Mardi 14 mai 2024

« Leys, l’homme qui a déshabillé Mao »
Documentaire consacré à Simon Leys, sinologue belge qui, le premier, a regardé la réalité du maoïsme en face

La mort de Bernard Pivot a conduit à mettre la lumière sur certaines de ses émissions qui ont été sinon un moment d’Histoire, au moins un moment essentiel de révélation.

Il en a été ainsi de l’émission « Apostrophes » du 27 mai 1983 dans laquelle il invite, enfin, Simon Leys, cet immense sinologue qui a dénoncé avant tous les autres, les crimes et l’incompétence de Mao Tsé Toung et de la politique menée par le Parti communiste chinois.

J’avais déjà consacré un mot du jour à cette émission : « Que les idiots disent des idioties, c’est comme les pommiers qui produisent des pommes, c’est dans la nature. Le problème, c’est qu’il y ait des lecteurs pour les prendre au sérieux. ».

Dans cet épisode, Bernard Pivot avait également invité Maria-Antonietta Macciocchi, qui avait écrit des livres très élogieux sur la Chine de Mao et qui était une référence pour les maoïstes français.

Simon Leys parviendra sur la chaîne nationale à démonter l’argumentaire de Mme Macciochi et hésitera pour qualifier son dernier ouvrage entre « stupidité totale » ou « escroquerie ». D’après une interview de Bernard Pivot, ce fut le seul cas où, à la suite d’un passage à Apostrophes, les prévisions de vente d’un livre furent révisées à la baisse.

Il faut absolument voir le documentaire de 50 minutes diffusé sur la Chaîne « Public Sénat » : <Leys, l’homme qui a déshabillé Mao> qui montre le combat de Simon Leys pour dévoiler la vérité sur la Chine de Mao.

Simon Leys s’appelait dans l’état civil Pierre Ryckmans. Il est né en 1935, en Belgique dans une famille de la grande bourgeoisie catholique belge.

En mai 1955, il a l’opportunité de participer au voyage d’une délégation de dix jeunes Belges invités durant un mois en Chine. La République populaire de Chine avait été proclamé par Mao, 6 ans auparavant. Ce séjour très encadré par le Parti communiste chinois lui permet de rencontrer et d’échanger avec Zhou Enlai, le numéro 2 derrière Mao. Il en sortira fasciné.

Il décide d’apprendre le chinois afin de pouvoir s’ouvrir à la langue et à la culture du pays et d’aller l’étudier dans le monde chinois.

Il commencera à étudier à la section des Beaux-Arts de l’Université nationale de Taïwan. Puis il voyagera beaucoup dans le monde et se fixera d’abord à Singapour, mais devra en partir car il sera soupçonné d’être pro-communiste et ensuite s’installera, à partir de 1963, à à Hong Kong.

Il épousera une journaliste chinoise en 1964 : Han-fang Chang qui sera sa compagne jusqu’à la fin de sa vie et avec qui il aura quatre enfants.

Il étudie beaucoup et a du mal à trouver des emplois suffisamment rémunérés., il complète son salaire en rédigeant tous les quinze jours, de 1967 à 1969, un rapport analysant le déroulement des événements en Chine, pour le compte de la délégation diplomatique belge de Hong-Kong.

Ce sont ces rapports qui se fondent sur les publications officielles du régime communiste, comme sur le témoignage des chinois qui ont pu fuir le pays du livre rouge qui lui permettront d’écrire son premier ouvrage « Les Habits neufs du président Mao » dans lequel il dénonce ce qu’il sait de ce régime horrible et assassin

Il prendra pour nom d’auteur Simon Leys pour des raisons qui sont expliquées dans le documentaire.

Je ne vais pas écrire tout ce que le documentaire décrit. Il me parait très important, en revanche, d’insister sur un point essentiel : Le monde des intellectuels et universitaires, le monde des journalistes et des hommes politiques de gauche feront plus que critiquer le travail de Simon Leys : ils le couvriront d’injures, l’ostraciseront et lui fermeront définitivement les portes de l’Université française, alors qu’il était un des sinologues les plus compétents et les plus lucides qui existait alors sur la place.

Je veux donner la liste de ceux qui se sont trompés et qui, au moment où Simon Leys révélait la vérité, se sont trouvés dans l’autre camp :

  • Philippe Sollers et la revue Tel Quel
  • Le journal Le Monde
  • Le journal Libération qui a été créé par des maoïstes dont Serge July
  • Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir
  • Roland Barthes
  • Michel Foucault
  • Louis Althusser et ses disciples Benny Lévy, les frères Miller (Jacques-Alain et Gérard),
  • André Glucksmann, père de Raphaël qui se distinguera des autres en pratiquant la plus sévère autocritique, quand il constatera qu’il s’était trompé.

Il sera cependant soutenu immédiatement par Jean-François Revel et René Étiemble.

Tous ses critiques reconnaîtront, plus ou moins, leurs erreurs et la justesse des écrits de Simon Leys sauf le philosophe Alain Badiou qui continue à affirmer que « Les Habits neufs du président Mao » est une « brillante improvisation idéologique de Simon Leys dépourvue de tout rapport au réel politique »

En attendant Simon Leys trouvera la sérénité et la reconnaissance en Australie, où l’Université ouvrira ses portes à cet homme lucide et habité par la recherche de la vérité. Il s’y installera en 1970, et y finira ses jours en 2014.

« Le Monde » tentera, par un hommage appuyé, un rattrapage de l’aveuglement, 40 ans auparavant :

« Il possédait un goût pour le savoir qui soutenait son immense érudition ainsi que son énergie pour lire, traduire et comprendre. Néanmoins, conscient de la fragilité de nos connaissances, il mêlait volontiers l’humour du sceptique et la modestie du sage. C’est sans doute cette lucidité qui lui permit de voir la Chine maoïste sous son véritable visage et de publier, en 1971, le livre le plus percutant sur la Révolution culturelle, « Les Habits neufs du président Mao » »

Je crois que nous pouvons beaucoup apprendre de ce moment d’affrontement entre un homme lucide, sage et modéré et une cohorte de gens, pour la plupart classés à gauche, convaincus de détenir la vérité et d’être du côté du bien, aveuglés par leur dogme et leurs certitudes.

Le maoïsme et le stalinisme ne sont plus d’actualités, le trotskysme presque plus, mais il reste encore bien des dogmes et des nouveaux combats dits « progressistes » qui aujourd’hui continuent à aveugler des femmes et des hommes qui sont certains d’être du bon côté du combat. Qu’en sera-t-il dans quarante ans ?

Je redonne le lien vers le documentaire : <Leys, l’homme qui a déshabillé Mao>.

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Mardi 27 juillet 2021

« La guerre sino-vietnamienne »
Guerre du 17 février au 16 mars 1979

Le monde communiste était certes en expansion en 1979, mais il était divisé entre soviétiques et chinois.

Quand deux empires comme la Chine et la Russie possèdent une frontière commune de 4 374 km, la rivalité ne peut être que féroce. La France et l’Allemagne avec 451 km, soit près de 10 fois moins, ont montré cette triste réalité avant de se retrouver dans la communauté européenne.

Après sa fondation en 1949, la République populaire de Chine de Mao fait cependant alliance avec l’Union Soviétique de Staline sur la base de l’hostilité aux États-Unis.

Mais la rupture va se réaliser au moment du rapport Khrouchtchev en 1956, dans lequel ce dernier rejette le culte de la personnalité, prône la « coexistence pacifique » avec le capitalisme et l’impérialisme et enfin prétend que le passage du socialisme au communisme peut s’effectuer en douceur au sein même de la société.

Mao est sur une position inverse sur les 3 points. En particulier, il entend profiter pleinement du culte de la personnalité.

Concernant le Viet-Nam, la Chine a soutenu le combat de ce pays contre les américains. Mais, une fois la guerre gagnée et le Viet Nam clairement rangé du côté soviétique, les Chinois ont manifesté de l’hostilité à l’égard de leur voisin de la péninsule indochinoise.

Ce conflit se nourrissait de tensions territoriales : occupation vietnamienne des Îles Spratley, revendiquées par la Chine et de conflits de minorité : la Chine dénonçait des mauvais traitements subis par la minorité chinoise au Viêt Nam.

Mais la raison principale du déclenchement de la guerre entre la Chine et le Viet-Nam fut l’intervention de ce dernier au Cambodge.

Le mouvement génocidaire, contre leur propre peuple, des khmers rouges de Pol Pot était soutenu par la Chine. Je rappelle que ces fous anti-élites et anti occidentaux ont assassiné, pendant les 4 ans de leur dictature, <1,7 millions de cambodgiens> sur une population d’un peu plus de 7 millions d’individus.

Le 25 décembre 1978, l’Armée populaire vietnamienne pénètre au Cambodge et dans une avancée rapide et puissante pénètre dans Phnom Penh le 7 janvier 1979. Quatre jours plus tard, le régime provietnamien de la République populaire du Kampuchéa est proclamé, avec Heng Samrin comme président et le jeune Hun Sen comme ministre des Affaires étrangères.

Le Viet-Nam n’est pas intervenu pour des raisons humanitaires mais en raison de tensions territoriales et aussi d’exactions des khmers rouges à l’égard de la minorité vietnamienne au Cambodge.

Toutefois, dans une belle opération de communication, ils vont dénoncer et montrer l’ampleur des massacres de Pol Pot et de sa bande de criminels.

Les chinois et Deng Xiaoping vont entrer dans une guerre punitive et dans l’espoir d’inverser le sort des armes au Cambodge.

Si vous êtes intéressé par la tactique militaire vous pouvez regarder 4 vidéos de 15 minutes qui expliquent en détail le mouvement des armées, les pertes, la durée des combats.

Je donne le lien vers le premier épisode : <Guerre sino-vietnamienne (1979) – le principe de la guerre limitée #1>

Je résume :

  • Ce sont les chinois qui attaquent et qui prennent un certain nombre de villes du Viet-Nam sur la route de Hanoi.
  • Leur progression est très lente, très compliquée, avec beaucoup de pertes
  • Les troupes vietnamiennes sont sur la défensive et quand elles ont trop de pertes, elles reculent.
  • Ce ne sont pas les meilleures armées qui s’affrontent : La Chine a concentré l’élite de son armée sur la frontière russe, pour faire face à une éventuelle offensive de l »armée rouge qui viendrait soutenir son allié vietnamien.
  • Le Viet-Nam a envoyé l’essentiel de ses meilleures troupes au Cambodge et l’élite est restée autour de Hanoi, pour empêcher les chinois de s’approcher de leur capitale.

Au bout de 17 jours de combat, les Chinois qui sont parvenus à pénétrer de 30 à 40 km sur le territoire vietnamien, déclare qu’il pourrait continuer jusqu’à Hanoï mais que leur action punitive était suffisante et que dans un souci d’apaisement, ils se retiraient. Dès lors, les troupes chinoises évacuent le territoire vietnamien le 16 mars en pratiquant la politique de la terre brûlée.

C’est une guerre qui se finit donc par un match nul.

Les historiens semblent cependant plutôt pencher pour un échec chinois.

Les chinois avait parmi leurs buts de guerre d’aider leurs alliés Khmers rouges. Dès lors, leur attaque avait pour objectif d’obliger l’armée vietnamienne de rapatrier ses troupes du Cambodge pour arrêter l’avancée chinoise. Or, les vietnamiens sont parvenus à freiner l’armée chinoise en ne touchant pas les troupes se trouvant au Cambodge et en conservant l’élite de leur armée dans une position de repli pour protéger la capitale.

Amin Maalouf estime que cette guerre est aussi un évènement majeur de l’année 1979.

Rappelons que Deng Xiaoping avait fait une visite triomphale aux États-Unis en janvier 1979. Il avait évoqué cette action de guerre au Président Carter contre l’ennemi qui avait vaincu les américains et qui était l’allié de l’ennemi structurel : l’URSS. Le Président Carter n’a pas dissuadé le responsable chinois de réaliser cet acte de guerre.

Amin Maalouf écrit :

« Mais l’objectif de Deng n’était pas militaire. Au lendemain de son avènement, il voulait démontrer aux Vietnamiens que l’Union soviétique n’enverrait pas ses troupes à leur secours s’ils étaient attaqués et qu’ils auraient donc tort de considérer qu’ils pouvaient agir à leur guise.

Et il adressait également un message aux Etats-Unis leur disant qu’ils avaient désormais en Asie un interlocuteur fiable et peut être même un partenaire potentiel ; pour les américains qui ne s’étaient pas encore remis de la défaite que leur avait infligé Hanoï, l’expédition punitive ordonnée par le nouveau dirigeant chinois était la bienvenue.

Quelque chose d’important venait manifestement de se produire sur la scène internationale, dont Washington ne pouvait que se féliciter, et dont Moscou devait s’inquiéter au plus haut point »

Cet épisode montre donc :

  • La montée en puissance de la Chine
  • L’affaiblissement de l’Union soviétique
  • Et aussi le fait que le sort des cambodgiens ne présentait pas grand intérêt aux yeux de la Chine, des États-Unis et de l’Union soviétique

Il semble que Deng Xiaoping ait été mis en difficulté au sein du bureau politique du Parti communiste chinois, en raison des défaillances militaires de l’armée.

Mais cet homme supérieurement intelligent et rusé, sut retourner les accusations à son encontre en pointant la faiblesse de l’armée populaire chinoise sur le plan technique, mécanique et de l’encadrement.

Il en tira argument pour limoger une grande part de l’état-major .et de faire valider sa politique de réformes économiques seule capable de redonner de la puissance et du dynamisme à l’ensemble de la Chine et à son armée en particulier.

Mao disait :

« Ne pensez pas d’abord à produire, pensez d’abord à faire la révolution »

Deng Xiaoping préconisait exactement l’inverse.

<1598>

Jeudi 22 juillet 2021

« Peu de révolutions dans l’histoire ont changé en profondeur la vie d’un si grand nombre d’hommes et de femmes en un temps si court. »
Amin Maalouf évoquant les réformes conduit par Deng Xiaoping à partir de 1979

Pour donner toute sa dimension à son récit de l’année 1979, Amin Maalouf en élargit quelque peu la temporalité vers la fin de l’année 1978.

En effet, le 18 décembre 1978, le 11ème Comité central du Parti Communiste Chinois adopte les réformes économiques proposée par Deng Xiaoping. Ce dernier devient, dans les faits, le numéro 1 chinois.

Bien qu’officiellement le successeur de Mao Zedong, Hua Guofeng occupe toujours les principales fonctions du pouvoir.

  • Hua Guofeng est Président du Parti communiste chinois depuis qu’il a succédé à Mao le 7 octobre 1976, il le restera encore trois ans jusqu’au 28 juin 1981.
  • Il occupe le poste stratégique de Président de la Commission militaire centrale du Parti communiste chinois. Fonction sur laquelle, il a également succédé à Mao Zedong le 7 octobre 1976. Le 28 juin 1981, Deng Xiaoping le remplacera.
  • Enfin, il est aussi Premier ministre de la république populaire de Chine, poste qu’il a occupé après la mort de Zhou Enlai le 4 février 1976 et qu’il occupera jusqu’au 10 septembre 1980.

Deng Xiaoping en décembre 1978 « n’est que » Vice-Président du Parti communiste chinois et Vice Premier Ministre. Mais tous les historiens l’affirment, c’est Deng qui donne le cap et gouverne.

Mao Zedong est mort le 9 Septembre 1976.

Son premier ministre de toujours Zhou Enlai, Premier ministre de la république populaire de Chine du 1er octobre 1949 au 8 janvier 1976, date de sa mort l’avait précédé de quelques mois dans le paradis des communistes, s’il existe.

C’est Zhou Enlai qui avait permis à Deng Xiaoping de revenir en grâce, après des années d’humiliation dues aux purges maoistes. Il lui faudra un peu de temps pour asseoir son autorité et écarter Hua Guofeng.

<La petite histoire> nous raconte que Zhou Enlai et Deng Xiaoping se sont rencontrés en France, à Montargis :

« Ho Chi Minh, Pol Pot, [Zhou Enlai, Deng Xiaoping]. .. La France a servi de terrain d’apprentissage à bien des révolutionnaires du XXe siècle. On sait moins que les acteurs du Grand Bond en avant chinois y ont fait leurs gammes, découvrant le marxisme pour les uns, fortifiant des convictions socialistes déjà bien ancrées pour les autres.
De 1902 à 1927, 4 000 jeunes intellectuels sont venus étudier et travailler en France, en particulier à Montargis. Beaucoup sont devenus les cadres de la révolution chinoise. Montargis l’avait presque oublié. Pourtant, en Chine, depuis de longues décennies, la petite ville du Loiret est célébrée dans l’histoire officielle comme le berceau de la Chine nouvelle. »

Aujourd’hui que la Chine est le géant économique que nous connaissons, deuxième puissance économique du monde à qui on annonce, à brève échéance, la place de premier, nous comprenons ce qui s’est passé en 1978/1979 : Le début de cette formidable ascension.

Amin Maalouf rattache ce moment chinois à l’esprit du temps et à la révolution conservatrice :

« En décembre 1978, Deng Xiaoping prenait les rênes du pouvoir à Beijing lors d’une session plénière du Comité central du Parti communiste, inaugurant sa propre « révolution conservatrice ». Jamais il ne l’a appelée ainsi et elle était certainement fort différente de celle de Téhéran comme de celle de Londres ; mais elle procédait du même « esprit du temps ». Elle était d’inspiration conservatrice, puisqu’elle s’appuyait sur des traditions marchandes ancrées depuis toujours dans la population chinoise, et que la révolution de Mao Zedong avait cherché à extirper. Mais elle était également révolution, puisqu’elle allait radicalement transformer, en une génération, le mode d’existence du plus grand peuple de la planète : peu de révolutions dans l’histoire ont changé en profondeur la vie d’un si grand nombre d’hommes et de femmes en un temps si court. »
Le Naufrage des civilisations page 175

Aujourd’hui, nous savons ! Mais en décembre 1978, et en 1979 les archives du Monde que j’ai parcourues ne perçoivent pas l’importance de ce qui est en train de se passer. Au moins il ne le conceptualise pas.

Pourtant des articles racontent ce qui se passe :

  • 18 décembre 1978 : « M. Abe Jay Lieber, président de la société américaine Amherst, a annoncé à Hongkong que sa société projetait de construire six hôtels de classe internationale en Chine, écrivait le Wall Street Journal le 15 décembre. Un de ces hôtels serait à Lhassa, au Tibet. »
  • 20 décembre 1978 : « En moins de trente ans, la Chine populaire sera passée de la condition d’alliée de l’U.R.S.S. contre les États-Unis à celle d’alliée de fait de Washington contre Moscou. De tous les revirements qui ont marqué notre temps, c’est l’un des plus spectaculaires. »
  • 26 décembre 1978 : « L’ouverture de la Chine au monde capitaliste, qui constitue l’un des faits marquants de l’année, aura probablement moins d’effets immédiats pour les maîtres de forges et les marchands de l’Occident capitaliste qu’on ne l’imagine généralement. »
  • 27 décembre 1978 : « L’établissement de relations diplomatiques entre les États-Unis et la République populaire de Chine avait beau paraître inéluctable, le communiqué du 15 décembre l’annonçant n’en a pas moins surpris. »
  • 22 décembre 1978 « Coca-Cola, un des symboles de la société de consommation américaine, sera vendu en Chine populaire à partir de janvier 1979, a annoncé, mardi 19 décembre, à Atlanta, le président de l’entreprise, M. Austin. Une usine de mise en bouteilles sera construite à Changhaï dans le courant de l’année prochaine. »
  • 30 janvier 1979 : « M. Deng Xiaoping, arrivé dimanche après-midi 28 janvier, à Washington, est reçu officiellement, ce lundi, à la Maison Blanche. Avant de quitter Pékin, le vice-premier ministre chinois avait recommandé, dans une interview accordée à l’hebdomadaire  » Time « , la formation d’une alliance des États-Unis, de la Chine et d’autres pays contre l’Union soviétique. Après avoir vivement dénoncé  » l’hégémonisme  » de l’U.R.S.S., M. Deng Xiaoping déclare notamment dans cette interview :  » Si nous voulons vraiment brider l’ours polaire, la seule chose réaliste est de nous unir. »

Le voyage de Deng Xiaoping, début 1979 sur l’invitation de Jimmy Carter, sera un triomphe pour le chinois, accueilli avec enthousiasme par les foules américaines.

  • 4 avril 1979 « Le gouvernement chinois a informé par note, l’ambassade d’U.R.S.S. à Pékin, de sa décision d’abroger son traité d’amitié, d’alliance et d’entraide avec l’U.R.S.S., arrivant à échéance en 1980, a-t-on appris dans la capitale chinoise de source informée soviétique. »

Ce que raconte ces articles, c’est un renversement d’alliance. Nous sommes toujours en pleine guerre froide, les États-Unis n’ont qu’un véritable ennemi : l’Union Soviétique. Ils veulent utiliser les chinois pour lutter contre l’URSS. Cette politique avait commencé avec Nixon qui sur les conseils de Kissinger était allé en visite en Chine, rencontrer Mao Zedong. C’était en 1972.

Mais si les États-Unis ont voulu se servir de la Chine, la Chine de Deng Xiaoping a utilisé les États-Unis pour accélérer son développement et devenir aujourd’hui l’ennemi stratégique des États-Unis. Mais cet ennemi possède une puissance économique que l’URSS n’a jamais su atteindre.

J’ai trouvé <un article> très intéressant sur la place économique de la Chine dans le monde à travers l’Histoire :

« Au début de l’ère chrétienne, la Chine était, avec l’Inde, l’une des deux plus grandes économies du monde. Elle représentait plus du quart de la richesse mondiale, loin devant toutes les nations occidentales d’aujourd’hui. Mais personne ne le savait en Europe. Les distances étaient énormes, les liens restaient ténus et l’ignorance réciproque était la norme.

[…] Il est difficile de comprendre l’état d’esprit des dirigeants et de la population chinoise sans tenir compte de leur vision de l’histoire. Le « pays du milieu » (traduction littérale de Zhongguo, nom de la Chine en mandarin) sait qu’il est très longtemps resté dominant dans la sphère d’influence qui était la sienne. Les travaux d’Angus Maddison, historien de l’économie, montrent que le poids de la Chine dans l’économie mondiale est resté central depuis l’époque romaine jusqu’au XIXème siècle, avec un sommet en 1820, année où la Chine représente 36 % de l’économie mondiale. Le déclin chinois s’engage alors de façon rapide et continue jusqu’au milieu du XXème siècle, accéléré par les traités inégaux et les guerres imposées par les puissances occidentales et le Japon. En 1950, le PIB chinois ne représente plus que 4,6 % du PIB mondial. […]

Rapportés à la situation de 1950, le bilan que peut afficher le PCC en 2019 est spectaculaire. La Chine est devenue la deuxième économie mondiale avec un peu plus de 16 % du PIB mondial en 2019, selon les estimations du FMI (19% en parité de pouvoir d’achat). […]

La population chinoise s’est enrichie et « l’aisance moyenne » voulue par le PCC est déjà une réalité. Selon une étude de McKinsey, les trois quarts de la population urbaine, soit 550 millions de Chinois, auront en 2022 un revenu annuel du foyer supérieur à 10 000 dollars.

La jeunesse chinoise est désormais éduquée. Alors qu’en 1950, le taux d’illettrisme dépassait 80 %, il est aujourd’hui pratiquement négligeable (moins de 5 %), et les étudiants représentent plus de 50 % de leur classe d’âge. L’espérance de vie a presque doublé : elle ne dépassait pas 43 ans en 1950 et se situe aujourd’hui à 77 ans. […]

La période 1950-1978 sous le règne de Mao Zedong, est marquée par la construction socialiste du pays avec le partage forcé des terres, la collectivisation de l’agriculture et la création des communes populaires, la nationalisation des entreprises et l’industrialisation du pays. [Cette politique ne fonctionne pas.]

A la mort de Mao en 1976, les élites sont décimées, l’éducation supérieure est à l’abandon, le pays est exsangue. Le PIB de la Chine ne représente plus que 1,7 % de l’économie mondiale en 1980 (en dollars courants) et la part du pays dans les échanges mondiaux a régressé par rapport à 1950. […]

Le décollage économique de la Chine à partir de 1980 a été l’œuvre de Deng Xiaoping et de ses successeurs[…] : la croissance économique dépasse 10 % par an pendant 25 ans, la part du commerce extérieur dans le PIB explose (elle passe de 5 % du PIB en 1970 à près de 50 % en 2010), la Chine devient le premier exportateur mondial, les zones économiques spéciales attirent une masse croissante d’investissements étrangers qui font du pays l’usine du monde. Plus récemment, à partir de l’entrée à l’OMC en 2001, la Chine devient en 15 ans le deuxième investisseur de la planète et le deuxième prêteur mondial, en particulier à l’égard des pays en développement. »

Et pour tous les naïfs qui pensaient que la prospérité économique et une économie de marché dynamique s’accompagnaient forcément par l’émergence d’une démocratie libérale, ils ne peuvent que déchanter.

J’ai trouvé cette vidéo de cinq minutes qui présente les <Réformes de Deng Xiaoping>.

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Lundi 7 juin 2021

« Si je meurs, si j’ai une tombe, qu’un bouquet de pivoines rouges y soit déposé. »
Mihriay Erkin

<Slate> rapporte que selon un rapport publié par le Centre for Economics and Business Research (CEBR), la Chine devrait dépasser les États-Unis pour devenir la première puissance économique mondiale d’ici 2028.

Dans 7 ans.

Si cette prédiction se réalise, le monde sera dominé économiquement par un État qui est une dictature sanglante. Celles et ceux qui ont détesté l’hégémonie américaine, ce qui peut être compréhensible, seront sidérés par celle de la Chine du Parti Communiste Chinois.

Quelquefois pour toucher la réalité d’un problème, il faut s’échapper des concepts pour revenir à hauteur d’homme ou hauteur de femme comme dans cette histoire vraie.

La première fois que j’ai entendu parler de « Mihriay Erkin » c’était dans la revue de presse de Claude Askolovitch sur France Inter le <4 juin 2021>

Il évoquait un article de « Libération » : « Mihriay Erkin, étoile ouïghoure éteinte dans les ténèbres des camps » que la journaliste Laurence Defranoux avait publié le 2 juin 2021.

Depuis Raphaêl Glucksman a relayé cet article de Laurence Defranoux sur Facebook et mon amie Florence a partagé le post de Glucksman.

Mihriay Erkin était une jeune chercheuse de 29 ans à l’institut Nara au Japon. Elle était exilée, car elle était ouighour et avait quitté l’empire de Chine alors que ses parents étaient restés dans leur pays.

Elle a été piégée parce que les autorités chinoises ont « incité » sa mère à la convaincre de revenir la voir.

Claude Askolovitch résume ainsi cette histoire :

«  Regardez bien alors la bouille et le sourire espiègle de Mihriay Erkin, qui avait 29 ans, qui était heureuse au Japon, étudiante chercheuse en science et en technologie, mais qui en juin 2019 est revenue en Chine pour voir sa famille, sa mère l’a suppliait… Mihriay était ouighour, de ce peuple de confession musulmane que l’Etat chinois veut réduire, elle enseignait sa langue, son oncle était un linguiste exilé en Norvège, la famille était surveillée et l’invitation ressemblait à un piège. […] En arrivant en Chine, Mihriay a appris que son père avait été condamné pour incitation au terrorisme, puis elle a été arrêtée, elle est morte en décembre 2020 dans un camp, les autorités ont demandé à sa famille de dire qu’elle souffrait d’une maladie cachée. »

Dans l’article de Laurence Defranoux, nous apprenons les précisions suivantes :

  • C’est sa mère qui l’a appelée pour la supplier de rentrer, et lui a envoyé de l’argent pour acheter le billet d’avion.
  • Immédiatement à son arrivée, en juin 2019, elle a été privée de son passeport et assignée à résidence au Xinjiang. Elle a été arrêtée en février 2020 et elle est morte le 20 décembre dans le centre de détention de Yanbulaq, près de Kashgar, dans l’ouest de la Chine. La nouvelle a commencé à filtrer à l’étranger la première semaine de mars. Mais c’est seulement le 20 mai que sa mort a été confirmée grâce aux renseignements obtenus par Radio Free Asia, un site militant américain qui possède une antenne en ouïghour.
  • La police chinoise utilise des stratagèmes pour attirer les exilés à revenir au Xinjiang comme les obliger à venir en Chine pour signer des papiers ou renouveler leur passeport. Mais, surtout, elle se sert de la famille comme appât. L’envoi d’une forte somme d’argent par sa mère, pourtant sans ressources, alors qu’un virement à l’étranger suffit à être condamné pour « financement d’activités terroristes », a tout du piège. C’est un dilemme pour les jeunes éloignés et isolés, alors que la culture ouïghoure donne une place très importante à la famille et à l’obéissance aux parents.

Mihriay Erkin était assez consciente des risques puisqu’au moment de partir, le 18 juin 2019, à l’aéroport de Tokyo elle a envoyé ce message :

« Depuis mon enfance, on m’a appris que les enfants doivent accomplir leur devoir en restant auprès de leurs parents. Soyez en paix. Si je meurs, si j’ai une tombe, qu’un bouquet de pivoines rouges y soit déposé.»

La journaliste explique :

« Mihriay Erkin a tout pour attirer l’attention des autorités qui ont pour objectif d’éradiquer la culture millénaire des Ouïghours et les assimiler de gré ou de force dans la «grande nation chinoise». Brillante élève, maîtrisant le ouïghour, le mandarin, le japonais et l’anglais, elle a obtenu un master de bio-ingénierie au Japon après une licence de biologie à Shanghai. Mais elle ne s’est pas coupée de ses racines, porte le hijab et enseigne depuis deux ans le ouïghour à des enfants de la diaspora au Japon en marge de son doctorat. De plus, elle est la nièce d’Abduweli Ayup, linguiste renommé, diplômé aux Etats-Unis. Emprisonné et torturé en 2013-2014 pour avoir levé des fonds afin d’ouvrir une école maternelle ouïghoure, harcelé à sa sortie, il s’est exilé en Norvège en 2015, d’où il continue à militer pour l’usage du ouïghour dans l’enseignement.

Cet oncle quand il apprend le projet de sa nièce va tout faire pour la dissuader :

« Ce dernier est très attaché à celle qu’il appelle «mon bébé», et qu’il a élevée pendant deux ans lorsque ses parents s’étaient éloignés pour leur travail. […] Il essaie de la convaincre de ne pas monter dans l’avion pour la Chine. Mais Mihriay ne cède pas. Depuis la salle d’embarquement, elle lui écrit : « Chacun de nous mourra seul. L’amour de Dieu, notre sourire et notre peur nous accompagnent. Je vis dans de telles frayeurs, il est préférable d’en finir. »

Selon des sources contactées par Radio Free Asia, Mihriay Erkin serait morte alors qu’elle était l’objet d’une enquête menée par le bureau de la Sécurité publique de Kashgar, possiblement lors d’un interrogatoire. Elle avait 30 ans.

Elle n’aura pas de bouquet de pivoines sur sa tombe :

« Seules trois personnes assistent à son enterrement, sous surveillance policière. La police leur intime l’ordre de garder le secret sous peine d’être « emprisonnées pour divulgation de secrets d’Etat» et «diffamation de la police». Une page est ajoutée à son dossier médical affirmant qu’elle souffrait d’une maladie cachée. Lorsque, en mars, la nouvelle de sa mort affleure sur les réseaux sociaux à l’étranger, la police demande à sa mère d’« avouer » devant une caméra avoir dissimulé le fait que sa fille était «malade» et de dire qu’elle est morte à la maison, puis renonce, pour une raison inconnue, à tourner la vidéo. »

Bien sûr, aucun pays ne dira rien : la Chine est tellement puissante. Il ne faut pas la fâcher. Aucune entreprise multinationale ne veut se passer du marché chinois. Et, en fin de compte tant de nos économies, de notre confort dépend de l’empire du milieu.

« La Croix » relate qu’il existe bien une instance qui a pris pour nom « Tribunal Ouïghour » » et qui tente de déterminer si le régime chinois est coupable de « crime contre l’humanité », voire de « génocide ». Mais cette instance d’origine privée n’a aucune autorité à faire valoir pour faire reconnaître son travail et ses avis, sans parler de décisions qui n’auraient aucun sens dans ce contexte.

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Mardi 3 novembre 2020

« La colère musulmane, la France, la Chine et le football »
Une histoire de colère sélective

Dans de nombreux pays musulmans, des croyants de l’islam manifestent contre la France.

Il est vrai que des dessins ont choqué.

Et que le président de la République française a dit sur Al Jazira qu’il n’était pas question d’interdire ces dessins.

Vous savez qu’Albert Camus, sur lequel je reviendrai bientôt, disait, en d’autres mots, que le football nous apprenait énormément sur le monde.

Claude Askolovitch avait parlé des musulmans, de la Chine et du football dans sa revue de presse <du 27 octobre 2020>. Je cite in extenso :

« On parle d’une disparition…
Celle d’un footballeur qui ne joue plus au football, pourtant un plus doués de notre humanité, l’allemand Mesut Ozil, champion du monde en 2014, mais que son club, Arsenal, a décidé d’écarter cette année, aussi bien des compétitions européennes que du championnat anglais… L’histoire d’Ozil est racontée sur les sites du New York Times, de l’Equipe, de So foot, belle trinité, et elle nous intéresse parce qu’elle n’est pas une simple histoire de sport, quand les muscles ou la volonté se dérobent chez un champion trentenaire, elle est l’histoire d’un homme annihilé par deux monstres politiques…

Le premier est son ami, et fut témoin à son mariage, Recep Erdogan, président turc dont on lit dans le Monde qu’il ne fait plus guère l’unanimité chez lui, mais qui par ses diatribes est encore aujourd’hui dans nos journaux -la croix l’humanité- la figure de l’ennemi…

L’autre monstre est la chine que Ozil a publiquement attaqué, scellant ainsi sa perte…

L’aventure s’est jouée en deux temps… En mai 2018 d’abord, quand Ozil, d’origine turque posait avec Erdogan alors en campagne électorale, cette proximité avec un autocrate choquait la fédération puis l’opinion allemande et, une coupe du monde ratée plus tard, Ozil renoncerait à la sélection qu’il avait si bien honorée, disant avoir été mal considéré en raison de son ascendance…

Une grosse année plus tard, décembre 2019, Ozil défendait sur les réseaux sociaux les Ouïgours, peuple musulman persécuté en chine… Le post était en langue turque, il était communautaire aussi bien qu’humanitaire… Ozil parlait de la « blessure sanglante de la Oummah », la communauté des croyants…

« Ils brulent leurs Corans, ils ferment leurs mosquées, ils interdisent leurs écoles, les hommes sont jetés dans des camps et les femmes sont forcées de vivre avec des hommes chinois, mais les musulmans sont silencieux, ils les ont abandonnés… »

Quelques jours plus tard raconte le NY times, les partenaires chinois de la première ligue refusaient de diffuser un match d’arsenal.

Les commentateurs sportifs chinois cessèrent de prononcer son nom; Son avatar fut retiré des jeux vidéos…

Et Arsenal, le club d’Ozil, et le football anglais, qui dépendent amplement du marché chinois, ne défendirent pas le joueur contre l’empire, pour le nouvel an chinois, Arsenal prit soin d’effacer Ozil des produits de merchandising…

Et c’est ainsi qu’Ozil, après son pays, perdit son club, je vous passe les anecdotes de club et de vestiaire… Ozil n’a plus joué depuis mars. On l’attendrait dit So foot à Istanbul à Fenerbahce, chacun chez soi, à la maison..

On reste rêveur sur le poids des identités… et sur la puissance d’un empire, la Chine.  »

Vous pouvez aussi lire cet article de Courrier International : <Quand Arsenal sacrifie sa star Mesut Özil pour faire plaisir à la Chine>

Concernant la manière dont l’Allemagne a traité son international, champion du monde, on pourra lire cet article : « Sous le feu de la critique, le patron de la Fédération allemande de foot (DFB) a regretté jeudi de ne pas avoir défendu le joueur Mesut Özil, cible de propos racistes après une rencontre avec le président truc. »

Mais ce qui me parait essentiel c’est le silence assourdissant qu’accompagne les persécutions des musulmans Ouighours que mènent le Régime totalitaire de la Chine communiste de Xi Jinping. Silence aussi de ces mêmes foules musulmanes ?

Et lorsque Mesut Ozil dit et écrit des choses évidentes sur ce sujet, la Chine arrive à faire « annuler » le footballeur, comme on dit aujourd’hui au temps de la cancel culture.

De manière plus globale, « Le Monde » avait écrit un éditorial début janvier 2020 < Chine, Inde, Birmanie : silence sur les musulmans persécutés> :

« Face à la situation des minorités musulmanes dans ces pays, ni les indignations sélectives des Occidentaux ni l’indifférence des pays arabes ne peuvent se justifier.

Certaines infamies suscitent à juste titre des déluges de protestations, d’autres nettement moins. Qui se soucie vraiment des Ouïgours de Chine ? Des musulmans d’Inde ? Des Rohingya de Birmanie ? Ces trois populations minoritaires de pays asiatiques ont en commun d’être musulmanes, persécutées et quasi oubliées. […]

L’indifférence des pays musulmans à l’égard de ces drames est encore plus problématique. Ni l’Arabie saoudite, ni les Emirats ni l’Egypte, ni les pays du Maghreb ne semblent s’émouvoir du sort des Ouïgours, des musulmans d’Inde ou des Rohingya, pourtant parties prenantes comme eux de l’islam sunnite. Ce défaut de solidarité peut résulter d’un calcul économique : l’Arabie saoudite est le principal fournisseur de pétrole de la Chine et l’attrait exercé par les énormes projets chinois d’infrastructures des « nouvelles routes de la soie » est fort dans l’ensemble de la péninsule Arabique. Les pays comme l’Arabie saoudite ou les Emirats, qui disent lutter contre l’« extrémisme » et le terrorisme, sont mal placés pour critiquer la Chine et l’Inde, qui recourent à la même rhétorique. En se solidarisant avec les musulmans persécutés dans ces pays, les pays arabes s’exposeraient enfin à des critiques sur le sort qu’ils réservent à leurs propres minorités. »

TV Monde pose aussi cette question : « Pourquoi le monde musulman ne réagit-il pas face aux persécutions du gouvernement chinois ? »

Cet article cite Dilnur Reyhan , présidente de l’Institut ouïghour d’Europe et qui est bien évidemment musulmane :

« Désolée, mais je ne vous souhaite pas un bon ramadan. » : c’est ainsi que débute la tribune de Dilnur Reyhan […]. Cette phrase d’introduction — qui peut sembler provocante au prime abord — est suivie d’une somme de constats terribles sur le traitement réservé aux musulmans du Xinjian : « A l’heure où des millions de Ouïghours et d’autres musulmans souffrent et meurent dans les camps de concentration chinois, où toute la population turcophone de la région ouïghoure est privée de ramadan, où les musulmans sont contraints par les autorités chinoises de manger du porc, de boire de l’alcool, de renier leur religion, où leurs mosquées millénaires sont démolies, leurs livres en écriture arabe brûlés ; à l’heure où vous, pays musulmans, observez un silence complice ; où vous allez même, pour certains d’entre vous, jusqu’à approuver ce monstrueux crime contre l’humanité afin de préserver vos relations avec la Chine, je ne peux pas vous souhaiter un bon ramadan. »

Pour avoir une idée de ce qui se passe on peut regarder ce documentaire d’ARTE : <Chine Ouïghours, un peuple un danger Arte >

Il y a aussi ces témoignages publiés par un média suisse : <Rescapés de camps de rééducation chinois au Xinjiang, ils témoignent>

Il faut croire que les caricatures françaises sont plus douloureuses que la violence réelle et physique que pratique la Chine, mais aussi l’Inde et la Birmanie.

Ainsi va le monde des religions, les concepts et les idées sont plus importants que la vie et les souffrances terrestres.

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Mardi 5 mai 2020

«J’ai compris que je suis le monde. Tout ce que je vois, tout ce que je vis, tout ce que je mange, fait partie de mon univers, de mes créations, c’est réel et infini.»
Xu Ge Fei

Hier je vous ai présenté le livre d’entretiens que je vais décliner et partager ces prochains jours.

Et le premier entretien qui m’a marqué, il faut être juste c’est Annie qui l’a lu en premier et m’a immédiatement incité à le lire, concernait une jeune chinoise née en 1979 et qui est devenue éditrice de bande dessinées à Paris : Xu Ge Fei.

L’article a pour titre : « J’ai compris que je suis le monde ».

Cet entretien est paru dans le N°24 de la revue XXI : « Revue 21.fr N° 24»

Lorsqu’elle était enfant en Mandchourie, son grand père lui répétait qu’elle n’était rien que « de l’eau sur le sable, puisqu’elle était une fille ». Et depuis ce temps-là elle portait en elle le désir de faire lire des livres pour les jeunes filles.

Son histoire est étonnante, pleine de volonté, d’imprévue et de hasard qu’elle raconte dans son autobiographie : « Petite Fleur de Mandchourie».

Annie a acheté ce livre et l’a lu avec enthousiasme. Je n’ai pas été assez rapide pour le lire à mon tour, depuis Annie l’a prêté mais ne se souvient plus à qui.

Je lui ai demandé de le résumer et elle a dit « Un conte fée »

Xu Ge Fei a donc vécu une enfance pauvre avec un grand-père qui considérait les filles comme quantité négligeable, mais elle a été entourée de l’amour de ses parents. Mais j’y reviendrai.

Parce que je voudrai d’abord révéler le cœur de ce qu’elle dit, la révélation qui lui a donné le courage et la force d’affronter toutes les épreuves pour devenir une éditrice parisienne qui relie le monde chinois et le monde français :

« A 16 ans, je suis tombée sur cette phrase, dans un livre dont j’ai oublié le titre : « Dieu a deux mains. Sur l’une, il a écrit : « Tu n’es rien pour moi, pas plus qu’une poussière. Et sur l’autre : « Mais j’ai créé le monde pour toi. ». Je ne croyais pas en Dieu, mais cela a été une révélation pour l’adolescente que j’étais, qui cherchait désespérément le sens de la vie. J’ai compris que je suis le monde. Tout ce que je vois, tout ce que je vis, tout ce que je mange, fait partie de mon univers, de mes créations, c’est réel et infini. Tout est possible, je peux tout vivre. J’avais envie de vivre les livres. Je vis les livres ; de vivre à Paris, et je suis là. Tout est cohérent et vient de cette idée folle : je crois réellement que je suis le monde. »

C’est à la fois très beau et très profond.

Si on en revient au Dieu monothéiste des 3 religions du Livre, Régis Debray a cette description fulgurante et précise qui montre toute la prétention de cette conception de la divinité :

« C’est l’Infini qui dit « Moi, je » et qui de surcroit pense à moi. Il allie ces deux qualités a priori incompatibles qui sont la Transcendance et la proximité. D’une part, le Créateur est radicalement supérieur et distinct du monde créé, du monde sensible qui m’entoure mais il m’est possible de l’interpeller, dans un rapport intime de personne à personne. Autrement dit c’est un dehors absolu qui peut me parler du dedans. Il nous entend, nous voit et nous console.

Xu Ge Fei découvre une toute autre spiritualité. L’homme n’est qu’une poussière, disons un groupement de poussière. Mais il fait partie intégrante d’un monde dans lequel il peut vivre, s’épanouir en étant relié à tous les autres éléments et êtres vivants qui forment ce monde. Et dans ce sens chacun de nous est le monde.

Xu Ge Fei est donc née pauvre, dans un camp forestier communiste à Antu en Mandchourie. Son père était bûcheron et sa mère responsable de la cantine du camp

Son grand père était un brillant intellectuel dont tous les biens ont été confisqués lors de la révolution communiste. Il a fait quatre ans de prison et quatorze ans de travaux forcés pendant la révolution culturelle, des années 1960 à la fin des années 1970. On lui reprochait notamment de parler japonais, ce qui valait d’être considéré comme un traitre.

Bien qu’elle fût pauvre, elle raconte qu’elle a eu une enfance heureuse :

« C’était une enfance très heureuse. Je me souviens des visites de mon père qui travaillait à la ville pendant de longues périodes, de ce piano à treize notes qu’il m’a offert, de ce petit serpent à qui j’ai donné à boire du saké. Je n’ai que de bons souvenirs. Ma mère cousait mes vêtements. Elle me portait sur son dos quand j’étais bébé et qu’elle travaillait à la cantine du camp. Nous étions pauvres mais ce n’était pas une existence misérable, il y avait de l’amour de la tendresse. »

Son père l’aimait, mais la trouvait moche et le lui disait. Il a fallu surmonter quand même ce jugement paternel.

Mais le plus difficile fut certainement sa relation avec son grand-père lettré :

« Mon père lisait des bandes dessinées chinoises parce que c’était facile à lire et pas très cher.[…] J’ai grandi entourée de ces bandes dessinées, mais c’était comme des jouets, ce n’était pas du savoir. Et je n’avais pas le droit de toucher aux livres de mon grand-père. Je le voyais lire des textes anciens. Il répétait tout le temps qu’il n’y avait rien au monde de plus précieux que le savoir. Et puis un jour, il m’a dit « Toi, tu n’es rien, tu n’es que de l’eau sur le sable puisque tu es une fille. Tu vas te marier et changer de nom, tu n’existeras plus pour nous. A quoi cela servirait-il de t’apprendre des choses ?» […]

J’avais 4 ou 5 ans et envie d’apprendre le japonais. Il l’enseignait à mon frère, le seul héritier officiel. Il l’enfermait dans une salle tous les matins. Je me cachais derrière la porte et j’apprenais par cœur. Mon frère lui détestait le japonais. Un jour que mon grand-père le frappait avec une règle en bambou, je suis entrée et j’ai dit « Moi je veux apprendre le japonais ! » Il m’a renvoyée avec cette fameuse phrase : « Mais Toi, tu n’es rien, tu es de l’eau sur le sable ». Et il a rangé le livre très haut pour que ne puisse pas y accéder.

Confucius disait que la première vertu d’une femme est l’ignorance. Je n’aime pas sa façon de hiérarchiser la société : les généraux et les ministres doivent obéir à l’empereur, les capitaines aux ministres, le peuple à tous ces gens-là, les femmes à leur mari, les veuves à leur fils. C’est le fond de toute la pensée chinoise. Si j’avais eu accès aux livres, je n’aurais pas eu autant faim. C’est peut-être grâce à mon grand-père que je fais ce que je fais finalement »

Elle n’a pas été bonne à l’école. Et son père lui disait « Puisque tu n’es pas très jolie, personne ne va t’épouser donc il faut que tu sois forte à l’école, que tu cherches un boulot pour ne pas mourir de faim. »

Mais un jour elle peut acheter une copie piratée du « Monde de Sophie de Jostein Gaarder » et puis :

« Et là le choc. J’ai crié à ma mère : « QuI t’a donné le droit de me donner la vie sans donner le sens ! » Pendant 6 mois, j’ai démabulé dans la rue. J’étais perdue, j’arrêtais les gens, je questionnais les arbres : « Mais pourquoi vit-on ? ! » J’avais perdu dix kilos, j’étais comme folle. Personne ne me donnait de réponse qui me satisfasse. Je suis donc allée dans une bibliothèque pour chercher dans les livres. Et au bout de trois mois, j’ai trouvé cette fameuse phrase : « J’ai créé le monde pour toi. » »

Elle a alors appris le métier de comptable et l’anglais en autodidacte. Puis elle a quitté la Mandchourie et a parcouru la Chine à la recherche d’elle-même. Elle devient serveuse dans un restaurant à prostituées à Dalian, exerce tous les métiers possibles pour subvenir à ses besoins.

Finalement elle se fait entretenir par un jeune Californien à Shenzhen avant de filer à Shanghai, où son aplomb et sa passion pour l’anglais lui ouvrent les portes d’une entreprise de pétrochimie. Mais, toujours insatisfaite, elle met le cap sur Paris sur les conseils de Jim, un écrivain sino-canadien, pays clément avec les femmes, lui dit-il. Âgée de 24 ans elle prend alors des cours du soir pour apprendre le français. Mais elle doit trouver les 80.000 yuans (8.000 euros) exigés pour émigrer en France. Une somme colossale, réunie grâce au soutien de sa mère, qui a vendu son alliance en or et l’appartement familial.

A Paris, elle occupe aussi plusieurs emplois pour finalement grâce à sa connaissance des langues chinoises et françaises obtenir un poste de directrice générale de la filiale chinoise de Global Chem, une société française de marketing Internet, spécialisée dans la pétrochimie. Elle est très bien rémunérée, mais au bout d’un certain temps elle ne trouve plus de sens dans ce job et veut devenir éditrice de livres sans rien y connaître.

Elle ne sait comment faire. Mais elle va rencontrer son compagnon avec lequel, elle va créer les éditions Fei en 2009. Elle raconte sa rencontre avec son compagnon :

« C’est Patrick Marty [réalisateur-scénariste, ndlr]. Je l’ai rencontré à Paris, un jour où j’étais triste. J’avais quitté mon amoureux américain et mon travail dans la pétrochimie dans l’idée de devenir éditrice, mais je n’avais aucune connexion dans ce métier, plus d’argent, et mon visa allait expirer. Je confiais tout ça en pleurs, à voix haute, à « mon » arbre – le grand platane bicentenaire du parc Monceau –, quand Patrick s’est approché et m’a demandé : « Mademoiselle, qu’est-ce qui est si grave ? » Il était mal habillé, avec de grandes oreilles, mais il avait des yeux… Alors, je lui ai tout raconté. Mes premières années dans la forêt, en Mandchourie, en Chine du Nord-Est, où mon père était bûcheron. L’arrivée plus tard à Changchun, où ma mère travaillait dans une usine de cigarettes. Ma nuit passée dans la rue à Shenzhen. Mes nombreux jobs : vendeuse de rasoirs de poche, serveuse, réceptionniste, traductrice, commerciale. Et le sacrifice immense de mes parents, qui avaient vendu leurs alliances et leur appartement et emprunté à tous les voisins et amis pour payer mon visa pour la France. On a parlé jusqu’à ce que la nuit tombe. Entre nous, c’était magnétique. Quatre mois plus tard naissaient les éditions Fei, et les toutes premières BD franco-chinoises. »

Le Point raconte aussi sa rencontre avec Christian Gallimard, <Xu Ge Fei, le miracle à la chinoise> :

« Une nouvelle rencontre, avec Christian Gallimard, le frère d’Antoine, a été, dit-elle, déterminante : « Il a lu mon business plan . Quelque temps après, alors que j’étais en Italie pour négocier les droits du « Juge Bao », il m’a appelée pour que je l’accompagne en Chine pendant quinze jours pour un voyage d’affaires. Là, il m’a expliqué toutes les subtilités du monde de l’édition, tout en me répétant que, pour réussir, il fallait également raconter ma vie et l’envoyer sous forme de synopsis à Bernard Fixot en septembre. En octobre, ce dernier m’a répondu favorablement. Et cela s’est passé exactement comme M. Gallimard l’avait prévu. » Avec la sortie conjointe du deuxième volume, somptueux, des aventures du juge Bao, et de ce récit de vie écrit en collaboration avec Patrick Marty, c’est une nouvelle page de la conquête chinoise qui s’écrit ici. Pacifique, culturelle et diablement séduisante. »

« Le Juge Bao » fut la première bande dessinée que sa maison d’édition a publié.

La Tribune lui a aussi consacré un article : « Xu Ge Fei, sur la route du « Soi » »

Dans lequel elle répète que c’est Christian Gallimard qui lui a tout appris.

Et montre aussi cette belle philosophie :

« Je dois relever des défis au quotidien. Je fais des erreurs. Mais j’apprends chaque jour et c’est passionnant »

Mais les blessures de l’enfance restent vivace :

« J’avais peur de ne pas être jolie, parce que mon père me disait que j’étais moche, peur de ne pas plaire, de ne pas être aimée pour qui je suis. Alors je me suis coupé les cheveux. »

Dans <cette vidéo> elle se présente et parle de son autobiographie.

Elle raconte avec émotion quand sa mère a dépensé une fortune, par rapport à ses revenus, pour lui offrir un dictionnaire français :

« Parce que j’adore les langues.
J’adore surtout derrière les langues, les rencontres.
C’est magique d’apprendre une langue. C’est comme une porte qu’on ouvre, un autre monde nous attend derrière. »

Elle avoue son amour de la France et son désir de publier des livres pour les petites filles ; livre chinois pour faire découvrir la Chine aux petites françaises puis aussi faire découvrir la France aux petites chinoises.

Elle conclut l’entretien à la revue XXI par cette vision :

« Le jour où mon grand-père a placé ce livre sur la plus haute étagère de la maison, je me suis juré que je donnerais des livres à toutes les petites filles à qui il fut défendu d’apprendre. Mon but est de permettre l’accès au savoir, c’est cela qui changera le monde. Je le fais un peu avec l’édition. »

Elle explique aussi ce que signifie son nom Xu veut dire « petit à petit » ou « tout doucement », Ge c’est « révolution », « changer », « corriger ». Fei accolé aux deux autres mots, c’est tout ce qui est « injuste », « mauvais » ou faux ». C’est son grand père qui a choisi ce nom qui veut donc dire « Petit à petit révolutionner les choses injustes. »

J’aime beaucoup <cette vidéo> enregistrée par la Librairie Mollat au festival d’Angoulême où elle parle avec enthousiasme des BD qu’elle publie.

Les éditions Fei ont bien sûr leur site. Je vous renvoie vers la page des bandes dessinées : https://www.editionsfei.com/bande-dessinee

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Lundi 9 mars 2020

« Des millions de non nées »
Dans certains pays du monde, la naissance des filles est contrariée

Ce dimanche nous étions le 8 mars. Selon l’appellation officielle de l’ONU, on célébrait « la Journée internationale des femmes ». En France, il a été décidé de l’appeler « journée internationale des droits des femmes ».

Il y a cinq ans, j’avais consacré un mot du jour sur une violence particulière exercée sur les femmes : l’interdiction de naître, < Il nait de moins en moins de femmes dans le monde >

Un article récent de <TV5 Monde> montre qu’il n’y a pas d’amélioration sur ce front :

« Ainsi le monde commence-t-il à faire face à une « carence » de femmes en âge de procréer, qui pourrait conduire à terme à des déséquilibres démographiques lourds de conséquences. D’autant que la population globale vieillit, surtout dans les pays dits développés, tout en continuant à croître – d’ici à 2050, la Terre devrait compter 9 milliards d’habitants.

La masculinisation de la population varie selon les régions du monde. C’est d’abord en Asie que la proportion de garçons a commencé à augmenter parmi les nouveau-nés au début des années 1980 – au rythme des progrès de la science et des méthodes d’analyses prénatales. Et c’est en Inde et en Chine, qui représentent à eux deux 37 % de la population mondiale, que le déséquilibre est le plus inquiétant.

Les deux pays les plus peuplés au monde souffrent d’une évidente carence de femmes. Depuis plusieurs décennies, la Chine, le pays le plus peuplé du monde, présente un « rapport de masculinité » nettement plus élevé que la moyenne – dans certaines régions, il dépasse 120 garçons pour 100 filles. Et dans de nombreuses régions de l’Inde, ce rapport est aussi nettement supérieur à 105, également depuis des décennies. En dépit d’une amélioration dans les États les plus touchés au Nord-Ouest (Pendjab, Haryana, Rajasthan), plusieurs autres États comme l’Uttar Pradesh ou le Maharashtra, autrefois épargnés, semblent aujourd’hui atteints.

Dans ces deux pays, qui comptent en tout 2,76 milliards d’habitants, il y a environ 80 millions d’hommes de plus que le nombre jugé souhaitable, et plus de la moitié d’entre eux ont moins de 20 ans. « Rien de tel ne s’est jamais produit dans l’histoire de l’humanité », écrivait le Washington Post dans un article paru en avril 2018. »

Ce problème est aussi dans d’autres pays d’Asie, comme le Vietnam, le Népal ou le Pakistan, le nombre de garçons dépasse aussi celui des filles de plus de 10

Mais une partie de l’Europe est aussi concerné par ce phénomène :

« l’Europe orientale n’est pas en reste, même si elle pèse moins lourd dans la balance démographique. Depuis au moins 20 ans, il y naît bien plus de garçons que de filles, notamment dans le Caucase et les Balkans, où le sexe-ratio à la naissance se situe entre 110 et 117 pour 100 filles – soit davantage que la moyenne en Inde. L’Azerbaïdjan est le deuxième pays au monde après la Chine en termes de déséquilibre des sexes à la naissance. Durant la décennie 2000, on a même décompté en Arménie jusqu’à 185 garçons pour 100 filles parmi les troisièmes naissances, sans aucun doute un record mondial. En Albanie, au Kosovo, au Monténégro et en Macédoine occidentale, les niveaux avoisinent 110-111 naissances de garçons pour 100 filles, avec une redoutable régularité. »

Il est bien évident que ce niveau d’inégalité ne peut en aucune façon s’expliquer par des phénomènes naturels. Il y a intervention humaine pour arriver à un tel déséquilibre.

Pourquoi dans ces pays, les parents agissent pour diminuer les naissances de femme ?

« Les raisons de ces déséquilibres sont diverses. En Asie, plusieurs facteurs plaident en défaveur des femmes, à commencer par les coutumes, les croyances religieuses ou les considérations économiques. En Inde, mettre au monde une fille est vécu comme un risque pour la famille : destinée à se marier, elle devra remettre une dot puis se consacrera à sa belle-famille. Un garçon, au contraire, apportera aide et sécurité à ses parents. En Chine comme en Inde on préfèrera, selon sa catégorie socioprofessionnelle, investir dans un examen prénatal et choisir d’avorter plutôt que s’endetter toute une vie pour subvenir à l’éducation et au mariage d’une fille.

En Inde et au Pakistan, où il manque 5 millions de femmes, la pauvreté de nombreuses familles pousse ces dernières à préférer les garçons aux filles ; lors des mariages, la famille de l’épouse doit verser une dot à celle du marié, un coût que tous ne peuvent pas se permettre. Par ailleurs, on estime que les hommes sont plus productifs que les femmes, et en cela plus « rentables » pour les familles les plus démunies.

Il en va de même en Chine. En 1979, l’instauration de la politique de l’enfant unique, en vigueur jusqu’en 2015, ainsi que le développement progressif des techniques d’échographie ont fait beaucoup de tort au genre féminin, les parents préférant bien souvent donner naissance à un fils (les « enfants-empereurs »). Car s’il faut choisir, on garde le garçon qui, dans la tradition confucéenne, peut seul succéder aux parents et perpétuer le culte des ancêtres. »

Les techniques, la science sont mis en en œuvre pour poursuivre cette stratégie dans ces pays : privilégier la naissance de jeunes males d’homo sapiens :

« Des millions de non-nées

En 2016, le centre asiatique pour les droits de l’homme a évalué à environ 1,5 million le nombre de foetus féminins éliminés chaque année. En Chine, 35 années de politique de l’enfant unique ont causé la disparition de millions de filles par avortements sélectifs ou infanticide. Même chose pour l’Inde où ces pratiques ont considérablement réduit la population féminine, essentiellement dans le nord du pays. Difficile de naître fille en Asie.

Si, un temps, l’infanticide au féminin – la mise à mort des nouveaux-nés filles – était couramment pratiqué dans ces pays, la science a depuis progressé, rendant ce « gynécide » plus facile et contrôlable. Le développement de l’insémination artificielle permet de sélectionner avant la naissance le sexe de l’enfant. Les échographies déterminent de plus en plus tôt si le bébé à naître est un garçon ou une fille (pouvant conduire ou non à l’avortement sélectif). Or généralement, les familles, pour les raisons culturelles et/ou sociales évoquées plus haut font le choix d’avoir un ou plusieurs garçons.

La Chine et l’Inde accusent actuellement un déficit global de femmes d’environ 160 millions. Le nombre de « femmes manquantes » devrait même atteindre les 225 millions en 2025. A terme, si la proportion de filles par rapport aux garçons continue d’être aussi déséquilibrée, c’est tout un pan de la population qui ne pourra pas être renouvelé.

Des études montrent déjà que 94% des célibataires de 28 à 49 ans en Chine sont des hommes, qui pour la plupart, n’ont pas terminé leurs études secondaires. Certains craignent qu’une masculinisation trop importante de la société chinoise n’entraîne une hausse nette de la violence et du crime.

On assiste aussi à une augmentation des mariages par correspondance (mariages forcés avec des femmes venant de l’étranger), notamment en Chine. Beaucoup de Chinois se tournent vers l’étranger et notamment la Birmanie pour trouver une femme, parfois via un mariage arrangé

Pour des raisons socio-économiques, il faut aussi s’attendre à un ralentissement du taux de natalité dans les pays concernés d’ici 20 à 40 ans. D’où un vieillissement de la population et, à terme, un net ralentissement de ces économies pour l’instant très dynamiques. Parallèlement, la population devrait se féminiser, puisque l’espérance de vie des femmes est plus élevée que celle des hommes.  »

Peu à peu il y a pourtant une prise de conscience des conséquences délétères de ces choix de naissance :

Certains pays ont anticipé ces impasses en prenant des mesures. La Corée du Sud, par exemple, qui au début des années 1990, présentait l’un des sexe-ratio les plus déséquilibrés du monde (près de 1200 hommes pour 1000 femmes) l’a fait baisser jusqu’à 106 garçons pour 100 filles actuellement. Ce « retour à la normale » s’explique tant par l’amélioration du statut des femmes que par les mesures prises par le gouvernement pour enrayer les avortements sélectifs et une importante campagne de communication autour du danger d’une disproportion hommes/femmes.

Des campagnes similaires ont été lancées en Inde : devant le nombre des familles recourant à l’avortement sélectif en fonction du sexe pour choisir les garçons, le gouvernement a adopté une loi interdisant le dépistage du fœtus et ce type d’intervention. En Chine, un assouplissement de la politique de l’enfant unique, notamment dans les campagnes, pourrait amener à rétablir un semblant d’équilibre des sexes dans le pays. Cependant il faudra attendre une vingtaine d’années avant que les premiers effets de ces politiques se fassent sentir.

En Europe du Sud et Caucase, de récents efforts de compréhension du phénomène sont plus le fait d’une mobilisation internationale que d’une prise de conscience de la population, et ils n’ont pas encore débouché sur des mesures concrètes.  »

L’article propose une carte montrant le déséquilibre homme femme dans le monde

Il ne s’agit pas des naissances mais du nombre d’hommes et de femmes dans le pays.

Dans les pays qui n’interviennent pas sur le choix du sexe à la naissance, les femmes qui vivent plus longtemps que les hommes sont majoritaires.

En Russie, la situation est encore plus déséquilibrée, car il y a une surmortalité des hommes.

En Arabie Saoudite qui avec la Mauritanie est l’Etat qui compte le moins de femmes dans sa population, cette situation s’explique par le fait qu’une grande partie de la main d’œuvre est d’origine étrangère et les travailleurs migrants n’ont bien souvent pas la possibilité de faire venir leurs familles. D’où d’énormes déséquilibres statistiques, avec parfois plus de 2000 hommes pour 1000 femmes.

Et on constate que le phénomène dénoncé dans cet article se situe essentiellement en Afrique du Nord et au sud de l’Asie.

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Vendredi 13 décembre 2019

«La persécution de la communauté juive de Kaifeng»
Une minuscule communauté qui met en danger la nation chinoise ?

Après le mot du jour d’hier dans lequel je décrivais l’ambition de XI Jinping et des autorités du Parti Communiste Chinois de faire le récit d’une grande nation chinoise homogène dans laquelle les particularités de toute sorte doivent s’estomper, il serait cohérent de parler de l’action du gouvernement chinois au Tibet et au Xinjiang.

Mais il m’a paru plus pertinent encore d’évoquer non une ethnie minoritaire, mais une communauté religieuse qui existe à l’état de trace dans l’immense Chine.

Elle est de taille minuscule, j’ai trouvé peu d’informations à son sujet mais je crois comprendre qu’elle ne compte guère plus que de 1000 membres sur toute la Chine. Une poussière au regard de l’immensité du nombre de chinois et particulièrement de l’ethnie Han.

Pourtant elle est persécutée.

Il s’agit de la communauté juive.

J’ai été informé de ce sujet par un reportage de France 24 sur <La communauté juive de Kaifeng>

La Chine compte une minuscule communauté juive centrée autour de la ville de Kaifeng, dans l’Est. Une centaine de familles était jusqu’il y a peu une curiosité touristique mais elle est désormais sous pression des autorités, sommée d’effacer toute trace visible de son héritage historique. Des décisions qui font écho à la volonté de Xi Jinping, qui a récemment appelé à se prémunir « des infiltrations des puissances étrangères dans la société chinoise, par le biais de moyens religieux ».

C’est une communauté qui ne compte qu’une centaine de familles. Mais elles troublent probablement l’homogénéité ou doit-on parler de la pureté de la nation chinoise ?

Le gouvernement a exigé que les ruines de la synagogue soient détruites.

Les rassemblements pour les prières ont été interdits.

Les autorités chinoises ont fait table rase du passé.

Il a fallu enlever les étoiles de David et même la pancarte indiquant l’existence de l’ancienne synagogue.

Les juifs se seraient installés à Kaifeng il y a dix siècles

Leurs ancêtres seraient des marchands venus de Perse par la Route de la Soie au VIIIème siècle.

Ce <site> donne quelques précisions supplémentaires sur la communauté juive de Kaifeng et l’hostilité de l’administration de Xi Jinping :

« La Nouvelle ère de surveillance et de sécularisation chinoise touche à présent une petite communauté juive de la région rurale de Kaifeng, dans la province du Henan au centre de la Chine. Ses membres disent avoir peur de se rassembler dans les espaces publics ou de protester contre la surveillance du PCC dont ils font l’objet. Leur histoire est aussi fascinante qu’elle est menacée par des politiques qui empêchent la communauté d’avoir tout contact avec les étrangers et qui ont causé l’arrêt des travaux de reconstruction de leur synagogue détruite. […]

Pour beaucoup, apprendre que la Chine abrite depuis plus de mille ans une communauté juive relativement isolée est un choc. Mais les Juifs de Kaifeng étaient autrefois un groupe prospère, avec de bonnes relations, qui vivait au centre de la route de la soie de l’Asie orientale.

Au IXe siècle, un groupe de marchands juifs persans est arrivé en Chine par la route de la soie. Ils ont été chaleureusement accueillis par des émissaires de la dynastie Song du nord dans la ville de Kaifeng. Les marchands ont fini par décider de s’installer à Kaifeng et ont commencé à s’intégrer socialement dans la société chinoise des Hans. En dépit de la lenteur du processus qui a duré plusieurs siècles, des mariages entre leur communauté et des familles hans locales ont pu avoir lieu. Ces familles persano-hans combinaient les traditions du judaïsme avec des éléments sociaux et religieux de la culture chinoise han et, ce faisant, se sont unies pour former un groupe singulier et distinct en Chine : les Juifs de Kaifeng. Ils étaient plus de mille.

En 1163, les Juifs de Kaifeng ont alors décidé d’ériger le Temple respectant les Écritures de la voie, une synagogue autour de laquelle ils organiseraient leur vie religieuse et communautaire.

[…] en 1849, une autre énorme inondation du Fleuve Jaune a de nouveau détruit la synagogue. Les Juifs de Kaifeng, alors pauvres, n’ont pas pu la reconstruire et ses ruines ont été laissées à l’abandon pendant des siècles. Les vestiges étaient devenus un vénérable symbole du passé prospère de la communauté et de son futur cloisonné.

[…] Cependant, lorsque Deng Xiaoping a institué la réforme de la « porte ouverte » en Chine à la fin du XXe siècle, des chercheurs, des universitaires et des touristes occidentaux ont commencé à affluer pour rendre visite aux Juifs de Kaifeng dont ils avaient entendu parler mais qu’ils n’avaient jamais pu rencontrer auparavant. […] Le premier point à l’ordre du jour était la reconstruction de la synagogue.

[…] Parmi les activités proposées figuraient des cours d’hébreu, des cours de cuisine et l’apprentissage de traditions et de textes juifs anciens. Certaines ont attiré des dizaines de personnes et les fêtes juives se sont avérées particulièrement populaires. Autour du quartier historique où vivaient les Juifs de Kaifeng, des panneaux en hébreu ont commencé à apparaître et des expositions sur la vie de leurs ancêtres organisées dans des musées ont attiré des touristes arrivant des quatre coins de la Chine. […] Lorsque les bureaux centraux du PCC ont eu vent de ce plan [de reconstruire la synagogue], l’ordre a été donné d’arrêter les projets »

Le prétexte était que ces actions étaient encouragées par des associations juives internationales.

De toute manière une vague de répression touche aussi les activités communautaires des chrétiens et des musulmans.

C’est l’étroitesse de cette communauté et la volonté chinoise d’effacer l’histoire millénaire des Juifs de Kaifeng jusqu’à étouffer toute tentative d’en récupérer les vestiges qui montre l’étendue du fanatisme des idéologues actuellement au pouvoir en Chine.

Ceci me fait penser au mot du jour du 27 février 2019 qui évoquait cette grande figure du tiers-mondisme Frantz Fanon qui disait : «Quand vous entendez dire du mal du juif, tendez l’oreille, on parle de vous !».

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Jeudi 12 décembre 2019

« Rien ne peut ébranler les fondations de notre grande nation. Rien ne peut empêcher la nation et le peuple chinois d’aller de l’avant »
Xi Jinping lors du discours qui célébrait le 70e anniversaire de la République Populaire de Chine

Après des mots du jour du début de cette semaine qui parlait d’émotion, de souvenir et d’humanisme, je vais revenir à ce sujet qui m’intéresse, m’interpelle et m’inquiète quelque peu dans la géopolitique du monde, la Chine de Xi Jinping.

La Chine est un empire qui veut être une nation.

La différence entre un empire et une nation avait déjà été abordée lors du <mot du jour du 30 octobre 2019> consacré à la dichotomie entre les Kurdes et la Turquie.

J’expliquais ainsi que les empires comme l’empire ottoman, l’empire austro-hongrois, l’empire russe et aussi l’empire chinois sont composés de plusieurs peuples, avec toujours un peuple dominant : les turcs pour le premier, les allemands pour le deuxième, les russes pour le troisième, les hans pour le quatrième. Dans un empire il est admis et nécessaire que l’empereur ou celui qui dirige l’empire soit en mesure, tout en préservant la domination de son clan, de faire en sorte que ces peuples puissent vivre ensemble.

La différence, la diversité sont non seulement acceptées mais aussi organisées.

Dans un État nation, c’est beaucoup plus compliqué d’exprimer ses différences. Le récit est celui de l’unicité de la nation.

Indiscutablement la Chine est formée de plusieurs nations, les tibétains, les ouïghours sont des peuples spécifiques.

<La constitution de la République Populaire> le reconnaît d’ailleurs, même si elle parle d’ethnie et non de peuple.

Cette constitution commence par un long préambule.

La première phrase du préambule est :

« La Chine est l’un des pays dont l’histoire est l’une des plus anciennes du monde. Les ethnies de Chine ont toutes ensemble créé une brillante culture et possèdent une glorieuse tradition révolutionnaire. »

Et plus loin dans le préambule nous lisons :

« La République populaire de Chine est un pays multi-ethnique unifié fondé en commun par toutes les ethnies du pays. Les relations socialistes déjà établies sont des rapports d’égalité, de solidarité et d’entraide, elles continueront à se renforcer. Dans le combat pour la sauvegarde de l’union des ethnies, il faut s’opposer au chauvinisme de grande ethnie, et en particulier au chauvinisme grand Han, il faut aussi s’opposer au nationalisme local. L’État doit consacrer tous ses efforts à la prospérité commune de toutes les ethnies. »

Et puis, il y a le fameux article 4 de la constitution :

« Article 4 : Toutes les ethnies de République populaire de Chine sont égales. L’État protège les droits et intérêts légitimes de toutes les ethnies, maintient et développe des relations inter-ethniques fondées sur l’égalité, la solidarité et l’entraide. Toute discrimination ou oppression d’une ethnie, quelle qu’elle soit, est interdite ; tout acte visant à briser l’unité nationale et à établir un séparatisme ethnique, est interdit.
Tenant compte des particularités de chaque ethnie minoritaire, l’Etat aide les régions d’ethnies minoritaires à accélérer leur développement économique et culturel.
Les régions où se rassemblent les minorités ethniques appliquent l’autonomie régionale ; elles établissent des organes administratifs autonomes et exercent leur droit à l’autonomie. Aucune des régions d’autonomie ethnique ne peut être séparée de la République populaire de Chine.
Chaque ethnie a le droit d’utiliser et développer sa propre langue et sa propre écriture, a le droit de conserver ou réformer ses us et coutumes. »

Cet article débute très bien en affirmant l’égalité de toutes les ethnies et surtout cette règle que même les « droits de l’hommiste occidentaux » honnis de Xi Jinping ne sauraient qu’approuver : l’interdiction de toute discrimination et oppression d’une ethnie. Cette règle devrait être de nature à rassurer les tibétains et les ouïghours … Les rassurer en théorie…

On attribue à Pierre Desproges ce beau souhait utopique : «Un jour j’irai vivre en Théorie, car en Théorie tout se passe bien.». <Marc Levy> affirme cependant qu’il n’y a nulle trace montrant que Desproges soit l’auteur de cette phrase.

Il y a toutefois une limite qui est dressée dans ce même article 4 : il est aussi interdit tout séparatisme ethnique. Dès lors, dans ce régime qui vante son efficacité et son pouvoir centralisé fort, il suffit pour sortir de la théorie d’accuser une ethnie de séparatisme pour pouvoir exercer une force unificatrice et violente sur ses membres. Nous verrons cela dans des mots du jour ultérieurs.

Sur une page du site de l’ambassade de Chine en France, visant à faire connaître ce grand et vieux pays, on peut lire :

« La population chinoise comprend 56 ethnies identifiées. La population des diverses ethnies connaît de grands écarts ; les Han sont beaucoup plus nombreux, et les 55 autres groupes sont appelés « ethnies minoritaires ».

Selon une enquête effectuée au moyen de sondages auprès de 1 % de la population du pays en 2005, la population totale des 55 ethnies minoritaires était de 123,33 millions, représentant 9,44 % de la population nationale. »

Ceci trace immédiatement une répartition extraordinairement inégalitaire de l’empire du milieu.

Le gouvernement chinois reconnaît donc 56 ethnies mais l’une représente 90,5% de la population et les 55 autres ensembles 9,5%.

Vous pourrez trouver sur cette page la liste des 56 ethnies, leur implantation géographique et leur importance numérique.

Les « Han » : presque 1,2 milliard, les «Tibétains » 5,416 millions, les « Ouïgours » 8,3984 millions et certaines ethnies sont vraiment peu nombreuses « Les Tatars » 4 900 personnes.

Remarquez la précision, au millier près, du nombre de personnes constituant une ethnie sauf pour les han où la précision s’arrête à la centaine de millions….

Dès lors, quand une ethnie est soupçonnée de séparatisme sur un territoire, il suffit de puiser dans les réserves inépuisables de l’ethnie majoritaire pour aller changer totalement l’équilibre ethnique du lieu. C’est ainsi que <Le Tibet> est de plus en plus une région habitée par l’ethnie Han.


Comme toujours, la situation est plus complexe que celle décrite ci-avant, l’ethnie Han ne constitue pas un bloc totalement homogène. Wikipedia nous apprend que l’anthropologue Dru C. Gladney indique qu’il existe au sein même de la population han une diversité notamment dans les populations du Sud comme les Cantonais, les Hakkas ou les Mins du Sud du Fujian. Ainsi la majorité han est composée de locuteurs de huit groupes de langues différentes (mandarin, cantonais, wu, xiang, hakka, gan, min du Nord et min du Sud). Le chinois mandarin est la langue officielle depuis le début du XXe siècle, standardisé sur le parler de la région de la capitale, Pékin. Il coexiste donc, même à l’intérieur de l’ethnie Han, diverses langues parlées.

En pratique, le nom de cette ethnie fut d’abord « Huaxia » mais elle changea de dénomination à l’époque de la dynastie Han (206 av. J.-C. à 220 apr. J.-C.), et pris le nom de la dynastie.

Indiscutablement, ils constituent le peuple chinois « historique ». Devant une telle situation inégalitaire il est difficile de ne pas assimiler la « culture chinoise » à la « culture Han ».

Mais cela est l’introduction.

  • En 2019, il y a une révolte extraordinairement puissante à Hong Kong, c’est un défi pour Pékin.
  • En 2019, il y avait aussi les 30 ans de la répression de Tien an Men. Cela c’est un déni pour Pékin. J’en avais fait un mot du jour : « Le massacre de la place de la porte de la Paix céleste» publié le jour anniversaire le 4 juin.
  • Pékin a célébré, en revanche, les 70 ans de la création de la République populaire de Chine, le 1er octobre 1949.

Et la célébration a magnifié la grandeur de la Chine et sa puissance militaire.

Un nombre impressionnant de vidéos montre cette parade : <Démonstration de force en Chine pour les 70 ans du régime>, <La Chine communiste fête ses 70 ans>, <La République populaire de Chine fête ses 70 ans>

Toutes ces vidéos durent moins de 3 minutes.

Mais pour notre information pleine et entière sur l’empire du milieu il existe « CGTN » China Global Television Network, financé par le gouvernement chinois. Et nous disposons donc, grâce à ce canal, une vidéo de 4h59 minutes qui montre la cérémonie, avec des commentaires français, dans sa durée et sa splendeur : < En direct : Célébrations du 70e anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine>

<Le Monde> nous explique :

« A Pékin, tout était sous contrôle. […]Il s’agit, selon les dirigeants, du plus grand défilé militaire organisé à Pékin depuis 1949. L’occasion pour la Chine d’exhiber quelques-uns de ses fleurons, notamment des drones high-tech et – pour la première fois – des Dongfeng-41, des missiles balistiques intercontinentaux possiblement dotés d’ogives nucléaires et qui peuvent atteindre les Etats-Unis en trente minutes.

[…] Ces nouvelles capacités militaires, qui sont, comme le martèle la propagande, « au service de la paix », illustrent les ambitions mondiales de la Chine de Xi Jinping. Lorsqu’il s’adresse aux 90 millions de membres du Parti communiste, celui-ci ne cesse de mettre en garde contre les « menaces » qui l’assaillent. En revanche, l’image qu’il entend donner au pays et au reste du monde est au contraire celle d’un parti qui a accompli un «miracle».

[…] Le mot figure en toutes lettres dans le Livre blanc publié le 29 septembre par le gouvernement chinois sur le rôle international du pays. « En soixante-dix ans, sous la direction du Parti communiste chinois, la République populaire de Chine a connu de profonds changements et réalisé un miracle de développement économique sans précédent dans l’histoire de l’humanité », est-il écrit, dès l’introduction. « La Chine a réussi à accomplir quelque chose que les pays développés ont mis plusieurs centaines d’années à réaliser », ajoute le document. Le PIB du pays est passé de « 67,9 milliards de yuans [8,7 milliards d’euros] en 1952 à 90 000 milliards de yuans [11 570 milliards d’euros] en 2018 », est-il précisé. Pourtant, le Livre blanc affirme que la Chine reste un « pays émergent ». Pas question en effet d’accepter de perdre les avantages qu’octroie ce statut au sein de l’Organisation mondiale du commerce, à laquelle la Chine a adhéré en 2001. »

Et le plus important, à 10 heures, au balcon de la Porte-de-la-Paix-Céleste, au sud de la Cité interdite, qui donne sur la place Tiananmen, là même où Mao Zedong avait proclamé le 1er octobre 1949 la création de la République populaire de Chine, Xi Jinping, secrétaire du Parti communiste depuis 2012 et président de la République depuis 2013, a prononcé un discours très bref de sept minutes.

Et c’est dans ce discours qu’il a eu cette phrase :

«Rien ne peut ébranler les fondations de notre grande nation. Rien ne peut empêcher la nation et le peuple chinois d’aller de l’avant»

Là il est question de « la nation chinoise », unique, unifié dans laquelle les différences doivent être minimes.

Une nation prête pour la conquête économique, prête à se défendre contre n’importe quel ennemi, une nation où chacun doit souscrire aux messages de Xi Jinping et dans laquelle les particularismes doivent se dissoudre dans l’Unité et ….

le culte de la personnalité…

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Mercredi 4 décembre 2019

« Le document 9 »
Document secret du pouvoir central chinois présidé par Xi Jinping

L’excellent documentaire, « Le monde selon Xi-Jinping » montre d’abord que le Président chinois est un prince rouge. C’est-à-dire un enfant du premier cercle de Mao lors de la proclamation en 1949 de la République populaire de Chine.

C’est une sorte de noblesse qui perpétue son pouvoir dans la Chine communiste et capitaliste non libéral.

Il raconte aussi la descente en enfer de son père et de lui-même lors de la purge réalisée pendant la révolution culturelle. Et dans laquelle ils comptèrent parmi les victimes. Il dit lui-même que les gardes rouges ont plusieurs fois menacé de le fusiller. Il fut victime de violences physiques, morales et aussi d’un travail dur à la campagne au milieu de rudes paysans. Sa sœur ainée s’est suicidée pendant cette période

Mais il garda toute sa confiance dans le Parti Communiste, il y adhéra après bien des péripéties. Puis, il fut suffisamment consensuel pour grimper tous les échelons.

Lors des dernières marches il sut écarter ceux qui pouvaient être des concurrents. Il affiche un motif noble : la lutte contre la corruption. Il semble que la corruption est importante en Chine communiste.

Dès lors, beaucoup peuvent être inquiétés pour cette raison.

Ainsi, il a pu écarter un autre prince rouge « Bo Xilai » qui apparaissait comme un rival très sérieux. Condamné à la prison à perpétuité et spolié de tous ces biens il ne constitue plus un obstacle pour Xi Jinping.

Mais la famille de XI Jinping est à la tête d’une fortune colossale de plus de 290 millions d’euros, selon une enquête de Bloomberg qui a valu au site de l’agence d’être suspendu quelques jours en Chine pendant l’été.

Cette fortune n’est elle que le fruit du travail ?

Xi Jinping est devenu le secrétaire général du Parti communiste en novembre 2012 et Président de la République le 14 mars 2013.

Normalement depuis Deng Xiao Ping, ce poste était occupé pendant dix ans puis tranquillement l’élite du Parti se mettait d’accord sur un successeur. Xi Jinping a rapidement su mettre en place les conditions de la prolongation indéfinie de son mandat. Il souhaite probablement « le refaire à la Mao » rester au pouvoir jusqu’à sa mort ?

Aujourd’hui, je souhaite m’arrêter sur un autre point développé dans le documentaire, le « document 9 ».

Xi Jinping, n’était pas depuis longtemps au pouvoir quand a été divulgué, en 2013, un document secret du Comité Central, « le document 9 ».

Le pouvoir chinois a accusé la journaliste Gao Yu née à Chongqing en 1944 et qui faisait partie de cercles d’intellectuels dissidents, d’être la responsable de cette fuite.

Elle avait été arrêtée en 1989 après les manifestations de la place Tian’anmen et libérée 14 mois plus tard pour raison de santé. De nouveau arrêtée en octobre 1993 et condamnée à 6 ans de prison, elle est arrêtée une troisième fois le 24 avril 2014, en raison du document 9.

Gao Yu est réapparu le 8 mai 2014 sur les écrans de la télévision chinoise, filmée assise sur une chaise en fer dans une salle capitonnée, une salle d’interrogatoire, d’un centre de détention, exprimant, d’un ton las et hésitant, une autocritique, pour son «crime», qui porterait «atteinte aux intérêts nationaux». Ses amis s’interrogent sur les moyens et les pressions exercées sur cette femme de conviction solide pour lui arracher une telle autocritique

En avril 2015, Gao Yu est condamnée, à une peine de sept ans de prison.

Ce document 9 dont un des principaux auteurs serait le président chinois lui-même, Xi Jinping, a vocation à servir de référence à la politique chinoise dans les dix ans à venir. Ce document identifie dix périls à combattre dans la société chinoise :

Le tout premier est la «démocratie constitutionnelle occidentale».

Les autres incluent la promotion des «valeurs universelles» des droits de l’homme, les idées d’indépendance des médias et de participation citoyenne inspirées par l’Occident, le «néolibéralisme» qui défend avec ardeur l’économie de marché et les critiques «nihilistes» du passé traumatisant du parti ».

Bref, il rejette toutes les valeurs auxquels nous autres occidentaux, malgré nos différences, sommes attachées.

François Bougon est journaliste au « Monde », il avait été correspondant de l’AFP en Chine pendant 5 ans. Il a écrit un livre : « Dans la tête de Xi Jinping » publié en 2017 et édité par Actes Sud.

François Bougon insiste d’abord sur une illusion que nous autres occidentaux pourrions avoir d’espérer qu’apparaisse au sein du PCC, un Gorbatchev chinois qui parle de réforme, de transparence, de refus de la violence et qui fasse évoluer la Chine vers un régime plus proche de nos valeurs.

C’est un espoir vain, selon ce journaliste. Gorbatchev est l’anti-modèle pour les responsables chinois.

Et particulièrement Xi Jinping est marqué par la chute de l’URSS en 1991, suite à la « mollesse » de Gorbatchev. Il est résolu à éviter cette faute et considère que le salut du Parti est dans la lutte pied à pied contre la démocratie, et la réactivation d’un marxisme aux couleurs de la Chine.

Bougon s’intéresse au document « n°9 » de 2013 et considère particulièrement important de constater que Xi Jinping y pourfend les « valeurs universelles », la « démocratie constitutionnelle», les ONG, les « forces hostiles » de l’étranger, et le « nihilisme historique » – le fait de tourner en dérision les héros révolutionnaires et leurs actes.

Bougon le constate mais il est sceptique sur les chances de survie d’un régime ayant tourné le dos à toute concession et toute réforme politique. L’auteur suggère que le pouvoir, entré dans la dernière phase de son existence, joue ses dernières cartes et ne pourrait survivre plus d’une à deux décennies. Sous l’angle économique, Xi veut rendre ses concitoyens réactifs et créatifs, pour obtenir des entreprises et des universités mondialement compétitives. Mais sous l’angle politique, Xi veut en même temps maintenir cette société muselée.

Un tel grand écart devrait devenir rapidement intenable : « aucun Parti ne peut régner ad vitam aeternam », conclut F. Bougon.

Vous pouvez voir François Bougon présenter longuement son ouvrage et ses idées dans une <vidéo> d’une conférence qu’il a fait à la fondation Jean Jaurés.

Il explique notamment que par rapport aux discours des droits de l’homme des occidentaux, aux leçons des valeurs universelles, Xi Jinping ne se situe pas dans une posture défensive, mais dans un discours revendicatif, un discours conquérant et même de sanctions économiques pour ceux qui ne voudraient pas comprendre. La Chine a sa propre civilisation, a des solutions pour le monde qui ne s’inscrivent absolument pas dans le corpus idéologique des occidentaux. Notamment dans cette vision, la Loi n’a pas pour vocation de garantir des droits individuels mais d’imposer des solutions pour que la Société fonctionne efficacement.

L’obsession de Xi Jinping est que la Chine «communiste» devienne la première puissance mondiale économique et militaire pour le centenaire de sa création, en 2049, et qu’elle surpasse enfin les Etats-Unis. Pour atteindre ce but, il choisit de faire prendre au pays un virage de plus en plus totalitaire.

<Le Figaro> parle aussi de ce document 9 et conclut très justement :

« En réalité, il ouvre une guerre idéologique frontale à un Occident qui, aveuglé par les chimères de l’eldorado chinois, réduit au commerce sa relation à la Chine. »

<Le Monde> explique

« Le Document n°9 apparaît aujourd’hui comme ayant tracé la feuille de route exacte de la répression qui n’a cessé de s’intensifier, dès l’automne 2013 et la fin du procès de Bo Xilai, contre la société civile chinoise, les intellectuels, les blogueurs, les avocats ou les militants d’ONG. […]

Cette « note de l’Office général du Comité central du parti », diffusée jusqu’aux plus bas échelons de l’organisation, a pris le nom de « Document n°9 », car il est alors le neuvième document de ce type diffusé depuis le début de l’année, selon le site China File, qui en offre une traduction intégrale en anglais, tirée de la version en chinois publiée par le magazine papier du site Mingjing News aux Etats-Unis en septembre 2013. […] le « Document n°9 » se lit comme le pense-bête d’un régime obnubilé par l’Occident, un »kit anti-subversion » qu’il faut suivre à la lettre. Il prévient que « les forces occidentales antichinoises et les « dissidents » de l’intérieur sont toujours en train d’essayer activement d’infiltrer la sphère idéologique chinoise et de mettre au défi notre principale idéologie ». Le combat est « complexe et intense », prévient le préambule. Pour ce faire, sept tendances ont été identifiées comme autant de moyens inventés par l’Occident pour saper l’autorité du parti et le renverser. Le document expose les principaux arguments en leur faveur, et les condamne d’autorité.

On y trouve la « démocratie constitutionnelle occidentale » : Certains « attaquent les dirigeants en disant qu’ils se placent au-dessus de la Constitution ». « D’autres prétendent que la Chine a une Constitution, mais qu’elle n’est pas gouvernée de manière constitutionnelle ». « Leur objectif est d’utiliser l’idée de la démocratie constitutionnelle occidentale pour saboter le rôle dirigeant du parti, abolir la démocratie populaire et nier la Constitution de notre pays ». Les « valeurs universelles » : « Ces gens croient que la liberté, la démocratie, les droits de l’homme sont universels et éternels. C’est évident dans la manière dont ils tordent la promotion par le parti de la démocratie, la liberté (etc.) ». « Le but est d’utiliser le système de valeurs de l’Occident » pour « supplanter les valeurs fondamentales du Socialisme ».

Suivent la « société civile », accusée d’être « une tentative de démantèlement de la fondation sociale du parti dirigeant » ; le « néolibéralisme économique » ; le « journalisme à l’Occidental » (qui « met en question le principe que les médias et l’édition doivent être soumis à la discipline du Parti »). Le « nihilisme historique » : certains « dénient la valeur scientifique et pédagogique de la pensée Mao Zedong », d’autres « tentent de détacher ou même d’opposer entre elles la période de l’ouverture et des réformes [à partir de 1978] et celle qui a précédé [le maoïsme]. […]

Le « Document n°9 » s’attache ensuite à démasquer tous ceux qui œuvrent et s’agitent contre le parti : « Certains ont diffusé des lettres ouvertes et des pétitions en appelant à la réforme politique, à l’amélioration des droits de l’homme, (…) à revenir sur le verdict du 4 juin [1989] ». D’autres ont « monté en épingle la transparence du patrimoine chez les dirigeants », l’idée de la « supervision du gouvernement par les médias », ou ont prétendu « combattre la corruption sur l’Internet ». D’autres encore « réalisent des documentaires sur des sujets sensibles », « manipulent et montent en épingle les immolations de Tibétains » ou les « problèmes ethniques ou religieux ». Attention « aux ambassades étrangères, aux médias et aux ONG » qui « opèrent en Chine sous diverses couvertures, répandent les valeurs occidentales et cultivent à dessein les forces antigouvernementales ».

J’ai aussi trouvé cet article de <Slate>

Cet homme ne nous considère pas comme des partenaires, mais comme des ennemis.

Pendant ce temps les entrepreneurs occidentaux voient dans la Chine un marché immense et dévoilant tant de potentiel…

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