la nationalisation des entreprises et l’industrialisation du pays. [Cette politique ne fonctionne pas.]

A la mort de Mao en 1976, les élites sont décimées, l’éducation supérieure est à l’abandon, le pays est exsangue. Le PIB de la Chine ne représente plus que 1,7 % de l’économie mondiale en 1980 (en dollars courants) et la part du pays dans les échanges mondiaux a régressé par rapport à 1950. […]

Le décollage économique de la Chine à partir de 1980 a été l’œuvre de Deng Xiaoping et de ses successeurs[…] : la croissance économique dépasse 10 % par an pendant 25 ans, la part du commerce extérieur dans le PIB explose (elle passe de 5 % du PIB en 1970 à près de 50 % en 2010), la Chine devient le premier exportateur mondial, les zones économiques spéciales attirent une masse croissante d’investissements étrangers qui font du pays l’usine du monde. Plus récemment, à partir de l’entrée à l’OMC en 2001, la Chine devient en 15 ans le deuxième investisseur de la planète et le deuxième prêteur mondial, en particulier à l’égard des pays en développement. »

Et pour tous les naïfs qui pensaient que la prospérité économique et une économie de marché dynamique s’accompagnaient forcément par l’émergence d’une démocratie libérale, ils ne peuvent que déchanter.

J’ai trouvé cette vidéo de cinq minutes qui présente les <Réformes de Deng Xiaoping>.

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Vendredi 9 juillet 2021

« Désormais, c’est le conservatisme qui se proclamerait révolutionnaire, tandis que les tenants du « progressisme » et de la gauche n’auraient plus d’autre but que la conservation des acquis »
Amin Maalouf

Napoléon avait dépeint les britanniques comme un peuple de « boutiquier ».

Je suppose qu’il voulait dire des gens qui s’occupent de leurs affaires et qui entendent s’enrichir individuellement.

La marchandisation du monde doit beaucoup aux anglo-saxons.

Mais, après la seconde guerre mondiale, ils avaient fait de grands progrès contre l’individualisme et l’esprit boutiquier.

C’est, en effet, après les deux terribles guerres civiles européennes qu’est apparu un système social très sophistiqué qu’on a appelé le système « beveridgien » du nom de William Beveridge, économiste à qui en 1942, le gouvernement britannique a demandé de rédiger un rapport sur le système d’assurance maladie qui va fonder le système social britannique qui restera longtemps un modèle.

Mais avec Thatcher le boutiquier reprend du service.

Il faut dire que Margaret Thatcher possédait de bonnes bases familiales : son père était épicier et sa mère une couturière. C’est avec ces bases qu’elle allait prendre la tête d’un Royaume-Uni en crise.

Le poids économique de la Grande Bretagne n’arrêtait pas de régresser au niveau mondial.

Amin Maalouf évoque le Royaume Uni en 1979 avant l’arrivée de Thatcher au pouvoir :

« A la veille des élections générales de mai 1979 qui devait porter au pouvoir celle qu’on surnommera « la Dame de fer », le pays se trouvait dans un été déplorable. Des grèves, des émeutes, des coupures de courant, une atmosphère sociale délétère et le sentiment chez les travaillistes comme chez beaucoup de conservateurs modérés que s’étaient là les effets normaux de la crise pétrolière et qu’on n’avait pas d’autres choix que de « faire avec » en attendant des jours meilleurs. L’image emblématique de cette époque est celle de Piccadilly Circus plongé dans l’obscurité en raison d’un arrêt de travail dans les mines de charbon. Un historien britannique, Andy Beckett a raconté ces années sombres dans un ouvrage intitulé : « Quand les lumières se sont éteintes » »
Le naufrage des civilisations page 183

Margaret Thatcher est certes critiquable, mais elle avait du caractère et de la volonté.

Et les britanniques l’ont réélu deux fois à la tête du pays. Aussi longtemps que les travaillistes ont combattu la politique de Thatcher de manière radicale, ils ont été battus. Les travaillistes sont arrivés au pouvoir avec Tony Blair qui sur bien des points a suivi l’héritage de Thatcher. Preuve que les boutiquiers britanniques adhéraient à cette politique. Et ces boutiquiers étaient majoritaires.

Amin Maalouf décrit ainsi cette personnalité

« Lorsqu’elle fit irruption sur la scène nationale, Mme Thatcher était porteuse d’un autre état d’esprit [que celui du défaitisme], et d’un autre discours. Le déclin n’est pas inévitable, disait-elle à ses concitoyens, nous pouvons et nous devons remonter la pente ; Il nous faut fixer un capo et le poursuivre sans dévier ni vaciller, quitte à écraser sans ménagement ceux qui se mettraient au travers de la route – à commencer par les syndicats. L’année de son arrivée au pouvoir, près de trente millions de journées de travail avaient été perdues à cause des conflits sociaux.
Le pays n’avait plus d’autres choix que de sombrer ou de rebondir. Comme il l’avait fait à d’autres moments de son histoire, il choisit d’écouter la voix obstinée qui promettait de le conduire, la tête haute, hors de l’impasse, fut-ce au prix de sacrifices douloureux.»
Le naufrage des civilisations page 184

Ces sacrifices douloureux que Ken Loach montre si bien dans ses films. Mais malgré le talent de Loach, les protestations d’hommes et de femmes attachés aux progrès sociaux, rien n’y fit : le recul de l’Etat, l’exacerbation de la réussite individuelle, la diminution des budgets sociaux et de la redistribution continuaient inexorablement.

Dans le langage courant on parle de Néo libéralisme, Amin Maalouf préfère parler de « révolution conservatrice ».

Cette révolution conservatrice réalisée au Royaume Uni par Thatcher sur le plan économique et social, il la relie à celle réalisée en Iran par Khomeiny sur le plan religieux, des mœurs et de la société qui a eu lieu la même année.

C’est une révolution, parce qu’avant le récit de gauche et du progrès social était totalement dominant. Et il n’y avait pas que le récit, objectivement les revenus des classes moyennes et des ouvriers augmentaient, les inégalités de revenus régressaient.

Amin Maalouf écrit :

« Jusqu’aux années quatre-vingt, peu de dirigeants se disaient ouvertement de droite ; ceux qui n’étaient pas de gauche préféraient se dire centristes et quand il leur arrivait de critiquer les communistes, ils se sentaient obligés de souligner, en préambule, qu’ils n’étaient pas du tout anticommunistes, une épithète jugée infamant, en ce temps-là, et que personne n’avait envie d’assumer. Aujourd’hui, c’est exactement l’inverse : ceux qui sont de droite le proclament fièrement ; et ceux qui souhaitent exprimer une opinion positive sur tel ou tel aspect du communisme se sentent obligés de souligner, en préambule, qu’ils ne sont, en aucune manière favorables à cette doctrine […]

Pour en revenir à l’Angleterre, on pourrait dire qu’avant la révolution thatchérienne, aucun dirigeant politique de droite ou de gauche n’avait envie d’y apparaître comme un briseur de grève, comme un ennemi des syndicats, comme un être insensible au sort des mineurs et des autres travailleurs aux revenus modestes ; ni de se rendre responsable de la mort d’un détenu faisant la grève de la faim […]

L’apport de la Dame de fer, moralement controversé mais historiquement incontestable, c’est qu’elle a commis sans sourciller tous les « péchés » que la sagesse ordinaire recommandait aux politiciens ne pas commettre »
Le naufrage des civilisations page 185

Bien sûr, pour que Thatcher et la révolution conservatrice puisse se déployer, il a fallu quelques éléments favorables comme l’aura que lui donnera la victoire dans la guerre des malouines et surtout la victoire de Reagan qui professait les mêmes idées aux États-Unis. Et :

« Les préceptes de la révolution conservatrice anglo-américaine seront adoptés par de nombreux dirigeants de droite comme de gauche, parfois avec enthousiasme, parfois avec résignation. Diminuer l’intervention du gouvernement dans la vie économique, limiter les dépenses sociales, accorder plus de latitude aux entrepreneurs et réduire l’influence des syndicats seront désormais comme les normes d’une bonne gestion des affaires publiques. »
Le naufrage des civilisations page 184

Et Amin Maalouf fait ce constat qui montre la rupture qui s’est produite en 1979 :

« Comment avais-je pu ne pas voir une si forte conjonction entre les évènements ? J’aurais dû en tirer depuis longtemps cette conclusion qui, aujourd’hui, me saute aux yeux : à savoir que nous venions d’entrer dans une ère éminemment paradoxale où notre vision du monde allait être transformée, et même carrément renversée. Désormais, c’est le conservatisme qui se proclamerait révolutionnaire, tandis que les tenants du « progressisme » et de la gauche n’auraient plus d’autre but que la conservation des acquis »
Le naufrage des civilisations page 170

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Vendredi 2 juillet 2021

« Le paradoxe du serpent. »
Description d’un comportement de l’État français

Reagan avait dit « L’État n’est pas la solution, il est le problème ».

Depuis la plupart se sont rendus compte que même si l’État n’était pas la solution, il restait indispensable non seulement dans son rôle régalien (armée, police, justice) mais aussi dans bien d’autres domaines.

Alors, les tenants du libéralisme ont considéré que si on avait besoin d’un État, on avait besoin d’un État qui fonctionne comme une entreprise privée.

Je ne dis en aucune façon que tout va bien dans l’État et l’administration française et qu’il ne faut pas évoluer et changer des choses.

Mais je prétends que l’État n’est pas comparable avec une entreprise privée.

Pour l’expliquer, c’est probablement la santé qui permet le mieux de le comprendre.

Une santé publique a pour objectif de soigner au mieux l’ensemble de la population au moindre coût global.

Une santé privée a pour objectif de soigner au mieux une population, en dégageant le plus de profits possible.

Les États-Unis qui sont résolument dans le second terme de l’alternative démontrent, en effet, que si les entreprises de santé font d’énormes profits, le cout global est beaucoup plus cher qu’en France, adepte du premier système. En outre, si ces entreprises soignent une population aisée et disposant de bonnes assurances, elles sont assez loin de soigner toute la population.

Sur ce point il faut également nuancer tout ne va bien dans le premier système et tout ne va pas mal dans le second. Mais on constate bien que la logique des deux systèmes est très différente.

Mais une évolution existe en France et consiste à essayer de faire entrer la logique du système privé dans le système public.

Le moyen d’action de cette évolution est l’appel massif aux consultants des grands cabinets privés.

Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre deux journalistes ont mené une enquête et publié le 27 juin 2021 sur « l’Obs » : <Des milliards dépensés pour se substituer à l’État : enquête sur la République des consultants>

Ils m’ont d’abord appris ce qu’on appelle « le paradoxe du serpent »

Dans l’administration, cela s’appelle « le paradoxe du serpent ». Ou comment l’Etat paie deux fois des consultants de cabinets de conseil privés. La première pour l’aider à faire des économies. La seconde, pour suppléer aux carences que ces mêmes consultants ont contribué à organiser… tel le serpent qui se mord, et se remord la queue. En pleine pandémie, le gouvernement s’est ainsi retrouvé incapable de conduire seul sa politique sanitaire. Il a dû signer « vingt-six contrats avec des cabinets de consultants en dix mois, soit une commande toutes les deux semaines. Cela représente plus d’un million d’euros par mois », s’étrangle la députée Les Républicains Véronique Louwagie, de la commission des Finances de l’Assemblée nationale.»

Mc Kinsey joue un rôle de première importance. McKinsey & Company est ce cabinet international de conseil en stratégie dont le siège est situé à New York et qui en 2021, compte plus de 130 bureaux répartis dans 65 pays et réunissant près de 30 000 personnes.

L’entreprise est présentée comme particulièrement « fertile en futurs CEO », en français on dit DG. En 2007, seize CEO d’entreprises mondiales cotées à plus de 2 milliards de dollars étaient des anciens de McKinsey & Company.

McKinsey est aussi ce cabinet de conseil qui a incité l’entreprise Enron à mettre en place des pratiques comptables douteuses et à orienter la stratégie de l’entreprise vers le trading d’électricité et de matières premières. En 2001, le scandale financier Enron éclate et l’entreprise fait faillite. « Nobody is perfect ».

L’article des deux journalistes parlent de la lutte contre la pandémie :

« Chaque après-midi, au démarrage de la campagne de vaccination, les membres de la « task force » du ministère de la Santé étaient ainsi conviés à participer à des points d’étape pilotés… par un associé du bureau de McKinsey à Paris. Un service facturé 4 millions d’euros.

Mais l’État sait ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier :

« Mais bien d’autres cabinets spécialisés dans l’aide à la stratégie et à la mise en œuvre des décisions sont intervenus. BVA Consulting a été appelé à la rescousse pour faire passer les bons messages sur le port du masque, la firme Citwell pour la distribution des vaccins et des équipements de protection individuelle (pour un montant de 3,8 millions d’euros), l’américain Accenture pour des services informatiques et aussi Roland Berger, Deloitte et JLL Consulting. »

Les précisions de cet appel à l’expertise restent difficiles à obtenir :

« L’association Anticor qui réclame depuis des mois les détails d’un accord-cadre de 100 millions d’euros signé en juin 2018 par le gouvernement avec une dizaine de cabinets pour l’épauler dans ses projets de « transformation publique ». Elle a saisi la commission d’accès aux documents administratifs, qui vient de lui donner raison. »

L’Obs prétend qu’il ne s’agit que de la partie émergée d’un iceberg et évoque plus de 500 commandes passées en trois ans : des contrats en stratégie, en organisation, en management, en informatique.

Les journalistes citent Arnaud Bontemps, magistrat en disponibilité à la Cour des Comptes et porte-parole du collectif nouvellement créé « Nos services publics » :

« Le phénomène va en s’accélérant. Il s’accompagne d’un dysfonctionnement profond de nos services publics, qui ont perdu leur sens pour les fonctionnaires et sont en totale déconnexion avec les besoins des gens. »

Sur ce site vous trouverez des estimations sur les coûts et les conséquences de cette externalisation.

Les journalistes livrent ce constat :

« Une seule certitude, depuis quinze ans, l’administration a bien été amputée (200 000 postes perdus). Elle a vécu des « dégraissages » successifs au rythme de la RGPP (révision générale des politiques publiques) de Nicolas Sarkozy, puis de la « modernisation » voulue par François Hollande, avant d’être invitée à se mettre en mode « start-up » par Emmanuel Macron (des cabinets de consultants, Octo Technology, Arolla, et UT7, ont accompagné ce « changement culturel », pour un montant de 70 millions d’euros).

Conséquence, à force de devoir être toujours plus « agiles », toujours plus « performants », les fonctionnaires se retrouvent au bord de la rupture dans des domaines aussi vitaux que la santé, la sécurité, la justice, ou aussi stratégiques que l’environnement et le numérique. L’Etat appelle alors à l’aide les consultants. De plus en plus souvent. Pour des sommes de plus en plus énormes. Le fameux paradoxe du serpent. A eux deux, les leaders du secteur, les américains McKinsey et Boston Consulting Group (BCG), emploient plus de 900 consultants en France. Et il faut aussi compter avec Roland Berger, Accenture, Capgemini, Ersnt & Young, et les moins connus Eurogroup, Mazars, etc., dont aucun n’a accepté de répondre à nos questions. »

L’article insiste sur les conséquences dans le secteur de la santé

« Ces nouvelles pratiques ont trouvé dans le secteur de la santé un terrain d’expérimentation fertile. Chroniquement déficitaires, les hôpitaux avaient besoin d’être restructurés, et comme la haute fonction publique hospitalière a toujours été peu considérée par les grands corps, les cabinets de consultants se sont engouffrés dans la brèche. « Le recours aux grands cabinets est devenu un réflexe facile. Au point qu’on ne sait plus rien gérer sans eux », constate Frédéric Pierru, sociologue au CNRS, auteur, avec son collège Nicolas Belorgey, de plusieurs ouvrages sur la « consultocratie hospitalière ».

Tout s’est accéléré avec la création en 2009 des agences régionales de santé, les ARS, dont le grand public a découvert l’existence pendant la pandémie. Au départ, les ARS avaient l’objectif louable de coordonner la politique de santé au niveau local. En réalité, elles ont surtout pour rôle de maintenir les hôpitaux sous pression financière. Pas étonnant quand on sait que la réforme à l’origine de leur création a été en grande partie élaborée par deux grands cabinets : Capgemini et le BCG. Le conseiller chargé du dossier auprès de Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, venait de McKinsey et y est retourné ensuite. Même le secrétariat du groupe de travail était assuré par Capgemini ! La faute à des moyens insuffisants, mais pas seulement. « Il y avait ce sentiment très fort que si on faisait appel à l’administration, rien ne changerait jamais », souligne Frédéric Pierru.

Pour recruter les futurs directeurs de ces ARS, l’Etat a aussi fait appel à un cabinet, Salmon & Partners. Les appels à candidatures parus à l’époque en témoignent : ils n’exigeaient aucune connaissance dans la santé, seulement une expérience managériale de haut niveau. En d’autres termes, on cherchait de purs gestionnaires. Les candidats ont ensuite été choisis par un comité ad hoc présidé par… Jean-Martin Folz, ex-patron de Peugeot Citroën. L’arrivée des socialistes au pouvoir n’a rien changé, au contraire. En 2012, la ministre Marisol Touraine a mis en place un comité interministériel de performance et de modernisation de l’offre de soins (Copermo) qui subordonne les investissements des ARS dans les établissements hospitaliers à un plan de retour à l’équilibre financier, conçu en général avec un cabinet de consultants. […]

En 2020, quatre ARS (Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Mayotte) commandent une analyse de la situation financière de leurs établissements. Des contrats variant de quelques centaines de milliers d’euros à plusieurs millions, passés à une dizaine de prestataires que l’on retrouve partout (ACE Consulting, Opusline, etc.). Il arrive aussi que les hôpitaux se réunissent en centrale d’achats. Et là, la facture grimpe. Comme en novembre 2019, quand le groupement Resah passe un accord-cadre de 40 millions d’euros avec plusieurs grands cabinets (KPMG, Ernst & Young, Mazars, etc.) afin d’optimiser l’accueil des patients.

Des sommes faramineuses au regard des réductions budgétaires drastiques imposées aux hôpitaux, dont certains se retrouvent à court de lits, de repas, de couvertures, de papier toilette. Et avec quels résultats ? Prenons les hôpitaux de Marseille : fin 2018, l’AP-HM, accablé par un milliard de dettes, signe un gros contrat de conseil – 9,4 millions d’euros – avec deux cabinets, le français Eurogroup et la Rolls du secteur, dont les consultants sont payés 4 000 euros la journée, McKinsey. Quelques mois plus tard, l’AP-HM communique : grâce à « une approche bottom-up » ayant mobilisé 1 000 personnes au sein de l’AP-HM, le cabinet américain a pu réaliser un « diagnostic à 360° » qui promet « 246 millions d’euros de gains potentiels à horizon 2025 ». Un passage qui a laissé un souvenir… contrasté.

« On a vu débarquer des dizaines de jeunes gens sortis de grandes écoles qui ont organisé des réunions de “brainstorming “avec pléthore de Post-it. On avait l’impression qu’ils arrivaient avec leurs idées toutes faites. Rien que leur “benchmarking”, leur étude de marché : ils nous comparaient avec des établissements qui n’avaient rien à voir. A la fin, McKinsey a présenté un grand plan de transformation avec 37 chantiers et 200 projets sous forme d’un arbre avec plein de branches pour faire joli. Mais la mise en œuvre s’est révélée très compliquée. Peu d’actions ont vraiment démarré, tout le monde est passé à autre chose », témoigne, amer, un chef de service. La direction, elle, estime que « l’intervention des consultants s’est arrêtée dès lors que les équipes de l’AP-HM ont été suffisamment aguerries » pour continuer toutes seules… »

Je ne peux pas citer tout l’article mais je conclurais avec la réflexion sur le rapport qualité prix de l’appel à toutes ces compétences d’un autre monde :

« Si la rentabilité des hôpitaux est scrutée à la loupe, personne ne s’est jamais penché sur le rapport qualité-prix des consultants. En 2018, la Cour des Comptes avait dressé un constat au vitriol. « Les productions des consultants ne donnent que rarement des résultats à la hauteur des prestations attendues. Des analyses effectuées par les chambres régionales des comptes, il ressort que nombre de rapports de mission utilisent essentiellement des données internes, se contentent de copier des informations connues ou reprennent des notes ou des conclusions existantes. » Plus inquiétant encore : le sociologue Nicolas Belorgey a réussi à démontrer que certaines mesures d’économies dégradaient la qualité des soins. En comparant des données confidentielles, il s’est rendu compte que la diminution des taux d’attente aux urgences, qui paraissait une bonne mesure, entraînait une augmentation du taux de retour aux urgences. »

Peut être l’Etat embauchera t’elle un cabinet de conseil pour déterminer si cela est bien raisonnable de faire autant appel à ces idéologues de la compétitivité, alors que la fonction publique est, par essence, bien davantage tournée vers la solidarité et la coopération.

<1586>

Jeudi 24 juin 2021

« En prenant le contrôle du marché, en en fixant les règles, Amazon n’ambitionne pas seulement de le dominer, il veut « être le marché »
Rapport de l’institut américain de recherche ILSR (Institute for local self-reliance)

Je continue donc modestement à essayer de comprendre comment fonctionne Amazon et les conséquences de l’addiction consumériste qu’Amazon a su capter.

J’essaye d’éviter la posture morale qui me semble inappropriée et contreproductive. La posture morale s’appuie sur un récit qui dicte le bien et le mal. En tant que telle, elle est toujours contestable, car d’autres peuvent avoir une conception différente du bien et du mal.

Dans cette quête que je poursuis j’aime me référer à cette formule pénétrante de Bossuet :

«Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes.»

Nul besoin d’être croyant pour comprendre la sagesse de ce propos.

Aujourd’hui je vais partager principalement un article d’opinion publié en 2018 par le site en ligne « AOC » dont j’ai déjà parlé et dont je suis abonné : « Amazon ou la menace proliférante de la loi de la jungle ».
C’est un article écrit par Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française qui a traduit et diffusé un rapport d’un institut américain de recherche ILSR (Institute for local self-reliance) : < Amazon, cette inexorable machine de guerre qui étrangle la concurrence, dégrade le travail et menace nos centres-villes.>
En voici <la traduction française>.

Ce rapport de l’ILSR vise à contribuer à une prise de conscience du grand public ainsi que des responsables politiques, ces derniers étant appelés à réguler l’emprise d’Amazon avant que les dégâts économiques, sociaux, sociétaux et culturels ne soient irréversibles :

« C’est notre modèle de société en tant que tel, notre relation au travail, nos libertés individuelles, notre capacité à vivre ensemble, qui se trouvent menacés par la stratégie tentaculaire d’Amazon. Face à un tel enjeu, les réactions semblent bien timides quand elles ne se teintent pas d’une fascination pour la réussite commerciale foudroyante de cette multinationale américaine.  »

Quatre types de menaces sont identifiées.

  1. Une menace pour l’économie
  2. Une menace pour le travail et pour l’emploi
  3. Une menace pour nos libertés
  4. Une menace pour nos territoires

1 une menace pour l’économie

Le rapport de l’ILSR montre comment Amazon menace l’économie par son expansion tentaculaire dans des dizaines de secteurs, sa quête de monopole, la manière dont il étrangle les PME, à commencer par celles qui sont présentes sur sa market-place, ou encore sa politique d’évasion fiscale qui fausse la concurrence et réduit les ressources fiscales pour les territoires où il réalise ses ventes.

« Par la puissance de sa market-place, de ses infrastructures logistiques et de son service de stockage de données (Amazon Web Services), Amazon a dorénavant la faculté de fixer les conditions d’accès au marché pour des milliers d’entreprises dont il est par ailleurs le premier concurrent. Il scrute l’activité des entreprises qu’il héberge et, pour les plus profitables, s’approprie leur connaissance du métier et du produit avant de les racheter à vil prix ou de les concurrencer par des prix imbattables. Le PDG d’une entreprise américaine de jouets illustre cette dépendance en déclarant : « Nous nous sommes rendu compte que nous étions fichus si nous allions sur la market-place d’Amazon et fichus aussi si nous n’y allions pas. »

En France la société Casino joue à ce jeu dangereux : < L’idylle entre Amazon et Casino suit son cours >

« La domination du marché par Amazon atteint, aux États-Unis, des proportions hors normes. L’entreprise de Jeff Bezos y capte en effet la moitié des achats en ligne, certainement les deux tiers à l’horizon 2020. Elle possède des dizaines de filiales : sites e-commerce, livres audio, téléphonie mobile, transport, plateforme de streaming pour jeux en ligne, textile, chaussures, piles à combustible, caméras de surveillance, bases de données, statistiques et « data mining », distribution alimentaire… La moitié des Américains qui vont sur le net pour y faire des achats démarrent dorénavant directement leurs recherches sur Amazon. Plus d’un foyer américain sur deux est abonné à son programme Prime. En prenant le contrôle du marché, en en fixant les règles, Amazon n’ambitionne pas seulement de le dominer, il veut « être le marché ». »

Cette quête monopolistique est alimentée par la capacité à mener, à long terme, une stratégie de vente à perte financée par des investisseurs éblouis et acceptant les pertes comme autant de promesses d’écrasement des marchés au profit de leur champion.

Il semble qu’un esprit de résistance se lève en France. Un article du 17 mars 2021 de « Capital » nous informe qu'<Amazon enregistre une forte baisse de sa part de marché en France> :

« Conséquence de la crise sanitaire liée au Covid-19, les ventes en ligne séduisent de plus en plus les Français. Selon des statistiques dévoilées par Kantar, la vente en ligne ne cesse de progresser, tirée vers le haut par les leaders du marché, à commencer par Amazon. Mais pour le géant du commerce en ligne qui continue de caracoler en tête avec 19% de part de marché, la croissance est bien moins rapide que prévue, analyse Kantar, à savoir que la société de Jeff Bezos perd trois points en 2020. Sa part de marché était en effet de 22% en 2019.

2 Une menace pour le travail et pour l’emploi

La première menace a déjà été largement abordée et concerne les conditions de travail et la pression qu’Amazon exerce sur ces salariés. Autant que possible, Amazon cherche à s’exonérer de ses obligations sociales.

La seconde est celle sur le nombre d’emplois, par la robotisation :

« Le fabricant de robots Kiva, [est devenu] l’un des leaders mondiaux sur ce marché. 45 000 de ces robots sont aujourd’hui produits par Kiva au service exclusif d’Amazon. Ils viennent d’être déployés dans les entrepôts français. Le nombre de nouveaux robots croît plus rapidement (+ 50 % en deux ans) que celui des embauches de salariés. Une étude du MIT, publiée en mars 2017, estime que chaque robot introduit sur le marché du travail détruit six emplois et entraîne une baisse du salaire moyen sur le marché du travail du fait d’une demande accrue de postes. Sur cette base, Amazon aurait déjà détruit près de 300 000 emplois dans le monde, soit autant que le nombre de ses salariés ! »

Mais la destruction d’emplois se trouve aussi dans la concurrence :

« À cela il faut ajouter les dizaines ou centaines de milliers d’emplois détruits chez les concurrents d’Amazon terrassés par sa politique de dumping financée par une capitalisation hors normes. Cette politique prédatrice ne touche pas seulement de grandes chaînes concurrentes mais également des commerçants indépendants dont la présence est essentielle à la vitalité économique et sociale des territoires, et particulièrement des centres-villes que l’expansion d’Amazon contribue à désertifier. »

3°Une menace pour nos libertés

Amazon stocke des milliards de données sur des serveurs que l’entreprise maîtrise exclusivement :

« Amazon est l’un des leaders du stockage de données. Amazon Web Services, dont tout le monde, de Netflix à la CIA, est client, contrôle le tiers de la capacité mondiale de cloud computing, soit plus que Microsoft, IBM et Google combinés…

Il exploite, par ailleurs, l’inépuisable réserve de données personnelles que lui apporte une connaissance fine de nos habitudes d’achat. S’il s’en est servi jusqu’à présent pour se développer sur différents marchés et pour pousser ses propres produits, il pourra, demain, grâce à cette connaissance millimétrique de nos habitudes et de nos goûts, aux possibilités de l’intelligence artificielle sur laquelle il investit massivement et à l’introduction, au cœur de notre vie quotidienne, des appareils connectés qu’il développe, non plus seulement connaître nos choix, mais nous les dicter ! »

4° Une menace pour nos territoires

Amazon par son poids économique financier est capable d’imposer aux territoires des ristournes fiscales et même des subventions pour s’installer.

Je fais juste un pas de côté, pour faire ce constat, en dehors de toute leçon morale, le poids économique et financier d’Amazon provient exclusivement des millions de clients fascinés par la facilité, la rapidité, le confort de l’acte de consommation qui part d’un simple clic pour arriver quasi immédiatement dans la bulle intime de son lieu de vie.

Le rapport dit en effet :

« L’ILSR démontre néanmoins que le réseau logistique d’Amazon a été bâti largement grâce à des subventions publiques, le montant de ces aides dépassant, selon le rapport, les bénéfices d’Amazon depuis l’origine. En France également, les implantations des entrepôts d’Amazon bénéficient systématiquement de soutiens financiers de la part des collectivités locales.

Le même rapport rappelle que 108 000 commerces indépendants ont disparu aux États-Unis durant les quinze dernières années. Si ce déclin a de nombreuses causes, les études montrent qu’Amazon en est, de loin, la principale.

La dévitalisation de nos quartiers, de nos centres-villes, appauvrit l’économie locale, déplace ou supprime des emplois et, au final, nuit gravement à notre capacité d’organiser et d’animer notre vie collective grâce au travail et aux actions éducatives, sociales, culturelles que développent nos communautés. »

Dans l’esprit de résistance française, la place du livre, notamment grâce au prix unique et au réseau de libraires, constitue encore une place forte. « L’Express » dans un article de novembre 2020 <La filière du livre repense sa résistance face à Amazon> explique :

« D’après le Syndicat national de l’édition, [Amazon] réalise en temps normal 50% des ventes en ligne, estimation grossière, ce qui représenterait 10 à 15% des ventes totales. Le Syndicat de la librairie française pense qu’Amazon capte “plus de la moitié” des ventes en ligne et environ 10% au total.

Les confinements, qui ont contraint les librairies à fermer, ont amené la filière à revoir sa stratégie face à la multinationale.

Elle s’est concentrée sur la communication. Ecrivains, jurys littéraires et même responsables politiques ont multiplié les appels à aider les libraires, autorisés à vendre des ouvrages précommandés (“click and collect”). »

Bien sûr les temps ont été difficiles pendant le confinement et sont restés compliquée après. Mais le modèle tient encore :

« Pour autant, le modèle de la librairie en France est bon. C’est le premier secteur qui a subi l’arrivée d’Amazon et alors qu’on taxait les libraires de ringards, rétifs à la numérisation, ils se sont bien armés. L’enjeu est de faire venir du monde en magasin par des outils numériques, et ils y travaillent”, ajoute l’auteur d’un «Eloge du magasin» paru en janvier. […]

Nous ne voulons pas remplacer les conseils d’un ou d’une libraire par ceux d’un algorithme, ni collaborer à un système qui met en danger la chaîne du livre par une concurrence féroce et déloyale”, détaillent-ils. »

Mais au pays du prix unique du livre, la concurrence se joue sur les frais d’expédition, systématiquement fixés à 0,01 euro chez Amazon.

Cette problématique des frais d’envoi est développée dans un <article du 21 mai 2021> : Le gouvernement veut imposer partout sur internet un même prix, frais de port inclus, pour tous les livres neufs.

Anne Martelle, présidente du Syndicat de la librairie française et directrice générale de la librairie Martelle à Amiens explique :

« Même si les libraires sont présents de longue date sur Internet, le développement de leur site est freiné par la politique de dumping des grandes plateformes comme Amazon. Quand Amazon facture un centime d’euro pour expédier un livre, il en coûte pour le même envoi, en moyenne 6,50 euros au libraire

Et si le libraire répercute ces frais d’expédition à son client, il le perd au profit d’Amazon. Et si le libraire prend en charge les frais d’expédition, il perd de l’argent à chaque fois qu’il expédie un livre. C’est une situation intenable pour libraires et puis, il faut noter qu’il n’y a que sur le livre qu’Amazon offre la quasi-gratuité de l’expédition sans minimum d’achat. Ça prouve qu’il existe de la part de cette société une volonté délibérée d’attaquer les libraires indépendants et d’attaquer aussi de manière détournée le prix unique du livre. »

L’illusion de la gratuité est d’une grande perversité, elle cache toujours un coût que quelqu’un doit payer. Quelquefois c’est même le climat et la biodiversité qui paie :

« Le sujet qui est actuellement en discussion prévoit plutôt une tarification minimale, ce qui obligerait Amazon à ne plus facturer un centime d’euro, mais peut-être quatre, cinq euros ou trois euros, ça rétablirait l’équilibre. Ça permettrait aussi de remettre dans le jeu le vrai prix d’un transport, quel qu’il soit, du livre ou d’autre chose. Le fait [pour Amazon] de facturer un centime d’euro donne aux clients l’impression que ça ne coûte rien, ni à l’environnement ni à son porte-monnaie. Eh bien, c’est faux. »

« Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes. » Bossuet

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Jeudi 17 juin 2021

« Amazon, c’est bizarre à dire, est désormais obligé de faire des bénéfices. »
Mounar Mahjoubi, ancien secrétaire d’État chargé du Numérique de 2017 à 2019

Mounir Mahjoubi s’exprime ainsi dans « Le UN » déjà évoqué, lors d’un entretien essentiellement consacré à l’optimisation fiscale que pratique la firme de Seattle. Il insiste sur le fait que c’est par volonté d’éviter l’impôt qu’Amazon a cherché à minimiser voire effacer les bénéfices :

« Amazon, c’est bizarre à dire, est désormais obligé de faire des bénéfices. Pendant vingt ans, l’entreprise a réinvesti ses revenus de manière à présenter en permanence une situation de déficit, mais ceux-ci sont aujourd’hui tellement importants que c’est devenu impossible »

Mais au-delà de la vision fiscale, Amazon n’a pas cherché à faire des bénéficies à court terme. Amazon a commencé son activité en 1995 et a attendu presque 10 ans pour avoir ses premiers bénéfices.

Nous lisons dans article de 2004 de « L’EXPRESS » : <Amazon enfin rentable> :

« C’est un évènement pour le groupe. Pour la première fois depuis sa création en 1995, Amazon.com affiche un bénéfice net sur l’année entière. Le leader mondial du commerce électronique a réalisé un bénéfice net  »

Jeff Bezos a créé une entreprise qui a fait des pertes pendant 10 ans, sans perdre la confiance de ses actionnaires.

Il est même aller plus loin : il n’a jamais payé de dividendes à ses actionnaires.

<Pourquoi Amazon ne paie pas de dividendes ?> :

« Les marchés ont des attentes différentes des différentes entreprises. Les investisseurs dans les industries matures, les banques et les entreprises de services publics s’attendent à ce qu’ils partagent la plupart de leurs bénéfices sous forme de paiements aux actionnaires – sous forme de dividendes ou de rachats.

Cependant, les investisseurs ont des attentes différentes des entreprises à forte croissance, en particulier dans le secteur de la technologie. […] Jeff Bezos n’a pas été un fan des dividendes et des rachats d’actions. Bien qu’Amazon ait procédé à des rachats d’actions dans le passé, ils sont assez faibles compte tenu de la taille de l’entreprise. Au lieu de cela, Bezos s’est penché sur les acquisitions et la croissance. Amazon dépense énormément en croissance sur certains marchés internationaux comme l’Inde. »

Jeff Bezos est indiscutablement un génie et Amazon est une entreprise qui a emmené la perfection logistique à un niveau inégalé.

C’est le contraire d’un homme d’affaire qui a une vision à court terme. Pour lui, c’est le long terme qui est essentiel. Il construit ainsi, année après année, la croissance de son entreprise par des investissements gigantesques.

Les actionnaires et les marchés ont continué à lui faire une totale confiance. Ainsi les actionnaires ont pu bénéficier de l’augmentation du cours de l’action.

« Bien qu’Amazon ne verse actuellement pas de dividende, l’appréciation du cours de son action a plus que compensé l’absence de dividende. »

Il a pendant longtemps eu un autre problème de rentabilité : Cela coute cher de livrer chaque client, où qu’il soit dans un délai record et avec un cout concurrentiel. Au démarrage les pertes liées à l’activité de livraison d’Amazon étaient très importantes. C’est alors qu’« Andrew Jassy » qui venaient d’entrer à Amazon a eu une idée remarquable. Pour organiser les commandes, les livraisons et aussi la logistique des entrepôt, Amazon avait besoin de serveurs numériques considérables. Il fallait donc les acquérir et les installer dans des fermes à serveurs. Alors à moins de frais on pouvait augmenter la taille de ses serveurs.

<Challenge> explique :

« Né en 1968 dans une famille aisée de New York, Andrew Jassy fait ses études à Harvard avant de rejoindre Amazon en 1997, trois ans après sa création. C’est alors une simple librairie en ligne qui perd de l’argent. Qu’importe, il rejoint l’équipe et comprend vite que la clé de la réussite passe par la technologie.

Les serveurs qu’Amazon installe un peu partout pour gérer les commandes en ligne coûtent un argent fou. Comment réduire les coûts ?

Andrew Jassy propose de les rentabiliser en les louant et en vendant des services en ligne aux entreprises. C’est ainsi que naît en 2003 Amazon Web Services (AWS), dont Andrew Jassy devient directeur général en 2016. L’activité cloud est la plus rentable du groupe, pesant près des deux tiers du résultat net pour 20 % du chiffre d’affaires. »

<Les Echos> dans un article de 2020 le confirme :

« A ce propos, c’est sur AWS, la filiale « dans les nuages », que repose la rentabilité du groupe. Au début des années 2000, Jeff Bezos, le PDG, a compris que les entreprises voudraient déléguer le stockage de leurs données au lieu d’avoir leurs serveurs dans leurs locaux. C’était trop cher, trop peu efficace et pas assez flexible. En développant sa propre technologie, Amazon a pu proposer ce type de services. Il est ainsi devenu l’un des leaders mondiaux du cloud. Cette activité prospère aide à financer le développement de l’e-commerce, une activité à faible marge et qui perd de l’argent à l’international. »

Et quand Jeff Bezos décide de prendre du recul, c’est Andy Jassy qu’il choisit comme remplaçant.

<Jeff Bezos passera le flambeau à Andy Jassy (AWS)> :

« Or l’homme d’affaires a bien d’autres projets en cours. C’est d’ailleurs la raison invoquée pour expliquer qu’il va quitter son poste de CEO d’Amazon. La transition aura lieu au cours du troisième trimestre de l’année, après quoi il restera toujours présent comme président exécutif du conseil d’administration.

« Je disposerai du temps et de l’énergie dont j’ai besoin pour me concentrer sur Day One Fund, le Bezos Earth Fund, Blue Origin, Washington Post et mes autres passions ». « Je n’ai jamais eu autant d’énergie et il ne s’agit pas de prendre ma retraite », prévient Jeff Bezos (57 ans) dans sa lettre. »

Jeff Bezos a donc d’autres projets que travailler uniquement à la croissance d’Amazon. Mais il faut reconnaître ses talents de visionnaire et aussi ses capacités d’entrainement pour croire en une entreprise qui ne faisait pas de bénéfices pendant 10 ans puis en a réalisé grâce à une activité annexe.

Mais maintenant il faut qu’Amazon apprenne à gérer ses bénéficies et peut être à payer des impôts dans les États dans lesquels il réalise ses chiffres d’affaires.

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Mardi 15 juin 2021

«Vous devez être capable d’agir trois fois plus vite que les gens les plus compétents.»
Message initial de Jeff Bezos pour recruter pour son entreprise

Jeff Bezos a donc créé Amazon  et mis en ligne «  La plus grande librairie du monde » en 1995.

E,t il en a fait, en une vingtaine d’années, une entreprise à tout vendre.

Un journaliste américain à Bloomberg, Brad Stone avait publié en 2013 un livre enquête sur cette aventure « The Everything Store ». ce livre a été traduit en français et publié en 2014 : « Amazon : la boutique à tout vendre »

Vous pouvez acheter ce livre sur Amazon, mais le lien que je donne est vers la librairie Decitre.

Le journal « Les Echos » avait publié un article <le 30 mai 2014> de la journaliste Isabelle Lesniak qui parle de ce livre. Elle avait elle-même mené une enquête sur Amazon

Au début ses idées vont se développer à New York. Il va rencontrer une entreprise financière Desco et un homme Shaw avec qui il va apprendre l’organisation et échanger des idées et élaborer des stratégies disruptives.

« Tout a commencé avec une idée. Et cette idée flottait dans l’air de la société Desco (D. E. Shaw & Co.), sise à New York… Ce fonds spéculatif avait été créé en 1988 par un ancien professeur d’informatique de l’université de Columbia, David E. Shaw. Sa grande idée était d’exploiter les ordinateurs et des formules mathématiques complexes dans le marché de la finance à grande échelle. (…) Desco n’avait rien d’une société typique de Wall Street. Shaw ne recrutait pas des financiers mais des mathématiciens et des experts scientifiques, de préférence avec un CV hors norme et des références académiques indéniables.

(…) Bezos, alors âgé de 29 ans, commençait déjà à se dégarnir. Son visage un peu pâle et creusé était typique d’un « accro » au travail. Durant les sept années qu’il avait passées à Wall Street, il en avait impressionné plus d’un par sa vive intelligence et sa détermination sans faille. [Après Princeton] il avait, en 1988, rejoint la firme financière Bankers Trust, mais ne s’y était pas plu. A la fin de l’année 1990, il se préparait à quitter Wall Street lorsqu’un chasseur de têtes le convainquit de venir voir les dirigeants d’une firme financière « pas comme les autres ».

(…) C’est grâce à Desco que Bezos développa un grand nombre des caractéristiques distinctives que les employés d’Amazon retrouveront plus tard. Discipliné, précis, il notait constamment des idées sur un carnet qu’il transportait en permanence, de peur qu’elles ne s’envolent. (…) Quelle que soit la situation, Bezos procédait « analytiquement ». Célibataire à cette époque, il entreprit de suivre des cours de danse de salon, ayant calculé que cela améliorerait ses chances de rencontrer ce qu’il appelait des femmes « n + ». (…) Shaw et Bezos caressaient l’idée de développer une boutique « où l’on trouverait de tout ». De nombreux cadres estimaient qu’il serait aisé de mettre en ligne un magasin de ce genre. Pourtant, l’idée n’avait pas semblée réaliste à Bezos – du moins dans les premiers temps. Il avait donc commencé par établir une liste de vingt rayons potentiels : fournitures de bureau, logiciels, vêtements, musique… Il lui apparut alors que le plus approprié était celui des livres. C’est un article totalement standard ; chaque exemplaire étant identique à un autre, les acheteurs savent pertinemment ce qu’ils vont recevoir. A cette époque, aux Etats-Unis, deux distributeurs principaux se partageaient le marché. Les démarches en étaient considérablement simplifiées. Et il existait trois millions de livres en circulation dans le monde. »

Mais ce n’est pas avec Shaw qu’il va développer le concept qui le rendra célèbre et riche. Entre temps il a rencontré et épousé en 1992 MacKenzie.

En 2019 leur divorce sera classé comme le plus cher de l’Histoire, mais les records sont faits pour être battus.

Avec MacKenzie il se rend à Seattle pour monter sa librairie en ligne.

<Seattle> est la plus grande ville (750 000 habitants en 2018) située dans l’Etat de Washington, c’est à dire au nord-ouest des Etats-Unis et au Nord de la Californie.

Cette ville était alors le siège de Boeing et d’autres entreprises de haute technologie comme Microsoft et Google.

Cette ville offre à la fois de nombreux diplômés en informatique et des taxes moindres qu’à New York ou en Californie. Wikipedia affirme qu’au départ les Bezos ont pu débuter grâce à un investissement des parents de Jeff à hauteur de 245 573 dollars.

Et ils vont se lancer, l’article d’Isabelle Lesniak
cite un message du 21 août 1994 sur le forum Usenet :

« Start-up bien capitalisée cherche des programmeurs C/C++ et Unix extrêmement talentueux. Objectif : aider au développement d’un système pionnier de commerce sur Internet. Vous devez avoir acquis une expérience dans la conception et la mise en place de systèmes larges et comple xes (mais aussi faciles à faire évoluer). Vous devez être capable d’agir trois fois plus vite que les gens les plus compétents. Attendez-vous à travailler avec des collègues talentueux, motivés, sérieux et intéressants. »

Bref les meilleurs d’entre les meilleurs.

Jeff et MacKenzie vont beaucoup hésiter sur le nom à donner à la plus grande librairie du monde. Vous trouverez dans l’article les différentes tentatives. Mais finalement Amazon va être choisi en référence au fleuve mais aussi parce que le mot commençait par A et qu’à cette époque, la plupart des annuaires classaient les sites par ordre alphabétique.

Au départ c’était un « truc » d’informaticiens pour les informaticiens mais pas que :

« Très vite, il apparut que la clientèle était particulière. Les premiers utilisateurs commandaient des manuels d’informatique, des bandes dessinées de la série Dilbert, des livres sur des instruments de musique anciens et des guides de sexologie. La première année, le best-seller fut un manuel de Lincoln D. Stein expliquant comme créer un site Web. Certaines commandes provenaient de soldats américains dont les troupes étaient stationnées hors du continent. Un habitant de l’Ohio écrivit pour dire qu’il vivait à 75 kilomètres de la librairie la plus proche et qu’Amazon.com était un don du ciel. Un employé de l’Observatoire européen austral au Chili avait commandé un livre de Carl Sagan – apparemment à titre de test ; il dut être satisfait car, peu après, il repassa commande de plusieurs douzaines d’exemplaires du même livre. Amazon découvrait ainsi ce phénomène que l’on appelle la « longue traîne » : le grand nombre d’articles rares qui séduisent un petit nombre de gens. »

Pour arriver à créer cette société unique, performante et rigoureuse, il crée une culture d’entreprise que je qualifierai d’absolue et exclusive :

« Peu à peu, le PDG aux cheveux clairsemés, au rire perçant et au comportement agité dévoilait sa vraie nature aux employés. Il se révélait bien plus têtu que ce qu’ils avaient perçu au départ. Il supposait de manière présomptueuse qu’ils seraient constamment prêts à donner le meilleur d’eux-mêmes et sans la moindre réserve.

(…) Bezos était déterminé à insuffler dans sa société une culture particulière : celle des économies à tout crin. Les bureaux construits à partir de portes et les contributions minimales aux frais de parking en faisaient partie. Au premier étage du nouveau bâtiment, un stand de café distribuait des cartes de fidélité permettant aux clients d’obtenir une boisson gratuite au dixième achat. Jeff Bezos, qui était alors multi-millionnaire, insistait pourtant pour se faire poinçonner sa carte de fidélité. Parfois quand même, il offrait la boisson gratuite qu’il avait récoltée à un collègue.

(…) Un grand nombre d’employés rechignaient à accepter le rythme de travail insensé. Or Jeff Bezos les sollicitait de plus en plus fortement, en organisant des réunions le week-end, en instituant un club de cadres qui se réunissait le samedi matin et en répétant souvent son credo : travailler dur, longtemps, avec intelligence. De ce fait, Amazon était mal perçue par les familles. Certains cadres, qui désiraient avoir des enfants, quittèrent alors la société. »

Il attend de ses employés que leur but de vie soit la réussite de l’entreprise :

« (…) Lors d’une réunion restée mémorable, une salariée demanda à Jeff Bezos quand Amazon établirait un meilleur équilibre entre le travail et la vie personnelle. Il le prit très mal : « La raison pour laquelle nous sommes ici est d’accomplir notre tâche. C’est la priorité numéro 1, l’ADN d’Amazon. Si vous ne pouvez pas vous y dévouer corps et âme, alors peut-être n’êtes-vous pas à votre place. » »

De manière générale, Jeff Bezos impose un management inventif et exigeant :

« Bezos présenta sa nouvelle grande idée aux principaux cadres : toute l’entreprise allait se restructurer autour de ce qu’il appelait les « équipes à deux pizzas ». Les employés seraient organisés en groupes autonomes de moins de dix personnes – suffisamment petits pour que, lorsqu’ils travailleraient tard, les membres puissent être nourris avec deux pizzas. Ces équipes seraient « lâchées » sur les plus gros problèmes d’Amazon. Elles seraient en compétition mutuelle en matière de ressources et parfois, dupliqueraient leurs efforts, reproduisant les réalités darwiniennes de survie dans la nature. »

La gestion du temps et le refus des pertes de temps constituent un impératif. Mais il y a un autre point que je trouve intéressant dans la communication, c’est la volonté du PDG d’obliger ses collaborateurs d’exprimer les idées par des phrases et des arguments :

« L’autre changement était assez unique dans l’histoire des entreprises. Jusqu’à présent, les employés avaient utilisé les logiciels Powerpoint et Excel de Microsoft pour présenter leurs idées lors de meetings. Bezos estimait que cette méthode dissimulait une façon de penser paresseuse. Il annonça que de tels logiciels ne seraient plus utilisés. Chacun devrait écrire sa présentation en prose. En dépit des résistances internes, il insista sur ce point. Il voulait que les gens prennent le temps d’exprimer leurs pensées de façon convaincante.

(…) Les présentations en prose étaient distribuées et chacun les lisait durant une bonne quinzaine de minutes. Au départ, il n’y avait pas de limite pour ces documents, ce qui pouvait amener à produire des exposés de soixante pages. Donc, très vite, un décret supplémentaire fut édicté, imposant un maximum de six pages (…). »

Et il a ensuite poussé cette rigueur jusqu’à la synthèse permettant de convaincre le client :

« Chaque fois qu’une nouvelle fonction ou qu’un nouveau produit était proposé, l’exposé devait prendre la forme d’un communiqué de presse. Le but était d’amener les employés à développer un argumentaire de vente. Bezos ne croyait pas possible de prendre une bonne décision quant à un produit ou une fonction si l’on ne savait pas précisément comment le communiquer au monde – ni ce que le vénéré client en penserait. »

Il peut aussi être très désagréable avec ses employés :

« Bien qu’il puisse se montrer charmant et plein d’humour en public, Bezos était capable en interne de descendre en flammes un subalterne. Il était enclin à des colères mémorables. Un collègue qui échouait à satisfaire les standards qu’il avait fixés était en mesure d’en déclencher une. Il était alors capable d’hyperboles et d’une rare cruauté. Il pouvait décocher des phrases appelées à demeurer dans les annales internes : (…) « Je suis désolé, ai-je pris mes pilules pour la stupidité aujourd’hui ? » « Est-ce qu’il faut que j’aille chercher le certificat qui spécifie que je suis le PDG afin que vous cessiez de me défier là-dessus ? » « Êtes-vous paresseux ou juste incompétent ? »

L’empathie pour son personnel n’est pas le point fort de cet homme qui prône la philanthropie. Son obsession est le consommateur.:

« (…) Certains employés d’Amazon avancent la théorie que Bezos, tout comme Steve Jobs, Bill Gates ou Larry Ellison (NdT : cofondateur d’Oracle), manque d’une certaine empathie et qu’en conséquence, il traite ses employés comme des ressources jetables, sans prendre en compte leurs contributions à l’entreprise. Ils reconnaissent également que Bezos est avant tout absorbé par l’amélioration des performances et du service client, ce qui rend secondaire les problèmes personnels. »

Dans sa lettre aux actionnaires d’avril 2021 cité par « Le Un », ainsi parlait Jeff Bezos :

« Dans la lettre aux actionnaires d’Amazon de 1997, notre toute première, j’évoquais notre espoir de créer une « entreprise durable » qui réinventerait ce que signifie servir les clients en libérant la puissance d’Internet. […] Nous avons parcouru un long chemin depuis lors et nous travaillons plus que jamais pour servir et ravir nos clients. L’année dernière, nous avons embauché 500 000 personnes et employons désormais directement 1,3 millions de personnes dans le monde. Nous comptons plus de 200 millions de membres Prime dans le monde. Plus de 1,9 million de petites et moyennes entreprises vendent dans notre magasin. […] Amazon Web Services sert des millions de clients et a généré un chiffre d’affaires de 50 milliards de dollars en 2020. En chemin, nous avons créé 1600 milliards de dollars de richesses pour les actionnaires »

Il faut rendre justice à cet homme qui a réalisé quelque chose d’extraordinaire, remarquable pour les consommateurs et les actionnaires.

Je pose une question : est ce que ce sont ces deux fonctions d’homo sapiens qu’il est intelligent de prioriser ?

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